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Dossier actualité et dossier en santé publique 12 septembre 1995 de dégradation de leur état de santé au point de compromettre encore plus les possibilités de leur réinsertion. Face à ces difficultés, de nouvelles pratiques se font jour qui mettent en perspective certai- nes questions. Le système de santé doit-il s'adapter et s'ouvrir ou doit-on encourager des espaces spécifi- ques à l'hôpital et ailleurs ? Quels nouveaux savoir-faire les acteurs doi- vent-ils développer ? Quelles modalités d'échanges doivent-ils sa- voir tisser ? Ces questions concernent également les ser- vices de l’État, les collectivités locales, les dif- férents champs professionnels et les associa- tions. Il n'y a pas de réponse toute faite. Il nous ap- partient à tous les niveaux d'identifier les diffi- cultés et de construire les réponses. Comme il revient à ceux qui décident d'arbitrer et donc de définir des choix à la mesure des problè- mes et à la hauteur des exigences et des as- pirations sociales. acteurs. Pourquoi ? Les personnes en difficulté sont-elles plus malades, ont-elles moins accès aux soins, sont-elles moins soignées qu’aupa- ravant ? L'élargissement des droits et le développement du système de soins plaident pour le contraire. C'est probablement que les processus de pau- vreté et de précarité ont changé. Durant la période de plein emploi, on pouvait dire, en caricaturant, que pauvreté et état de santé défaillant concordaient. Seuls ne tra- vaillaient pas ceux qu'une raison liée à l'âge ou à un handicap empêchait de travailler. Avec l'apparition d'un chômage massif et du- rable, des populations nouvelles, jeunes et adultes, ont été touchées par les processus de précarisation. Ce n'est plus l'état de santé qui est à l'origine de la mise à l'écart du monde du travail. Bien plus, les professionnels du soin et du so- cial en rapport avec ces populations font état e rapprochement santé et précarité s'impose comme une question emblé- matique posée aux politiques et aux L II Fléaux sociaux, populations cibles et précarité : du contrôle à la responsabilisation IV Les grandes tendances VIII Accès aux droits : de l’élargissement à la généralisation XII La santé : se loger, se nourrir, se soigner… XXII L’apport des associations XXIV Système de soins, système de santé et précarité : quelles perspectives ? XXVIII Tribune XXXVI Bibliographie Adresses utiles Sommaire Santé & précarité

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page I

Dossieractualité et

dossier en

santé publique

12septembre 1995

de dégradation de leur état de santé au pointde compromettre encore plus les possibilitésde leur réinsertion.Face à ces difficultés, de nouvelles pratiquesse font jour qui mettent en perspective certai-nes questions.Le système de santé doit-il s'adapter et s'ouvrirou doit-on encourager des espaces spécifi-ques à l'hôpital et ailleurs ?Quels nouveaux savoir-faire les acteurs doi-vent-ils développer ?Quelles modalités d'échanges doivent-ils sa-voir tisser ?Ces questions concernent également les ser-vices de l’État, les collectivités locales, les dif-férents champs professionnels et les associa-tions.Il n'y a pas de réponse toute faite. Il nous ap-partient à tous les niveaux d'identifier les diffi-cultés et de construire les réponses. Comme ilrevient à ceux qui décident d'arbitrer et doncde définir des choix à la mesure des problè-mes et à la hauteur des exigences et des as-pirations sociales.

acteurs. Pourquoi ? Les personnes en difficultésont-elles plus malades, ont-elles moins accèsaux soins, sont-elles moins soignées qu’aupa-ravant ?L'élargissement des droits et le développementdu système de soins plaident pour le contraire.C'est probablement que les processus de pau-vreté et de précarité ont changé.Durant la période de plein emploi, on pouvaitdire, en caricaturant, que pauvreté et état desanté défaillant concordaient. Seuls ne tra-vaillaient pas ceux qu'une raison liée à l'âge ouà un handicap empêchait de travailler.Avec l'apparition d'un chômage massif et du-rable, des populations nouvelles, jeunes etadultes, ont été touchées par les processus deprécarisation. Ce n'est plus l'état de santé quiest à l'origine de la mise à l'écart du monde dutravail.Bien plus, les professionnels du soin et du so-cial en rapport avec ces populations font état

e rapprochement santé et précarités'impose comme une question emblé-matique posée aux politiques et auxL

II Fléaux sociaux,populations cibles etprécarité : du contrôle àla responsabilisation

IV Les grandes tendances

VIII Accès aux droits : del’élargissement à lagénéralisation

XII La santé : se loger, senourrir, se soigner…

XXII L’apport des associations

XXIV Système de soins, systèmede santé et précarité :quelles perspectives ?

XXVIII Tribune

XXXVI BibliographieAdresses utiles

Sommaire

Santé&précarité

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page II

De la « bouc-émissarisation » descouches populaires àla définition de publics cibles

Les épidémies dans l’histoire se trouvent àl’origine d’un triple processus qui domine tourà tour les grands fléaux sociaux successifs(peste et choléra/syphilis et tuberculose/sida) :elles sont l’occasion et le support d’une ré-organisation des pouvoirs sur la société : enpremier lieu les pouvoirs urbains car ce sont laqualité de l’air, la promiscuité et l’aménage-ment de l’espace, en fait les conditions de vieet d’habitat des couches populaires, qui se trou-vent incriminées quant aux conditions facilitantle développement de l’épidémie ; la réévalua-tion de la place de l’État intervient en secondlieu car il est nécessaire de mobiliser desmoyens à la mesure du fléau, pour limiter sonexpansion et gérer ses effets sur les populations.La recherche de boucs émissaires du côté desclasses populaires est un phénomène récurrentdans l’histoire des épidémies et autres grandsfléaux sociaux : dès les choléras du début duXIXe siècle, l’« infection des pauvres »3 est dé-signée comme la cause du mal. La volontéd’agir spécifiquement en direction de cettepopulation cible se trouve à la base de la cons-titution de l’hygiène publique : « l’hygiènese construit sur l’évaluation des « fléauxsociaux » ; tous maux attribués à quelque zoneinquiétante où la misère propagerait l’infection

Fléaux sociaux,populations cibles et précarité

épidémiques ont perturbé les équilibres sociauxet bouleversé les mentalités, l’épidémie est res-tée jusqu’aux débuts de l’apparition du sidal’« ancien régime du mal »2. La confrontationentre les différentes formes de symbolisation etd’instrumentation des fléaux sociaux apparaîtaujourd’hui utile dans le décryptage nécessairedes usages sociaux de ces références qui ten-dent – malgré les risques que cela entraîne – àfocaliser les racines et les foyers du mal sur lespopulations les plus précarisées.

« Nos concitoyens […] ne croyaient pasaux fléaux. Le fléau n’est pas à lamesure de l’homme, on se dit donc quele fléau est irréel, c’est un mauvais rêvequi va passer. Mais il ne passe pastoujours, et de mauvais rêve en mauvaisrêve, ce sont les hommes qui passent, etles humanistes en premier lieu, parcequ’ils n’ont pas pris leurs précautions »

Albert Camus, La peste

« Comme la peste, le théâtre est […] unformidable appel de forces qui ramènel’esprit par l’exemple à la source de sesconflits […] comme la peste, il est larévélation, la mise en avant, la pousséevers l’extérieur d’un fond de cruautélatente par lequel se focalisent sur unindividu ou sur un peuple toutes lespossibilités perverses de l’esprit »

Antonin Artaud,Le théâtre et son double

es citations liminaires reflètentassez bien la force de la sym-

bolique épidémique dans l’histoiresociale et culturelle : l’épidémiecomme décrypteur d’un état de so-ciété, mais aussi d’un état de l’es-prit dit Artaud, c’est-à-dire de lamanière dont les individualitésvoient se décaper une partie du ver-nis social et se révéler le poids desfantasmes collectifs d’exclusion. Siles nombreux travaux d’historiensrelatifs aux grands fléaux sociaux1

ont bien permis de comprendre lamanière dont les différentes vagues

C

Du contrôle à laresponsabilisation

1 Biraben J.-N. Les hommes et la peste en France et dans lespays européens et méditerranéens, 2 tomes, Mouton, 1975 etDelumeau J. et Lequin Y. (dir.) Les malheurs du temps. Histoiredes fléaux et des calamités en France, Paris, Librairie Labrous-se, 19872 Herzlich C., Pierret J. Malades d’hier et d’aujourd’hui, Paris,Payot, 1984

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page III

en affaiblissant les corps »4. Même chose pourl’alcoolisme où la dégradation des mœurs et ladégénérescence de la volonté font le lit d’un malqui menace d’« engloutir les forces vives de lanation » et prédispose à la tuberculose, et pourla syphilis5 présentée comme le mal majeur(alors que la tuberculose, à la même époque, tuesix fois plus). Cette orientation autorise lespolitiques publiques à se focaliser sur ce queserait le « foyer » de l’épidémie, autre popula-tion-cible, les prostituées6. La spécificité despolitiques engagées au XIXe siècle tient au rôleprépondérant de l’État qui se présente commele seul en position de réaliser le mouvement derégénération et de sursaut moral. Le fait de choi-sir des « publics-cibles » permet en mêmetemps de ne pas contrevenir aux principes deprotection de la vie privée. On retrouve cetteorientation dans la plupart des pays7. Le public-cible facilite le travail de symbolisation dufléau, en même temps qu’il produit des imagescontradictoires8 susceptibles de produire deseffets inverses à ceux recherchés (exposition depopulations apparemment moins vulnérablessocialement) en particulier sur le mode de lafantasmatisation collective. Autour de la« syphilis des innocents » 9, c’est-à-dire descontaminations supposées extra-génitales, onvoit se développer au XIXe siècle une hantise dela contamination qui exacerbe « la phobie ducontact des corps suscitée par les progrès del’hygiène ». Les débuts du sida sont égalementmarqués par la multiplication de représentationsqui trahissent les incertitudes et les paradoxesdes politiques publiques10.

La mise en place de la police sanitaire (loisde 1822 et de 1902) inaugure une périodedurant laquelle, au nom de la santé, il apparaîtlégitime de décréter des « états d’urgence »11 et,sous couvert d’hygiénisme, de décréter lesnouvelles normes en matière de politique dulogement, de la famille et de la ville. Le fléausocial a longtemps permis de décréter l’étatd’exception, de déroger aux règles ordinaireset d’imposer toutes sortes de réformes, la foca-lisation sur la pauvreté et des populationssusceptibles d’être facilement « ciblées » etdésignées comme constituant le terreau de lapropagation (recherche des facteurs qui, croiséset cumulés, permettent de dessiner le portraitde la source), ayant permis de faire convergerles politiques sanitaires et sociales et de fairependant longtemps de l’hygiène publique unehygiène sociale.

Dramatisation et faiblesse descapacités publiques : l’appel à laresponsabilisation

L’exagération de l’importance des fléauxaux fins d’impressionner l’opinion publiquetend à produire une distorsion dans le rapport àla réalité de diffusion et de manifestation desépidémies. La technique de la dramatisationdans le développement de l’hygiène publiquese trouve à la base de la mise sur pied d’outilsd’intervention se proposant d’agir conjointe-ment sur le plan sanitaire et moral (création dela Société française de tempérance en 1875, dela Société internationale de prophylaxie sani-taire et morale en 1901). Nous retrouveronscette technique avec le sida, à partir de la findes années 80, début des années 90. L’usageconjoint de la stigmatisation des victimes (ho-mosexuels puis toxicomanes) et la tension quise développe entre les impératifs de santé pu-blique et les libertés individuelles créent untrouble qui couvre partiellement la difficulté despouvoirs publics à se doter des moyens d’inter-vention et de diagnostic adéquats. Cette ten-dance renvoie très directement à une faiblesseconstitutive de l’État qui, malgré son monopoled’intervention sur les fléaux sociaux, laisse laplace, en pratique, à l’initiative privée et à celledes collectivités territoriales. Cela a été enre-gistré clairement pour ce qui est de la tubercu-lose (Dessertine, Faure, 1988) et s’est reproduitavec le sida et le rôle moteur joué par les asso-ciations (Pollak, 1988). Ces éléments permet-tent de pondérer une vision trop manichéisted’un État tout-puissant se servant des opportu-nités ouvertes par les épidémies pour étendrele champ du contrôle social. D’autant que l’épo-que moderne se caractérise par une inversionde la logique de domination sur le terrain sani-taire et social : depuis le début du siècle s’ex-périmente un autre paradigme, celui de la res-ponsabilisation et de l’autonomisation12 desusagers du système de santé qui doivent deve-nir capables de pratiquer l’auto-protection etl’auto-soin. À côté de cette évolution deux en-jeux demeurent : la difficulté à réellement faireentrer dans cette problématique les personnesles plus précarisées, les plus désaffiliées13 (pourle sida : les usagers de drogues dures margina-lisés) et le rôle que jouent et pourraient jouerles mobilisations dites communautaires sur leplan des dynamiques collectives.

3 Vigarello G. Le sain et lemalsain. Santé et mieux-êtredepuis le Moyen-Âge, Seuil,1993, p. 199 et suivantes

4 Ibid., p. 201

5 Corbin A. Le péril vénérienau début du siècle : prophy-laxie sanitaire et prophylaxiemorale, Murard L., Zylber-man, L’haleine des faubourgs,in Recherches, n° 29, 1977,p. 245-283 et Quetel C. Le malde Naples. Histoire de lasyphilis, Seghers, 1987

6 Cf. Vigarello G. op. cit.,p. 225-226 et Corbin A. op.cit., p. 256-257

7 Goulet D., Keel O.Généalogie des représentationset attitudes face aux épidémiesau Québec depuis le XIXe

siècle, in Anthropologie etsociété, 1991, n°15/2-3,p. 205-228

8 Pollak M. Les homosexuelset le sida. Sociologie d’uneépidémie, A. M. Métailié,1988, p. 159

9 Cf. Corbin A. op. cit., 1977,p. 250

10 Herzlich C., Pierret J. Lephénomène sida. Discoursautour d’une maladie, inHirsch E. (ed), Le sida.Rumeurs et faits, Cerf, 1987,p. 19-20

11 Murard L., Zylberman P.L’ordre et la règle. L’hygiénis-me en France dans l’entre-deux-guerres, Les cahiers dela recherche architecturale,n° 15/16/17, 1985

12 Ehrenberg A. L’individuincertain, Calmann-Lévy,1995 et cf. Herzlich C.,Pierret J. op. cit., 1984

13 Castel R. Les métamorpho-ses de la question sociale,Fayard, 1995

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page IV

Les grandes tendances

Quelle est la relation entre problèmes de santé et précarité ? Si on ne constate pas

de pathologies spécifiques à la pauvreté, certaines populations cumulent les

facteurs de risque pour la santé et les pathologies non traitées.

* Colloque de l’OMS à Bruxelles, 1993

En moyenne, la santé de la population estbonne et s’est améliorée en dix ans… En

revanche, si, sans se contenter de l’examen desmoyennes, on se penche sur les écarts, la situa-tion apparaît moins satisfaisante : l’importancedes inégalités entre groupes sociaux ou entrerégions, l’accentuation, au cours des dix derniè-res années, de ces disparités entre groupes, maiségalement à l’intérieur des groupes, invite ànuancer le jugement… » Tel est le constat livrépar le Haut Comité de la santé publique dansson rapport La santé en France publié ennovembre 1994. Cette appréciation générale,positive, est très vite relativisée.

À côté des progrès indéniables en termesd’allongement de l’espérance de vie, voire dequalité de vie, d’évolution des profils de mor-bidité et des causes de décès, le rapport souli-gne non seulement la persistance mais l’aggra-vation des inégalités sociales face à la maladieet la mort. « Dès que l’on se penche sur lesécarts que cachent la moyenne et les descrip-tions synthétiques, dès que l’on s’intéressedavantage aux problèmes qualitatifs, il devientnécessaire de nuancer, voire de contredire lejugement globalement positif que nous avonsporté, surtout si l’on prend en compte l’état desanté de certains groupes et sous-groupes depopulation définis principalement selon des cri-tères sociaux ».

Plus loin, le rapport, dans une véritable miseen garde, anticipe en rappelant que « l’état desanté que nous constatons en 1994 est, d’unecertaine manière, le produit de la prospéritéd’après-guerre, celle des « trente glorieuses ».Ce n’est que dans une vingtaine d’années quese traduiront peut-être, avec les indicateurs desanté, les effets de la crise économique et duchômage qui se poursuivent depuis les années1975. »

Y a-t-il des maladies de la précarité ?

« La santé, ce n’est pas seulement les soins.Vivre dans la pauvreté, c’est vivre dans les sou-cis. Quand tout manque, les parents se sententhumiliés. De plus, la pauvreté attaque la santé :le bruit, la pollution, les mauvais logements,l’humidité, l’inquiétude, tout cela au long desannées, ça use le corps et l’esprit »*.

Oui et non, serions-nous tentés de répondreavec la réserve des limites des études et dessources disponibles.

Non en ce sens qu’il n’y a pas de maladies« spécifiques » à la pauvreté ou plus précisé-ment de maladies autres que celles connues etdécrites à ce jour.

«

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page V

De l’indicateur à l’indice

…et catégorie socioprofessionnelleSur la période 1980-1989, l’écart d’es-pérance de vie entre le groupe des ca-dres supérieurs et celui des manœuvresétait de 8 ans à 35 ans et de 4,5 ans à60 ans. Ces écarts ont augmenté car labaisse de la mortalité a davantage tou-ché les catégories du haut de l’échellesociale (2,3 ans d’espérance de vie en20 ans pour les cadres contre 1,5 anpour les manœuvres).

Indicateur de développementhumain

L’indicateur de développement humainest un indice composite (emploi, PIB par

Espérance de vie…Avec une espérance de vie moyenne de77,7 ans, la France se place en 1991 aupremier rang de l’Union européenne.En 1935, l’espérance de vie des Fran-çais s’élevait à 55 ans pour les hommeset à 61 ans pour les femmes. En 1991,elle atteint 73 ans pour les hommes et81 ans pour les femmes. Cela nousdonne des gains respectifs de 18 et20 ans sur une période de 55 ans.L’examen de l’espérance de vie révèleque Japonais, Islandais ou Suédois vi-vent entre 76 et 79 ans, mais qu’en Afri-que subsaharienne, on vit rarement plusde 50 ans.

habitant, revenus, espérance de vie,nutrition, éducation, santé…) proposépar le programme des Nations Uniespour le développement. Son interêt estde renseigner de manière plus large quel’indicateur sur l’espérance de vie.Cet indice place la France au 8e rangdes nations derrière le Canada, lesÉtats-Unis, le Japon, les Pays-Bas, laFinlande, l’Islande et la Norvège et justedevant l’Espagne, la Suède, l’Australie,la Belgique, la Suisse, l’Autriche et l’Al-lemagne…*

Centre de recherche pourl’étude et l’observation desconditions de vie (Crédoc)

Extrait durapport du Conseiléconomique et social.Évolution des politiquespubliques de lutte contre lagrande pauvreté, juillet 1995

Centre d’économie desbesoins sociaux de la facultédes sciences économiquesde Nantes (CEBS)

Par contre, ce qui ressort, et fortement, detoutes les évaluations tentées, c’est le constatdu cumul et de l’intrication des symptômes, desmaladies et des facteurs de risque que l’onretrouve en même temps chez les personnes etles groupes les plus fragilisés.

Précisons que chez les plus marginalisés, onretrouve des tableaux pathologiques avec desaffections que l’on ne voit plus dans les con-textes des pays développés.

Tout cela aggravé par des déficiences mul-tiples du fait des conditions de vie (non et/oumal-logés, sous et malnutrition, hygiène, climataffectif, insécurité et dégradation de l’image desoi et du regard social…) et des rapports ausystème de soins et de protection sociale.

« Les personnes interrogées par le Crédoc secaractérisent dans l’ensemble par un plus mau-vais état de santé que le reste de la populationfrançaise. La détérioration de leur santé estassociée à une plus forte insécurité en matièred’emploi, ainsi qu’aux ruptures subies au coursde l’existence. Le Crédoc observe cependantque les bénéficiaires du RMI sont plus nom-breux à se déclarer en bonne santé, ce queconfirment les acteurs sociaux interrogés par leCEBS qui voient là l’effet positif des mesuresfavorisant l’accès aux soins. Néanmoins, lesacteurs de terrain font également le lien entrele mauvais état de santé et le manque de loge-ment ou la situation de misère en général. Ilsrelèvent la malnutrition, détectée notammentdans le cadre scolaire, mais aussi pour les

bénéficiaires du RMI. Aux troubles visuels,dentaires, auditifs, et à la résurgence de mala-dies telles que la tuberculose, les affectionscutanées ou l’alcoolisme, il s’ajoute la toxico-manie (qui peut être conséquence ou cause depauvreté) mais aussi une augmentation des trou-bles psychiques (dépressions, destructuration,etc.) et surtout une souffrance psychologique etsociale non prise en charge par la psychiatrie,mais suffisamment perturbante pour compro-mettre l’insertion sociale. Les acteurs sociauxconstatent chez certains jeunes un manque desommeil et une surconsommation de tranquil-lisants ou de somnifères. »

La santé

en milieu urbain

Les études et les actions de santé menées auprèsdes populations urbaines destinataires des in-terventions publiques ont permis d’accumulerquelques données sur leur santé. Elles peuventêtre regroupées et résumées en trois ensembles :les situations et les problèmes de santé, unecaractérisation des éléments du rapport à lasanté et au système de santé de ces populationset la genèse des processus de désinsertionsociale et de dégradation de la santé.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page VI

Définitions

Les grandestendances

Pauvreté

On ne peut approcher la pau-vreté qu’en utilisant divers indi-cateurs de type monétaire (sa-laires, revenus). Pris isolément,ils sont vivement contestés,mais, croisés avec d’autres in-dicateurs (logement, emploi,santé…), ils donnent une idéeprécise des caractéristiquesdes familles touchées par uncumul de facteurs de pauvreté.1

État d’une personne ou d’ungroupe qui dispose de peu deressources.1. La notion de pauvreté estrelative, et le seuil de pauvretéest apprécié de façon variableselon l’histoire, les cultures, leniveau de vie moyen du groupeobservé, et selon l’observateur.Les pays disposant d’une pro-tection sociale définissent leurseuil de pauvreté.2. Pour une collectivité ou unepersonne la pauvreté a engénéral des conséquencessanitaires, par insuffisance del’alimentation, par absenced’hygiène, etc.2

Extrême pauvreté

Voici des indicateurs quipeuvent être utilisés en vue dedéfinir l’extrême pauvreté :• la pauvreté héritée ou exis-tant depuis longtemps (à l’ex-

clusion d’un chômage récent oud’une pauvreté accidentelle) ;• une accumulation et unecombinaison de difficultés (san-té, logement, éducation) ;• l’appartenance à une popula-tion autochtone ou à un groupevivant dans le pays d’accueildepuis plus de dix ans ;• l’histoire personnelle ou col-lective ;• le sentiment de différence,d’exclusion ou de marginalisa-tion.L’indicateur économique (à sa-voir le niveau de revenu) esttrop fréquemment le seul critèreutilisé. Des facteurs sociocultu-rels doivent être utilisés afin dedécrire précisément la réalité dela pauvreté.3

Précarité

La précarité est l’absenced’une ou plusieurs des sécuri-tés permettant aux personneset familles d’assumer leursresponsabilités élémentaireset de jouir de leurs droits fon-damentaux. L’insécurité qui enrésulte peut être plus ou moinsétendue et avoir des consé-quences plus ou moins graveset définitives.Elle conduit le plus souvent à lagrande pauvreté quand elleaffecte plusieurs domaines del’existence, qu’elle tend à se

prolonger dans le temps etdevient persistante, qu’ellecompromet gravement leschances de reconquérir sesdroits et de réassumer sesresponsabilités par soi-mêmedans un avenir prévisible.4

Il est assez fréquent de voirappréhender les situations deprécarité à travers certainescatégories de populations cen-sées y être plus que d’autresexposées, les populations dites« à risque » ou les populationseffectivement « prises en char-ge ».Les populations « à risque »sont le plus souvent des caté-gories répertoriées dans uneperspective de prévention, àpartir de divers critères qui peu-vent être relatifs à :• un événement (naissanceprématurée, séparation du cou-ple…) ;• un état de santé (handicap,éthylisme…) ;• une situation familiale (enfantorphelin, femme seule chef defamille, famille nombreuse…) ;• des conditions de vie (habitatinsalubre, chômage, indem-nité…) ;• une appartenance ethnique(immigrés, gens du voyage…).Les populations « prises encharge » sont le plus souventdes catégories définies par lefait qu’elles font effectivement

1 Insee, Bloc-notes de l’observatoire économi-que de Paris, 1985.

2 Sournia J.-C. Dictionnaire français de santépublique. Paris, éditions de santé, 1991.

3 OMS, Organization of health care for disadvan-taged groups. Copenhague, WHO regional officefor Europe, 1991

4 J. Wresinski, Grande pauvreté et précarité éco-nomique et sociale. Paris, Journal officiel, 1987.

5 M. Grawitz, Lexique des sciences sociales.Paris, Dalloz, 1991.

l’objet d’une assistance de lasociété sous des formes va-riées.4

Exclusion

Terme paradoxal. Le préfixeex (hors de) devrait le limiteraux individus qui, faisant partied’un groupe, en sont rejetés,alors que cludere signifie fermeret permet d’étendre la significa-tion du mot également à l’inter-diction et au rejet de ceux quin’en font pas partie.On considère ainsi commeexclus non seulement les mem-bres soumis à une procédureprévue et directe de rejet (lesexclus du PCF) mais égale-ment ceux qui sont exclusindirectement, parce qu’ils nepossèdent pas les mêmesdroits ou ne peuvent participeraux mêmes activités que lesautres (immigrés, handicapés).5

Les problèmes de santé

Les études de morbidité diagnostiquée et demorbidité ressentie n’ont pas montré l’existencede pathologies spécifiques aux populations ur-baines précarisées mais elles font ressortir deuxtypes de problèmes de santé où se conjuguentl’influence de la paupérisation et celle du nou-vel habitat des grands ensembles.

Les sites urbains destinataires des procédu-res d’insertion et de développement socialurbain sont caractérisés le plus souvent par lamultiplication de phénomènes sociaux et deproblèmes d’habitat. Ceux-ci peuvent être con-sidérés comme des facteurs de risque pour lasanté : taux élevé de chômage, concentration defamilles nombreuses, pourcentage élevé d’im-migrés économiques, désorientation de jeunes

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page VII

Quand, en 1976, la ville de Fougères voit trois de ses usinesde chaussures fermer, le nombre des admissions à l’hôpitalaugmente de 20 % (l’accroissement maximum habituel estde 5 %). C’est ce que révèlent les résultats d’une étude deMartine Bungener, chercheur au CNRS-ASH*. La relationentre inactivité et problèmes de santé est établie. Contraire-ment aux ouvriers actifs hospitalisés qui souffrent en généralde maux liés à la pénibilité du travail, les patients chômeursse trouvent plus souvent dans la catégorie « symptômes maldéfinis, pathologies peu claires de type dépressives ».Le chômage est indiscutablement un facteur de stress sur-tout si, comme cela se produit actuellement, il est prolongéet extensif. D’une part, sa perspective accroît le stress desactifs en augmentant les frustrations et l’anxiété et en dimi-nuant la solidarité, d’autre part, il est insécurisant pour lechômeur auquel il fait perdre le statut social reconnu de tra-vailleur et auquel il apporte également son contingent demisère et précarité.

Le chômageUn mal qui rend malade ?

Le chômageEn mars 1995, 3 287 800 de-mandeurs d’emploi étaientinscrits à l ’ANPE. Parmiceux-ci 1 224 000 l’étaientdepuis plus d’un an (chô-meurs de longue durée). En1994, le chômage de longuedurée a augmenté de 13,8 %par rapport à 1993, il a pra-tiquement doublé en dix anset touche toutes les tranchesd’âge et toutes les catégo-ries socioprofessionnelles.

Le revenu minimumd’insertion (RMI)Le 31 décembre 1994, oncomptait 908 336 allocatai-res du RMI. Ce nombre aaugmenté de 14,6 % parrapport à 1993 et plus quedoublé en cinq ans. Avecles conjoints et les enfants àcharge, près de 1,8 millionde personnes bénéficientde la prestation, soit plus de3 % de la population fran-çaise.

Bénéficiaires des principales mesures emploi**

Travail temporaire 290 000Associations intermédiaires 44 505Apprentissage y compris secteur agricole 265 000Contrat de qualification 152 000Contrat d’adaptation 46 000Contrat d’orientation 13 000Contrat de retour à l’emploi 180 000Entreprises d’insertion 6 803Autres stagiaires AFPA 420 000Contrat emploi solidarité 434 000Crédit formation jeunes 150 000

* M. Bungener, Actualités sociales hebdomadaires, n° 1929, 2 juin 1995** mars/avril 1995

sans perspectives, limites des revenus, cadre devie peu attrayant, pollution, accidents fréquentsnotamment chez les enfants petits et les jeunes…

Toutes les études font ressortir la fréquenceplus élevée qu’ailleurs des troubles visuels sou-vent non appareillés, des pathologies dentaires,des problèmes articulaires et dermatologiques,des troubles respiratoires, des céphalées, desperturbations psycho-relationnelles et de phé-nomènes dépressifs, des conduites de dépen-dance alcoolique et toxicomaniaque.

Le rapport à la santé

Le rapport à la santé est souvent marqué par lenon-souci de soi, l’occultation des problèmes,la négligence ou le déni. La grande majorité deces personnes ne pensent à leur santé que lors-que les troubles deviennent des handicaps ou àl’arrivée de l’accident. Elles se préoccupent peude leur rythme de vie, de leur régime alimen-taire, des conditions de sécurité. Le recours auxsoins se fait tardivement.

Le rapport au système de santé est souventdifficile. Il convient de souligner qu’en matièrede soins le système d’offre libéral est en géné-ral moins développé dans les quartiers consi-dérés comme « en difficulté », ce qui pose desproblèmes d’accessibilité. L’offre institution-nelle y est, par contre, bien mieux implantée etmieux adaptée mais manque de moyens et seheurte aux cloisonnements entre les institutions.Beaucoup d’habitants des sites où se dévelop-pent des politiques d’insertion sont éloignés desusages habituels des professionnels du soin etdes structures de santé, ce qui contribue à leursréticences à y avoir recours et à leur difficultéà en tirer parti de manière satisfaisante.

Le processus de désinsertion socialeet dégradation de la santé

Les études qualitatives portant sur les itinérai-res de vie de personnes en grande difficultémontrent l’interaction très forte entre les pro-cessus de fragilisation sociale et de dégradationde la santé. La reconstitution des histoires devie de ces personnes fait apparaître des cons-tantes : les difficultés d’insertion à l’école, dansl’emploi, face au logement se conjuguent sou-vent avec des troubles psycho-relationnels etdes ruptures familiales.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page VIII

L’

La législation française permet globalement une couverture sociale satisfaisante.

Toutefois les inégalités dans l’accès aux soins persistent. Les problèmes se posent

surtout en termes de demande de soins.

Accès aux droitsDe l’élargissement à lagénéralisation

œuvre d’un dispositif législatif et réglementairedestiné à régler l’ensemble des situations.

La généralisationde l’assurance maladie

L’accès aux soins des plus démunis a été facilitépar la généralisation progressive de l’assurancemaladie. La création de l’assurance personnelleen 1978 a permis l’accès à l’assurance maladiedu régime général de l’ensemble des personnesdépourvues d’activité professionnelle et ne dis-posant d’aucun revenu ainsi que de l’ensembledes personnes ayant une activité professionnelleinsuffisante pour l’ouverture des droits. Subor-donné au versement d’une cotisation, cet accèsa été facilité par la modulation du montant dela cotisation en fonction de l’âge des assurés(1 216 F au 1er juillet 1995 pour les moins de27 ans, 12 748 F pour la cotisation minimale dedroit commun).

Pour les personnes ne bénéficiant pas derevenus suffisants, un dispositif de prise encharge des cotisations a en outre été mis enplace, incombant soit à l’aide médicale soit auxcaisses d’allocations familiales (sous la doublecondition de bénéficier d’une prestation fami-

accès aux soins des plus démunis a étéprogressivement facilité par la mise en

liale et d’avoir des ressources inférieures à uncertain plafond), soit par la caisse des dépôts etconsignations pour les bénéficiaires de l’allo-cation spéciale vieillesse (ASV).

Ce dispositif a été amélioré en 1988 avec lacréation du revenu minimum d’insertion (RMI).Pour la première fois, une affiliation automa-tique à l’assurance personnelle a été attachée auversement d’une prestation : tout bénéficiairedu RMI s’est vu ouvrir de plein droit le béné-fice de l’assurance personnelle dès lors qu’iln’avait pas de droits ouverts par ailleurs.

Ce mécanisme a été complété par la loi du29 juillet 1992 sur l’amélioration du dispositifde l’aide médicale. Désormais, toute personneadmise à l’aide médicale est de droit affiliée àl’assurance personnelle dès lors qu’elle n’a pasde droits ouverts par ailleurs. La même loi aprévu la prise en charge de plein droit par l’aidemédicale des cotisations d’assurance person-nelle des jeunes âgés de 17 à 25 ans dont lesressources sont inférieures au barème prévupour l’obtention du RMI.

Toutefois, toutes ces procédures d’affiliationau régime de l’assurance personnelle supposentun examen préalable des droits sociaux de l’in-téressé susceptible de générer certains délais (lacaisse recherche si la personne a des droits àl’assurance maladie avant, dans la négative, del’affilier à l’assurance personnelle).

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page IX

C’est pourquoi la loi du 25 juillet 1994 et ledécret du 7 mars 1995 prévoient une affiliationprovisoire au régime de l’assurance personnellede la personne pour laquelle il est impossiblede déterminer immédiatement de quel régimed’assurance maladie elle relève.

L’affiliation ouvre immédiatement droit auxprestations en nature de l’assurance maladie. Larecherche des droits s’effectue a posteriori pen-dant un délai de trois mois. En cas d’absencede droits, la personne est maintenue au régimede l’assurance personnelle.

Il est cependant encore trop tôt pour que cetexte ait reçu une pleine application.

Ces différentes mesures visent à réduire lessituations dans lesquelles des personnes seraientsans droits ouverts à l’assurance maladie. Endroit, demeurent seuls hors du champ de l’as-surance maladie les étrangers en situationirrégulière au regard du droit de séjour. L’igno-rance ou la complexité des textes ou desprocédures peut néanmoins constituer un obs-tacle substantiel à l’exercice effectif de cesdroits.

Vers un meilleur partenariat

Il faut noter certains dysfonctionnements dansl’application de la réglementation du fait del’organisation même du système de couverturemaladie - pluralité des régimes, gestion de l’aidemédicale par les départements et non par lescaisses… Sa complexité, la méconnaissance descircuits administratifs (par exemple, des béné-ficiaires du RMI seraient, de fait, privés del’assurance maladie en l’absence de demandesfaites simultanément pour l’obtention du RMIet d’affiliation à l’assurance personnelle), con-duisent à de réelles difficultés, pour les popu-lations fortement marginalisées, à se repérer età effectuer toutes démarches (par exemple, sila réglementation prévoit que la personne sansrésidence stable dont les ressources sont infé-rieures au RMI bénéficie de plein droit de l’aidemédicale pour la prise en charge des cotisationsd’assurance personnelle, il faut néanmoinsqu’une demande soit effectuée dans ce sens).

C’est pourquoi un meilleur partenariat en-tre les différents acteurs concernés (organismesd’assurance maladie, conseils généraux, repré-sentants d’associations…) doit être recherché.

La circulaire ministérielle du 21 mars 1995a rappelé cette nécessité et a demandé aux

La loi du 29 juillet 1992

La loi du 29 juillet 1992 vise plusieursobjectifs qui peuvent être rassembléssous quatre rubriques principales :• donner à l’aide médicale un cadrenormatif clair précisant les conditionsgénérales d’admission, et les droits quien résultent (socle juridique) ;• améliorer l’efficacité du dispositifd’aide médicale ;• lutter contre la précarisation despersonnes en difficulté sociale ;• développer le partenariat.

Le tiers payant

Cette procédure permet à l’assuré sociald’être dispensé de l’avance des frais, leprofessionnel de santé et les établisse-ments de soins étant réglés par un tiers(caisses d’assurance maladie, mutuellesou service de l’aide médicale).Pour les assurés sociaux non admis àl’aide médicale, le tiers payant s’appli-que diversement selon les différentstypes de prestations : systématiquementpour les frais d’hospitalisation (y com-pris pour les consultations externes),très largement pour les frais pharmaceu-tiques et, pour les frais d’honoraires despraticiens et auxiliaires médicaux, dansles situations prévues par les diversesconventions nationales avec les profes-sions de santé.Les assurés sociaux admis à l’aidemédicale bénéficient de plein droit de ladispense d’avance de frais (le plussouvent, le professionnel de santé estréglé intégralement par la caissed’assurance maladie, l’aide médicaleremboursant à la caisse le ticket modé-rateur ; seuls quelques départementsont maintenu le circuit inverse).

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page X

préfets d’élaborer avant le 1er octobre 1995,dans chaque département, un plan départemen-tal d’accès aux soins.

Par ailleurs, la loi du 29 juillet 1992 permetaux caisses d’assurance maladie, lorsque lesconseils généraux leur donnent délégation, degérer l’instruction des demandes d’admissionde plein droit à l’aide médicale départementale,faculté qui n’a pas encore trouvé d’application.

En ce qui concerne « l’aide médicale État »(pour les personnes sans résidence stable), uneconvention conclue le 9 mai 1995 entre l’Étatet les trois principales caisses nationales d’as-surance maladie (régime général, régime destravailleurs indépendants et régime agricole)transfère la gestion de l’aide médicale à la caissed’assurance maladie dans le ressort duquel lapersonne a fait élection de domicile. Ce systèmeentrera en vigueur au 1er janvier 1996.

Cette disposition, qui permet un « guichetunique » pour l’assurance maladie et l’aidemédicale, devrait faciliter l’accès aux soins deces personnes.

L’accès aux soins des personnes démuniespeut être entravé par l’absence de tiers payantet une prise en charge partielle des dépenses desoins par l’assurance maladie.

L’accès à la protection maladie de base nesuffit pas à garantir une réelle capacité d’accèsaux soins. Sans même évoquer certains facteursd’exclusion – logement, emploi… – qui débou-chent quasi inéluctablement sur des problèmesd’accès aux soins, l’absence de couverture com-plémentaire et la nécessité de faire l’avance desfrais peuvent constituer des obstacles infran-chissables à l’accès aux soins.

Le rôle des départements

Les départements se sont vu confier par les loisde décentralisation, à côté de larges compéten-ces dans le domaine social, quelques compéten-ces en matière de santé publique. La plus im-portante concerne leur responsabilité sur lesservices de protection maternelle et infantile(PMI). Mais la loi du 22 juillet 1983 dans sesarticles 37 à 40 leur a donné quelques autrescompétences, notamment en matière de luttecontre les fléaux sociaux. Sont concernées lalutte contre la tuberculose, la lutte contre lesmaladies sexuellement transmissibles et la luttecontre le cancer. Ils se sont aussi vu attribuerune compétence en matière de vaccination.

Les dépenses de soins noncouvertes par l’assurancemaladie

La législation de sécurité sociale ne prévoitpas de cas d’exonération du ticket modéra-teur (part de la dépense de soins non priseen charge obligatoirement par l’assurancemaladie) en fonction des ressources desassurés.Mais l’aide médicale intervient en complé-ment de l’assurance maladie : les personnesadmises à l’aide médicale peuvent bénéficierd’une prise en charge totale ou partielle duticket modérateur et en cas de séjour hospi-talier, du forfait journalier (cette prise encharge étant de plein droit pour les bénéfi-ciaires du RMI et les titulaires de l’allocationveuvage). Certains départements ont enoutre prévu la possibilité de prendre encharge les frais au-delà du tarif de responsa-bilité des caisses (ex : pour les frais d’opti-que ou les prothèses dentaires).Pour les autres personnes, les organismesd’assurance maladie ont la possibilité departiciper à la dépense sur leur fondsd’action sanitaire et sociale.

Proportion de personnesmal assurées selon l’âge

Personnes n’ayant ni couverturecomplémentaire ni exonération du ticketmodérateur (en pourcentage)

Âge 1980 1991

Moins de 25 ans 29,3 25,325 à 29 ans 19,8 15,430 à 34 ans 18,4 13,735 à 39 ans 18,3 12,740 à 49 ans 25,8 14,350 à 59 ans 26,6 13,560 à 64 ans 24,9 13,565 à 74 ans 25,4 11,575 ans et plus 34,5 12,4

Ensemble 24,1 13,9

Sources : enquêtes décennales Santé-soins médicaux de 1980-1981 et 1991-1992

Accèsaux droits

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XI

L’évolution des dépensesdépartementales

Selon l’Odas, en dehors des dépenses d’accom-pagnement social plus difficilement identifia-bles, les principales dépenses d’insertion desdépartements sont constituées des dépensesobligatoires liées au versement de l’allocationRMI et des dépenses d’aide médicale.

Ces dépenses s’élèvent en 1994 à 8,7 mil-liards de francs. Elles représentent 13 % de ladépense globale d’aide sociale contre 10 % en1993.

Elles ont progressé de 2,3 milliards soit 36 %en un an, et représentent à elles seules 40 % del’augmentation totale de la dépense d’aide so-ciale.

Cette progression est très inégale selon lataille des départements.

On peut estimer, en volume financier, quesur les 2,3 milliards d’évolution des dépensesd’insertion entre 1993 et 1994, 80 % sont im-

Observatoire départementald’action sociale (Odas)

putables aux départements les plus peuplés(plus de 800 000 habitants).

Malgré de grandes diversités à l’intérieur dechaque groupe de départements, on peut noterque les départements les plus peuplés dépensenten moyenne deux fois plus que les autres :400 F par habitant contre 200 F environ pourles autres départements. De plus, il semblequ’en 1994 les dépenses d’insertion aientaugmenté en moyenne deux fois plus vite dansles départements les plus peuplés (44 % contre23 %).

Dépenses d’insertion

En milliards de F 1989 1990 1991 1992 1993 1994

Revenu minimum d’insertion 0,2 0,7 1,3 1,8 2,1 2,9Cotisation assurance personnelle (a) 0,7 1,4 1,8 1,8 2,1 2,6Dépenses de soins (b) 1,9 1,8 1,8 1,8 2,2 3,2Aide médicale (a+b) 2,6 3,2 3,6 3,6 4,3 5,8

Ensemble insertion 2,8 3,9 4,9 5,4 6,4 8,7

(France métropolitaine)

0,0

1,5

3,0

4,5

6,0

7,5

9,0 Ensembleinsertion

Aide médicale

RMI

199419931992199119901989

Milliardsde francs

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XII

Un dispositif d’aide aux personnes très en difficulté s’est mis en place au fil des

années. Que ce soit au niveau de l’accueil, de l’hébergement, de l’aide alimentaire,

ou de l’accompagnement santé, l’objectif est toujours, au-delà du secours apporté,

de recréer du lien social et d’aider à la réinsertion.

nes sans emploi de moins de 25 ans, personnesendettées notamment du fait des changementsde situation professionnelle et de ressources…).

Les plans d’urgence réalisés conformémentà la loi sur l’habitat du 21 juillet 1994 marquentl’évidence des liens à réaliser entre le premieraccueil des personnes en grande difficultésociale, les solutions offertes en urgence et lesdivers acteurs favorisant le relogement et/oul’insertion, passant parfois par l’utilisation desmodalités d’hébergement et de logement tran-sitoire (CHRS, associations bénéficiant del’allocation de logement temporaire, foyers-logements, résidences sociales, sous-location,bail glissant…).

Parallèlement, la « loi Besson » du 31 mai1990 qui vise à garantir le droit au logement amobilisé les collectivités publiques et les par-tenaires privés et publics afin que soient déve-loppées les actions pour améliorer localementl’accès au logement et la capacité des ménagesà se maintenir dans leur logement. Des outilscomme le Fonds de solidarité logement, lesprêts locatifs aidés très sociaux, les program-mes sociaux thématiques s’inscrivent dans ladynamique des plans départementaux d’actionpour le logement des personnes démunies.

Il convient, cependant, de poursuivre la créa-tion de places supplémentaires de CHRS dontbeaucoup de départements sont peu dotés. Dans

Se loger, se nourrir

Les centres d’hébergement et deréadaptation sociale

Les centres d’hébergement et de réadaptationsociale (CHRS) s’inscrivent dans un champvaste d’intervention entre l’urgence et le loge-ment. Ils sont à la fois agents et médiateursd’une insertion pour des personnes en difficul-tés financières (chômage, RMI) et en difficul-tés psychologiques et sociales multiples liéesaux ruptures personnelles, familiales et sociales.

Sept cents CHRS offrent environ 33 000 pla-ces d’hébergement pour des personnes admisesà l’aide sociale avec des modalités d’aide àl’insertion extrêmement diverses consacrées aurelogement, à la formation et à l’emploi, àl’accès à la santé et à la culture.

Les schémas départementaux des CHRS,mis en place à la suite de la circulaire 91/19 du14 mai 1991 relative aux missions de ces éta-blissements, mettent en lumière les difficultésliées au manque de solutions de logement, nonségrégatives, abordables concrètement et finan-cièrement pour des personnes et des famillesdont les revenus sont faibles ou inexistants (jeu-

La santé :se loger, se nourrir, se soigner…

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XIII

le cadre de l’hébergement d’urgence émerge unpublic ayant besoin de l’appui d’une équipe deCHRS pour reconstruire un projet positif d’in-sertion sociale. Cinq cents places nouvelles ontété financées en 1995 et cinq cents autres sontprévues en 1996.

De plus, la modernisation des CHRSexistants devient pour certains d’entre eux unimpératif nécessitant des aides à l’investisse-ment. Les ministères du Logement et del’Intégration bénéficient en 1995 de moyensaffectés à la rénovation du parc vétuste.

Plan hivernal d’accueil des sans-abri

Depuis le milieu des années 80, les ministèressociaux soutiennent de façon croissante diversdispositifs visant à répondre à « l’urgencesociale » particulièrement durant la périodehivernale.

Il s’agit d’abord de faire en sorte que toutepersonne sans abri puisse être accueillie ethébergée durant les nuits les plus froides. Maisil s’agit aussi, au-delà du secours apporté dansl’urgence, de recréer du lien social avec lespersonnes à la rue dans la perspective de leurréinsertion.

Face à l’augmentation des besoins, le planhivernal d’accueil et d’hébergement s’est pro-gressivement élargi : augmentation des capaci-tés d’accueil, création de « Samu sociaux » dansles grandes agglomérations, ouverture de« Boutiques de solidarité », permanencesmédico-sociales, etc.

En cet hiver 1995, 12 000 places supplémen-taires, dont 5 500 en région parisienne, ont étémobilisées. Compte tenu de la pression desbesoins, une partie de ces places supplémentai-res sont restées ouvertes au-delà de l’hiver.

Les plus gros besoins touchent à l’adapta-tion des structures d’accueil, à la diversité despublics (jeunes, femmes), leur rénovation, leurhumanisation (formation des personnels, etc.).

Les Samu sociaux

Il s’agit d’aller au devant des personnes sansabri et de leur proposer un hébergement. Suiteà la création du « Samu social » de Paris, ce typed’équipement est en voie de généralisation dansles départements de la couronne et les plus gran-des agglomérations de province. Près d’une

Les problèmes de logement, au sens le plus large duterme, sont étroitement liés à l’exclusion. Les popula-tions les plus démunies n’ont accès qu’à un parc delogements très dégradés, inadaptés à la taille desfamilles et dont l’insalubrité caractérisée devrait le plussouvent conduire à une interdiction d’habiter. Lesconséquences sur la santé de ces populations sontmultiples, peuvent s’avérer graves et, chez les jeunesenfants, présenter des atteintes irréversibles hypothé-quant leur avenir. Parmi elles, on peut citer :• l’intoxication par le plomb ou saturnisme chezl’enfant, due essentiellement à la présence de plombdans les peintures des logements anciens. La dégra-dation des peintures entraîne la dissémination duplomb dans l’environnement. Les effets néfastes duplomb même à très faibles doses (altération dudéveloppement psychomoteur de l’enfant) et lediagnostic de cas partout où ils ont été recherchésauprès des populations à risque, ont conduit l’État àimpulser une politique d’actions contre ce fléau, enencourageant notamment des programmes dedépistage.• les intoxications par le monoxyde de carbonerestent une des causes préoccupantes de mortalité(environ 200 cas par an) et de morbidité accidentelledans la population. Elles sont dues le plus souvent àl’utilisation de moyens de combustion vétustes, malentretenus, précaires ou inadaptés et s’exprimentpréférentiellement dans des logements abritant despopulations démunies.• les accidents domestiques frappent égalementlourdement les enfants, avec un risque accru lorsqueles conditions socio-économiques et de logement sontdéfavorables.• plus difficiles à décrire et à quantifier sont lesatteintes psychosociologiques qu’entraîne un habitatinsalubre. Elles ne doivent pourtant pas être négligéestant il est vrai que disposer d’un logement sain etfavorisant le bien-être est un des éléments clés de laréinsertion d’un individu ou d’une famille en difficulté.

Maladies et accidents liés aux con-ditions de salubrité des logements

vingtaine de dispositifs analogues (« SOS Sans-abri » dans les Hauts-de-Seine, « Service veillesociale » à Lyon…) ont vu le jour.

Cet équipement ne saurait naturellementconcurrencer le véritable Samu. Son interven-tion n’a qu’un caractère social.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XIV

Les boutiques de solidarité

Ce sont des points d’accueil de jour. Au départl’appellation « Boutique de solidarité » a cor-respondu à un label décerné par la FondationAbbé Pierre.

Elle tend désormais à désigner toute struc-ture où les personnes démunies peuvent trou-ver en permanence chaque jour de la semaineun accueil et divers services (boîtes aux lettres,machines à laver, douches, informations…).Une trentaine de structures de ce type existentau niveau national. Plusieurs sont en création àParis intra-muros.

Se soigner

Le droit d’accès à l’hôpital

L’accroissement du phénomène de l’exclusiona provoqué pour l’hôpital public une très forteaccentuation de son rôle social. Pour les popu-lations concernées, il est le premier voire le seulcontact avec un service public.

L’hôpital, à ce titre, est devenu un lieu pri-vilégié où les plus démunis peuvent non seule-ment faire valoir leurs droits d’accès aux soinsmais également l’ensemble de leurs droits so-ciaux. Cette situation a conduit nombre d’éta-blissements publics de santé à se transformeren un lieu d’orientation et à travailler en rela-tion étroite avec les autres organismes publics.

S’il était inclus dans ses missions d’accueillirles populations les plus démunies, l’hôpital doitnéanmoins, pour remplir cet objectif, s’adapterafin de ne pas laisser pour compte les « exclusdes exclus ».

L’accès de tous à l’hôpital garanti par les tex-tes n’est pas toujours effectif. Le dispositifjuridique est pourtant clair. L’accueil de toutepersonne est une obligation du service publichospitalier rappelée par la loi du 31 juillet 1991portant réforme hospitalière.

En situation d’urgence, chacun doit êtreadmis à l’hôpital lorsque son état le justifie.Hors les cas d’urgence, tout patient doit êtreexaminé et des soins doivent lui être dispensés.Dans la première hypothèse, l’hôpital ne peutexiger une pièce d’état-civil ou des renseigne-ments relatifs aux modalités de prise en chargeavant de procéder aux soins.

L’aide alimentaire

Depuis la création au milieu des années 80 duréseau national des banques alimentaires et desRestaurants du cœur, l’aide alimentaire apportée auxpersonnes démunies s’est considérablement déve-loppée. Elle était estimée en 1994 par le ministère del’Agriculture à un milliard de francs environ, dont 228millions de dons en provenance de la CEE, 240millions correspondant à des achats de nourritureeffectués par les associations, notamment le Secourspopulaire français, le Secours catholique, les Restau-rants du cœur et la Croix rouge française et 572millions de dons en nature collectés auprès desparticuliers et des entreprises (grandes surfaces…).Dans un rapport récent Mme Joint-Lambert, inspec-teur général des Affaires sociales, relevait que cetteaide équivaut à l’alimentation d’une ville de deux àtrois cent mille habitants. Les associations constatentune forte augmentation de l’aide distribuée dernière-ment. Mais l’imprécision des données ne permetguère d’observer si le public bénéficiaire de cetteaide, estimé à environ deux millions de personnes,s’accroît lui aussi sensiblement. Une chose est sûre :ce public dépasse celui des « exclus ». Une fractionde la population, aux revenus faibles ou modestes,recourt à l’aide alimentaire. Pour elle, cette formed’aide s’apparente à un complément de ressourcescrucial. Qu’il s’agisse de la fraction de la populationsans domicile fixe ou de familles aux revenus trèsmodestes, l’aide alimentaire est devenue unenécessité.Le don alimentaire peut être le moment d’un contactet ouvrir sur une perspective. Faute de quoi cetteactivité risquerait de n’être qu’une simple assistance.On observe parmi les associations qui distribuentl’aide alimentaire le souci grandissant d’assortir cetteaide d’actions complémentaires (points accueil, aideà l’ouverture des droits, offre d’insertion). Ainsi lesRestaurants du cœur se sont engagés dans uneactivité diversifiée dans le domaine du logement etdans la création d’« ateliers du cœur » et de « jar-dins du cœur ».Pour mieux connaître le paysage de l’aide alimen-taire, apprécier la pertinence des moyens mis enœuvre et la réalité des besoins, le ministère del’Intégration et de la lutte contre l’exclusion a com-mandé cette année une étude au Crédoc. Lesrésultats de ce travail seront connus dans le courantdu premier semestre 1996.

La santé :se loger,

se nourrir,se soigner…

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XV

Par contre, pour une hospitalisation qui nerelève pas de l’urgence ou pour des soinsprogrammés en consultation externe, l’hôpitalpeut demander les cartes d’assuré social oud’aide médicale ou à défaut une provision enapplication de l’article R 716-9-1 du Code dela santé publique. Ce préalable ne devrait pasconstituer un obstacle pour les personnes rési-dentes en France en situation régulière qui ontle droit aux prestations de l’assurance maladie(régime obligatoire ou assurance personnelle)ou à l’aide médicale. Il en est de même pourles personnes de nationalité étrangère en situa-tion irrégulière qui, si elles remplissent lacondition de résidence et de revenu, peuventprétendre aux prestations de l’aide médicale,prestations limitées aux soins délivrés et auxmédicaments prescrits par l’hôpital si ces per-sonnes sont résidentes en France depuis moinsde trois ans.

Cette description rapide du droit positif con-duit à deux conclusions principales. D’une part,toute personne qui a recours à l’hôpital estexaminée et reçoit les soins que nécessite sonétat. D’autre part, toute personne résidant enFrance qui a fait valoir ses droits, doit pouvoiraccéder à tous les soins hospitaliers sans que sasituation sociale ou financière constitue un bar-rage.

Les obstacles d’accès à l’hôpital

Le phénomène de l’exclusion, le développe-ment de la précarité et la complexité des démar-ches administratives ont montré que cet accèsn’était pas aussi évident dans les faits qu’à lalecture des textes.

Il existe plusieurs facteurs d’inégalité d’ac-cès aux soins hospitaliers qui battent en brèchece principe.

Le premier de ces facteurs réside dans lecomportement des personnes en situation degrande pauvreté qui, pour la plupart, ont perdutout réflexe de recours aux soins. La diminu-tion des soins de médecine générale en consul-tation externe et la difficulté d’accès à des soinsspécialisés sans l’orientation d’un généralisteont accentué ce phénomène. Geneviève Barriera ainsi montré le nombre important d’exclusaccédant à la médecine uniquement par les ur-gences dans un état catastrophique alors qu’ilsauraient pu être soignés beaucoup plus tôt ensoins ambulatoires.

De tout temps, tuberculose et pauvreté ont étéassociées. L’amélioration des conditions de vie a pesépour beaucoup dans la décroissance de la maladie.La récente recrudescence de la maladie est sansdoute en partie attribuable à l’infection à VIH, mais ladégradation des conditions socio-économiques y joueégalement un rôle. La concentration urbaine avec tousles problèmes de pauvreté et de promiscuité qui ysont liés est reconnue comme un facteur favorisant dela tuberculose. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne,des enquêtes ont mis en évidence l’augmentation dela maladie dans les couches les plus défavorisées dela population et en particulier chez les sans-abri. EnFrance, on ne connaît pas la fréquence de la tubercu-lose chez les personnes sans domicile fixe. Mais latuberculose touche surtout les départements à forteconcentration urbaine comme Paris, les Bouches-du-Rhône, le Nord-Pas-de-Calais. Paris présente les tauxles plus forts de tuberculose, avec une incidence trèsélevée dans les quartiers défavorisés du nord-est dela capitale (BEH n°40/94). Les deux tiers des cas detuberculose déclarés chez des personnes sansdomicile fixe concernent les Bouches-du-Rhône et larégion Île-de-France. Pour améliorer le dépistage et letraitement de la tuberculose chez les personnes ensituation précaire, les dispensaires ont été autoriséspar la loi du 18 janvier 1994 à assurer gratuitement lesuivi médical et la délivrance des médicamentsantituberculeux. La circulaire du 4 mai 1995 a définiles grandes orientations de la lutte contre la tubercu-lose. Les services départementaux sont chargésd’organiser des dépistages dans des populationsexposées telles que celles qui sont accueillies dansdes centres de réinsertion et de réadaptation sociale,foyers pour migrants et établissements pénitentiaires.Pour éviter la contamination d’autres personnes, toutcas de tuberculose contagieuse doit faire l’objet d’uneenquête dans l’entourage du malade, surtout s’il vit encollectivité. Enfin la tuberculose devrait avoir sa placedans le schéma départemental d’accès aux soins despersonnes les plus démunies.

Tuberculose et précarité

L’ignorance ou la méconnaissance desdroits, l’absence de toute initiative pour effec-tuer une démarche administrative, la complexitéet la lenteur des procédures constituent uneseconde cause de l’inégalité d’accès aux soins.

Un troisième facteur est d’origine financière.La demande d’une provision pour accéder à une

Pr Geneviève Barrier, Laprise en charge effective desurgences médicales,Rapport au Premier ministresur la prise en charge pré-hospitalière des urgences,septembre 1994.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XVI

consultation ou la remise d’une facture pour dessoins effectués en urgence aux personnes endifficulté qui n’ont pas encore fait valoir leursdroits peuvent provoquer un découragementpour engager toute démarche ou y donner unesuite.

Enfin, le paiement du ticket modérateur etdu forfait journalier laissé à la charge du patientselon la nature de l’affection traitée et sa situa-tion sociale constitue une autre raison de l’iné-galité d’accès aux soins. En effet, un nombrecroissant de personnes en situation précaire ontdes revenus supérieurs au plafond qui leur per-mettrait de bénéficier de l’aide médicale maisinsuffisants pour supporter les frais afférents àune mutuelle. Ce constat unanimement établin’a pour l’heure entraîné aucune réponse effi-cace pour régler ce type de situation.

Hormis ce dernier cas, l’hôpital s’est efforcéd’apporter des réponses positives, avec l’aidedes organismes concernés, aux situations despopulations défavorisées.

La nécessaire adaptation de l’hôpital

Des structures d’accueil ont été mises en placeen application des circulaires du 17 septembre1993 et du 21 mars 1995 relatives à l’accès auxsoins des plus démunis. Ces dispositifs consis-tent en la délivrance de soins et de médicamentsen consultation externe et en la mise en placede cellules administratives spécialisées.

Dans le premier cas, il est demandé au préfetde conclure des conventions avec les hôpitauxpour la délivrance de soins et de produitspharmaceutiques en consultation externe auxpopulations dont l’instabilité sociale et géogra-phique rend vaine toute perspective de gestionsuivie.

Dans le second cas, il est demandé l’implan-tation dans les locaux hospitaliers de cellulesadministratives d’accueil par convention avecle département, le conseil général, le centrecommunal d’action sociale, les organismesd’assurance maladie et, le cas échéant, lesassociations. Ces cellules ont pour missiond’aider les personnes en difficulté sociale dansleurs démarches administratives.

Près de 250 conventions ont, à ce jour, étésignées. L’objectif de la circulaire du 21 mars1995 est de généraliser ces deux types de con-vention à l’ensemble des hôpitaux afin quetoute personne puisse à la fois accéder aux con-

La convention DAS/FNARS

Les personnes en situation de grande précarité (notam-ment celles que l’on appelle communément les « SDF »)éprouvent non seulement des difficultés particulières pouraccéder aux soins lorsqu’elles en manifestent la de-mande, mais encore sont souvent en prise à de tellesdifficultés de tous ordres que leur préoccupation pour leursanté passe au dernier plan. Pour permettre une avancéedans la résorption de ces situations, la direction del’Action sociale a obtenu des crédits (15 MF) qui lui ontpermis de passer une convention avec la Fédérationnationale des associations d’accueil et de réadaptationsociale (FNARS) pour soutenir des actions, mises enplace dans les lieux d’accueil et d’hébergement d’ur-gence (y compris les lieux d’accueil à la journée). Cesactions sont de trois types :• des permanences médico-sociales destinées à appor-ter une première réponse de soins aux personnes endifficulté, à les aider à faire valoir leurs droits et à réinté-grer le système de soins de droit commun par un accom-pagnement médico-social personnalisé.• la création ou le maintien ouvert toute la journée, de litsd’hébergement, permettant aux personnes à la rue derecevoir les soins que nécessite leur état de santé (etqu’ils recevraient chez eux s’ils avaient un domicile). Ces« lits d’hébergement pour soins non hospitaliers » nedoivent bien sûr pas se substituer aux services hospita-liers lorsque l’état de la personne justifie une hospitalisa-tion, ils doivent faire appel pour leur fonctionnement enpriorité au réseau sanitaire de droit commun de l’environ-nement (médecins généralistes…).Seules de très petites unités sont concevables afin de nepas dériver vers un établissement « médical » sous-équipé pour personnes en difficulté sociale.• des actions plus globales de promotion de la santé :actions de sensibilisation-éducation, formation despersonnels et des bénévoles intervenant dans l’accueil etl’accompagnement social, promotion des bilans de santé.Cette convention a permis de soutenir 36 projets, finan-cés à hauteur de 4 788 550 F, pour un montant moyen de133 095 F par projet. La majorité d’entre eux concernentles permanences médico-sociales.

sultations externes et bénéficier d’une aidevisant à lui faire valoir ses droits sociaux.

Le rapport de la commission Lebas a ainsimontré que les premières antennes d’accueil ontpermis à 30 % des malades soignés de retrou-ver une protection sociale dès la premièreconsultation et que 40 à 60 % des patients

Jacques LebasAccueil des malades

démunis à l’Assistancepublique-Hôpitaux de Paris.

Novembre 1994

La santé :se loger,

se nourrir,se soigner…

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XVII

récupèrent, grâce au suivi social, leurs droits enquelques semaines.

Ce dispositif a été complété par des expé-riences menées localement soit pour faire faceà des besoins géographiques précis, soit pourassurer encore une meilleure prise en charge despopulations défavorisées. Ces expériences parles nouvelles réponses de santé publiquequ’elles apportent sont extrêmement intéres-santes et méritent d’être étudiées et évaluées envue de leur éventuelle généralisation.

De nombreuses autres expériences plus oumoins similaires ont été mises en place. Tou-tes ces actions d’aide aux démunis ne peuventaboutir à des résultats positifs qu’à la conditionque la formation et la sensibilisation despersonnels, qu’ils soient médicaux ou nonmédicaux, soient assurées.

L’accueil des plus démunis en milieu hos-pitalier fait partie intégrante de la mission deservice public qui incombe à l’hôpital et quirelève de ses attributions historiques.

Il lui convient cependant d’éviter deuxécueils.

Le premier serait la formation de ghettosdans lesquels seuls les plus démunis seraientprésents. L’hôpital se doit dene pas scinder son activité etla qualité des soins prodi-gués en fonction de la situa-tion des patients. Le pire desmaux serait la création deservices voire d’hôpitauxspécialisés. Chaque hôpitaldoit offrir en lui-même unaccueil adapté aux plus dé-munis.

Le second écueil à éviterest un fonctionnement auto-nome des structures hospita-lières. L’exclusion ne seravaincue pour autant que tou-tes les administrations agi-ront de concert. La nécessitéde création de réseaux estune évidence et ce n’est qu’à ce prix quereculera ce fléau de notre société.

Les réseaux de santé de proximité

Si l’hôpital constitue un élément central du dis-positif de soins, il n’en demeure pas moins queles médecins généralistes sont, hors des situa-

Afin de mettre fin aux dys-fonctionnements encorenombreux, la circulairen° 9508 du 21 mars 1995demande de réunir pourchaque département lesprincipaux partenaires con-cernés par les questionsd’accès aux soins et notam-ment le président du conseilgénéral, les directeurs desorganismes d’assurancemaladie, les responsablesdes établissements assu-rant le service public hospi-talier, les représentants descentres communaux ouintercommunaux d’actionsociale, ainsi que des repré-sentants des associations etorganismes concernés parla santé dans le cadre descontrats de ville.

La circulaire du 21 mars 1995La concertation engagéedoit permettre de procéderà un bilan de la situationdans chaque départementen ce qui concerne la miseen œuvre de la réforme del’aide médicale et le suivi dela protection sociale desplus démunis, ainsi que l’ac-cès au dispositif de soins.Elle doit identifier égalementles initiatives prises locale-ment dans ce domaine,ainsi que les carences dudispositif dans chaque dé-partement.Sur la base de cette analyseseront mises en place, encollaboration avec les parte-naires locaux, les réponsessusceptibles de remédieraux difficultés constatées.La circulaire demande quesoit élaboré pour le 1er octo-bre 1995, un plan départe-mental d’accès aux soins.Elle demande une vigilancetoute particulière dans lamobilisation des réseaux desanté de proximité, sur l’ac-compagnement des jeunes,sur l’accès à l’hôpital, sur lerôle des centre d’héber-gement d’urgence et desCHRS.

tions d’urgence, les professionnels de premiercontact avec les populations en situation socialefragile.

Plus de la moitié des médecins (51,5 %) sontdes généralistes mais les effectifs de spécialis-tes augmentent plus vite. Près de 70 % de l’en-semble des médecins exercent une activité li-bérale, que celle-ci soit exclusive ou associée àune pratique salariée, en particulier à l’hôpital.Les médecins libéraux sont relativement plusnombreux dans le Sud de la France, à Paris etdans sa proche banlieue, l’offre de soins estnéanmoins correcte sur l’ensemble du territoire.

Les centres de santéLes centres de santé, anciennementappelés dispensaires, sont desstructures agréées pour dispenserdes soins médicaux, infirmiers oudentaires aux assurés sociaux soitdans des centres polyvalents (548centres) soit dans des unités sépa-rées (350 cabinets dentaires).Ils sont gérés pour la plupart par desmunicipalités, des mutuelles ou desassociations de la loi de 1901. Ilsremplissent une mission de médecinesociale sans but lucratif.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XVIII

La convention médicale de 1990 distingue :• les médecins du secteur I qui doivent

appliquer les tarifs conventionnels et dont leshonoraires sont remboursés à 75 % par lesrégimes obligatoires de sécurité sociale,

• les médecins du secteur II qui peuventpratiquer des honoraires différents toujoursremboursés sur la base de 75 % du tarif con-ventionnel.

La question qui se pose face à une offremédicale abondante et souvent cloisonnée estd’assurer la fluidité de la demande sanitaire etsociale. C’est pourquoi face aux cloisonne-ments de toutes origines, la démarche dite enréseau apparaît de plus en plus nécessaire. Elleest encouragée par le ministère de la Santé de-puis plusieurs années.

Il s’agit à partir des structures existantes demettre en réseau les professionnels du champsanitaire et social, hospitalier, libéral ainsi queles professionnels chargés de l’insertion afind’offrir aux populations des lieux visiblesd’accueil, d’information, de prévention etd’orientation, voire de premiers soins. Cettecollaboration est d’autant plus importantequ’une partie des publics démunis nécessite uneprise en charge simultanée des aspects sanitai-res, sociaux et préventifs. Deux journées detravail ont eu lieu sur ce thème des réseaux desanté de proximité. Les actes en sont publiéssous la forme d’un numéro spécial de la revueÉchanges santé social.

L’accompagnement

santé

Qu’ils concernent des « publics » (les jeunesdepuis 1982, les bénéficiaires du RMI depuis1988) ou des « territoires » les dispositifs trans-versaux ont rendu visibles les difficultés d’ac-cès aux soins et à la santé liées aux difficultésd’insertion sociale ou professionnelle.

Les professionnels de ces dispositifs tra-vaillent depuis sur les liens entre santé etinsertion. Le Dr Lasnes, responsable de lamission France de Médecins sans frontières,rappelle que l’accès aux soins n’est pas condi-tionnel. Contrairement à une idée communé-

ment répandue, l’insertion n’est pas liée à lasanté d’une manière indéfectible. Pour cetteraison, la relation de soins ne peut faire l’objetd’un contrat.

L’exemple des missions locales

Le réseau des missions locales et des permanen-ces d’accueil, d’information et d’orientation(PAIO) accueille annuellement 900 000 jeunes.Comme d’autres réseaux éducatifs, structuresd’hébergement, associations locales, les mis-sions locales ont acquis des compétences réel-les dans la prise en compte globale des jeunesvers l’insertion.

Dans cet accompagnement, les structuressont confrontées, pour une partie de ce public,à des difficultés multiples : situations d’isole-ment, conduites d’échec répétées, vécus dé-pressifs, troubles physiques divers (dentaires,visuels, allergiques…). Certains manifestentleur violence, d’autres sont inhibés, quelques-uns ont été maltraités, ont des conduites à ris-que, d’autres sont en rupture familiale, à larecherche de solutions rapides…

Bien que la prise en compte globale desbesoins des jeunes fasse partie des missions deces structures, les professionnels sont confron-tés à des difficultés qui dépassent le champ del’insertion professionnelle. Les jeunes présen-tent un « mal-être » qui peut s’associer à dessituations matérielles précaires et entraver touteperspective de projet.

Les réponses dans le champ de la santé, dusocial ou dans des champs ludiques, culturels,sportifs ou de la formation, sont autant d’entréesqui croisent l’écoute, la prise en compte desdifficultés sociales, matérielles ou encore psy-chologiques.

Dans cette approche multi-focale et souventmulti-partenariale, la question de la continuité,de la cohérence des réponses, des orientations,est centrale. La mise en réseau des différentspraticiens (insertion–santé–professionnel) enest une condition, mais pas la seule.

Les conditions d’accompagnement méritentd’être réinterrogées en partenariat ; elles traver-sent les dynamiques d’équipe : compétences etformation des praticiens de l’accompagnement(missions locales et partenaires de la santé) etles dynamiques interinstitutionnelles, diagnos-tic local, analyse des situations et besoins desjeunes, repérage des ressources locales, circu-

La santé :se loger,

se nourrir,se soigner…

Circulaire DGS n° 74 bis du2 décembre 1993

Circulaire DGS n° 88 du1er décembre 1994

Plan santé ville, Réseaux desanté de proximité. InÉchanges santé social, n° horssérie, septembre 1995.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XIX

lation des informations, définition d’actions etde stratégies communes en direction de cespublics.

L’analyse des pratiques de l’accompagne-ment ou l’évaluation des actions permettentd’apprécier et de préciser les stratégies d’ac-compagnement et d’insertion pour ces jeunesen souffrance.

Le rôle de relais et l’approche globale desmissions locales sont à concevoir comme unemise en cohérence des stratégies d’accom-pagnement vers l’insertion ou des réponsesspécifiques comme la santé des jeunes les plusen difficulté, et non pas comme une juxtapo-sition de réponses parcellaires.

La santé dans les contrats de ville

Durant les IXe et Xe plans, une trentaine de quar-tiers relevant d’un dispositif de la politique dela ville inscrivaient un volet santé.

Pour la durée du XIe plan, les trois quarts des214 contrats de ville comportent aujourd’hui unvolet santé. Bien que les lois de décentralisa-tion n’aient apporté dans le domaine de la santéque peu de changement dans les attributions dela collectivité de base qu’est la commune, cetéchelon se montre très sensible aux effets de laprécarisation sur la santé des populations.

Adossé aux politiques sectorielles desdomaines d’intervention sanitaire et sociale, le

Cf. AdSP n° 7, juin 1993,les collectivités locales et la

santé publique

À l’initiative de la délégationinterministérielle à la Ville (Div)et de la délégation interministé-rielle au RMI (Dirmi) un groupede travail « ville, santé mentale,précarité et exclusion sociale »s’est réuni de novembre 1993 àfin 1994. Les travaux de cegroupe ont fait l’objet d’unrapport : Cette souffrancequ’on ne peut plus cacher. Cegroupe était composé dereprésentants d’administrationscentrales et de servicesdéconcentrés, d’établisse-ments publics concernés par lesujet, de professionnels deterrain et de chercheurs.

Le problème traité

Un des effets des politiquestransversales et territorialiséescomme le RMI et la politique dela ville a été de rendre visiblesdes manifestations individuel-les ou collectives de souffrancepsychique. Cette souffranceest un phénomène mal identifiéet non traité par les dispositifssociaux et psychiatriquesclassiques. Il ne s’agit pas

Une souffrance qu’on ne peut plus cacher

pour les professionnels – dusoin ou du social – de maladiementale mais plutôt de lamanifestation de souffranceliée aux situations sociales, auxconditions de travail ou de non-travail et à l’histoire despersonnes. Or, l’interventionglobale est peu développéeentre le social et le sanitaire.Lier la santé et les détermi-nants sociaux avec le rôle et laplace de chacun dans la citésouligne peut-être un débutd’évolution des mentalités.

Objectifs

Le groupe de travail a pour-suivi un triple objectif :• améliorer la connaissance etla compréhension de cesphénomènes de souffrancepsychique des populations ensituation de précarité ;• mobiliser les institutions pourque ce problème soit pris encompte et que soit construit, àl’intersection des champs dusocial et du médical, unespace d’intervention com-mun ;

• repérer les lieux de collabo-ration existant déjà au niveaulocal ainsi que les nouvellespratiques de prévention ensanté mentale répondant auproblème.

Propositions

Le rapport propose desmesures d’intervention,d’évaluation et de rechercheainsi qu’une stratégie de miseen œuvre. Un protocole signéentre les délégations etdirections concernées vise àmettre en œuvre ces préconi-sations. Un groupe de travailinteradministratif placé sous laresponsabilité de l’Igascoordonne un programmed’action en deux volets (sou-tien aux expériences dévelop-pées et programme d’étude).Les conclusions de l’Igasseront remises d’ici fin 1996.

Une souffrance qu’on ne peut plus cacher. Rap-port du groupe de travail Div-Dirmi « Ville, santémentale, précarité et exclusion sociale » présidépar le Pr Antoine Lazarus, rapporteur général,Hélène Strohl, Igas, rapporteurs Olivier Quérouil,Dirmi, Marguerite Arene, Div. Div-Dirmi, 1995.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XX

cadre territorial des contrats de ville permetd’expérimenter à la fois des réponses coordon-nées entre les ressources sanitaires et socialeset d’agir sur les facteurs ayant un impact sur lasanté : éducation, culture, cadre urbain, viesociale, transports…

Par ailleurs, depuis deux ans la mise enconvergence d’objectifs communs au travers du« Plan santé-ville » a permis le soutien finan-cier de réseaux de santé de proximité dont laplupart sont situés dans la géographie de lapolitique de la ville. Ces réseaux permettent dedécloisonner les champs du sanitaire et dusocial en amenant les professionnels à conduiredes actions collectives de santé publique desti-nées aux publics éloignés des institutions et dusystème de soins.

La promotion de la santé oblige à reconsi-dérer la place des patients. Ainsi à l’unité deprévention et d’éducation créée à l’hôpital deDreux, pour assurer une continuité entre pré-vention et soins, on s’efforce de prendre encompte le malade, ses besoins au-delà dutraitement de la seule maladie. À Rouen, uneexpérience de santé communautaire s’appuiesur les préoccupations de santé telles qu’ellessont exprimées par un groupe de mères defamille. À Béziers, le service communal depromotion de la santé anime un réseau sanitaireet social qui vise à mieux prendre en charge lasouffrance psychosociale et à faciliter l’accèsaux soins. Ces initiatives, outre la recherched’aménagement et de coordination des ressour-ces existantes, témoignent de la volonté de faireévoluer les pratiques.

L’implication des services administratifsdéconcentrés, la place de l’hôpital dans la santépublique, le rôle des collectivités et la mobili-sation des professionnels, des associations etdes habitants sont au cœur des transformationsdu service public de santé à l’échelle locale. Laproximité est un atout, le cadre contractuel dela politique de la ville permet de recentrerl’action sur le citoyen, son bien-être et sa placedans la cité.

La prise en charge de la santé desallocataires du RMI

Le terme d’« agent de santé » est fort large. Ilne correspond pas à la définition d’une profes-sion précise, car il ne se superpose pas à un pro-fil professionnel déterminé. De fait depuis cinq

Les publics précarisés etl’infection par le VIH

ans, selon les départements et même selon lesCLI, on voit divers types de professionnels êtrechargés de mission pour la santé des allocatai-res du RMI : des médecins généralistes, desmédecins psychiatres, des psychologues, desinfirmières, des diététiciennes, des conseillèresen économie sociale et familiale, des éduca-teurs, voire des assistantes sociales… Dans la

On est en face d’un double aspect révélateur desinsuffisances de l’ensemble de la conception de notreappareil de santé publique.

Sur le plan de la préventionDifficulté d’insérer la problématique VIH dans un projetde vie déjà fortement occupé par d’autres aspectsmatériels, sanitaires, sociaux, psychologiques.Fort décalage de la nécessité de projection inhérente àtoute prévention, avec les logiques de survie.Nécessité d’une grande visibilité des outils de préven-tion : adresses utiles, distributeurs de préservatifs,échangeurs de seringues doivent intégrer les points depassage des personnes en situation de précarité :foyers d’hébergement d’urgence, bureau d’aide sociale,CHRS…

Sur le plan de la prise en chargeUn certain nombre de droits fondamentaux sont à(re)conquérir : droit à l’information sur les soins (par lespairs notamment) passant par la diffusion des différentslieux de soins gratuits, par la possibilité de faire deschoix entre ces lieux.Le droit à la dignité suppose que soient bannis uncertain nombre d’effets pervers :• le visage public misérabiliste ;• la prise en charge infantilisante se surajoutant à ladifficulté de la déchéance physique ;• le statut correct réservé aux personnes en situationde précarité uniquement parce que leur séropositivitéest connue ;• la création de « services sociaux spécialisés » quiétiquettent en tous lieux et tous domaines les séroposi-tifs.Il faut donc redoubler de vigilance pour que la précariténe devienne pas le corrélatif de la séropositivité etsymétriquement, que la séropositivité ne soit pas lenouveau moyen d’exister pour les personnes ensituation précaire.

Commissions locales d’insertion (CLI)

La santé :se loger,

se nourrir,se soigner…

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXI

période expérimentale actuelle il n’est pas ques-tion de trancher en faveur de l’une ou l’autreprofession, seulement de repérer que les choixreposent sur des conceptions de la fonction àexercer et une caractérisation implicite desdestinataires de l’intervention.

Les deux grands objectifs principaux sontd’une part de permettre l’accès des allocatairesau système de soins et d’autre part de leur per-mettre d’atteindre une maîtrise satisfaisante desconditions de leur santé.

Le système de soins est entendu au sens largeet complet du terme. Un accès effectif des al-locataires qui en étaient éloignés suppose deuxéléments :

• l’immatriculation « administrative » et laprise en charge « financière » des soins (miseen rapport avec les caisses et les mairies et ob-tention d’une couverture santé satisfaisante) ;

• mais aussi et plus encore la (re)mise enrelation avec les « partenaires » adéquats dusystème de soins : professionnels du diagnos-tic et du soin, et il s’agit là de recréer une rela-tion avec les médecins, infirmières et autrespersonnels paramédicaux, structures hospitaliè-res, de bilan de santé, de centres de soins, etc.Ceci implique une familiarisation avec les lieux,les personnels, les rythmes et les usages quiprévalent dans cet univers.

L’agent de santé peut être amené à inciterles professionnels et les institutions à adapterleur mode de réalisation des prestationssoignantes aux particularités socioculturellesdes allocataires.

Se donner pour objectif de restaurer (oud’instaurer) chez l’allocataire en difficulté avecsa santé, la capacité à assumer et gérer son étatde santé amène à l’aider dans trois grandes opé-rations :

• la prise en compte de sa situation de santé,ce qui implique la prise de conscience, pouridentifier ses difficultés, clarifier ses problèmes,repérer ses atouts et ses possibilités ;

• la sensibilisation à l’intérêt de gérer aumieux ses ressources de santé au service de sesprojets de vie personnelle, ce qui suppose queceux-ci puissent être formulés et poursuivis ;

• l’adoption des moyens adéquats à la pro-motion de la santé : réflexion sur les modes, lesusages et les rythmes de la vie quotidienne, eteffort pour les gérer de manière à faciliter la réa-lisation de ses projets de vie, examen des re-cours nécessaires ou utiles aux professionnelset aux structures de soins.

La santé des étrangers sans papiers est àl’image de leur situation : précaire. L’accès auxsoins se fait dans l’urgence et sans continuité,l’accès aux droits est très restrictif et l’accès àla prévention inexistant.Un étranger sans papiers vit au quotidien lamenace d’une interpellation et d’une expulsionqui interrompt une vie sociale et familiale tisséedepuis de nombreuses années. Menace vitalepour des étrangers craignant pour leur viedans leur pays d’origine (demandeurs d’asilen’ayant pu obtenir la carte de réfugié oubénéficiant en France d’un traitement inexistantdans le pays d’origine pour maladie chroni-que). L’anxiété permanente engendre ouaggrave des pathologies physiques ou psychi-ques. Elle incite les patients à n’effectuer queles déplacements jugés indispensables.Le recours aux soins se fait dans l’urgence,avec diagnostic tardif, parfois à un stadeavancé. La relation thérapeutique est fréquem-ment interrompue. Le praticien doit éviter lesexamens complémentaires qui multiplient lesdéplacements. Les pathologies chroniques(diabète, asthme, etc.) ne sont soignées quelorsqu’elles s’aggravent.L’accès à l’hôpital est possible en cas d’ur-gence vitale, mais l’hospitalisation est trèsdifficile à obtenir pour des affections évolutivesgraves comme le cancer et impossible pourdes interventions dites de « confort » (cata-racte, interventions orthopédiques, etc.).La prise en charge thérapeutique est coûteuse,pour le patient démuni et pour l’organisme deprise en charge, nécessitant plus de moyensen raison du retard de traitement. La com-plexité des pièces administratives à fournir etla dégradation du climat de confiance entre lesadministrations sociales (délation de certainsagents) et les patients, rendent très aléatoirel’application des textes sur l’aide médicale.La prévention est inexistante sauf pour lesenfants (PMI).C’est l’étranger sans papiers, le plus margina-lisé, le plus malade et ayant vécu le pluslongtemps en France qui a le plus de difficultésà se soigner.

La santé des étrangerssans papiers

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXII

Les associations ont un rôle important dans la lutte contre les exclusions. Les

écouter est essentiel. Elle témoignent des dysfonctionnements des systèmes

sanitaires et sociaux tout en y participant.

se limiter à un domaine particulier ni à une loi,mais doit être intégrée dans toute politique na-tionale (économique, sociale, éducative, cultu-relle) ; elle ne peut pas se résumer à des mesu-res d’urgence, mais exige des réponses à longterme et une action durable ;

• l’exclusion se concrétise par l’inaccessi-bilité aux droits reconnus à tout citoyen : l’Étata la responsabilité première de rendre effectifpour chacun l’accès aux droits existants. Il doitdonc refuser de mettre en place des droits aurabais marginalisants, ou de s’enfermer dansune logique d’assistance. Les mesures généra-les ne bénéficiant qu’insuffisamment aux per-sonnes les plus en difficulté, il est nécessairede développer des dispositifs spécifiques leurpermettant d’accéder rapidement et totalementau droit commun.

L’avis présenté au Conseil économique etsocial par Mme De Gaulle-Anthonioz s’appuienotamment sur l’audition de personnes concer-nées par la pauvreté. Les acteurs interrogés re-lèvent une absence de demande liée à une perted’estime de soi dans des conditions de survie,à une méconnaissance de ses droits, parfois àdes complexités qui empêchent les intervenantssociaux et administratifs de tenir pleinementleur rôle, quelle que soit leur bonne volonté.

ciations, l’UNIOPSS situe leur rôle dans sondocument Préoccupations prioritaires et de-mandes de l’UNIOPSS (mai 1995).

Les 100 000 associations d’action sociale etde santé jouent un rôle essentiel en faveur dela cohésion sociale et dans la lutte contre lesexclusions. Elles mobilisent, à côté des profes-sionnels, des citoyens bénévoles qui ont lavolonté de participer à l’organisation des répon-ses aux besoins sociaux.

Pour consacrer la dynamique associative,l’association doit être reconnue pour ce qu’elleest, au-delà de ce qu’elle fait, c’est-à-direcomme l’un des outils que se donne la sociétédémocratique pour améliorer son fonctionne-ment et le sort de ses concitoyens.

Exclusion plurielle, réponses globales

Pour Alerte, collectif de 14 associations huma-nitaires et caritatives ayant obtenu le label degrande cause nationale au titre de la lutte con-tre l’exclusion en1994 :

• l’exclusion est plurielle : l’action de l’Étatcontre la pauvreté et l’exclusion ne peut donc

R

L’apport des associations

econnaissant la diversité et les spécifi-cités des modes d’intervention des asso-

Union nationaleinterfédérale des œuvres et

organismes privés sanitaireset sociaux (UNIOPSS)

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXIII

Si les personnes pauvres se font assez fré-quemment soigner à l’hôpital où elles n’ont pasà faire l’avance des frais, cette tendance sem-ble régresser un peu car existent désormais denouvelles possibilités de soins à domicile de-puis l’amélioration de la couverture sociale.Cependant, les médecins de quartier n’ont sou-vent pas d’autres ressources que d’envoyer lesenfants à l’hôpital, même pour une affectionbénigne, s’ils craignent que les familles n’aientpas la possibilité d’assurer les soins.

L’association Médecins du monde souligneque l’arrivée dans la rue marque souvent l’échecde ces solutions intermédiaires. Qu’elle soitbrutale ou plus souvent l’aboutissement d’unprocessus d’exclusion plus progressif, elle sem-ble constituer un choc dont beaucoup ne se re-mettront pas, surtout s’ils y restent longtemps.Ils ne survivent alors qu’au prix d’un « réamé-nagement existentiel » qui risque de les con-damner en quelque sorte à y rester.

L’avis du Conseil économique et socialindique que les centres d’actions médico-sociales ont fait leurs preuves comme outil deprévention. La PMI est massivement utiliséepar les familles interrogées, jusqu’à la scolari-sation des enfants. Ensuite, faute de moyens, leservice de santé scolaire, comme le Conseiléconomique et social l’a déjà souligné dans sonavis du 13 juin 1990, n’est plus en mesure deremplir pleinement son rôle de prévention etn’assure un suivi que de façon irrégulière.

Le secteur associatif a pris une large part àla sensibilisation des professionnels de santé etdes pouvoirs publics et s’est fait leur partenaire.Il faut mettre à son crédit un certain nombred’initiatives innovantes, telle par exemple laformation de « femmes-relais » dans les quar-tiers défavorisés, qui font dans leur voisinageun travail considérable d’éducation, de détec-tion et d’accompagnement. Ou encore l’asso-ciation Reso qui fait appel aux praticienslibéraux pour assurer un accès aux soins et ladistribution de médicaments de première néces-sité. Il demeure que le secteur associatif n’a nivocation ni désir de se substituer au servicepublic de santé pour assurer l’accès aux soinsdes populations très démunies.

Le groupe des associations consultées par leConseil économique et social a demandé quela protection sociale soit généralisée et harmo-nisée en prenant appui non plus exclusivementsur le seul lien que constitue le travail, mais surla résidence et la citoyenneté.

Des actions spécifiques

Les carences du système de soins classique ontentraîné des réponses comme l’ouverture dedispensaires par Médecins sans frontières(MSF) et Médecins du monde (MDM) ou plusrécemment le Samu social.

L’État passe des conventions avec des gran-des fédérations ou associations caritatives desolidarité qui mettent en œuvre diverses formesd’intervention à visée médicale et sociale ainsique des actions plus globales d’information etde prévention de santé en direction des publicspréconisés (MSF, MDM, Secours populaire,Secours catholique, Remède, Comede, Reso,FNARS, Entr’aide protestante…).

La circulaire du 17 septembre 1993 pré-voyant la mise en place de cellules d’accueilspécialisées a permis à ces associations de pro-poser leur savoir-faire.

Médecins sans frontières (MSF) fait lesrecommandations suivantes pour la mise enplace d’espaces précarité :

• la primauté du soin à la personne maladese présentant dans un service public ;

• le travail sur l’accès aux soins comme fai-sant partie intégrante du même service public ;

• la nécessité de l’existence de « sas » per-mettant à une population d’être soignée pendantun laps de temps nécessaire pour qu’elle réin-tègre l’ensemble du dispositif de soins.

Aujourd’hui, cette notion de sas paraîtdécisive dans le débat sur l’accès aux soins enFrance. Elle s’oppose au concept de structuresspécifiques et se présente comme un dispositifintégré. Pendant dix ans, les organisations nongouvernementales ont joué ce rôle de sas, ce quia permis d’analyser et de mettre en lumière lesmécanismes de l’exclusion des soins. Quellesque soient les améliorations législatives, on nefera jamais coïncider tout à fait le temps de lamaladie, le temps du droit et le temps adminis-tratif. MSF a montré dans ses rapports d’acti-vité que c’est précisément dans ces décalageset ces discontinuités qu’apparaissent les exclusdes soins. Nous voyons aujourd’hui dans lamise en place des dispositifs précarité la recon-naissance par le système de soins lui-même deses dysfonctionnements et de ses décalages.

Mais dans tous les cas, la responsabilité del’État et le rôle des services publics ne peuventêtre remplacés.

Évaluation des politiquespubliques de lutte contre lagrande pauvreté,11 et 12 juillet 1995

Protection maternelle etinfantile (PMI)

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXIV

La difficile prise en compte des problèmes de santé des populations démunies met

en cause la conception et l'organisation des soins dans le système de santé. La

précarité pourrait-elle être utilisée comme levier pour une réforme de ce système ?

Des pratiques et orientations nouvelles émergent peu à peu pour tenter d'apporter

des réponses alternatives au défi que représente la précarité.

Système de soins,système de santé et précaritéQuelles perspectives ?

sociale est en cause. Si l’on considère la per-sonne dans sa globalité, travail, logement etsoins sont indissociables.

Ce n’est pas seulement la multiplicité, lacomplexité et les cloisonnements de l’offre desoins et de l’action sociale qui sont ainsi mis àrude épreuve par l’aggravation des inégalitésface à la santé. C’est toute la conception et l’or-ganisation des soins dans le système de santéqui sont en cause.

La précarité, le défi de notre époque

Les médecins, les professionnels du soin et dela santé, les travailleurs sociaux n’ont pas pourrôle de faire des miracles.

Mais même en se situant dans le champ dela réparation, nombre d’entre eux mettent enœuvre des démarches nouvelles en termesd’écoute multidimensionnelle, de souci d’ac-compagnement et de suivi, d’efforts de répon-ses coordonnées….

Le travail en partenariat, en réseau ne sontpas des coups de cœur. Ils tentent de nouveaux

personnes en difficulté ne souffrent pas de ma-ladies spécifiques mais plutôt d’une intricationde problèmes médicaux, socio-économiques etpsycho-affectifs :

• donner de la vie à un grand prématuré estune chose, soutenir et accompagner une jeunemère en détresse face à son enfant et à sa vieen est une autre ;

• soigner un ulcère en milieu hospitalier estune chose, parvenir à amorcer une démarche desoins et une reprise en main d’une vie en dé-route avec un buveur excessif en est une autre ;

• soigner une personne sans domicile fixepour un cancer ou des traumatismes multiplesest une chose, lui donner des conditions décen-tes pour récupérer, se reposer, soigner une an-gine en est une autre.

Loin de s’opposer dans l’approche, ces quel-ques exemples qui ne sont que la partie visiblede l’immense iceberg des souffrances multiples,montrent qu’on ne saurait s’accommoder desréponses partielles.

L’offre de soins, de prévention et de l’action

C omme on l’a vu tout au long de ce dos-sier, il est de plus en plus reconnu que les

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXV

frir aux populations des lieux visibles d’accueil,d’information, de prévention, d’orientationvoire de premiers soins pour assurer l’intégra-tion de tous dans un dispositif de droit com-mun […] » ;

• le dernier congrès de la Société françaisede santé publique tenu à Nancy en juillet der-nier où les préoccupations autour des nouvel-les tendances dans le champ des idées et despratiques en santé ont dominé ;

• ainsi que les nouveaux cursus (DU, DESS,DEA…) proposés dans le cadre des formationsuniversitaires.

À une échelle plus large, le seizième rapportsur le développement dans le monde 1993 pro-duit par la Banque mondiale livrait déjà un

rapports entre professionnels et avec leurs pu-blics et adaptent leurs pratiques face aux pro-blèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Ce n’estpas nouveau dans l’histoire notamment duchamp socio-sanitaire.

Ce qui en revanche est nouveau même sinous n’en sommes qu’au début, ce sont lesorientations récentes prises tant dans les milieuxdécisionnels qu’à l’université. Sinon, commentcomprendre :

• le rapport La Santé en France du HautComité de la santé publique ;

• les circulaires du ministère des Affairessociales de la Santé et de la Ville appelant etsoutenant financièrement « la nécessaire évo-lution des pratiques professionnelles pour of-

Les propositions, remarques prospec-tives des participants sont reproduitesci-dessous textuellement, nous avonssouhaité garder leur formulation spon-tanée.

Nouveaux problèmes,nouvelles pratiques

• Le réseau est un outil indispensable,mais un outil pervers (contrôle social)nécessitant des objectifs clairs (doncévaluable)• Il faut une nouvelle pratique desDdass, vers une meilleure connais-sance des actions de terrain et unenouvelle pratique des promoteurs deprojets vers plus de lisibilité de leur ac-tion• Il y a créativité et diversité sur le ter-rain. Existe-t-il un chef d’orchestre ?• La participation des usagers, formede renaissance du lien social, est unélément essentiel permettant de bou-leverser le système actuel de santé –système de « vérité de soins »• Une culture commune pluridiscipli-naire nécessite le passage par des né-gociations interprofessionnelles• Nouveaux problèmes ? La diffé-rence ne vient-elle pas de la façon dontces problèmes s’expriment et la façondont la société les appréhende ?• Trouver des espaces-lieux, espa-

Réseaux de santé de proximitéJournées d’études organisées les 13 et 14 mars 1995

• Nécessité d’aller à la rencontre despublics en difficulté• Importance de la présence d’un mé-decin dans une dynamique de renfor-cement de l’accès aux soins. Impor-tance tant pour le public concerné quepour l’équipe• Nécessité d’une meilleure informa-tion des publics et des professionnelssur les ressources existantes en vued’une utilisation plus efficace des po-tentialités• Penser et développer des disposi-tifs de formations spécifiques, initialeset continues, pour les professionnelsde tout niveau et les différents interve-nants appelés à travailler ensembleauprès des publics en difficulté• Globalement les moyens réglemen-taires existent pour répondre à la de-mande de soins, mais se pose aussile problème des « représentations »que les professionnels et les usagersse font de la réglementation• Trop grande tendance à confondrece qui est visible et ce qui est réel ; laprécarité quotidienne et la précaritémédiatisée• Faut-il aller au-delà de la demande ?Faut-il aller chercher au-delà de la de-mande de soins ?• Gratuité ou non des consultations ?Mais on ne règle pas tout par la gratuité

ces-temps, espaces-personnes quipuissent assurer une prise en chargeglobale, un accompagnement dans ladurée• Ne pas créer obligatoirement denouveaux services (structures) maispartir de ce qui existe et mieux l’utili-ser (ex. : rôle important de la PMI)• Mise en réseau, mise en relation dusanitaire et du social, sans subordina-tion• Rôle des services de l’Etat : impul-sion, programmation, coordination• Difficulté pour mener de front la priseen charge individuelle et l’action col-lective

Accès aux droits, accès aux soins,accès à la santé

• Nécessité d’un travail de proximité,de lieux d’écoute, d’interface, lieuxd’expression et d’appréciation des be-soins qui soient à distance des lieux deréponse• Éviter à tout prix les effets perversde certaines législations qui font appa-raître de nouvelles populations exclues(ex. : les barèmes de l’aide médicale)• Ce qui profite à une nouvelle caté-gorie d’usager, ne risque-t-il pas dedesservir d’autres catégories• Le paiement à l’acte est un obstacleà l’accès aux soins

Circulaires DGS n° 74 bis du2 décembre 1993 et n° 88 du1er décembre 1994

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXVI

Perspectives

diagnostic et des orientations « d’un type nou-veau » appelant l’ensemble des pays qu’il classeautrement qu’à travers les vieilles dichotomies,« […] à rendre les soins de santé accessibles àl’ensemble de la population […] en investissantdans la santé publique et les services cliniquesessentiels » qu’il définit dans la lignée des soinsde santé primaire.

Ces constats ne sont pas spécifiques auxpopulations démunies. La question sociale etcelle des inégalités devant les soins et la santén’interrogent-elles pas tout le système de soinset de santé dans ses fondements d’équité et desolidarité ?

« Je suis sans doute autorisé à dire que nousdevons utiliser nos malheurs – la précarité, lesida – comme leviers pour faire bouger le sys-tème de santé. Il en a besoin […] » suggérait ledirecteur général de la Santé lors de l’ouverturedes journées d’études consacrées au dévelop-pement des réseaux de santé de proximité les13 et 14 mars 1995 à Bagnolet.

Dans le même sens l’Organisation mondialede la santé va jusqu’à la mise en garde contrece qu’elle appelle « la bombe à retardement queconstituent les inégalités en matière de santé[…] qui met en cause nos acquis dans le do-maine de la santé au niveau mondial et danschaque pays ».

À problèmes nouveaux, réponsesnouvelles

En réalité et c’est ce qu’indiquent les nouvel-les pratiques et les orientations qui émergent,il s’agit pour ces populations en particulier etles populations en général :

• de promouvoir une approche globale, uneoffre intégrée et des actions de proximité ;

• de veiller à assurer une accessibilité pourtous ;

• de rechercher la participation des person-nes concernées ;

• de réaffirmer le rôle de l’État, garant dela solidarité nationale.

Ces réponses ne se trouvent-elles pas dansl’esprit et souvent la lettre des stratégies intitu-lées : soins de santé primaire, santé communau-taire, promotion de la santé, services cliniquesessentiels et programmes de santé publique ?

Au-delà des intitulés, l’essentiel est de cons-truire un minimum de consensus sur le fond,quelle qu’en soit la formulation. L’essentiel est

La programmation stratégiquedes actions de santé

La programmation stratégiquedes actions de santé (PSAS)est une démarche de planifi-cation qui vise à développer,avec les acteurs concernés,des actions adaptées à la ré-solution de problèmes desanté reconnus prioritairesdans une région donnée : elledébouche concrètement surun projet régional de santé.Trois partenaires sont étroite-ment associés : la directiongénérale de la Santé, l’ENSP,et la Drass de chaque régionimpliquée. Après l’Alsace, lesPays-de-la-Loire et Midi-Pyré-nées, elle se développe, en1995, dans sept autres ré-gions et dans les départe-ments de Seine-Saint-Denis etde la Réunion. La Haute-Nor-mandie et la Seine-Saint-Denisont retenu la santé-précaritécomme thème en 1995.La PSAS a trois caractéristi-ques principales.

Principes d’élaboration duprogramme et des projets• Une prise en compte desbesoins de la population, cettedernière étant au cœur du pro-cessus et devant pouvoir par-ticiper à l’identification desproblèmes et à la recherchedes solutions.• Une approche globale del’action de santé, portant aussibien sur la prévention que surla prise en charge (soins, suivi,réinsertion…).

• Une démarche multiparte-nariale privilégiant l’ensembledes acteurs (associatifs, hos-pitaliers, administratifs…).La PSAS doit permettre à l’en-semble des acteurs régionauxconcernés par le problème desanté de se reconnaître dansles choix d’objectifs et d’ac-tions retenus pour les annéesà venir.

La volonté d’agirC’est l’élément moteur desprojets régionaux de santé quireposent sur le postulat, admispar les différents acteurs, qu’ilest possible par une actionconcertée, d’améliorer de fa-çon significative l’état de santéde la population régionale etde contribuer ainsi aux grandsbuts proposés au niveau natio-nal (cf. La santé en France,rapport du Haut Comité de lasanté publique).

Une démarche rigoureusecentrée sur les acteursLa PSAS débute par une ana-lyse minutieuse du problèmede santé et sa validation parles acteurs régionaux, dépar-tementaux et locaux. C’est surla base de cette analyse, et dela mise en évidence des pointsforts et des points faibles quesont élaborés et validés lesobjectifs. La concertation desacteurs à tous les niveaux duprojet est essentielle.

que face aux problèmes multiples et complexesque soulève la santé, à l’épreuve des processusde précarisation, devraient prévaloir des choixà la hauteur des nouvelles exigences.

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXVII

L’investissement du champ de lasanté publique par les municipali-tés est à l’ordre du jour. Lestransformations sociales quitraversent la société entraînent desévolutions des besoins de santédes populations urbaines quiamènent à reconsidérer l’organisa-tion et le fonctionnement dusystème de santé au niveau local.La précarisation d’un nombreimportant de personnes constitueun facteur structurant l’évolutiondes besoins, à travers lequelnombre de municipalités (ré)inves-tissent ce champ.Les résultats d’un travail derecherche visant à préciser laplace occupée par la santé dansl’action des 235 municipalités deplus de 30 000 habitants (Francemétropolitaine et DOM), permet defaire ce constat. Le rôle qu’ellessont ainsi amenées à jouer enmatière de santé, pourrait conduireà une révision de la place qu’ellesoccupent à l’intérieur du dispositifde santé publique. À travers lespréoccupations et formes d’inter-vention des villes aujourd’hui, onpeut aussi percevoir l’émergencede formes d’intervention atypiquesen santé publique, qui pourraientindiquer des évolutions de fond duchamp de l’action sanitaire auniveau local.

Résultats d’enquête

Parmi les 113 (soit 48 %) villesayant répondu à l’enquête, 77,9 %déclarent avoir un délégué politi-que à la santé qui, dans 53,1 %des cas, a le statut d’adjoint aumaire. Parmi les 77 villes ayant unservice de santé, 28,3 % agissentavec les moyens classiques(service communal d’hygiène et desanté), mais 39,8 % disposentd’autres moyens d’intervention.Les problèmes de santé perçus par

Les municipalités et la santé publique,un champ d’action politique local réinvesti

40 % des 73 villes ayant répondu àcette question pensent qu’il fautdévelopper le partenariat entreacteurs sanitaires et sociaux, 24 %qu’il faut améliorer l’information dupublic sur la protection de la santé,et 21 % qu’il faut développer lesactions de prévention.

Des stratégies atypiques

La mise en pratique de cesorientations conduit les municipali-tés à définir des stratégies égale-ment « atypiques », en situant lecentre de gravité hors des institu-tions sanitaires classiques, auniveau de la société civile, et desagents situés à l’interface de cesdeux niveaux. En effet, ellesconsidèrent que les principauxacteurs susceptibles d’agir sur lesproblèmes perçus sont d’abord lapopulation (38,9 % des réponses),ensuite les médecins généralistes(34 %), les associations et lespouvoirs publics (24 % respective-ment). Les élus semblent de plusen plus conscients de la portéepolitique de ces enjeux, et peu àpeu investissent le champ de lasanté, même si celui-ci ne leurapparaît pas toujours clairementdélimité (ce qui est un facteur deblocage pour faire partager l’intérêtauprès de ses pairs). Cette prisede conscience semble se faire demanière progressive (11 % desvilles déclarent avoir besoin de« définir une politique de santémunicipale »), a posteriori desactions novatrices sont réalisées demanière plus ou moins expérimen-tale, souvent dans le cadre desdispositifs créés par les nouvellespolitiques publiques (particulière-ment par le biais de la politique dela ville – 79 % des villes appartien-nent à la géographie DSU – du RMIet des dispositifs d’aide aux jeunesen difficulté).

les municipalités, et qui les amè-nent à agir, sont fortement corrélésà la dégradation des conditions devie d’un nombre croissant de leursadministrés : les trois principauxproblèmes de « santé » perçuslocalement, sont les mêmes pour lamajorité des villes répondantes(indépendamment de la taille, lalocalisation géographique oul’orientation politique dominante aumoment de l’enquête). Dansl’ordre, elles sont d’abord préoccu-pées par les effets de la pauvretésur la santé (22,2 % des réponses),ensuite par l’extension alarmantede l’alcoolisme (17,9 %), et enfinpar la santé des jeunes (11,3 %).Cette perception atypique, émi-nemment politique, ne trouve pastoujours de réponses suffisammentadaptées dans le modèle d’inter-vention sanitaire dominant (qui abeaucoup de mal à prendre encompte les déterminants sociauxsur la santé, aussi bien en termesde causalité que de réponse), etconduit à la recherche et audéveloppement de nouvellesformes d’intervention, danslesquelles les municipalitésoccupent une place particulière. Eneffet, les réponses les plus adap-tées semblent nécessiter uneréduction des distances et unemeilleure cohérence des acteurs etdes moyens mobilisés sur la santé,qu’elles seules sont en mesured’orchestrer avec légitimité :bénéficiant d’une image qui leurreconnaît un rôle de garants del’accès aux services publics deproximité, n’ayant pas des compé-tences particulières en matière desoins, et gérant souvent lesservices d’aide sociale, les villesapparaissent idéalement placéespour agir sur la santé, au carrefourdu sanitaire et du social. Parmi lesactions à développer en priorité,

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXVIII

t ribune

publique qui exige la mise de côté desidées purement libérales et, après la Li-bération, les lois sociales ont obéi à unmouvement philosophique de transfor-mation de la société. Dans le modèle bio-médical, la santé est définie par opposi-tion à la maladie, de sorte qu’un de sesdéterminants privilégiés est le système desoins et l’accès à celui-ci. Pour sa part,l’OMS la définissait en 1946 comme « unétat de complet bien-être physique, psy-chique et social » : elle la concevait ainsicomme l’adaptation de l’individu à sonenvironnement et mettait l’accent à la foissur les données sociales et économiquesindividuelles (revenus, logement, supportsocial…) et les déterminants biologiquescollectifs et socio-économiques (facteursnutritionnels, conditions de travail, cadrede vie…). Par une telle définition, on glis-sait de la notion de « droit aux soins desanté » à celle de « droit à la santé ». Enmême temps s’installaient trente annéesd’abondance, y compris dans le domainede la consommation médicale.

En 1984 émerge dans notre pays ce quisera appelé « la nouvelle pauvreté » ; de-viendront ensuite de plus en plus nom-breux ceux qui, « précarisés » par la criseéconomique, sont obligés, pour bouclerleur budget, à des abandons progressifs.Le recours aux soins diminuera alorsmême que se dégradent les conditions debien-être. C’est pourtant en 1984 qu’un

ource de désordres sociaux, la ma-ladie appelle une politique de santé

premier rapport sur la santé en France dé-finit concrètement celle-ci pour chaqueindividu comme « la capacité à vivre nor-malement au sein de son environnementsocial et familial » : au moment où la so-ciété devrait faire son examen de cons-cience, il est frappant de constater que lasanté s’apparente à un capital privé.

Logiquement, ce qui apparaissaitcomme le cœur du système de santé estalors rejeté pour son caractère bureaucra-tique. Certains patients, qui devraientpouvoir bénéficier du système collectifd’assurance, ne font plus les démarchesnécessaires et refusent désormais les hu-miliations qui les accompagnent. En ef-fet, c’est une situation nouvelle pour cespopulations qui commencent à se margi-naliser dans cette « nouvelle pauvreté »et qui refusent l’aspect « charité » d’unesociété qui les a connus « à l’aise », enbons consommateurs du système de santé« sans limite ».

Une médecine à deux vitesses

Commence alors une évolution insidieusevers un monde médical à deux vitesses etse mettent en place les différents accueilsassociatifs (Remède, MSF, MDM, etc.)pour une population qui n’a plus, en faitou en droit, accès au système de soins tra-ditionnel.

Le paroxysme de cette société d’exclu-sion et de charité sera atteint par les

S accueils spécifiques mis en place par lesvilles et l’État (du type « Samu social »)qui se rapprochent des éloignements mé-diévaux des pestiférés.

Il faut rappeler ici que seuls, dansnotre société, les salariés réguliers enexercice et les chômeurs indemnisés deplein droit ont une protection socialequasi automatique. Dans de nombreuxautres cas (artisans, commerçants, profes-sions indépendantes et libérales) la pro-tection sociale dite « obligatoire » est unacte financier volontaire ou est liée à unminimum d’heures de travail qui ne dé-pend pas de la seule volonté de l’individu(artistes, intermittents du spectacle…).Enfin dans d’autres (RMI, étudiantsétrangers, étudiants de plus de 26 ans,etc.) elle dépend d’une démarche volon-taire et est soumise à un prélèvementsoustrait d’une indemnisation déjà ténueou à une cotisation volontaire.

Dans tous les cas, l’assurance maladie« courante » ne couvre qu’une partie desfrais médicaux et paramédicaux. Il estdonc nécessaire de souscrire une assu-rance complémentaire privée ou mutua-liste, payée directement par l’assuré, enplus de sa cotisation « sécurité sociale ».De plus, l’ensemble de ce système (sécu-rité sociale et assurance complémentaire)ne dispense pas de l’avance des frais.Cette dispense ne peut avoir lieu que dansdes cas précis et limités : prise en chargeà 100% (exonération du ticket modéra-teur) et accord institutionnel (hôpitaux,

La santé oubliée

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXIX

dispensaires, pharmaciens sous certainesconditions), établissements mutualistespour leurs « ressortissants », accords de« tiers payant délégué » signés par certai-nes caisses d’assurance avec certains pro-fessionnels de la santé mais actuellementremis en cause par différentes CPAM.

En outre, des innovations récentes enmatière de politique de santé pèsent surl’individu : moindre remboursement decertains médicaments, remboursementforfaitaire des consultations, instaurationd’un forfait hospitalier régulièrement ré-évalué.

Il est alors facile de comprendre quele recours aux soins soit de plus en plustardif et que les pathologies rencontréessoient, de ce fait, plus sérieuses. Il n’estpas rare de voir les patients « trier » leursprescriptions en fonction du taux de rem-boursement…

Par ailleurs, si les soins de santé nesont pas obligatoires, il existe des systè-mes d’alerte : ils sont liés au travail, à lapetite enfance, à la scolarisation, voire àla qualité d’assuré social (bilans de santédes caisses d’assurance maladie). Maismanquent toujours les médecines du chô-mage et de la retraite (surveillance à longterme des métiers exposés), tandis que lesuivi des PMI s’arrête dès l’âge de 8 ans,que le nombre de médecins scolaires di-minue et que les convocations aux bilansde santé ne sont pas systématiques.

Enfin, il a toujours existé deux domai-nes strictement soumis à la loi du marchéet aux ressources de chacun : les soinsdentaires, et particulièrement les travauxde prothèse et d’orthodontie (sauf pourles enfants de moins de 12 ans), les cor-rections visuelles dont la couverture estfaible (sauf pour les enfants de moins de16 ans ou les corrections de troubles gra-ves chez l’adulte).

À une période où les inégalités socia-les progressent dans notre pays, on assisteà un « décrochage » d’une fraction im-portante de la population, tant dans ledomaine de l’assurance que dans celui dela médicalisation.

Les différentes enquêtes effectuées parl’Insee confirment une évolution dange-reuse entre les années 1980 et 1991.L’inégalité de recours au médecin selon

le revenu par unité de consommation,avec une disparité marquée pour les spé-cialistes et les praticiens du secteur II, aaugmenté, y compris pour les salariés. Onpeut signaler une franche différence (dusimple au double) entre les ouvriers/agri-culteurs et les cadres supérieurs dans lerecours aux praticiens « à honoraireslibres ».

Dégradation de l’accès aux soins

La disparité est encore plus criante pourles soins dentaires : par rapport à lamoyenne de la population, il existe unenette prédominance des cadres supé-rieurs, les professions intermédiairesétant très loin derrière et les autres pro-fessions totalement distancées avec uneprogression négative notoire des ouvrierset métiers agricoles.

En parallèle à ces statistiques, on saitque l’extension de la couverture complé-mentaire n’a pas touché les couches lesplus pauvres de la population. Le grouped’individus n’en bénéficiant pas estcaractérisé par une double sur-représen-tation : ouvriers, surtout non qualifiés, etchômeurs.

À côté de cette progression des inéga-lités à la fois d’assurance et de recoursaux soins, proportionnellement aux reve-nus des ménages, les statistiques mettentégalement en évidence une inégalité del’espérance de vie au détriment des caté-gories professionnelles les moins quali-fiées.

Une dégradation des conditions d’ac-cès aux soins des populations « précari-sées » ne peut qu’aggraver ces évolutions,dangereuses tant pour la santé immédiatede chacun qu’à terme pour la santépublique.

En conclusion, l’exclusion n’est passeulement la vision d’individus clochar-disés vivant en errance, nourris de soupespopulaires et soignés dans des structuresspécifiques.

C’est aussi la mise à l’écart d’une par-tie de la population qui ne correspond pasà une définition misérabiliste. C’estl’aggravation de la morbidité de cettepopulation par une mauvaise hygiène ali-

mentaire, une absence de soins préventifs,la survenue de troubles occasionnés parun mauvais état dentaire chronique, le re-noncement à une surveillance médicalerégulière et la non-observance des traite-ments du fait de l’absence de couverturecomplémentaire.

« Toute personne a droit à un niveaude vie suffisant pour assurer sa santé, sonbien-être et ceux de sa famille » dit en1948 la Déclaration universelle des droitsde l’Homme (article 25), et notre Cons-titution de 1958 reconnaît « le droit à laprotection sociale ». L’objectif « santé »est ainsi inséré dans l’universalité desdroits, en vue d’une véritable cohésionsociale. Ce qui condamne les mesurestrop spécifiques dont l’effet pervers estune stigmatisation objective et subjectiveavec risque d’auto-exclusion.

Prévenir et soigner est un but qui dé-passe les simples critères de gestion pours’inscrire dans une vision solidaire derespect de l’Homme. Ne pas seulementdéclarer des droits formels, mais assurerles droits réels, est de la responsabilité del’État qui, ayant en charge la santé indi-viduelle et collective, doit agir sur les fac-teurs socio-économiques et mettre enœuvre les politiques globales de santépublique qui sont nécessaires.

Pour que la précarité cesse d’être unrisque pour la santé et pour que chacunvive de droit et de dignité, non d’assis-tance et de charité, il faut assurer à tousun accès égal au système de soins. Il y alà un enjeu de santé dont on ne peut nierles aspects collectif, institutionnel, légis-latif et financier.

Catherine Basin, MédecinMonique Hérold, BiologisteCommission santé/bioéthiqueLigue des droits de l’Homme

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXX

tribune

en direction des populations en situation deprécarité qui pose problème. Personne, eneffet, ne dénierait la nécessité d’œuvrer àsupprimer la différence d’espérance de vieentre les exclus et les nantis. Il me semblenécessaire cependant de dresser quelquesmises en garde contre une action trop tech-nocratique ou au contraire trop naïve. Car leslimites sont fragiles entre une politique desanté publique ciblée en direction des popu-lations en situation de précarité et un ren-forcement d’un contrôle social, dont, sousprétexte de montée de la crise, on a un peutrop oublié les dangers très réels.

Parler de santé et de précarité oblige àdéfinir des indicateurs de qualité de vie etde bien-être. Cette problématique qui tend àrelayer celle plus classique du changementsocial peut fournir une méthodologie per-mettant de renouveler des politiques socia-les essoufflées.

Du social à la santé : un thèmecomplexe…

Une politique de santé publique en directiondes populations précaires ne peut se canton-ner au problème de l’accès aux soins.

Le problème le plus urgent est bien sûrcelui de l’accès aux soins ; il n’est pas en-core réglé et la tentation de construire dessystèmes de droits spécifiques pour ceux quin’entrent pas dans les catégories définies parl’emploi ou le lien familial, subsiste, neserait-ce que parce que la complexité a tou-jours fortifié le pré carré des administrations.

est plus l’application que la concep-tion d’une politique de santé publique

Mais on possède, si l’on est de bonne foi,tous les éléments pour permettre à tous unaccès égal aux soins : on peut généraliser ledroit à l’assurance maladie sous seule con-dition de résidence et faire gérer une priseen charge du ticket modérateur sous condi-tions de ressources par la sécurité sociale.

Le second problème, en termes de soinset de prévention est celui de l’adaptation denotre système de santé aux conditions de viedes personnes : plus que de services etd’équipements spécialisés, tels ceux déve-loppés dans une optique de médecine socialeau début du siècle, il s’agit plutôt de diver-sifier les moyens d’intervention en fonctiond’une analyse des besoins, qui doit êtreeffectuée lieu par lieu.

Ces deux démarches, l’accès aux soins etl’amélioration du système de santé, restentdans le domaine du système de santé. Il estune troisième approche de santé publiquequi vise à répertorier l’ensemble des déter-minants de la santé, notamment les condi-tions de vie, et à œuvrer pour leur modifica-tion. Il me semble qu’il convient cependantde conserver toujours une démarche prag-matique, d’analyser secteur par secteur lesdéterminants de la santé et les améliorationspossibles, plutôt que de construire un sys-tème d’explication global, très satisfaisant,mais inefficace.

…un thème dangereux

Quand on traite de la santé des populationsen situation de précarité, il y a toujours unrisque de les instrumentaliser. En effet, il ya des raccourcis dangereux et notamment

C’ ceux qui, d’une analyse de corrélations voirede causalités tireraient un mode d’action :parce que les personnes en situation de pré-carité plus que d’autres seraient dépendan-tes des drogues légales et illégales, il est ten-tant de réduire une politique d’améliorationde la santé des personnes en situation de pré-carité à l’éradication de ces fléaux. Mathé-matiquement, épidémiologiquement, on apeut-être raison ; sans doute pas d’un pointde vue pragmatique, politique ou éthique.

Car c’est confondre un type de mesure del’état de santé et cet état lui-même que deviser avant tout le rallongement de l’espé-rance de vie moyenne par catégorie socio-professionnelle. « Éliminer les morts préma-turées évitables n’est pas supprimer lesconditions de vie dégueulasses ; rallongerl’espérance de vie n’est pas redonner del’espoir à ceux qui n’en ont pas d’autre quede jouer au loto » (J.-M. Belorgey). En touscas, il n’est pas admissible d’avoir une con-ception si étriquée de la santé que le bien-être physique, psychique et social ne setraduirait que par un indicateur de beaucoupvivre, jamais de bien vivre, que toute mortserait acceptable, même la plus dure indivi-duellement et collectivement, à conditionqu’elle intervienne, en moyenne, toujoursplus tard.

D’un simple point de vue de santé, il fautdonc qu’un travail de réflexion en amontnous aide à produire des indicateurs dequalité de vie et de mort plus efficacesheuristiquement que le simple comptage del’âge moyen des décès. Sans parler d’unedéfinition des populations en situation deprécarité plus fine que celle donnée par les

Santé–précaritéNotice d’utilisation

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXXI

catégories socioprofessionnelles, qui tiennecompte du fait que l’exclusion est plus unprocessus d’interaction entre les caractéris-tiques d’individus et les conditions de vie deleur environnement social et économiquequ’une catégorie sociale.1

La fin des grandes utopies

Définir une politique de santé publique pourles personnes en situation de précarité doitêtre fait avec précaution, aussi parce que cethème sert actuellement d’alibi à l’incapa-cité des politiques sociales à s’adapter auxnouvelles conditions sociales.

Je pense que l’accentuation par les poli-tiques sociales de la thématique de la santéest d’une certaine manière une tentative dereconstruire un mythe acceptable pour lesecteur social : les concepts de bonne santé,d’hygiène de vie, les objectifs quantifiablesd’accès à un statut social, d’améliorationd’indicateurs cliniques sont sans doute plusefficaces pour mobiliser hommes et créditsque les concepts flous qui tournent autour del’insertion.

Ce sont aussi des objectifs plausibles,plus en tous cas que l’insertion profession-nelle : « buvez moins ou faites vous imma-triculer à la sécu » plutôt que « cherchez unemploi, il n’y a pas d’emploi, cherchez unemploi… »

Ce n’est pas anodin cependant de rem-placer des objectifs idéologiques par desindicateurs épidémiologiques :

• c’est accorder un crédit démesuré auxenquêtes et autres sondages dans lesquels onapprend régulièrement que les exclus se sen-tent en moins bonne santé que les person-nes bien insérées socialement et profession-nellement ; comme si les pauvres quand ilssont sondés n’avaient pas une consciencetrès forte de la représentation qu’ils se don-nent et nous donnent et notamment du faitqu’on admettrait assez mal socialementqu’ils nous disent qu’ils sont très heureux dene pas travailler, qu’ils sont en excellenteforme physique et mentale, qu’ils jouent auloto et au PMU leurs allocations et boiventet fument le reste ;

• c’est tout simplement remplacer unobjectif révolutionnaire par un objectif tech-nocratique, les deux fonctionnant sur lemême schéma dans lequel ce sont desexperts, une avant-garde ou des scientifiquesqui disent quel est le bien pour les autres.

tats. Ceci d’une part parce qu’il est impos-sible de certifier des résultats aussi impro-bables que l’insertion professionnelle oumême sociale, le niveau de formation et savaleur sur le marché du travail etc. maisaussi parce que ce qui importe, ce sont lesprocessus à l’œuvre plus que leur finalité ;enclencher une dynamique plutôt que cons-truire une situation.

Donner des obligations de moyens, etnon de résultats est aussi ce qui nous prému-nira des dangers du contrôle social : pasd’injonction aux soins ni au travail, pasd’obligation de formation ou d’insertion, pasde mode de vie obligatoire. mais une obli-gation pour la société d’offrir des possibili-tés multiples d’entrée.

L’approche en termes de santé et de pré-carité permettra sans doute si on prend gardeà ne pas en faire une politique globalisante,où se combattraient les impérialismes desprofessionnels du social et du sanitaire, dedépasser le modèle de l’expert tout-puis-sant : le médecin qui définirait le bien-êtrepour tous comme le travailleur social ou letechnocrate qui sauraient quels doivent êtreles objectifs de l’insertion pour les exclus.

L’expert ne peut être là qu’au serviced’un processus participatif où les usagersmènent avec son aide les phases d’investi-gation, de diagnostic, de protocole et d’éva-luation.3

À condition cependant de ne pas accor-der à la parole de l’expert plus de crédit queles indiens Guyaki n’en faisaient à leurchef.4

1. Nasse Ph. Exclus, exclusions, connaître les popula-tions, comprendre les processus, rapport pour le Plan,La documentation Française 1992.

2. La définition du lien communautaire tel qu’il fonc-tionne aujourd’hui, in Maffesoli M. Le Temps destribus, Le Livre de Poche, 1992. La Transfiguration dupolitique, Le Livre de Poche, 1995. Voir aussi, Xiber-ras M. Les Théories de l’exclusion sociale, MéridiensKliensick, 1993.

3. Bass M. Promouvoir la santé, L’Harmattan, 1994dans lequel on a une approche théorique et pratique desproblèmes de santé et des problèmes sociaux tout à faitnovatrice.

4. Clastres P. La Société contre l’État, Minuit, 1974.Chronique des Indiens Guyaki, Plon, Terre Humaine,1972.

Hélène StrohlInspection générale des affairessociales

Une approche communautaire

Il me semble qu’on peut continuer à tra-vailler sur le thème de l’amélioration de lasanté des populations en situation de préca-rité, à condition d’avoir de la santé une con-ception à la fois large et ciblée : large, ausens de la définition de l’OMS, d’un état debien-être physique, psychique et social etciblé au sens où ce bien-être s’apprécieraselon des critères qui seront différents selonles communautés et que les modes d’inter-vention seront définis en conséquence.

Alors ce thème pourra inspirer un renou-vellement de la démarche à l’œuvre dans lespolitiques sociales, de manière à prendre encompte le fait que c’est plus le lien commu-nautaire qui est facteur de cohésion socialeque le lien sociétaire ou, pour le dire autre-ment, que les solidarités de proximitéreprennent une importance très grande parrapport à la solidarité nationale, souventabstraite et dispensée selon une logique d’as-sistance.2 Pour le dire encore autrement,s’inspirer de la démarche à l’œuvre en santécommunautaire pour définir les politiquessociales (qui auront d’ailleurs un impact trèsgrand sur l’état de santé des personnes), c’estrenoncer au modèle avant tout juridique,généralisateur et basé sur une aide exclusiveà l’individu.

Car il n’est plus le temps où tout lemonde souhaitait et pouvait espérer obtenirun travail mieux rémunéré que celui de sonpère, fonder une famille stable et devenirpropriétaire de son logement ; il est dange-reux de faire comme si le plein emploi étaitun horizon réaliste, comme si un divorce neguettait pas un mariage sur trois et de défi-nir pour les autres une insertion en papier.

Une nouvelle méthodologie pourles politiques sociales

Au fond, plutôt que d’espérer que la problé-matique santé–précarité va améliorer lesconditions de vie des personnes en situationde précarité, parce que les objectifs d’amé-lioration de la santé seraient plus importantsque les objectifs de changement social, jepense que son introduction peut d’abordchanger les méthodes selon lesquelles onconçoit et développe les politiques sociales.

Et notamment de développer un schémadans lequel les professionnels sont tenus àune obligation de moyens et non de résul-

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXXII

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a l’ambition de garantir à tous l’accès à quel-ques droits fondamentaux, l’énoncé d’uneprobable influence des situations de préca-rité sur la santé est difficilement acceptablepour le public. Il suscite, au moins incons-ciemment, les réflexes classiques de défense.En premier lieu, l’inégalité des chances estinhérente au phénomène humain ; en secondlieu elle n’est supportable que parce qu’elleest provisoire et en tout cas combattue pardes mécanismes qui en corrigent les effetset en limitent l’amplitude. Une telle réponse,dans sa simplicité idéologique est insuffi-sante du point de vue pratique. Il serait ten-tant aussi, voire aisé, d’induire de l’analysedes textes législatifs et réglementaires, trèsprolixes et clairs en la matière, l’idée que lasociété a pris pleine conscience de la réalité,de l’importance et des enjeux du phénomèneet pris la mesure des changements, que la re-cherche de solutions appelle, sur le systèmesocial dans son ensemble.

La chaîne qui conduit de la connaissanceobservée, analysée, structurée, à la décisionde mise en œuvre d’un arsenal opérationneladapté et modulé, testé, validé et aux effetsmesurables est loin d’être acquise pour lesujet qui nous préoccupe.

L’observation de l’évidente répercussiondes situations de précarité, dans ses différen-tes dimensions sur les dérèglements du com-portement social, affectif et sur l’état desanté physique et psychique des sujets estd’abord une expérience individuelle. Elle estau cœur de la démarche clinique et théra-peutique à laquelle le respect des règles

our une société fortement marquée parl’idéologie des droits de l’homme et qui

professionnelles et déontologiques ne peutapporter a priori de contraintes formelles. Lacapacité de réaction est naturellement fortedans les réseaux spécialisés et traditionnelsde la santé publique, médecine scolaire et del’enfance, médecine du travail par exemple.Elle l’est également chez les promoteurs, àgrande majorité d’origine associative, dessoins offerts aux victimes des nouveauxfléaux sociaux (toxicomanies, maladiesVIH).

Personne n’ignore cependant que les mo-des d’assistance et de prise en charge devien-nent inopérants dès que le lien social s’estrelâché ou distendu gravement. Il ne s’agitplus alors de considérer la précarité commeun facteur explicatif supplémentaire ouredondant des variations de l’état sanitaireobservé dans une population donnée et sta-ble. Il s’agit aussi de considérer la précaritécomme une cause régulière et puissante, quiéloigne, par l’effet d’un mécanisme impla-cable généralement progressif mais aussiparfois brutal, les sujets les plus fragiles dudispositif de soins. Aux facteurs de risqueclassiques s’ajoute un phénomène de rupturequi répond à un déterminisme propre engen-drant des conséquences insoupçonnables, etautrement plus complexes.

Une réalité difficile à cerner

C’est tout l’être qui est touché, dans sa glo-balité ; il part à la dérive, sans projet, sansperspective, privé de ses références et de sesenracinements, atteint dans ses capacités deréaction aussi bien biologiques que sociales.Les dégâts varient certes, sont plus ou moins

P étendus, mais ils sont rarement uniformes.Dès lors, l’approche classiquement adoptéedans l’élaboration d’un programme de santépublique qui appréhende les phénomènes durisque sur un modèle médical causal est mé-thodologiquement sans portée même si lephénomène justifie, par son ampleur quan-titative, une action organisée, systématiséeet ciblée. Il s’agit de promouvoir une con-ception de la santé qui prend en compte desfacteurs complexes multidimensionnelsappartenant à des domaines de la réalité et àdes champs de l’action sociale indépendantset non hiérarchisés entre eux. Le systèmesanitaire en général, hospitalier en particu-lier, développe une logique incompatibleavec cette ambition.

Les outils de la connaissance et d’uneépidémiologie d’intervention efficace doi-vent être inventés ; il manque des indicateurspertinents d’un dispositif d’intervention etd’alerte adapté à des situations extrêmementvariées. Des monographies, des enquêteslimitées à des sites particuliers (missionFrance de Médecins du Monde, Centre d’ac-cueil et de soins hospitaliers de Nanterre,etc.) ou des enquêtes ciblées sur certainespathologies, par les directions départemen-tales des affaires sanitaires et sociales ontdonné des informations assez précises sur lescaractéristiques morbides et sur l’aggrava-tion de l’état sanitaire général de certainespopulations particulièrement marginales etfragiles. Il a été constaté notamment une plusgrande fréquence des pathologies infec-tieuses et vasculaires, des affections cuta-nées, de la tuberculose, de l’éthylisme, uneaggravation des infections bénignes et la

Misère de la connaissancePour une stratégiedu soin social

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXXIII

multiplication des pathologies associées,une surmorbidité pour certains troublesdépressifs et certains troubles à somatisa-tion.

Ces observations ponctuelles, il faut leregretter, ne sont pas systématiquementutilisées dans le cadre d’un dispositifpermanent (de type observatoire et réseausentinelle) pour permettre aux autoritéssanitaires de mettre en place un système dedistribution de soins adapté.

De façon générale, la pauvreté de l’ap-pareil scientifique est considérable. Il s’ap-puie sur un ensemble d’approches quis’épuisent dans une sémantique littéraire. Ils’agit davantage de produire un effet surl’imaginaire qu’à véritablement définir lescomposantes du processus de « déqualifica-tion sociale » et ses effets notamment sur leplan de la santé. Eugène Sue est encorel’inspirateur des chroniqueurs. Le termegénérique « exclusion » sur lequel se décli-nent toutes les formes et tous les degrésd’écart, à une vision normative et standar-disée de l’homme social, est également peuopérant.

L’observation sur l’état de santédes sans-abri

En liaison avec le Réseau national de santépublique, le Centre d’accueil et de soins hos-pitaliers de Nanterre a eu l’opportunité demettre en place un observatoire sur l’état desanté des populations sans abri (populationsen situation d’errance et clochardisées prin-cipalement conduites au centre hospitalierpar les services de la préfecture de police,soit 80 000 passages par an). Le programmed’étude, à partir des informations recueilliesauprès des 12 000 personnes qui fréquententson antenne médico-sociale, facilite la com-préhension, d’une part des mécanismes quiconduisent à une situation de grande margi-nalisation et d’autre part des processus quifavorisent et permettent le retour à l’autono-mie et à une identité sociale reconnue.

Le dispositif RMI pourrait être un instru-ment privilégié et puissant de connaissancedes particularités épidémiologiques dans unepopulation ayant rompu avec les schémasd’une vie sociale autonome et intégrée.

Sous sa forme sanitaire stricte, a fortiorilorsque les autres éléments de la perte desociabilité se combinent et cumulent leurseffets, les opérateurs ne disposent d’aucune

stratégie de « soin social » qui pourrait auminimum s’appuyer sur un corpus d’obser-vations, faute de connaître les facteurs cléset les déterminants d’une démarche visant àrétablir la santé et les acquis de la vie sociale.

Il est courant d’alléguer les nombreuxfacteurs d’inefficacité et d’inadaptation dusystème de protection sociale ; les modes defonctionnement qu’il impose, les conditionsd’accès qu’il exige, ses cloisonnements, sacomplexité, le rendent, dans une certainemesure, inapte à répondre aux besoins la plu-part du temps non exprimés d’une popula-tion fragilisée et désocialisée. Privée desressorts culturels, psychologiques ou de l’in-formation suffisante, elle ne peut adopterune attitude d’usager avisé.

Le discours sur les droits insiste avec jus-tesse sur le caractère universel des droitssociaux en France et sur l’extrême diversitédes prestations que ceux-ci offrent. L’accèsréel à celles-ci nécessite un intervention-nisme adapté et volontariste combinantdiverses approches, tournées vers un objec-tif opérationnel ou scientifique, et destinéesà traiter les divers éléments de la situationsanitaire et sociale liée à la précarité. Il s’agitaussi de trouver des solutions acceptables àdes phénomènes de chronicité inévitables.

Actuellement, selon le mode d’entréedans le dispositif, les orientations proposéespour chaque cas privilégient telle réponseparmi l’arsenal des droits offerts, sans véri-table évaluation de son effet. Il en est sou-vent ainsi pour l’attribution de contratsd’orientation dans le cadre du RMI. À l’ex-ception des troubles somatiques ou psychia-triques évidents, la prise en charge sanitairefait cruellement défaut, contrairement auxbesoins qui sont révélés par les enquêtesépidémiologiques connues. Le faible tauxdes contrats portant sur la santé (environ15 %) est révélateur de ces insuffisances ; ilest la source de nombreux gaspillages.

La recherche de solutions adéquatesoscille entre un pragmatisme tendu vers uneefficacité immédiate (influence de l’urgen-tisme allié aux exigences de l’ordre public)et une perception très idéologique de leurrôle par des organisations opératrices trèsorientées par les valeurs qui les inspirent.

L’éclatement des processus de décisionentre les diverses instances concernées ouselon les domaines couverts par l’actionsociale, ne facilite pas la rigueur et la cohé-rence dans l’action. La diversité des compé-

tences agissant de façon autonome est aussiun obstacle à un ajustement personnalisé desmodes d’intervention.

Associer les compétences et lesstructures

L’écart est grand entre les objectifs assignésaux politiques sociales, et la chronicisationgraduelle dans les états de précarité. Cetteréalité observée par les acteurs de terrain estsouvent dissimulée par le recours alterné àdes dispositifs d’assistance qui sont mal oupeu coordonnés entre eux.

L’affaiblissement accéléré de la notiontraditionnelle française du service public, quiaffranchit en grande partie l’action publiquedes préoccupations locales, des intérêts com-munaux partisans, des présupposés idéo-logiques ou humanitaires laisse prise à l’ex-pression de dérives dans l’interprétation etl’application des règles et des droits.

Si à notre sens, s’impose l’unité de pilo-tage, dans le cadre d’un dispositif régulé parune autorité de l’État, la diversité des répon-ses doit correspondre à la complexité dessituations. À une échelle modeste en Île-de-France, seul établissement public doté desmoyens juridiques de mettre en œuvre desmissions relevant aussi bien de la loi socialeque de la loi hospitalière, le Centre d’accueilet de soins hospitaliers de Nanterre illustrecette nécessité d’associer étroitement diver-ses structures et compétences pour répondreà cet objectif de « réparation sociale ».

Serions-nous encore dans l’héritage d’undébat opposant Saint Vincent de Paul àPompone de Bellièvre, d’un débat entrel’humanisme dominant et l’ordre public.Quand trouverons-nous la synthèse ?

Antoine Ravelo de TovarDirecteur du Centre d’accueil et desoins hospitaliers de Nanterre

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXXIV

tribune

jeunes, on me demande, à ce « titre », unpoint de vue sur le risque que représente laprécarité sur la santé. Sous leur apparentesimplicité, la question (risque ? pas risque ?)et les réponses possibles (oui…, non…, ouimais…) cachent une infinie complexité. Dèslors mes compétences limites sur un tel su-jet et la tonalité référendaire de la questionme laissent perplexe… Cela dit j’ai acceptél’exercice et, dans les quelques lignes qui mesont accordées, j’inventerai moins de répon-ses que je n’insisterai sur la face cachéed’une telle interrogation.

Précarité et santé : corrélationsou relations ?

Dans sa définition la plus commune, la pré-carité sociale et économique regroupe dessituations qui vont de la fragilisation de larelation d’emploi à l’exclusion en passantpar le chômage. Toutes ces situations por-teuses de « stress social » peuvent être àl’origine d’une détérioration de la santé etles travaux en sciences sociales de la santé,en médecine du travail ou à l’Inserm en at-testent depuis longtemps1. Encore récem-ment quelques bilans accablants renforcentces travaux : ainsi ces « paroles » de méde-cins du travail qui dénoncent la double pré-carisation de l’emploi et de l’organisation dutravail, facteurs de « souffrances » et de ris-ques accrus pour la santé2 ; ainsi le rapportdu Cerc qui met en évidence l’étroite intri-cation de la pauvreté économique et de lavulnérabilité sociale dans une spirale dange-

reuse de « cumul des handicaps »3. Le carac-tère douloureux et alarmant de ces constatsparaît à présent rédhibitoire. Cela dit, est-ilvraiment « prouvé » que la précarité a uneffet sur la santé ? Paradoxalement non, carl’on sait aussi par ailleurs que le problèmede la mesure de cet effet est loin d’être réglé4.

De surcroît, d’autres analyses se dévelop-pent depuis quelque temps qui renversentcette image stigmatisante des situations pré-caires au profit d’interprétations plus nuan-cées. Concernant la jeunesse par exemple,on y affirme que la précarité d’emploi n’estpas forcément à l’origine de dynamiquesrégressives. Non parce que la précarité mo-derne est une « précarité protégée dont latoile de fond est la permanence de l’Étatsocial »5, mais parce qu’elle peut aussi pro-duire de l’identité sociale et de l’intégration.D’ailleurs au cours de mes enquêtes, j’aimoi-même rencontré de nombreux cas, oùla précarité d’emploi soutenait de véritablesmodes d’insertion6. Certaines jeunes fem-mes par exemple avaient des objectifs pro-fessionnels que seule la précarité profession-nelle leur permettait de mettre en œuvre :mères de famille, elles développaient desstratégies de gestion du temps sophistiquéesen construisant des « projets » personnelsdans les entractes que provoquent les turbu-lences d’emploi. Elles « utilisaient » en quel-que sorte la précarité professionnelle dansl’arbitrage travail/famille. Mêmes enjeuxpour beaucoup de jeunes mal préparés àaffronter l’avenir et à qui tout fait peur. Àtous ceux-là, la précarité d’emploi servait demoratoire, en leur donnant le temps de dé-cryptage du social dont ils avaient besoin.

On retrouve aussi ce type d’observationsdans d’autres travaux. Concernant les jeunesurbains par exemple, certaines études mon-trent comment se forment des « espaces in-termédiaires » où de véritables socialisationssont à l’œuvre en dépit de la précarité del’environnement et des situations individuel-les. Ces socialisations sont productrices deculture, d’identités collectives, d’apprentis-sages, voire même de compétences directe-ment utilisables à terme sur le marché dutravail7. Chez les jeunes la précarité d’inser-tion pourrait donc être un outil stratégiquequi combine nécessité de s’intégrer et mo-ratoire d’apprentissage.

L’existence d’une relation entre précaritéet santé n’est donc pas si nette qu’on le ditsouvent et, si relation il y a, sa nature n’estguère clarifiée non plus8. Dès lors, et c’estce qui m’intéresse ici, on peut profiter del’incertitude de nos réponses pour chercherce qui se cache derrière une question.

Derrière les interrogations, quelspostulats ?

La précarité est-elle un facteur de risquepour la santé ? En fait la démarche qui con-siste à supposer des liens de causalité der-rière les corrélations statistiques n’est pasneutre car il part d’un postulat très fort : ce-lui de considérer la précarité comme un étatde « risque » et de privilégier l’hypothèseselon laquelle, dans le contexte économiqueactuel, la précarité est productrice de dyna-miques sociales essentiellement négatives.

De même, la démarche qui consiste à niertoute causalité au départ pour analyser com-

Précarité et santéla face cachée d’unecorrélation

A yant travaillé récemment sur les par-cours d’insertion professionnelle des

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actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXXV

ment les individus construisent et réin-ventent leur destin dans des situations diffi-ciles n’est guère neutre non plus : elle partaussi d’un postulat précis, celui de considé-rer la précarité comme un processus dont lesens peut varier, voire dans certains cas,comme étant productrice de dynamiquessociales positives.

Qu’y a-t-il derrière ces postulats contra-dictoires ? rien de moins me semble-t-ilqu’une lecture du social radicalement diffé-rente. Autrement dit la façon d’interroger lesocial rend compte en aval d’une certainelecture du social en amont. Ainsi, chercherà mesurer les risques que représente la pré-carité sur la santé ou chercher à mesurer lesformes d’utilisation de la précarité dans desstratégies d’intégration relève de posturesthéoriques différentes au départ, de lecturedifférente de l’actualité et d’une identifica-tion différente de « la question sociale » con-temporaine. Dans le cas présent, tout sepasse comme si les uns situaient leurs ana-lyses dans le cadre d’une société en crise etles autres dans le cadre d’une société enmutation, deux cadres de lecture qui impo-sent ensuite une analyse des problèmessociaux divergente, voire contradictoire.

Le premier cadre inscrit les faits sociauxcontemporains dans un contexte de crise :crise économique, crise de l’emploi, crise du« compromis salarial » qui promettait pleinemploi, intégration et protection pour tous.Cette crise est alors pensée comme un dys-fonctionnement à redresser pour retrouverl’équilibre, à savoir le plein emploi et lasécurité grâce à l’insertion de tous sur uneactivité stable et productive. Pour la plupartdes observateurs, ce paradigme classique dela société salariale reste le cadre de référencede leur analyse des problèmes sociaux. Dansce cadre, se définissent alors des normes etdes critères d’évaluation qui servent d’outilpour définir les flirts en positif ou négatif.Concernant la question de l’emploi et duchômage cela se traduit par la grille sui-vante : les individus sont des victimes (pas-sives ou actives) de l’éclatement du systèmed’emploi (diversification et fragilisation dela relation d’emploi) et de ses conséquences(précarité et exclusion). Dès lors la normepositive est bien sûr l’entrée rapide dans unemploi stable et le symptôme de crise la pré-carité d’insertion (considérée commeinjuste, inutile voire dangereuse à terme).Définir la précarité comme un facteur de ris-

que pour la santé et chercher à en mesurerles effets relève à mon sens d’un tel cadreet l’hypothèse de travail est alors : la préca-rité c’est mal, la « preuve » ça rend malade.

Le deuxième cadre d’analyse tend à ins-crire les faits sociaux dans un contexte dechangement social permanent. Dans le con-texte actuel, la crise est alors le symptômed’une « redéfinition d’ensemble du systèmede cohésion sociale », qui mobilise le« travail de l’ensemble de la société sur elle-même »9. Si on se place dans cette perspec-tive dynamique (qui plus est souvent posi-tive) les problèmes relèvent moins dudysfonctionnement d’un système que de samutation, et l’individu est moins une victimeéventuelle qu’un acteur/producteur des mu-tations à l’œuvre (quelle que soit par ailleurssa condition sociale). Dès lors, et en dépitd’un paysage social profondément désorga-nisé et souffrant, on peut lire autrement lesocial et ses ratés. Concernant l’emploi oule chômage par exemple, le cadre d’analysetraditionnel est écarté au profit d’autresréférences qui donnent sens à des situationsd’activité hétérogènes appartenant à deslogiques de productivité diverses. Ainsi ana-lysée, la précarité d’insertion juvénile parlemoins de risques ou d’exclusion qu’elle nerend compte de « la fin d’un monde », de lafin d’un modèle de société, de la fin d’unprincipe d’intégration qui passait par uneforme travail10. Ceci impliquant cela, cetteanalyse oblige à privilégier les situationshors norme afin de traquer ce qui se joue etce qui parle déjà d’un nouveau modèle d’in-tégration11. Ainsi « lue », la précarité pré-sente des dimensions qui rendent compte deressources et de mobilisations humainesoccultées dans un cadre d’analyse plus tra-ditionnel.

Conclusion

Quelle conclusion tirer de ces tiraillementsthéoriques ? d’abord qu’il est difficile sinonimpossible de trancher sur la pertinence detelle ou telle grille de lecture : les problèmesde mesure, communs à tous, condamnent àla polémique faute de preuves… Cela ditcette polémique est nécessaire car elle ap-profondit la question du sens. Or c’est dusens attribué aux problèmes sociaux (parceque lui et lui seul permet le diagnostic) quedépend l’efficacité de la prescription, à sa-voir l’efficacité de l’action sociale.

1. Cf. le bilan critique de certains de ces travaux inBungener M. et Pierret J. De l’influence du chômagesur l’état de santé in Fr. Bouchayer (Eds) Trajectoiressociales et inégalités, Mire-Insee-Eres, 1994.

2. Cf. Paroles de médecins du travail Souffrances etprécarités au travail, Syros, 1994.

3. Précarité et risque d’exclusion en France, Cerc, LaDocumentation Française, 1993.

4. La mesure de l’effet précarité sur la santé reste àl’heure actuelle un problème non résolu. La performan-ce des outils n’est pas en cause (les modèles économé-triques dans le traitement des données permettentaujourd’hui des analyses complexes). Mais la com-plexification des outils de mesure ne vient pas à bout dela complexité du réel tant la logique mathématique etcelle du social se répondent mal. Exemplaires de ceslimites, les études partant de données du même type quimontrent qu’un processus morbide peut être engendrépar deux événements opposés : le chômage ou la forteactivité ; cités in Bungener M. et Pierret J. op. cit.

5. Castel R., Lae J.-F. in Le revenu minimum d’inser-tion, une dette sociale, L’Harmattan, 1994.

6. Nicole-Drancourt Ch. Le labyrinthe de l’insertion,La Documentation Française, 1991.

7. Roulleau-Berger L. La ville Intervalle, MéridienKlincksieck, 1991.

8. Les « corrélations » entre précarité et santé sontprouvées puisque depuis longtemps saisies statistique-ment : mais qui dit corrélations ne dit pas forcémentrelation de cause à effet.

9. Castel R. Les métamorphoses de la question socia-le, Fayard, 1995.

10. Dubet F., Lapeyronnie D. Les quartiers d’exils,Seuil, 1992.

11. Nicole-Drancourt Ch., Roulleau-Berger L. L’in-sertion des jeunes en France, Puf, coll. Que sais-je,1995.

Chantal Nicole-DrancourtChercheur CNRS en sociologieCentre d’études de l’emploi

Page 36: santé publiquedossier en 12 Dossier septembre 1995 Santé carit d’intervention sur les fléaux sociaux, laisse la place, en pratique, à l’initiative privée et à celle des collectivités

actualité et dossier en santé publique n° 12 septembre 1995 page XXXVI

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Marguerite Arene, Délégation interminis-terielle à la ville et au développement so-cial urbain, Omar Brixi, Comité françaisd’éducation pour la santé et VéroniqueMallet, direction générale de la Santé ontassuré la coordination de ce dossier.

Les articles et encadrés ont été rédigéspar (ordre d’apparition) :Michel Joubert, maître de Conférence àParis VIII, chercheur au Grass-Iresco(CNRS) (p. 2 & 3)Omar Brixi (p. 4 & 5, p. 24 à 26)Bernard Goudet, Craes Aquitaine (p. 5 à7, 20 & 21)Véronique Mallet (enc. p. 7, p. 17 & 18)Catherine Caro, Dominique Leterrier etMaïté Rouch, direction de la Sécuritésociale (p. 8 à 10)Pascal Noblet, direction de l’Actionsociale (p.12 à 14, enc. p. 16)Martine Ledrans, DGS (enc. p. 13)Véronique Herzog, direction desHôpitaux (p. 14 à 17)Brigitte Haury, direction générale deSanté (enc. p.15)Marie-Christine Freire, Délégation àl’insertion des jeunes (p. 18)Marguerite Arene, (p. 19 & 20, 22 & 23)Antoine Lazarus (enc. p. 19)Catherine Chardin et Jean-Yves Fatras,Division sida (enc. p. 20)Patrick Lamour, Comède (enc. p. 21)Olivier Quérouil, Dirmi (p. 24 à 26)René Demeulemeester, directiongénérale de la Santé (p. 26)Fernando Bertolotto, directeur de recher-ches association Resscom (enc. p . 27)

Merci à Catherine Basin, MoniqueHérold, Chantal Nicole-Drancourt,Antoine Ravelo de Tovar et HélèneStrohl pour leur tribune.

Adresses utiles

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Les actions en matière de santé publique,réalisées ou projetées par les municipa-lités françaises. Michel Legros. Crédoc,RNSP, 1995.

Les Français et leur santé. Enquête santé1991-1992. Ministère de la Santé publiqueet de l’Assurance maladie, Sesi.

Direction générale de la Santé (DGS)Direction de l’Action sociale (Das)124, rue Sadi Carnot92170 VanvesTél. : 46 62 40 00

Direction des hôpitaux (DH)Direction de la Sécurité sociale (DSS)1, place de Fontenoy75007 ParisTél. : 40 56 60 00

Délégation interministérielle à la ville etau développement social urbain (Div)Délégation à l’insertion des jeunes (Dij)194, avenue du Président Wilson93217 La Plaine Saint-Denis CedexTél. : 49 17 46 46

Délégation interministérielle au RMI(Dirmi)9, rue Geores Pitard75015 ParisTél. : 48 42 66 48

Comité français d’éducation pour lasanté (CFES)2, rue Auguste Comte92170 VanvesTél. : 46 45 45 00

Les réseaux de santé. In Prévenir, n° 27,décembre 1994.

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Trajectoires sociales et inégalités. Re-cherche sur les conditions de vie. Mire,Insee, Eres, décembre 1994.

Une souffrance que l’on ne peut plus ca-cher. Rapport du groupe de travail Ville,santé mentale, précarité et exclusion so-ciale. Pr A. Lazarus (prés.), H. Strohl (rapp.Gén.). Div, Dirmi, 1995. (Dispo. Div, DGS)

Union nationale interfédérale desœuvres et organismes privés sanitaireset sociaux (Uniopss)21, rue du Faubourg Saint-Antoine75011 ParisTél. : 49 28 54 54

Fédération nationale des associationsd’accueil et de réadaptation sociale(Fnars)76, rue du Faubourg Saint-Denis75010 ParisTél. : 45 23 39 09

Arcat sida13, bd de Rochechouart75009 ParisTél. : 49 70 85 90

ComèdeHôpital de Bicêtre78, rue du Général LeclercBP 3194272 Le Kremlin Bicêtre CedexTél. : 45 21 38 40