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Ouvrage sous la direction de Robert Muchembled,

professeur à l'Université de Paris XIII

Fléaux et société : de la Grande Peste

au choléra X I V siècle

Françoise Hildesheimer

HACHETTE

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Document de couverture : Saint-François priant pendant une épidémie de peste — Anonyme — XV siècle (musée de Baltimore). © H. Josse.

ISBN 2-01-020459-X

© Hachette Livre, Paris, 1993

Tous droits de traduction, de reproduct ion et d ' adapta t ion réservés p o u r tous pays.

La loi du 11 mars 1957 n 'au tor i san t aux te rmes des al inéas 2 e t 3 de l 'Art icle 41, d ' u n e par t , que les « copies ou reproduct ions s t r ic tement réservées à l 'usage privé du copiste et non dest inées à une utilisation collective », et d ' au t re par t , que les analyses e t les cour tes ci tat ions dans un but d ' exemple et d ' i l lustrat ion, « toute représen ta t ion ou reproduc t ion intégrale , ou part iel le , faite sans le consen tement de l ' au teur ou de ses ayants droi t ou ayants cause, est illicite ». (Al inéa 1 de l 'Article 40).

Cet te représenta t ion ou reproduct ion , pa r que lque procédé que ce soit, sans autor isa t ion de l ' édi teur ou du Cent re français du Copyright (6 bis, rue Gabr ie l -Laumain , 75010 Paris) , consti tuerai t donc une contrefaçon sanct ionnée pa r les Art ic les 425 et suivants du Code pénal .

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Introduction :

le prisme de l'épidémie

« Les épidémies sont, dans l'histoire médicale des peuples, les événements principaux, les accidents les plus remarquables. Il faut en perpétuer le souvenir [...]. On se plaint de ce que les historiographes des temps modernes n'ont guère fait que la généalogie des rois et l'histoire particulière de leurs guerres, au lieu d'écrire l'histoire générale des peuples. On reprocherait certes avec non moins de raison aux historiens de la médecine de n'avoir presque donné que l'histoire privée des médecins et de leurs écrits, et d'avoir beaucoup trop négligé les hautes considérations relatives aux maladies populaires, à leurs caractères, à leurs variations, à leurs causes et à leur traitement. Sans doute on n'a pas accordé à cette partie des sciences médicales toute l'attention qu'elle mérite. [...] Durant le cours d'une épidémie, les phénomènes de la maladie se répètent au point de lasser la courageuse application du plus intrépide observateur. Les faits se multiplient et se pressent sous les yeux du praticien ; ils se reproduisent sous toutes les formes et dans les modifications infinies dont ils sont susceptibles. [...] Les épidémies sont donc une grande école d'investigation : et qui sait si une étude plus approfondie et plus générale de ces épouvantables phénomènes de l'histoire pathologique de l'homme n'aura pas d'autres résultats pour la science ? »

Ainsi s'exprimaient en 1836 les membres de l'Académie de Médecine soucieux de diffuser des « instructions pour l'étude et la description des épidémies et épizooties ». Les historiens d'aujourd'hui ne peuvent que souscrire à leur programme, puisque, depuis déjà plusieurs années, ils en ont reconnu l'intérêt et l'ont annexé à leur « territoire ».

Or aux yeux de ces historiens qui ont le privilège d'user de la longue durée et de parcourir les siècles, l'histoire des maladies épidémiques apparaît comme un territoire mouvant. Il ne leur est pas donné, en effet, de décrire une situation fixée, mais bien une succession de temps d'épidémies qui, dans leur suite chronologique difficilement explicable, semblent s'exclure et répondre à des états de la société, celle-ci y trouvant une sorte d'expression ou d'exutoire. A tel point que l'on a pu qualifier de « culturels » des phénomènes sanitaires ne semblant relever, à première vue, que de l'ordre biologique, tant il est vrai qu'en fin de compte, l'homme est le résultat d'un processus historique lui faisant ressentir les maux qui l'assaillent en fonction d'un long acquis de civilisation et de culture.

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La recherche historique a d'abord privilégié l'étude de la maladie promue au rang de « grand personnage de l'histoire d'hier », un pathocentrisme excessif s'effaçant devant la reconnaissance de cette évidence qu'il n'y a de maladie que par l'homme qui en est atteint et celui qui lutte ; aussi est-ce ceux-ci qui doivent se trouver au centre de la problématique historique et non une nosologie (classification des maladies) désincarnée et donc impos- sible. Il reste que la littérature portant sur le phénomène épidémique ne date pas d'hier; en témoigne l'immense bibliographie d'ouvrages anciens qui accompagne toute étude contemporaine, ainsi que le stock documentaire livré aux investigations des historiens, abondant mais souvent décevant en raison de son caractère répétitif. L'interprétation doit donc mettre en œuvre à peu près tous les secteurs de la critique historique et, au-delà de la maladie impossible à désincarner, l'histoire de l'homme malade peut finalement apparaître comme une tentative d'histoire totale. Événements, technique médicale, institutions d'assistance, organismes sanitaires, état de la société, implications économiques, démographiques et très profondément psy- chiques ou collectivement psychologiques, tous ces facteurs doivent être conjugués pour parvenir au but recherché : la restitution du passé intelligible à nos contemporains pour mieux comprendre ce présent qui en est largement tributaire. Et qui peut aujourd'hui nier que le phénomène épidémique est partie prenante du présent ?

C'est donc un sujet aux multiples composantes que ce volume entend traiter, même si l'objet en est un et la couverture géographique essentielle- ment limitée, pour la commodité de l'exposé, à la France : l'épidémie telle qu'elle a existé de la fin du Moyen Age jusqu'aux découvertes de Pasteur qui en modifièrent considérablement la perception et les moyens de lutte.

En soi, l'épidémie n'est pas une donnée évidente pour l'esprit humain, à qui il faudra de longs siècles pour en découvrir les véritables mécanismes. Par épidémie on entend le développement et la propagation rapides d'une maladie contagieuse dans une région où elle sévissait antérieurement à l'état endémique, ou au sein d'une population préalablement indemne; pour ce faire, deux ou trois conditions doivent se trouver simultanément remplies : il faut un grand nombre d'individus réceptifs, un germe existant et entretenu dans un réservoir, enfin, dans le cas d'une maladie non directement trans- missible à l'homme, un agent de transmission. En effet, qui dit épidémie ne dit pas automatiquement contagion, bien que sous l'Ancien Régime les deux termes aient souvent été employés l'un pour l'autre et que le débat ait alors longtemps porté sur le caractère contagieux ou non contagieux de la peste ; ainsi la peste bubonique, dont nous aurons à reparler longuement, n'est pas à proprement parler une maladie contagieuse, puisque le bacille en est inoculé à l'homme par une piqûre de puce. En outre, à la notion d'épidémie s'oppose ou s'ajoute celle d'endémie où l'affection persiste dans une région ou au sein d'une collectivité, s'y manifestant de façon constante ou périodique à bas bruit et frappant de-ci de-là : l'épidémie peut décroître mais demeurer

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présente à l'état endémique ; sa morbidité et sa mortalité seront alors faibles, jusqu'à ce qu'une résurgence donne lieu à une nouvelle flambée épidémique. Enfin, la pandémie est une forme d'épidémie s'étendant à un grand nombre de pays.

Dans le cadre de cet ouvrage, nous avons adopté une définition large et empirique du phénomène, conforme à sa perception aux époques étudiées : une maladie presque toujours mortelle atteignant une grande quantité d'individus en peu de temps. La méconnaissance durable des mécanismes de propagation et l'absence de distinction entre les concepts d'infection et de contagion font que la seule question immédiate et pratique qui se posait était celle de la sécurité et de la survie de la communauté.

Par ailleurs, le problème auquel se heurte l'historien confronté à ses sources est bien souvent celui de l'identification précise des maladies. Un exemple : en 1560, Ambroise Paré publiait un Traité de la peste, de la petite vérole et de la rougeole qui amalgamait constamment les trois maladies, et on pourrait multiplier de tels cas. En conséquence toute « peste » n'est pas la peste et parmi les multiples fièvres dont font état les documents, il est souvent bien difficile d'identifier à coup sûr une pathologie. Ajoutons, pour donner une idée de la difficulté de l'entreprise, que rien ne prouve qu'un bacille soit resté identique à travers les âges, et que l'espèce humaine est douée d'une capacité d'adaptation capable de modifier notablement les effets des maladies.

Il reste cependant que l'histoire est riche de grands épisodes désormais bien connus. C'est pourquoi nous proposons, dans les pages qui suivent, une approche systématique, à partir du récit, de quelques-uns de ces événements les plus marquants, élargie au fil des chapitres et des époques aux grandes composantes de l'expérience humaine dont l'épidémie est partie prenante. A travers le prisme de l'épidémie, c'est la société tout entière qui se révèle ; par ses réactions sont manifestées ses valeurs et ses croyances, ses lignes de force et ses fractures. L'idée de l'égalité théorique des individus face à la mort, signifiée par les représentations des danses macabres, est ainsi revisitée et bien souvent réduite à l'état de leurre.

Dans ce cadre, il nous semble que la notion d'Ancien Régime peut trouver une justification spécifique, car elle délimite un champ chronologique propre, notamment dans les domaines de l'économie et du religieux, donc une appréhension qui détermine un avant et un après de cette longue histoire, une sorte de vécu de l'épidémie comme une fatalité. Archétype du système absolutiste, la France constitue certainement un observatoire de choix, d'autant plus qu'elle est un pays alors très peuplé et géographique- ment exposé, ouvert qu'il est à la fois aux influences en provenance du sud, du nord et de l'est.

Les bornes chronologiques d'un « Ancien Régime » de l'épidémie sont naturellement plus mouvantes que celles qui résultent des mutations poli- tiques; elles modèlent en fait celles de cette étude : le choc inouï de la

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Grande Peste (1348) d'une part, bouleversement sans précédent en Occident, la révolution pastorienne du XIX siècle de l'autre qui, par la modification radicale de l'appréhension médicale qu'elle a causée, a ouvert de manière réaliste la porte à un monde nouveau, en lente gestation depuis le XVIII siècle, un monde où la maladie n'est plus subie mais efficacement combattue.

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Jalons chronologiques et tableaux cliniques

Afin de bien délimiter un sujet aux formes mouvantes et de fixer les grands traits de sa chronologie, ce chapitre introductif en décrit quelques manifestations parmi celles qui ont soit marqué profondément les consciences, soit signifié des changements importants dans les formes ou dans la perception des épidémies. L'ordre adopté est chronologique et les exemples choisis sont empruntés à l'espace français dans un souci de cohérence et d'intelligibilité. On ne saurait cependant oublier qu'avec les Grandes découvertes, puis la multiplication et l'intensification continue des échanges, le monde a connu, depuis le XVe siècle, un phénomène général d'unification microbienne.

DES M A U X SUBIS

D u t emps de la lèpre à celui de la pes t e

❑ La fin de la lèpre. Le Moyen Age occidental avait été marqué par la lèpre. Importée d'Orient pendant le haut Moyen Age, puis largement diffusée au XI siècle à l'occasion des croisades et réputée incurable, la maladie avait sévi en Europe jusqu'au XIV siècle ; elle avait disparu dans les années 1410-1430 (peut-être évincée par le bacille de Koch ou par les progrès de la nutrition). Cette affection proche de la tuberculose se présente sous deux formes : tuberculoïde à taches cutanées anesthésiques, elle infiltre lentement les nerfs, paralyse et atrophie les extrémités du corps et évolue durant vingt ou trente ans; la forme lépromateuse avec ses nodules qui infiltrent la peau est plus rapide et débouche en deux ou trois ans sur la mort. D'abord discrètes, les deux formes de la maladie, dont on a depuis toujours reconnu le caractère contagieux, aboutissent à une véritable autodestruction du corps. Le troisième concile de Latran (1179) avait décrété à son endroit des mesures prophylactiques reprises dans les ordonnances du pouvoir royal et qui ont été abondamment décrites : expertise des cas suspects, exclusion des lépreux de la vie sociale, rituel ecclésiastique de séparation apparenté à

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l'office des morts et enfermement à vie dans les léproseries, parfois même privation de capacité civile ; au surplus les lépreux sont l'objet d'accusations diverses : on les suspecte par exemple, notamment en temps de peste, d'empoisonner sources et puits...

Le dense réseau d'établissements spécialisés, léproseries ou maladreries, qui s'était mis en place à partir du XV siècle devient sans objet à partir du XV siècle, époque à laquelle, sans qu'on puisse donner d'explication déci- sive à ce phénomène, la lèpre disparaît généralement en Europe; il est toutefois à noter qu'elle subsiste en Norvège où Hansen identifiera sa cause en un bacille voisin de celui de Koch en 1873.

❑ L'ère de la peste. La peste quant à elle, n'avait pas été une inconnue pour l'Antiquité ni pour le haut Moyen Age, mais elle l'était devenue à compter du milieu du VIII siècle. De là l'effet spectaculaire que produisit sa brutale réapparition dans les années 1340, d'abord en Asie centrale d'où elle atteint la mer du Nord par les comptoirs de Crimée qui sont en contact avec l'Occident. En 1347, l'épidémie est à Constantinople, de là elle passe en Sicile ; en 1348 elle est à Marseille avec les galères génoises. A partir des ports, toute l'Europe continentale est rapidement envahie et c'est la grande épidémie de peste dite « noire » du nom des plaques gangréneuses noirâtres qui se développaient sur la peau des malades autour des piqûres de puces.

On admet généralement qu'en l'espace de trois ou quatre ans l'Europe fut ainsi privée d'environ un tiers à la moitié de sa population, catastrophe démographique la plus brutale qu'ait jamais connue l'humanité, dont les conséquences furent multiformes. Immédiatement la maladie a été perçue par les contemporains comme exceptionnelle ; le médecin du pape Clé- ment VI, Guy de Chauliac, constatait : « Il n'y en a point de telles. Car celles-là [les autres] n'occupèrent qu'une région, celle-ci tout le monde, celles-là étaient remédiables en quelqu'un, celle-ci en nul ».

La diffusion de l'épidémie, soigneusement étudiée par Jean-Noël Biraben, s'est effectuée selon deux modes : maritime sur de très longues distances, terrestre depuis les côtes vers l'intérieur des terres. On peut décomposer sa marche en huit grandes phases :

1. 1347-début 1348 : de la mer Noire aux ports de la Méditerranée via Constantinople.

2. Début 1348 : diffusion à l'intérieur des terres du pourtour méditerra- néen.

3. Milieu 1348 : côte atlantique jusqu'en Normandie et passage en Angle- terre et en Irlande.

4. Fin 1348 : pénétration par terre jusqu'à la mer du Nord. 5. 1349-1350 : ports de la mer du Nord, Danemark, Norvège, Frise. 6. Extension au Jutland et à l'Allemagne du Nord et à ses ports. 7. Été 1350 : extension aux ports et pays riverains de la Baltique. 8. Par la Pologne du nord et la Lithuanie, la Russie est atteinte en 1352.

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La diffusion de la Peste noire en France (1348-1349)

In J. Dupâquier (éd.), Histoire de la population française, t. 1, PUF, 1988, p. 315.

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Cette progression est rythmée par les saisons, s'arrête ou diminue sen- siblement à la saison froide, reprend de sa vigueur au printemps. Elle s'accélère le long des grands axes de communication comme à la descente des fleuves, ralentit sur les routes secondaires. Elle met 115 jours à parcourir les 226 km qui séparent Avignon de Lyon, 25 jours à aller de Narbonne à Perpignan, et on a pu la créditer d'une vitesse moyenne de 75 km par jour.

Au surplus, la marche effective de la peste fut plus lente que la propaga- tion de la nouvelle de son arrivée qui la précéda et influença le comporte- ment des populations : fuite, réclusion, violence contre les juifs et les lépreux, excès des flagellants, furent des réactions dont nous aurons à reparler.

Archétype mythique de l'épidémie, la Grande Peste n'a pas eu, à propre- ment parler, de fin. Désormais et pour plusieurs siècles, l'Europe occiden- tale subit les attaques de la peste chaque année et en plusieurs lieux.

En ce domaine, deux zones sont à distinguer à la fois séparées et réunies par la Méditerranée, principale voie d'échanges et donc de pénétration de la peste en Occident : un ensemble nord-occidental regroupe la quasi-totalité des pays européens à l'exception des Balkans et du sud de l'Ukraine ; dans ces terres de chrétienté la maladie ne se maintient pas de façon durable et spontanée, ce qui est, en revanche, le cas dans la zone sud-orientale, celle des pays méditerranéens en majorité musulmans (du Maghreb à l'Ukraine et aux Balkans en passant par le Levant).

Les régions nord-occidentales connaissent 31 poussées séparées par 38 rémissions entre 1347 et 1772; on peut y distinguer trois périodes :

— 1347-1534 (188 ans), avec des cycles réguliers d'une poussée tous les 9 à 11 ans;

— 1536-1683 (148 ans) : 11 poussées (et 5 annexes) avec des espacements beaucoup plus irréguliers de 7 à 31 ans et des amplitudes très variables;

— 1684-1722 (88 ans) : trois épisodes seulement, restreints et localisés.

La région sud-orientale se caractérise d'abord par la rareté de l'informa- tion pour le Moyen Age. Ensuite on distingue la périodisation suivante :

— 1500-1650 : 4 grandes poussées; — 1650-1750 : 8 grandes poussées (et une annexe) ; — 1750-1842 : 8 grandes poussées très régulières. La dernière épidémie

en 1842 marque la fin de l'ère de la peste en Occident. Il est impossible de fournir une explication unique et décisive de la disparition de la peste; beaucoup de facteurs ont été mis en avant, certains ayant pu jouer simultané- ment un rôle : résultat des mesures de prophylaxie sanitaire, changements intervenus dans le climat, croisements d'immunités (notamment avec la pseudotuberculose), progrès de l'hygiène, mutations des espèces murines, etc.

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Nombre de lieux touchés annuellement par la peste en France de 1347 à 1722 (série rectifiée)

In Jean-Noël Biraben, Le Hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, t. 1, Mouton, 1975, p. 120.

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La peste en France aux XVIIe et XVIIIe siècles

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In François Lebrun Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers aux 17e et 18e siècles, Temps actuels, 1983, pp. 162-163.

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❑ En France, jusqu'en 1630, sévit un mal qui, compte tenu des chiffres de mortalité qu'on peut lui attribuer, va malgré tout décroissant. Pour la seule France, on a une suite quasi ininterrompue d'épidémies jusqu'en 1670, avant la crise isolée et ultime qui affecte la Provence en 1720-1722. Au cours de ces trois siècles, des poussées violentes concernent des périodes de un à cinq ans, entre lesquelles la contagion régresse et va jusqu'à sembler disparaître : on dénombre 26 poussées principales et 11 annexes, séparées par 36 périodes de rémission dont 27 correspondent à des phases d'endémie et 9 semblent avoir été totales. On peut distinguer les périodes suivantes :

— de 1347 à 1536, les poussées se succèdent régulièrement tous les 11 ou 12 ans;

— de 1536 à 1670, on constate une poussée tous les 15 ans d'une durée variant de 7 à 23 ans. Les plus violentes ont lieu de 1600 à 1616 et surtout de 1628 à 1642, période durant laquelle la maladie touche l'ensemble du pays. Puis la régularité s'estompe et les dernières poussées sont plus limitées et marquent bien le recul de la peste ;

— en 1720-1722 enfin, c'est une réapparition d'autant plus frappante qu'isolée et désormais inhabituelle : la peste est contenue à Marseille et en Provence.

1630 marque, après 1348, la seconde grande date à retenir : c'est pour la France la dernière époque où la peste sévit à échelle nationale et s'ajoute à d'autres phénomènes économiquement calamiteux pour saluer l'avènement de l'État moderne. Cette seule année, plus de cent localités sont atteintes, alors que le mal régresse nettement après 1640 pour disparaître quasiment à partir de 1670.

Aussi la résurgence marseillaise de 1720 est-elle intervenue, comme celle de 1348, dans un climat d'oubli de la part des populations qui y furent soumises ; elle provoqua un effroi qui fut hors de proportion avec les effets directs de l'épidémie. Néanmoins, elle présenta, une ultime fois dans notre pays, toutes les composantes classiques de l'épidémie en y ajoutant un élément nouveau et décisif : l'intervention de l'Etat. C'est pourquoi le récit peut en être considéré comme exemplaire.

L ' é v é n e m e n t : la pes te de Marse i l le (1720-1722)

❑ Un bâtiment pestiféré. Le 25 mai 1720 arrivait au large de Marseille le navire Le Grand Saint-Antoine. Il en était parti le 22 juillet 1719 pour Smyrne, avait touché à Mosconossy, Seyde, Sour, Tripoli de Syrie (où un premier mort turc n'avait guère attiré l'attention), Chypre. Durant la traversée de retour, on dénombre à son bord cinq décès; à Livourne, où il n'est pas admis, on estime qu'il s'agit de « fièvres malignes pestilentielles »

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qui atteignent un nouveau matelot avant Marseille. Une escale au Brusc sur la côte varoise permet au capitaine d'entrer discrètement en contact avec les commanditaires marseillais, et les intérêts privés immédiats l'emportent sur ceux plus aléatoires de la communauté : la cargaison est estimée à quelque 300 à 400 000 livres, et la foire de Beaucaire qui doit en permettre la commercialisation commence le 22 juillet...

C'est donc un bâtiment pestiféré tant par ses hommes que par ses marchandises qui va infecter le système pourtant élaboré de défense sani- taire de Marseille et en démontrer les limites, marchandises et passagers entrent aux infirmeries; en juin, le décès de gardes de la santé impose pourtant le renvoi du bâtiment à l'île isolée de Jarre pour y recommencer sa quarantaine, puis on décide la suspension de toute entrée en ville. Mais ces mesures sont trop tardives ; la peste est aux infirmeries et la contrebande va la faire pénétrer en ville.

❑ Une ville morte. Le 20 juin, rue Belle-Table, dans les quartiers popu- laires, meurt une certaine Marie Dauplan, la première victime d'une très longue série. Dans les jours qui suivent, la mort continue à frapper. Le 9 juillet, deux médecins nomment la maladie, la peste, mais les responsables s'obstinent à considérer qu'il s'agit d'accidents; officiellement, la santé de la ville est bonne. C'est que l'enjeu économique est cette fois d'une envergure autre que le sort d'une seule cargaison : qui dit peste déclarée dit isolement de la cité, entraînant sa coupure avec le reste du monde, donc l'interruption des relations commerciales dont vit Marseille.

Cependant en juillet la mortalité s'enfle et l'épidémie est enfin reconnue avec ce qu'elle comporte de sinistres convois de cadavres, d'isolement des malades, de fuite ou de réclusion volontaire des bien portants... D'Aix, le Parlement de Provence sanctionne la gravité de la situation : il rend un arrêt faisant défense aux Marseillais de sortir des limites de leur territoire et aux habitants de Provence de communiquer avec eux.

En août la ville s'embrase : à cause des bûchers qu'on y allume sur le conseil des médecins pour tenter d'enrayer le mal, du soufre qu'on y brûle dans les maisons, ou de la progression de la maladie ; début août, il meurt 50 personnes par jour ; à la fin du mois, 1 000 personnes. La vie économique s'arrête, le chômage s'étend, le prix des denrées s'envole, le problème du ravitaillement se pose ; toutes les institutions sanitaires et hospitalières sont débordées et les rues commencent à recevoir les cadavres abandonnés sans sépulture et les agonisants dont tout le monde se détourne. La fin d'août et le début de septembre marquent le paroxysme de la maladie. Les forçats sont affectés au transport des cadavres moyennant la promesse d'une liberté que la mort leur ravit aussitôt. Le déblaiement de l'esplanade de la Tourette sous l'énergique direction du chevalier Roze est resté l'épisode le plus célèbre de cette lutte contre l'envahissement de la mort, avec l'image de l'évêque Belsunce, émule de Charles Borromée, parcourant les rues pour distribuer secours matériels et spirituels.

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ment fondées. C'est un véritable renversement de perspective : le recours religieux est considéré comme un signe de résignation, face à une démarche médicale qui prend le relais. L'inefficacité thérapeutique persiste mais elle est moins démentie dans les faits en raison du recul de la peste.

❑ Convergences chronologiques. Cette ambiance nouvelle, sensible en de nombreux domaines, oblige, dans un premier temps, à mettre l'accent sur le tournant essentiel de la seconde moitié du XVIII siècle. A une époque marquée par la sécularisation, l'ensemble du système d'Ancien Régime perd alors sa cohérence et l'unité de son discours.

La lente érosion de ce système de référence et la complexité des inter- actions qu'elle suppose interdit de lui fixer des bornes chronologiques strictes. Mais, si l'on admet que la peste est bien, outre l'archétype quasi mythique de l'épidémie, un ingrédient de l'Ancien Régime, on peut estimer qu'elle contribue à en définir une chronologie propre. Le point de départ c'est de toute évidence 1348, le choc fondateur; le point d'arrivée objectif est, pour la France, 1720-1722, années de l'ultime épidémie de peste, avec cette réserve, on l'a vu, que son impact lui a survécu. La peste de Marseille et de Provence faisait déjà figure de survivance, comme si la maladie n'avait plus sa place en un siècle de changement et de progrès. Entre ces deux bornes chronologiques, quelques dates émergent : 1630 marque le paroxysme de l'épidémie qui sévit dans tout le royaume; 1680, la fin des épidémies périodiques et régulières; 1760-1770, la fin de l'emprise mentale de la peste.

Or 1630 et 1760 sont bien les deux dates charnières de leur siècle, de l'affirmation triomphante de la monarchie absolue avec la venue au pouvoir du cardinal de Richelieu, à la désagrégation de l'Ancien Régime dans les années 1760, avec la crise de l'État monarchique.

Dans un second temps, il faut jouer les prolongations, car cet Ancien Régime de l'épidémie survit au XIX siècle. L'impuissance médicale persis- tante face aux fléaux et à leur propagation fait renaître les réactions des siècles précédents et cela tant qu'aucune explication rationnelle et thérapeu- tiquement performante n'est fournie par la science, c'est-à-dire jusqu'aux années 1880. L'ancien schéma de représentations religieuses autoritaires ne joue plus son rôle de fondement de l'organisation sociale et de source incontestée d'explications; encore invoqué faute de mieux, il est surtout remis ouvertement en question. Certes, il tend à se muer en une causalité d'ordre moral qui prolonge jusqu'à nos jours la culpabilisation liée à la maladie (de la syphilis au sida, les maladies sexuellement transmissibles illustrent parfaitement ce mouvement) et peut être mis au compte des réactions de l'esprit humain toujours affronté au problème du mal.

Malgré cela, la fin de cet Ancien Régime de l'épidémie peut être fixé au moment où les réponses humaines deviennent efficaces; elle date des découvertes de la microbiologie et de la conversion du monde au pasteu-

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risme (1873, découverte du bacille de Hansen, 1883, du bacille de la tuberculose et du vibrion cholérique par Koch, 1894, du bacille de Yersin). Le changement se lit clairement dans les éditions successives du Dictionnaire de médecine de Littré : de la notion d'infection l'édition de 1865 donne la définition suivante : « action exercée sur l'économie [du corps] par des miasmes morbifiques » ; celle de 1908 sanctionne le changement par cette définition modifiée : « action exercée sur l'économie par des agents animés le plus souvent du groupe des bactéries ».

Durant des siècles, on avait dû s'accommoder de discours théoriques sans relation avec l'observation clinique, de thérapeutiques de peu d'efficacité. Avec la doctrine microbienne, on entre dans un autre monde, celui de l'observation précise, de l'expérimentation et du raisonnement contrôlé. Les théories médicales comportent désormais une confirmation objective et vérifiable et ont pour conséquence une sanction thérapeutique. L'esprit humain trouve enfin la réponse à sa recherche de causalité et à son désir d'efficacité : chaque maladie est causée par son microbe et peut être prévenue par un vaccin.

Les épidémies ont été le premier champ d'expérimentation de cette recherche. Dans le cadre de la lutte menée contre elles pendant des siècles, on est ainsi passé de l'exclusion empirique des malades à la prévention de la maladie par le vaccin. Cet itinéraire a abouti à deux actions politico- médicales dont le poids financier actuel dit assez l'importance qu'elles ont prise dans le monde contemporain : la pratique de la médecine préventive et la mise en œuvre d'une politique de santé publique.

DOCUMENTS

■ Les difficultés de l'étude démographique des épidémies

Travaux du Conseil de salubrité de l'arrondissement de Beauvais relatifs à la mortalité cholérique en 1849.

Ces documents illustrent, outre l'impact démographique du choléra, la manière dont étaient réunies les données des statistiques démographiques dressées au milieu du XIXe siècle.

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1. Lettre du secrétaire du Conseil de salubrité de l 'ar rondissement de Beauvais au préfet de l 'Oise (Beauvais, 20 mars 1850).

[...] Je joins à cet envoi celui d'un autre rapport chargé de vous faire connaître, ainsi que vous en avez exprimé la volonté, l'historique des décès et des causes de mort dans la ville de Beauvais pendant l'année 1849.

Dans une entrevue que nous avons eu avec vous, Monsieur le Préfet, nous vous avons témoigné le regret de ne pouvoir étendre, ainsi que vous le désiriez, nos recherches au-delà de Beauvais, parce que là seulement nous avons pu trouver les documents qui ont servi à composer les tableaux du rapport dont il s'agit.

Vous avez paru frappé de la remarque, et vous avez bien voulu nous informer de votre intention de prendre un arrêté dans la vue d'obliger tous les médecins du département, non seulement de certifier le décès de leurs malades (qui seul peut être inscrit sur les registres d'état civil), mais aussi d'indiquer l'âge de chacun des décédés et la cause de leur décès. Il est entendu que ces dernières indications seront tenues en réserve dans chaque mairie, comme elles le sont à la mairie de Beauvais, et qu'elles seront utilement consultées pour composer un travail tel celui que nous vous soumettons ici.

Le Conseil de salubrité du 1 arrondissement considère cette mesure rendue générale comme devant préparer des appréciations statistiques d'un très grand intérêt et dont plus tard on aura sujet de se féliciter. [...]

2. Tableau statist ique d ressé par le Conseil de salubrité de l 'ar rondissement de Beauvais (Beauvais, 15 mars 1850).

[...] Les 153 cholériques qui ont succombé à cette maladie se répartissent ainsi selon les âges et les sexes :

Le premier décès a eu lieu le 27 avril, le dernier, le 9 novembre.

Avril : 2 décès Mai : 39 décès Juin : 96 décès Juillet : 10 décès Août : 2 décès Septembre : 1 décès Octobre : 1 décès Novembre : 1 décès

Total : 153 décès

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[...] Pour rendre notre travail un peu plus intéressant et surtout plus complet, nous avons pensé qu'il pourrait être utile de résumer dans le court tableau ci-dessous la statistique de l'épidémie de 1832. Elle a duré du vingt avril au vingt-trois septembre et a donné 169 morts, dont 63 à l'Hôtel-Dieu et 106 à domicile.

Ils se répartissent ainsi selon les mois, les âges et les sexes :

Avril : 26 décès Mai : 63 décès Juin : 34 décès Juillet : 28 décès Août : 13 décès

Septembre : 5 décès

Total : 169 décès

3. 6e procès-verbal du Conseil de salubrité e t d 'hygiène publique de l 'ar rondissement de Beauvais (17 octobre 1850).

[...] Puis le secrétaire a rendu compte du travail résultant des renseignements demandés aux maires des communes qui ont été atteintes du choléra en 1849. Ces renseignements, plus ou moins complets, ont été classés dans les tableaux conformément au programme.

On ne peut reproduire ici que très sommairement les principales observations de l'enquête locale, c'est-à-dire de l'arrondissement. [...]

On a établi le chiffre officiel de la population de 1830 à 1845 dans les communes qui ont été atteintes du choléra et, malgré le nombre des victimes de l'épidémie de 1832, il a été reconnu que, dans presque toutes les communes, la population a augmenté plutôt que diminué; qu'après ces quinze années écoulées, elle a augmenté à Beauvais de 2 660, à Allonne de 187, à Saint-Samson de 39, à Grandvillers de 4, à Méru de 586, à Amblain ville de 46, à Quincampoix elle a diminué de 198, au Fay Saint-Quentin de 19 et à Oudeuil de 14. [...]

Le tableau de la mortalité jour par jour a été établi seulement pour Beauvais; les matériaux ont manqué pour les autres communes.

Nous avons vu qu'il n'a été dressé aucun état des attaques et de la mortalité cholérique dans les établissements industriels ou manufacturiers, non plus qu'à l'Hôtel-Dieu ou au Bureau des pauvres, etc.

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En faisant le dénombrement des morts du choléra, il paraît démontré que dans notre arrondissement, la population agricole serait celle qui a le moins souffert et que les gens inoccupés, les propriétaires compris, ont fourni un chiffre énorme relativement. [...]

Nous avons vu que la mortalité à Beauvais en 1849 a été de 551 individus, parmi lesquels on compte 153 décès par le choléra.

Nous avons vu aussi que dans l'épidémie de 1832, comme dans la dernière, la classe indigente a été abondamment secourue.

Il serait curieux de savoir le degré de susceptibilité que l'on acquiert à contracter le choléra sous l'influence de diverses sortes d'intempérance et de la peur.

Nous avons observé que les gens énergiques ne paraissent point aptes à contracter cette maladie aussi facilement que les gens faibles et pusillanimes. [...]

(Archives de l'Oise, série M)

■ Var io le e t c h o l é r a en N o r m a n d i e a u XIXe siècle

1. Persis tance de la variole en Normandie.

Les épidémies de variole à Caen :

1864-1866 — 121 varioleux, 10,7 % de morts 1870-1871 — 643 varioleux, 20,1 % de morts

1881 — 69 varioleux, 30,3 % de morts

Répartition des varioleux par tranches d'âges et par sexe (%) à Caen, Lisieux et Bayeux de 1860 à 1874.

La mortalité variolique : pourcentage des décès par rapport à l'effectif des malades de chaque tranche d 'âges à Caen, Lisieux et Bayeux de 1860 à 1874.

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2. Le choléra à Caen de 1832 à 1873.

Répartition des cholériques par tranches d 'âge et par sexe (%)

La mortalité cholérique : pourcentage de décès par rapport à l'effectif des malades de chaque tranche d'âge :

Durée d'hospitalisation des cholériques décédés :

Moins de 48 heures : 39,6 % 3 ou 4 jours : 21,3 % 5 à 9 jours : 22,2 %

10 à 14 jours : 12,6 % 15 à 19 jours : 4,3 %

D'après G. Désert, Les archives hospitalières, source d'histoire économique et sociale, Caen, 1977.

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Bibliographie

■ Ouvrages généraux

— Les épidémies considérées dans un ensemble plus vaste sont présentées dans :

F. BRAUDEL et E. LABROUSSE (dir.), Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, 8 vol., 1970-1982.

J. DELUMEAU et Y. LEQUIN (dir.), Les malheurs des temps. Histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, Larousse, 1987.

G. DUBY et A. WALLON (dir.), Histoire de la France rurale, Paris, Le Seuil, 4 vol., 1975-1976.

G. DUBY (dir.), Histoire de la France urbaine, Paris, Le Seuil, 5 vol., 1980-1985.

J. DUPAQUIER (dir.), Histoire de la population française, t. 1 à 3, Paris, PUF, 1988.

— Présentation de l'Ancien Régime dans :

P. GOUBERT et D. ROCHE, Les Français et l'Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2 vol., 1984.

H. MÉTHIVIER, L'Ancien Régime en France. XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1981.

— Présentation d'un aspect important d'histoire générale dans :

M. FOGEL, L'État dans la France moderne de la fin du XVe au milieu du XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1992.

J. MEYER, Le poids de l'État, Paris, PUF, 1983.

■ Études portant sur des maladies épidémiques

— La lèpre :

F. BÉRIAC, Histoire des lépreux au Moyen Age, Paris, Imago, 1988. F.-O. TOUATI, Lèpre, lépreux et léproseries dans la province ecclésiastique de

Sens jusqu'au milieu du XIVe siècle, thèse, 1992 (sous presse).

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— La peste :

J.-N. BIRABEN, Les hommes et la peste dans les pays européens et méditerra- néens, Paris-La Haye, Mouton, 2 vol., 1975-1976.

A. CAMUS, La Peste, Paris, Gallimard, 1947. Ch. CARRIÈRE, M. COURDURIÉ, F. REBUFFAT, Marseille ville morte. La

peste de 1720, Marseille, M. Garçon, 1968. D. DEFOE, Journal de l'année de la peste, rééd., Paris, Folio, 1982. F. HILDESHEIMER, La Terreur et la Pitié. L'Ancien Régime à l'épreuve de la

peste, Paris, Publisud, 1990. Images de la maladie. La peste et l'histoire, n° spécial de Sources, Travaux

historiques, 1990. M. LUCENET, Les grandes pestes en France, Paris, Aubier, 1985. H. MOLLARET et J. BROSSOLET, Alexandre Yersin, le vainqueur de la peste,

Paris, Fayard, 1985. J. NOHL, La mort noire. Chronique de la peste, Paris, Pavot, 1985.

— La variole :

Y.-M. BERCÉ, Le chaudron et la lancette. Croyances populaires et médecine préventive, Paris, Presses de la Renaissance, 1984.

P. DARMON, La longue traque de la variole. Les pionniers de la médecine préventive, Paris, Perrin, 1985.

P. DARMON, La variole, les nobles et les princes. La petite vérole mortelle de Louis XV, Bruxelles, Complexe, 1989.

— La syphilis :

CI. QUÉTEL, Le mal de Naples. Histoire de la syphilis, Paris, Seghers, 1986.

— Le choléra :

P. BOURDELAIS et J.-Y. RAULOT, Une peur bleue. Histoire du choléra en France, Paris, Payot, 1987.

P. BOURDELAIS et A. DODIN, Visages du choléra, Paris, Belin, 1987. P. DELAPORTE, Le savoir de la maladie : essai sur le choléra de 1832 à Paris,

Paris, PUF., 1990. A.-P. LECA, Et le choléra s'abattit sur Paris. 1832, Paris, Albin Michel, 1982.

— La tuberculose :

I. GRELLET et C. KRUSE, Histoire de la tuberculose. Les fièvres de l'âme (1800-1950), Paris, Ramsay, 1983.

P. GUILLAUME, Du désespoir au salut. Les tuberculeux aux XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1986.

— Quelques travaux relatifs au phénomène épidémique :

J.-P. BARDET, P. BOURDELAIS, P. GUILLAUME, F. LEBRUN, CI. QUÉTEL (dir.), Peurs et Terreurs face à la contagion, Paris, Fayard, 1988.

B. BENNASSAR, Recherches sur les grandes épidémies dans le Nord de l'Espagne à la fin du XVIe siècle, Paris, EHESS, 1969.

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J.-P. DESAIVE, J.-P. GOUBERT, E. LE ROY LADURIE, J. MEYER, O. MULLER, J.-P. PETER, Médecins, climats et épidémies à la fin du XVIIIe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1972.

G. DÉSERT, Les archives hospitalières source d'histoire économique et sociale, Caen, 1977 (Cahier des Annales de Normandie, n° 10).

L'Épidémie. Traverses, Centre Georges Pompidou, n° 32, septembre 1984. E. LE ROY LADURIE, « Un concept : l'unification microbienne du monde

( X I V siècle) », dans Le Territoire de l'historien, t. II, Paris, Galli- mard, 1976, pp. 37-97.

W.H. Mc NEILL, Le temps de la peste. Essai sur les épidémies dans l'histoire, Paris, Hachette, 1978.

J. RUFFIÉ et J.-C. SOURNIA, Les épidémies dans l'histoire de l'homme, Paris, Flammarion, 1984.

■ Infirmité et folie

M. CAPUL, Les enfants placés sous l'Ancien Régime, t. I : Abandon et marginalité ; t. II : Infirmité et hérésie, Toulouse, Privat, 1989-1990.

M. COLLÉE et Cl. QUÉTEL, Histoire des maladies mentales, Paris, PUF, 1987. M. FOUCAULT, Histoire de la folie à l'âge classique, Paris, Gallimard, 1972. M. LAHARIE, La folie au Moyen Age, Paris, Le Léopard d'Or, 1991.

■ Institutions sanitaires et hospitalières

— Quarantaines et lazarets :

C. CIPOLLA, Contre un ennemi invisible. Épidémies et structures sanitaires en Italie de la Renaissance au XVIIe siècle, Paris, Balland, 1992.

A. DECHAMBRE, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Paris, P. Asselin et G. Masson, 3 série, t. I, 1874 (article quarantaines par L. Colin, pp. 3-171).

F. HILDESHEIMER, Le Bureau de la santé de Marseille sous l'Ancien Régime. Le renfermement de la contagion, Marseille, Fédération historique de Provence, 1980.

F. HILDESHEIMER, « La protection sanitaire des côtes françaises au XVIII siècle », dans Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1980, pp. 443-457.

F. HILDESHEIMER, « Marseille capitale sanitaire de la France », dans Actes du 101e Congrès national des Sociétés savantes (Montpellier, 1985), His- toire moderne et contemporaine, t. I, Paris, 1985, pp. 135-149.

D. PANZAC, Quarantaines et lazarets, Aix-en-Provence, Edisud, 1987.

— Les hôpitaux :

F. HILDESHEIMER et Chr. GUT, L'assistance hospitalière, Paris, Publisud, 1992.

J. IMBERT (dir.), Histoire des hôpitaux en France, Toulouse, Privat, 1982.

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— Une monographie qui conjugue aspects sanitaires et hospitaliers :

R. NOUGARET, Hôpitaux, léproseries et bodomies de Rodez de la grande peste à l'hôpital général (vers 1340-1676), Rodez, Subervie, 1986.

■ Médecine et malades

P. CAMPORESI, La chair impassible, Paris, Flammarion, 1986. M. FOUCAULT, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963. J.-P. GOUBERT, Médecins d'hier, médecins d'aujourd'hui. Le cas du docteur

Lavergne, Paris, Publisud, 1992. Cl. HERZLICH et J. PIERRET, Malades d'hier, malades d'aujourd'hui, Paris,

Payot, 1984. F. LEBRUN, Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers aux XVIIe et

XVIIIe siècles, Paris, Temps actuels, 1983. F. Loux, Pierre Martin de la Martinière. Un médecin du XVIIe siècle, Paris,

Imago, 1988. M. SENDRAIL (dir.), Histoire culturelle de la maladie, Toulouse, Privat, 1980. J.-C. SOURNIA, Histoire et médecine, Paris, Fayard, 1982. J.-C. SOURNIA, Histoire de la médecine et des médecins, Paris, Larousse,

1991.

— Pasteur :

H. CUNY, Louis Pasteur et le mystère de la vie, Paris, Seghers, 1963. R. DUBOS, Louis Pasteur, franc-tireur de la science, Paris, PUF, 1955. R. VALLERY-RADOT, La vie de Pasteur, Paris, Hachette, 1900.

■ Vie matérielle

— Nombreuses notations dans les ouvrages de la collection « Vie quotidienne », entre autres :

G. CABOURDIN, La vie quotidienne en Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Hachette, 1984.

P. GOUBERT, La vie quotidienne du paysan français au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1982.

— Plus ancien mais toujours utile :

A. FRANKLIN, La vie privée d'autrefois, Paris, Plon, notamment t. I : Soins de toilette, 1887; t. X : Médecins, 1892; t. XI : Chirurgiens, 1893; t. XII : Variétés chirurgicales, 1894; t. XIII : Médicaments, 1891; t. XIV : L'hygiène, 1890.

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— La plus récente synthèse : Ph. ARIÈS et G. DUBY (dir.), Histoire de la vie privée, Paris, Le Seuil, 5 vol.,

1985-1987.

— Sur la crise de l'hiver 1693-1694 :

M. LACHIVER, Les années de misère : la famine au temps du Grand Roi, 1680-1720, Paris, Fayard, 1991.

— Santé, hygiène, comportement :

N. ELIAS, La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1969. J.-P. GOUBERT, La conquête de l'eau, Paris, Laffont, 1985. J. LÉONARD, Archives du corps. La santé au XIXe siècle, Ouest-France,

Rennes, 1986. N. MIKAÏLOFF, Les manières de propreté du Moyen Age à nos jours, Paris,

Maloine, 1990. D. ROCHE, La culture des apparences. Une histoire du vêtement. XVIIe-

XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1989. G. VIGARELLO, Le propre et le sale : l'hygiène du corps depuis le Moyen Age,

Paris, Seuil, 1985.

■ Violence, justice, société

R. BAEHREL, « La haine de classe en temps d'épidémie », dans Annales E.S.C., 1952, pp. 351-360.

Y.-M. BERCÉ, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1974.

Y.-M. BERCÉ, Fête et révolte. Des mentalités populaires du XVIe au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1976.

N. CASTAN, Justice et répression en Languedoc à l'époque des Lumières, Paris, Flammarion, 1980.

F. CHAUVAUD, De Pierre Rivière à Landru. La violence apprivoisée au XIXe siècle, Turnhout, Brépols, 1991.

M. FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.

A. LEBIGRE, La justice du Roi. La vie judiciaire de l'ancienne France, Paris, Albin Michel, 1988.

R. MUCHEMBLED, La violence au village (XVe-XVIIIe siècle), Turnhout, Bré- pols, 1989.

R. MUCHEMBLED, Le temps des supplices. De l'obéissance sous les rois absolus. XVe-XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, 1992.

■ Mort et peur

Ph. ARIÈS, L'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977. R. BAEHREL, « Épidémie et Terreur : histoire et sociologie », dans Annales

historiques de la Révolution française, 1951, pp. 113-146.

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P. CHAUNU, La mort à Paris, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978. J. DELUMEAU, La peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978. J. DELUMEAU, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident. XIIIe-

XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1983. J. HUIZINGA, L'automne du Moyen Age, rééd. Paris, Payot, 1975. E. PEWZNER, L'homme coupable. La folie et la faute en Occident, Toulouse,

Privat, 1992. Saint Sébastien. Rituels et figures. Catalogue d'exposition. Musée des Arts et

Traditions populaires, novembre 1983-avril 1984. A. TENENTI, La vie et la mort à travers l'art du XVe siècle, Paris, A. Colin,

1952. M. VOVELLE, Mourir autrefois. Attitudes collectives devant la mort aux XVIIe

et XVIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1974. M. VOVELLE, La mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard,

1983.

■ Quelques études régionales

R. BAEHREL, Une croissance : la Basse Provence rurale (fin XVIe s.-1789), rééd. Paris, EHESS, 2 vol., 1988.

J.-P. BARDET, Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les mutations d'un espace social, Paris, SEDES, 1983.

L. CHEVALIER, Classes laborieuses, classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, Paris, Hachette, 1984.

A. CROIX, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 2 vol., 1981.

P. GOUBERT, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l'histoire sociale de la France au XVIIe siècle, Paris, S.E.V.P.E.N., 1960.

F. LEBRUN, Les hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris-La Haye, Mouton, 1971.

A. MOLINIER, Stagnation et croissance. Le Vivarais aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, EHESS/J. TOUZOT, 1985.

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L'atelier de l'historien Sources et champs historiques

L e s s o u r c e s

Les sources narratives (récits, chroniques, etc.) de l'épidémie se caracté- risent par leur caractère répétitif ; leur discours est uniformément marqué par le nombre et la mort. On retrouve les mêmes éléments souvent en termes identiques dans les très nombreuses monographies d'épidémies, qu'elles soient contemporaines des événements ou postérieures.

Les sources administratives sont de plus en plus abondantes et centralisées au fur et à mesure que les pouvoirs publics interviennent en matière de santé publique ; il faut toutefois observer qu'elles portent sur des périodes de désorganisation et sont essentiellement urbaines. Pour l'Ancien Régime, si le Contrôle général des finances n'a que peu laissé d'archives (quelques documents dans la série H des Archives nationales), il existe un ensemble documentaire important dans les fonds du Secrétariat d 'État de la Marine (fonds marine des Archives nationales, séries B et B correspondance) ; on se reportera, en province, aux fonds d'intendances (série C des Archives départementales), ainsi qu'aux archives des hôpitaux et des institutions sanitaires souvent fort riches (voir par exemple le fonds très complet du Bureau de santé de Marseille qui constitue la série 200 E des Archives des Bouches-du-Rhône). Ces fonds concernent également l 'époque contempo- raine pour laquelle il existe des ensembles documentaires importants centra- lisés, au XIX siècle, par le ministère de l 'Intérieur (série F police générale, F police sanitaire et F hospices et secours des Archives nationales), à compléter localement par les documents issus de l'administration préfecto- rale (séries M et X des Archives départementales). Ne pas oublier égale- ment, pour la connaissance de la population et l 'appréhension de la morta- lité, les ressources des registres paroissiaux puis d'état civil (série E des Archives départementales ou Archives communales).

Les Archives communales contiennent une documentation à l'échelle

locale : les délibérations et la comptabilité sont à exploiter, ainsi que les dossiers spécialisés susceptibles de se trouver dans les séries GG, I et Q.

Enfin, les sources médicales (traités de médecine, d'anatomie, revues médicales, etc.) apporteront davantage à la connaissance de l'état de la

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médecine et des querelles doctrinales qu'à celle des épidémies. A signaler les archives de l'Académie de Médecine qui contiennent les dossiers de la Société royale de Médecine, ainsi que ceux du Comité central de vaccine.

D u c h r o n i q u e u r d ' au t re fo i s a u c h e r c h e u r d ' a u j o u r d ' h u i

❏ Des chroniques contemporaines des événements aux monographies éru- dites très nombreuses qui constituent l'essentiel de la bibliographie des épidémies jusqu'à une époque récente, la continuité est frappante : ce qui y est inlassablement mis en avant c'est une image de mort collective. Elle se déroule selon un schéma identique, dans un cadre urbain. La crise se noue en un lieu et à un moment spécifique, mais, d'une année à une autre, d'une localité à une autre, elle reproduit les mêmes épisodes, frappant la collecti- vité davantage que des hommes et des femmes individualisés.

Une telle surestimation de la catastrophe eu égard au bilan que l'on peut en établir doit inciter l'historien contemporain à envisager différemment les sources dont il dispose. Il lui faut d'abord en élargir le champ au contexte économique, social, culturel de l'épidémie, ainsi qu'aux systèmes de réfé- rence qui s'y rapportent (environnement religieux, déchristianisation, théo- ries scientifiques).

En bien des cas, il est conduit à s'interroger autant sur leur contenu que sur leur silence, pour en déduire ce qui n'y apparaît pas directement. En effet, compte tenu du caractère temporaire du temps d'épidémie, il convient de ne pas oublier de prendre en compte autant les effet directs de la maladie que ceux, plus indirects et souvent différés, de son reflux. La constatation de l'importance du recul de la peste à partir du XVIII siècle, par exemple, conduit à rechercher autant la lumière que l'ombre, la présence que l'absence de la maladie pour parvenir à une juste connaissance du phéno- mène épidémique; le silence est alors au moins aussi significatif que la prolixité répétitive.

A noter également les difficultés d'identification des maladies décrites dans les documents en des termes qui ne correspondent pas à nos connais- sances scientifiques.

❏ Un objet d'histoire renouvelé. Longtemps, les épidémies n'ont intéressé que le monde médical, uniquement soucieux d'élucider leurs causes, et les historiens locaux qui retraçaient ces événements notables dans le cadre de monographies. En 1848, le sixième centenaire de la Grande Peste avait été célébré sans véritable souci historique. C'est un critique littéraire berlinois, Johannes Nohl qui, en 1924, fait entrer la Grande Peste dans le champ de l'histoire en s'intéressant à ses conséquences et en publiant de nombreux textes inédits classés thématiquement. Il faut ensuite attendre les travaux de démographie historique pour éveiller durablement l'intérêt des historiens

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(par exemple, Le Beauvaisis de Pierre Goubert, 1960, fait la part des maladies). On découvre que les épidémies ont été non seulement des événements en soi, mais également un facteur permanent de l'histoire économique, sociale ou culturelle, qu'elles ont contribué à modeler les comportements et les mentalités. Elles sont ainsi devenues de « grands personnages de l'histoire d'hier » (B. Bennassar) tandis que l'on passait de l'histoire de la maladie à celle des malades.

A la suite de la peste avec Jean-Noël Biraben, la lèpre (F.-O. Touati), la variole (P. Darmon, Y.-M. Bercé), la syphilis (CI. Quétel), le choléra (P. Bourdelais), la tuberculose (P. Guillaume) ont trouvé leurs historiens, tandis que Jean Delumeau intégrait l'épidémie à l'histoire des mentalités et des conduites collectives.

En même temps, l'épidémie échappait à l'histoire de la médecine stricto sensu pour s'ouvrir à celle du corps et de l'hygiène privée et publique. Sous l'influence de l'anthropologie, on en est venu à admettre l'interaction entre le domaine de la culture et celui des conduites corporelles, ainsi que la gestion sociale de ces dernières en termes de pouvoir (N. Elias, M. Fou- cault). Parallèlement, on progressait dans la connaissance des institutions sanitaires (F. Hildesheimer, D. Panzac, C. Cipolla), pour lesquelles il reste encore beaucoup à faire. En ce domaine, l'histoire des épidémies s'appa- rente à celle de l'assistance dont elle constitue une page spécifique.

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