santé publiquedossier en 15 dossier juin 1996

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Dossier actualité et dossier en santé publique 15 juin 1996 L Sommaire Santé mentale L'individu, les soins, le système Cette situation va de pair avec une image profon- dément négative à la fois des malades mentaux et de ceux qui les soignent. Elle n’échappe heureu- sement ni à la réflexion ni aux remises en cause, ce qui a déjà conduit à une importante diversification des modalités de prise en charge, au souci d’infor- mer les sujets citoyens, à la création d’associations de patients etc. Il est grand temps que notre système de soins psy- chiatriques soit pensé en termes de demandes et de flux de patients et non pas en termes d’institu- tions. Les acteurs de santé mentale, notamment, doivent se situer quant à leurs intérêts profession- nels, en affirmant leurs champs de compétence et de responsabilité. L’enjeu apparaît de taille car il s’agit de permettre, à tout citoyen de ce pays un abord global de ses pro- blèmes de santé incluant sa souffrance psychique, adapté, modulable et souple, en raccourcissant le plus possible le temps passé entre l’émergence de sa souffrance et l’offre de soins, dans le respect du libre choix et si nécessaire dans la continuité. Si cela ne peut advenir, un scénario déjà observé dans d’autres pays ne pourra que s’imposer, la psy- chiatrie se cantonnant essentiellement alors dans de petits services de courts séjours, avec un extrahospitalier amenuisé. Ce dossier montre que la psychiatrie française a à sa disposition tous les atouts nécessaires pour éviter une telle issue. ter une telle réticence demeure au pire une opacité au mieux une grande complexité. Est-ce si vrai ? D’où l’intérêt de ce dossier qui rappelle que 30 % des actes de soins, dans un pays comme le nôtre, relèvent uniquement ou de façon prépondérante du relationnel. La psychiatrie s’impose donc comme étant bien plus qu’une simple discipline médicale. Elle infiltre de façon « horizontale » les pratiques de soins mais se situe également en amont par une réelle capacité préventive. Bien des problèmes persistent. L’offre de soins — dans et hors institutions — peut paraître insuffisante aujourd’hui. La prévention primaire, celle qui serait susceptible d’agir sur l’incidence, reste balbutiante. La prévention secondaire parvient à réduire l’évo- lution et la durée de la maladie en fonction du dé- veloppement des diverses composantes publiques, libérales et associatives, variable selon les lieux. La prévention tertiaire apparaît victime de l’articulation médico-sociale défaillante : la présence de réseaux véritablement coordonnés avec les dispositifs so- ciaux et la pratique médicale privée demeure l’ex- ception. Les perspectives de restructuration et d’avenir reposent sur une conception datant de plus de trente ans qui, si elle demeure valable sur bien des points, n’a pas supprimé un dispositif général hétéroclite et profondément inégalitaire. a santé mentale fait encore peur, et ceci au sein même du dispositif sanitaire. La ré- ponse généralement donnée pour explici- II La santé mentale et la psychiatrie en quelques chiffres VI Prévention et soins XIV L’offre des structures et des soignants XXIII La demande du patient et les réponses XXVII Le sujet guéri ou conforté XXX Tribune XL Bibliographie Adresses utiles

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page I

Dossieractualité et

dossier en

santé publique

15juin 1996

L

Sommaire

Santé mentaleL'individu, les soins, le système

Cette situation va de pair avec une image profon-dément négative à la fois des malades mentaux etde ceux qui les soignent. Elle n’échappe heureu-sement ni à la réflexion ni aux remises en cause, cequi a déjà conduit à une importante diversificationdes modalités de prise en charge, au souci d’infor-mer les sujets citoyens, à la création d’associationsde patients etc.Il est grand temps que notre système de soins psy-chiatriques soit pensé en termes de demandes etde flux de patients et non pas en termes d’institu-tions. Les acteurs de santé mentale, notamment,doivent se situer quant à leurs intérêts profession-nels, en affirmant leurs champs de compétence etde responsabilité.L’enjeu apparaît de taille car il s’agit de permettre, àtout citoyen de ce pays un abord global de ses pro-blèmes de santé incluant sa souffrance psychique,adapté, modulable et souple, en raccourcissant leplus possible le temps passé entre l’émergence desa souffrance et l’offre de soins, dans le respect dulibre choix et si nécessaire dans la continuité.Si cela ne peut advenir, un scénario déjà observédans d’autres pays ne pourra que s’imposer, la psy-chiatrie se cantonnant essentiellement alors dansde petits services de courts séjours, avec unextrahospitalier amenuisé.Ce dossier montre que la psychiatrie française a àsa disposition tous les atouts nécessaires pour éviterune telle issue.

ter une telle réticence demeure au pire une opacitéau mieux une grande complexité. Est-ce si vrai ?D’où l’intérêt de ce dossier qui rappelle que 30 %des actes de soins, dans un pays comme le nôtre,relèvent uniquement ou de façon prépondérante durelationnel. La psychiatrie s’impose donc commeétant bien plus qu’une simple discipline médicale.Elle infiltre de façon « horizontale » les pratiques desoins mais se situe également en amont par uneréelle capacité préventive.Bien des problèmes persistent. L’offre de soins —dans et hors institutions — peut paraître insuffisanteaujourd’hui. La prévention primaire, celle qui seraitsusceptible d’agir sur l’incidence, reste balbutiante.La prévention secondaire parvient à réduire l’évo-lution et la durée de la maladie en fonction du dé-veloppement des diverses composantes publiques,libérales et associatives, variable selon les lieux. Laprévention tertiaire apparaît victime de l’articulationmédico-sociale défaillante : la présence de réseauxvéritablement coordonnés avec les dispositifs so-ciaux et la pratique médicale privée demeure l’ex-ception. Les perspectives de restructuration etd’avenir reposent sur une conception datant de plusde trente ans qui, si elle demeure valable sur biendes points, n’a pas supprimé un dispositif généralhétéroclite et profondément inégalitaire.

a santé mentale fait encore peur, et ceciau sein même du dispositif sanitaire. La ré-ponse généralement donnée pour explici-

II La santé mentale et lapsychiatrie en quelqueschiffres

VI Prévention et soins

XIV L’offre des structures etdes soignants

XXIII La demande du patient etles réponses

XXVII Le sujet guéri ou conforté

XXX Tribune

XL BibliographieAdresses utiles

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page II

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Figure 1 Nombre d'entrées en hospitalisation complète

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1992199119901987

Figure 2 Nombre de journées d'hospitalisation complète

La sectorisation instaurée dans les annéessoixante avait pour but de faire sortir lapsychiatrie de sa structure asilaire, en

confiant à la même équipe l’ensemble de la fi-lière de soins, de la prévention à la réinsertion.

La France est donc découpée en 1 123 sec-teurs (812 adultes et 311 infanto-juvéniles),dont 58 % sont rattachés à un centre hospita-lier spécialisé, 33 % à un centre hospitalier gé-néral et 9 % à un hôpital privé faisant fonctionde service public. Si le service hospitalier alongtemps été le pivot du secteur, ce rôle estdésormais dévolu au centre médico-psycholo-gique, autour duquel s’articule l’ensemble desstructures médico-sociales.

Cette ouverture sur la ville a permis le dé-veloppement progressif des alternatives à l’hos-pitalisation à temps complet (hôpitaux de jouret de nuit, appartements thérapeutiques, accueilfamilial thérapeutique…) dont on a ainsi vurégulièrement diminuer le nombre de lits.

Nombre de pathologies qui entraînaient l’in-ternement sont maintenant prises en charge enambulatoire ou en temps partiel. L’hospitalisa-tion complète n’est indiquée que pour des sé-jours courts, mais parfois répétés, ce qui expli-que la stagnation du nombre des entrées maisaussi la diminution constante du nombre dejournées d’hospitalisation (figures 1 et 2).

On note cependant de grandes disparités ré-gionales. Le nombre de lits varie de 8 à 30 pour10 000 habitants, et ce inversement à la pré-sence des alternatives.

La santé mentale et lapsychiatrie en quelqueschiffres

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page III

La pathologie mentale et le secteur

En 1991, la file active des secteurs adultes étaitde 760 000 personnes, soit une augmentationde 15 % en 10 ans. On dispose sur ces patientsde renseignements assez précis, notammentgrâce à une étude de l’Inserm en 1993.

La répartition par tranche d’âge et par sexeest à peu près équivalente à celle de la popula-tion générale, malgré une surreprésentation dela tranche des 35-54 ans. Les moins de 20 ansreprésentent moins de 2 % de l’ensemble.

Les diagnostics les plus souvent retrouvéssont les schizophrénies (23 %), les dépressions(12 %), les troubles délirants (8 %), les troublesdu comportement et de la personnalité (8 %) etl’alcoolisme (7 %). On note une prédominanceféminine pour les dépressions, et masculinepour les schizophrénies et l’alcool. Les névro-ses, étant éclatées en de multiples sous-catégo-ries, n’apparaissent pas dans cette hiérarchie.Les psychoses représentent un tiers des patho-logies traitées par le secteur.

La sectorisation a permis une diversificationdes modes de prise en charge : 50 % des schi-zophrènes sont désormais suivis en ambula-toire, 19 % à temps partiel et 31 % en hospita-lisation à temps complet ; ils représententactuellement 43 % des hommes et 20 % desfemmes suivis en ambulatoire. Pour les dépres-sifs, ces chiffres sont respectivement de 79 %,7 % et 14 %.

Ainsi, en 1990, sur les 760 000 patients dela file active, 432 000 étaient suivis strictementen ambulatoire, 258 000 à temps partiel, 60 000à temps complet et 165 000 bénéficiaient d’uneprise en charge mixte. Mais même si la part del’hospitalisation a diminué, 40 % des patientshospitalisés le sont depuis plus d’un an et 15 %depuis plus de 10 ans.

Une approche sociologique du secteur mon-tre que, malgré certaines variations entre lesdifférents modes de prise en charge, il y a plusde célibataires, plus de gens vivant seul et unemoins bonne insertion socioprofessionnelle quedans la population générale.

La pathologie mentale et l’hôpital

Une enquête du Credes réalisée entre le 1er avril1991 et le 31 mars 1992 auprès d’un échantillonde 1 174 services hospitaliers a permis de défi-nir la part de chaque grand groupe de maladie

Une tentative d’harmonisation a bien eu lieu.À la définition d’indices fixant le nombre de lits(10 à 18 pour 10 000 habitants) et la part quedoivent prendre les alternatives dans l’équipe-ment global (50 %), s’est ajoutée l’obligationd’élaborer des schémas départementaux et ré-gionaux d’organisation. Ils doivent fixer lesobjectifs de la politique du secteur (diminutiondu nombre de lits, création des hôpitaux dejour…). 64 départements ont élaboré un servicedépartemental d’organisation, et 30 seulementl’ont chiffré.

Les pathologies mentales dans lapopulation générale

Les chiffres avancés sur la santé mentale de lapopulation générale proviennent d’études surdes échantillons réduits. La nature des critèresdiagnostiques retenus pour l’établissement desquestionnaires (exclusivement symptomatiquespuisque reposant sur le diagnostic on statisticalmanual of mental disorders, références nord-amériaines), ouvre un biais d’interprétation desrésultats. De plus, ils ne tiennent pas comptedes particularités culturelles, sociales et psy-chologiques individuelles, alors que le mêmesymptôme peut être ressenti différemment pardeux personnes. Il en résulte de grandes varia-tions dans les résultats. Nous citerons deux étu-des à titre d’exemple : d’un côté, l’enquête duCredes — qui mène depuis 1988 des enquêtessur la santé et la protection sociale (ESPS), en-quêtes annuelles auprès de ménages dont unmembre au moins est assuré social —, sur lesannées 1988-1991, regroupant 30 000 person-nes ; de l’autre, l’enquête sur la santé et lessoins médicaux effectuée par l’Insee en 1991-1992. Les résultats comparés sont les suivants :

Taux de personnes atteintes Credes Insee

d’au moins un troublemental ou du sommeil 11,5 % 17,8 %

d’un trouble du sommeil 5,4 % 6,5 %

d’un syndrome dépressif 4,3 % 4,9 %

d’anxiété 1,0 % 4,7 %

Les résultats de l’enquête ESPS 1994 duCredes retrouvent des chiffres comparables àceux de 1988-1991.

Page 4: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page IV

à chaque étape de l’hospitalisation : motifsd’entrée, diagnostics posés à l’entrée et diagnos-tics patents un jour moyen de l’année. On en-tend par diagnostic patent la totalité des mala-dies dont souffre le patient le jour de l’enquête,y compris les maladies associées.

Nous nous intéresserons uniquement auxdeux types de pathologie les plus fréquents : lestroubles mentaux et les maladies cardio-vascu-laires (figure 3).

La part représentée par chaque diagnosticvarie donc selon le moment considéré. Mais lenombre de diagnostics posés par patient semodifie également, passant en moyenne de 1,5motifs d’entrée à 1,9 diagnostics d’entrée puis2,9 diagnostics patents. Ainsi, même si leur partdiminue, le nombre absolu des diagnostics detroubles mentaux est multiplié par 1,6.

Les maladies mentales sont le premier dia-gnostic avant 64 ans, et le deuxième chez lespersonnes âgées.

Si on s’intéresse au taux de prévalence selonle type de maladie (nombre de patients concer-nés par un type de maladie par rapport à l’en-semble des patients), en différenciant diagnos-tics principaux et associés, on trouve les chiffresrésumés dans le tableau suivant :

Patients diagnostic concernés principal associé

Troubles mentauxet du sommeil 38,8 % 25,9 % 12,9 %

Maladiescardio-vasculaires 37,7 % 12,5 % 25,2 %

Les maladies cardio-vasculaires représen-tent plus de diagnostics patents que les troublesmentaux (cf. figure 3) mais, comme elles s’as-socient souvent chez le même individu, leurtaux de prévalence est moins élevé.

Globalement, les troubles mentaux et dusommeil représentent deux fois plus de diagnos-tics principaux que les maladies cardio-vascu-laires, et trois fois plus que les tumeurs ou lestraumatismes. Ils concernent plus d’un tiers despatients hospitalisés, avec une légère prédomi-nance masculine.

La pathologie mentale etla médecine libérale

La psychiatrie est la spécialité médicale la plus

exercée en secteur libéral. Les 6 000 psychia-tres représentent 18 % des spécialistes libéraux.Présents dans 2,5 % des communes, ils ontl’une des meilleures couvertures du territoire,juste derrière les ophtalmologues (3,1 % descommunes), les radiologues (3,0 %) et les gy-nécologues (2,9 %).

L’enquête permanente sur la prescriptionmédicale (EPPM) menée par IMS-France en1991-1992 permet de mieux connaître les mo-tifs de recours aux médecins libéraux.

Tous médecins confondus, les troubles men-taux et du sommeil sont la troisième cause deconsultation (14 % des séances), derrière lesmaladies cardio-vasculaires (27 %) et les pro-blèmes ORL (16 %). Cette hiérarchie diffère sion distingue généralistes et spécialistes (figu-res 4 et 5).

En 1992, 43 millions de séances ont étémotivées par un trouble mental ou du sommeil :28 millions (65 %) chez un généraliste et 15millions (35 %) chez un spécialiste. Ils ne pren-nent cependant pas en charge les mêmes patho-logies (figure 6).

Selon cette même étude, la fréquence desmotifs psychiatriques augmente avec l’âge jus-qu’à 64 ans, puis diminue jusqu’à 79. Ensuite,elle diminue pour les femmes et augmente pourles hommes.

Une approche sociologique montre, icicomme au niveau du secteur, que plus l’inser-tion socioprofessionnelle est faible, plus lenombre de troubles mentaux et du sommeil re-trouvés pour 100 séances est élevé.

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25Maladiescardio-vasculaires

Troubles mentauxet du sommeil

Diagnostics patents

Diagnostics posés à l’entrée

Motifs d’hospitalisation

Figure 3 Proportion de diagnosticsà chaque étape de l'hospitalisation

Quelqueschiffres

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page V

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Spécialistes

GénéralistesRetards psycho-moteurs

Troubles de l’enfance

Nervosité

Psychoses

Troubles du sommeil

Angoisse anxiété

Autres troubles névrotiques

Dépression

Figure 6 Nombre de troubles mentaux ou du sommeilpour 100 séances de généraliste et 100 séancesde spécialiste

La pathologie mentale cause de décès

Le taux de mortalité par pathologie mentale n’apas évolué depuis une dizaine d’années. Cetteconstatation ne tient pas compte des décès parsuicide, dont seuls 30 à 40 % seraient en rela-tion avec un trouble psychopathologique.

Les pathologies mentales (toujours hors sui-cide) sont cependant la dixième cause de décèschez l’homme et la huitième chez la femme.

Le taux de mortalité par suicide était évaluéen 1992 à 32/100 000 habitants. Quant aux ten-tatives de suicide, elles sont mal connues etsous-déclarées. On les estime cependant à en-viron 100 000 par an, soit plus de 10 % des cau-ses d’accident.

La pathologie mentale et laprescription médicamenteuse

Comme le souligne le professeur Zarifian dansson récent rapport, « la prescription de psycho-tropes devrait correspondre exclusivement auxbesoins sanitaires de la population », mais « iln’existe pas d’étude épidémiologique faite dansdes conditions satisfaisantes et sur une trèsgrande échelle dans notre pays. » Ces étudesdevraient non seulement porter sur l’évaluationdes pathologies nécessitant des psychotropes,mais également sur l’adéquation diagnostic-traitement.

Devant cette incapacité à définir ces besoins,nous devons nous contenter de constater que laFrance a le plus gros volume de vente de médi-caments psychotropes parmi les pays européens.

En prenant comme référence le nombre deboîtes vendues, le marché des psychotropes aaugmenté de 1,01 % par an entre 1990 et 1994.Il faut néanmoins distinguer les antidépresseurs,dont les ventes ont augmenté de 5,63 % par ansur la même période, des autres psychotropesdont le marché a stagné ou diminué.

Les trois-quarts de la consommation totalesont dus au 11 % d’adultes consommateurs ré-guliers (au moins une fois par semaine depuisplus de 6 mois). Et si la durée des traitementsn’est pas connue, on peut considérer que 57 %d’entre eux sont traités depuis plus de cinq ans,et un tiers depuis plus de dix ans.

On peut enfin signaler qu’un hypnotique ouun anxiolytique est prescrit sur 15 % des ordon-nances.

Jean-Paul Vincensini

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Troublesmentaux et du sommeil

DigestifOstéo-articulaire

ORLCardio-vasculaire

Figure 4 Les motifs de recours aux généralistes(nombre de motifs pour 100 séances)

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ORLCardio-vasculaire

PréventionTroublesmentaux etdu sommeil

Ophtal-mologie

Figure 5 Motifs de recours aux spécialistes(nombre de motifs pour 100 séances)

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page VI

La prévention des

troubles mentaux des

adolescents

La délimitation et la classification des dé-sordres mentaux à l’adolescence sontcomplexes. Le souci de distinguer ce qui

est normal de ce qui est pathologique doit ce-pendant être maintenu. De même, une évalua-tion diagnostique et pronostique ne peut êtreévacuée dans une entreprise clinique et théra-peutique, même si cette évaluation amène par-fois à se tromper.

La question du normal et dupathologique

L’aspect normal ou pathologique d’une con-duite ne dépend :

• ni de l’aspect quantitatif des conflits, « des

crises aiguës, violentes annoncent souvent ledéveloppement d’une personnalité riche et sen-sible » ;

• ni de l’aspect de rupture, « une fugue iso-lée, de courte durée, sans autre trouble psycho-pathologique est dénuée de caractère de gravitéque seul un milieu environnant particulièrementanxieux peut activer » ;

• ni de l’aspect de dysharmonie, « un atta-chement hétérosexuel déjà très affirmé peutsurvenir sur une personnalité encore très malassurée où la représentation de soi demeure peucohérente » (D. Widlocher, 1976) ;

• ni enfin de l’aspect de crise, l’originalitéjuvénile décrite par M. Debesse avec ses corol-laires, la rébellion contre le milieu environnantet la recherche d’une affirmation de soi, ne sontpas pathologiques.

Par contre la dimension pathologique peuts’affirmer sur plusieurs éléments :

• la répétition des conduites : une colère,une prise de drogue même « dure », et peut-êtremême une tentative de suicide ne prennent unaspect franchement pathologique que si elles serépètent. La multiplication des passages à l’acte

Prévention et soins

Comment et pourquoi a-t-on recours au système de soins psychiatriques ? Y a-t-

il un lien entre accès aux soins psychiatriques et catégories socioprofessionnelles ?

Après avoir décrit l'importance de la prévention des troubles mentaux, ce chapitre

présente les différentes entrées possibles en psychiatrie : consultation d’un

généraliste ou d’un spécialiste, urgence, hospitalisation…

Page 7: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page VII

signe toujours un processus pathologique dé-butant dont la dynamique intrapsychique estsouvent la tendance de l’adolescent à ne pasreconnaître en lui les conflits et à les déplacersur un conflit avec l’entourage ;

• le développement de certaines d’entre el-les : une conduite, quelle qu’elle soit, peut dis-paraître ou, au contraire, évoluer et laisser laplace à une organisation pathologique interne(état névrotique, border line ou même étatpsychopathique ou psychotique) qui se cristal-lise et perd tout lien avec la situation réelle ducontexte de la conduite initiale.

• enfin les réactions de l’entourage : le glis-sement d’une conduite vers un état pathologi-que dépend en grande partie de la capacité del’entourage familial, social ou scolaire à tolé-rer cette conduite. Pourtant cette conduite doitle plus souvent être comprise, soit comme unappel à l’aide soit comme un malaise interne del’adolescent qui par ce biais demande, beaucoupplus qu’on a tendance à le reconnaître, une con-sultation médicopsychologique. Le refus initialde l’adolescent à ce type de consultation testesouvent la capacité de l’entourage à s’intéres-ser à son monde intrapsychique.

La question du normal et du pathologiqued’une conduite ou d’un ensemble de conduitesà l’adolescence nécessite donc une triple démar-che :

• étudier la personnalité de l’adolescent,• évaluer les critères potentiellement patho-

logiques,• établir un lien entre cette personnalité et

ces critères, d’une part, et le(s) geste(s) de rup-ture, d’autre part.

Les écueils et les risques d’undiagnostic

Le diagnostic psychiatrique à l’adolescence està la fois dangereux dans certaines situations etdifficile dans beaucoup de cas.

Dangereux par le sens qu’il peut parfoisprendre pour toutes les personnes concernées.Pour le patient d’abord, à qui il est proposé unmodèle d’identification négative dont il auraparfois bien du mal à se dégager, il s’en déga-gera souvent par un déni apparemment total deson épisode psychiatrique, surtout si celui-ci aété grave, accusant alors ses parents ou les psy-chiatres de l’avoir traité de force. Pour l’entou-rage, le psychiatre et l’équipe soignante qui ris-

queront de perdre leur enthousiasme et leurénergie face à un diagnostic évoquant parexemple une maladie chronique (schizophrénie,psychopathie par exemple).

Difficile en raison du processus même del’adolescence qui, quelle que soit la pathologiementale présentée, influence l’expression decette pathologie. À l’adolescence il est plus fré-quent d’observer des organisations mentalesinstables (comme une confusion d’identité) oudes mutations d’organisation (comme des étatsborder line) que des organisations psychiquespathologiquement bien structurées (comme despsychoses maniaco-dépressives). Une autre dif-

Il est maintenant bien connu que la défaillance psychiqued’un parent peut porter gravement préjudice au dévelop-pement mental de l’enfant ; y remédier rapidementconstitue une démarche authentique de préventionprimaire fréquente en pratique libérale. Elle est réaliséepar le traitement rapide et précoce des pathologies ayantpour conséquence le désinvestissement psychique etaffectif de l’enfant, que ce désinvestissement soit massifet brutal comme dans les dépressions, les tentatives desuicide, les décompensations de pathologies mentalesetc. ou chronique comme dans un fonctionnement mentalperturbé de la mère ou du père. Le traitement des parentspréviendra la survenue de pathologies graves chezl’enfant.Grâces aux progrès récents, des prises en chargeambulatoires sont devenues possibles dans des patholo-gies sévères ce qui était impensable il y a seulement vingtans. Le psychiatre libéral, en « accompagnant personnel-lement » son patient, lui permet d’éviter chronicité etrechutes, de se maintenir dans son milieu de vie, deconserver une estime de soi suffisante, d’entretenir unecertaine qualité de vie et de travailler par lui-même à sarestauration psychique éventuelle. Ce travail de restructu-ration psychique (éprouvant pour le psychiatre) se traduitpar une réduction appréciable des manifestations patho-logiques, et évite au patient le passage à la chronicité.La prévention tertiaire se limite souvent à orienter etsoutenir le patient dans l’utilisation des moyens mis à sadisposition par la société. Elle se caractérise alors parl’obligation pour le sujet d’être l’acteur de sa propreréadaptation ce qui la rend certainement plus difficilemais aussi beaucoup plus solide.

Colette Barreteau et René Vezzoli

Border line ou état limiteTrouble de la personnalitéentre névrose et psychose

La préventionen psychiatrie libérale

Page 8: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page VIII

ficulté pour porter un diagnostic à l’adolescenceest la labilité expressive du sujet selon qu’il estvu en consultation ou en famille, seul ou engroupe, en psychodrame ou en situation de testspsychologiques. Enfin, une difficulté de dia-gnostic commune aux autres âges de la vie estle risque d’attribuer à un symptôme, à une struc-ture partielle, le pouvoir de rendre compte del’ensemble de la personnalité du sujet. Il est parexemple assez fréquent, face à un adolescent quise drogue, d’être obnubilé par cette conduite etde porter un diagnostic de toxicomanie qui varéduire la saisie, non seulement de l’éventail desconduites du sujet, mais également de ses pos-sibilités variées de fonctionnement psychique.Il peut s’agir par exemple d’un adolescentdéprimé ou d’un adolescent qui lutte des-espérement contre un envahissement psycho-tique ou d’un adolescent à la recherche d’unenouvelle identité.

La démarche diagnostique estcependant nécessaire

L’expérience montre que vouloir se passer detoute catégorisation diagnostique comportedeux risques : soit renoncer à toute organisationquelque peu synthétique des données, en secontentant d’attitudes spontanées, ce qui impli-que de renoncer à tout projet et à toute décisionréfléchie mais aussi critiquable ; soit, éventua-lité très fréquente, recourir à des catégories quine se désignent pas comme telles, non recon-nues explicitement, parce qu’elles restent sousforme de notations impressionnistes, de réfé-rence à l’expérience antérieure de cliniciens oude l’institution.

Au contraire, toute démarche diagnostiquebien conduite doit permettre, d’une part, de re-pérer les signes potentiels d’un trouble grave,d’autre part, de choisir des attitudes thérapeu-tiques adaptées aux difficultés éventuelles.

Un exemple de l’intérêt de cette démarchediagnostique nous est fourni par la tentative desuicide de l’adolescent. Ce geste est fréquem-ment rencontré parmi les manifestations symp-tomatiques de l’adolescence. Il a été souventestimé comme un passage à l’acte, en défini-tive assez banal et sans lien avec un étatpsychopathologique franc. Des travaux récentsinfirment cette position : « je n’ai pas connais-sance de tentative de suicide d’adolescent quine soit ancrée dans une psychopathologie et, le

plus souvent, une psychopathologie sévère ».Face à toute tentative de suicide, une démar-che diagnostique psychopathologique est doncnécessaire. Cette démarche est d’autant plus in-téressante qu’elle permet éventuellement deprévenir une récidive pour laquelle on sait lerisque vital plus grand que pour le premier gestesuicidaire.

Au total, la prévention des désordres men-taux à l’adolescence, action centrale de l’hy-giène mentale de l’adolescence, passe d’abordet avant tout par la prévention des récidives detout geste de rupture à cet âge de la vie. Le rôledu psychiatre d’adolescents est ici au premierplan.

Alain Braconnier

Les déterminants

socio-économiques de

l’entrée du sujet en

psychiatrie

La question des déterminants socio-écono-miques de l’entrée en psychiatrie mérited’être posée à plus d’un titre alors même

que notre système de santé est en principe ac-cessible à tous. Nous aimerions l’étendre à cel-les des déterminants socio-économiques dessoins en psychiatrie, en particulier aux moda-lités de soins proposées suivant les catégoriessociales voire le suivi des personnes après leurentrée dans le système de soins.

L’entrée en psychiatrie peut signifier l’en-trée du sujet dans le système de soins pour unproblème de psychiatrie ou, dans une définitionplus restrictive, celle de l’entrée du sujet dansle système de soins spécialisé en psychiatrie, quiest quantitativement beaucoup moins fréquente.Aussi, dans une optique de santé publique, nouschoisirons la définition la plus large.

Dans la très grande majorité des cas l’entréedu sujet en soin se fait sur sa demande. Cepen-dant la demande de soins en psychiatrie estl’aboutissement complexe dans lequel inter-viennent de nombreuses variables personnelleset sociologiques et souvent d’autres soignantsqui œuvrent en amont.

F. Ladame, 1981

Préventionet soins

Page 9: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page IX

Cette demande de soin implique tout d’abordde la part du sujet la prise de conscience d’unesouffrance exagérée qui serait reconnue par lui-même comme un problème de santé et désignéepar exemple comme nervosité ou dépression.Or, par exemple dans le cas d’un des problè-mes de psychiatrie les plus fréquents, celui dela dépression sévère qui touche presque unepersonne sur cinq au cours de sa vie et à toutmoment 6 % de la population, les relations en-tre la dépression, telle que décrite dans les prin-cipales classifications admises par le corps mé-

dical et la dépression, telle que perçue par lessujets, sont très variables en particulier suivantles catégories sociales.

Ainsi lors d’une enquête auprès de person-nes vivant dans des conditions sociales diffici-les seul un quart des personnes considéréescomme déprimées suivant les critères d’uneépisode dépressif majeur DSMIII se déclaraientdéprimées à une question directe sur cet état.La plupart des troubles ressentis : perte d’ap-pétit, du sommeil, d’envie de vivre, culpabilitéexcessive n’étaient pas vécus comme des signes

Entrée en soins psychiatriques : la voie du généraliste

Le médecin généraliste, de par saposition dans le dispositif sani-taire, est nécessairement un pointde passage fréquent vers uneprise en charge psychiatrique. Lalittérature sur sa place dans les fi-lières de soins psychiatriques estpourtant étonnamment pauvre.Cet article n’est que le témoi-gnage personnel d’un généralistede quartier confronté au soin et àl’accompagnement dans la mala-die mentale. À l’issue de cette pra-tique, quatre questions doiventêtre posées.

La formation cliniqueLa formation initiale des généralis-tes en psychiatrie est très faible.Il en résulte des erreurs dansl’orientation psychothérapeuti-que : prises en charge médiocres,par le médecin généraliste seul,de patients nécessitant en fait unaccueil institutionnel, ou au con-traire orientations trop « lourdes »de patients dont la psychiatrisa-tion peut être une forme de chroni-cisation.La faiblesse de sa formation ini-tiale en psychiatrie prédispose legénéraliste à des difficultés dia-gnostiques, pouvant aboutir à deserreurs médicamenteuses pourles patients gérés par le médecin

généraliste seul : surprescriptionsde tranquillisants, mauvaise utili-sation des antidépresseurs, mé-connaissance des traitementsthymorégulateurs (lithium, carba-mazépine…), craintes devant l’uti-lisation des neuroleptiques.

La coordination avec lesecteur psychiatriqueL’immense majorité des généralis-tes français éprouve à l’égard dessecteurs psychiatriques, au mieuxune simple indifférence, au pireune franche hostilité. L’existenceet les modalités de fonctionne-ment des équipes de secteur res-tent très mal connues des géné-ralistes. Il faut dire à leur déchargeque lesdites équipes fonctionnentdans une large autarcie, allantparfois jusqu’à exclure le médecintraitant de sa relation au patient.

La gestion des urgencesLe médecin généraliste, soignantde premier recours qui ne rechi-gne pas à se rendre au domicile,est confronté à des situations d’ur-gence parfois très difficiles à gé-rer, où ses seuls interlocuteurs fia-bles restent la police et lespompiers. Sauf situations encoreexceptionnelles sur le territoirefrançais (centres de crise, Smur

psychiatriques) il est matérielle-ment impossible d’obtenir l’inter-vention d’un psychiatre privé oupublic en urgence, en particulierau domicile.

Les dépendancesLe dispositif sanitaire spécialisé,qu’il soit libéral ou public, resteinadapté à l ’accueil desalcoolodépendants, et plus en-core des usagers de drogues. Lacréation de réseaux Ville-HôpitalToxicomanie peut modifier profon-dément l’ensemble de la coordi-nation des soins psychiatriquesen France. Malheureusement, lesacteurs les plus mobilisés dans laconstruction de ces structuresrestent encore les généralistes etles intervenants en toxicomanie.Leur succès réel ne sera possibleque lorsqu’elles associeront éga-lement les psychiatres libéraux etles structures de secteur, pour unaccompagnement coordonné dessujets dépendants, non seule-ment dans la voie accidentée dela substitution et du sevrage, maisaussi dans une prise en chargepsychologique plus vaste, articu-lée avec le soin des graves affec-tions somatiques qui touchent cespatients.

Jean-Pierre Aubert

Enquête conditions de vie des défavorisés Insee

1986-1987

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page X

de dépression. Cette « sous-estimation » de ladépression varie d’une classe sociale à l’autre.Dans une population de mutualistes de la Mu-tuelle générale de l’Éducation nationale(MGEN) la relation s’inverse : on trouve plusde personnes se déclarant déprimées que de per-sonnes présentant les signes cliniques reconnusde cet état.

On doit ensuite prendre en compte l’attitudepar rapport au système de soins. Pour formulerune demande de soin, il ne suffit pas au sujetde concevoir qu’il a un problème, il lui fautégalement admettre que ce problème peut sesoigner. Or nombreuses sont les personnes qui

pensent que les troubles de santé mentale sontincurables ou encore, à l’opposé, qu’ils s’amé-lioreront d’eux-mêmes avec le temps. Si la pos-sibilité d’une amélioration apportée par dessoins est acquise, et envisagée par le deman-deur, celui-ci devra ensuite décider s’ils’adresse à un médecin généraliste, un psycho-logue ou, plus rarement, à un psychiatre.

La consultation faite auprès du médecin gé-néraliste peut aboutir à un diagnostic psychia-trique et le généraliste peut, s’il le juge utile,décider d’adresser ce patient au système de soinspécialisé, public ou privé. Parfois, cette mêmeconsultation ne donne pas lieu à la reconnais-

chiatriques est à mieux définir dansles textes.• les conditions d’hospitalisation etl’information des patients.• L’application de la loi.

Le groupe de travail national

Ce groupe, présidé par Mme Hé-lène Strohl, membre de l’Inspec-tion générale des affaires sociales(Igas), est composé de profession-nels, de représentants de maladeet de leur famille et de représen-tants des ministères concernés(Santé, Justice et Intérieur).Chacun des acteurs doit pouvoirfaire valoir son point de vue et cha-que organisation représentativequi le souhaite peut être reçue parle groupe de travail qui se réunirajusqu’en octobre 1996.Une demande de collaboration aété faite en direction du Comitéconsultatif national d’éthique pouréclairer les réflexions du groupequi doit travailler sur les thèmes duconsentement aux soins en psy-chiatrie, de l’information des pa-tients, et rechercher des modalitésde dispositif de soins permettant à

La loi du 27 juin 1990 relative auxdroits et à la protection des per-

sonnes hospitalisées en raison detroubles mentaux et à leurs condi-tions d’hospitalisation prévoyaitune évaluation du texte dans lescinq années suivant sa promulga-tion.L’évaluation a été mise en placepar une circulaire de la directiongénérale de la Santé en date du8 février 1995, qui prévoyait :• le recueil au niveau régional desobservations de tous les acteursintervenant dans l’application dece texte.• la mise en place par le ministèred’un groupe de travail chargé deréfléchir sur les problèmes poséspar l’application de la loi à partirdes bilans d’activités des commis-sions départementales des hospi-talisations psychiatriques et desévaluations régionales.Les commissions départementalesdes hospitalisations psychiatriquesont fait un certain nombre de re-marques qui s’articulent autour de3 thèmes principaux :• Le rôle de la commission dépar-tementale des hospitalisations psy-

la personne d’être soignée en de-hors de l’hôpital.Le groupe se réunit chaque moisdepuis octobre 1995 jusqu’à la fin1996 et a commencé à réfléchir surdes modifications du texte de loiactuel, notamment :• l’utilité du deuxième certificatmédical pour l’admission en hos-pitalisation à la demande d’untiers ;• les formes que doivent revêtirl’information à la personne et lesmodalités de notification ;• l’établissement d’une périoded’observation avant la prise de dé-cision d’hospitalisation sans con-sentement ;• la possibilité d’une seule formed’hospitalisation sans consente-ment sous la responsabilité d’uneautorité administrative ;• la nécessité de définir un tierspouvant défendre les intérêts dupatient ;• la nécessité de définir des pro-tocoles de soins pour le recours àl’enfermement ;• la possibilité de poursuivre dessoins sans consentement hors del’hôpital. Martine Clemente

Bilan de la loi du 27 juin 1990

Préventionet soins

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sance du diagnostic psychiatrique par le méde-cin généraliste. Cette reconnaissance dépend,en effet, elle aussi de nombreux facteurs telsque le style d’entretien (directif, centré sur lessymptômes physiques), l’intérêt éprouvé par lepraticien pour le domaine de la psychiatrie, saformation, la présentation du patient et sa pro-pre réticence à aborder ses problèmes de santémentale. À tous ces stades, les déterminants so-ciaux sont présents en particulier dans la façondont le patient présente ses plaintes et dans laperception qu’en a le médecin.

Des déterminants sociaux importantspour l’entrée en psychiatrie

Ceci sans aborder les problèmes d’accessibilitéplus ou moins difficiles aux soins : présence ouéloignement des spécialistes, listes d’attenteparfois assez longue voire perte des droits à laprotection sociale.

Dans une enquête de santé mentale faite dansla population de l’Île-de-France on constataitque, si le pourcentage des personnes prises encharge pour une dépression sévère était d’en-viron 75 %, des différences très importantesétaient trouvées entre Paris et la banlieue quantà l’identité de l’intervenant : à Paris le tiers despersonnes déprimées étaient prises en chargepar les psychiatres tandis que ce pourcentagen’est que de 15 % en banlieue où 65 % des pa-tients sont suivis par des médecins généralis-tes. Cette différence peut être interprétée à lafois comme une conséquence de l’offre, puis-que le nombre de psychiatres est beaucoup plusélevé à Paris qu’en banlieue, et comme une con-séquence de déterminants sociaux, puisque lacomposition socio-démographique de Paris estdifférente de celle de la banlieue.

Cet effet s’accentue quand on compare l’ac-cès aux soins en cas de dépression sévère d’unepopulation défavorisée comme celle des allo-cataires du RMI. Ainsi dans cette même en-quête, 54 % des RMIstes vivant à Paris rece-vaient des soins médicaux comparés aux 75 %des parisiens. Cette différence témoigne d’unesorte d’accumulation des barrières d’accès auxsoins que nous venons de décrire.

On voit aussi combien les déterminantssocio-économiques influencent la prise encharge des problèmes qui atteignent le plus fré-quemment les personnes, à savoir les problè-mes dépressifs.

Qu’en est-il des problèmes plus rares telsque les psychoses délirantes chroniques commela schizophrénie ? De nombreuses études sem-blent établir que les types de soins ne sont pasles mêmes suivant les catégories sociales : lespersonnes des milieux défavorisées étant parexemple plus souvent hospitalisés que cellesdes milieux favorisées ; ces dernières étant plu-tôt traitées en ambulatoire pour certaines patho-logies.

Une étude récente faite sur une populationrelativement hétérogène montre qu’effective-ment il existe une tendance à hospitaliser plusfréquemment les personnes des catégories lesplus défavorisées (ouvriers et personnels de ser-vice) que celles des catégories de type cadressupérieurs ou professions libérales. Cette rela-tion globale ne concerne pas les patients souf-frant de schizophrénies ou de psychoses déli-rantes chroniques mais plutôt les patientssouffrant de dépressions psychotiques ou né-vrotiques. On remarque qu’en ce qui con-cerne les hospitalisations pour dépressionnévrotique ce sont les cadres, les ouvriers etpersonnels de service qui sont les plus fréquem-ment hospitalisés tandis que ce sont les ensei-gnants qui le sont les moins fréquemment. Cetteconstatation est d’autant plus intéressante, quedans l’étude de population francilienne,c’étaient les femmes des catégories dites inter-médiaires qui recevaient proportionnellementle plus d’antidépresseurs en cas de dépressionet que c’étaient les cadres et les ouvriers qui enrecevaient le moins.

Par conséquent si les déterminants sociauxsont d’une grande importance dans l’entrée enpsychiatrie, on voit que les relations entre clas-ses sociales et entrée en soin sont complexes etpeuvent varier suivant les problématiques.

Il reste encore à évoquer le problème parti-culier des personnes vivant la grande pauvretécomme les sans abri pour lesquels le systèmede soin de la psychiatrie publique sembledysfonctionner, puisqu’une grande partie deceux qui ont des problèmes psychiatriques ontété en contact avec ce système mais ont inter-rompu leur prise en charge.

On ne peut que conclure ce trop bref survolsur l’importance de prendre en compte les dé-terminants sociaux dans l’organisation dessoins en psychiatrie.

Viviane Kovess

Adhérents MGEN dela région parisienne et

secteurs de psychiatriepublique desservis par cet

organisme

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XII

Les urgences

psychiatriques : une

difficile organisation

On ne peut séparer la situation des urgen-ces psychiatriques en France, ni sonévolution, de son contexte plus large :

l’environnement sanitaire et les urgences engénéral d’une part, les idées et les pratiques enpsychiatrie d’autre part.

En ce qui concerne l’environnement sanitaire,force est de constater que, en dehors du domainede l’enfance, la politique sanitaire française apeu privilégié la prévention, et donc les urgen-ces, qui en sont l’un des moyens potentiels.

À l’exception de la mise en place des Samu,la grande misère organisationnelle technique,matérielle, conceptuelle dans le domaine desurgences a été dénoncée dans maints rapports.La prise en charge de l’urgence psychiatrique,bien qu’elle représente 20 % des urgences to-tales, ne fait donc que refléter les faiblesses etles incohérences du dispositif sanitaire français.

D’autre part, en psychiatrie l’évolution desidées et des pratiques sur ce sujet est lente. Pourl’essentiel, le dispositif sectoriel français estorienté vers la prise en charge des patients psy-chotiques au long cours, à propos de laquelleles concepts, le tempo, la mise en œuvre, sontà l’opposé de ce qui est nécessaire dans le ca-dre de l’urgence. Il existe en psychiatrie deuxtextes mais qui n’ont jamais été appliqués.

Des concepts opposés

La situation actuelle est donc marquée par unehétérogénéité très grande des réponses. Ellesvont de l’absence totale (30 % du territoire) àdes solutions singulières, suivant qu’elles éma-nent des hôpitaux généraux : il peut s’agir d’uneréponse ponctuelle et limitée à la demande, dansune optique de régulation quantitative et qua-litative des flux perturbateurs, privilégiant le tri,l’orientation et une thérapeutique brève, à uneactivité individualisée au sein d’un service d’ur-gence autonome, comportant des lits-porte spé-cialisés en lien ou non avec le secteur psychia-trique. Ces réponses peuvent aussi émaner dusecteur psychiatrique, du centre hospitalier spé-

cialisé lui-même dont le fonctionnement24 heures sur 24 est assimilé à un service d’ur-gence, au centre médico-psychologique ensemi-programmé pendant les heures ouvrablespour les patients connus, aux centres de crise,qui privilégient plutôt l’accueil que l’urgence,en passant par certaines expériences ponctuel-les (équipe rapide d’intervention de crise del’hôpital Charcot (Éric), Poitiers etc.). Dans lamajorité des cas, ces réponses, d’où qu’ellesviennent, sont peu intégrées au dispositif am-bulatoire des Samu et des généralistes.

La situation actuelle est en train d’évoluersous l’influence de plusieurs paramètres :

• il existe un intérêt croissant pour la psy-chiatrie des urgences ou en situation de crise,de catastrophe ou de victimes. Des associationscomme l’Association francophone des étudeset de la recherche sur les urgences psychiatri-ques (Aferup) en sont un vivant témoignage ;

• les différents rapports (cf. supra) ont, sem-ble-t-il, amené les pouvoirs publics à annonceret concrétiser la mise en place, au niveau na-tional, du début d’une véritable organisationhiérarchisée des urgences générales, au sein delaquelle la prise en charge des urgences psy-chiatriques est reconnue et affirmée comme unélément indispensable.

S’il est encore trop tôt pour apprécier si lapolitique des services d’accueil et d’urgenceset des antennes d’accueil et de coordination desurgences (Anacor) s’appliquera, tant lesmoyens nécessaires sont importants, les respon-sables des hôpitaux généraux sont maintenantconvaincus que l’excellence de leur plateautechnique passe par l’existence d’une réponsespécialisée en matière d’urgence psychiatriqueen leur sein. Ils sont donc demandeurs auprèsdes secteurs psychiatriques, des CHS, d’un rap-prochement opérationnel. Celui-ci, même s’ilpose de nombreux problèmes idéologiques, ju-ridiques, pratiques, apparaît comme inéluctabledans les années qui viennent.

Serge Kannas

Rapports Steg et Barriernotamment

Circulaire du 14 mars 1990relative aux orientations de lapolitique de santé mentale etcirculaire du 15 juin 1979relative à l’accueil et auxurgences psychiatriques

Préventionet soins

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XIII

Les représentations sociales en psychiatrieUn déficit d’information

Bien que constituant une despremières causes d’hospitali-

sation et de consultation en France(20 % en moyenne des urgencesde l’hôpital général), la psychiatrieest une discipline peu connue, quifait peur irrationnellement et quisouffre d’un déficit majeur de com-munication.Plusieurs facteurs expliquent cephénomène ancien et qui plongeau plus profond de notre société :• La représentation sociale desmaladies mentales repose encorelargement sur la folie et la dange-rosité.• La discipline est complexe et uti-lise une lexicographie d’autantplus inaccessible au grand publicque les professionnels eux-mê-mes, en fonction de leur école, nefont pas consensus sur de nom-breuses définitions.• Enfin, la maladie mentale elle-même s’exprime le plus souventpar la rupture avec la réalité et lelien social.L’image particulièrement négativede cette discipline est gravementpénalisante pour les prises encharge :• l’accès aux soins s’en trouve en-travé, ce qui aggrave la difficultéde traitement ;• les politiques alternatives à l’hos-pitalisation sont souvent délicatesà mener, notamment en matière derecherche de structures extra-hos-pitalières, car rejetées par la cité,le voisinage etc ;• la réinsertion (sociale, familiale,professionnelle) est considérable-ment freinée compte tenu del’image négative que conserve toutmalade mental.C’est à partir de ces bases objec-tives que les quatre hôpitaux spé-cialisés du département de Paris

(Esquirol, Maison-Blanche, Perray-Vaucluse, Sainte-Anne) ont décidéde se réunir dans un syndicat inter-hospitalier de communication ex-terne : le Psycom 75 dont l’objec-tif est de « mieux informer de laréalité des maladies mentales, demieux faire connaître l’organisationdes soins pour qu’elle puisse êtremieux vécue et acceptée ».Afin de définir une stratégie decommunication appropriée, il atout d’abord été décidé d’effectuerune étude, la première du genre(1992), confiée à une société spé-cialisée qui a concerné plus de1 000 personnes selon un échantil-lonnage statistiquement éprouvé*.

Un secteur mal connuOn y découvre, entre autres, quepour plus d’un médecin généra-liste sur deux le manque d’informa-tion conduit à ne pas orienter versles structures psychiatriques publi-ques. 75 % des médecins pensentqu’hospitaliser en psychiatrie estsynonyme d’impossibilité de con-tinuer à suivre le patient. Qu’ils’agisse des médecins généralis-tes ou des assistantes sociales,l’ensemble s’accorde à dire que lepoids de la maladie mentale dansleur pratique est important (60 à75 %) et qu’il va en s’alourdissant.Seul 25 % des médecins connais-sent à peu près le dispositif desoins existant à proximité de leurcabinet. Plus inquiétant peut être,la majorité des médecins généra-listes déclarent que les « pontssont coupés » entre leur pratiqueet celle de l’institution publique.Si ce constat est particulièrementinquiétant, il existe toutefois desvoies de progrès. Les associationsde familles, les assistantes socia-les de ville montrent une extraordi-

naire motivation à vouloir travaillerdifféremment avec l’institution,pour peu qu’elle les informe mieuxet les associe. 15 à 20 % des mé-decins généralistes apparaissentégalement comme des partenairesefficaces et prêts à s’engager da-vantage dans le travail de secteur.Il apparaît de façon lancinante,combien le manque d’informationest cruellement ressenti dans unsystème jugé complexe et trop re-plié sur lui-même.Une autre étude réalisée par lePsycom 75 auprès des profes-sionnels hospitaliers montre quel’image des maladies mentalesn’est pas très différente chez euxde celle qu’en a l’opinion publique.Plus grave certainement encore,une récente enquête conduite parun cadre soignant (M. Marc Livet)pointe que plus de 70 % des per-sonnels infirmiers déclarent qu’ilsn’hospitaliseraient pas quelqu’unde leur famille dans leur propreétablissement. L’institution, sesprofessionnels, doivent donc éga-lement évoluer.Devant ce constat, plusieurs ac-tions d’information et de communi-cation ont été mises en œuvre :édition d’un guide de la psychia-trie publique à Paris, mise en placed’un service minitel, enfin un jour-nal trimestriel est édité à l’intentiondes médecins généralistes, desassistantes sociales et des mairiesd’arrondissement pour donner lesinformations utiles sur le fonction-nement du dispositif de santé pa-risien et les évolutions thérapeuti-ques.

Joël Martinez

* L’ensemble des résultats de l’enquête peuvent être

consultés en contactant le service Communication-

Documentation du PsyCom 75 au 43 96 60 37

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XIV

L’offre des structureset des soignants

Les services de psychiatrie publics sont organisés en secteurs, entités sanitaires

qui couvrent les besoins d’une population déterminée sur une aire géographique

délimitée. Des secteurs distincts existent pour l’accueil des enfants de moins de

seize ans et des adultes. Paralèllement, l’activité de la psychiatrie libérale est en

constante progression.

Né sous l’impulsion de quelques-uns, re-pris par l’ensemble des psychiatresd’exercice public, le secteur de psychia-

trie figure, aujourd’hui encore, comme unmodèle thérapeutique original. Il a été mis enplace dans le courant des années soixante-dixdans l’esprit de la politique de secteur tellequ’elle fut définie par la circulaire du 15 mars1960.

La politique dite de secteur s’appuie sur qua-tre principes inscrits explicitement dans la cir-culaire du 15 mars 1960 : traiter à un stade aussiprécoce que possible, assurer un suivi évitantles rechutes, séparer le moins possible le ma-lade de sa famille et de son milieu, accueillirtous les malades d’une région donnée. Le sec-teur, conformément à la loi du 31 juillet 1991portant réforme hospitalière, doit :

• garantir l’égal accès de tous aux soinsqu’il dispense ;

• être ouvert à toutes les personnes dontl’état nécessite ses services, ce qui n’est pas in-compatible avec le libre choix ;

• assurer une permanence d’accueil ;• dispenser des soins préventifs ou curatifs.

Textes de référence• Circulaire du 15 mars 1960 relative au

programme d’organisation etd’équipement des départements enmatière de lutte contre les maladiesmentales.

• Circulaire du 16 mars 1972 relative auprogramme d’organisation etd’équipement des départements enmatière de lutte contre les maladies etdéficiences mentales des enfants et desadolescents.

• Circulaire du 11 décembre 1992 relative auxorientations de la politique de santémentale en faveur des enfants etadolescents.

L’organisation des secteurs de psychiatrieest distincte selon l’âge des personnes qui y ontrecours. L’enfant et l’adolescent de moins deseize ans sont acceuillis dans le cadre des sec-teurs de psyciatrie infanto-juvénile alors que lesadultes sont pris en charge par les secteurs depsychiatrie générale.

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XV

Le secteur pour quoi faire ?

Le secteur n’est plus aujourd’huique l’arbre qui cache la forêt de la

nécessaire rénovation de notre politi-que de santé mentale. Les blocagesactuels de cette politique portent surdes points de fond qui transcendentla notion de secteur. Notre référencerituelle à la politique de secteur n’estqu’un moyen d’éviter toutes ces ques-tions fondamentales. Les logiquesd’équipement, de bunker ou de fiefviennent occulter les objectifs de santépublique.Certes, depuis 1970 de nombreux pro-grès se sont fait jour : proximité, res-ponsabilité, continuité des équipessoignantes et de leurs actions. En1950, 200 lits d’hospitalisation par sec-teur, en 1990 : 80. En 1970, 240 joursde durée moyenne d’hospitalisation ;65 jours en 1990…Mais ce sont d’autres paramètres quiont le plus influencé nos pratiques etnos résultats.• Les mouvements anti-psychiatri-ques du début des années soixante-dix mettant l’accent sur le risque et lediscrédit de solutions majoritairementinstitutionnalisantes.• La loi de 1970 portant réforme hos-pitalière, puissant facteur de rénova-tion de l’appareil hospitalier psychia-trique.• La loi de 1975 sur les handicapés,allouant des ressources stables à denombreux malades et transformantleur trajectoire.• La création d’un corps de médecinsdes hôpitaux, accélérant la croissancedémographique médicale hospitalière.Quels sont donc aujourd’hui les prin-cipaux blocages au développementdes objectifs de santé mentale ?

L’évolution des populations cible

L’activité de l’appareil psychiatriquereste centrée sur la prise en chargedes psychotiques.L’urbanisation, la perte du lien socialet familial et la crise économique fontémerger des patients en crise néces-sitant des hospitalisations courtes, in-

tenses et répétitives qui ne sont sou-vent accessibles que par les urgen-ces.Il en est de même pour l’incidencepsychiatrique du sida, de l’exclusionsociale et de la psychiatrie dans leshôpitaux généraux… Allons-nous évi-ter cette prise en charge, comme nousl’avons fait pour la toxicomanie ?

Insuffisance de notre politique deprévention

La responsable en est la « bunkeri-sation » de l’appareil psychiatrique —y compris dans sa partie extrahospi-talière. Cet appareil apparaît commeopaque, peu accessible et disponibleaux familles, aux hôpitaux généraux,aux urgences, aux réseaux de géné-ralistes… Pourquoi des partenariatsspécifiques avec les familles ne se dé-veloppent-ils pas comme les relationsavec les appareils communaux et so-ciaux ?

La quasi-inexistence de laréinsertion et de la réhabilitation

Le modèle médical et individuel de lamaladie mentale refoule la réinsertionhors du champ sanitaire.Il s’agit d’une activité « sociale » : ladifférence des sources de finance-ment aggrave la situation. La Franceest un des pays développés où la réin-sertion est la moins professionnalisée.

Le surdimensionnement del’appareil hospitalier

Malgré les fermetures et les recon-versions, deux tiers des secteurs con-sacrent aujourd’hui les trois quarts deleurs moyens à l’appareil hospitalier etles ratios de lits varient de 1 à 12 surle territoire national. De nombreuxpays développés en sont — sans fan-fare — à des taux d’hospitalisation, àpopulation égale, deux à trois fois in-férieurs à la moyenne française.C’est une question centrale pour lapolitique de santé mentale, pour lespratiques, pour les coûts, pour les in-cidences sociopolitiques. Or les pou-

voirs publics ont parfois contribué àfreiner les ardeurs modernistes !

L’enseignement, la formation,la recherche

Après l’espoir né en 1970 d’une ferti-lisation mutuelle des universités et despratiques hospitalières par la partici-pation des psychiatres des hôpitaux,un grand renfermement s’est produit.Le modèle d’enseignement et de for-mation est aujourd’hui exclusivementbiologique au détriment du psycho-thérapeutique. La recherche cliniqueest le reflet de ce modèle.

Les inégalités de répartition desmoyens entre secteurs

Les secteurs qui sont « partis » vite en1970, ont vu leurs moyens augmentésde façon importante et durable ; lescirculaires financières, dix ans plustard, ont refroidi l’ardeur des retarda-taires. Les inégalités se sont ampli-fiées d’un secteur à l’autre. Certainesportions de territoire national sont horsde prise en charge. La correction nepeut venir que de politiques régiona-les ou interrégionales et de solidaritésmulti-sectorielles.

Le secteur comme moyenIl ne s’agit pas de jeter le bébé du sec-teur avec l’eau du bain de ses imper-fections.Les trente dernières années ont repré-senté un réel progrès. Nous n’oublionspas l’espoir et le souci de participer etde contribuer à une évolution cons-tante.Les trente glorieuses du secteur seterminent. La question essentielle de-vient « le secteur pour quoi faire ? ».Ma réponse est que les patients etleurs familles doivent rester le centrede nos réseaux de soins. Le secteurreste donc une réponse possible,parmi d’autres. Le secteur est unmoyen, non une fin.

Serge Kannas

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XVI

Le terme de « secteur de psy-chiatrie générale » est préfé-

rable à celui de « secteur de psy-chiatrie adulte » afin d’insister surla nécessité d’un exercice quiembrasse de façon coordonnéetous les besoins d’une populationâgée de plus de seize ans et surl’intérêt du maintien de l’unité dela discipline.À partir d’un plateau techniqueassociant structures intra etextrahospitalières, l’hospitalisa-tion n’est qu’un temps du traite-ment, la continuité des soins étantassurée par une même équipemédico-sociale sous la respon-sabilité d’un médecin-chef de-venu chef de secteur. On peutparler de révolution psychiatriquecar la notion d’hospitalocen-trisme est radicalement remise encause. La circulaire du 15 mars1960 appelle secteur une airegéographique délimitée corres-pondant, selon les normes del’époque, à 67 000 habitants,chaque secteur devant être dotédes moyens extrahospitaliers in-dispensables.

tiques, l’hospitalisation à domi-cile…Les équipements comportant hé-bergement :• les unités d’hospitalisation àtemps complet ;• les centres de crise disposantde quelques lits permettant dessoins intensifs et brefs, en ré-ponse aux situations d’urgencede détresses aiguës ;• les appartements thérapeuti-ques ;• les centres de post-cure, lieuxde réadaptation ;• les services de placement fa-milial thérapeutiques.

Les partenaires del’équipe de secteur

Le secteur permet un travail spé-cifique relationnel en réseau avecdes interlocuteurs naturels etnombreux. Outre la facilité qu’ilsconnaissent d’alerter l’équipemédico-sociale de secteur enfonction des problèmes qu’ilsrencontrent, ces derniers partici-pent à la réinsertion. À ce niveau,prévention, traitement et conti-nuité des soins sont difficilementdissociables.Service public au service du pu-blic, le secteur doit être en os-mose avec la communauté qu’ildessert. Les pratiques diffèrentnécessairement selon les don-nées socio-économiques et cul-turelles locales.Nous ne pouvons ici que citer lesprincipaux interlocuteurs, qu’ilssoient médicaux — médecinsgénéralistes, secteur de psychia-trie infanto-juvénile, psychiatreslibéraux, autres spécialistes con-sultants ou hospitaliers (dans lecadre de la psychiatrie de liaisonet des urgences) — ou non mé-dicaux — services sociaux, col-lectivités (foyers, maisons deretraite…) —, circuits d’aide(ANPE, Cotorep…) et bien évi-demment élus, tribunaux, police,associations de famille et de ma-lades…

Était visée une situation hospita-lière marquée par des servicespléthoriques sous-équipés et ré-servés aux malades d’un seulsexe. La reconversion architectu-rale, hôtelière et thérapeutique(développement et primauté del’extrahospitalier et des soins enréseau) se trouvait ainsi impliquée.L’offre des équipes pluridiscipli-naires de secteur vis-à-vis de lacommunauté peut être décriteselon deux axes que nous em-prunterons successivement : ce-lui des institutions du secteur,celui des partenaires habituels.

Les institutions dusecteur

Tout en reconnaissant un aspectschématique voire réducteur,étant donné la multiplicité desexpériences, il peut paraître utiled’énumérer les équipements dé-finis par l’arrêté du 14 mars 1986.Les centres médico-psychologi-ques doivent s’imposer comme la

Psychiatrie générale

véritable plaque tournante du dis-positif sectoriel. Lieu privilégiépour recevoir les signalements,consulter, propice aux déplace-ments rapides, proche de la po-pulation concernée, il peut parune organisation harmonieuseréunir une équipe diversifiéedans ses compétence.Les centres d’accueil ouverts 24heures sur 24, habilités à répon-dre à l’urgence, disposent d’unepermanence téléphonique reliéeaux organismes d’aide médicaleurgente et organisent l’accueil,l’orientation et les soins ambula-toires et à domicile. Ils peuventcomporter des lits pour les prisesen charge inférieures à 48 heu-res. La présence croissanted’équipes psychiatriques de sec-teur au sein des services d’ur-gence médicale sera probable-ment amenée à faire repenser lerôle de ces unités.Les centres d’accueil thérapeu-tique à temps partiel visent àmaintenir ou favoriser une exis-tence autonome. Citons les hôpi-taux de jour, les ateliers thérapeu-

Gérard Massé

domicile) mais en nombreinsuffisant. 30 % dessecteurs ont 100 lits etplus (et 10 % ont 150 litset plus). Une enquêteréalisée en 1991 a montréque sur environ 59 000présents plus de 28 000l’étaient depuis plus d’unan.Tous les secteurs dispo-saient en 1991 d’aumoins un centre médico-psychologique (dans90 % des cas ouvert aumoins 5 jours), près de80 % utilisaient deshôpitaux de jour. 50 % uncentre d’accueil théra-peutique à temps partiel.

On observe, depuisquelques années, unebaisse régulière del’hospitalisation complète,en nombre et en duréemoyenne de séjour(hospitalisations engrande majorité enservice libre).Les quatre cinquièmesdes patients, vus aumoins une fois dansl’année, ont bénéficié deprises en charge ambula-toires dont plus de 20 %de visites à domicile. Lapluralité des lieux d’inter-vention se développe(notamment les institu-tions substitutives au

Qu’en est-il aujourd’hui ?Alors que les structuresde soins ambulatoiressont situées de plus enplus souvent hors del’hôpital, environ 30 %des secteurs sontrattachés à des hôpitauxgénéraux.Une évolution constantedes pratiques nécessitede développer desapproches nouvelles(pour faciliter la percep-tion de certains problè-mes de santé mentalejusque-là méconnus ounouveaux) et de modali-tés particulières d’organi-sation notammentintersectorielles.

Les

Page 17: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XVII

Les objectifs de la politique desecteur sont autant préventifs

que thérapeutiques. La préoccu-pation de maintenir l’enfant dansson milieu familial et scolaire cha-que fois que cela est possible dupoint de vue médical et socialconstitue une orientation de tra-vail fondamentale. Il en est demême pour l’importance accor-dée au travail avec les parents.Il s’agit d’organiser le travail desprofessionnels dans un registrede continuité : dans le domainedes soins pour un patient donné,et plus largement par la recher-che d’une action cohérente dansun secteur donné au plan dessoins mais aussi de la réadapta-tion et de la prévention ; c’est diretoute l’importance du travailpartenarial et de la dimension deréseau.C’est en ce sens que le secteurpsychiatrique se définit par l’ac-tion d’une équipe dans une airegéographique donnée : un sec-teur de psychiatrie infanto-juvé-nile correspondant en moyenneà trois secteurs de psychiatriegénérale c’est-à-dire à 210 000habitants. Cette inscription géo-démographique du service pu-blic de psychiatrie n’étant pas in-compatible avec la notion de librechoix des services par les fa-milles.

Les institutions dusecteur

Dans une présentation schéma-tique il faut distinguer les centresmédico-psychologiques, les uni-tés de soins à temps partiel etl’accueil à temps complet.

Psychiatrieinfanto-juvénile

Gérard Bourcier

Les centres médico-psychologiques (CMP)

Ce sont les éléments de base dudispositif. Ils ont une double fonc-tion d’accueil et de soins, maisaussi de coordination et d’élabo-ration au sein de l’équipe et avecles partenaires extérieurs.Il est évidemment souhaitablequ’ils existent en nombre suffi-sant (CMP ou antennes), qu’ilssoient accessibles égalementgrâce à des horaires d’ouverturesuffisamment amples, et que plusgénéralement s’y organise unedisponibilité suffisante vis-à-visdes patients, des familles et despartenaires.

Unités de soins à tempspartiel

C’est bien entendu l’hôpital dejour qui accueille des enfantssouffrant de troubles graves dela personnalité, le plus souvent àtemps complet, avec cependantun souci d’insertion sociale maxi-mum pour les enfants accueillis.Ce sont aussi les centres d’ac-cueil thérapeutique à temps par-tiel (CATTP) qui se développentdepuis une quinzaine d’annéesselon des formules très diverses(soins intensifs du soir, clubs thé-rapeutiques du mercredi, soinsséquentiels dans la semaine…)s’efforçant de maintenir au maxi-mum l’inscription sociale (sco-laire en particulier) des patients.Ces CATTP s’adressent souventà de très jeunes enfants mais ilspeuvent concerner égalementdes enfants plus grands ou desadolescents.

L’accueil à temps completIl peut revêtir des formes diverses :• l’hospitalisation en service de

psychiatrie : à temps completcertes mais aussi de façon sé-quentielle (hospitalisation de se-maine, de fin de semaine) ; pourdes cures de longue durée maisaussi pour des séjours brefs(unités d’urgence, centres decrise…) ;• soins pédopsychiatriquesdans le cadre d’une hospitalisa-tion en pédiatrie ;• accueil familial thérapeutique,etc.

Les partenaires del’équipe de secteur

Qu’il s’agisse d’actions de soinsou de prévention, l’équipe desecteur est en situation de colla-boration avec de très nombreuxprofessionnels. Dans le cadre decette courte présentation nousnous bornerons à citer les princi-paux partenaires avec lesquels

Les secteursde psychia-trie infanto-juvénileaujourd’hui

On peut souligner lamise en place d’offresde soins de plus enplus nombreuses endirection des trèsjeunes enfants et desadolescents, etl’amorce de réalisa-tions communes àplusieurs secteurs(accueil en urgence,accueil familialthérapeutique…).Suivent quelqueschiffres pour contri-

buer à dresser l’étatdes lieux des secteursde psychiatrie infanto-juvénile (référence1991) :• il existe 301 servicessectorisés depédopsychiatrie dont38 % sont rattachés àun hôpital général ;• 250 000 enfants etadolescents de moinsde 20 ans sont suivischaque année (la fileactive a augmenté de20 % en 5 ans) ;• 90 % des soins ontlieu en ambulatoire(CMP) ;• l’hôpital de jourconcerne 5 % de lafile active et l’hospitali-sation à tempscomplet 3 %.

se constitue notre réseau : le mi-lieu scolaire (réseau d’aides spé-cialisées aux élèves en difficulté,commission de circonscriptionpréélémentaire, commission dé-partementale d’éducation spé-cialisée, etc.), les circonscrip-tions d’action sociale (servicesocial, aide sociale à l’enfance,protection maternelle et infantile),les structures municipales de lapetite enfance, les services dejustice (juges pour enfants, asso-ciations mandatées…), l’hôpitalgénéral, les médecins libéraux,les centres médico-psychopéda-gogiques, les centres d’actionmédicosociale précoce, les ins-titutions médico-pédagogiqueset professionnelles.

secteurs

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XVIII

Une nouvelle architecturede l’établissement public de santé

Le projet d’établissement de l’hôpital de Maison Blanche, concrétisépar un contrat d’objectifs signé avec l’État et la sécurité sociale, pré-voit le transfert progressif, sur cinq ans, de la plus grande partie desactivités de soins concentrées aujourd’hui dans un hôpital psychiatri-que traditionnel datant du début du siècle.• Cinq services d’hospitalisation seront implantés au sein des sec-teurs desservis, dans des hôpitaux généraux ou directement dans lacommunauté (acquisition de cliniques).• Prise en charge des urgences, par la collaboration avec les hôpi-taux généraux dotés de services d’accueil des urgences (SAU).• Mise en place de réseaux de soins avec les médecins libéraux etles partenaires du secteur médico-social.• Développement d’actions vers des populations cibles (toxicoma-nie, sida, interface sanitaire-social).• Déplacement du siège social et de l’administration, de l’hôpital versles secteurs desservis.

Patrick Mordelet

Le management des

établissements

psychiatriques

Y a-t-il une spécificité de managementdes établissements psychiatriques ? Apriori, les hôpitaux recevant des mala-

des mentaux sont soumis à la même législationque les hôpitaux généraux, sont dirigés par lesmêmes responsables et répondent aux mêmesrègles administratives et comptables que lesautres établissements. L’hospitalisation souscontrainte d’un nombre important de maladeset la place des incapables majeurs dans la po-pulation prise en charge constituent bien desparticularités propres à la psychiatrie mais nemodifient pas la nature même du managementde ces établissements.

Par contre, l’application de la politique desecteur, qui associe prévention, soins ambula-toires, hospitalisation et post-cure, actions réa-lisées par des équipes médico-sociales inter-venant à la fois dans l’hôpital et dans lacommunauté, fait du management des établis-sements publics de psychiatrie un mode de ges-tion original dans le paysage hospitalier fran-çais. Il convient dès lors de parler de gestiondes services de santé, et non plus de gestionhospitalière.

La réforme de l’organisation et du finance-ment de la psychiatrie publique intervenue en1985 (loi n° 85-1468 du 31 décembre 1985) aconcrétisé, au niveau du management, les pro-fondes modifications intervenues à partir de1960 dans le fonctionnement des services desoins aux malades mentaux.

De l’hôpital aux services de santé

C’est notamment le cas de l’unification du fi-nancement qui permet à un établissement derépartir librement les moyens financiers et hu-mains entre l’hôpital — il conviendrait de direl’hospitalisation — et les activités communau-taires. Concrètement, le gestionnaire de l’éta-blissement et le psychiatre chef d’un secteur depsychiatrie ne sont plus soumis à des contrain-tes juridiques ou financières qui imposeraientune répartition ou un pourcentage déterminé

d’activité, et donc de moyens, à l’hospitalisa-tion. Au contraire, l’administration et le corpsmédical ont la possibilité de privilégier uneprise en charge communautaire, de créer despetites structures d’hospitalisation en dehorsdes grands hôpitaux psychiatriques tradition-nels, de préférence dans les hôpitaux généraux,et de développer les activités communautaires,en réduisant corrélativement les activités, etdonc les moyens financiers et humains, à l’in-térieur de l’hôpital.

Cette politique de santé communautaire, pri-vilégiant les actions précoces, la prévention, lessoins primaires et la prise en charge ambula-toire, implique un recentrage de l’hospitalisa-tion sur sa vocation thérapeutique, et unemeilleure insertion sociale des malades men-taux. Ce recentrage est également nécessaire carla psychiatrie doit répondre, sans moyens finan-ciers supplémentaires, à de nouveaux besoins(urgences, augmentation de la toxicomanie,psychiatrie de liaison, interface psychiatrie-pa-thologie sociale), au risque d’être cantonnée àla prise en charge des malades psychotiques,dans des hôpitaux psychiatriques dont la con-ception date de plus d’un siècle.

Il existe un décalage important entre la di-mension communautaire de la psychiatrie pu-blique, pleinement ouverte sur la cité, fonction-nant dans une logique de réseau de soins, et lemanagement des établissements qui demeure

L’offre desstructures

et des soignants

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XIX

largement centré sur l’hôpital, maître du jeu :les activités de secteur se sont développées àpartir de l’hôpital et en référence à l’institutionhospitalière qui a conservé dans la plupart descas sa prééminence. L’hôpital psychiatriquedemeure le pôle principal d’activité, mais éga-lement le centre névralgique de l’établissementde santé, et les activités communautaires appa-raissent comme autant de satellites gravitantautour d’un axe principal constitué par l’hôpital.

Les administrations et responsables des éta-blissements psychiatriques doivent prendreconscience de la spécificité du management dela psychiatrie de secteur, et faire vivre cette di-mension communautaire en privilégiant les« services de santé », et non pas l’hôpital.

Patrick Mordelet

L’offre libérale

Autrefois dernier recours imposé, la psy-chiatrie est très souvent devenueaujourd’hui le premier secours car ce-

lui qui souffre de troubles psychiques sait qu’iltrouvera auprès du psychiatre « installé enprivé » près de chez lui, une compétence dis-ponible, une écoute attentive et une totale dis-crétion.

L’offre en psychiatrie libérale a toujoursexisté à côté de la psychiatrie asilaire, puis hos-pitalière avant d’être marginalisée par lasectorisation administrative des soins. Peu dé-veloppée au début elle permettait aux « neuro-logues » de l’époque, d’offrir aux riches destraitements plus personnalisés, mais de mêmenature que ceux proposés en psychiatrie publi-que. Son élargissement résulte de la conjonc-tion de plusieurs facteurs : la chimiothérapiequi autorise des soins ambulatoires impensablesil y a trente ans, le développement de la psy-chanalyse qui a permis une meilleure compré-hension des troubles mentaux et offert denouvelles possibilités de traitements psychothé-rapiques mieux adaptés, le progrès social en-fin qui a rendu les soins accessibles au plusgrand nombre, alors que dans le même tempsl’évolution des mentalités autorisait un regardmoins rejetant sur les malades mentaux.

Le mode d’exercice des 5 600 psychiatreslibéraux s’est adapté à la demande d’offre de

soins de proximité (on en trouve fréquemmentdans des villes de 10 000 habitants) ; souventinstallé seul, parfois en groupe quelquefois plu-ridisciplinaire, le psychiatre fait très peu de vi-sites. Ses consultations sont généralement delongue durée, ce qui ajouté au caractère éprou-vant de son travail, explique le faible revenumoyen de cette spécialité. Il choisit préféren-tiellement le secteur 1, en raison des ressour-ces modiques de la majorité de ses patients etmoins souvent le secteur 2 qui permet une plusgrande souplesse de fonctionnement en psycho-thérapie. Certains ont opté pour un exercicemixte, trouvant dans le temps partiel en insti-tution, clinique ou hôpital, un complément derevenu et dans le travail d’équipe un remède àla solitude du cabinet.

IntersectorialitéUn complément nécessaire

Parallèlement au déploiement de la politique sectorielle, unemeilleure connaissance des facteurs en cause et des stratégies thé-rapeutiques a conduit à l’essor des prises en charge adaptées etspécifiques. La demande s’est également modifiée : le niveau del’intensité des troubles déclenchant le recours aux soins s’estabaissé. L’extra-hospitalier a éloigné le spectre de la folie et per-mis l’expression d’une demande jusque-là anxieusement contenue.En intra-hospitalier, une partie de la population refuse l’obligationde promiscuité liée à la diminution du nombre des lits.Ainsi, les demandes d’aide s’accroissent, tandis que chaque équipen’a plus les moyens suffisants d’offrir les réponses thérapeutiquesles plus adéquates.L’intersectorialité, fondée sur la spécialisation et la mise en com-mun de moyens, est une réponse logique à une question de choixd’opportunités. Elle représente une évolution organisationnelle per-mettant le développement de techniques spécifiques de soins auxobjectifs ciblés, déployés par un secteur ou par un ensemble desecteurs et mis à la disposition de l’ensemble des patients. Cha-que équipe peut trouver dans l’intersectorialité la possibilité de pro-poser des actions alternatives complémentaires en favorisant uneréponse thérapeutique adaptée. Il en va ainsi de l’accueil en ur-gence, de l’accueil mère-enfant, des malades difficiles, des soinsaux patients alcooliques et toxicomanes, des pathologies névroti-ques anxieuses et dépressives, des pathologies de l’adolescence,des soins aux patients autistes, des actions de réadaptation etc.À la condition d’éviter l’extrasectorialité par la création d’entités to-talement indépendantes de l’activité sectorielle et une hiérarchisa-tion des soins tournant le dos à l’optique égalitaire du secteur,l’intersectorialité devraient permettre l’adaptation souple, évolutiveet coordonnée de techniques de soins spécialisées et complémen-taires aux activités généralistes du secteur.

Jean-Claude Pénochet

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XX

La formation se caractérise par une trèsgrande diversité où il n’est pas facile de se re-pérer, car après l’obtention du diplôme univer-sitaire, la majorité des psychiatres privés optepour une orientation particulière (enfants, ado-lescents, personnes âgées, adultes exclusive-ment, mais aussi, toxicomanies, éthylisme, né-vroses, psychoses etc.), associée ou non à uneformation psychothérapique spécifique (psy-chanalyse et thérapies dérivées, relaxation, thé-rapies comportementales et cognitives etc.).L’absence d’un document permettant au patientde s’orienter dans toute cette diversité ne consti-tue pas un handicap important, car il existe unebase commune : la consultation psychiatrique.

Ce « colloque singulier » qu’il soit initial ou

support d’un travail psychique, est toujours unerelation interindividuelle à laquelle le malade,encore libre de son choix, peut aujourd’hui ac-céder aisément. Dans cette relation le psychia-tre privé ne peut ni diluer la prise en charge, nipartager sa responsabilité. Son indépendancetotale, garantie de confidentialité, permet aupatient d’exprimer les éléments qu’il connaît desa maladie, mais aussi, et c’est là un élémentessentiel, d’exposer en confiance les troublesmême de sa personnalité. Quand il choisit cetteécoute particulière le psychiatre entend la per-sonne et non exclusivement la maladie. Il estalors en mesure de réaliser un travail qui va au-delà des manifestations symptomatiques.

La réponse à la demande du patient associe

La question de savoir si la pensée mé-dicale appartient au domaine de l’art ouà celui des sciences est un vieux dé-bat qui certes reste ouvert sur le planintellectuel et qui peut encore alimen-ter de brillantes déclarations académi-ques, mais ce débat paraît totalementdépassé lorsqu’on redescend au ni-veau des réalités quotidiennes. Qu’at-tendent en effet du médecin qu’ils con-sultent la plupart des patients ? sur leplan scientifique des connaissances etde la compétence, cela va de soi, maisils viennent aussi et peut-être avant toutpour être écoutés, entendus, compris.Le quotidien, pour beaucoup de méde-cins, ne requiert pas un niveau scienti-fique élevé car il est fait de petits maux,de mal-être, c’est-à-dire d’une patholo-gie (mais le mot est déjà trop fort) quiréclame avant tout de la patience, ungrand bon sens et une bonne connais-sance du secteur social.La question est alors de savoir si auterme de sa longue formation universi-taire, le jeune médecin est capable derépondre à l’attente de ses patients etla réponse, malheureusement, ne peutêtre que nuancée.Oui, le jeune spécialiste appartenant àune discipline hautement scientifiquedomine parfaitement les techniquesauxquelles il a été formé et il peut sansdélai s’intégrer dans une équipe et par-

ticiper utilement à la meilleure connais-sance des pathologies les plus diffici-les ou à la recherche dans tel ou telsecteur d’actualité. Cet étudiant là a étébien formé.Mais qu’en est-il des autres ? c’est-à-dire de la majorité d’entre eux, spécia-listes ou généralistes confrontés auxpathologies courantes, où dominent lestroubles fonctionnels et qui réclamentavant tout un bon bagage d’huma-nisme. Ces étudiants-là sont-ils vrai-ment bien préparés pour affronter lequotidien ? la réponse est malheureu-sement négative. C’est alors que l’onassiste dans les spécialités qui s’y prê-tent et qui sont très prisées, à une dé-rive pseudo-scientifique vers la multipli-cation des examens complémentairesprescrits avant d’avoir vraiment écoutéles doléances du patient. La médecinede l’image a alors précédé la médecineclinique et la technique a remplacé ledialogue singulier. Réalisé de cette fa-çon et dans cet ordre, l’acte médical serésume à une succession d’actes tech-niques que le malade subit sans réel-lement participer et dont parfois il pâ-tit.Pour infléchir la pente sur laquelle dé-rive dangereusement la médecine ac-tuelle, il faut donner aux étudiants enmédecine la culture de base néces-saire pour exercer une médecine clini-

que et humaine dans laquelle le maladeest écouté, considéré comme un par-tenaire dont la participation est indis-pensable et non comme un anonymeincapable de comprendre et qui doitsimplement subir et obéir.Pour réussir cette mutation, il faut avanttout accepter de considérer que la si-tuation actuelle est insupportable etensuite avoir la volonté d’y remédier. Lasolution ne passe pas par l’obole dequelques heures de “ sciences humai-nes ” administrées à un moment donnédu cycle universitaire, mais en un en-seignement progressif délivré tout aulong des études et destiné à inculquerà tous les étudiants des notions sur laconnaissance de l’individu et du mondesocial dans lequel il évolue.Un récent article paru dans la pressemédicale (6 avril 1996) focalise la ré-flexion sur le mode de sélection desétudiants en médecine et fournit uneanalyse pertinente sur ce point. L’idéeest intéressante, mais la démarche àentreprendre doit dépasser largementcette période initiale, car le but à attein-dre est d’obtenir que tous les médecinsaient une véritable culture médico-so-ciale. Ainsi sera peut-être réalisée l’har-monieuse symbiose entre l’art et lascience.

Guy Nicolas

Formation et exercice de la médecine au quotidien

L’offre desstructures

et des soignants

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXI

souvent médicament et psychothérapie et estgraduée : brève lorsque quelques entretiens suf-fisent à la résolution d’une souffrance et qu’uneaide ponctuelle peut éviter un enkystement destroubles ou l’installation d’une pathologie dif-ficile à traiter plus tard, comme dans les deuils,les dépressions réactionnelles ou les traumatis-mes. Parfois plus longue (plusieurs mois à quel-ques années) pour des personnalités fragiles et/ou des pathologies plus graves, comme danscertaines dépressions. Très longue enfin pourles malades chroniques non autonomes quitrouvent dans cet accompagnement la possibi-lité de vivre sans décompenser gravement etmaintiennent ainsi un certain équilibre familial,social et professionnel. Autrefois certains ontpu reprocher au psychiatre libéral de ne traiterque des gens riches et non malades, mais la réa-lité d’aujourd’hui fait de lui un élément impor-tant du dispositif de soin qui intervient à tousles stades de la maladie et possède une activitépréventive spécifique non négligeable.

Les relations du psychiatre avec les autresacteurs de la santé (médecin généraliste et psy-chiatre public) sont relativement aisées pour cequi concerne le traitement de la maladie, maiselles deviennent difficiles lorsqu’un traitementde la personnalité interfère.

Il en est souvent de même avec l’entouragefamilial et s’il est clair que la confidentialité del’entretien doit être respectée, l’intérêt du pa-tient impose parfois que le psychiatre aide lafamille, qui souffre de la charge que représentepour elle un malade mental.

Les cliniques

Les cliniques ont répondu lors de leur créationà un besoin de classe certes, mais aussi au be-soin d’aborder « autrement » l’hospitalisationen psychiatrie : les soins y sont plus personna-lisés, le psychiatre plus directement accessible,les structures plus légères, plus souples et plusconfortables, que les structures hospitalièrespubliques. Les malades y acceptent habituelle-ment mieux l’hospitalisation.

Ces services proposent des soins diversifiés :chimiothérapie, psychothérapie individuelle etpsychothérapie institutionnelle. Ils reçoiventtoutes les catégories de malades, sauf (à quel-ques exceptions près) les malades traités con-tre leur gré. Certaines structures se sont spécia-lisées dans les troubles dépressifs et les

décompensations réputées mineures, maisd’autres accueillent des psychotiques pour destraitements d’assez longue durée, certaines nereçoivent que des enfants ou des jeunes adul-tes, d’autres des personnes âgées… La plupartdes cliniques sont conventionnées et pratiquentle tiers-payant, les frais de séjour étant alorspayés directement par l’assurance maladie.

Colette Barreteau et René Vezzoli

Évolution des métiers

de la santé mentale

Les demandes de soins en santé mentaleapparaissent de plus en plus diversifiéeset cette discipline doit apprendre à tra-

vailler avec de multiples secteurs de la cité (ex :Éducation nationale, médecine libérale, police,prison etc.).

Cette ouverture implique une évolution desmétiers, une présence dans de multiples lieux,sans dispersion, ni perte de professionnalisme.

Traditionnellement, quantitativement,l’équipe soignante s’organise autour des infir-miers. Des clivages forts existent entre les dif-férents métiers. Les identités d’infirmiers, depsychiatres, de psychologues sont fortes alorsque les conditions d’exercice des métiers dé-pendront des frontières des champs d’interven-tion non hermétiques, ni homogènes.

Une des forces du secteur est de clairementposer en préalable la nécessité d’une équipepluridisciplinaire. Cette notion est déclinée deplus en plus comme une formation diversifiéeà l’intérieur de métiers identiques, une pluri-professionnalité, et des apports complémentai-res en termes de techniques de soins.

Concrètement, les relations inter-individusgomment les clivages entre les métiers. L’ap-prentissage progressif du travail en communs’effectue de plus en plus par le biais de l’éla-boration et de l’application des projets de soinsinfirmiers et médicaux.

L’évolution de la santé mentale va se traduireau niveau des principaux corps de métiers :

• les directeurs, dont les compétences do-minantes de gestionnaire perdureront, auront àstimuler le mouvement, à savoir faire face à lacomplexité des compétences, à fédérer les

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXII

projets, à améliorer la qualité des services ren-dus tout en maîtrisant leurs budgets,

• les médecins devront mieux connaître lesdifférences de compétences au sein de leurs pro-pres équipes, deviendront des chefs de projets,responsables de leur équipe, et veilleront àremédicaliser, si nécessaire, l’organisation dessoins,

• les infirmiers en psychiatrie seront appe-lés de plus en plus à être les référants des pro-

jets individuels de soins. Dans le cadre de lapluridisciplinarité, ils bénéficient de formationstrès spécialisées. L’ouverture vers l’extra-hos-pitalier sera banalisée.

Les autres métiers (psychologues, aides-soignants, directeurs de services de soins infir-miers, infirmiers…) connaîtront une évolutionsensible adaptée au nouveau cadre général encours de gestation de la psychiatrie.

Christian Bonal

S’il convient de relever les principalesdisparités de l’offre de soins en santémentale :• une première disparité concerne lesmodes d’approche thérapeutique.Autrefois organisée autour d ’uneapproche univoque, elle veut êtreaujourd’hui principalement bio-psycho-sociale, mais également systémique,comportementaliste, ethnologique…• une deuxième disparité vient du rôlepivot des établissements hospitaliersqui peuvent être aussi bien publics queprivés (à but lucratif). Ces derniers re-présentent 10 000 lits, des taux d’oc-cupation très élevés (98 %) des duréesmoyennes de séjour autour de 40 jours,plus faible que le public (50 jours).Ces établissements sont installés dansle sud du pays et accueillent des pa-tients issus d’une aire géographique ré-gionale voire nationale.• une troisième disparité, peut-être laplus remarquable, concerne le secteurpublic et privé participant. S’il repré-sente 50 000 lits et 30 000 places, cesdernières augmentent à la place deceux-là, mais de manière non homo-gène sur le territoire.Il existe des disparités régionales etdépartementales quant à l’équipementet l’activité de psychiatrie dans l’ensem-ble des établissements de santé pu-blics et privés. Ainsi, le personnel af-fecté à la psychiatrie, non compris lesmédecins, est pour la France de 21,6équivalents temps-plein pour 10 000habitants. Ce chiffre varie de 14,2 enHaute-Normadie à environ 30 en Bre-

tagne, Limousin et Corse (voir carte). Ilexiste également des disparités enmatière de sectorisation psychiatrique.L’offre de soins dans ce cas se veut êtreun service de proximité. La base du dé-coupage des secteurs est la popula-tion, mais les écarts recouvrent les dif-férences de 15 000 à 310 000 habitantspour la psychiatrie générale. Des sur-faces territoriales immenses quelque-fois en zones rurales, deviennent trèsréduites en zones urbaines.Certains secteurs n’ont encore aucunlit d’hospitalisation. D’autres, dans unemême région, et pour des populationscomparables, ont 237 fois plus de litsque le secteur le moins équipé.Ces écarts minima etmaxima en lits vont de1 à 8 jusqu’à 1 à 67pour une même ré-gion et pour les dé-partements d ’unemême région de 1 à 2jusqu’à 1 à 9, 5.Dans un même dé-partement ces écartsvarient de 1 à 1,01jusqu’à 1 à 21.Pour les structures al-ternatives à l’hospita-lisation, bien des sec-teurs restent sansplaces, et les écartsentre secteurs (rap-portés à la populationdu secteur) varient de1 à 6 jusqu’à 1 à 100.Le rapport hospitali-

sation à temps partiel et hospitalisationà temps complet varie également con-sidérablement d’un établissement, d’unsecteur, d’un département et d’une ré-gion à l’autre.Bâtir l’offre de soins en santé mentaleest une œuvre née d’initiatives très di-verses. L’accroissement des moyens,la valeur des termes, les conjonctionslocales ont créé ces disparités.Devant de tels écarts, succinctementretracés, même s’il n’est pas souhaita-ble de chercher à égaliser à tout prixles équipements et les moyens, on peutraisonnablement s’interroger sur lefonctionnement de ce dispositif desoins. Christian Bonal, Delphine Antoine

Disparités géographiquesdes moyens, des structures et des pratiques

Personnel non médical en équivalents temps-plein au 1er janvier 1994 en psychiatrie

14,2-19,9

20,0-24,9

25,0-29,9

30,0-30,8

Champ Services et établissements de psychiatrie public et privéSources H80 EHP 93

L’offre desstructures

et des soignants

Page 23: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXIII

La demande en psychiatrie s’est profon-dément modifiée au cours des vingt der-nières années. Autrefois demande d’assis-

tance formulée par l’entourage et/ou la société,elle est essentiellement devenue demande desoins, souvent exprimée par le malade lui-même.

La demande de soins

La demande initiale résulte de la souffrancepsychique, souffrance qui peut être soit direc-tement ressentie par le sujet (elle est alors dou-leur morale, angoisse, dépression, désordresmentaux…), soit indirectement perçue en rai-son de l’invalidation qu’elle entraîne (le sujetse sentant mentalement diminué), ou par lesréactions qu’elle suscite auprès de l’entourage(famille, médecin traitant, société), qui pressele sujet de se « faire soigner ». Le psychiatredoit la décoder et comprendre à travers « lessymptômes offerts » et autres « demandes ma-nifestes », les besoins fondamentaux de la per-sonne souffrante. Selon l’intensité du tableauclinique et l’altération plus ou moins importantede la personnalité il proposera alors une orien-tation adaptée.

De plus en plus cette demande initiale devientdemande de traitement précoce (habituelle enpsychiatrie de l’enfant) qui se formule avant l’ap-parition de symptômes importants pour préve-nir les décompensations, l’apparition de troublesplus graves, et éviter l’hospitalisation.

L’évolution de la demande au cours du trai-tement témoigne de la réadaptation du maladeà la réalité extérieure (société, milieu profes-sionnel, famille) et à sa réalité intérieure pourles cas les plus heureux où un travail sur la per-sonnalité a été effectué.

Elle se manifeste de plus en plus par unedemande psychothérapique qui traduit le désirdu patient de prendre une part active à sa gué-rison et qui situe le psychiatre comme l’accom-pagnateur nécessaire de sa restructuration. Laprolifération des techniques et autres « prisesen charge » adaptées à cette demande est à l’ori-gine d’une exigence nouvelle, le patient vou-lant être informé et guidé dans ses choix.

Les autres demandes

Lorsque le patient n’est pas le demandeur, lademande émane de la société, de l’entourage

Pour répondre à la demande de soins exprimée par le patient ou son entourage, la

psychiatrie dispose aujourd’hui de diverses techniques de soins. Un problème

demeure pourtant concernant la réadaptation et la réinsertion des malades mentaux,

lié au cloisonnement des dispositifs.

La demande du patient etles réponses

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXIV

ou… de personne. L’administration par le biaisde placements administratifs veut garantir lemaintien de l’ordre public alors que la Justiceen associant dans un verdict condamnation etinjonction thérapeutique oblige l’intéressé àêtre soigné contre son gré.

Les proches d’un malade, en interaction di-recte avec lui, souffrant de le voir souffrir, dé-sirent parfois contribuer par eux-mêmes à sontraitement. Ils demandent alors à « être aidéspour l’aider », et cette demande, après la prisede conscience de leur propre souffrance, peutaboutir à la mise en œuvre d’un traitement poureux-mêmes.

Il y a enfin ceux pour lesquels l’asile d’autre-fois est maintenant la rue. Pour eux, exclus, laseule demande formulable est celle d’une de-mande d’assistance immédiate. La demande desoins psychiques est une démarche qu’ils nepeuvent même pas se représenter. Isolés, nul neprend pour eux le relais de cette demande.

Colette Barreteau et René Vezzoli

Les psychothérapies

Les psychothérapies demeurent l’instru-ment privilégié du soin psychiatrique, luiconférant sa spécificité. Il peut s’agir de

techniques individuelles ou collectives, chacuned’entre elles s’appuyant sur des bases théori-ques précises, pouvant demeurer isolées ous’inscrivant au sein d’un projet thérapeutiqueplus large associant d’autres techniques desoins (chimiothérapie, mesures d’assistance).

Pour P. Sivadon, est psychothérapique toutedémarche méthodique visant à modifier de fa-çon durable la relation de l’organisme à sonmilieu en agissant sur le médiateur de cette re-lation : le psychisme. Les psychothérapies re-groupent toutes les méthodes de traitement desdésordres psychiques, voire les désordres so-matiques, utilisant des moyens psychologiques,et d’une manière plus précise, la relation du thé-rapeute et du malade. Bien entendu, la person-nalité du ou des psychothérapeutes joue un rôleau moins aussi important que la technique re-tenue. On considère que les qualités personnel-les du psychothérapeute, qu’il soit ou non mé-decin, doivent associer disponibilité, énergie,empathie, s’appuyant sur une formation rigou-

reuse, là comme ailleurs l’expérience pesant detout son poids.

On peut relever actuellement de nombreu-ses méthodes, d’importance variable selon lescultures et les pays, qui se différencient selonleurs objectifs pouvant être limités (sentimentde mieux être, disparition d’un symptôme) oubeaucoup plus larges (réaménagement de lapersonnalité), leurs méthodologies et leurs con-ditions de déroulement.

Les techniques individuelles

Elles peuvent concerner, en premier lieu, unabord corporel comme la relaxation ou pour lesthérapies comportementales, employer undéconditionnement afin de transformer un com-portement pathologique acquis en une conduiteadaptée. De nombreuses démarches individuel-les s’appuient sur les théories psychanalytiques,mettant en œuvre des échanges verbaux et larelation soignant-soigné : cure psychanalytiquefreudienne et techniques élaborées par des psy-chanalystes d’autres écoles (Jung, Adler, écoleculturaliste, Rogers, analyse existentielle), lespsychothérapies d’inspiration psychanalytique,l’hypnose et ses dérivés, les psychothérapies desoutien.

Les techniques collectives

Ces techniques regroupent les psychothérapiesde groupe, le psychodrame, les psychothérapiesfamiliales dans un cadre analytique ou systémi-que actuellement en plein développement, lesthérapies institutionnelles.

Dans cette courte présentation, il peut êtreutile d’insister sur trois données présentant unintérêt actuel tout particulier : les psychothéra-pies de soutien dont le champ d’application ap-paraît considérable, les psychothérapies brèves,allant contre bien des idées reçues dans le pu-blic, et l’évaluation.

Les psychothérapies de soutien

Souvent associées à une chimiothérapie, ellesécartent toute interprétation de l’élémenttransférentiel (que l’on peut résumer comme larépétition des modes relationnels et le déploie-ment des attitudes affectives du patient sur lethérapeute dont la maîtrise centre les thérapiesanalytiques). De loin les plus employées, sans

La demande dupatient et les

réponses

J. Laplanche et J. B. Pontalis

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXV

des dont les situations de crise. Les techniquesdites de « flash », intervention brève éclairantepour le patient sur son fonctionnement dans unesituation donnée peuvent, par exemple, être uti-lisées dans l’urgence.

L’évaluation

L’intérêt pour l’évaluation des psychothérapies,venu des pays anglo-saxons, commence à s’af-firmer dans notre pays où le problème estcomme le remarque J. Guyotat « maintenantposé et mieux posé puisque la méthodologies’est affinée ».

Gérard Massé

théorie véritable, elles utilisent un certain nom-bre de critères : capacité de percevoir le mondeaffectif de l’autre, respect de son monde inté-rieur avec une capacité d’identification sansprojection, neutralité sans jugements. Elles ren-dent de très nombreux services.

Les psychothérapies brèves

Le concept de psychothérapies brèves associeles notions de durée définie, de but thérapeuti-que désigné et de contrat précis. Il met en jeuune grande souplesse du psychothérapeute et laprise en compte de la vie réelle du patient. Dansce cadre, on peut évoquer une capacité de ré-ponse immédiate à un large champ de deman-

Il n’y a pas de vie sans dépen-dance mutuelle : la fin de l’une estaussi celle de l’autre. L’autonomieest la capacité de se diriger selonses propres normes, ou ses pro-pres choix. Ainsi, la dépendancepeut favoriser ou restreindre l’auto-nomie. La dépendance particulièrerésultant d’une maladie au longcours peut ou non compenser,voire aggraver les limitationsd’autonomie.En simplifiant, il est possible deprésenter deux conceptions de laréhabilitation et de la réinsertion.Leur confrontation éclaire les blo-cages et montre comment y remé-dier. Pour l’une, un malade passesuccessivement par trois étapes,et progresse en passant d’un ser-vice à l’autre. D’abord, le soin thé-rapeutique traite la maladie et enréduit les symptômes. Ensuite, laréadaptation, ou réhabilitation,améliore les capacités du maladedans les gestes et activités ordinai-res. Enfin, la réinsertion concernel’intégration dans la société : droitssociaux, travail, logement, etc. Les

deux premières étapes concernentle secteur sanitaire, le troisième, lesecteur social.Selon l’autre conception, le décou-page chronologique ne corres-pond pas à la réalité. Il s’agit en faitd’actions simultanées et coordon-nées parmi lesquelles l’analysepermanente des situations permetde déterminer à chaque momentune action dominante. La mise enœuvre de réseaux entre partenai-res professionnels est la conditionpermettant à chaque malade deconstruire son itinéraire personnel.La classification de Wood, adoptéepar l’Organisation mondiale de lasanté en 1976, est l’un des moyenschoisis par la France pour moder-niser les dispositifs sanitaires et so-ciaux, y compris l’intégration sco-laire. Le cadre conceptuel permetde décrire de manière évolutive etdynamique les facteurs simultanéset hétérogènes qui unissent lamaladie au long cours et les élé-ments de handicap. Une aide ap-portée sur un plan (maladie, défi-cience, incapacité, désavantage

social) produit aussi des effets in-directs sur les autres. Seule uneétude complète des quatre planspermet d’élaborer, d’évaluer et deréviser régulièrement les stratégiescoordonnées de soins, de réadap-tation et de réinsertion.Les blocages actuels au dévelop-pement harmonieux de la réadap-tation et de la réinsertion des ma-lades mentaux enfants et adultestiennent d’abord au cloisonnementdes dispositifs. Les rapports offi-ciels soulignent la logique de fi-lière, et même de clientèle, qui faitobstacle à la logique d’itinérairepersonnel. D’autre part, les famillesassurent une part très lourde del’effort d’intégration sociale, et nereçoivent pas l’aide nécessaire.Enfin, un mouvement venu d’Amé-rique du Nord met l’accent sur lesnécessaires modifications de l’en-vironnement, et veut minimiser ladimension médicale de la réadap-tation et de la réinsertion des ma-lades.

François Chapireau

La réhabilitation et la réinsertiondes malades mentaux dépendants

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXVI

La famille du patient

face aux soignants et

au système

Dans le système de relations entre pa-tients, familles, appareil de santé etpouvoirs publics, on peut faire apparaî-

tre deux modalités principales impliquant la oules familles. La première implique les relationscollectives qui mettent en présence les repré-sentants des familles et leurs interlocuteurs col-lectifs. La seconde concerne la famille d’un ma-lade vis-à-vis des équipes de soins et del’administration.

Les relations collectives se déroulent entreles associations de familles et principalementl’Unafam, et les pouvoirs publics compétentsen santé mentale. C’est ainsi que cette associa-tion participe aux travaux initiés par le minis-tère chargé de la Santé pour la définition, del’appareil de santé mentale. De même, les re-présentants de l’Unafam sont présents, dans lesCommissions départementales de santé mentaleet dans les commissions départementales del’hospitalisation psychiatrique. Cette participa-tion se déroule dans un climat de coopérationet de confiance.

De même, l’Unafam est en relation avec lesassociations de professionnels et participe ànombre de rencontres qui traitent des sujets re-latifs à l’organisation des soins, à l’insertionsociale et professionnelle des malades à la po-litique de recherche en santé mentale. Ces mê-mes thèmes sont traités régulièrement, avec leconcours de spécialistes dans les congrès del’Association.

Dans les structures d’accueil sociales etmédico-sociales, les familles, au travers d’as-sociations locales, liées ou non à l’Unafam,représentent les familles dans les conseils d’éta-blissement, et parfois, administrent les organis-mes gestionnaires de tels établissements ou ser-vices.

Ces relations collectives facilitent les rela-tions individuelles entre les familles, l’appareilde soins et l’administration.

Les familles participent à l’accompagnementdes malades au décours de leur pathologie, no-tamment en ce qui concerne l’élaboration desdossiers relatifs à la protection sociale des ma-

lades et à l’obtention par ces derniers des me-sures de protection ou des prestations auxquel-les ils peuvent prétendre. À ces occasions lafamille est aussi bien en relation avec les équi-pes soignantes qu’avec les services sociaux etadministratifs.

En ce qui concerne les soins, les famillesdoivent être, autant que faire se peut, associéesà la stratégie de soins conçue pour chaque ma-lade, dès lors que la qualité des relations fami-liales se révèle importante pour son mieux-être.

À ce titre la famille demande de l’informa-tion sur la pathologie en cause, dans la mesurecompatible avec le respect du secret médical.Elle demande de l’information sur les modali-tés des traitements, médicamenteux ou psycho-thérapiques proposés, leurs effets y comprissecondaires afin de contribuer si cela leur estpossible, à la compliance.

La famille demande du soutien dansl’épreuve qu’elle traverse, le contact avec unsujet atteint de troubles mentaux est malaisé àsupporter et à comprendre.

La famille offre sa compétence, sur l’histoiredu malade, sur son comportement, dans cequ’elle peut apporter pour sa prise en charge.

Cette relation individuelle est inégale : ellemet en jeu les réactions entre une famille par-fois sidérée par ces troubles, ce qui exige de sesinterlocuteurs une approche attentive, et deséquipes qui ont des attitudes diverses, liées àleur mode d’approche des maladies, ainsi qu’àleurs propres réactions personnelles.

La confiance se travaille et se gagne.Geneviève Laroque

La demande dupatient et les

réponses

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXVII

Le sujet guéri ou conforté

rétrécie : manque d’argent, perte d’un loge-ment, perte de l’envie de rencontrer et d’échan-ger. Ajoutons à cela les nécessités de poursui-vre des soins, de vivre avec une médicationparfois mal tolérée…

Pour l’entourage, l’épreuve est souventlourde. Il lui faut affronter les grandes désor-ganisations, l’étrangeté des conduites et despropos, les risques de mort, la violence, la dé-cision nécessaire d’hospitalisation et la peur dela rechute.

Les difficultés pour la personne

Nous allons surtout considérer les difficultéstenant aux troubles qui évoluent au long courset pour lesquels il est essentiel de trouver lesréponses adaptées aux déficiences, incapacitéset désavantages décrits dans la CIH (classifica-tion internationale des handicaps) issue des tra-vaux de Ph. Wood dans les années soixante-dix.

Cette classification permet de repérer lesconséquences à long terme de la maladie sur lavie de l’individu.

Après les moments de crise, la personne qui souffre de troubles mentaux reste

marquée. La maladie mentale a cette spécificité de changer la façon d’être de ceux

qui en ont souffert et de modifier le regard de l’entourage. Le bénéficiaire du

système de soins psychiatriques apparaît maintenant comme un partenaire à part

entière dans le champ des intervenants en santé mentale.

L’après est la situation de la personne quia vécu un épisode psychiatrique plus oumoins grave. Ce moment de crise

psychopathologique et existentielle a pu évo-luer de façon variable. Le devenir est très dif-férent entre la décompensation anxio-dépres-sive se résolvant facilement avec une aideambulatoire jusqu’à la grande désorganisationpsychotique qui va nécessiter une hospitalisa-tion sous contrainte.

Mais quelle que soit l’importance des trou-bles, la personne aura toujours vécu un momenttrès particulier. Évoquons simplement ces ex-périences de souffrance psychique qui, dansl’angoisse, conduisent à interroger douloureu-sement le sens de la vie, à s’approcher de lamort, à prendre le vertige de la folie, à se re-trouver seul, victime et désemparé. Tout ceciamène à réaménager ses positions internes etne sera pas sans conséquence au niveau de lavie familiale et des situations de rejet ou à l’in-verse d’hyperprotection. La vie professionnelleou les études seront également menacées avecdes interruptions prolongées, voire des ruptu-res. La vie sociale va se retrouver amputée et

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXVIII

Les déficiences correspondent à différentesaltérations : des déficiences intellectuelles, dela conscience et de l’état de veille, de la per-ception et de l’attention, des fonctions émoti-ves et volitionnelles, du comportement, du lan-gage et de la parole.

Pour approcher les incapacités, on relève lesréductions observées dans l’accomplissementd’une activité fonctionnelle ou d’un compor-tement, particulièrement dans la vie quoti-dienne. Ceci peut porter sur les relations, lacommunication, les soins corporels…

Le désavantage social, quant à lui, évalue lepréjudice qui limite ou interdit l’accomplisse-ment d’un rôle considéré comme normal ; ilreflète les conséquences culturelles, sociales,économiques et environnementales. Il illustrel’adaptation et l’interaction de l’individu avecson milieu. Il est alors question des désavanta-ges d’orientation, d’indépendance physique, demobilité, d’occupations, d’intégration socialeou d’indépendance économique.

Ce modèle d’approche de la maladie et deses conséquences est particulièrement précieuxdans le champ de la santé mentale dans la me-sure où il montre qu’il n’y a pas de frontièreentre les divers plans d’expérience et qu’il y apossibilité d’interaction entre les plans. Cecipermet de limiter les coupures habituelles en-tre sanitaire et social, entre maladie et handi-cap.

En pratique : quelques données

Plusieurs travaux ont cherché à préciser quelleétait la situation réelle de ces personnes et plusparticulièrement des psychotiques dont les trou-bles sont les plus invalidants.

En 1991, l’Unafam a réalisé une enquêteauprès de ses adhérents (1 884 réponses) : 91 %des personnes concernées font état de l’évolu-tion d’un syndrome schizophrénique, 25 %d’entre elles vivent en institution sanitaire ousociale, 66 % perçoivent l’allocation aux adul-tes handicapés et une mesure de protection estrelevée dans 37 % des cas. Seuls 19 % exercentune activité professionnelle.

En 1993, une enquête dans les secteurs depsychiatrie générale montre que le diagnosticde schizophrénie est porté chez 23 % du totaldes patients et la solitude touche 35 % d’entreeux alors que 21 % seulement travaillent.

Un dernier travail conduit par G. Vidon in-

dique que les schizophrènes de l’étude sont cé-libataires dans 81 % des cas, sous protectionjuridique dans 39 %, la moitié sont très seulsavec pour activité sociale principale la fréquen-tation des cafés !

Au total ces enquêtes montrent l’importancedes incapacités et des désavantages et obligentà imaginer les réponses sanitaires et socialesnécessaires pour permettre à ces personnes devivre avec la plus grande autonomie possible.

Clément Bonnet

Quelques perspectives

Après le moment de crise ou de désorganisation, nécessi-tant le plus souvent un accueil et des soins spécifiques (par-fois dans une institution à temps plein ou temps partiel), ilfaudra proposer plusieurs modalités d’aide et de soins.Il sera parfois envisagé des soins de réadaptation sousforme d’une admission dans un foyer de post-cure, un ac-cueil familial, un atelier thérapeutique… Plus tard viendra lemoment de parler de travail protégé, d’appartement asso-ciatif, de mesures de protection, de clubs…Toute cette stratégie ne pourra prendre sens que si est misen place un accompagnement soignant à même d’évaluerquel cheminement est possible. À défaut, la personne estexposée aux situations d’impasse, de dépendance voire ausuicide.Agir au niveau de la personne ne saurait suffire, l’entouragedoit être soutenu, il doit pouvoir rencontrer d’autres famillesqui vivent les mêmes épreuves. La société doit égalements’interroger et des actions à destination du grand public,comme la semaine d’information sur la santé mentale (SISM)qui se tient chaque année, peuvent contribuer à modifier lesreprésentations des maladies mentales. Les généralistesdoivent avoir la possibilité de s’engager dans un travail deréseaux, les patients trouver un soutien solidaire dans lesassociations d’usagers.Tous ces dispositifs veulent éviter la désinsertion des per-sonnes et favoriser la réhabilitation de ceux qui sont les plusdésavantagés. L’accompagnement est le levier essentield’une stratégie d’insertion pour développer une positionactive qui évite l’assistance et recherche la production delien social.

Clément Bonnet

Le sujet guéri ouconforté

Page 29: santé publiquedossier en 15 Dossier juin 1996

actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXIX

La thérapeutique individuelle nesuffit pas. Nous voulons être devéritables partenaires de la

santé mentale. Le « véritable » ne si-gnifie pas seulement que nous voulonsparticiper à la recherche ou influer surles options politiques globales : notreexigence est de conquérir une identitépar le partage de l’épreuve elle-même.Pour atteindre ces objectifs, la commu-nication et la médiation sont nos optionsde base : par elles nous voulons obte-nir, au-delà de la reconstruction de l’es-time de soi, une dignité concrétisée pardes actes et par des lois que les institu-tions nous refusent encore trop souvent.Pour ce qui regarde la communication,nous sommes aujourd’hui plutôt opti-mistes sur les résultats que nous atten-dons des quatre directions que nousnous sommes proposés de prendre :• démythifier auprès du public lestroubles ressentis en apportant le té-moignage de ceux qui les ont vécusou les vivent encore (hospitalisés ounon, célèbres ou inconnus) ;• redonner à ceux-ci une vie socialeet le respect auxquels ils ont droit ;• les informer, eux et leur entourage,des progrès des thérapeutiques ;• provoquer la création de groupesd’entraide et promouvoir la recherche.L’apparition d’une action des patientsdans le champ de la santé mentale datede la fondation, par Jacques Lombarden 1981, de l’association Revivre qui seproposait d’« aider à la réadaptationdes personnes ayant été atteintes demaladies neuro ou psycho-dépressi-ves ». En 1989, Jacques Lombard pu-bliait Plaidoyer pour des milliers de sui-cidés qui racontait l’histoire de sonassociation. La même année je publiaismon histoire de façon à peine transpo-sée sous le titre Une véritable histoirede fou. Le professeur Zarifian a qui jel’avais envoyée m’a mis en relation avecMme Cassagne-Mejean qui venait decréer l’« Ame » autour d’anciens pa-tients psychiatriques d’origines socia-les et culturelles très diverses.Une troisième association existait aussi,

l’APSA (Association des psychotiquesstabilisés autonomes) créée par LoïcLegoff qui nous a quitté en 1993. Sonaction pour la défense des intérêts gé-néraux des malades mentaux s’est ma-nifestée par des interventions auprèsdes parlementaires :• pour la loi Evin relative aux droits età la protection des personnes hospi-talisées en raison de troubles psychi-ques, dépôt d’un amendement dit« Cavalier » avec l’appui de nombreu-ses personnalités du corps médical ;• pour la loi relative à la protection despersonnes dans la recherche biomé-dicale, l’APSA est à l’origine des arti-cles 1320.5 et 1326.1 qui garantissentles droits des personnes hospitaliséesen psychiatrie à l’intérieur de l’établis-sement comme à l’extérieur ;• pour l’arrêté Brunetière, qui prévoitdes fichiers informatisés nominatifsdans les secteurs de la psychiatrieaccessibles aux personnels soignants.L’APSA a réagi en demandant que cesdroits aux données informatiquessoient strictement locaux et que lemode de consultation ne donne aucundroit de duplication ; cette réactiondevait aboutir à un projet de loi ;• pour la loi relative à la protection despersonnes dans la recherche biomé-dicale considérant que l’article 2096du Code de la santé publique instaureen fait un statut de cobaye humainpour les malades mentaux les plusdémunis, l’APSA mentionna en coursde débat sur les aspects éthiques etjuridiques de l’expérimentation biomé-dicale en psychiatrie les termes mê-mes de l’article du Code de Nurem-berg, ceux de l’article 7 du pacteinternational relatif aux droits civils etpolitiques ratifié par la France en 1981qui précise : « il est interdit de soumet-tre une personne, sans son libre con-sentement, à une expérience médicaleou scientifique » ; de même la décla-ration d’Helsinki en ce qui concerne larecherche biomédicale dit clairement :« les sujets doivent être volontaires eten bonne santé ». Autre précision :

« les intérêts de la science et de lasociété ne doivent jamais prévaloir surle bien-être du sujet ».Dans le souci d’exister aux yeux del’opinion publique, l’APSA a participéà toute une série de manifestations na-tionales et internationales :• en octobre 1991 pour les colloquesdu Réseau européen d’usagers etd ’ex-usagers de la psychiatrie àZandvoort aux Pays-Bas ;• les 11 et 12 octobre 1991 à Paris aucolloque du Comité pour le droit etl’ethique en psychiatrie, ainsi qu’au Fo-rum européen traitant du devoir del’État, de l’éthique et du droit des per-sonnes handicapées ;• en novembre 1991, à Valence, aufestival Image Psychiatrie ;• en juin 1992, à l’occasion du con-cours Handinov à Montpellier ;• à l’Unesco enfin en 1992 lors desjournées d’information sur l’intégrationprofessionnelle des personnes handi-capées en milieu ordinaire de travail,importante question qui concerneaussi bien les handicapés physiquesque mentaux.Aujourd’hui la Fédération nationale desassociations de patients et ex-patientspsychiatrisés (FNAP-Psy) a repris lesdifférentes orientations des trois asso-ciations-mères.Deux résultats obtenus sur le terrainnous satisfont et nous encouragent :• notre collaboration avec l’hôpital Es-quirol à Saint-Maurice. La FNAP-Psysiège au conseil administratif de l’hô-pital, suivant ainsi les récentes dispo-sitions législatives,• La FNAP-Psy occupe un local à Pa-ris, la prise en charge de la locationétant le fait du même hôpital Esquirol :il s’agit d’un lieu où les patients peu-vent se rendre à leur sortie de l’hôpitalafin d’entrer en relation avec des as-sociations capables de leur procurerl’hébergement, la recherche d’emploiou les loisirs. Là, surtout, on lesécoute ! Hélène Laure-Mora

Utilisateurs mais aussipartenaires

témoignage

FNAP-Psy48-50, avenue Philippe-Auguste 75011 Paris

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXX

Le bonheur en pilules ?

abus possible. Car où a-t-on vu que toutetristesse soit pathologique ? Que touteangoisse soit pathologique ? L’angoisseet la tristesse font plutôt partie des con-ditions ordinaires du vivant, dès qu’ilpense : parce que la vie est difficile tou-jours, angoissante souvent, et triste, eneffet, atrocement triste parfois. Dois-jealler chez le médecin à chaque fois queje pense à la mort — la mienne, celle demes proches —, à chaque fois que celam’angoisse ou m’afflige, à chaque foisque la vie m’apparaît absurde ouinsatisfaisante ? Dois-je opposer des psy-chotropes à un chagrin d’amour, à unéchec professionnel, à l’ennui du coupleou de la solitude ?

Un de mes amis, psychiatre et psycha-nalyste, me raconte qu’il est encombré depatients qui viennent le voir parce qu’ilsouffrent, disent-ils, d’une dépression.« Je les reçois, m’explique mon ami, jeles fais parler, et pour beaucoup d’entreeux je découvre qu’ils ne sont nullementmalades, nullement déprimés, au sensmédical du terme, mais qu’ils sont sim-plement malheureux : parce qu’ils viventavec quelqu’un qu’ils n’aiment plus, ouparce qu’ils ont été abandonnés de la per-sonne qu’ils aimaient, parce qu’ils fontun travail qui ne leur plaît pas, parcequ’ils manquent d’amis, d’argent, deplaisirs… Est-ce bien d’un psychiatrequ’ils ont besoin ? »

Toute la difficulté est bien sûr de dis-tinguer la souffrance pathologique de

t ribune

chose qu’il faut dire, c’est que l’inventionde ces médicaments — neuroleptiques,anxiolytiques, antidépresseurs… — faitpartie des plus formidables progrès de lamédecine, depuis cinquante ans, et qu’onne saurait assez s’en réjouir. La maladiementale est d’abord un malheur : parcequ’elle atteint l’individu dans ce qu’il ade plus essentiel (lui-même : son esprit),parce qu’elle perturbe son rapport auxautres, parce qu’elle le voue à l’angoisse,à la tristesse, quand ce n’est pas au dé-lire, au meurtre ou au suicide. Que desmédicaments puissent y remédier effica-cement, c’est une excellente chose. Quine préfère un neuroleptique à l’interne-ment, un antidépresseur à un électrochoc,un anxiolytique à la camisole de force ?Et qui ne voit, même, que ces médica-ments sont souvent moins lourds et plusutiles qu’une psychanalyse ? D’autantqu’ils ont fait, ces dernières années, deconsidérables progrès : ils sont de plus enplus efficaces, avec de moins en moinsd’effets secondaires. Que demander deplus, sinon que ces progrès continuent ?

Des médicaments pour répondreaux difficultés de l’existence

Il reste qu’il s’agit de médicaments, cequi les réserve, en principe, à des mala-des. C’est où le problème apparaît, de leur

L es Français abusent-ils des médica-ments psychotropes ? La première

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXXI

celle qui ne l’est pas. C’est le travail dumédecin, et l’on se doute qu’il n’y a icique des cas singuliers. Mais quand faut-il aller le voir ? D’une manière générale,il me semble qu’angoisse et tristesse peu-vent être pathologiques de deux façonsdifférentes, soit par leurs causes, soit parleurs conséquences. Être triste ou an-goissé sans raisons apparentes, ou de fa-çon disproportionnée avec les raisonsqu’on peut avoir, cela justifie qu’on soup-çonne une origine psychopathologique,que la médecine peut déceler et traiter.Mais il y aussi des cas où la souffrancepsychique, sans être pathologique par sescauses, peut le devenir par ses effets. Lamère qui vient de perdre son enfant, lejeune homme qui découvre sa séroposi-tivité, le chômeur de longue durée…comment ne seraient-ils pas tristes ouanxieux ? Faut-il pour autant leur refuserle secours des psychotropes ? Pas forcé-ment : pour normale que puisse être leursouffrance psychique, par ses causes, ellepeut prendre de telles proportions qu’elleles empêche de vivre, d’agir, d’assumerleurs responsabilités, bref qu’elle devientpathologique au moins par ses effets etdoit, à ce titre, être soignée. Tout malheurn’est pas pathologique ; mais l’excès dumalheur peut le devenir, quand il rend lavie insupportable ou atroce.

Le leurre de la santé synonymede bonheur

Qu’on demande à la médecine de com-battre le malheur, quand elle le peut, c’estassurément légitime. Mais faut-il pourautant lui demander le bonheur ? Ce se-rait se tromper sur la médecine, me sem-ble-t-il, et sur la vie. Qu’est-ce que lasanté ? L’OMS répond que ce n’est passeulement l’absence de maladie ou d’in-firmité, mais « un état de complet bien-être physique, psychique et social ». Unetelle définition, même généreuse, ne peutqu’aboutir à la médicalisation de toutenotre vie, comme de toute notre société.Car elle fait de la santé un synonyme dubonheur, qu’on va demander dès lors à lamédecine.

« Docteur, mon bien-être n’est pas

complet : j’ai peur de mourir, j’ai peurde vieillir… Vous ne pourriez pas medonner quelque chose ? » Le meilleur desmondes n’est pas loin, avec ses esclavesheureux.

Faire du bien-être un absolu, c’est s’in-terdire de l’atteindre — sauf à le deman-der, en effet, à une drogue. Qui ne voitque le bonheur lui-même, loin d’être « unétat de complet bien-être », est plutôt unecertaine façon d’affronter joyeusement cemal être qu’est presque toujours — parcequ’elle est difficile, parce qu’elle estmortelle — notre vie ?

Entre le normal et le pathologique, lafrontière est fluctuante, relative, incer-taine. C’est pourquoi tout se joue, et doitse jouer, dans la rencontre singulière d’unpatient et de son médecin. Mais ne de-mandons pas à la médecine de nous gué-rir de la vie, ni de nous dispenser de lamort.

Combattre l’angoisse et la tristesse, cefut, pendant des siècles, la fonction de lareligion : Dieu était un anxiolytique et unantidépresseur socialement performant.Mais c’était aussi une valeur, qui struc-turait une civilisation. N’avons-nous dé-sormais que la santé pour idéal, que lamédecine pour religion, que la « sécu »pour civilisation ?

© l’EXPRESS, 7 décembre 1995

André Comte-SponvillePhilosophe, maître de conférences àl’université Paris I

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXXII

tribune

Les enjeux de la prise encharge psychiatrique

tement de tous vis-à-vis de l’autre et desa différence, de notre vision de la soli-darité à un moment particulier d’égoïsmecollectif.

Ce débat, si la psychiatrie en estcomme d’autres la dépositaire, elle est laseule à pouvoir et donc devoir y appor-ter certaines réponses. Quelle est la réa-lité des demandes de soins psychiatriquesdans une société développée comme lanôtre ? Nous n’en savons rien ou si peu,sinon qu’une pression, forte, insistante, necesse de s’accentuer en termes d’indica-teurs sociaux et de mobiliser les servicesd’urgence et médicaux.

Plusieurs impératifs nécessitent des’ancrer définitivement dans le champ dela médecine en rappelant notre position-nement au carrefour des sciences humai-nes et du social, d’écarter tout discoursidéologique au profit de celui de prati-ques, à l’écoute des demandes dont beau-coup apparaissent nouvelles, de quitterdéfinitivement une position de repli dé-fensif marqué par l’affirmation d’unespécificité condamnée à demeurer fanto-matique, en dehors de toute explication.

Alors que depuis plus de quarante ans,certaines équipes de psychiatrie publiquedémontrent qu’une volonté affirmée in-duit une diminution importante des capa-cités d’hospitalisation à plein-temps, dé-veloppe des structures légères enextrahospitalier, éclate les prises encharge au plus près des demandes, met enplace une pratique en réseau auprès du

que 30 % des actes de soins relèvent uni-quement, ou de façon prépondérante, durelationnel, du psychologique. Il est doncclair qu’il ne peut exister de médecinesatisfaisante sans une intrication forteentre le corps et l’esprit quant aux répon-ses données à leur souffrance.

La psychiatrie s’impose comme unedémarche « horizontale » infiltrant unepart importante des pratiques de soins,mais aussi bien au-delà en amont, car ellea le redoutable privilège d’offrir la seuleréponse adaptée à des situations qui con-cernent un nombre important de nos con-citoyens, qui ne peuvent ou ne veulentsurtout pas accepter, qu’ils relèventd’elle.

Il existe encore un hiatus immenseentre des situations pouvant être satisfai-tes par des capacités thérapeutiques,(s’appuyant sur des connaissances mul-tiples, permises par des investissementsthéoriques équilibrés, faisant appel aumédical et aux sciences humaines), et uneimage qui demeure défavorable dans lepublic.

Un débat de société

Ce dont il est question s’impose commeun débat primordial de société : celuid’une conception de la santé en tantqu’abord global de l’homme, du compor-

D ans les pays économiquement déve-loppés comme le nôtre, on considère

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXXIII

social et du sanitaire, le constat doit êtrefait d’une extrême inégalité de dévelop-pement de nos services de secteur. Un telconstat accompagne celui d’une incroya-ble hétérogénéité en moyens (de 1 à 7 enpersonnels) d’une équipe à l’autre, uneabsence de coordination entre les compo-santes libérales, associatives et publiquesde la discipline, un clivage obsolète en-tre le médical et le social.

La psychiatrie de secteur, en avancesur bien des points, ne doit plus douter deses missions qui ne se résument pas à uneaire géographique d’intervention, dont lapertinence demeure, mais au-delà de lacontinuité des soins (non conçue commeun espace clos et comme une clientèlecaptive), en termes de qualité et de réfé-rence soutenues par une vision globaledes prestations.

La santé mentale

Force est de relever une opposition decertains intervenants de la psychiatrie pu-blique à toute implication hors de situa-tions strictement pathologiques et recon-nues en tant que telles.

Ce repli frileux qui se restreint auxseuls « malades mentaux » condamne aucantonnement d’une psychiatrie obligéeet n’a rien à voir avec une démarche am-bitieuse qui doit être avant tout une poli-tique de santé publique adaptée à la santémentale et continuellement évolutive. Lacrainte d’une despécification, qu’accom-pagne un abord timide d’une réelle plu-ridisciplinarité, refuse un passage d’unstatut de spécialiste de la pathologie àcelui de spécialiste de la normalité. Cetteposition met en avant, et considèrecomme un argument de poids, le risquede déqualification du corps social, d’in-validation de ses initiatives par une inter-vention jugée extensive.

Un autre tendance souhaite promou-voir une psychiatrie des limites associantpsychiatrie sociale et de liaison. Elle dé-sire apporter une aide aux sujets souffrantd’un contexte difficile voire insupporta-ble, à partir non plus d’un état pathologi-que supposé mais d’un état normal, toutautant supposé, en acceptant de se con-

fronter à une nouvelle clinique. Elle re-fuse le prétexte de l’absence de demande(quasi obligatoire dans un premier temps)et le risque qu’elle pense fallacieux depsychiatrisation. Elle se situe facilementen dehors de lieux classiques d’exercicepour aller au devant de ceux qu’elle sou-haite aider, en acceptant de le faire auxcôtés d’autres.

Bien évidement, cette position s’ins-crit pleinement au sein des axes actuelle-ment définis de la politique de santé men-tale de notre pays.

La prévention

On ne peut que relever actuellement, tropsouvent, une collaboration peu dévelop-pée entre le secteur psychiatrique et di-vers dispositifs, notamment sociaux. Ceconstat a pour corollaire celui de grandesdifficultés à mettre en place une pratiquede prévention alors que l’effort s’est cen-tré sur les alternatives à l’hospitalisation,une telle perspective portant d’emblée enelle des germes d’hospitalocentrisme.L’effort pour sortir « hors des murs » (cesderniers pouvant être extrahospitaliers dufait de déplacements de pratiques sansadaptation) s’est trop souvent fait « enplus » en termes de moyens, par des équi-pes, motivées mais trop souvent restrein-tes en nombre ou privilégiant les soinsdes patients psychotiques.

Ceci peut expliquer le sentiment denombreux interlocuteurs laissés pourcompte, et non entendus, par des équipesde soins dont certains affirment qu’ellesne peuvent rien proposer sans demandeélaborée, ou au moins exprimée, de la partde nombre de nos concitoyens qui ne seconsidèrent pas comme « malades » maisn’en souffrent pas moins. Une telle posi-tion apparaît en rupture avec l’esprit dusecteur qui impose de concevoir et de réa-ménager l’offre de soins en fonction descirconstances rencontrées.

Raccourcir le temps passé entrel’émergence de la souffrance et l’aideproposée représente un impératif. Or pardéfinition, la souffrance psychique nedonne pas lieu à une démarche en absencede sa conscience par le patient. L’indica-

tion apparaît alors au niveau des prochesou du social. Il convient donc de travailleren réseau sans hégémonie, de demeurerdisponible, humble, de prouver au cas parcas son efficacité et sa compétence, de sedéplacer et non de faire venir dans un lieuqui même extrahopitalier, demeure mar-qué par une image refusée par beaucoupa priori. De ce point de vue le travail enréseau avec de nombreux intervenantsn’apparaît guère différent de celui deliaison avec les autres disciplines médi-cales.

Un dispositif à adapter

Aux critères d’exclusion beaucoup sou-haitent voir se substituer des indicationsen terme d’inclusion permettant des trai-tements offerts par des équipes aux com-pétences évidentes et reconnues par tous.La notion de continuité des soins doitprivilégier les critères fonctionnels audétriment de critères géographiques, quitoutefois doivent demeurer afin qu’aucunpatient ne soit exclu des soins. La notionde traitements différenciés implique desmécanismes intersectoriels, tant au ni-veau de l’utilisation des moyens que pourle recrutement des patients, ce qui appa-raît particulièrement pertinent dans lesmégapoles, pour certaines situations cli-niques, notamment marquées par l’exclu-sion.

Heureusement la politique de secteura eu une forte influence sur certains ser-vices : diminution importante des capa-cités d’hospitalisation à temps complet,développement des structures légères enextrahospitalier, éclatement des prises encharge au plus proche de la population,développement de liens avec les structu-res et associations environnantes. Si ceslieux de soins ont réussi leur sectorisa-tion, ils demeurent très centrés sur eux-mêmes dans leur fonctionnement. Uneforte convergence entre les différents ac-teurs politiques, administratifs, médicauxet soignants a permis l’évolution vers cesstructures « semi-ouvertes ». La mutationdoit se poursuivre dans le sens du rappro-chement de l’hospitalisation complète deslieux de vie et de la prise en charge de

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXXIV

Gérard MasséPraticien hospitalier, animateur de laMission nationale d'appui en santémentale

tribune

l’ensemble des détresses psychologi-ques.

D’autres services ont parcouru le mêmechemin que ces structures semi-ouvertes.Elle ont en outre compris la nécessitéd’élargir le champ de leurs réponses à desdemandes jusqu’alors non prises encompte, en intervenant au niveau des ur-gences médicales et en collaborant de fa-çon étroite et articulée avec l’ensemble deschamps médicaux et sociaux.

Certains outils doivent permettre uneévolution raisonnablement accessible, aupremier rang desquels : la dynamisation dela planification par une vision ascendante,l’évaluation de l’activité, des collabora-tions identifiées et contractualisées parvoie de convention entre les établisse-ments et les autres structures concernées.

Bien entendu ne doit pas être oubliéune réelle complémentarité entre prati-ques libérale, associative et publique,ainsi qu’entre le médical et le médico-social.

Il est évident que la psychiatrie publi-que ne demeurera pleinement crédibleque si elle parvient, notamment, à imagi-ner et mettre en place une articulationforte avec de nombreux intervenants dansle respect des champs de compétence dechacun, retrouvant ainsi certaines de sesracines.

Elle doit, pour cela, s’intégrer plusavant dans des stratégies institutionnellesactuellement développées qu’il s’agissede promouvoir une approche globale, uneoffre intégrée et des actions de proximité,veiller à assurer une accessibilité pourtous, rechercher la participation des per-sonnes concernées. Une telle démarchene doit pas méconnaître la nécessité dedéfinir des indicateurs de qualité de vieet de bien-être.

Il est grand temps que notre systèmede soins psychiatriques soit définitive-ment pensé en termes de demandes et deflux de patients et non pas en termesd’institutions.

Si cela ne peut advenir, un scénariodéjà observé dans d’autres pays ne pourraque s’imposer, la psychiatrie se can-tonnant à une optique d’étiquetage, limi-tée à des séquences thérapeutiques écour-tées.

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Psychiatriquement correct ?

l’agglomération lilloise nous ne prescri-vons pas dans nos consultations depuis 15ans, nous laissons ce soin aux généralis-tes. Nous pensons que la santé primairecomme mode d’infra-prévention non ad-ministrative en santé mentale est la plusimportante. Nous travaillons avec lesnon-spécialistes, et nous redéployons noslits dans des places et lieux dans la cité(de 300 lits en 1990 nous sommes pas-sés à 25 aujourd’hui, les structures desoins étant éclatées dans des équipementsculturels et sportifs municipaux).

Nous ne pratiquons pas la psychiatrieà deux vitesses, et ne tombons pas dansl’inter-sectorialité infantile qui reproduitles structures asilaires à toute allure. Nousne prenons pas de décisions sans avoircontacté et discuté avec les élus locauxqui se trouvent en première ligne dansnotre démarche psychiatrique. Les éta-blissements que nous occupons en villesont municipaux. Nous y recevons despersonnes de tout âge, toute classe so-ciale, toute pathologie. Nous refusons lesghettos : de toxicos, d’alcoolos, de tra-vailleurs chroniques, d’arriérés, de psy-chotiques, de névrotiques, de riches et depauvres, d’expressifs et d’inhibés.

Parce que la psychiatrie « politique-ment correcte » doit rester ouverte et« déségrégative ». Parce que le modèlemédical ne s’applique pas totalement ànotre science psychiatrique.

Parce que nous ne pensons pas que ladiscrimination positive soit efficace, et

soin, de créer du lien social. Le prix àpayer pour la médecine psychiatrique estqu’on lui demande à la fois d’intervenirsur le statut de l’horreur, dans les crimesde droit commun les plus importants etles plus extravagants, de tout expliqueret surtout d’éviter les récidives. On luidemande d’éradiquer toute angoisse, touten reconnaissant que celle-ci est partieimmanente de l’humain. Dans un tel con-texte qui est psychiatriquement correct ?Et la psychiatrie que je pratique est-ellevraiment correcte ?

Un psychiatrie fraternelle etouverte

C’est pourtant une nécessité pour moi dela penser ainsi cette psychiatrie dans lanorme des normes, dans celle que je mesuis imposé. Elle est psychiatriquementcorrecte, parce qu’elle a su devancer lestendances de notre société actuelle : ellese veut fraternelle et ouverte. Elle fait at-tention aux droits du citoyen, elle affichela charte des droits de l’homme dans seslocaux et la charte des hospitalisés danschaque couloir. Les patients ne sont pasdes « users-survivors » (usagers survi-vants comme ils veulent se nommer eux-mêmes) : ils ont accès au Vidal, la bibledu médicament, ainsi qu’à toute informa-tion nécessaire. Dans notre secteur de

D ans cette société anomique, la mé-decine a pour mission, en plus du

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actualité et dossier en santé publique n° 15 juin 1996 page XXXVI

Jean-Luc RoelandtPsychiatre des hôpitaux, chef de servicedu secteur 59G21 EPSM, Lille-Métropole

qu’il nous apparaît qu’il n’y a pas de dif-férence de statut social et de citoyennetéentre une personne qui a eu une maladiementale et une autre qui n’en a point eu.

Notre action de présence dans la citéest avant tout une sensibilisation de la po-pulation et sa fréquentation, afin demieux se connaître donc de ne plus avoirpeur et de démystifier les tabous. C’estsurtout aux professionnels de la psychia-trie à positiver celle-ci dans leur esprit.

Le grand effacement est en marche etla société psychiatriquement normale enaction. Aujourd’hui il apparaît difficile dedifférencier le fou du non-fou. La ma-chine psychiatrique a fait son œuvre etnos possibilités thérapeutiques, très puis-santes, amènent à la disparition dessymptômes : les psychotropes règlent lescrises au plus vite et les techniques psy-chothérapiques ouvrent à l’intériorisationdes conflits et à leur réappropriation dansl’intimité du sujet. À tout symptôme vacorrespondre une classification, un trai-tement gommant et un jugement moral.C’est aussi au nom de cette efficacité quenous sommes devenus le pays le plusdrogué légalement et le plus « psycho-thérapé » et « psychiatrisé » officielle-ment. La laïcité est certes à ce prix :silence dans les rangs et dans les cons-ciences, haro sur les sectes guérisseuses,marabouts, croyants, qui pourtant pullu-lent dans nos cités radieuses.

Car le marché est immense, et la so-ciété du spectacle bat son plein, qui meten réel et en écran la misère psychologi-que et la grande pauvreté, qui fait del’homme nouveau un produit de consom-mation jusque dans son intimité à tousdévoilée. Aujourd’hui, les malades enpsychiatrie doivent être invisibles, inodo-res, incolores et sans saveur. Ils doiventêtre plus normaux que les normaux et sefondre encore plus dans les normes socia-les. Le symptôme n’est souvent qu’unsigne adaptatif, comme la dépression oul’angoisse chez les SDF. Il deviendra,dans les nouvelles catégories diagnosti-ques « statistiquées » signe à soigner, àamender, à faire disparaître.

Être conforme, dans la société duspectacle et de la consommation, devientéminemment écologique.

Pour une psychiatrie dans la cité

N’oublions pas qu’aujourd’hui encore,c’est plus de 80 % des moyens en intra-hospitalier contre moins de 20 % en ex-tra-hospitalier. Là où la psychiatrie de-vrait être dans la cité, articulée au socialet au médical, elle reste encore dans lesmurs. Et à l’hôpital général, c’est encorepire car rien n’est fait pour qu’on s’y soi-gne ne serait-ce qu’une journée avec sonmalheur ou son délire.

Le planifié — comme ce fût le caspour les grands ensembles — va créer unnouveau désordre, plein de micro-asiles.Nous avons le meilleur système de psy-chiatrie au monde sur le papier. Pourquoine le pratiquons-nous pas ?

La norme reste « l’incommunica-tion » : les groupes homogènes de mala-des en témoignent largement. Le psy-chiatriquement correct serait peut êtrecomme le dit le sociologue Robert Cas-tel, le droit de ne pas être comme tout lemonde, mais d’être traité comme tout lemonde. Ceci veut dire d’éviter toute dis-crimination qu’elle soit négative ou po-sitive. Le même Castel qui décrit l’appa-rition de la race des normaux inutiles —« les surnuméraires » — qui n’ont ni em-ploi, ni fonction sociale. Pour ceux-ci queveut dire le psychiatriquement normal ?

D’éliminateurs de déchets humains dela pensée, nous sommes devenus desrecycleurs. Recyclage difficile — car lamaladie mentale reste tabou et facteur dediscrimination malgré le fait qu’un ci-toyen sur trois fera un trouble un jourdans sa vie. Cette maladie reste à cacherdans son intimité, à faire en sorte qu’ellene se sache pas, qu’elle ne se voit pas. Onassiste donc à la disparition de l’espacepublic au prix de l’intimité nucléaire, etdes médias facteurs de normes. Les psy-chiatres ont dans ce contexte un rôle debriseur de groupe : à chaque problèmeenvironnemental, posé avec ses parents,ses voisins, ses collègues de travail il luiest demandé : mais parle de toi, et de tasexualité, de ton inconscient ! et là, il n’ya plus rien à dire en public, plus de pro-cès possible comme le dénonce ThobieNathan, du haut de son éthno-science.

Le primat du privé et de sa sphère, et

l’impossibilité d’un témoignage engroupe conduit tout droit à la création decités de « zombies isolés », où le symp-tôme fait tâche dès qu’il se voit.

Maintenant les usagers de la psychia-trie — les fameux « survivants » — s’or-ganisent. Ils réclament à haute voix l’hon-neur d’être ou d’avoir été malade.Comme toutes les minorités opprimées,ils réclament des droits et une reconnais-sance. Ils font attention à ce que la popu-lation adopte une attitude politiquementcorrecte à leur égard.

Bravo, mais rappelons que le hors-norme crée généralement la normecomme la vie crée la mort et la mort - lavie… Les frontières ne sont plus interna-tionales, elles sont dans nos villes et pro-duisent des effets délétères dans nosconsciences. La psychiatrie a bénéficié dela discrimination positive pour ses plusmalades, les invalidés chroniques. Ellefait chic dans les banlieues, avec ses al-locations adultes handicapés, ses alloca-tions logement, ses équipes de secteur,son ouverture aux institutions culturelles,à côté du choc que sont les RMIstes, lesprécaires et les SDF.

Du plus stigmatisé socialement que le« fou » est en train de naître, grâce à lamontée de la délinquance et de la vio-lence. L’énorme arsenal asilaire n’a putenir idéologiquement en dehors de touterationalité marchande, que parce qu’ilavait une fonction idéologique très forte :évacuer la folie de la population qui enavait vraiment peur, à cause de son irra-tionalité, de son urgence et son imprévi-sibilité. Aujourd’hui, ces attributs sontpassées à d’autres populations, exclus,SDF et délinquants, voire étrangers.

La folie fait moins peur, elle a été ba-nalisée au prix d’un formidable arsenald’actions sur les consciences, d’introspec-tion collective, de banalisation médica-menteuse et d’un déplacement du conceptmême de « folie » vers d’autres popula-tions, elles-mêmes « folles » mais insoi-gnables médicalement. Psychiatrique-ment correct ?

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crédible ? Cette question se veut révéla-trice de nos doutes et de nos espoirs, brefde nos interrogations. Tout d’abord pour-quoi « une » prévention plutôt que « la »prévention. Parce que cette dernière for-mulation laisse trop entendre que la pré-vention pourrait être une et exhaustive. Orelle ne peut être que plurielle et partielle.C’est-à-dire qu’une prévention supposeque soient définis au préalable les enjeuxessentiels et les choix préférentiels ensachant que ces choix entraînent desabandons et que dans le ou les domaineschoisis les objectifs ne seront que partiel-lement atteints.

Intervenir tôt pour empêcher lesdifficultés de devenir un mode defonctionnement

Mais quels sont les enjeux ? C’est làqu’intervient la crédibilité. Si l’on peut àjuste titre considérer que « l’enfant est lepère de l’homme » c’est tout ce qui con-tribue au développement de l’enfant quiconditionne la santé psychique, mais pourpartie aussi la santé physique de l’adulte.Où commence et ou s’arrête la préven-tion ? Elle devient trop vaste pour êtrecrédible. À l’opposé on pourrait être tentéde la réduire au dépistage précoce desanomalies génétiques ou des troublesmajeurs du développement.

Une prévention enpsychiatrie de l’enfant et del’adolescent est-ellecrédible ?

U ne prévention en psychiatrie del’enfant et de l’adolescent est-elle

Or le progrès des connaissances dansle champ du développement de la person-nalité de l’enfant nous permet certes demieux connaître et repérer ces anomalies,mais aussi d’aller plus loin tout en de-meurant dans un champ circonscrit. C’estle cas notamment du domaine en plein es-sor des interactions précoces entre l’en-fant et son environnement et des effets dela dépression maternelle sur le bébé. Ce-lui-ci, et d’autant plus qu’il est plus jeune,est tellement tributaire des liens avec sonenvironnement, et tout spécialement sesobjets d’attachement, qu’il révèle immé-diatement les dysfonctionnements deleurs relations, que ce soient par des en-traves au développement normal, tels queretards, attitudes régressives durables ouangoisses de séparation, ou par des trou-bles du comportement ou des apprentis-sages, ou des manifestations d’ordre psy-chosomatique.

Il est relativement aisé de repérer cessignaux, d’en comprendre le sens et d’in-tervenir précocement avant que ces dif-ficultés ne s’installent comme un modehabituel de fonctionnement et n’aientcontribué à réorganiser le développementde l’enfant autour d’elles. Dans ce derniercas, elles sont alors susceptibles d’impri-mer sur le cours de celui-ci l’empreintede leurs déformations et de leurs fragili-sations dont les effets les plus nocifs nese révéleront parfois que bien plus tardi-vement, notamment au cours ou au dé-cours de l’adolescence. Faites précoce-

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ment, ces interventions sont le plus sou-vent simples, même si elles peuvent né-cessiter un suivi relativement prolongé.Elles se font sur le mode de consultationsthérapeutiques, parfois de psychothéra-pies ou d’interventions familiales etmère-enfant.

Ces interventions, à la lumière de no-tre pratique de clinicien, représentent lesactions de prévention les plus efficaces.Mais elles nécessitent de comprendre lesenjeux de ce qui est en cause, et d’avoirles outils pour agir. Les outils existent, aumoins pour partie, même s’ils doivent sedévelopper et sont appelés sans aucundoute à se perfectionner. Ils sont à la foisconceptuels, les théories du développe-ment de la personnalité, et pratiques, lecorps des pédopsychiatres et plus spéci-fiquement le maillage que représentel’ensemble des intersecteurs de pédo-psychiatrie pour lesquels ce travail deprévention devrait constituer une partessentielle de leur activité. Mais ce tra-vail ne peut être efficace que s’il s’opèreen réseaux de partenariat avec l’ensem-ble des acteurs de la vie de l’enfant :l’école en premier chef, mais aussi lesgénéralistes et les pédiatres, les PMI, lesservices d’obstétrique, les secteurs de jus-tice concernant les jeunes, l’aide socialeà l’enfance, etc. L’objectif n’est certes pasde placer le pédopsychiatre en positionhégémonique ni de « psychiatriser » l’en-semble de la population. Le psychiatre estlà pour évaluer les situations et apprécierles risques à court et long terme qui pè-sent sur le développement psychoaffectifde l’enfant. Il a également un rôle de for-mation et de diffusion de ces informationsde façon à aider ses partenaires dans leurstâches de dépistage des situations à ris-que et d’alléger son travail comme le leuren rendant ses partenaires plus efficientset plus autonomes.

Le travail en réseau : clef devoûte de la prévention

Cette action préventive suppose en préa-lable qu’il n’y ait pas d’opposition entrele champ psychiatrique et le champ édu-catif au sens large. La tâche du psychiatre

d’enfants ne saurait se limiter au diagnos-tic et au traitement des maladies mentales.Responsable de ce qui peut affecter lasanté mentale de l’enfant, il se doit deprendre en compte tout ce qui peut agir né-gativement sur le développement de la per-sonnalité : que ce soient les répercussionsdéveloppementales des contraintes géné-tiques et biologiques ou les handicaps quipèsent sur l’enfant, ou que ce soient lesrisques que font courir à ce même déve-loppement les dysfonctionnements rela-tionnels et affectifs des liens de l’enfantavec son entourage. L’éducatif et le psy-chiatrique s’entrecroisent inéluctablementà un double titre : parce que tout ce qui estde l’ordre de la maladie avérée ou du han-dicap retentit sur l’organisation même dela personnalité et nécessite une approchespécifique de l’éducatif qui tienne comptedes particularités affectives, cognitives etrelationnelles induites par ces modes ori-ginaux d’organisation de la personnalité.D’autre part parce que ce que nous regrou-pons sous l’appellation générale de dys-fonctionnements, et qui n’est pas toujoursen soi pathologique, et à plus forte raisonne saurait être qualifié de maladie, estnéanmoins susceptible d’avoir des effetspathogènes à plus ou moins long terme surle développement de la personnalité. Cesdysfonctionnements deviennent patholo-giques à partir du moment où ils se figent,s’organisent et amputent le sujet d‘une partplus ou moins importante de ses potentia-lités : amputation qui peut prendre levisage de difficultés d’apprentissage, d’in-hibitions ou de comportements d’auto-sa-botage fréquents chez les pré-adolescentset plus encore les adolescents : retraitaffectif et intellectuel, asocialité,automutilations, tentatives de suicide,troubles des conduites alimentaires, toxi-comanie, tabagisme et alcoolisme…

Le danger est dans la méconnaissancede leur gravité potentielle dont font l’ob-jet ces comportements à partir du momentoù ils gênent peu l’entourage ou que ce-lui-ci est peu attentif. Le pédopsychiatreest le plus à même d’en reconnaître lesrisques et les effets nocifs si on laisse lesujet s’organiser sur ce mode qui a unepropension naturelle à s’auto-entretenir ets’auto-organiser. C’est progressivement

une image dévalorisée de lui-même et deses potentialités qui est ainsi renvoyée àl’enfant ou l’adolescent, d’une façond’autant plus dangereuse qu’il est dansune période de construction de son iden-tité. Celle-ci risque d’en être marquée né-gativement d’une façon que le temps rendde plus en plus difficile à corriger.

Certains considèrent qu’il s’agit làd’un luxe et d’un souci de perfection fal-lacieux et onéreux. Cela nous paraîtd’autant moins vrai que le dépistage enest relativement aisé dans le cadre de cetravail en réseau comme le sont lesactions thérapeutiques quand elles sontappliquées au début des difficultés. En-fin ce type d’actions de prévention estd’autant plus important que l’évolutionsociale va dans le sens d’un accroisse-ment de l’individualisme et des exigen-ces de performance de chaque individu,avec simultanément un affaiblissementdes valeurs du groupe et un moindre sou-tien de sa part.

La difficulté d’impliquerl’entourage de l’enfant

C’est à ce niveau qu’intervient ledeuxième volet de la crédibilité de la pré-vention. Pour qu’elle soit efficace etmême seulement possible il faut y croireet pour y croire il faut saisir ce qui est encause. Or ce qui est en cause impliquechacun des protagonistes, en particulierles parents, et pas seulement l’enfant seul,au niveau de ce qui leur est le plus intime,la nature de leurs liens. Or cette implica-tion continue d’être largement refusée etpas seulement par les parents en diffi-culté, mais par tout un chacun, parent po-tentiel sinon avéré, et en tout cas ayantou ayant eu lui-même des parents aveclesquels les relations sont souvent loind’être limpides. Pourquoi ce refus ?

La psychiatrie continue de fasciner oude repousser probablement pour les mê-mes raisons. Elle fait souvent peur parceque, dit-on, elle serait synonyme de cequ’il y aurait de plus étranger à soi : lafolie. En fait c’est plutôt parce qu’elle estsusceptible de raviver ce qu’il y a de plusintime et de plus proche, mais aussi de

tribune

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plus caché en chacun : les déceptions, lesenvies, les rancœurs, mais aussi les atten-tes auxquelles on a peur de croire encore,les désirs fous, les deuils non faits et lesattachements jamais réglés.

Soutenir que la nature des liens qui unit(ou désunit) l’enfant et son environne-ment, le climat affectif dans lequel il vit,sont une donnée déterminante de son dé-veloppement psychique c’est implicite-ment interroger les adultes concernés surleur propre état psychique, leur histoire,leurs liens affectifs présents et passés.C’est les interroger non pas parce qu’ilsseraient coupables, ni même parce qu’ilsdevraient « se mettre en cause », maisparce que le fait même de traiter de cessujets est susceptible de résonner en cha-cun, et d’apparaître comme une menacepour son équilibre actuel. Alors on préfèrediviser la réalité et opposer le génétique,le biologique, le social ou même le cogni-tif au psychologique, à l’affectif et au re-lationnel. Comme si l’inné n’allait pasprendre tout son sens et sa véritable por-tée en fonction de sa rencontre avec l’en-vironnement et l’histoire ; comme si cha-cun de ces champs n’interagissait pasconstamment avec les autres dans des pro-portions variables selon les cas et selon lesmoments de l’histoire de chacun.

La psychiatrie de l’enfant et de l’ado-lescent a pour objectif de traiter lestroubles susceptibles d’affecter le déve-loppement psychoaffectif de l’enfant.S’agissant d’un sujet en développementla prévention est inhérente à son actioncar elle est tenue d’intervenir sur tout cequi est susceptible d’interférer à plus oumoins long terme sur ce développement.Cette perspective l’oblige à refuser toutclivage radical entre les différents champsimpliqués dans ce développement, enparticulier avec l’éducatif et avec lemonde relationnel de l’enfant. Le faire se-rait fermer la voie à une prévention cré-dible. Mais pour que celle-ci soit possi-ble les différents intervenants doiventpartager un minimum de compréhensioncommune des enjeux. Accepter cet objec-tif c’est pour le pédopsychiatre accepterd’avoir éventuellement à intervenir par-tout où l’enfant et l’adolescent sont en re-lation avec un adulte.

Professeur Philippe JeammetChef de Service de Psychiatrie del’adolescent et du jeune adulte, Institutmutualiste Montsouris

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BibliographieAbord globalJeager M. La Psychiatrie en France. Syros,Alternatives, 1989.Jeanson F. La Psychiatrie au tournant. LeSeuil, 1987.Massé G. La psychiatrie ouverte. Une dyna-mique nouvelle en santé mentale. ÉditionsENSP, 1992.Mordelet P. La santé mentale, organisationet gestion. Berger-Levrault, 1987Spadone Ch. La maladie mentale, recher-ches et théories. Flammarion, coll. Dominos,1995.Zarifian E. Les Jardiniers de la folie. OdileJacob, 1988.

Les pratiquesArveiller J.-P., Bonnet Cl. Au travail… lesactivités productives dans le traitement et lavie du malade mental. Eres, 1991.Arveiller J.-P., Bonnet Cl. L’insertion dumalade mental. Eres, 1994.Caroli F. Hospitalisation psychiatrique, an-cienne et nouvelle loi. PUF, coll. Nodules,1991.Chanoit P.-F. (sous la direction de). Psy-chiatrie sociale à l’heure européenne. Eres,coll. Psychiatrie et société, 1991.David M. Psychiatrie en milieu pénitentiaire.PUF, coll. Nodules, 1993.George M.-C., Tourne Y. Le secteur psy-chiatrique. PUF, coll. Que sais-je ? , 1994.Gérard J.-L. Infirmiers en psychiatrie, nou-velle formation, une formation en question.Lamarre, 1993.Jolivet B. Parcours du sanitaire au social enpsychiatrie. Frison-Roche, 1995.Marin Ph. Activité extra-hospitalière en psy-chiatrie. Berger-Levrault, 1990Massé G., Mosnier G. Soins psychiatriques.Guide des innovations. Heures de France,1996

Gérard Massé, praticien hospitalier, animateurde la Mission nationale d'appui en santé men-tale a assuré la coordination de ce dossier.Les articles et encadrés ont été rédigés par :Delphine Antoine, SesiJean-Pierre Aubert, médecin généralisteColette Barreteau, psychiatre libérale, PoitiersChristian Bonal, direction des hôpitauxClément Bonnet, psychiatre des hôpitaux, Soisy-sur-Seine, Association de santé mentale du 13e

arrondissement de ParisGérard Bourcier, chef de secteur infanto-juvénile,VincennesAlain Braconnier, médecin directeur, Associationde santé mentale du 13e arrondissement, ParisFrançois Chapireau, psychiatre des hôpitaux,Centre collaborateur de l’OMSMartine Clemente, direction générale de la SantéSerge Kannas, chef de secteur, Centre hospita-lier Charcot, PlaisirViviane Kovess, psychiatre, épidémiologiste as-sociée de santé publique, faculté de médecine,Université de CaenGenviève Laroque, présidente de l’Union natio-nale des amis et familles de malades mentaux(Unafam)Hélène Laure-Mora, secrétaire général de laFNAP-PSYJoël Martinez, secrétaire général de Psycom 75,Saint-MauriceGérard Massé, praticien hospitalierPatrick Mordelet, directeur du centre hospotalierMaison blanche, Neuilly-sur-MarneGuy Nicolas, rapporteur général du HCSPJean-Claude Pénochet, psychiatre des hôpitaux,polyclinique de psychiatrie, MontpellierRené Vezzoli, psychiatre libéral, La RochelleJean-Paul Vincensini, interne de santé publiqueMerci à André Comte-Sponville, PhilippeJeammet, Gérard Massé et Jean-Luc Rœlandpour leur tribune.

Petitjean F., Dubret G., Tabèze P. Psychia-trie à l’hôpital général. Eres, 1994.Senninger J.-L., Fontaa V. Les unités pourmalades difficiles. Heures de France, 1994.Vidon G. (sous la direction de). La réhabi-litation psychosociale en France. Frison-Ro-che, 1996.Zarifian E. Mission générale concernant laprescription et l’utilisation des médicamentspsychotropes en France. Ministère du Tra-vail et des Affaires sociales, mars 1996, 2volumes.Conférence de consensus : textes des ex-perts. Stratégies thérapeutiques à long ter-me des psychoses schizophréniques. Fri-son-Roche, 1994.L’évolution des soins en psychiatrie et laréinsertion des malades mentaux. Ministèrede la Santé et de l’Assurance maladie, juin1995.Annuaire des psychiatres français. AFP, 23,rue Pradier, 92410 Ville d’Avray.

Planification — évalautionKovess V. (sous la direction de). Évalua-tion de la qualité en psychiatrie. Économica,1994.Reynaud M., Lopez A. Évaluation et organi-sation des soins en psychiatrie. Frison-Ro-che, 1994.Soeur A. La politique de santé mentale enquestion. De la circulaire du 14 mars 1960 auRapport Massé. Les Études Hospitalières,1995.Boisguérin B., Parayre Cl., Quemada N.Enquête nationale sur la population prise encharge par les secteurs de psychiatrie géné-rale. Inserm, OMS, ministère des Affairessociales, DGS, juillet 1994.Économie de la santé et psychiatrie. Con-frontations Psychiatriques, 1990, n° 32.

Mission nationale d'appui en santémentale74 bis, avenue Edison75013 Paris

Centre technique national d’études etde recherches sur les handicaps et lesinadaptations236, rue Tolbiac75013 Paris

Adresses utiles

Union des associations de parents etamis des personnes handicapéesmentales (Unapei)15, rue Coysevox75018 Paris

Union nationale des amis et familles demalades mentaux (Unafam)8, rue de Montion75009 Paris