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Résumé Au printemps 1630, lady Jasmine, accompagnée de son mari et de sa plus jeune fille, Fortune, quitte l'Ecosse pour se rendre en Irlande. Fortune a presque vingt ans et il est grand temps de songer à la marier. Pour assurer son indépendance, Jasmine a décidé de lui donner en dot MacGuire's Ford, le vaste domaine qu'elle possède en Ulster. Dans le conflit qui oppose déjà catholiques et protestants en Irlande, MacGuire's Ford est un îlot de paix où les deux confessions cohabitent sans se déchirer. Pour maintenir cet état de grâce, il est indispensable que Fortune épouse un protestant. William Devers semble le prétendant idéal : issu d'une famille de riches hobereaux convertis au protestantisme, il tombe instantanément amoureux de la ravissante Fortune. Mais celle-ci est attirée par le demi-frère de William, Kieran, resté catholique et que sa famille a déshérité. Fou de jalousie, William fomente sa vengeance.

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Résumé

Au printemps 1630, lady Jasmine, accompagnée de son mari et de sa plus

jeune fille, Fortune, quitte l'Ecosse pour se rendre en Irlande. Fortune a

presque vingt ans et il est grand temps de songer à la marier. Pour assurer

son indépendance, Jasmine a décidé de lui donner en dot MacGuire's Ford,

le vaste domaine qu'elle possède en Ulster. Dans le conflit qui oppose déjà

catholiques et protestants en Irlande, MacGuire's Ford est un îlot de paix où

les deux confessions cohabitent sans se déchirer. Pour maintenir cet état de

grâce, il est indispensable que Fortune épouse un protestant. William Devers

semble le prétendant idéal : issu d'une famille de riches hobereaux convertis

au protestantisme, il tombe instantanément amoureux de la ravissante

Fortune. Mais celle-ci est attirée par le demi-frère de William, Kieran, resté

catholique et que sa famille a déshérité. Fou de jalousie, William fomente sa

vengeance.

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PROLOGUE

Ulster, 1630

Elle arrivait. Doux Jésus, elle arrivait ! Elle revenait à MacGuire's Ford. Vingt ans s'étaient

écoulés depuis qu'ils s'étaient vus pour la dernière fois, mais il n'ignorait rien de sa vie.

Son cousin, le prêtre, n'avait jamais rechigné à partager avec lui les lettres qu'elle lui

envoyait. Elle avait mis au monde un enfant illégitime de l'ex-prince Henri Stuart.

Comment un prince, ou n'importe quel homme, d'ailleurs, pouvait-il ne pas l'aimer? se

demanda-t-il avec nostalgie. Elle s'était ensuite remariée à un Écossais, et trois fils étaient

nés de leur union. Sa fille aînée, issue de son deuxième mariage, s'était mariée à son tour

et était mère de deux enfants. Il lui était arrivé tant de choses au cours de ces vingt

années, alors que lui avait dû se contenter des souvenirs qu'il avait d'elle. Des souvenirs

qui lui avaient suffi, jusqu'à présent.

Il passa la main dans ses épais cheveux qui avaient gardé leur couleur d'or rouge, même si

le temps les avait quelque peu ternis. La confusion se lisait dans ses yeux aussi bleus que le

lough Erne. Il poussa un profond soupir. Pourquoi maintenant ? Pourquoi revenait-elle à

MacGuire's Ford au moment même où il commençait à sentir qu'une famille lui

manquait? Il posa la lettre qu'elle lui avait adressée.

— Rory ! Rory MacGuire ! s'écria le père Cullen Butler en surgissant dans le petit salon,

un parchemin déroulé à la main. Jasmine revient en Ulster! Je n'aurais jamais pensé la

revoir un jour. Que Dieu et tous les anges du ciel soient loués !

Le temps avait été clément avec Cullen Butler. Si des cheveux d'un blanc neigeux

couronnaient sa tête, son visage était resté jeune et ses yeux d'azur pétillaient de vie.

— Je ne serai pas là quand elle arrivera, décréta MacGuire.

— Vous le devez, répondit tranquillement le prêtre en prenant la carafe sur le buffet.

Il se servit une généreuse rasade de whiskey fumé à la tourbe avant de continuer.

— Vous êtes le régisseur du domaine, Rory MacGuire. Elle vous a confié l'administration

de MacGuire's Ford en son absence et elle s'attend à vous y trouver à son retour. Il vous

faudra dissimuler ce que votre cœur éprouve, mon ami. Je sais, ce sera moins facile dès

lors que vous la côtoierez tous les jours, mais elle ne restera pas longtemps. Quelques

mois tout au plus. Vous a-t-elle expliqué pourquoi elle revenait? S’enquit-il en avalant

une gorgée de whiskey.

— Non.

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— Elle vient chercher un mari pour la plus jeune de ses filles, lady Fortune Mary Lindley,

celle qui a été conçue et qui est née ici. C'est à croire qu'aucun homme n'a trouvé grâce à

ses yeux, ni en Angleterre ni en Écosse. Elle ne sera bientôt plus de première jeunesse,

pourtant. Une forte tête, cette petite, ajouta-t-il en souriant. Tout comme sa mère au

même âge. Et je suis bien placé pour le savoir puisque j'étais son tuteur. Jasmine veut lui

donner MacGuire's Ford en dot, Rory.

Le prêtre s'installa dans un fauteuil près du feu et fit signe à son compagnon de l'imiter.

— Il vaut donc mieux que je parte, s'entêta ce dernier. Lady Fortune voudra

certainement choisir elle-même son régisseur, et si ce n'est elle, ce sera son mari.

— Allons, pas de conclusions hâtives. Je doute qu'ils aient envie de mettre un étranger à

votre place. Votre famille régnait ici avant que Conor MacGuire et ses gens ne partent

avec les comtes, Jasmine le sait bien. Même aujourd'hui, on vous considère toujours

comme le seigneur du château d'Erne Rock, Rory.

— Seulement en l'absence de sa propriétaire anglaise, rappela MacGuire au prêtre.

— Jasmine ne vous dépossédera pas après tant d'années. Je connais ma cousine, je l'ai en

partie élevée.

— Mais vous ne l'avez pas vue depuis un sacré bout de temps. L'un de ses fils est le neveu

d'un roi. Et je ne parle pas de son mari écossais. Il aura sûrement son mot à dire dans

tout cela.

— James Leslie respecte trop sa femme pour s'immiscer dans ses affaires. Assez

d'enfantillages, Rory MacGuire. Ils arrivent début mai.

— Ils ? Combien sont-ils exactement? demanda Rory avant de vider son verre pour servir

une deuxième tournée.

— Jasmine, son époux et lady Fortune.

— Et ses domestiques ?

— Oui, Adali et la petite Rohana. Toramalli est une femme mariée, aujourd'hui. Elle

restera à Glenkirk avec son mari pour veiller sur le jeune lord Patrick et ses frères. Sage

décision. Le domaine lui appartiendra un jour, alors autant qu'il prenne sans tarder la

mesure des responsabilités qui l'attendent.

— Erne Rock les accueillera tout comme au temps de ma famille, déclara Rory avec un

petit sourire. Je ferais mieux de transporter mes affaires dans le pavillon de gardien.

— Oui, ce serait préférable, admit le prêtre. Autant vous y installer dès maintenant. Si

mes souvenirs sont bons, Jasmine vous en avait fait don. Je crois que ma cousine désire

que Fortune vive en Irlande. Elle est entrée en rapport avec le révérend Steen concernant

une certaine famille protestante. Les Devers, de Lisnaskea. Sir Shane a pour héritier un

jeune homme de vingt-trois ans, et lady Fortune aura vingt ans cet été.

— Comment pouvez-vous songer à un parti protestant? Pour l'amour du ciel, mon père,

vous l'avez vous-même baptisée !

Cullen Butler haussa les épaules.

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— Nous sommes bien loin de Rome, mon ami. Nous savons tous deux que pour entrer

en possession de MacGuire's Ford, lady Fortune Lindley devra épouser un protestant.

N'oubliez pas qu'elle a été élevée par un beau-père anglican. Et Jasmine, tout comme ma

tante Skye - Dieu ait son âme ! -, ne connaît d'autre loi que la sienne en ce qui concerne

la foi. Si Fortune est bien la digne fille de sa mère, elle se montrera équitable et tolérante.

Il y a vingt ans, ce village n'abritait aucun protestant. Aujourd'hui, ils sont là et ils ont

même un temple. Nous vivons tous en bonne intelligence parce que Samuel Steen et

moi-même y veillons. Ma tante Skye, née O'Malley, adorait citer la reine Bess qui se

plaisait à dire: «Il n'y a qu'un seul Seigneur Jésus. Tout le reste n'est que bagatelle. »

Pardonnez-moi mais elle avait raison, et je ne crains pas de l'affirmer, quand bien même

Rome m'excommunierait pour n'avoir fait qu'y penser. J'ai dédié ma vie à l'Église, Rory,

mais l'Église se trompe parfois. Et pas seulement la nôtre. Celle des protestants aussi. Que

certains d'entre eux justifient leur fanatisme au nom de Dieu me dépasse complètement.

Voilà pourquoi j'approuve, sans toutefois le crier sur les toits, un mariage entre lady

Fortune Lindley et le fils de sir Shane Devers. Ne serait-il pas agréable d'avoir un jeune

couple à Erne Rock et des enfants, si Dieu le veut ?

— Vous devenez sentimental avec l'âge, Cullen Butler, remarqua Rory MacGuire d'un ton

affectueux.

Le curé émit un petit rire.

— Moi-même, je suis très surpris d'avoir soixante ans, Rory MacGuire, et vous au moins

dix de moins, à vous voir avec tous vos cheveux flamboyants. Bien, j'espère que vous

avez renoncé à quitter MacGuire's Ford?

— Oui, à moins d'être mis dehors. De toute façon, je ne saurais pas où aller. Il n'en reste

pas moins que ce ne sera pas facile de la revoir.

— Certes, mais vous écouterez la voix du devoir, comme durant toutes ces années, n'est-

ce pas, Rory?

— Oui, répondit le régisseur avec un profond soupir. Tout ce que j'ai fait, c'était pour

elle, mon père.

Satisfait, le curé termina son whiskey et se leva.

— Je vous laisse, c'est l'heure des vêpres. Je reviendrai pour vous aider à traverser cette

épreuve, Rory MacGuire. Que Dieu vous garde !

Rory MacGuire demeura assis, contemplant le feu d'un regard absent. Jasmine revenait à

MacGuire's Ford. Il était tombé amoureux d'elle dès qu'il l'avait vue, à Dundeal, tandis

qu'elle descendait avec grâce la passerelle du Rose de Cardiff au bras de son mari. C'était

la plus belle femme qu'il eût jamais vue. Dès son arrivée à MacGuire's Ford, elle s'était

débarrassée de l'obséquieux Eamon Feeny, l'intendant du roi qui avait chassé des

villageois catholiques.

Mais, aiguillonné par la soif de vengeance, le fourbe était revenu quelques mois plus tard

pour tenter de la tuer. Ce fut son mari qu'il assassina par erreur. On l'arrêta le jour même

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et Jasmine le fit pendre sur-le-champ, la colère ayant réveillé ses féroces instincts celtes. A

peine l'infâme Feeny eut-il rendu son dernier soupir qu'elle avait cédé au chagrin et s'était

évanouie. Elle resta inconsciente plusieurs jours si bien qu'on la crut aux portes de la

mort.

Son serviteur au turban blanc, l'Indien Adali, et son cousin le prêtre vinrent alors le

chercher, lui, Rory, avec une invraisemblable requête. Lui ayant expliqué qu'elle ne cessait

de réclamer son mari et qu'elle ne se réveillerait pas s'il ne revenait pas, ils lui avaient

demandé de prendre la place de Rowan Lindley dans son lit. D'abord ulcéré par cette

suggestion, d'autant qu'elle n'émanait pas seulement d'un serviteur mais aussi d'un

homme d'Eglise, il s'était peu à peu laissé convaincre. Elle se laissait mourir, avaient-ils

affirmé, et ils ne voyaient aucun autre moyen de la ramener à la vie. S'il était assailli par

les scrupules, Rory n'en était pas moins fou de désir, et il ne supportait pas l'idée qu'elle

pût disparaître. C'est pourquoi, avec l'aide et la complicité de ses comparses, il s'était

introduit au château, s'était glissé dans le lit de Jasmine et lui avait fait l'amour

tendrement. Elle avait ensuite plongé dans le sommeil ; un sommeil naturel, cette fois. À

l'idée qu'elle survivrait sans jamais se souvenir de leur union, Rory en avait eu le cœur

brisé. Il n'y avait pas la moindre chance pour qu'elle l'aime un jour ou qu'elle sache

combien il l'aimait.

Durant toutes ces années, le poids de ce méfait avait pesé sur sa conscience et, même si le

prêtre et Adali l'avaient aidé à porter ce fardeau, il ne s'en était jamais remis. Tous trois

aimaient Jasmine, chacun à leur façon.

Il s'était souvent demandé comment elle réagirait s'il lui avouait qu'il avait été son amant

d'un soir. Elle serait sans doute horrifiée, et son nouveau mari n'apprécierait sûrement pas

la nouvelle. De l'avoir tenue dans l'ignorance lui avait permis de rester au château et de

faire fructifier les terres des MacGuire. À présent, il avait cinquante ans et il n'était plus

question de se comporter comme un gamin amoureux. Jasmine ne lui rendrait jamais ses

sentiments. Il s'agissait maintenant de traverser les quelques mois à venir en gardant la

tête haute et sans flancher. Et pas seulement dans son propre intérêt, mais aussi dans celui

de Jasmine.

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PREMIÈRE PARTIE

MacGuire's Ford

CHAPITRE 1

Le fléau de l'Irlande, ce n'est pas l'alcool, c'est la religion.

Kathleen KENNEDY, marquise de HARTFORD

Printemps 1630

Lady Fortune Lindley resserra sa cape de laine taupe autour d'elle sans quitter des yeux

les vertes collines d'Irlande qui se dessinaient de plus en plus nettement à l'horizon. Le

vent de mai encore coupant ébouriffait la fourrure qui bordait sa capuche. Appuyée au

bastingage, elle regardait la brume argentée s'évaporer peu à peu, découvrant un ciel

pâle. Elle se demandait ce qui l'attendait dans cette Irlande inconnue. Allait-elle enfin y

rencontrer l'amour ?

Ses mains gantées se crispèrent sur la rampe. Où avait-elle la tête? L'amour? C'était bon

pour sa mère ou sa sœur India. Fortune Mary Lindley était la seule de la famille à avoir

les pieds sur terre. Sa mère avait eu une vie à la fois fascinante et incroyable. Deux époux

assassinés, dont l'un était le propre père de Fortune. Un bâtard royal, Charlie, issu de ses

amours avec le prince Henri. Prince qu'elle n'aurait jamais pu épouser puisque la famille

royale la considérait comme illégitime. En revanche, elle aurait été une princesse royale

en Inde. En effet, sa grand-mère avait été enfermée dans un harem pour porter l'enfant

de l'empereur avant d'être récupérée par sa famille et renvoyée à son mari écossais.

India, la sœur de Fortune, s'était elle aussi retrouvée dans un harem après avoir été

capturée par des pirates sur le bateau où elle s'était embarquée avec le jeune homme qui

l'avait enlevée. Une fois libérée, elle était rentrée à la maison enceinte du capitaine des

pirates. Furieux, son beau-père l'avait envoyée dans son relais de chasse perdu dans la

montagne afin qu'elle y mît son enfant au monde en toute discrétion. On lui avait retiré

son bébé dès la naissance et on l'avait mariée à un lord anglais. L'amour? Non, très peu

pour elle. Elle n'avait aucune envie que sa vie ressemblât à un mélodrame.

Fortune était une femme pragmatique. Ce qu'il lui fallait, c'était un homme agréable, à

même de lui offrir une existence paisible. Elle l'imaginait raisonnablement séduisant et

possédant sa propre fortune, car elle ne partagerait pas la sienne qu'elle destinait à ses

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enfants. Deux suffiraient. Un fils qui hériterait des terres de son père et une fille qui se

verrait dotée de MacGuire's Ford. En somme, Fortune n'aspirait pas à une vie

extravagante. Elle espérait que l'Irlande lui plairait, mais si ce n'était pas le cas, elle s'en

accommoderait. Un domaine de quelque trois mille acres ne se refusait pas. Le cadeau de

mariage de sa mère ferait d'elle une femme immensément riche. Et la richesse était de

loin préférable à la pauvreté.

— Es-tu en train de penser à William Devers? Lui demanda sa mère qui venait de la

rejoindre.

— Je n'arrive pas à me familiariser avec son nom, maman, répondit Fortune avec un

petit rire.

— Tu as pourtant un cousin William. Le plus jeune fils de ma tante Willow, celui qui a

pris les ordres dans l'Église anglicane. Tu ne l'as jamais rencontré, je crois, mais il est tout

à fait charmant, si je me souviens bien.

Jasmine observait sa fille d'un air pensif. Fortune avait toujours été la plus secrète de ses

enfants.

— Je te rappelle que si ce jeune homme ne te plaît pas, ma chérie, tu n'auras pas à

l'épouser, lui répéta sa mère pour la énième fois.

Il était hors de question que la petite dernière de Rowan fût malheureuse. Ils avaient déjà

frôlé la catastrophe avec India.

— S'il est gentil et présentable, il me conviendra, maman, répondit Fortune en lui

tapotant la main. J'aspire à une vie tranquille, tu comprends ? Je ne suis pas attirée par

l'aventure comme les autres femmes de la famille.

La duchesse de Glenkirk se mit à rire.

— Nous n'avons jamais cherché l'aventure délibérément, tu sais. C'est arrivé, voilà tout.

— Je ne crois pas que ce soit un hasard. Vous êtes toutes tellement impulsives et

téméraires! Jeta Fortune d'un ton désapprobateur.

— Parce que toi, tu n'es pas impulsive, ma petite chasseuse? Combien de fois nous as-tu

laissées sur place, à cheval, en franchissant d'énormes fossés ?

— Ce que saute un cerf, un cheval peut le sauter, rétorqua Fortune. Reconnaissez,

maman, que vous avez toujours été attirée par les climats et les pays exotiques. Vous

n'êtes pas faite pour la tiédeur. Il était inévitable que vous vous retrouviez sur des

chemins semés d'embûches. Je suis différente de vous. Rappelez-vous quand nous étions

en France avec papa, je me plaisais à rester sagement à la maison. Comme lui, je n'ai

jamais été attirée par la Cour. On y rencontre trop de jeunes gens qui ne se baignent pas

régulièrement, trop de langues de vipères avides de potins, ou prêtes à les inventer au

besoin. Non, merci, très peu pour moi.

— Les langues de vipère existent même chez les gens simples, Fortune. Tu as peut-être

grandi dans un milieu trop protégé pour t'en rendre compte, ma chérie, mais sois

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prudente. Si tu veux éviter les erreurs, suis toujours ton instinct, même s'il te semble en

désaccord avec ta nature réaliste. Il ne te trompera jamais.

— Avez-vous toujours suivi votre instinct, maman ?

— La plupart du temps, oui. C'est quand je ne l'ai pas écouté que j'ai connu des

difficultés, répondit Jasmine en souriant.

— Comme lorsque vous nous avez emmenés à Belles-Fleurs après que le vieux roi James

vous a ordonné d'épouser papa?

La duchesse rit franchement.

— Oui, admit-elle. Mais ne raconte jamais à James Leslie que je t'ai dit cela, d'accord? Ce

sera notre secret. Oh, regarde ! Nous entrons dans la baie de Dundalk. Les Irlandais

l'appellent Dundeal. Nous allons bientôt débarquer. Je me demande si Rory MacGuire

sera là, comme lors de ma première visite, avec ton père. Celui qui allait l'assassiner avait

emmené Rory pour conduire l'attelage. Ton père n'a pas mis longtemps à apprendre que

la famille de Rory MacGuire régnait en seigneur sur Erne Rock depuis des siècles. Elle était

partie avec Conor MacGuire, leur suzerain, et les comtes, mais Rory, lui, avait refusé

d'abandonner ses terres et ses gens. Nous avons fait de lui notre régisseur et n'avons

jamais eu à le regretter. Il nous a toujours servis loyalement.

— Est-ce qu'il restera, maman ?

— Bien sûr. Écoute, Fortune, MacGuire's Ford te reviendra le jour de ton mariage. A toi

seule, pas à ton mari. J'espère avoir été assez claire là-dessus. Une femme qui n'est pas

propriétaire de ses biens est vouée à la servitude. Même si tu aspires à une vie simple et

tranquille, tu dois être ton propre maître si tu veux l'obtenir et la préserver.

« En Ulster, l'entente entre protestants et catholiques est fragile. Le moindre

mécontentement peut tourner à l'émeute, c'est pourquoi nous avons isolé MacGuire's

Ford des terres qui l'entourent. Aujourd'hui, catholiques et protestants vivent en bonne

intelligence dans notre village. Chacun fréquente sa propre église et tout le monde

travaille ensemble et en paix. J'ai voulu qu'il en soit ainsi et tu devras continuer dans ce

sens, Fortune. Rory MacGuire s'y applique en mon nom depuis maintenant vingt ans. Il a

préservé la paix entre mon cousin, le père Butler, et notre pasteur protestant, le révérend

Steen. Tu devras veiller à ce que cette bonne entente perdure. Ton mari n'aura pas son

mot à dire dans la gestion de tes affaires et tu ne devras pas te laisser influencer par lui.

Les gens de MacGuire's Ford doivent continuer à cohabiter harmonieusement.

Les voiles du grand navire claquèrent au vent avec un bruit sourd. L'air embaumait l'iode,

et les embruns laissaient sur les lèvres des passagères un goût de sel.

— Pourquoi les catholiques et les protestants s'affrontent-ils, maman ? N'aimons-nous pas

tous le même Dieu?

— Bien sûr que si, ma chérie, mais les Églises sont devenues des instruments de pouvoir

pour les hommes, qui n'en ont jamais assez. Certains deviennent insatiables quand ils

s'aperçoivent que ce pouvoir leur permet de gouverner le cœur et les âmes de leurs

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semblables. Dieu est la plus puissante des armes. Les Églises s'en servent pour intimider le

peuple, chacune s'imaginant qu'il n'y a qu'une seule foi : la sienne. Alors, elles se font la

guerre et tuent au nom de Dieu, convaincues d'avoir raison et d'agir de leur plein droit.

« Il y a longtemps, mon père, ton grand-père, le Grand Moghol Akbar, convia des

représentants de toutes les religions à sa cour. Pendant des années, ils se querellèrent à

propos de la nature de Dieu, la façon de l'honorer, chacun voulant avoir raison. Mon

père écouta leurs débats avec un vif intérêt, puis finit par trouver la religion qui lui

convenait, sa religion personnelle, pas celle que les uns ou les autres voulaient lui

imposer. La foi, ma chère enfant, est une affaire entre Dieu et toi. Ne laisse jamais

personne te faire croire le contraire.

— Ainsi, les hommes se servent de Dieu à des fins personnelles, observa pensivement

Fortune. C'est très pervers.

— En effet. J'ai essayé de t'enseigner la tolérance envers tous les peuples et toutes les

croyances, ne permets pas à quiconque d'essayer de te changer.

— Je ne le permettrai pas, maman, répondit fermement la jeune fille.

— L'homme que tu aimeras risque de t'influencer, tu sais.

— Dans ce cas, je ne tomberai jamais amoureuse. Je ne connais pas encore grand-chose

de la vie, mais j'ai remarqué que la plupart des hommes ne ressemblent pas à mon beau-

père. Il te respecte, il écoute tes conseils. C'est un homme tel que lui que j'aimerais

épouser, maman. J'espère que William Devers répondra à mon attente.

— Ton beau-père me respecte parce que j'ai fait en sorte qu'il en soit ainsi. Quant à

suivre mes conseils... Il les écoute, certes, mais il en tient rarement compte. Les hommes

sont assez entêtés, vois-tu. Il faut apprendre à biaiser pour obtenir ce que l'on veut.

— Oh, j'ai noté comment vous le cajoliez quand vous désiriez quelque chose ! dit

Fortune en riant. Quand nous étions petites, India et moi aimions parier sur le temps que

tu mettrais à parvenir à tes fins.

— Vraiment? Et laquelle de vous deux gagnait le plus souvent ?

— Moi, répondit Fortune avec une pointe de fierté. India était souvent trop pressée de

gagner, mais moi je prenais mon temps. Comme vous, maman. La patience est une vertu

quand il s'agit de traiter avec un homme.

Une fois de plus, Jasmine se mit à rire. Elle caressa tendrement la joue de sa fille.

— Quelle sagesse, ma chérie ! Je crois que William Devers ne sait pas ce qui l'attend.

— La seule chose qu'il veuille, c'est ma dot, jeta sèchement Fortune. Il risque de tomber

de haut quand il apprendra que je resterai propriétaire de mes biens. Peut-être même

renoncera-t-il à m'épouser... ?

— Dans ce cas, il serait complètement fou, répliqua sa mère.

— Qui donc? fit la voix du duc de Glenkirk qui venait de rejoindre sa femme et sa belle-

fille.

— Oh, nous parlions des hommes ! Riposta Fortune d'un ton léger.

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— Et sûrement pas à notre avantage, devina le duc. Alors, n'es-tu pas excitée à l'idée de

rencontrer bientôt le jeune homme qui deviendra ton époux ?

— Pas pour l'instant. J'attends de voir.

James Leslie exhala un long soupir. Décidément, entre India et Fortune, il était servi ! Il

les avait élevées toutes deux, et elles s'étaient montrées plutôt dociles. Les choses s'étaient

gâtées quand elles étaient arrivées en âge de se marier. Il venait seulement de se

réconcilier avec India, après qu'une longue brouille les eut séparés, et il lui avait promis

de ne plus jamais douter de ses enfants.

— Tu as raison, mon petit, acquiesça-t-il, conciliant. Si jamais ce jeune homme se révélait

être un rustre, je ne supporterais pas de te savoir à ses côtés. Non, pas question !

Jasmine sourit. Son mari avait décidé de faire des efforts, de se montrer patient, et il s'y

tenait.

— Nous devrions retourner dans nos cabines vérifier que tout est en ordre pour notre

arrivée, ma chérie, dit-elle à sa fille.

— J'aimerais rester là, maman, et regarder la terre approcher.

— Très bien, s'inclina Jasmine en prenant la main de son mari. Viens, Jemmie, elle veut

être seule.

Ils regagnèrent le pont principal et Fortune s'appuya au bastingage en contemplant les

côtes de ce pays où elle était née. Elle n'y avait passé que quelques mois, aussi n'en

gardait-elle aucun souvenir. À quoi ressemblait-il? Et à quoi ressemblait MacGuire's Ford?

Le château qui allait lui revenir s'appelait Erne Rock et se trouvait sur le lough. Il n'était

pas grand, d'après sa mère, et il y faisait bon vivre. Elle-même y avait coulé des jours

heureux auprès de Rowan Lindley.

Le visage de la jeune fille s'assombrit.

Pourrait-elle trouver le bonheur là où son père avait été brutalement assassiné, peu de

temps après l'avoir conçue ? Elle ne l'avait pas connu et, cependant, il lui avait toujours

manqué. Combien de fois, alors qu'elle séjournait chez son frère aîné Henri, à Cadby,

avait-elle contemplé son portrait dans la galerie de l'immense demeure ? Grand et

fortement charpenté, Rowan Lindley avait un visage aux traits ciselés avec une mâchoire

carrée au menton fendu d'une profonde fossette, des cheveux fauves et des yeux dorés. Il

émanait de sa personne cette arrogance naturelle propre aux hommes issus d'une vieille

famille propriétaire de leurs terres depuis la conquête normande. Henri Lindley

ressemblait à son père, mais c'est India qui avait hérité de ses yeux si rares. Chaque fois

que Fortune en avait eu l'occasion, elle était restée en arrêt devant le portrait de Rowan.

Elle n'avait rien de lui, pas plus que de sa mère d'ailleurs. Elle devait ses grands yeux bleu-

vert à sa grand-mère de Marisco, ses cheveux roux à son arrière-arrière-grand-mère

O'Malley. Elle sourit en songeant à sa grand-mère Gordon qui disait d'elle qu'elle était le

vilain petit canard de la famille avec sa peau claire et sa crinière sauvage. Elle se

demandait à quoi William Devers ressemblait et comment seraient leurs enfants.

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Une pluie fine se mit à tomber et Fortune resserra sa cape autour d'elle. Elle avait

entendu dire qu'il pleuvait souvent mais brièvement en Irlande, et que le beau temps

revenait vite. Scrutant le ciel, elle aperçut en effet des petites plages d'azur entre les

nuages. Quelques minutes plus tard, le soleil brillait de nouveau, comme par magie, et

Fortune décida que le climat de ce pays lui plaisait. C'était déjà ça. Le bateau avançait très

lentement à présent.

D'habitude, il jetait l'ancre dans la baie, mais aujourd'hui il devait décharger à quai en

raison de l'énorme quantité de bagages de lady Fortune Lindley.

Le bateau mouilla et les marins sautèrent sur le quai pour l'amarrer. Un homme de haute

taille se tenait là, immobile. Fortune l'observa en se demandant qui il pouvait bien être. Il

était vêtu simplement d'un pantalon sombre, d'un gilet en daim sans manches avec des

boutons en bois de cerf, d'une chemise de lin blanc et de bottes de cuir. Il ne portait pas

de chapeau et elle constata que ses cheveux étaient d'un roux presque aussi vif que les

siens. Eh bien, au moins, elle se sentirait moins seule! Songea-t-elle avec une pointe

d'humour. L'homme se tenait près d'une grande voiture attelée de six superbes alezans. Le

bateau sur lequel ils avaient voyagé et le quai où ils s'apprêtaient à débarquer

appartenaient à sa famille, Fortune en déduisit donc qu'il en allait de même pour cet

équipage.

— Mais, c'est Rory MacGuire ! s'écria Jasmine, qui se matérialisa soudain aux côtés de sa

fille. Il est venu nous attendre. Quelle charmante attention !

Elle agita la main dans sa direction en criant avec enthousiasme.

— Rory ! Rory MacGuire !

Il l'avait vue s'approcher du bastingage, près de sa fille. Elle avait vieilli bien sûr, mais elle

était toujours la plus belle femme qu'il eût jamais vue. Il répondit à ses signes.

Dès que la passerelle fut abaissée, Jasmine s'y engagea suivie par sa famille et ses gens.

— Rory MacGuire ! répéta-t-elle en tendant les mains vers son régisseur. Comme c'est

gentil à vous d'être venu nous chercher! Cela fait un bout de temps que nous ne nous

sommes vus... Je préfère ne pas compter les années.

Il saisit les mains gantées et les baisa.

— Bienvenue en Irlande, milady, à vous et à votre famille, fit-il en la lâchant.

— Voici mon mari, Rory, James Leslie, duc de Glenkirk.

Les deux hommes se serrèrent la main, s'évaluant du regard. Apparemment satisfaits, ils

sourirent et se saluèrent.

— Ma femme n'a cessé de me vanter vos mérites, MacGuire, dit le duc. Je suis impatient

de visiter le domaine.

— Merci, my lord. Je pense que vous serez satisfait. MacGuire's Ford est une bonne terre.

J'ai amené des chevaux en plus de la voiture, milady, au cas où vous aimeriez monter,

continua Rory. Vous vous rappelez Fergus Duffy ? ajouta-t-il en se tournant vers le

cocher.

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— Fergus Duffy! Comment va Bride, votre charmante épouse ? demanda Jasmine en

adressant un sourire au cocher. Ma fille est impatiente de rencontrer sa marraine.

Elle attira Fortune à elle avant de poursuivre :

— Rory, je vous présente Fortune. Fergus, voici lady Fortune.

Le cocher ôta son chapeau tandis que Rory portait la main de la jeune fille à ses lèvres.

— Bienvenue, milady. J'espère que MacGuire's Ford vous plaira et que vous souhaiterez

y rester.

Fortune plongea son regard dans les yeux bleus qui l'étudiaient. Elle éprouva alors

l'étrange impression de les reconnaître, une sorte de réminiscence, alors qu'elle n'était

qu'un bébé quand elle avait vu cet homme pour la dernière fois.

— Merci, monsieur, répondit-elle, troublée.

— J'ai là une jolie petite jument noire avec laquelle vous devriez vous entendre, dit Rory

en lui lâchant la main.

— Je préfère ce hongre gris pommelé, déclara-t-elle en désignant le cheval en question,

déjà revenue de ses émotions.

— C'est un animal un peu imprévisible, la prévint Rory.

— Comme moi, rétorqua-t-elle avec un sourire espiègle.

Rory MacGuire partit d'un grand rire.

— Pensez-vous pouvoir le tenir, milady ? Je ne voudrais pas qu'il vous désarçonne, alors

que vous venez à peine d'arriver.

— Il n'existe pas un cheval que je ne puisse tenir.

MacGuire interrogea du regard le duc et la duchesse.

James Leslie hocha la tête.

— Il s'appelle Thunder, milady, enchaîna l'Irlandais. Venez, je vais vous aider à monter

en selle.

— Et mes bagages? S’inquiéta la jeune fille.

— Nous aurons besoin de plusieurs chariots, précisa Jasmine. Fortune a apporté toutes

ses affaires, car elle espère s'installer en Irlande.

— Nous en louerons ici même, en ville, répondit Rory. Je n'étais pas certain que la petite

envisagerait de s'établir ici.

— William Devers serait-il donc un mauvais choix ? S’enquit Fortune hardiment.

— Non, milady, répondit Rory en riant. Il est le célibataire le plus convoité du district.

C'est un homme séduisant, et le domaine de Lisnaskea lui reviendra un jour. Il n'est pas

aussi vaste que MacGuire's Ford, mais plus que respectable. Je pense qu'il en décevra plus

d'une le jour où il se mariera.

Fortune resta silencieuse. Ainsi William Devers était un homme convoité... Elle traversa le

quai pour s'approcher du cheval gris qui martelait impatiemment le sol de son sabot.

Elle attrapa la bride et regarda l'animal droit dans les yeux tout en le caressant entre les

naseaux.

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— Alors, mon beau ! Je suis sûre qu'on va bien s'entendre, toi et moi. Prêt pour une

longue promenade ? Oui, je n'en doute pas, mais tu devras te contenir jusqu'à ce que

nous soyons sortis de la ville. Alors seulement nous nous élancerons dans le vent, qu'en

dis-tu ?

Rory MacGuire regardait la jeune fille parler doucement au cheval. Il avait éprouvé un

étrange sentiment en la voyant, comme s'il la connaissait déjà. Ce qui était impossible. En

tout cas, il approuvait sa façon de se comporter avec cet animal. Il s'approcha, croisa les

mains pour qu'elle y posât le pied, et l'aida à se hisser en selle. Il s'aperçut alors que

l'animal n'était pas sellé pour une dame. Mais, visiblement, cela n'avait pas d'importance,

cette étonnante jeune fille montait à califourchon. Il détacha la bride de l'anneau.

Thunder s'agita pour tester sa cavalière. Il secoua la tête de haut en bas, mais elle tenait la

bride d'une main sûre et légère à la fois. Ses genoux pressaient fermement ses flancs,

comme pour l'avertir que c'était elle qui le guidait, pas le contraire.

— Doucement, mon beau, doucement, dit-elle d'une voix douce.

Les oreilles de l'animal s'inclinèrent vers l'arrière. Il l'écoutait, reconnaissant déjà ce timbre

velouté qui lui avait parlé un instant plus tôt. Il se calma.

Rory MacGuire hocha la tête en souriant. Cette jeune fille était une vraie cavalière. Elle

avait de l'instinct. Se retournant, il vit les malles que l'on commençait à décharger du

bateau.

— Bon sang, je n'ai jamais vu autant de bagages! murmura-t-il.

Le duc ne put s'empêcher de rire. Il avait eu la même réaction en découvrant les bagages

de Fortune.

— J'ai envoyé le capitaine chercher des chariots en ville pour le transport, annonça-t-il au

régisseur. Nous n'avons pas besoin d'attendre ici. Avez-vous prévu des montures pour ma

femme et moi ?

— Oui, my lord. Milady peut prendre la jument noire. C'est bien une jument noire que

vous montiez lors de votre dernier séjour à MacGuire's Ford, n'est-ce pas ? ajouta-t-il en

se tournant vers la duchesse.

Elle acquiesça en souriant.

— J'ai un très bel étalon pour vous, my lord, continua-t-il. Il vient d'être dressé. Ce serait

un crime de le châtrer, alors je le garde à l'écart des autres, pour l'instant. Je le destine à

la reproduction. Qui voyagera en voiture ?

— Adali et Rohana, dit Jasmine.

— Ils sont donc toujours avec vous ? Qu'est-il advenu de cette autre petite...

— Toramalli? Elle s'est mariée. Son mari et elle vivent chez nous, à Glenkirk, en Ecosse. Ils

veillent sur nos trois fils. Patrick a quatorze ans, Adam et Duncan treize et dix. Nous

voulions emmener les deux derniers, mais ils ont préféré passer l'été sans nous.

— Vous envisagez donc de rentrer assez vite ?

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— Oui, répondit Jasmine. William Devers nous a été recommandé à la fois par mon

cousin prêtre et par le révérend Steen. Si ce jeune homme et Fortune se plaisent, le

mariage aura lieu avant la fin de l'été, Rory. Et l'Irlande deviendra le foyer de ma fille.

J'aimerais tant qu'elle s'établisse là où elle est née et qu'elle y soit heureuse.

— C'est le souhait de toutes les mères, remarqua Rory.

Dieu qu'elle était jolie malgré les années, songea-t-il. Un soupir faillit lui échapper.

— Bonjour, messire MacGuire, lança une voix.

Rory sursauta et, pivotant, se retrouva face au fidèle serviteur de Jasmine, Adali.

L'homme n'avait pas changé, nota-t-il, un peu agacé. Sa peau cuivrée était toujours aussi

lisse, ses yeux noirs aussi perçants.

— Je ne pensais pas vous revoir un jour, Adali, dit-il en guise de salut.

— On ne se débarrasse pas de moi si facilement, répliqua le serviteur avec un sourire qui

découvrit une rangée de dents blanches parfaites. Tout est prêt?

— Oui.

— Très bien, allons-y. Rohana, dit-il en se tournant vers la servante. Monte dans la

voiture, je te rejoins. Rohana a prévu les bagages nécessaires jusqu'à demain, my lord,

expliqua-t-il au duc. Le reste suivra dans les chariots. Ces dames voudront se reposer

quelques jours avant de lancer des invitations, je présume.

— Certainement, approuva Jemmie en grimpant sur l'étalon.

Après quelques apparitions timides, le soleil avait de nouveau disparu derrière une masse

de nuages gris. Une petite bruine se mit à tomber.

— Cela me rappelle ma première journée en Irlande, confia Jasmine à Rory MacGuire.

Alors, comment va mon cousin ?

— Il se porte comme un charme. Cullen Butler est un homme bien, bien qu'il soit prêtre.

Il ne s'érige pas sans cesse en juge, et il n'est pas étroit d'esprit comme tant d'autres.

Comme il se plaît à le dire, Rome n'approuverait pas sa façon d'être, mais Rome est très

loin. À MacGuire's Ford, il est une vraie bénédiction.

— Et les protestants et leur pasteur?

— Des gens bons et travailleurs. Samuel Steen a beaucoup de points communs avec votre

cousin, milady. Il est intelligent et ouvert. Notre cohabitation se passe à merveille.

— Prions le Seigneur pour que MacGuire's Ford demeure un lieu de paix pour les

hommes de bien, soupira Jasmine.

Après avoir chevauché plusieurs heures durant, ils firent halte dans une petite auberge.

— Je connais cet endroit, Rory, dit la duchesse. Mais lors de mon précédent passage,

c'était une ferme où vivait une femme seule avec ses enfants. Qu'est-elle devenue ?

— Vous ne savez pas? S’étonna Rory. Cette femme s'appelait Mme Tully. Votre défunt

mari, le marquis anglais, lui avait racheté sa ferme pour en faire une auberge, et l'engagea

pour la tenir. Grâce à l'argent de la vente, elle put continuer à faire prospérer ses terres.

Regardez l'enseigne, milady: Le Lion d'Or. Selon Mme Tully, le marquis lui évoquait un

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lion. C'est le seul endroit décent où l'on puisse s'arrêter entre le débarcadère et

MacGuire's Ford. Beaucoup d'Anglais n'y descendraient pas si l'auberge n'appartenait à

l'un de leurs compatriotes, le marquis de Westleigh, et sa famille.

— Mon fils ne m'en a jamais rien dit.

— Il n'est probablement pas au courant. L'administration de l'auberge m'a été confiée. Le

marquis estimait qu'il valait mieux qu'elle soit gérée par un homme sur place plutôt que

par un propriétaire absent.

— Mon Dieu, quand je pense que durant tant d'années je n'en ai rien su! Rowan avait

tellement bon cœur ! Je me souviens de cette pauvre femme avec son gros ventre et tous

ses petits accrochés à elle. Elle vivait dans une pièce misérable, au sol en terre battue. Son

mari l'avait abandonnée pour suivre les comtes. Et aujourd'hui...

Jasmine immobilisa son cheval dans la cour pavée. De la ferme d'autrefois ne subsistaient

que les bâtiments disposés en carré. Des rosiers et des plantes grimpantes se lançaient à

l'assaut des murs blanchis à la chaux. L'écurie était assez vaste pour abriter une trentaine

de chevaux. Il y avait des vitres aux fenêtres et plusieurs cheminées fumaient allègrement.

Des arômes de viande grillée flottaient dans l'air et des odeurs de bonne bière

s'échappaient du bar. Plusieurs palefreniers accoururent vers les nouveaux venus.

— Venez, dit Rory en aidant Jasmine à descendre de cheval. Je vais vous présenter la

nouvelle Dame Tully. Elle parle anglais, maintenant. Elle a vite compris que c'était

nécessaire à sa survie.

Le duc de Glenkirk se sentit légèrement froissé par la familiarité des manières de l'Irlandais

à l'égard de sa femme, mais il se consola en se rappelant qu'à la différence d'Adali et de

Rohana, il était presque sur un pied d'égalité avec elle, dans la mesure où du sang noble

courait dans ses veines. Si les terres ne lui appartenaient plus, il les faisait fructifier pour

elle. James Leslie se dit qu'il devrait faire plus ample connaissance avec le régisseur. Après

tout, cet homme avait géré les biens de sa femme honnêtement.

Jasmine eut du mal à reconnaître Dame Tully qui s'était métamorphosée en une femme

bien en chair aux joues roses. L'aubergiste l'accueillit avec un mélange de chaleur et de

respect, la remerciant encore pour la générosité dont Rowan avait fait preuve à son

égard, jadis.

— Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans lui, conclut-elle.

Les voyageurs s'installèrent dans une petite salle privée pour déguster du mouton rôti

accompagné de légumes, de l'oie fourrée aux pommes, du saumon au fenouil, du pain,

du fromage et du beurre frais. Les pichets de vin et de bière se succédèrent.

— Dommage que nous ne puissions passer la nuit ici, dit James Leslie en repoussant son

assiette, repu.

— Si nous dormons ici, nous n'arriverons pas à MacGuire's Ford avant demain soir, my

lord.

— Où nous arrêterons-nous pour la nuit, MacGuire ?

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— Au manoir de sir John Appleton, nous n'avons pas le choix.

— Il vit toujours? S’étonna Jasmine. Si mes souvenirs sont bons, sa femme et lui étaient

affreusement méprisants et très déplaisants envers les Irlandais. Il avait occupé je ne sais

quelle position mineure à la cour de la reine Bess.

— Il vit toujours, et il ne s'est pas bonifié avec le temps, répondit Rory MacGuire

sombrement. Sa femme est morte, mais sa fille et son gendre vivent avec lui. Et ils ne

valent pas mieux.

— Charmant tableau, commenta James Leslie.

— Oh, ils vous réserveront le meilleur accueil, my lord! C'est avec le reste d'entre nous

qu'ils seront moins aimables, jeta Rory avec un petit rire.

— Ne pouvons-nous dormir ailleurs ?

MacGuire secoua la tête en prenant un air affligé.

Sir John Appleton était devenu un vieil homme obèse affligé de goutte. Sa fille Sarah et

son gendre Richard étaient quant à eux maigres et aigris. Très flattés de recevoir le duc et

la duchesse de Glenkirk ainsi que leur jeune héritière, ils placèrent Fortune près de leur fils

John dans l'espoir qu'un miracle se produisît. Ils en furent pour leurs frais, car ce dernier,

un rustre habitué à parler haut et fort, fut réduit au silence par la beauté et l'assurance de

Fortune. Elle ne ressemblait à aucune des jeunes filles de sa connaissance et elle l'intimida

réellement. De son côté, elle l'ignora. Le jeune Appleton avait des boutons sur la figure et

les mains moites. Son manque de conversation ne le racheta pas à ses yeux et elle le jugea

plutôt niais.

— Vos chevaux ont une fameuse réputation, remarqua le vieux sir John. C'est étonnant,

quand on sait que vous employez des Irlandais catholiques. Ils ont dû vous voler tant et

plus, ma pauvre.

— J'emploie des catholiques et des protestants dans mon domaine, répondit Jasmine

avec un sourire suave. J'en suis très contente et je ne fais aucune différence entre eux, sir

John. Ce sont tous d'honnêtes gens.

— Des papistes adorateurs d'idoles, rétorqua le vieil homme d'un air venimeux.

— Sornettes ! Intervint soudain Fortune, exaspérée. Les catholiques ne vénèrent pas des

idoles, ils vénèrent Dieu !

— Madame, votre fille a besoin d'être réprimandée ! s'exclama sir John. Elle est insolente

et butée !

— Fortune, présente tes excuses à sir John, s'il te plaît, dit Jasmine à sa fille. On ne peut

rien contre l'ignorance.

— Bien, maman, s'inclina Fortune avec douceur. Je vous présente mes excuses compte

tenu de votre ignorance, sir John.

Sur ce, elle se leva avec un petit sourire et demanda la permission de se retirer.

Sir John et sa famille n'étaient pas certains d'avoir reçu de réelles excuses mais ils n'osèrent

en discuter plus avant avec la duchesse de Glenkirk. En tout cas, ils décidèrent que cette

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fille ne convenait pas du tout à leur fils. Elle était beaucoup trop jolie et bien trop

effrontée. Elle finirait mal, cela ne faisait aucun doute. Quand leurs invités annoncèrent à

leur tour qu'ils se retiraient, ils se sentirent soulagés.

Rory MacGuire, Adali et Rohana s'étaient vu servir un repas dans la cuisine de la vaste

demeure. Les serviteurs se montrèrent suspicieux. Quand ils eurent terminé de dîner, on

leur annonça que Rohana pouvait rejoindre sa maîtresse mais que les deux hommes

dormiraient aux écuries.

— Le maître n'admet pas les gens de votre espèce chez lui, déclara la cuisinière. C'est

qu'on n'a pas envie de mourir égorgés dans notre lit !

— Je doute qu'aucun homme songe à s'approcher de cette femme-là, remarqua peu après

Adali avec humour, tandis que Rory et lui s'installaient pour la nuit dans le grenier de

l'écurie.

Il étendit son manteau sur la paille et s'assit.

— J'ai dormi dans des endroits pires que celui-ci, observa-t-il.

— Moi aussi, renchérit Rory en déployant sa cape à son tour. Elle a l'air heureuse, ajouta-

t-il en s'y étendant.

— Elle l'est, confirma Adali.

— Bien.

— Vous ne vous êtes jamais marié, messire MacGuire ?

— Non. Dès l'instant où les terres ne m'appartenaient plus, je n'avais rien à offrir à une

femme. Des enfants m'auraient apporté des complications dans la mesure où ils auraient

été de foi catholique, de sang irlandais, et des étrangers sur leur propre terre tant qu'elle

était occupée par les Anglais. N'étant moi-même pas sûr de l'avenir, je ne voudrais pas y

ajouter le souci d'une famille.

— Vous n'avez pas besoin d'une femme? Insista Adali.

— Après elle ?

— Ce n'était qu'une heure, au cours d'une nuit, il y a près de vingt et un ans, messire

MacGuire. Êtes-vous en train de me dire qu'il n'y en a pas eu d'autre depuis ?

— Oui. Oh, disons que j'ai vu de temps en temps une veuve au village, connue pour ses

largesses envers des hommes comme moi. Une femme très discrète que personne ne s'est

jamais avisé de traiter de traînée.

— Et vous, messire, pouvez-vous être aussi discret ?

— Bien entendu! Ne l'ai-je pas toujours été jusqu'à présent! Elle ne sait rien de ce qui s'est

passé. Je ne voudrais pas la bouleverser.

— C'est bien. Elle vous considère comme son ami, messire MacGuire, et je suis convaincu

que vous ne souhaitez pas perdre cette amitié. Elle aime James Leslie et il l'aime. Ils ont

bâti leur vie en Ecosse avec leurs enfants.

— Ne craignez rien, Adali, répondit Rory MacGuire, une note de tristesse dans la voix.

Elle ne m'a jamais considéré autrement que comme un ami, et je n'aspire à rien d'autre.

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Je ne prendrais pas le risque de gâcher ce lien au profit de rêves qui n'ont pas la moindre

chance de se réaliser. Je donnerais ma vie pour milady Jasmine, mais elle ne saura jamais

rien de ce que j'ai fait pour lui sauver la vie, autrefois. Cela nous couvrirait de honte tous

les deux.

— Non, messire MacGuire, vous n'avez pas à rougir. Le prêtre, vous et moi avons fait ce

que nous devions faire. Nous n'avons pas à nous sentir coupables ou honteux de quoi

que ce soit. Bonne nuit, maintenant, et à demain.

— Bonne nuit, Adali, répondit Rory en s'enroulant dans sa cape.

Avant de s'endormir, il songea que les mois à venir allaient être les plus durs de sa vie.

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CHAPITRE 2

Le soleil n'était pas encore levé quand ils quittèrent la demeure d'Appleton.

— Vous transmettrez à votre maître nos remerciements pour son hospitalité, mais nous

devons partir tôt si nous voulons arriver avant la nuit, expliqua le duc de Glenkirk au

majordome.

Sa famille et lui étaient en vérité peu désireux de revoir leurs hôtes.

Aussi obséquieux que sir John, l'homme s'inclina devant le duc.

— Très bien, my lord. Mon maître sera désolé d'apprendre que vous êtes partis sans qu'il

vous ait fait ses adieux, susurra-t-il.

— Il est tout excusé, répondit James Leslie avant de sortir avec Jasmine et Fortune.

Il faisait humide et brumeux. La voiture qui transportait Adali, Rohana et une petite

partie des bagages avait déjà pris la route. Rory attendait ses compagnons de voyage près

des chevaux. Ils grimpèrent sur leurs montures et s'éloignèrent sans tarder sur le chemin

gravillonné.

Le brouillard se dissipa lentement mais le ciel resta couvert et il se remit à pleuvoir. Loin

de ternir les couleurs, la grisaille faisait paraître la campagne plus verte, par contraste. Le

paysage doucement vallonné était parfois ponctué d'une tour en ruine ou d'un petit

village. Ces derniers étaient plus rares que lors de son précédent séjour, constata Jasmine.

Certains étaient à l'abandon.

D'autres semblaient avoir été rasés. Seule une croix celtique brisée au milieu d'une place

envahie par les mauvaises herbes attestait de leur existence passée.

L'Ulster se dépeuplait.

— Que s'est-il passé ici? demanda-t-elle à Rory.

— Tous les propriétaires terriens ne sont pas comme vous, milady. Vous connaissez le

sort réservé à ceux qui embrassent la foi catholique. Beaucoup ont été chassés de leurs

terres pour avoir refusé de se convertir au protestantisme.

— Mais, la plupart de ces propriétaires ne vivent même pas en Irlande ! Quelle différence

cela fait-il pour eux, dès lors que leurs terres sont bien entretenues et prospères ?

— Ils ont nommé des régisseurs qui ont suivi la loi à la lettre, expliqua Rory. La plupart

sont anglais, comme les colons. Nous avons aussi des propriétaires écossais, mais pour

l'instant ils restent en Ecosse, sauf ceux qui ont la possibilité d'abandonner leur clan pour

aller chercher des terres.

— Qu'est-il arrivé à tous ces gens ?

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— Ils ont rejoint leur famille dans d'autres régions d'Irlande où l'on n'applique pas la loi

aussi rigoureusement. Ou bien ils sont morts ou sont partis vivre dans des endroits

reculés. Certains ont émigré en France ou en Espagne.

— Ainsi va le monde, commenta tranquillement Fortune, surprenant ses compagnons.

C'est ce que mes études m'ont appris et c'est ce que dit souvent maman. Un peuple en

conquiert un autre, et ainsi de suite. Rien n'est immuable. Je suis d'accord avec ma mère

pour ce qui est de l'Irlande: l'intolérance est source de malheur et de cruauté.

— Et elle sévit aussi bien chez les catholiques que chez les protestants, précisa Rory. A

MacGuire's Ford, nous avons la chance que les deux représentants de ces religions soient

des hommes à l'esprit ouvert. Mais c'est exceptionnel. Il y a autant de pasteurs protestants

qui expliquent à leurs fidèles que le catholicisme est une religion perverse d'adorateurs

d'idoles que de prêtres catholiques affirmant que les protestants sont des hérétiques que

l'on devrait brûler, ici-bas ou en enfer. Des points de vue de ce genre ne disposent pas à

la tolérance ou à la compréhension mutuelle, milady. J'ai bien peur qu'il y ait sur cette

terre plus de gens comme John Appleton que comme votre maman.

— Vous l'aimez beaucoup, n'est-ce pas? Observa Fortune en rapprochant sa monture.

Rory sentit son cœur se serrer mais il parvint à sourire.

— En effet, milady. Son sang irlandais a sûrement contribué à faire d'elle une dame de

cœur.

— Elle m'a conseillé de vous garder si je reste ici, parce que vous êtes un homme de

confiance et qu'il y en a peu.

— Votre mari ne sera peut-être pas d'accord, milady.

Fortune le dévisagea comme s'il avait perdu l'esprit.

Il reconnut ce regard mais elle ne le tenait pas de sa mère.

— Mon mari n'aura pas son mot à dire en ce qui concerne MacGuire's Ford. Si j'épouse

William Devers, il n'entrera pas pour autant en possession de mes terres. Il a les siennes.

Dans ma famille, les femmes ne cèdent pas leurs biens à leur mari. C'est totalement

impensable !

Rory éclata de rire.

— Votre maman vous a bien élevée, milady! S’exclama-t-il, à la fois vivement amusé et

profondément soulagé.

— Donc, si j'épouse William Devers, vous garderez votre place, Rory MacGuire, déclara-

t-elle. De plus, j'aurai besoin de vous pour faire mon éducation en matière d'élevage et

de commerce de chevaux. Je sais peu de chose à leur sujet, hormis que je les aime et que

j'adore monter.

— Vous savez aussi leur parler. Je vous ai vue faire avec Thunder. Qui vous a appris cela,

milady?

Fortune le fixa un instant, perplexe.

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— Personne, répondit-elle finalement. J'agis toujours ainsi avant de monter sur un cheval

que je ne connais pas. Question de politesse. Mes frères et sœurs se moquent de moi,

mais il n'empêche que je n'ai jamais été désarçonnée depuis que je suis en âge de monter

sur un poney.

— C'est votre côté irlandais, décréta-t-il en souriant.

— Vous me plaisez, Rory MacGuire, déclara la jeune fille.

— Vous me plaisez aussi, lady Fortune Mary Lindley, riposta-t-il.

— Comment connaissez-vous mon nom complet? S’étonna-t-elle.

— Ignorez-vous, milady, que je suis votre parrain ?

— Vraiment?... Maman! lança-t-elle en direction de sa mère qui chevauchait derrière eux.

Est-ce vrai que Rory MacGuire est mon parrain ?

— Oui, confirma Jasmine.

— Dans ce cas, je peux vous appeler oncle Rory! s'écria Fortune avec enthousiasme. Et

vous pourrez m'appeler Fortune quand nous serons entre nous, en famille.

Rory se tourna vers Jasmine qui hocha légèrement la tête.

— D'accord, Fortune, acquiesça-t-il, conquis par la générosité et le charme de la jeune

fille.

Elle n'était pas fière. Les gens de MacGuire's Ford l'adopteraient sans problème et la paix

perdurerait, si toutefois William Devers ne s'interposait pas. Rory se demanda comment il

prendrait le fait que sa jeune épouse entendît garder et gérer ses biens. Connaissant

Jasmine, le futur marié devrait sans doute signer un document légal avant de passer la

bague au doigt de la jeune beauté aux cheveux de feu.

La pluie faiblit peu à peu, et quand ils firent halte pour reposer les chevaux et manger un

peu de pain et de fromage, le soleil brillait. Ils devraient arriver à MacGuire's Ford en

milieu d'après-midi, estima Rory. Jetant des coups d'œil discrets, il remarqua les échanges

complices entre Jasmine et James Leslie. Ils étaient si visiblement et profondément épris

l'un de l'autre, qu'il en eut le cœur serré. Contrairement à ce qu'il avait dit à Adali la nuit

dernière, et au père Cullen Butler à d'autres occasions, il avait toujours gardé l'espoir

infime et secret qu'elle l'aimerait un jour. Cela n'arriverait jamais, il était en mesure de

l'affirmer, à présent. Ce fut comme si une part de lui-même mourait, et un soupir à

fendre l'âme lui échappa.

Assise près de lui, dans l'herbe, Fortune s'écria :

— Que se passe-t-il, oncle Rory? Je n'ai jamais entendu de soupir plus déchirant de ma

vie. Ne soyez pas triste, fit-elle en appuyant la tête contre son épaule et en lui prenant la

main.

Sa compassion inattendue le toucha au point que les larmes lui montèrent aux yeux. Il les

refoula prestement.

— Ah, mon enfant, nous, Irlandais, sommes facilement sujets à la mélancolie, répondit-il

en pressant dans la sienne la jolie main fine. Ne vous inquiétez pas.

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Il se leva et l'aida à se redresser.

— Bien, il est temps de se remettre en route. Vous étiez un adorable bébé, Fortune Mary

Lindley, et vous êtes devenue une bien noble dame.

— Je me demandais d'où me venaient ces accès de morosité, oncle Rory. Je sais à présent

que je dois remercier mon arrière-grand-mère irlandaise! plaisanta-telle.

Ils continuèrent le voyage à une allure plus réduite, après avoir rattrapé la voiture, et

chevauchèrent sous un beau et chaud soleil. Ils parvinrent enfin au sommet d'une colline

au pied de laquelle s'étendait une vaste étendue d'eau scintillante: le lough Erne. Fortune

et James Leslie apprirent que ce lac provenait de l'Erne, une rivière qui, après avoir

traversé la région de Fermanagh, allait se jeter dans la baie de Donegal, à Ballyshannon.

— D'ici, on aperçoit MacGuire's Ford, et là-bas, dominant le lac, Erne Rock Castle, dit

Rory.

— Regarde, chérie, ces chevaux que tu aperçois dans les prés, ce sont les nôtres! Et les

moutons, aussi. Je vois que le cheptel que nous avons envoyé de Glenkirk a prospéré,

Rory.

— Oui, milady.

Ils dévalèrent la colline jusqu'au village. A leur approche, un groupe de petits garçons se

mirent à courir en criant, à la fois en irlandais et en anglais :

— Ils arrivent ! Ils arrivent !

Aussitôt, des gens apparurent sur le seuil des maisons, quittèrent les champs pour se

porter à leur rencontre, s'alignant le long de la route pour assister au retour de la

maîtresse de MacGuire's Ford après vingt ans d'absence.

Avisant un visage familier, Jasmine tira sur les rênes de son cheval et sauta à terre.

— Bride Duffy ! s'écria-t-elle en se précipitant vers sa vieille amie.

— Oh, milady! Bienvenue à MacGuire's Ford! Bienvenue !

Les deux femmes s'étreignirent avec chaleur, puis Jasmine fit signe à Fortune d'approcher.

Celle-ci s'exécuta et fit une courte révérence devant la paysanne aux cheveux et aux joues

rouges.

— Comment allez-vous, madame Duffy ? Je suis heureuse de vous rencontrer enfin.

— Que Dieu vous bénisse, milady! Dire que vous n'étiez qu'un bébé la dernière fois que

je vous ai vue !

Après une brève hésitation, elle serra la jeune fille dans ses bras.

— Alors, vous voilà revenue dans ce pays où vous êtes née? Et pour vous marier, m'a-t-

on dit.

— Seulement si le jeune homme me plaît, s'empressa de préciser Fortune.

Bride Duffy s'esclaffa.

— Telle mère, telle fille !

— Mes deux filles savent ce qu'elles veulent, admit Jasmine. Viens, Bride, je vais te

présenter mon mari, James Leslie.

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Après bien des arrêts, les nouveaux venus arrivèrent enfin au château. La voiture où se

trouvaient Adali et Rohana les avait précédés. Vieux de trois cents ans, Erne Rock Castle

se dressait sur un promontoire entouré de douves profondes étayées par d'épais murs de

pierre. Pour y accéder, il fallait franchir un pont-levis. Quand il était relevé, le petit

château se transformait en une forteresse imprenable.

Dès qu'ils pénétrèrent dans la cour, des palefreniers se précipitèrent pour s'occuper de

leurs montures. Pressée de découvrir sa future demeure, Fortune suivit sa mère.

Après les écuries et le corps de garde se trouvait un petit escalier; elle prit le temps de

s'arrêter au bas des marches pour respirer le parfum d'une rose.

A l'intérieur, Erne Rock Castle se révéla chaleureux et accueillant. De superbes dalles

recouvraient le sol du rez-de-chaussée tandis que celui de l'étage était revêtu de parquet

ciré. Deux cheminées où crépitait un bon feu réchauffaient la grande salle en cette froide

après-midi de mai. La pièce n'était guère plus vaste que le salon privé à Glengirk, nota

Fortune. Sur l'un des murs, une tapisserie représentait saint Patrick emmenant les serpents

d'Irlande. Les meubles en chêne clair luisaient. Il y avait aussi une bibliothèque bien

fournie, un bureau où Rory administrait le domaine et, sur l'arrière, les cuisines. De

nombreuses chambres avec cheminée occupaient l'étage.

Jasmine ouvrit la porte de la plus grande d'entre elles.

— C'est là que tu es née, Fortune. Là que la sœur de Mme Skye, Sœur Eibhlin, t'a mise au

monde. C'est ta naissance qui m'a donné le plus de mal. Tu ne te présentais pas bien.

J'avais parié une pièce d'or avec maman que tu serais un garçon !

— Avez-vous été déçue ? S’enquit Fortune qui n'avait encore jamais entendu cette

histoire.

— Certes, non! Comment aurais-je pu l'être? Tu étais un bébé parfait, avec le grain de

beauté de ton grand-père juste au-dessous de la narine gauche. Et surtout, Fortune,

surtout, tu étais le dernier cadeau que ton père m'avait laissé et je l'aimais profondément.

Toi, India et Henri, vous êtes tout ce qui me reste de Rowan Lindley, avec quelques très

doux souvenirs.

— Qu'est-il arrivé à ma grand-tante Eibhlin? Estelle toujours en vie ? J'aimerais la

connaître.

— Hélas! Ma chérie, Eibhlin O'Malley - Dieu ait son âme ! - est morte deux ans après ta

naissance, dit Jasmine en essuyant une larme.

Penser à Eibhlin lui rappelait sa grand-mère.

Décidément, l'Irlande la rendait triste.

— Cette chambre sera la tienne, continua-t-elle, se ressaisissant. C'est celle qui revient à la

maîtresse de maison.

— Je ne suis pas encore la maîtresse d'Erne Rock, maman. Prenez cette chambre avec

papa. Si j'épouse William Devers, nous verrons, mais pour l'instant, je préfère l'une de

celles qui donnent sur le lac.

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— Tu es sûre ?

— Oui. A moins que... Cela te chagrine peut-être d'occuper une chambre que tu

partageais avec mon père autrefois ?

— Non, ma chérie. J'en garde des souvenirs heureux, autant que tristes. J'espère que mon

Jemmie m'aidera à effacer ces derniers de sorte qu'Erne Rock ne soit associé pour moi

qu'à des images de bonheur, car c'est là que tu es née, là que tu te marieras et là que

naîtront mes petits-enfants.

— Peut-être, dit Fortune.

Jasmine prit la main de sa fille et les deux femmes s'assirent sur le grand lit.

— Ma chérie, je sens depuis le début une réticence en toi au sujet de ce mariage. Il est

normal qu'une jeune fille ait quelques appréhensions au moment de franchir le pas, mais

il me semble qu'il y a autre chose. Qu'est-ce qui te préoccupe, ma fille?

— Papa et vous me répétez sans cesse que je ne suis pas obligée d'épouser William

Devers s'il ne me plaît pas. En même temps, vous semblez déjà me voir mariée, comme si

cela allait de soi. Je ne suis pas comme vous, maman. Je ne veux pas que l'on choisisse

mon mari à ma place. Je veux le choisir moi-même! D'abord vous m'emmenez dans ce

pays étrange et ensuite vous vous attendez que j'épouse un inconnu. Et si je ne veux

vraiment pas de lui? Que m'arrivera-t-il?

Les yeux bleu-vert de Fortune exprimaient la plus vive inquiétude.

— Si tu ne veux vraiment pas de ce jeune homme, nous n'en parlerons plus, c'est tout,

répondit Jasmine. Mais qu'est-ce qui te fait croire qu'il ne te plaira pas ? C'est seulement

parce que tu ne le connais pas? Fortune, il est vrai que mon père, le Grand Moghol, avait

choisi mon premier mari. Je n'ai vu le prince Jamal Khan qu'au moment de la cérémonie.

Toutefois, mes parents ont fait leur choix avec sagesse, et j'ai été heureuse avec lui.

Ensuite, ma grand-mère a élu ton père alors que je ne l'avais jamais rencontré. Et c'est le

vieux roi James qui a choisi ton beau-père, que je connaissais pourtant. Parfois, nos aînés

savent mieux que nous ce qui nous convient. Cela dit, si vraiment ce jeune homme te

déplaît, tu ne l'épouseras pas. Ni Jemmie ni moi-même ne désirons que tu sois

malheureuse.

— Ni lui ni vous ne connaissez ce William Devers, remarqua Fortune d'un air sombre.

— Mon cousin, le père Cullen Butler, le connaît, ainsi que le révérend Steen. L'un et

l'autre estiment qu'il devrait te convenir, alors, attendons de voir, d'accord ? Quoi qu'il

en soit, dans la mesure où sa famille a été avisée, il serait bien que tu te montres aimable

avec ce jeune homme.

— Bien sûr, répondit Fortune sans enthousiasme.

— Viens, fit Jasmine en se levant. Allons rejoindre les hommes en bas. Mon cousin doit

être là.

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La mère et la fille descendirent dans le vestibule bras dessus bras dessous, et trouvèrent

Rory MacGuire et James Leslie en train de discuter avec le prêtre. Jasmine lâcha Fortune

et se précipita vers lui.

— Cullen Butler! Je suis tellement heureuse de te revoir ! Et si rayonnant de santé ! Merci

d'avoir aidé à maintenir la paix à MacGuire's Ford.

Jasmine enroula les bras autour du cou de son cousin et l'embrassa sur les joues.

— Et toi, Yasamin Kama Begum, tu es toujours aussi belle alors que tu es la mère d'une

tripotée d'enfants ! répondit-il en la serrant contre lui, les yeux brillant de joie.

— Je suis aussi grand-mère, Cullen. J'ai un petit-fils qui s'appelle Rowan et une toute

petite petite-fille, Adrianna.

Le prêtre se tourna vers Fortune, et son cœur fit un bond en découvrant sa chevelure

flamboyante; son visage demeura cependant calme et bienveillant.

— Je suppose que vous êtes lady Fortune Mary, que j'ai moi-même baptisée il y a

quelques années. Soyez la bienvenue, mon enfant !

Fortune s'inclina en souriant. Elle vit immédiatement en Cullen non seulement un ami

mais un allié.

— Merci, mon père.

Il la releva et déposa deux baisers sonores sur ses joues.

— Appelez-moi cousin Cullen quand nous sommes en famille, mon enfant, proposa-t-il.

Eh bien, vous avez vraiment grandi depuis la dernière fois que je vous ai vue! Je constate

que vous avez les cheveux de votre aïeule O'Malley, une Ecossaise native de l'île de Skye.

Je ne l'ai pas connue, car elle est morte avant ma naissance, mais ses cheveux de feu

étaient célèbres.

« Il est malin, songea Adali qui se tenait légèrement en retrait. Mme Skye serait contente.

» C'était elle qui avait envoyé Cullen en Inde pour veiller sur sa maîtresse. Et voilà qu'il

était en train de glisser subtilement dans la tête de tout le monde que lady Fortune tenait

ses boucles rousses de sa famille alors qu'aucun de ses frères et sœurs, ni même de ses

cousins, n'avait les cheveux d'une couleur aussi vive. Il sourit, satisfait.

— J'aimerais voir le révérend Steen, disait Jasmine.

— Je lui ai proposé de venir vous accueillir avec moi, mais il a préféré nous laisser en

famille, répondit le prêtre.

Il viendra demain.

— Et les Devers? Quand les rencontrerons-nous?

— La semaine prochaine. Je les ai invités pour trois jours, de façon à laisser aux jeunes

gens le temps de faire connaissance. Etes-vous impatiente de rencontrer votre promis,

mon enfant? C'est un jeune homme séduisant, je vous assure.

— Il n'est pas mon promis tant que je ne sais pas si nous nous plaisons et si nous sommes

assortis. Il est hors de question que j'épouse un homme que je n'aime pas.

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— Personne n'a l'intention de vous l'imposer, fit le prêtre. Le mariage est un sacrement

merveilleux qu'il s'agit de respecter. Néanmoins, ce que je sais de William Devers n'est pas

pour me déplaire, et quelque chose me dit qu'il en sera de même pour vous.

— Ma chérie, Adali va te faire visiter le reste du château, intervint Jasmine. S'il doit te

revenir, il est important que tu le connaisses de fond en comble.

Dès que la jeune fille se fut éloignée avec le serviteur, le prêtre observa :

— Elle est hésitante, et c'est naturel. Quel âge a-t-elle maintenant?

— Elle aura vingt ans cet été, répondit Jasmine.

— Elle devrait être mariée depuis longtemps, marmonna le duc de Glenkirk. Ce qui

aurait été le cas si sa sœur aînée ne s'en était mêlée.

— Jemmie, tu avais promis de ne pas créer de problèmes avec Fortune. Cela ne ferait

que l'inciter davantage à camper sur ses positions. Après tout, si William Devers ne lui

plaît pas, ce ne sera pas la fin du monde, mon chéri. Il y a un homme fait pour elle,

quelque part sur cette terre, et elle le trouvera en temps voulu, j'en suis sûre.

— Tu ressembles de plus en plus à ta grand-mère, grommela James Leslie. A son âge, ta

fille devrait être mariée, Jasmine. Nous lui avons trouvé un jeune homme de bonne

famille, séduisant, et destiné à entrer en possession d'un héritage substantiel. Fortune a

beaucoup de chance qu'il ait répondu favorablement à notre proposition, car elle n'est

plus si jeune. Vingt ans, c'est presque déjà trop tard pour se marier.

— Cette perspective la rend nerveuse, mais dès qu'elle aura vu le jeune William, elle sera

rassurée, my lord, je vous le garantis, assura Cullen Butler au duc.

— Rory? S’enquit James Leslie en interrogeant le régisseur du regard.

— Je n'ai entendu que du bien, à propos de ce jeune homme, my lord. Sa mère fait la loi

à Lisnaskea, m'a-t-on dit, mais le jeune couple vivra ici, à Erne Rock. C'est un garçon bien,

paraît-il, quoique, personnellement, je préfère son frère aîné.

— Son frère aîné? Je croyais que William Devers était l'unique héritier de son père ! C'est

impossible s'il a un frère aîné.

— L'aîné a été déshérité, my lord, répondit Rory.

— Pourquoi?

— C'est un catholique, my lord.

— Comme c'est affreux! s'exclama Jasmine.

— Tel est le monde dans lequel nous vivons, commenta le duc avec amertume.

— Nous sommes l'objet de discriminations et pourchassés en Irlande, et particulièrement

en Ulster, expliqua le prêtre. Les peines encourues par les catholiques sont les mêmes ici

qu'en Angleterre. Nous n'avons pas le droit d'avoir la charge de fonctions publiques,

excepté à la Chambre des lords.

— Mais c'est parce que les catholiques ne peuvent prêter serment de suprématie au roi

puisqu'ils ne le reconnaissent pas comme chef de l'Église en Angleterre, remarqua

Jasmine.

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— Les messes publiques sont interdites et personne n'a le droit d'héberger un prêtre, la

contra Cullen Butler. Notre présence ici, à MacGuire's Ford, vous oblige à payer des

amendes à la couronne, n'est-ce pas ? Sans cela, nous serions chassés, vous le savez bien.

Je veille à ce que mes fidèles assistent aux services du révérend Steen plusieurs fois par

mois pour écarter les soupçons de trahison qui planent sur nous. Ceux qui ne

communient pas les jours de fêtes importantes encourent une amende de vingt livres.

Trois infractions de ce genre sont considérées comme une trahison.

— Vous connaissez les raisons de ces mesures, dit Jasmine. Ma grand-mère était à Paris

avec mon grand-père Adam en 1572, quand eut lieu le massacre de la Saint-Barthélemy.

À Rome, le pape Grégoire XIII se réjouit ouvertement de la mort de tous ces protestants,

et organisa une procession de prêtres et de cardinaux pour célébrer l'événement. Pour

couronner le tout, il n'hésita pas à encourager publiquement le meurtre de la bonne reine

Bess, offrant l'absolution à celui qui l'assassinerait. En 1605, des catholiques anglais

illuminés complotèrent pour attaquer le palais de Westminster pendant que le vieux roi

James s'adressait au peuple. Néanmoins, je ne suis pas d'accord pour que tous les

catholiques soient pénalisés et persécutés à cause des exactions de quelques fanatiques.

— Nous partageons le même point de vue, ma chère cousine. Merci.

Les jours qui suivirent, Jasmine, James et Fortune se remirent tranquillement des fatigues

de leur long voyage.

La jeune fille explora le domaine, seule ou en compagnie de Rory MacGuire. Elle décida

très vite qu'elle n'apporterait aucun changement, car elle appréciait l'Irlandais et sa façon

de conduire les affaires. En outre, ils se découvrirent de nombreux points communs, en

particulier leur amour des chevaux. Il semblait à Fortune qu'ils se connaissaient depuis

toujours.

Le lundi matin, le révérend Samuel Steen vint saluer la maîtresse d'Erne Rock et la future

mariée. C'était un homme de haute stature, avec de beaux yeux gris, des cheveux bruns

qui commençaient à grisonner et une petite barbe.

— Bonjour, milady, fit-il de sa voix grave et bien timbrée en s'inclinant devant Jasmine.

— Je suis heureuse de vous connaître enfin, révérend Steen. Venez vous asseoir près du

feu. Le temps est humide aujourd'hui. Steen... Sans vouloir vous offenser, je trouve que

c'est un curieux nom.

Le révérend prit place près du foyer sans se faire prier.

— Ce nom vient du Hainault, milady. Je suis issu d'une famille de maîtres tisserands qui

arrivèrent en Angleterre il y a trois cents ans avec la reine Philippa. Avec d'autres familles

de tisserands, nous étions chargés de créer des fabriques afin que la laine soit traitée sur

place plutôt qu'à l'étranger. Nous avons quitté l'Angleterre pour la Hollande il y a

quelques années parce que nous étions persécutés à cause de notre religion. Il y a dix ans,

on nous a offert de rejoindre les colonies anglaises. Hélas ! Notre bateau, le Speedwell,

déplora une avarie et fut bloqué dans un port anglais. On nous proposa alors de venir en

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Irlande ou bien de retourner en Hollande. Nous avons choisi l'Irlande. Dieu eut la bonté

de mettre messire MacGuire sur notre chemin le jour même où nous abordions. Il se

trouvait là, sur le quai, et nous offrit de nous héberger à MacGuire's Ford à condition que

nous maintenions la paix avec nos voisins catholiques. Comment aurions-nous pu refuser

une telle offre quand nous avions connu l'horreur des persécutions? Certains de nos

compatriotes refusèrent cependant d'accepter cette condition, et nous partîmes sans eux.

Depuis ce jour, nous n'avons jamais regretté notre décision, milady.

— Et moi non plus. Dans ses lettres, mon cousin Cullen m'a raconté que vous aviez

ouvert une fabrique de tissage au village et que vous aviez appris le métier à vos voisins

catholiques. Je suis très heureuse que vous ayez pris cette initiative, révérend. Demain, je

saurai si vous avez été aussi avisé pour choisir le futur mari de ma fille, acheva-telle avec

un sourire.

— J'ai aperçu la jeune demoiselle à cheval avec messire MacGuire. C'est une belle enfant.

Le jeune William lui conviendra, répondit-il en lui rendant son sourire.

— S'ils se plaisent! Je suis une mère d'aujourd'hui, Samuel Steen, je ne forcerai pas ma fille

à se marier contre son gré.

Le pasteur parut quelque peu déconcerté, mais il se garda de faire un commentaire. Il ne

doutait pas que les deux jeunes gens se plairaient et que le mariage aurait lieu.

— Votre fille est protestante ? S’enquit-il.

— Elle est née ici, à MacGuire's Ford. Elle est l'enfant posthume de mon deuxième mari

et fut baptisée par mon cousin. Toutefois, elle a été élevée dans l'Église d'Angleterre.

— Peut-être pourrais-je lui donner le baptême protestant ? suggéra-t-il. Sir Shane et sa

femme sont très stricts sur les questions de religion. Sauf votre respect, milady, le passé de

votre fille risque de les dérouter.

— Un seul baptême suffit à tout bon chrétien, révérend Steen. Si le fait que ma fille ait

reçu le sacrement catholique les heurte, c'est que leur fils n'est pas fait pour elle. Lady

Fortune est une riche héritière, vous savez. Ce ne seront pas les prétendants qui lui

manqueront si son choix ne s'arrête pas sur William Devers. Estimons-nous déjà heureux

qu'elle ait accepté de le rencontrer, conclut Jasmine avec un sourire suave.

«Cette femme a du caractère», songea le pasteur sans se laisser démonter pour autant. Il

espérait que sa fille lui ressemblait sur ce point parce que sa future belle-mère, lady Jane

Anne Devers, était aussi têtue que la duchesse de Glenkirk. Cette protestante

intransigeante lui avait déjà confié qu'elle entendait chasser les catholiques de MacGuire's

Ford quand son fils en deviendrait le maître. Le jeune William était plus malléable, mais

quand le jeune couple ferait d'Erne Rock leur demeure permanente, il serait davantage

sous l'influence de sa femme que sous celle de sa mère. Ce qui était une bonne chose,

selon lui, car il ne voyait aucune raison de déposséder les catholiques de leur village pour

une question de religion. Tout le monde vivait en bonne intelligence à MacGuire's Ford,

et si personne n'interférait, les choses continueraient ainsi.

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Le jour de la visite des Devers à Erne Rock arriva. Ce matin-là, Fortune prit un bain avec

l'aide de sa nouvelle femme de chambre, Rois, la dernière des petites-filles de Bride

Duffy. C'était une svelte jeune fille de dix-huit ans, aux cheveux noirs, aux grands yeux

bleus et au teint de porcelaine. De minuscules taches de rousseur parsemaient son nez.

Elle s'exprimait d'une voix douce et semblait intimidée par sa maîtresse. Sa grand-mère

l'avait formée personnellement avant qu'elle entre au service de lady Fortune, une

position très convoitée.

— As-tu un prétendant, Rois ? lui demanda Fortune en sortant de la baignoire pour

s'envelopper dans une grande serviette chaude.

Rois rougit.

— Kevin Hennessey et moi aimerions nous fréquenter, milady, mais grand-mère affirme

que nous ferions mieux de nous concentrer sur notre travail. D'ici à un an ou deux, nous

pourrions entrer à la Cour.

— Que fait ton Kevin ? Voulut savoir Fortune, découvrant avec étonnement que la jeune

servante ne jouissait pas d'une plus grande liberté qu'elle-même.

— Kevin aide messire MacGuire à s'occuper des chevaux.

— Et cela lui plaît ? Il est compétent ?

— Oh, il les aime ses bestiaux, comme il dit! Et il sait s'y prendre, croyez-moi. On

prétend même qu'un jour il pourrait prendre la place de messire MacGuire, mais bien sûr,

nous n'en sommes pas là, milady.

— L'as-tu déjà embrassé?

Rois rougit de plus belle.

— Milady... vous ne devriez pas me questionner sur ces choses-là.

— Cela signifie que tu l'as embrassé ! Parfait. Quel effet cela fait-il d'être embrassée? Par

un homme, je veux dire, parce que, personnellement, cela ne m'est jamais arrivé, en

dehors de ceux de ma famille, ce qui n'a rien à voir. Je suppose que c'est très différent.

Rois hocha la tête en frictionnant vigoureusement sa maîtresse.

— Quand Kevin m'embrasse, enfin, s'il m'embrassait... mon cœur se mettrait à battre si

fort que j'aurais l'impression d'avoir un tambour dans la poitrine. Mon être tout entier

semblerait irradié de lumière. C'est difficile à décrire mais c'est merveilleux. Je veux dire,

ce serait merveilleux si cela arrivait.

Fortune s'esclaffa, espiègle.

— Cela ne m'avance guère, Rois. Tu en as fait l'expérience pour savoir ce que l'on

ressent, non? Je me demande au bout de combien de temps William m'embrassera, et si

j'aimerai cela.

— La plupart des femmes aiment ça, répondit Rois en enfilant une chemise propre à sa

maîtresse.

— Ma mère, sûrement, remarqua Fortune en ajustant la dentelle qui bordait le décolleté

profond et les manches coupées au niveau du coude.

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Rois roula des bas de soie couleur crème et les remonta le long des jambes fines avant de

les fixer aux jarretières à motif de petites roses. Elle aida ensuite sa maîtresse à passer

plusieurs jupons, puis la jupe de soie d'un vert profond qui se déployait dans le dos et

s'ouvrait sur le devant pour laisser apparaître le jupon de brocart crème et or.

— Asseyez-vous, milady. Je vais vous coiffer.

Rois libéra l'épaisse chevelure rousse relevée sur le crâne et la brossa vigoureusement

avant de la séparer par une raie au milieu. Elle rassembla les boucles folles en un chignon

plat sur la nuque puis dégagea un unique accroche-cœur devant l'oreille gauche.

Elle fit un pas en arrière, admira son œuvre et sourit.

— A présent, vous pouvez passer votre corsage, milady.

Il s'agissait d'un haut au décolleté carré qu'elle tira fermement vers le bas de façon à

laisser visibles les dentelles de la chemise qui venaient border le décolleté et ondulaient

au niveau du coude. Une robe simple mais coûteuse.

— Vous êtes très belle, milady, déclara la jeune femme de chambre. Voulez-vous que je

vous apporte votre coffret à bijoux ?

— Oui, s'il te plaît.

Fortune choisit un long rang de perles qui se mariait à la perfection avec sa tenue, ainsi

qu'un bracelet à deux rangs assorti qu'elle fixa au poignet gauche. Elle attacha autour du

droit une chaîne d'or sertie d'émeraudes. Passant en revue ses bagues, elle se décida pour

une grosse perle de style baroque, une émeraude ronde et sa chevalière en or gravée aux

armes de la famille Lindley, deux cygnes aux cous entrelacés en forme de cœur.

— Voilà qui devrait être suffisamment impressionnant pour une première rencontre, dit-

elle avec un petit rire.

— Oh, milady ! Gloussa Rois en rangeant le coffret.

On frappa doucement à la porte. Rois n'eut pas le temps d'aller ouvrir que la duchesse de

Glenkirk faisait son entrée, vêtue d'une robe de soie bordeaux agrémentée d'un collier de

rubis et de pendants d'oreilles assortis. De nombreuses bagues et des bracelets somptueux

mettaient ses mains en valeur. Ses cheveux étaient coiffés comme ceux de sa fille,

l'accroche-cœur en moins.

— Bravo! commenta Jasmine, félicitant à la fois sa fille et sa servante. Le vert va

parfaitement avec la couleur de tes cheveux, de tes yeux et de ton teint. Tu as hérité de

la peau des O'Malley, chérie. Tu es très belle.

— Merci, maman. Je vois que vous êtes prête pour la bataille, plaisanta-t-elle. Ce n'est

peut-être pas très gentil d'intimider cette pauvre lady Jane dès notre première rencontre.

— Je me suis laissé dire que lady Jane était une femme très imposante, Fortune. Je tiens à

lui montrer que je le suis davantage et que, par voie de conséquence, tu ne te laisseras

pas faire. Il est important de signifier clairement ces choses-là dès la première entrevue

afin d'éviter des complications ultérieures. N'oublie pas que c'est le jeune William que tu

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es censée épouser, pas son dragon de mère. Il paraît qu'il est très agréable, tout comme

son père.

— Madame la Duchesse a raison, milady, intervint Rois avec une audace inattendue. Ma

grand-mère m'écorcherait vivante si elle savait que je vous en parle, mais des rumeurs

courent à propos de lady Jane.

— Quelles rumeurs ? demanda Fortune.

— On dit qu'elle hait les catholiques et qu'elle n'en acceptera aucun dans son entourage.

Ceux de Lisnaskea doivent cacher leur foi au risque de tout perdre, leur maison, leur

position... Elle tolère la présence sous son toit de messire Kieran, son beau-fils,

uniquement par peur du scandale qui en découlerait si elle le chassait. Sous son influence,

sir Shane l'a déshérité quand il a refusé de se convertir au protestantisme à l'âge de vingt

et un ans.

— Comment se fait-il que le fils aîné de sir Shane soit catholique ? S’étonna Jasmine.

— Sir Shane est né au sein de la seule véritable Église, répondit Rois en toute ingénuité.

Sa première femme - Dieu ait son âme, la pauvre - était une parente de messire Rory,

lady Mary MacGuire. Elle lui donna trois enfants avant de mourir. Moire, l'aînée, puis

messire Kieran. Lady Mary mourut en mettant au monde la dernière, Colleen. Les deux

plus vieux avaient six et quatre ans quand leur mère disparut. Deux ans plus tard, Sir

Shane courtisait puis épousait lady Jane Anne Elliot, la fille d'un marchand londonien.

« Elle était l'héritière de quelques biens et sir Shane a été à la fois séduit par sa fortune et

par sa personne. Mais le mariage était soumis à la condition que sir Shane se convertisse

au protestantisme et élève ses enfants dans cette religion. Le pauvre homme n'avait pas

une foi solide et il s'est incliné. Il avait trois enfants orphelins de mère et s'il possédait des

terres et du bétail, il était loin d'être riche. C'est son beau-père qui a fourni l'argent

nécessaire pour la restauration du presbytère et pour l'achat de nouvelles bêtes.

«Ses deux filles ont suivi le même chemin que lui. Moire avait alors huit ans, elle était sa

préférée. Elle voulait lui plaire, et craignait de le perdre au profit de sa belle-mère,

quoique, pour être honnête, il faille reconnaître que lady Jane a été bonne avec les

enfants de son mari. La petite Colleen n'avait que deux ans quand son père s'est remarié.

Lady Jane est la seule mère qu'elle ait jamais connue. En revanche, messire Kieran avait

six ans et il était déjà très obstiné. Il adorait sa mère et il n'a gardé que deux souvenirs

d'elle: une miniature qu'il porte toujours sur lui et sa foi. Son père et sa belle-mère le

forçaient à les accompagner au temple le dimanche, mais ensuite, il se sauvait pour aller

assister aux messes clandestines qui étaient célébrées à Lisnaskea. Il s'est passé des années

avant que son père et lady Jane découvrent le pot aux roses, mais il était alors assez

grand pour leur tenir tête.

« Lady Jane a donné deux enfants à son mari. Elizabeth, qui est né quand messire Kieran

avait sept ans, puis William, l'année suivante. C'est leur seule progéniture. Toujours selon

la rumeur, sir Shane aurait une maîtresse, une certaine Molly Fitzgerald, et deux filles

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seraient nées de leur relation. Mais on n'en parle pas parce qu'elle est catholique. Pour

revenir à messire Kieran, son père lui a lancé un ultimatum quand il a eu vingt et un ans.

Soit il renonçait au catholicisme, soit l'héritage revenait à William. Il paraît que le père et

le fils se sont querellés si violemment à ce sujet qu'on les a entendus jusqu'à Ballyshannon.

Mais Kieran Devers a refusé de renoncer à sa foi pour quelques terres. C'est ainsi qu'il a

été déshérité au profit de messire William.

— Et Kieran habite toujours dans la maison de son père ? S’étonna Jasmine.

— Sa belle-mère ne voulait pas que son père le dépouille par crainte du qu'en-dira-t-on.

Elle tenait à ce que son beau-fils apparaisse comme le seul responsable de ses déboires, et

qu'elle-même passe pour la bonne et gentille lady. Alors, messire Kieran habite dans une

dépendance du manoir. Personne ne sait quel rôle exact sa belle-mère a joué dans la

perte de son héritage. Elle attache une grande importance à l'image que les autres ont

d'elle.

« Le pauvre messire Kieran n'a nulle part où aller. Il n'a plus personne du côté de sa mère,

et la famille qui lui reste du côté de son père est à Donegal. C'est tout juste s'ils ont

entendu parler de lui. Kieran Devers est fier mais pas sot. Selon ma grand-mère, il ne

reste que pour ennuyer lady Jane. Elle veut paraître charitable envers lui mais elle ne l'est

vraiment pas. Il paraît qu'elle a tenté d'empêcher son mari de lui allouer une rente

annuelle afin d'apaiser sa conscience, mais sir Shane ne s'est pas laissé faire. Il n'est pas

non plus indifférent à ce qu'on dit de lui. Il a donc couché son fils aîné sur son testament

et lui donne cette somme grâce à l'héritage que sa femme a reçu de son père. On raconte

que messire Kieran se réjouit de reverser une bonne partie de cette rente à l'Eglise que sa

belle-mère déteste tant. Je ne l'ai jamais vu moi-même, mais il paraît que messire Kieran

est beau comme un Dieu et insolent comme le diable. Et puis, il est bon et toujours prêt à

aider ceux qui sont dans le besoin. Exactement comme ceux d'entre nous qui ont été

chassés de leurs terres à cause de leur foi.

— J'ignorais que tu possédais une telle éloquence, la taquina Fortune.

— C'est votre maman qui m'a posé une question, je n'ai fait qu'y répondre.

Jasmine souriait.

— Vous avez la tête sur les épaules, comme ma fille, Rois. Bride ne s'est pas trompée en

vous choisissant pour Fortune.

La porte de la chambre s'ouvrit de nouveau et la tête du duc apparut dans

l'entrebâillement.

— L'attelage des Devers traverse le village, annonça-t-il à sa femme. Il ne faudrait pas que

nous soyons en retard, au risque de paraître grossiers. N'avons-nous pas estimé que la

première impression était déterminante ?

— Qui, nous ? releva Fortune malicieusement.

— J'ai l'impression que je ne t'ai pas donné assez de fessées quand tu étais petite,

rétorqua James Leslie.

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— Vous ne m'en avez pas donné une seule, papa, répondit Fortune en glissant son bras

sous le sien.

— Eh bien, j'aurais dû, décréta-t-il avant de se tourner vers sa femme. Où sommes-nous

censés les accueillir, madame ?

— Dans la grande salle, répondit Jasmine. Adali les introduira. Il s'agit de leur montrer

d'emblée que notre rang est bien plus élevé que le leur. Le fait que nous ayons pensé à

eux pour notre fille devrait les honorer. Mais... plus j'entends parler des Devers, plus je

doute que nous ayons fait le bon choix. Je crains que nous n'ayons manqué de

discernement.

Si James Leslie fut surpris par les propos de sa femme, il n'en montra rien. Le duc savait

que Jasmine parviendrait à ses fins quoi qu'il dise, et il devait bien reconnaître que la

plupart du temps elle avait raison.

— Rien n'est signé, ni même arrêté pour l'instant, lui rappela-t-il. Nous sommes libres de

changer d'avis si le jeune homme ne plaît pas à Fortune, ou si nous décidons qu'il ne lui

convient pas, Jasmine chérie.

— Je suis ravie de constater que tu penses comme moi, Jemmie.

Le vacarme de l'attelage sur les pavés de la cour se fit entendre à l'instant où ils entraient

dans la grande salle.

Vêtu de son habituel pantalon blanc, de sa tunique et de son turban, Adali sortit sous le

porche et attendit que les Devers descendent de voiture et soient à mi-chemin de

l'escalier extérieur pour s'incliner devant eux avec déférence.

— Sir Shane. Lady Jane. Messire William. Je suis Adali, le majordome de la duchesse.

Bienvenus à Erne Rock Castle. Si vous voulez bien me suivre, ajouta-t-il en pivotant. Le

duc et la duchesse vous attendent dans la grande salle avec lady Fortune.

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CHAPITRE 3

Lady Jane Devers jeta un regard de biais à son mari.

— Elle a un serviteur basané, Shane? murmura-t-elle. Nous n'avons pas été informés

qu'elle frayait avec ces gens-là.

— Si cet homme occupe une place aussi importante chez le duc et la duchesse, Jane, c'est

qu'il est digne de leur confiance. A présent, tais-toi si tu ne veux pas gâcher toutes les

chances de William de conclure ce mariage. Cette fille est une riche héritière.

— Moi aussi, je l'étais.

— Pas comme cette petite, répliqua son mari tandis qu'ils faisaient leur entrée dans la

grande salle.

Shane Devers était un homme de haute stature, aux cheveux argentés et aux yeux bleu

sombre. Son visage buriné dénotait une vie passée au grand air et ses mains robustes

étaient celles d'un cavalier.

Par comparaison, sa femme semblait fade avec ses cheveux d'un blond terne et ses yeux

bleu délavé. Elle avait conservé un teint frais, bien que la roseur de ses joues semblât

davantage due à l'artifice qu'à la clémence des années. Sa robe à panier, avec sa jupe à

hauteur des chevilles et son corsage en pointe, était démodée. Dès qu'elle vit celle de la

duchesse, lady Jane comprit que la sienne, bien que d'une belle couleur bleu nuit et

coupée dans une étoffe d'excellente qualité, la désavantageait complètement. Elle en

aurait pleuré. Pourquoi ne s'était-elle pas renseignée pour savoir ce que lady Leslie

porterait? Mais aussi, elle avait supposé que, venant d'Écosse, son hôtesse ne serait pas

habillée à la dernière mode.

Jasmine éprouva un sentiment de triomphe sous le regard scrutateur de lady Jane. Cette

dernière était impressionnée. Parfait! Il ne faisait aucun doute que si William Devers

devait devenir son gendre, les relations avec sa mère autoritaire ne seraient pas des plus

simples.

Elle sourit avec grâce.

— Bienvenus à Erne Rock, sir Shane, lady Jane, William. Puis-je vous présenter mon

époux, James Leslie, duc de Glenkirk, et ma fille, lady Fortune Mary Lindley ?

Sir Shane et son fils s'inclinèrent devant leurs hôtes tandis que lady Jane exécutait une

brève révérence.

— Merci de nous recevoir, votre Grâce, répondit sir Shane. J'ai toujours été curieux de

voir Erne Rock de l'intérieur.

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— Je crois que votre première épouse était une cousine des seigneurs d'Erne Rock, les

MacGuire? Glissa Jasmine.

— Cette parente était plus proche de Conor MacGuire et des siens, bien que les

MacGuire d'Erne Rock aient partagé un arrière-grand-père avec elle, répondit-il.

— Ah, dit Jasmine avant de sourire au séduisant jeune homme qui se tenait aux côtés de

son père.

— Voici mon fils et mon héritier, William, dit sir Shane. Et ma femme, lady Jane,

s'empressa-t-il d'ajouter comme celle-ci lui enfonçait un doigt dans le flanc pour le

rappeler à l'ordre.

— Comment allez-vous, votre Grâce ? fit lady Jane avant de tourner les yeux vers

Fortune.

Cette fille était beaucoup trop jolie, et presque déplacée avec ses cheveux d'un roux si...

flamboyant. D'ailleurs, elle avait presque le type irlandais.

— Enchantée de faire votre connaissance, très chère, susurra-t-elle. Ma chère belle-fille

s'appelle Mary, elle aussi.

— Je ne m'appelle pas Mary, madame, mais Fortune, parce que ma mère a estimé que la

fortune lui avait souri en lui permettant de me concevoir la nuit même où mon père fut

assassiné.

Jane Anne Devers faillit s'étrangler. Cette fille était-elle donc dépourvue de toute

délicatesse pour oser employer un mot tel que concevoir ?

— Fortune est donc un prénom unique, ma chère. Mais si c'est celui que vous avez

l'habitude d'entendre, eh bien, nous nous habituerons.

— Pour ma part, je trouve ce prénom merveilleux, intervint William en s'inclinant sur la

main de la jeune fille. Votre serviteur, milady Fortune.

Il plongea son regard bleu dans celui de Fortune avec un sourire charmeur qui découvrit

une rangée de dents blanches.

— Monsieur, répondit-elle en soutenant son regard.

Il avait les cheveux châtain doré, et la dominait par la taille, ce qui la rassura, car elle

était grande pour une femme. Son visage et ses mains tannés suggéraient qu'il passait une

bonne partie de son temps au grand air. Par ailleurs, il semblait plutôt bien fait.

— J'espère avoir recueilli votre approbation, milady, murmura-t-il de sorte qu'elle fût la

seule à l'entendre.

— La première impression est bonne, monsieur, rétorqua-t-elle.

William Devers se mit à rire. Il n'aimait pas les femmes timorées et timides, et était

agréablement surpris de constater qu'elle n'était ni l'un ni l'autre. Il ne s'attendait

nullement à ce que cette Fortune Lindley lui plût. Il estimait beaucoup plus agréable de

devoir dompter un chat sauvage que de se voir offrir un petit chien docile. Comme son

père le lui avait toujours dit, une femme était comme un animal de compagnie. Il fallait

la chérir, la protéger et la dresser. Néanmoins, le dressage promettait d'être bien plus

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excitant si l'on avait affaire à une fille de caractère, affirmait Shane Devers. De toute

évidence, Fortune Lindley n'en manquait pas.

— Je vous propose un verre de vin pour célébrer notre rencontre, déclara Jasmine.

Adali, s'il te plaît, veux-tu aller ouvrir l'un de ces tonneaux d’Archambault qui vieillit à la

cave? Il devrait être à maturité. Des gaufrettes pour l'accompagner me sembleraient

parfaites.

— Tout de suite, ma princesse, acquiesça Adali en s'inclinant légèrement avant de

disparaître.

— Ce... serviteur, articula Jane Devers, incapable de réprimer sa curiosité plus longtemps.

Il est étranger, n'est-ce pas ?

— Adali ne m'a pas quittée depuis le jour de ma naissance. Il est moitié indien, moitié

français, madame. Je suis née en Inde, et si vous considérez Adali comme un étranger, je

le suis aussi dans la mesure où mon père était le souverain de l'Inde, Akbar le Grand

Moghol. Quant à ma mère, elle était anglaise avec des racines irlandaises. Elle fut sa

quarantième et dernière épouse. Quand je suis arrivée en Angleterre, j'avais seize ans et

j'étais veuve. Mon deuxième mari était le père de Fortune, le marquis de Westleigh, et le

duc est mon troisième époux. Notre mariage a été arrangé par le roi James et notre

chère reine Anne, aujourd'hui disparus, Dieu ait leur âme !

Et voilà ! Lady Jane avait de quoi se mettre sous la dent ! ajouta-t-elle pour elle-même.

Mais Jane Devers était du genre coriace.

— Trois maris, Seigneur! Pour ma part, j'ai toujours estimé qu'un seul était largement

suffisant. Combien d'enfants avez-vous donc, en plus de cette chère Fortune ?

— Eh bien, commença-t-elle, surprenant le regard pétillant de James Leslie qui retenait

son souffle en attendant la suite, j'en ai trois de Lindley, deux filles et un garçon. Trois

garçons et une fille de mon Jemmie, plus une fille que nous avons perdue, hélas! Sans

oublier mon fils du prince Henri. Oui, Henri fut mon amant entre mon deuxième et mon

troisième mariage. Un jeune homme tout à fait charmant, qui m'a donné un fils, Charlie

Stuart, le duc de Lundy.

— Vous êtes la mère d'un bâtard? s'écria Jane Devers en pâlissant sous le choc.

— Madame! s'exclama son mari, mortifié de l'entendre employer un tel terme.

— Les Stuarts ont toujours distribué leurs faveurs avec générosité, n'est-ce pas, Jemmie ?

Lança plaisamment Jasmine. Par ailleurs, aucun enfant de sang royal n'est considéré

comme une marchandise avariée. Le roi adore son neveu, lady Jane. Depuis sa naissance,

Charlie a toujours été accueilli à bras ouverts à la Cour, et on ne fait aucune différence

entre lui et les autres enfants Stuart. Son grand-père, le vieux roi, était tellement heureux

- c'était son premier petit-fils - qu'il décida de faire du comté de mon grand-père de

Marisco un duché, le jour où Charlie en hériterait. Et il tint parole. Ah, voilà Adali !

Venez, lady Jane, sir Shane. Je vais vous faire goûter ce vin qui provient des vignobles

que la famille de mon grand-père de Marisco possède en France.

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Une lueur d'amusement dansait dans les yeux de William Devers. Il espérait que Fortune

serait aussi drôle que sa mère. Il faillit éclater de rire quand sa propre mère, oubliant les

bonnes manières, avala avant tout le monde une grande gorgée du contenu du verre en

argent qu'on lui tendait. Toute sa vie, il avait tenté sans succès d'ébranler sa maîtrise de

soi à toute épreuve. Même son frère aîné, Kieran, ne parvenait pas à la faire sortir de ses

gonds. Alors, quel plaisir de voir sa future belle-mère y parvenir aussi aisément !

— Aux enfants ! déclara Jasmine en levant son verre. En souhaitant que ce mariage soit

béni des dieux.

— Aux enfants, répétèrent sir Shane et le duc de Glenkirk.

Jane Devers leva son verre sans enthousiasme. Elle se demandait brusquement si lady

Fortune Lindley était vraiment la belle-fille qu'elle recherchait. Son propre frère avait une

fille ravissante, Emily Anne Elliot, qui conviendrait parfaitement à William. Dieu merci,

rien n'était signé ! Elle avait encore le temps de dissuader son fils chéri de se perdre dans

cette épouvantable mésalliance. Aucune fortune au monde n'était susceptible d'effacer le

fait que la mère de sa promise avait donné naissance à un bâtard. Quelle honte !

À cet instant, un prêtre pénétra dans la pièce en compagnie du révérend Samuel Steen. La

main de lady Jane vola jusqu'à sa gorge tandis qu'elle cessait de respirer.

— Mon cher cousin ! s'exclama Jasmine. Venez partager ce vin avec nous ! Et vous aussi,

Samuel Steen. Adali, deux autres verres !

— Cousin ? Shane ! Elle a appelé le curé « cousin » ! murmura frénétiquement lady Jane à

son mari. Si elle est protestante, comment peut-elle avoir un prêtre catholique pour

cousin ?

— Je te rappelle, ma chère, que j'étais catholique avant de t'épouser. Beaucoup de ces

familles anglo-irlandaises sont issues des deux religions. Ne te mets pas dans tous tes états,

Jane. Ce mariage s'annonce idéal pour notre William. Regarde-les, tous les deux, ils

semblent déjà s'entendre à la perfection. Il ravira son cœur en moins de temps qu'il n'en

faut pour le dire.

— Cette fille m'inspire quelques doutes, marmonna sa femme. Le manque de sens moral

de sa mère me semble pour le moins inquiétant. Emily Anne ferait peut-être une

meilleure épouse pour William. Imagine que lady Fortune ressemble à sa mère ? Je

préfère ne pas penser au calvaire qu'endurerait notre cher fils.

— Elle me semble assez pétulante, je te l'accorde, mais il n'y a pas de mal à être un peu

excessif quand on est jeune, Jane.

— Pourquoi n'irait-elle pas chercher un mari en Angleterre ou en Ecosse, Shane? Peut-être

y a-t-elle déjà une réputation exécrable qui n'est pas encore parvenue jusqu'à nous ? Et

quand nous en serons avisés, il sera trop tard !

Sur ces mots, elle vida nerveusement son verre.

— Adali, du vin pour lady Jane, glissa Jasmine.

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— Accorde-lui une chance, chérie, chuchota discrètement Jemmie à l'oreille de son

épouse. La pauvre femme est déjà à genoux.

— Nous avons commis une erreur, répondit Jasmine sur le même ton. Je ne veux pas

que ma fille épouse le fils de cette femme. Tu ignores ce que j'ai appris ce matin.

— Mais tu ne manqueras pas de me le dire. Oublie lady Jane, Jasmine chérie, et regarde

ta fille. Le jeune William et elle semblent s'accorder, et nous n'y sommes pour rien.

Rappelle-toi qu'elle aura vingt ans dans quelques mois et qu'elle a déjà éconduit un

nombre non négligeable de prétendants très respectables, aussi bien en Angleterre qu'en

Ecosse. Si ce jeune homme-là lui plaît, ce sera lui.

— Qui vivra verra... répondit Jasmine en observant les jeunes gens.

En dehors de ses yeux bleus très clairs, William n'avait rien de sa mère. Un bon point,

dut-elle reconnaître. Et il avait du charme. Cependant, ce n'était pas le premier à en

posséder, et Fortune n'avait pas succombé pour autant.

Leslie avait raison; sa fille était terriblement difficile quant au choix de son mari. «Je leur

achèterai une maison en Angleterre », décida Jasmine. Après tout, rien ne les obligeait à

vivre à Erne Rock, et le jeune Devers serait certainement content d'habiter près de

Queen's Malvern ou de Cadby où Henri s'était établi. Ainsi, elle pourrait les voir chaque

année aussi facilement qu'elle voyait India. Oui ! Elle leur offrirait une superbe demeure

comme cadeau de noces, en plus de MacGuire's Ford.

— Je reconnais cette lueur dans tes yeux, remarqua son mari. Et cela ne me dit rien qui

vaille. Qu'es-tu en train de manigancer, ma Jasmine chérie ?

— Rien... Sinon que je peux probablement avoir ma part du gâteau, répondit-elle

mystérieusement.

— Que Dieu nous garde ! répliqua-t-il.

Sur ce, Jasmine endossa sa tenue d'hôtesse parfaite.

— Lady Jane, vous connaissez bien sûr notre cher Samuel Steen. Je vous présente mon

cousin, le père Cullen Butler.

— Milady, fit le prêtre en s'inclinant poliment.

Lady Jane lui adressa un vague signe de tête et se détourna aussitôt.

— Cela fait plaisir de vous revoir, Shane Devers, enchaîna Cullen Butler en ignorant la

rebuffade que cette femme croyait lui avoir infligée.

Il connaissait sa réputation et ne se sentait nullement offensé. Au contraire, c'était elle qui

souffrait d'être contrainte de s'asseoir dans la même pièce qu'un prêtre catholique,

songea-t-il en se réjouissant secrètement. Il allait devoir dire une pénitence pour ses

pensées peu charitables... Trois Ave Maria suffiront, décida-t-il.

— Mon père, le salua froidement sir Shane. Je suppose que vous avez vu Kieran

récemment, ajouta-t-il d'un ton presque amer.

— En effet, se contenta de répondre Cullen Butler, peu désireux de gratter une plaie

visiblement mal cicatrisée.

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Ni lui ni son Église n'étaient responsables des décisions de Kieran.

— Les jeunes gens semblent bien s'entendre, remarqua plaisamment le révérend Steen.

— Oui, approuva l'assemblée.

— Ils forment un beau couple, non? Continua-t-il.

Des murmures d'assentiment lui répondirent.

— La beauté ne suffit pas à la réussite d'une union, jeta sèchement Jane.

— Sur ce point, je suis d'accord avec vous, acquiesça Jasmine.

— Et si lady Fortune emmenait messire William faire le tour de la propriété ? suggéra le

prêtre en haussant le ton.

— Quelle bonne idée ! s'écria Fortune.

Sir Shane lui paraissait plutôt agréable, mais elle n'aimait pas lady Jane qu'elle trouvait

mielleuse. Et puis, elle avait envie de savoir si le beau William lui plaisait, si une étincelle

s'allumait entre eux.

— Que diriez-vous d'une promenade à cheval ? proposa-t-elle au jeune homme.

— Je n'ai pas de monture, nous sommes venus en voiture, répondit-il, déçu.

— Ce ne sont pas les chevaux qui manquent ici! Répliqua Fortune en riant. Adali, voulez-

vous aller aux écuries demander que l'on nous prépare deux montures? Je monte me

changer. D'accord, maman?

— Bien sûr, acquiesça Jasmine, qui comprenait les motivations de sa fille.

Celle-ci redescendit quelques minutes plus tard.

— Venez, William! lança-t-elle en disparaissant à nouveau.

Il lui emboîta le pas, un sourire aux lèvres, sans se soucier de la réflexion de sa mère.

— Votre fille monte à califourchon? En culottes?

William regretta de ne pas entendre la réponse de la duchesse qui ne manquait sûrement

pas de saveur. Pour sa part, il trouvait Fortune charmante en culottes. Plutôt ajustées,

elles laissaient deviner des jambes élancées et une chute de reins délicieuse. Elle portait

également un gilet bleu nuit sans manches, orné de boutons d'argent, sur un corsage

blanc aux manches bouffantes. Un ensemble ravissant.

Le palefrenier leur apporta deux chevaux dont un superbe gris pommelé sur lequel

Fortune grimpa sans hésiter. William se hissa sur le grand hongre noir.

— Il s'appelle Oberon, annonça Fortune. Allez, suivez-moi !

Le jeune homme s'élança derrière elle à travers la cour, sur le pont-levis puis dans le

village où il réussit à se mettre à sa hauteur.

— Vous ne montez pas une jument?

— Non. Rory MacGuire, notre régisseur, trouve que Thunder et moi sommes faits l'un

pour l'autre. J'aime les chevaux qui ont du sang, et celui-ci est d'une nature fougueuse.

Aimez-vous monter ?

— Oui. Rester enfermé, plongé dans les comptes de mon père, n'a rien de divertissant.

— C'est pourquoi nous avons un régisseur.

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— Ne craignez-vous pas qu'il vous vole ? Après tout, il est irlandais.

— Vous aussi, répliqua-t-elle. Du moins du côté de votre père.

— Je me suis toujours considéré comme anglais.

— Vous êtes né en Irlande, vous vivez en Irlande, votre père est irlandais, donc, vous

êtes irlandais, rétorqua Fortune en toute logique. Personnellement, j'ai un lignage un peu

plus compliqué. Mon père était anglais. Mon beau-père est écossais, ma mère indienne

du côté de son père et irlandaise, anglaise et française de celui de sa mère. Je suis la nièce

de l'actuel Grand Moghol et mes demi-frères Leslie sont apparentés au sultan ottoman.

Notre arbre généalogique est extrêmement noueux, complexe et labyrinthique.

— Vous êtes tout à fait fascinante. Je n'ai jamais rencontré une jeune fille comme vous.

Pourquoi voulez-vous m'épouser?

— Je ne sais pas encore si je vous épouserai, avoua Fortune. Je ne me marierai pas avec

un homme si je ne l'aime pas. Je ne veux pas d'un mariage sans amour. Cela vous paraît

peut-être romantique ou ridicule, mais c'est ainsi que je conçois ma vie, William Devers.

— Mes amis m'appellent Will. J'espère que vous apprendrez à m'aimer, Fortune, parce

que je crois que je suis en train de tomber amoureux de vous. Vous êtes tellement pleine

de vie !

— C'est charmant ce que vous me dites, Will, répondit-elle avec un sourire. Oh, regardez!

C'est l'arbre auquel ma mère a fait pendre l'assassin de mon père. Elle a exigé qu'il soit

pendu avec la ceinture de mon père et a assisté à l'exécution sans flancher. En réalité, c'est

maman qu'il voulait tuer. Mon père et elle se promenaient à cheval. À un moment, ils se

sont arrêtés parce que ma sœur India, qui n'était alors qu'une petite fille, voulait que

maman la prenne sur sa monture. Maman s'est baissée. C'est alors que le coup de feu est

parti et a atteint mon père à sa place. Des hommes qui rentraient des champs ont aperçu

l'éclat d'un mousqueton sur la colline. Ils se sont lancés à la poursuite du meurtrier et l'ont

capturé. C'était l'ancien régisseur que ma mère avait renvoyé. Il a reconnu sans se faire

prier que c'était elle qu'il visait.

— Pourquoi l'avait-elle renvoyé ?

— Il était cruel et sectaire. Il avait chassé des villageois de MacGuire's Ford parce qu'ils

étaient catholiques. Il envisageait de ne peupler le domaine que de protestants. Il trouvait

maman trop effrontée pour une femme et était persuadé qu'elle avait ensorcelé mon

père.

— Vous n'approuvez pas que les catholiques soient chassés, constata-t-il.

— Non. En vertu de quoi faudrait-il renvoyer de chez eux des gens honnêtes et

travailleurs ? Parce qu'ils préfèrent une autre religion ?

— Vous oubliez qu'ils nous ont assassinés.

— Je sais tout cela, mais vous feriez la même chose, répliqua Fortune, exaspérée. Me

prenez-vous pour une ignorante, Will Devers ? Il y a de la haine et de la bigoterie des

deux côtés, mais j'estime que tout irait mieux si les Anglais se retiraient d'Irlande et

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laissaient les gens vivre en paix. Ils ne peuvent pas imposer leur volonté à tout un peuple,

c'est de la folie.

— Vous réfléchissez drôlement pour une jeune fille, remarqua-t-il tandis qu'ils

s'éloignaient de l'arbre du pendu.

— Vous n'approuvez pas qu'une femme reçoive de l'instruction?

— J'ai été élevé dans l'idée que la place d'une femme est à la maison où elle doit diriger

les domestiques et s'occuper de ses enfants. Elle est responsable de leur santé, aussi bien

temporelle que spirituelle, et a le devoir de satisfaire les désirs de son mari, dans tous les

domaines. Enfin, elle est censée faire de sa maison un lieu de paix.

— Et elle ne doit pas être instruite pour réaliser tout cela ?

Fortune observait le jeune homme avec une grande attention afin de voir s'il tentait

d'employer des faux-fuyants.

— Ma mère a appris à mes sœurs à être des maîtresses de maison, commença-t-il.

— Savent-elles lire ? Ou faire de l'arithmétique ? Parlent- elles des langues étrangères?

Connaissent-elles l'histoire de leur pays, ou le nom des étoiles? Sont-elles capables de

situer le Nouveau Monde sur une carte, Will ?

— Pourquoi devraient-elles connaître toutes ces choses? S’étonna-t-il.

— Si vous ne savez ni lire ni compter, vous ne pouvez tenir les comptes de la maison,

gérer les dépenses et vérifier que votre régisseur ne vous vole pas. Connaître d'autres

langues vous permet de parler avec des Français, des Italiens, des Allemands. Et puis, il y

a aussi le plaisir de se cultiver, Will. Tout simplement. Cela vous donne du pouvoir.

Toutes les femmes de ma famille sont instruites et j'ai l'intention d'élever mes enfants dans

cet esprit, aussi bien mes garçons que mes filles. Vous savez lire et écrire, je suppose ?

— Bien sûr! Mais pas mes sœurs. Mary, Colleen et Lizzie sont toutes trois mariées. Elles

n'ont pas eu besoin d'une éducation comme celle que vous décrivez. Et ma mère non

plus. Elle était la seule enfant et l'unique héritière de mon grand-père Elliot. Mon père

cherchait à épouser une héritière parce qu'il était pauvre en argent, quoique riche en

terres. Mon grand-père souhaitait un gendre doté d'un domaine et d'un cheptel

conséquents. Voilà comment sont conclus les mariages, Fortune. Peu importe que la

mariée soit instruite ou pas. Ce sont d'abord ses biens, puis son charme qui séduisent le

mari.

— Personnellement, je préfère avoir de l'instruction. Les femmes de ma famille n'ont pas

des maris qui vont chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas chez eux, répondit fièrement

Fortune. J'ai entendu dire que votre père avait une maîtresse.

William s'empourpra violemment.

— Une jeune fille ne doit pas parler de ces choses-là. Ni même savoir qu'elles existent.

Vous avez votre franc-parler, c'est le moins que l'on puisse dire! ajouta-t-il avec un petit

rire.

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— Préféreriez-vous que je simule ? Que je joue les saintes-nitouches ? Ou que je passe

mon temps à glousser bêtement comme tant de filles en quête d'un mari ?

— Non, répondit-il, se surprenant lui-même.

Mais il appréciait sa franchise. Elle ne serait pas du goût de sa mère, certes non, mais

après tout, c'était à lui de choisir. Il n'avait jamais rencontré une fille comme Fortune

Mary Lindley et elle l'intriguait profondément.

— Quel âge avez-vous ?

— Dix-neuf ans. Et vous ?

— Vingt-trois.

— Vous voyez le sommet de cette colline? Le premier arrivé en haut ! cria-t-elle soudain.

Déjà son cheval s'élançait dans le vent. Elle ressemblait à ces déesses antiques de la chasse.

Ses cheveux s'échappèrent du chignon et se déployèrent dans son dos telle une flamme

mouvante.

William n'était pas seulement intrigué par cette fille à la crinière de feu et à la langue bien

pendue, il était excité et impatient qu'arrivât leur nuit de noces pour la posséder. Car il

avait décidé de l'épouser. Même si elle n'avait pas eu un sou en dot, il l'aurait désirée. Pas

forcément comme épouse, mais il l'aurait désirée, oui.

Fortune ne feignit pas de le laisser arriver le premier. Ce n'était pas son genre. Au

contraire, elle était de celles qui aiment gagner. Thunder galopait à grandes foulées, mais

elle entendait le hongre noir qui les talonnait. Elle se coucha sur l'encolure de son cheval,

l'encourageant à accélérer. Un vent froid et humide lui fouettait le visage. Le ciel se

couvrait. Il n'allait pas tarder à pleuvoir, songea-t-elle au moment où Thunder déboulait

au sommet de la colline, et se retrouvait nez à nez avec un autre cavalier qui venait en

sens inverse. Les deux chevaux s'arrêtèrent net.

— Kieran ! lança William Devers, comme il arrivait à sa hauteur. Je te présente lady

Fortune Lindley. Fortune, mon demi-frère, Kieran Devers.

Grand, brun et mince, le cavalier regarda la jeune fille de la tête aux pieds avec

impudence.

— Vous êtes un vrai garçon manqué, lança-t-il en se penchant pour toucher de l'index

une boucle rousse.

— Et vous un imbécile, me suis-je laissé dire, riposta Fortune, furieuse.

Il éclata de rire et se tourna vers William.

— A-t-elle l'agrément de ta mère, Willy?

— C'est ma dot qui a son agrément, répondit Fortune à sa place. Mais vous vous

avancez, messire Devers, parce qu'aucun mariage n'a encore été décidé ni ne le sera sans

mon accord.

— Ne l'épouse pas, Willy, elle te donnera trop de fil à retordre, cela se voit tout de suite.

A nouveau, il éclata de rire devant l'expression outragée de Fortune.

— Ta cousine Emily Anne Elliot fera une bien meilleure épouse que ce chat sauvage.

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— Kieran! s'exclama William, hors de lui, avant de se tourner vers la jeune fille, le visage

congestionné. Mon frère ne fait que plaisanter, Fortune. Il a toujours eu un sens de

l'humour très particulier. Ne lui en veuillez pas. Il ne voulait pas vous blesser.

— Oh, certes, non, milady Fortune! lança Kieran avec un grand sourire.

Elle le fusilla du regard, ce qui eut pour résultat d'allumer des lueurs espiègles dans ses

pupilles. Des pupilles foncées. Vert sombre. Et il était outrageusement séduisant.

Plus encore que son jeune frère. Il y avait en lui une désinvolture qui manquait à William,

dont les manières étaient si policées. Elle n'aurait jamais deviné qu'ils étaient frères si elle

ne l'avait su, enfin, demi-frères. S'il avait les yeux clairs de sa mère, William Devers

ressemblait à son père pour le reste, avec son nez racé, sa petite bouche et sa figure

ronde. Son frère Kieran était plus grand. Il avait la mâchoire carrée, une grande bouche

et un nez qui semblait avoir été sculpté dans le granit. Un visage taillé à la serpe, à

l'expression farouche, qui n'évoquait rien de civilisé, contrairement à celui de son frère.

Kieran Devers était un homme dangereux, et certainement insupportable.

— Qu'est-ce que tu fabriques ici, Kieran? S’enquit William.

— J'ai pensé que cela servirait ta cause si nous offrions l'image d'une famille unie. Je

tenais à ce que le duc de Glenkirk sache bien que je me moque éperdument des terres de

notre père. Elles t'appartiennent avec ma bénédiction, petit frère. Vous voyez, milady,

William n'est pas sans le sou. Cela vous fait plaisir, j'imagine? ajouta-t-il d'un air moqueur.

— Sa richesse m'indiffère. La mienne me permettrait sans peine d'acheter tous les biens

des Devers de Lisnaskea. C'est un homme à aimer que je cherche, espèce de rustre !

Sur ces mots, Fortune tourna bride et s'élança vers le château au grand galop.

— Quel volcan! commenta Kieran, l'air admiratif. Tu seras un homme heureux si tu

gagnes son cœur, Willy. Des cheveux roux et un tempérament de feu ! Ce doit être une

vraie tigresse au lit, petit veinard. Je ne suis pas certain que tu mérites un tel cadeau du

ciel. Ta mère ne l'aimera pas. Elle préfère Emily Anne, mais la pauvre petite n'a que son

héritage à te proposer, n'est-ce pas ?

— Fortune est non seulement la plus belle fille que j'aie jamais vue, mais elle est

fascinante. Et elle dit toujours ce qu'elle pense.

— Ça, je l'avais remarqué, répliqua Kieran.

Les deux frères regagnèrent ensemble le village. Dans la rue principale, ils attirèrent les

regards et plusieurs jeunes filles saluèrent Kieran. Il leur répondit en les appelant toutes

par leurs prénoms. William haussa les sourcils, surpris de découvrir que les « escapades »

de son frère - comme les appelait sa mère - s'étendaient jusqu'à MacGuire's Ford.

Dans la cour du château, ils furent accueillis par un homme aux cheveux roux.

— Kieran! Comment allez-vous? lui dit Rory. Et voilà votre jeune frère, je suppose.

Messire William. Je suis Rory MacGuire, le régisseur de Mme la duchesse.

— Rory, vous m'avez l'air en pleine forme. Oui, c'est bien le jeune Willy, répondit Kieran

en sautant à terre.

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— Je ne vous ai pas vu au salon, tout à l'heure, s'étonna William.

— Non, monsieur. Je n'y étais pas. J'ai préféré ne pas imposer ma présence à votre mère.

La connaissant, j'ai pensé que le cousin de lady Jasmine, le père Cullen, était déjà plus

qu'elle n'en pouvait supporter, déclara-t-il tranquillement avec un clin d'œil.

William Devers se mit à rire.

— Oui, je comprends, acquiesça-t-il, décidant que ce MacGuire lui plaisait.

Bien sûr, sa mère l'avait prévenu que lorsqu'il serait le maître d'Erne Rock, son cousin

James Dundas ferait un parfait régisseur, d'autant plus que c'était un bon protestant. Mais

après les propos que lui avait tenus Fortune tout à l'heure sur les discriminations

religieuses, il se surprit à reconsidérer les choses. En outre, James Dundas ne connaissait

rien aux chevaux. Pire : il en avait peur. Il descendit de selle à son tour.

— Viens, Kieran. C'est mère qui va être surprise!

Effectivement, Jane Anne Devers sembla stupéfaite de voir son beau-fils entrer en

compagnie de son fils dans la grande salle. Elle fut quelque peu rassurée en constatant

qu'il était vêtu convenablement et qu'il avait l'air de bonne humeur. « Pourvu qu'il ne soit

pas venu avec une idée diabolique en tête ! » songea-t-elle.

— Kieran, mon cher, s'écria-t-elle nerveusement comme il s'approchait.

— Madame, vous êtes charmante, comme toujours, déclara-t-il en la gratifiant d'un

baisemain.

Il s'inclina ensuite galamment devant la duchesse de Glenkirk assise près de sa belle-mère.

— Je suis Kieran Devers, votre Grâce. J'espère que je ne vous parais pas importun mais

j'ai cédé à la curiosité, je l'avoue. Je viens apporter mon soutien à mon frère qui a des

vues sur votre fille que je viens juste de rencontrer. Une très belle jeune femme.

Il effleura des lèvres la main de Jasmine.

— Vous êtes le bienvenu à Erne Rock, Kieran. Adali, apporte un verre de vin à messire

Devers. Vous vous joignez à nous, n'est-ce pas?

Elle lui désigna un siège près du feu. Ce garçon était diaboliquement beau, et Jasmine se

demanda s'il manigançait quelque chose ou s'il n'était vraiment là que par curiosité ?

Elle lui sourit.

— N'êtes-vous pas déjà venu à Erne Rock ? J'ai appris que votre mère était une MacGuire

avant d'épouser votre père.

— Non, c'est la première fois. Merci, dit-il à Adali en prenant un verre sur le plateau qu'il

lui présentait.

— Nous avons rencontré Kieran alors que nous chevauchions, intervint William.

— Nous nous en doutions, fit lady Jane patiemment. Seigneur! Pourquoi fallait-il que

William sorte de telles évidences devant la duchesse.

— Je suis certaine que Kieran ne peut pas rester, surtout maintenant que sa curiosité est

satisfaite, ajouta-t-elle. Mais où est lady Fortune ?

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— Sornettes ! Votre beau-fils peut au moins passer la nuit ici, la contra Jasmine. J'ai

toujours été réputée pour mon sens de l'hospitalité, chère lady Jane. Quoi de plus

agréable qu'une petite réunion de famille? J'espère aussi rencontrer vos filles, bientôt.

— Seule Colleen est en Irlande. Mary et ma Bessie sont en Angleterre où résident leurs

maris. Colleen habite dans les environs de Dublin, dans le Pale où son mari possède un

petit domaine. Elle sera la seule à venir au mariage.

— Si mariage il y a, corrigea Jasmine.

Kieran remarqua que sa belle-mère avait pâli. Rien n'était donc aussi sûr qu'elle se plaisait

à le clamer. Intéressant. Certes, la jeune fille était riche, sans parler de sa beauté,

cependant, Jane Anne s'était mis dans la tête que si les Leslie essayaient de marier leur

fille en Irlande, c'est que quelque chose l'empêchait de l'être en Angleterre. Selon sa belle-

mère, rien ne valait un mari anglais. Elle avait arrangé une union dans ce sens pour sa

sœur aînée, Moire, qu'elle appelait Mary depuis qu'elle avait épousé leur père. Elle en

avait fait autant pour sa propre fille, Bessie. En revanche, Colleen avait échappé à son

emprise en tombant amoureuse de sir Hugh Kelly. Par chance, Hugh avait une mère

anglaise et il était protestant, ce qui l'avait racheté aux yeux de Jane.

— Bien sûr qu'il y aura un mariage, lança gaiement William. J'ai la ferme intention de

gagner honnêtement le cœur de Fortune. Elle est merveilleuse, et je l'adore déjà!

— Qui adorez-vous ? releva Fortune en faisant irruption dans la pièce, vêtue d'une robe

verte, ses cheveux rassemblés dans une jolie résille dorée.

— Mais vous, bien sûr, répondit William ingénument.

Fortune sourit.

— Vous êtes un idiot, Will Devers, le taquina-t-elle.

Kieran nota la douceur de son intonation. « Tu as raison, petit frère, charme-la », dit-il

silencieusement. Mais, posant de nouveau les yeux sur Fortune Lindley, il s'aperçut qu'elle

n'avait plus rien d'un garçon manqué. Cette élégante jeune fille n'était pas pour son frère.

Ce mariage mettrait William dans une position intenable. Il se trouverait pris entre son

dragon de mère, qui lui dictait sa conduite depuis toujours, et cette forte tête qui agirait à

sa guise tout en prenant les rênes du ménage. Une guerre inévitable s'engagerait entre les

deux femmes, et son demi-frère n'y résisterait pas. William était un gentil garçon, il ne

méritait pas ça.

«Ah, vraiment? fit alors une petite voix intérieure. Admets plutôt que cette fille t'intrigue

et que tu la voudrais pour toi, Kieran Devers. »

Cela n'aurait pas été un problème si elle n'avait été aussi riche. C'était une héritière, et

elle se trouvait probablement trop bien pour des types comme lui. Cela dit, si Fortune

Lindley était orgueilleuse, elle était aussi romantique.

N'avait-elle pas affirmé tout à l'heure qu'elle ne se marierait que par amour? De toute

façon, avec sa petite rente, Kieran ne pourrait jamais épouser une riche héritière.

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D'autres à sa place n'auraient pas de tels scrupules, mais si lady Fortune Lindley était fière,

Kieran Devers ne l'était pas moins.

— Le frère de William va passer la nuit ici, annonça Jasmine à sa fille. C'est une bonne

idée, n'est-ce pas ?

Fortune se contenta d'un vague sourire. Son regard disait clairement qu'à son avis, c'était

une mauvaise idée.

De quel droit faisait-il intrusion dans leur petit groupe alors qu'elle essayait de connaître

un peu mieux Will ? À ce sujet, le peu qu'elle avait découvert ne l'enchantait guère.

Certes, il était charmant, mais il avait des idées dépassées, une mère épouvantable, et son

frère était un grossier personnage. Elle pensait depuis toujours que quand elle

rencontrerait l'amour de sa vie, son cœur se mettrait à battre à tout rompre, or rien de

tel ne s'était produit avec William. Son frère aîné lui avait procuré un plus grand émoi.

Fortune retint un cri. Bonté divine ! Elle tourna furtivement les yeux vers Kieran. À son

grand désarroi, elle rencontra son regard et il lui fit un clin d'œil. Elle sentit le rouge lui

monter aux joues et s'empressa de baisser la tête. Non, c'était impossible! Kieran Devers

n'était pas l'homme qu'il lui fallait. De plus, il était catholique pratiquant. Will lui

conviendrait beaucoup mieux. Il hériterait des terres et des biens de son père, et s'il était

un peu démodé, elle lui apprendrait à l'être moins. Aucun jeune homme n'avait retenu

son attention, ni en Écosse ni en Angleterre, et elle allait avoir vingt ans dans quelques

mois. Si ce n'était William Devers, qui restait-il ? Certainement pas ce diable aux yeux

sombres...

Kieran n'était pas digne de confiance. N'avait-il pas renoncé à son héritage pour une

simple question de religion ? Quelle sorte d'homme pouvait être assez fou pour agir de la

sorte? «Un homme honnête», lui souffla une petite voix. Peut-être, admit-elle, mais elle

ne voulait pas d'une vie mouvementée où elle ne saurait jamais de quoi les lendemains

seraient faits. Car c'était le genre de vie qui attendait celle qui épouserait Kieran Devers.

Fortune voulait de la stabilité, pas de l'aventure.

— Maman, Will pourra-t-il s'asseoir près de moi, au dîner? demanda-t-elle d'un ton

suave.

Plus tôt elle aurait dépassé ses réticences à propos de William, plus vite ils se marieraient.

— Bien sûr, acquiesça Jasmine, perplexe.

Que se passait-il? Elle avait surpris le clin d'œil que Kieran avait adressé à sa fille, et le

trouble de celle-ci. Puis elle l'avait vue demeurer pensive un long moment. Elle ignorait

ce qui la tracassait, mais si elle se forçait à épouser William alors qu'elle avait des doutes,

elle courait à la catastrophe.

Le mieux était de placer William à sa droite et Kieran à sa gauche, décida-t-elle alors.

Fortune avait affirmé tout récemment qu'elle se marierait par amour. Qu'arrivait-il à son

enfant toujours si sensée, si réfléchie ? Si Fortune était attirée par Kieran, autant qu'elle

l'admette dès maintenant, et qu'elle n'épouse pas le jeune William sous prétexte qu'il était

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le bon choix. Mieux valait l'amour avec le mauvais que le malheur éternel avec le bon. Sa

fille était obstinée, mais Jasmine eut un petit sourire en songeant que les dévoyés faisaient

des amants bien plus intéressants que les hommes comme il faut. «Je ne la laisserai pas

faire une bêtise!» décréta-t-elle.

Bien sûr, si Jemmie découvrait ce qu'elle mijotait, il serait furieux malgré sa promesse de

laisser Fortune choisir son destin. Elle avait intérêt à le tenir à l'écart de tout cela le plus

longtemps possible.

— Adali ? Tu installeras Kieran avec son frère. Ils partageront la même chambre. Erne

Rock est tellement petit ! Mais c'est un endroit merveilleux pour un couple avec des

enfants, vous ne trouvez pas, lady Jane ?

— Je pensais que William et sa femme vivraient avec nous à Mallow's Court. Après tout,

il reviendra à William un jour, n'est-ce pas, Kieran ?

— Absolument, madame, acquiesça-t-il en souriant.

— Si toutefois ils se marient, rectifia une fois de plus Jasmine, suscitant une légère

inquiétude chez lady Devers. Je crois que le jeune couple devrait avoir son propre foyer.

Fortune n'aura pas besoin de vivre avec la famille de son mari. Elle aura Erne Rock en

Irlande et, bien sûr, le duc et moi veillerons à ce qu'elle ait une maison en Angleterre, soit

près de son frère à Cadby, soit près de son demi-frère, à Queen's Malvern. Nous les

présenterons à la Cour, acheva-t-elle avec un sourire lumineux.

— Maman, tu sais bien que je déteste la Cour, intervint Fortune.

— Mais tu devras te faire des relations, ma chérie, si tu veux développer ton élevage

avec succès. Après tout, tu ne peux pas compter uniquement sur tes parts dans la

compagnie maritime familiale. Tu ne croyais tout de même pas que je t'avais emmenée

en Irlande pour t'y abandonner?

— Je ne savais pas, répondit Fortune, déconcertée par le discours de sa mère.

Sur ces entrefaites, James Leslie et sir Shane revinrent dans la grande salle. Ils s'étaient

isolés dans la bibliothèque pour discuter des termes du contrat de mariage de leurs

enfants au cas où il aurait lieu. Kieran se leva et salua son père avant de s'incliner devant

le duc.

Jemmie reconnut immédiatement en Kieran le Celte impénitent, comme lui, et le jeune

homme lui plut d'emblée. Bien sûr, il avait commis une folie en renonçant à l'héritage qui

lui revenait pour une question de choix religieux, mais son attitude fière et loyale

appelait le respect.

— Alors, mon garçon, vous ne regrettez pas votre décision ? fit le duc.

— Pas du tout, votre Grâce, répondit Kieran, comprenant tout de suite à quoi il faisait

allusion. Mallow's Court appartient à mon frère, et je le lui cède volontiers.

— Pourtant, vous restez, remarqua James Leslie, intrigué.

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— Pour l'instant, oui. Je pense que ma place est ailleurs dans le monde, milord, mais je

ne sais pas encore où pour le moment. Cette attente ne me pèse pas, j'aviserai en temps

voulu.

James Leslie hocha la tête. C'était étrange, mais il comprenait exactement ce que voulait

dire ce jeune homme. Les Irlandais étaient encore plus visionnaires que les Écossais. Si

Kieran Devers attendait une révélation, elle aurait lieu, sans l'ombre d'un doute.

— Le déjeuner est servi, milord, annonça Adali. Milady demande que vous passiez à

table tout de suite.

— Messieurs, dit le duc en guidant ses hôtes vers la longue table.

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CHAPITRE 4

William Devers était sidéré d'être tombé amoureux de Fortune Lindley si rapidement. Car

cela ne faisait aucun doute: il l'aimait. C'était la plus belle fille du monde. Il adorait ses

cheveux de feu, quoi qu'en pense sa mère.

Lady Jane avait beaucoup à dire mais elle rongea son frein pendant le voyage de retour,

comme si elle craignait que la duchesse puisse l'entendre. Elle préférait attendre d'être en

sécurité chez elle pour s'épancher. William s'étonnait d'ailleurs de voir à quel point sa

mère avait été intimidée par Jasmine Leslie. Pour sa part, il avait trouvé sa compagnie et

ses manières tout à fait plaisantes.

— Je veux épouser Fortune dès que possible, déclara-t-il à ses parents quand ils se

rassemblèrent autour de la cheminée, ce soir-là.

— Pas question ! rétorqua sa mère. Elle a la langue trop bien pendue pour une femme. Et

elle est trop instruite! Ce n'est pas une femme pour toi. Ta cousine Emily Anne te

conviendra beaucoup mieux, William. Elle n'est peut-être pas aussi riche que Fortune

Lindley, mais ce n'est pas une raison pour que cette fille entre dans notre famille !

— Je suis d'accord avec vous, madame, intervint Kieran. Pour la première depuis que

nous nous connaissons, je vous donne raison.

— Vraiment? dit Jane Devers, soudain méfiante. Et par quel mystère, s'il te plaît ? Cela

n'est jamais arrivé jusqu'ici, Kieran, bien que j'aie fait de mon mieux pour t'élever

correctement, en dépit de ton catholicisme.

Il se mit à rire. Elle avait fait son devoir, oui, tout au moins en public, et il devait

admettre qu'elle ne s'était jamais montrée cruelle. Elle n'y pouvait rien si elle lui préférait

son propre fils, ce qui l'avait poussée à encourager son père à le déshériter pour que

William devienne un jour le maître de Mallow's Court. Curieusement, il n'était pas

attaché à sa terre, à sa maison, cela ne lui avait donc pas semblé un gros sacrifice. Autre

chose l'attendait ailleurs.

— Si j'en viens aux mêmes conclusions que vous, madame, c'est simplement que je les

trouve fondées. Fortune Lindley est une très belle fille gâtée par la vie. Elle détruirait

William sans même s'en rendre compte. En revanche, Emily Anne t'aime depuis toujours,

Willy. Et elle a trois ans de moins que lady Fortune. Elle sera ravie de vivre à Mallow's

Court avec toi pour la guider. Lady Fortune n'éprouvera rien de tel.

— Tu la veux pour toi! L’accusa William, rouge de colère. Tu me prends pour un

imbécile, Kieran? J'ai des yeux pour voir !

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— Elle m'intrigue, je l'admets, mais comme tout ce qui est sauvage, Willy. Quoi qu'il en

soit, je doute que le duc de Glenkirk, de sang royal et très proche du souverain, songe un

seul instant à offrir à un type comme moi sa superbe et très riche fille. Ce genre d'union

ne concerne pas les gens de notre classe. Personnellement, je n'ai rien à offrir à une

femme respectable, tu le sais bien. Alors même si je la désire, je ne l'aurai jamais. Et tu

devrais être assez sensé pour penser comme moi.

— Faites votre offre, dit William Devers en se tournant vers son père. Faites votre offre

ou je quitte cette maison pour ne jamais revenir!

— Mon enfant! S’interposa Jane en se levant, les bras tendus vers son fils qui la repoussa.

— Fortune Lindley sera ma femme! Quand nous serons mariés, nous vivrons à Erne Rock

ou bien en Angleterre, comme il lui plaira. Et je ne remettrai jamais les pieds dans cette

maison jusqu'à votre mort, madame! C'est fini! Vous ne dirigerez plus ma vie!

— Mais tu le lui permettras, à elle ! Cracha-t-elle.

— Elle a autre chose à m'offrir que vous, maman.

Lady Jane éclata en sanglots.

— Elle l'a ensorcelé! Pleura-t-elle sur l'épaule de son mari. Jamais mon fils ne m'aurait

parlé ainsi ! Elle l'a ensorcelé!

— Willy, ne sois pas idiot, intervint Kieran. Cette fille est belle, c'est vrai, mais elle n'est

pas pour toi. Tu n'as absolument rien en commun avec elle. De quoi lui parleras-tu ?

— Parler? Mais je ne veux pas lui parler! Tu sais sacrément bien ce que je veux faire avec

elle !

— Ohhhhhh ! Gémit lady Jane dans le giron de son époux, au bord de l'évanouissement.

Sir Shane réprima une envie de rire.

— Mesure tes paroles, jeune écervelé, dit-il à William.

Kieran, lui, s'esclaffa ouvertement, s'attirant un regard furibond de sa belle-mère.

— Vous avez fait de lui un honnête homme, madame, lança-t-il en haussant les épaules.

— Si c'est vraiment ce que tu veux, William, je ferai une offre au duc de Glenkirk, déclara

sir Shane.

— Si tu le fais, je ne te le pardonnerai jamais ! Glapit sa femme. Cette fille est horrible !

Horrible ! Horrible !

— Calmez-vous, madame, intervint Kieran en passant un bras réconfortant autour des

épaules de lady Jane, à la grande surprise de celle-ci. Il est très improbable que Fortune

Lindley réponde favorablement à la demande de Willy. Et le choix lui revient, semble-t-il.

Jane Devers renifla bruyamment.

— Tu le penses vraiment, Kieran ?

Il pressa sa main.

— Oui, madame, vraiment.

— Tu espères encore, c'est ça? Siffla William. Mais elle sera ma femme ! Je n'accepterai

pas qu'elle me dise non !

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— Tu seras bien obligé d'accepter, pauvre idiot! rétorqua son aîné. Pour l'amour de Dieu,

Willy, si tu te donnes en spectacle avec cette fille, Emily Anne ne voudra plus de toi !

Alors, tu vas te conduire dignement, comme un Devers de Lisnaskea, pas comme l'un de

ces petits milords anglais, pleurnichards et trop gâtés ! Le moment est peut-être venu

pour Willy de visiter le continent et de voir un peu comment va le monde, ajouta Kieran

en jetant un regard à son père.

Jane Devers se dégagea de son étreinte.

— Oh oui, Shane ! s'écria-t-elle. Il pourrait commencer par aller à Londres, voir ses sœurs

et leur famille. Je t'accompagnerai, William ! Je ne suis pas retournée à Londres depuis

l'enfance. Nous irons tous ! Toi aussi, Kieran !

La seule idée d'éloigner son fils de Fortune Lindley la rendait euphorique. A leur retour,

cette fille serait repartie en Ecosse avec sa famille. Et Emily Anne Elliot serait là, attendant

sagement.

— Il me faudra bien sûr une nouvelle garde-robe, enchaîna-t-elle. A en juger par la

somptueuse tenue de la duchesse... Peut-être Colleen a-t-elle une bonne couturière, à

Dublin, qui accepterait de venir jusqu'en Ulster ? Je vais lui écrire immédiatement, décida-

t-elle en quittant la pièce avec précipitation.

— Faites votre demande au duc, répéta William à son père, obstiné.

Kieran s'approcha de la desserte et servit trois whiskeys. Il en tendit un à son père, un à

son frère et garda le troisième pour lui.

Shane Devers avala son verre d'un trait.

— William, tu dois m'écouter avant que nous n'allions plus loin. J'ai parlé avec le duc,

quand nous étions à Erne Rock. Les termes d'un éventuel contrat de mariage entre lady

Fortune et toi sont pour le moins étranges. Ce même genre de contrat s'applique à toutes

les femmes de la famille, m'a-t-il expliqué. Tu recevras une certaine somme en or, en

guise de dot. En ce qui concerne le reste des biens de lady Fortune, ses terres et toutes ses

richesses resteront sa propriété. Elle sera seule habilitée à les gérer, William, tu n'auras pas

ton mot à dire.

— Qu'adviendra-t-il si elle dilapide tout, comme n'importe quelle femme se retrouvant

dans une telle situation ? Elles ne savent absolument pas administrer des biens, voyons !

Même les plus sages. Il n'y a qu'à voir comment maman ne cesse de venir quémander de

l'argent auprès de vous quand elle a dépensé toute sa rente avant le prochain terme.

— Lady Fortune a appris à gérer ses biens dès l'âge de douze ans. Son arrière-grand-mère

l'y a initiée avant de mourir. Elle n'était autre que la fameuse Skye O'Malley, la

confidente de la vieille reine Bess. Fortune a presque doublé le montant de ses richesses

en l'espace de quelques années. Elle est loin d'être sotte.

« Crois-tu vraiment pouvoir épouser une femme qui ne te demandera pas ton avis quand

elle aura des investissements à faire ? Après tout, William, tu n'y connais pas grand-chose

dans ce domaine. Cette fille a grandi dans une famille noble et riche. Elle est intelligente.

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Elle ne se contentera pas de rester tranquillement assise chez elle à diriger les domestiques

et à porter tes enfants. Je ne suis poussé ni par la jalousie ni par la rage, comme ta mère,

mais je dois avouer qu'elle a raison. Ce mariage serait une erreur. Néanmoins, si malgré

toutes mes mises en garde tu t'obstines à vouloir l'épouser, j'irai faire une offre au duc de

Glenkirk, mon fils.

— Faites-la, répondit William Devers, les dents serrées.

Kieran haussa les épaules et se servit un autre whiskey.

— Tu veux coucher avec elle et tu ne vois pas d'autre solution pour y parvenir, jeta-t-il

avec mépris. S'il n'y a que ça, je connais une fille qui te ferait très vite oublier Fortune

Lindley.

— C'est toi qui veux la posséder!

— Si je la voulais, petit Willy, je la prendrais, rétorqua Kieran sans détour. Mais les

vierges ne m'intéressent pas.

— Salaud ! cria William en se jetant sur son frère.

Mais ce dernier était plus rapide. Il maîtrisa son frère et lui bloqua les bras.

— Tiens-toi comme il faut, Willy, sinon ta mère ne t'emmènera pas à Londres, se moqua-

t-il.

— Laisse-le tranquille, Kieran, intervint son père. Et toi, calme-toi ! ajouta-t-il à l'adresse

de son fils cadet. Je ne veux pas que mes fils se battent comme des sauvages !

— Vous ferez une offre ? Insista William en se dégageant de la poigne de son frère.

— J'enverrai un message à Erne Rock dès demain matin, promit Shane.

— Ce message vient d'arriver de Mallow's Court, milord, annonça Adali au duc qui se

trouvait avec sa famille, dans la grande salle.

James Leslie déroula le parchemin et rompit le cachet de cire.

— C'est la demande en mariage, Fortune, dit-il en se tournant vers sa belle-fille. Alors?

Qu'as-tu décidé?

Jasmine retint son souffle.

— Je sais que je devrais accepter, papa, commença la jeune fille. Ce serait la chose la plus

raisonnable, car je ne suis plus si jeune.

— Mais tu vas refuser, termina le duc.

— Oui... Pauvre Will ! Je sais qu'il se moque de mon argent. Il est séduisant et héritera

d'un beau domaine un jour, mais, papa, c'est l'homme le plus ennuyeux que j'aie jamais

rencontré! Ses idées sur les femmes datent de la nuit des temps. Selon lui, leur rôle se

réduit à faire des enfants et vénérer leur mari. Pour un jeune homme de sa classe, il

manque d'instruction et cela ne semble pas le gêner. Il ne s'intéresse à rien d'autre qu'aux

chevaux, et encore! Il n'y voit qu'un moyen de transport. L'idée de reproduire et d'élever

des bêtes pour les vendre ne l'attire pas du tout. Il estime que c'est le travail de

MacGuire. J'ai vraiment essayé de trouver un sujet de conversation avec lui, papa. Peine

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perdue. Je préfère rester célibataire et mourir vierge plutôt que de passer ma vie auprès

d'un crétin, si beau soit-il !

— Dieu soit loué ! s'exclama Jasmine. J'ai eu tellement peur que tu ne choisisses la

solution raisonnable, ma chérie ! Je n'aurais pas supporté de te savoir malheureuse toute

ta vie.

— Très bien, dit James Leslie avec un calme surprenant. Et que faisons-nous maintenant ?

— Nous pourrions rester quelques mois en Irlande, suggéra Fortune.

— Je suis d'accord, approuva Jasmine. Et nous devons nous assurer que ce pauvre

William ne prendra pas trop mal ton refus. Nous expliquerons que vous n'étiez pas faits

l'un pour l'autre, mais que cette déception mutuelle ne doit pas empêcher nos familles de

rester amies.

— J'approuve, et je pense même que nous devrions aller donner notre réponse en

personne, ta mère et moi. Il est trop tard pour faire l'aller-retour aujourd'hui, mais nous

partirons de bonne heure demain matin. En attendant, je vais prévenir le père Cullen et

le révérend Steen. Ils croyaient en ce mariage. Cullen comprendra, mais ce sera plus

difficile pour le révérend.

— Devrai-je vous accompagner? demanda Fortune.

— Je ne pense pas, répondit son beau-père.

Fortune l'enlaça et embrassa son beau visage.

— Merci pour votre compréhension, papa. Je sais que je vous déçois en me montrant

incapable de trouver un mari qui me convienne, mais ce Will Devers n'était vraiment pas

le bon. Je me demande d'ailleurs si un tel homme existe.

Le lendemain matin, le duc et la duchesse de Glenkirk se mirent en route pour Mallow's

Court. Ils goûtèrent la chevauchée à travers les collines qui ondulaient doucement jusqu'à

la maison de style Tudor de Mallow's Court. Sir Shane et lady Jane les rejoignirent en

hâte dès qu'on les eut introduits dans la grande salle où on leur servit diligemment un

verre de vin.

— Pardonnez-nous cette intrusion sans avoir été annoncés, mais nous tenions à venir

personnellement vous donner la réponse de Fortune, dit James Leslie en s'inclinant sur la

main de lady Jane.

Certaine qu'ils venaient lui enlever son cher fils, celle-ci lança à son mari un regard

éperdu. Touchée par sa détresse, Jasmine s'empressa de la rassurer.

— Votre fils est un jeune homme charmant, et j'aurais été fière qu'il soit mon beau-fils.

Malheureusement, ma fille pense qu'elle n'est pas la femme qu'il lui faut. Jemmie et moi

le trouvions pourtant tout à fait à notre goût, mais nous ne forcerons pas Fortune à se

marier contre son gré. Nous avons préféré vous l'annoncer de vive voix afin que vous ne

pensiez pas qu'il s'agit d'un caprice, ou que William ne nous a pas plu. Il n'en est rien, au

contraire. J'espère que vous n'êtes pas offensés et que vous n'en voudrez pas à Fortune.

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Jane Devers faillit s'évanouir de soulagement. En même temps, elle trouva offensant le

refus de Fortune. Pour qui cette fille se prenait-elle donc? Se croyait-elle trop bien pour

son fils ? Les paroles lui échappèrent sans qu'elle puisse les retenir.

— Alors pourquoi venir jusqu'en Irlande chercher un mari pour votre fille si vous n'avez

pas l'intention d'accepter des partis convenables quand ils se présentent ? Jeta-t-elle. Cela

ne tient pas debout.

Le duc prit la parole, serrant très fort la main de sa femme dans la sienne afin qu'elle se

taise :

— Ma femme pensait donner son domaine irlandais à Fortune. Dans ces conditions, un

mari irlandais nous a semblé le plus approprié.

— C'est tout à fait compréhensible, répondit sir Shane en lançant un regard aigu à sa

femme pour lui imposer le silence.

Le duc et la duchesse de Glenkirk s'étaient montrés plus que corrects avec eux et la

situation n'avait rien d'embarrassant, en dépit du fait que Jane avait cru bon d'aller

clamer dans tout le pays que son fils allait épouser l'héritière d'Erne Rock Castle.

— Comptez-vous retourner bientôt en Ecosse? reprit-il

— Non. Nous envisageons de passer l'été ici, en Ulster, répondit le duc. Jasmine n'était

pas revenue depuis la naissance de Fortune, et le meurtre du marquis. Le temps a

estompé la douleur, et elle est heureuse de retrouver MacGuire's Ford. Nous rentrerons

en Écosse à l'automne, pour l'ouverture de la chasse à la grouse, et passerons l'hiver à la

cour d'Angleterre. Un prétendant fera peut-être son apparition d'ici là? Je le souhaite,

dans l'intérêt de Fortune.

— Lady Fortune est une ravissante jeune fille, déclara aimablement Shane Devers. Nous

regrettons qu'elle ne puisse entrer dans notre famille, milord.

Dès que les Leslie de Glenkirk eurent quitté Mallow's Court, Jane laissa exploser sa joie.

— Mes prières ont été entendues ! Nous partons pour l'Angleterre au plus vite. Je ferai

faire ma garde-robe à Londres.

— Je crains la réaction de William, fit son mari. Il est convaincu que lady Fortune Lindley

est l'amour de sa vie. Comment a-t-il eu cette révélation dans un délai aussi bref?

Mystère. En tout cas, il faut le mettre au courant sans tarder. John, dites à mon fils que

nous l'attendons dans la grande salle, ajouta-t-il à l'adresse de son majordome. Allez

d'abord chercher messire Kieran.

— Pourquoi ? S’étonna sa femme.

— Parce que Kieran nous aidera à calmer William, le cas échéant. Je ne veux pas qu'il

saute sur son cheval pour aller supplier cette fille. Cela embarrasserait lady Fortune et

nous couvrirait de honte.

Quand Kieran fut informé des derniers événements, il ne put s'empêcher de sourire. Il

savait bien que cette fille hautaine éconduirait son frère. Il se demandait d'ailleurs

comment les Leslie avaient pu songer aux Devers de Mallow's Court. Avec un beau-père

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et un demi-frère ducs, un frère marquis et une jolie fortune à son nom, lady Fortune

Lindley pouvait prétendre épouser un duc. Elle avait sûrement laissé en Angleterre un

pauvre garçon qui se lamentait de la savoir en Irlande pour soi-disant chercher un mari.

— Quand rentre-t-elle chez elle ?

La réponse de son père le surprit.

— Ils prévoient de passer l'été ici. Raison de plus pour que William et sa mère s'en aillent

au plus vite. Les accompagneras-tu ?

— Non, je n'ai pas envie d'aller en Angleterre. Mais partez avec eux, papa. Je

m'occuperai du domaine en votre absence. Cela ne me posera pas de problème. Les

terres sont en cultures, les moutons dans les prés, et je tiendrai les comptes aussi

scrupuleusement que vous.

— Vous m'avez envoyé chercher, papa? lança William en pénétrant dans la pièce.

— Lady Fortune a refusé notre demande, annonça son père tout de go.

— C'est normal, la première fois, rétorqua calmement le jeune homme. C'est une femme,

elle n'aura pas voulu avoir l'air de sauter sur mon offre.

— Pour l'amour de Dieu ! S’irrita son frère. Tu pourrais la demander en mariage des

centaines de fois qu'elle refuserait. Elle ne veut pas de toi. Ses parents sont venus le dire

en personne. Laisse tomber, petit frère, et épouse ta cousine Emily.

— Je ne te crois pas, répliqua William avec défi.

— Pfff ! Dites-lui, madame. Dites-lui qu'il a été rejeté par une petite Anglaise arrogante et

prétentieuse, s'emporta Kieran.

— C'est vrai, William, dit sa mère.

— Je vais la voir de ce pas !

— Il n'en est pas question! S’interposa sir Shane. Tu ne vas pas déshonorer notre famille

pour une peine de cœur!

— Fais un pas hors de cette pièce et je te jure que tu le regretteras, lança Kieran, l'air

menaçant.

William sentit son cœur voler en éclats. Elle ne voulait pas de lui. Comment était-ce

possible? Elle était belle à mourir, elle parlait de choses qu'il n'avait jamais entendues

dans la bouche d'une femme. Il l'adorait! Ne le voyait-elle donc pas ?

Il se tourna soudain vers sa mère et la regarda avec hargne.

— Vous avez toujours voulu que j'épouse Emily Anne, mais vous pouvez vous enlever ça

de la tête ! Je ne veux pas de cette chiffe molle qui passe son temps à minauder! C'est la

dernière fille au monde que je voudrais pour femme!

Sa mère se leva et le toisa d'un air féroce.

— Ne me parle pas sur ce ton, William. Tu n'es pas obligé de te marier avec ta cousine si

tu ne le désires pas, mais tu n'épouseras pas lady Fortune pour autant. Nous partons en

Angleterre dès demain, pour rendre visite à tes sœurs. Quelques mois d'éloignement

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t'affranchiront des mauvaises influences que tu as subies ces derniers jours. Non ! ajouta-t-

elle en levant les mains. N'essaie même pas de discuter ! Le sujet est clos.

Lady Jane pivota sur ses talons et sortit la tête haute.

Kieran posa le bras sur les épaules de son frère, mais celui-ci se dégagea vivement.

— Inutile de chercher à me réconforter.

— Je vous conseille de l'enfermer dans sa chambre jusqu'à son départ, papa, lança Kieran

d'un air moqueur. Ce jeune idiot risque de se précipiter à Erne Rock et de se faire botter

les fesses par le duc.

— Un jour, je te tuerai, Kieran, siffla William, furieux.

— A quoi bon te donner cette peine ? Tu as déjà tout ce qui aurait dû me revenir. Je

m'en moque, Willy, mais pas ta mère. Reprends-toi, petit frère, et conduis-toi comme un

Devers.

Sur ce, il quitta la pièce à son tour.

— Je doute de pouvoir te faire confiance, William, déclara son père avec lassitude,

s'apprêtant à suivre le conseil de son fils aîné.

Le lendemain matin, la voiture des Devers quitta Mallow's Court. Elle transportait un

William au visage fermé et sa mère. Son père les escortait à cheval avec Kieran qui avait

décidé de les accompagner jusqu'à Dundalk Road où il leur fit ses adieux avant de

reprendre le chemin de la maison.

Fortune l'aperçut de loin. Elle reconnut le grand étalon blanc - facile à identifier avec sa

crinière et sa queue noires - qu'il montait lorsqu'il était venu à Erne Rock. Elle lui fit un

signe de la main. Elle se montrait effrontée, elle le savait, mais lorsqu'elle avait réalisé que

William Devers n'était pas fait pour elle, elle avait aussi compris que son frère aîné était

beaucoup plus intéressant. Il s'agissait maintenant de le vérifier. Ce n'était pas parce

qu'elle n'épousait pas William qu'elle devait ignorer ou éviter le reste de la famille. Ses

parents avaient été clairs sur ce point. Cela dit, elle voulait seulement satisfaire sa

curiosité...

Que lui voulait-elle? se demandait Kieran en galopant vers elle. Elle s'était montrée très

insolente, lors de leur première rencontre, puis elle avait feint d'être passionnée par son

frère avant de lui briser le cœur et de l'humilier.

Cette constatation n'empêcha pas Kieran de succomber à la fascination qu'exerçait sur lui

cette fille qui montait un immense hongre à califourchon. Il répondit à son salut et

s'approcha d'elle.

— Bonjour, messire Devers, lança aimablement Fortune.

— Bonjour, lady Fortune.

— Vous venez de Dundalk Road ?

— J'ai escorté mes parents et William. Ils partaient à Londres rendre visite à mes sœurs.

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— Pauvre Will. C'est un gentil garçon. J'espère qu'il s'amusera, quoique la plupart des

grandes familles quittent la capitale dès les beaux jours. Vos sœurs ont peut-être une

résidence hors de Londres ?

— S'il est de bon ton d'en avoir une, alors elles en ont une, répondit-il avec un petit

sourire. Ma belle-mère n'a sûrement pas manqué d'enseigner à mes sœurs et à ma demi-

sœur l'art d’être des Anglaises convenables.

— Vous n'approuvez pas les Anglais?

— Je n'approuve pas ceux qui viennent dans un pays, s'approprient les terres de ceux qui

y demeurent, et essaient d'imposer leur religion et leur mode de vie à tout un peuple.

— Le monde est ainsi fait, répondit Fortune comme ils chevauchaient côte à côte. Mes

précepteurs m'ont appris qu'au cours de l'histoire une culture en avait toujours conquis et

dominé une autre. Vous-même, Irlandais, avez jadis envahi cette terre pour vous y

installer. Cela ne signifie pas que je donne raison à l'Angleterre, mais il n'y a pas les

méchants d'un côté et les bons de l'autre. Si on vous en donnait l'occasion, vous pilleriez

et mettriez le feu, tout comme vos ancêtres, et vous jetteriez les Anglais à la mer. Vous

n'auriez pas de pitié, car vous n'êtes pas meilleurs qu'eux.

Kieran se mit à rire, comprenant soudain ce qui avait tant fasciné son frère.

— Vous avez raison, c'est exactement ce que nous ferions. Toutefois, nous vous

épargnerions, car je crois savoir que vous avez du sang irlandais, n'est-ce pas ?

— Oui, mon arrière-grand-mère était une O'Malley de Innisfana, et une grande dame. Je

venais d'avoir treize ans quand elle est morte, mais je l'ai bien connue et je ne l'oublierai

jamais, dit-elle, les yeux soudain embués.

Le ciel s'était couvert tandis qu'ils discutaient, et bientôt, une pluie drue se mit à tomber.

Désignant un bâtiment en ruine, Kieran suggéra d'aller s'y abriter.

— Quel est cet endroit? Questionna-t-elle une fois qu'ils eurent mis pied à terre.

— Il s'agirait des restes du logis d'un chef MacGuire, vieux de quelques centaines

d'années. Venez sous cette voûte, nous devrions être à peu près à l'abri.

Ils s'assirent sur une pierre plate qui formait une sorte de banc naturel.

— Puis-je vous poser une question, Kieran ?

Il hocha la tête.

— Pourquoi avez-vous renoncé à votre héritage pour une question de religion ? Vous ne

me semblez pas être un fanatique, comme tant d'autres.

— Je vais essayer de vous répondre. Vous avez raison, je ne suis pas plus un fanatique,

qu'un martyr ou un saint. Le catholicisme est tout ce qui me reste de ma mère. Elle est

morte quand je n'étais qu'un petit garçon. Nous étions une famille irlandaise, à l'époque.

J'avais une sœur, Moire, puis Colleen est née et ma mère est morte en la mettant au

monde. D'abord anéanti, mon père s'est mis un beau jour à la recherche d'une femme

capable d'élever ses enfants et de tenir sa maison. Par ailleurs, il fréquentait une

dénommée Molly qui lui a donné deux filles, Maeve et Aine. De braves petites.

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— Vous les connaissez? S’étonna Fortune.

— Oui, mais ma belle-mère ne le sait pas. Maeve est née quand j'avais onze ans, et Aine

trois ans plus tard. Mon père était déjà marié avec lady Jane. La jolie héritière qui avait

des idées arrêtées sur tout.

— On prétend qu'elle a exigé que sir Shane se convertisse au protestantisme.

— C'est exact. Le prêtre de Lisnaskea a essayé de convaincre mon père qu'il brûlerait en

enfer s'il renonçait à sa foi; bien entendu, c'est exactement ce que mon père a fait. Et,

dans la foulée, il a rebaptisé Moire et Colleen. Il est comme moi. Il a horreur qu'on lui

dicte sa conduite. Soit dit en passant, le prêtre a dû faire ses bagages pour l'avoir menacé.

— Pourquoi ne vous a-t-on pas baptisé, vous ?

— Ils n'ont pas réussi à m'attraper, dit-il avec un sourire espiègle. Tout a changé dès que

lady Jane s'est installée dans la maison. Les affaires appartenant à ma mère ont disparu les

unes après les autres. Puis elle s'est attaquée à la foi qu'elle nous avait léguée. J'ai cru

qu'elle voulait effacer complètement ma mère de nos vies, mais en grandissant, je me suis

aperçu que je me trompais. Ma belle-mère est une femme honnête, mais elle est

incapable de concevoir que d'autres ne partagent pas ses convictions et son mode de vie.

«Au début, elle s'est montrée patiente avec moi sur la question du baptême. Elle

m'obligeait à aller au temple avec eux, pensant que je finirais par m'habituer à leur

religion et à l'adopter. Des années plus tard, mon père et elle ont découvert qu'après les

avoir accompagnés, je m'éclipsais pour assister à la messe catholique.

«Quand j'ai eu vingt et un ans, mon père m'a posé l'ultimatum que vous connaissez. J'ai

bien essayé de lui exposer mon point de vue, mais savez-vous ce qu'il m'a répondu? Qu'il

ne se rappelait même pas le visage de ma mère, que Jane était sa femme et qu'il voulait

lui faire plaisir. C'est là que je lui ai dit que je laissais Mallow's Court à Willy. Je n'en

voulais pas.

— N'avez-vous pas écouté votre fierté plutôt que le bon sens? Il est normal que l'on

oublie le visage des êtres chers avec le temps.

— La vérité, c'est que je ne suis pas attaché à Mallow's Court, ni même à ma terre natale.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que ma place est ailleurs.

Fortune en resta bouche bée.

— Vous aussi ? S’exclama-t-elle.

— Vous avez sûrement un endroit que vous aimez, où vous vous sentez chez vous.

— Je suis née ici, à MacGuire's Ford, mais on m'a emmenée en Angleterre alors que je

n'avais que quelques semaines. J'ai vécu chez ma grand-mère, à Queen's Malvern, puis en

France dans le château de maman, Belles-Fleurs. J'ai vécu en Ecosse, dans celui de papa,

et chez mon frère, à Cadby, dans l'Oxfordshire. Mais jamais je ne me suis vraiment sentie

chez moi quelque part. Même si j'avoue un faible pour Queen's Malvern. En fait, j'avais

l'espoir d'éprouver en Irlande ce sentiment d'appartenance.

— Mais ce n'est pas le cas.

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— Non, admit-elle. Il semblerait que vous et moi soyons deux âmes perdues, Kieran

Devers.

Il la regarda vraiment pour la première fois. Elle était belle physiquement, certes, mais

elle irradiait une autre sorte de beauté : une beauté intérieure. Ses yeux bleu-vert

exprimaient la chaleur et la sympathie. Son sourire doux offrait un étrange contraste avec

son franc-parler.

— Il ne pleut plus, remarqua-t-elle. Mes parents vont se demander où je suis passée.

Viendrez-vous vous promener avec moi, une autre fois, Kieran ?

— Demain ? proposa-t-il à mi-voix

— D'accord. Demain matin.

Il alla chercher son cheval et l'aida à se hisser en selle.

Puis il prit sa main gantée et y déposa un baiser.

— À demain, Fortune Lindley.

Il donna une légère tape sur la croupe de Thunder qui se mit en marche. Kieran les

regarda s'éloigner, curieux de voir si elle allait se retourner. Elle le fit, et il lui décocha un

grand sourire.

Fortune rougit jusqu'à la racine des cheveux. Le démon ! Il avait attendu qu'elle se

retourne. Il connaissait suffisamment les femmes pour savoir qu'elle le ferait.

Relevant fièrement le menton, elle lui tira la langue, puis lança sa monture au galop. Le

rire de Kieran lui parvint et elle rit à son tour. Ils allaient bien ensemble...

Puis elle mesura la portée réelle de cette dernière réflexion. Ils allaient bien ensemble...

Qu'est-ce qui lui permettait de le penser ? Que savait-elle de lui ? Certes, elle avait pris du

plaisir à discuter avec lui. Il n'était pas assommant comme son frère. Pour la première fois

de sa vie, un homme éveillait son intérêt suffisamment longtemps pour qu'elle se sente

prête à lui accorder le bénéfice du doute. Cela signifiait-il qu'elle pourrait l'aimer?

Seul le temps le lui dirait.

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CHAPITRE 5

— Nous commencions à nous inquiéter, chérie, dit la duchesse, tandis que sa fille

pénétrait dans la maison et tendait sa cape et ses gants à un serviteur.

— Je me promenais à cheval quand j'ai rencontré Kieran Devers. Il y a eu une averse et

nous avons dû nous mettre l'abri. Il vient me chercher demain matin pour une

promenade. Ce n'est pas un si mauvais garçon, quand on le connaît un peu mieux.

— Je le savais! s'exclama James Leslie avec un grand sourire.

— Tu savais quoi? demanda sa femme, intriguée.

— Je savais que c'était Kieran Devers qui intéressait Fortune. Les grands Celtes ténébreux

sont bien plus fascinants que ces petits Anglo-Irlandais même pas sortis des jupes de leur

mère ! lança-t-il en riant avant de tapoter affectueusement la joue de sa belle-fille. Sois

prudente, mon petit. Tu as affaire à un homme, un vrai, et il ne ressemble à aucun de

ceux que tu as rencontrés jusqu'à présent.

— Papa! Je ne m'intéresse pas du tout à Kieran Devers, protesta Fortune. Mais avec qui

d'autre pourrais-je me divertir un peu ici, à MacGuire's Ford? Je trouve simplement

agréable d'avoir quelqu'un avec qui sortir à cheval, et je préfère la compagnie d'un

homme séduisant à celle de mes parents.

— Jasmine, il serait temps que tu parles à ta fille. Je ne voudrais pas avoir à lui infliger un

chaperon. Je savais que ce beau jeune homme avait une idée derrière la tête.

— Me croyez-vous assez sotte pour me laisser séduire, papa ? S’emporta Fortune.

Croyez-vous que parce que je suis vierge, j'ignore tout de ce qui se passe entre un homme

et une femme ? Comment le pourrais-je, quand je vis sous votre toit ? Et n'oubliez pas cet

hiver que j'ai passé avec ma sœur India, quand elle était enceinte de son fils. Vous pensiez

peut-être que nous nous contentions de rester assises, à coudre ou à broder, sans rien voir

ni entendre pendant que Diarmid faisait sa cour ? Franchement, papa !

— Fortune! Intervint Jasmine.

Mais déjà son mari éclatait de rire.

— Elle a raison, Jasmine. Fortune n'est plus une enfant, et elle n'est pas comme notre

India. Elle saura se comporter avec sagesse et discernement.

— Bien sûr que je saurai ! affirma Fortune.

Mais elle avait hâte d'être au soir pour soutirer à Rois quelques confidences sur les bruits

qui couraient au village. Pour une raison qui lui échappait encore, sa vie n'était plus ce

qu'elle était.

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Connor McMor, l'un des rares bardes à l'ancienne mode qui restaient en Irlande

demanda ce soir-là l'hospitalité à Erne Rock. Elle lui fut offerte gracieusement. Quand il

eut assez bu et assez mangé, il s'assit devant le feu avec ses hôtes et prit sa petite harpe. Il

chanta des ballades évoquant des héros et des batailles inconnus du duc et de la

duchesse. James Leslie parvint à comprendre quelques mots de gaélique irlandais, assez

différent de l'écossais. Rory MacGuire se chargea de traduire avec beaucoup de talent.

Quand le barde eut fini, James Leslie l'invita à demeurer au château aussi longtemps qu'il

le voudrait.

— Je monte de bonne heure, demain matin. Je préfère me retirer maintenant, dit

Fortune en se levant.

Dès qu'elle se fut éloignée, le duc de Glenkirk se pencha vers Rory.

— Il faut que vous voyiez Kieran Devers avant ma fille, demain matin, pour l'avertir qu'il

ne doit pas s'aviser de la toucher, à moins, bien sûr, qu'il ne tienne pas à la vie. Je suis

tout à fait d'accord pour qu'il l'emmène en promenade et qu'une amitié se noue entre

eux, mais c'est une vierge que j'ai amenée en Irlande et une vierge que j'entends ramener

en Écosse. Elle doit trouver un mari. Pensez-vous pouvoir le lui faire comprendre ?

— Oui, milord. Kieran Devers est un honnête homme. Je lui ferais une entière confiance

s'il s'agissait de ma propre fille, mais je lui transmettrai néanmoins votre message.

Fortune, qui s'était arrêtée sur le seuil de la grande salle, les entendit et sourit. Son beau-

père agissait par amour, pour la protéger, même si elle considérait ses inquiétudes sans

fondement. Selon elle, c'est avec India qu'il aurait dû se montrer plus strict. Elle sursauta

quand Rory MacGuire apparut devant elle, l'air amusé.

— Les oreilles indiscrètes entendent rarement dire du bien d'elles, la taquina-t-il.

— Si MacGuire's Ford me revient, vous serez à mon service, Rory, lui rappela-t-elle.

— Il n'est plus certain que vous obteniez MacGuire's Ford maintenant que vous avez

écarté le jeune William. Je ne vois pas quel autre jeune homme des environs pourrait

vous convenir aussi bien. Vous n'êtes pas encore la maîtresse d'Erne Rock, mais je vous

promets de ne pas vous embarrasser quand je parlerai à Kieran, demain matin.

— Pourquoi tout le monde éprouve-t-il le besoin de me protéger? Se rebiffa-t-elle. J'ai

presque vingt ans!

— Oui, et votre fougue issue de votre mélange celte et indien se trouve confrontée à

votre sagesse toute britannique. Allez vous coucher, quoique je doute que vous dormiez

beaucoup. Je reconnais la lueur qui brille dans vos yeux. Votre mère avait la même, jadis,

quand elle pensait à votre père.

— Je crois que je vous aime, Rory MacGuire, déclara Fortune en l'embrassant sur la joue.

Soyez gentil avec le pauvre Kieran. J'ai à peine commencé à jouer avec lui. Il se peut que

je découvre qu'il ne me plaît pas, après tout. Mais tant que je n'aurai pas pris ma

décision, je ne veux pas le faire fuir.

Il s'inclina galamment devant elle.

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— Comme vous voudrez, milady.

Fortune se précipita dans l'escalier en gloussant comme une gamine. Près du feu, Rois

somnolait à moitié. Elle se réveilla quand sa maîtresse entra dans la chambre.

— Je veux prendre un bain, annonça celle-ci. Je vais me promener à cheval de bonne

heure, demain matin, avec Kieran Devers, et je veux que tu me dises tout ce que tu sais,

Rois.

La femme de chambre se leva pour demander de l'eau chaude avant de préparer la

baignoire en chêne. Presque aussitôt, de jeunes serviteurs arrivèrent avec des brocs

fumants. Adali connaissait bien les habitudes des dames de la maison.

Une fois la baignoire prête, Rois aida sa maîtresse à se déshabiller et attacha ses cheveux

au sommet de son crâne. Fortune se plongea dans l'eau avec un soupir d'aise. Elle se

savonna tandis que Rois brossait les vêtements qu'elle avait portés dans la journée et

nettoyait ses bottes. Elle revint avec une chemise de nuit bordée de dentelles.

Peu après, Fortune s'asseyait devant sa coiffeuse tandis que sa jeune servante brossait ses

longs cheveux.

— Viens t'asseoir près de moi, Rois, l'invita Fortune une fois qu'elle fut dans son lit. Je

veux savoir ce que l'on dit de Kieran, au village. Raconte-moi tout ce que tu sais de lui.

Sans rien omettre. Il m'a déjà parlé de son enfance. A-t-il une maîtresse ? Est-ce qu'il aime

les femmes ?

— Il plaît aux femmes, milady. Il vient de temps à autre de Lisnaskea pour rendre visite à

deux de ses connaissances à MacGuire's Ford. Pas le genre de femmes que les hommes

épousent, non. On dit qu'il est un amant plein de vigueur. Oh, milady, je ne devrais pas

vous raconter ces choses !

— Je veux savoir !

— Il paraît qu'il a un grand cœur. L'une de ses maîtresses a un enfant. Pas de lui,

attention! Mais quand elle est tombée malade, il a payé le médecin et lui a donné de

quoi élever son bébé et passer l'hiver, le temps qu'elle se refasse une santé pour retrouver

du travail.

— Mais il n'a pas de maîtresse attitrée?

— Pas que je sache, milady.

— Pas d'enfants illégitimes ?

— Aucun connu à ce jour. Il vit sa vie, milady, mais il garde le sens de la mesure. Ce n'est

pas un coureur de jupons. Juste un homme avec des besoins normaux.

— A-t-il jamais courtisé une dame ?

— Il a le sentiment de ne rien avoir à offrir à une dame, milady, puisqu'il est déshérité.

C'est tout ce que je sais. Il y a peu de commérages à propos de Kieran Devers.

— Ce n'est pas plus mal... Merci, Rois. Je vais dormir, maintenant. Je me lève tôt,

demain.

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Dans le silence de sa chambre, Fortune ne trouva pas le sommeil tout de suite. Elle

pensait à Kieran Devers. A son beau visage et à ses yeux verts si sombres. Son corps à la

fois robuste et svelte la troublait. Fortune l'imaginait puissant et musclé sous son

manteau. Il aimait les femmes sans tomber dans l'excès. Il savait ce qu'il voulait, et

possédait un sens aigu du bien et du mal. Un homme ordinaire, selon elle, un peu

comme James Leslie. Alors pourquoi la fascinait-il à ce point? Qu'est-ce qui le rendait si

différent des autres à ses yeux?

Dans quelques semaines, elle aurait vingt ans. Elle était courtisée depuis l'âge de quinze

ans, depuis que ses formes de femme avaient commencé à se dessiner. Mais elle n'avait

pris aucun de ses prétendants au sérieux. Tous ces garçons, si empressés qu'ils soient et

prêts à lui jurer un amour éternel, étaient ses compagnons de jeu depuis l'enfance. Elle

voyait en eux des amis, pas des amoureux en puissance, et elle les avait éconduits les uns

après les autres.

Elle n'était pas comme India, romantique et impétueuse. Ce qui n'avait pas empêché sa

sœur d'écarter elle aussi plus d'un prétendant. Toutes deux avaient toujours eu le don de

flairer ceux qui étaient surtout attirés par leur dot. Leurs parents les avaient laissées libres

de leur choix, quand bien même ils n'étaient pas d'accord. James Leslie avait toutefois

perdu patience avec India et avait fini par la marier avec le comte d'Oxton. Certes, le

mariage s'était finalement révélé heureux mais India avait fait promettre au duc de ne pas

se conduire ainsi avec Fortune. Tiendrait-il sa promesse ?

Pleine de bonne volonté, elle était venue en Irlande avec la ferme intention d'épouser

William Devers, à moins qu'il ne s'avère être un rustre repoussant et irascible. Il n'était

rien de tel, et si sa dot avait pesé dans la balance, elle avait senti qu'elle lui plaisait. Mais

on n'épousait pas quelqu'un pour des raisons pratiques ou parce que la raison le

commandait. Que lui arrivait-il ? Se mettait-elle à ressembler à sa mère et à sa sœur ?

Et il y avait encore plus troublant: son attirance grandissante pour le frère aîné de

William. En sa présence, elle se surprenait à avoir des pensées terriblement sensuelles, qui

lui auraient semblé inimaginables auparavant. Cela tombait bien que William soit parti

avec ses parents. Cela lui laissait le champ libre pour faire plus ample connaissance avec

Kieran sans se sentir coupable.

Elle sourit à l'idée que son père ait pu remarquer avant elle son attirance envers Kieran.

Qu'allait-il se passer à présent ?

Quand elle se leva, aux aurores, le lendemain matin, elle fut déçue de constater qu'il

pleuvait. Le lac disparaissait sous le brouillard et la bruine mêlés. Elle décréta cependant

qu'une petite pluie n'avait jamais fait de mal à personne et revêtit sa tenue de cheval. Elle

descendit ensuite déjeuner. James Leslie lui lança un regard amusé en voyant sa tenue.

— Où est maman? demanda-t-elle en s'asseyant près de lui.

Elle prit la miche de pain tout juste sortie du four, en coupa une tartine qu'elle beurra

généreusement avant d'y déposer un morceau de fromage.

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— Tu sais que plus le temps passe, moins ta mère aime se lever tôt, répondit-il en buvant

une gorgée de vin pour accompagner son œuf dur.

— Croyez-vous qu'il viendra, papa?

— Ce n'est pas une petite pluie qui m'aurait empêché de rejoindre une jolie fille à son

âge, chérie.

— Je ne sais même pas le sien.

— Je dirais qu'il n'a pas encore trente ans. Je trouve qu'un mari doit être plus vieux que

sa femme.

— Je ne compte pas l'épouser !

James Leslie avala sa dernière bouchée d'œuf avant de prendre la main de Fortune dans

la sienne. Il la regarda droit dans les yeux.

— Écoute-moi. Tu ressembles à ta grand-mère sur bien des points. Je me suis laissé dire

que Mme Skye n'avait jamais joué les coquettes, comme tant de jeunes filles. Quand un

homme a retenu son attention, ce fut le bon. Je crois qu'il en ira de même pour toi.

« William Devers était un garçon bien, mais il manquait de personnalité. J'ai su tout de

suite qu'il n'était pas pour toi. Son frère est différent. C'est un homme de caractère. Un

peu fou d'avoir cédé Mallow's Court, mais s'il gagne ton cœur, il aura Erne Rock. Il ne

perdra pas au change. Alors, si tu le veux, Fortune, n'hésite pas, et n'en éprouve aucune

honte. Le bonheur se mérite, il ne te tombera pas du ciel sous prétexte que tu es une jolie

fille richement dotée.

— Eh bien, papa ! S’étonna Fortune. Vous n'avez pas été aussi généreux avec India.

— India s'est montrée un peu tête de linotte quand elle s'est lancée dans la chasse au

mari. Tu es tout le contraire d'une écervelée. C'est bien qu'une femme soit intelligente,

mais l'amour échappe à l'entendement. Si tu le rencontres, mon petit, ne le laisse pas

t'échapper, parce qu'il ne se représentera pas deux fois. Cela s'est passé ainsi pour ton

père, et ce fut la même chose pour moi. J'ai aimé ta mère au premier regard, et je

l'aimerai jusqu'à ma mort.

Il tapota la joue de Fortune.

— Tu es une fille adorable, ma chérie. Suis ton cœur, ce n'est pas moi qui te le

reprocherai.

Fortune battit des paupières pour chasser les larmes qu'elle sentait poindre. James Leslie

ne lui avait jamais parlé aussi tendrement.

— Ne serais-tu pas en train d'essayer de te débarrasser de moi ? Le taquina-t-elle.

Il sourit.

— Non. Je veux bien que tu partes, mais seulement pour un homme qui t'aimera encore

plus que moi.

Il se pencha et essuya une larme qui s'était échappée et roulait sur la joue pâle de sa fille.

— My lord, intervint Adali en apparaissant sur le seuil. Messire Devers vient d'arriver. J'ai

pensé que lady Fortune aimerait le savoir.

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— Il est venu ! dit-elle dans un souffle.

— Il aurait fallu qu'il soit fou pour ne pas venir. Mais je savais qu'il le ferait, dit le duc de

Glenkirk en se levant. Tu l'intéresses autant qu'il t'intéresse, ma chérie.

— Comment le savez-vous, papa ?

— Crois-tu que je n'ai pas remarqué la façon dont il te regardait, quand il était là, la

dernière fois ? Ce sont ces regards qui m'ont fait comprendre qu'il était en train de

tomber amoureux de toi, ma chérie. C'est une chance que sa stupide belle-mère se soit

empressée d'emmener son précieux petit poulet en Angleterre, non ? Glissa-t-il en riant.

— Oui, admit Fortune.

— Bonjour, lady Fortune. Monsieur le duc, dit Kieran Devers en pénétrant dans la salle

après avoir tendu sa cape ruisselante d'eau à Adali. Il pleut des cordes à présent.

— Je veillerai à ce que votre vêtement soit soigneusement séché, monsieur, déclara Adali

en se retirant.

— Vous n'en êtes pas moins le bienvenu, Kieran, répondit le duc. Joueriez-vous aux

échecs, par hasard ?

— Oui, monsieur.

— Ce serait une façon de vous occuper avec ma fille, en attendant qu'il cesse de pleuvoir.

Fortune se défend pas mal, n'est-ce pas, chérie ? Je vous envoie Adali avec l'échiquier, et

peut-être un peu de whiskey pour vous réchauffer? Enchaîna-t-il, quittant la pièce dans

son élan.

— Vous êtes vraiment une bonne joueuse? S’enquit Kieran.

— Oui, très bonne. J'ai été initiée par ma mère qui jouait avec son père, en Inde, quand

elle était petite.

— Nous ferons une première partie, et si j'estime que vous êtes un adversaire à la

hauteur, nous parierons, d'accord?

— Inutile de tester mes capacités, Kieran Devers. Nous parierons dès le départ. Que me

demanderez-vous... si vous gagnez?

Les yeux de Fortune pétillaient de malice, mais la réponse de Kieran la fit sursauter.

— Un baiser, répondit-il, son beau visage soudain grave.

— Vous ne manquez pas d'audace, rétorqua-t-elle en se reprenant.

— Si vous gagnez, qu'exigerez-vous de moi? Demanda-t-il à son tour.

— Un baiser, répondit-elle, à la grande surprise du jeune homme. J'espère que le jeu en

vaut la chandelle, ajouta-telle avec un sourire espiègle.

Il ne put s'empêcher d'éclater de rire.

— C'est vous qui ne manquez pas d'audace, il me semble, milady.

— Pourquoi ? Parce que je n'ai pas rougi, que je n'ai pas pris la mouche ou que je ne

vous ai pas demandé un joli ruban bleu pour mes cheveux ? J'ai passé ma vie à jouer

avec des garçons, Kieran. Vous êtes prévenu. Je joue pour gagner, et je ne suis pas du

genre à minauder.

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Ses yeux vert sombre se plissèrent tandis qu'il la scrutait pensivement.

— Pas de quartier? fit-il doucement.

— Pas de quartier, répondit-elle sur le même ton.

Adali se matérialisa soudain dans la pièce.

— L'échiquier, milady, dit-il en le posant avec une carafe de whiskey et un verre sur la

table de jeu.

— Seigneur! Vous faites moins de bruit qu'un chat, s'écria Kieran.

— En effet, monsieur, répondit le majordome en gratifiant le jeune homme d'un sourire

lumineux. L'art de se déplacer silencieusement m'a été enseigné quand je servais dans un

harem. C'est très utile. J'apparais souvent quand on m'attend le moins.

Il installa la table de jeu devant la cheminée où brûlait un bon feu, puis ouvrit une boîte

en argent incrustée de malachite, tout comme les pièces en ivoire qu'elle renfermait. Il

disposa ces dernières avec soin sur les cases.

— Je prends les verts, décida Kieran en s'asseyant à sa place après avoir vidé d'un trait un

petit verre de whiskey.

En face de lui, Fortune étudiait déjà la disposition des pièces sur le damier. Elle bougea

tranquillement l'un de ses pions.

Debout près d'elle, Adali sourit avant de quitter la pièce.

Ils jouèrent à un rythme plutôt rapide. Kieran eut le plaisir de constater qu'elle était

l'adversaire la plus habile à laquelle il ait jamais été confronté. Mais il demeurait le plus

fort. Avec un petit rire, il bougea l'un de ses deux cavaliers. C'est ce que Fortune

attendait. Tranquillement, elle prit son roi.

— Échec et mat. Je gagne, monsieur, susurra-t-elle.

— Que... Comment diable...

— Voulez-vous que je vous montre ?

Comme il hochait la tête, elle remit les pièces en place et lui expliqua sa stratégie.

— Quelle tactique sournoise! S’exclama-t-il. Vous me devez une revanche !

— Et vous me devez un gage, lui rappela-t-elle.

Il lui prit la main et l'embrassa tendrement.

— Non, monsieur! s'écria-t-elle en sautant sur ses pieds. Si j'avais perdu, auriez-vous

accepté une aussi piètre récompense ? J'exige un baiser ! Un vrai ! Ce sera le premier, et

ce sera maintenant!

Se penchant par-dessus la table de jeu, elle lui tendit ses lèvres en fermant les yeux.

« Que le Seigneur soit avec moi ! » implora Kieran avant de saisir le menton de Fortune

Lindley entre le pouce et l'index, et d'effleurer ses lèvres des siennes avec une douceur

infinie.

— Êtes-vous satisfaite, milady? S’enquit-il en la lâchant.

Le cœur de Fortune avait bondi quand elle avait senti la caresse de ses lèvres. Elle avait

eu l'impression de plonger dans un gouffre lorsqu'il avait appuyé sa bouche sur la sienne.

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Elle ouvrit les yeux.

— Cela ne me suffit pas, monsieur. Je suis sûre que vous n'avez pas terminé.

— Dans ce cas, vous devrez gagner une deuxième fois pour en savoir plus. Maintenant

que je connais votre tactique, je ne serai plus aussi facile à battre. Asseyez-vous, Fortune,

et disposons les pièces pour une deuxième partie.

Profondément ébranlé par cette ébauche de baiser, il fut incapable de se concentrer

malgré tous ses efforts, et Fortune l'emporta à nouveau. Mortifié, il s'entendit ordonner:

— Payez, monsieur, et convenablement cette fois, comme j'ai déjà vu mon père

embrasser ma mère. Vous devez me prendre dans vos bras et me serrer contre vous.

Ce disant, elle se leva et fit le tour de la table.

— Très bien, petite futée, gronda-t-il férocement en se levant.

Dans le même élan, il la plaqua contre lui, son bras l'enserrant comme un étau, s'empara

de ses lèvres et l'embrassa à en perdre le souffle, pantelant, éperdu.

Et elle s'envola à sa rencontre, tous ses sens en ébullition. Elle comprit la puissance du

désir que ce baiser traduisait. Fortune était peut-être vierge, mais elle savait reconnaître

les signes de la passion. Elle les avait souvent décelés dans les yeux des hommes. Ses bras

s'enroulèrent étroitement autour du cou de Kieran et elle lui répondit avec une ardeur

égale. C'était ce qu'elle cherchait depuis toujours ! Absolument divin...

Tout à coup, il la repoussa. II tremblait presque.

— Non ! s'écria-t-il.

— Si!

— Vous n'avez pas idée de ce que vous me faites, ma douce.

— Et vous? Avez-vous la moindre idée de ce que vous me faites ?

— Je m'en doute.

— Alors, pourquoi arrêter?

Fortune était rose de plaisir et il dut faire appel à toute sa volonté pour rester un

gentleman.

— Parce que si nous n'arrêtons pas, je vais vous emmener dans votre chambre et vous

ravir ce qui vous reste d'innocence. Parce que j'en ai envie depuis l'instant où je vous ai

vue. Parce que j'ai prié pour que vous écartiez William afin de vous garder pour moi !

Parce que malgré tout l'amour et le désir que vous m'inspirez, Fortune Lindley, vous ne

pouvez être à moi, car je n'ai rien à vous offrir. Vous n'êtes pas une fille quelconque que

je viens de rencontrer. Vous appartenez à une grande famille et vous êtes une riche

héritière. Je ne suis pas digne de vous. Ma lignée et mes biens font piètre figure comparés

aux vôtres. Vous n'imaginez pas à quel point cela me met hors de moi. Fortune !

Il se leva et lui tourna le dos.

— Je ferais mieux de retourner à Mallow's Court, ajouta-t-il.

— Il ne pleut plus. Nous pouvons faire cette promenade que nous avions prévue.

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Elle n'avait pas l'intention de le perdre. Car si elle le laissait aller maintenant, elle risquait

de ne plus jamais le revoir. Se remémorant les conseils de son beau-père, elle se lança.

— J'aurai bientôt vingt ans. Je vous attends depuis toujours, Kieran Devers. Je ne vais pas

vous laisser m'échapper maintenant ! Je me moque éperdument que vous soyez riche ou

pauvre. Ma fortune est à vous si vous voulez bien de moi en échange.

« Quant à votre lignée, si toutefois cela m'importait, ce qui n'est pas le cas, elle est fort

honorable. La famille de votre père descend d’une noble tribu celtique, les Devers, qui

appartenaient à une haute caste. Les MacGuire, dont descend votre mère, ont été les

princes de Fermanagh pendant des siècles. On trouve des O'Neil des deux côtés de votre

arbre généalogique. Je crains que vous n'ayez été influencé par votre belle-mère anglaise

qui voue un mépris viscéral aux Irlandais.

— Comment savez-vous tout cela? demanda-t-il, stupéfait.

— J'ai demandé à Rory MacGuire, avoua-t-elle en toute simplicité. Savez-vous que chez

les Fermanagh, les hommes étaient les lames les plus redoutables de toute l'Irlande?

— Non, dit-il avec un petit sourire.

— Fermanagh était néanmoins la région la plus pacifique du pays, avec de grandes

familles essentiellement constituées de poètes et de bardes, de médecins et d'hommes de

loi. Rory MacGuire connaît son histoire sur le bout des doigts et il s'est fait un plaisir de

me la raconter.

— Je n'aurais jamais imaginé que Rory MacGuire était un historien.

— Parce qu'il vous a mis en garde à mon sujet, et vous a rappelé que je suis une jeune

fille noble et pure qu'il ne s'agit pas de traiter légèrement? le taquina-t-elle.

Kieran se mit à rire. C'était exactement ce que lui avait dit Rory MacGuire un peu plus

tôt, quand il était arrivé à l'écurie.

— Allons-nous chevaucher maintenant qu'il ne pleut plus ou bien comptiez-vous en

profiter pour me retenir ici un peu plus longtemps ?

— Les deux, admit-elle.

— Il n'y a pas d'avenir possible entre nous, insista-t-il. Nous sommes fous de seulement y

songer.

— N'est-ce pas à nous d'en décider, Kieran ? dit-elle en posant la main sur son bras.

Son trouble se lisait sur son beau visage.

— Croyez-vous vraiment? murmura-t-il en plongeant son regard dans le lac bleu-vert des

yeux levés vers lui.

Il était amoureux, réalisa-t-il avec stupeur. Tout cela était arrivé si vite, si soudainement.

Il s'attendait à tout sauf à cela. Il s'était imaginé que ces choses-là n'étaient pas pour lui.

Mais c'était avant que Fortune Lindley ne fasse irruption dans sa vie. Jamais on ne le

laisserait s'unir à elle.

— Je veux que nous soyons mariés avant le retour de votre famille, déclara-t-elle sans

détour.

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— Je ne vous ai pas demandée en mariage.

— Vous ne voulez pas ?

— Bien sûr que je le veux, mais votre famille ne le permettra pas, ma douce Fortune. Les

pauvres n'épousent pas de riches héritières, même lorsqu'ils sont issus de nobles lignées.

Vous rendez-vous compte que vous pourriez prétendre à un prince, à un duc ou à un

marquis ? Les vôtres ont sûrement d'autres ambitions pour vous.

— C'est à moi que revient le choix, Kieran. Il en a toujours été ainsi. Et je vous ai choisi.

M'aimez-vous vraiment, alors que nous nous connaissons à peine?

— Oui, Fortune. Je vous ai aimée à la minute même où nous nous sommes retrouvés

face à face, en haut de cette colline. Vous étiez si fière, si altière...

— Et affreusement arrogante, reconnut-elle. Mais pas plus que vous, Kieran. Je ne m'en

rendais pas compte alors, mais mon cœur l'a su avant moi. Je vous en voulais d'avoir

surgi ainsi et de faire voler mes projets en éclats.

Il l'attira dans ses bras où elle se nicha tandis qu'il déposait un baiser sur le sommet de sa

tête. Son jeune corps si doux palpitait contre le sien tendu par le désir. Car il la désirait

ardemment. Il avait envie de se réveiller auprès d'elle le matin. Il avait envie qu'elle porte

ses enfants.

Pourquoi avait-il bêtement défié son père? Pourquoi n'avait-il pas envisagé que ce jour

arriverait ? Ou qu'une fille telle que Fortune Mary Lindley entrerait dans sa vie ?

— Le père Cullen m'a donné le baptême catholique, lui dit-elle comme si elle devinait ses

pensées. Cela signifie qu'il pourra nous marier. Vous n'aurez pas à renoncer à quoi que ce

soit pour moi, Kieran.

— Cela ne résout pas le problème de ma pauvreté, objecta-t-il avec douceur en l'écartant

légèrement de lui.

— Si nous continuions la discussion à cheval ?

— Je ne suis pas un parti pour vous, Fortune, répéta-t-il fermement.

— Adali ! Appela-t-elle soudain.

Le majordome apparut aussitôt comme par magie.

— Va chercher papa, Adali. Dis-lui qu'il faut que je lui parle immédiatement.

— Tout de suite, milady, répondit-il, notant au passage l'expression effarée de Kieran

Devers.

Il s'éloigna en riant sous cape. Ce jeune homme n'avait pas la moindre chance d'échapper

à lady Fortune. Dès l'enfance, elle s'était révélée déterminée à obtenir ce qu'elle voulait.

Toutefois, elle n'était pas exigeante pour autant, aussi cette attitude avait-elle toujours

surpris son entourage quand elle s'était manifestée. Il trouva le duc dans son petit bureau,

occupé à organiser avec Rory le programme des saillies.

— Lady Fortune voudrait vous voir, my lord. Elle est au salon.

— Dis-lui que j'arrive.

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— Je pense que vous devriez venir tout de suite, my lord. Lady Fortune a annoncé à

messire Devers qu'ils allaient se marier, mais il hésite parce qu'il n'a pas de fortune et

pense qu'il ne la mérite pas.

— Bonté divine !

— Eh bien, sacrée petite ! s'exclama Rory MacGuire avec un grand sourire.

Kieran Devers pâlit en voyant le duc de Glenkirk entrer dans le salon suivi de Rory

MacGuire et d'Adali. Ils allaient le jeter dehors et lancer les chiens sur lui, cela ne faisait

pas l'ombre d'un doute. Il n'avait pas le droit de convoiter une fille comme Fortune,

même dans le secret de son cœur.

— My lord, fit-il en s'inclinant.

Mais qu'est-ce qu'il lui prenait! se demanda-t-il soudain. Il n'était quand même pas un

pauvre paysan! Fortune avait raison. Il venait d'une lignée honorable et portait un nom

respectable.

Il s'aperçut alors avec stupéfaction que MacGuire l'observait en souriant jusqu'aux oreilles.

C'était à n'y rien comprendre.

— Je crois que vous voulez épouser ma fille, Kieran Devers, dit tranquillement le duc.

— Oui, my lord, mais je sais que vous ne m'y autoriserez pas parce que je n'ai rien

d'autre que mon nom à lui offrir.

Leslie se tourna vers sa belle-fille.

— Qu'en dis-tu, Fortune?

— Je l'aime, papa.

— Ah, bien. Et tu es assez riche pour deux. Es-tu prête à partager tes biens ?

— Vous le savez bien, papa! J'ai largement de quoi vivre, et je souhaite que Kieran puisse

en profiter.

— My lord, je ne peux pas épouser Fortune pour son argent. Je dois avoir quelque chose

à lui offrir en plus de mon nom. Je suis un homme d'honneur, pas un chasseur de dot.

— Oh, ne soyez pas si fier! s'exclama Fortune.

— Willy était peut-être prêt à vous épouser pour votre héritage, mais pas moi ! rétorqua

Kieran.

— Vous n'épouserez pas ma fille pour son argent, messire Devers, et vous n'aurez pas

plus de contrôle sur ses biens que votre frère n'en aurait eu, parce qu'elle restera l'unique

propriétaire de tout. C'est une tradition familiale qui concerne toutes les femmes de la

famille. Les hommes qu'elles épousent se voient attribuer des terres. Libre à vous d'y

investir et de les faire fructifier. Je suppose que vous n'avez plus d'objections concernant

ce mariage, n'est-ce pas ? Vous me feriez une immense faveur personnelle en me

dégageant de la responsabilité de cette petite. Elle s'est montrée extraordinairement

pointilleuse dans le choix d'un époux.

Kieran n'avait jamais été aussi surpris de sa vie.

— Êtes-vous en train de me dire que vous m'accordez la main de Fortune, my lord ?

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— Oui, si toutefois vous l'aimez. L'aimez-vous?

Le duc de Glenkirk posait la question pour la forme, car il connaissait déjà la réponse,

mais il avait envie de l'entendre de la bouche de Kieran Devers.

— Je l'aime de tout mon être! Je n'aurais pu en épouser une autre, car mon amour pour

elle n'aurait jamais égalé celui que j'éprouve pour Fortune. Oui, my lord, je l'aime !

Le cœur de Rory MacGuire se serra. Il savait exactement ce que Kieran Devers ressentait.

Mais le jeune homme obtiendrait celle qui faisait battre son cœur. Ce qui ne lui arriverait

jamais, à lui.

— Oh, papa, merci! s'exclama Fortune en lui sautant au cou.

— Que se passe-t-il ? S’enquit Jasmine qui venait de faire son entrée.

— Kieran et moi allons nous marier, maman! annonça sa fille, aux anges.

— Tout cela me semble bien soudain, ma chérie, dit lentement la duchesse. Es-tu sûre de

toi? Tu n'as pas voulu de William, mais tu veux de son frère ?

— Je l'aime, répondit Fortune. Est-ce difficile à comprendre? Will était gentil mais

ennuyeux. Kieran et moi avons tant de choses en commun.

— Par exemple ?

— Ni lui ni moi ne nous sommes jamais sentis à notre place où que ce soit dans le

monde. Nous savons tous les deux que nous ne l'avons pas encore trouvée, expliqua

Fortune avec flamme.

— Tu ne te sens pas chez toi en Irlande? Ou ici, à Erne Rock?

Cette question préoccupait Jasmine, car Kieran n'avait d'autre demeure que celle de son

père, et ils pourraient difficilement vivre ici, une fois mariés. Très anticatholique,

l'Angleterre ne lui semblait pas un bon choix. Où pourraient-ils bien trouver leur havre

de paix ?

— Tu sais que je pensais te donner MacGuire's Ford en cadeau de mariage ? Enchaîna la

duchesse.

— Mon amour pour votre fille rend la situation délicate, madame, intervint Kieran. Si

nous décidions d'habiter ici, avec ma famille à Lisnaskea, ma belle-mère sera d'une

jalousie féroce. Lady Jane adore son fils et elle ne supportera pas que Fortune m'ait

préféré à lui, quand bien même elle ne souhaitait pas ce mariage pour William. Elle

convoite vos terres depuis longtemps, bien qu'elle n'en ait jamais soufflé mot à mon père.

C'est elle qui a convaincu Samuel Steen de plaider la cause de Willy. Mon frère est assez

seul, et elle le monterait contre moi sans difficulté si j'entrais en possession de MacGuire's

Ford. Il s'est imaginé qu'il était tombé amoureux de Fortune et il est un jouet entre les

mains de sa mère. C'est vos terres qu'elle veut. Elle serait prête à tout pour les soustraire à

des catholiques. Elle va créer de vrais problèmes si j'épouse Fortune.

— Il a raison, intervint Rory. Cette femme est une fanatique, milady. Kieran et lady

Fortune devront quitter l'Irlande pour échapper à sa fureur. Et il vous faudra veiller à ce

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que le domaine soit confié à un protestant avéré afin de l'empêcher de mettre la main

dessus.

— Oh, Rory, qu'adviendra-t-il de nos gens? S’inquiéta Jasmine.

— Tout devrait bien se passer avec un maître protestant de votre choix, milady.

Seigneur! Elle était si bonne ! Si attentive à leur sort à tous ! Songea Rory.

— Duncan et Adam! s'écria soudain la duchesse. Nous donnerons MacGuire's Ford à nos

deux fils cadets, Duncan et Adam Leslie. Ce sont encore des enfants, mais ils ont été

élevés dans la foi de l'Église anglicane. Leur loyauté ne pourra être mise en doute,

d'autant moins qu'ils sont les demi-frères du neveu du roi. L'aîné aura le château et nous

ferons construire une belle maison pour le plus jeune. Ils sont peut-être protestants, Rory,

mais tous deux ont l'esprit ouvert.

— S'ils sont vos fils, milady, je n'en doute pas.

— Alors, Kieran et moi pouvons nous marier?

— Pas tout de suite, répondit Jasmine en levant la main pour devancer la protestation de

sa fille. Kieran et toi avez été happés dans la spirale de la passion. Je ne doute pas que

vous vous aimiez... maintenant. Mais dans un mois, dans un an? Vous aimerez-vous

toujours autant? Et où vivrez-vous? Pas en Irlande. En Angleterre, peut-être, si toutefois

Kieran parvient à pratiquer sa foi avec discrétion et à se plier aux lois du roi.

— La femme du roi est catholique ! s'écria Fortune.

— Et cela a déjà créé de nombreux problèmes auprès de ceux qui ne conçoivent pas que

l'on puisse interpréter la parole de Dieu de différentes manières, rétorqua sa mère.

— Alors, qu'allons-nous faire, madame? Quel espoir nous reste-t-il ? demanda Kieran.

— Il y a toujours de l'espoir, répondit la duchesse. Vous dites ne pas vous sentir chez

vous en Irlande bien que ce soit votre terre natale, celle de vos ancêtres. Vous sentez que

votre place est ailleurs. Moi aussi j'ai toujours suivi mes instincts, c'est pourquoi je crois

que vous êtes celui que ma fille attendait. Mais avant que je vous laisse l'épouser, vous

devrez avoir trouvé un endroit où vous établir, où vous serez heureux et en sécurité.

C'est dans ce but que j'aimerais que vous veniez en Angleterre avec nous à la fin de l'été.

Je voudrais vous faire rencontrer quelqu'un.

« Il s'appelle George Calvert, lord Baltimore. De mère catholique et de père protestant, il

a été élevé dans l'Église anglicane. Bien que respectable et prospère, sa famille n'est pas

noble. Extrêmement instruit, il a attiré l'attention de sir Robert Cecil, le secrétaire d'État

du roi. Il est devenu son secrétaire particulier, et c'est ainsi qu'a commencé sa carrière

politique. Il s'est marié et a appelé son premier fils Cecil, à cause de sir Robert. Grâce à

ses compétences et à son travail acharné, il a gravi les échelons. Il est venu plusieurs fois

en Irlande, en mission pour le roi.

«A la mort de Cecil en 1612, le roi a gardé Calvert à son service. Après avoir été fait

chevalier en 1617, il est devenu secrétaire d'État puis membre du Conseil privé. C'est un

homme modeste et très aimé. Il possède des terres ici, en Irlande. Il s'est impliqué dans la

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Compagnie de Virginie et celle de la Nouvelle-Angleterre. Il y a quelques années, sa

femme Anne est morte en couches et sir George a traversé une grave crise de conscience.

Il s'est alors tourné vers la foi de sa mère.

«Très scrupuleux, il a annoncé publiquement sa conversion. Terriblement déçu et peiné,

le roi aurait pu le condamner à mort. Son amitié pour Calvert l'a emporté et, au lieu de

cela, il l'a fait baron Baltimore dans son royaume d'Irlande. Après la mort du roi James,

les Calvert ont gardé les faveurs et l'amitié du roi Charles.

« Lord Baltimore rêve de trouver une colonie où tous les hommes puissent pratiquer leur

religion en paix et en toute liberté, en se respectant mutuellement. Personnellement, je

doute de la tolérance de mes semblables, mais si quelqu'un peut accomplir ce prodige,

c'est bien lui. Peut-être cette colonie est-elle l'endroit que vous cherchez, ma fille et vous ?

Viendrez-vous en Angleterre ?»

— J'irai ! répondit Kieran sans hésiter.

Il prit la main de Fortune dans la sienne.

— Cela pourrait être la réponse à notre attente, ma douce. Un lieu où les hommes

pourraient exercer leur religion librement. Cela me paraît presque trop beau pour être

vrai.

— Ce n'est peut-être que cela, prévint la duchesse. J'ai beaucoup voyagé, Kieran, et j'ai

vu nombre d'atrocités commises au nom de Dieu. Mais, comme je vous le disais, l'espoir

demeure.

— Mais quand pourrons-nous nous marier, maman ? Voulut savoir Fortune.

— Quand je serai sûre que votre amour passera l'été, répondit Jasmine à sa fille.

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CHAPITRE 6

Fortune se précipita hors du salon. Sa mère ne comprenait-elle pas qu'ils s'aimaient? Elle

était pourtant suffisamment tombée amoureuse au cours de sa vie pour reconnaître le

véritable amour ! Elle avait attendu ce moment toute sa vie, et voilà qu'elle le lui gâchait.

— Fortune, attendez! cria Kieran en la rattrapant dans la cour. Allons faire un tour à

cheval. Il ne pleut plus. Et votre mère a raison.

— Quoi? Vous prenez son parti? Vous ne voulez plus m'épouser? Votre ardeur s'est-elle

déjà refroidie ? Michael ! Sellez mon cheval !

Kieran la prit dans ses bras mais elle essaya de se dégager.

— Arrêtez! dit-il d'un ton tranchant. Vous vous conduisez comme une enfant.

Quelque chose dans sa voix l'incita à obéir. Elle leva vers lui des yeux emplis de larmes.

— Elle ne comprend pas, Kieran.

— Détrompez-vous, Fortune. Votre mère comprend très bien, au contraire, fit-il en lui

caressant les cheveux. Vous avez été tellement protégée, et gâtée, ma toute douce. Pour

une fois, on vous demande d'attendre, et vous n'admettez pas de ne pouvoir obtenir ce

que vous souhaitez sur-le-champ.

Fortune renifla et posa la tête contre son épaule.

— Je suis catholique, Fortune, mais ni martyr ni bigot. Vous avez choisi l'Église anglicane,

et vous comme moi trouvons notre bonheur dans notre foi, mais nous avons des

ennemis prêts à s'entre-tuer pour des questions de religion. Votre mère nous propose de

vivre dans un lieu de paix où il sera possible de pratiquer notre religion sans que

personne cherche à nous en imposer une autre.

— Un tel lieu n'existe plus, répondit tristement Fortune.

— Mais si sir George pouvait trouver une colonie où il soit possible de le créer, vous

n'aimeriez pas y vivre ? Et si c'était l'endroit que nous cherchons depuis toujours, vous et

moi ?

— Où serait-il situé ?

— Je ne sais pas. Peut-être dans le Nouveau Monde, de l'autre côté de l'Océan. Passons

l'été ici et laissons notre amour se développer, Fortune. A l'automne nous irons à Londres

avec vos parents, et nous rencontrerons sir George.

— Mais quand nous marierons-nous ? Insista-t-elle.

— Avant de partir pour l'Angleterre, je l'espère. Vos parents ne sont pas contre nous,

mon cœur. Ils veulent simplement s'assurer de la solidité de notre amour. Je serai patient

et je voudrais que vous le soyez aussi. Ah, voilà nos chevaux ! ajouta-t-il en voyant

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Michael sortir de l'écurie. Venez, retournons sur la colline où nous nous sommes

rencontrés la première fois.

Ils chevauchèrent côte à côte, traversèrent le village au pas, puis galopèrent à travers les

prairies, fendant des troupeaux de moutons qui s'éparpillèrent de tous côtés.

Une fois en haut de la colline, ils descendirent de cheval et contemplèrent le lac dont les

eaux émeraude s'harmonisaient avec les bleus et les verts du paysage.

— C'est très beau, mais ce n'est pas chez nous, déclara Fortune.

Elle enleva son manteau, l'étendit sur l'herbe et s'y assit.

— Non, convint-il en s'installant à ses côtés. Je connais ces collines depuis toujours, mais

je n'y ai jamais ressenti ne serait-ce que les prémices de ce qui pourrait ressembler à un

sentiment d'appartenance.

Glissant le bras autour d'elle, il l'allongea sur le manteau, se pencha sur elle et l'embrassa,

tendrement d'abord, puis avec une passion grandissante.

Fortune s'étonna de ne pas avoir envie de le repousser et de le gifler. Au contraire, elle

enroula ses bras autour de son cou et le serra contre elle, écrasant ses seins contre son

torse. Voilà ce qu'est un vrai baiser! Malgré son inexpérience totale en la matière, elle sut

accueillir ses lèvres. Sous leur pression croissante, elle entrouvrit les siennes tout

naturellement et sentit le bout de sa langue les caresser.

Comme c'était agréable! Songea-t-elle.

Hardiment, elle le caressa à son tour, et ce fut comme si la foudre l'avait frappée.

Kieran releva la tête et l'observa tandis qu'un lent sourire jouait sur ses lèvres. Il roula sur

le dos et contempla le ciel, essayant tant bien que mal de surmonter l'inconfort causé par

sa violente érection. Fortune n'avait pas la moindre idée de ce qui était en train de leur

arriver. Jusqu'où le laisserait-elle aller? se demanda-t-il. Il se tourna vers elle en s'appuyant

sur un coude et, de sa main libre, déboutonna le pourpoint de la jeune fille.

Le cœur battant, Fortune ne bougea pas, attendant la suite. Elle sentit alors sa main

effleurer les rondeurs de ses seins et elle retint son souffle tandis qu'une onde d'excitation

se propageait soudain dans tout son corps.

Jusqu'où oserait-il aller? s'interrogea-t-elle nerveusement. Allait-elle lui accorder de plus

grandes privautés? S'arrêterait-il si elle le lui demandait?

Ses doigts jouaient avec les lacets de son corsage de soie. Il les défit lestement,

découvrant les rubans de sa chemise. Leurs regards se soudèrent et celui de Kieran se fit

interrogateur, lui demanda silencieusement la permission de continuer. Il se pencha sur

elle à nouveau et posa sa bouche sur la sienne.

Tout son corps semblait soudain de plomb. Elle était incapable de bouger, incapable de

lui dire non, car elle voulait qu'il ouvre sa chemise. Qu'il touche ses seins nus, comme elle

avait surpris le prince Henri Stuart le faire à sa mère quand elle était enfant. Jamais elle

n'avait oublié l'expression de plaisir qui transfigurait leur visage et elle voulait connaître la

même félicité. Elle soupira et ferma les yeux.

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Il s'enhardit. Il faillit déchirer les délicats rubans tant il avait hâte de découvrir les seins de

Fortune. Et quand ils s'offrirent à sa vue, il retint une exclamation d'admiration. Ils étaient

d'une beauté parfaite. Petits, ronds et fermes, d'une blancheur ivoirine, terminés par de

tendres bourgeons qui ne demandaient qu'à être cueillis par des lèvres expertes.

Incapable de se retenir, il prit un sein dans sa paume en coupe.

Fortune ouvrit les yeux, et laissa échapper un petit cri.

Seigneur! Il n'y pouvait rien si elle était aussi tentante.

Posant la joue contre son sein gauche, il écouta son cœur battre follement.

— Excusez-moi, ma douce, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Vous êtes si belle,

Fortune! Si terriblement belle!

Elle caressa tendrement les épais cheveux bruns. Tout cela lui paraissait bien naturel,

même si elle se sentait légèrement effrayée. Kieran l'aimait. Il ne lui ferait aucun mal. Sa

mère l'avait toujours mise en garde contre le pouvoir irrépressible de la passion. Elle

commençait seulement à entrevoir ce qu'elle avait voulu dire.

— Je vous aime, Kieran, se contenta-t-elle de répondre.

Il releva la tête.

— Je vous aime, Fortune, répondit-il, mais elle décela dans son regard quelque chose

qu'elle ne saisissait pas.

— Qu'y a-t-il ?

— Je ne suis pas habitué à jouer aux jeux de l'amour, répondit-il avec honnêteté. Je brûle

littéralement de désir pour vous.

— Oh... fit-elle d'une toute petite voix, comprenant ce qu'il voulait dire, malgré son

ignorance.

Elle rassembla les pans de sa chemise et en renoua les rubans, elle fit de même avec son

corsage en soie avant de refermer son pourpoint.

— Ces jeux peuvent se révéler dangereux, n'est-ce pas, Kieran? Souffla-t-elle.

Il lui prit la main et la posa sur son entrejambe.

— Oui, admit-il. Ils peuvent l'être.

Elle sentit la dureté de son sexe sous ses doigts, sa chaleur, une imperceptible palpitation.

— Vous êtes merveilleusement viril, lui dit-elle en le contemplant, éblouie. Vous me

donnerez beaucoup de plaisir.

Il éclata de rire, ce qui eut pour effet de relâcher la tension entre eux. Cette remarque,

scandaleuse dans la bouche d'une jeune fille vierge, ne l'étonnait cependant pas venant

de Fortune.

— Oui, je vous donnerai beaucoup de plaisir, ma toute douce. À présent, il faudrait que

vous ôtiez votre main si vous ne voulez pas que j'explose.

D'humeur taquine, elle le tapota doucement.

— Je vous rappelle que c'est vous qui l'avez placée là, mon cher. La prochaine fois, je

veux le voir nu, comme vous avez vu mes seins aujourd'hui. Chacun son tour, non ?

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Riant de plus belle, il prit sa main et l'embrassa tendrement.

— Vous êtes une incorrigible petite coquine, j'en ai peur. Vous mériteriez une fessée.

— Si cela peut nous apporter du plaisir, vous aurez le droit de me fesser.

Il haussa un sourcil perplexe, songeant qu'elle ne se rendait décidément pas compte de ce

qu'elle disait, puis se leva et ramena les chevaux qui s'étaient écartés pour brouter.

— Il est temps de rentrer, mon cœur. Vos parents vont se demander où nous sommes

passés, et MacGuire risque de lâcher ses chiens sur moi s'il pense que j'ai pu vous

déshonorer d'une manière quelconque.

Il l'aida à se mettre en selle, se retenant pour ne pas caresser son joli derrière au passage,

et ils regagnèrent le château sans se presser malgré les nuages qui s'amoncelaient

rapidement dans le ciel. Un grondement de tonnerre lointain les incita à éperonner leurs

montures et ils atteignirent les écuries d'Erne Rock quand les premières gouttes

commençaient à tomber. Aucun palefrenier n'étant en vue, ils conduisirent eux-mêmes

leurs chevaux à leur stalle, les dessellèrent et les débarrassèrent de leur harnachement.

Fortune attrapa une brosse et entreprit de bouchonner Thunder. Kieran l'observa en

souriant puis, désireux de se rendre utile, remplit les mangeoires d'avoine.

— Je me demande où est passé Michael, s'interrogea-telle quand elle eut fini. Peut-être

est-il allé aux cuisines.

Jetant un coup d'œil dans la cour, elle s'aperçut qu'il pleuvait à torrents.

— Je crains que nous ne soyons obligés d'attendre ici que l'averse se soit un peu calmée.

Que pourrions-nous faire pour passer le temps? ajouta-t-elle malicieusement.

— Vous n'avez pas honte ? La tança-t-il en riant avant de la plaquer contre le mur de

l'écurie, de glisser ses bras autour d'elle et de refermer ses mains sur ses fesses qu'il pétrit

pour la titiller.

— Qu'est-ce qui vous ferait plaisir, ma douce ?

Il la dévorait des yeux et elle le contemplait, fascinée.

Elle percevait de manière aiguë son corps contre le sien, ses mains pressées sur ses fesses,

et ressentait un besoin presque incontrôlable de faire l'amour avec lui. Elle s'entendit

exprimer à voix haute ses pensées les plus intimes :

— Je veux vous sentir en moi, Kieran Devers. Je vous veux brûlant, dur, et fou de désir.

— Dieu du ciel !

— Je vous choque parce que je suis vierge et que les vierges ne sont pas censées savoir

ces choses, n'est-ce pas? N'oubliez pas que ma mère a eu un prince pour amant, que mon

beau-père ne craint pas de manifester la passion qu'elle lui inspire, et que ma sœur aînée

a passé presque un an dans un harem. Et puis, Kieran, j'ai des yeux pour voir et des

oreilles pour entendre. Je sais ce qui se passe entre un homme et une femme. Je veux que

cela se passe entre nous. Je me montre audacieuse, c'est vrai, mais je suis folle de vous et

je veux être votre femme.

Elle en rougit d'avoir osé lui faire une telle déclaration.

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Ne sachant comment répondre à tant de franchise, il l'embrassa. Elle ne lui avait rien dit

qu'il n'éprouve ou ne pense déjà lui-même. Ils partageaient le même désir passionné. Il

referma ses mains autour de son visage et sa bouche se promena sur son nez, ses

paupières, son front, ses joues veloutées. Elle sentait le cheval et le cuir, et cette odeur

décupla son désir. Il attendait le moment où il pourrait aller jusqu'au bout. Et ce ne serait

pas pour cette fois.

La voix de Rory MacGuire interrompit leur tendre tête-à-tête.

— Votre mère m'a envoyé à votre recherche, lady Fortune.

Elle ouvrit les yeux et sourit à Kieran qui laissa retomber ses mains. Puis elle regarda dans

la cour, au-delà de MacGuire.

— Ah, il ne pleut plus. Nous attendions que la pluie cesse, Rory.

— Et je constate que vous avez su vous occuper, rétorqua-t-il avec flegme avant de fixer

son attention sur le jeune homme. Mme la duchesse souhaiterait que vous demeuriez à

Erne Rock pendant la période de mise à l'épreuve, Kieran. Pensez-vous être capable de

vous tenir convenablement? Pour être franc, je crois que c'est le seul moyen pour nous de

vous avoir à l'œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

— Je ne suis plus une gamine, Rory, lança Fortune.

— Non, en effet, ce qui signifie que vous savez qu'il vaut mieux ne pas s'afficher au grand

jour alors que les domestiques peuvent vous surprendre et répandre les pires rumeurs.

Essayez d'être plus discrets, la prochaine fois. Les bruits sur vous et votre beau gredin

seront amplifiés quand ils atteindront Lisnaskea, et s'y ajouteront quelques détails salaces

quand ils arriveront aux oreilles de lady Devers. Cela ne lui fera pas plaisir, d'autant que

vous serez sans doute mariée à son beau-fils, après avoir éconduit son fils. En bonne

chrétienne qu'elle est, sa première pensée sera sans aucun doute la vengeance.

— Maman devrait nous laisser nous marier maintenant! Ce serait la meilleure façon

d'empêcher les médisances.

— Votre mère est sage. Quel mal y a-t-il à patienter un peu si vous vous aimez vraiment?

Fortune eut un mouvement de la tête qui parut étrangement familier à Rory.

— Le mal se trouvera peut-être dans mon ventre si maman nous fait languir trop

longtemps !

Sur ce, elle se rua hors de l'écurie.

Kieran leva les mains dans un geste d'apaisement.

— Je ne la séduirai pas, promit-il au régisseur.

— Non, mais elle fera tout son possible pour vous séduire. Ma jeune sœur Aoife était

aussi obstinée que lady Fortune. Vous feriez bien de vous tenir sur vos gardes, Kieran

Devers, car vous pourriez vous retrouver sur le dos à vous faire chevaucher par une jeune

vierge. Oui, toute vierge qu'elle est, elle est d'une impudence qui dépasse l'entendement!

Kieran regagna le château tandis que Rory prenait le chemin de la maison de gardien que

lui avait donné Jasmine, des années auparavant. Il ne l'habitait pas avant qu'elle ne

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revienne à Erne Rock, mais elle était agréablement meublée grâce à des héritages

familiaux chers à son cœur, et Bride Duffy avait toujours veillé à l'entretenir et à l'aérer,

au cas où Rory déciderait de s'y installer.

Quand il se retrouva chez lui, entouré de ses objets familiers, il fut pris de nostalgie. Il

monta au grenier, ouvrit une malle et en sortit un petit coffret habillé de cuir. De retour

au rez-de-chaussée, il s'installa devant la cheminée où un domestique avait pris soin

d'allumer un feu. Il se servit un whiskey et prit le temps d'en déguster les premières

gorgées avant d'ouvrir le coffret contenant les miniatures représentant les membres de sa

famille. Une vague de tristesse l'envahit au souvenir du temps où les MacGuire étaient les

maîtres d'Erne Rock et de MacGuire's Ford.

Quand leur chef, Conor MacGuire, avait quitté l'Irlande avec les comtes du Nord, plus de

vingt ans auparavant, les parents de Rory, ses frères et sœurs ainsi que toute sa famille

l'avaient suivi. Lui seul était resté, refusant de laisser leur peuple à la merci des Anglais.

Grâce à Dieu, ou au diable, leur nouveau maître n'était autre que Jasmine Lindley,

marquise de Westleigh. Bien qu'elle connût son histoire, elle avait fait de lui

l'administrateur de son nouveau domaine.

Il était ainsi resté dans son pays alors que d'autres avaient refusé de se soumettre, par

fierté. Mais Rory n'avait jamais regretté sa décision. Ses parents étaient enterrés en

France, loin de leur sol natal. Il ignorait ce qui était arrivé à ses sœurs et au reste de sa

famille. Conan, son plus jeune frère, était parti pour la Russie où il était devenu officier

dans l'armée du tsar. Il n'avait plus de nouvelles de lui depuis dix ans. Peut-être était-il

mort à l'heure qu'il était? Ces miniatures étaient tout ce qu'il lui restait des siens. Il souleva

lentement le couvercle.

Elles étaient au nombre de sept, encadrées de velours. Il sourit en revoyant le visage de

son père, songeant qu'il lui ressemblait aujourd'hui. Il contempla sa mère avec ses grands

yeux bleus, lui-même à l'âge de huit ans, ses frères, ses sœurs, Myrna, Fionula et Aoife... Il

évoqua tristement ces temps heureux et s'apprêtait à refermer le coffret quand son

attention fut soudain attirée par Aoife...

L'artiste l'avait représentée dans une posture légèrement insolente, la tête légèrement

rejetée en arrière. Une posture qu'il n'avait pas revue depuis des années... jusqu'à

aujourd'hui. Rory prit la miniature, essuya la fine pellicule de poussière que le temps y

avait déposée avant d'examiner avec incrédulité le jeune visage de sa sœur. C'était le

portrait de Fortune Lindley, trait pour trait.

Il reprit son verre et en vida le contenu d'un trait. Il avait l'impression d'avoir reçu une

gifle monumentale. Comment lady Fortune Lindley et sa sœur à lui pouvaient-elles avoir

le même visage? La même posture? La même chevelure de ce roux flamboyant que seuls

Aoife et lui possédaient dans la famille ? « Hypocrite ! Lui souffla une petite voix

moqueuse. Tu le sais parfaitement.»

Fortune est ta fille.

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Il gémit comme s'il venait d'être blessé. Son esprit fit un bond vingt ans en arrière. Le

marquis de Westleigh venait d'être assassiné. Sa femme se mourait mais avait réclamé que

son mari la fasse sienne, lui avaient affirmé Adali et le prêtre. Alors ils l'avaient envoyé

auprès d'elle dans l'espoir qu'il réussirait à la sortir de ce sommeil délétère, lui qui l'aimait

en secret depuis la seconde où il l'avait vue.

Cette suggestion l'avait choqué, mais il n'avait pas résisté longtemps à l'occasion qui lui

était donnée de lui faire l'amour. Réflexion faite, il ne s'était même pas vraiment fait

prier, sachant en outre que, si elle vivait, il aurait la satisfaction secrète de lui avoir sauvé

la vie. Et que si elle mourait, il mourrait aussi. Jasmine avait survécu.

Quelques semaines plus tard, découvrant qu'elle était enceinte, tout le monde s'était

réjoui que son bien-aimé Rowan Lindley lui eût laissé ce cadeau d'adieu. Mais Fortune

n'était pas la fille de Rowan Lindley. Elle était la sienne. Qui d'autre le savait? Jasmine?

Non ! Elle ignorait tout du rôle qu'il avait joué. Adali devait le savoir, lui. Rien

n'échappait à son œil de lynx. Et le père Cullen aussi, bien sûr. Et durant toutes ces

années, ils ne lui avaient rien dit ! Et maintenant, qu'allait-il faire? Se demanda-t-il en

glissant le portrait d'Aoife dans sa poche avant de refermer le coffret. Seigneur, qu'allait-il

faire ?

Une jeune servante arriva avec un plateau.

— Maître Adali m'envoie vous apporter un repas, my lord. Comme il ne vous a pas vu

au déjeuner, il voulait savoir si vous alliez bien.

La jeune fille posa le plateau sur une table basse et ôta le linge blanc qui le recouvrait.

— Dites à Adali que je ne vais pas très bien et que j'aimerais le voir avant ce soir, avec le

père Cullen, si possible.

Il se mit à rire devant la mine horrifiée de la jeune servante.

— Mais non, je ne suis pas aux portes de la mort ! J'ai simplement besoin des conseils

d'un prêtre pour une autre affaire. Soyez discrète, néanmoins. Je ne tiens pas à ce que ma

requête suscite des dérangements intempestifs.

Il lui fit un clin d'œil et la jeune fille se retira en riant sous cape. Rory examina le contenu

de son plateau. De la truite. Des tranches de rôti de bœuf. Un légumier contenant des

petits pois nouveaux. Du pain, du beurre et du fromage. Il mangea machinalement,

l'esprit ailleurs, et se servit un second whiskey qu'il but d'un trait. Il avait froid.

Terriblement froid. Il avait une fille. Une fille absolument superbe qui était le sosie de sa

sœur préférée. Elle serait atterrée d'apprendre qu'elle n'était pas l'enfant posthume du

marquis de Westleigh. Il soupira. Durant vingt et un ans, il avait gardé le secret au sujet

de cette unique nuit avec Jasmine. Cela n'avait pas été facile mais il était parvenu à

chasser Jasmine de son esprit - sinon de son cœur, car cela était impossible.

Et voilà que son fardeau s'alourdissait. Il aurait dû s'en rendre compte plus tôt, mais il y

avait si longtemps qu'il n'avait pas revu Aoife et les siens que leur souvenir s'était estompé

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dans sa mémoire. Au souvenir des sanglots de sa mère et de ses sœurs, au moment du

départ, son cœur se serra douloureusement.

Il s'était fermement opposé aux comtes du Nord qui avaient abandonné leurs maisons et

leur peuple, puis violemment disputé avec son père qu'il accusait d'être plus fidèle à son

cousin qu'à sa famille. Si sa mère ne s'était pas interposée, ils en seraient venus aux mains.

Quoi qu'il en soit, son père avait eu le dernier mot. Rory était resté en Ulster pour

protéger les gens de MacGuire's Ford, et il y était miraculeusement parvenu. En revanche,

il ne s'était jamais marié et il avait renoncé à fonder une famille. Après être tombé

éperdument amoureux de Jasmine, il n'avait pas voulu d'autre femme dans sa vie. Et

voilà qu'aujourd'hui, il découvrait qu'il était père. Comment prétendre à cette paternité

sans causer à Fortune et à sa mère un mal irréparable?

La servante revint chercher le plateau.

— Maître Adali et le prêtre ne vont pas tarder, my lord. Vous allez vraiment bien, n'est-

ce pas? Mme la duchesse m'a demandé de m'en assurer.

— Une légère indisposition passagère, rien de plus, mon petit. Demain, il n'y paraîtra

plus.

— Je vais en informer Madame la duchesse.

Rory ne resta pas seule bien longtemps. Quelques instants plus tard, Adali et Cullen

Butler arrivaient à quelques minutes d'intervalle.

— La servante m'a appris que vous étiez souffrant, dit le prêtre.

— C'est une souffrance de l'âme, Cullen Butler, répondit-il en sortant de sa poche la

miniature qu'il lui tendit.

Cullen Butler l'observa attentivement.

— Où avez-vous eu ce charmant portrait de Fortune ? S’enquit-il en le passant à Adali.

Le majordome l'examina à son tour.

— Ce n'est pas lady Fortune, mon père, dit-il aussitôt. Elle ne porte pas la marque de

naissance de la princesse entre la narine gauche et la lèvre supérieure. Qui est-ce?

demanda-t-il en s'adressant à l'Irlandais.

— Ma jeune sœur, Aoife.

— C'est fou comme elles se ressemblent, n'est-ce pas, milord MacGuire? dit

tranquillement Adali.

— Vous saviez ? lança Rory d'un ton accusateur.

— Oui.

— Et vous, père ? Vous saviez aussi ?

— Oui, admit Cullen Butler. Que Dieu nous pardonne, Rory MacGuire !

— Mais elle ne sait pas ?

— Comment le pourrait-elle? répondit Adali. Vous-même n'en auriez rien su si vous

n'étiez tombé sur ce portrait de votre sœur.

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— Comment avez-vous pu garder un tel secret ? Ne pas m'en informer, moi, le premier

concerné? Martela Rory, les larmes aux yeux.

Cullen Butler semblait bouleversé, mais Adali demeura plus pragmatique.

— Qu'auriez-vous fait si nous vous l'avions dit, Rory MacGuire? Qu'auriez-vous pu faire?

Rien! Personne n'aurait cru que lady Fortune avait été conçue de cette invraisemblable

manière. Connaître l'identité de son véritable géniteur aurait amené la honte sur ma

princesse et la souillure de l'illégitimité sur lady Fortune. Vous ne pouviez espérer faire

partie de la vie de lady Fortune, milord MacGuire. Nous ne sommes que quatre à

connaître la vérité. Mme Skye, qui devina ce qui s'était passé et à qui je ne pus mentir

lorsqu'elle me questionna. Elle est morte depuis sept ans maintenant. Il ne reste donc plus

que nous trois. Vous avez agi avec noblesse, milord MacGuire. Je savais que vous aimiez

ma princesse, c'est pourquoi je me suis servi de vous pour la sauver. Je n'en ai pas honte,

et je n'en rougirai ni maintenant ni jamais.

«A vrai dire, je ne pensais pas que lady Fortune reviendrait un jour à MacGuire's Ford, et

le hasard a voulu que vous découvriez la vérité. Je suis désolé pour vous, milord

MacGuire. Vous avez là un fardeau difficile à porter, mais vous devrez le porter sans mot

dire, sinon je vous tuerai de mes mains. Je ne laisserai personne faire du mal à ma

princesse ou à sa fille. Nous allons bientôt rentrer en Angleterre et tout cela sera terminé.

— Oui, dit calmement Rory. Je n'ai plus qu'à me lamenter en silence d'avoir une fille qui

ne sait pas qu'elle est ma fille. Mais vous ne pouvez me demander de faire comme si de

rien n'était, Adali. A l'avenir, vous serez tenu de m'écrire deux fois par an pour me

donner des nouvelles de Fortune. Je mérite bien cela, non ?

— Oui, milord. Entendu, mais je risque de ne plus être au fait de sa vie bien longtemps. Il

est question que lady Fortune et le jeune Devers partent pour une colonie du Nouveau

Monde. Je vous écrirai donc selon ce que je saurai d'elle par l'intermédiaire de sa mère.

— D'accord.

— Je prierai pour nous tous, et surtout pour vous, Rory, ajouta Cullen Butler. Pourrez-

vous jamais me pardonner ?

— De quoi, Cullen Butler? Vous m'avez sauvé de moi-même. Adali a raison quand il dit

que je ne pourrais révéler ma paternité sans semer l'opprobre sur ma fille et sur sa mère.

— Alors, c'est réglé? dit Adali.

— Oui, répondit Rory.

— Et si jamais des idées folles vous venaient, milord MacGuire, venez d'abord nous voir,

le prêtre ou moi-même.

Un sourire joua sur le visage cuivré d'Adali.

— Je n'y manquerai pas.

« Je me conduirai en homme raisonnable, se promit Rory MacGuire, mais vous ne

m'empêcherez pas de rêver.

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» Personne ne l'empêcherait jamais d'imaginer la vie qu'il aurait pu avoir ni de venir en

aide à sa fille si l'occasion lui en était donnée. Il n'avait été présent auprès d'elle qu'au

cours des deux premiers mois de sa vie, puis ces derniers jours. Alors il profiterait d'elle le

plus possible pendant les quelques semaines qu'ils avaient à passer ensemble avant qu'elle

s'en aille. Probablement pour toujours, cette fois.

— Je vous abandonne, déclara Adali. Je dois retourner au château.

— Prenez donc un whiskey avec moi, père Cullen, suggéra Rory après le départ de

l'Indien. Quelque chose me dit que vous en avez besoin. C'est étrange, mais j'ai

l'impression que ce secret vous pèse plus qu'à Adali et à moi.

Le prêtre s'installa dans l'autre fauteuil situé devant le feu de tourbe et prit le verre que le

régisseur lui tendait. Les deux hommes trinquèrent et avalèrent une longue gorgée

d'alcool.

— Êtes-vous vraiment satisfait, Rory? S’enquit le père Cullen à brûle-pourpoint.

MacGuire haussa les épaules.

— Ai-je le choix, mon père? Quand j'ai retrouvé le portrait de Aoife et que j'ai vu la

ressemblance avec Fortune... Vous n'imaginez pas mon émotion. Au moins, je ne mourrai

pas complètement seul. Et je laisserai une trace en ce bas monde en la personne de ma

fille et de ses enfants. C'est plus que je n'escomptais.

— Je suis désolé, mon ami. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment j'ai pu me

laisser entraîner dans un tel complot. Du moins, ma cousine a-t-elle survécu. Je me

souviens d'avoir demandé à ma tante Skye comment justifier une action aussi

condamnable. Savez-vous ce qu'elle m'a répondu? Que l'Église se trompait souvent. Que

les lois auxquelles elle s'accrochait désespérément étaient faites par des hommes, pas par

Dieu.

Le prêtre laissa échapper un soupir avant de poursuivre :

— Non seulement vous avez été blessé, Rory, mais il a fallu en plus que vous ressortiez

vos portraits de famille... Il vous faudra être discret maintenant, et je sais que ce ne sera

pas facile parce que votre petite Fortune est une jeune fille très obstinée.

— Aoife l'était aussi. Elle adorait les chevaux et c'était une magnifique cavalière, tout

comme Fortune. Elle ne ressemble pas à sa mère, mon père. Elle est têtue comme un

Irlandais, j'en ai peur.

— Je préviendrai ma cousine Jasmine de la surveiller de près, répondit Cullen Butler.

— Je veillerai sur elle moi aussi. Je suis content qu'elle ait choisi Kieran Devers mais ce

mariage lui a coûté MacGuire's Ford. Cela dit, je préfère qu'elle s'en aille plutôt que de

vivre sous la menace constante de sa belle-mère qui n'hésitera pas à les faire accuser de

trahison à cause de la religion de Kieran, comme cela se produit un peu partout en

Irlande. À quelle date les deux jeunes fils de la duchesse sont-ils attendus pour prendre

possession de MacGuire's Ford ?

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— Au printemps prochain. Jasmine tient à ce que leurs droits soient confirmés par le roi,

afin d'éviter toute contestation éventuelle sur la légitimité de leur présence ici et sur son

caractère inaliénable. Lady Devers avait des vues sur le domaine et s'était imaginé

pouvoir se servir de Fortune pour mettre la main dessus. J'avoue avoir cru que William

serait un bon parti pour la petite, même si je redoutais un peu l'influence que la mère

aurait pu avoir sur lui. Grâce à Dieu, Fortune s'est montrée très avisée.

— Oui, mais sa belle-mère deviendra sa pire ennemie en découvrant qu'elle a préféré

Kieran à son cher fils.

— Elle ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Elle redoutait l'influence de Fortune,

à présent, elle n'aura plus à la craindre. De son côté, Jasmine prendra des dispositions

pour protéger MacGuire's Ford et Erne Rock de sa rapacité.

— Je l'espère, parce que cette Jane Devers est une femme d'autant plus coriace qu'elle est

anglaise.

— Voyons, Rory ! s'exclama le prêtre en riant. Même les Anglais ont leurs bons côtés. Il

faut se montrer magnanime.

— Hum... fit le régisseur, sceptique. N'empêche, les petits Leslie n'arriveront qu'au

printemps, et ça ne coûte rien d'avoir lady Jane à l'œil.

— Nous la surveillerons ensemble, mon ami.

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DEUXIÈME PARTIE

Ulster et Angleterre

1630-1631

CHAPITRE 7

Tout ce que je sais de l'amour, c'est que c'est tout ce qui compte.

Emily DICKINSON

Le 21 juin, veille de l'été, à mi-chemin entre le 1er mai et le 1er août, marque la pleine

saison des cultures. Cette année-là, l'Ulster connut un ensoleillement exceptionnel. Ce

jour-là, Kieran Devers s'était rendu à Mallow's Court afin de s'assurer que le domaine de

son père était correctement tenu en son absence. En pénétrant dans la maison, il eut la

surprise de trouver sa sœur, lady Colleen Kelly.

— Quand es-tu arrivée ? S’enquit-il en l'embrassant.

— Maman m'a écrit d'Angleterre pour me conseiller de passer vérifier que tu allais bien,

répondit-elle en souriant. Où étais-tu, Kieran? Je suis ici depuis trois jours et les

domestiques font bien des mystères.

Colleen était une jolie jeune femme brune aux yeux bleus.

— Maman se sent toujours insultée par le rejet de son fils, enchaîna-t-elle, mais elle

s'occupe déjà de le marier à Emily Anne. Elle prétend qu'il y songe, ce qui signifie qu'elle

a réussi à le soumettre à sa volonté! conclut-elle en riant. Lady Fortune Lindley est-elle

vraiment aussi épouvantable qu'elle le prétend ?

— Fortune Lindley est une jeune fille indépendante, obstinée, intelligente, perspicace et

superbe. Elle aurait fait de Willy un homme misérable parce qu'il se serait retrouvé coincé

entre elle et sa mère. Elle est assez sage pour s'en être rendu compte, c'est pourquoi elle

l'a repoussé, avec beaucoup de diplomatie, je dois dire.

— Tu sembles bien la connaître, grand frère, fit Colleen, intriguée.

— Je vais l'épouser, Colleen.

— Oh, Kieran! S’exclama-t-elle en posant la main sur son cœur.

Il entoura ses épaules du bras.

— Je sais, Colleen, je sais. Ce qui nous est arrivé est incroyable, mais Fortune et moi nous

nous aimons, et lady Jane ne nous le pardonnera pas, pas plus que Willy. Il est toutefois

impossible de contrôler son cœur, et j'ai moi-même été pris par surprise.

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— Maman avait des vues sur MacGuire's Ford. Effectivement, elle ne te le pardonnera

jamais.

— Fortune lui a déplu immédiatement et elle a tout fait pour en détacher Willy,

expliqua-t-il.

— Mais que tu acquières MacGuire's Ford, un domaine beaucoup plus vaste et plus

prospère que Mallow's Court, à la place de Willy, constitue un terrible affront pour elle.

Tu le sais bien, d'ailleurs. Elle qui t'a dépossédé de ce qui te revenait ne supportera pas

que tu deviennes beaucoup plus riche qu'elle, et sous son nez, qui plus est.

— MacGuire's Ford n'appartient pas à Fortune mais à sa mère, la duchesse de Glenkirk. Il

serait revenu à Fortune si elle avait épousé un protestant. Lady Leslie n'est pas sotte,

Colleen. Nous allons partir pour l'Angleterre, puis probablement pour le Nouveau

Monde.

— Ne crois-tu pas qu'il serait plus simple que tu te convertisses ? Imagine que Fortune

réussisse à t'en convaincre alors que maman s'y est évertuée en vain depuis des années ?

Elle en ferait une maladie !

Colleen ne put s'empêcher de s'esclaffer.

— Tu sais très bien que je ne me convertirai pas.

— Kieran, notre mère est morte il y a vingt-sept ans. Tu as fait ce que tu avais à faire. Je

n'ai pas envie que tu quittes l'Irlande! Nous ne nous reverrons jamais. Si tu n'avais pas ce

minuscule portrait de notre mère, tu ne te rappellerais même plus son visage, plaida la

jeune femme, au désespoir.

— Elle te ressemblait, Colleen. Elle était jolie avec ses grands yeux bleus et ses cheveux de

jais. Tu n'avais que deux ans quand papa s'est remarié. Je ne t'en veux pas, pas plus qu'à

Moira, d'avoir fait le même choix que lui pour ne pas te couper de sa vie, mais moi, j'ai

fait le mien depuis longtemps. Je n'ai aucune raison de revenir là-dessus.

— Tu n'es pourtant pas particulièrement dévot ou pratiquant. Je ne comprends pas

l'importance que tu accordes à ta foi.

— Viens avec moi à Erne Rock Castle. Je voudrais te présenter Fortune. Les Leslie sont

très hospitaliers.

— Non. Si je le faisais, je serais obligée d'avouer à maman que je savais ce que tu

t'apprêtais à faire. N'oublie pas qu'elle est la seule mère que j'aie jamais connue. Elle n'a

jamais fait de différence entre moi, Mary ou les enfants qu'elle a eus avec papa. Et bien

que je l'aie déçue en épousant un protestant irlandais plutôt qu'anglais, elle ne m'a jamais

rejetée. Même Mary l'aime. Tu es le seul qui n'ait pas réussi à t'entendre avec elle, Kieran.

— Tu vas rentrer chez toi et tu ne reverras pas notre chère belle-mère avant les noces de

Willy et d'Emily. D'ici là, mon mariage avec Fortune sera de notoriété publique. Lady

Jane sera partagée entre la nécessité de surmonter l'affront que je lui ai infligé et la joie

de voir son Willy heureux, elle ne se formalisera pas si elle apprend que tu as rendu visite

aux Leslie, insista-t-il. Elle me soupçonnera même de t'y avoir incitée malgré toi. Tu es si

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bonne, Colleen! C'est sans doute la dernière fois que nous nous voyons et tu n'auras

sûrement pas d'autre occasion de rencontrer Fortune. J'aimerais que tu connaisses ma

future femme. Tu es ma petite sœur préférée et certainement le dernier cadeau que

maman nous a laissé en partant.

— Mon Dieu, Kieran! dit Colleen, les larmes aux yeux. Tu sais être persuasif. D'accord. Je

viendrai. Ensuite, je retournerai chez moi. Maman doit rentrer début août, pour le

mariage de Willy, qui est prévu pour la Saint-Michel.

— Il me faut quelques heures pour vérifier que tout va bien ici. Nous partirons demain

matin pour MacGuire's Ford.

— Je ferai comme si je rentrais à la maison. Je n'ai pas envie que les domestiques

s'empressent d'aller tout raconter à maman dès son retour.

— Je comprends, Colleen, mais je tiens à ce que tu rencontres Fortune et que tu voies

qu'elle n'est pas la créature que ta belle-mère t'a dépeinte.

— Dieu du ciel, tu es amoureux, Kieran ! Vraiment ! Je n'aurais jamais cru que cela

t'arriverait.

— Les catholiques tombent amoureux aussi, remarqua-til avec flegme.

— Allons, grand frère! lança-t-elle en riant. Je ne suis pas comme maman, sectaire et

étroite d'esprit, et c'est grâce à toi.

— Si lady Jane apprenait qu'il t'est arrivé d'assister à la messe avec moi, elle te renierait

sur-le-champ. Et je ne parle pas de ta rencontre avec Molly, l'amie de papa, et tes demi-

sœurs. Je savais que je pouvais te faire confiance, sœurette. Même Moire n'aurait jamais

osé encourir la colère de notre belle-mère. À la différence des autres, tu as l'esprit

d'aventure.

— J'ai eu de la chance de ne pas me faire prendre. Mais cela a bien failli m'arriver. Moire

nous a suivis un jour où nous allions chez Molly. Elle m'a ensuite menacée de tout

raconter à maman. Je lui ai fait croire que si elle faisait une chose pareille, je lui jetterais

un sort, qu'une verrue lui pousserait sur le nez et qu'elle ne trouverait jamais de mari. Elle

n'a jamais rien dit!

— C'est pour cela que tu n'as plus jamais voulu m'accompagner chez Molly.

— C'était plus prudent.

Ce soir-là, Kieran autorisa les domestiques à aller fêter la Saint-Jean avec les villageois, ce

que lady Jane ne leur aurait jamais permis. Ils laissèrent un souper froid pour le frère et la

sœur qui dînèrent en contemplant les feux de joie allumés un peu partout sur la colline.

Le lendemain matin, à l'aube, ils quittèrent Mallow's Court. Dès qu'ils atteignirent la

grand-route, Colleen arrêta le cocher et descendit de voiture pour monter la jument

attachée à l'arrière de l'attelage.

— Joseph, je dois faire une halte en chemin avec mon frère. Continuez sans moi, je vous

rejoindrai plus tard.

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Au milieu de l'après-midi, ils arrivèrent en vue de MacGuire's Ford. Fortune vint à leur

rencontre, ses cheveux de feu flottant dans le vent tandis que Thunder fendait l'air avec

majesté. Elle s'immobilisa devant les deux cavaliers.

— Si c'est votre femme et que vous m'avez menti, Kieran Devers, je vous arrache les

yeux! lança-t-elle avec un large sourire.

— C'est ma sœur, Colleen. Je tenais à ce qu'elle vous rencontre pour qu'il y en ait au

moins une dans la famille qui puisse défendre votre réputation. Hélas, elle n'est même

pas arrivée que vous lui donnez déjà un aperçu de votre caractère de chien! La taquina-t-

il.

Le regard de Fortune se posa sur Colleen Kelly.

— Vous êtes la dernière enfant de Mary MacGuire. Bienvenue à MacGuire's Ford,

milady, fit-elle. Resterez-vous quelques jours ?

— Avec plaisir, s'entendit répondre Colleen.

— Formidable ! Allons, venez, tous les deux ! Le premier arrivé à la maison ! Les défia-t-

elle. J'espère que vous êtes meilleure que votre frère à la course. Il pleurniche toujours

quand il perd, ce qui lui arrive plus souvent qu'à son tour.

— Je ne pleurniche jamais, répliqua Colleen en éperonnant sa jument, les devançant

instantanément.

Ravie, Fortune s'élança derrière elle. Secouant la tête, Kieran les suivit. Quand il atteignit

la cour intérieure d'Erne Rock, elles étaient déjà descendues de cheval et l'attendaient en

riant.

— C'est bien ce que je craignais, vous avez certains points communs, jeta-t-il en sautant à

terre.

— Venez, dit Fortune à glissant le bras sous celui de son invitée. Mes parents seront

enchantés de faire votre connaissance.

Ces derniers se trouvaient au salon, Jasmine assise près du feu, James debout, appuyé au

manteau de la cheminée. Fortune fit les présentations, mais elle remarqua vite que ses

parents semblaient soucieux et quelque peu distraits.

— Que se passe-t-il? S’inquiéta-t-elle aussitôt.

— Ta mère a une nouvelle assez... surprenante à t'annoncer, dit le duc en posant la main

sur l'épaule de sa femme.

Fortune s'agenouilla aussitôt près de Jasmine, son beau visage plein d'appréhension.

— Ce n'est peut-être pas le bon moment pour les hôtes imprévus, risqua Colleen.

— Oh, non, très chère. Vous êtes plus que bienvenue, répondit Jasmine. Je viens

simplement de faire une découverte inattendue. Je crois que je vais avoir un bébé.

— Quoi! s'écria Fortune. Mais ce n'est pas possible, maman ! Vous êtes beaucoup trop

vieille pour avoir un bébé !

Jasmine éclata de rire.

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— C'est aussi ce que je pensais, ma chérie. Mais il semblerait que je ne sois pas si vieille

que cela, finalement.

— Et je ne le suis certainement pas non plus, crut bon d'ajouter James Leslie.

Fortune rougit, embarrassée, quoique la perspective de ce bébé lui semblât une bonne

chose. Elle manquerait moins à ses parents quand elle partirait avec Kieran.

— Pour quand est-il prévu? S’enquit-elle.

— Aux environs de novembre.

— Madame, je vous présente mes félicitations les plus sincères, dit Colleen. J'ai moi-

même trois enfants.

— Mais, comment pouvez-vous en être certaine, maman ?

— Tu oublies que j'ai déjà eu huit enfants, ma chérie. Je reconnais que j'ai d'abord cru

que mon retour d'âge était arrivé, et puis... Oh, ce n'est pas le genre de conversation que

l'on tient devant des messieurs ! Disons que j'en suis certaine, et Bride Murphy, la sage-

femme du village, me l'a confirmé.

— Alors, nous devons rentrer à Glenkirk, en déduisit Fortune.

— Non, répondit sa mère. Vu mon âge et mon état, Bride m'a déconseillé de voyager.

Cet enfant naîtra ici, comme toi. J'ai déjà fait prévenir Adam et Duncan pour qu'ils

viennent dès que possible découvrir leur domaine. Ton frère Patrick restera à Glenkirk.

Oncle Adam et tante Fiona Leslie quitteront Edimbourg pour aller veiller sur lui. Il les

adore et se sentira moins seul. Mes enfants, nous allons devoir rester ici un peu plus

longtemps que prévu ! conclut Jasmine.

— Dans ce cas, Kieran et moi devons nous marier immédiatement, déclara Fortune.

Colleen vient de m'apprendre que les Devers rentraient début août, et que Will devait

épouser sa cousine Emily Anne pour la Saint-Michel.

— Non, Fortune, intervint James Leslie. Les Devers penseront que nous avons profité de

leur absence pour organiser votre union en douce et l'insulte n'en paraîtra que pire. Je

trouve mal venu d'ajouter de l'huile sur le feu, et je ne veux pas que les gens de

MacGuire's Ford et ceux de Lisnaskea deviennent ennemis. Nous t'avons donné notre

bénédiction pour épouser Kieran, nous te demandons seulement d'attendre que William

soit marié pour convoler à ton tour.

— Je suis d'accord avec vous, my lord, s'empressa d'intervenir Kieran, pour prévenir

toute explosion de colère de la part de Fortune. Votre père a raison. J'aime le mien et

j'aime mon frère. Je ne veux pas me brouiller avec eux.

— Ils seront offensés de toute façon, fit remarquer la jeune fille.

— Mais moins gravement si Willy se marie le premier, expliqua Colleen. Ma belle-mère

sera furieuse, c'est évident, mais moins que si elle est mise devant le fait accompli. La

seule chose qui m'inquiète, c'est sa convoitise concernant MacGuire's Ford.

Elle se tourna vers la duchesse.

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— Le domaine vous appartient en bonne et due forme, n'est-ce pas ? Continua-t-elle.

Pardonnez-moi, mais si j'aime ma belle-mère et que je ne songe pas à lui être déloyale,

j'aime aussi mon frère aîné. Lady Jane est âpre au gain. Elle acceptera mal que cet endroit

revienne à Kieran alors qu'elle le destinait à William.

— Kieran n'aura pas MacGuire's Ford, répondit calmement Jasmine. Mes deux derniers

fils ont été élevés dans la foi protestante. Étant les plus jeunes de la famille, ils ne peuvent

se recommander que de leur nom. Mon fils aîné est le marquis de Westleigh. Le

deuxième est le duc de Lundy. Le troisième héritera un jour du duché de son père. Seuls

Adam et Duncan n'ont ni titre ni terre. Ils peuvent vivre sans le premier. Sans domaine,

c'est plus difficile. Je diviserai MacGuire's Ford équitablement entre eux. Pour que

quelqu'un parvienne à me démunir de ce domaine ou de n'importe quel autre, il faudrait

qu'il ait une très grande influence à la Cour. Je ne crois pas que ce soit le cas de votre

belle-mère, mais c'est le mien, assurément.

— Mais où iront Kieran et Fortune, puisque mon frère n'est pas disposé à se convertir?

Voulut savoir Colleen. Il m'a parlé du Nouveau Monde.

— En effet, répondit Jasmine avant de raconter dans les grandes lignes les projets de sir

George Calvert. Il est très apprécié du roi, termina-t-elle. Quand nous rentrerons en

Angleterre, nous verrons où il en est. En attendant, j'écrirai à mon fils Charlie qui vit à la

Cour. Il nous tiendra au courant. Ne vous inquiétez pas pour votre frère, Colleen.

Fortune et lui trouveront leur port d'attache. Vous êtes la bienvenue chez nous, ma

chère. Adali s'est sûrement déjà occupé de vous faire préparer une chambre.

— Merci, milady, répondit la jeune femme en exécutant une courte révérence. Je suis

heureuse que Kieran ait insisté pour m'amener à Erne Rock. Maintenant que je vous

connais, je me sens plus tranquille à son sujet.

Contrairement à ce qu'elle avait prévu, Colleen s'attarda plusieurs jours à Erne Rock. Elle

apprécia beaucoup le duc et la duchesse, et Fortune l'enchanta malgré son franc-parler.

Elle comprit pourquoi sa belle-mère la détestait, et pourquoi elle n'aurait pas convenu à

Willy, alors qu'elle était la femme idéale pour Kieran. À Dublin, Fortune aurait été très

appréciée pour tout ce que lady Jane rejetait: son esprit, sa beauté, son intelligence. Son

frère aîné et elle étaient parfaitement assortis, mais leur mariage allait leur être une source

d'ennuis, car sa belle-mère trouverait un moyen de se venger, cela ne faisait aucun doute.

— Avez-vous arrêté une date pour le mariage ? leur demanda-t-elle la veille de son

départ.

Kieran jeta un coup d'œil à Fortune.

— Quelques jours après celui de William, dit celle-ci. Quand lady Jane saura que nous

restons plus longtemps que prévu, elle ne pourra faire autrement que de nous inviter à la

cérémonie sous peine de commettre un impair irréparable. Mes parents sont de haut rang

et des amis du roi. De notre côté, nous serons tenus d'accepter au risque de paraître

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dédaigneux. Et puis, si nous refusions, la rumeur laisserait entendre que c'est Will qui a

refusé ma main, ce qui est impensable.

— Mais plairait à ma mère, observa Colleen avec candeur. Quand les informerez-vous de

vos projets?

— Je ne sais pas, avoua Fortune. Une chose est sûre : je ne veux pas gâcher le mariage de

votre frère William.

— Kieran devra rentrer à Mallow's Court, sinon les ragots iront bon train. Les

domestiques de ma belle-mère adorent Kieran, mais il n'est plus l'héritier potentiel, et leur

loyauté ira à lady Jane et à Willy. Ce que je comprends, ils doivent penser à leurs propres

intérêts.

— Lady Kelly a raison, approuva le duc en enroulant un bras réconfortant autour des

épaules de Fortune. Je sais que vous vous aimez, Kieran et toi, ma chérie, mais vous

devrez vous séparer en attendant votre mariage. Sir Shane est un homme de bon sens. Je

parviendrai à faire la paix avec lui, mais sa femme et son fils ne nous pardonneront

jamais et il faudra se méfier d'eux.

— Pourtant, lady Jane a eu ce qu'elle voulait, remarqua Fortune. Will épouse sa cousine.

— Ce n'était pas vous que maman voulait, Fortune, expliqua Colleen. C'étaient vos

terres. Elle était prête à renoncer à Emily Anne pour les avoir, mais quand elle a vu

combien vous étiez belle et déterminée à vivre comme vous l'entendiez, elle a compris

que vous alliez détourner Willy d'elle, ce qu'elle ne supporterait pas -et ce que ne fera

jamais cette pauvre Emily Anne.

— Vous êtes très fine, Colleen, remarqua tranquillement Jasmine.

— Ne me croyez pas déloyale, madame. J'aime toute ma famille. Maman a toujours eu

beaucoup d'ambition pour ses enfants. Grâce au petit héritage de son père, elle a arrangé

des mariages pour mes sœurs, Mary et Bessie, avec des petits seigneurs anglais. Elle n'a

consenti à mon mariage avec Hugh que parce qu'il a une mère anglaise. Elle n'aime pas

vraiment les Irlandais, même si elle en a épousé un. Il ne faut pas lui en vouloir. Elle a fait

de son mieux pour être une bonne épouse et une bonne mère. Seul Kieran a échappé à

son contrôle. C'est seulement parce qu'il a accepté de céder ses biens à Willy qu'elle a

toléré sa conduite intolérable. Toutes les familles ont leur brebis galeuse.

— Kieran n'est pas une brebis galeuse! s'indigna Fortune. C'est un homme de principes.

— Malheureusement, mes principes ne sont pas ceux de ma belle-mère, dit-il avec un

sourire désabusé.

— Non, pas vraiment ! convint Colleen en riant.

Au matin, lady Kelly fit ses adieux à ses hôtes afin de regagner sa maison près de Dublin.

— Je risque d'offenser ma belle-mère, madame, mais si Kieran se marie peu de temps

après William, je pourrai assister à son mariage. Papa me soutiendra parce qu'il aime son

fils. Vous voudrez bien m'écrire pour me faire connaître la date ?

— Bien sûr, Colleen, répondit Jasmine.

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Kieran et Fortune escortèrent la voiture de la jeune femme jusqu'à la route de Dublin où

ils se séparèrent après de tendres embrassades. Le temps était lourd et nuageux, en cette

fin juin. Un orage imminent était à craindre. Sans avoir besoin de parler, ils se dirigèrent

vers leur coin favori, les ruines de Black Colm MacGuire. Kieran finit par avouer à

Fortune que Black Colm devait son surnom non à ses cheveux noirs mais à la noirceur de

son âme. Dernier d'une longue suite de méfaits, il avait enlevé la femme de son chef et

l'avait violée. Las de ses exactions, sa famille avait fini par prendre d'assaut la maison, par

une nuit sans lune. Black Colm avait disparu pour ne jamais revenir. On racontait qu'il

était allé rejoindre son maître, le diable.

L'infortunée captive avait été ramenée à son mari, mais, au grand chagrin de celui-ci, elle

n'avait plus jamais prononcé un mot. Black Colm avait été démoli. En dépit du passé

malheureux dont témoignaient les quelques pierres qui subsistaient, Fortune aimait cet

endroit, car Kieran et elle pouvaient s'y réfugier à l'abri des regards indiscrets. La pluie se

mit à tomber dès les premiers coups de tonnerre. Les cheveux se mirent à l'abri sous la

voûte de pierre et les jeunes gens s'assirent dans leur alcôve et s'enlacèrent.

— Nous devrons choisir la date de notre mariage avant votre départ, Kieran.

— Votre date sera la mienne, mon cœur, répondit-il en lui embrassant le haut du crâne.

Elle se nicha contre lui et frotta son visage contre le cuir de son gilet.

— Le plus tôt possible après le mariage de Willy. Octobre. Que diriez-vous du 5 ?

— C'est parfait, ma douce, ma toute douce... murmura-t-il en effleurant ses lèvres des

siennes.

— Kieran, l'idée que nous soyons séparés m'est insupportable. Je me conduis comme une

enfant, je sais, mais c'est tellement dur de penser que nous ne nous verrons plus tous les

jours...

Elle glissa la main dans ses cheveux et l'attira à elle pour l'embrasser.

— Ce ne sera pas long, mon amour, la rassura-t-il en lui mordillant la lèvre inférieure,

infiniment excité par son innocence.

— Ne pourrions-nous nous retrouver secrètement ici? suggéra-t-elle en caressant ses lèvres

du bout de la langue.

— Ma famille revient dans un mois, Fortune. Il me sera difficile de disparaître trop

souvent sans éveiller les soupçons. Ma chère belle-mère s'occupera des préparatifs du

mariage et nous serons tous tenus de l'aider. Marier William, héritier de Mallow's Court,

est pour elle un véritable triomphe personnel. La pauvre Emily Anne ne sait pas ce qui

l'attend... Nous nous verrons ici plusieurs fois par semaine avant les préparatifs, si vous

voulez. Après, je ne sais pas.

Fortune cacha sa déception sous un éclat de rire.

— Je suppose que je serai moi-même tellement occupée par notre propre mariage que

vous ne me manquerez pas du tout... Enfin, presque pas! Mais dites-moi, cela ne leur

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paraîtra pas surprenant que nous convolions tout juste une semaine après William et

Emily ?

— Surprenant, je ne sais pas, mais choquant, sûrement. Vous ne croyez pas qu'il vaudrait

mieux les prévenir avant ?

— Non ! Le mariage de Will serait gâché. Nous serons au centre de l'attention générale et

votre belle-mère sera furieuse. J'aime beaucoup William, je ne veux pas lui nuire.

— Ma belle-mère sera furieuse, de toute façon.

— Certainement, mais cela ne la regarde pas. Après tout, vous n'êtes pas son fils et, de

plus, elle vous a fait déshériter au profit du sien. Cela ne lui suffit pas ? Je ne l'aime pas,

Kieran.

— Vous êtes si fière et si forte, dit-il en l'enveloppant de ses bras pour l'embrasser avec

une ardeur redoublée.

— Faites-moi l'amour, Kieran, lui souffla-t-elle à l'oreille en se frottant contre lui de façon

suggestive. Vous me désirez, Kieran, je le sais, ajouta-t-elle en glissant les doigts dans les

cheveux qui frôlaient sa nuque.

— Petite coquine, dit-il en sentant son sexe durcir.

En guise de réponse, Fortune déboutonna son pourpoint puis délaça son corsage.

Incapable de s'en empêcher, Kieran insinua la main dans l'ouverture si tentante et la

referma sur un sein.

— Ohhh... gémit-elle quand il en pinça légèrement la pointe entre le pouce et l'index.

Il la plaqua sans douceur contre le mur de l'alcôve.

— Vous ne devriez pas me provoquer, Fortune. Vous ne savez pas ce que vous faites.

— Bien sûr que si, Kieran Devers, murmura-t-elle contre ses lèvres. J'en ai assez d'être

vierge. Faites-moi l'amour!

— Non. Je veux que vous soyez vierge pour notre nuit de noces. Mais puisque vous êtes

si curieuse, je vais vous donner une petite leçon. Je me demande si vous serez assez forte

pour l'endurer.

Sans lui laisser le temps de réagir, il la dénuda jusqu'à la taille.

— Dieu, que vous êtes belle !

Il referma ses mains autour de ses hanches, la souleva et la mit debout sur le banc afin de

la contempler à son aise. D'abord surprise, Fortune lui sourit langoureusement et détacha

sa ceinture. Son pantalon glissa jusqu'à ses genoux, retenu par ses bottes.

— Et vous, monsieur? Serez-vous assez fort? minauda-telle en tirant sur le ruban qui

retenait ses dessous.

— Juste ciel! s'écria-t-il tandis qu'elle se dressait nue devant lui.

Sa peau était d'une blancheur immaculée, absolument parfaite, et il n'y avait pas l'ombre

d'un duvet sur son bas-ventre. Il avait entendu dire que les grandes dames s'épilaient ainsi

mais ne l'avait jamais vérifié. Jusqu'ici, ses maîtresses étaient des campagnardes dont

l'intimité se cachait sous une toison bouclée. Fortune était diaphane et pure. La vue de la

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petite fente fit courir un lui un frisson de désir si violent qu'il en était presque

douloureux.

— Couvrez-vous, Fortune, la supplia-t-il d'une voix rauque. Vous êtes trop belle.

Mais, incapable de se retenir, il tendit les mains vers elle.

Elle exhala un long soupir et ferma les yeux, nullement effrayée, quand il referma les

doigts sur ses fesses pour amener son ventre près de son visage. Elle retint son souffle en

sentant sa bouche y déposer une série de baisers tandis que ses mains remontaient jusqu'à

ses seins. Elle s'arc-bouta légèrement et se frotta contre son menton râpeux.

Bouleversé jusqu'au tréfonds par sa beauté, et son évidente volonté de s'offrir à lui sans

réserve, Kieran tremblait de tout son être. Son érection devenait douloureuse. Pourquoi

pas? se dit-il. Quel mal y avait-il puisqu'ils allaient se marier bientôt ? Sa conscience se

dressa alors contre ses instincts. Il l'aimait profondément et la respectait. Que se passerait-

il s'il lui faisait un enfant et qu'il trouve la mort dans un accident ? Elle mettrait au monde

un enfant illégitime? Elle n'était pas une princesse de sang royal, comme sa mère, et lui

n'était pas un Stuart.

Au prix d'un effort surhumain, il parvint à s'écarter. Il agrippa son pantalon et le remonta

sans douceur.

— Rhabillez-vous ! Jeta-t-il rageusement.

— Que se passe-t-il? Kieran, qu'ai-je fait pour vous déplaire ? Vous ne voulez pas de moi?

— Rhabillez-vous et nous parlerons, dit-il en se détournant pour ne plus voir les larmes

dans ses yeux.

Embarrassée, en plein désarroi, Fortune lui obéit.

— Je suis prête, fit-elle un instant après.

Il se retourna alors, la souleva pour la reposer sur le sol et la serra tendrement contre lui.

— Je vous aime, Fortune. Quand vous m'offrirez votre virginité, je veux que ce soit dans

notre lit de noces. Je veux prendre le temps de vous admirer, de vous caresser. De vous

couvrir de baisers de la tête aux pieds. Imaginez qu'un malheur m'arrive avant notre

mariage et que vous soyez enceinte ? Que vous portiez notre enfant? Un petit être

innocent, le fruit de notre amour, certes, mais qui n'en sera pas moins un bâtard. Je ne

vous ferai pas subir cela, Fortune. Ni à vous ni à notre enfant. Vous comprenez ?

Elle hocha la tête contre sa poitrine.

— Mais j'ai tellement envie de vous, Kieran. Mon corps réclame de franchir ce pas vers

l'inconnu.

— Tout comme le mien brûle pour vous, et se consume à la pensée des plaisirs qui nous

attendent. Je crois qu'il vaut mieux nous séparer momentanément plutôt que de

succomber à la passion. — Nous continuerons à nous voir ici, n'est-ce pas?

Jusqu'à la Saint-Michel.

— Nous, les Celtes d'Irlande, l'appelons Lugnasadh. C'est la fête de la moisson mais, jadis,

c'était la fête annuelle du dieu Lugh.

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— Vous connaissez l'histoire de votre pays. Etes-vous sûr que votre place n'est pas ici, en

Irlande, Kieran?

Il lui sourit tendrement.

— J'aime l'histoire et les légendes d'autrefois mais cela ne signifie pas que je me sente

chez moi ici. Je suis prêt à partir pour cette colonie, Fortune. L'idée de m'installer dans un

pays inconnu, où l'on nous acceptera tels que nous sommes, me plaît beaucoup.

— Où que nous allions, il y aura toujours quelqu'un pour nous juger, répliqua Fortune

avec cynisme.

— D'un côté vous êtes l'innocence même, et de l'autre, vous êtes très mûre, mon amour.

— C'est sans doute dû à mon éducation plutôt éclectique. Quand maman est partie vivre

à la Cour, elle nous a laissés à Queen's Malvern avec ses grands-parents. J'adorais ma

grand-mère Skye, une femme affectueuse et très cultivée, qui ne s'est jamais vraiment

remise de la mort de mon arrière-grand-père de Marisco. J'ai vécu en France, en Ecosse.

J'ai assisté au mariage du roi Charles à Paris. Je ne me suis jamais ennuyée, Kieran, mais

j'ai hâte de me trouver un port d'attache avec vous. Je ne suis pas attirée par une vie

aventureuse. Mon rêve le plus cher est de réussir mon mariage. On m'a toujours

considérée comme une fille réaliste, à l'esprit pratique, contrairement aux autres femmes

de ma famille qui sont des passionnées, avec tous les risques que cela comporte. Je ne

veux pas leur ressembler.

Kieran éclata de rire.

— Parce que vous trouvez que vous dévêtir devant un homme en plein orage, dans une

ruine isolée, ce n'est pas vivre dangereusement?

— Je voulais simplement que vous me fassiez l'amour. Je suis tellement impatiente de

connaître ça! J'ai l'impression que je vais mourir si vous n'apaisez ce feu qui brûle en moi.

Il la serra contre lui à l'étouffer.

— Je vous adore, Fortune Lindley. Vous êtes folle, et merveilleuse! Je n'aurais jamais

imaginé rencontrer une fille telle que vous, mais maintenant que je vous ai trouvée, je ne

vous laisserai pas m'échapper.

— J'irai où vous voudrez, Kieran, dès lors que nous serons ensemble.

— Rentrons, mon adorable tentatrice. Je serai ici à la même heure, dans trois jours. Ma

belle-mère a déjà dû envoyer des messages à Mallow's Court. Elle est extrêmement

organisée. Si Willy se marie le 29 septembre, elle va commencer à distribuer ses ordres

aux domestiques. Elle voudra que je fasse la liaison entre la famille et les Elliot avant le

retour. Pauvre Willy! À partir de maintenant, toute sa vie est planifiée.

— Votre frère s'en accommodera. Il ne m'a pas semblé avoir le goût du risque. Je pensais

que cela me conviendrait jusqu'à ce que je me rende compte que je n'étais pas si sage et

réservée, en définitive.

— C'est le moins que l'on puisse dire, jeune intrépide ! Venez, mon ange. J'ai une route

plus longue à parcourir pour rentrer chez moi.

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— J'ai hâte que nous vivions ensemble, Kieran, souffla-telle tandis qu'il l'aidait à se

remettre en selle.

Elle avait presque réussi à le séduire, aujourd'hui. Elle essaierait de nouveau. Sa mère

connaissait quelque remède transmis de génération en génération et destiné à empêcher

la conception. Elle se débrouillerait pour s'en procurer. Parce que jamais elle n'aurait la

force d'attendre octobre pour sentir le poids de son corps puissant sur le sien. Jamais!

— Dans trois jours, ma toute douce, répéta-t-il en se demandant ce que signifiait cette

lueur sauvage qui s'était allumée dans ses yeux.

Il lui baisa la main avant de taper sur la croupe du cheval qui s'élança, impatient de courir

dans le vent frais d'après l'orage. Couchée sur son encolure, Fortune ne faisait qu'un avec

l'animal. Kieran les regarda s'éloigner en souriant.

Elle avait failli lui faire perdre la tête mais cela ne se reproduirait pas. Il était plus âgé, et

la responsabilité de sa réputation lui incombait.

Il l'aimait trop pour la déshonorer.

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CHAPITRE 8

— Qu'est-ce que maman utilise quand elle veut éviter de tomber enceinte ? demanda

Fortune à la femme de chambre de sa mère, Rohana. Elle n'a pas dû beaucoup s'en servir

ces derniers temps ! ajouta-t-elle en riant.

Les yeux noirs de Rohana demeurèrent sans expression tandis qu'elle pliait soigneusement

les chemises fraîchement repassées de sa maîtresse.

— Votre mère pensait qu'elle n'avait plus l'âge de concevoir, répondit-elle en refermant

le tiroir de la commode. Quant à l'autre question, ce n'est pas à moi de vous répondre

mais à votre maman. De toute façon, je suis sûre qu'elle vous expliquera tout avant votre

mariage.

Fortune frappa du pied.

— Bon sang, Rohana, vous savez ! Pourquoi ne voulez-vous rien me dire ?

— Pour la même raison qui vous empêche de vous adresser à votre mère. Vous êtes la

petite-fille du Grand Moghol, Fortune. Votre sang est chaud comme la lave du volcan.

Vous essayez de séduire votre promis sans avoir à subir les conséquences de votre écart.

Ne comptez pas sur moi pour vous aider.

Fortune haussa les épaules.

— Ce n'est pas grave. Je l'aurai quand je le voudrai ! Que vous arrive-t-il ? Vous avez

toujours été l'enfant la plus sage de milady. Qu'est-ce qui vous a rendue aussi

irresponsable ?

Fortune soupira.

— Je ne le sais pas moi-même, Rohana. En tout cas, aujourd'hui, je n'ai plus envie d'être

réfléchie et pratique. Tout ce qui m'importe, c'est d'être avec Kieran. Que m'est-il arrivé ?

— L'amour, mon enfant, répliqua Rohana avec feu. Vous êtes amoureuse, et c'est ce qui

depuis la nuit des temps rend les femmes de votre famille si imprudentes. Bon, nous

sommes en juillet. Vous n'avez plus que trois mois à attendre. Un peu de patience, que

diable !

— Mais imaginez que ce que j'attends si impatiemment me déçoive.

Rohana se mit à rire.

— Cela ne risque pas d'arriver. Sûrement pas avec ce grand et superbe Celte au regard

ténébreux qui a volé votre cœur! Messire Kieran est un homme dans tous les sens du

terme, beaucoup de filles du village pourraient l'attester. Imaginez que l'on fasse goûter la

crème du lait d'une vache à un acheteur potentiel, et qu'il n'aime pas la crème? Il ne

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voudra pas de la vache non plus. Vous êtes une jeune fille inexpérimentée, Fortune.

Protégez-vous tant que vous n'aurez pas la bague au doigt, d'accord ?

— Je n'avais pas réfléchi en ces termes, admit Fortune, pensive. Je crains de m'être laissé

déborder par la passion et de m'être conduite comme une idiote. Vous avez raison,

Rohana. J'attendrai d'avoir la bague au doigt, et lui la mienne entre les naseaux avant de

me donner à Kieran Devers !

Rohana s'esclaffa.

— Bien, mon petit! Vous avez saisi. Amusez-vous tant que vous voulez, mais attendez

votre nuit de noces pour passer aux choses sérieuses.

— Comment se fait-il que vous en sachiez autant sur la vie tout en étant toujours

célibataire, Rohana?

— J'ai eu quelques aventures dans ma jeunesse, Fortune. Et puis j'ai une sœur mariée.

Et... je suis la camériste de votre maman depuis sa naissance, alors pour ce qui est de

savoir, je sais pas mal de choses !

— Pourquoi ne vous êtes-vous jamais mariée ?

— Je n'en ai jamais éprouvé le désir. J'aime la liberté que me laisse mon statut de

célibataire. J'aime servir votre mère. Cela me rend heureuse, Fortune, et toutes les

femmes ont le droit d'être heureuses, n'est-ce pas?

Elle posa une main affectueuse sur le bras de la jeune fille.

— A présent, mon enfant, plus de questions! Et promettez-moi de cultiver la patience et

la réserve.

Fortune hocha la tête en rougissant.

— En parlerez-vous à maman ?

— Non. Je sais que je peux vous faire confiance. Cette conversation restera entre nous,

mais ne me décevez pas, mon enfant.

— Ce ne sera pas facile, avoua Fortune.

— Je sais.

Les semaines qui suivirent s'écoulèrent plus rapidement que la jeune fille ne l'avait craint.

Elle passa le plus clair de son temps à galoper à bride abattue afin de se dépenser le plus

possible. Elle ne vit Kieran que brièvement, et de loin en loin. Le soir, elle sombrait dans

un sommeil réparateur mais peuplé de rêves troublants dont elle oubliait heureusement

le contenu le matin venu. À la fin juillet, les amoureux se retrouvèrent une fois de plus à

Black Colm Hall.

— C'est la dernière fois que nous nous retrouvons ici avant un moment, annonça Kieran.

Mon frère arrive le premier, suivi de ma belle-mère et des Elliot, vers le 5 août. Les

préparatifs pour le mariage de William vont débuter et je ne sais pas quand je pourrai

revenir ici. J'essaierai dès que j'aurai un moment de libre. Je ne pourrai vous fixer de

rendez-vous précis, alors si je viens et que vous n'êtes pas là, je vous laisserai un message

sous notre banc, d'accord? Et vous en ferez autant.

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Fortune acquiesça, les larmes aux yeux.

— Ce sera dur, Kieran.

Il l'attira dans ses bras et l'étreignit avec force.

— Vous n'avez pas essayé de me séduire de nouveau, Fortune. M'aimez-vous toujours ou

votre cœur a-t-il changé ?

— Me croyez-vous vraiment aussi inconstante ? répliqua-t-elle, blessée. D'ailleurs, qu'est-

ce qui vous fait croire que j'ai essayé de vous séduire, Kieran Devers? Ne seriez-vous pas

présomptueux, comme tous les hommes ?

Il eut un petit rire.

— Si je vous proposais de vous faire l'amour maintenant, mon ange, que répondriez-

vous?

— Je vous enverrais vous faire voir ailleurs !

Le rire de Kieran redoubla.

— Je vous aime, mon petit chat sauvage. Dans deux mois, vous serez ma femme,

Fortune. Vous n'imaginez pas avec quelle impatience j'attends ce moment.

Elle lui tendit ses lèvres et l'embrassa avec une lenteur terriblement sensuelle tout en

pressant son jeune corps plein d'ardeur contre le sien. Sa langue entama avec la sienne

une danse fougueuse, donnant le ton, sans retenue, tandis qu'elle se frottait contre lui.

Plus les minutes passaient, plus sa promesse à Rohana se dissipait. Son pantalon n'offrait

pas la protection des jupes superposées et elle sentait nettement contre son ventre son

sexe durci.

Le vertige le prit. Il la tenait si serrée qu'il se demandait comment elle pouvait seulement

respirer. Et cependant, elle réussissait à se tortiller contre lui, attisant son désir, qui n'en

avait pas besoin... Arriva le moment où il s'imagina la couchant à même le sol pour la

faire sienne sans délai. Il sentait les douces rondeurs de ses seins, de son ventre plaqués

contre son corps, et il la désirait à en perdre la tête. Jamais il n'avait eu envie d'une

femme à ce point.

Jamais. Un mois plus tôt, elle aurait succombé à la passion qui les incendiait, mais

aujourd'hui, il sentait en elle une sorte de détermination inébranlable. Rien ne se

passerait.

Il la lâcha et elle ne s'accrocha pas à lui pour le retenir.

— Ne m'oubliez pas, Kieran Devers, lui lança-t-elle avant de se hisser sans son aide sur

Thunder et de s'éloigner sans un regard en arrière.

Il la suivit des yeux, songeant qu'elle lui appartenait et qu'il avait vu juste. Elle aurait

détruit William. Son frère serait furieux en apprenant qu'ils s'aimaient, mais Kieran savait

au fond de lui qu'Emily Anne Elliot convenait beaucoup mieux à l'héritier de Mallow's

Court. Essayant tant bien que mal d'éteindre le brasier qu'elle avait allumé en lui, il

enfourcha son étalon et l'éperonna.

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Le premier jour du mois d'août, en début d'après-midi, les Devers revinrent à Lisnaskea.

Lorsque lady Jane descendit de voiture, elle promena un regard satisfait autour d'elle et

sourit.

— Bienvenue chez vous, madame, lui dit Kieran en s'approchant, le sourire aux lèvres.

Mes sœurs vont bien, je crois. Viendront-elles au mariage de Willy?

— Malheureusement non. Elles attendent toutes les deux un bébé. Sur ce point, elles sont

plus catholiques que protestantes dans leur désir d'avoir une grande famille. Dites-moi,

Kieran, tout me semble parfaitement en ordre. Vous avez fait du bon travail. Je vous

remercie d'avoir aussi bien veillé sur le patrimoine de votre frère.

Son père descendit de voiture à son tour, suivi de William.

— Grâce à Dieu, nous voilà enfin à la maison ! s'exclama Shane Devers. Ces longs

voyages ne sont plus de mon âge. Ta sœur Colleen n'a pas manqué de nous écrire, Kieran

et, comme tu peux le constater, ta belle-mère est contente. Bien, il est temps pour moi de

prendre un petit whiskey !

— Un plateau vous attend dans la bibliothèque, papa. Tu viens, Willy ? lança Kieran à

son frère qui lui paraissait étrangement calme.

— Je vais épouser Emily Anne, annonça William d'un ton lugubre.

— Je sais, Will.

— Je ne l'aime pas, Kieran.

— Tu apprendras à l'aimer, intervint son père, irrité. Allons, viens boire un verre.

— Je suppose que les Leslie sont rentrés en Écosse, continua William. Je n'ai jamais revu

Fortune.

— Non, ils sont toujours là, répondit Kieran. La duchesse attend un bébé, à sa grande

surprise, et à la stupeur générale. La naissance est prévue pour novembre et il a été

conseillé à lady Jasmine de ne pas voyager. Sa famille et elle resteront donc ici au moins

jusqu'à la naissance. On ne parle que de cela au village.

— Dieu du ciel! Ils vont venir à mon mariage! s'écria William, horrifié. Je ne supporterai

jamais de la voir le jour où j'épouse une autre femme.

Son frère aîné posa le bras sur ses épaules et le secoua.

— Reprends-toi, Willy. Tu n'es plus un gamin à qui on a refusé un jouet. Tu es un

homme. Lady Fortune t'a écarté, estime-toi heureux de cette aubaine qui t'a permis de te

fiancer à Emily. Et cesse de t'apitoyer sur ton sort ! Ta cousine est la femme qu'il te faut.

Ne va pas lui faire du mal en la laissant imaginer je ne sais quoi entre lady Lindley et toi.

Elle ne le mérite pas, tu m'entends? Viens, maintenant, allons trinquer avec papa.

— Tu l'as vue? demanda William comme ils se dirigeaient vers la maison.

— Oui. Dehors, à cheval.

— Elle était seule ?

— Oui. Aucun chevalier servant ne l'accompagnait, Willy. Je la soupçonne de ne pas

beaucoup aimer les Irlandais.

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— Je ne suis pas irlandais, rétorqua William.

— Bien sûr que si ! Ton père l'est et tu vis en Irlande.

— Elle m'a dit exactement la même chose, il y a quelque temps.

— C'est qu'elle est plus sensée que je ne le croyais, commenta Kieran en ouvrant la porte

de la bibliothèque. Nous voilà, père.

Assis devant la cheminée, sir Shane avait enlevé ses bottes et se séchait les pieds à la lueur

des flammes tout en dégustant son cher whiskey irlandais. Il leur fit signe de s'asseoir.

— Servez-vous, mes garçons. Mon Dieu, que je suis heureux de retrouver ma maison ! Il

fait une chaleur étouffante en ville, chez vos sœurs. Et puis, il y a un bruit! Mary a cinq

enfants et Bessie quatre. Plus les chiens qui courent partout ! C'est épuisant. J'ai eu cinq

enfants moi-même, mais jamais ma maison n'a été un tel champ de bataille, grâce à ma

chère Jane, il faut bien le reconnaître.

— C'est vrai, père. Ma belle-mère a toujours su tenir sa maison et y faire régner l'ordre.

Je lui dois mes bonnes manières et ma bonne éducation.

Shane Devers leva les yeux de son verre pour observer son fils aîné avec insistance.

— Si seulement...

— Non, père, ne dites rien, l'interrompit Kieran. Je n'ai ni regrets ni amertume.

J'obtiendrai ce que je veux par moi-même et le nom des Devers perdurera à Mallow's

Court grâce à Willy.

— Quelle noblesse d'âme ! Ricana son frère.

— Va au diable, petit frère, répliqua Kieran sur le ton de la plaisanterie.

— Facile à dire ! Tu n'es pas obligé d'épouser une femme que tu n'aimes pas, toi ! Je n'ai

aucune prise sur ma vie, on décide de tout pour moi ! cria Will avant de lancer son verre

qui se brisa dans l'âtre avec fracas.

Le regard de Kieran s'assombrit dangereusement. Il empoigna son frère au col et

l'approcha de son visage.

— Écoute-moi bien, mon petit Willy, siffla-t-il. Tu es mal placé pour te plaindre. Tu es

l'héritier d'un beau domaine et tu portes un nom respecté. Tu vas épouser une jeune fille

que tu connais depuis toujours, qui t'aime et s'appliquera à te rendre heureux. Qu'est-ce

qui ne va pas chez toi ? Tu n'as jamais quitté les jupes de ta mère et tu n'es pas fait pour

l'aventure. Alors, si tu t'avisais de gâcher la vie de la petite Emily, je peux te garantir que

tu aurais affaire à moi. Elle t'a donné tous ses espoirs et tous ses rêves, en as-tu bien

conscience ? Tu n'as pas le droit de les détruire !

— En quoi cela te concerne-t-il ?

— Il se trouve que tout ce que tu possèdes et que tu posséderas jamais, c'est moi qui te

l'ai concédé. Si jamais je décidais de me convertir au protestantisme, crois-tu vraiment

que papa te garderait comme héritier? Tu as eu une chance exceptionnelle, pour un fils

cadet, Willy, mais il suffirait de peu de chose pour que ta chance tourne, petit, et même

ta formidable mère n'y pourrait rien, tu comprends? Alors, tu vas gentiment saisir la

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chance qui t'est offerte et rendre ta cousine heureuse. Tu ne mérites ni Mallow's Court ni

Emily Anne parce que tu n'es qu'un jeune blanc-bec ! Reprends-toi, nom d'un chien !

Il lâcha son frère en le repoussant et William quitta la pièce en claquant la porte.

Kieran s'assit en face de son père et il eut un rire sans joie.

— J'espère que vous vivrez vieux, papa, parce que William n'est pas prêt à assumer les

responsabilités qui lui incombent.

Il avala une gorgée de whiskey, savourant la chaleur bienfaisante qui se répandait dans

tout son corps.

— J'en ai l'intention, mon fils. Je vois bien que ton frère a besoin d'être secoué. Voyager

avec lui n'a pas été une partie de plaisir, crois-moi ! Il n'a cessé de se lamenter d'avoir

perdu lady Lindley. C'est comme si elle l'avait envoûté.

— Pas du tout, père. Tout est dans la tête de Will. Comment ma belle-mère s'y est-elle

prise pour qu'il accepte d'épouser Emily Anne Elliot ?

— Elle lui a expliqué qu'il n'avait pas le choix, qu'il ne pouvait prétendre à aucune autre

jeune fille de notre connaissance. Tu la connais, Kieran. Il a bien essayé de résister, mais

quand Mary et Bessie s'y sont mises à leur tour, il s'est incliné. Il faut reconnaître que c'est

la meilleure solution.

— Vous avez intérêt à vous assurer que William se montrera agréable et courtois envers

les Elliot quand ils arriveront, père.

— Je lui parlerai, ainsi que sa mère. S'il se conduisait mal, tu redeviendrais mon héritier,

catholique ou pas !

— Seigneur ! Avec une menace pareille planant au-dessus de ma tête, je vais parler moi-

même à mon frère ! Plaisanta Kieran.

Les deux hommes se mirent à rire. Si Shane Devers aimait ses deux fils, sa préférence allait

à Kieran. Il était étonnamment raisonnable pour un jeune homme aussi obstiné, et il

avait le sens de l'honneur. Qu'il ait abandonné si aisément son héritage l'attristait

beaucoup, et cependant, étrangement, il le comprenait. Ses ascendances celtes portaient

Kieran vers une vie plus aventureuse et plus palpitante que celle que pouvait lui offrir

Mallow's Court.

Jane Devers fut catastrophée d'apprendre que le duc et la duchesse de Glenkirk

prolongeaient leur séjour à Erne Rock Castle. Se voir contrainte de les inviter au mariage

de son fils après ce qui s'était passé la mortifiait, mais elle n'avait pas le choix.

Les invitations furent envoyées et acceptées. Un immense bol à punch en argent massif,

incrusté de grappes de raisins et pourvu de vingt-quatre tasses assorties, avec une louche

gravée aux armes de la famille, fut livré à Mallow's Court par Adali en personne. Éblouie

par la magnificence du présent, lady Jane s'empressa de le remiser avec le reste de

l'argenterie de famille et transmit ses remerciements par l'intermédiaire du majordome en

s'efforçant de dissimuler sa jubilation.

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— Remerciez bien le duc et la duchesse pour leur générosité. La mariée ne manquera pas

de leur écrire elle-même dès son arrivée, la semaine prochaine. Nous sommes tous très

impatients de recevoir Sa Seigneurie et sa famille pour le mariage.

Adali s'inclina avec cette élégance qui le caractérisait.

— Je transmettrai vos remerciements à mon maître et à ma maîtresse.

Dès que le serviteur fut reparti, lady Jane laissa exploser sa joie.

— Shane! William! Regardez ça! C'est absolument somptueux ! Cette chère Emily va être

tellement contente ! Oh, il faudra que je trouve à l'exposer pour que tout le monde

sache que ce cadeau nous vient du duc et de la duchesse de Glenkirk qui sont des parents

du roi! Quelle générosité, surtout que... euh... Oui, c'est magnifique.

— Je penserai à Fortune chaque fois que je le verrai, marmonna William.

— Cela suffit ! Je commence vraiment à croire que tu as perdu la tête. Si tu pensais un

peu à Emily Anne ? Tu lui as à peine adressé la parole quand elle est venue, au mois

d'août. Les Elliot ont trouvé ta conduite étrange et j'ai dû prétendre que tu étais fatigué

par ton voyage en Angleterre. Quand elle arrivera, la semaine prochaine, je compte sur

toi pour te conduire dignement.

— Allez, viens, petit frère, proposa Kieran en lançant un clin d'œil à sa belle-mère. Allons

faire un tour à cheval. L'air frais va te clarifier les idées.

Jane Devers adressa un discret signe d'approbation à son beau-fils. Il se montrait

particulièrement serviable, ces derniers temps, et elle s'en étonnait, bien qu'il ne lui ait

jamais causé de difficultés, si ce n'est en matière de religion. En tout cas, il était le seul que

William daignait écouter, songea-t-elle en regardant par la fenêtre les deux frères qui

s'éloignaient.

— Elle nous observe, dit Will comme ils se mettaient au trot. Elle a tellement peur que je

gâche tout au dernier moment! Mais je n'ai pas le choix. J'épouserai ma cousine, je lui

ferai des enfants, et je continuerai d'agir selon les vœux de ma mère. Tout cela parce que

père est capable de changer d'avis et de te rendre ton héritage.

— Je ne veux pas de Mallow's Court, assura Kieran.

— Mais moi, si, admit ouvertement Willy, pour la première fois.

Il était bien le fils de sa mère.

Les deux frères chevauchèrent en silence jusqu'à ce que Kieran se rende compte qu'ils se

dirigeaient droit vers Black Colm's Hall. Trop tard. Un cheval arrivait en sens inverse et il

reconnut Thunder, tout comme William, qui s'élança au galop à la rencontre de Fortune.

Étouffant un juron, Kieran le suivit.

Lorsque Fortune reconnut les deux frères, elle non plus n'avait plus le temps de faire

demi-tour. Du moins, verrait-elle Kieran, et tant pis s'il était avec Will. Elle n'avait réussi à

le voir qu'une seule fois depuis la fin juillet, et encore, très brièvement.

Elle immobilisa Thunder comme ils arrivaient à sa hauteur.

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— Bonjour! lança-t-elle. Quelle surprise de vous rencontrer ici! Alors, Will, ce voyage en

Angleterre? J'espère que vos sœurs vont bien. Et félicitations pour votre mariage ! J'ai

hâte de rencontrer votre fiancée.

— C'est vous que j'aime! s'écria William Devers. Vous n'avez qu'un mot à dire, Fortune,

et j'annulerai ce mariage! Geignit-il en l'implorant du regard.

La jeune fille le toisa. Kieran l'avait prévenue que son frère continuait à être obsédé par

elle. Elle devait mettre un terme à ses chimères, et sans tarder.

— Vous n'êtes qu'un gamin stupide! riposta-t-elle. Je ne veux pas vous épouser! Ma

famille n'a pas été assez claire? Alors, c'est moi qui vais l'être. Vous êtes un charmant

jeune homme, Will Devers, mais je ne vous épouserai jamais, quand bien même vous

seriez le dernier homme sur terre!

— Mais pourquoi ?

Fortune soupira. Décidément, il ne comprenait rien à rien. Elle voulait le ménager mais,

visiblement, ce n'était pas la bonne méthode. Elle se montra plus dure puisqu'il l'y

obligeait.

— Pourquoi? Parce que je vous trouve ennuyeux à mourir, Will. Le régisseur de ma mère,

Rory MacGuire, a plus de vitalité que vous! Parce que nous n'avons absolument rien en

commun. Parce que je suis cultivée et que l'instruction ne vous intéresse pas. Parce que

nous n'avons pas la même conception de la femme et de son rôle au sein d'un couple.

Jamais je n'épouserai un homme comme vous. Avez-vous compris, maintenant?

Il la dévisageait d'un air totalement ahuri.

— Vous ne m'aimez pas ?

— Non ! Je ne vous aime pas et je ne vous aimerai jamais.

— Alors pourquoi ne puis-je vous chasser de mon cœur? Vous me hantez jour et nuit,

Fortune. Pourquoi m'avez-vous ensorcelé?

— Je ne vous ai pas ensorcelé, Will. Vous êtes un enfant gâté à qui on n'a jamais rien

refusé, et vous ne comprenez pas que vous ne puissiez obtenir votre nouvel objet de

convoitise. Épousez votre cousine, je me suis laissé dire qu'elle serait parfaite pour vous.

Il la dévisagea d'un air hagard puis, brusquement, fit faire une volte à son cheval et

repartit au grand galop.

— Vous ne l'avez pas épargné, dit doucement Kieran.

— Aurais-je dû m'y prendre autrement?

— Non. Vous saviez ce que vous faisiez et vous avez eu raison. Vous me manquez, ma

douce !

— Vous aussi, mais vous feriez mieux de rejoindre votre frère sinon il aura des soupçons.

Nous nous verrons dans quinze jours, pour le mariage.

Sur ce, elle s'éloigna sans oser se retourner de peur d'aller se jeter dans ses bras. Si

seulement Will n'avait pas été là! La pitié qu'elle éprouvait pour lui jusqu'à présent s'était

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transformée en irritation. Ce garçon était ridicule. Apparemment, son séjour en

Angleterre n'avait servi à rien. Elle plaignait de tout cœur la pauvre Emily Anne.

Pourtant, à la grande joie de tous, William Devers accueillit sa future épouse avec chaleur

quand elle arriva à Mallow's Court, une semaine avant le mariage. C'était une jolie jeune

fille de seize ans au visage rond et doux, au regard d'un bleu lumineux. Ses cheveux

blond vénitien étaient attachés sur le sommet du crâne et retombaient en anglaises

autour de son visage. Elle avait un petit nez droit, une jolie bouche en forme de cœur et

un teint de pêche.

William déposa un baiser appuyé sur ses lèvres et elle s'empourpra.

— Ohhh, William ! Parvint-elle à balbutier.

— Bienvenue à la maison, très chère Emily, répondit-il en lui prenant le bras pour la

guider à l'intérieur.

— Quelle est la cause de ce revirement? Murmura Shane Devers à son fils aîné.

— Nous avons rencontré lady Lindley il y a quelques jours, au cours d'une promenade à

cheval. Will s'est ridiculisé et elle lui a dit ses quatre vérités sans ménagement. Elle a brisé

ses rêves et je crois qu'il est redescendu sur terre assez brutalement, mais efficacement.

Cela dit, j'ai moi-même été surpris par cette brusque métamorphose, je l'avoue.

— Dieu merci ! Ta belle-mère doit respirer ! Elle tient tellement à ce que ce mariage se

fasse.

— Mais elle n'a pas renoncé à MacGuire's Ford.

— Non.

— On raconte que lady Leslie va partager le domaine entre ses deux fils, tous deux

protestants. Il paraît d'ailleurs qu'ils sont déjà arrivés d'Écosse.

— Oui, Jane est au courant. Elle espère qu'Emily donnera très vite une fille à William, de

façon à la marier avec l'un des Leslie. Elle est prête à se contenter de la moitié.

— Votre femme m'intimide, père, répondit Kieran.

— Comme nous tous, mon garçon. J'ai hâte que ce mariage arrive. J'en ai assez de toute

cette agitation.

Kieran partageait l'impatience de son père, mais pour d'autres raisons. Six jours après le

mariage de son frère, il épouserait lady Lindley dans la petite église de MacGuire's Ford.

Il aurait aimé partager son secret et son bonheur avec son père, mais les Leslie avaient eu

raison de se montrer prudents. Il soupçonnait Willy de continuer d'être obsédé par

Fortune, malgré sa sévère rebuffade. Son empressement envers Emily ne lui semblait pas

totalement sincère. Dieu sait ce qu'il serait capable de faire quand il apprendrait qu'il

avait épousé Fortune... Il décida d'attendre que son frère soit en route pour Dublin, en

voyage de noces, avant de l'annoncer.

Le besoin de s'épancher auprès d'une oreille amie conduisit les pas de Kieran jusque chez

la maîtresse de son père, Molly Fitzgerald. Elle vivait à l'extrémité nord du village, avec

ses deux demi-sœurs, dans un cottage que Shane lui avait fait construire. Biddy, la vieille

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servante de Molly, lui ouvrit la porte et un large sourire fendit son visage quand elle le

reconnut.

— Messire Kieran ! Quelle surprise ! Entrez, entrez ! C'est ma maîtresse qui va être

contente! Et vos sœurs aussi.

Il s'installa au salon, devant la cheminée où crépitait un feu de tourbe.

— Je vais chercher madame. Vous savez où se trouve le whiskey.

Un instant plus tard, Molly le rejoignait.

— Pardonnez-moi de ne pas vous avoir prévenue de ma visite, Molly, dit-il en se levant.

— Tu es pardonné, Kieran Devers, répondit-elle de sa voix légèrement rauque.

Avec ses épais cheveux noirs et ses yeux d'ambre, Molly était une très belle femme.

— Tu as beaucoup manqué à tes sœurs, mais je me suis laissé dire que tu chevauchais

souvent avec la jeune Anglaise d'Erne Rock, et que vous vous retrouviez à Black Colm's

Hall.

Il se mit à rire.

— Et moi qui croyais avoir été discret ! J'espère que ces bruits ne parviendront pas jusqu'à

la maison, parce que je serais vraiment en mauvaise posture. Vous savez qu'elle a rejeté

Willy. Eh bien, moi, elle ne m'a pas rejeté. Le père Butler nous marie le 5 octobre.

— Et ton père n'est pas au courant ?

Kieran lui expliqua les raisons qui l'obligeaient à garder ses projets secrets pour l'instant.

— J'espère que tes sœurs et moi serons invitées à ton mariage, fit-elle.

Prenant la main du jeune homme, elle le guida jusqu'au sofa, devant le feu, où ils

s'assirent tous les deux.

— Bien sûr, Molly !

— Ainsi, tu vas devenir le maître d'Erne Rock et de MacGuire's Ford. Ce ne sera pas du

goût de lady Jane.

— Non, Molly, je n'aurai ni l'un ni l'autre. La mère de Fortune a parfaitement compris la

situation politique et religieuse de l'Ulster. Elle sait très bien que si j'épouse Fortune et

que je reste ici avec elle, ma belle-mère essaiera de me déposséder de ma terre à son

profit, sous prétexte que je suis catholique.

Il lui parla alors de la venue des deux fils de la duchesse et de son projet de partir pour le

Nouveau Monde, une fois marié.

— Le duc et la duchesse ne s'opposent pas à ce que tu épouses leur fille? J'ai entendu dire

qu'ils étaient plutôt bizarres, que la duchesse était une étrangère et qu'elle avait un

serviteur coiffé d'un turban blanc. C'est vrai, Kieran?

— Vous voulez parler d'Adali? Il est moitié français, moitié indien. La duchesse est née

dans un pays lointain, en effet. Son père était un puissant souverain. Elle est arrivée en

Angleterre à l'âge de seize ans et n'est plus jamais retournée dans sa contrée natale. Elle

est très belle et très gentille. Son mari est un gentleman, et il l'adore. Fortune est la fille

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de son deuxième mariage. La duchesse a été veuve deux fois et elle a sept enfants

vivants. Votre curiosité est-elle satisfaite, Molly?

— C'est un bon début, répondit-elle en souriant. J'ai aussi appris que la duchesse

attendait un autre enfant.

— Oui, à la surprise de tous. Ils prévoient de demeurer en Irlande jusqu'à ce que l'enfant

soit assez grand pour voyager.

— Fortune et toi resterez avec eux ?

— Je ne sais pas. Depuis que ma famille est rentrée d'Angleterre, je n'ai pas eu l'occasion

d'aller à Erne Rock afin d'en discuter. Ils aviseront, Molly, et cela me convient pour

l'instant, même si j'étais habitué jusqu'ici à mener ma vie comme je l'entendais.

— C'est temporaire, Kieran. A présent, parle-moi de ton père. Je ne l'ai pas vu depuis son

retour. Je sais que la préparation de ce mariage l'accapare beaucoup. Il nous manque,

Kieran, tu le lui diras.

— Je n'y manquerai pas. Où sont Maeve et Aine?

— À la cuisine, en train d'apprendre à faire une bonne soupe. Je préfère qu'elles soient à

la maison plutôt qu'à traîner dans le village. Il y a quelques esprits étroits qui pensent que

parce que leur mère a mauvaise réputation, c'est du petit gibier. Je tiens à ce qu'elles

fassent des mariages respectables !

— Il n'y a plus beaucoup de jeunes catholiques dans le coin, Molly. Vous allez devoir

vous résigner à les unir à des protestants ou bien à les envoyer dans un couvent en

France ou en Espagne.

— Un couvent ? Sûrement pas ! Je tiens à les marier, même si cela doit prendre du temps,

et à avoir des petits-enfants.

— Kieran! s'écrièrent ses demi-sœurs d'une seule voix en faisant irruption dans le salon.

Elles étaient ravissantes avec leurs longs cheveux noirs. Maeve avait hérité des yeux

d'ambre de sa mère tandis qu'Aine avait le regard d'azur de leur père. Ils s'embrassèrent

affectueusement. Maeve avait dix-sept ans, l'âge de chercher un mari. À quatorze ans, sa

sœur avait encore le temps, d'autant qu'elle était restée très petite fille. Elle se blottit

contre son frère sur le divan.

— Il paraît que tu as une amoureuse, déclara-t-elle d'emblée.

— Aine ! s'écria sa mère.

— Mais, c'est ce qu'on dit, maman.

— Je vais me marier, mais cela doit rester secret, mademoiselle Je-sais-tout.

— Pourquoi, secret?

— Parce que je vais épouser lady Fortune Lindley le 5 octobre, et que tu ne seras invitée

au mariage que si tu tiens ta langue.

— C'est la fille qui devait épouser William ? S’étonna Maeve.

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— Celle qui l'a refusé, oui. Mais nous ne voulons pas gâcher les noces d'Emily Anne Elliot,

et je ne tiens pas à me battre en duel avec mon frère sous prétexte qu'il aime toujours

Fortune en secret.

— Elle est un peu inconstante, non? Avoir si vite renoncé à lui pour te choisir, toi, jeta

Maeve.

— Elle n'est pas du tout inconstante ! Trancha Kieran avant d'expliquer patiemment à ses

sœurs quelle avait été l'attitude de Fortune, le comportement puéril de William à son

égard, puis de conclure : Lady Lindley est tout ce que j'aurais jamais pu rêver, et je suis

sûr que vous l'aimerez.

— Kieran est amoureux! Kieran est amoureux! Se mit à chantonner Aine.

Il lui ébouriffa les cheveux.

— Cela t'arrivera aussi un jour. Je ne serai pas là pour le voir, hélas! Et toi, Maeve, qu'en

penses-tu? demanda-t-il en se tournant vers l'aînée.

— Je ne suis pas souvent d'accord avec Aine mais, cette fois, elle a raison. Tu es

amoureux, Kieran Devers, et je ne pensais pas que cela t'arriverait un jour!

— Tu vois, tout est possible, s'esclaffa-t-il. Même toi, tu tomberas amoureuse !

— Je doute de pouvoir me permettre ce luxe, grand frère. Maman ne cesse de me

répéter que je dois être respectable pour épouser un homme respectable, alors qu'elle-

même a choisi l'amour.

— J'étais une veuve respectable quand ton père est entré dans ma vie, se défendit Molly.

J'étais une femme, je savais quelles conséquences auraient mes actes et je les ai assumées.

Toi, Maeve, tu es une toute jeune fille, sans expérience. Tu feras ce que je te dis de faire,

parce que je suis ta mère et que tu me dois l'obéissance !

— Allons, allons ! Intervint Kieran. Je suis venu vous rendre visite, pas semer la discorde !

Dites-moi, Molly, qu'avez-vous de bon à manger? J'ai chevauché dans le froid et cela

ouvre l'appétit !

— Je ne suis pas dupe, Kieran ! Tu es un charmeur, comme ton père. Je plains ta future

femme! Nous l'amèneras-tu pour nous la présenter?

— Après le mariage de Willy. J'ai juste le temps de déjeuner avec vous avant de regagner

Mallow's Court. Ma belle-mère doit se demander où je suis passé en pestant de ne pas

m'avoir sous la main pour me donner des ordres.

— Elle fait les choses en grand, à en juger par les domestiques supplémentaires qui ont

été engagés temporairement.

— J'aimerais bien assister à ce mariage, soupira Aine.

— Tu sais que c'est impossible! répliqua sa sœur. Imagine le scandale si les deux jolies

bâtardes du père du marié venaient assister au mariage de son fils tout ce qu'il y a de plus

légitime ! Estimons-nous heureuses que lady Jane ne nous ait pas déjà fait chasser de

Lisnaskea, et notre mère avec nous !

— Elle ne ferait jamais ça! s'écria Aine, affolée.

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— Ah oui, tu crois ? Elle le ferait si cela l'arrangeait, tout comme elle a convaincu papa de

déshériter Kieran au profit de William. Cette femme est le diable en personne !

— Ça suffit, Maeve, intervint Kieran calmement. Si j'avais vraiment voulu Mallow's

Court, j'aurais fait ce qu'il fallait pour le garder. Maintenant, calme-toi et va plutôt voir

ce que Biddy nous a préparé de bon.

Il se leva et lui tendit les bras. Maeve s'y précipita.

— Ne t'en va pas, Kieran ! Ne quitte pas l'Irlande, ou alors emmène-nous avec toi, Aine

et moi! Maman a de grands espoirs pour nous, mais personne n'épousera les bâtardes de

sir Shane ici. Ailleurs, ce sera différent.

Kieran serrait sa demi-sœur contre lui tout en regardant sa mère.

— Elle a peut-être raison, Molly. Si cette colonie se révèle être un endroit sûr, vos filles

auront une chance d'y bâtir leur vie.

Les larmes se mirent à couler sur le visage de la maîtresse de son père.

— J'ai toujours su que je finirais mes jours seule, dit-elle en hochant la tête. Mais serais-tu

vraiment prêt à prendre une telle responsabilité, Kieran? Et qu'en pensera Fortune ?

— Il suffit de le lui demander. Mais c'est une jeune fille sensée, et elle a un grand cœur.

Attendons que je vous la présente, nous verrons alors, d'accord ?

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CHAPITRE 9

— Madame, vous êtes resplendissante, dit le duc de Glenkirk à lady Jane Devers. Quel

jour heureux pour vous et sir Shane, n'est-ce pas? Je regrette que ma femme ne soit pas

là, mais son état lui interdit formellement tout voyage en voiture, si court soit-il.

Il s'inclina pour lui baiser la main.

«Quel homme séduisant, songea Jane Devers. Et tellement élégant, tellement distingué

dans son pourpoint brodé de pierres précieuses. » Sa présence à elle seule rehaussait le

prestige du mariage. Elle lui sourit avant de se tourner vers sa compagne.

Fortune fit une gracieuse révérence.

— Une belle journée pour convoler, madame, fit-elle. C'est très aimable à vous de

m'avoir invitée.

— Pourquoi ne l'aurais-je pas fait? rétorqua Jane Devers en examinant la jeune fille de

son regard perçant.

Elle était absolument superbe dans sa robe de velours pourpre dont le décolleté bordé de

dentelle fine découvrait largement les épaules. Des rubans lavande soulignaient le

bouillonné des manches. La jupe, qui s'évasait en corolle jusqu'au sol, révélait sur le

devant des jupons ivoire agrémentés de papillons et de marguerites rebrodés au fil d'or.

Sa somptueuse chevelure était simplement nouée en chignon sur la nuque et ornée d'un

ruban semblable à ceux des manches. Un long rang de perles et d'améthystes et des

boucles d'oreilles assorties apportaient une dernière touche de raffinement à sa tenue.

Fortune était vêtue à la dernière mode - bien plus que les autres invités -, et cependant,

sa tenue n'était ni ostentatoire ni d'un luxe déplacé qui risquât de faire de l'ombre à la

mariée.

Lady Jane devait reconnaître que lady Lindley était habillée on ne peut plus

convenablement. Et que ses manières étaient irréprochables. Son bras ne quittait pas celui

de son père et elle gardait les yeux modestement baissés. En un sens, cela irrita Jane

Devers que la jeune fille paraisse si parfaite devant ses invités. Elle aurait préféré que celle

qui avait éconduit son fils ait un comportement qui prête le flanc à la critique. Quelle

malchance! Elle n'en sourit pas moins au duc et à sa fille avant de se tourner vers de

nouveaux arrivants.

La cérémonie religieuse devait se tenir dans le grand salon de Mallow's Court, car le

temple de Lisnaskea était trop exigu pour contenir tout ce monde. La mariée était

ravissante dans une robe de satin, taffetas et dentelle rose. Une couronne de marguerites

de la Saint-Michel ornait ses cheveux blonds. Le marié semblait plus austère et plus triste

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dans son costume de velours bleu. Son air sombre contrastait avec les sourires radieux

que sa promise distribuait généreusement. Lorsque vint le moment de prononcer leurs

vœux, elle répondit d'une voix claire tandis que William marmonnait. Quand ils furent

enfin proclamés mari et femme, une ovation joyeuse s'éleva. William Devers se pencha

vers sa femme et l'embrassa consciencieusement.

Fortune n'en éprouva pas l'ombre d'un regret. Toute son attention était fixée sur Kieran,

très élégant dans un costume de velours vert assorti à ses yeux. Elle avait hâte d'être seule

avec lui. Ils étaient séparés depuis si longtemps ! Un soupir lui échappa, et elle

s'empourpra en entendant James Leslie rire doucement.

— Allons, jeune fille, fit-il en suivant la direction de son regard. Tu as été parfaite

pendant des semaines, ne gâche pas tout si près du but. Encore un peu de patience et de

discrétion. Je ne veux pas le moindre heurt entre nos deux familles. N'oublie pas que

nous restons ici jusqu'à l'été prochain.

— Parce que vous croyez que notre mariage ne va pas créer de «heurts»? répliqua-t-elle

d'un ton un peu moqueur.

— Certes, ils le prendront mal au début, mais nous saurons les ramener à la raison.

Les festivités se déroulaient dans la grande salle à manger de Mallow's Court. Les

serviteurs allaient et venaient avec des plats de viande, de saumon, de volaille. Il y avait

des jambons, des côtelettes de mouton, des artichauts macérés dans le vin blanc, des

laitues braisées, des petits pois à la menthe, des beurriers disposés un peu partout, du

cheddar anglais et un assortiment de fromages français. Le meilleur vin d'importation

coulait à flots. Quelques hommes déplorèrent l'absence de bière, mais lady Devers avait

estimé qu'un tel breuvage n'était pas assez raffiné.

L'atmosphère était fort joyeuse et les toasts aux jeunes mariés se succédèrent. Une

immense pièce montée constitua le point d'orgue du repas. Ce déploiement de faste en

étonna plus d'un, mais les Devers avaient appris à Londres que les grandes fêtes de

mariage étaient la dernière folie dans la haute société. N'ayant qu'un fils, lady Jane

n'avait pas lésiné.

On revint ensuite dans le grand salon pour danser. Les meubles avaient été enlevés

pendant que les invités se restauraient et un dais abritait des musiciens au fond de la

pièce. Les danseurs formèrent des rondes pour les danses paysannes qui ouvrirent le bal

mais très vite, lady Jane demanda aux musiciens de changer de style et de jouer des

gaillardes.

Kieran invita Fortune. Il posa sur elle des mains brûlantes et tandis qu'ils dansaient, ils

échangèrent des regards où couvait leur passion contenue. La gaillarde étant une danse

rapide et vive, et tous les jeunes dansaient. Excepté les mariés. William Devers observait

son frère et Fortune. Il avait évité de la regarder jusqu'à présent, mais il ne put s'en

empêcher tandis qu'elle passait devant lui en tournoyant dans les bras de Kieran. Son

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regard se fixa sur son décolleté, sur sa peau immaculée si merveilleusement mise en

valeur par le velours violet et la dentelle. Comme il la désirait !

— Qui est cette belle jeune fille qui danse avec Kieran ? demanda innocemment sa jeune

épouse.

— Lady Lindley, rétorqua-t-il avec brusquerie.

— Oh...

La mère d'Emily avait eu l'honnêteté de mettre sa fille au courant de la précédente

demande en mariage de son cousin, et celle-ci savait qu'il avait été très affligé par le refus

de Fortune Lindley. Peut-être l'aimait-il toujours ?

— Je la lui ferai oublier, avait-elle alors affirmé à ses parents avec candeur.

A présent qu'elle voyait sa rivale en chair et en os, elle commençait à en douter, et elle

endura les premières morsures de la jalousie.

A la fin de la gaillarde, Fortune leva les yeux vers Kieran en riant. C'était un excellent

danseur, avait-elle découvert à sa grande joie. L'exercice avait rosi ses joues et, son ruban

s'étant dénoué, ses cheveux s'étaient déployés jusqu'au creux de ses reins, telles des

flammes d'or en fusion.

— Vous êtes si belle, lui murmura-t-il à l'oreille. Si je n'étais pas un homme d'honneur, je

vous attirerais dans un coin dérobé et je vous ferais l'amour, ma chérie.

Fortune s'empourpra violemment, si intense était le plaisir que lui procuraient ces

paroles.

Les musiciens entamèrent une pavane, et Kieran reprit la main de Fortune pour

l'entraîner dans cette nouvelle danse. Ils étaient tellement fascinés l'un par l'autre qu'ils en

oublièrent bien vite le reste du monde. Ils formaient un couple si parfait et évoluaient

avec tant de grâce que les autres danseurs s'immobilisèrent pour les admirer.

Fortune avait le visage levé vers Kieran, un visage illuminé par l'amour. Ses yeux bleu-

vert étincelaient tels des joyaux. Sur ses lèvres à peine entrouvertes flottait un mystérieux

sourire. La tête sombre de Kieran était inclinée si bas que leurs lèvres semblaient sur le

point de se rejoindre. Leurs deux corps se mouvaient avec langueur et sensualité, et leurs

gestes s'accordaient si précisément qu'ils paraissaient ne faire qu'un. Les sentiments de

Kieran se lisaient dans son regard. Sa passion était presque palpable. C'était tellement

flagrant qu'il ne fallut que quelques secondes aux invités pour comprendre. La nouvelle

fit le tour du salon, telle une traînée de poudre.

«Seigneur!» songea James Leslie. Son regard se posa sur le jeune marié. Quand il vit la

fureur qui déformait ses traits, il regretta de ne pas avoir pris une arme.

La voix de William Devers brisa alors la magie qui avait enveloppé l'assistance et la

musique s'arrêta net.

— Salaud! Jeta-t-il d'un ton venimeux. Infect menteur ! Tu la convoitais depuis le début !

Je vais te tuer!

— William ! Intervint son père d'une voix menaçante.

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— Si je n'ai pas pu l'avoir, pourquoi l'aurais-tu, toi ? Continuait le jeune homme, au bord

des larmes.

Jane Devers crut mourir de honte. Cet épouvantable scandale allait faire non seulement

le tour de l'Ulster mais du Fermanagh tout entier.

— Espèce de traînée! poursuivait William, sa colère englobant Fortune. Vous m'avez fait

marcher alors que c'est lui que vous vouliez !

Autour d'eux, les invités semblaient frappés de stupeur.

Kieran faisait face à son frère sans mot dire, mais Fortune n'avait pas cette maîtrise.

— Comment osez-vous, monsieur? lança-t-elle de son ton le plus méprisant.

Puis elle fit volte-face et se dirigea droit sur Emily Devers qui se tenait en retrait, pâle et

tremblante.

— Madame, je suis sincèrement désolée que ma présence ait troublé votre mariage. Je

vais me retirer sur-le-champ en espérant que la fête reprendra et que tout rentrera dans

l'ordre.

Elle fit une révérence dans un bruissement d'étoffes.

James Leslie avait déjà rejoint sa belle-fille. Il s'inclina à son tour devant la mariée, devant

lady Jane et sir Shane, mais il ne dit pas un mot et son regard était dur. Le bras de la

jeune fille glissé sous le sien, il l'entraîna hors de la pièce, sa large main posée sur la sienne

en un geste de réconfort.

Quand William fit mine de les suivre, Kieran lui agrippa le bras d'une poigne d'acier.

— Cela ne te suffit pas d'avoir brisé le cœur d'Emily et d'avoir gâché le jour de son

mariage ? Jeta-t-il lentement, les dents serrées. Va immédiatement lui présenter tes

excuses sinon elle sera veuve avant d'avoir pu te donner sa virginité, parce que c'est moi

qui te tuerai pour sauver l'honneur de notre famille dont tu ne sembles pas te soucier.

D'un signe de tête, il fit signe aux musiciens de recommencer à jouer. Ils enchaînèrent sur

un quadrille écossais et Kieran poussa son frère vers sa femme. Il se dirigea ensuite vers sa

belle-mère qui n'avait pas bougé, lui prit la main et la baisa avant de l'entraîner vers la

piste.

— Venez, madame, essayons d'oublier le désagrément que vient de nous causer votre fils.

Il remarqua combien elle était pâle et, pour la première fois de sa vie, il eut pitié d'elle.

— Oh, Kieran, crois-tu que nous pouvons ? murmura-telle d'une voix tremblante.

— Nous le devons, madame.

Se remettant tant bien que mal du choc qui venait de le terrasser, sir Shane s'approcha de

la mère d'Emily.

— Si nous nous joignions aux danseurs, madame, de sorte que ce regrettable incident soit

oublié au plus vite ?

Mme Elliot suivit sir Shane, et son mari invita la dame la plus proche de lui.

Les mariés se retrouvèrent seuls dans un coin de la pièce.

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— Elle vous a jeté un sort, dit Emily calmement. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Ce

doit être une personne vraiment malfaisante, mais je vous aime, William. Je vous aiderai

à vous dégager de son pouvoir maléfique si vous me le permettez.

Se haussant sur la pointe des pieds, elle l'embrassa sur la joue.

— Vous ne la reverrez plus. Demain, nous partons en voyage de noces à Dublin. A notre

retour, votre mère veillera à ce que lady Lindley ne soit plus invitée à Mallow's Court ni

dans aucune des maisons que nous fréquenterons. J'ai trouvé sa façon de s'afficher avec

Kieran totalement déplacée. C'était tellement... choquant ! dit-elle en tapotant

tendrement la joue de son mari. Nous devrons aussi nous assurer que votre frère ne soit

plus accepté ici, lui non plus. Votre mère s'est montrée très généreuse en le tolérant, mais

il ne changera jamais, et je ne voudrais pas que la présence d'un catholique puisse

influencer nos enfants. Après tout, cette maison sera la vôtre un jour. Tout va rentrer

dans l'ordre, mon très cher. Nous serons heureux ensemble, vous verrez.

William la considérait avec stupeur. Jusqu'à cet instant, il n'avait pas réalisé à quel point

elle était forte et déterminée. Il s'aperçut soudain qu'il avait besoin de sa force.

— Emily, commença-t-il. Je suis tellement désolé.

Elle l'interrompit en posant ses longs doigts fins sur sa bouche.

— C'est oublié, mon très cher William. Cette noble dame dépourvue de morale vous a

manipulé et ensorcelé, mais tout cela s'est passé avant notre mariage et, par conséquent,

je n'y attache aucune importance. Bien que je désapprouve les manifestations d'affection

en public, je pense que les invités devraient vous voir me donner un vrai baiser, William.

Nous rejoindrons ensuite les danseurs.

Elle leva son joli visage vers lui.

Il l'embrassa tendrement, en prenant son temps. Emily avait raison. Fortune l'avait

ensorcelé, se prit-il à penser. Ce n'était qu'une courtisane, sans doute aussi incapable de

réprimer ses ardeurs sensuelles que sa langue bien pendue !

— Vous êtes la femme qu'il me fallait, Emily, dit-il-en s'écartant légèrement. Vos paroles

ont trouvé un écho en moi. Kieran doit quitter Mallow's Court. Il est aussi perverti que

cette femme. Nous le tiendrons à l'écart de nos enfants.

Il l'embrassa de nouveau, et elle rougit joliment.

— Merci de m'avoir pardonné, ma chère épouse, ajouta-t-il en l'entraînant sur la piste de

danse.

Ce fut comme si rien ne s'était passé. Voyant les mariés réconciliés, les invités se

détendirent peu à peu et la fête se prolongea jusque tard dans la nuit. Les mariés furent

conduits à leur couche nuptiale en grandes pompes, puis tout le monde se retira et les

domestiques commencèrent à ranger. Lady Devers monta se coucher avec une carafe de

vin tandis que sir Shane s'installait dans la bibliothèque, devant un bon feu, avec son fils

aîné et deux whiskeys bien tassés.

— Cette journée a été un succès, finalement, remarqua Kieran.

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— Oui. Tout le monde en est sorti vivant, malgré notre William. Heureusement que le

duc de Glenkirk n'était pas armé, parce qu'il aurait vengé l'honneur de sa fille si

gravement insultée. Lady Fortune a fait preuve d'un grand sang-froid. Une autre aurait

fait un scandale ou aurait dit à ton frère ses quatre vérités devant tout le monde. Elle est

très forte.

Kieran saisit la balle au bond.

— Nous nous marions le 5 octobre, papa. J'aimerais que vous soyez des nôtres, mais je

comprendrai si vous ne venez pas. Willy ne doit rien savoir avant son retour de Dublin,

bien sûr.

— Bien sûr.

— Vous ne semblez pas surpris.

— Après vous avoir vus tous les deux, je ne le suis pas, mon fils. Comment est-ce arrivé?

William avait-il raison en t'accusant de l'avoir voulue pour toi dès le début?

— Honnêtement, je ne sais pas. Fortune et moi nous sommes rencontrés par hasard le

jour de votre départ pour l'Angleterre. Ensuite... nous sommes tombés amoureux.

— Nous n'en parlerons à ta belle-mère que lorsque le mariage aura eu lieu. Elle va se

mettre dans tous ses états quand elle apprendra que MacGuire's Ford et Erne Rock te

reviendront.

— Non, père, je n'aurai rien. Le domaine est vraiment destiné aux deux frères Leslie.

Ainsi, lady Jane pourra continuer d'espérer marier la première fille de Will avec l'un

d'eux. Fortune et moi gagnerons l'Angleterre avec le duc et la duchesse. Lord Baltimore

organise une expédition pour le Nouveau Monde. Il a l'intention d'y fonder une colonie

où il sera possible de vivre en paix, quelle que soit sa religion. Fortune et moi aimerions

le suivre. Will et sa mère pourront vivre tranquillement sans craindre de nous croiser,

Fortune et moi.

— Cela devait finir ainsi, commenta tristement Shane Devers après un long silence. Non

seulement mon fils aîné est spolié de son héritage mais il doit quitter sa terre natale. Je

savais ce qui m'attendait en épousant Jane, mais je n'ai pas eu envie de me battre. Je

voulais seulement préserver notre paix et notre confort. Et voilà que tu nous quittes.

Des larmes brillaient dans ses yeux. Kieran remplit de nouveau leurs verres.

— Vous savez que je ne me suis jamais vraiment senti chez moi ici. C'est étrange mais

c'est ainsi. Et Fortune éprouve le même sentiment de n'avoir jamais trouvé sa vraie place,

malgré l'amour que lui portent les siens. Nous partageons une même quête et nous la

poursuivrons ensemble.

— Tu en es certain, mon fils? N'est-ce point un simple compromis parce que tu es tombé

amoureux de Fortune Lindley?

— Non, papa. Nous voulons la même chose elle et moi.

— Dans ce cas, que Dieu vous bénisse tous les deux, mon garçon. Je serai à ton mariage,

et peu m'importe d'offenser lady Jane, après tout.

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— Colleen viendra aussi, dit doucement Kieran.

Sir Shane hocha la tête.

— Ce sera la première fois que j'agis en cachette de ma femme. Il faut que je t'aime

beaucoup pour faire une chose pareille.

— Vous savez, papa, durant toutes ces années qui ont suivi la mort de maman, je n'ai

jamais douté de votre affection pour moi. Sachez que je vous la rends bien et que je suis

heureux que vous approuviez mon mariage avec Fortune.

— Pour être franc, je ne suis pas mécontent d'avoir fait mon temps quand je vois ce que

devient le monde.

— Changer avec le monde tout en restant fidèle à ses idéaux, c'est pour moi la seule

façon de survivre.

— Les jeunes peuvent changer, mais les vieux en sont incapables, ou ne le veulent pas.

— Voyons, vous n'êtes pas si vieux! rétorqua Kieran en riant.

— Je le suis assez pour n'aspirer qu'à la paix chez moi et sur mes terres, répondit sir Shane

avant de finir son verre. Il est temps que j'aille me coucher, mon garçon. Il serait peut-

être préférable que tu ne sois pas là lorsque ton frère et sa femme partiront pour Dublin.

— Vous avez raison, papa. Je crois que je vais regagner Erne Rock immédiatement. Il ne

pleut pas et la nuit est claire. Dites à Colleen que nous nous verrons le 5. Molly et les

filles seront là, elles aussi. Tous vos vilains petits canards... ajouta-t-il.

Son père se mit à rire.

— Les vilains petits canards sont bien plus intéressants que les dociles, conclut-il avant de

sortir.

Kieran s'attarda un moment devant le feu, puis quitta la pièce à son tour. Il s'arrêta au

pied de l'escalier menant aux chambres. Son père devait être dans la sienne, sa mère

profondément endormie grâce au vin, et il espérait qu'Emily Anne avait perdu sa

virginité. Il se demanda avec scepticisme si cette fille - mais aussi son frère - avait la

moindre profondeur, la moindre passion en elle. Il haussa les épaules. Après tout, ce

n'était pas son problème.

Il prit le chemin des écuries et sella son cheval en songeant que sa nuit de noces avec

Fortune serait autrement intéressante. Mais Willy ferait son devoir. Il aurait des enfants

pour assurer la pérennité de Mallow's Court. Ils seraient plus anglais qu'irlandais, se dit-il

tristement. Il s'aperçut alors que certains changements ne lui plaisaient pas.

Sa chevauchée le mena jusqu'à MacGuire's Ford sans encombre. Il traversa le village,

dépassant deux cottages où il savait qu'il serait plus que le bienvenu. Finalement, les

sabots de son cheval claquèrent sur le pont-levis d'Erne Rock puis sur les pavés de la cour.

Un palefrenier à moitié endormi se chargea de sa monture et, quelques instants plus tard,

Kieran pénétrait dans le château. Son futur beau-père l'attendait dans le vestibule.

— J'étais sûr que vous viendriez, dit-il en guise d'accueil.

— J'ai annoncé à mon père que j'allais épouser Fortune.

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— Et?

— Il nous donne sa bénédiction et viendra à notre mariage. Ma belle-mère prévoit de

marier l'une de ses petites-filles avec l'un de vos fils.

James Leslie éclata de rire.

— Elle n'abandonne jamais, n'est-ce pas ? Vous savez, chez les Leslie, les mâles ne se

marient pas jeunes. Ils aiment prendre leur temps. Son vœu se réalisera peut-être, mais il

faudra qu'elle se montre patiente. Je ne veux pas de conflits entre nos deux familles,

Kieran. C'est votre frère qui pose un problème. Il va devoir se calmer parce que je

n'accepterai pas qu'il insulte ma fille une seconde fois. Il a eu de la chance que je ne sois

pas armé; sa femme aurait été veuve avant d'avoir été déflorée.

— Je lui ai dit la même chose.

Le duc hocha la tête.

— Vous êtes un homme bien, Kieran Devers. Je serai fier de vous avoir pour beau-fils. Je

regrette seulement qu'à cause de votre nature obstinée, Fortune parte loin de sa famille.

Enfin, si cela la rend heureuse, nous le serons aussi.

— Votre famille n'était-elle pas catholique, autrefois, my lord ?

— Si, répondit James Leslie. Mais les temps changent, mon garçon. A quoi bon se

disputer pour des questions de mots ? Seule la foi compte, et rien d'autre. Le Christ n'a-t-il

pas dit un jour que la maison du Seigneur était vaste et ouverte à tous ? Jamais je ne vous

condamnerai parce que vous avez choisi une manière différente de vous adresser au

Seigneur, mais certains le feront, et des lois vous puniront pour avoir refusé de vous

soumettre. Je ne suis pas d'accord avec ces gens ni avec ces lois, mais quand je suis en

Angleterre, je me plie à la volonté du roi. Vous n'avez pas l'étoffe d'un martyr, Kieran, et

je ne tolérerai pas que ma famille soit mise en danger parce que vous vous rebellez. Si

vous voulez que je sois votre allié, vous devrez vous conformer à mes règles. Est-ce bien

clair?

— On ne peut plus clair, my lord. Je veillerai à ce que Fortune soit heureuse, vous

pouvez compter sur moi.

— Bien, dit James Leslie, satisfait. À présent, je ne vois aucune raison pour que vous

retourniez à Mallow's Court, sinon pour récupérer vos affaires. Êtes-vous capable de

retrouver la chambre que vous occupiez lors de votre dernier séjour ici ?

— Oui, my lord, répondit Kieran avec un sourire.

— Alors, bienvenu à Erne Rock, mon garçon, et bienvenu dans notre famille qui est

maintenant la vôtre. Vous n'avez pas idée de ce qui vous attend, Kieran, ajouta le duc

avec un petit rire. Oh ! Et essayez d'empêcher Fortune de vous séduire avant votre

mariage. Je sais qu'elle aura du mal à patienter encore quelques jours...

Voyant son futur gendre s'empourprer, le duc éclata franchement de rire.

— Allez vous coucher, Kieran. J'ai beau bien connaître les femmes de ma famille, elles

parviennent encore à me surprendre.

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Kieran s'inclina devant le duc et grimpa à l'étage. Le couloir était glacial en cette fin

septembre. Les torches murales tremblotaient, répandant une lumière sinistre. Il entra

dans la chambre réservée aux invités et se figea sur place.

— Je savais que vous viendriez cette nuit, dit Fortune à mi-voix.

Elle était étendue sur le lit, entièrement nue, avec pour seule parure ses cheveux déployés

autour d'elle.

— Ainsi, vous avez décidé de me séduire, fit-il en s'approchant.

— Oui. Et vous en avez envie, répliqua-t-elle en se redressant pour l'attirer dans ses bras.

— Vous êtes la vierge la plus entêtée que j'aie jamais connue.

— J'ignorais que vous connaissiez autant de vierges ! Kieran, je suis folle de vous, et je

sais que vous m'aimez. Dans moins d'une semaine, nous serons mari et femme. Pourquoi

attendre? murmura-t-elle, ses lèvres entrouvertes dangereusement proches des siennes.

Il n'avait jamais été un saint, songea-t-il en capturant ses lèvres. La proximité de son corps

nu lui donnait le vertige. Un délicieux parfum émanait de sa peau.

— Juste un avant-goût, ma douce. Rien de plus jusqu'à notre nuit de noces. Je n'ai

aucune envie que vous affichiez un air satisfait et béat le jour où je vous conduirai devant

l'autel.

Il laissa glisser sa main le long de son dos, la referma sur la rondeur d'une fesse qu'il se mit

à pétrir. Cette caresse suggestive la prit au dépourvu. Elle ne rêvait plus.

Ils passaient à l'acte. Elle avait tout fait pour en arriver là, mais brusquement elle avait

l'impression de ne pas être tout à fait prête à partager cette intimité. Quand il la renversa

sur les oreillers, son cœur se mit à battre follement. Fascinée, elle suivit le parcours de sa

main sur son corps. L'épouserait-il toujours si elle se donnait à lui aussi librement? Il se

pencha et déposa des baisers légers sur ses seins, puis sa langue agaça les petits boutons

roses qui durcirent sous cette caresse diabolique. Fortune frissonnait, mais le doute la

tenaillait toujours. Elle avait commis une erreur. Elle devait l'arrêter tout de suite. Oui.

Mais sa main était sur son ventre à présent. Et elle descendait, descendait...

Kieran sentait Fortune trembler de peur et de désir sous ses doigts. Il se redressa à demi

pour enlever son pourpoint et sa chemise. Les yeux de la jeune fille s'agrandirent quand

elle découvrit son torse magnifiquement musclé. La seconde d'après, il s'allongeait sur

elle, écrasant ses seins sous l'ardeur de son étreinte. Il lui mordilla l'oreille et souffla :

— Vous aimez ça, mon cœur? Vous êtes si douce... si chaude...

«C'est merveilleux! » songea-t-elle en s'accrochant à lui, incapable de parler. Elle l'aimait.

Et ils étaient là où tous les amants devaient être : dans les bras l'un de l'autre.

Timidement, elle lui caressa le dos. Soudain, elle frémit. Il la serrait si fort qu'elle sentait

son sexe durci à travers son pantalon.

— Je ne peux pas ! Haleta-t-elle.

Il s'assit immédiatement.

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— Vous auriez pu vous en rendre compte plus tôt ! grogna-t-il en lui prenant la main

pour la poser sur son entrejambe afin qu'elle se rende bien compte combien il la désirait.

Elle voulut la retirer mais il la retint.

— C'est le seul moyen de me calmer. À moins que ça ne produise l'effet contraire...

Elle n'insista pas et laissa sa main là où elle était.

— Vous êtes une femme passionnée, Fortune, mais vous avez tout à apprendre.

Elle se risqua à le caresser légèrement, intriguée par ce qu'elle sentait vibrer sous ses

doigts.

— Ça va mieux ?

— Oui, dit-il en souriant.

— Et moi, Kieran? N'y a-t-il pas un moyen de m'apaiser?

Une lueur s'alluma dans les yeux verts.

— Cela dépend. Jusqu'où êtes-vous prête à aller?

— Je ne sais pas...

— Détendez-vous et faites-moi confiance, murmura-t-il en s'allongeant près d'elle.

Posant la paume bien à plat sur le bas-ventre de la jeune fille, il commença à presser son

sexe doucement, habilement. Fortune ferma les yeux, inquiète et cependant déterminée à

en apprendre un peu plus. L'excitation monta en elle, vague après vague, lui tirant un

faible gémissement. Tout à coup, elle sentit un doigt s'insinuer entre les replis secrets de

son intimité et elle se raidit.

— Tout va bien, ma belle. Faites-moi confiance.

Elle s'efforçait de se détendre quand il frôla ce qui devait être le point le plus sensible de

tout son corps.

— Kieran!

— Cela s'appelle le bouton d'amour. Caressé comme il faut, il peut vous procurer un

plaisir extraordinaire.

Ses doigts y exerçaient un léger mouvement de va-et-vient.

— Est-ce que cela vous plaît, Fortune ?

— Ohhh... oui!

C'était absolument merveilleux! Pourquoi ne l'avait-il pas initiée à ces choses plus tôt? Un

long frisson la parcourut. Sensation divine. Elle se mit à balbutier des mots sans suite

tandis qu'une sorte de vague semblait se former au creux de son ventre, prête à

l'engloutir, une vague de plaisir pur. C'est alors que le doigt de Kieran glissa plus bas et

s'insinua en elle.

— Ohhh! Souffla-t-elle tandis qu'il allait et venait doucement. Oui... oui...

Il s'empara de ses lèves sans cesser sa caresse intime et leurs langues se mêlèrent avec

fièvre. Kieran voulait attendre leur nuit de noces avant de la faire sienne, mais Dieu que

ce serait difficile ! Il la désirait comme un damné.

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— Je n'ai plus peur, haleta Fortune contre sa bouche. Kieran, je ne veux pas attendre ! Je

vous en supplie.

Il retira son doigt.

— Il le faudra bien, mon cœur. Vous deviendrez une femme quand nous serons mariés,

pas avant.

Et il l'embrassa doucement, évitant de croiser son regard déçu. Fortune roula sur le côté

pour lui échapper.

— Je vous déteste ! s'écria-t-elle. Je crois même que je n'ai plus envie de vous épouser.

Il contempla son émouvante chute de reins et ne put résister à l'envie d'y donner une

petite tape.

— Maintenant que j'ai goûté à vos charmes, je n'ai pas l'intention de renoncer à vous.

Dans quelques jours, nous serons mari et femme et je vous promets de satisfaire alors vos

moindres désirs, y compris ceux dont vous ne soupçonnez même pas l'existence.

Il déposa un baiser sur sa hanche et Fortune, s'allongeant sur le dos, le fusilla du regard.

— Je suppose que vous voulez que je regagne ma chambre, maintenant? marmonna-t-

elle.

— Ce ne serait pas une mauvaise idée. Essayez de ne pas réveiller Rois, elle serait très

choquée. Vous comprenez pourquoi j'agis ainsi, n'est-ce pas?

— Non.

— Vous connaissez la vieille coutume du drap que l'on expose à tout le voisinage, le

lendemain d'un mariage, afin que tout le voisinage se rende compte que la jeune fille

était pure. Demain, à Mallow's Court, lady Jane montrera fièrement le drap souillé dans

lequel Willy a défloré sa femme. Elle n'apprécie pas ce rite, mais elle sait que les langues

se déchaîneront si elle ne s'y plie pas. Nous devrons en faire autant, car le premier à

prétendre que vous n'étiez pas vierge, ce sera William. Je ne veux pas avoir à me battre

contre lui parce que, si cela se produisait, je le tuerais. Et j'y serais contraint s'il s'avisait de

vous insulter une seconde fois.

Elle l'attira à elle et il posa la tête sur ses seins.

— Je ne veux pas avoir la mort de Willy sur la conscience, et jamais je ne vous mettrai en

position de devoir tuer votre frère. Sachez toutefois que s'il me manquait à nouveau de

respect, c'est moi qui le tuerai !

Surpris par son intonation farouche, il se redressa et s'aperçut qu'elle était on ne peut plus

sérieuse.

— Je manie très bien l'épée, expliqua-t-elle.

Kieran éclata de rire.

— Je ne vais pas m'ennuyer avec vous, mon cœur! A présent, couvrez ce corps

somptueux et regagnez votre chambre. Vous portiez bien quelque chose en venant, n'est-

ce pas?

Un sourire espiègle joua sur les lèvres de Fortune.

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Tranquillement, elle se leva, traversa la chambre et ouvrit la porte pour disparaître dans

le couloir totalement nue.

— Doux Jésus ! S’exclama-t-il en riant de plus belle.

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CHAPITRE 10

— Essayez de vous tenir tranquille, milady, implora Rois en brossant la chevelure de sa

maîtresse.

— Je ne vois pas pourquoi je devrais laisser mes cheveux détachés. Emily les avait

attachés le jour de ses noces.

— Les Anglais ne suivent pas les coutumes qu'il faut, jeta Rois avec mépris.

— J'ai du sang anglais dans les veines, lui rappela Fortune.

— Peut-être, mais vous avez été élevée par un père écossais et il sait ce qu'il convient de

faire, tout comme votre mère. A présent, cessez de gigoter, que je puisse défaire ce

nœud.

Fortune garda le silence un moment et étudia son reflet dans le miroir. Aujourd'hui, elle

se mariait. Sa tenue n'aurait pas déparé à la Cour, à Londres. Si les décolletés carrés

étaient à la mode en Irlande, le sien découvrait complètement ses épaules, ce qu'elle

trouvait bien plus élégant. Sa robe de velours mordoré était bordée de dentelle à

l'encolure. Des rubans dorés retenaient le bouillonné de ses manches qui étaient

agrémentées de boutons sertis de topazes. Dans les ouvertures apparaissait de la dentelle

crème, et un galon de soie marquait sa taille. Sur le devant, la jupe s'ouvrait sur du

taffetas brodé de fils d'or. Fortune portait des bas de soie lamés or et des mules ornées de

nacre. Un long rang de perles et des pendants d'oreilles assortis complétaient l'ensemble.

— Voilà! s'écria enfin Rois, la faisant sursauter. Vous avez les cheveux les plus beaux que

j'aie jamais vus, milady. Êtes-vous impatiente ? S’enquit la femme de chambre, elle-même

fébrile à l'idée de la journée qui s'annonçait. Messire Kieran est vraiment séduisant. Les

femmes qui le connaissent disent qu'il est un amant hors pair, ajouta-t-elle en baissant la

voix. A la fois brûlant de passion et très tendre. Comment avez-vous pu rester aussi sage,

milady ?

Fortune eut un petit rire.

— Cela n'a pas été facile. Je crois que j'ai eu envie de lui dès l'instant où je l'ai vu, même

si je refusais de l’admettre.

Un petit soupir sensuel lui échappa.

— Vous allez vous rattraper ce soir, milady, chuchota Rois en gloussant. Et demain, votre

maman montrera le drap. Nous sommes tous tellement contents pour vous ! Vous êtes

venue en Ulster pour chercher l'amour, et vous l'avez trouvé ! Vous me manquerez

quand vous partirez pour l'Angleterre, milady.

— Mais... vous venez avec moi, Rois! Je ne pourrais pas me passer de vous.

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— Je ne veux pas quitter mon Kevin, milady.

— Eh bien, vous n'avez qu'à vous marier et il nous accompagnera. La région du Nouveau

Monde où nous nous risquons de nous rendre est réputée pour l'élevage des chevaux et

j'ai l'intention d'en emmener plusieurs. Kevin s'en occupera. Ce sera plus intéressant pour

vous deux que de demeurer ici à attendre que Rory MacGuire se fasse vieux, ce qui ne lui

arrivera pas de sitôt ! ajouta-telle en riant.

Le joli visage de Rois prit une expression pensive. Épouser son amoureux faisait partie de

ses projets à plus ou moins court terme, mais ce long voyage l'effrayait un peu. Bien sûr,

si Kevin était à ses côtés...

— J'en parlerai à Kevin, milady. Merci pour votre offre.

La porte de la chambre s'ouvrit et Jasmine entra.

— Laisse-moi te regarder... Mon Dieu! Que tu es belle ! s'écria-t-elle, ses yeux turquoise

brillant de larmes.

La duchesse de Glenkirk s'assit lourdement sur le lit.

— Le temps passe tellement vite, continua-t-elle tristement. J'ai l'impression que c'était

hier que tu naissais ici, à Erne Rock. Rowan serait si fier de toi, Fortune !

La jeune fille s'assit près de sa mère et l'enlaça.

— Je suis tellement heureuse moi aussi, fit-elle, émue aux larmes.

— Rois, descendez prévenir que nous arrivons dans un instant, s'il vous plaît.

— Oui, milady, répondit la femme de chambre en s'inclinant avant de s'esquiver.

— J'ai quelque chose à te dire, reprit la duchesse dès qu'elle fut seule avec sa fille. Depuis

plus d'un mois, Rohana te donne un fortifiant tous les matins. En réalité, cette potion est

une recette qui nous vient de ton arrière-grand-mère Skye O'Malley. Elle-même la tenait

de sa sœur, Eibhlin, la religieuse médecin. Elle a le pouvoir de prévenir la conception des

enfants. Je ne voulais pas que tu arrives devant l'autel avec un secret dans ton ventre.

Fortune rougit violemment.

— Nous n'avons pas...

— Je sais, ma chérie ! l'interrompit Jasmine en riant. C'est un jeune homme obstiné, n'est-

ce pas? Et fort honorable. Néanmoins, cette petite précaution supplémentaire n'a fait de

mal à personne. A présent, tu vas l'épouser et je sais que vous désirez des enfants tous les

deux, mais si tu veux un conseil, attendez d'avoir quitté l'Irlande. Je ne fais aucune

confiance aux Devers. Sir Shane, le pauvre homme, souhaite la paix à tout prix. En

revanche, William se croit encore amoureux de toi et demeure dangereux même s'il est

marié. Quant à lady Jane, elle convoite toujours MacGuire's Ford. Il y a un mois, j'ai écrit

à ton frère, le duc de Lundy, pour qu'il demande au roi de confirmer la donation à Adam

et à Duncan Leslie par un acte officiel.

«J'ai reçu hier une lettre confirmant l'accord du roi, mais le document officiel ne nous

parviendra pas avant le printemps. D'ici là, je crains que la mère et le fils Devers ne se

servent de ce manque de preuves légales de la donation pour essayer de s'approprier

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MacGuire's Ford, arguant du fait que tu as épousé un catholique. Nous devons protéger

nos terres et ceux qui y vivent, qu'ils soient catholiques ou protestants. Les fanatiques sont

redoutables, Fortune. Ton père a été tué par l'un d'eux. Je devrais t'envoyer tout de suite

en Angleterre avec Kieran mais je suis égoïste. Je veux te garder auprès de moi le plus

longtemps possible. Tu vas partir pour le Nouveau Monde et il est peu probable que

nous nous revoyions un jour. Par ailleurs, les vents d'automne venus du nord

commencent à se lever et la traversée vers l'Angleterre ou l'Ecosse pourrait être

dangereuse.

— Je resterai aussi longtemps que je le pourrai, maman, répondit Fortune. Et je suis

d'accord avec vous, ce n'est pas le bon moment pour mettre un enfant en route. Bien

entendu, Kieran n'en saura rien. Je suppose que papa n'en a jamais rien su non plus, n'est-

ce pas?

Jasmine hocha la tête en souriant.

— Tu as toujours été mon enfant la plus réaliste.

La duchesse serra une dernière fois sa fille dans ses bras avant de se lever.

— Viens, il est temps de descendre, ma chérie. Le père Cullen attend de vous unir en

privé avant que le révérend Steen ne célèbre la cérémonie officielle. Rohana continuera

de te donner ta potion. Quand vous partirez, elle te fournira la recette. À toi de voir si tu

veux mettre Rois dans le secret ou pas.

— Pourquoi avez-vous cessé de prendre le remède, maman ?

Jasmine posa ses mains sur son ventre arrondi.

— Je pensais avoir passé l'âge de concevoir. Voilà deux ans que Jemmie et moi

n'utilisions plus de précautions d'aucune sorte, mais apparemment... Ce sont des choses

qui arrivent, semble-t-il. En tout cas, ce sera le dernier! J'avais oublié combien il était

fatigant de porter un enfant, surtout les derniers mois, et celui-ci est particulièrement

vigoureux !

Peu après, Fortune Mary Lindley et Kieran Sean Devers recevaient le sacrement

catholique du mariage dans une petite pièce discrète du château. Le père Cullen donna

ensuite l'absolution au marié pour qu'il soit pardonné de s'unir à nouveau dans la foi

protestante. Cette seconde cérémonie se tenait dans le petit temple de MacGuire's Ford

où la majorité des villageois pratiquaient leur religion. Pour l'occasion, le prêtre ôta sa

soutane et revêtit une élégante redingote de velours noir.

Fortune traversa le village au bras de son beau-père. Sa mère suivait dans un cabriolet

avec le père Cullen. Venaient ensuite Rory MacGuire et Bride Duffy escortés par leurs

filleuls. Le temple était plein à craquer. Au premier rang se tenaient sir Shane, sa fille, lady

Colleen et son mari. Derrière eux étaient assises Molly Fitzgerald et ses deux filles. Si

certains trouvaient leur présence déplacée, nul ne s'avisa de le dire à voix haute.

La mariée remonta l'allée centrale au bras du duc, un petit bouquet de roses crème noué

d'un ruban doré à la main. Le révérend Samuel Steen accueillit le jeune couple avec un

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sourire chaleureux. Finalement, en rejoignant les protestants après toutes ces années,

Kieran Devers retrouvait la voie qu'il n'aurait jamais dû quitter, songea le pasteur. Sa

femme saurait le protéger des influences néfastes et coupables des papistes. L'amour

pouvait déplacer des montagnes. Inspiré par le tour heureux qu'avaient pris les

événements, il psalmodia les paroles rituelles.

Quand ils furent proclamés unis par les liens sacrés du mariage, Kieran Devers attira sa

femme à lui et l'embrassa avec chaleur, acclamé par l'assistance. Souriant, Samuel Steen se

joignit aux autres pour aller célébrer dignement l'événement au château.

Il faisait un temps exceptionnellement beau pour la saison. Tout le village avait été invité

à la fête. Dans la cour du château, des cibles de tir à l'arc avaient été installées.

Au bord du lac, un groupe de jeunes gens jouaient à la pelote.

Dans la grande salle, un dais abritait des tables et des bancs. Une odeur de viande rôtie

au feu de bois flottait dans l'air. Des assiettes de truite et de saumon passaient de main en

main. Il y avait du gibier en croûte arrosé de sauce, des chapons farcis de fruits, des lapins

braisés. Pour accompagner viandes et poissons, des carottes, des petits pois et des laitues

cuites en sauce. Partout, corbeilles de pain frais, beurre, et fromages divers. Le vin français

coulait abondamment, ainsi que la bière et le cidre.

Devenu l'hôte permanent d'Erne Rock, le vieux barde égrenait des chansons et des contes

où il était question de géants, de fées, de batailles et de hauts faits. Il s'accompagnait à la

harpe ou au pipeau. Quand tout le monde fut rassasié, et pour certains, un peu éméchés,

on repoussa les tables contre les murs. Les musiciens prirent le relais avec leurs flûtes,

cornets et tambours, et l'on dansa. Les femmes se disputèrent le marié et les hommes, la

mariée.

En ce mois d'octobre, la nuit tombait tôt. Bientôt, à la faveur des lampes et des

chandeliers, on s'aperçut que les jeunes mariés s'étaient éclipsés. Peu à peu, les invités se

retirèrent et la famille se rassembla autour de la grande cheminée. Lady Colleen regretta

de ne pas avoir vu plus souvent ses demi-sœurs et d'avoir été contrainte de choisir entre

elles et sa belle-mère.

— Il fait trop noir pour que vous repreniez la route maintenant, dit le duc à sir Shane.

Vous dormez ici, bien entendu.

Sir Shane acquiesça.

— J'imagine la réaction de lady Jane quand elle apprendra la nouvelle, fit son gendre,

Hugh. Nous aurons l'avantage d'être à Dublin, mais vous, père, vous devrez endurer ses

foudres. Je n'aimerais pas être à votre place.

— L'essentiel pour moi est que mon fils aîné ait trouvé le bonheur, envers et contre tout -

et malgré lady Jane. À ce propos, James Leslie, je voulais vous dire que mon fils n'entrera

pas sans rien dans votre famille. J'ai pris mes dispositions pour que lui revienne dès

maintenant ce qui aurait été à lui après ma mort. Je l'ai remis à mon orfèvre, Michael

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Kira, à Dublin. Il est chargé de le remettre à ses cousins Kira de Londres. Les connaissez-

vous ?

— Bien sûr! répondit le duc. Les Kira ont été nos banquiers pendant plus d'un siècle.

— Sachez donc que mon fils jouira de sa propre rente. Ce n'est pas grand-chose, certes,

mais ni ma femme ni mon fils William n'auront le droit de se l'approprier, ce qu'ils

auraient sans doute fait. Jane a un sens moral très strict qu'elle perd totalement dès lors

qu'il s'agit des catholiques.

Il eut un petit rire satisfait avant d'ajouter :

— Elle n'apprendra ce que j'ai fait qu'après ma mort. Cela m'évitera d'endurer son

courroux ! Bien entendu, vous n'êtes au courant de rien, dit-il en s'adressant à sa fille

Colleen et à son gendre.

— Ne vous inquiétez pas, père, répondit Colleen. J'aurai déjà suffisamment de problèmes

avec elle quand elle saura que j'ai assisté à ce mariage. Bien, il est temps d'aller nous

coucher. Nous prenons la route de bonne heure, demain.

— Adali, dit Jasmine. Conduis sir Hugh et lady Colleen à leur chambre. J'ai été très

heureuse de vous avoir parmi nous, ajouta-t-elle en se tournant vers ses invités. Je sais ce

que cela représentait pour Fortune. Merci.

Une fois les Kelly partis, sir Shane reprit la parole et s'adressa à Molly :

— J'ai également pris mes dispositions pour les filles, Molly.

— Je compte les envoyer dans le Nouveau Monde, avec Kieran, expliqua cette dernière.

Ici, à Lisnaskea, elles seront toujours considérées comme des bâtardes et ne trouveront

jamais de maris respectables. Dans cette colonie où personne ne les connaîtra et où il

régnera une plus grande tolérance, elles auront plus de chances de rencontrer quelqu'un

de bien, Shane. C'est ce que je veux pour elles.

— Quand elles arriveront en Angleterre, elles toucheront leur part elles aussi, promit-il.

Jasmine remarqua combien Shane Devers et Molly Fitzgerald semblaient s'aimer. Quel

dommage qu'il ait dû épouser lady Jane pour sauver Mallow's Court!... Elle se leva à son

tour en réprimant un bâillement.

— Je vous laisse aux bons soins d'Adali, déclara-t-elle. Je suis épuisée. À demain.

Le salon se vida et seuls quelques domestiques y demeurèrent pour ranger les derniers

reliefs du festin.

Personne ne fit attention à Rory MacGuire, assis dans l'ombre, près du feu. Le regard

absent, l'Irlandais songeait à sa fille, si belle dans sa robe de mariée mordorée. Son

bonheur si éclatant lui réchauffait le cœur! Il soupira. Hélas ! Dans quelques mois elle

partirait à jamais. Elle quitterait ce domaine qui aurait dû lui revenir, non seulement par

sa mère, mais aussi par le sang des MacGuire qui coulait dans ses veines. Elle allait

traverser l'Océan pour gagner le Nouveau Monde. Le régisseur fit alors une chose qu'il

n'avait pas faite depuis des années. Il pria. Il pria avec ferveur pour que sa fille soit

heureuse jusqu'à la fin de ses jours.

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Heureuse. Jamais elle n'avait connu un tel bonheur de toute sa vie. Au milieu d'une

danse, Kieran lui avait pris la main et ils avaient quitté le bal discrètement, traversant le

vestibule en courant pour se précipiter dans l'escalier, puis dans leur chambre où ils

s'étaient enfermés à double tour.

— Puis-je vous demander si vous savez aider une dame à se débarrasser de sa robe ? lui

demanda-t-elle doucement.

Le sourire aux lèvres, Kieran la fit pivoter et commença tranquillement à délacer son

corsage pendant qu'elle-même dénouait les rubans de sa ceinture. En moins de temps

qu'il n'en faut pour le dire, Fortune se retrouva en chemise et jupons. Elle les releva et

tendit une jambe fine à son mari. Il s'agenouilla, détacha les jarretières ornées de roses et

fit glisser les bas de soie jusqu'aux chevilles, baisant au fur et à mesure la peau qu'il

découvrait. Elle rit et lui tendit l'autre jambe, mais il la surprit en refermant les mains sur

ses fesses et en posant les lèvres sur son ventre, les y frottant d'une manière suggestive.

Fortune en sentait la chaleur à travers la fine étoffe de ses sous-vêtements. Elle percevait

aussi l'intensité de son désir. Elle enfouit les mains dans ses cheveux épais et doux comme

la soie. Il leva les yeux vers elle et la passion qu'elle y lut lui coupa le souffle.

Instinctivement, elle détacha ses jupons, les laissant glisser jusqu'à ses pieds, fit passer sa

chemise par-dessus sa tête et la jeta au loin. Kieran la ramena vers lui et poursuivit ce qu'il

avait commencé, posant cette fois sa bouche sur son bas-ventre.

Elle en eut le vertige et se raccrocha à ses cheveux. Son cœur battait à tout rompre tandis

qu'une onde de chaleur se répandait dans tout son corps.

— Fortune! Avez-vous l'intention de m'arracher les cheveux? l'entendit-elle dire d'une

voix sourde.

— Oh, pardon...

Elle desserra les doigts.

— Vous avez de la poigne, ma femme, lança-t-il en se relevant, une lueur amusée

dansant dans ses yeux verts.

— Je préfère quand vous êtes agenouillé à mes pieds, avoua-t-elle sans détour, désireuse

de retrouver les délicieuses sensations que ce baiser intime venait de lui faire découvrir.

— Vous êtes charmante sans vos vêtements.

— A vous d'enlever les vôtres.

Elle l'aida à déboutonner son pourpoint qui alla rejoindre ses jupons, délaça sa chemise

et en écarta les pans pour presser ses mains contre sa poitrine. La chemise vola dans la

pièce. Fortune entreprit de couvrir son torse de baisers légers, puis, incapable de se

retenir, goûta sa peau de la langue.

Kieran serra les dents. Elle osait des caresses dignes d'une courtisane alors qu'elle était une

vraie jeune fille.

— Je vais enlever mon pantalon, la prévint-il.

Comme elle ne le lâchait pas pour autant, il s'en débarrassa.

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— Vous ne portez pas de sous-vêtements! s'écria-t-elle sans lever la tête.

— Pas toujours ! fit-il en haussant les épaules.

Fascinée et légèrement effrayée par sa virilité, Fortune l'effleura du bout des doigts. Un

bras autour de sa taille, il l'attira contre lui, regrettant qu'elle soit vierge, car il mourait

d'envie de la posséder sur-le-champ.

— Vite! murmura-t-elle au creux de son oreille en se collant à lui.

— Vous n'êtes pas encore prête... Et rien ne presse, Fortune. Je veux que cette première

fois soit parfaite. Je vous attends depuis toujours !

Il s'empara de ses lèvres avec ferveur. Leurs langues se cherchèrent et entamèrent une

lente danse sensuelle.

Fortune haletait presque, il sentait les pointes de ses seins durcir contre son torse. La

soulevant dans ses bras, il traversa la chambre et la déposa doucement sur le lit.

Dès qu'elle fut allongée, elle lui tendit les bras. Un sourire aux lèvres, il s'étendit près

d'elle, lui prit la main et déposa un baiser sur sa paume, puis sur chacun de ses doigts.

— Vous êtes la plus belle femme que j'aie jamais connue, dit-il tranquillement. Et la seule

que j'aie jamais aimée.

— Je vous aime aussi, Kieran, et je n'ai jamais aimé un autre homme. Je ne suis même

jamais tombée amoureuse. Je veux vous satisfaire, mon amour, mais je n'ai pas la

moindre idée de ce que je dois faire.

Il plongea son regard dans le sien, et elle y lut une tendresse et un amour si profonds

qu'un sentiment de bienêtre absolu l'envahit.

— Laissez-moi vous adorer à ma manière, mon cœur, et n'ayez aucune crainte surtout.

Il reprit ses lèvres brièvement, puis ses baisers s'échappèrent vers son cou, s'y attardèrent,

remontèrent vers une oreille, la mordillèrent.

— Vous avez l'intention de me dévorer, à présent?

— De vous savourer, oui, en prenant mon temps.

Il l'embrassa au creux de la gorge et posa la tête sur sa poitrine, pour écouter battre son

cœur. Fortune passa la main dans ses cheveux. Elle trouvait cela agréable, mais pas aussi

excitant qu'elle s'y attendait.

Elle commençait à se demander pourquoi sa mère et sa sœur India évoquaient l'amour

physique avec tant d'enthousiasme quand Kieran se mit à lui embrasser les seins. Aussitôt

son corps se réveilla. Elle retint son souffle tandis qu'un frisson d'anticipation la

parcourait. Il les pétrissait à présent, puis s'interrompit pour en pincer les petites pointes

roses dressées.

Une exclamation de surprise lui échappa, mais déjà il roulait sur le dos, l'entraînant avec

lui. Leurs corps nus étaient si intimement pressés l'un contre l'autre que Fortune se sentit

rougir. Les mains de Kieran se promenaient le long de son dos, puis elles se refermèrent

soudain autour de sa taille, et, sans prévenir, il la souleva pour amener ses seins au

niveau de ses lèvres. Elle sentit alors sa langue en effleurer les pointes si sensibles, et retint

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un soupir de délice. Quand il entreprit de les sucer doucement, cela devint carrément

divin, et beaucoup plus excitant. Un gémissement lui échappa, et elle ferma les yeux pour

se concentrer sur les sensations inédites qui se succédaient en elle. Il fit subir le même

traitement exquis à l'autre sein avant de la faire basculer sous lui.

Brusquement, ses caresses s'intensifièrent, ses mains étaient partout sur elle, tantôt douces,

tantôt fermes. Un brasier s'alluma en elle, prenant naissance au plus secret de son corps.

Elle poussa un petit cri inarticulé. Avec un sourire de connaisseur, il posa la paume sur

son mont de Vénus et y exerça des pressions appuyées. Le souffle de Fortune s'accéléra. Il

insinua alors un doigt entre les replis tièdes, doucement. Le fit aller et venir de haut en

bas, lentement. Elle avait l'impression de fondre sous ses doigts, de se liquéfier

littéralement.

— Tu seras bientôt prête, mon amour, murmura-t-il contre sa bouche.

Lui-même l'était depuis longtemps. Son sexe était dur comme le granit et palpitait

d'impatience.

— Refais ce que tu m'as fait la dernière fois. S'il te plaît...

— Petite dévergondée ! fit-il en riant tandis que ses doigts glissaient jusqu'à la petite crête

hypersensible.

Fortune tressaillit de plaisir lorsqu'il atteignit son but.

— Tu aimes que je te caresse là? Souffla-t-il. Sur le bouton d'amour?

— Oh... oui ! Oui! Kieran, je t'en supplie, ne t'arrête pas...

Il n'en avait pas l'intention. Bien au contraire. Il joua doucement avec le petit bouton, lui

imprimant de légers mouvements circulaires qui arrachèrent des gémissements incontrôlés

à Fortune. Sa propre excitation grimpa en flèche. Il adorait cela. Il poursuivit son exquise

torture jusqu'à ce qu'elle soit au bord de l'extase. Il se pencha alors sur elle et lui chuchota

à l'oreille:

— Écarte les jambes, Fortune.

— Pas tout de suite... l'implora-t-elle. Continue...

— Maintenant ! Insista-t-il, insinuant un genou entre ses jambes pour l'obliger à les

ouvrir. Maintenant, Fortune, je n'en peux plus, tu comprends ? Je veux prendre mon

plaisir avec toi.

Il se positionna entre ses cuisses, exerça une ultime pression sur le petit bouton d'amour,

emportant la jeune femme au paroxysme du plaisir, et la pénétra.

Prise par surprise, elle eut à peine le temps de se rendre compte de la douleur qui

accompagnait son coup de reins. Une merveilleuse sensation lui succéda presque aussitôt,

chassant l'inconfort et la peur. Elle était pleine de lui et là était sa place. Avec lui en elle.

Elle exhala un profond soupir et referma les bras autour de son cou.

— Regarde-moi, lui ordonna-t-il.

Elle ouvrit les yeux et se perdit dans les lacs sombres bouillonnant de passion. Emue

jusqu'aux larmes, elle écouta les mots merveilleux qu'il lui murmurait.

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— Je t'aime, Fortune. Je t'aime!

Puis il se mit à aller et venir en elle. Et chaque poussée s'accompagnait d'une vague de

plaisir qui se propageait dans tout son corps, jusqu'à atteindre son âme même. Elle

soutint son regard chaviré jusqu'à ce que l'intensité de ses émotions lui fasse fermer les

yeux. Pour la première fois de sa vie, Fortune s'élança vers les étoiles.

Il plongeait sans relâche en elle, de plus en plus profondément, accélérant

progressivement le rythme. Elle enfonça ses ongles dans ses épaules musclées en le

suppliant de ne pas s'arrêter. Le plaisir brut qui transparaissait dans sa voix rauque faisait

écho à celui de Kieran.

— Maintenant, Fortune... haleta-t-il. Viens...

L'extase explosa en eux telle une gerbe de feu divin, les emportant simultanément au

sommet de la volupté.

Kieran fut le premier à revenir à lui. S'apercevant soudain qu'il pesait sur elle de tout son

poids, il roula sur le côté pour la libérer. Le corps luisant de transpiration, il attendit que

son souffle haletant ait retrouvé un rythme à peu près normal. C'est alors qu'il vit qu'elle

pleurait.

Seigneur! Qu'avait-il fait?

— Fortune? Mon amour, que se passe-t-il? Je t'ai fait mal ?

Il n'était qu'une brute. Tout à son plaisir, il avait oublié de la ménager.

— Kieran, je suis si heureuse ! Gémit-elle en se blottissant contre lui. Je n'ai jamais été

aussi heureuse de ma vie, Kieran ! Je ne regrette pas de t'avoir attendu, mon amour.

Quand je pense que j'aurais pu épouser ton frère !

Il avait envie de rire de sa remarque si innocente. Envie de crier sa joie. Mais il se

contenta de la serrer étroitement contre lui.

— Moi non plus, je ne regrette pas de t'avoir attendue. Je croyais que je ne trouverais

jamais l'amour, mais dès je t'ai vue, j'ai su que je ne laisserais pas Willy t'épouser. Je

t'aurais enlevée à la manière de mes ancêtres celtes si tu l'avais choisi. Tu es à moi! Depuis

toujours et pour toujours. A présent, sèche tes larmes et embrasse-moi.

Leurs lèvres se joignirent en un baiser presque désespéré.

— Pourrons-nous refaire l'amour cette nuit? Lui demanda-t-elle naïvement.

— Oui, mais nous devons nous reposer un peu, avant. J'ai encore beaucoup de choses à

te faire découvrir, Fortune. J'espère que tu ne seras pas déçue.

— Je veux que tu m'apprennes à te donner du plaisir, déclara-t-elle en se levant.

Elle traversa la chambre et s'arrêta devant une petite aiguière en argent posée près d'une

pile de linges fins. Elle apporta le tout près du lit et se lava avant de laver Kieran.

— Maman les appelle les linges de l'amour. Elle affirme qu'il faut les utiliser après chaque

étreinte pour se préparer aux suivantes.

Kieran n'avait jamais eu recours à de telles pratiques, mais il s'y plia volontiers.

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— C'est agréable. T'occuperas-tu toujours aussi tendrement de moi, Fortune ? S’enquit-il

en laissant sa main errer sur l'un de ses seins.

— Oui, dit-elle en posant l'aiguière et les linges sur le sol avant de le rejoindre au lit.

L'instant d'après, elle se retrouvait à califourchon sur lui.

— Je vais te chevaucher comme si tu étais Thunder. Seras-tu une monture voluptueuse?

Le taquina-t-elle tandis qu'il lui caressait la poitrine.

Comme elle s'écartait, il lui saisit les fesses et y imprima un mouvement lascif de va-et-

vient contre son bas-ventre.

— Je vois que ma virilité ne t'effraie plus, ma belle.

Son sexe durcissait à toute allure tandis qu'elle creusait les reins de façon provocante.

Non seulement ils allaient refaire l'amour, mais il se demandait maintenant s'il pourrait

jamais s'arrêter. Jamais il n'avait éprouvé un désir aussi violent pour une femme.

D'ordinaire, une fois lui suffisait, mais cela promettait d'être bien différent avec sa jeune

épouse.

Fortune le sentait palpiter sous elle. Elle se souleva et, lentement, glissa sur lui jusqu'à ce

qu'il soit entièrement en elle. Kieran émit un grognement animal. Il l'attira à lui et

l'embrassa avec fièvre tout en se mouvant en rythme.

— Mon Dieu ! Souffla la jeune femme tandis qu'un coup de reins plus précis lui incendiait

le ventre.

Le plaisir la submergea soudain, telle une marée brûlante. La voix de Kieran qui criait son

nom lui parvint, lointaine et assourdie, puis tous deux perdirent pied et se laissèrent

porter par les flots déchaînés de la passion partagée.

Un peu plus tard, alors qu'ils reposaient dans les bras l'un de l'autre, le souffle encore un

peu haletant, Kieran insista pour qu'ils essaient de dormir un peu.

— Très bien, mon seigneur et maître, dit-elle d'une voix douce en exhalant un soupir de

contentement. Mais recommencerons-nous à notre réveil ? Kieran ? Pourquoi ris-tu ? Ai-

je dit quelque chose de drôle ?

Il s'efforça de reprendre son sérieux.

— Toutes les femmes de ta famille sont-elles aussi passionnées, Fortune?

— Ce n'est pas bien d'éprouver de la passion pour son mari ?

— Tu ne m'entendras jamais m'en plaindre, ma chérie. En tout cas, je n'ai plus à craindre

que mon frère me tue quand il saura que je t'ai épousée. Tu m'auras probablement

achevé avant ! Willy ne sait pas à quoi il a échappé !

— Brigand! Se récria-t-elle, faisant mine d'être furieuse. En attendant, tu n'as toujours pas

répondu à ma question. Pourrons-nous oui ou non refaire l'amour à notre réveil ?

— Oui... Si toutefois je survis jusqu'au lever du jour, ma belle insatiable.

Fortune s'allongea sur lui et frôla ses lèvres de la langue avant de s'emparer de sa bouche.

— Maintenant que tu m'as initiée aux délices de la passion, mon amour, j'ai la ferme

intention de te garder en vie.

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— Assouvir tes désirs occupera toute mon existence, dit-il en l'enveloppant de ses bras.

— Tu risques d'être très occupé.

— Je ne demande que cela, mon ange.

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CHAPITRE 11

— Kieran a épousé Fortune Lindley?... répéta Jane Devers sans parvenir à mettre un sens

sur ces mots.

— Le révérend Steen les a mariés hier à MacGuire's Ford. J'y étais.

— Et tu as autorisé une chose pareille ? Tu as laissé ce bâtard de Celte épouser la plus

riche héritière de tout le Fermanagh ? Comment as-tu osé ? Articula-t-elle d'une voix

blanche tandis que la colère la submergeait.

— Comment aurais-je pu l'éviter? répondit calmement son mari. Le duc de Glenkirk et sa

femme ont accueilli ce mariage avec bonheur. Et ne traite plus jamais mon fils aîné de

bâtard, Jane, ajouta-t-il, le regard dur.

— Qu'est-il d'autre? Glapit-elle. Ton mariage catholique était illégal selon la loi du roi!

Les enfants que t'a donnés cette créature que tu appelles ta première femme sont

illégitimes! Ce qui ne m'a pas empêchée de les élever comme s'il s'agissait des miens.

Quand tu as reconnu William comme ton héritier légitime, j'ai cru que tu partageais mon

point de vue, Shane.

— Lorsque tu m'as poussé à déshériter Kieran parce qu'il refusait de se convertir, tu as

prétendu que c'était pour protéger Mallow's Court. Es-tu en train de me dire maintenant

que s'il avait accepté de devenir protestant, tu l'aurais tout de même considéré comme

illégitime, sous prétexte que mon premier mariage a été célébré dans une église

catholique ?

— Oui! Parfaitement! Nous ne nous sommes pas mariés par amour, Shane. C'est mon

héritage que tu guignais. Croyais-tu vraiment que j'aurais laissé Kieran mettre la main sur

Mallow's Court après la naissance de William? Et si je n'avais pas eu de fils, je l'aurais

légué à Bessie. Ce domaine ne t'appartient pas, Shane. Mon père l'a acheté avec son or,

et j'ai rempli ma part du marché en te laissant te démener en suant sur mon corps pour

me faire un garçon et une fille. Aux yeux de la loi, ils sont tes seuls héritiers légitimes ! Ne

l'oublie jamais !

— Je ne suis pas stupide au point de croire que nous avons fait un mariage d'amour,

Jane, mais je pensais qu'après deux enfants et des années de vie commune, une certaine

affection nous liait. Je constate avec tristesse que je me suis trompé.

— Vous les Irlandais, vous êtes tellement romantiques, jeta-t-elle avec mépris. Le mariage,

comme tout le reste, est une affaire d'intérêt. À présent, revenons sur ce désastre qui

vient de nous frapper. Il ne faut en aucun cas qu'Erne Rock et MacGuire's Ford échoient à

Kieran. Cela donnerait aux catholiques d'ici beaucoup trop de poids.

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— Tu sais très bien que MacGuire's Ford sera partagé entre Adam et Duncan Leslie. De

plus, Kieran et Fortune ne resteront pas en Ulster, Jane. Ils partiront au printemps, quand

le bébé sera né.

— C'est ce qu'ils t'ont dit! Siffla-t-elle d'une voix venimeuse. Mais je ne suis pas idiote.

Kieran a délibérément séduit cette fille pour que William ne puisse l'épouser. Il la voulait

pour lui parce qu'elle est riche! Je ne vois pas quelle autre raison invoquer. Il voulait

avoir un domaine plus grand que celui de son frère, pour se venger ! Voilà pourquoi il

était si empressé de renoncer à Mallow's Court. Espèce de sale Irlandais de malheur ! Oh,

mais il ne réussira pas ! Je te le jure, Shane! La loi ne permettra pas qu'un catholique se

retrouve à la tête d'un domaine pareil !

— Jane, ne te mêle pas de ça ! Je t'interdis de faire quoi que ce soit qui puisse

compromettre ma famille. Kieran et sa femme ne resteront pas à MacGuire's Ford. Les

Glenkirk ne sont pas fous, ils ne céderont jamais ce domaine à un catholique. Le fils de la

duchesse est le neveu du roi Charles qui est lui-même leur ami, et ils ont une certaine

influence à la Cour. Ils auraient la protection et l'accord du roi en personne s'ils voulaient

laisser MacGuire's Ford à leur fille et à son mari. Mais ce n'est pas le cas. Ils n'ignorent pas

quelles difficultés cela engendrerait et ne veulent de mal à personne. Adam et Duncan

sont protestants. Tu n'as pas le pouvoir d'arracher ce domaine aux Glenkirk, Jane. Essaie

plutôt de réfléchir à la façon dont tu vas annoncer la nouvelle du mariage de Kieran à

ton fils William.

Jane Devers blêmit.

— Seigneur ! Comment va-t-il le prendre, mon pauvre petit?

— Pauvre petit? répéta son mari, moqueur. Je ne trouve pas que le terme soit bien

choisi, Jane. Non seulement il vient d'épouser une jeune fille qui l'adore et qui héritera

un jour des biens de son père, mais il est mon héritier. Cela représente un patrimoine

considérable, ma chère. Je ne vois pas en quoi il serait à plaindre. Parce qu'il s'est entiché

d'une jeune fille qui ne lui a rien trouvé d'attirant? Il ferait bien d'apprendre à se tenir. Et

il a intérêt à respecter la femme de son frère.

Il toisa sa femme avec dureté avant d'ajouter:

— Et je ne te conseille pas de gâcher son voyage de noces en envoyant un message à

Dublin. Laisse-les profiter de ces quelques semaines pour trouver le bonheur avant de

commencer à les accabler de ton amertume.

«Kieran a épousé Fortune selon les rites de l'Église anglicane, l'Église du roi. Tu ne peux

rien y changer, Jane, mets-toi bien ça dans le crâne. Cette union est légale, approuvée

par les Leslie, et le drap nuptial taché de sang flottait ce matin sur Erne Rock Castle,

prouvant que le mariage a été consommé. Kieran ne t'a jamais fait aucun mal. Lui aussi a

droit au bonheur, alors, ne t'en mêle pas. »

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— Ton fils catholique a accepté d'être marié dans la foi protestante? riposta-t-elle. Alors,

cette fille n'est qu'une traînée pour lui, parce que son mariage ne peut être béni que par

l'Église romaine.

Elle plissa les yeux.

— À moins, bien sûr, qu'ils aient d'abord été mariés par ce prêtre, cousin de la duchesse.

C'est cela, Shane ? Ton cher fils et sa traînée ont-ils d'abord bafoué la loi de notre roi,

pour aller ensuite tourner notre seule et véritable Église en dérision ?

— S'il y a eu une autre cérémonie, Jane, je ne suis pas au courant, je n'y étais pas.

Mais Bride Murphy et Rory MacGuire y avaient assisté, eux, en tant que témoins.

Pendant ce temps, lui se trouvait au temple avec Colleen, Hugh, Molly et leurs filles. Que

Dieu lui vienne en aide quand Jane l'apprendrait!

— Les Leslie de Glenkirk sont protestants, Jane. Il était naturel que leur fille soit mariée

par le révérend Steen. Et je te prie de ne pas la traiter de traînée !

Contrariée et en proie à une rage démesurée, Jane Devers perdit son précieux calme. Elle

saisit la carafe de vin et la lança à la tête de son mari en hurlant :

— Je te hais!

Shane Devers évita le projectile et éclata de rire.

— Eh bien, très chère ! Après toutes ces années de mariage, c'est la première fois que je te

vois réagir avec passion. Cela te va bien.

Elle le dévisagea, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, puis, étouffant un cri de

désespoir, elle quitta la bibliothèque en trombe. Totalement dépassée par cette situation,

sur laquelle elle n'avait pas de prise, et par la façon dont elle venait de perdre le contrôle

d'elle-même, elle éclata en sanglots et se précipita dans sa chambre.

Ses larmes à peine taries, elle décida de mener sa petite enquête et sonna sa femme de

chambre, Susanna.

— L'un de nos domestiques a-t-il de la famille qui travaille à MacGuire's Ford? Mon beau-

fils a épousé lady Lindley hier, et je veux tout savoir sur ce mariage.

— Oui, milady, répondit Susanna, extrêmement surprise de découvrir pour la première

fois des traces d'émotion sur le visage de sa maîtresse. L'aide-cuisinière a des parents à

MacGuire's Ford, milady. Voulez-vous que je lui parle ?

— Oui. Dis-lui qu'il y a une pièce d'argent à la clé si elle se montre coopérative.

— Bien, milady, répondit Susanna en s'inclinant avant de sortir.

Quelques jours plus tard, Jane Devers était en possession de tous les renseignements

désirés. En apprenant que James Leslie avait invité tout le village après la cérémonie, elle

se réjouit que son William n'ait pas épousé cette Fortune Lindley. Comment le duc avait-

il pu recevoir chez lui tous ces culs-terreux ? Cette seule idée la faisait frémir de dégoût.

Les Leslie étaient peut-être riches, ils n'en étaient pas pour autant des gens de qualité.

D'ailleurs, la duchesse n'avait-elle pas eu un bâtard avec ce prince mort ?

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Mais il y avait autre chose qui lui importait davantage. La maîtresse de son mari et leurs

deux bâtardes étaient non seulement de la fête, mais elles avaient passé la nuit à Erne

Rock. Shane ne le savait peut-être pas, mais elle avait déjà croisé ses deux garces à

Lisnaskea. Et elle s'était assuré, par l'intermédiaire du révérend Dundas, que ni l'une ni

l'autre ne trouverait jamais un honnête et respectable mari ici. C'étaient des bâtardes,

catholiques de surcroît. Alors, que Shane ait osé s'afficher en public avec elles constituait

une insulte qu'elle n'oublierait pas. Il allait payer très cher sa désinvolture, et Kieran sa

traîtrise.

Elle voyait à peine son mari, à présent. Ils faisaient chambre à part depuis des années et

ne se rencontraient qu'autour de la table du dîner, du moins quand Shane passait la nuit

à la maison. Ce qui lui arrivait de moins en moins souvent ces derniers temps. Il devait

sans doute consacrer ses soirées à sa traînée et à leurs gamines. Ils n'avaient plus grand-

chose à se dire, mais Jane ne s'en souciait pas vraiment. William n'allait pas tarder à

rentrer avec sa femme, et ils décideraient de la conduite à tenir concernant Kieran et

MacGuire's Ford. Car elle ne croyait pas Shane quand il lui affirmait que le domaine ne

lui reviendrait pas. Il ne s'agissait que d'une ruse.

Ignorant ce qui se tramait dans l'esprit retors de Jane Devers, Kieran et Fortune passèrent

les jours qui suivirent leur mariage à faire l'amour et à chevaucher ensemble. Leur passion

mutuelle était si puissante qu'ils avaient du mal à dissimuler leur impatience de quitter la

table du dîner pour regagner leur chambre, le soir. Jasmine finit par leur conseiller

d'emporter un plateau dans leurs appartements, puisqu'une faim toute différente semblait

les tenailler.

— Maman ! S’était écriée Fortune, embarrassée.

Mais Kieran avait ri.

— Merci de votre compréhension, madame, avait-il déclaré avec un clin d'œil.

Le duc et Rory MacGuire avaient étouffé un petit rire, et le père Cullen s'était contenté

de sourire.

— Je trouve les gens de Lisnaskea bien calmes, remarqua le duc.

— J'ai entendu dire que lady Jane et son bon mari avaient eu une sérieuse dispute à

propos du mariage qui s'est déroulé ici, fit Rory. Il paraît que depuis, sir Shane et sa

femme ne s'adressent plus la parole, sauf quand ils ne peuvent l'éviter. Cela devrait

devenir plus intéressant quand le jeune Willy rentrera avec sa femme.

— Je ne pense pas qu'il fasse une scène, dit Fortune.

— Tu l'as éconduit, ma fille, et ce jeune homme n'a jamais supporté de ne pas obtenir ce

qu'il convoitait.

— J'irai parler à mon frère, décréta Kieran.

MacGuire haussa un sourcil.

— Si vous croyez que c'est possible sans en venir aux mains, Kieran... Personnellement,

cela m'étonnerait, à moins que sa jeune épouse ne l'ait métamorphosé.

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— Crois-tu qu'il puisse être dangereux? Demanda Fortune à son époux, plus tard ce soir-

là.

Ils étaient nus, adossés aux oreillers, Fortune contre la poitrine de Kieran. D'une main

langoureuse, il lui caressait les seins.

— Je ne sais pas, répondit-il en écartant ses cheveux pour l'embrasser sur la nuque. Je ne

l'ai jamais vu se conduire comme il l'a fait avec toi.

Il la mordilla doucement. Elle lui prit la main et lui suça un doigt d'une façon suggestive.

— Sa femme peut-elle l'influencer autant que sa mère? Nous pourrions peut-être essayer

de faire la paix par son intermédiaire ?

— Pas sûr. Emily Anne aime mon frère de tout son cœur, et elle est encore très jeune.

Pour l'instant, elle ne songe qu'à lui plaire. Non, je ne crois pas vraiment à une

réconciliation entre nos familles.

— Ton père ne t'abandonnera pas.

— Non, mais il ne fera pas grand-chose non plus. Il continuera de vivre avec ma belle-

mère et mon frère après notre départ.

— Dans ce cas, nous les ignorerons. Dans six mois nous serons partis, et avec l'hiver qui

approche, ta mère a peu de chances de nous causer des ennuis.

Il lui leva le menton pour l'embrasser, se gardant de la détromper. Elle ne connaissait pas

Jane Devers comme lui la connaissait. En ce moment même, elle devait être en train de

chercher à leur nuire par tous les moyens, justifiant sa conduite par ses croyances

religieuses. Comment pouvait-on excuser les pires bassesses, les pires violences au nom de

Dieu, voilà qui le dépassait complètement.

Un jour, vers la fin du mois d'octobre, Maeve Fitzgerald vint de Lisnaskea pour prévenir

son demi-frère que William et son épouse s'apprêtaient à lui rendre visite.

— Papa tient à te mettre en garde. Lady Jane est certainement en train de manigancer

quelque chose.

— J'ai entendu dire que père n'était plus souvent à Mallow's Court ces derniers temps.

— Suffisamment tout de même, répondit Maeve sèchement.

Kieran passa un bras autour de ses épaules.

— Que se passe-t-il, petite sœur ?

La jeune fille soupira bruyamment.

— Je n'ai pas envie de laisser maman, mais elle insiste pour que nous partions avec toi au

printemps, et le pire, c'est qu'elle a raison. Il n'y a aucun espoir pour nous, ici.

Qu'adviendra-t-il d'elle quand nous serons parties et qu'elle devra affronter seule les

protestants ?

— Papa la protégera.

— Et quand il ne sera plus là ? Crois-tu que William la respectera en mémoire de ton père

qui lui a fait construire une maison et octroyé une rente ? Il la chassera comme une

malpropre, oui, sous prétexte qu'elle est catholique. Que Dieu lui vienne en aide !

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— Nous allons trouver une solution, promit Kieran. Si une chose pareille se produisait,

elle viendrait nous rejoindre dans le Nouveau Monde.

— Je déteste les protestants! Ils ont peut-être du pouvoir en Ulster mais leurs croyances

impies les mèneront droit en enfer !

— Ma femme est protestante, lui rappela doucement Kieran.

— Fortune est différente, et puis, elle a reçu le baptême catholique. Avec ton aide, elle

finira par rejoindre la seule véritable Église, surtout quand vous aurez des enfants.

— Ne laisse pas la haine t'aveugler, petite sœur, lui conseilla-t-il.

Dès qu'elle fut partie, Kieran prévint sa belle-famille de l'arrivée imminente de son frère.

En fait, il arriva le lendemain de bonne heure après avoir traversé MacGuire's Ford

comme s'il avait le diable aux trousses. Il fit irruption dans le château en écartant de son

passage un domestique éberlué. Toute la famille était réunie dans la grande salle autour

du petit déjeuner. Son arrivée en trombe les surprit.

— Espèce de traînée! lança-t-il d'emblée en désignant Fortune du doigt.

Avant que qui que ce soit ait le temps de réagir, Fortune s'était levée. Elle alla droit sur

William Devers et le gifla à toute volée.

— Pour qui vous prenez-vous pour faire irruption chez ma mère et me traiter de la sorte?

Vous n'avez aucun droit sur moi et vous n'en avez jamais eu !

— C'est avec moi que vous deviez vous marier ! cria-t-il, déconcerté par la réaction de

Fortune.

Sa mère et sa femme avaient passé la soirée de la veille à lui parler de l'affront que

Fortune Lindley lui avait infligé en épousant Kieran. Par conséquent, William s'estimait

dans son bon droit.

— Il n'y a jamais eu de contrat de mariage entre nos deux familles, lui rappela-t-elle. Je

suis venue en Irlande pour chercher un mari et vous étiez le premier candidat. Je vous ai

refusé.

— Pour coucher avec mon bâtard de frère! Pendant que je vous faisais la cour si

tendrement, vous pensiez à lui !

À sa grande surprise, Fortune le frappa de nouveau.

— Si vous continuez de nous insulter, je vais de ce pas déposer une plainte chez le juge.

Et ne croyez pas que parce que Kieran est catholique on n'en tiendra pas compte. Je suis

protestante, moi, et j'ai pour frère le neveu bien aimé du roi. Dois-je vous rappeler que la

femme du roi est catholique ? Lequel des deux partis le roi défendra-t-il, à votre avis,

messire Devers ? Celui d'un petit propriétaire terrien irlandais sans importance ou le

mien?

— Je vous aimais, Fortune, déclara-t-il d'une voix sourde.

— Pure illusion. Ce que vous aimiez vraiment, Will, c'est MacGuire's Ford et son château,

comme votre mère vous l'a seriné, assena-t-elle.

L'effet de ses paroles fut immédiat. Et dévastateur.

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— Kieran ne l'aura pas, cracha William d'une voix chargée de haine. Il ne manquerait

plus qu'un bâtard se retrouve avec MacGuire's Ford et Erne Rock! Un catholique qui

aurait plus que moi ?

— Vous connaissez les dispositions que nous avons prises. Mes deux frères sont en ce

moment même assis à cette table, leur dague prête à vous trancher la gorge. Alors, vous

allez immédiatement me présenter des excuses, à moi et à mon mari, votre frère. Nous

n'avons pas de raisons de nous quereller.

— Allez au diable, traînée ! Jeta-t-il en se retournant pour partir.

Mais Kieran bondit de son siège et rattrapa son frère qu'il saisit au collet.

— Je ne veux pas te tuer comme Caïn a tué son frère, Willy, et parce que j'ai promis à

ma femme de ne pas le faire. Mais si jamais tu revenais nous insulter, j'oublierais mes

promesses, et les conséquences seraient dramatiques. Le mariage de mon père avec ma

mère était légitime. Si j'étais un bigot, comme toi, je me souviendrais que la sainte Église

catholique est la seule qui soit consacrée, n'en déplaise aux protestants. Comme Fortune

et comme sa famille, je ne veux pas qu'il y ait d'animosité entre nous. Que Dieu me

pardonne, mais tu recevras une sacrée correction si tu t'avises de revenir ici sans y avoir

été invité, et pour faire un tel éclat !

Il relâcha le jeune homme brutalement.

— A présent, fiche le camp ! ajouta-t-il en le faisant pivoter.

Posant sa botte sur son postérieur, il le poussa dehors.

William fut propulsé vers la porte et perdit à demi l'équilibre. Quand il parvint à se

stabiliser, il se retourna et leva un poing rageur.

— Tu vas regretter ce que tu viens de faire, Kieran ! Je veux vous voir morts, toi et cette

traînée qui hante mes nuits !

Sur cette imprécation vengeresse, il partit.

— Il est fou, déclara Fortune. Je ne lui ai jamais laissé aucun espoir. Et même le fait que

nous soyons mariés chacun de notre côté ne lui suffit pas !

— Tu as été son premier amour, mon cœur. D'un côté, je le comprends. Comment un

homme qui t'aime peut-il en épouser une autre, Fortune ?

Fortune sourit à son mari.

— Je t'aime tellement, Kieran, dit-elle doucement.

James Leslie les contemplait d'un air attendri, mais Adam et Duncan levèrent les yeux au

ciel en ricanant.

— Cela vous arrivera un jour, mes garçons, leur lança leur sœur.

— Jamais ! jura Adam. Nous n'aimons pas les filles.

— C'est ce que tu crois, jeta son père en riant. Mais cela te tombera dessus bien plus tôt

que tu ne le penses.

— Pour que je devienne comme ce William Devers ? Cela m'étonnerait, fit Adam. Oh,

euh... pardon, Kieran. Je sais que c'est votre frère mais...

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— Je ne suis pas offensé, Adam, car, je le crains, vous êtes beaucoup plus sensé que Willy.

— Pauvre William, compatit Jasmine.

Mais William Devers n'avait nul besoin de la sympathie de la duchesse de Glenkirk. Il

regagna Mallow's Court ivre de rage et bien décidé à se venger de l'affront qu'il venait de

subir. Car il estimait que c'était lui, l'offensé. Sa mère, sa femme et sa belle-mère, toutes

trois montées contre les catholiques, ne firent que le conforter dans cette voie en attisant

sa haine.

— Il faut les chasser une fois pour toutes de Lisnaskea, affirma Emily Anne à son mari. Je

suis sûre qu'il y a un moyen de faire entendre raison à ton père, William. Ces gens-là sont

un danger pour nous tous parce qu'ils nous haïssent.

— Je vais lui parler, décida William.

Shane Devers fut abasourdi en entendant la tirade de son fils.

— Tu veux jeter les catholiques hors de Lisnaskea ? Mais... tu as perdu la tête ! La paix

entre protestants et catholiques est déjà suffisamment fragile. Où iront ces gens qui vivent

en bonne entente ici depuis des siècles ?

— Les catholiques nous mettent en danger, papa. Leurs manières risquent de déteindre

sur nos enfants.

Son père eut un ricanement de dérision. Il en avait assez de l'intolérance de sa femme, de

son fils et de sa belle-fille. Il était devenu protestant pour épouser Jane, mais il n'avait pas

commis pour autant de discriminations à l'égard de ses voisins catholiques.

Un domestique qui passait à ce moment-là surprit la conversation entre les deux

hommes. Son amie, l'une des servantes de la maison, avait elle aussi entendu lady Devers

et la jeune maîtresse échanger le même genre de propos. La rumeur déborda vite de

Mallow's Court pour atteindre Lisnaskea. Les gens commencèrent à se regarder avec

suspicion, alors que, la veille encore, ils étaient amis.

Le père Brendan, prêtre de Lisnaskea, se lança dans un prêche contre ceux qui risquaient

de menacer l'Ulster, son histoire, ses traditions, ses mythes et légendes. Ceux qui seraient

enclins à traiter les Irlandais de Barbares, de papistes avaient besoin de recevoir une

bonne leçon. De son côté, le ministre protestant, le révérend Dundas, affirma dans ses

sermons que seule la foi de l'Église anglicane était valable et que ceux qui s'y

opposeraient devaient soit être ramenés à la raison de force, soit éliminés, car ils étaient

des traîtres.

Un soir, Shane Devers buvait tranquillement son whiskey chez sa maîtresse quand des cris

leur parvinrent du dehors. Il se leva et ouvrit la porte pour découvrir avec stupeur que

plusieurs incendies avaient été allumés dans le village.

— Il faut que j'aille voir ce qui se passe, Molly. Enferme-toi à clé et surtout n'ouvre à

personne. Je reviens.

Molly verrouilla la porte avant d'appeler ses filles et leur servante Biddy.

— Il se passe quelque chose au village, leur annonça-telle.

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— C'était à prévoir, commenta Biddy d'un air sombre.

— C'est-à-dire?

— Je n'en sais pas plus que vous, mais le jeune William Devers s'acharne à monter les

protestants contre nous. Il affirme que si nous partions, ce serait le paradis à Lisnaskea, et

certains vont l'écouter, maîtresse.

— Ces sales dissidents! Puissent-ils tous brûler en enfer! S’emporta Maeve. Si j'étais un

homme, je prendrais les armes contre eux !

— Ne sois pas sotte, s'impatienta sa mère.

— C'est à cause de William Devers. Il se sent offensé parce que son frère a épousé

Fortune. Il veut s'approprier MacGuire's Ford.

— Mais Kieran ne l'aura pas davantage, il le sait pourtant bien, remarqua sa jeune sœur

Aine.

— Tant que Fortune et Kieran n'auront pas quitté l'Ulster, il ne le croira pas, ni lui ni sa

rapace de mère, répondit Molly.

La clameur semblait se rapprocher. Les quatre femmes se regroupèrent autour de la

cheminée. Biddy se leva et tira les rideaux. Elle avait vu des ombres se profiler à la lueur

des flammes. Se gardant d'en parler, elle mit les barres de sécurité sur la porte d'entrée et

se dirigea vers l'office pour en faire autant. A son retour, Molly l'interrogea du regard,

mais la servante secoua la tête sans mot dire.

L'odeur du feu s'infiltrait lentement à l'intérieur. Molly ne s'inquiétait pas pour sa maison,

car elle était en brique avec un toit d'ardoise, mais elle commençait à se faire du souci

pour sir Shane. Elle regarda ses filles. Elles, si vivantes et si prolixes d'habitude, étaient

anormalement silencieuses. Soudain, des coups violents retentirent contre la porte. Biddy

se retrancha dans un coin sombre de la pièce tandis que Molly posait un doigt sur ses

lèvres pour intimer le silence à Maeve et à Aine.

Une vitre vola en éclats. Incapables de se contrôler plus longtemps, les femmes hurlèrent

de terreur. Un homme repoussa les rideaux et enjamba le rebord de la fenêtre. Il

considéra les occupantes terrorisées sans rien dire, avant d'aller débarrasser la porte

d'entrée de la barre de sécurité, livrant passage à un groupe d'hommes vociférant.

Ils envahirent l'élégant salon de Molly qui reconnut plusieurs de ses voisins.

— Comment osez-vous vous introduire chez moi de cette façon? s'écria-t-elle. Qu'est-ce

que cela signifie? Vous, Robert Morgan, et vous, James Curran ! Et vous n'êtes pas les

seuls que je connaisse. Que se passe-t-il ?

Les deux hommes qu'elle venait de nommer semblaient honteux. Les autres, mal à l'aise.

— Cette gueuse ne manque pas de toupet! Lança William Devers en fendant le groupe

d'hommes qui s'écartèrent devant lui. La catin catholique de mon père s'imagine qu'elle

va nous donner des ordres ? Tu te trompes, ordure, et tu n'auras plus l'occasion de

l'ouvrir.

Il leva le pistolet qu'il cachait sous son manteau et tira.

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Molly Fitzgerald s'écroula, tuée sur le coup par une balle en plein cœur.

Maeve hurla en se précipitant sur sa mère, prenant dans ses bras son corps sans vie.

— Espèce de démon de protestant ! Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? Je

vais le dire à papa et j'espère qu'il vous tuera de ses propres mains!

Et elle serra sa mère contre elle en éclatant en sanglots.

Sans manifester la moindre émotion, William leva de nouveau son pistolet et tira sur sa

demi-sœur, en pleine tête. Ses yeux de glace se tournèrent alors vers Aine, qui tremblait

d'horreur, recroquevillée près de la cheminée. Un éclat pervers luisait dans son regard. Il

avança vers la jeune fille et l'obligea à se lever.

— En voilà une jolie demoiselle ! Une vraie traînée, je parie, comme sa mère, hein ? On

va t'emmener là-haut et tu vas nous distraire. Tu vas aimer ça, pas vraie ?

Il déchira le corsage d'Aine, découvrant sa poitrine.

— Vous êtes mon frère, dit faiblement la jeune fille, en proie à une terreur presque

animale.

William la gifla à toute volée.

— Je t'interdis de prétendre que nous sommes parents! Tu n'es qu'une petite roulure et tu

vas me satisfaire avant de mourir. Une sale catholique de plus ou de moins, qu'est-ce

qu'on en a à faire? Demain, Lisnaskea sera débarrassée de ceux de ton espèce.

Il tira Aine de force et se tourna vers ses compagnons pour les inviter à le suivre.

— Venez, les gars. On va prendre un peu de bon temps. Elle est appétissante, non ?

Tous ne suivirent pas William. La plupart des hommes présents sortirent de chez Molly

en silence, sans oser regarder les cadavres des deux femmes. Ils avaient seulement voulu

faire que Lisnaskea devienne un bastion protestant, mais tuer et violer, non. Ce n'était

pas prévu.

Pourtant, depuis que le révérend Dundas les avait incités à suivre William Devers pour «

nettoyer le village des catholiques qui le pourrissaient», ils avaient vu trop de cadavres

pour pouvoir continuer à se prétendre innocents. Ils se sentaient coupables, ce qui ne

faisait qu'attiser leur colère contre leurs voisins catholiques. Un hurlement leur parvint du

premier étage, suivi d'un rire diabolique puis de cris d'encouragements. Beaucoup d'entre

eux avaient des filles de l'âge d'Aine, et ils s'empressèrent de prendre la fuite dans

l'obscurité.

Un jeune homme surgit alors de la nuit.

— Ces sales papistes ont mis le feu au temple après avoir enfermé le révérend Dundas et

sa famille à l'intérieur! Nos femmes n'arrivent pas à ouvrir la porte pour les libérer !

— Accompagnez-le, je vais chercher William Devers et les autres, dit Robert Morgan.

Quand le silence revint dans la maison de Molly Fitzgerald, Biddy sortit de sa cachette en

larmes. Elle gravit l'escalier en tremblant sur ses vieilles jambes. Aine était couchée en

travers du lit de sa mère, nue, les jambes écartées. On lui avait tranché la gorge d'une

oreille à l'autre. Ses yeux bleus grands ouverts reflétaient l'horreur à l'état brut. Son joli et

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doux visage était meurtri, et son corps de petite fille ensanglanté. Biddy ferma

doucement les yeux de la malheureuse et la couvrit avec la couverture.

La vieille servante sécha ses larmes avec son tablier et une détermination inflexible durcit

soudain ses traits. Elle jeta un dernier regard à la toute jeune fille qu'elle avait vue

grandir, se signa et pria le Seigneur avant de redescendre.

Elle pria à nouveau devant le corps de sa maîtresse et de Maeve. Puis elle quitta la

maison par la porte de derrière et se dirigea vers l'écurie. Biddy avait toujours eu une

peur panique des chevaux, mais elle sella bravement le poney d'Aine, se hissa en selle et

s'enfonça dans la nuit.

Elle connaissait la route, car elle habitait la région depuis sa naissance. Elle n'était pas née

à Lisnaskea mais à MacGuire's Ford. Lentement, prudemment, elle guida le poney sur les

chemins obscurs. Le jour commençait à poindre lorsqu'elle atteignit le pont-levis du

château d'Erne Rock. Elle tomba pratiquement dans les bras du jeune gardien.

— Allez vite chercher les MacGuire! Vite! Ils sont en train de tuer tout le monde !

Rory MacGuire sortit du pavillon à moitié vêtu et reconnut tout de suite Biddy.

— C'est un vrai massacre à Lisnaskea! Sir Shane était avec nous la nuit dernière, quand

tout a commencé. Je ne sais pas où il est maintenant. William Devers a tué ma maîtresse

et la jeune Maeve. Ce qu'ils ont fait à Aine... J'ai trop honte pour le dire. Elle est morte

aussi, heureusement pour elle, la pauvre enfant...

— Alors cela a fini par arriver, murmura Rory MacGuire presque pour lui-même. Venez,

Biddy, ajouta-t-il en prenant la vieille femme par le bras. Il faut prévenir le duc et sa

femme.

— Et que feront ces protestants pour venger ma pauvre maîtresse et ses filles ? S’emporta

Biddy. Ce sont les leurs qui les ont tuées, elles et Dieu sait combien d'autres à Lisnaskea !

— Tous les protestants ne se conduisent pas ainsi, Biddy. Pas plus que les catholiques.

Lady Jasmine est une femme généreuse. Elle a su préserver la paix entre les deux

communautés à MacGuire's Ford, et elle n'a pas de préjugés contre ceux qui ne prient pas

comme elle. C'est rare, je le reconnais, mais grâce à Dieu, MacGuire's Ford lui appartient,

et la paix règne ici depuis longtemps. La duchesse et sa famille vont être horrifiées en

entendant votre récit.

Ils venaient de pénétrer dans le château. Rory envoya un serviteur prévenir ses maîtres.

Ils descendirent presque aussitôt, Jasmine soutenue par James Leslie, car sa grossesse était

bien avancée maintenant.

— Que se passe-t-il? demanda-t-elle vivement en s'asseyant dans un fauteuil.

Rory leur présenta Biddy, et les Leslie écoutèrent avec une horreur grandissante le récit

des atrocités auxquelles la vieille femme avait assisté.

— J'ai honte de m'être cachée et de ne pas avoir pu aider ma maîtresse et ses adorables

filles que j'ai vues grandir, conclut la vieille femme en sanglotant. Mais il fallait que

quelqu'un reste en vie pour témoigner de la perfidie cruelle de William Devers.

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— Vous avez eu raison d'agir ainsi, fit Jasmine en se levant pour serrer la pauvre femme

dans ses bras. Sans vous, nous n'aurions jamais su la vérité. Mais je suis terriblement

inquiète pour sir Shane. Qu'a-t-il pu lui arriver?

— Son fils bien aimé l'a probablement tué aussi, lança Kieran qui venait d'entrer.

— Ce n'est pas possible ! s'écria Jasmine.

— William n'a jamais été très patient quand il voulait vraiment quelque chose. S'il a été

capable d'assassiner Molly et nos demi-sœurs, pourquoi pas notre père ? Ma belle-mère a

tout ce qu'elle désirait, désormais. Son mari ne lui sert plus à rien. Elle a sa maison et ses

terres. Les filles sont parties, et elle s'est débrouillée pour me chasser avant de marier mon

frère à la fille qu'elle lui destinait. Je suis convaincu qu'elle est derrière tout cela, mais je

veux d'abord savoir ce qui est arrivé à mon père avant d'abattre William.

— Il n'y aura pas d'autres crimes, intervint sévèrement James Leslie. Je n'ai pas donné

Fortune à un criminel, et c'est ainsi que vous serez jugé avant d'être pendu, Kieran, si

vous tuez votre frère, quoi qu'il ait fait.

— Dans ce cas, il restera en liberté. Aucune cour en Ulster ne prendra en compte la

parole d'une catholique contre celle d'un protestant, encore moins celle d'une servante.

— Soyez patient, mon garçon. Vous aurez votre revanche. Mais pour l'instant, nous

devons savoir si votre père est toujours en vie. Nous partons pour Mallow's Court

immédiatement, vous et moi.

— Non, Jemmie ! s'écria Jasmine. Je n'ai plus aucune confiance envers les Devers. Ils ne

vous laisseront jamais repartir sains et saufs, Kieran et toi.

— Je dois y aller, insista le duc. Si je n'en fais rien, le même mal infectera les gens de

MacGuire's Ford. Est-ce ce que tu veux ?

Jasmine pinça les lèvres. Son mari avait raison, elle le savait, et cependant, elle avait un

mauvais pressentiment. Elle ne craignait pas qu'ils soient tués, non, mais elle sentait

planer un danger, et pour la première fois depuis l'assassinat de Rowan Lindley, elle

doutait d'être en sécurité à Erne Rock.

Elle se tourna vers Rory.

— Est-ce qu'ils ne risquent rien?

— Non, mais ils ne peuvent emmener beaucoup d'hommes avec eux, milady, répondit-il.

Cela passerait pour une déclaration de guerre. Prenez seulement quelques hommes de

notre clan, my lord, comme pour un voyage normal.

Le duc de Glenkirk acquiesça.

— Vous devez les accompagner, dit Jasmine à Rory.

— Non, Jasmine, intervint le duc. C'est un MacGuire, et peu importe que cette terre

t'appartienne, ma chérie. S'il entre à Lisnaskea après un tel massacre, cela apparaîtra

comme une provocation. Et puis, je veux que Rory reste ici au cas où des problèmes

surviendraient.

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— Que s'est-il passé? Les interrompit Fortune en jaillissant dans la pièce. Rois me dit que

les protestants ont tué tous les catholiques de Lisnaskea. Et qu'ils se dirigent vers

MacGuire's Ford pour nous régler notre sort!

— Seigneur ! jura Rory. Je ferais bien d'aller calmer les villageois avant que ce ne soit la

panique générale. Avec votre permission, bien sûr, milady, ajouta-t-il en s'inclinant

devant la duchesse.

— Allez, Rory. Et vous aussi, ajouta-t-elle à l'adresse de son mari et de son beau-fils.

Fortune, viens avec moi, je vais t'expliquer. Biddy, vous restez ici, au château, si vous

voulez avoir la vie sauve. Adali va vous apporter un repas et vous trouver une chambre.

Vous devez être épuisée.

— Merci, madame la duchesse, répondit Biddy avant de se tourner vers MacGuire. Vous

aviez raison, monsieur. Tous les protestants ne se ressemblent pas.

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CHAPITRE 12

Le duc de Glenkirk et Kieran chevauchèrent jusqu'à Mallow's Court, et y furent accueillis

par lady Jane en personne.

— Comment osez-vous entrer dans cette maison après ce que cette sale papiste a fait à

mon mari ! Aboya-t-elle en fusillant son beau-fils du regard.

Le duc tendit la main vers Kieran pour l'inciter à garder son calme et répondit à sa place :

— Nous venons d'apprendre ce qui s'est passé à Lisnaskea la nuit dernière et nous

sommes venus aussi vite que possible pour nous assurer que sir Shane allait bien,

madame.

— Il est entre la vie et la mort, rétorqua-t-elle. Sa catin a essayé de l'assassiner, mais

William est parvenu à sauver son père.

— Vraiment? Nous aimerions voir sir Shane, madame. Vous comprendrez que Kieran

s'inquiète pour son père, je présume. Nous avons entendu une tout autre version des

événements de Lisnaskea.

— L'état de mon mari ne lui permet pas de recevoir de visites. Revenez une autre fois,

my lord.

James Leslie réfléchit. Il n'y avait personne d'autre dans la maison et il savait que

Mallow's Court ne possédait pas d'hommes en armes.

— Comme je viens de vous le dire, madame, j'ai entendu une version des faits différente.

Nous voulons voir sir Shane maintenant afin de nous assurer qu'il est bien vivant. Alors,

soit vous nous emmenez immédiatement jusqu'à lui, soit j'ordonne à mes hommes de

fouiller la maison.

Jane Devers était pressée qu'ils partent pour faire descendre ses bagages, mais elle n'osa

pas se dresser contre l'autorité du duc, même si William avait affirmé qu'il ne fallait pas

déranger son père. Elle n'avait pas vu son mari depuis qu'il l'avait ramené.

— Mon fils a enfermé son père dans sa chambre pour assurer sa sécurité et il est parti

avec la clé.

— Montrez-moi où se trouve cette chambre, exigea le duc. Nous défoncerons la porte,

madame. Comment avez-vous pu permettre que votre mari soit traité d'une façon aussi

outrageante dans sa propre maison ? N'êtes-vous pas la maîtresse des lieux ?

Rouge d'exaspération, Jane Devers conduisit les deux hommes jusqu'à la chambre de son

époux, s'étonnant que son beau-fils soit resté aussi silencieux pendant cet échange.

William l'avait prévenue qu'il allait se précipiter à Mallow's Court pour raconter des

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histoires de son invention, mais il n'avait rien dit du tout. Toutefois, son silence et

l'expression de son regard laissaient deviner l'ampleur de sa colère.

— Il est là, fit-elle en s'arrêtant devant une porte.

Sans un mot, Kieran l'ouvrit d'un puissant coup d'épaule et s'engouffra à l'intérieur avec le

duc. Sir Shane était allongé sur son lit, bâillonné, pieds et poings liés. Les deux hommes

s'empressèrent de le détacher et l'aidèrent à s'asseoir. Il portait une ecchymose à la tempe

et du sang séché maculait ses cheveux.

— Père ! s'écria Kieran en l’étreignant.

— Il a tué Molly! s'écria sir Shane. Il me l'a dit. Molly et mes deux filles! Seigneur! Qu'il

soit maudit!

— Nous sommes au courant, répondit sombrement Kieran. Biddy a réussi à se cacher et

elle est venue à Erne Rock nous prévenir.

— Il a tenté de me tuer, et il aurait achevé le travail si vous ne vous étiez inquiété de

moi. Merci.

— Que dis-tu ? Caqueta Jane Devers. Comment peux-tu accuser ton propre fils d'un acte

aussi grave que le parricide ?

— Ton fils a tué de sang-froid la femme que j'aimais ainsi que nos deux filles, ses demi-

sœurs, répondit-il d'une voix glaciale. Il s'en est ensuite pris à moi, mais quand il a vu que

je n'étais pas mort et qu'il ne pourrait faire porter le chapeau de ce crime aux catholiques

de Lisnaskea, il m'a ramené ici en me promettant de me tuer dès son retour, pour entrer

en possession de son héritage plus tôt que prévu. Ton fils est une bête nuisible, et j'ai

l'intention de le chasser de ma maison.

— Tu as été blessé à la tête, très cher, tu as sûrement mal interprété les paroles de notre

William. Il ne te ferait jamais le moindre mal, Shane.

Elle tendit la main vers lui, mais il la repoussa.

— Je ne suis pas blessé au point de n'avoir pu entendre ton fils se vanter du sort qu'il

avait fait subir à Molly et à ses filles. Maeve avait dix-sept ans et Aine, à peine quatorze.

Elles devaient partir avec Kieran et sa femme pour gagner l'Angleterre puis le Nouveau

Monde. Nous savions qu'elles n'avaient aucun avenir en Ulster. Quel mal ont-elles fait

pour que William les assassine ainsi, de sang-froid ? Sans remords ? Deux jeunes filles

innocentes ! Maudit soit le jour où je t'ai épousée et amenée ici ! Maudit soit le jour où

ton corps dénué de passion a donné naissance à ce fils. C'est un monstre !

— Non! Se récria-t-elle. S'il a tué cette femme, c'était pour sauver mon honneur! Non

seulement elle était ta maîtresse, mais elle était catholique ! Et ces deux filles que tu lui as

faites paradaient sans vergogne au village, me couvrant de honte. On me plaignait pour

tes écarts, et sans la bonté du révérend Dundas j'aurais été la risée de tout Lisnaskea. Et

maintenant, le pauvre James est mort avec sa femme et ses enfants, et tu peux remercier

tes bons amis les papistes !

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— Je suis convaincu que c'est Dundas qui a encouragé les massacres de cette nuit et qui

s'est servi de votre fils pour accomplir ces meurtres à votre demande, intervint Kieran.

Willy n'est pas assez intelligent pour avoir agi de lui-même, madame, mais il est sûrement

assez pervers pour se laisser influencer. Je vois que sa femme et vous avez su réveiller ses

bas instincts. Mais qu'espériez-vous obtenir par vos méfaits accomplis au nom de Dieu ?

— Je ne veux pas que des catholiques risquent de déteindre sur mes enfants ! s'écria

William Devers qui venait de faire irruption dans la pièce. Ma femme attend un bébé et il

était temps que ces papistes de malheur déguerpissent.

Ses yeux de glace firent le tour de l'assistance.

— Ah, père, je vois que vous vous êtes levé !

— Tu n'es plus mon fils! Jeta froidement Shane. Sors de cette maison immédiatement et

n'y remets plus jamais les pieds.

— Quoi? Ricana William. Vous voulez me chasser de ma maison natale ? Et ma petite

femme qui va bientôt vous donner votre premier petit-enfant, papa, vous l'oubliez?

— Emmène-la avec toi, et ton odieuse mère aussi par la même occasion ! Je ne

supporterai pas que celui qui a tué ma Molly et nos filles reste dans ma maison une

minute de plus !

Fou furieux, Shane se rua sur son fils et lui décocha un coup de poing qui l'envoya rouler

au sol. Surpris, William lutta pour se relever, aidé par sa mère.

— J'ai seulement tiré sur votre roulure et sa fille aînée, lança-t-il avec cruauté. La plus

jeune, je lui ai fait sa fête, si vous voyez ce que je veux dire. Je voulais que mes hommes

en profitent mais ils ont été appelés chez ce pauvre vieux Dundas dont la maison brûlait.

J'ai dû lui trancher la gorge, à cette gamine. Je me demande si elle aimait le sexe autant

que sa mère, acheva-t-il en souriant à son père.

— Tu as... violé ta demi-sœur! Balbutia son père, au comble de l'horreur.

— Oh, mais je ne la considère pas comme une parente, vous savez ! Je ne crois pas que

votre traînée pouvait savoir qui était le père de ses enfants.

Il sourit de nouveau à Shane qui semblait sur le point de suffoquer. Ce dernier sentit une

pulsation sourde lui marteler les tempes. Sa vision s'obscurcit brusquement et une

violente douleur lui traversa le crâne. Il s'effondra sur le sol. Il allait mourir, il le savait.

Juste avant de rendre son dernier soupir, il chercha son fils aîné du regard et trouva la

force d'articuler:

— Pardonne-moi, Kieran...

Un long silence suivit que William Devers finit par rompre :

— Eh bien, c'est comme ça, qu'y pouvons-nous? Sors de chez moi, Kieran, et ne t'avise

pas de revenir. Tu es prévenu. Je me suis occupé des catholiques de Lisnaskea, la

prochaine fois, j'irai à MacGuire's Ford.

James Leslie attrapa le jeune homme au collet.

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— Je ne vous le conseille pas, William Devers, gronda-t-il. Mettez un pied, vous ou vos

larbins, sur les terres de ma femme, et je vous en chasserai sans pitié. Je ne peux pas vous

empêcher de semer le trouble ici, mais ne vous avisez pas d'essayer d'en faire autant à

MacGuire's Ford. Croyez-moi, il vaudrait mieux pour vous que vous ne m'ayez pas

comme ennemi. Je n'ai eu qu'un mot à dire au roi James pour qu'il approuve le transfert

des terres de ma femme à mes fils. Vous seriez fou d'imaginer une seule seconde pouvoir

les déposséder de leurs biens. Car je m'empresserais alors d'utiliser cette excuse pour vous

tuer. Je tiens à vous dire que je vous considère comme responsable de la mort de sir

Shane, sir William. Essayez de faire porter la faute à quelqu'un d'autre et je ferai en sorte

que le monde entier apprenne la vérité. Dans l'intérêt de votre frère, et par respect pour

le nom des Devers qui était celui d'une famille respectable jusqu'ici, je me tairai pour

l'instant. M'avez-vous bien compris, sir William ?

Il le lâcha en le poussant loin de lui avec dégoût.

William regarda le duc, à demi effrayé. Puis il tourna sournoisement les yeux vers son

frère. Ce dernier était agenouillé près de son père, il le tenait dans ses bras et pleurait en

silence. «Je suis maintenant le maître de Mallow's Court», songea William, et cette idée fit

courir en lui un frisson de plaisir. A cet instant, Kieran releva la tête et le considéra avec

un mélange de colère et de pitié.

— Ne me regarde pas comme ça ! cria William.

— Que Dieu te vienne en aide, Willy ! répondit son frère aîné d'un ton las. Pour rien au

monde je ne voudrais avoir de tels péchés sur la conscience.

— Dehors! Fiche le camp d'ici, sale bâtard de papiste !

Kieran reposa doucement le corps sans vie de son père, se leva et envoya son poing dans

la figure de son frère qui se retrouva à terre pour la deuxième fois. Sa mère se précipita

vers lui.

— Je te poursuivrai en justice, Kieran Devers !

— Oh oui, madame, je vous en prie ! Je leur dirai la vérité sur ce qui s'est passé la nuit

dernière à Lisnaskea. Beaucoup de vos amis protestants seront ravis de faire porter la

responsabilité des horreurs commises cette nuit à votre fils. Willy n'a jamais été très aimé.

Les autorités ne croiront peut-être pas les catholiques, mais moi, ils me croiront, ainsi que

leurs compagnons protestants. A présent, je vais au village récupérer les corps de mes

demi-sœurs et de leur mère afin qu'elles aient des funérailles décentes. Essayez de m'en

empêcher, vous ou ce chien, et je vous tue. Ai-je été assez clair, madame ? Willy ? ajouta-

t-il en donnant un coup de pied à son frère.

Celui-ci parvint à grommeler une sorte de oui inarticulé.

— Bien ! fit Kieran. Madame, je serai à l'enterrement de mon père. N'essayez pas de m'en

empêcher ou vous le regretteriez.

Sur ce, il tourna les talons et quitta la pièce.

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James Leslie lui emboîta le pas. Son beau-fils était beaucoup plus dur et maître de lui qu'il

ne l'aurait cru. Tant mieux, car la vie ne serait pas facile dans le Nouveau Monde.

Kieran l'attendait dehors.

— Croyez-vous qu'ils vous préviendront, pour l'enterrement, mon garçon ?

— Non, mais j'ai des alliés dans la maison qui s'en chargeront à leur place.

— Je vous accompagne à Lisnaskea pour chercher les corps de ces trois malheureuses.

— Je vous en serais reconnaissant, et merci pour votre aide, my lord.

Le village n'était plus qu'un amas de ruines. L'odeur de la mort flottait partout. Pourtant,

les gens commençaient déjà à nettoyer pour rebâtir. Les familles catholiques qui avaient

survécu étaient enfermées dans un enclos à bétail. Atterré, James Leslie exigea qu'elles

soient libérées sur-le-champ.

— Que diable aviez-vous l'intention de faire de ces gens ? demanda-t-il avec colère.

— Sir William a dit qu'ils devaient mourir, répondit Robert Morgan, le maréchal-ferrant.

La plupart des gens séquestrés étaient des femmes, des enfants et des vieillards.

— Ouvrez ces maudites grilles, laissez ces gens récupérer ce qui leur appartient, si

toutefois il reste quelque chose, et permettez-leur de quitter le village. Avez-vous perdu

la tête au point de croire que le Seigneur approuve ces massacres et toute cette violence ?

— Mais, my lord, ce sont des papistes, et Dieu ne reconnaît pas les papistes.

— Et qui vous a dit ça? Pour l'amour de Dieu, nous adorons le même Dieu ! Seule la

manière diffère.

— Leur Dieu est une idole, my lord, pas le nôtre.

James Leslie ferma brièvement les yeux. A quoi bon essayer de discuter avec des

demeurés ? Les choses ne changeraient-elles donc jamais ?

— Libérez ces pauvres gens immédiatement! Jeta-t-il froidement. Mon autorité dépasse

de loin celle de votre maudit sir William, alors faites ce que je vous demande sinon je

brûle ce qui reste de votre village !

Derrière lui, ses hommes toisaient le maréchal-ferrant et ceux qui l'avaient rejoint avec

une détermination égale.

Morgan songea à défier l'Écossais, mais à son grand désarroi, le duc reprit la parole et les

mots qu'il prononça lui glacèrent le sang.

— Aimeriez-vous que vos filles subissent le même sort que la pauvre petite Aine

Fitzgerald, Robert Morgan ?

Ce dernier ne se le fit pas dire deux fois.

— Libérez-les, ordonna-t-il aux autres villageois. Qu'ils prennent leurs affaires et s'en

aillent.

— Et ne les poursuivez pas, les prévint James Leslie. Ce sont des femmes, des gosses et

des anciens. Vous avez vécu des moments importants ensemble, des deuils, des naissances

et des mariages. Rappelez-vous ces temps heureux, et pas la nuit dernière.

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Il laissa six de ses hommes s'assurer que les catholiques quittaient le village en paix et

partit avec Kieran récupérer les corps des Fitzgerald.

Quand ils arrivèrent devant la jolie maison de brique, ils virent que la porte était grande

ouverte. En entrant, ils eurent la surprise de découvrir le père Cullen. Il leur expliqua que

le père Brendan, le prêtre de Linaskeas, avait été assassiné la nuit précédente. Sa mort

avait rendu fous furieux les catholiques qui s'étaient aussitôt vengés.

Jusque-là, ils s'occupaient seulement de se protéger, mais le crime du prêtre avait mis le

feu aux poudres.

— Ces pauvres femmes méritent qu'on prie pour elle, dit le père Cullen. Vous ne pouvez

pas les enterrer ici parce que toutes les sépultures catholiques ont été détruites. Les

ensevelir à MacGuire's Ford serait un rappel terrible de la haine entre protestants et

catholiques. Il faut qu'elles reposent dans un lieu tranquille, sans aucune marque signalant

leur présence. Je consacrerai l'endroit et prononcerai les prières nécessaires. Que vos

hommes les plus sûrs se chargent de cette mission, James Leslie, parce que personne ne

saura plus où ont été enterrées Molly Fitzgerald et ses filles, et quand Kieran sera parti, il

n'y aura plus personne pour les pleurer.

Kieran Devers regarda les deux corps qui gisaient dans le salon. Le prêtre les avait

détachées l'une de l'autre pour les étendre côte à côte sur le sol. Le corsage de Molly était

maculé de sang. La blessure de Maeve, située à l'arrière du crâne, n'était pas visible.

— Où est Aine? demanda-t-il au prêtre.

— Là où William Devers l'a laissée. Biddy l'a couverte avant de partir.

Sans un mot, Kieran monta à l'étage. D'en bas, les deux hommes entendirent ses sanglots.

Quand il redescendit, il portait dans ses bras puissants le corps de sa sœur cadette

enveloppée dans la couverture.

— Willy devra payer pour ce qu'il a fait, articula-t-il calmement.

— Dieu le jugera, mon garçon, et Dieu seul, déclara Cullen Butler. Tu as une femme

maintenant, et un avenir plein de promesses. Ne mets pas en péril ta vie et le salut de

ton âme pour une question de vengeance...

— Vous me dites cela devant le cadavre de cette innocente? Se rebiffa Kieran. Il l'a violée.

Il a violé sa propre sœur! C'était encore une enfant. Ensuite, il l'a égorgée. Comment

pourrais-je jamais pardonner un tel acte de barbarie ?

— Il le faut, Kieran, pour le salut de votre âme. Aine, Maeve et Molly Fitzgerald sont

heureuses dans le royaume de Dieu, désormais. La façon dont elles sont mortes leur a

sûrement épargné le purgatoire. Votre frère répondra de ses crimes en enfer. Il le paiera,

croyez-moi, mais ne vous damnez pas en vous substituant à l'autorité divine. « La

vengeance m'appartient», a dit le Seigneur.

— Enterrons-les, dit doucement Kieran.

— Trouvez un chariot, demanda le duc à l'un de ses hommes.

Peu après, ils emmenaient les trois corps.

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— Un moment, fit Kieran avant de retourner dans la maison.

Il en ressortit quelques minutes plus tard et ils se mirent en route. Ils passèrent à Lisnaskea

afin que le duc puisse s'assurer que le départ des catholiques s'était déroulé sans

encombre. Les hommes de Leslie se joignirent au cortège funèbre qui traversa le village.

Alignés de part et d'autre de la route, les protestants arboraient des visages graves, mais

peu pleuraient. Un tout jeune homme courut soudain derrière le chariot. Quand il vit les

trois femmes, il ne dit qu'un mot : ‘’Aine’’, avant de s'éloigner.

James Leslie arrêta la procession et promena un regard dur sur les villageois.

— Voilà où vous ont mené votre haine et votre intolérance. Puissiez-vous continuer à

vivre, maintenant.

Ils se remirent en route. Au loin flambait la maison de Molly. Kieran y avait mis le feu

afin que ceux qui l'avaient tuée ou avaient assisté au crime sans rien dire ne profitent pas

de ses biens.

A mi-chemin de MacGuire's Ford, ils enterrèrent soigneusement les corps dans un bois de

chênes et de frênes, la mère et ses deux filles de part et d'autre, prenant soin de recouvrir

l'endroit de mousses et de feuilles mortes afin qu'il demeure invisible. Le prêtre prononça

les mots rituels en latin, et Kieran pria avec lui, son beau visage empreint de gravité.

Craignant que son beau-fils n'ait pas vraiment assimilé les paroles du père Cullen sur la

vengeance, le duc décida de le garder à l'œil. Il ne tenait pas à ce que sa fille soit veuve

prématurément.

L'Ulster était décidément invivable, décréta-t-il. Il semblait n'y avoir aucune place pour la

tolérance.

Le soleil venait de se coucher quand le duc et ses hommes arrivèrent à Erne Rock Castle.

Devant la cheminée, Biddy somnolait en compagnie de Jasmine et de Fortune.

La jeune femme bondit sur ses pieds dès qu'elle les entendit pénétrer dans le hall.

— Alors? Vous avez trouvé sir Shane? Mon Dieu, Kieran, tu es livide...

Elle se précipita vers son mari pour l'étreindre.

— Nous avons enterré Molly et les filles.

— Et ton père ?

— Il est mort. Willy l'a tué.

Jasmine poussa un cri étranglé.

— C'est le diable en personne, marmotta Biddy, soudain réveillée. Il finira dans les

flammes de l'enfer, et plus tôt que prévu.

Le duc raconta en quelques mots ce qu'il s'était passé à Mallow's Court. Éclatant en

sanglots, Fortune se raccrocha à son mari.

Les yeux mouillés de larmes, Jasmine posa les mains sur son ventre.

— Quelle tragédie ! murmura-t-elle. Cet homme est fou, de toute évidence.

À cet instant, Rory MacGuire fit son apparition, visiblement très soucieux.

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— Il y a de vraies têtes brûlées parmi les protestants d'ici, annonça-t-il. Le révérend et

moi avons fait notre possible pour calmer les esprits, mais certains jeunes de Lisnaskea ont

distillé leur poison jusqu'à MacGuire's Ford et ils sont en train de monter les gens les uns

contre les autres.

— Les protestants d'ici ne peuvent se comporter comme ceux de Lisnaskea, s'écria

Jasmine. Nous leur avons offert un refuge quand ils se sont retrouvés sans rien, et ils ont

préféré rester ici alors que les Anglais insistaient pour qu'ils retournent en Hollande. Nous

devons préserver la paix à MacGuire's Ford! Je ne laisserai pas l'intolérance détruire

l'héritage de mes fils!

Rory regarda tour à tour Jasmine puis Fortune. Les préjugés à l'origine des massacres de

Lisnaskea étaient les mêmes que ceux qui obligeaient Fortune et son mari à quitter

l'Ulster. À cause d'eux, il finirait sa vie seul, sans jamais connaître le bonheur de voir

grandir ses petits-enfants.

— Les catholiques ne sont pas meilleurs, quand ils s'y mettent, mais je vous jure que je

préserverai la paix ici, milady Jasmine.

— Nous la maintiendrons ensemble, Rory. Nous ne permettrons à personne de détruire

ce que nous avons bâti et que vous avez su protéger durant tant d'années. Cullen,

parlerez-vous à nos gens de nouveau ?

— Oui, cousine, comptez sur moi.

Les jours qui suivirent, un calme presque irréel régna. La duchesse de Glenkirk en

personne s'était rendue dans chaque lieu de culte de MacGuire's Ford afin de proclamer

sa volonté de maintenir la paix à tout prix.

Sir Shane fut enterré sans incident, Colleen Kelly et son mari dressés tel un rempart entre

lady Jane, William, Emily Anne d'un côté et Kieran, Fortune et les Leslie de l'autre.

Colleen avait dit sans détour à son demi-frère qu'elle ne lui pardonnerait jamais ce qu'il

avait fait à leur père et aux Fitzgerald.

— Tu as toujours été de leur côté, avait rétorqué ce dernier, plein de fiel. Dorénavant, tu

n'es plus la bienvenue à Mallow's Court, et ta famille non plus.

— Tu es irrécupérable, mon pauvre William, avait-elle répliqué calmement.

Malgré les rumeurs et les tentatives malveillantes de certains, la paix perdura à

MacGuire's Ford. Plusieurs survivants de Lisnaskea vinrent se réfugier chez des membres

de leur famille, ce qui inquiéta les protestants qui redoutaient qu'ils ne veuillent se

venger.

Kieran eut alors une idée. Le duc lui ayant expliqué qu'il serait d'autant mieux accepté

dans l'expédition de lord Calvert s'il avait ses propres vaisseaux et des hommes

susceptibles d'aider à bâtir la nouvelle colonie, il suggéra d'emmener quelques Irlandais et

Irlandaises choisis parmi ces catholiques réfugiés.

Fortune trouva l'idée excellente, d'autant plus qu'elle avait deux vaisseaux à sa

disposition : le Rose de Cardiff et le Highlander, actuellement à l'ancre en Méditerranée.

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— Je pourrais acheter mon propre bateau, avait protesté Kieran.

— Voyons, mon chéri, l'avait-elle raisonné. Nous aurons besoin de ton argent pour

équiper nos vaisseaux. Au cas où tu aurais des scrupules, tu pourras me payer un loyer

pour la location de mes bateaux.

— Cela me paraît sage, intervint le duc. Acquérir un nouveau bateau est toujours

hasardeux, alors que les nôtres sont entre de bonnes mains et bien entretenus.

— Et le Rose de Cardiff possède la plus belle cabine de maîtres qui soit, glissa Fortune à

son mari, les yeux brillants.

— Désolé de briser tes rêves romantiques, mais dans ce genre d'expédition, les femmes ne

sont censées rejoindre leur mari qu'après leur installation.

— C'est ridicule! s'écria Fortune.

— Mais tu n'auras sûrement pas le choix.

— Eh bien, nous n'irons pas, décréta-t-elle fermement.

— Et où habiterez-vous ?

— Nous achèterons une maison près de Cadby ou de Queen's Malvern. Ou même près

d'Oxton, ce qui me permettrait de me rapprocher de ma sœur India.

— Avec ton mari catholique ? fit le duc.

— Ô Seigneur! Se rembrunit Fortune, se rendant compte qu'il avait raison. J'avais oublié

qu'en Angleterre, les puritains étaient aussi dangereux que les protestants en Ulster, dès

lors qu'il s'agissait des catholiques... Nous pourrions aller en France ou en Espagne ?

— Parce que tu y serais mieux accueillie peut-être ? remarqua Kieran. Non, ma chérie, si

nous voulons vivre en paix, nous devrons gagner le Nouveau Monde, et si lord Calvert

veut bien de moi, je partirai en éclaireur avec les autres hommes.

Les protestations de Fortune furent interrompues par l'arrivée d'Adali.

— Le père Cullen vient de nous informer qu'un groupe de cavaliers se dirigent vers

MacGuire's Ford. Ils viennent apparemment de Lisnaskea et ils sont nombreux, my lord.

Votre dispositif est en place.

— Quel dispositif? demanda Jasmine à son mari.

— Le dispositif de défense du village et du château, lui répondit son mari. Nous ne

pouvons laisser ces illuminés de Lisnaskea détruire MacGuire's Ford. Je dois rejoindre mes

hommes, ajouta-t-il en se levant.

— Je t'accompagne! lança Jasmine en se levant à son tour, tant bien que mal. Ces terres

sont toujours à moi, après tout, et il est important que l'on me voie, en ces circonstances.

James tenta de la raisonner, mais il savait qu'elle avait raison. De toute façon, il ne

parviendrait pas à la faire changer d'avis. Il acquiesça donc.

— Nous venons aussi, déclara Fortune.

Le duc de Glenkirk éclata de rire, mais ne s'y opposa pas. L'instant d'après, ils arrivaient

sur la place de MacGuire's Ford. Le révérend Steen, le père Cullen et les chefs de village,

protestants et catholiques, les attendaient.

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Toutes les maisons avaient été soigneusement barricadées. Les rues étaient désertes sous le

ciel plombé. A l'ouest, les lueurs rougeoyantes du couchant avaient réussi à trouer la

chape nuageuse et incendiaient l'horizon. Pas un souffle de vent. Pas un chant d'oiseau.

Seule la rumeur sourde des cavaliers qui se rapprochaient rompait le silence.

Ils entrèrent dans MacGuire's Ford, William Devers à leur tête, monté sur un beau cheval

bai. Derrière lui, les hommes munis de torches arboraient des visages impitoyables. Ils

s'immobilisèrent à quelque distance et leur chef continua seul. Il s'arrêta devant le duc et

sa femme.

— Si vous venez avec des intentions pacifiques, sir William, soyez le bienvenu, dit

Jasmine. Si ce n'est pas le cas, je vous prie de faire demi-tour.

Il l'ignora et s'adressa à James Leslie avec mépris.

— Auriez-vous l'habitude de laisser parler les femmes à votre place, my lord ?

James Leslie eut un rire moqueur.

— MacGuire's Ford et son château appartiennent à ma femme, sir William. Je ne vois pas

pourquoi je parlerais à sa place quand il s'agit d'affaires concernant son domaine, pas plus

qu'il ne lui viendrait à l'idée de parler pour moi quand il s'agit de mes terres. À présent,

monsieur, mon épouse vous a posé une question. Auriez-vous l'obligeance d'y répondre?

Mais peut-être que votre mère a négligé de vous enseigner les bonnes manières.

William rougit. Il n'aimait pas se voir remis à sa place devant ses hommes. Un ou deux

ricanements s'élevèrent derrière lui mais il était trop fier pour se retourner.

— Nous sommes venus chercher vos catholiques. Nous voulons nettoyer MacGuire's

Ford de sa vermine. Si vous nous les livrez, nous repartirons comme nous sommes venus.

— De quel droit osez-vous formuler une requête pareille sur mes terres? S’éleva la

duchesse. Quittez les lieux immédiatement, vous et vos semblables. Je ne suis pas comme

Pilate, prête à trahir des innocents et à les livrer à une bande d'intolérants sanguinaires !

Elle s'avança vers lui la tête haute, obligeant le cheval à reculer.

— Il y a dix ans, les catholiques de chez nous ont accueilli des protestants qui n'avaient

nulle part où aller. Ils leur ont construit un temple et, depuis, ils vivent ensemble et en

paix. Vous êtes bien présomptueux pour vous croire autorisé par Dieu à venir répandre le

sang et à semer le chaos ici, à la veille de la Toussaint. Vous me faites plutôt l'effet d'un

disciple du diable. Retournez d'où vous venez, sinon j'envoie mes chiens et mes hommes.

— Je ne repartirai pas sans ce que je suis venu chercher, madame. Fouillez les maisons et

amenez tous les catholiques ici ! ordonna-t-il à sa troupe.

A ce moment-là, les cloches des deux sanctuaires, le temple et l'église, se mirent à

carillonner de concert. Les portes des deux lieux saints, situés chacun à un bout du village,

s'ouvrirent, laissant le passage à la population de MacGuire's Ford qui entoura

promptement les hommes de Lisnaskea. Leurs armes étaient des plus hétéroclites:

tromblons, faux, poêles à frire, pots de fer...

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— Nos gens ne vous permettront pas de les dresser les uns contre les autres, lança

Jasmine à William. Nous adorons tous le même Dieu.

— Écoutez-moi tous ! clama son adversaire du haut de sa monture. Comment pouvez-

vous vivre à côté de ces sales papistes, hommes de MacGuire's Ford? Nous avons lavé

Lisnaskea de leurs semblables et nous sommes venus vous aider à faire de même chez

vous ! Rejoignez-nous !

Le révérend Steen prit la parole :

— Nous ne vous suivrons pas, William Devers. Rentrez chez vous !

— Auriez-vous rejoint la légion des damnés, Samuel Steen ? rétorqua celui-ci.

Le ministre protestant lui rit au nez.

— Pour qui vous prenez-vous pour vous permettre de me juger, moi et les miens, vous

qui avez piétiné plus d'un commandement de Dieu. Tu ne tueras point! Tu ne

convoiteras pas la femme de ton prochain ni ses biens! Honore ton père et ta mère! Vous

n'êtes pas un vrai chef mais un parjure et un usurpateur! Dehors!

William Devers éperonna soudain son cheval qui bondit en avant, heurtant Jasmine et le

révérend qui se retrouvèrent à terre. Un cri outré s'éleva chez les gens de MacGuire's

Ford, suivit aussitôt d'un coup de feu. Les yeux écarquillés de stupeur, William Devers

bascula de sa monture et s'effondra sur le sol.

— Ils ont tiré sur sir William ! cria un de ses hommes. Nous devons le venger !

— Non, ce ne sont pas les gens de MacGuire's Ford qui lui ont tiré dessus. C'est moi,

lança une voix dans les rangs de ceux de Lisnaskea.

Un tout jeune homme s'avança.

— C'est Bruce Morgan, le fils du maréchal-ferrant, s'écria quelqu'un.

Le révérend Samuel Steen se remit debout tandis que le duc aidait sa femme à en faire

autant.

— Pourquoi ? demanda le pasteur en désarmant le jeune homme.

— À cause d'Aine ! Nous voulions nous marier. Nous nous aimions.

— Parce que tu crois que je t'aurais laissé épouser cette traînée catholique ? Rugit Robert

Morgan, sortant du groupe. Regarde ce que tu as fait, pauvre imbécile ! Tu as tué notre

chef! Tu n'es plus mon fils !

— Sir William était un homme malfaisant, rétorqua le jeune homme. Et j'aurais épousé

Aine, avec ou sans ton consentement. Je me moquais de sa religion. C'était elle qui

comptait !

Un faible gémissement s'éleva alors et le révérend Steen s'écria :

— Sir William n'est pas mort !

Profitant de la distraction générale, Kieran s'approcha du jeune Morgan.

— Cours jusqu'au château, mon garçon. Dépêche-toi avant qu'ils ne se souviennent de

toi. Sir William ne te le pardonnera pas. Vite !

Le jeune homme le dévisagea un instant, reconnaissant, puis s'esquiva promptement.

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— Qu'on lui trouve une civière et qu'on fasse venir un médecin, ordonna la duchesse. Je

ne veux pas de lui chez moi, mais vous pourrez peut-être l'héberger chez vous en

attendant qu'il soit en état de voyager, révérend ?

La duchesse se redressa, surmontant tant bien que mal la douleur qui lui vrillait les reins.

— Hommes de Lisnaskea, y en a-t-il parmi vous qui auraient vu Bruce Morgan tirer sur

William Devers ? Je ne sais, mais je vous en prie, dans l'intérêt de son père, gardez le

silence. Vous ne verrez plus jamais ce jeune homme, et quand sir William et sa famille

chercheront le coupable, il aura quitté l'Ulster depuis longtemps. Ce n'est qu'un enfant et

il aimait une jeune fille qui a été violée puis assassinée par sir William. N'ajoutez pas vos

péchés à ceux de William Devers et de ce garçon. A présent, rentrez chez vous. Je ne

permettrai pas que vous semiez la terreur à MacGuire's Ford.

Jasmine les toisa sans ciller jusqu'à ce que, lentement, ils commencent à rebrousser

chemin. La duchesse laissa alors échapper un cri et tomba à genoux.

— Ton enfant est en avance, Jemmie, articula-t-elle, les dents serrées.

— Maman! s'écria Fortune en se précipitant vers sa mère.

Sans attendre, James Leslie écarta sa belle-fille, souleva la duchesse dans ses bras et

traversa le village à grandes enjambées en direction du château.

Les voyant pénétrer dans le vestibule, la vieille Biddy se précipita à leur rencontre.

— Avez-vous une table d'accouchement, my lord?

Rohana arriva en courant.

— Je m'occupe de milady. J'ai l'habitude !

— Tu laisseras Biddy prendre soin du bébé après la naissance, lui murmura Jasmine, qui

ne voulait pas que la vieille dame se sente offensée. En attendant, elle peut t'aider. Elle a

de l'expérience. Seigneur! Cet enfant-là a décidé de naître sans tarder. Elle n'est pas

comme toi, ma Fortune, qu'il avait fallu retourner pour que tu puisses venir au monde

dans le bon sens. Ah ! Je sens sa tête !

Sans hésiter, James Leslie déposa sa femme sur la grande table et lui tint les épaules pour

que les femmes s'occupent d'elle. Déjà, sa femme haletait, en plein travail.

— Rohana?

La femme de chambre souleva les jupes de sa maîtresse pour faire le point sur la

situation.

— Vous avez raison, milady, je vois le crâne. À la prochaine contraction, poussez ! Oh ! Il

est presque là. Doux Jésus, je n'ai jamais vu un bébé naître aussi vite, ma princesse. Ohhh!

Rohana saisit l'enfant qui glissa aisément entre les jambes de sa mère et se mit à crier

presque immédiatement en agitant vigoureusement ses petits poings.

— Qu'est-ce que c'est? demanda Jasmine, à bout de souffle.

— Une fille! annonça James Leslie, tout heureux. Une adorable fillette avec un sacré

tempérament !

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— Tu vois, mon Jemmie, tu voulais une autre fille à gâter, et quand tu veux quelque

chose, nom d'un chien !

Fortune, qui venait d'assister à la naissance éclair de sa petite sœur, demeurait immobile,

totalement fascinée.

— Je crois que c'est ma chute de tout à l'heure qui a hâté la naissance, lui expliqua sa

mère. Quoique, vu sa façon de crier, cette petite soit déjà pleine de vigueur.

— Une bien belle enfant, commenta Biddy en déposant le bébé enveloppé d'un linge

dans les bras de sa mère. Une fille de la Samhein, le premier jour de novembre !

— Comment allons-nous l'appeler? demanda James à sa femme.

Jasmine réfléchit un moment avant de répondre avec un sourire :

— Automne, parce qu'elle est née à l'automne de ma vie.

Son regard tomba alors sur un vase de roses tardives posé sur un buffet tout proche et

elle ajouta :

— Notre fille s'appellera Automne Rose Leslie.

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TROISIÈME PARTIE

Angleterre et Mary's Land

1632-1635

CHAPITRE 13

Aime Dieu et fais ce qu'il te plaît.

SAINT AUGUSTIN

Sir William Devers survécut à ses blessures, mais perdit à jamais l'usage de ses jambes. Dès

qu'il fut transportable, on le ramena à Lisnaskea. Il n'avait que vingt-cinq ans, et de

devoir passer de son lit au fauteuil et du fauteuil au lit le rendait de plus en plus irascible.

Il aurait voulu pouvoir tenir les catholiques pour responsables de son état, mais ce

n'étaient pas eux qui avaient tiré sur lui. Ils lui faisaient face au moment du coup de feu et

on lui avait tiré dans le dos.

Toutefois, s'il n'y en avait pas eu à MacGuire's Ford, il n'aurait pas eu besoin de s'y rendre

et ne serait pas infirme aujourd'hui. En tout cas, tout le monde semblait ignorer l'identité

du coupable. Ainsi raisonnait-il afin d'accuser les catholiques.

Encouragé par sa femme et sa mère, il dressait des plans de vengeance qu'il ne serait

jamais en mesure de mener à bien contre les catholiques en général, son demi-frère

Kieran en particulier, et Fortune, sans la venue de laquelle rien de tout cela ne serait

arrivé. Tout était sa faute.

Personne ne venait plus lui rendre visite ni à lui ni à sa famille. La plupart de leurs

domestiques les quittèrent. Sir William semblait condamné à passer le restant de ses jours

à Mallow's Court avec pour toute compagnie sa mère et sa femme. Afin d'oublier son

malheur et de tuer le temps, il se mit à boire.

À MacGuire's Ford, Automne Leslie grandissait. Sachant qu'elle serait son dernier enfant,

Jasmine se consacrait à elle avec dévotion, refusant même de prendre une nourrice.

Fortune passait beaucoup de temps auprès de sa mère et du bébé qu'elle adorait.

— Elle est si mignonne, s'émerveillait-elle un jour. J'aimerais avoir une petite fille comme

elle... Mais je sais que ce n'est pas le bon moment.

— Vous pourriez peut-être essayer de concevoir un enfant avant le départ de Kieran

pour le Nouveau Monde ? Cela me permettrait d'être avec toi au moment de la

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naissance, et lorsqu'il serait temps pour toi de rejoindre ton mari, votre enfant serait assez

grand pour voyager. Mais attends que nous soyons de retour en Angleterre avant de

prendre ta décision.

Fortune soupira. Elle rêvait d'une vie normale comme celle de sa mère et de sa sœur

India. Une maison, un mari, des bébés. Elle savait que cela arriverait un jour, mais

comme c'était long, se languissait-elle en berçant sa sœur, éblouie par sa beauté si

parfaite. Automne avait les cheveux noirs aux reflets auburn et des yeux tirant déjà sur le

vert, bien qu'elle n'eût que deux mois. Elle fut baptisée par le révérend Steen, Fortune fut

sa marraine et son frère Adam son parrain.

Noël et le Jour de l'an passèrent. L'hiver était rude. Heureusement, la paix semblait

revenue à Lisnaskea, et MacGuire's Ford ne fut pas atteint par la folie meurtrière qui avait

sévi chez ses voisins. A la grande joie de Kieran, plusieurs familles du village émirent le

souhait de se joindre à l'expédition pour le Nouveau Monde, y compris le jeune Bruce

Morgan.

Au mois de mars, les agneaux nés en février envahirent les collines. Le duc commença à

préparer leur départ pour l'Écosse, prévu le 15 mai, le lendemain des quinze ans d'Adam

Leslie. Son frère et lui s'étaient fort bien adaptés à MacGuire's Ford. Le révérend Steen

était devenu leur tuteur, Jasmine avait divisé équitablement le domaine et prévu de faire

construire une maison pour Duncan dès ses seize ans.

Les titres de propriété du roi arrivèrent en avril, et les deux garçons furent anoblis. Adam

devint baron Leslie d'Erne Rock, Duncan Baron Leslie de Dinsmore, du nom de sa future

résidence. Une copie du document officiel fut placardée sur la place du village et Kieran

en emporta une autre à Mallow's Court, afin de la montrer à son demi-frère et à sa belle-

mère.

Jane Devers lui réserva un accueil glacial.

— On vous avait prié de ne plus venir ici, jeta-t-elle d'emblée.

— Ce sera ma dernière visite, madame, soyez sans crainte. J'aimerais voir William ainsi

que votre belle-fille.

Jane Devers le conduisit dans un salon situé à l'arrière de la maison. William Devers était

assis dans un fauteuil capitonné.

— Kieran ! s'écria-t-il d'un ton presque joyeux.

— Désolé d'arriver ainsi à l'imprévu mais je craignais de n'être pas reçu en m'annonçant

au préalable. Je t'ai apporté une copie du titre de propriété royal de MacGuire's Ford,

dit-il en tendant le document à son demi-frère. Tu noteras le caractère officiel de ce

partage, ainsi que l'anoblissement des deux Leslie. Erne Rock et ses terres appartiennent

désormais à deux lords protestants dont le tuteur n'est autre que le révérend Steen.

— Mais MacGuire est toujours là-bas, n'est-ce pas ? rétorqua William.

— Oui, et il le restera jusqu'à sa mort. Il ne fait de tort à personne et il connaît les

chevaux comme personne. Il est très utile.

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— Il est catholique, s'entêta le jeune homme.

— Pas ses maîtres. Ne traite pas les fils Glenkirk à la légère, Willy. L'Ecosse n'est pas si loin

et James Leslie te tuerait.

— Je préférerais être mort, répliqua son frère amèrement. Je ne sens absolument plus

rien au-dessous de la taille. Les médecins affirment que l'enfant que porte Emily Anne sera

le seul. Et si ce n'était pas un garçon ? Je passe mes journées assis là, avec ma mère et ma

femme pour toute compagnie. Leur gentillesse et leur grandeur d'âme me rendent

malade. Sais-tu qu'en dehors de mes jambes et de mon sexe mort, je suis en pleine santé ?

Je risque de vivre plus longtemps que toi, qu'est-ce que tu dis de ça ?

— Désolé, Willy, mais tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Si les protestants de

Lisnaskea t'ont abandonné à ton sort, c'est que ta vue leur rappelle non seulement ce

qu'ils ont fait à leurs voisins et amis, mais également ce que toi tu as fait à ta demi-sœur.

Franchement, Willy, tu n'as eu que ce que tu méritais.

— Tu plains une bâtarde mais pas ton propre frère ! Tu es vraiment un salaud ! Fulmina-

t-il. Heureusement que notre père est mort, parce que je n'aurais pas supporté qu'il te

rende ton héritage.

— Je ne l'aurais pas accepté, Willy. L'Ulster est une terre de souffrance pour moi. Je ne

m'y sens pas chez moi. Tu peux garder Mallow's Court. Adieu.

— Qu'êtes-vous venu faire ici ? demanda Emily Anne en entrant dans la pièce avec sa

belle-mère.

Sa grossesse était visiblement très avancée, et Kieran se demanda s'il s'agissait d'un garçon

ou d'une fille, et s'il saurait jamais.

— Bonjour, madame, fit-il en s'inclinant. J'ai apporté une copie des titres de propriété de

MacGuire's Ford et des dispositions légales émanant du roi.

Il prit le document des mains de son frère et le tendit aux deux femmes.

— Quand vous en aurez pris connaissance, je le récupérerai. Je suis également venu vous

faire mes adieux. Mon épouse, les Leslie et moi-même partons pour l'Ecosse à la mi-mai

et il est peu probable que je revienne un jour en Ulster.

Les deux femmes lurent le document avec une grande attention avant de le rendre à son

propriétaire.

— Je vois que lady Jasmine ne nous avait pas menti, commenta Jane Devers.

— Ce n'est pas dans ses habitudes, riposta Kieran.

Comme il n'avait plus rien à leur dire, il s'inclina de nouveau brièvement et quitta

définitivement la maison de son enfance. Arrivé au sommet de la colline, il se retourna

pour la regarder une dernière fois. Il ne la reverrait plus jamais.

A la fin du mois d'avril, Kieran apprit que sa belle-sœur avait donné naissance à une fille

prématurée qui fut baptisée Emily Jane. L'enfant et la mère se portaient bien. Il fit porter

à sa nièce qu'il ne connaîtrait sans doute jamais une tasse et une cuillère en argent.

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— Il serait peut-être temps que nous songions à avoir un enfant, nous aussi? Risqua

Fortune. Nous allons devoir nous y employer sans relâche, je le crains, car tu m'as

beaucoup négligée, ces dernières semaines.

La jeune femme se trouvait dans une immense baignoire en chêne, devant la cheminée.

Avec un petit rire, Kieran ôta ses vêtements, se préparant à la rejoindre. Elle était

adorable avec ses cheveux relevés au sommet du crâne et ses joues rosies par la chaleur

ambiante.

— Il faudra que nous pensions à emporter une baignoire aussi grande, dans le Nouveau

Monde, déclara-t-il. Je suis prêt à renoncer à beaucoup de choses pour vivre en paix,

mais pas à nos bains, très chère.

Fortune éclata de rire.

— Heureusement que nous ne sommes pas des puritains. Il paraît qu'ils considèrent les

bains comme un grave péché de la chair. D'ailleurs, il vaut mieux ne pas s'approcher trop

près de certains de ces messieurs de la Cour. Doucement, Kieran, prends garde de ne pas

envoyer d'eau partout.

Il haussa les sourcils et se glissa dans l'eau avec aisance.

— Tu ne sais donc pas que j'ai été un phoque dans une autre vie? Je suis lisse et lustré...

— Hmm... Je ne demande qu'à toucher, fit-elle en se tendant la main.

Aussitôt, Kieran sentit son sexe durcir, d'autant qu'elle s'arrangeait pour que les pointes de

ses seins frôlent son torse. Elle laissa ses mains courir sur ses épaules et sa poitrine avec

une lenteur étudiée, descendit vers ses hanches, son ventre...

— Retourne-toi, murmura-t-il d'une voix rauque.

Elle lui obéit, et il lui saisit les seins à pleines mains, les pétrissant, en agaçant la pointe du

pouce tout en lui mordillant la nuque. Puis il lui encercla la taille du bras, l'attirant plus

près encore, et glissa la main sous l'eau jusqu'à son bouton d'amour qu'il se mit à titiller

sans merci. Elle était en feu et il partageait son excitation.

La baignoire était assez grande pour ce qu'il avait en tête, alors il la courba en avant, son

visage presque au ras de l'eau, et lui agrippa les hanches avant de s'enfoncer en elle, lui

arrachant un petit cri de surprise, car jamais il ne lui avait fait l'amour de cette façon.

Il entama un lent et délicieux mouvement de va-et-vient, et elle épousa sans tarder la

cadence, son souffle désordonné faisant naître de petits vagues à la surface de l'eau.

— C'est ainsi que les phoques prennent leur femelle, chuchota-t-il contre son oreille. Tu

aimes ?

— Oh, oui, Kieran! Oui!

Pantelante, elle l'encourageait en ondulant des hanches.

N'y tenant plus, il succomba à l'orgasme avec un grognement animal mais resta en elle un

moment avant de la libérer pour sortir de la baignoire. Il la souleva aussitôt dans ses bras,

l'emporta sur le lit et la reprit aussitôt.

Fortune dut se mordre le poing pour étouffer ses cris de plaisir.

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Il faisait froid dans la chambre, mais leurs corps brûlaient de passion. Ils étaient

insatiables, pris d'une frénésie de possession incontrôlable. Fortune enroula ses longues

jambes autour des reins de Kieran, lui mordit l'épaule, lui griffa le dos.

— Oui, Kieran! Encore! Continue...

Il lui obéit avec empressement, s'enfonçant jusqu'à la garde, tandis que des petits cris de

volupté s'échappaient de ses lèvres. Le plaisir qui la ravageait était si total, si intense

qu'elle crut mourir, puis sa vision se troubla et l'extase la transporta aux limites de la

conscience. Son corps submergé par le plaisir semblait léviter au-dessus du lit.

Succombant à ces excès de délices, elle sombra dans un bref sommeil. Quand elle rouvrit

les yeux, elle s'aperçut qu'il était en train de la laver tendrement avec les linges de

l'amour. Elle lui sourit. Leurs regards se soudèrent l'un à l'autre.

— Je ne suis pas rassasié, tu sais...

Il s'inclina sur elle, en appui sur les bras, son sexe au niveau de son visage. Fortune hésita,

puis elle l'effleura doucement des lèvres et le sentit frémir d'anticipation. Le prenant dans

sa main, elle l'embrassa, doucement d'abord, puis plus résolument. Il l'encourageait d'une

voix sourde, et quand sa bouche se referma autour de sa virilité, Kieran ferma les yeux.

Son corps se tendit comme un arc, tandis que la langue de Fortune le caressait, que ses

lèvres humides l'enserraient.

— Seigneur... souffla-t-il.

Elle raffermit ses pressions, entama un doux mouvement de va-et-vient. N'y tenant plus,

il mit un terme à ce baiser intime qui l'avait excitée elle aussi, au plus haut point, et

descendit entre ses cuisses pour lui rendre son baiser.

— Oui, je t'en prie... l'implora-t-elle.

Elle avait un goût de musc et de miel. La petite pointe si sensible palpitait sous sa langue

caressante. Fortune haletait, gémissait, criait, suppliait. Elle était si brûlante, elle

n'attendait plus que lui. Il la pénétra d'un seul coup de reins qui lui coupa le souffle. Puis

il bougea en elle, lentement d'abord, puis de plus en plus vite.

— Je t'aime! Si tu savais à quel point... dit-il avant de s'emparer de sa bouche avec

ardeur.

Ils s'embrassaient à perdre à l'haleine, accrochés l'un à l'autre, emportés dans une danse

primitive éperdue. Jamais encore leur passion n'avait atteint un tel sommet.

Leurs deux corps étroitement emboîtés ondulaient d'un même mouvement. Il sentit le

plaisir monter, monter, jusqu'à un pic aigu, puis se répandre en lui dans un jaillissement

de douceur et de violence mêlées.

— Je t'aime tant, moi aussi, murmura-t-elle ensuite en remontant les couvertures sur leurs

corps alanguis.

Ils se réveillèrent dans la lumière ambrée du petit jour. Le feu s'était éteint et l'eau du

bain depuis longtemps refroidie ne réchauffait plus l'atmosphère de la chambre. Fortune

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éternua. Son mari se glissa hors du lit et tenta de rallumer le feu. Il se mit à éternuer à son

tour.

— Bon sang, voilà que je m'enrhume, moi aussi ! Il faut que je descende chercher des

braises. Celles-ci sont éteintes.

Comme il éternuait à nouveau, Fortune éclata de rire.

— La leçon à tirer de tout cela, mon cher époux, c'est qu'il ne faut pas faire l'amour

quand on est mouillé. On dort ensuite dans un lit humide, par une nuit froide de

printemps, et voilà ! Nous devrions nous rhabiller et descendre prendre une boisson

chaude.

— Entendu, ma chère épouse. Mais sache que je ne regrette rien. Quelle nuit!

Comme il ponctuait sa phrase d'un énième éternuement,

Fortune ne put s'empêcher d'éclater de rire.

La fin du mois d'avril arriva. Plusieurs familles catholiques ainsi que quelques célibataires

avaient décidé de se joindre à l'expédition pour le Nouveau Monde. Il y avait quatorze

hommes au total, des fermiers pour la plupart, excepté Bruce Morgan qui, ayant été

l'apprenti de son père, était un excellent forgeron, un tonnelier, un tanneur, un

cordonnier, deux tisserands, deux pêcheurs et une femme médecin, dame Happeth

Jones, chassée de Enniskillen sous l'accusation de sorcellerie.

— Vous adonnez-vous à la sorcellerie? Lui avait demandé Kieran sans détour.

— Bien sûr que non! s'était indignée dame Jones, une petite brune toute ronde, au visage

doux.

Elle l'avait dévisagé d'un air pénétrant.

— Les ignorants essaient toujours d'expliquer ce qu'ils ne comprennent pas par la

sorcellerie, monsieur. Je suis médecin, car mon père l'était et m'a transmis son savoir. Je

suis aussi une guérisseuse, un don que j'ai hérité de ma mère qui avait le fluide. Ma

réussite à Enniskillen a éveillé la jalousie des deux autres praticiens. Ils ont commencé à

faire courir des rumeurs sur mon compte. Il faut dire que non seulement j'étais meilleur

médecin qu'eux mais j'étais une femme. Or tout le monde sait que les femmes ne sont

bonnes qu'à faire des enfants, s'en occuper et s'acquitter des tâches ménagères, conclut-

elle avec une étincelle malicieuse dans le regard.

— Vous n'êtes pas mariée?

— Je n'aurais pas de temps à consacrer à un mari.

— Jones n'est pas un nom de l'Ulster.

— Mes parents sont originaires d'Anglesey. Mon grand-père était médecin à Beaumaris.

Ma mère est issue d'une famille de marchands qui traitaient avec l'Irlande. Les deux fils de

mon grand-père Jones ont suivi ses traces, mais mon père, le plus jeune, a préféré quitter

Anglesey pour s'établir là où l'on aurait besoin de ses connaissances. Un seul médecin

suffisait à Anglesey. C'est ainsi que je me suis retrouvée à Enniskillen.

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— La vie dans le Nouveau Monde ne sera pas de tout repos, madame Jones. N'avez-

vous personne pour vous accompagner ?

— J'ai Taffy, monsieur. C'est en partie pourquoi j'ai été traitée de sorcière. Taffy est un

nain, muet mais intelligent. Il comprend tout ce qu'on lui dit. Sa mère l'a abandonné

quand elle s'est aperçue qu'il ne grandirait jamais. C'est moi qui l'ai recueilli et élevé

comme s'il avait été mon enfant. Il est devenu mon assistant et mon apothicaire. Et puis il

y a aussi mes chiens. Je n'ai pas de chat pour des raisons évidentes, termina-t-elle avec un

petit rire.

Elle plut tout de suite à Kieran, et il ne douta pas une seconde que Fortune l'aimerait

aussi.

— Vous devez acheter pas mal de choses pour ce voyage, j'imagine. Avez-vous

suffisamment d'argent? Si ce n'est pas le cas, nous vous aiderons. Votre savoir et celui de

votre assistant nous seront très utiles.

— Quand quitterons-nous l'Irlande?

— Ma femme et moi-même partons d'abord pour l'Ecosse, puis pour Londres, quelques

jours après. Je serai présenté à lord Baltimore, qui est à l'origine de cette expédition, et je

me charge de le convaincre de nous emmener. Mes gens resteront en Ulster jusqu'à ce

que je les envoie chercher, soit cet été, soit l'année prochaine. Nous avons des bateaux et

nous pourrons partir directement d'ici. Inutile de passer par l'Angleterre. Les chevaux

voyageront avec les derniers à nous rejoindre.

Adam Leslie fêta son quinzième anniversaire le 14 mai. Il était aussi grand que son père

et, apparemment, apte à suivre sa trace. Cependant, Jasmine préféra le prendre à part

pour lui parler.

— Il est indispensable que tu préserves la paix ici, lui dit-elle. Tu ne dois permettre

aucune persécution, ni d'un côté ni de l'autre. N'écoute jamais ceux qui tenteront de te

faire choisir un camp plutôt qu'un autre. Aucune foi n'est meilleure qu'une autre. Saint

Augustin a écrit: Aime Dieu et fais ce qu'il te plaît. C'est un sage conseil, mon fils. J'espère

que, dans un an, tu iras à Trinity, à Dublin. Aussi longtemps que Rory MacGuire sera là

pour veiller sur tes intérêts, tu pourras suivre tes études en toute quiétude.

— J'ai déjà une éducation suffisante, maman. Duncan aime les livres plus que moi. Je sais

lire et écrire, tenir mes comptes, parler français et italien, bien que je me demande parfois

à quoi cela me sert. Je préfère apprendre à administrer MacGuire's Ford et à élever les

chevaux. Si vous vouliez bien me libérer du tutorat du très bon mais très ennuyeux

Samuel Steen, maman, je vous en serais infiniment reconnaissant.

Sa mère se mit à rire et lui ébouriffa les cheveux.

— D'accord, Adam.

— Duncan sera-t-il sous ma responsabilité ?

Jasmine réfléchit avant de répondre. Duncan n'avait que douze ans.

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— Cullen Butler se chargera de ton frère et, en son absence, Rory MacGuire prendra le

relais. Cela te libérera pour d'autres tâches.

— Mais en cas de problèmes, certains n'apprécieront pas que ce soient deux catholiques

qui aient la charge de l'un de vos fils. Que ferons-nous, alors?

— La décision finale reviendra à ton père qui conserve son autorité. Aucune décision

importante concernant Duncan ne devra être prise sans son accord.

Adam lui sourit.

— Nous avons bien de la chance d'avoir une mère aussi sage.

Rory MacGuire regardait la mère et le fils discuter. Il se demandait s'il reverrait Jasmine

un jour, et leur fille... «Je te connais à peine, lui dit-il secrètement. Et tu me connais

encore moins, ma fille. J'emporterai mon secret dans la tombe. Tu sauras tout le jour où

nous retrouverons au ciel, mais en attendant, tu me manqueras beaucoup, Fortune Mary.

Grâce à toi, je viens de vivre la plus belle année de ma vie. Un jour, il y a longtemps, j'ai

dit adieu à ta mère et je me suis mis à pleurer comme un enfant, tout en me répétant

qu'un homme ne pleurait pas. Je pleurerai encore davantage, cette fois, mais la certitude

de te savoir aimée me consolera. Aimée non seulement par ta mère et par James Leslie,

mais par ce fier Irlandais que tu as épousé, Fortune Mary Devers. Et tout mon amour

t'accompagnera, mon enfant. Tu resteras à jamais dans mon cœur, tout comme ta mère.»

Ils avaient encore un dernier devoir à accomplir avant de gagner l'Angleterre : le mariage

de Rois avec Kevin Hennessey. La cérémonie eut lieu le matin du départ, dans la

minuscule chapelle du château.

Quand arriva enfin le moment du grand départ, Jasmine embrassa tendrement ses deux

fils, leur promettant de revenir dans un an pour s'assurer que tout se passait bien.

Beaucoup de ses amis furent soulagés et heureux de l'apprendre, car ils avaient craint de

ne plus jamais revoir la duchesse.

— Bientôt, il me faudra trouver des épouses pour ces deux galopins. Celui-ci regarde déjà

les filles, d'ailleurs! lança Jasmine en ébouriffant les cheveux d'Adam, comme elle se

plaisait à le faire si souvent. Crois-tu que cela m'a échappé? Même en Écosse je serai

informée de vos fredaines, mes garçons !

Elle se tourna ensuite vers Rory.

— Continuez comme par le passé, mon vieil ami. Je bénis le jour où j'ai décidé de vous

faire confiance, Rory MacGuire. Merci pour tout ce que vous avez fait et pour ce que

vous ferez encore.

Elle le surprit en se haussant sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue.

— J'ai pensé pouvoir me le permettre, dit-elle comme il rougissait jusqu'aux oreilles. Au

revoir, Rory, et l'année prochaine, ajouta-t-elle encore en lui tapotant la main.

— Vous voilà rouge comme une pivoine, Rory MacGuire, renchérit Fortune en le

prenant dans ses bras pour l'embrasser à son tour avec chaleur. Maman vous a surpris? Eh

bien, pas moi. Et il faut que vous sachiez que je vous aime de tout mon cœur, mon cher

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parrain. Vous allez me manquer. Etes-vous sûr de ne pas vouloir venir avec nous? Ne

serait-ce que pour voir les superbes chevaux qui naîtront de ceux que vous avez élevés

ici? L'Ulster est tellement triste, et je crains que cela ne s'arrange pas.

Rory la tint un instant dans ses bras, savourant ces instants si doux. Sa fille...

— Je ne suis pas parti avec ma famille, il y a des années, alors, ce n'est pas aujourd'hui

que je le ferai, Fortune. Mais merci de me l'avoir proposé, répondit-il en lui rendant ses

baisers. Vous repartez avec un bon mari et, après tout, n'est-ce pas pour cette raison que

vous êtes revenue en Ulster ? Que Dieu vous garde, mon enfant. Si l'envie vous prenait

de m'écrire de temps à autre, cela ne me déplairait pas. Je crois même que je vous

répondrais !

Il déposa un dernier baiser sur le front de la jeune femme qui se sentit envahie d'une telle

tristesse que des larmes brouillèrent sa vue. Elle s'aperçut alors que les yeux de Rory aussi

étaient humides.

— Oh, Rory ! Vous allez tellement me manquer ! Je vous écrirai, je vous le promets,

balbutia-t-elle, pleurant à chaudes larmes, à présent.

— Occupez-vous de votre épouse, Kieran Devers, elle va mouiller tout mon manteau !

Kieran enveloppa aussitôt sa femme d'un bras protecteur, tout en serrant la main du

régisseur.

— Au revoir, Rory? Vous n'oublierez pas ce que je vous ai demandé, n'est-ce pas?

— Non, mon garçon. Je m'occuperai des tombes, comptez sur moi.

Ce fut au tour de James Leslie de prendre congé de Rory.

— Surveillez bien mes fils. Je sais qu'Adam apprendra beaucoup de vous, MacGuire.

— Je m'y efforcerai, my lord.

Les larmes continuèrent à couler quand Bride fit ses adieux à son tour. Fergus Duffy

devait conduire la voiture qui les mènerait jusqu'à la côte où leur bateau les attendait.

— Soyez prudent, cousin Cullen, dit enfin Jasmine au prêtre. Je ne voudrais pas avoir des

martyrs sur la conscience.

— N'ai-je pas fait ce qu'il fallait durant toutes ces années, ma cousine ?

— Les temps ont changé, j'en ai peur, lui rappela-t-elle. Les protestants durcissent de plus

en plus leurs positions. Même en Angleterre, de qui nous dépendons, le roi doit lutter

quotidiennement contre les puritains pour maintenir l'ordre. L'époque est troublée, et

cela ne semble pas aller en s'améliorant. Mieux vaut redoubler de vigilance.

— Dieu veillera sur moi, répondit le prêtre.

— « Aide-toi, le ciel t'aidera », cita-t-elle avec un léger sourire. Veillez bien sur mes fils.

— Que Dieu vous bénisse, ma cousine !

Les Leslie et les Devers prirent donc le chemin de la côte. L'immense convoi de bagages

qui accompagnait Fortune un an auparavant avait encore augmenté en taille. Il les avait

précédés la veille. Rohana, Adali et les deux autres domestiques avaient préféré faire le

trajet à cheval.

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Évitant Appleton, ils firent un détour afin de passer la nuit à l'auberge de dame Tully, Le

Lion d'Or. Lorsqu'ils arrivèrent à l'embarcadère, on achevait de charger le bateau.

— Heureusement que vous nous avez demandé de venir à vide, milady, remarqua le

capitaine en s'inclinant devant la duchesse. Au moins, la jeune lady a trouvé en Ulster ce

qu'elle était partie chercher, ajouta-t-il avec un petit rire.

— En effet, répondit la duchesse. Je crois même qu'elle a fait une meilleure pêche que

prévu.

Peu après, en voyant les côtes de sa terre natale s'éloigner, Kieran Devers ressentit un

léger pincement au cœur, sans cependant éprouver de regrets. Ils avaient fait le bon

choix en décidant de partir. À la différence de sa femme, il n'avait jamais voyagé. C'était

la première fois qu'il quittait l'Irlande et il se demandait à présent ce que leur réservait

l'avenir et ce qu'ils feraient si lord Baltimore refusait de les emmener. Oui, leur avenir

comportait beaucoup d'inconnu.

Les côtes de l'Ecosse apparurent après deux jours de voyage. Un bras autour des épaules

de sa femme, Kieran contempla le spectacle.

— Tout ira bien, mon amour, lui dit-elle en souriant. Je le sens. Le Nouveau Monde nous

offrira le nid que nous cherchons. Je suis sûre qu'un avenir merveilleux nous attend là-

bas, nos enfants et nous. Lord Baltimore nous acceptera. Comment pourrait-il refuser ?

— Jamais je n'ai eu à ce point le sentiment d'avoir autant de responsabilités, lui confia-t-

il. Jusqu'à présent, je m'occupais seulement de moi et je vivais chez mon père, sans

grands soucis. Aujourd'hui, tout est différent. Tout est à construire, et puis, tu es là,

Fortune, et je dois veiller sur toi. Je n'ai pas peur de l'avenir, mais je suis soucieux, mon

ange.

— Tu n'as pas à l'être, Kieran. Mes intuitions ne me trompent jamais, et je sais que nous

avons fait le bon choix. À nous le Nouveau Monde !

Son sourire confiant acheva de le convaincre que tout se passerait bien.

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CHAPITRE 14

George Calvert naquit dans le Yorkshire en 1580. Élevé dans la foi protestante, comme

son père, Léonard, un riche gentilhomme de la campagne, il avait une mère catholique,

Alicia.

Après avoir suivi ses études au Trinity College d'Oxford, il s'embarqua pour un voyage à

travers le continent, comme la plupart des jeunes gens de son milieu. À l'ambassade

d'Angleterre à Paris, il eut la chance de rencontrer sir Robert Cecil, le secrétaire d'État de

la reine. Cecil apprécia ce jeune homme circonspect et il lui offrit un poste.

A la mort d'Elizabeth Tudor, James Stuart devint roi. Cecil fut maintenu dans ses

fonctions et fit de George Calvert son secrétaire particulier. Entre-temps, Calvert s'était

marié avec Anne Mynne, une jeune fille de bonne famille, originaire du Hertfordshire. Ils

donnèrent le jour à quatre garçons et deux filles.

Lorsque sir Robert devint comte de Salisbury, l'importance de George Calvert s'accrut

considérablement. Lors de la visite du roi et de la reine à Oxford, en 1605, Calvert fut

l'un des cinq privilégiés à se voir attribuer une maîtrise de l'université, les quatre autres

étant des nobles de haut rang. Le roi commença à charger le secrétaire de sir Robert de

missions officielles en Irlande.

Cecil mourut en 1612. Le roi garda George Calvert à son service et le fit chevalier cinq ans

plus tard. Peu après, il devenait secrétaire d'État et membre du conseil privé. Travailleur

acharné et d'une nature modeste, Calvert était très apprécié de son entourage.

Contrairement à tant d'autres à la Cour, il n'avait pas d'ennemis. Sa fortune grandissant,

sa femme et lui se firent construire une grande maison à Kiplin, dans le Yorkshire. Hélas,

Anne mourut en couches lors de la naissance de leur sixième enfant.

Anéanti, George Calvert se tourna vers le catholicisme, la religion de sa mère, où il puisa

un certain réconfort. Toutefois, par respect pour les lois de son pays, il garda ce choix

secret. Malheureusement, ce fut à cette époque que le roi James demanda à son loyal

serviteur d'officier dans une commission créée pour faire entendre raison aux

irréductibles, catholiques et puritains, qui refusaient de rejoindre l'Église d'Angleterre.

Profondément honnête, George Calvert se confessa auprès du roi avant d'avouer

publiquement sa conversion et de démissionner de ses fonctions. Le souverain lui avait

pourtant proposé de le libérer du serment de suprématie afin qu'il puisse continuer à

exercer à son service. Des hommes de confiance et aussi compétents que Calvert ne se

rencontraient pas tous les jours.

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Mais James Stuart était un homme d'honneur qui appréciait à leur juste valeur les rares

véritables amis qu'il comptait. Il savait qu'en dépit de sa foi catholique, George lui

resterait à jamais loyal, à lui et à ses héritiers. Il aurait pu l'envoyer en prison. Au lieu de

cela, il le fit baron. Calvert devint ainsi lord Baltimore et se vit attribuer des terres dans le

comté de Longford en Irlande ainsi que dans la péninsule d'Avalon, dans le

Newfoundland, là où il souhaitait fonder sa colonie du Nouveau Monde.

Quand sir George s'y rendit avec sa deuxième femme et sa famille, il découvrit que le

Newfoundland n'était pas une terre hospitalière où il ferait bon vivre. La saison froide

durait d'octobre à mai, ce qui ne laissait pas le temps aux cultures de s'épanouir avant la

récolte. En revanche, la pêche y prospérait, mais les Français commencèrent à créer des

troubles à Avalon. Calvert trouva plus sage d'envoyer sa famille dans le sud de la

Virginie. Il les rejoignit au printemps après avoir écrit au roi pour lui faire part des

difficultés rencontrées.

Une fois à Jamestown avec les siens, il décida de se mettre en quête d'une terre paisible

où il pourrait fonder la colonie dont il rêvait. Même si ses amis l'avaient bien accueilli en

Virginie, ces derniers demeuraient méfiants, se demandant si sa religion ne le porterait

pas plutôt vers les catholiques d'Espagne établis plus au sud de la Virginie que vers ses

compatriotes. George Calvert les ignora et chercha malgré tout des terres au sud, car le

climat y était beaucoup plus clément. Toutefois, il s'aperçut que les eaux trop peu

profondes ne permettaient pas aux bateaux chargés de provisions et de colons anglais d'y

mouiller.

En remontant vers le nord, il explora la région de Chesapeake et ce qu'il découvrit

l'enthousiasma. De grandes baies abritées, des ports naturels où les marées étaient

infimes. De nombreux cours d'eaux, dont plusieurs navigables. Poissons, coquillages,

gibier d'eau abondaient. D'immenses forêts riches en arbres fruitiers et en gibier bordaient

la région. Elles fourniraient des essences de qualité pour bâtir les maisons et les bateaux.

George Calvert avait enfin trouvé sa Terre promise.

De retour à Jamestown, une lettre du roi l'attendait, lui ordonnant de rentrer en

Angleterre. Ce qu'il fit en laissant sa famille derrière lui. Il espérait obtenir l'accord du roi

James pour coloniser le Chesapeake mais à son arrivée, il apprit la mort de celui-ci.

Heureusement, son fils Charles Ier appréciait lord Baltimore tout autant que son père.

Après avoir tenté de le garder auprès de lui, il résolut de le laisser essayer de réaliser son

rêve.

Un décret royal lui octroya donc sa terre et le pouvoir d'y édicter des lois, d'y lever une

armée, de juger les crimes et délits, d'attribuer des titres et des parcelles. De plus, lord

Baltimore reçut la permission exceptionnelle de faire du commerce avec tous les pays de

son choix. En échange, le roi recevrait un cinquième de l'or et de l'argent trouvé dans le

sol de la colonie, ainsi qu'une redevance annuelle.

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Comme il fallait donner un nom à cette colonie, Charles lui suggéra de s'inspirer de celui

de la reine. Ainsi naquit la Terra Mariae qui s'imposa très vite sous son appellation

anglaise, le Mary's Land.

Lady Baltimore et les enfants s'étaient embarqués afin de rejoindre lord Baltimore en

Angleterre. Hélas ! Après un voyage paisible, leur vaisseau sombra au large des côtes

anglaises ; il n'y eut aucun survivant. Désespéré d'avoir perdu sa seconde épouse et

plusieurs de ses enfants, épuisé d'avoir tant travaillé, lord Baltimore mourut subitement le

15 avril 1632. Deux mois plus tard, la charte royale revint au second lord Baltimore, Cecil

Calvert, un séduisant jeune homme de vingt-sept ans.

En Ecosse, James Leslie fut informé de ces nouvelles par son beau-fils, Charles Frederick

Stuart, duc de Lundy, alors que Kieran et Fortune se préparaient déjà à gagner

l'Angleterre.

— Je doute que vous puissiez partir cette année, leur annonça-t-il. Enfin, vous serez fixés

quand vous vous serez entretenus avec lord Baltimore. Allez d'abord à Queen's Malvern.

Charles vous dira que faire.

James Leslie et sa femme décidèrent de ne pas les accompagner. Entreprendre un

nouveau voyage avec un bébé de sept mois et Jasmine qui se remettait lentement des

suites de son accouchement ne leur parut pas très sage.

Plus le jour du départ de Kieran et de Fortune approchait, plus la duchesse de Glenkirk

devenait morose. Quand sa deuxième fille serait partie, il ne lui resterait que le jeune

Patrick Leslie qui avait déjà seize ans, et la petite Automne, bien sûr, qui grandissait si

vite... Jasmine avait soudain l'impression que le temps lui filait entre les doigts sans qu'elle

puisse rien faire.

Sensible à l'humeur de sa mère, Fortune s'efforça de la consoler.

— Automne n'est qu'un bébé, maman. Des années s'écouleront avant qu'elle ne vous

quitte. Vous aurez le temps de vous consacrer à elle comme à aucun de vos autres

enfants. Le temps de profiter d'elle. Je suis sûre que vous ne vous en priverez pas. Elle a

beaucoup de chance de vous avoir.

— Tu as raison, admit Jasmine, retrouvant un peu le sourire. Tu vas me manquer, ma

chérie, ajouta-t-elle doucement.

— Vous aussi, maman. Je suis heureuse de partir pour le Nouveau Monde, mais cela

m'effraie tout de même un peu. C'est une telle aventure, et vous savez que je n'ai jamais

été très attirée par l'aventure.

Fortune poussa un profond soupir avant de reprendre :

— J'espère que l'on pratiquera vraiment la tolérance dans le Mary's Land, parce que si ce

n'était pas le cas, je ne sais pas où nous irions.

— Vous reviendriez à Glenkirk où nous vous protégerions, déclara la duchesse avec

fermeté avant de prendre sa fille dans ses bras. Kieran et toi serez toujours les bienvenus

ici ! Toujours.

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Le jour du départ arriva. Surmontant son chagrin et son angoisse, Fortune fit bravement

ses adieux à ceux qu'elle aimait et à tous les domestiques dont certains la connaissaient

depuis sa plus tendre enfance. Beaucoup d'entre eux pleuraient. Quand elle enlaça Adali,

le majordome de sa mère, ils furent incapables d'échanger un mot. Lorsqu'il se détourna,

elle eut le temps d'apercevoir des larmes dans ses yeux. Rohana et Toramalli, quant à

elles, sanglotaient sans pouvoir se retenir.

Ils quittèrent Glenkirk suivis d'un convoi de bagages et escortés par les hommes en armes

de Leslie jusqu'à Queen's Malvern. Si le voyage parut monotone à la jeune femme, ce ne

fut pas le cas pour Kieran, Rois et Kevin, pour qui tout était nouveau.

Charles Frederick Stuart, duc de Lundy, les attendait chez lui, à Queen's Malvern. Le

domaine avait été offert à ses arrière-grands-parents par Elizabeth Tudor avant de lui

revenir avec la bénédiction de son grand-père, le roi James.

Le duc, que ses proches appelaient Charlie, aurait vingt ans en septembre. C'était un

grand jeune homme svelte aux cheveux auburn. Il avait hérité des yeux ambrés des

Stuart et ressemblait beaucoup plus à son père, le défunt prince Henri, qu'à sa mère.

— Je te trouve resplendissante, déclara-t-il à sa sœur aînée avec un sourire entendu. Le

mariage te va très bien, Fortune.

Il l'embrassa tendrement en la serrant dans ses bras.

— Stuart jusqu'au bout des ongles, comme maman se plaît à le dire, répondit Fortune en

riant. Je te présente mon mari, Kieran Devers. Kieran, Charlie, le « demi » Stuart de la

famille.

Les deux hommes échangèrent une solide poignée de main en s évaluant du regard. Ils se

plurent immédiatement.

— Henri viendra sûrement de Cadby, annonça Charlie à sa sœur. Notre vénéré grand

frère, précisa-t-il à l'adresse de Kieran.

Ils pénétrèrent dans la maison et s'installèrent au salon pour poursuivre la discussion.

— Papa nous a affirmé que tu saurais comment joindre lord Baltimore, dit Fortune à son

frère.

— Il est à Wardour Castle, dans le Wiltshire.

— Comment y va-t-on? demanda Kieran.

— Nous nous y rendrons à cheval dans quelques jours, vous et moi, expliqua Charlie.

Fortune nous attendra ici. Je le ferai prévenir pour obtenir un rendez-vous, car cette

expédition qu'il prépare a énormément de succès et il reçoit de nombreux candidats au

voyage. Bien sûr, beaucoup ont dans l'idée d'acheter des terres pour les faire prospérer

tout en demeurant en Angleterre. Mais, comme son père, Cecil Calvert recherche des

colons responsables et décidés à s'établir dans le Mary's Land. Votre candidature

l'intéressera, d'autant que ce n'est pas l'appât du gain qui vous motive. Le fait que j'aie

plaidé en votre faveur pèsera bien sûr dans la balance, ajouta-t-il, l'œil rieur.

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— Nous avons aussi nos propres bateaux, rappela Fortune. Je vous accompagnerai,

Charlie. Tu ne crois tout de même pas que je vais vous laisser vous amuser sans moi, petit

frère.

— Wardour n'est pas un endroit pour une dame. Une importante expédition est en train

de s'y monter. Il y aura beaucoup d'hommes et tu es une respectable femme mariée,

maintenant, pour l'amour de Dieu.

— Lord Baltimore n'a donc pas d'épouse ? S’étonna-telle

— Si, lady Anne Arundel.

— Elle est là-bas ?

— Bien sûr! C'est la maison de son père.

— Alors, j'y vais. Tu ne connais pas grand-chose en dehors de la Cour, Charlie. Quant à

Kieran, il vient d'Ulster, et les coutumes anglaises ne lui sont pas familières. Vous aurez

besoin de moi et de mes talents de négociatrice.

— Je suis d'accord avec elle, intervint Kieran. Et sa compagnie est loin de me déplaire,

Charlie.

Le jeune duc réfléchit un instant, puis un large sourire s'épanouit sur son visage.

— Comme d'habitude, tu as raison, ma chère sœur. J'avais oublié que tu étais la plus

sensée de nous tous. Mais je te préviens, nous voyagerons à cheval, sans serviteurs et

avec le strict nécessaire. Wardour est à plusieurs jours de Queen's Malvern. Nous

pourrions peut-être passer par Oxton, en rentrant, pour saluer India.

— Oh, oui ! s'écria Fortune, folle de joie.

Ils prirent la route tous les trois, par une belle matinée de juin. Kieran découvrit avec

surprise combien sa femme était capable de se débrouiller seule et il fut frappé soudain

de ce qu'il la connaissait peu.

Ils atteignirent Wardour Castle quelques jours plus tard.

Fortune n'avait encore jamais vu une réalisation architecturale de ce style, de forme

hexagonale, avec la grande salle à l'étage, surplombant le vestibule.

Cecil Calvert les accueillit en personne.

— Charlie! Quel plaisir de vous revoir, my lord! Comment va le Roi ?

— Je ne suis pas retourné à la Cour depuis un mois. Je viens vous demander une faveur,

Cecil. Voici ma sœur, Fortune Lindley, et son mari, Kieran Devers. Kieran était l'héritier

d'un beau domaine dans l'Ulster jusqu'à ce que sa belle-mère anglaise décide que son fils,

le demi-frère de Kieran, ferait un meilleur maître.

— Êtes-vous catholique ? S’enquit lord Baltimore.

— Oui, my lord.

— Ils veulent partir avec vous, Cecil, déclara Charlie.

Lord Baltimore sembla un instant perplexe.

— Nous avons déjà plus de monde que prévu, expliqua-t-il.

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— Nous possédons nos propres bateaux, my lord, intervint Fortune. Deux grands

vaisseaux. Le plus grand servira à notre transport et le second à celui des chevaux.

Nous avons également quelques colons, quatorze fermiers, deux pêcheurs, deux

tisserands, un forgeron, un tonnelier, un tanneur, un cordonnier et un apothicaire. Les

cinq fermiers ont des femmes et des enfants. Tous en bonne santé, dévoués et très

sociables. Il y a également un médecin, une femme, Mme Happeth Jones, ainsi que mes

deux serviteurs. Nous pouvons subvenir aux besoins de tous nos gens. Emmenez-nous

avec vous, my lord. Nous n'avons pas d'autre endroit où nous établir. Mon mari est

catholique et moi, anglicane. On dit que vous voulez faire de votre Mary's Land un lieu

de tolérance où des religions différentes pourront cohabiter. Nous pensons que cet

endroit sera idéal pour nous.

Cecil Calvert étudia la ravissante jeune femme qui venait de lui tenir un discours aussi

convaincant. Elle était vêtue d'une tenue d'équitation en daim fort élégante – encore

qu'un peu osée puisqu'elle portait un pantalon. Ses mains étaient celles d'une lady. Il se

radoucit.

— Vous devrez construire votre propre maison, et il s'agit d'une terre comme vous n'en

avez sûrement jamais vu, sauvage, semée de dangers. Certains des indigènes se montrent

inamicaux, pour ne pas dire belliqueux. Je pense toutefois pouvoir négocier la paix avec

eux. Vous devrez emporter tout ce dont vous aurez besoin, car là-bas, il n'y a rien. Par

ailleurs, vous risquez de ne plus revoir votre famille avant longtemps, peut-être même

jamais. Etes-vous absolument certaine d'être prête à vous lancer dans une telle aventure ?

— Oui, répondit bravement Fortune. Je le suis, my lord.

— Et je vous en serai redevable, Cecil, ajouta Charlie Stuart.

— Non, Charlie, pas question. Je suis heureux d'offrir à votre sœur et à son mari une

place dans ma colonie. Ils correspondent exactement à ce que je cherche. Allons dans

mes appartements discuter de tout cela plus en détail. Je me souviens de vous et de votre

sœur India, continua-t-il en prenant la main de Fortune dans la sienne. Vous étiez deux

des plus jolies filles de la Cour. Votre départ a brisé plus d'un cœur.

Peu après, Cecil Calvert les introduisit dans une agréable pièce lambrissée de bois où

brûlait un bon feu. Ils s'installèrent devant le foyer et le jeune homme reprit la parole :

— Pour chaque parcelle de terre attribuée, il vous faudra me prêter serment d'allégeance,

puisque je suis le propriétaire de la colonie.

Il leur expliqua sur quels critères les terrains seraient attribués, et quel serait le montant

des redevances à acquitter. Il leur fit ensuite un inventaire de ce qu'ils devraient

emporter, les quantités, le type de vêtements, les fusils, insistant sur la nécessité pour

tous, hommes et femmes, d'apprendre à se servir d'une arme. Une liste serait distribuée

en même temps que les provisions nécessaires au voyage et à leurs débuts, puisqu'il leur

faudrait passer un hiver et un printemps avant la première récolte. Il précisa aussi le type

de semences à prévoir.

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— Vous comptez donc partir cette année ? S’étonna Kieran, songeant à ses compagnons

qui attendaient en Irlande.

Rory MacGuire devrait leur distribuer l'argent nécessaire à l'achat des provisions. Il y avait

tant à faire...

— Quand? S’inquiéta-t-il.

— À l'automne. Ce n'est pas la meilleure saison pour voyager mais nous n'avons pas le

choix. À la différence de mon père, il semblerait que j'aie des ennemis qui préféreraient

que le Mary's Land ne soit pas colonisé. Les représentants de la colonie de Virginie étaient

de ceux-là. Ils s'étaient plaints au roi, estimant que la création du Mary's Land leur ferait

perdre des terres et des colons. D'autre part, ils voyaient d'un mauvais œil la liberté

religieuse que prônait Cecil Calvert. Ils firent courir le bruit que seuls les catholiques

auraient le droit de s'établir dans le Mary's Land. Puis ils firent pression sur le roi pour

qu'il annule le départ de lord Baltimore. Le roi les écouta mais, fidèle aux promesses

faites à George Calvert, refusa d'accéder à leur demande. Cela n'empêcha pas les

détracteurs de Calvert de continuer à œuvrer dans l'ombre si bien que Cecil décida de

retarder son départ. Il chargea son jeune frère Léonard de le remplacer aux commandes

et nomma son autre frère, George, plus jeune encore, député gouverneur. Jerome

Hawley et Thomas Cornwallis furent promus assistants des jeunes Calvert.

Les préparatifs se poursuivirent. Kieran et Fortune rentrèrent à Queens' Malvern sans

avoir eu le temps de passer voir India à Oxton.

Fortune s'aperçut alors qu'elle était enceinte. Cette découverte la plongea dans

l'embarras. Jamais Kieran ne la laisserait partir. Il préférerait attendre que le bébé soit né

pour l'autoriser à le rejoindre. India n'aurait pas hésité à garder la nouvelle secrète mais

elle n'était pas India...

— Que se passe-t-il ? lui demanda son frère en s'asseyant près d'elle, sur un banc du

jardin.

Il prit ses mains dans les siennes.

— J'ai un problème à résoudre, fit-elle en triturant sa jupe de soie vert sombre.

— Tu hésites à quitter l'Angleterre ?

— Non. C'est un tout autre dilemme qui m'agite.

— Je vois. Tu n'as pas dit à ton mari que tu attendais un enfant, n'est-ce pas ?

Fortune en resta bouche bée.

— Comment le sais-tu ?

Charles Frederick Stuart éclata de rire.

— Combien d'enfants maman a-t-elle eus ? J'étais le quatrième. Cinq m'ont suivi,

Fortune. Je sais reconnaître une femme enceinte quand j'en vois une. Pour quand ce bébé

est-il prévu ?

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— Je ne sais pas, avoua-t-elle, penaude. Ne ris pas ! J'ai toujours pensé que maman serait

près de moi quand cela m'arriverait. Elle m'aurait tout expliqué. Seigneur! Que dois-je

faire ?

— Quand as-tu vu tes menstrues pour la dernière fois?

— Eh bien, elles ne sont pas revenues depuis que nous avons quitté Glenkirk.

Son frère réfléchit un moment, les sourcils froncés.

— Selon moi, la naissance devrait avoir lieu au début du printemps. Nous écrirons à

maman, de toute façon. En attendant, tu dois en informer ton mari, Fortune. Il a le droit

de savoir.

La jeune femme réfléchit longuement à la question. S'il apprenait qu'elle attendait un

enfant, Kieran voudrait rester en Angleterre jusqu'à la naissance, cela ne faisait pas

l'ombre d'un doute. Plus elle réfléchissait, moins elle trouvait le courage de lui annoncer

la nouvelle. Finalement, elle décida d'attendre d'être sur le bateau pour le mettre au

courant. Il serait alors trop tard pour faire demi-tour. Au fond, elle ressemblait plus à sa

mère et à India qu'elle ne le croyait. Elle garda donc son état secret, s'appliquant à

ignorer les regards interrogateurs de son frère.

Un matin, elle se réveilla affamée. S'empressant de s'habiller, elle descendit et trouva

Kieran et Charlie déjà attablés. Elle dévora un grand bol de purée d'avoine agrémentée

de pommes séchées et de crème épaisse. Une tartine de pain frais beurré avec une

tranche de fromage. Deux œufs durs et du cidre. Tout à coup, son estomac se rebella.

Fortune n'eut pas le temps de se lever qu'elle rendait son déjeuner dans son assiette.

Horrifiés, les deux hommes firent un bond de côté pour ne pas être aspergés.

— Ma chérie, ça va? S’inquiéta Kieran.

— Tu ne lui as pas dit, n'est-ce pas? Intervint son frère avant qu'elle puisse répondre.

— Dis quoi ?

— Elle est enceinte ! fit Charlie. Elle comptait justement te l'annoncer.

— Quand? S’enquit sèchement Kieran. Quand nous serions en mer ?

— Oui, avoua-t-elle d'une toute petite voix. Je pensais que ce serait le moment idéal.

— Quoi ? Explosa-t-il. Tu allais mettre ta vie et celle de notre enfant en danger

uniquement pour obtenir ce que tu voulais ?

Les domestiques accoururent pour nettoyer tandis que les deux hommes entraînaient la

jeune femme près du feu.

Rois apporta à sa maîtresse un thé à la menthe.

— Buvez lentement, milady. Je vous donnerai ensuite un peu de pain sec.

Fortune s'installa dans le fauteuil capitonné et leva les yeux sur son mari qui ne décolérait

pas.

— As-tu l'intention de partir sans moi dans le Mary's Land, Kieran ?

— Bien sûr que non !

— Voilà pourquoi je ne voulais rien te dire.

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— Cela n'a pas de sens, Fortune !

— Pour moi, si. Si tu veux bien m'écouter, Kieran. Et je ne supporterai pas que tu cries !

S’emporta-t-elle avant d'éclater en sanglots.

Kieran n'en croyait pas ses yeux. Non seulement elle était dans son tort, mais voilà qu'elle

tentait de l'amadouer par ses pleurs. Eh bien, il ne se laisserait pas manipuler!

— Les femmes deviennent particulièrement sensibles quand elles sont enceintes, glissa

calmement son beau-frère. Laissez-lui un peu de temps. Fortune, arrête de pleurer, s'il te

plaît, et explique-nous pourquoi tu voulais garder le secret sur ton état.

— Si nous n'arrivons pas parmi les premiers dans le Mary's Land, nous n'aurons pas les

meilleures terres, commença-t-elle en reniflant. Il y a tous ces nobles influents avant nous,

Kieran, qui enverront leurs agents à leur place. Ils rafleront d'emblée les emplacements

susceptibles de leur rapporter des profits rapides. Ensuite, ils les revendront aux plus

offrants.

«Nos chevaux arriveront l'année prochaine. Nous ne pourrons passer notre temps à

défricher la forêt. Nous aurons besoin de prairies pour eux tout de suite. Si nous partons

avec le premier convoi, nous aurons des chances d'obtenir ce que nous voulons, sinon,

nous devrons le racheter à d'autres. Nous devons partir sur-le-champ, Kieran !

— Écoute, Fortune. Il y a des catholiques, en Angleterre, non ? Pourquoi ne pas chercher

une maison ici même et nous établir tranquillement?

Elle secoua la tête avec détermination.

— Tu sais très bien comment vivent les catholiques dans ce pays. Le pouvoir des puritains

s'accroît de jour en jour. Le roi lui-même est dans une position instable, car tout ce que

fait la reine est critiqué. Tu me trouves égoïste de vouloir continuer bien que je sois

enceinte, mais Mme Jones veillera sur moi, je ne m'inquiète pas pour cela. S'il y a un

égoïste ici, Kieran, c'est toi ! Oui, toi!

— Moi ? S’étrangla son mari.

— Parfaitement. Tu m'as dit toi-même que ta foi n'était pas essentielle pour toi, mais que

tu restais catholique par respect pour la mémoire de ta mère. Je pense que tu l'as fait

aussi pour énerver ta belle-mère; Tu lui as ainsi fourni l'arme idéale pour te dérober

Mallow's Court. Cette propriété compte mille acres et MacGuire's Ford trois mille. En

nous unissant, nous serions devenus une puissance incontestable en Ulster, et

certainement dans le Fermanagh, Kieran. Mais tu as choisi de t'agripper au passé en te

servant de la religion. Je t'aime, Kieran Devers. J'ai renoncé à un immense domaine pour

toi, sans jamais le regretter. Pas un seul instant. Je vais te donner un enfant au printemps

prochain. Si tu ne souhaites pas que je t'accompagne dans le Mary's Land, étant donné les

circonstances, je resterai en Angleterre. Mais pour l'amour de Dieu, pars, Kieran, et

trouve-nous une belle terre fertile et bien irriguée ! Tu es un homme, aujourd'hui, tu as

d'énormes responsabilités. Je ne suis pas lady Jane. Tu ne peux plus te cacher derrière ta

foi et t'en servir pour excuser ton orgueil, Kieran Devers !

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Il en resta sans voix. Même quand Fortune se leva et quitta la pièce, il ne trouva pas les

mots pour la retenir.

— C'est la première fois qu'elle vous passe un savon, si vous me permettez l'expression,

dit Charlie en s'efforçant de garder son sens de l'humour.

Kieran hocha la tête.

— Dans notre famille, les femmes ont du caractère. Elles sont intelligentes et fières,

Kieran. Ma sœur a raison quand elle vous conseille de partir sans elle. Il ne s'agit pas

seulement de vous deux. Il y a tous ces gens de MacGuire's Ford que vous avez entraînés

dans l'aventure. Vous allez être père, ce n'est pas le moment de vous dérober à vos

devoirs, j'en ai peur.

— Comment un homme aussi jeune que vous peut-il raisonner aussi sagement ? demanda

Kieran quand il eut recouvré l'usage de la parole.

— J'ai eu de bons professeurs. Mon arrière-grand-mère, lady de Marisco. Ma mère, mon

beau-père. Par ailleurs, ma lignée m'a offert des occasions non négligeables. On mûrit

vite, à la Cour, vous savez. Surtout lorsqu'on veut survivre et prospérer. Etre le neveu

d'un roi ne m'a jamais suffi, Kieran.

— Tout cela me semble si étrange, avoua ce dernier. Je n'aurais jamais imaginé entrer

dans une famille pareille quand j'ai épousé votre sœur. Nous sommes tellement

provinciaux, en comparaison. Dès que j'ai vu Fortune, j'ai voulu qu'elle soit à moi.

Pourtant, je m'aperçois de plus en plus qu'elle n'est pas le genre de femme à se laisser

«posséder». Je me demande maintenant si je serai à la hauteur. Je ne voudrais pas la

décevoir en échouant dans le Nouveau Monde. Et notre enfant ? Lui non plus je ne veux

pas le décevoir, dit-il en passant une main nerveuse dans ses cheveux.

— Avant toute chose, Kieran, il faut que vous sachiez que toutes les femmes de la famille

travaillent avec leur homme. Elles ont cette faculté exaspérante de savoir mener leurs

affaires avec un certain succès. Acceptez ce cadeau hors du commun que Dieu vous a

accordé. Asseyez-vous avec ma sœur autour d'une table et décidez ensemble de la façon

dont vous voulez coloniser ce petit coin du Nouveau Monde. Admettez que vous devez

partir et elle rester pour donner naissance à votre enfant. Elle vous rejoindra l'année

prochaine. En attendant, vous bâtirez votre maison. Vous n'allez tout de même pas

demeurer ici et laisser à d'autres le soin de vous construire une maison? Je ne vois rien

d'impossible dans tout cela, mon ami, conclut Charlie en posant la main sur l'épaule de

son beau-frère.

— Je n'ai d'autre choix que de suivre votre conseil. J'espère de tout cœur que vous avez

raison, Charlie, parce que cela ne me plaît pas de laisser Fortune derrière moi.

— Maman viendra ici ou, mieux encore, India. Fortune se trouvait auprès d'elle quand

elle a eu son premier enfant. Demandez-lui de vous raconter, un de ces jours.

Il eut un petit sourire avant d'ajouter :

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— Avez-vous surmonté le choc, Kieran? J'imagine que ce n'est pas facile d'apprendre aussi

brutalement que l'on a épousé une telle virago.

— Je ne suis pas une virago ! Rectifia Fortune en faisant irruption dans la pièce.

Comment peux-tu dire une chose pareille? Kieran sait bien à qui il a affaire.

— Bien sûr, mon amour, répondit l'intéressé. Charlie et moi venons d'avoir une

conversation édifiante. Viens t'asseoir. Nous allons décider comment organiser ce voyage

si tu dois rester ici pour l'instant.

Un grand sourire joua sur les lèvres de Fortune.

— Je savais que tu entendrais raison, Kieran. Et je suis heureuse que Charlie t'ait tout

expliqué. Bien, ne perdons pas de temps !

Charles Frederick Stuart, duc de Lundy, sourit à son beau-frère au-dessus de la crinière

rousse de sa sœur. Le message était fort clair: Tout ce qu'il vous reste à faire, c'est de vous

plier à sa volonté.

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CHAPITRE 15

Un message fut envoyé sans tarder à MacGuire's Ford afin de prévenir les candidats au

départ de se tenir prêts pour l'automne. Rory MacGuire reçut la liste des provisions à

acquérir. La seule femme autorisée à faire partie de ce premier voyage était Mme Jones,

le médecin, dont les connaissances risquaient de se révéler fort utiles. Elle fut autorisée à

emporter les herbes et pousses qu'elle jugerait nécessaires. Les autres femmes de

l'expédition ainsi que les enfants embarqueraient sur le Rose de Cardiff à son retour, et

les chevaux et le bétail sur le Highlander.

Une fois à bon port, les hommes étaient censés acheter quelques têtes de bétail, une

vache laitière, et un cheval pour Kieran. Ils savaient que les colons de Virginie, jaloux du

statut particulier du Mary's Land, ne leur feraient pas bon accueil. Fortune avait toutefois

persuadé Kieran que leur argent leur ouvrirait des portes et dériderait les plus réticents.

Ce qui ne signifiait pas pour autant qu'il ne devrait pas marchander pour obtenir ce qu'il

souhaitait au prix qu'il avait arrêté.

— Tu es si avisée, mon amour, lui confia-t-il un jour, alors qu'ils étaient tous deux

penchés sur une liste. Quel dommage que tu ne viennes pas avec moi !

Il posa la main sur son ventre qui commençait tout juste à s'arrondir.

— Je déteste l'idée de ne pas être là quand notre enfant naîtra. J'aurais tant aimé être le

premier à le tenir dans mes bras... Mon fils...

— Notre enfant, corrigea-t-elle avec douceur. Je te rappelle que ce sera peut-être une

fille, Kieran. Personnellement, cela m'est égal dès lors que le bébé est en bonne santé.

— Je suis d'accord avec toi, Fortune.

Il l'embrassa sur les lèvres et son baiser se fit de plus en plus passionné.

— Rappelle-toi. A cette époque, l'an dernier, nous tombions amoureux l'un de l'autre.

Elle se mit à rire, et ce rire le combla de joie.

— Tu es l'homme le plus sentimental que j'aie jamais rencontré, Kieran Devers. Je savais

que j'avais raison de t'aimer, même si cela devait me coûter MacGuire's Ford.

L'été s'acheva. Jasmine vint à Queen's Malvern avec son bébé, car rien n'aurait pu la

dissuader de rejoindre sa fille enceinte. Automne avait presque un an, à présent. Elle

pouvait voyager sans problème et Kieran se sentit rassuré de savoir que la mère de sa

femme était à ses côtés.

— Vous avez pris une sage décision en partant séparément, déclara-t-elle d'emblée.

Lorsque Charles Frederick Stuart célébra son vingtième anniversaire, son frère Henri

Lindley, marquis de Westleigh, India, comtesse d'Oxton, et son mari, Deveral Leigh,

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vinrent commémorer l'événement. En voyant ses quatre aînés réunis, ce soir-là, Jasmine

songea qu'ils étaient restés aussi proches que par le passé.

— Tu es le portrait de ton père, dit-elle à Charlie. Il avait vingt ans quand il est mort.

Dieu merci, tu es plus robuste que lui! Les domestiques l'ont porté jusqu'à l'âge de quatre

ans, alors la nuit, il se levait en cachette pour courir dans sa chambre. S'il n'avait pas fait

cela, ses jambes se seraient atrophiées et il serait resté invalide. Votre pauvre oncle

Charles a eu moins de chance. Il a énormément souffert pour apprendre à marcher. Tu as

dû remarquer qu'il boitait, Charlie?

— En effet, et je me demandais pourquoi, avoua-t-il. Vous étiez plus âgée que mon père,

maman, n'est-ce pas ?

— J'avais trois ans et demi de plus que lui, mais personne n'y trouvait rien à redire. En

vérité, tout le monde était soulagé qu'il ait enfin pris une maîtresse. Cela prouvait sa

virilité. Tu connais les rumeurs qui couraient à propos de ton grand-père, le roi James...

Jasmine lui sourit et lui tapota la main.

— Et toi, mon fils ? Aucune jeune fille n'a encore volé ton cœur?

Charlie s'empourpra.

— Je suis le neveu du roi, et même si ma naissance est discutable, les demoiselles se

montrent toujours charmantes avec moi, répondit Charles Stuart avec une lueur rieuse

dans les yeux.

— Dommage que maman n'ait pas été mariée au prince Henri, remarqua Henri Lindley.

Tu serais notre roi, aujourd'hui, et sûrement un meilleur roi que ce pauvre vieux Charles.

Il est incapable de prendre une décision sans y passer un temps fou. Et mieux vaut être

d'accord avec lui parce qu'il n'accepte aucune critique, n'écoute aucun conseil.

— Ce n'est pas un si mauvais roi, le défendit Jasmine.

— Les bonnes intentions ne suffisent pas à faire un bon souverain, maman, répliqua le

marquis de Westleigh. Encore heureux qu'il n'ait pas épousé cette Henrietta Marie ! Cette

catholique si pieuse et prétentieuse. Sa seule existence est source d'ennuis.

— Henri ! Tu oublies que ton beau-frère est catholique. Je ne t'ai pas élevé avec de tels

préjugés.

— Je n'ai rien contre les catholiques, maman. Je suis simplement réaliste. Je dirais la

même chose si c'était une puritaine. L'extrémisme n'apporte jamais rien de bon à un pays.

L'Angleterre est en train de changer et je ne suis pas certain d'aimer ces changements.

— Depuis des siècles, les Anglais sont partiaux en matière de religion. Sinon le peuple, du

moins leurs dirigeants.

— Le peuple aussi, estima Henri Lindley.

— Je croyais que vous étiez venus pour fêter mon anniversaire, remarqua Charlie. Le

moment est mal choisi pour parler politique ou religion. Pour une fois, nous sommes

tous réunis, ce qui n'arrivera peut-être jamais plus. Alors, mangeons, buvons et rappelons-

nous le bon vieux temps. Vous souvenez-vous quand nous nous étions sauvés en France

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parce que mon grand-père, le roi James, et ma grand-mère, la reine Anne, avaient décidé

que Jemmie Leslie était le mari idéal pour maman ?

— Il lui a fallu deux ans pour nous retrouver. Personne ne voulait lui dire où nous étions,

s'esclaffa India.

— Jusqu'à ce que Mme Skye fasse des allusions tellement énormes qu'il aurait fallu qu'il

soit simplet pour ne pas nous dénicher ! Renchérit Charlie en riant.

— Il nous a trouvés parce qu'il a suivi notre arrière-grand-mère en France, quand elle est

venue annoncer à maman la mort de notre arrière-grand-père, expliqua Fortune. Mais,

c'était vrai : papa était le mari idéal pour maman, et le père idéal pour nous.

— Sauf quand il se montre si têtu que rien ni personne ne peut lui faire entendre raison,

glissa India.

— Dieu du ciel, India ! s'exclama Henri Lindley. Ne me dis pas que tu as gardé rancune à

ce pauvre Glenkirk? Je pensais que tu lui avais pardonné depuis longtemps. Il a fait ce

qu'il a cru bon de faire.

— Oh, je lui ai pardonné! Je me rappelais seulement que cela a failli nous coûter notre

fils, à Dev et à moi.

— Moi, je préfère penser à notre enfance, dit Fortune. A cette époque où maman était à

la Cour et où nous demeurions avec Mme Skye et grand-père Adam. Te rappelles-tu le

poney noir qu'il t'avait donné, India ?

Sa sœur se mit à rire.

— Et comment ! Je le réclamais à cor et à cri depuis que tu étais née. J'affirmais même

que je préférais avoir ce poney plutôt qu'une petite sœur. Et tu te souviens comment tu

avais réussi à monter dessus à l'âge de trois ans ? Tu avais paradé dans la cour, fière

comme un pape !

— Et toi, tu étais furieuse que j'aie osé emprunter ton poney ! Le lendemain, grand-père

Adam m'en apportait un autre, un gris pommelé.

— Comment t'étais-tu débrouillée pour monter sur le mien ? Voulut savoir India.

— Avec l'aide d'Henri, avoua Fortune, l'œil malicieux.

— Henri ? répéta India en regardant son frère, outrée.

— Je n'avais pas prévu qu'elle irait faire le tour de la cour, avoua ce dernier en riant.

C'était une idée fixe chez elle, de monter sur cette bête. Et comme je mourais de peur à

l'idée que maman apprenne le rôle que j'avais joué dans cette affaire, je m'étais

discrètement éclipsé par l'arrière de l'écurie. Je l'avais contournée pour arriver avec tout

le monde, arborant mon air le plus innocent! Fortune ne m'a jamais dénoncé jusqu'à

aujourd'hui, ce dont je te suis infiniment reconnaissant, ma chère sœur.

— Je vois que vous vous êtes bien amusés, tous ensemble, mes enfants, soupira Jasmine.

Ma pauvre petite Automne va grandir seule, comme une enfant unique. Le plus jeune de

ses frères Leslie a douze ans de plus qu'elle. Quant à Patrick, à seize ans, il s'intéresse plus

aux jeunes filles qu'aux petites filles.

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Le lendemain, Henri Lindley rentra chez lui, à Cadby, India et son mari à Oxton, et

Charlie rejoignit la Cour.

Jasmine, ses deux filles et Kieran se retrouvèrent seuls à Queen's Malvern, ce vieux

manoir de brique propice aux humeurs mélancoliques. Quand ils furent informés que

l'expédition pour le Mary's Land partirait de Gravesend à la mi-octobre, ils décidèrent

qu'il serait plus simple que Kieran embarque sur le Rose de Cardiff à Liverpool, parte

chercher les colons en Irlande, à Dundalk, et retrouve les bateaux de Léonard Calvert au

cap Clear. Ils traverseraient alors le canal Saint-George et vogueraient vers le grand large.

— Nous devons envoyer un messager dès demain chez lord Baltimore pour confirmer ces

arrangements, dit Fortune. Et un autre à MacGuire's Ford pour que nos hommes soient à

Dundalk en temps voulu. Je t'accompagnerai à Liverpool, Kieran.

— Non, s'interposa Jasmine. J'irai, moi. Tu feras tes adieux à ton mari ici. Y aller en

voiture nous retarderait, et tu n'es pas en état de monter à cheval. Tu ne dois prendre

aucun risque si tu veux rejoindre le Mary's Land l'été prochain, Fortune.

— Je suis d'accord avec vous, madame, approuva Kieran.

Pour une fois, sa femme eut la sagesse de s'incliner.

— Je ne peux pas me battre seule contre vous deux, mais comme j'aimerais partir avec

toi, Kieran !

Au fur et à mesure que le jour fatidique approchait, l'angoisse de Fortune augmentait.

Une nuit, elle perdit courage.

— Nous sommes fous! Gémit-elle dans les bras de l'homme qu'elle aimait. Tant de

dangers te guettent! Les tempêtes, les risques de naufrage. L'idée que je pourrais ne plus

jamais te revoir m'est insupportable.

— Fortune, nous avons fait notre choix. Cet endroit que nous cherchons toi et moi se

trouve dans le Nouveau Monde. Nous en avons maintes fois discuté, voyons, murmura-t-

il en caressant la somptueuse chevelure rousse.

— Je n'ai qu'à me convertir au catholicisme et nous pourrions nous installer en Espagne

ou en France, à Belles-Fleurs, dans le château de maman. Mon grand-père Adam a de la

famille tout près, à Archambault. Nous serions heureux là-bas, Kieran.

— Toi, peut-être, mais pas moi, répondit-il en soupirant. J'ai ma fierté, Fortune, et il m'a

été assez difficile de la faire taire, ces derniers mois. Beaucoup pensent que je t'ai épousée

pour ton argent. Ce que je construirai dans le Nouveau Monde, je ne le devrai à

personne d'autre qu'à moi-même, et personne ne me regardera plus de travers. Je me suis

toujours moqué de ce que les gens pensaient de moi, mon amour, mais je t'ai épousée, et

il est hors de question que je vive de tes biens. Ni dans ton ombre. Je veux que nous

fassions notre chemin ensemble, Fortune, et ici, sur notre vieux continent, ce serait

impossible. Tu comprends pourquoi je tiens tant à partir, ma chérie?

— Je ne savais pas que tu ressentais cela, Kieran. Tout ce que j'ai est à toi. Si cela peut te

rendre heureux, je suis prête à le crier au monde entier !

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— Non, mon cœur. Je ne veux pas de ton argent. Ta famille a raison de veiller à ce que

ses femmes disposent de leurs propres biens. Mais le problème n'est pas là. Tu as ta fierté,

j'ai la mienne. Qu'arrive-t-il à ma petite femme si raisonnable ?

— Je ne veux pas que tu me quittes ! répondit-elle en fondant en larmes. Je n'ai aucune

envie de rester seule en Angleterre pour mettre notre enfant au monde.

— Tu ne seras pas seule, voyons. Ta mère sera près de toi, mon ange.

— C'est toi que je veux... Toi seul!

Jasmine avait prévenu Kieran que Fortune risquait parfois de se montrer versatile à cause

de son état.

— N'as-tu pas dit toi-même que notre seule chance de succès était d'arriver parmi les

premiers? lui rappela-t-il, doucement mais fermement, essayant de trouver des arguments

susceptibles de la calmer. Si je reste avec toi, nous n'aurons pas les meilleures terres pour

nos chevaux, tu le sais. Tu te débrouilleras très bien sans moi. India n'a-t-elle pas mis au

monde son premier enfant dans un pavillon de chasse isolé en pleine montagne? Avec

seulement deux domestiques pour l'aider? Une naissance est la chose la plus naturelle qui

soit. À présent, Fortune, cesse de faire l'enfant et reprends-toi.

Elle s'attendait à tout sauf à être sermonnée. La colère prit brusquement le pas sur le

chagrin.

— Comment oses-tu me parler ainsi ?

— Tu ne me laisses pas le choix, tu te conduis comme une petite fille gâtée, répliqua-t-il,

heureux de constater qu'au moins, elle ne pleurait plus.

— Je ne te pardonnerai jamais de m'avoir abandonnée !

— Quand tu arriveras dans le Mary's Land, l'été prochain, et que tu découvriras ta jolie

maison, les champs semés, des pâturages d'herbe grasse pour nos chevaux, tu ne diras

plus la même chose. C'est pour toi que je pars, Fortune, et pour notre enfant. Tu m'en

veux vraiment ?

Un doigt sous son menton, il l'obligea à relever la tête pour la regarder dans les yeux.

— Oui!

— Vraiment ? Insista-t-il en effleurant ses lèvres des siennes.

— Oui ! S’entêta-t-elle, bien que sa bouche répondît déjà à ce baiser naissant.

Il l'embrassa avec ardeur en la faisant basculer contre les oreillers afin de dénouer les

rubans de sa chemise de nuit. Quand il posa ses lèvres sur ses seins épanouis, qu'il

s'attarda sur les petites pointes déjà dures, Fortune se mit à gémir, non plus de

protestation mais de désir. Ses mains prirent le relais de sa bouche quand il se redressa

pour embrasser ses paupières fermées avant de murmurer :

— Peux-tu seulement imaginer combien tu vas me manquer, Fortune ? On dit que le

désir s'atténue chez la femme pendant la grossesse, mais ce n'est pas le cas chez l'homme.

Je te trouve plus excitante que jamais.

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— Alors, fais tes provisions d'amour avant de partir! Kieran... tu ne me seras pas infidèle,

n'est-ce pas? Souffla-t-elle en lui mordillant l'oreille. N'est-ce pas?

— Non, Fortune, répondit-il en glissant la main sous sa chemise de nuit.

L'instant d'après, il la pénétrait doucement. Cette vieille femme qui lui avait parlé de

l'absence d'ardeur des femmes enceintes avait raconté n'importe quoi. Fortune

s'arcboutait pour mieux le recevoir tandis qu'il lui caressait le ventre et les seins.

— Je te manquerai, c'est vrai, Kieran ? dit-elle avant de se laisser dériver sur les vagues du

plaisir.

— Oh, oui ! grogna-t-il en ralentissant le mouvement pour retarder l'instant suprême.

Leurs souffles se mêlèrent, leurs corps ne firent plus qu'un, et la jouissance les emporta

jusqu'au point de non-retour.

Durant les jours qui suivirent, ils assouvirent leur passion le plus souvent possible. Puis

vint le moment du départ de Kieran pour Liverpool. Fortune était parvenue à surmonter

ses craintes. Elle se tenait droite quand elle accompagna son mari jusqu'à son cheval. Ils

échangèrent un long baiser d'adieu, des mots tendres et des serments d'amour, se

donnèrent rendez-vous l'été prochain dans le Mary's Land et se séparèrent. Kieran

enfourcha son cheval et partit sans se retourner, suivi par Kevin, et par Jasmine.

Incapable de les regarder s'éloigner, Fortune rentra dans la maison. Sa mère ne serait pas

de retour avant une semaine. Elle se retrouvait seule avec Rois. Elle appela sa femme de

chambre pour lui tenir compagnie, mais quand celle-ci arriva, elle avait les yeux rouges.

— Ne pleure pas sinon je vais pleurer aussi. Je suis aussi triste que toi, Rois.

— Il fallait qu'ils partent, je le sais bien. Kevin espère acheter un petit bout de terrain,

dans le Mary's Land... Mais le moment est bien mal choisi maintenant que j'attends un

bébé.

Et elle se remit à sangloter.

— Tu es enceinte toi aussi ? Depuis quand ?

— Un tout petit peu après vous, milady.

— Kevin est-il au courant ?

Rois secoua la tête.

— Non. J'ai eu peur qu'il ne refuse de partir si je le lui disais.

Fortune se mit à rire. Tout cela lui semblait tellement absurde, tout à coup. Elle avait

épousé le frère de celui qu'on lui destinait, perdu sa dot par la même occasion, et se

retrouvait enceinte en même temps que sa femme de chambre pendant que leurs époux

respectifs partaient à l'autre bout du monde à la rencontre de leur destin ! Si on lui avait

raconté une histoire pareille deux ans plus tôt, la jeune femme raisonnable et sensée

qu'elle était l'aurait trouvée comique.

— Eh bien, Rois, il ne nous reste plus qu'à espérer que nos maris réussiront dans leur

entreprise. Nous nous tiendrons compagnie en attendant nos bébés, n'est-ce pas ? Sais-tu

tricoter ? Moi non, mais je sais coudre et broder. Cela nous occupera !

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Avec l'aide de Rohana, elles commencèrent leur layette en s'inspirant de patrons anciens.

Automne leur tenait compagnie tout en jouant avec des bouts de tissu ou des pelotes de

laine.

Jasmine fut de retour huit jours plus tard, escortée par les hommes en armes de Glenkirk.

— Ils ont pris la mer par bon vent, annonça-t-elle. Ne fais pas cette tête, ma chérie !

J'étais moi-même enceinte d'India quand j'ai traversé l'océan, et j'ai survécu !

— En ce moment, ils doivent voguer avec les colons vers leur rendez-vous avec Léonard

Calvert, soupira Fortune.

À vrai dire, l'expédition de lord Baltimore avait quitté Gravesend, mais elle n'alla pas

loin. Cecil Calvert avait eu la sagesse de rester en Angleterre. Ses ennemis avaient

répandu la rumeur que ses deux bateaux, l'Ark et le Dove, transportaient des soldats et

des religieuses en Espagne. Lord Baltimore dut aller se défendre à la Cour. Ses vaisseaux

furent arrêtés par un bateau du roi et forcés de faire halte à Cowes, sur l'île de Wight. Ils

y restèrent presque un mois avant de pouvoir reprendre la mer.

Sachant que le Rose de Cardiff les attendait au cap Clear, le capitaine de l’Ark fit prévenir

Kieran Devers via un navire en partance, lui suggérant de se rendre à la Barbade et d'y

attendre l'expédition de lord Baltimore qui ne devrait plus tarder.

Le 22 novembre, les colons quittèrent enfin l'île de Wight. Ils venaient de perdre de vue

les côtes de l'Angleterre quand ils essuyèrent une violente tempête. Puis un temps calme

succéda à ces turbulences et le voyage jusqu'à la Barbade se poursuivit sans heurt. Le

capitaine de l'Ark n'avait même jamais connu une mer aussi calme. Toutefois, ils n'avaient

pas revu le Dove, après l'orage, et ils espéraient de tout cœur qu'ils les rejoindraient

bientôt.

Kieran Devers et ses compagnons, quant à eux, firent la traversée sous un ciel sans nuage

et sur une mer d'huile, si bien que Mme Jones et Taffy installèrent leurs plants sur le pont,

à l'abri d'un petit enclos de fortune. Au bout de six semaines, le Rose de Cardiff accosta à

la Barbade afin d'attendre le reste de l'expédition.

Le gouverneur de l'île, sir Thomas Warner, accueillit les nouveaux venus avec un

enthousiasme mitigé. Appartenant à la compagnie O'Malley-Small, le Rose de Cardiff

était un bateau de petite importance. D'autre part, il était plein d'Irlandais catholiques.

Choisissant la prudence, il décida d'inviter Kieran et le capitaine afin d'en savoir un peu

plus. Kieran permit aux colons de visiter l'île tout en les prévenant que s'ils causaient le

moindre problème, ils seraient consignés à bord. Il se rendit ensuite avec le capitaine

O'Flaherty chez sir Thomas où ils furent très bien reçus.

Pour la première fois de sa vie, Kieran découvrit des bananiers croulant de ces fruits

jusqu'alors inconnus de lui. Ils poussaient dans le jardin du gouverneur qui expliqua à ses

invités comment manger une banane et leur proposa d'en emporter sur le bateau.

— Avec votre permission, my lord, nous resterons sur l'île en attendant l'arrivée de

l'expédition de lord Baltimore, fit Kieran. Nous ne sommes pas des marins, pour la

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plupart, et nous ne sommes pas mécontents de retrouver la terre ferme. Mes hommes

sont surtout des fermiers.

— Et quelle est votre destination, si je puis me permettre ?

— La nouvelle colonie de lord Baltimore, le Mary's Land.

— On m'a dit qu'elle était réservée aux catholiques.

— Pas du tout, monsieur, rectifia Kieran, lui expliquant leur projet fondé sur la tolérance.

Quand le gouverneur comprit qu'ils n'avaient rien à voir avec les Espagnols, et que le

demi-frère de sa femme était le neveu du roi, quand ils eurent évoqué Jasmine que sir

Thomas avait croisée et dont il n'avait pas oublié la beauté, il déclara :

— Vous êtes les bienvenus sur l'île, messieurs, et vous pourrez y rester aussi longtemps

que vos hommes ne créeront pas de troubles.

Kieran le remercia.

— Bien joué, lui glissa le capitaine O'Flaherty. La famille serait fière de vous.

Kieran regarda le capitaine et son regard lui parut familier.

— Par tous les saints! S’exclama-t-il dans un murmure. Vous êtes des leurs, n'est-ce pas ?

— Ualtar O'Flaherty, fils de Ewan, petit-fils du grand Skye, arrière-petit-fils de Dubhara

lui-même, répondit-il avec un sourire. Votre femme et moi sommes cousins, bien que je

n'aie jamais eu le plaisir de la rencontrer, ni elle ni ses frères et sœurs. J'ai seulement

rencontré ma grand-mère Skye à deux reprises dans mon existence. Mon père est le

seigneur de Ballyshenessey en Irlande. Je suis le seul de ses fils à avoir été attiré par le

large. Ma grand-mère m'a aidé à réaliser mon rêve. Le Rose de Cardiff est un sacré

bateau. Ensemble, nous sommes déjà allés à Alger, San Lorenzo, Marseille, Naples,

Venise, Athènes, Alexandrie, Istanbul.

— J'aurais dû deviner tout de suite qui vous étiez. Décidément, je n'ai pas mis les pieds

dans une famille ordinaire, Ualtar O'Flaherty!

— J'en ai peur, monsieur! répondit plaisamment le capitaine.

Au début du mois de janvier, l'Ark accosta à son tour à la Barbade et fut accueilli avec

joie par les hommes du Rose de Cardiff. Tous comme ces derniers à leur arrivée, ils furent

enchantés par la végétation exotique, les fleurs et les arbres luxuriants, les oiseaux aux

couleurs vives.

Durant les semaines qui suivirent, ils chargèrent leurs vaisseaux de maïs, de pommes de

terre et de quantité d'autres provisions, renouvelant leurs cargaisons épuisées,

notamment l'eau douce.

À leur grand bonheur, le Dove finit par les rejoindre, en compagnie d'un grand navire

marchand, le Dragon. La tempête les avait contraints à s'abriter dans un port en

Angleterre, ce qui les avait retardés. L'expédition de Léonard Calvert étant enfin au

complet, ils levèrent l'ancre peu après, au grand soulagement du gouverneur qui n'avait

jamais pu se débarrasser de l'idée que les catholiques étaient plus fidèles à leurs frères

espagnols qu'au roi protestant d'Angleterre.

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Ils atteignirent la Virginie en mars. Malgré les tentatives de certains pour empêcher la

colonisation du Mary's Land, le roi avait envoyé des instructions précises au gouverneur

qui reçut Léonard Calvert et ses compagnons avec courtoisie. Ils demeurèrent neuf jours

en Virginie sans rencontrer de problème et repartirent avec des vœux de réussite, des

cadeaux et un nouveau passager, le capitaine Fleet, qui leur servirait d'intermédiaire avec

les Indiens et de guide à travers le Chesapeake.

Quand les bateaux abordèrent la baie, les colons se pressèrent au bastingage pour

découvrir leur futur pays. Ce qu'ils virent les éblouit. Kieran sut immédiatement qu'il ne

s'était pas trompé. Il avait l'impression d'arriver enfin chez lui, et se sentit infiniment

calme et confiant. Il regretta seulement que Fortune ne soit pas là, et ne douta pas un

instant qu'elle ne partagerait pas son émerveillement. Il se précipita dans sa cabine pour

lui écrire, car le Rose de Cardiff devait retourner sur-le-champ en Angleterre, et il voulait

lui faire part de ses premières impressions. Ce n'était pas sa première lettre puisqu'il lui

avait écrit quotidiennement depuis son départ. Il se demandait si son fils était né...

Le 25 mars 1634, ils accostèrent sur une île inhabitée qu'ils appelèrent Saint-Clément. Le

prêtre du gouverneur Calvert, le frère White, dit une messe solennelle, après quoi,

Léonard Calvert prit possession du Mary's Land au nom de Dieu, du roi Charles Ier, et de

son frère, lord Cecil Baltimore.

Le même jour, peu après minuit, à Queen's Malvern, Fortune entra en travail. Son enfant

arrivait avec une petite semaine de retard sur les prévisions. Heureusement que sa mère

était là, car, sur le point d'accoucher elle aussi, Rois ne lui fut pas d'une grande utilité.

Jasmine envoya la jeune servante chercher Rohana et Toramalli.

— Je n’aurais jamais cru que c'était aussi douloureux, maman ! Quand India a commencé

à avoir ses contractions, je suis partie vous chercher, vous vous rappelez ?

— Oui, chérie. Lève-toi. Nous allons marcher pour essayer d'accélérer le travail, mais je

ne te promets rien.

— C'est encourageant!

Les servantes de Jasmine entrèrent dans la chambre et installèrent la table devant le feu.

La duchesse se souvenait de la naissance de son fils Charlie, ici même, à Queen's Malvern.

Son père, le prince Henri, les avait aidés. Il lui avait murmuré des mots doux tout en la

massant pour la détendre. Au moment de la délivrance, il avait demandé à Adali de

prendre sa place, avait contourné la table et mis au monde le petit Charlie de ses propres

mains. Des larmes brouillèrent la vue de Jasmine. Henri Stuart était un homme si bon, si

doux...

— Maman! cria Fortune, la forçant à revenir dans le présent. Je ne peux pas faire un pas

de plus. Les contractions sont de plus en plus douloureuses et de plus en plus

rapprochées.

Le jour n'allait pas tarder à se lever. Fortune était en travail depuis des heures,

maintenant.

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— Le moment est venu de t'allonger sur la table, déclara Jasmine.

La jeune femme s'exécuta, aidée par Toramalli. Rohana se plaça derrière elle pour lui

tenir les épaules.

— J'ai vu naître votre maman ainsi que vos frères et sœurs, lui dit cette dernière. Je vais

maintenant voir naître votre enfant, milady Fortune. Je suis bien triste que vous deviez

partir. Je ne verrai pas les autres enfants que vous fera votre beau mari.

— Je le hais! cria Fortune. Comment a-t-il pu me faire une chose pareille et

m'abandonner pour aller courir le guilledou à l'autre bout du monde pendant que je

souffre le martyre ? Oooh ! Cet enfant va-t-il enfin se décider à naître ? Maman ! Cela fait

des heures !

— Tu me rappelles India, répondit Jasmine. Je t'ai dit que ton enfant viendrait au

moment venu, pas avant.

Plusieurs heures s'écoulèrent encore et l'après-midi était déjà bien avancé quand la tête du

bébé apparut enfin. Jasmine encouragea sa fille pour qu'elle trouve la force de pousser.

Lentement. Lentement. La tête sortit dans son entier, puis une épaule, et la seconde. Une

dernière poussée et l'enfant fut propulsé hors du ventre de sa mère.

Il ouvrit tout de suite les yeux, découvrit sa grand-mère, et se mit à hurler, comme s'il

était outragé.

— C'est une petite fille, annonça Jasmine, aux anges.

— Vraiment? Parvint à articuler Fortune, épuisée. Laisse-moi la voir, maman.

Elle tendit les bras et Jasmine lui donna son enfant.

— Seigneur! s'écria Fortune. Elle est couverte de sang ! Maman ! A-t-elle souffert ?

— Tout va bien, ne t'inquiète pas. Nous allons la laver et tu verras que ta petite fille est

en pleine santé. Que Dieu la bénisse !

Fortune contempla le visage congestionné de son nouveau-né qui continuait à se

démener furieusement ! Elle se mit alors à la bercer, lui murmurant des paroles tendres.

Comme par magie, le bébé cessa de pleurer et fixa sa mère.

— Elle a les yeux bleus ! S’émerveilla-t-elle, envahie par une bouffée d'amour

indescriptible.

— Tous les bébés ont les yeux bleus, ma chérie. Tu devrais le savoir.

— Elle est chauve, constata encore Fortune.

— Les filles le sont souvent. Toutefois, j'aperçois un petit duvet roux, ajouta Jasmine en

effleurant le minuscule crâne. Comment allons-nous l'appeler?

— Aine, décida Fortune. Comme la petite sœur de Kieran. Je ne m'attendais pas à avoir

une fille, maman. Je ne sais pas pourquoi, mais j'étais certaine que j'aurais un garçon, et

je comptais lui donner le prénom de papa, James. Mais quelque chose me dit que cette

petite doit s'appeler Aine, Aine Mary Devers, répéta-t-elle en caressant la tête de sa fille.

Et je veux qu'elle reçoive le baptême catholique, c'est ce que souhaiterait son père.

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— Nous ne pouvons faire venir un prêtre ici, dans la maison de ton frère, Fortune. Aine

doit être baptisée selon les rites de l'Église anglicane. Quand vous serez dans le Mary's

Land, tu feras ce que bon te semble, mais ici, tu es obligée de te plier aux règles en

vigueur, tout comme l'a fait la reine. Tu comprends ?

Fortune hocha la tête.

— Bien. À présent, Toramalli va s'occuper de laver ton bébé pendant que tu évacueras le

placenta. Nous l'enterrerons sous un chêne du domaine pour qu'Aine Mary Devers soit

forte et robuste tout au long de sa vie.

Elle confia le bébé à sa fidèle servante et demeura près de sa fille. Une fois la toilette de

la mère et de l'enfant terminée, Fortune retrouva son lit, et le nouveau-né fut installé

dans son berceau, près du feu, Rohana à son chevet. Jasmine apporta une boisson

fortifiante à sa fille.

Fortune la but lentement. Très vite, elle sombra dans un sommeil réparateur sous l'œil

attendri de la duchesse. Celle-ci caressa tendrement le front de la jeune femme endormie,

puis s'approcha de sa petite-fille. Elle avait le teint clair et la finesse de sa mère. Kieran

serait déçu, mais il aurait tout le temps de faire des garçons à sa femme, dans le Mary's

Land.

— J'enverrai Polly ou Joan te relayer dans un moment, Rohana.

— Oui, milady. C'est une jolie petite fille, n'est-ce pas? Hélas! Nous ne la verrons pas

grandir, c'est dommage.

— Oui, bien dommage, admit la duchesse en soupirant.

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CHAPITRE 16

— Maman ! Maman ! Le capitaine du Rose de Cardiff est ici ! s'écria Fortune. Oh,

monsieur ! Nous commencions à désespérer de vous voir revenir. Comment va mon

mari? Quand partons-nous pour le Mary's Land ? Rois ! ajouta-telle en virevoltant. Nous

devons commencer à faire nos bagages !

— Capitaine O'Flaherty? Je suis Jasmine Leslie, duchesse de Glenkirk, dit sa mère en la

rejoignant.

Ualtar O'Flaherty s'inclina sur la main racée qu'elle lui tendait.

— Nous sommes cousins, madame, grâce à la grande Skye O'Malley, notre grand-mère

commune. Nous ne nous étions jamais rencontrés, aussi ai-je voulu remédier à ce

manque en venant moi-même apporter les lettres de Kieran. J'espère que vous me

pardonnerez de ne pas m'être fait annoncer.

Sa cousine était aussi belle qu'on le lui avait dit, constata-t-il en admirant les superbes

cheveux de jais, les yeux turquoise frangés d'épais cils noirs. La femme de Kieran était

magnifique, elle aussi, avec sa somptueuse chevelure de feu et ses yeux du même bleu-

vert que les siens et ceux de Skye O'Malley.

— Vous êtes plus que le bienvenu, cousin, répondit Jasmine. Vous devez être l'un des fils

de mon oncle Ewan, n'est-ce pas ?

— Le plus jeune.

— Parlez-nous du Mary's Land, le pressa Fortune.

— Nous pourrions peut-être proposer d'abord à notre cousin de s'asseoir près du feu et

de boire quelque chose, non ? suggéra Jasmine. Juin est un mois capricieux, chaud un

jour, froid le lendemain. Il pleut depuis trois jours sans discontinuer. Vous devez avoir

froid, si vous êtes venu à cheval.

— Vivre en mer apprend à s'adapter à tous les temps, madame, répondit-il en acceptant

le verre de vin qu'on lui apportait.

Ils s'installèrent autour de la cheminée du salon et le capitaine tendit à Fortune un gros

paquet.

— Qu'est-ce que c'est?

— Votre mari a consigné son voyage dans un journal quotidien. Il m'a prié de vous le

remettre, ainsi que cette lettre, milady.

Il dégusta son vin en connaisseur.

— Il va bien ?

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— Il était en pleine santé quand je l'ai quitté, milady. La traversée s'est bien passée, les

Virginiens se sont montrés accueillants et le Mary's Land est un pays splendide, au-delà de

tout ce que vous pouvez imaginer. Je pense que votre mari vous a décrit tout cela en

détail. Nous avons rapporté une cargaison de poisson salé de notre colonie de Plymouth

ainsi que des peaux de castor et de renard. Un voyage qui s'est révélé fort profitable,

milady.

— J'espère que vous resterez chez nous quelques jours, cousin, s'enquit Jasmine.

— J'en serai très honoré, madame.

Pendant que sa mère s'entretenait avec le capitaine, Fortune ouvrit son paquet. Elle était

tentée de lire d'abord la lettre, mais préféra respecter l'ordre chronologique. Elle n'acheva

la lecture du journal qu'en fin d'après-midi, et les domestiques dressaient déjà la table du

dîner quand elle ouvrit enfin la missive qu'elle lut en jurant entre ses dents.

— Connaissez-vous le contenu de cette lettre, cousin ?

— Oui.

— Et vous êtes d'accord avec mon mari ? Ne pensez-vous pas qu'il empire la situation?

Kieran semble tenir à ce que tout soit parfait quand j'arriverai, mais je n'ai pas besoin de

cela.

— Il n'a rien exagéré, Fortune. Le Mary's Land est une région sauvage, couverte de forêts.

Il y a un énorme travail à accomplir avant de la rendre habitable. Les quelques femmes

qui sont venues à bord de l'Ark et du Dove travaillent comme des damnées.

Fortune était contrariée. Ce n'était pas ce qu'elle avait envie d'entendre.

— Que se passe-t-il ? demanda Jasmine.

— Kieran ne veut pas que nous le rejoignions avant l'été prochain. La terre n'a pas encore

été divisée et ils vivent dans un village avec les Indiens. Je savais que j'aurais dû partir

avec lui !

Jasmine se tourna vers le capitaine O'Flaherty.

— Nous ne sommes arrivés qu'en mars dernier, fit-il en leur exposant les raisons de leur

retard. La colonie n'a pu être fondée que le 25 mars.

— Le jour où Aine est née ! s'exclama Fortune.

— Aine?

— Aine Mary Devers, ma fille. Je suis restée ici parce que j'étais enceinte. J'ai accouché le

25, et ma servante Rois deux jours plus tard, le 27, d'un petit garçon qu'elle a appelé

Brendan.

— Votre mari va être fou de joie, dit Ualtar O'Flaherty. Il ne cesse de parler de vous et

du bébé. Je suis impatient de voir sa tête quand je lui annoncerai la nouvelle.

— Je la lui annoncerai moi-même.

— Attends, chérie, intervint sa mère. Je veux en savoir plus sur les conditions de vie là-

bas, d'accord? Alors, cousin?

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— Les colons ont trouvé un village d'Indiens wicocomoco, au bord d'une petite rivière,

au nord du Potomac. Le gouverneur a aimé la région et a demandé au chef local la

permission de s'y installer. C'est une zone bien irriguée et, sur la côte, la mer est assez

profonde pour que des vaisseaux puissent s'ancrer. Les Indiens ont eu des problèmes avec

une tribu belliqueuse, les Susquehanocks. Ils ont accepté de partager leur village avec

nous en échange de notre protection, en attendant qu'ils trouvent une autre terre où

s'installer. Les colons vivent dans des wigwams indiens, des sortes de huttes faites

d'herbes, de boue, de bouts de bois et de peaux de bêtes. C'est primitif et rude. Quand

les Indiens seront partis, les colons construiront une palissade fortifiée et un poste de

garde, ainsi qu'un entrepôt pour la nourriture. La réalisation du fort devra être terminée

avant que les hommes puissent s'occuper de bâtir leur maison.

« En ce moment même, le Rose de Cardiff est en train d'être chargé de provisions. Le

gouverneur a donné des ordres pour qu'aucune femme, et encore moins des enfants,

n'arrive avant l'été prochain. Votre mari partait pour la Virginie acheter du bétail et des

volailles quand j'ai repris la mer. Ses hommes travaillent dur. Mme Jones et Taffy sont

une vraie bénédiction pour la colonie. Voilà quelle est la situation, cousine.

— Tu dois te plier aux ordres du gouverneur, ma chérie, je ne vois pas d'autre solution.

Nous pouvons aller à Glenkirk ou bien rester ici, ce sera comme tu voudras. Je suis sûre

que Charlie ne verra pas d'inconvénient à ce que nous prolongions notre séjour.

— Comment pouvez-vous supporter d'être séparée de papa aussi longtemps ? Non,

mère, vous devez rentrer à Glenkirk.

— Ton père sera sûrement d'accord pour passer l'été en Angleterre dès lors qu'il sait qu'il

sera rentré en Écosse à temps pour la chasse à la grouse.

Jasmine n'avait pas l'intention de laisser Fortune. Certes, elle n'avait pas le goût du risque,

comme sa sœur India, mais mieux valait rester prudente. Elle veillerait à ce qu'elle ne

s'embarque pas clandestinement sur le Rose de Cardiff avec Rois et les bébés.

— Tu ferais bien d'écrire à Rory MacGuire pour qu'il prévienne les femmes de ce départ

différé, suggéra la duchesse à sa fille.

— Je persiste à penser que le gouverneur Calvert est exagérément prudent.

— C'est mieux pour les petits, Fortune.

— Mais pas pour Rois et moi, grommela la jeune femme. Kieran me manque, le soir,

dans mon lit.

Jasmine et Ualtar O'Flaherty se mirent à rire.

— Je suis heureux de constater que les femmes de la famille ont toujours le sang aussi

chaud, remarqua le capitaine, riant de plus belle quand les joues de Fortune virèrent à

l'écarlate.

James Leslie arriva de Glenkirk. Il s'extasia devant la petite Aine et connut quelques

difficultés à apprivoiser Automne qu'il impressionnait, mais quand la fillette recommença

à lui sourire et à jouer avec lui, il fut le plus heureux des hommes.

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— Je veux que tu rentres à la maison avec moi en septembre, Jasmine, confia-t-il un soir

à sa femme.

— J'ai peur de laisser Fortune seule. Je crains qu'elle ne prenne le premier bateau en

partance pour rejoindre son mari. Il lui manque terriblement.

— Fortune est une femme, remarqua le duc. Je lui demanderai de me donner sa parole

d'honneur qu'elle attendra sagement l'année prochaine, Jasmine chérie. Si Automne et toi

restez ici, elle m'oubliera encore une fois. Et puis je ne peux pas laisser Patrick seul trop

longtemps.

— Désolée, mon Jemmie, mais lorsque Fortune embarquera je ne sais pas si je la reverrai

un jour. Automne va avoir deux ans. Tu n'as qu'à rentrer à Glenkirk en septembre et

revenir pour Noël. Patrick est un homme, maintenant. Il peut diriger le domaine sans toi.

Toi non plus tu ne reverras sans doute plus Fortune. Réfléchis à ma suggestion, mon

amour.

Comme elle s'y attendait, James Leslie acquiesça. A la fin du mois d'août, il retourna en

Écosse en promettant de revenir en décembre. Charlie, qui était revenu passer l'été avec

eux, repartit à la Cour afin de soutenir le roi dans sa bataille sans fin contre les puritains.

Ils étaient de plus en plus virulents et ne toléraient pas que la reine soit catholique, même

si elle avait donné trois enfants, dont deux garçons, au souverain, qu'elle était de

nouveau enceinte et qu'ils avaient tous été baptisés par l'Église anglicane.

En octobre, un gentleman se présenta à Queen's Malvern. Il s'appelait sir Christian Denby

et venait d'hériter d'un domaine dans le voisinage.

— J'ignorais que sir Morton Denby avait un fils, remarqua la duchesse en étudiant le

jeune homme.

Il était vêtu simplement d'un costume noir plutôt sévère, avec un col blanc amidonné.

— Il n'en a pas, madame. Je suis le fils cadet de son frère. Mon oncle a eu la générosité

de me laisser Oakley, puisque mon frère aîné héritera des biens de mon père, plus tard.

Je suis venu inspecter mon domaine et j'en profite pour me présenter à mes voisins.

— Je suis désolée que mon fils, le duc de Lundy, ne soit pas là, sir Christian. Son oncle, le

roi, requiert sa présence à la Cour une bonne partie de l'année. Je suis la duchesse de

Glenkirk et voici ma fille, lady Lindley.

Sir Christian s'inclina et accepta le verre de vin que lui proposait Adali.

— Vivez-vous ici, madame?

La duchesse choisit de s'amuser plutôt que de s'offenser de la question par trop directe.

— Seulement en été, monsieur. J'habite en Écosse, mais ma fille séjourne ici en attendant

de rejoindre son mari dans le Nouveau Monde, l'année prochaine. J'ai décidé de rester

avec elle et son bébé. J'ai moi-même une petite dernière qui est également ici. Et vous,

monsieur ? Avez-vous emmené votre épouse ?

— Je n'ai pas encore eu le plaisir de connaître la félicité conjugale, madame.

Fortune réprima une envie de rire.

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— Trouver une épouse n'est pas chose facile de nos jours, continua-t-il. J'aimerais

rencontrer une femme heureuse de vivre à la campagne, très pratiquante, discrète dans sa

façon de s'habiller et de s'exprimer, obéissante. Elle devra savoir tenir une maison, me

donner des enfants et leur apprendre les bonnes manières. Bien sûr, elle devra avoir une

dot respectable. Ce ne sont pas les femmes irrévérencieuses, volages et effrontées qui

manquent, aujourd'hui.

— J'en conclus que vous êtes puritain, dit plaisamment Jasmine.

— En effet, rétorqua-t-il avec une pointe de défi, comme s'il s'attendait à être critiqué.

— Nous sommes anglicans, l'informa simplement la duchesse.

— Votre mari est en Virginie? S’enquit alors sir Christian en se tournant vers Fortune qui

tenait Aine dans ses bras.

— Dans le Mary's Land, monsieur.

— La colonie catholique ? Jamais le roi n'aurait dû permettre une chose pareille. Encore

un coup de la reine et de ses amis ! Votre mari est donc catholique.

— Mon mari est catholique, mais le Mary's Land est un lieu où tous les hommes et les

femmes de bonne volonté pourront vivre en paix. Apprenez, monsieur, que la plupart

des colons sont protestants.

— Excusez-moi mais il est de notoriété publique que lord Baltimore envisage d'envahir la

Virginie et d'y installer les Espagnols qui sont ses alliés, rétorqua hargneusement sir

Christian.

Fortune éclata de rire.

— C'est la chose la plus absurde que j'aie jamais entendue! Vous ne devriez pas écouter

des rumeurs aussi ridicules, et encore moins les répandre.

— Si elles sont aussi ridicules, madame, pourquoi n'êtes-vous pas avec votre mari ? Glissa-

t-il en la scrutant de ses petits yeux noirs malveillants.

— Tout simplement parce que nous n'avons pas encore de maison décente. Je partirai au

printemps pour le rejoindre, quand ce problème sera résolu.

Sir Christian posa les yeux sur Aine. Il tendit un doigt et lui releva le menton.

— Votre enfant sera élevé dans la foi catholique?

Aine regarda l'inconnu et éclata en sanglots.

— Ôtez votre main de ma fille, monsieur, dit tranquillement Fortune avant de consoler

tendrement son bébé.

— Nous sommes ravies de vous avoir rencontré, monsieur, enchaîna la duchesse,

congédiant leur visiteur le plus courtoisement possible.

Il se leva.

— Comment pouvez-vous tolérer que votre petite-fille soit élevée dans le catholicisme ?

— Vos questions sont totalement déplacées, monsieur, j'en ai peur.

Sir Christian Denby s'inclina brièvement et se retira.

Aine s'était enfin arrêtée de pleurer.

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— Quel homme déplaisant ! remarqua Fortune. J'espère que nous ne le reverrons plus.

Automne Leslie célébra son deuxième anniversaire à la fin du mois d'octobre, puis

Jasmine et Fortune partirent deux jours pour Cadby afin de rencontrer la future épouse

d'Henri Lindley. Dans sa lettre, le jeune homme avait plaisamment refusé de donner son

nom, affirmant à sa mère que ce serait une surprise. Et c'en fut une. Il s'agissait de Cecily

Burke, fille de lord Burke de Clearfields, l'oncle de sa mère. De trois ans plus jeune

qu'Henri, Cecily était une belle jeune fille brune aux yeux bleu-vert.

— Mais, comment...? S’étonna la duchesse.

— Je sais, nous ne nous étions pas revus depuis l'enfance, mais je suis allé à la Cour,

l'hiver dernier, à la demande de Charlie. C'est là que j'ai rencontré Cecily, qui est dame

d'honneur de la reine parce qu'elle parle couramment français. Je suis tombé amoureux

au premier regard, mère. Je suis ensuite allé plusieurs fois à Clearfields, et Cecily est

venue ici avec sa famille.

— Et tu ne m'en as jamais rien dit! s'exclama Jasmine, se demandant comment elle devait

le prendre.

Mais Fortune s'esclaffa.

— Eh bien, Henri ! Je ne t'aurais jamais cru aussi romantique.

— Oh, cousine, il l'est tellement! Roucoula Cecily.

Tout le monde se mit à rire de son ingénuité.

— Et vous, mon oncle ? fit Jasmine à Padraic Burke. Vous auriez pu m'écrire, non?

— Je n'étais sûr de rien jusqu'à ce que votre fils me fasse sa demande. Il était inquiet

parce qu'ils sont cousins, mais il n'y a pas de problème de consanguinité puisqu'ils ne le

sont pas au premier degré. Qu'en pensez-vous, chère nièce ?

— Je suis très heureuse du choix de mon fils, bien que Cecily et moi soyons de la même

génération, puisque vous êtes le frère aîné de ma mère, mon oncle.

Les yeux de Cecily Burke pétillèrent de gaieté.

— Si je comprends bien, Henri, nos enfants seront de ta génération !

— Dieu du ciel ! s'exclama le marquis de Westleigh, suscitant un éclat de rire général.

Une fête fut donnée pour célébrer les fiançailles et, à la surprise de Fortune, sir Christian

Denby comptait parmi les invités. Il ne la lâcha pas de toute la soirée malgré ses

tentatives pour se débarrasser de lui.

— Vous ne devriez pas sortir sans être escortée, madame, décréta-t-il.

— Je suis chez mon frère, lui fit-elle remarquer.

— Votre robe est beaucoup trop décolletée, observa-t-il peu après, sans pouvoir

néanmoins détacher les yeux du décolleté en question.

— La vue de ma poitrine vous troublerait-elle, monsieur? Vous êtes libre de regarder

ailleurs, vous savez.

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— Comment le pourrais-je quand vous exhibez vos charmes aussi effrontément?

Chercheriez-vous à prendre un amant en l'absence de votre mari, madame ? J'ai appris

que votre mère s'était autrefois adonnée à cette pratique coupable.

Tant d'audace surprit tellement Fortune qu'elle se demanda si elle avait bien entendu,

mais il insista :

— N'était-elle pas la courtisane du prince Henri, madame ?

Fortune le gifla à toute volée, fit volte-face et le planta là.

Henri Lindley se précipita vers sa sœur.

— Que s'est-il passé?

— Pourquoi invites-tu cet homme dans ta maison ?

— C'est le cousin d'un de mes voisins. Il est nouveau dans le coin et il paraît qu'il cherche

à se marier. Mes amis ont pensé que ce serait une bonne occasion pour lui de rencontrer

l'âme sœur. Pourquoi l'as-tu giflé, Fortune?

— Parce qu'il m'a insultée et qu'il a insulté maman, Henri.

Elle lui raconta brièvement leur altercation et ajouta :

— C'est un puritain. Tu ne devrais pas le recevoir. Mais je ne veux pas gâcher la fête en le

faisant jeter dehors. Arrange-toi simplement pour qu'il ne se retrouve jamais sur mon

chemin !

Quelques jours plus tard, cependant, l'impudent se présentait à Queen's Malvern. Il

repoussa les domestiques qui tentaient de s'interposer et fit irruption dans le salon où se

trouvaient Fortune et sa mère.

— Je suis venu vous présenter mes excuses, mesdames, déclara-t-il.

Fortune bondit sur ses pieds.

— Sortez d'ici! Comment osez-vous vous introduire chez nous sans vous être fait

annoncer? Vous n'êtes pas le bienvenu ici, monsieur !

— Si je me conduis ainsi, madame, c'est que je m'inquiète de vous savoir seule.

— Je ne suis pas seule, monsieur, je suis avec ma mère et ma sœur. J'ai également ma

fille, et la maison est pleine de domestiques que je connais depuis toujours. De plus, mon

beau-père ne va pas tarder à arriver, alors, je ne suis pas seule !

— Il faut que je vous parle en privé, lady Lindley. Je crains pour votre enfant. L'élever

dans la foi catholique, c'est condamner son âme noircie par le péché à l'enfer éternel.

— Je vous plains, monsieur, de croire des choses pareilles. Quelle sorte de Dieu vénérez-

vous donc? Ma fille est pure de tout péché, comme tous les bébés? Sortez! Et ne revenez

jamais !

— Adali, dit calmement Jasmine. Escorte ce monsieur hors d'ici et veille à ce qu'il ne

franchisse plus cette porte.

— Oui, ma princesse, répondit Adali, qui s'empressa de guider l'indésirable vers la sortie.

— Seigneur! s'exclama Fortune. Comment les gens peuvent-ils éprouver tant de haine

pour ceux qui ne pensent pas comme eux, maman? De tels raisonnements me dépassent.

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— Moi aussi, je l'avoue. Nous devrions plutôt avoir pitié de sir Christian.

— Il me fait peur. Et sa façon de vouloir sauver Aine à tout prix... Je ne veux plus jamais

qu'il s'approche de mon enfant. Cet homme est le diable !

Ne voulant pas alarmer sa fille, la duchesse se garda de répondre, mais elle partageait ses

craintes. Elle prit soin de prévenir Adali que sa petite-fille devait être surveillée

attentivement.

James Leslie revint d'Ecosse quelques jours avant Noël, et Henri arriva de Cadby avec

Cecily et ses parents. Leur mariage était prévu le 23 décembre, dans la chapelle de

Queen's Malvern. Toute la famille allait se retrouver rassemblée, comme au temps de

Skye O'Malley et de son mari, Adam de Marisco.

Le jour de la cérémonie, un beau soleil hivernal éclairait la chapelle familiale où plusieurs

mariages avaient été célébrés. La petite Automne Leslie précéda la mariée, accomplissant

ainsi son premier devoir public.

Arrivée au niveau de l'autel, elle se retourna brusquement et demanda de sa petite voix

aiguë :

— Maman, je vais où maintenant ?

Un éclat de rire général s'éleva dans l'assistance et Charles Frederick Stuart se pencha pour

attraper sa petite sœur :

— Dans mes bras, lady Automne, mon petit lapin. C'est là que tu vas maintenant.

La fillette lui offrit un si joli sourire que le jeune homme songea qu'il serait peut-être

temps qu'il cherche lui aussi une épouse, même s'il n'avait que vingt-deux ans.

L'hiver s'écoula, mais si les jours rallongeaient peu à peu, le vent restait glacial et la neige

s'attardait dans les champs et sur les toits des maisons. Quand la petite Aine Mary Devers

fêta son premier anniversaire, les jonquilles fleurissaient dans le jardin de Queen's

Malvern. Depuis la visite du capitaine O'Flaherty, l'été dernier, ils n'avaient plus aucune

nouvelle de Kieran, mais Fortune savait que son séjour en Angleterre touchait à sa fin. Un

jour, un visiteur se présenta et s'adressa à Jasmine :

— Je suis Johnathan Kira et je m'occupe des affaires de la famille à Liverpool, milady. J'ai

été prévenu que le bateau de votre fille, le Rose de Cardiff, avait été aperçu à une

centaine de miles au large de Cape Clear, il y a une semaine. Je suis donc venu proposer

mon aide à lady Fortune, puisqu'elle va devoir préparer son départ, et aussi vous

demander une faveur.

— Quelle faveur, monsieur Kira ? Intervint Fortune.

— D'abord, j'aimerais vous poser une question ou deux, dit-il, souriant. Est-il vrai que le

Mary's Land accueille tous les hommes, quelle que soit leur foi ? Et si oui, accepteriez-

vous d'emmener mon deuxième fils, Aaron ? S'il existe un lieu où il ne sera pas persécuté,

la famille Kira serait prête à y faire des investissements. Un juif sera-t-il le bienvenu dans

cette colonie, madame ?

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— Tout ce que je sais, c'est que lord Baltimore nous a affirmé que tous les hommes seront

les bienvenus dans le Mary's Land, quelle que soit leur religion. Il y a donc sûrement une

place pour votre fils, là-bas, monsieur. Je serai quant à moi très heureuse de lui offrir une

place sur notre bateau. Votre famille traite des affaires avec la mienne et celle de mon

beau-père depuis des générations.

— Merci infiniment, milady, répondit Johnathan Kira en s'inclinant.

— Vous resterez cette nuit? proposa le duc.

— Je vous suis très reconnaissant de votre hospitalité. Néanmoins, ne vous offensez pas si

je ne mange que la nourriture que j'ai apportée. Notre religion est très stricte là-dessus.

— Mais comment fera votre fils, monsieur? La traversée durera plusieurs semaines.

— Il devra lui aussi emporter ses propres provisions. Et puis, des entraves à la règle sont

permises dans des circonstances exceptionnelles. Il est jeune, ajouta-t-il avec un sourire. Sa

conscience ne le tourmentera pas outre mesure.

Adali fit soudain irruption dans le salon, se précipita vers Jasmine et lui murmura quelque

chose à l'oreille. La duchesse blêmit.

— Que se passe-t-il? S’inquiéta le duc.

Jasmine tourna des yeux angoissés vers sa fille.

— On a retrouvé Rois sans connaissance dans le jardin où elle promenait les enfants.

Brendan va bien mais... Aine a disparu.

— O mon Dieu ! cria Fortune en se levant d'un bond.

— Rois a-t-elle repris connaissance ? demanda le duc à Adali.

— Elle revient doucement à elle, mais elle a reçu un coup terrible sur la tête, my lord.

C'est un miracle qu'elle ne soit pas morte. Nous l'avons ramenée dans la maison et Polly

s'occupe d'elle.

— Denby ! lança Fortune avec colère. Si je le trouve, je le tue ! Je suis sûre que c'est lui

qui a enlevé ma fille ! Cet homme est un fanatique.

— Nous ne pouvons l'accuser sans preuve, fit remarquer le duc.

— Mon instinct me souffle que c'est lui, papa. Qui d'autre aurait fait une chose pareille?

Et pourquoi? C'est lui ! Il faut réunir des hommes sur-le-champ et le trouver. Je pars avec

eux.

— Je crains que votre fille n'ait raison, intervint Johnathan Kira. Si je puis me permettre,

my lord, des rumeurs courent à propos de cet homme depuis un certain temps.

— Quel genre de rumeurs? S’enquit le duc.

— Plusieurs enfants ont disparu, my lord. Des catholiques, des anglicans et même un juif

ou deux. Chaque fois, sir Christian Denby était dans le voisinage. La plupart du temps, il

s'en est pris à des familles modestes qui n'avaient pas les moyens de se défendre, de

porter plainte et de mener des recherches efficaces. Il paraît que ces enfants sont placés

dans des familles puritaines afin d'être élevés convenablement. Avec votre permission,

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my lord, mesdames, j'aimerais me rendre à Oakley pour parler avec le gentleman en

question.

— Que pouvez-vous faire pour nous aider?

— Disons, my lord, que j'aurai peut-être un peu d'influence sur sir Christian. Il n'aura pas

encore eu le temps de placer votre petite-fille. Les familles puritaines ne sont pas

nombreuses dans la région, et il est trop tard pour qu'il se mette en route ce soir. Laissez-

moi vous aider, je crois vraiment pouvoir vous être utile.

Fortune devança James Leslie.

— Allez, monsieur Kira. Partez tout de suite et ramenez-moi ma fille.

Johnathan Kira s'inclina et quitta le salon sous le regard pensif du duc. Les Kira étaient

une étonnante famille et James ne doutait pas que si Aine était vraiment avec sir

Christian Denby, elle leur reviendrait cette nuit même.

— Adali, réunis quelques hommes pour qu'ils escortent et protègent M. Kira.

Adali échangea un sourire avec son maître et s'en fut immédiatement exécuter ses ordres.

Johnathan Kira ne s'étonna pas d'être rejoint par une troupe du clan Leslie. Il salua leur

capitaine et poursuivit sa route en silence. Il était grand et brun, d'un âge indéterminé,

avec une barbe sombre et des yeux vifs. Il portait des vêtements sombres à la coupe

parfaite. Ceux qui ne l'avaient jamais vu sourire le trouvaient plutôt intimidant, et il

savait utiliser ce trait de sa personnalité à son avantage.

Une heure plus tard, ils atteignaient Oakley Hall. Kira descendit de cheval et pria ses

compagnons de l'attendre.

Un valet en livrée lui ouvrit.

— Conduisez-moi à votre maître, ordonna-t-il sèchement.

Impressionné par l'autorité qui émanait de lui, le domestique lui obéit et introduisit le

visiteur dans la bibliothèque où se trouvait sir Christian. Au moment de passer la porte,

les cris d'un enfant se firent entendre à l'étage.

Johnathan Kira réprima un sourire et poussa le domestique hors de la pièce dont il

referma la porte.

— Bonsoir, sir Christian.

Ce dernier leva les yeux, puis bondit de son fauteuil comme si une armée de punaises

venait de l'attaquer.

— Kira ! Que faites-vous ici ? Je n'ai pas encore touché l'argent que j'ai emprunté. Je vous

paierai dès que je l'aurai.

— C'est Aine Devers qui m'amène, sir Christian, répondit Johnathan Kira sans se

démonter. Donnez-moi cette enfant pour que je la restitue à sa famille si vous ne voulez

pas que je vous crée des problèmes.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, rétorqua l'autre, le regard fuyant.

— Ah non? Vous avez perdu la tête. Ce que vous faites est lamentable. Vous avez de la

chance que la femme de chambre de lady Fortune ne soit pas morte parce que vous

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auriez été pendu pour meurtre. Si vous aviez pris son petit garçon, vous n'auriez suscité

qu'un peu de colère parce que l'enfant est catholique de parents irlandais. Mais Aine

Devers est la petite-fille d'un duc, la nièce de riches nobles dont l'un n'est autre que le

neveu du roi. Vous n'avez aucune chance de vous en tirer, mon pauvre.

— Sortez de chez moi ! Explosa sir Christian.

— Chez vous ?

Johnathan Kira éclata de rire.

— Tant que vous n'aurez pas payé ce que vous nous devez, sir Christian, cette maison ne

vous appartiendra pas. Je suis peut-être juif, mais j'ai des droits concernant le prêt que

nous vous avons octroyé. Si je décidais de les faire valoir, que vous resterait-il ? Un titre

sans valeur, une montagne de dettes et rien d'autre. Pensez-vous vraiment que garder

cette enfant vaut tous ces sacrifices? Comment pourrez-vous continuer d'aider vos amis

puritains à comploter contre le roi si je vous dépossède du tout petit pouvoir que vous

détenez? Donnez-moi cette enfant. Si vous refusez, j'ouvre les portes de votre maison et

je laisse entrer les hommes du duc qui m'ont escorté jusqu'ici. Ils la trouveront très vite.

Elle est au premier. Je l'ai entendue pleurer. Vos agissements deviendront publics et vous

serez ruiné. À vous de choisir. Si vous acceptez mes conditions, rien ne transpirera d'ici et

vous me paierez votre dette quand vous le pourrez. Maintenant, allez chercher cette

petite !

— Seigneur ! Vous êtes un envoyé du diable ! Grommela sir Christian, avant de se diriger

d'un pas raide vers la porte.

— Suivez-moi ! Jeta-t-il au passage.

Quelques instants plus tard, Aine Devers se retrouvait dans les bras de Johnathan Kira.

— Voilà! Vociféra sir Christian. Cette petite âme brûlera en enfer par votre faute !

— Je vous suggérerais de vous pencher de plus près sur ce que dit la Bible, mon cher. Il

semble que vous en ayez fait une lecture très sommaire. Sur ce, bonsoir !

Une fois dehors, Johnathan Kira confia la fillette au capitaine des hommes en armes.

— Nous pouvons rentrer à Queen's Malvern, déclara-t-il en chatouillant le menton de la

petite Aine. Quelle aventure, petite fille! Enfin, tu ne risques plus rien maintenant. Allons

retrouver ta maman, grâce à notre bon Yahvé !

Quand ils arrivèrent à Queen's Malvern, l'aube se levait. L'air sentait la terre fraîchement

retournée et les fleurs couvertes de rosée exhalaient leurs parfums. Fortune les attendait

devant la porte. Quand elle prit son enfant des bras du capitaine et qu'elle l'étreignit, des

larmes brouillaient sa vue.

— Ma-ma... dit sa fille d'une voix maintenant apaisée et heureuse.

— Oui, mon amour, je suis là. C'est fini, tu ne risques plus rien, murmura-t-elle en

embrassant les cheveux roux de son enfant.

Puis son regard rencontra celui de Johnathan Kira.

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— Il suffira à votre fils de nous rejoindre sur le Rose de Cardiff avec seulement ses

provisions de nourriture. Nous subviendrons au reste de ses besoins, comptez sur moi. Il

recevra en outre le quart de mes fonds immédiatement. L'autre quart lui sera versé à

notre arrivée. Les deux autres resteront ici, en Angleterre, et vous en disposerez à votre

guise. Vous garderez ma reconnaissance éternelle ainsi que mon amitié pour ce que vous

avez fait cette nuit. Mais... comment avez-vous réussi ce tour de force ?

— Sir Christian a hérité d'une maison passablement en ruine, milady. Il avait besoin

d'argent pour la restaurer et, en attendant de mettre la main sur une dot importante, il

est venu nous trouver; il est aujourd'hui notre débiteur. Je lui ai donné le choix entre la

ruine et l'opprobre ou nous rendre l'enfant. Il a choisi la sagesse, milady.

— Heureusement que vous étiez là, Johnathan Kira.

Après un dernier baiser à sa fille, elle la confia à Rohana qui alla la coucher.

— Et votre femme de chambre ? S’enquit-il.

— Elle a repris connaissance et nous a raconté que sir Christian et un autre homme,

probablement un valet, l'avaient attaquée. Ils l'ont frappée une première fois, mais elle a

eu le temps de les voir avant de recevoir le second coup. Après quelques jours de repos,

il n'y paraîtra plus. Mon Dieu ! Je ne sais pas comment j'aurais pu annoncer à son Kevin

que sa femme n'était plus de ce monde! Venez, vous accepterez bien un verre de vin ?

— Dans mon propre gobelet, dit-il avec un petit rire.

— Depuis combien de temps nos deux familles sont-elles associées ? lui demanda-t-elle

avec curiosité.

— L'ancêtre vénérée de votre beau-père, une femme puissante, s'était liée d'amitié avec

Esther Kira, mon ancêtre vénérée. Elles s'entraidèrent et s'enrichirent peu à peu.

Considérablement. Tout commença ainsi, il y a un siècle. Puis votre arrière-grand-mère

maternelle a pris la suite; une femme d'honneur, intelligente et droite. C'était il y a

soixante-dix ans. Ensuite, des branches des deux familles s'unirent par le mariage, ce qui

s'avéra une collaboration fructueuse.

— J'espère de tout cœur que cela se poursuivra dans le Nouveau Monde, conclut

Fortune avec un sourire sincère.

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CHAPITRE 17

Quand, accoudée au bastingage du Rose de Cardiff, Fortune découvrit les rivages de son

nouveau pays, elle faillit pleurer d'émotion devant tant de beauté. C'était à cette terre-là

qu'elle appartenait, elle en eut la certitude immédiate. Kieran avait raison. Ils étaient chez

eux. Cela ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait imaginé. De larges baies s'ouvraient

devant elle. La mer était d'un bleu pur et le ciel limpide, sans le moindre nuage.

Quelle différence avec celui qu'elle avait laissé derrière elle, en Angleterre. Un temps gris

et pluvieux avait persisté jusqu'aux derniers jours du printemps. Sur le pont du bateau,

près de sa mère et du seul père qu'elle ait jamais connu, Fortune avait soudain eu peur.

Jasmine avait les yeux rougis par le chagrin, mais elle était parvenue à se contrôler. James

Leslie lui-même observait un silence inhabituel tandis qu'il tenait Aine dans ses bras.

Quand Ualtar O'Flaherty annonça que le moment de lever l'ancre était venu, James

Leslie demanda soudain :

— Tu reviendras nous voir un jour?

Fortune sentit les larmes lui brûler les paupières.

— Je ne pense pas, père. Je ne suis pas courageuse et attirée par l'aventure, comme

maman et India. Si j'arrive à bon port après cette traversée, je risque fort de ne pas avoir

envie de renouveler l'expérience. Rappelez-vous que je suis l'enfant sage de la famille.

— Si tu avais été si sage, tu ne serais pas tombée amoureuse de Kieran Devers, remarqua

Jasmine sans parvenir à réprimer son amertume.

Elle sentait son cœur se briser, car elle savait qu'elle ne reverrait plus sa fille bien-aimée.

Et le responsable de la situation n'était pas Kieran mais tous ces gens ignorants et étroits

d'esprit qui ne toléraient pas que tout le monde ne pense pas comme eux, n'agisse pas

comme eux, ne prie pas comme eux. Des âmes dépourvues de joie qui n'acceptaient pas

le Dieu d'amour mais préféraient celui qui condamnait. Elle les plaignait et les maudissait

en secret.

— Maman, murmura Fortune en lui effleurant le bras. Il est temps que papa et vous

retourniez à quai. Nous devons nous dire au revoir.

Jasmine se tourna vers elle et son cœur cria un « non ! » silencieux tandis qu'il volait en

éclats.

— Je vous suis infiniment reconnaissante, à papa et à vous, pour tout le bonheur que

vous m'avez donné. Je ne l'oublierai jamais, pas même quand je serai une vieille dame.

Ne vous inquiétez pas. Je vais là où je dois aller. J'aime Kieran et j'aimerai la vie qui

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m'attend dans le Mary's Land. Je vous écrirai si souvent que vous vous rendrez à peine

compte que je ne suis plus là. Je sais que vous vouliez que je sois heureuse, maman.

Fortune prit sa mère dans ses bras et l'embrassa tendrement.

— Au revoir, maman. Souvenez-vous toujours que je vous aime, vous, papa et toute ma

famille. Ne m'oubliez pas.

Elle étreignit le duc de Glenkirk avec la même chaleur.

— Merci, papa, d'avoir adopté la fille de Rowan Lindley et de l'avoir aimée comme si

elle avait été la vôtre.

Elle le lâcha, et se détourna rapidement de crainte de perdre le peu de courage qu'il lui

restait.

Une brise chaude lui caressa les joues et Fortune revint au présent. Elle avait les yeux

humides de larmes. Le voyage depuis l'Angleterre s'était déroulé sans heurt. Ils n'avaient

essuyé que des orages sans gravité et quelques jours de pluie. Ils étaient d'abord allés

chercher les femmes et les enfants à MacGuire's Ford et à Lisnaskea. Le Highlander avait

quitté l'Ulster quelques jours plus tôt, avec les chevaux et le bétail. Rory MacGuire l'avait

accueillie à Dundalk où il avait accompagné les colons.

— Alors, cette fois, c'est la bonne, lui avait-il dit. Vous vous embarquez vraiment pour

l'aventure. Où est votre fille ? J'aimerais la voir.

Rois était partie chercher les enfants et Rory avait pris Aine dans ses bras.

— Mon Dieu, Fortune, comme elle est jolie !

Son attention s'était alors reportée sur Rois.

— Votre grand-mère est là, mon petit, avait-il ajouté en reconnaissant Bride Duffy sur la

passerelle. Montez à bord, Bride Duffy! Venez voir le beau petit-fils que vous avez là !

— Vous avez emmené tout le village? Le taquina Fortune comme ils marchaient sur le

pont avec Aine.

— Eh bien, Fergus a conduit l'un des convois et rien n'aurait pu empêcher Bride de se

joindre à eux.

Il eut un petit rire auquel Aine répondit.

— Toi aussi ça t'amuse ? dit-il en la chatouillant, ce qui la fit rire aux éclats.

Sa petite-fille, songea-t-il en la dévorant des yeux. Sa petite-fille ! D'un côté, il brûlait de

révéler ce secret qui le rongeait, mais de l'autre, il savait que c'était impossible.

Fortune risquerait de le haïr, et jamais il ne prendrait un tel risque.

— Comment vont mes frères, Rory ?

— Bien. Adam a les pieds sur terre et Duncan poursuit sa scolarité. Ils sont très aimés,

tous les deux.

— Et la paix subsiste à MacGuire's Ford?

— Oui, mais ce n'est pas le cas du reste de l'Irlande. La situation continuera de s'aggraver

tant que les Anglais demeureront ici, Fortune.

— Et comment vont le frère de Kieran et sa famille ?

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— Sir William continue de se comporter comme un tyran. Son infirmité ne l'a pas adouci,

bien au contraire. Il est de plus en plus cruel. Il paraît même que sa mère et sa femme ont

peur de lui, maintenant. Quant à sa fille, il l'ignore complètement. Il ne se remettra

jamais de vous avoir perdue, Fortune, et d'avoir perdu l'usage de ses jambes.

Fortune se demandait à présent si elle allait informer Kieran de la situation. Kieran... Elle

allait bientôt se retrouver dans ses bras. Comme le temps lui avait paru long ! Aucun

signe de vie sur les rivages envahis de forêts. Que lui réservait la colonie de Calvert? Elle

serait bientôt fixée puisqu'ils devaient aborder dans la journée.

Les autres femmes se pressaient le long du bastingage.

— Il n'y a que des arbres !

— Et des Indiens sauvages.

— Pires que des protestants ? Pas sûr.

— C'est plutôt joli.

— Si nous pouvons y vivre en paix, sur nos terres, cela me suffit !

— L'Ulster aussi, c'était joli.

— Est-ce qu'il y aura un prêtre?

— Mais oui !

— Ouf!

Fortune écoutait ces commentaires avec un certain amusement. Savoir qu'elle n'était pas

la seule à éprouver des craintes la rassurait. À quoi ressemblerait sa maison? Et que dirait

Kieran quand il verrait Aine? Elle souhaitait lui donner un fils le plus tôt possible.

— Regardez! cria soudain une femme. J'aperçois des maisons !

— Et une église !

— Merci, Seigneur!

Le capitaine Ualtar O'Flaherty les rejoignit sur le pont. Il arborait un grand sourire.

— Mesdames, si vous voulez vous refaire une beauté avant de retrouver vos hommes,

c'est le moment. Nous allons bientôt accoster à Sainte-Mary.

Des coups de canon retentirent.

— Ils nous ont vus, annonça le capitaine avant de se tourner vers Fortune. Eh bien,

cousine, vous voilà presque chez vous. Kieran vous attend avec impatience. Vous serez

dépaysée au début, sachez-le. Et cette maison que votre mari vous a bâtie ne sera pas un

palais, même si, plus tard, vous pourrez en faire construire une autre. Les conditions de

vie demeurent très primitives.

— Vous me faites peur, Ualtar.

— Je voulais seulement que vous sachiez que votre nouveau foyer n'aura rien à voir avec

Queen's Malvern, le château de votre beau-père ou celui d'Erne Rock.

— Dès l'instant où je ne vis pas dans un wigwam, répondit-elle avec humour. Je sais que

tout sera nouveau pour moi. À part Kieran et l'amour qui nous unit.

— Vous êtes une femme courageuse, commenta le capitaine.

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Le Rose de Cardiff pénétra dans la baie incurvée de Sainte-Mary. Leur enfant dans les

bras, Fortune et Rois scrutaient la foule amassée sur le quai. Autour d'elles, certaines

avaient déjà reconnu leur mari et pleuraient à chaudes larmes. La passerelle fut descendue

et le capitaine escorta sa cousine et ses compagnes jusqu'au quai.

Aucun signe de Kieran.

Puis Kevin apparut, il enveloppa aussitôt sa femme et son fils dans ses bras, les yeux

brillant de larmes. Brendan semblait légèrement effrayé par cet homme si grand qui les

serrait si fort. Ce dernier réalisa soudain que Fortune se tenait près d'eux, silencieuse. Il

s'écarta des siens.

— Bienvenue dans le Mary's Land, milady, fit-il. Je pense que vous serez heureuse

d'apprendre que le Highlander a accosté ici il y a une semaine. Les chevaux s'ébattent

dans les prés et les provisions sont en sécurité à Fortune's Fancy.

— Fortune's Fancy? répéta-t-elle, incrédule.

Un large sourire fendit le visage de Kevin.

— C'est le nom que le maître a donné au domaine, milady. Il a construit une belle

maison pour vous et la petite.

— Où est-il, Kevin ? Pourquoi n'est-il pas venu nous accueillir ?

— C'est cette nouvelle servante qu'il a engagée pour être formée, milady. Il lui a répété

cent fois de ne pas s'aventurer dans la forêt, mais elle a trouvé le moyen d'y aller ce

matin et de se perdre. Many Moons, le vieux guérisseur Wicocomoco l'a ramenée. Elle

hurlait qu'elle allait être scalpée! Elle était dans un tel état que le maître a préféré ne pas

la laisser seule. Il sait que vous comprendrez, milady.

— Pauvre fille, commenta-t-elle sans éprouver cependant la moindre sympathie pour

cette inconnue qui avait désobéi à son mari.

— Je suis venu avec le convoi, milady, reprit Kevin. L'équipage du bateau se charge de

débarquer les bagages et les provisions, et nos hommes veillent au chargement des

chariots. Nous ferions bien d'y aller. Nous sommes à cinq miles de la route.

— Et les autres femmes? Et M. Kira?

— Leurs hommes savent où les emmener. Quant à M. Kira, sa maison est là, de l'autre

côté du quai, expliqua-t-il en désignant une construction en bois. Elle est assez grande

pour deux, et un serviteur l'attend.

Fortune fit ses adieux à Aaron Kira, puis elle s'installa avec Rois et les enfants sur la

banquette en bois d'un chariot rustique et ils se mirent en route. Elle écouta d'une oreille

distraite le jeune couple qui bavardait, se demandant pourquoi elle avait choisi sa plus

jolie robe en l'honneur d'un mari qui avait préféré rester avec une servante en crise plutôt

que de venir accueillir sa femme. Aurait-elle commis une erreur en l'épousant? Et en

quittant sa famille bien-aimée pour venir le retrouver au bout du monde ? Elle le saurait

bientôt. S'il avait changé, elle rentrerait en Angleterre avec le capitaine O'Flaherty dans

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quelques semaines. Ses doigts effacèrent un pli sur la soie bleu nuit de sa robe. La brise

faisait frémir les petites plumes blanches de son chapeau.

Kieran l'aperçut dans le chariot qui remontait le chemin poussiéreux menant à la maison.

Comme elle était élégante dans sa tenue bleue rehaussée d'une encolure de dentelle

blanche. Elle portait des gants de cuir ornés de lacets dorés et un chapeau. Il ne l'avait

jamais vue en chapeau. Pourquoi diable l'avait-elle épousé ? Pourquoi une créature aussi

raffinée avait-elle traversé l'océan pour venir vivre dans cet endroit primitif? L'aimait-elle?

Il aperçut ensuite le petit enfant assis contre elle. Ce n'était plus tout à fait un bébé.

Kieran sentit son cœur se craqueler. Quand le chariot s'immobilisa devant lui, il n'avait

plus de voix.

— Kieran! s'écria Fortune, redécouvrant combien il était doux de prononcer son nom.

J'ai eu peur quand je ne t'ai pas vu à la descente du bateau. Tu ne nous souhaites pas la

bienvenue à la maison ?

— Seigneur, comme tu m'as manqué! S’exclama-t-il soudain.

Leurs regards s'aimantèrent et la flamme qui y brûlait dissipa instantanément tous les

doutes.

Rois prit Aine dans ses bras et lui chanta sa berceuse favorite pour qu'elle ne pleure pas.

Elle voulait laisser ses maîtres profiter pleinement de leurs retrouvailles et comprenait ce

qu'avait ressenti Fortune en ne voyant pas Kieran sur le quai.

Le maître de Fortune's Fancy souleva sa femme dans ses bras et l'embrassa

passionnément. Le désir bouillonnait en lui et il se prit à rêver de passer une semaine

entière, ou peut-être deux, à lui faire l'amour.

Fortune se pressait contre lui tandis qu'il couvrait son visage de baisers enflammés.

— Tu m'as tellement manqué ! Souffla-t-il. Je ne me rendais pas compte à quel point

jusqu'à maintenant. Je ne me suis jamais consolé de ton absence. Bienvenue à la maison,

ma chérie! Bienvenue à Fortune's Fancy.

Et il se remit à l'embrasser.

Tout allait bien, songea-telle.

— Ma-ma ! fit alors une petite voix pointue et légèrement contrariée.

La fillette devait se demander qui était cet homme qui lui prenait sa maman.

Kieran et Fortune se séparèrent et un petit rire heureux leur échappa. La jeune femme

prit alors sa fille des bras de Rois et la tendit à Kieran.

— C'est ton papa, ma poupée.

Aine observa d'un air grave l'homme robuste qui la tenait. Elle plaça soudain sa main

devant ses yeux et l'épia entre ses doigts.

— Pa-pa ? dit-elle avant de se débattre.

Kieran la posa sur le sol.

— Veux pas pa-pa, décréta la fillette en se réfugiant dans les jupes de sa mère.

Fortune la rendit à Rois en riant.

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— Elle n'est pas habituée aux hommes, expliqua-t-elle. Il faut lui laisser un peu de temps.

Nous sommes restées longtemps seules à Queen's Malvern, maman et moi. Quand papa

venait, il passait plus de temps à jouer avec Automne, qu'il adore, qu'avec Aine. Elle

viendra à toi, mon chéri, ne t'inquiète pas. Fais-moi donc visiter la maison !

Elle recula pour la contempler. C'était une maison en bois, d'un étage, au toit hérissé de

trois cheminées. Les fenêtres étaient vitrées et pourvues d'épais volets. Le capitaine

O'Flaherty avait raison: c'était différent de tout ce qu'elle avait connu jusqu'à présent!

— Il y a un cellier derrière, risqua Kieran d'une voix hésitante, essayant d'interpréter le

regard de sa femme. Nous pourrons éventuellement en faire construire un en brique, plus

tard. C'est un matériau rare par ici, pour l'instant.

Fortune hocha la tête.

— Et à l'intérieur? C'est grand?

— Il y a quatre pièces au rez-de-chaussée, plus un office et un petit garde-manger. Les

domestiques logent à l'étage. Rois et Kevin ont leur propre cottage, tout près.

— Combien de domestiques ?

— Trois esclaves femmes vivent dans la maison, et quatre hommes dans la grange. Je les

ai ramenés de Virginie, l'an dernier.

— Les esclaves ne sont-ils pas des criminels ?

— Certains, mais la plupart se sont vus condamnés pour des délits mineurs. Certains se

sont eux-mêmes engagés dans la servitude sachant que, après sept années de loyaux

services, on les affranchit et on leur donne une terre. Mme Hawkins, notre cuisinière,

n'avait pas assez d'argent pour payer le médecin qui a soigné son mari mourant. Dolly,

que j'ai achetée pour veiller sur Aine, est une catholique. Comfort Rogers, notre servante,

a été arrêtée pour avoir volé du pain pour nourrir ses frères et sœurs. Les quatre hommes

que j'ai engagés pour travailler aux champs et avec les bêtes sont tous des puritains. C'est

leur seul crime. Ce sont de bons travailleurs. Je n'aurais jamais amené des criminels dans

ma maison, Fortune. Mon Dieu que tu es belle, malgré ce drôle de chapeau !

— Ces chapeaux font fureur à Londres, répondit-elle en riant. Je vais faire envie à toute

la colonie.

Kieran lui prit la main et ils entrèrent dans la maison.

Fortune découvrit avec stupeur que les murs étaient à peu près les mêmes qu'à l'extérieur,

colmatés avec une sorte de boue pour les isoler du vent et de la pluie. Constatant que

tous les sols étaient en bois, elle se félicita d'avoir apporté des tapis indiens. De part et

d'autre d'un couloir central se trouvaient leur chambre sur la gauche et le salon à droite.

Leur chambre était suivie d'une autre, plus petite. Au bout du couloir, il y avait la cuisine

et le garde-manger.

— Il faudra recouvrir ces murs de plâtre, décida-t-elle. Sinon nous aurons froid en hiver,

Aine et moi. Les sols doivent être poncés et cirés. Où sont mes meubles ?

— Dans la remise. J'ai seulement installé le lit, ajouta-t-il avec un regard éloquent.

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Fortune rougit, de plaisir et d'anticipation. Elle partageait l'impatience de son mari.

— Les meubles resteront où ils sont tant que les murs n'auront pas été plâtrés. Cela n'irait

pas sur ce bois.

— Nous commencerons dès demain, avant que la saison humide n'arrive, lui promit-il.

Viens, je vais te présenter les domestiques.

Dolly était une petite femme replète et souriante. Fortune l'aima tout de suite et sut

qu'elle n'hésiterait pas à lui confier Aine.

— Quel âge avez-vous, Dolly?

— Je suis née l'année où ils ont essayé de faire sauter le Parlement. Mais je ne m'arrête

pas à ces choses de l'âge, milady.

Fortune calcula que Dolly devait avoir trente ans.

— Moi non plus, Dolly, répondit-elle en riant. Croyez-vous pouvoir vous occuper de

plusieurs enfants ? J'ai l'intention d'en avoir d'autres. En attendant, il faudra veiller aussi

sur le fils de Rois. Il a deux jours de moins que ma fille. Tous deux marchent, et

s'entendent comme larrons en foire dès qu'il s'agit de faire des bêtises.

— Je m'en sortirai. J'ai eu deux enfants, mais la maladie les a emportés et mon mari s'est

retrouvé en prison.

Émue, Fortune prit la main de la femme et la serra dans la sienne. Elles échangèrent un

regard de compréhension.

— Voici madame Hawkins, ma chérie, continua Kieran. Un vrai cordon-bleu.

Fortune reporta son attention sur la femme de forte corpulence qui s'inclinait devant elle.

— Mon mari me semble avoir été très bien nourri, madame Hawkins. Je vous en suis

reconnaissante.

— Merci, milady, répondit la cuisinière avec un sourire qui découvrit de belles dents

blanches. Je suis en train de faire rôtir une oie pour vous et je me ferai un plaisir de vous

servir.

— Voici enfin Comfort Rogers qui tient la maison, fit Kieran. Elle a eu très peur ce matin.

— C'est ce que l'on m'a dit, répondit Fortune en observant la jeune fille d'un œil

circonspect.

À peine sortie de l'enfance, Comfort Rogers était une jolie blonde aux yeux bleus.

— Connaissez-vous votre âge, Comfort? S’enquit Fortune, trouvant à cette jeune

personne un regard sournois.

— À ce qu'il paraît, je suis née l'année où la vieille reine est morte. Ma mère est morte en

mettant au monde son huitième enfant et mon père nous a abandonnés peu après. Je

suis l'aînée et j'ai été arrêtée pour avoir volé du pain afin de nourrir mes frères et sœurs.

— Que leur est-il arrivé ?

Comfort haussa les épaules.

— Je ne sais pas, dit-elle avec indifférence.

— Et elle s'en fiche, murmura Mme Hawkins derrière Fortune.

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— Vous n'irez plus vous promener dans la forêt, Comfort? demanda sévèrement Fortune.

La jeune fille la fixa sans mot dire.

— Vous ne m'avez pas répondu, Comfort.

— Je ne voulais pas me perdre. Je cherchais des framboises pour le petit déjeuner de

messire Kieran.

— Vous ne devez plus vous aventurer dans les bois sans être accompagnée par quelqu'un

qui connaît le chemin, insista Fortune.

— Ce n'est pas à vous de me dire ce que j'ai à faire, répliqua la jeune fille. Seul le maître

peut donner des ordres.

Avant que Kieran ait pu intervenir, Mme Hawkins avait levé sa cuillère.

— Fais attention à tes manières, petite effrontée! Tu t'adresses à la maîtresse. Cette

maison lui appartient et tout ce qui s'y trouve, toi y compris. C'est elle qui te dira ce que

tu as à faire et tu le feras, sinon tu iras traîner ailleurs, ce qui ne serait pas une mauvaise

idée, soit dit en passant.

Mme Hawkins se tourna vers Fortune.

— Elle sait nettoyer la maison, milady, faut le reconnaître, mais elle n'a aucun respect

pour ses supérieurs. Elle n'a aucune éducation.

— Maître ! Oh, maître ! s'écria Comfort en s'accrochant à Kieran. Ne la laissez pas me

renvoyer! Je vous en supplie ! Geignit-elle en tournant la tête pour regarder Fortune.

— Allons, allons, du calme, fit Kieran. Contente-toi de faire ton travail, obéis à ma

femme, et tu n'auras pas de problème.

Il tapota gentiment l'épaule de la servante tout en se dégageant.

Fortune glissa le bras sous celui de Kieran.

— Appelez-nous quand le repas sera prêt, lança-t-elle à Mme Hawkins, ignorant

Comfort.

— Bien, milady.

— Dolly, venez voir les enfants, ajouta-t-elle.

— Punaise ! Jeta Comfort dès que ses maîtres furent sortis.

— Tu ferais bien de te tenir, petite, parce que sinon, tu ne feras pas long feu ici, la

prévint Mme Hawkins. Le maître n'est pas pour toi, faut te faire une raison.

— Si elle l'aimait vraiment, elle serait venue avec lui quand il est arrivé dans le Mary's

Land. Ça fait presque deux ans qu'ils ne se sont pas vus. Pourquoi elle n'est pas venue

plus tôt, hein? Et vous avez vu comment il me regarde? Il me désire. Je connais les

hommes.

Mme Hawkins souffla avec mépris.

— Tu es folle, Comfort Rogers. Le maître ne te regarde pas d'une façon particulière, si

toutefois il te regarde ! Madame n'est pas venue avec lui parce qu'elle était enceinte.

Ensuite, le gouverneur Calvert a donné des ordres pour différer l'arrivée des femmes et

des enfants. Pour nous, les esclaves, c'était pas pareil. Ton maître est fou de bonheur

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d'avoir retrouvé son épouse et, d'ici à un an, un nouvel enfant babillera dans cette

maison, crois-moi.

— Je vous hais !

Mme Hawkins s'éloigna en ricanant. Cette fille créait des problèmes depuis le début.

Quel dommage que le pauvre maître ne s'en rende pas compte! Mais les hommes ne

voyaient pas ces choses-là. En revanche, sa maîtresse avait tout de suite compris à qui elle

avait affaire. Comfort Rogers ferait bien de renoncer à séduire son maître.

Dolly et les enfants s'entendirent immédiatement. Elle s'occupa d'eux, laissant Rois aider

sa maîtresse à déballer quelques affaires.

— J'ouvrirai les malles quand les murs seront plâtrés et les meubles proprement installés,

décida Fortune à sa femme de chambre. Viens, allons voir le cottage que Kevin a

construit pour vous.

Rois découvrit une petite maison en bois qui lui plut immédiatement, avec sa cheminée

de pierre, ses portes et fenêtres solides. N'ayant pas osé le meubler sans sa femme, Kevin

avait entreposé les meubles dans la cour.

— Il faut rentrer ces meubles à l'intérieur, s'écria Fortune. L'air de la nuit les abîmerait.

Allons-y.

— Oh, milady! Vous ne pouvez pas faire ça! s'exclama Rois.

— Et qui le fera si nous ne nous y mettons pas ? Je n'ai pas été élevée dans du coton et je

sais encore transporter une chaise, grâce à Dieu !

Les deux femmes se mirent au travail, faisant plusieurs allées et venues. Voyant cela,

Kieran appela Kevin, et tous les quatre achevèrent de meubler le cottage.

— Mon Dieu ? Comment vais-je préparer le repas ? s'écria soudain Rois. Mes ustensiles de

cuisine ne sont pas déballés et je n'ai rien à manger.

— Vous mangerez avec nous, décida Fortune.

— Mais... milady... ce n'est pas convenable de s'asseoir à la table de ses maîtres, s'inquiéta

Rois. Que diront les autres domestiques ? Et que dirait ma grand-mère ? Cela ne se fait

pas.

— Rois, nous ne sommes ni en Angleterre, ni en Ecosse, ni en Irlande, expliqua

patiemment Fortune. Et encore moins dans un château ou un luxueux manoir, tout au

moins pour l'instant. Je suis sûre que, pendant tout ce temps, mon mari n'a pas mangé

seul, isolé dans son coin, mais avec Kevin et les autres.

Kieran hocha la tête.

— Tu vois ? ajouta Fortune. Un jour, nous aurons une élégante salle à manger, mais pour

l'instant, ce sera à la fortune du pot, Rois.

Mme Hawkins avait préparé une oie énorme qu'elle servit avec des patates douces cuites

au feu de bois, des petits pois frais, du pain, du beurre et du fromage. Le dessert se

composait de pommes séchées accompagnées de miel. Fortune fit décharger un tonneau

de bière qu'elle avait ramené d'Angleterre. Assis à l'autre bout de la table à tréteaux, les

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quatre hommes la remercièrent. Il y avait bien longtemps qu'ils n'avaient bu de la bonne

bière anglaise. Les enfants se régalèrent sous l'œil vigilant de Dolly. En revanche, Comfort

Rogers ne s'assit pas à table avec eux tous, Mme Hawkins ayant pris soin de l'occuper à la

cuisine.

Après le dîner, Kieran attrapa la main de sa femme :

— Viens, je voudrais te faire faire le tour du propriétaire avant que le soleil ne se couche.

Peu après, Fortune découvrait que la maison surplombait la baie. Des prairies et des

champs ensemencés l'entouraient. L'air était doux en ce début d'été, et bien plus chaud

qu'en Angleterre.

— Qu'est-ce qui pousse dans ces champs? S’enquit-elle.

— Du tabac. Cela rapportera, car si le Mary's Land n'est pas encore très civilisé, il le

deviendra. D'ailleurs, les chevaux que nous élevons sont prévus pour être montés, plutôt

que pour le trait.

— As-tu pensé à la nourriture ?

— Bien sûr. En plus du blé, nous avons planté des haricots, des agrumes et des potirons,

ce que les Indiens cultivaient déjà. Nos propres semences ont donné des pois, des

carottes, des betteraves, des courges. Il y a aussi la patate douce locale. La terre est fertile,

ici.

— Quand nous reconstruirons notre maison en brique, je voudrais qu'elle soit face à la

baie. Cette vue est magnifique. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. Merci, Kieran, pour

tout ce que tu as fait.

— Tu m'as tellement manqué, murmura-t-il en lui caressant doucement le visage.

Combien de nuits ai-je passées à me languir de toi, à me demander si tu allais te plaire ici,

si loin des tiens !

— Ma famille, c'est toi, désormais, Kieran. Toi, Aine et les autres enfants que nous

aurons. Les miens vont me manquer, c'est certain, mais tu es là et tu m'aideras à le

supporter. Quant à ce pays, je m'y sens déjà chez moi. C'est là qu'est notre place. Je l'ai

senti sur le bateau tandis que nous approchions. Cette terre nous attendait, mon amour.

Ils remontèrent vers la maison dans la lumière cuivrée du couchant.

— J'aimerais prendre un bain, annonça Fortune en arrivant. Je vais voir comment

m'organiser avec Mme Hawkins. Voilà six semaines que je n'ai pu me baigner. J'ai la peau

collante de sel. Oui, je dois prendre un bain, et ensuite... Ensuite, nous referons

connaissance, Kieran Devers.

Il lui sourit, l'air radieux.

— Je m'occupe de dénicher une baignoire, où je te rejoindrai peut-être, qui sait ?

On l'installa peu après dans leur chambre où l'on avait allumé un feu dans la cheminée

d'angle, car les soirées étaient encore fraîches. Les rideaux étaient tirés, des bougies

brûlaient un peu partout. S'agenouillant devant sa femme qui était assise sur le lit, Kieran

entreprit de la déshabiller lentement ; il commença par les bottines, les bas, les jarretières.

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Elle se leva pour qu'il délace le corselet, les jupes et elle se retrouva devant lui en jupon

et en chemise.

Il ôta ces derniers vêtements tandis que Fortune relevait sa lourde chevelure pour la fixer

en une torsade souple sur le sommet du crâne. Le mouvement gracieux de ses bras révéla

son buste admirable, la ligne racée de son cou.

Kieran en eut le souffle coupé.

— Mon Dieu, Fortune !... Tu es vraiment la plus belle femme que j'aie jamais vue.

Ses deux mains enserrèrent sa taille. Il s'inclina légèrement et referma les lèvres sur l'un de

ses seins.

— Je dois prendre un bain, protesta-t-elle faiblement.

Il agaça de la langue les petites pointes roses.

— Tu es salée, la taquina-t-il avant de la soulever dans ses bras puissants pour la déposer

dans la baignoire près de laquelle il s'accroupit.

Il la savonna doucement, des épaules jusqu'à la naissance des fesses, puis la rinça en

prenant l'eau dans ses mains en coupe. Il ne pouvait s'empêcher de couvrir de baisers sa

peau satinée.

— Tu as oublié le cou et les oreilles, murmura-t-elle.

Il combla aussitôt ce manque, faisant mousser le savon avant de caresser le cou de sa

femme dont la beauté l'avait toujours fasciné et ému. Après avoir consciencieusement

lavé sa poitrine, il lui demanda de se mettre debout.

— Je peux me charger du reste, dit-elle dans un souffle, impressionnée par l'intensité de

la passion qui brûlait dans les yeux de son mari.

— Lève-toi! Insista-t-il.

Fortune lui obéit.

Agenouillé comme il l'était, il avait l'impression d'adorer une déesse. Il lui était resté

fidèle, comme promis. Il n'avait pas fait l'amour à une autre depuis qu'il avait quitté sa

magnifique épouse et, à présent, le désir si longtemps réprimé le faisait trembler. Inquiet

de savoir si elle partageait sa flamme, il plongea les yeux dans les siens.

Fortune avait l'impression qu'un brasier lui incendiait le ventre. Ses seins avaient durci et

elle se sentait toute faible. Doucement, sans la quitter du regard, il continua de la laver,

massant avec lenteur son ventre, ses fesses, ses jambes.

Lorsqu'il glissa les doigts entre ses cuisses, elle retint son souffle et il immobilisa sa main un

instant avant de se remettre en mouvement. Fortune laissa échapper un gémissement

tout en entamant un lent mouvement de va-et-vient du bassin.

— Kieran ! murmura-t-elle comme il remplaçait sa main par sa bouche.

Mon Dieu, ce goût divin... Elle le rendait fou. Il frotta sa joue contre la peau soyeuse de

son ventre tandis que sa main entamait une danse lascive un peu plus bas. Il attendait cet

instant depuis longtemps, trop longtemps, mais il prendrait son temps. Il voulait que

leurs retrouvailles soient parfaites.

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Il se redressa. Aussitôt, Fortune délaça sa chemise, les doigts tremblants d'impatience.

Comme elle posait les lèvres sur son torse, elle fut prise de frénésie et s'attaqua presque

brutalement à la ceinture de son pantalon. Il se mit à rire tout en l'aidant.

— Bon sang, tu as toujours tes bottes ! s'écria-t-elle.

Il la plaqua contre lui.

— Toujours aussi ardente, mon amour, chuchota-t-il en insinuant à nouveau la main

entre ses cuisses.

— Oh, Kieran... Oui...!

Leurs bouches s'écrasèrent l'une contre l'autre, leurs langues s'entremêlèrent. Fortune

frissonnait de tout son être sous sa caresse.

— Attends, mon amour... Laisse-moi le temps de finir de me déshabiller.

Toujours debout dans la baignoire, elle le regarda se dévêtir en se promettant de ne plus

jamais le quitter.

— A présent, à toi de me laver, femme, ordonna-t-il, une fois nu.

La vue de son érection donna le vertige à la jeune femme.

— Kieran, je meurs d'envie de toi...

— Moi aussi, mon amour. Mais tu dois apprendre l'art subtil de prolonger le plaisir.

Il s'installa tranquillement dans la baignoire et l'attira à lui.

Elle retint un cri de surprise et de bonheur quand, en s'asseyant sur lui, elle sentit son sexe

la pénétrer.

— Maintenant, mon ange, lave-moi, dit-il en lui tendant le savon.

Elle pouvait à peine respirer tant les sensations qui se succédaient en elle l'étourdissaient.

Au moindre mouvement, des vagues de plaisir la submergeaient.

Dominant son ardeur, elle le savonna énergiquement. Mais quand il prit ses seins et en fit

rouler les pointes sous ses pouces, Fortune le supplia d'arrêter. Elle était au bord de

l'orgasme.

Pour toute réponse, il la plaqua étroitement contre lui, se leva et sortit de la baignoire

sans se détacher d'elle. Il ne s'y résigna que pour attraper la serviette qui chauffait devant

l'âtre et la sécher. Elle la lui arracha presque pour le sécher à son tour.

Enfin, il la renversa sur le lit et elle s'ouvrit à lui, criant de bonheur quand il entra en elle

d'une seule puissante poussée.

— Oh, oui... gémit-elle, éblouie.

Elle enroula les jambes autour de ses reins, au bord de la jouissance, et il grogna de plaisir

tout en entamant un lent mouvement de va-et-vient. Elle se contractait autour de son

sexe, se relâchait, se contractait à nouveau. C'était si bon qu'il céda à l'extase dans un

long feulement animal.

— Je t'aime, Fortune.

— Moi aussi, mon amour ! dit-elle dans un sanglot. Ne me laisse plus jamais. Tu m'as

manqué atrocement.

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Ils s'embrassèrent avec passion ; Kieran la serrait à l'étouffer.

— Je te veux encore, lui murmura-t-il à l'oreille.

— Oh, oui ! Je t'en prie ! Encore et encore...

— Je ne sais pas pourquoi, mais c'est une idée qui ne me déplaît pas, la taquina-t-il en

riant. Nous ne nous quitterons plus, mon amour.

— Jamais plus !

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CHAPITRE 18

Les murs de Fortune's Fancy furent soigneusement enduits de plâtre et décorés de

tapisseries, les parquets poncés, cirés et recouverts de tapis. Le 1er août, les colons

irlandais furent invités à pendre la crémaillère. Ils se rassemblèrent autour du frère White,

le prêtre jésuite de Léonard Calvert, qui bénit Fortune's Fancy. Puis on mangea, on but et

on dansa.

Mme Happeth Jones, le médecin, offrit à Fortune deux rosiers.

— J'en ai apporté une douzaine d'Irlande, et ils se sont parfaitement acclimatés. Passez

me voir un de ces jours, milady, je vous donnerai une potion fortifiante pour vous et

l'enfant que vous portez. Je crains qu'il n'y ait une explosion de naissances, au printemps

prochain, ajouta-t-elle, le regard malicieux derrière les verres de ses lunettes. Il semble

que tous les maris étaient heureux de retrouver leurs femmes.

Fortune sourit.

— Ne dites rien à Kieran, s'il vous plaît. Je pensais lui annoncer la nouvelle aujourd'hui.

Ma Rois attend aussi un bébé. Le Mary's Land n'est-il pas le plus beau pays du monde,

Happeth Jones?

La jeune femme n'avait jamais été aussi heureuse de sa vie. Ce coin du Nouveau Monde

lui semblait béni des dieux. La terre était fertile au-delà de toute espérance. Le tabac

croissait vigoureusement, les légumes, les céréales, les arbres fruitiers s'épanouissaient.

Suivant les conseils des Indiens, ils gardaient les patates douces pour les conserves d'hiver.

On pouvait les accommoder de diverses façons.

Les forêts alentour regorgeaient de gibier et les eaux de poissons et de crustacés. Une

partie des récoltes était conservée dans d'immenses entrepôts. Toujours guidés par les

Indiens, les colons apprirent aussi à faire de la farine.

Comfort Rogers n'aimait pas les Indiens. Ses cheveux si blonds les intriguaient, et leur

curiosité l'effrayait. Contrairement à elle, Fortune ne s'alarmait pas quand ils venaient

toucher sa longue chevelure de feu. Elle leur en offrait même de petites mèches, parfois,

en souvenir.

Émus par ses attentions, ils la baptisèrent Touchée-par-le-Feu.

— Un beau matin, vous vous réveillerez scalpée, lui assura Comfort Rogers pour

l'effrayer.

Fortune s'esclaffa.

— Ils sont seulement curieux. Leurs femmes ont les cheveux noirs, ils n'ont jamais vu de

blondes ou de rousses.

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— Je les trouve répugnants, répliqua Comfort en grimaçant. Et quand ils me regardent

avec leurs petits yeux luisants, je sais bien à quoi ils pensent.

— Ils ont tous de très belles femmes. Je crois que ton imagination t'égare, Comfort, et

que tu devrais te trouver un mari. Tu es mûre pour partager le lit d'un homme, cela ne

fait aucun doute. Je suis sûre que tu aurais moins peur des Indiens si tu avais un mari

pour te protéger.

— J'ai déjà trouvé mon homme.

— Vraiment ? Qui est-ce ?

— Mon maître. Il est fait pour moi. Vous ne resterez pas longtemps ici. Vous rentrerez en

Angleterre et moi je l'aurai à moi, rien qu'à moi. Vous êtes beaucoup trop délicate pour

survivre ici, ce n'est pas un pays pour une lady. Vous ne le méritez pas, je vous dis, et

quand je l'aurai entre les jambes, il vous oubliera vite, croyez-moi !

Choquée, Fortune gifla sèchement l'insolente. Elle avait bien remarqué que Comfort avait

un penchant pour Kieran, mais elle avait pris cela pour une toquade de gamine.

Après tout, il l'avait achetée et la traitait correctement.

— Je suis ici chez moi, Comfort, et mon mari ne sera jamais à toi. Il ne me quittera pas

non plus. Nous avons un enfant et j'en attends un autre. Il me semble que tu serais plus

heureuse dans une autre famille, je vais parler à Kieran.

— Il ne me vendra pas. Le maître m'aime. Il n'y a qu'à voir comment il me regarde quand

vous avez le dos tourné.

— Va nettoyer le salon, ordonna Fortune. Les meubles sont couverts de poussière. Tu

négliges ton travail.

Ce soir-là, blottie dans les bras de son mari, Fortune lui annonça enfin la nouvelle qu'il

attendait:

— Je suis enceinte, mon amour.

— Ce sera un garçon, cette fois? lui demanda-t-il comme si elle pouvait le savoir.

Pourtant, elle lui répondit avec conviction.

— Oui, mon amour. Je le sens. Je n'éprouve pas les mêmes choses qu'avec Aine.

— Quand il naîtra, je t'offrirai la lune, le ciel et les étoiles, et tout ce que tu voudras, ma

jolie Fortune.

— Il y a une chose que j'aimerais, Kieran.

— Dis-moi, la pressa-t-il.

— Je voudrais que tu vendes Comfort à une autre famille.

Il ne sembla pas vraiment surpris par sa requête.

— Qu'a encore fait cette gamine ? Je sais qu'elle s'est entichée de moi, mais elle n'a que

seize ans et sa vie n'a pas été facile jusqu'ici. Tu ne peux être jalouse d'elle, mon cœur ?

Il caressa amoureusement ses seins superbes.

— Comfort est loin d'être une enfant. C'est une petite garce calculatrice et mal

intentionnée. Sais-tu ce qu'elle a eu l'audace de me dire aujourd'hui ?

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Il l'écouta, redoutant le pire.

— De plus, elle néglige son travail dans la maison et disparaît pendant des heures sans

que personne ne sache où elle est. Mme Hawkins me l'a dit. Je ne veux plus d'elle ici,

Kieran. J'attends un enfant et je n'ai pas envie de me compliquer la vie à cause d'une

petite peste délurée.

— Cela ne va pas être facile pour moi de la revendre. Je l'ai achetée en Virginie.

Lorsqu'elle sera affranchie, je devrai lui donner cinq acres de terre, un bœuf, un fusil,

deux houes, des vêtements, et trois barils de blé. Je ne sais pas si quelqu'un d'ici pourra

me la reprendre.

— Alors, ramène-la en Virginie et vends-la. Ou mieux encore : donnons-lui de l'argent et

envoyons-la en Angleterre quand le Rose de Cardiff reviendra. Peut-être a-t- elle été

arrêtée pour un crime plus grave que ce vol de pain?

— Je vais d'abord essayer de trouver un repreneur. Je n'ai pas envie de perdre la totalité

de mon investissement. Je ne la vendrai pas au prix fort, tu sais.

— Je me moque de ce qu'elle t'a coûté et de ce que tu perdras. Je veux qu'elle quitte

cette maison!

— Dès que la moisson sera en bonne voie, je m'en occuperai, je te le promets.

Le tabac fut coupé en septembre et mis à sécher avant d'être roulé en ballots que le Rose

de Cardiff ramena en Angleterre avec d'autres récoltes excédentaires de la colonie. La

O'Malley-Small Company ne laissait jamais aucun profit se perdre. Par ailleurs, le

Highlander apporta trois vaches laitières, des bœufs, des poules et un coq.

L'hiver approchait. Les arbres se paraient de couleurs cuivrées, et les oiseaux migrateurs se

rassemblaient en vue du grand voyage vers des contrées plus chaudes.

Fortune et Rois s'arrondissaient. Un après-midi, les deux femmes cousaient paisiblement

leur layette quand elles aperçurent Comfort Rogers, des aiguilles de pin plein les cheveux.

— Je me demande avec qui elle a couché, milady, murmura Rois.

— Mon Dieu ! Si elle tombe enceinte, nous ne pourrons plus nous en débarrasser !

— Vous voulez la revendre ? Tant mieux, milady ! Si vous voyiez comment elle regarde

mon Kevin! C'est une petite traînée! Les hommes disent que pour un penny, elle couche

avec qui veut bien d'elle.

— Une prostituée, dit Fortune en fermant les yeux. Je m'en doutais. Elle doit partir au

plus vite.

Quand elle expliqua la situation à son mari, le soir même, il lui avoua qu'il ne trouvait

pas d'acheteur. Personne ne voulait d'elle, et encore moins les femmes.

— Je suis désolé, ma chérie. Je n'aurais pas dû l'acheter.

— Eh bien, puisque nous n'avons pas le choix, nous n'avons plus qu'à la renvoyer en

Angleterre. Il est hors de question que nous hébergions une prostituée.

— Tu as raison. Elle partira avec le Rose de Cardiff.

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Le lendemain, Fortune réunit ses domestiques pour les mettre en garde, leur signalant

qu'au moindre écart de conduite, ils seraient revendus.

— Quant à toi, Comfort Rogers, je t'interdis de quitter cette maison sans ma permission.

M'as-tu bien entendue ?

Comfort regarda sa maîtresse d'un air mauvais, sans répondre.

Ce soir-là, tapie dans un coin, elle entendit Dolly et Mme Hawkins parler de son renvoi

prochain. Après avoir insulté les deux femmes en silence, Comfort se promit de les mettre

à la porte dès qu'elle serait la maîtresse de cette maison. Car elle ne doutait pas que

Kieran l'aimait, et qu'il chasserait son épouse et ses mioches pour la garder, elle. Toute à

lui. Elle haïssait Fortune et si elle s'imaginait qu'elle allait lui interdire de sortir, elle se

fourrait le doigt dans l'œil ! Elle ne perdait rien pour attendre, cette mijaurée. Elle allait

lui régler son compte. Et vite !

— Maîtresse?

Assise avec Rois devant la maison, Fortune leva les yeux de son ouvrage.

— Oui, Prosper?

— C'est au sujet de Comfort, fit l'esclave Elle est encore partie dans la forêt. On était aux

champs quand on l'a vue.

— Oh, non ! s'écria Fortune en se levant. Cette petite idiote va encore se perdre !

— Non, maîtresse. Elle connaît les bois comme sa poche.

— Vraiment?

Était-il possible que cette garce se soit délibérément perdue le jour de son arrivée ?

— Montrez-moi le chemin, Prosper. Rois, va prévenir Kieran. Demain, cette fille sera

fouettée !

— Elle reviendra bien, milady, intervint sa femme de chambre. N'allez pas la chercher.

— Elle m'a désobéi devant tout le monde. Je dois la ramener moi-même si je veux

conserver mon autorité.

Prosper conduisit sa maîtresse le long d'un champ de tabac et lui indiqua le chemin

qu'avait pris la fugitive.

— Laissez-moi vous accompagner, maîtresse.

— Non, Prosper, merci. C'est à moi d'intervenir. À moi seule.

Peu après, Fortune s'enfonçait dans les bois dont les arbres aux feuilles lustrées s'étaient

parés des couleurs rougeoyantes d'octobre. Elle ne tarda pas à entendre la jeune fille

chantonner, un peu plus loin devant elle.

Elle se dirigea vers la voix, et s'aperçut soudain que l'autre ne chantait plus. Où diable

était passée cette maudite gamine ?

Comfort avait perçu des pas derrière elle et s'était cachée dans les buissons en espérant

qu'un homme l'avait suivie. Quelle ne fut pas sa déception quand elle reconnut Fortune !

Une idée lui était alors venue. Recommençant à chanter, elle avait entraîné sa maîtresse

de plus en plus profondément dans les bois. Quand elle jugea qu'elle était allée

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suffisamment loin, Comfort revint sur ses pas en se frottant les mains. Elle avait tout le

temps de s'occuper de Kieran, maintenant...

Fortune s'efforça de rebrousser chemin et de se repérer. Mais la forêt était touffue, et

quand elle se retrouva sur la berge d'un ruisseau qu'elle avait traversé quelques minutes

plus tôt, elle comprit qu'elle s'était perdue. Seigneur! Elle regarda en tous sens, se

demandant quel chemin prendre.

Elle n'en avait pas la moindre idée ! Les larmes se mirent à couler sur ses joues tandis

qu'elle pensait à Aine et au bébé qu'elle portait. Elle commença à prier et s'assit contre un

arbre en pleurant de plus belle. Quelques minutes plus tard, elle s'endormait.

— Touchée-par-le-Feu, réveille-toi !

Fortune ouvrit les yeux et sursauta violemment : un vieil Indien était penché sur elle

— N'aie pas peur. Je suis Croissant-de-Lune, l'homme medicine des Wicocomoco.

— Vous parlez anglais? S’étonna-t-elle, stupéfaite.

L'homme esquissa un sourire.

— Votre femme medicine, Yeux-de-Glace, m'a enseigné votre langue, et moi, je lui ai

appris la mienne. Yeux-de-Glace... Ah, bien sûr! Happeth Jones portait des lunettes !

— Croissant-de-Lune, je me suis perdue en suivant une servante désobéissante.

— Oui, je vois, cette fille aux cheveux couleur de blé. C'est une mauvaise personne,

Touchée-par-le-Feu. Elle a apporté la maladie à beaucoup de nos jeunes qui se sont laissé

tenter par elle.

— Mon mari va la renvoyer, expliqua-t-elle au vieil homme en se relevant avant de lui

emboîter le pas. Cette fille est une source d'ennuis pour nous tous. Je suis désolée qu'elle

ait contaminé vos hommes. Mme Jones, enfin, Yeux-de-Glace pourrait peut-être vous

aider à les soigner? Je suis vraiment heureuse que vous m'ayez trouvée, Croissant-de-

Lune. Dieu sait ce que j'aurais fait sans vous !

Quand ils arrivèrent au bord du champ de tabac, Fortune constata que le soleil était déjà

très bas à l'horizon. Elle était restée absente une bonne partie de la journée.

— Fortune! Fortune!

— Je suis là ! répondit-elle.

L'instant d'après, Kieran l'enveloppait dans ses bras musclés.

— J'ai cru que je t'avais perdue, dit-il en l'embrassant avec fougue. Merci, mon Dieu !

Merci !

— C'est Croissant-de-Lune qu'il faut remercier, objecta-t-elle en se retournant. Oh, il est

parti ! Kieran, nous devons absolument le remercier. C'est lui qui m'a trouvée dans la

forêt et qui m'a ramenée.

Sur le chemin du retour, elle lui raconta sa mésaventure dans les moindres détails.

— J'ai passé la journée à te chercher, mon amour. En désespoir de cause, je m'apprêtais à

aller au village indien, leur demander de l'aide. Que diable Comfort allait-elle faire dans

cette forêt? Je l'ai enfermée à double tour dans le garde-manger.

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Fortune lui expliqua alors que la jeune fille ne trouvait pas les Indiens aussi effrayants

qu'elle le prétendait...

Le lendemain matin, Kieran et Kevin emmenèrent Comfort à la ville. A travers ses larmes,

elle se mit à hurler :

— Ils m'emmènent ! Je vais les avoir pour moi seule ! J'ai gagné ! J'ai gagné !

— Petite garce ! Siffla Rois.

— Cette fille est folle, dit Fortune, presque prise de pitié.

Quand les hommes revinrent, dans la soirée, il leur apprit que Comfort avait été remise

au gouverneur, en attendant d'embarquer pour l'Angleterre. Ils en avaient profité pour

passer voir Aaron Kira qui s'était fort bien adapté à sa nouvelle vie et développait déjà

un petit commerce florissant. Ils avaient également rendu visite au capitaine O'Flaherty.

Kieran lui racontait leurs déboires avec Comfort Rogers quand on frappa à la porte de la

cabine.

— On m'a dit que M. Devers se trouvait ici, annonça leur visiteur.

— Je suis Kieran Devers.

— Anthony Sharpe, se présenta l'homme. Vous êtes bien en possession d'une esclave du

nom de Comfort Rogers ?

— Oui, mais pas pour longtemps.

— J'ai un mandat d'arrêt contre cette fille, monsieur. Elle est recherchée pour meurtre et

doit être pendue. Elle a pris l'identité d'une femme décédée à Newgate. Son vrai nom est

Jane Gale.

— De quoi est-elle accusée ? demanda Kieran.

— Elle a assassiné sa patronne. Elle était convaincue que son maître l'aimait et elle voulait

partir avec lui.

— C'était vrai ?

— Non, monsieur. Elle avait tout inventé.

— Mon Dieu, Kieran, vous avez eu de la chance qu'elle ne tue pas votre femme !

s'exclama Ualtar O'Flaherty.

— En effet, monsieur, approuva l'homme de loi.

Il fut alors décidé que Comfort Rogers ou plutôt Jane Gale partirait le soir même à bord

du Rose de Cardiff où elle voyagerait enfermée dans la cale.

Avant de quitter le capitaine, Kieran lui confia une lettre de Fortune pour sa mère, puis

les deux hommes échangèrent une solide poignée de main.

— La famille sera enchantée d'apprendre qu'Aine aura bientôt un petit frère, lui dit le

capitaine. Que Dieu vous garde, Kieran, et toute ma tendresse à Fortune.

Après avoir entendu toute l'histoire, Fortune murmura, songeant à Comfort :

— Que Dieu lui vienne en aide.

— Après tout ce qu'elle t'a fait, tu ne lui en veux pas ? S’étonna Kieran. Tu as trop bon

cœur, ma chérie.

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Autour d'eux, les domestiques acquiescèrent avec force.

— La vie a été clémente avec nous, j'en ai conscience. Nous nous sommes rencontrés,

Kieran, et ce n'est pas donné à tout le monde de trouver l'amour. C'est ce que cherchait

désespérément cette pauvre fille. De plus, nous sommes nés dans un milieu privilégié où

nous avons appris les valeurs fondamentales de vie, la morale, la générosité, la tendresse.

Nous ignorons ce qui a rendu cette fille aussi mauvaise. Qui sait par quoi elle est passée

pour en arriver là ? A présent, elle va rentrer à Londres pour finir au bout d'une corde,

alors que nous, nous sommes réunis dans notre nid d'amour. Je crois vraiment qu'elle a

besoin de l'aide du Seigneur, Kieran.

Il la contempla avec une admiration et un respect sans bornes. Lady Fortune Mary

Lindley Devers était décidément exceptionnelle.

— Je t'aime, dit-il simplement. Et je t'aimerai jusqu'à mon dernier souffle. Nous avons

trouvé notre place, mon amour. Nous sommes enfin chez nous !

Il prit sa femme dans ses bras et l'embrassa avec toute la passion de son âme celte. A cet

instant, Fortune sut qu'il avait raison : ils étaient enfin chez eux.