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Roméo et JulietteLa scène du balcon
William Shakespeare
(Université de Liège)Maitre en langues et littératures modernes
Document rédigé par Mélanie Kuta
Commentaire de texte
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Document rédigé par Mélanie Kuta
Roméo et JulietteLa scène du balcon
William Shakespeare
Commentaire de texte
TEXTE ÉTUDIÉ 7La scène du balcon (acte II, scène 2)
MISE EN CONTEXTE 17
COMMENTAIRE 19La nuit complice
Le jardin, lieu clos et hors du temps
Juliette, la voix de la maturité
La technique du monologue
CONCLUSION 24
POUR ALLER PLUS LOIN 25
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William ShakespearePoète et dramaturge anglais
• Né en 1564 à Stratford on Avon• Décédé en 1616 dans la même ville• Quelques- unes de ses œuvres :
ʟ Le Songe d’une nuit d’été (1592-1595), comédie ʟ Richard III (1592-1595), pièce historique ʟ Hamlet (1595-1600), tragédie
Poète et dramaturge, figure éminente de la littérature anglaise et en particulier du théâtre élisabéthain (du nom de la reine Élisabeth Ire, 1558-1603), William Shakespeare est né en 1564. Des doutes ont parfois plané sur son existence historique, qui semble désormais avérée même si certaines périodes de sa vie restent méconnues. Il a écrit 37 pièces, que l’on classe généralement en quatre catégories : les pièces historiques comme Richard III, les comédies comme Le Songe d’une nuit d’été, les grandes tragédies telles Hamlet et enfin les dernières pièces parmi lesquelles La Tempête. Dans les années 1600, la troupe de cet acteur et écrivain, considérée comme l’une des meilleures de Londres, devient résidente du théâtre du Globe. William Shakespeare meurt en 1616.
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TEXTE ÉTUDIÉ
LA SCÈNE DU BALCON (ACTE II, SCÈNE 2)
Le jardin de Capulet. Sous les fenêtres de l’appartement de Juliette. Entre Roméo.
RoméoIl se rit des plaies, celui qui n’a jamais reçu de blessures ! (Apercevant Juliette qui apparaît à une fenêtre.) Mais dou-cement ! Quelle lumière jaillit par cette fenêtre ? Voilà l’Orient, et Juliette est le soleil ! Lève- toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui déjà languit et pâlit de douleur ; parce que toi, sa prêtresse, tu es plus belle qu’elle- même ! Ne sois plus sa prêtresse, puisqu’elle est jalouse de toi ; sa livrée de vestale est maladive et blême, et les folles seules la portent : rejette- la !… Voilà ma dame ! Oh ! Voilà mon amour ! Oh ! si elle pouvait le savoir !… Que dit- elle ? Rien… Elle se tait… Mais non ; son regard parle, et je veux lui répondre… Ce n’est pas à moi qu’elle s’adresse. Deux des plus belles étoiles du ciel, ayant affaire ailleurs, adjurent ses yeux de vouloir bien resplendir dans leur sphère, jusqu’à ce qu’elles reviennent. Ah ! si les étoiles se substituaient à ses yeux, en même temps que ses yeux aux étoiles, le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour, une lampe ; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumière à travers les régions aériennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n’est plus. Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main ! Oh ! que ne suis- je le gant de cette main ! Je toucherais sa joue !
Roméo et JulietteUne histoire d’amour
devenue mythique
• Genre : pièce de théâtre tragique• Édition de référence : Roméo et Juliette, traduit par
François- Victor Hugo, Paris, Gallimard, coll. « La biblio-thèque Gallimard », 2001, 259 p.
• 1re édition : 1594-1595• Thématiques : haine, amour, destin, interdit, poison
À mi- chemin entre la tragédie et la comédie, Roméo et Juliette est l’histoire d’amour la plus célèbre de la littérature anglaise. Publiée pour la première fois en 1597, cette pièce de théâtre en cinq actes raconte le destin tragique de deux jeunes amants dont les familles respectives, les Montague et les Capulet, se haïssent depuis toujours.
La structure de la pièce est simple. Il n’y a pas de sous- intrigues. L’histoire se déroule au mois de juillet à Vérone et à Mantoue, deux villes du nord de l’Italie, au début du xive siècle, en seulement quatre jours. Le récit, écrit au présent, est principalement raconté du point de vue des amants.
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JulietteQuel homme es- tu, toi qui, ainsi caché par la nuit, viens te heurter à mon secret ?
RoméoJe ne sais par quel nom t’indiquer qui je suis. Mon nom, sainte chérie, m’est odieux à moi- même, parce qu’il est pour toi un ennemi : si je l’avais écrit là, j’en déchirerais les lettres.
JulietteMon oreille n’a pas encore aspiré cent paroles proférées par cette voix, et pourtant j’en reconnais le son. N’es- tu pas Roméo et un Montague ?
RoméoNi l’un ni l’autre, belle vierge, si tu détestes l’un et l’autre.
JulietteComment es- tu venu ici, dis- moi ? et dans quel but ? Les murs du jardin sont hauts et difficiles à gravir. Considère qui tu es : ce lieu est ta mort, si quelqu’un de mes parents te trouve ici.
RoméoJ’ai escaladé ces murs sur les ailes légères de l’amour : car les limites de pierre ne sauraient arrêter l’amour, et ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter ; voilà pourquoi tes parents ne sont pas un obstacle pour moi.
JulietteS’ils te voient, ils te tueront.
JulietteHélas !
RoméoElle parle ! Oh ! parle encore, ange resplendissant ! Car tu rayonnes dans cette nuit, au- dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mor-tels qui se rejettent en arrière pour le contempler, il devance les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs !
JulietteÔ Roméo ! Roméo ! pourquoi es- tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet.
Roméo, à part.Dois- je l’écouter encore ou lui répondre ?
JulietteTon nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi- même. Qu’est- ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a- t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s’appelle-rait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu’il possède… Roméo, renonce à ton nom ; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends- moi tout entière.
RoméoJe te prends au mot ! Appelle- moi seulement ton amour, et je reçois un nouveau baptême : désormais je ne suis plus Roméo.
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rire Jupiter… Oh ! gentil Roméo, si tu m’aimes, proclame- le loyalement : et si tu crois que je me laisse trop vite gagner, je froncerai le sourcil, et je serai cruelle, et je dirai non, pour que tu me fasses la cour : autrement, rien au monde ne m’y déciderait… En vérité, beau Montague, je suis trop éprise, et tu pourrais croire ma conduite légère ; mais crois- moi, gentilhomme, je me montrerai plus fidèle que celles qui savent mieux affecter la réserve. J’aurais été plus réservée, il faut que je l’avoue, si tu n’avais pas surpris, à mon insu, l’aveu passionné de mon amour : pardonne- moi donc et n’impute pas à une légè-reté d’amour cette faiblesse que la nuit noire t’a permis de découvrir.
RoméoMadame, je jure par cette lune sacrée qui argente toutes ces cimes chargées de fruits !…
JulietteOh ! ne jure pas par la lune, l’inconstante lune dont le disque change chaque mois, de peur que ton amour ne devienne aussi variable !
RoméoPar quoi dois- je jurer ?
JulietteNe jure pas du tout ; ou, si tu le veux, jure par ton gracieux être, qui est le dieu de mon idolâtrie, et je te croirai.
RoméoSi l’amour profond de mon cœur…
RoméoHélas ! il y a plus de péril pour moi dans ton regard que dans vingt de leurs épées : que ton œil me soit doux, et je suis à l’épreuve de leur inimitié.
JulietteJe ne voudrais pas pour le monde entier qu’ils te vissent ici.
RoméoJ’ai le manteau de la nuit pour me soustraire à leur vue. D’ailleurs, si tu ne m’aimes pas, qu’ils me trouvent ici ! J’aime mieux ma vie finie par leur haine que ma mort dif-férée sans ton amour.
JulietteQuel guide as- tu donc eu pour arriver jusqu’ici ?
RoméoL’amour, qui le premier m’a suggéré d’y venir : il m’a prêté son esprit et je lui ai prêté mes yeux. Je ne suis pas un pilote ; mais, quand tu serais à la même distance que la vaste plage baignée par la mer la plus lointaine, je risquerais la traversée pour une denrée pareille.
JulietteTu sais que le masque de la nuit est sur mon visage ; sans cela, tu verrais une virginale couleur colorer ma joue, quand je songe aux paroles que tu m’as entendue dire cette nuit. Ah ! je voudrais rester dans les convenances ; je voudrais, je voudrais nier ce que j’ai dit. Mais adieu, les cérémonies ! M’aimes- tu ? Je sais que tu vas dire oui, et je te croirai sur parole. Ne le jure pas : tu pourrais tra-hir ton serment : les parjures des amoureux font, dit- on,
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maison. Cher amour, adieu ! J’y vais, bonne nourrice !… Doux Montague, sois fidèle. Attends un moment, je vais revenir. (Elle se retire de la fenêtre.)
RoméoÔ céleste, céleste nuit ! J’ai peur, comme il fait nuit, que tout ceci ne soit qu’un rêve, trop délicieusement flatteur pour être réel.
Juliette revient.
JulietteTrois mots encore, cher Roméo, et bonne nuit, cette fois ! Si l’intention de ton amour est honorable, si ton but est le mariage, fais- moi savoir demain, par la personne que je ferai parvenir jusqu’à toi, en quel lieu et à quel moment tu veux accomplir la cérémonie, et alors je déposerai à tes pieds toutes mes destinées, et je suivrai, monseigneur, jusqu’au bout du monde !
La nourrice, derrière le théâtre.Madame !
JulietteJ’y vais ! tout à l’heure ! Mais si ton arrière- pensée n’est pas bonne, je te conjure…
La nourrice, derrière le théâtre.Madame !
JulietteÀ l’instant ! j’y vais !… de cesser tes instances et de me laisser à ma douleur… J’enverrai demain.
JulietteAh ! ne jure pas ! Quoique tu fasses ma joie, je ne puis goûter cette nuit toutes les joies de notre rapprochement ; il est trop brusque, trop imprévu, trop subit, trop sem-blable à l’éclair qui a cessé d’être avant qu’on ait pu dire : il brille !… Doux ami, bonne nuit ! Ce bouton d’amour, mûri par l’haleine de l’été, pourra devenir une belle fleur, à notre prochaine entrevue… Bonne nuit, bonne nuit ! Puisse le repos, puisse le calme délicieux qui est dans mon sein, arriver à ton cœur !
RoméoOh ! vas- tu donc me laisser si peu satisfait ?
JulietteQuelle satisfaction peux- tu obtenir cette nuit ?
RoméoLe solennel échange de ton amour contre le mien.
JulietteMon amour ! je te l’ai donné avant que tu ne l’aies demandé. Et pourtant je voudrais qu’il fût encore à donner.
RoméoVoudrais- tu me le retirer ? Et pour quelle raison, mon amour ?
JulietteRien que pour être généreuse et te le donner encore. Mais je désire un bonheur que j’ai déjà : ma libéralité est aussi illi-mitée que la mer, et mon amour aussi profond : plus je te donne, plus il me reste, car l’une et l’autre sont infinis. (On entend la voix de la nourrice.) J’entends du bruit dans la
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La nourrice, derrière le théâtre.Madame !
JulietteÀ quelle heure, demain, enverrai- je vers toi ?
RoméoÀ neuf heures.
JulietteJe n’y manquerai pas : il y a vingt ans d’ici là. J’ai oublié pourquoi je t’ai rappelé.
RoméoLaisse- moi rester ici jusqu’à ce que tu t’en souviennes.
JulietteJe l’oublierai, pour que tu restes là toujours, me rappelant seulement combien j’aime ta compagnie.
RoméoEt je resterai là pour que tu l’oublies toujours, oubliant moi- même que ma demeure est ailleurs.
JulietteIl est presque jour. Je voudrais que tu fusses parti, mais sans t’éloigner plus que l’oiseau familier d’une joueuse enfant : elle le laisse voleter un peu hors de sa main, pauvre prison-nier embarrassé de liens, et vite elle le ramène en tirant le fil de soie, tant elle est tendrement jalouse de sa liberté !
RoméoJe voudrais être ton oiseau !
RoméoPar le salut de mon âme…
JulietteMille fois bonne nuit ! (Elle quitte la fenêtre.)
RoméoLa nuit ne peut qu’empirer mille fois, dès que ta lumière lui manque… (Se retirant à pas lents.) L’amour court vers l’amour comme l’écolier hors de la classe ; mais il s’en éloigne avec l’air accablé de l’enfant qui rentre à l’école.
Juliette reparaît à la fenêtre.
JulietteStt ! Roméo ! Stt !… Oh ! que n’ai- je la voix du fauconnier pour réclamer mon noble tiercelet ! Mais la captivité est enrouée et ne peut parler haut : sans quoi j’ébranlerais la caverne ou Écho dort, et sa voix aérienne serait bientôt plus enrouée que la mienne, tant je lui ferais répéter le nom de mon Roméo !
Roméo, revenant sur ses pas.C’est mon âme qui me rappelle par mon nom ! Quels sons argentins a dans la nuit la voix de la bien- aimée ! Quelle suave musique pour l’oreille attentive !
JulietteRoméo !
RoméoMa mie ?
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MISE EN CONTEXTE
Roméo et Juliette a été écrit par Shakespeare à la fin du xvie siècle, en plein âge d’or de la littérature anglaise, aussi appelé Renaissance élisabéthaine. C’est l’époque de l’émergence du théâtre élisabéthain, qui s’étendra du début du règne d’Élisabeth Ire (reine d’Angleterre et d’Ir-lande, 1533-1603) jusqu’à la première moitié du xviie siècle. Le théâtre anglais connait alors toute une série de bou-leversements : des troupes d’acteurs professionnels se forment, de nombreux théâtres à l’architecture bien parti-culière sont construits et les dramaturges contemporains de Shakespeare, Christopher Marlowe (1564-1593), Thomas Kyd (1558-1594) et John Lyly (1554-1606) viennent étoffer une production dramatique déjà importante.
Malheureusement, les puritains, qui considéraient l’activité théâtrale comme immorale, ainsi que de nombreuses épidé-mies de peste feront fermer les théâtres à plusieurs reprises.
Roméo et Juliette fait partie des œuvres de jeunesse de Shakespeare, parmi de nombreuses pièces historiques et comiques, telles que Peines d’amour perdues (vers 1595), Le Songe d’une nuit d’été (1600) et Richard II (1558-1594).
Lors de la scène 2 de l’acte II de Roméo et Juliette, qui a lieu dans le jardin des Capulet, Roméo et Juliette se retrouvent seuls pour la première fois, alors qu’ils viennent de se ren-contrer au bal donné par le père de Juliette. Ils se déclarent leur amour, mais ne peuvent s’empêcher de penser que les clans auxquels ils appartiennent, les Montague et les
JulietteAmi, je le voudrais aussi ; mais je te tuerais à force de caresses. Bonne nuit ! bonne nuit ! Si douce est la tristesse de nos adieux que je te dirais : bonne nuit ! jusqu’à ce qu’il soit jour. (Elle se retire.)
Roméo, seul.Que le sommeil se fixe sur tes yeux et la paix dans ton cœur ! Je voudrais être le sommeil et la paix, pour reposer si délicieusement ! Je vais de ce pas à la cellule de mon père spirituel, pour implorer son aide et lui conter mon bonheur. (Il sort.)
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COMMENTAIRE
LA NUIT COMPLICE
La nuit est un élément de décor fondamental dans cette scène, mais également dans tout le récit. C’est de nuit que l’amour entre Roméo et Juliette nait, murit et s’achève fina-lement dans la tombe. Comme ils ne peuvent pas vivre leur amour au grand jour, la nuit leur permet de se cacher (« J’ai le manteau de la nuit pour me soustraire à leur vue » ; « […] le masque de la nuit est sur mon visage »). De plus, la nuit confère une certaine intimité à la scène.
Le champ lexical des étoiles et de la lumière est également très présent. Shakespeare l’utilise à des fins diverses :
• Roméo décrit la beauté de Juliette de façon hyperbolique en utilisant ce champ lexical : « le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres » ; « Quelle lumière jaillit par cette fenêtre ? » De plus, en considérant la confi-guration scénique de cette scène (Juliette est surélevée, au balcon, alors que Roméo est au sol), Roméo prend effectivement Juliette pour le soleil qui vient se lever sur le jardin (« Voilà l’Orient, et Juliette est le soleil ! ») ;
• la présence des astres et de la lune donne également une dimension cosmique à la scène. Le spectateur sait, depuis le prologue initial, que le destin des deux amants est tout tracé, car leur amour est né « sous des étoiles contraires » (prologue, p. 21). Cette destinée se confirme ici avec la présence de « la lune jalouse », « l’incons-tante lune ».
Capulet, sont ennemis jurés depuis toujours. Ceci met en péril leur relation avant même qu’elle ne débute. Leur amour arrivera- t-il à triompher de la haine ?
Souvent appelée la « scène du balcon », cette scène de Roméo et Juliette est universellement connue. C’est au cours de celle- ci que nait l’amour entre les deux jeunes gens. Alors que Juliette pense être seule, elle déclare son amour, intense et fulgurant, à Roméo. S’ensuit un dialogue passionné et poétique dans lequel on distingue différentes thématiques intéressantes. Le sentiment d’urgence est très présent tout au long de la scène, dans le discours des amants (« il est trop brusque, trop imprévu, trop subi […] ») et dans les apparitions incessantes de la nourrice.
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Bon à savoir
Il est intéressant de noter que, dans le texte anglais original, la scène du balcon est rédigée en vers alors que le reste de la pièce est en prose, ce qui confirme le sentiment d’irréalité de la scène.
JULIETTE, LA VOIX DE LA MATURITÉ
En ce qui concerne les personnages et leur développement, cette scène est très importante, car elle montre au specta-teur le vrai visage de Juliette. Elle qui semblait réservée et docile dans les scènes précédentes, se révèle être, malgré son jeune âge, une héroïne mature et moderne :
• c’est elle qui introduit l’idée de mariage, et non Roméo (« Si l’intention de ton amour est honorable, si ton but est le mariage […] »). Elle demande également à Roméo de renoncer à son nom (« Renie ton père et abdique ton nom […] »), alors que dans la tradition occidentale du mariage, c’est la femme qui prend le nom de son époux ;
• Juliette est également très pragmatique. Alors que Roméo accepte simplement de l’épouser, elle organise la cérémonie et les détails pratiques : « À quelle heure, demain, enverrai- je vers toi ? » ;
• face à une crise existentielle sur l’identité des personnes et des choses (« Qu’y a- t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. »), Juliette a un discours très abouti pour son âge. Elle refuse que Roméo soit uniquement défini par son nom de famille. On sent ici également toute la tension entre l’identité personnelle des amants et leur identité familiale (représentée par le nom de famille).
LE JARDIN, LIEU CLOS ET HORS DU TEMPS
Le jardin a un rôle extrêmement dramatique dans la pièce, et plus particulièrement dans cette scène :
• le jardin, ainsi que le balcon qui s’y trouve, symbo-lise la solitude de Juliette. Cet espace clos (« limites de pierre ») la protège et l’emprisonne. Elle est inac-cessible, on ne peut la toucher et elle ne peut sortir. Les appels incessants de la nourrice lors de la scène soulignent ce sentiment d’emprisonnement. Juliette envie la liberté de Roméo (« Je voudrais que tu fusses parti, mais sans t’éloigner plus que l’oiseau familier d’une joueuse enfant : elle le laisse voleter un peu hors de sa main, pauvre prisonnier embarrassé de liens, et vite elle le ramène en tirant le fil de soie, tant elle est tendrement jalouse de sa liberté ! ») ;
• le jardin donne également une dimension irréelle à la scène. Enfermés, Roméo et Juliette sont hors du temps, hors du monde, loin des querelles de leur famille. Juliette est comme une apparition pour Roméo, qui la qualifie d’« ange resplendissant » et de « messager ailé du ciel ». Ces adjectifs soulignent la pureté de leur amour. Plus loin dans la scène, Roméo pense qu’il est en train de rêver : « J’ai peur, comme il fait nuit, que tout ceci ne soit qu’un rêve. » Cet espace irréel est aussi le lieu de la solitude des deux amants. Ils savent que leur amour ne peut survivre au monde extérieur et à la pression familiale, c’est pour cela qu’ils le vivent à l’abri des regards.
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la perfection de sa bien- aimée, Roméo emploie de nombreuses images et comparaisons : « Voilà l’Orient, et Juliette est le soleil ! » ; « belle aurore » ; « ange res-plendissant », etc. ;
• dans le monologue de Juliette (« Tu sais que le masque de la nuit […] la nuit noire t’a permis de découvrir. »), le public découvre que celle- ci est gênée que Roméo l’ait entendue lui déclamer son amour (« Tu sais que le masque de la nuit est sur mon visage ; sans cela, tu ver-rais une virginale couleur colorer ma joue, quand je songe aux paroles que tu m’as entendue dire cette nuit. »). Elle supplie Roméo de ne pas la considérer comme une fille « légère ». Elle est si amoureuse de lui qu’elle est incapable de se laisser courtiser et d’être cruelle, telles les jeunes filles de son époque « qui savent mieux affec-ter la réserve ».
Ce type de discours était très souvent employé dans le théâtre élisabéthain, devenant une convention théâtrale établie. Vu la configuration scénique, les acteurs étaient très proches des spectateurs et ces monologues permettaient d’instaurer une certaine intimité.
LA TECHNIQUE DU MONOLOGUE
Dans Roméo et Juliette, Shakespeare explore toutes les pos-sibilités de la langue anglaise et montre aux spectateurs son incroyable habilité à jouer avec les mots. Les registres et styles employés dans la pièce sont extrêmement variés : on y retrouve, entre autres, des jeux de mots, des calembours ou encore des expressions colloquiales (tirées du vocabu-laire familier). Shakespeare utilise également le langage de la poésie amoureuse de son époque, tantôt sur le ton de la moquerie – dans la bouche de Mercutio –, tantôt de façon sincère – dans celle de Roméo. De plus, dans le texte anglais original, certaines parties sont écrites en prose et d’autres en vers. Cela permet notamment de dissocier les différentes classes sociales présentes dans l’œuvre : par exemple, lors de la bataille d’ouverture, les pages Samson et Grégoire s’expri-ment en prose alors que plus loin, le prince, de classe sociale supérieure, intervient en vers. Ces différentes techniques permettent à Shakespeare d’exprimer diverses émotions et de donner à chaque personnage une identité propre.
Dans le passage analysé, l’auteur utilise un autre type de dis-cours, le monologue. Roméo d’abord, puis plus tard Juliette, entament un long discours riche en images et métaphores. Ces soliloques contribuent à l’intrigue et permettent aux spectateurs d’en apprendre davantage sur la psychologie des héros et de connaitre leur état d’esprit au moment où ils parlent :
• dans le monologue de Roméo, au début de la scène, le spectateur est témoin de l’amour passionnel que celui- ci ressent pour Juliette (« Voilà mon amour ! ») et de son admiration sans limites pour sa beauté. Pour décrire
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POUR ALLER PLUS LOIN
ÉDITION DE RÉFÉRENCE
• Shakespeare W., Roméo et Juliette, traduit par François- Victor Hugo, Paris, Gallimard, coll. « La bibliothèque Gallimard », 2001, p. 70-77.
ÉTUDES DE RÉFÉRENCE
• Keeble N., Notes on Romeo and Juliet, Harlow, Longman York Press, 1980.
• Romeo and Juliet, in SparkNotes, 2007.http://www.sparknotes.com/shakespeare/romeojuliet/
SUR LEPETITLITTÉRAIRE.FR
• Fiche de lecture sur Hamlet de William Shakespeare• Fiche de lecture sur Le Songe d’une nuit d’été de William
Shakespeare• Fiche de lecture sur Macbeth de William Shakespeare• Fiche de lecture sur Roméo et Juliette• Questionnaire de lecture sur Roméo et Juliette
CONCLUSION
La scène du balcon est une scène- clé de Roméo et Juliette. En plus de situer l’intrigue majeure du récit et de déve-lopper les traits psychologiques des deux protagonistes principaux, elle témoigne de l’immense richesse langagière de Shakespeare.
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