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CuriuMLe nouveau magazine des 14-17 ans !Science et technologie, environnement, débats sociaux, relations humaines, études, emplois, activités culturelles et sportives… Le magazine Curium rejoint les intérêts et préoccupations des 14-17 ans, alimente leurs réflexions et les enrichit de nouvelles connaissances.Abonnements : CuriumMag.com 1 866 600-0061

Le nouveau magazine des 14-17 ans

Par l’équipe des Ce projet est soutenu financièrement par l’intermédiaire du programme NovaScience du ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations. Ce programme vise notamment à développer l’intérêt des jeunes Québécoises et Québécois pour les carrières et professions scientifiques.

Curium_PUB_LURELU.indd 1 2014-07-29 11:03

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S O M M A I R Elu lureest publiée par l’Association Lurelu, une société sans but lucratif. Semestriel, 20 $ par an + taxes. Parution en janvier, mai et septembre.

4388, rue Saint-DenisBureau 305 Montréal (Québec) H2J 2L1Téléphone : 514 282-1414Télécopieur : 282-9566Courriel : [email protected]

ANCIENS DIRECTEURS Serge Wilson (1978-1981) Robert Soulières (1981-1987) Raymond Plante (1987-1989) Renée Gravel-Plante (1990-1991)

DIRECTEURDaniel Sernine

ADJOINTE À LA RÉDACTIONManon Richer

COMITÉ DE RÉDACTION Raymond Bertin, Danièle Courchesne, Isabelle Crépeau, Sophie Marsolais, Manon Richer, Céline Rufiange, Daniel Sernine

COLLABORATIONKatia Canciani, Sébastien Chartrand, Myriam de Repentigny, Nathalie Ferraris,Marie Fradette, Andrée Poulin, Francine Sarrasin, Michèle Tremblay, Élaine Turgeon

ILLUSTRATIONSL’illustration principale de la couverture est signée Sybiline, pour la biographie de Jacques Pasquet Étienne Brûlé, coureur des bois, publiée en 2013 par les Éd. de l’Isatis, qui nous en ont aimablement fourni la numérisation. L’illustration secondaire est de Marianne Dubuc, pour l’album Le lion et l’oiseau, publié en 2013 aux Éd. de la Pastèque.

ABONNEMENT ET PUBLICITÉDaniel Sernine

WEBMESTRELaurine Spehner

CORRECTION DES TEXTES Madeleine Vincent

RÉVISION DES ÉPREUVESPaule Baillargeon

NUMÉRISATION ET TRAITEMENT DES IMAGESDaniel Sernine, Maher Jahjah

GRAPHISME ET MONTAGE Maher Jahjah

IMPRESSION LithoChic

EXPÉDITIONPoste Destination

DISTRIBUTION LS Distribution

Dépôt légalBibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada ISSN 0705-6567ISBN PDF 978-2-9814116-5-5Envoi de Poste-publications,Convention n° 40009926

Lurelu est indexée dans Repère et sur Erudit.org. Lurelu est membre de la SODEP, la Société de développement des pé riodiques culturels québécois (www.sodep.qc.ca).

La revue Lurelu remercie de leur soutien le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des Arts du Canada, Patrimoine canadien et le Conseil des arts de Montréal, qui lui accordent des subventions annuelles.

«Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du Canada pour les périodiques, qui relève de Patrimoine canadien.»

Les articles et les textes qui paraissent dans cette revue relèvent de la responsabilité de leur auteur; les opinions qui s’y trouvent exprimées ne sont pas nécessairement celles de la rédaction.

Toute reproduction est interdite sans l’auto risation de Copibec, la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, www.copibec.qc.ca.

Le Coq de St-Victor (p. 9)

VOLUME 37 NUMÉRO 2AUTOMNE2 0 1 4AVEC LES VOIX DE

ANNE DORVAL GUY JODOIN GUY NADON LUC GUÉRIN PAUL AHMARANIALEXIS MARTIN MARILOUP WOLFE BENOÎT BRIÈRE MARTIN DRAINVILLE GASTON LEPAGE

UN FILM DE PIERRE GRECO

PRODUCTIONS 10 AVe PIeRRe GReCO JOHANNe MeRCIeR PIeRRe GReCO

CHRISTIAN DAIGle MATHIeU BOUCHeR ’ YANN TReMBlAY ReNé CARON JéRÔMe BOITeAU OlIVIeR AURIOl

GeNeVIÈVe SAVARD NANCY flOReNCe SAVARD

4 ÉDITORIAL

LA SAISON DES COUPS DE CŒURPAR DANIEL SERNINE

5 CES AUTEURS POUR ADULTES QUI ÉCRIVENT POUR LA JEUNESSEPAR NATHALIE FERRARIS

9 DU LIVRE AU FILM, LES PLUS RÉCENTES ADAPTATIONS PAR SOPHIE MARSOLAIS

11 ENTREVUE

MARIANNE DUBUC : COMME UN JEU D’ENFANTPAR ISABELLE CRÉPEAU

13 THÉÂTRE JEUNES PUBLICS

MARILYN PERREAULT : DERRIÈRE LE SUCCÈS, L’INQUIÉTUDEPAR RAYMOND BERTIN

15 LA SAISON 2014-15 DE LA MAISON THÉÂTREPAR RAYMOND BERTIN

16 ENTREVUE

MICHEL J. LÉVESQUE : UNE FOISON DE PROJETSPAR NATHALIE FERRARIS

17 ENTREVUE

MURIEL KEARNEY : DE L’ATELIER AU PRIX LITTÉRAIREPAR KATIA CANCIANI

19 LES COUPS DE CŒUR DE LURELU

PAR L’ÉQUIPE

21 CRITIQUES

M’AS-TU VU, M’AS-TU LU?SOUS LA DIRECTION DE MANON RICHER

82 L’ILLUSTRATION

UN APRÈS-MIDI CHEZ JULESPAR FRANCINE SARRASIN

85 MON LIVRE À MOI

NOËL, NOËL!PAR CÉLINE RUFIANGE

87 DES LIVRES À EXPLOITER

HORS DES SENTIERS BATTUS AVEC MARIANNE DUBUC PAR DANIÈLE COURCHESNE

89 DES LIVRES AU CŒUR DE LA CLASSE

PAR UNE NUIT D’ORAGE…PAR ÉLAINE TURGEON

91 DES LIVRES À L’ÉTUDE

LA FORÊT AUX MILLE ET UN PÉRILS : INTERROGER LA NOTION DE HÉROS PAR MARIE FRADETTE

93 DES LIVRES AU CŒUR DE LA VILLE

SUR LA ROUTEPAR MICHÈLE TREMBLAY

95 TOURELU

UNE BAIGNOIRE, UN CHAT ET UNE COURTEPOINTE :LES PREMIÈRES ARMES DE BERNADETTE RENAUD

PAR SÉBASTIEN CHARTRAND

97 SOUS UN AUTRE ANGLE

LES RECUEILS DE NOUVELLES JEUNESSEPAR MYRIAM DE REPENTIGNY

99 CURIUM : OBJET DE CURIOSITÉPAR NATHALIE FERRARIS

101 DONNER AUX JEUNES UNE CULTURE LITTÉRAIREPAR ANDRÉE POULIN

104 INFORMATIONS

À L’HONNEURPAR DANIEL SERNINE

106 INFORMATIONS

VITE DITPAR NATHALIE FERRARIS ET DANIEL SERNINE

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lurelu volume 37 • no 2 • automne 2014

Lorsqu’on parcourt le sommaire du présent Lurelu, un nom se dégage, celui de Marianne Dubuc. L’illustratrice fait l’objet de l’entrevue d’Isabelle Crépeau et de la chronique «Des livres à exploi-ter». Puis de quatre coups de cœur, sans concertation préalable!

Marianne Dubuc s’est portée à notre attention collective avec un ovni, le tout-carton Devant ma maison (La courte échelle, 2010), qui lui a valu en 2011 une mention spéciale du jury au Prix Jeunesse des libraires du Québec, et pour lequel elle a été finaliste au Prix TD de littérature jeunesse canadienne. Elle a aussi été finaliste pour le Prix des libraires en 2013 avec Au carnaval des animaux, et elle l’est encore cette année avec L’autobus (Éd. Comme des géants). Au carnaval des animaux avait également été finaliste à l’automne 2013 pour les Prix littéraires du Gouverneur général, volet Jeunesse, illustration.

Au moment où j’écris ces lignes, on ne sait pas encore qui sera finaliste au Prix TD de lit-térature jeunesse canadienne ni aux Prix littéraires du Gouverneur général. Mais si je me fie au flair dont font preuve habituellement les collaboratrices de Lurelu, il y a fort à parier que le nom de Mme Dubuc figurera sur ces listes. Pour le savoir, visitez régulièrement la page «À l’honneur» de notre site Web.

D’autres lauréats font l’objet d’entrevues dans nos pages. C’est le cas de Michel J. Lévesque, qui se retrouve une deuxième année de suite en tête du Palmarès Communication-Jeunesse des livres préférés des jeunes, catégorie 12-17 ans, et de Muriel Kearney, gagnante l’an dernier du prix Cécile-Gagnon, volet Roman.

Des articles intéressants se bousculent au sommaire, comme celui sur les plus récentes (ou imminentes) adaptations de romans jeunesse au cinéma, ou celui sur les auteurs «pour adul-tes» qui s’aventurent du côté du livre jeunesse, un phénomène qui a toujours existé mais qui a connu une flambée – toute relative – en 2013. Signalons enfin un article d’Andrée Poulin sur l’une des trente et quelques conférencières au dernier congrès De mots et de craie organisé par le charismatique Yves Nadon, défenseur et illustrateur de la lecture en milieu scolaire. Les lectrices et lecteurs de Lurelu, et leurs collègues du monde de l’éducation, étaient au nombre de 485 au congrès de mai dernier à Sherbrooke. Coup de chapeau à l’infatigable instituteur, qui prépare déjà le rendez-vous de 2016...

Daniel SERNINE

Marie-Louise Gay au congrès De mots et de craie Jacques Pasquet et Francine Hébert(photos : Daniel Sernine)

É D I T O R I A L

La saison des coups de cœur

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Ces auteurs pour adultesqui écrivent pour la jeunesseNathalie Ferraris

Ils sont peu nombreux les auteurs pour adultes qui font une incursion du côté de la littérature pour enfants. On pense bien sûr à Dany Laferrière, qui a publié quatre albums chez la Bagnole. Mais il y a aussi Louise Portal et Janette Bertrand et, plus récemment, Nadine Bis-muth et Benoit Dutrizac. Lurelu a voulu savoir ce qui a motivé ces auteurs à plonger «en» jeunesse. Tous ont gentiment répondu à nos questions, à l’exception de Dany Laferrière, dont le titre de nouvel académicien occupe tout son temps.

Louise, Ulysse, Pénélope, Juliette et Roméo

Celle qui a incarné Blanche-Neige dans le film L’Odyssée d’Alice Tremblay s’est confirmée comme écrivaine en 2001 avec un premier roman, L’Enchantée. Louise Portal a répété l’expérience en 2002 avec Cap-au-Renard, dont le second volet est paru en 2010 sous le titre La Promeneuse du Cap. La comédienne et romancière a également signé L’Actrice (2004), Les Mots de mon père (2005), L’Angélus de mon voisin sonne l’heure de l’amour (2007) et Sou-venirs d’amour (2009), tous parus chez HMH. Les mots de Louise Portal ont également pris vie en littérature jeunesse, dans les albums Ulysse et Pénélope (2008), finaliste au Prix du Gouverneur général 2009 pour le volet Illustration, et Juliette et Roméo (2010).

«J’ai écrit Ulysse et Pénélope à la demande de mon éditrice, Dominique Thuillot, qui n’arrêtait pas de me talonner pour que je me lance en jeunesse, explique Louise Portal en riant. Mais n’ayant pas eu d’enfants, je ne savais pas trop quoi écrire. Un jour, je me suis mise à observer Ulysse, mon petit voisin de deux ans. C’était un enfant très secret et il jouait avec un bâton dans l’eau. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de revisiter la légende d’Ulysse et de Pénélope.» Illustrée par Philippe Béha, l’histoire met en scène Ulysse qui, du haut de sa falaise, rêve d’aventures et de longues traversées. Un jour, la mer lui livre un présent : une bouteille avec un message écrit par une certaine Pénélope…

«Pour ce qui est de Juliette et Roméo, poursuit l’écrivaine, l’histoire m’a été inspirée alors que j’étais en tournage au Maroc pour le film Un ange à la mer. Je jouais avec Olivier Gourmet et il me racontait que sa fille Juliette était amoureuse. J’ai eu envie de revisiter la grande histoire d’amour de Roméo et Juliette. L’histoire se déroule au Maroc et il y a un goéland qui se nomme Shakespeare!»

Forte de son expérience en littérature pour adultes, Louise Portal affirme que le travail d’écriture de ces

deux livres a été beaucoup moins exigeant en termes de temps et de nombre de pages que ses romans pour adultes. Cependant, elle admet avoir dû se mettre dans la peau d’un enfant lors de la rédaction des textes. «J’ai fait bien attention au choix des mots, prenant soin de définir ceux qui étaient difficiles, et j’ai lu les phrases à voix haute tout au long de l’écriture. La musicalité des textes est très importante pour moi. Tout en écrivant, je pensais aussi aux animations que je ferais à partir de ces histoires dans les salons du livre, avec changement de voix et gestuelle.»

Parlant d’animations, Louise Portal en a fait beau-coup. En Gaspésie notamment, elle et des enfants ont lancé des bouteilles à la mer. «J’adore écrire pour les enfants parce que je peux faire arriver toutes sortes de choses. N’ayant pas eu d’enfants, la publication de ces livres est un véritable cadeau de la vie et j’écris simple-ment pour le bonheur que ça m’apporte.» Consciente de la grande offre en littérature jeunesse, Louise Portal reconnait la chance qu’elle a eue lors de la sortie de ses deux albums. «Mon statut de comédienne m’a aidée à obtenir de la visibilité, mais je sais que les éditeurs doivent se battre auprès des médias. Il y a une foule d’auteurs et d’illustrateurs de talent qui n’ont aucune visibilité. Je trouve ça dommage. Pour cette raison, je crois qu’il faut conquérir les lecteurs un par un. Dans mon cas, beaucoup de grands-parents achètent mes livres pour les offrir à leurs petits-enfants. C’est un travail de longue haleine.»

Loin d’être découragée par l’abondante production québécoise de livres pour enfants, Louise Portal fera paraitre un tout nouvel album prochainement : Camille et Perdican. S’adressant aux 7 ans et plus, le livre sera illustré par Camille Lavoie et publié chez Dominique et compagnie. Il revisite la pièce de théâtre On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset.

Janette, Martin et Ti-Boutte

Auteure de populaires émissions qui ont marqué la so-ciété et la télévision québécoise, dont Toi et moi, Quelle famille!, Grand-Papa, Parler pour parler et Avec un grand A, Janette Bertrand a également écrit quelques pièces de théâtre, son autobiographie Ma vie en trois actes (2004) ainsi que quatre romans : Le Bien des miens (2007), Le Cocon (2009) et Lit double (en deux tomes, 2012 et 2013), tous chez Libre Expression. En septembre 2010, elle a surpris le monde du livre jeunesse en faisant paraitre Ti-Boutte aux Éditions de la Bagnole. Louise Portal

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Du livre au film, les plus récentes adaptationsSophie Marsolais

Les livres québécois pour la jeunesse inspirent depuis longtemps nos réalisateurs de films. Les plus récentes adaptations au cinéma ont donné une autre vie aux his-toires de Johanne Mercier, Dominique Demers et India Desjardins, au grand plaisir de ces dernières, d’ailleurs. L’auteur Luc Gélinas a de bonnes chances de faire partie de ce club sélect sous peu…

Un coq au village

Passant d’un village italien à la campagne de Charlevoix, Le coq de San Vito, écrit par Johanne Mercier, en a subi des modifications pour pouvoir semer la pagaille au grand écran! Paru pour la première fois en 2004 chez Do-minique et compagnie, puis réédité dans un plus grand format en 2014, juste à temps pour la sortie du film, le livre Le coq de San Vito est devenu le film d’animation Le coq de Saint-Victor, réalisé par Pierre Greco. Celui-ci a aussi coscénarisé le long métrage avec Johanne Mercier, sa conjointe dans la vie.

«Adapter un livre au cinéma, ça prend de la patience, commente spontanément Johanne Mercier. Il y a presque dix ans déjà, la productrice Nancy Savard, qui collabore avec mon mari à divers projets de films d’animation, s’est montrée intéressée à lire l’histoire du Coq. Elle a beaucoup aimé le récit et elle a souhaité en produire une version pour le cinéma. À partir de ce moment, ça a pris sept longues années pour y arriver», explique l’auteure. Le tandem Greco-Mercier a dû écrire le scénario, attendre des nouvelles des différentes étapes de financement, puis le réécrire… Le processus habituel lorsque l’on produit un film au Canada, quoi!

Même si elle connaissait bien le milieu du cinéma, Johanne Mercier en était à ses premières armes comme scénariste. «Écrire un roman et écrire un scénario, ce sont deux choses complètement différentes, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un dessin animé. Par exemple, même si ça peut paraitre incroyable, une seule phrase comme «Le village est sens dessus dessous» dans le roman nous a demandé des mois de scénarisation pour la rendre au cinéma. Il faut imaginer l’action, ne plus s’appuyer uni-quement sur le dialogue. Quand tel personnage dit ceci, il se passe cela. Et en animation, ça bouge! C’est une autre forme d’écriture. C’est fou!» commente-t-elle. Johanne Mercier et Pierre Greco ont également eu à ajouter des personnages et à combler les ellipses du récit original pour en arriver au scénario d’un film de quatre-vingt-dix minutes environ.

«Je suis très contente du résultat final, admet la cos-cénariste, le sourire dans la voix. Je trouve qu’il s’agit d’un film charmant. Nous avons été bénis car toute l’équipe ayant travaillé sur le film y a apporté sa propre

couleur, qui a considérablement enrichi la production. Les acteurs qui ont prêté leurs voix aux personnages ont fait un travail sensationnel. Les musiciens ayant interprété la trame sonore également.»

La préhistoire au grand écran

Pierre Billon, le scénariste du film Maïna, adapté du roman de Dominique Demers, publié aux Éditions Québec Amé-rique en 1997 et réédité en 2014 pour la sortie du film, a lui aussi fait face à un défi de taille : adapter une histoire qui se passe à la préhistoire, dans le Grand Nord québécois, et qui ne comporte que très peu de dialogues…

Maïna devait d’abord être adapté sous forme de té-lésérie. Le projet ayant avorté, l’idée d’en faire un long métrage a été proposée, et le réalisateur Michel Poulette (RBO à la télé, Louis 19) a été associé au projet. «Adapter Maïna sous forme de télésérie aurait permis de proposer une histoire plus approfondie. En faire un long métrage a demandé d’effectuer des coupures difficiles, mais es-sentielles, pour que le film ait une durée raisonnable», affirme Dominique Demers. Riche de deux expériences réussies d’adaptation de ses romans jeunesse au grand écran (La mystérieuse Mlle C. et L’incomparable Mlle C.), l’écrivaine aurait pu choisir d’adapter Maïna elle-même, mais elle ne l’a pas voulu. «J’avais d’autres projets d’écri-ture à ce moment-là, et j’estime que je n’avais pas assez d’expérience et de détachement pour bien le faire. J’ai préféré couper le cordon et faire totalement confiance à Pierre Billon», explique-t-elle. La tâche n’a pas été facile, Dominique Demers ayant consacré deux années entières à la recherche et l’écriture de Maïna…

Même si, pour Maïna, elle y a renoncé, l’auteure consi-dère toutefois son travail de scénariste comme ayant été l’une de ses plus belles expériences professionnelles. «Tous les écrivains devraient avoir la chance d’écrire un scénario. C’est une formidable leçon d’écriture et je dis “Merci la vie !” d’avoir pu en profiter. Je crois que je n’écris plus de la même façon depuis», déclare-t-elle.

Cette fois, la leçon se résumait plutôt à laisser le projet d’adaptation suivre son cours. «Déjà, quand on écrit des albums pour la jeunesse, on apprend à confronter l’image qu’on se fait de nos personnages avec celle, forcément différente, qu’en a l’illustrateur ou l’illustratrice de notre récit. C’est un peu la même chose», explique Dominique Demers. Celle-ci n’a pas assisté au tournage du film, mais elle a tout de même trouvé le temps de se rendre à sa première projection, à Kuujjuaq.

Que pense-t-elle du long métrage, qui a fait bonne figure dans plusieurs festivals internationaux? «Après avoir vécu en solitaire aussi longtemps avec mes per-sonnages, ça a été un choc de les voir vivre à l’écran. J’ai

Dominique Demers(photo : Les Photographistes)

Johanne Mercier

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E N T R E V U E

La ribambelle d’enfants enjoués d’une garderie quitte la bibliothèque au moment où j’y entre. Ils viennent de participer à une animation du livre par sa créatrice. Ils ont rencontré Marianne Dubuc qui leur a présenté l’album Devant ma maison. Ils en ressortent ravis! Je les comprends tout de suite en la voyant…

De grands yeux expressifs, une joie de vivre évidente et communicative : on est charmé dès le départ! Même si elle se dit peu à l’aise de parler d’elle-même (sa notice biographique est d’ailleurs assez laconi-que!), elle se prête au jeu avec spontanéité et avec bonne humeur. Et ce qu’elle me partage, c’est du beau gros bonheur!

C’est à l’Université de Montréal que Marianne Dubuc a fait ses études en design graphique : «Je déteste les biographies, dit-elle. Et même si j’ai fait les trois cours en illustration obligatoires au programme, ce n’est pas là que j’ai développé mon style. C’est plutôt dans ma vie de tous les jours!»

Fille unique, elle se retrouvait souvent entourée d’adultes, et elle me raconte que le dessin a toujours été son activité de prédilection. «Je dessinais tout le temps! Comme j’avais des cousins et cousines plus jeunes que moi, je leur créais des livres. C’est toujours ce que j’ai rêvé faire : des livres pour enfants. Je ne sais pas comment cela s’est produit, mais c’est arrivé. C’est un miracle!»

Pendant ses études, elle fait la rencontre de Mathieu Lavoie, qui devient son conjoint. Le couple d’illustrateurs a deux enfants, et Mathieu vient de fonder la maison d’édition Comme des géants. D’ailleurs, Marianne y signe son plus récent album : L’autobus. Leur vie familiale est au centre des pré-occupations de la jeune illustratrice : c’est pour elle une grande source de bonheur et d’inspiration.

Marianne Dubuc :comme un jeu d’enfant Isabelle Crépeau

Saute-mouton

Après l’université, elle remporte le concours «Lux», catégorie Recherche personnelle, et Martin Breault de la Pastèque fait partie du jury. Il remarque certainement le talent de la créatrice puisqu’il communique avec elle quelques jours plus tard et lui demande de créer un album pour la collection «Pample-mousse». Il lui donne carte blanche. Pour ses débuts, c’est une occasion formidable : «C’était merveilleux!»

Elle signe La mer, un album sans texte qui connait un très beau succès d’estime. Elle le redessinera d’ailleurs entièrement pour un format mieux adapté en 2011. À la suite de la réception que connait La mer, La courte échelle ne tarde pas à s’intéresser au travail de Marianne. Elle y illustre la série «Félicien», de l’auteure Fanny Britt, puis on lui propose de faire un imagier : «Je ne voulais pas d’un imagier traditionnel, alors j’ai cherché une sorte de fil conducteur. Et j’ai trouvé ça!»

Devant ma maison n’a assurément rien d’un imagier traditionnel. La créatrice a trouvé un astucieux chemin pour emmener les enfants ailleurs… L’album a été vendu à plusieurs éditeurs étrangers et il connait un succès sans frontière. Cet imagier propose un voyage dans l’imaginaire, et les anima-trices de la petite enfance se l’approprient rapidement. Les pistes d’exploitation foi-sonnent. Ce livre lui donne un formidable élan. «C’est comme un bel accident! Pour moi, ça a été bénéfique. À partir de cette pu-blication, une agente m’a contactée et me représente maintenant. Depuis, mes livres sont régulièrement traduits à l’étranger.»

Entretemps, elle a deux enfants, un garçon et une fille. Déjà très attirée par le monde de la petite enfance, elle savoure la vie familiale et se considère privilégiée de pouvoir faire un travail qui lui permette de

rester à la maison avec eux. «Je suis dans la petite enfance à temps plein! Les parcs, les bibliothèques avec les enfants, c’est vraiment mon quotidien et ça nourrit mon côté créatif.»

Elle cultive d’ailleurs avec beaucoup de joie ses propres souvenirs d’enfance : «J’ai eu une belle jeunesse et ça alimente mes histoires. J’aime les livres qui se per-mettent de ne pas avoir de barrière, qui jouent avec l’histoire, avec les enfants… C’est merveilleux quand le lecteur se donne des libertés avec un de mes livres. J’aime ne pas dire tout et laisser le texte très ouvert!»

Et elle sait raconter par l’image. C’est d’ailleurs en image d’abord qu’elle pense ses histoires. «Pour Le lion et l’oiseau, c’est ce qui s’est passé. Je l’ai inventé en image. Je ne voulais y mettre le texte qu’après… Pour moi, c’était une sorte de continuité à La mer. Je voulais que ce soit dans la même lignée, mais avec du texte.»

Le résultat est une fable universelle et touchante racontée par les illustrations et soutenue par les délicats fils d’un texte qui donne toute sa force à l’image : «Finalement, le livre ressemble pas mal à ce que j’avais en tête à l’époque. Je suis vraiment contente du résultat. Les gens viennent me dire ce que ça leur rappelle et à quel point ça les touche. C’était important pour moi que le texte ne dise pas ce qu’il y a dans l’image!

Les billes

«Pour trouver une idée, il faut que j’échange et que je dialogue. Je le fais avec le papier! J’écris et je gribouille des pages et des pa-ges. Des fois, juste pour me dire que je n’ai pas d’idée! Et tout à coup : pouf! C’est là! Pour Le lion et l’oiseau, l’histoire a germé en cinq minutes, mais après des pages et des pages de gribouillis!»

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trois continents, de l’Amérique du Sud au Japon, en passant par l’Europe. Expérience qu’elle renouvela avec le spectacle Lili, de la même compagnie, qui se trouva en fait à être son principal employeur durant les qua-tre ou cinq premières années de sa carrière. Elle créa aussi avec Dynamo : Faux Départ, désopilant spectacle clownesque qui sera remonté sous peu, Devant moi, le ciel, dont elle a conçu les chorégraphies, et Le grand méchant loup, toujours à l’affiche quatre ans après sa création.

Entre deux âges

Si elle écrivait déjà, un peu et pour elle-même, à l’adolescence, et un peu plus à l’école de théâtre, la comédienne s’est mise plus sérieusement à l’écriture au fil des longues tournées où l’on passe des heures en déplacement et dans sa chambre d’hôtel. C’est surtout au Japon, où elle et ses camarades furent témoins du suicide d’une jeune fille dans le métro, qu’elle a eu envie d’évoquer le désarroi de la jeunesse dans sa pièce Les Apatrides. Créé en 2003 par le Théâtre I.N.K. nouvellement formé, ce spectacle, dans lequel elle jouait le rôle principal, remporta le Masque Révélation de l’année décerné par l’Académie québécoise du théâtre. «J’écris naturellement pour les adultes, mais il y a toujours un petit quelque chose qui peut toucher les adolescents, dit-elle; le nom de la compagnie, I.N.K., c’est un peu ça, entre les deux, parce que mes coups de cœur sont souvent pour des sujets où on est en transition entre l’adolescence et l’âge adulte.»

Les spectacles de Dynamo, puis La mi-gration des oiseaux invisibles de la Com-pagnie Mathieu, François et les autres… lui ont permis de jouer beaucoup devant des publics d’enfants. Avec sa compagnie, puis avec le Théâtre du Double Signe, qui a monté sa deuxième pièce, Britannicus Now, où elle tenait avec aplomb le rôle central, elle a aussi gouté au public adolescent : «Le public ado est toujours plus rock and roll, lance la comédienne, je dirais qu’il est intraitable : on peut aller le chercher, mais

Comédienne, auteure, metteure en scène, codirectrice artistique du Théâtre I.N.K., qu’elle a fondé avec Annie Ranger, œuvrant tout à la fois en théâtre pour enfants, pour adolescents et pour adultes, sans parler du cinéma et de la télévision, Marilyn Per-reault, comme bien d’autres jeunes artis-tes, cumule les chapeaux et les fonctions, question de survie. Si elle y parvient avec brio, forte d’un caractère bien trempé et d’un indéniable talent multiforme, elle n’en mesure pas moins l’énormité de la tâche qui incombe aux créateurs de sa généra-tion, et s’inquiète pour l’avenir de ceux qui suivront. Lurelu l’a rencontrée pour parler de son parcours, tant en interprétation qu’en écriture, dans le créneau particulier du théâtre jeunes publics, qu’elle craint franchement de voir disparaitre s’il n’est pas mieux soutenu.

Formée en jeu à l’Option-théâtre du cé-gep de Saint-Hyacinthe, où elle obtient son diplôme en 1997, Marilyn Perreault a étudié par la suite en jeu physique, mime, danse-théâtre, commedia dell’arte, mani-pulation de marionnettes et jeu devant la caméra, diversifiant ainsi son savoir-faire. Elle a également eu la chance, rapidement après sa sortie de l’école de théâtre, d’être engagée par la compagnie Dynamo Théâtre pour un remplacement au sein de l’équipe d’interprètes de Mur-mur, un succès mar-quant du théâtre acrobatique (plus de 1200 représentations!), qui l’amena à voyager sur

THÉÂTRE JEUNES PUBLICS

Marilyn Perreault : derrière le succès, l’inquiétudeRaymond Bertin

c’est de la job! Tout le jeune public, en fait, demande beaucoup de travail, car chaque représentation est différente. Le public adulte est plus stable. Avec les jeunes, tu ne peux pas lâcher la bride une seconde. On le sait, quand ils ne sont plus là. C’est rare qu’on les échappe; les spectacles sur lesquels j’ai travaillé étaient très bien faits pour ça. Mais on n’a pas le temps de s’as-soir sur ses lauriers : le jeune public doit être accroché par le personnage principal ou par l’histoire. Un spectateur adulte peut s’absenter un moment et revenir, mais un enfant qui part dans la lune ne raccrochera pas facilement. Alors, quand tu en as 350 devant toi… »

L’expérience formatrice

Pour des spectacles comme Faux Départ ou Le grand méchant loup, elle fait remarquer qu’on ne pouvait pas les présenter à des en-fants de moins de 7 ans, soit parce qu’ils ne saisissaient pas l’absurdité des situations, soit parce qu’ils avaient trop peur. Sans avoir joué pour les tout-petits, la créatrice croit que la qualité de la relation avec les jeunes spectateurs tient beaucoup dans la présence : «Dès que tu n’es plus totalement là, ils s’en rendent compte et te le disent!» La présentation de Britannicus Now, pièce dans laquelle il est question d’intimidation, devant des adolescents a été une épreuve… instructive. «Ce spectacle, on l’a joué en soi-rée pour les adultes, en après-midi pour les adolescents. Même si tous les personnages sont des ados, les adultes y adhèrent, cer-tains en ressortent bouleversés, soit parce qu’ils ont vécu de l’intimidation adolescents, soit parce que leurs enfants le vivent en ce moment. Ça tourne autour d’un texte clas-sique, il y a une acidité dans le texte, une transposition dans un univers non réaliste, ce sont des qualités qui plaisent, je crois. Quant aux ados, ils ont beaucoup de diffi-culté à s’exprimer après la représentation. Ils viennent voir le show en groupe, alors les intimidateurs et les intimidés l’écoutent en même temps. Chacun peut se reconnaitre», explique l’auteure et comédienne.

(photo : Maxime Côté)

Faux Départs (photo : Robert Etcheverry)

Le grand méchant loup (photo : Robert Etcheverry)

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Garde-robe (photo : Claudine Larocque)

Les mécaniques célestes (photo : Louise Leblanc)

Ik Onkar (photo : Sylvain Sabatie)

La Maison Théâtre, entièrement dédiée au théâtre pour l’enfance et la jeunesse, a dé-voilé en mai dernier la programmation de sa 31e saison. Pas moins de quinze spectacles seront offerts, dès la fin septembre, aux tout-petits comme aux adolescents. De nouvelles créations, mais aussi quelques succès et certains classiques de retour après quelques années. Ainsi, le très festif Baobab du Théâtre Motus, conte africain agrémenté de chants, de musique, de masques et de marionnettes, déjà présenté en 2009, viendra séduire de nouveau les 3 à 8 ans, en décembre. Quant à Petit Pierre, la belle histoire vraie du fameux inventeur français du plus délirant manège, narrée avec poésie par le Carrousel, elle suivra en janvier.

En ouverture de saison, c’est le Théâtre de l’Œil, qui célébrait quarante ans d’exis-tence l’an dernier (tout comme le Carrousel, d’ailleurs), qui ramène une production de 1999, Le jardin de Babel, un «spectacle sans âge» s’adressant aux 3 à 6 ans et remettant en question les idées reçues par le biais de jeux de mots, de chansons et de personnages loufoques. À la mi-octobre, s’amène Sylvie Gosselin du Théâtre Bouches Décousues avec Contes Arbour, une série de tableaux inspirée des émissions de bricolage de l’ar-tiste Madeleine Arbour, où elle aborde pour les 5 à 9 ans la naissance, la famille et le legs, entre théâtre, arts visuels et installation. En novembre, les jeunes de 8 à 12 ans sont invités à voir Nœuds papillon du Théâtre Ébouriffé, spectacle dans lequel une jeune fille, Amélie, raconte sa fascination pour Amelia Earhart, la première aviatrice à avoir traversé l’Atlantique en solitaire. Son récit «met l’accent sur la façon de réapprivoiser la vie après un deuil».

En février 2015, les Amis de Chiffon offriront aux 5 à 9 ans leur spectacle de ma-rionnettes Rosépine, sur un texte de Daniel Danis, où il est question de protection de notre planète et de résilience après la catas-trophe d’un tsunami. Plusieurs des œuvres au programme de cette saison abordent des thématiques touchant les cycles de la vie, de la naissance à la mort. Ce sera le cas à la fin mars de Vipérine de Nini Bélanger et Pascal

Brullemans, où une fillette se désespère de ne plus avoir l’attention de ses parents après la mort de sa sœur, au point de songer à aller rejoindre celle-ci. Un sujet troublant qu’on dit abordé de façon positive, à destination des 9 à 12 ans. Enfin, en mai, le Moulin à Musique revient avec Garde-robe, théâtre musical écrit et mis en scène par Joël da Silva.

Spectacles intimes

Comme l’an dernier, la Maison Théâtre offrira une partie de sa programmation hors de ses murs, au Théâtre Prospero. Il s’agira de pro-ductions plus intimistes comme, en septem-bre et octobre, Chübichaï de la compagnie Le Vent des Forges, de France, qui s’adresse aux tout-petits de 2 à 6 ans. Déjà présenté à Petits bonheurs en 2012, on y suit deux co-médiennes qui façonnent au fur et à mesure leurs personnages et paysages dans de la terre crue. Un conte qu’on dit merveilleux sur le voyage d’un petit à la recherche de sa maman disparue. En décembre, les 4 à 8 ans ne voudront pas manquer les énigmatiques et fascinantes Mécaniques célestes que l’artiste multidisciplinaire Claudie Gagnon a créées pour le Théâtre des Confettis, véritable cabinet de curiosités.

Durant les Fêtes, fin décembre, début janvier, ce sera le retour de Pomme, spectacle de marionnettes tout en finesse du Théâtre des Petites Âmes et de la Compagnie Garin Trousseboeuf de France, qui raconte aux 3 à 6 ans le cycle de vie d’une pomme. Puis en mai, Play, d’une autre compagnie française, La Boîte à sel, explorera le monde de l’enfance à travers toutes sortes d’objets, avec beaucoup de créativité, à destination des 2 à 5 ans.

Pour les ados

Les adolescents ne seront pas en reste, puisque la Maison Théâtre leur réserve trois productions, à commencer par une toute nouvelle création de Dynamo Théâtre, Nous sommes 1000 en équilibre fragile, sur un texte de Francis Monty. Un spectacle qu’on promet endiablé, où s’amalgament le slam, le parkour – déplacement urbain acrobatique – et le jeu clownesque, à travers une histoire de gangs de rue. C’est présenté en février aux 10 ans et plus. Suivra en mars Ik Onkar du Théâtre la Catapulte, d’Ottawa, pour les 12 ans et plus, une œuvre sur la prise de parole et le désir de création de la jeunesse. Enfin, en avril, le Youtheatre, compagnie bilingue de Montréal, jouera pour la première fois en français, dans une traduction signée David Paquet, Ce monde-là, un huis clos entre deux filles venant de milieux différents, qui se sont battues et confrontent à présent «leurs idées sur la famille, l’amour, le sexe, l’amitié, le racisme et les différences de classes». Ça promet.

La saison 2014-15 de la Maison ThéâtreRaymond Bertin

THÉÂTRE JEUNES PUBLICS

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lurelu volume 37 • no 2 • automne 2014 E N T R E V U E

En juin dernier, l’édition 2013-2014 du Pal-marès Communication-Jeunesse des livres préférés des jeunes a honoré l’auteur Michel J. Lévesque. Se retrouvant en première place dans la catégorie 12-17 ans grâce au premier tome de Psycho Boys (Hurtubise HMH), l’écri-vain a décroché une bourse de mille dollars, une commandite de Marquis Imprimeur.

De son propre aveu, Michel J. Lévesque ne s’attendait pas du tout à remporter la première place du Palmarès. «Je suis resté surpris parce que la compétition était très grande. Gene-viève Mativat, Élizabeth Turgeon, Catherine Girard-Audet, Kim Messier, Sonia Laflamme, Fanny Britt et Corinne De Vailly étaient éga-lement en nomination. Je ne croyais pas non plus à mes chances parce que le premier tome de ma série “Wendy Wagner” a gagné l’an dernier. Je suis donc extrêmement touché. Ce prix est le plus important à mes yeux parce qu’il est décerné par les jeunes lecteurs, et c’est pour eux que j’écris. La journée où j’ai appris la nouvelle, je ne tenais plus en place. C’est encore plus hot parce que j’ai été choisi deux années de suite! Ces prix me réconfor-tent et me rassurent : je suis encore capable d’intéresser les jeunes.»

Et pour captiver les jeunes lecteurs, Mi-chel J. Lévesque a plus d’un projet dans sa machine à écrire. En ce moment, il travaille activement sur le deuxième tome de «Wendy Wagner», Hotel Lebensborn (Québec Amé-rique), le onzième et dernier tome d’Arielle Queen, Toutes les bonnes choses… ont une fin (Les Intouchables) et le troisième tome de Psycho Boys (le tome 2 est paru en juin dernier), tous prévus pour 2015. La même année verra paraitre, chez Recto-Verso, le résultat de sa participation à la série «Les Quatre Saisons», un projet sur lequel plan-chent aussi Sylvie-Catherine De Vailly, Sylvie Payette et Marie-Josée Soucy.

L’auteur publie également aux deux semaines, sur son site Web (www.micheljle-vesque.com) Prince-Charmant.com, un roman en vingt épisodes d’une vingtaine de

Michel J. Lévesque : une foison de projets

Nathalie Ferraris

pages chacun offerts en format jpeg et epub. «Pour qu’une chose fonctionne, dit Michel J. Lévesque, il faut en faire dix. Ce n’est un secret pour personne si je dis que mes revenus d’auteur ont baissé ces dernières années. C’est le cas pour tous les auteurs. On écrit plus, mais ça ne rapporte pas plus. Les palmarès des librairies sont envahis de traductions de bestsellers américains et les gars lisent de moins en moins. Le métier d’écrivain n’est pas de tout repos, financiè-rement parlant!»

En plus de se consacrer à ses séries, l’auteur a fait paraitre ce printemps le recueil Des nouvelles du père (Québec Amérique) qu’il a dirigé et dans lequel les auteurs Dominic Bellavance, Claude Champagne, Tristan Demers, Mathieu Fortin, Pascal Hen-rard, André Marois, Martin Michaud, Patrick Senécal, Matthieu Simard, Pierre Szalowski et lui-même ont signé une nouvelle sur la pa-ternité et la relation père-enfant. Auparavant, il avait mis sur pied le concept des «Clowns vengeurs», une série qui met en scène un ordre de tueurs à gages. «J’ai proposé cette série à la maison d’édition Porte-Bonheur, qui l’a tout de suite acceptée. J’ai écrit l’un des premiers romans, Concertos pour Odi-Menvatt, et d’autres auteurs ont pris la relève, dont Dominic Bellavance, Pierre H. Charron, Mathieu Fortin, Eve Patenaude et Jonathan Reynolds. En tant que créateur de la série (je ne la dirige pas – je n’ai pas le temps), je tiens à ce que les auteurs aient carte blanche. Les romans explorent le côté sombre de l’humain, sans tabous. Ils servent d’exutoire. Les histoires mélangent horreur, fantastique, science-fiction et comic book. On n’en vend pas des tonnes, mais on a des lec-teurs fidèles, surtout des hommes de 18 à 45 ans. J’aimerais que “Les clowns vengeurs” deviennent une série culte.»

En attendant que ce rêve se réalise, Michel J. Lévesque continue son petit bonhomme de chemin en littérature jeunesse. Outre l’écri-ture, il fait la tournée des écoles du Québec afin de parler de son métier et il parcourt les salons du livre. Bref, il ne chôme pas!

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E N T R E V U E

Créé en 1997, le prix Cécile-Gagnon salue annuellement la relève en littérature pour la jeunesse en remettant une bourse de mille dollars à l’auteur d’un premier roman et, depuis 2004 (tous les deux ans), à l’auteur du texte d’un premier album. Pour sa 17e édition, l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse a eu la joie de décerner le prix, en novembre 2013, à Valérie Boivin pour son album Un après-midi chez Jules (interviewée dans le dernier Lurelu) et à Muriel Kearney pour son roman La cellule Hope, publié chez Soulières éditeur.

C’est une conversation entre copines qui aura mené Muriel Kearney à son premier prix littéraire. En effet, attirée par les propos de ses amies au sujet des ateliers d’écriture aux-quels celles-ci participaient, Muriel s’y inscrit à son tour. «J’ai eu la piqure», lance d’une voix claire et heureuse celle qui a osé partir à la découverte d’un nouveau domaine : l’écriture pour la jeunesse.

Pourtant, Muriel Kearney connaissait bien l’univers littéraire. Forte de trois maitrises, dont une en littérature comparée, et ayant été enseignante au collégial, on aurait pu croire que le rêve d’écrire s’inscrivait en elle depuis des lustres. «J’avais beaucoup côtoyé la litté-rature et les livres, mais écrire ne m’avait ja-mais traversé l’esprit!» Or, l’éveil s’est produit lors des ateliers de Sylvie Massicote. «C’est comme si j’avais découvert une voix en moi. J’avais beaucoup de plaisir. En plus, j’avais une vision du monde à partager...»

Cette vision est l’un des aspects les plus remarquables de La cellule Hope. L’auteure, aussi spécialisée en insertion et dévelop-pement social, cofondatrice d’une agence de design écoresponsable, puise dans ses connaissances et sa vaste expérience afin d’offrir aux lecteurs adolescents un roman ancré dans l’actualité. Les personnages de La cellule Hope, la jeune militante rebelle Hope Lowry et le discret Émile, se rencontrent lors d’une grande manifestation à l’image de

Muriel Kearney : de l’atelier au prix littéraireKatia Canciani pour l’AEQJ

celles qui ont bouleversé Montréal lors du «printemps érable». Hope souhaite mettre sur pied une cellule terroriste écologiste et responsable, dans le but de révéler les condi-tions de travail exécrables des mineurs au Mexique. Mais son plan tournera mal quand Émile se fera arrêter lors de la prise de photos dans une mine de cuivre à Val-d’Or...

Muriel Kearney nous plonge dans une aventure mêlant politique et conditions de travail, société et environnement. «J’avais envie d’écrire un suspense et une histoire d’amour qui se déroulent sur un fond de justice sociale.» Si les personnages sont crédibles et portés par de nobles idéaux, l’auteure a sciemment évité de les rendre parfaits. «Hope Lowry est loin d’être sym-pathique. Elle est un peu manipulatrice, en fait. Elle utilise les autres pour régler ses comptes, pour arriver à ses fins.» Ce faisant, Muriel invite les jeunes à une réflexion au lieu de leur proposer une morale toute faite. «Rien n’est jamais noir ou blanc...» précise l’auteure.

Alors que plusieurs mois se sont écoulés depuis la remise du prix Cécile-Gagnon, il est possible de prendre un peu de recul. «Ce prix a eu un impact très positif. Il a permis de faire parler du roman, tant dans mon entourage

que sur les réseaux sociaux. Des collègues de travail ont alors été surpris d’apprendre que j’écrivais!» note Muriel Kearney. «Mais le plus grand effet, il est sur moi. Cet encou-ragement, cette reconnaissance de la part d’un jury de pairs, m’a surtout donné de la confiance. Ça m’a confirmé que mon écriture peut être appréciée.»

D’ailleurs, Muriel a continué d’écrire. Elle publiera sous peu un recueil de nouvelles, un collectif avec deux des amies qui l’ont encouragée dans la voie de l’écriture. «Et j’ai presque terminé la suite de La cellule Hope, Hope incognito, où l’on suit une Hope en cavale... mais je n’en dis pas plus», ajoute l’auteure avec un sourire. Ce deuxième roman sera aussi publié chez Soulières éditeur. Un troisième tome murit déjà dans l’esprit de celle qui semble avoir trouvé un bel équilibre entre son travail hyperrationnel auprès des entreprises et des institutions, et son besoin d’amener les autres ailleurs par la voie de l’imaginaire. «Mon côté structuré, ma détermination... ça m’a bien servi dans l’écriture!» Qui sait, l’auteure aux multiples bagages offrira peut-être un jour des ateliers qui permettront aux nouveaux talents de se découvrir!

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Une grande amitié

Coup de cœur, coup de foudre, coup d’émoi, je les ai tous eus cette année chaque fois que je découvrais un nouveau titre de la talentueuse Marianne Dubuc. Jeune illustratrice, elle a l’art de magnifier des scènes du quoti-dien, de les offrir simplement tout en gardant la brillance de chacun des instants. Que l’on pense au Gâteau paru à La courte échelle ou à L’autobus paru chez Comme des géants, son trait fin s’allie à ses mots justes. Peu de mots, mais toujours minutieusement choisis. Parmi les titres publiés en 2013, la palme va au sublime Le lion et l’oiseau paru aux Éditions de la Pastèque (coll. «Pamplemousse»), une fable raffinée sur l’amitié et le temps qui passe. Un lion prend soin d’un oiseau blessé jusqu’à ce que ce dernier s’envole avec ses semblables. Et là, pendant cette absence, toute la place est laissée à l’attente, à l’espoir d’un retour. La délicatesse du trait, la finesse du détail laissent planer une ambiance apai-sante. Et toute cette attention accordée au détail s’ins-crit dans une splendeur graphique qui a du sens. Les encadrés alternent avec les doubles pages, permettant ici un gros plan sur l’émotion d’un personnage, là sur l’ambiance du décor. Au centre, une page toute blanche invite à la réflexion. On tourne les pages doucement, sans faire de bruit, de peur de troubler cette paix, ce portrait candide et authentique d’une belle amitié. Une fable d’une sensibilité à couper le souffle.

Marie Fradette

Doux de cœur

Dès le premier contact, devant ce rapprochement si doux entre Le lion et l’oiseau, cette caresse peut-être livrée comme en secret, l’album de Marianne Dubuc m’a vraiment séduite. La lenteur du propos, monologué calmement d’une page à l’autre, les pans de silence et les blancs de page qui ponctuent le parcours de l’attachement : tout cela me parle d’émotion tendre. Les capsules de vie à deux, puis en solitaire, et même la docile acceptation de la séparation : «Oui, je sais» puis «C’est la vie». Tout cela n’empêche pas le choix du retour de l’oiseau, comme une belle évidence. «En-semble, nous n’aurons pas froid cet hiver.» Une histoire riche en intériorité, avec ses petits mots parsemés çà et là et une imagerie d’une grande intensité. Une œuvre de haut calibre!

Francine Sarrasin

Les coups de cœur de Lurelu par l’équipe

Coup de cœur imagé

En 2013 j’ai éprouvé un petit coup de cœur pour les ima-giers-accordéons d’Émilie Leduc, aux Éditions La courte échelle. Coup de cœur pour la douceur des images, pour l’ingéniosité de la production, pour l’originalité de la proposition. Car ces accordéons sont aussi de petits paravents recto verso avec, au dernier panneau, une invi-tation à suivre l’énumération de l’autre côté. Énumération des couleurs dans Un panda tricote (un bonnet vert, des chaussettes marine, une écharpe rouge – bonjour Anne Villeneuve), inventaire des instruments de musique dans Un oiseau entend (avec une exquise perruche mauve en couverture), menu gourmet dans Une chèvre mange (entre autres «un fromage troué», mais aucune mention du fromage de chèvre), et finalement chiffrier avec Un ours invite (qui convie jusqu’à sept animaux différents, jamais prévisibles, à un piquenique).

Le dessin vaporeux, les compositions tout en mou-vement, les images finales qui montrent une ronde ou une fête… tout cela réjouit l’œil et l’esprit.

Daniel Sernine

Frais coup de cœur

J’ai été étonnée puis interpelée avant d’être séduite par Le poisson frais (La Pastèque). Son format attire l’atten-tion. Un volumineux tout-carton de grande dimension est un objet rarement offert aux petites mains. Son visuel est singulier. L’esthétique des images rappelle des fictions té-lévisées d’une autre époque. Une animation où évoluent image par image, dans un décor créé et photographié par Brigitte Henry, les figurines articulées de Christopher Duquet, réalisées au feutrage à l’aiguille. Un air ancien est ainsi conféré à ce tout-carton qui se distingue pourtant par son originalité dans la production actuelle. Il renou-vèle le genre en empruntant au passé.

Nadine Robert nous y livre une fable où s’opposent Chat Gris et une chouette. «À moi le poisson frais!», salive le chat en apercevant le panier rempli dans une chaloupe flottant sur l’étang. Mais une chouette immo-bilisée par un billot le convoite aussi. Comme Chat Gris refuse de l’aider, elle trouve le moyen de l’y contraindre. En lui faisant croire qu’elle a vu certains objets avancer vers l’étang, elle donne à Chat Gris l’idée de les utiliser tels des pas japonais pour atteindre la chaloupe sans se mouiller : une pierre, un seau, une caisse en bois et… le billot qui la retenait au sol. Chat Gris mord à l’hameçon

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lurelu volume 37 • no 2 • automne 2014

morceau de tapisserie alors que la carpette, au sol, est juste dessinée. La dentelle pour-rait s’effilocher… «Jules s’ennuie»; l’espace est plein de solitude. L’enfant tourne le dos à cette fenêtre close, il a les yeux grand ouverts, qui fixent le vide. Il est là sans trop y être. Les tons rabattus de la chambre s’opposent en contraste léger : le vert d’un mur touche le gris de l’autre. Seule la teinte brune du couvre-lit et l’effet de brocard fleuri orientent la perception vers un peu de chaleur et de vie. C’est là que l’enfant dépose son rêve.

Il n’est pas anodin de voir ailleurs le ciel s’éclairer et passer du vert-de-gris au tur-quoise bord à bord. Comment cette teinte en aplat réussit-elle à donner tant d’espoir? Aucun dégradé ne laisse entrevoir d’issue au regard qui s’y porte, pas plus d’arc-en-ciel que de lueur de soleil. En lieu et place, une pleine page turquoise qui déborde même

sur la précédente. Évidemment, il y a l’élan donné par le bras et le corps tout entier de Jules. Le geste ouvert de la main qui traverse la frontière de la couleur et lance, dans le tur-quoise, son avion de papier. Son grand avion de papier. Cette double page fait le pont entre l’ennui solitaire du début de l’histoire et les propositions un peu maladroites que l’enfant formule pour prendre contact avec le monde. Toutes tentatives se déclinant en jeu de risque pour une rencontre.

Aller-retour

Car Jules, l’enfant perdu dans sa nouvelle grande maison, se cherche des amis. Même si le petit personnage ne parle jamais dans l’album, il a envie de communiquer, de rire, de jouer avec quelqu’un. L’histoire se frac-ture donc en épisodes rapides et fait tomber l’avion dans l’oreille d’un sourd, piquer le derrière du chien et rejoindre la fillette du parc. L’avant-dernière double page situe l’action dans la même chambre que celle de Jules s’ennuie, mais, par toutes sortes de détails finement amenés, elle confirme le changement de situation. La porte-fenêtre est désormais grande ouverte pour laisser passer ce gros avion de papier dirigé direc-tement de l’extérieur vers l’intérieur, vers le lit de l’enfant. L’avion est en route, dans la courbe de l’élan. Il pourrait même être attiré par le regard étonné (et probablement ravi) du petit Jules. Contrairement à la page de l’ennui, l’enfant n’est plus assis sur la tache brune de la forme d’un lit, il est bel et bien enfoui sous les couvertures, sa tête posée sur l’oreiller. Le papier peint du mur n’est plus seulement lisse et plat, il présente un imprimé léger de courbes superposées, en tons sur tons. Comme si, tout à coup, ce papier peint et tout l’environnement étaient habités.

L ’ I L L U S T R A T I O N

Un après-midi chez JulesFrancine Sarrasin

Les apparences sont parfois trompeuses et, sous les mots d’une histoire, il y a parfois d’impressionnants silences que confortent les illustrations. Le traitement des pages de l’album Un après-midi chez Jules est minimaliste : la simplification des formes, le choix des couleurs somme toute assez limité, les zones vides de motifs. En dépit de l’élan donné à la page couverture par l’amorce d’un geste, le «juste avant» accentué par le déhanchement coquin du personnage prin-cipal, son œil et son sourire amusés, il y a comme une solitude dans l’histoire de cet album, écrite et illustrée par Valérie Boivin aux 400 coups.

Chercher ailleurs

L’annonce du déménagement de la famille dans un plus grand logis devrait être l’augure de jours meilleurs, mais au lieu de proposer la certitude de telles réjouissances, l’image isole l’enfant en plein centre de la page. Vu en pied, il est encadré par des parents qui ont, tous deux, la tête coupée par le bord supérieur. Seul, l’enfant nous regarde avec une timide promesse de sourire. L’anonymat de la présence adulte est doublé par le fait qu’aucun d’eux n’a de pieds. Personne (ou presque) dans ce livre n’a de pieds. C’est un peu comme si on voulait empêcher les personnages d’avancer, comme s’il était im-possible qu’ils puissent se rejoindre. Comme si on freinait délibérément le déroulement du récit.

Penchons-nous par exemple sur la double page qui dit : «Jules s’ennuie». L’espace est grand, aéré, mais il semble y avoir plus de vide que d’espace. La porte-fenêtre, qui n’a aucune assise autre que sa ligne contour, a des carreaux opaques, l’enfant songeur est assis sur la forme d’un lit sans rondeur ni volume. Il est placé sur ce qui semble être un

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Comme de nombreux enfants, Jiji se demande comment Le père Noël, avec son gros ventre, parvient à passer par la chemi-née. Elle décide donc de l’attendre dehors, avec Pichou, pour lui suggérer de passer par la porte, ainsi il ne risquera pas de rester coincé!

Pour la petite Noëlle, la nuit du 24 dé-cembre est loin d’être une fête, car son père la quitte pour distribuer des cadeaux aux enfants du monde entier. Linda Brousseau présente une vision inédite du personnage, à travers les yeux de sa fille. Un album touchant.

En apprenant l’existence du père Noël, Rodolphe le petit mouton rêve de le rencon-trer pour lui demander de devenir un de ses rennes. Il s’agit de la dernière histoire de cette série pleine de candeur illustrée par la regrettée Fanny.

Un de ses rennes étant blessé, Le père Noël ne sait pas dire non à tous les animaux du zoo qui se proposent pour le remplacer. Son traineau est alors tiré par une ménagerie bien spéciale. La fin de cette histoire cocasse est tout à fait craquante!

Les classiques

En 1843, Charles Dickens publiait son premier conte Un chant de Noël. Lucie Papineau en a réalisé une adaptation très réussie qui met en scène Boustru, un petit cochon orphelin au cœur rempli de colère. Une souris lui fait vivre la magie des Noëls passés, et lui laisse entrevoir ce que seront les Noëls futurs si son cœur reste le même. Les somptueuses illustrations de Stéphane Poulin traduisent à merveille les émotions vécues par Boustru.

On doit également à Lucie Papineau une adaptation du non moins célèbre Casse-Noi-sette, ce conte d’Ernst Theodor Hoffmann, illustré avec brio par Stéphane Jorisch.

Le poème de Clement Clarke Moore, La nuit de Noël, a fait l’objet de très nombreuses adaptations. Les illustrations de la version que je vous propose ont été réalisées en pâte à modeler, avec une minutie et un souci des

Parmi une cinquantaine d’albums qui abordent Noël sous différents angles, je me suis donné le défi d’en sélectionner vingt-quatre, un peu comme un calendrier littéraire de l’avent. Une histoire par jour, jusqu’au 25 décembre, pour s’imprégner de l’ambiance des Fêtes.

D’entrée de jeu, j’avoue avoir triché en ajoutant un vingt-cinquième titre : Décembre ou les 24 jours de Juliette. Juliette partage avec le lecteur les préparatifs, les traditions familiales qui entourent cette fête. Une dou-ble page est consacrée à chaque journée et, au bas de celle-ci, sont dessinés des biscuits dont le nombre correspond aux journées qui précèdent le 25 décembre. Un album à déguster quotidiennement pour faire le décompte jusqu’au grand jour.

Du côté des tout-petits

Dans le petit tout-carton C’est Noël, Mika présente seize objets ou personnages accom-pagnés d’une courte phrase qui les définit ou les met en contexte. Tout mignon.

Binou transporte sur son traineau un mai-gre sapin pour Toupie. Arrivé à destination, il ne reste plus que les branches dénudées. Pour consoler son ami, Toupie se transforme alors en sapin que Binou est tout fier de dé-corer. Adorable!

Dans une petite histoire tout en rimes, Galette et ses amis se préparent pour Noël. Charmant.

Croyant avoir reçu un cadeau du père Noël un peu à l’avance, et voyant que ses amis n’ont pas eu cette chance, Elliot fabri-que pour chacun d’eux un présent afin qu’ils soient aussi contents que lui.

Le père Noël

Personnage incontournable, il peut être pré-senté d’un point de vue traditionnel, mais certains auteurs posent un regard différent sur cette célèbre figure. Tout d’abord, deux albums qui, bien que publiés il y a plus de vingt ans, demeurent toujours aussi actuels et pertinents.

M O N L I V R E À M O I

Noël, Noël!Céline Rufiange

détails inouïs, par Barbara Reid qui met en scène une famille de souris.

Les douze jours de Noël est un chant anglo-saxon dont les origines remontent au XVIe siècle. Frances Tyrrell nous offre une adaptation de ce chant, Fête d’hiver, sous forme d’un magnifique bestiaire et chiffrier. Tourterelles, huards, ratons, renards, castors sont à la fois d’un grand réalisme et tout à fait féériques. Un régal à lire et à regarder.

Tout comme dans la tradition scandinave, la petite Grindel attend la première neige pour tresser son petit bouc fait d’épis de blé. À la recherche du pays des cadeaux, le Jul-bock qu’elle confectionne l’entraine à travers le monde, dans des pays où un enfant leur apprendra un chant racontant les traditions entourant la fête de Noël.

La Nativité

On ne peut passer sous silence que Noël célèbre la naissance de Jésus. Sans in-sister sur l’aspect religieux, des créateurs racontent à leur façon la Nativité, souvent par l’intermédiaire d’animaux qui y sont associés, et parfois même en introduisant un côté fantastique au conte.

Maltraités par leur vieux maitre, le bœuf et l’âne décident de fuir leur étable. Après s’être reposés, ils se réveillent sur une étran-ge colline au pied de laquelle il découvre un petit village endormi. Un oiseau des bergers les guide alors vers une étable bien différente de la leur, où les attend Le petit Maître.

La veille de Noël, un petit cochon est exas-péré d’entendre le bœuf, l’âne et le mouton vanter le rôle primordial tenu par leur ancêtre la nuit de la naissance de l’enfant Jésus. Il décide de quitter l’étable et, dans la tempête qui sévit, il rencontre une femme et son en-fant qu’il guidera vers la chaleur et la sécurité de l’étable. Petunia transmettra ainsi à ses compagnons le véritable esprit de Noël.

Bousmaha, le vieux dromadaire, a été choisi par les Rois mages pour porter les cadeaux à l’Enfant Roi. En chemin, tous ceux que croise le convoi désirent ajouter

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Pour Le gâteau ou Un éléphant…, ce sont les amis du héros qui se joignent à lui pour une recette ou un jeu. Tandis que dans l’album Au carnaval des animaux, nous as-sistons à un défilé de carnaval. Tous les per-sonnages, en plus de se déguiser, s’en vont à la fête. Dans Le lion et l’oiseau, l’accent est plutôt mis sur ce que vivent ceux qui restent lorsque des êtres chers partent en voyage.

Troisième arrêt : la narration

Dans ces histoires, différents types de narra-teurs prennent la parole. Dans L’autobus, la jeune narratrice commente les évènements comme s’il s’agissait de son discours in-terne. Ce sont les illustrations qui nous ra-content l’histoire. Alors que dans Devant ma maison, un narrateur au «je» présente son univers à qui veut bien l’entendre. Voici deux narrations au «je» qui diffèrent dans leur rapport avec le lecteur. La première amène le lecteur dans l’intériorité du narrateur face à l’extérieur, alors que la seconde présente son monde; son intériorité reste secrète.

Pour les autres textes, l’auteure recourt à un narrateur externe. Dans Au carnaval des animaux, le narrateur commente les actions de personnages ou leur comportement, ce qui brise le rythme répétitif de la structure de récit adoptée. Par exemple, il traite la poule (qui ne se déguise pas) de sotte. C’est dans Le gâteau et Un éléphant... que le narrateur semble le plus neutre. Il raconte tout simple-ment l’histoire, ne donnant pour ainsi dire jamais la parole aux personnages.

Dans Le lion et l’oiseau, un narrateur externe partage la prise de parole avec le personnage du lion. La typographie aide le lecteur à savoir qui parle. Les paroles du lion sont en italique. Le narrateur externe adopte un point de vue narratif assez proche de celui du lion.

Quatrième arrêt : le choix des mots

Marianne Dubuc fait confiance à l’intelligence de ses lecteurs. Elle ne dit pas tout. Par exem-ple, Le lion et l’oiseau est truffé d’ellipses, de

Marianne Dubuc est devenue en quelques années une figure incontournable. Chacun de ses albums nous fait voyager en dehors des sentiers battus. Elle nous entraine dans des randonnées de lecture peu communes; venez donc jeter un coup d’œil à son univers littéraire.

Premier arrêt : les personnages

Dans le monde imaginaire de Marianne Dubuc, les animaux occupent une place pré-pondérante. Les humains sont relégués à des rôles de second plan. Seuls Albert, dans Le gâteau, et la jeune narratrice, dans L’autobus, jouent un rôle important.

Ses personnages sont gentils, heureux, amicaux, sauf le renard pickpocket de L’auto-bus et l’araignée colérique dans Un éléphant qui se balançait. Même le lion du Lion et l’oiseau réussit à retrouver une certaine joie, ou du moins une certaine paix, après le dé-part de son ami l’oiseau. Il vaque à nouveau à ses occupations, appréciant chaque moment malgré la solitude revenue.

Deuxième arrêt : le voyage

Plusieurs récits commencent dans un lieu familier pour ensuite bifurquer ailleurs de fa-çon étonnante. Dans ces balades, les mondes imaginaires se cachent parfois juste derrière la réalité! Les déplacements sont synonymes de plaisir, de découvertes et souvent d’amitié. L’auteure nous surprend au détour d’une page. Ainsi, dans La mer, d’une chasse ba-nale d’un chat après un poisson rouge dans son bocal, le lecteur, aussi étonné que le chat, voit le poisson s’envoler par la fenêtre. Une poursuite surprenante s’engage pour finalement arriver à la mer.

Dans Devant ma maison aussi, on traverse allègrement la frontière entre la réalité et l’imagination. Le narrateur, qui nous fait vi-siter les environs de sa maison, nous plonge subitement dans l’univers des contes et des mondes imaginaires. Même dans L’autobus, le voyage étonne. Dans le tunnel, tout change de place. L’auteure déjoue nos attentes…

Hors des sentiers battus avec Marianne DubucDanièle Courchesne

sous-entendus. Pour comprendre l’histoire, le lecteur doit remplir les nombreux blancs. Peu de mots, mais porteurs de sens. Par exem-ple, le narrateur externe nous dit : «Un jour, le beau temps revient.» À la page suivante, il nous mentionne tout simplement «Eux aussi». Et c’est par l’illustration qu’on sait qu’il fait allusion aux oiseaux qui reviennent. À l’illustration suivante, on voit le lion dire à l’oiseau : «Oui, je sais.» On devine, aidé par l’illustration, que l’oiseau va rejoindre ses congénères.

L’auteure laisse aussi des silences. Cette audace de se taire, de laisser des pages blanches, est à son paroxysme dans Le lion et l’oiseau. Les mots et les illustrations se taisent pour accentuer l’ampleur du vide provoqué par le départ d’un ami. On réalise ainsi que le vide est rempli de sens…

Dans Un éléphant…, l’auteure s’amuse avec les adjectifs, trouvant plusieurs syno-nymes du mot «amusant», et dans Devant ma maison, elle joue avec les prépositions spatiales, interrompant sa phrase au milieu, pour permettre au lecteur d’anticiper la suite, et la terminant sur la page suivante. Ainsi, après la première page, l’auteure escamote à chaque fois «il y a».

Cinquième arrêt : les illustrations

Les illustrations participent à la narration de l’histoire. Grâce à l’angle de vue, aux plans adoptés, au choix de ce qui est montré ou non, aux couleurs, on peut sentir le point de vue du «narrateur pictural». Par exemple, dans Le gâteau, l’angle de vue est statique (comme Au carnaval des animaux). La ca-méra ne bouge pas. On assiste à la fabrication du gâteau, toujours du même endroit. Nous avons le point de vue d’un témoin neutre. À nous de l’interpréter.

C’est presque la même chose dans L’autobus, où nous avons une vue statique de l’ensemble de l’autobus. On accède ainsi à toutes les informations que la jeune narratrice ne nous dit pas. Lors du grand mélimélo, seule la «caméra» ne bouge pas. Ce regard sort quatre fois de l’autobus; quatre

D E S L I V R E S À E X P L O I T E R

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la petite : «Où finit l’infini? D’où venons-nous? Qui suis-je? La nuit quand je rêve… où suis-je? Suis-je belle? Si on pouvait changer de corps, est-ce que quelqu’un choisirait le mien?»

Les réflexions de la petite semblent suivre le rythme de la nuit et s’accorder à l’évolution du temps qu’il fait à l’extérieur. Quand, au milieu de la nuit, l’orage éclate, les questions prennent une teneur plus som-bre et exposent les peurs de la petite (celles de l’abandon, de la mort, de la solitude, de la guerre, de la violence, de l’avenir, la fin du monde…). Avec l’arrivée de la pluie, les questions et réflexions s’allègent. Au petit matin, l’orage est fini et la petite fille s’est enfin endormie. Une dernière double page sans texte clôture l’album. On y voit la même scène qu’au début de l’album, mais cette fois, un soleil radieux pointe à l’horizon. La boucle est bouclée.

La force de cet album réside bien sûr dans la puissance des questionnements existentiels de la jeune fille qui rejoignent des préoccupations universelles, mais aussi dans la force d’évocation des illustrations à la ligne, en noir et blanc, de Michèle Lemieux. Celles-ci, très simples, alternent entre la représentation dépouillée de la chambre de la jeune fille et des images plus symboliques laissant beaucoup de place à l’interprétation (par exemple, lorsque la détresse est représentée sous la forme d’un labyrinthe, la peine sous la forme de vagues internes ou le destin comme un enchevêtre-ment de cordes sur lesquelles déambulent des gens).

Par ailleurs, l’album présente une variété de mises en pages qui rythme la lecture pour laisser le temps au lecteur de respirer et de penser (une page de texte qui alterne avec une page d’image, une double page où le texte et l’image s’associent, une double page d’image sans texte). La diversité des formes de phrases soutient également ce rythme de lecture propice à la réflexion. Ainsi, on retrouve une alternance de phrases interro-gatives («Est-ce que j’échapperai toujours

L’album Nuit d’orage de Michèle Lemieux a d’abord été publié en allemand, en 1996, sous le titre Gewitternacht1, puis en français en 1998, aux Éditions Seuil jeunesse. La version allemande a gagné le prestigieuxBologna Ragazzi Award pour le meilleur livre de l’année, dans la catégorie Fiction pour jeunes adultes, à la Foire internatio-nale du livre de Bologne, en 1997. Après avoir été traduit dans plus d’une dizaine de langues, adapté en film en 20032, et en pièce de théâtre3 en 2010, il a finalement été publié au Québec, à l’automne 2013, par les Éditions Les 400 coups. Il s’agit d’un album d’une grande qualité que Michèle Lemieux dit avoir fait sans contrainte, pour notre plus grand plaisir!

Nuit d’orage : un album qui fait réfléchir

Sur une image délimitée par un cadre, la page couverture de l’album présente une jeune fille et son chien, éveillés, au milieu d’une nuit d’orage. Le cadre semble pro-téger les deux personnages de l’orage qui gronde à l’extérieur.

L’album s’ouvre ensuite sur une double page sans texte. L’illustration y prend tout l’espace et donne à voir un paysage de campagne : une maison bordée de quelques arbres. Il fait nuit. Les pages suivantes mon-trent l’intérieur de la maison. Ces quelques doubles pages campent le contexte en une enfilade d’images séquentielles sans texte : une petite fille et son chien qui s’apprêtent à aller au lit. La page de gauche est blanche, celle de droite nous montre d’abord la fillette se brossant les dents, puis embrassant ses parents, et se mettant finalement au lit, tou-jours en compagnie de son chien.

Une première phrase arrive ensuite, sur la page de gauche, tandis que l’image de droite nous montre la jeune fille installée dans son lit : «Je n’ai pas sommeil. Des milliers de questions se bousculent dans ma tête.» C’est alors le début d’une longue nuit blanche qui sera émaillée des questions, des doutes et des réflexions existentiels de

D E S L I V R E S A U C ΠU R D E L A C L A S S E

Par une nuit d’orage…Élaine Turgeon

aux malheurs?»), de phrases exclamatives («Des fois, je n’ai rien dans la tête!») et de phrases affirmatives («J’aimerais inventer des choses qui n’existent pas encore»). On trouve également des phrases qui se pour-suivent sur plusieurs pages, entrecoupées de points de suspension («J’ai peur d’être abandonnée… d’être séparée de ceux que j’aime… de me retrouver seule au monde!») de même que des phrases qui s’adressent directement au chien et, par ricochet, au lecteur : «Imagine si quelqu’un d’une autre planète se cachait parmi nous!»

Exploitation de l’album

Avant de présenter l’album de Michèle Le-mieux à vos élèves, demandez-leur de poser leur tête sur leur pupitre, de fermer les yeux et d’être attentifs à leur monde intérieur, aux pensées et aux images qui traversent leur esprit quand ils s’arrêtent quelques instants. Invitez quelques élèves à décrire ce qu’ils ont ressenti ou vu pendant ce moment de repos. Expliquez-leur ensuite que Michèle Lemieux a fait un recueil de ces pensées, images ou idées qui effleurent parfois notre esprit au moment de s’endormir.

Nuit d’orage n’est pas un album à lire d’une traite. Il se savoure à petites bouchées et gagne à être parcouru plusieurs fois (ou dans des mouvements d’aller-retour afin d’en saisir la subtilité ou la construction et les liens entre les thèmes évoqués). Comme c’est un livre qui pose une foule de ques-tions sans jamais donner de réponses, il serait intéressant de faire discuter les élèves afin qu’ils tentent de fournir leurs propres réponses (étant entendu que plusieurs réponses sont acceptables et que certaines questions ne trouveront jamais de réponse absolue!).

Pour y parvenir, vous pourriez former des petits groupes de discussion à visée philoso-phique. Il s’agit de demander aux élèves de débattre et de réfléchir, en équipe, à partir d’une question philosophique. L’enjeu n’est pas de trouver LA réponse à la question,

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imaginaire. Voyez de quelle façon Côté le met en scène et comparez-le avec l’original. Com-plétez l’exercice avec Merlin, célèbre magi-cien de la légende arthurienne, la fée Viviane, terrible ensorceleuse qui condamne Merlin, Arthur Pendragon, Robin des Bois, Ulysse, Chiron, etc. Replacez-les chacun dans leur contexte et proposez aux élèves d’en choisir un. Amenez-les ensuite à produire un travail de recherche sur le personnage choisi et demandez-leur de déterminer le rôle de ce héros dans le roman de Côté. Cette première exploration permettra de découvrir les pro-tagonistes et, de surcroît, bien comprendre l’univers proposé par l’auteur.

Puis, tout au long du roman, notamment lors de la scène finale qui se déroule autour de la Table Ronde, lieu mythique de la lé-gende arthurienne, se côtoient des héros de tous les temps, reculant jusqu’au Grec Achille et au célèbre Ulysse». Côté pousse le concept et assoit même autour de cette table Batman, Arsène Lupin, Tarzan et son propre Michel Lenoir, héros des Hockeyeurs cybernétiques. «Au-delà de leurs différen-ces, un point commun les réunissait : ils respiraient tous la droiture, la générosité, la bravoure. Quels que soient leur époque et leur pays d’origine, il était évident que ces personnages sortaient de l’ordinaire, qu’ils avaient vécu le doute et la souffrance, affronté de nombreux dangers, surmonté leurs peurs les plus profondes» (p. 192). Ce rassemblement hétéroclite nous permet de nous questionner sur la notion de héros à travers le temps.

La définition d’un héros

Voir Batman côtoyer Ulysse ou Achille autour de la Table ronde s’avère surprenant, sauf si on interroge la notion de héros et si on la remet en perspective. Un héros au sens propre du terme serait un demi-dieu. Mais l’historique du mot s’est transformé

Maxime, protagoniste d’une série éponyme écrite par Denis Côté, a connu une vie an-térieure avant de renaitre chez Soulières éditeur. Créé à la fin des années 80, Maxime s’est incarné dans douze titres, édités par La courte échelle, vendus à près d’un demi-million d’exemplaires, en comptant les tra-ductions. Puis, entre 2003 et 2006, le dernier titre, intitulé La forêt aux mille et un périls, est paru sous forme de trilogie, toujours à La courte échelle. En 2014, la voici offerte en un seul volume. Si la série a parcouru beaucoup de chemin, c’est qu’elle est portée d’abord par un personnage héroïque. Un garçon qui traverse les époques, fait la rencontre de plusieurs personnages, notamment de Don Quichotte, vit des aventures fantasti-ques et formatrices. Mais Côté, imprégné de la fonction de passeur, ouvre aussi à ses lecteurs des horizons culturels. Il met en scène la notion de héros, nous amenant à nous interroger sur son sens. Puis, il par-court les époques, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, en passant par le Moyen Âge. Chargé de références culturelles, ce roman offre plusieurs pistes d’analyse. En voici trois, intimement liées.

L’initiation aux personnages légendaires

À l’image du personnage de Cervantès, le Don Quichotte de Côté allie tout autant chevalerie, sorcellerie et fantastique et, sur-tout, fait régulièrement mention de héros légendaires issus de la littérature. Mis en contexte et rapidement décrits par le cheva-lier, ces protagonistes méritent une attention particulière.

Dans un premier temps, relevez tous ces héros avec vos élèves, de façon à établir leur portrait. Commencez, bien entendu, par Don Quichotte. Ce chevalier né sous la plume de Cervantès au début du XVIIe siècle est apparu dans un roman intitulé L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de La Manche, qui se voulait une satire de l’idéal chevaleresque alors en vogue. Inspiré, voire obnubilé par ses lec-tures, le héros se laissait emporter par son

La forêt aux mille et un périls : interroger la notion de héros Marie Fradette

au gré des époques et des valeurs reliées aux civilisations1. Au départ associée aux armes, la notion de héros était intimement liée au guerrier, puis elle se déplace du côté des victimes de guerre et, plus tard, on fait l’éloge des hommes politiques et même des sportifs. La notion, même si elle évolue, reste avant tout liée à une volonté de s’offrir des modèles, «de modeler son imaginaire en le tendant vers un horizon d’excellence»2. Ainsi, les héros mis en scène par Côté restent des modèles de bravoure et de courage. Après la lecture, questionnez les élèves sur leur conception du «héros». Selon eux, qui, dans nos sociétés modernes, pourrait avoir ce statut? Pourquoi? Dans le roman, l’idée selon laquelle les héros ne meurent jamais est par ailleurs constam-ment rappelée. Demandez aux élèves de se prononcer sur cet énoncé. Amenez-les en-suite à relever les différents signes qui font de Maxime, simple humain mortel, un hé-ros. L’indice ultime reste sans aucun doute l’épée d’héroïsme ayant appartenu à tous les grands de l’histoire littéraire : «Elle intervient dans les plus belles aventures! Elle brille à la main des grands chevaliers […] C’est l’épée d’Héroïsme! […] Pour Charlemagne, a-t-il continué, elle s’appelait la Joyeuse! Pour Roland, elle était Durandal […] Pour Arthur Pendragon, c’était Excalibur! » (p. 126) Le flambeau est ensuite passé à Maxime qui réussit grâce à une force surnaturelle à la sortir du socle dans laquelle elle est empri-sonnée : «Tandis que je tenais l’arme entre mes mains, quelque chose de puissant circu-lait dans mes veines. Qu’est-ce que c’était? […] On aurait dit que je n’étais plus seul à l’intérieur de moi» (p. 130). La quête qui lui est attribuée, le courage, la détermination et l’humanisme dont il fait preuve représentent en fait l’aboutissement de l’héroïsme qui concilie les qualités du héros à la réalité de l’homme. L’identification possible entre lui et les lecteurs est par ailleurs envisageable puisqu’il devient un modèle concret de héros, un garçon capable d’accomplir de l’extraordinaire.

D E S L I V R E S À L ’ É T U D E

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céder au système intégré de gestion de bi-bliothèques (SIGB). Il est possible également de “brancher le Bibliobus” à l’aide d’un gros cordon d’alimentation directement dans une prise de courant. Ainsi, nous n’avons plus besoin du moteur du tracteur. Le Bibliobus est considéré comme une bibliothèque à part entière.»

Quelques distinctions

Avant de continuer, il importe de distinguer les trois types de bibliobus, car chacun d’entre eux présente ses propres caracté-ristiques. Ainsi, le bibliobus dont j’ai parlé jusqu’ici est ce qu’il convient d’appeler un bibliobus rayon ou bibliobus de prêt direct. Selon Wikipédia, il s’agit «généralement de poids lourd, équipé de rayonnage [...] stationnant sur les places des villages, des quartiers et dans les cours d’écoles, afin de permettre au public d’y emprunter des livres.»

Quant aux bibliobus caisse, toujours selon Wiki, ce sont «des camionnettes des-tinées au transport de caisses de livres. Ces caisses sont déposées dans différents lieux (bibliothèques, écoles, mairies, maisons de retraite, etc.). On parle alors de bibliobus de dépôt.»

Enfin, grâce aux bibliobus rayons pour prêt aux bibliothèques, «les bibliothèques de villages et des petites villes reçoivent des lots de documents selon un rythme bisan-nuel ou trisannuel. L’aménagement reste celui d’une bibliothèque fixe et, d’ailleurs, certains véhicules alternent le prêt aux indi-vidus et le prêt aux bibliothèques.»

Isabelle Bergeron précise toutefois «qu’au Québec, les petites villes et les villa-ges bénéficient souvent de service de biblio-thèque. On retrouve donc des bibliothèques autonomes soutenues par le ministère de la Culture et des Communications et des bi-bliothèques affiliées à un centre de services aux bibliothèques publiques (anciennement CRSBP, maintenant désigné Réseau Biblio2).

Nous retrouvons ce modèle dans le cas d’une petite ville ou d’un village.»

Le Bouquin voyageur, à Châteauguay

En 2000, la ville de Châteauguay a elle aussi instauré un service de bibliothèque mobile, pour pallier le manque d’espace de la bibliothèque de l’époque3. Durant l’été, «le Bouquin voyageur visite huit parcs par semaine, du lundi au jeudi soir (deux parcs par soir, entre 16 h et 20 h 30). Les parcs ont été sélectionnés afin d’offrir le service à dif-férents endroits de la ville. Ainsi, les jeunes de différents quartiers peuvent en profiter. De plus, il fréquente les groupes du camp de jour de la ville. Environ huit visites par été sont prévues pour notre camp de jour afin de favoriser la lecture», nous apprend Patricia Robitaille, chef de la Division bibliothèque. Le reste de l’année, le Bouquin voyageur dessert les Centres de la petite enfance (CPE) et les centres pour ainés.

Même si, depuis, une nouvelle bibliothè-que a été officiellement inaugurée, le Bou-quin voyageur continue d’être fréquenté.

Sur son site Web, la Ville invite ses ci-toyens à venir y faire un tour, entre deux par-ties de soccer ou de baseball. Premier pas vers un esprit sain dans un corps sain...

Partir pour... Québec!

En 2007, à la bibliothèque Aliette-Marchand, de la ville de Québec, débutait un pro-gramme de bibliothèques roulantes visant à joindre les 0 à 5 ans. L’année suivante, la bibliothèque Gabrielle-Roy suivait son exemple.

«Les bacs de livres sont livrés directe-ment aux CPE et aux organismes-famille pour une période de trois à quatre mois. Il y a jusqu’à dix bacs en circulation dans les arrondissements, contenant chacun une cinquantaine de livres. C’est un minimum de 1500 livres qui circulent dans les CPE et organismes au cours de l’année. Les livres

Sur la routeMichèle Tremblay

Écrire un article sur les bibliothèques mo-biles, pour moi, c’est d’abord me replonger dans d’heureux souvenirs, aux alentours de 1980. Fillettes, une amie et moi avions circulé, de maison en maison, pour faire signer une pétition demandant la venue du bibliobus dans notre quartier.

Notre vœu fut exaucé! Toute guillerette, je me précipitais dès l’ouverture à l’intérieur de cette caverne d’Ali Baba, à chaque ren-dez-vous. En plus de ressentir la joie de re-trouver des personnages familiers, comme Astérix et Lucky Luke, je fis la connaissance de plusieurs autres, dont Yoko Tsuno et Iz-nogoud. De fois en fois, j’appris à apprécier des styles de BD très diversifiés, allant des fort édifiantes adaptations des œuvres de la Comtesse de Ségur aux tout à fait délirantes Rubrique-à-Brac de Gotlib!

Au fil des mois, à force de les côtoyer, je me suis tournée vers les Livres dont vous êtes le héros, puis vers les romans de R. L. Stevenson ou de Daniel Defoe. Et c’est le bibliobus qui m’a permis ces jubilatoires découvertes!

L’évolution du Bibliobus de Montréal

En 1966, le premier bibliobus fut inauguré, dans le but de desservir les quartiers défa-vorisés socioéconomiquement ou les zones scolaires éloignées des bibliothèques1.

Depuis, le bibliobus a eu diverses allures. Trois véhicules différents se sont succédé. Celui actuellement en service est en fait une semi-remorque. On est aussi passé du prêt manuel au prêt informatisé, quelques an-nées après que les bibliothèques publiques ont fait le saut. La collection a également pris un tournant car si, au départ, elle compor-tait des documents pour adultes, elle cible désormais un public jeune.

Pour le chauffage et la climatisation, une génératrice est utilisée. Comme l’explique Isabelle Bergeron, bibliothécaire responsa-ble du Bibliobus de Montréal, «l’électricité permet surtout d’utiliser l’ordinateur et d’ac-

D E S L I V R E SA U C OE U R D E L A V I L L E

Le Bibliobus de Montréal, au milieu des années 60.

Le Bibliomobile de Repentigny (photo : Roger Lacoste)

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T O U R E L U

intention narrative : les objets conversent entre eux. Une lampe et une malle tente d’ailleurs de réconforter la pauvre Émilie qui devrait, selon eux, se réjouir de sa retraite et en jouir – mais peine perdue, la baignoire refuse d’accepter son sort.

À des lieues de là, la fée Porcelaine ras-semble d’urgence quelques représentantes du peuple des baignoires pour discuter du sort d’Émilie. On témoigne de sa vaillance et l’on s’entend sur un point : la fée va conférer à Émilie la possibilité de marcher sur ses pat-tes afin de tenter sa chance hors du hangar poussiéreux.

Bien décidée à reprendre sa place dans la maison, elle se rend courageusement à la salle de bain, où elle découvre avec horreur que sa place fut usurpée par une baignoire plus jeune, encastrée et en émail, qui refuse de céder sa place nouvellement acquise!

Retrouvée par ses propriétaires furieux, Émilie est mise au bord de la rue, à côté de la poubelle. Deux enfants croisent alors son chemin et, au terme d’un périple aventureux, parviennent à apporter la baignoire chez un antiquaire. Dès lors, le point de vue d’Émilie sur elle-même change du tout au tout : «Ses maitres la trouvaient vieille? Hé bien, ici on l’apprécie justement à cause de son âge» (p. 78 de l’édition 2002). Ayant évité d’être achetée et fondue par un fondeur, Émilie voit une petite famille faire son acquisition. Elle sera ramenée à la maison et deviendra… un jardin d’intérieur, après avoir été remplie de terre. Heureuse, Émilie découvre les joies d’une nouvelle vie.

Ce qui étonne avec Émilie, la baignoire à pattes, c’est le parallèle qu’on peut tracer avec la population du troisième âge. «Vos grands-parents sont une richesse!» semble dire Bernadette Renaud à travers la voix de la vieille baignoire. Bien que retraités, les gens âgés sont riches d’une expérience et d’un désir de s’investir qui feront la joie d’un enfant s’il daigne bien ouvrir ses oreilles et son cœur. Ce qui est vieux est loin d’être inutile; au contraire, on gagne à l’apprécier à sa juste valeur.

Qui, faisant sa scolarité primaire entre les années 75 et 95, n’a pas lu ou ne s’est pas fait lire Émilie, la baignoire à pattes – ou, à tout le moins, ne se l’est pas fait suggérer? Cet énorme succès de notre littérature jeunesse, si grand qu’on le réédita plus de vingt-cinq ans plus tard, est le premier livre d’une écrivaine marquante, Bernadette Renaud. Et que dire du succès de son second roman, Le chat de l’Oratoire, qui allait devenir la base du scénario de l’émouvant Bach et Bottine, l’un des chefs-d’œuvre d’André Melançon, lançant du même coup la carrière de la jeune Mahée Paiement? Si d’autres de ses livres, La maison tête de pioche (Héritage, 1979), La dépression de l’ordinateur (Fides, 1981),La grande question de Tomatelle (Leméac, 1982) ou La révolte de la courtepointe (Fides, 1979), restent moins connus, La révolte n’en demeure pas moins un roman jeunesse mer-veilleux par sa créativité, ayant fait rêver de nombreux jeunes lecteurs. Bien que publiés depuis plus de trois décennies, certains de ces récits marquants, qu’il convient de relire, n’ont pas pris une ride.

Une baignoire qui lance une carrière

Bernadette Renaud est née à Ascot Corner, en Estrie, le 18 avril 1945. D’abord enseignante au primaire, elle ne pratiquera ce métier que durant trois ans, devenant ensuite auteure à temps plein à la suite du succès de ses deux premiers romans.

Dans les années 70, la littérature jeu-nesse place généralement l’enfant comme personnage principal – c’est notamment le cas chez Ginette Anfousse, Suzanne Martel et Monique Corriveau. Le premier roman de Bernadette Renaud va dans une tout autre di-rection et place des objets inanimés comme personnages principaux et secondaires.

L’histoire d’Émilie, la baignoire à pattesdébute alors que la baignoire se désole de l’injuste traitement dont elle fait l’ob-jet : après des années de bons et loyaux services, elle est envoyée au hangar. Dès les premières lignes, Renaud annonce son

Une baignoire, un chat et une courtepointe :les premières armes de Bernadette Renaud Sébastien Chartrand

Émilie, la baignoire à pattes sera égale-ment abrégée en version album. Il rempor-tera le prestigieux Prix du Conseil des Arts du Canada en 1976, puis le prix de l’ASTED en 1977. On en trouvera rapidement un exemplaire dans presque toutes les écoles primaires du Québec. Un succès monu-mental pour une première publication… mais la deuxième allait en avoir encore davantage.

La touchante amitié d’un chat et d’un organiste

L’histoire du Chat de l’Oratoire commence tout simplement. Un organiste s’exerçant devant son instrument est dérangé par les miaulements d’un chaton. Agacé, il se laisse brièvement attendrir et offre du lait à la pe-tite bête. Toutefois, son agacement reprend de plus belle le lendemain en découvrant le chaton endormi sur son banc! Après avoir tenté par tous les moyens de s’en débarras-ser, l’organiste laisse le chaton l’écouter à l’orgue puis, satisfait de sa performance, se laisse aller à jouer avec l’animal.

Peu à peu, l’organiste permet au chaton de s’intégrer à sa routine, s’attache à lui un peu malgré lui, se surprend à s’inquiéter de ses petites absences. Au fil des aventures, où il débarque en plein mariage ou agace le sacristain, le chaton de l’Oratoire gran-dit et devient chat. Le musicien et le félin deviennent inséparables; cela, jusqu’à ce que l’animal gâche une performance de l’organiste.

Bouillant de colère, l’organiste maudit en son cœur la présence du chat et se jure de ne jamais lui pardonner. Les deux amis se boudent pendant des jours. Puis, lors d’un mémorable soir de Noël, le musicien décide enfin de passer l’éponge et offre au chat trois petits cadeaux en signe de réconciliation.

Chose rare en littérature jeunesse, l’his-toire finit sur un ton tragique. Ayant reçu une bourse pour étudier à l’étranger, l’organiste quitte l’Oratoire après avoir fait ses adieux au chat. Devenu seul, le félin erre désormais

Édition 1980

Édition 1978

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L’Association des écrivains québécois pour la jeunesse

En mars 1992, afin de promouvoir la litté-rature jeunesse et de mieux représenter ses membres auprès de la population et du monde de l’édition, est fondée l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse (AEQJ). Chaque année, l’Association publie un recueil thématique de nouvelles écrites par ses membres. Les redevances décou-lant des ventes de ces recueils servent à financer la bourse du prix Cécile-Gagnon, remis chaque année à l’auteur d’un premier roman jeunesse et également, une année sur deux, à l’auteur d’un premier album jeunesse. Jusqu’en 2000, les recueils de l’AEQJ sont publiés aux Éditions Pierre Tisseyre. En 2001, à cause d’un différend avec l’éditeur, le recueil ne parait pas. En 2002, les Éditions Vents d’Ouest prennent le relai et publient, en alternance dans les collections «Girouette» et «Ado», les dix recueils suivants de l’Association. En 2011 et 2012, l’AEQJ doit publier elle-même ses recueils de nouvelles (Un animal? Génial!et Le camping, ça me tente!). Grâce à Sou-lières éditeur, les ouvrages sont distribués par Diffusion du livre Mirabel. Cependant, en raison de la fermeture du distributeur en 2013, l’Association se remet en quête d’un éditeur. Finalement, c’est Dominique et compagnie qui publiera le dix-huitième collectif de l’AEQJ, à l’automne 2014, sous le titre Malédictions au manoir. Sept histoires à dormir debout.

Le choix du thème des recueils est dé-terminé par le conseil d’administration de l’AEQJ. Les nouvelles sont, en alternance, destinées aux enfants de 9 à 12 ans et aux adolescents âgés de 12 ans et plus. L’Asso-ciation rémunère un de ses membres pour diriger les auteurs, corriger les textes et effectuer la mise en pages du recueil. Ainsi, au fil des ans, Marie-Andrée Clermont, Fran-cine Allard, Susanne Julien et Nadia Galhem

Selon les données fournies par Biblio-thèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), sept recueils de nouvelles destinés aux jeunes auraient été publiés au Québec en 2011, vingt-deux en 2012 et un seul en 2013. Sachant que, pour les mêmes années, six-cent-cinquante romans jeunesse, en moyenne, ont été publiés, on peut dire que le recueil de nouvelles, dans le paysage littéraire jeunesse québécois, fait presque figure d’exception.

Un peu d’histoire…

Jusqu’aux années 80, la nouvelle est peu exploitée par les éditeurs jeunesse. En 1982, les Éditions Paulines lancent la col-lection «Lectures-Vip», qui réunit toutes les nouvelles parues dans la revue encyclopé-dique Vidéo-Presse, destinée aux 8-12 ans et vendue à cinquante-mille exemplaires dès la première année. On y retrouve les textes d’auteurs de renom : Paule Dave-luy, Cécile Gagnon, Roch Carrier, Roger Poupart, etc. Au total, treize titres seront publiés dans cette collection. À la même époque, les Éditions Pierre Tisseyre lancent la collection «Conquêtes», à l’intérieur de laquelle des recueils de nouvelles sont aussi publiés.

En 1991, Québec Amérique crée «Clip», une collection où la forme brève est à l’honneur. Cette nouvelle orientation per-met à la maison d’édition de diversifier ses publications et ainsi, de se démarquer des autres éditeurs. Sous l’étiquette «Clip» seront ainsi publiés, en quelques années, des collectifs, dont les deux tomes de La première fois – audacieuses anthologies dirigées par Charles Montpetit et abordant sans détour le thème de la première expé-rience sexuelle – des recueils de nouvelles et de contes, ainsi que des monologues.

Les recueils de nouvelles jeunesseMyriam de Repentigny

ont accompli ce travail. Louise Tondreau-Levert, de l’AEQJ, précise toutefois que les choses sont appelées à changer : «En 2012, sous la présidence de Carl Dubé, le conseil d’administration a lancé un concours aux auteurs pour qu’ils inventent un monde dans lequel évolueront les personnages, et cette “bible” sera utilisée pour les prochains collectifs. Les auteurs devront donc écrire leur nouvelle en suivant les paramètres déjà définis dans cette “bible”. Par ailleurs, il n’y aura que sept nouvelles dans les prochains recueils, au lieu de dix ou douze.» On sent ici un désir d’harmoniser les textes, de cris-talliser les différentes visions des choses en un univers plus uniforme, plus encadré. Le genre bref, cependant, est préservé.

Une panoplie de genres

Un peu comme pour la collection «Lec-tures-Vip» (Éditions Paulines), Soulières éditeur, en collaboration avec le magazine Les Débrouillards, a publié, en 1998 et 1999, quatre tomes dans la collection «Le chat dé-brouillard». Ces ouvrages regroupaient des nouvelles sélectionnées parmi celles parues dans le magazine. Ces dernières présentaient surtout des thématiques liées aux sciences, à l’aventure et à l’histoire, avec quelques incursions dans l’univers de l’humour et du fantastique. Plus récemment, Soulières éditeur a publié, dans la collection «Graffiti +» des recueils de Louis Émond (Quand la vie ne suffit pas), de Jocelyn Boisvert (Des nouvelles tombées du ciel, prix AQPF-ANEL 2010) et de Robert Soulières (Des nouvelles de Bob). On retrouve également, chez Sou-lières éditeur, sous la bannière «Graffiti» – collection destinée aux lecteurs de 11 ans et plus –, la sous-collection «Novela». Quatre titres ont été publiés jusqu’à présent dans cette discrète sous-collection, dont trois longues nouvelles (R.I.P. de Jacques Lazure, Un cadavre au dessert de Robert Soulières et Personne ne voit Claire de Jocelyn Boisvert).

S O U S U N A U T R E A N G L E