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REVUE DE LA RECHERCHE JURIDIQUE DROIT PROSPECTIF 2010-4 Publiée par la FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE d’Aix-Marseille Abréviation de référence : R. R. J. N. XXXV - 134 (35ème année – 134ème numéro) (5 Numéros par an) PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - PUAM

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REVUE DE LA RECHERCHE JURIDIQUE

DROIT PROSPECTIF

2010-4

Publiée par la FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

d’Aix-Marseille

Abréviation de référence : R. R. J.

N. XXXV - 134 (35ème année – 134ème numéro) (5 Numéros par an)

PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - PUAM

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L’OBLIGATION DE COLLABORATION DES ENTREPRISES EN MATIÈRE

DE SECURITÉ DES PRODUITS

ÉLÉMENT D’UN RENOUVEAU DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE PAR LE DROIT COMMUNAUTAIRE

Par

Fanny GARCIA

Maître de conférences, Université de Bretagne Sud, Membre du Programme européen de recherche Lascaux1

IRDP-IREA.

1. Deux grands phénomènes ont marqué l’évolution de la responsabilité civile. En premier lieu, la révolution industrielle, au début du siècle dernier, a initié la première évolution marquante. Elle fut accompagnée d’un mouvement de collecti-visation des risques, dans le domaine des assurances, auquel le législateur a rapide-ment pris part, multipliant les obligations d’assurance de responsabilité tout au long du XXe siècle. En second lieu, la révolution technologique entraînant la survenance de nouveaux dommages, d’ampleur nouvelle, a peu à peu révélé les difficultés des victimes dans l’aboutissement de leurs actions civiles. À l’épreuve d’une centaine d’années, notre droit de la responsabilité civile apparaît dépassé, limité, insatisfai-sant, tant du côté des victimes que de celui des responsables.

2. Le droit communautaire a progressivement ouvert la voie à de nouvelles transformations de la responsabilité civile. Les évolutions sont diverses : élargissement du champ des responsables, extension d’obligations ancien-nes, création de nouvelles obligations, etc. Contribution majeure dans notre droit positif, le droit communautaire véhicule avec lui, non seulement des règles nouvel-les mais aussi des approches, des conceptions nouvelles. L’esprit communautaire déplace le curseur de la responsabilité bien avant la réalisation d’un dommage. La focale se situe désormais en amont de la mise en œuvre de la responsabilité, nourrissant généreusement le principe général de prudence. Dans le but d’assurer un

1 Lascaux, 7e PCRD - Programme spécifique “IDEES” - Conseil Européen de la Recherche - Grant agreement for Advanced Investigator Grant (Sciences sociales, 2008) : « Le nouveau droit agroalimen-taire européen à la lumière des enjeux de la sécurité alimentaire, du développement durable et du commerce international », Dir. Professeur F. Collart Dutilleul (www.droit-aliments-terre.eu). « Les recherches menant aux présents résultats ont bénéficié d’un soutien financier du Centre européen de la recherche au titre du septième programme-cadre de la Communauté européenne (7e PC / 2007-2013) en vertu de la convention de subvention CER n° 230400 ».

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niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines dans la communauté européenne, le bon fonctionnement du marché intérieur s’envisage désormais par l’obligation de mise sur le marché de produits sûrs, conditionnant le principe de libre circulation des marchandises. Pour répondre à ces exigences, le législateur communautaire a instauré une obligation générale de sécurité des produits, par la directive n° 2001/95/CE2. Au-delà, les opérateurs économiques sont soumis à un ensemble de règles participant à assurer la sécurité des produits. En même temps, de façon de plus en plus systématique, la responsabilité est appréhendée sous l’angle collectif. Signe de ces changements, le champ lexical, lui aussi, est renouvelé : les crises sont évoquées plutôt que les dommages, les chaînes plutôt que les directeurs, les entreprises plutôt que les sociétés… Un souffle économique s’est inséré dans le droit de la responsabilité. Les règles relatives à la responsabilité se sont étendues. Ainsi, le principe général de prudence qui gouverne la réparation des victimes s’est étendu avant la survenance d’une crise, par diverses obligations nouvelles tendant à asseoir la maîtrise des risques, et pendant la crise, par des procédures de gestion des risques. Les obligations sont davantage à la charge des entreprises que des personnes physiques, elles sont mutualisées, elles pèsent sur chacun de ses membres. Au-delà des seules entreprises, ce sont les chaînes qui sont visées, les filières, les secteurs d’activités…

3. La - troisième ? - révolution à laquelle nous assistons ne naît-elle pas de la force - si ce n’est normative, à tout le moins créatrice - des activités économiques ? Le droit communautaire nous contraint à repenser notre droit de la responsabilité à partir des activités économiques. C’est par elles, que la respon-sabilité est désormais appréhendée différemment : d’une part, dans une dimension collective et d’autre part, en amont de la réalisation des dommages, au niveau de la maîtrise des risques. Ce phénomène est patent en matière de sécurité des produits : la maîtrise des risques est organisée de façon collective, elle s’articule autour de l’ensemble d’une filière, elle n’est plus pensée de façon individuelle. Sans doute est-ce là la marque d’une évolution juridico-économique de notre système, en réponse à certains grands drames qui ont marqué nos dernières décennies : « vache folle », amiante, Distilbè-ne, hormones de croissance, catastrophe AZF, affaire de l’Erika… La principale expression novatrice en matière de sécurité des produits nous paraît se traduire par l’obligation de collaboration des entreprises initiée par le législateur communautaire. La notion d’entreprise porte en elle-même la marque des changements que nous venons d’évoquer. Elle est le reflet de l’approche collective du droit de la responsa-bilité.

4. La notion d’entreprise. Depuis les années 1950, nombre de textes com-munautaires font expressément référence à la notion d’entreprise. Pourtant, peu la définissent3. La multiplication des références à l’entreprise dans les textes – autant fulgurante que désorganisée - apparaît comme le pendant du développement des

2 Dir. n° 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2001 relative à la sécurité gé-nérale des produits, JOUE n° L 11 du 15 0janver 2002. 3 Parmi les textes fondateurs, V. : art. 80, Traité instituant la communauté européenne du charbon et de l’acier, 18 avril 1951 ; art. 81 à 86 (règles applicables aux entreprises), Traité de Rome, 25 mars 1957.

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activités économiques4. L’élaboration d’une notion unitaire, longtemps présentée comme une gageure, fait désormais l’objet de nombreux travaux5. Les éléments retenus oscillent entre personnification6 (sujet de droit, « sujet de droit nais-sant »7)/réification8, notion/concept, personne physique/personne morale, patrimoi-ne/droits et obligations, droit public/droit privé... L’opposition entre le droit commu-nautaire et notre droit interne y atteint son paroxysme, tout comme la multiplication des définitions dans les droits spéciaux en fonction des interventions successives du législateur (droit commercial, droit des sociétés, droit social, droit de la concurrence, droit de la distribution, droit des procédures collectives, droit fiscal, droit financier, droit boursier, droit civil, droit comptable…). L’entreprise y véhicule simultanément une activité, un bien, un contrat…9 sans qu’il soit possible de transposer une défi-nition d’une branche du droit à l’autre10. Dans le domaine particulier de la sécurité des produits, peu de textes se réfèrent à la notion d’entreprise. Pourtant, le phénomène inverse se produit dans l’ensemble du droit communautaire11. Le champ lexical juridique des différents acteurs d’une fili-ère est à la fois très diversifié et spécifique aux domaines qu’ils régissent12.

4 Sur ce phénomène, V. : J. Paillusseau, « Le droit des activités économiques à l’aube du XXIe siècle », D. 2003, p. 260 et spéc. nos 57 à 85. 5 V. not. : Ch. Bolze, « La notion d’entreprise », RTD com. 1987, p. 65 ; M. Despax, L’entreprise et le droit, thèse, Toulouse, 1956 ; L. Idot, « La notion d’entreprise », Rev. des sociétés 2001, p. 191 ; Th. Lamarche, « La notion d’entreprise », RTD com. 2006, p. 709 ; B. Mercadal, « La notion d’entre-prise », Les activités et les biens de l’entreprise. Mélanges offerts à Jean Derruppé, GLN Joly, Litec, 1991, p. 9 ; J. Paillusseau, préc. et « La notion de groupe de sociétés et d’entreprises en droit des activités économiques », D. 2003, p. 2346, « L’efficacité des entreprises et la légitimité du pouvoir », Petites aff. 19.06.1996, p. 17, « Les apports du droit de l’entreprise au droit », D. 1997, p. 97 ; Th. Tarroux, « La notion d’entreprise », JCP N 2002, 1684. 6 V. Wester-Ouisse, « Dérives anthropomorphiques de la personnalité morale : ascendances et influen-ces », JCP G 2009, I, 137. 7 Pour reprendre l’expression de M. Despax, op. cit. 8 Sur l’analyse de ces différents courants, V. Th. Lamarche, préc., spéc. nos 7 à 17 ; J. Paillusseau, « L’efficacité des entreprises et la légitimité du pouvoir », préc. 9 Plus largement sur ce point, V. l’étude de Th. Lamarche, préc., p. 709. 10 V. : Y. Guyon, « L’entreprise sous les influences réciproques du droit européen et des droits natio-naux », Rev. des sociétés 2001, p. 314 ; L. Idot, préc., spéc. nos 6 à 17. 11 Par exemple, les directives relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux (dir. n° 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, JOUE n° L 210 du 07 08 1985) et à la sécurité des produits (dir. n° 2001/95/CE, préc.) ne se réfèrent pas à la notion d’entreprise. Seuls quelques régimes relatifs à des produits spécifiques le mentionnent (dir. n° 2008/98 du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives, JOUE n° L 312 du 22 11 2008 ; règl. n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, JOUE n° L 31 du 01 février 2002). 12 V. : le « producteur » [dir. n° 2001/95, préc.], le « distributeur » [dir. n° 2001/95, préc.], les « opérateurs économiques » [dir. n° 2001/95, préc.], le « titulaire de l’autorisation de mise sur le marché » [dir. n° 2001/83 du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, JOUE n° L 311 du 28 novembre 2001] et son « représentant » [dir. n° 2001/83, préc.], le « fabricant » [proposition de règl. du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, COM (2008) 49 final du 5 février 2008] et son « manda-taire » [COM (2008) 49 final, préc.], le « responsable de la mise sur le marché » [COM (2008) 49 final, préc.], « l’importateur » [règl. n° 178/2002, préc.], l’« exploitant » [règl. n° 178/2002, préc.], le « commerce de détail » [règl. n° 178/2002, préc.], le « notifiant » [dir. n° 2001/18 du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétique-ment modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, JOUE n° L 106 du

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Parmi ces différentes notions, celle d’entreprise est la plus adaptée pour étudier l’obligation de collaboration, car, considérée dans une acception extensive, elle recouvre l’ensemble des entités recensées dans le champ juridique communautaire touchant à la sécurité des produits. Dans cette perspective, la définition proposée par le règlement n° 178/2002 du droit de l’alimentation est la plus indiquée. À sa lumière, nous considérerons l’entreprise comme « [toute entité] publique ou privée assurant, dans un but lucratif ou non, des activités liées aux étapes de la production, de la transformation […], de la distribution, [de l’importation, du stockage, du trans-port, du traitement et du recyclage des produits] »13. Cette définition fait ressortir les différents éléments composant la notion d’entrepri-se. Parmi eux, le critère essentiel est celui de l’exercice d’une activité économique. Par ailleurs, le critère de l’autonomie de décision de ces entités y est intrinsèque-ment lié : traditionnellement érigé en second élément composant la notion d’entre-prise14, il se fond dans celui de l’exercice d’une activité économique, dans la défi-nition précédemment retenue15. La considération de l’exercice d’une activité économique est celle qui justifie l’engagement de la responsabilité des entreprises, qu’elle soit civile, pénale ou admi-nistrative. Touchant aux produits et partant, à leur sécurité, elle gouverne également l’instauration de l’obligation de collaboration des entreprises. Concrètement, s’entendent de cette notion : les petites et moyennes entreprises, au même titre que les grands groupes industriels, mais aussi toutes les entités exerçant des activités à but non lucratif, parmi lesquelles notamment, celles menées par les organisations humanitaires. Ces dernières témoignent de l’acception extensive du critère de l’activité économique, ouvert sur une dimension sociale, qui n’est pas nouvelle mais qui est inédite dans la mise en œuvre de la gestion des risques. L’activité économique n’est pas exclusive de la réalisation de profits, elle peut être également sociale16. La Cour de justice des communautés européennes invite égale-ment à cette approche extensive de la notion d’activité économique17. Aujourd’hui, le champ de la responsabilité, revisité par le droit communautaire régissant les acti-vités économiques, participe à l’extension de la notion d’entreprise. Toute référence au caractère public ou privé de l’entité, à l’existence d’un patrimoine propre ou non, d’une personnalité morale, d’un but lucratif ou non de l’activité exercée… est dénuée d’intérêt dans ce contexte.

17 04 2001], les « collectivités » [règl. n° 1829/2003, du Parlement européen et du Conseil du 22 sep-tembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, JOUE n° L 268 du 18 10 2003], le « détenteur » [dir. n° 2008/98, préc.], le « négociant » [dir. n° 2008/98, préc.], le « courtier » [dir. n° 2008/98, préc.]… 13 Règl. n° 178/2002, préc., art. 3 §2 et 5. Plus largement, V. Conseil national de l’alimentation (C.N.A.), Avis sur la préparation de l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2005, de certaines dispositions du règl. CE n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, qui concernent les entreprises, F. Collart Dutilleul, Rapporteur, Avis n° 48, 09 novembre 2004, spéc. point 3.2. 14 L. Idot, préc., spéc. nos 26 à 33 ; Th. Lamarche, préc., spéc. nos 29 à 31. 15 Dans ce sens, mais de façon implicite, V. : B. Mercadal, préc., pp. 15 et 16. 16 En ce sens, V. : Th. Lamarche, préc., spéc. nos25 à 27 ; B. MERCADAL, préc., pp. 13 et 14. 17 CJCE, 1er juillet 2008, aff. C-49/07, consid. 27 et 28 ; CJCE, 10 janvier 2006, aff. C 222/04, consid. 122 et 123. Pour quelques applications par la jurisprudence interne, not. aux associations, afin d’en sanctionner les dirigeants, V. : J.-P. Legros, « Redressement et liquidation judiciaires – Associations », J.-Cl. Proc. collect., fasc. 3160, spéc. nos 23 à 26, 120 et 121.

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5. L’obligation de collaboration, intrinsèquement liée à la responsabilité dont elle devient l’un des rouages, est ainsi justifiée par la nature même de l’entre-prise, entité où s’exerce une activité économique, qu’elle touche à la conception, la fabrication, la transformation, la distribution ou au transport d’un produit. Vue d’en haut, la collaboration participe du bouquet des valeurs que véhicule le droit communautaire des activités économiques, organisé ici autour des règles de la responsabilité civile, pénale et administrative. Elle irradie sur toute entité exerçant une activité économique, sur toute entreprise. La collaboration, valeur morale, est intégrée par le droit pour relier l’homme à ses rapports aux activités économiques, au travers de l’expression d’une entreprise obéissant à un ensemble de règles. Elle trouve son prolongement juridique dans le champ de la responsabilité. L’obligation de collaboration des entreprises est nouvelle dans le domaine de la sécurité des produits mais elle n’est pas inédite dans le langage juridique. Elle irrigue tant le domaine du droit privé que celui du droit public18. Au niveau commu-nautaire et international, de nombreux exemples illustrent la collaboration entre les États19, les autorités de contrôle20… La notion de collaboration traverse aujourd’hui l’ensemble du droit privé mais elle prend une forme nouvelle en matière de sécurité des produits (I). Plus généralement, elle participe au renouveau de la responsabilité civile insufflé par le droit communautaire (II). I. Notion de collaboration et droit privé La notion de collaboration est relativement contemporaine en droit car elle remonte au siècle dernier21. L’histoire nous renvoie naturellement à la pénalisation de la collaboration, relative aux crimes et délits de collaboration avec l’ennemi22. Le droit processuel est empreint du principe de collaboration entre les acteurs du monde judiciaire23. Cependant, dans l’intérêt de notre étude, nous nous attacherons aux manifestations les plus abouties de la collaboration en droit civil et droit des affaires (A) avant de les comparer à la réception particulière qui lui est réservée par le droit communautaire en matière de sécurité des produits (B).

18 En droit public, nous pouvons penser notamment aux collaborations intercommunales. On recense aujourd’hui diverses structures relevant des établissements publics de coopération intercommunale. V. : L. Janicot, « Coopération intercommunale. Structures de coopération », J.-Cl. Administratif, fasc. 129-25. 19 Cela est patent dans le domaine environnemental et de façon plus résiduelle V. : un système de coopération internationale pour lutter contre le blanchiment d’argent ; un réseau européen de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ; un réseau européen de coopération pour la protection des consommateurs … 20 Dir. n° 2001/95/CE, préc., consid. 26 et art 10 ; règl. (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des Médicaments, JOUE n° L 136 du 30 avril 2004. Pour un exemple de collaboration entre les autorités de contrôle avec les organisations internationales, V. : règl. (CE) n° 726/2004, préc. ; avec les Etats membres, V. : règl. (CE) n° 726/2004, préc. 21 V. : R. Demogue, Traité des obligations en général, II, Effets des obligations, t. VI, Librairie A. Rousseau, Paris, 1932, nos 12-30, pp. 17-44. 22 O. Lagrange, La collaboration en droit processuel. Essai sur le concours des intérêts en procédure, thèse, Nantes, 2007, spéc. nos 11 et 12. 23 V. : O. Lagrange, op. cit.

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A. Réception protéiforme de la notion de collaboration en droit privé Aujourd’hui étendue à l’ensemble du langage juridique, la notion de collaboration n’est toutefois pas encore uniformisée dans la législation. Tour à tour devoir, princi-pe, obligation, elle est protéiforme en fonction des domaines auxquels elle touche. On en retrouve des manifestations, sans qu’elles en portent le nom. De même, on la retrouve sous d’autres dénominations - telle que la coopération - mais en synony-mie24. Il reste des dénominateurs communs : la collaboration trouve le plus souvent sa source dans un contrat et dans une moindre mesure, dans des situations de fait (1). Il en ressort des enseignements liminaires (2) qui serviront l’analyse de l’obligation de collaboration des entreprises dans le domaine particulier de la sécurité des produits.

1. Manifestations de la collaboration

6. Devoir de collaboration. La notion de collaboration a tout d’abord in-nervé la matière contractuelle, où elle est appréhendée comme un devoir trouvant son fondement dans la bonne foi25. Il en va de même en droit communautaire26. Souvent juxtaposé au devoir de loyauté, le devoir de collaboration est plus ou moins prégnant dans les contrats, selon leur nature. Il trouve naturellement à s’appliquer dans le contrat de société, au travers de l’affectio societatis27. Il y est assez marqué dans la mesure où le Code civil assortit d’une sanction le manquement à la collaboration28. Cette dernière est en revanche circonscrite au droit des sociétés. La jurisprudence en refuse notamment l’extension en matière de divorce29 (hormis de façon résiduelle, à l’égard des tâches dites ingra-tes30 ! rattachant par là la collaboration à l’obligation d’assistance mise à la charge des époux). Le devoir de collaboration s’est ensuite étendu à la catégorie des contrats d’intérêt commun. Cela s’explique par leur objet qui comporte de façon sous-jacente un animus cooperandi. Il en va notamment ainsi des contrats de travail, d’édition, de franchise, de concession, de distribution sélective, de sous-traitance, d’affacturage, de mandat d’intérêt commun, de louage d’ouvrage, de location-gérance, d’informa-tique… 31. La jurisprudence a d’ailleurs considéré de longue date, qu’il repose

24 Pour cette raison nous n’entrerons pas dans cette distinction, car elle ne présente pas d’intérêt pour notre étude. 25 V. not. M. Fabre-Magnan, Les obligations, 1- Contrat et engagement unilatéral, P.U.F., 2008, n° 37 ; J. Mestre, « D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration », RTD civ. 1986, obs. pp. 100-102 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 10e éd., 2009, nos 43 et 441. 26 Le devoir de collaboration relève de la catégorie des « devoirs généraux » des Principes du droit euro-péen du contrat, V. Art. 1 : 102 et 1 : 107. V. également art. 5.3 (devoir de collaboration), Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, Rome, 1994. 27 V. : Y. Guyon, J.-Cl. Sociétés, fasc. 20-10 ; J. Hamel, « L’affectio societatis », RTD civ. 1925, p. 50. 28 C. civ., art. 1844-7. 29 CA Toulouse, 15 nov. 2001 (la non-collaboration d'une épouse d'agriculteur aux travaux de la ferme n'est pas une cause de divorce), AJF 2002, p. 226. 30 CA Pau, 29 mars 2004 (faute de l’épouse ayant cantonné son mari dans les tâches ingrates, faisant le choix prioritairement d'activités sportives ou ludiques), JurisData n° 2004-240197. 31 V. : F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. nos 911 à 968 ; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, op. cit., nos 78 et 441.

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également sur le client32. Elle va même parfois jusqu’à forcer le devoir de collabora-tion, en reconnaissant l’existence d’un « devoir d’ingérence dans les affaires d’au-trui »33.

7. Clauses de collaboration. Dans les contrats de services, les parties peu-vent insérer une clause de collaboration qui a vertu à s’appliquer avant la survenance du terme du contrat, afin d’étudier une alternative en cas de refus de renouvellement. C’est une façon pour les parties de se ménager la preuve du caractère abusif de la rupture en cas de non-respect de la clause de collaboration34. À côté des clauses de non-concurrence devenues classiques, des aménagements contractuels d’un nouveau genre se développent dans les relations commerciales entre sociétés. Le secteur des nouvelles technologies reste le plus investi par cette pratique dite des clauses de non-sollicitation35. Elles constituent également une for-me de collaboration des entreprises, par abstention.

8. Contrats de collaboration. Enfin, à côté des contrats qui sont assortis d’un devoir de collaboration marqué, il existe des contrats dont l’objet même porte sur la collaboration. Il en va ainsi du contrat de collaboration professionnelle36. Dans le domaine des activités commerciales, ce sont les accords dits de coopération com-merciale qui se développent37. Le droit spécial des sociétés connaît une technique d’associations d’entreprises (joint ventures) en vue de prendre certaines décisions38. Dans une autre mesure, une forme particulière de société s’est développée dans les secteurs de l’agriculture, de l’artisanat et maritime, dénommée société de coopéra-tion39. S’agissant plus spécifiquement des entreprises de production, la pratique témoigne d’une volonté accrue de mutualisation du travail qui se concrétise par la formation 32 Dans ses rapports avec : un tailleur (T. civ. Bordeaux, 4 nov. 1908, DP 1910, 5e partie, p. 19), un éditeur (R. Demogue, op. cit., n° 16, p. 34), un teinturier (Cass. 1ère civ., 11 mai 1966, Bull. civ. I, n° 281), un fournisseur informatique (Cass. com., 8 juin 1979, Bull. civ. IV, n° 186 ; CA Chambéry, 30 avril 2002, Légifrance, n° de RG : 1999/02007), un établissement bancaire (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2009, Bull. civ. I, n° 36). 33 D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », in L’avenir du droit. Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz, P.U.F., J.-Cl., 1999, p. 603, spéc. n° 16, p. 619. V. également Y. Picod, « L'obligation de coopération dans l'exécution du contrat », JCP G 1988, I, 3318. 34 V. CA Paris, 31 janv. 2007 (contrat de location-gérance), JurisData n° 2007-340195. 35 Ces stipulations permettent aux sociétés commerciales de se protéger des départs de salariés d’une société à l’autre, lorsqu’elles sont en rapport d’affaires. Pour l’illustration de la sanction d’un non-respect : CA Lyon, 12 juill. 2005 (société d’informatique condamnée à verser à l’entreprise collaboratrice une indemnité), JCP E 2006, 1609, note Ph. Stoffel-Munck. 36 Ce contrat organise la mise à disposition, par un professionnel libéral, au profit d’un collaborateur, de sa clientèle, de ses locaux, de son matériel… en contrepartie d’une rétrocession d’honoraires. Plus large-ment pour des réflexions sur les différents contrats de collaboration libérale, V. : J.-Y. Mazan, R. Samson, « Congrès des notaires 2009. Entretien avec la 3e Commission », RLDA 2009, n° 37. 37 V. : B. Laborrier, « Accords de coopération commerciale », J.-Cl. Contrats-Distribution, fasc. 1100. Sur le rapprochement entre les accords et la notion civiliste contrat, V. : V. Pironon, Droit de la concur-rence, Gualino, 2009, spéc. nos 103 à 107. 38 Pour une étude complète, approfondie et comparée, V. : V. Pironon, Les joint ventures. Contribution à l’étude juridique d’un instrument de coopération internationale, préf. Ph. Fouchard, Dalloz, Nouv. Bilbl. de Thèses, vol. 37, 2004. 39 V. la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, JORF 1947, p. 9088 et la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 relative à la mise en œuvre des dispositions communautaires concer-nant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, JORF n° 26 du 31 janvier 2008, p. 1808.

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de contrats dits de coopération40. Organisant la mise en place de réseaux, ils sont particulièrement adaptés aux relations qui s’internationalisent41. La collaboration interentreprises y est à la fois un moyen - pour tenter d’optimiser le développement de produits ou de marchés - et un but - en mutualisant le coût des investissements dans les recherches42. Le domaine spécifique du droit rural connaît également une catégorie de contrats visant à organiser la collaboration, mais de façon plus dévelop-pée que dans les contrats de coopération43, car elle se matérialise par la mise en place d’une unité économique, obéissant à une hiérarchie interentreprises44. Ces contrats dits d’intégration ont évolué avec l’industrialisation du secteur de l’agro-alimentaire. Ils sont désormais une nécessité pour les exploitants agricoles, plus qu’un choix délibéré45. Ils connaissent par ailleurs des extensions, notamment dans le domaine de l’informatique. Les prestataires y ont recours à l’occasion d’implanta-tions de systèmes dans les entreprises, car la collaboration y joue un rôle essentiel, conditionnant la bonne exécution de ces conventions46. Il reste enfin certains contrats dont l’objet est une collaboration désintéressée. La nature contractuelle de la collaboration n’est pas exclusive des activités économi-ques lucratives. Le contrat de volontariat qui porte sur l’exécution d’une mission par un volontaire, pour une association, sans contrepartie pécuniaire, en est l’illustration topique47. Enfin, rappelons la limite spécifique aux contrats interentreprises de collaboration : ils ne doivent pas avoir pour effet de soustraire à la concurrence les entreprises qui s’y prêtent48.

9. Œuvres de collaboration. Dans le domaine du droit d’auteur, l’œuvre de collaboration est sans doute celle qui fait produire les effets juridiques les plus contraignants aux personnes qui la créent : la jurisprudence reconnaît à la collabo-ration un caractère indivisible opposable à ses coauteurs, refusant d’y appliquer le droit commun de l’indivision49. À l’instar du contrat d’intégration50, l’œuvre de

40 Très utilisés par les compagnies d’assurances et les sociétés de transports maritimes, ils intéressent également aujourd’hui les entreprises industrielles, V. F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. n° 891. 41 V. D. Gibirila, « Groupes de sociétés », J.-Cl. Commercial, fasc. 1574 et plus largement, V. Pironon, Les joint ventures. Contribution à l’étude juridique d’un instrument de coopération internationale, op. cit. 42 F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. nos 889 à 902. 43 Sur cette distinction, V. C. Champaud, « Les méthodes des groupement des sociétés », RTD com. 1967, p. 1003. 44 F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., spéc. nos 903 à 924. 45 Plus généralement sur ce phénomène, V. : D. Gadbin, « Agriculture et droit européen des affaires : l’irréductible droit communautaire agricole », Dr. rur. 2009, n° 372, dossier 21. Ce phénomène est également suivi par le législateur, V. not. la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, portant création du fonds agricole, à l’instar du fonds de commerce. V. sur ce point : C. Le Petit-Lebon, « Fonds agricole et fonds de commerce. Examen comparé des deux institutions », Dr. rur. 2009, n° 369, dossier 4. Pour une réflexion visionnaire, V. : L. Lorvellec, « L’agriculteur sous contrat », in Le travail en perspective, A. Supiot (dir.), LGDJ 1998, p. 179. 46 V. not. : J. Besse, Ph. Debry, « Implantation d’un système d’information : conseils pour la rédaction du contrat d’intégration », RLDC 2009, n° 63, p. 7. 47 Loi n° 2005-159 du 23 février 2005, relative au contrat de volontariat de solidarité internationale, JORF du 24 février 2005. 48 Cela serait notamment contraire à l’art. 81 du Traité CE, préc. V. : CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08 et 20 novembre 2008, aff. C-209/07. 49 V. : C. Bernault, « Objet du droit d’auteur », J.-Cl. Propr. litt. et art., fasc. 1185, spéc. nos 14 à 67.

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collaboration peut instaurer une hiérarchie entre les auteurs, mais elle n’a aucune portée quant à la reconnaissance de l’existence d’une collaboration51.

10. Collaboration de fait. Le droit des sociétés, gouverné par l’affectio societatis52, est la branche du droit la plus encline à la collaboration de fait. Ses effets juridiques sont importants, puisqu’elle peut entraîner la reconnaissance d’une société créée de fait. Cette qualification ne peut être retenue pour les accords et contrats de collaboration dans lesquels les cocontractants restent indépendants53 et donc, à ce titre, s’ils partagent les bénéfices de la collaboration, ils n’en partagent pas les pertes. C’est notamment la caractérisation de ce dernier élément qui condi-tionnera la reconnaissance d’une société créée de fait54. En droit de la concurrence, au-delà des agissements sanctionnés au titre des enten-tes55, la coopération des entreprises peut s’inscrire dans le cadre de la procédure d’inspiration communautaire, dite de "clémence"56. Dans le contexte de l’examen d’ententes, la collaboration des entreprises avec la Commission peut faire droit à une réduction des amendes encourues par les entreprises mises en cause57. En droit de la famille, la collaboration de fait produit également des effets juridi-ques. La jurisprudence a établi que la collaboration des époux reporte la dissolution de la communauté de vie, même lorsqu’ils ont cessé toute cohabitation58. Dans une autre mesure, lorsque l’un des époux a collaboré au travail de l’autre pendant le mariage, il est en droit d’obtenir une indemnisation en cas de divorce59. Ce raisonne-ment est appliqué plus strictement aux concubins : il est conditionné à la preuve d’un appauvrissement de l’un, au profit de l’enrichissement de l’autre60. Enfin, la loi fait également produire des effets à la collaboration de fait des descendants des exploitants agricoles61.

2. Enseignements liminaires

11. Il résulte de ce rapide tour d’horizon que tout rapport à l’autre par l’outil d’un contrat est la marque première de la collaboration. Dès lors, elle rayonne dans une grande partie de la sphère juridique sous différentes formes, de façon plus ou moins marquée, plus ou moins récente… Malgré ces disparités, la notion de collabo-ration incarne en réalité une même philosophie, véhicule un esprit commun, rattaché à la bonne foi et à la loyauté. La collaboration y prend au mieux la forme d’un travail en commun, d’une coordination, d’une concertation, d’une interaction entre ceux qui y participent. Les parties concourent à une tâche commune, l’objet même

50 V. infra. 51 C. Bernault, préc., spéc. n° 25. 52 V. infra. 53 V. les contrats de collaboration exposés précédemment. 54 Cass. 1ère civ., 3 déc. 2008, Légifrance, pourvoi n° 07-13.043. 55 V. infra, n° 19. 56 Plus largement, cf. V. Pironon, Droit de la concurrence, op. cit., spéc. nos 297 à 299. 57 V. not. : TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission. Pour une appréciation criti-que de cette procédure, V. : A. Nieto Martin, « Américanisation ou européanisation du droit pénal économique ? », Rev. de sciences crim. 2006, p. 767. 58 Cass. 1ère civ., 19 mars 2008, Légifrance, pourvoi n° 07-16.477. 59 Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, Légifrance, pourvoi n° 04-14.265. 60 Cass. 3ème civ., 9 nov. 2005, Légifrance, pourvoi n° 03-21.076. 61 C. rur., art. L. 321-13.

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du contrat est d’œuvrer ensemble. Elles s’unissent dans le but de la réalisation d’une communauté d’intérêts, somme des intérêts personnels des cocontractants. En revanche, la collaboration reste dénuée de portée au-delà des seuls rapports au sein desquels elle s’applique. La collaboration est le fait de ceux qui la souhaitent. De façon sous-jacente - et à des degrés différents -, la collaboration est le fait de ceux qui souhaitent s’engager. C’est le plus souvent l’intérêt personnel qui anime les cocontractants à collaborer, à dessein d’en tirer profit. Dans une autre mesure on peut considérer que c’est l’intérêt du contrat, de sa survie, qui impose aux cocon-tractants de collaborer62. La collaboration « forcée » prend alors la forme d’une certaine solidarité, dans l’intérêt social63. Il en va de même pour les obligations de collaboration qui ne touchent pas directe-ment à la sécurité des produits64. Toutefois, en matière de sécurité des produits, cela ne reflète qu’un des différents aspects que recouvre l’obligation de collaboration. À cet endroit, la doctrine fait parfois référence aux obligations de « notification » ou de « signalement » des entreprises. En réalité, l’esprit et la lettre des textes vont plus loin que cela. Ils traduisent une nouvelle façon d’appréhender la responsabilité, une approche plus adaptée aux réalités économiques modernes. Via une impulsion com-munautaire, la responsabilité se pense et se construit dans une dimension collective. Dans le domaine de la sécurité des produits, l’obligation de collaboration des entreprises en est l’expression la plus aboutie.

B. Réception spéciale de la notion de collaboration en matière de sécurité des produits

12. Les interventions législatives et réglementaires se multiplient en matière

de sécurité des produits. Les textes communautaires renouvellent notre droit interne en la matière, qui sans cesse doit continuer à s’adapter aux exigences justifiées par le souci d’harmonisation des régimes des États membres. Le principe de la libre circu-lation des marchandises n’y est pas sacrifié, mais il est dorénavant indissociable de l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. Sur ce dernier point, les exigences en matière de sécurité des produits se font plus strictes, les contrôles se sont étendus et renforcés. Toutes les étapes - et tous les acteurs - de la chaîne de vie d’un produit sont concernées : conception, fabrication, distribution, vente, transport, stockage, recyclage… Toutes les entreprises doivent répondre de la sécurité des produits mis sur le marché. Le législateur ayant sans doute été contraint de renforcer ses exigences suite à l’apparition de nouveaux dommages, notamment

62 V. notamment sur le fondement du déséquilibre contractuel, qui sous certaines conditions, peut en-traîner une obligation de renégocier le contrat : CA Nancy, 26 sept. 2007, RLDC 2008, n° 2969, note O. Cachard et de façon implicite, Cass. 1ère civ., 16 mars 2004, Bull. civ. I, n° 86, D. 2004, p. 1754, note D. Mazeaud. 63 V. : R. Demogue, op. cit. spéc. n° 12, pp. 17 et 18. De façon plus contemporaine, V. : Ch. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 441 ; D. Mazeaud, préc. ; M. Mignot, « De la solidarité en général, et du solidarisme en particulier ou le solidarisme contractuel a-t-il un rapport avec la solidarité ? », RRJ 2004/4, p. 2153 ; C. Thibierge-Guelfucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », RTD civ. 1997, p. 357. 64 Règl. n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classifi-cation, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) 1907/2006, JOUE n° L 353 du 31 décembre 2008.

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sériels, un phénomène nouveau apparaît au sein de ce tableau. Il tend à ne plus considérer les différents acteurs séparément, chacun dans leurs sphères spécifiques. Des mécanismes de responsabilités solidaires ont notamment vu le jour. Mais aujourd’hui ce phénomène n’est plus cantonné au seul domaine de la réparation des dommages. Il apparaît beaucoup plus en amont, à la fois au niveau de la prévention des risques et le cas échéant, au niveau de la gestion des crises. Il se manifeste au travers de l’obligation de collaboration des entreprises dans la mesure de leurs filières respectives.

13. L’obligation de collaboration des entreprises est relativement récente dans le domaine de la sécurité des produits. Par exemple, elle n’existait pas encore lors de l’adoption de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux en 198565. Consacrée par la directive relative à la sécurité générale des produits66, elle ne cesse depuis de ressortir de nombreux textes communautaires. Traditionnellement, les entreprises sont tenues de se soumettre aux autorités publi-ques. Or, sur ce point, l’obligation de collaboration dépasse cette approche. L’objet de la collaboration est en effet tourné à la fois vers les entreprises - par branches d’activités - et vers les autorités publiques. L’approche classique à l’égard de ces dernières demeure mais dorénavant les entreprises sont plus étroitement associées à la mise en œuvre des mesures nécessaires à la prévention des risques et à la gestion des crises. C’est sur ce point que l’obligation de collaboration des entreprises est intéressante, car si elle n’est pas nouvelle dans sa dénomination, elle l’est dans son contenu.

14. Nous venons de constater que jusqu’à présent, la collaboration n’était envisagée dans le langage juridique que sous l’angle de la participation à une œuvre commune67. Or désormais, appliquée aux entreprises, l’obligation de collaboration tend à participer à l’intérêt général communautaire. Il n’est pas personnel aux entreprises, puisque c’est celui d’assurer un niveau élevé de la protection de la vie et de la santé humaines. Les entreprises deviennent gardiennes d’un système, à l’instar de l’image du rôle traditionnellement dévolu à l’État68. Il reste que si dans une certaine mesure elle est une expression de l’obligation d’information, elle en consti-tue pour l’essentiel de ses manifestations, un dépassement. II. Obligation de collaboration et renouveau du droit de la responsabilité Bien plus qu’un standard de comportement, la collaboration des entreprises s’inscrit dans l’obligation générale de prudence, à la fois dans le domaine de la prévention - et dans une moindre mesure, dans le domaine de la précaution69. Dans les textes communautaires, l’obligation de collaboration des entreprises y est en effet fonction

65 Dir. n° 85/374, préc. 66 Dir. n° 2001/95, préc. 67 V. infra, n° 13. 68 Plus largement sur ce point, V. M.-A. Frison-Roche, « La prise en charge par le droit des systèmes à risques », in Le droit face à l’exigence contemporaine de sécurité, Actes du colloque de la faculté de droit d’Aix-Marseille (11-12 mai 2000), P.U.A.M., 2000, spéc. pp. 263-264, n° 18. 69 V. F. Collart Dutilleul, L. Lorvellec, préc.

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de la nature des risques, selon qu’ils sont avérés ou suspectés70. De façon novatrice, la collaboration des entreprises s’applique également en cas de gestion d’une crise. Le renouveau du droit de la responsabilité passe par cette approche collective des risques en amont du dommage et le cas échéant, dans la phase de gestion d’une crise (A). Enfin, d’autres obligations communautaires participant du même phénomène de renouveau de la responsabilité, confortent l’assise de l’obligation de collaboration des entreprises et par là, marquent l’approche désormais collective de la responsa-bilité (B).

A. Collaboration des entreprises de la prévention des risques à la gestion des crises

L’obligation de collaboration des entreprises recouvre deux situations régies par deux types de règles : celles qui s’appliquent afin d’éviter la réalisation d’un risque et celles qui doivent être mises en œuvre lorsqu’un risque s’est réalisé. Par ailleurs, elle se traduit concrètement de deux façons. Dans la première hypothèse, elle est mise à la charge des entreprises, envers d’autres entreprises relevant de la même filière (1). La seconde situation touche à l’obligation de collaboration des entrepri-ses, mais cette fois envers les autorités publiques (2). Il reste à s’interroger sur l’efficacité de cette obligation. Cela passe par l’examen de son environnement juridique et en outre, par l’étude des sanctions susceptibles d’en assortir les divers manquements (3).

1. Obligation de collaboration interentreprises

15. La directive de 2001 relative à la sécurité générale des produits impose une obligation de collaboration à la charge des distributeurs, envers les producteurs : « dans les limites de leurs activités respectives, [ils] participent au suivi de la sécuri-té des produits mis sur le marché, (…) par la collaboration aux actions engagées par les producteurs (…). Dans les limites de leurs activités respectives, ils prennent les mesures qui leur permettent une collaboration efficace »71. On la retrouve également dans divers textes spéciaux72. Il en ressort tout d’abord que l’obligation de collaboration interentreprises est circonscrite au contexte particulier de la prévention des risques des produits mis sur le marché. Ensuite, nous observons qu’elle revêt une double dimension. Les distri-buteurs doivent collaborer aux actions existantes, mises en œuvre par les producteurs. De façon plus active, ils sont également tenus d’initier les mesures leur

70 Sur ces qualifications, V. l’échelle des risques établie par les Professeurs Collart Dutilleul et Lorvellec, qui distingue les risques « réalisés » (principe de réparation), les risques « avérés » (principe de préven-tion), les risques « suspectés » (principe de précaution) et enfin, les risques du développement (principe d’exonération), in F. Collart Dutilleul, L. Lorvellec, « Principe de précaution et responsabilité dans le secteur alimentaire », in Écrits de droit rural et agroalimentaire de L. Lorvellec, L. Bodiguel, F. Collart Dutilleul (sous la dir. de), Dalloz, 2002, pp. 445 et s. 71 Art. 5§2, dir. n° 2001/95, préc. 72Dont : denrées alimentaires (règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §2) ; médicaments (dir. n° 2001/83, art. 80§d) ; produits cosmétiques [COM (2008) 49 final, préc., art. 6§3 (1) et 10§1] ; les OGM (règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3) ; résidus de pesticides dans l’alimentation (règl. n° 396/2005, art. 38§1) ; déchets (dir. n° 2008/98, préc., consid. 32 et art. 16§1)...

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permettant une collaboration efficace73. En pratique cela doit se traduire dans un premier temps par l’instauration de « dialogues » interentreprises74. Ils sont un préa-lable à la mise en œuvre d’actions communes afin de prévenir la réalisation de risques. Précisons enfin que selon la directive n° 2001/95, seules les entreprises de distribu-tion75 sont expressément débitrices de cette obligation. Partant, les entreprises de production - qui comprennent également les entreprises importatrices76 - n’y sont pas soumises77. En revanche, elles sont toutes sous l’empire de l’obligation de collaboration envers les autorités publiques.

2. Obligation de collaboration des entreprises envers les autorités publiques

16. Avant la transposition de la directive n° 2001/95 dans les droits internes, la jurisprudence communautaire reconnaissait déjà la possibilité offerte aux États membres d’imposer des obligations de collaboration aux entreprises à l’égard des autorités compétentes78. Une obligation de collaboration des entreprises envers les autorités publiques a ensuite été consacrée par la directive n° 2001/95/CE. Ce texte communautaire met cette fois à la charge tant des distributeurs79 que des produc-teurs80 - dont les importateurs81 - une obligation de collaboration envers les actions déjà engagées par les autorités compétentes, mais uniquement à la demande de ces dernières. Dans ce contexte, la mise en œuvre de l’obligation de collaboration vise à prévenir la réalisation des risques. Dans une autre mesure, lorsque les mesures préventives se sont révélées insuffisan-tes, c’est-à-dire en cas de réalisation d’un risque, la directive n° 2001/95 impose aux producteurs et distributeurs qui savent ou auraient dû savoir, « sur la base des informations en leur possession et en tant que professionnels, qu'un produit qu'ils ont mis sur le marché présente pour le consommateur des risques incompatibles avec l'obligation générale de sécurité, [d’en] informe[r] immédiatement les autorités compétentes des États membres (…), en précisant notamment les actions engagées afin de prévenir les risques pour les consommateurs »82. Les entreprises doivent simultanément prendre les mesures qui s’imposent en cas de risque avéré pour

73 Sécurité générale des produits, V. dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§3 ; produits médicamenteux, dir. n° 2001/83, préc., art. 80 §d ; produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, préc., art. 5§2, 3 et 6§3(2) et 5 ; produits alimentaires, règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1, 2, 4 et 20§1, 2 et 4. De façon implicite, V. OGM, règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3. 74 Dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§4. 75 C’est-à-dire : « tout professionnel de la chaîne de commercialisation dont l'activité n'a pas d'incidence sur les caractéristiques de sécurité du produit », dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 2§f. 76 Dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 2§e-ii). 77 La dir. n° 2001/95/CE, préc., impose aux producteurs d’engager toute action opportune pour éviter les risques, à leur initiative ou à la demande des autorités compétentes, mais le texte n’évoque pas d’obliga-tion de collaboration à leur charge à cet endroit, V. art. 5§1. 78 Ainsi, la CJCE a considéré que l’importateur pouvait être soumis à une obligation de collaboration en-vers les autorités compétentes, en vue d’éviter que des accidents ne se répètent, V. pour une application à des machines importées en France en 1995 : V. CJCE, 8 septembre 2005, aff. C-40/04, spéc. consid. 52. 79 Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§2 et §4. 80 Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§4. 81 Dir. n° 2001/95, préc., art. 2§e-ii). 82 Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§3 al. 1.

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prévenir de nouvelles réalisations du risque et en informer les autorités compétentes, par la transmission des informations et documentations nécessaires83. De façon inédite, le règlement régissant les denrées alimentaires étend l’obligation « classique » de collaboration – celle examinée dans les régimes précédemment évo-qués -, des risques avérés jusqu’aux risques suspectés. Le cas échéant, les exploi-tants doivent informer les autorités compétentes de la suspicion d’un risque et si cela se révèle nécessaire, des mesures prises pour y parer84. Ces différentes hypothèses relèvent de la procédure dite de « gestion des risques ». Elle se décompose en un ou deux temps, au cours desquels l’obligation de collabora-tion revêt des formes différentes. En premier lieu, la mise en œuvre de l’obligation de collaboration par les entreprises doit se manifester par l’information de la réali-sation d’un risque auprès des autorités compétentes85. Si nécessaire, la seconde forme de l’obligation de collaboration, simultanée à la précédente, est celle de la participation aux actions engagées - pour parer aux conséquences du risque réalisé - ou la mise en œuvre d’actions - si cela n’a pas été fait par d’autres entreprises ou les autorités compétentes -86. En pratique, il ressort des différentes prescriptions qu’en fonction de la nature des produits litigieux, l’obligation de collaboration des entre-prises peut s’étendre de la simple adoption de mesures correctives, jusqu’au rappel des produits voire leur retrait et éventuellement, leur destruction87.

3. Sanction des manquements à la collaboration

17. Après avoir étudié dans quelle mesure l’obligation de collaboration pourra concrètement être mise en œuvre par les entreprises, il convient d’en recher-cher l’efficacité. Or sur ce point, l’analyse est prospective car aucun des textes communautaires régissant cette obligation ne l’assortit d’une sanction. Par ailleurs, la jurisprudence rendue en la matière est encore trop peu abondante88. En tout état de cause, les sanctions envisageables en cas de manquement à l’obligation de collabo-ration relèvent de différents ordres de responsabilité. La responsabilité administrative des entreprises publiques pourra être engagée89 - à l’instar de celle de l’État -, en imaginant un manquement à l’invitation à la collabo-ration, en période de gestion d’une crise, ou encore en cas d’excès de pouvoir ou de rupture dans l’égalité de traitement à l’égard des charges publiques, qui aurait pu pénaliser une entreprise (publique, comme privée). Les difficultés en la matière res-tent classiques et touchent aux preuves à rapporter pour caractériser la faute de

83 Denrées alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1 et 2, 20 §3 et 4 ; produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 6§3 (1) ; OGM : règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3. 84 Règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §3. V. également C.N.A., Avis n° 48, préc., point 4.3.2, invitant les entreprises d’un même secteur à saisir l’autorité scientifique compétente préalablement à toute action pa-raît être la décision la plus raisonnable. 85 Sécurité des produits : dir. n° 2001/95, préc., art. 5§3 ; produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 5§2, 3 et 6§3(2) et 5 ; produits alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1, 2, 4 et 20§1, 2 et 4. De façon implicite, V. OGM : règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3. 86 Sécurité des produits, dir. n° 2001/95, préc., art. 5§3 ; produits médicamenteux, dir. n° 2001/83, art. 80 §d ; produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, préc., art. 5§2, 3 et 6§3(2) et 5 ; produits alimentaires, règl. n° 178/2002, préc., art. 19 §1, 2, 4 et 20§1, 2 et 4. De façon implicite, V. OGM, règl. n° 1829/2003, préc., art. 9§3 et 21§3. 87 Règl. n° 178/20002, préc., art. 20 §1. 88 V. jurispr. infra, n° 18. 89 Produits alimentaires par exemple, V. règl. n° 178/2002, préc., art. 3§2 et 5.

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l’État, car il est peu plausible d’envisager l’application d’une présomption dans ce domaine. En pratique, ce sont essentiellement les administrations de contrôle qui pourront réagir les premières et condamner celles qui sont concernées par des man-quements à leur obligation de collaboration (DDCCRF, Services vétérinaires…). Dans le champ pénal, le chef d’entreprise supporte une présomption de responsabi-lité pénale. Seule une délégation de ses pouvoirs, à l’un de ses salariés, respectant de strictes conditions (compétence ; moyens mis à disposition ; autorité y afférente) peut lui permettre de ne pas être directement concerné par les poursuites. Toutefois, il n’existe pas d’infractions spécifiques à la collaboration. À l’égard des infractionsn « classiques », celles des fraudes et falsifications sont les plus recensées90, mais c’est l’infraction plus contemporaine de « mise en danger d’autrui » qui paraît la plus indiquée pour caractériser un manquement à l’obligation de collaboration de la part d’une entreprise, dans le domaine de la sécurité des produits91. À l’égard des infractions prévues par le Code de la consommation en matière de sécurité des produits, il est intéressant de relever une procédure particulière, qui autorise l’autorité administrative compétente en matière de concurrence et consom-mation, après accord du Procureur de la République, de proposer un règlement tran-sactionnel aux auteurs de l’infraction92. Gage de célérité dans l’exécution des con-damnations, cet acte permet également de répondre de façon plus adaptée aux situations d’urgence et de gestion de crises. En droit de la responsabilité civile, c’est sans doute le fondement de la faute qui sera le plus efficace pour sanctionner les manquements des entreprises à leur obligation de collaboration93. Cela fait d’autant plus ressortir la nécessité impérieuse pour les entreprises de se ménager des éléments de preuve, tant dans les phases de prévention des risques que de gestion des crises (information, mesures engagées, participation aux mesures existantes, rappels, retraits… ). Les actions des entreprises victimes ne seront par ailleurs recevables que dans la limite du caractère réparable du dommage subi. Soulignons sur ce point que nous ne serions pas loin, en matière de collabo-ration, du préjudice économique pur94. Or, il n’a pas encore été accueilli par la jurisprudence française. Le droit de la concurrence viendra utilement sanctionner toutes pratiques commer-ciales entravant voire sanctionnant indirectement la collaboration des entreprises dans la prévention des risques mais surtout, dans la phase de gestion d’une crise95. Les intérêts économiques et les images des entreprises étant des enjeux importants, ils pourraient également inspirer des actes de concurrence déloyale96. Enfin, de façon indirecte, les États membres restent libres de conditionner les alloca-tions de subventions ou les exonérations de taxes sur les produits à la bonne

90 Pour la tromperie : C. consom., art. L. 213-1 à L. 213-2-1 ; pour les falsifications : C. consom., art. L. 213-3 et L. 213-4. 91 C. pén., art. L. 223-1 et L. 223-2. 92 Plus largement sur ce point, V. Lamy Dehove 2011, n° 110-155. 93 C. civ., art. 1382 et 1383. 94 Il est constitué par « l’atteinte portée à l’activité économique d’une personne physique ou morale, c’est-à-dire à l’activité génératrice de revenus qu’elle mène », in F. Bélot, « Pour une reconnaissance de la no-tion de préjudice économique en droit français », Petites aff. 2005, n° 258, p. 8. 95 Nous pouvons penser aux pratiques anti-concurrentielles, sanctionnées au travers des ententes et des abus de puissance économique. V. notamment : V. Pironon, Droit de la concurrence, op. cit., spéc. nos 96 à 236. 96 Parmi lesquels le parasitisme et le dénigrement, V. notamment : V. Pironon, Droit de la concurrence, op. cit., spéc. nos 666 à 680.

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exécution de l’obligation de collaboration des entreprises. Ils peuvent le faire en amont - dans le cadre de la prévention des risques - ou a posteriori - après des manquements en période de gestion de crise par exemple. À notre connaissance, aucune disposition ne s’inscrit encore en ce sens, mais cela n’en reste pas moins envisageable dans la mesure où cela existe déjà à l’égard d’autres obligations97. Le droit des assurances est également convoqué à l’endroit de la collaboration des entreprises. Reste alors à s’interroger sur la nature des risques couverts. Le principe étant celui de l’exclusion de la faute intentionnelle, pour absence d’aléa, le manque-ment délibéré d’une entreprise à son obligation de collaboration ne sera alors pas couvert. Seule la police responsabilité civile et risques professionnels remplira son office pour les autres délits civils qui pourraient toucher à la collaboration des entre-prises. Il reste qu’en réalité, l’efficacité de l’obligation de collaboration des entreprises ne se mesure pas tant à l’aune des sanctions encourues qu’à la lumière d’autres obligations qui pèsent sur les entreprises et qui participent à son soutien.

B. Soutien de la collaboration des entreprises à la sécurité des produits par de nouvelles obligations

Les obligations qui viennent soutenir la mise en œuvre de l’obligation de collabo-ration des entreprises sont également pour l’essentiel, d’origine communautaire. Intrinsèquement liées ou utiles les unes aux autres, elles ont trait à l’autocontrôle, à la traçabilité, au suivi des produits, à leur retrait et/ou à leur rappel ou de façon plus classique, à la loyauté. Elles s’inscrivent dans le même esprit d’approche collective de la responsabilité et à ce titre, participent aussi à son renouveau.

18. En premier lieu, une autre obligation imposée aux entreprises par le droit communautaire, elle-même relativement récente98, l’obligation dite « d’autocon-trôle », participe à soutenir l’obligation de collaboration des entreprises à la sécurité des produits. Rayonnant comme cette dernière, au niveau de la prévention des risques, la directive n° 2001/95 la définit comme étant pour les distributeurs, le fait de ne pas fournir de produits « dont ils savent ou auraient dû estimer, sur la base des informations en leur possession et en tant que professionnels, qu'ils ne satisfont pas [aux] obligations [de sécurité] »99. On retrouve cette obligation d’autocontrôle par-fois élargie dans son objet (sécurité et conformité des produits) et quant aux

97 V. notamment les droits à paiement unique, V. : F. Collart Dutilleul, « La nature juridique des droits à paiement unique », Rev. dr. rur. 2005, p. 334. 98 En effet, jusqu’aux années 2000, ni les textes ni la jurisprudence ne mettaient cette obligation à la charge des distributeurs, dès l’instant où les produits mis en circulation avaient satisfait à des contrôles par les autorités publiques ou à des certifications de conformité à la sécurité par des autorités compéten-tes. La CJCE, interrogée sur ce point à plusieurs reprises, a toujours considéré que les législations nationales ne peuvent imposer aux importateurs dans un Etat membre de produits fabriqués dans un autre Etat membre de veiller à ce que les produits répondent aux exigences essentielles de sécurité lorsqu’ils sont marqués CE et sont accompagnés d’une déclaration CE de conformité. Pour une application à des machines soumises à la dir. n° 98/37, V. CJCE, 8 septembre 2005, aff. C-40/04, spéc. consid. 46, 53 et 61 (2). À l’inverse, la Cour de cassation avait sanctionné des manquements à l’obligation d’autocontrôle, avant même qu’ils n’aient une base légale, au travers de l’infraction de tromperie. V. Cass. crim., 12 juin 2001, Légifrance, pourvoi n° 00-84.713 ; Cass. crim., 7 mars 1994, Légifrance, pourvoi n° 93-82.451. 99 Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§2.

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entreprises concernées (importateurs notamment) dans divers textes spéciaux100. En pratique, les entreprises devront mettre en œuvre leurs propres contrôles et se doter de systèmes de conservation de la réalisation de cette procédure. Cela leur permet de se ménager la preuve de la bonne exécution de cette obligation, visant à assurer la conformité des produits aux exigences de sécurité. Dans le silence des textes, l’obligation d’autocontrôle paraît circonscrite aux activités respectives de chacune des entreprises101. Le souci communautaire d’asseoir une juste répartition des ris-ques102 commande de ne pas faire peser sur une entreprise, le contrôle de toute la chaîne d’un produit. Dès lors, chaque entreprise ne doit se soumettre au contrôle de la sécurité et/ou de la conformité des produits, qu’à l’égard de l’entreprise avec laquelle elle traite directement en amont, par exemple celle de laquelle elle reçoit un produit, un composant, à fabriquer, à transformer, à distribuer… La portée de l’obli-gation d’autocontrôle doit être relativisée, car les remarques précédentes semblent être conditionnées à l’existence d’un texte imposant expressément aux entreprises une obligation d’autocontrôle de leurs produits103. Quoi qu’il en soit, nous pointons ici encore, de façon sous-jacente, une manifestation de l’obligation de collaboration interentreprises, en vue de renforcer la sécurité des produits104.

19. L’obligation de traçabilité des produits qui doit être mise en œuvre pour prévenir les risques, permettra en cas de réalisation d’un dommage, de désigner plus rapidement et plus facilement, les entreprises soumises à l’obligation de colla-boration pour y parer. Elle est ainsi étroitement liée aux obligations de retrait et/ou de rappel des produits105. La directive relative à la sécurité générale des produits impose aux distributeurs de participer « dans les limites de leurs activités respectives, (…) au suivi de la sécurité des produits mis sur le marché, en particulier (…) par la tenue et la fourniture des documents nécessaires pour tracer l'origine des produits »106. Elle instaure ainsi une obligation de traçabilité, destinée à s’appliquer à l’égard de tous les produits qui entrent dans le champ d’application de la directive n° 2001/95107. Elle est désormais reprise dans différents textes spéciaux108. Toutefois, seule la législation communau-

100 L’obligation d’autocontrôle, qui fait partie de la « nouvelle approche intégrée » en droit de l’alimen-tation (V. plus largement : C.N.A., Avis n° 48, préc., point 4.2.), voit son objet élargi – par rapport aux autres textes communautaires - (autocontrôle de la sécurité et autocontrôle de la conformité), V. règl. 178/2002, préc., art. 17 §1, 19§1 et 3, 20§1 et 3 et consid. 30 ; dans la législation régissant les produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 6§3 (1). 101 Dans le même sens, A. Soroste, « Les éclairages du CNA sur le règl. CE n° 178/2002 », Option qualité 2004, n° 231. 102 V. art. 7, dir. n° 85/374, préc. 103 Sur l’annulation d’injonctions de mise en place d’un dispositif d’autocontrôle par plusieurs DDCCRF, à l’égard de douze entreprises ayant acheté des semences OGM, V. C.E., 20 novembre 2002, Légifrance, décision n° 229017. 104 Plus largement voyez l’étude approfondie de M. Leon Guzman, L’obligation d’autocontrôle des entreprises en droit européen de la sécurité alimentaire, thèse, Nantes, 2010. 105 V. infra, n° 23. 106 Dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§2. 107 Dir. n° 2001/95, préc., art. 1§2 et 2§a. 108 Produits cosmétiques, COM (2008) 49 final, préc., art. 7 et consid. 12 ; OGM, règl. n° 1830/2003, préc., art. 3§3, 4 et 5 ; déchets, dir. n° 2008/98, préc., art. 17 (traçabilité limitée aux déchets dits « dan-gereux », mais la directive semble offrir une option aux Etats membres, pour mettre la traçabilité à la charge des entreprises ou l’assurer eux-mêmes).

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taire alimentaire l’a érigée en une « obligation générale »109. Par ailleurs, son objet est également plus étendu que dans les autres textes110. L’obligation de traçabilité mise en œuvre au stade de la prévention des risques renforce l’efficacité des mesures qui devraient être instaurées dans le cadre de la gestion d’une crise. L’intérêt individuel pour l’entreprise de cette obligation est indéniable, en ce qu’il assure une plus juste détermination des responsabilités. Mais dans ce prolongement, l’obligation de traçabilité n’en reste pas moins un outil au service de l’obligation de collaboration interentreprises.

20. L’obligation de suivi des produits, permet d’organiser la réactivité des entreprises en cas de manquement à la sécurité des produits. C’est la directive n° 2001/95 qui soumet les entreprises à cette obligation. Elle consiste en la mise en œuvre de systèmes leur permettant « d'être informé[e]s des risques que ces produits pourraient présenter », afin d’être en mesure d’engager toute action opportune pour éviter ces risques111. Elle a vocation à s’appliquer à de nombreux produits, même lorsqu’ils sont régis par des textes spéciaux112. Elle entretient d’étroits rapports avec l’obligation de collaboration des entreprises, car en cas de réalisation d’un risque, c’est elle qui va déterminer la mise en œuvre des mesures nécessaires et l’informa-tion des intéressés (entreprises de la filière concernée et autorités compétentes). En pratique, en fonction de la gravité du risque, elle peut être déterminante de l’enclen-chement d’une procédure de gestion de crise. Elle est dès lors, un précieux dispositif, notamment en présence de dommages sériels, car en pratique, c’est elle qui permettra de "lancer l’alerte".

21. Toujours au soutien de l’obligation de collaboration des entreprises, on peut évoquer, pendant la phase de gestion de la réalisation d’un risque, les oblig-ations de retrait113 et/ou de rappel114 des produits. Elles sont parfois assorties

109 Règl. n° 178/2002, préc. V. art. 18. À cet égard, V. également , C.N.A., Avis n° 48, préc., point 4.1. 110 Règl. n° 178/2002, préc., art. 3§15 qui fait référence à « la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution, le cheminement d'une denrée alimen-taire, d'un aliment pour animaux, d'un animal producteur de denrées alimentaires ou d'une substance destinée à être incorporée ou susceptible d'être incorporée dans une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux ». 111 Dir. n° 2001/95, préc., art. 5§1 al. 3. Concrètement, le législateur évoque : « a) l'indication, par le biais du produit ou de son emballage, de l'identité et des coordonnées du producteur ainsi que la référence du produit ou, le cas échéant, du lot de produits auquel il appartient, sauf dans les cas où l'omission de cette indication est justifiée, et b) dans tous les cas où cela est approprié, la réalisation d'essais par sondage sur les produits commercialisés, l'examen des réclamations et, le cas échéant, la tenue d'un registre de réclamations ainsi que l'information des distributeurs par le producteur sur le suivi de ces produits », art. 5§1 al. 4. 112 Rares sont les textes spéciaux qui reprennent une forme différente d’obligation de suivi des produits mais dans ces cas, elle est justifiée par la nature particulière des produits : pour les médicaments V. dir. n° 2001/83, préc., consid. 58 et plus largement, V. le règl. n° 726/2004, préc., art. 1 ; pour les déchets V. dir. n° 2008/98, préc., art. 23§1e) et f). 113 Le retrait d’un produit s’entend de « toute mesure visant à empêcher la distribution et l'exposition d'un produit dangereux ainsi que son offre au consommateur », V. dir. n° 2001/95, préc., art. 2§h. V. égale-ment, pour les produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 2§1q : « toute mesure destinée à prévenir la mise à disposition sur le marché d'un produit cosmétique dans la chaîne d'approvision-nement ». 114 Le rappel d’un produit se définit comme « toute mesure visant à obtenir le retour d'un produit dangereux que le producteur ou le distributeur a déjà fourni au consommateur ou mis à sa disposition »,

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d’une obligation d’information des consommateurs, portant sur les raisons de leur mise en œuvre115. Elles peuvent entraîner l’échange ou le remboursement des consommateurs lorsque c’est envisageable116. La directive relative à la sécurité générale des produits - entre autres - fait peser ces obligations sur les producteurs117. Elle précise par ailleurs que lorsque des mesures de rappel et/ou de retrait des produits sont initiées par les autorités compétentes, les entreprises doivent y collabo-rer118. Les liens entretenus par ces obligations sont ici manifestes. De toute évidence, l’efficacité de la mise en œuvre d’une procédure de rappel ou de retrait d’un produit en cas de réalisation d’un risque, lorsqu’elle est interentreprises, sera conditionnée par la mise en œuvre en amont, de l’obligation de traçabilité des produits119. Elle participe également à désigner avec précision les entreprises d’une filière qui seront soumises à l’obligation de collaboration dans le cadre de la gestion d’une crise120. Dans ces circonstances, l’obligation de collaboration des entreprises pourrait justi-fier la transmission d’informations afférentes à la mise en œuvre de l’obligation de traçabilité, alors même que l’entreprise n’est pas directement concernée121.

22. Enfin, de façon résiduelle, l’obligation de collaboration des entreprises est assortie d’une obligation de loyauté. Cela est notamment le cas dans la législation alimentaire, où le règlement n° 178/2002 dispose que tout exploitant se doit de « n'empêche[r] ni ne décourage[r] personne de coopérer avec les autorités compétentes, conformément aux législations et pratiques juridiques nationales, lors-que cela peut permettre de prévenir, réduire ou éliminer un risque provoqué par une denrée alimentaire »122. C’est plus largement le comportement de l’entreprise qui est visé par cette obligation spéciale de loyauté en matière alimentaire, mais on la retrouve par ailleurs depuis fort longtemps en droit civil contractuel123 et au travers de la pénalisation des fraudes et falsifications124. En pratique, les objectifs poursui-vis par ce comportement loyal qui doit encadrer l’obligation de collaboration des entreprises tendent à éviter toute pression sur une entreprise ou l’un de ses salariés, toute crainte de pertes économiques ou tout avantage concurrentiel125. L’obligation de loyauté permet ainsi de ne pas empêcher - ou détourner - toute forme de collaboration interentreprises pour prévenir les risques, dès lors que des intérêts touchant à la sécurité des produits sont concernés.

V. dir. n° 2001/95, préc., art. 2§g. V. également, pour les produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 2§1r. 115 Produits alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19§1, 2 et 20§1, 2. Pour une étude détaillée sur ce point, voy. H. Munoz Urena, Principe de transparence et information des consommateurs dans la législation alimentaire européenne, thèse, Nantes, 2010. 116 Dir. n° 2001/95/CE, préc., consid. 19. 117 Sécurité des produits : dir. n° 2001/95/CE, préc., art. 5§1b. V. également pour les : produits médicamenteux : dir. n° 2001/83, art. 80 §d ; produits cosmétiques : COM (2008) 49 final, préc., art. 25§1 et 26 ; produits alimentaires : règl. n° 178/2002, préc., art. 19§1, 2 et 20§1, 2 ; OGM : règl. n° 1830/2003, préc., art. 1. 118 Dir. n° 2001/95, préc., art. 18§1. 119 Sur ce point, V. not. le règl. n° 1830/2003, préc., consid. 3 et art. 1. V. également infra, n° 23. 120 Sur ce point, V. not. : COM (2008) 49 final, préc., consid. 12 ; règl. n° 178/2002, préc., consid. 28. 121 Pour une illustration à l’égard des entreprises relevant de la filière agroalimentaire, V. règl. n° 178/2002, préc., art. 19§2 et 20§2. 122 Règl. n° 178/2002, préc., art 19§3. V. également art. 20§3. 123 V. supra, n° 6. 124 V. supra, n° 19. 125 Plus largement sur ce point, V. C.N.A., Avis n° 48, préc., spéc. point 4.6.

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OUVERTURE

23. Au-delà des objectifs communautaires d’assurer un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines, d’assurer une juste répartition des risques, de garantir le principe de la libre circulation des marchandises, il faudra veiller à ce que l’obligation de collaboration des entreprises ne devienne pas un objet économique126, que le système ne se retourne pas contre lui-même. La colla-boration ne doit pas être « marchandisée ». L’intérêt général de sécurité ne doit pas être entravé par les entreprises versant naturellement dans les conflits d’intérêts. Malgré l’existence d’une obligation de loyauté qui leur est imposée, seules les autorités de contrôle seront les gardiennes de cette économie127, en veillant scrupu-leusement à ce qui s’apparente à une forme de pouvoir transféré par l’État. C’est à ce prix que la collaboration des entreprises sera efficace dans la prévention et la gestion des risques. Enfin, les différentes obligations instaurées par le droit communautaire à destination des entreprises ne sont pas exclusives du renouveau de la responsabilité. Le principe de précaution, à destination des États y prend également une part128. Régissant la sécurité des produits à l’endroit des risques suspectés129, il a sans doute vocation aujourd’hui à s’appliquer à l’ensemble des produits, même en l’absence de textes l’instaurant dans les droits spéciaux. Par ailleurs, de la même façon qu’en matière de gestion des risques avérés, les obligations relatives à la traçabilité et au suivi des produits permettront une mise en œuvre plus efficace, plus juste et mieux répartie de l’obligation de collaboration des entreprises avec les autorités compétentes, sur le point particulier des risques suspectés.

126 Sur ce phénomène, V. M.-A. Frison-Roche, préc., pp. 270-271, nos 38 à 40. 127 V. le Rapport des activités du système d’alerte rapide pour les produits de consommation non alimentaires (le RAPEX), à l’adresse http ://ec.europa.eu/consumers/safety/rapex/docs/rapex_annual report2009_fr.pdf. 128 Il est évoqué dans la directive relative à la sécurité générale des produits, bien qu’elle n’en porte aucune définition (dir. n° 85/374, préc.). Produits cosmétiques, V. COM (2008) 49 final, préc., consid. 36 ; OGM, V. règl. n° 1830/2003, préc., consid. 3 ; déchets, V. dir. n° 2008/98, préc., consid. 30. 129 V. règl. n° 178/2002, préc., V. supra. Plus largement sur ce point, V. F. Collart Dutilleul, L. Lorvellec, « Principe de précaution et responsabilité dans le secteur alimentaire », in Écrits de droit rural et agroalimentaire de L. Lorvellec, L. Bodiguel, F. Collart Dutilleul (dir. de), Dalloz, 2002, pp. 445 et s. ; G. Viney, Ph. Kourilsky, Le principe de précaution. Rapport remis au Premier ministre, éd. O. Jacob, La doc. fr., 2000.