regards sur les droites_n° 67

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  • 8/20/2019 Regards sur les droites_n° 67

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    l’édito

    d’ A lainBergounioux 

    Faire la guerre et préparer la paix 

    Le débat pour savoir si nous sommes précisément en « guerre » n’a qu’un intérêt limité.Des actes de guerre viennent d’être perpétrés et l’ont été depuis déjà de trop longues an-nées. Ce n’est pas une guerre étatique ancienne - même si « Daech » tente d’établir unEtat -, mais une guerre en morceaux qui a une dimension internationale évidente.Le Président et le gouvernement ont pleinement raison de nous demander d’en prendrela mesure. Car, nous connaissons un conit qui s’inscrit dans la durée - déjà plus dequinze ans… Le risque majeur est une montée aux extrêmes, au fur et à mesure que lesterroristes s’affaiblissent - la violence étant alors leur seule réponse.

    Ce qui est le plus alarmant, évidemment, c’est la culture de mort que porte le combat deDaech. Il se fait au nom d’une religion, l’islam - comme, dans le passé, d’autres ont pule faire -, mais cela pourrait être au nom de n’importe quelle cause. Nous ne sommes pasen face d’une « guerre de civilisations », mais d’une guerre contre la civilisation. C’estune forme de nihilisme qui se traduit par une haine du monde tel qu’il est et le méprisde la vie. La phrase de Daech « Nous aimons plus la mort que vous n’aimez la vie », suffitpour comprendre ce à quoi nous avons à faire.

    Face à ce dé à multiples facettes, nous voyons bien qu’il faut agir dans plusieurs direc-tions, que nous devons toutes assumer : la dimension militaire, car le foyer est extérieur,la dimension sécuritaire, fondamentale pour la population, la dimension culturelle et so-ciale. Toutes sont essentielles et étroitement liées entre elles si nous voulons préparer la paix - et nous le devons - nous avons hélas, vu ce qu’il en était de ne pas le faire en Irak ou en Lybie. Un point-clef qui est dans toutes les têtes doit être particulièrement marqué.Il est évident que les musulmans de France et du monde doivent œuvrer à dégager leurreligion de l’instrumentalisation mortifère qui en est faite. Toutes les croyances ont eu etont toujours à faire un travail d’auto-analyse pour dégager un message religieux, débar-rassé de visées sociales et politiques, nécessairement datées. Mais, le problème est aussien-deçà des religions. Face aux tentations du nihilisme, nous devons refonder nos valeurshumanistes, en prenant à bras le corps - qu’elles qu’en soient les difficultés - les détresseset les faiblesses humaines qui conduisent à de tels comportements, trahissant une inté-gration culturelle et sociale défaillante, et touchant des positions dans la société qui nerelèvent que partiellement de l’exclusion économique, mais également, l’explicitation et

    la valorisation de nos idéaux républicains, qui reposent, avant tout, sur tout autant la di-gnité de l’homme et la capacité à se considérer comme des membres d’une même com-munauté humaine.

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    À droite, l’esprit de concorde et d’unité n’a passurvécu longtemps aux attentats du 13 no-vembre. En témoigne, l’échange qui a opposé,par médias interposés, les deux principauxprétendants aux primaires. Ainsi, quand Sar-kozy s’est plu à asséner les premiers coups decanif à l’unité nationale, Juppé a donné quitusà la plupart des décisions présidentielles et del’Elysée. Histoire, sans doute, aussi de rappeler 

    à ses insuffisances son principal opposantchez Les Républicains (LR).

    Pavé dans la mare. Dernier témoignage endate, le 17 novembre,quand l’ancien chef del’État s ’empresse d’enter-rer l’esprit du 11 janvier,en accusant FrançoisHollande de ne pas avoir fait le nécessaire pour assumer la sécurité desFrançais, depuis dixmois, l’ancien Premier ministre de Jacques Chi-rac et maire de Bor-deaux insiste, pour sapart, sur la volonté poli-tique qui a présidé audiscours de François Hollande, lors de sa dé-claration devant les membres du congrès.

     « C’est une bonne chose que de recruter 8 500 fonctionnaires dans la police, la gendarmerie,l’administration pénitentiaire, la Justice, justi-fie-t-il, par ailleurs. Nous avions sans doute eutort, avant 2012, d’en supprimer une dizainede milliers ».Autant dire que la virulence des propos de Ni-colas Sarkozy tranche avec ceux qu’il avait pro-noncés, en janvier dernier, lorsqu’il évoquaitun « impératif d’unité nationale » auquel « nul

    ne saurait se soustraire ». Il est vrai que depuis,la bataille des primaires fait rage et que Nico-las Sarkozy n’a pas réussi la percée attenduedans l’opinion et au sein du parti de droite. En

    clair, celui ci se croit autorisé à reprocher à l’Exé-cutif de ne pas avoir concrétisé, dans les actes,ce qu’il avait annoncé alors. Comprendre : l’esprit

     « Charlie » appartient désormais au passé. Uncomportement qui tranche avec celui d’Alain

     Juppé, qui a décidé de maintenir la confiance « autour des autorités qui sont aujourd’hui encharge des destinées de notre pays (…). Je leur ai apporté mon soutien, sans hésitation et 

     sans nuance » , insiste-t-il sur son blog.Tant et si bien que le maire de Bordeaux laisse àleur auteur la paternité des déclarationsdu président de LR sur le traitement particulier 

    des terroristes fichés « S »,que celui-ci souhaiteraitvoir équipés d’un brace-let électronique. Faut-ilrappeler, à ce sujet, quedans le cadre de la loisur le renseignement, eten dépit de certaines ré-serves issues des rangsmêmes de la droite, legouvernement a décidéde rendre possible la fila-ture électronique perma-nente des personnesdont la dangerosité est

    avérée, sous le contrôle d’un juge ? Ce, mêmesi la majorité entend examiner toutes les pos-

    sibilités, comme l’a rappelé le président de laRépublique devant le Parlement réuni encongrès, le 16 novembre, mais dans le cadrede l’État de droit, et non sur des bases discré-tionnaires.Et quand le même Nicolas Sarkozy décrètequ’il nous faut créer les conditions d’un vasterassemblement pour combattre Daech, en yintégrant les Russes, c’est François Hollande,lui-même, qui demande la réunion du Conseil

    de sécurité de l’ONU pour obtenir le vote d’unerésolution visant à lutter contre le terrorismeet Daech. Faut-il rappeler, par ailleurs, que laFrance a participé activement au processus

    NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 2

    Contradictions à droite, surenchère à l’extrême droite

    La virulence des propos de Nicolas Sarkozy tranche avec ceux qu’il

    avait prononcés, en janvier dernier,lorsqu’il évoquait un « impératif 

    d’unité nationale » auquel « nul ne saurait se soustraire ». Il est vraique depuis, la bataille des

     primaires fait rage et que Nicolas Sarkozy n’a pas réussi la percée

    attendue dans l’opinion et au seindu parti de droite.

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    3/183 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    initié à Vienne, le 30 octobre, en présence dedix-sept pays membres de l’UE et de l’ONU,dont l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Russie ? Au-tant dire que le gouvernement œuvre, avecWashington, et l’Union européenne pour per-

    suader les Russes de rejoindre la coalition in-ternationale et sortir de l’ambiguïté. Le tout,autour d’objectifs communs : mise en placed’un processus politique syrien et d’un calen-drier politique, lutte accrue et commune contreDaech. Le président doit rencontrer, à cet effet,Barak Obama et Vladimir Poutine, dans lesprochains jours, il leur a d’ailleurs déjà parlé.Pas question, non plus, de céder aux injonc-tions d’une partie de la droite, qui préconise un

    rapprochement avec Bachar El-Assad, lui-même, dans les pas deFrançois Fillon. Lequels’est répandu dans lapresse, arguant quel’exécutif n’avait aucunestratégie, depuis l’enga-gement des hostilitéscontre l’Etat islamique.C’est pourtant bien àl’initiative de la Francequ’une résolution doitêtre présentée auConseil de sécurité del’ONU pour sceller l’en-gagement ferme detous ses membres -Russie comprise -contre Daech. Une initiative qui aura sansdoute échappé au député de Paris, qui nepense qu’à son hypothétique revanche contre

    Nicolas Sarkozy, à la faveur des primaires.Précisons, sur ce point, qu’au lendemain desattentats du 13 novembre, et pour la troisièmefois, une délégation conduite par Thierry Ma-riani, est partie à la rencontre du président sy-rien. Des explications ne seraient pas inutilesde la part de l’exécutif de LR, d’autant que Ba-char El-Assad s’est livré à un parallèle plus quedouteux entre les évènements survenus enSyrie et la tragédie du 13 novembre, en France.

    Ce, alors même que le terrorisme, dans le paysqu’il dirige de manière dictatoriale et féroce de-puis Damas, fut la conséquence, en 2011, dela remise en liberté, par ses soins, de centaines

    de djihadistes. Cette décision tactique a facilitél’expansion de Daech, à seule fin de mieuxécraser la révolte spontanée du peuple syrien,en quête de libertés et de démocratie.

    Dans les mailles du filet. Voilà donc NicolasSarkozy bien embarrassé, incapable de fairerégner l’unité au sein de son propre parti. Et,lorsqu’il appelle à des « inflexions majeures »en matière de sécurité, il est pris à son proprepiège par le président de la République. Placer les quelque 10 000 personnes ou plus faisantl’objet d’une fiche « S » en résidence surveillée,ou sous bracelet électronique ? Une mauvaiseidée, d’autant que les principaux intéressés

    ignorent qu’ils sont fichés. Inutile, dans cesconditions, de leur fairesavoir qu’ils le sont !Et parce que noussommes dans un Etatde droit, on ne peut pla-cer un bracelet électro-nique sans une décision

     judiciaire et unecondamnation, à l’issued’une procédure contra-dictoire, et après avoir informé les intéressésdes charges qui pèsentsur eux.Le Conseil d’Etat serasaisi, d’ailleurs, pour avis, sur les propositions

    en matière de mesures de contrainte et de pri-vation des libertés applicables aux individus fi-chés pour surveillance par les services de

    renseignement.Lorsque le président de LR ou Bruno Le Maires’en prennent au manque de moyens déployéspar l’Exécutif, la réalité leur revient invariable-ment à la face. Depuis les attentats, près de170 perquisitions dans les milieux djihadistesont ainsi été mises en œuvre dans l’Hexagone,en 48 heures, et le processus se poursuit. Avec,en prime, 23 interpellations, la saisie d’unetrentaine d’armes et l’assignation à résidence

    de 104 personnes. Sans compter que l’étatd’urgence est prolongé de 3 mois et que le ren-forcement de l’opération Sentinelle est encours. Une telle initiative sur tout le territoire

    Placer les quelque 10 000 personnes ou plus faisant 

    l’objet d’une fiche « S » enrésidence surveillée, ou sousbracelet électronique ? Une

    mauvaise idée, d’autant que les principaux intéressés ignorent qu’ils sont fichés. Inutile, dans

    ces conditions, de leur faire savoir qu’ils le sont !

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    4/18NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 4

    national est tout autant inédite, depuis 1961,et la tentative de putsch des généraux d’Alger.Faut-il rappeler, par ailleurs, que la dégrada-tion des moyens et des conditions de travaildes forces de l’ordre, a fait suite à la suppres-

    sion de plus de 13 700 postes de policiers etde gendarmes, de 2007 à 2012 ? Et ce, alorsmême que François Hollande a confirmé le re-crutement de 5 000 policiers et gendarmessupplémentaires, ce qui portera à 10 000 lenombre d’embauches, d’ici 2017, depuis ledébut du quinquennat.Ce qui n’a pas empêché, cependant, l’ancienchef de l’État de se méprendre, en estimantque les solutions juri-

    diques et constitution-nelles à la dispositiondes pouvoirs publicssont suffisantes. Or,François Hollande aréaffirmé, lors de sonintervention, devant lesmembres du Congrès,que la mise en œuvrede l’état d’urgence, né-cessite une révision destextes et une adapta-tion de la Constitution -notamment de son article 36 - pour les mettreen conformité avec la marche du temps etl’évolution des menaces.

    Le FN, malheureusement fidèle à lui-même.D’autres mesures d’efficacité devront êtreprises dans un avenir proche, sans altérer l’exercice des libertés publiques et le lien indis-

    soluble entre nationalité et citoyenneté : auto-riser, sous l’autorité du juge, la déchéance dela nationalité française des individus possé-dant une deuxième nationalité, interdire l’en-trée sur le territoire français à un binational deretour du djihad, s’il présente un risque terro-riste, expulser plus rapidement les étrangersqui représentent une menace avérée et trèsgrave, dans le respect du droit et des accordsinternationaux, permettre la dissolution des

    groupuscules et associations qui provoquentet appellent à la haine, incitent aux actes terro-ristes et représentent un danger imminentpour la Nation.

    Des annonces qui, au-delà des préconisationsde la droite, répondent au seul et sempiterneldiscours liberticide du FN qui a fondé, lui aussi,sa stratégie sur une alliance supposée avecEl-Assad, au nom d’une prétendue « politique

    du réel ». La vérité, c’est que sans la politiquedu président syrien, Daech n’aurait sans doute

     jamais existé avec cette ampleur et cette dan-gerosité ! Et que les mises en garde répétéesde Marine Le Pen contre une « éventuelleinfiltration de terroristes parmi les migrants »ne constitue pas une politique à la hauteur desdéfis puisque l’immense majorité des réfugiésest la première victime de la situation Syrienne

    et de Daech.

    Dans sa vision anxio-gène de la mondialisa-tion, le FN prônel’élévation de murs auxfrontières, alors que ledéfi et la réponse sesituent aussi au niveaueuropéen, et au contrôleeffectif de ses frontièresextérieures, qui figureau cœur des prioritésfrançaises. En outre,le renforcement du

    contrôle du trafic d’armes ne peut se fairequ’au prix d’un renforcement des coopérationseuropéennes, en matière de sécurité et de jus-tice.Au-delà, l’amalgame erroné et malsain auquelse livrent les dirigeants du parti d’extrêmedroite apparaît d’autant plus dangereux qu’ilne fait que conforter l’objectif de Daech, visant

    à entretenir les crispations et ressentimentsdes Français et de leurs voisins, à l’égard desmusulmans. C’est oublier que les migrantsfuient deux formes de terrorismes, incarnéspar l’Etat El Assad et Daech. Seul moyen d’ensortir : d’abord, contenir l’armée de l’État isla-mique, puis la réduire et, enfin, la défaire tota-lement. Un détail, et non des moindres, quiaura sans doute échappé aux amis de MarineLe Pen qui entendent entretenir la confusion

    des repères pour mieux asséner leurs sloganshabituels, ceux du repli et de la haine.

    M.B. et B.T.

    Dans sa vision anxiogène de lamondialisation, le FN prône

    l’élévation de murs aux  frontières, alors que le défi et la

    réponse se situent aussi auniveau européen, et au contrôle

    effectif de ses frontièresextérieures, qui figure au cœur 

    des priorités françaises.

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    5/185 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    Vous publiez, en collaboration avec Nonna Mayer et Sylvain Crépon, unlivre collectif pour mesurer l’évolutiondu Front national et démonter 

     plusieurs idées reçues. Comment est-il  possible d’objectiver le phénomène frontiste ?

    En se donnant, tout d’abord, le temps de le faire.L’un des objectifs de ce livre, c’était de « refroidir » l’objet FN, en rompant avec le discours spon-tané et, le plus souvent, déformant qui est tenu

    quotidiennement sur ce parti, tout particulière-ment dans et par les médias. Pour saisir la réalitéfrontiste, il faut prendre le temps de l’étudier, dela mettre en perspective historique, de rencon-trer les dirigeants du parti, de décrypter la stra-tégie, de lire les programmes et les discours,

    d’examiner la sociologie des électeurs et des mi-litants, d’explorer les réseaux organisationnels…tout ce que ne permet plus, aujourd’hui, l’écono-mie médiatique qui, plus que jamais, se trouveprise dans des exigences d’immédiateté et de

     Alexandre Dézé…

    … est maître de conférences en science politique à l’Université Montpellier 1 et chercheur au CEPEL, le Centre d’études politiques de l’Europe latine. Docteur en science politique del’IEP de Paris (2008), il est également titulaire d’un DEA d’Histoire du vingtième siècle etd’un DEA d’Études politiques de l’IEP de Paris. Il vient de publier, en collaboration avecSylvain Crépon et Nonna Mayer, Les faux-semblants du Front national. Sociologie d’un

     parti politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, ainsi qu’une note, Le « nouveau » Front national en questions, à la Fondation Jean-Jaurès. Il a, par ailleurs, lancé et codirigé, depuis2007, la collection « Ouvertures politiques », aux éditions De Boeck.

     « Le FN reste isolé sur la scènepolitique française »

    DÉCRYPTAGE& DÉBATS

    Crédit photo : Céline ESCOLANO

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    NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 6

    spectacularisation dans la production de l’infor-mation.L’objectivation du phénomène frontiste exige,ensuite, un effort de normalisation méthodolo-gique, effort qui fait encore défaut à de tropnombreux travaux pour lesquels l’illégitimité

    politique du FN semble pouvoir justifier unesorte d’exceptionnalisme dans son traitement.C’est pourquoi, dans l’ouvrage, nous nous en re-mettons aux approches ordinaires de la re-cherche en sciences sociales, en allant puiser nos outils d’analyse dans la sociologie des orga-nisations partisanes, la sociologie du militan-tisme, la sociologie des comportementsélectoraux, la géographie électorale, l’ethnogra-phie, l’histoire des idées, la sémiotique, ou en-

    core l’analyse lexicale. C’est l’adoption de cetteperspective qui permetde prétendre à une ana-lyse résolument objec-tive d’un corpus, par ailleurs, particulière-ment dense de donnéesempiriques. L’ouvragedépasse ainsi les 600pages…

    Vous démontez,en particulier,ces « faussesévidences »véhiculées par certains médias.Est-il possible deles recenser et de les caractériser ? 

    Ce travail de déconstruction nous a semblé in-dispensable, tant le traitement médiatique du

    FN a généré un nombre important de faussesévidences sur ce parti. Nous en proposons unexamen systématique dans l’ouvrage, à com-mencer par celles qui laissent à penser que leFN de Marine Le Pen serait devenu un « nou-veau » parti, qu’il occuperait aujourd’hui laplace de « premier parti de France », que les ou-vriers de gauche voteraient massivement pour ses candidats, que le vote frontiste se « natio-naliserait », que la « dédiabolisation » serait

    une stratégie inédite… Autant de croyances, au- jourd’hui, solidement installées et qui, pourtant,ne résistent guère à l’examen empirique. Ce quenous démontrons, notamment, dans l’ouvrage,

    c’est que la réalité du FN ne cesse d’être soumiseà une lecture hyperbolique de la part des mé-dias. Par exemple, le Front national obtient 11mairies (sur 36 000) et 1 500 conseillers muni-cipaux (sur 500 000) aux élections locales de2014, et son résultat est jugé « triomphal » par 

    Le Monde (24 mars 2014). Le FN décroche deuxsièges de sénateurs (sur 348) et l’événement estconsidéré comme « historique » par Le Point (2septembre 2014). Il recueille le soutien de 81grands électeurs en Ille-et-Vilaine, à l’occasion decette élection, alors qu’il n’en compte que deuxdans ce département, et ce score est présentédans L’Express comme le produit d’une aug-mentation de « 4 050 % » (5-11 novembre2014). Marine Le Pen est réélue à la présidence

    du parti, en novembre 2014, et c’est désormaisla « marche vers l’Ély-sée » qui s’ouvre àelle, selon Le Point (30novembre 2014). En-viron 40 % des élec-teurs UMP auraientvoté pour la candi-date frontiste, SophieMontel, au secondtour de la législativepartielle, dans leDoubs, en février 2015, mais pour Ouest-France (13 fé-vrier 2015), c’est unevéritable « fusion » à

    laquelle on assisterait entre l’électorat de droiteet celui du FN. Les représentants d’un diocèse in-vitent Marion Maréchal-Le Pen à participer à unetable ronde, lors des universités de la Sainte-

    Baume, en août 2015, et le journal Le Monde endéduit que  « l’Église ne tourne plus le dos auFN » (soit le titre de sa une du 26 août 2015), etc.En somme, le FN est l’objet de constantes pro-

     jections fantasmatiques, qui tendent à en faireun parti toujours plus fort, toujours plus impor-tant qu’il ne l’est. La réalité construite n’a dès lorsplus de rapport avec la réalité concrète.

    Ces mêmes médias et les nouvelles

    modalités de la production del’information politique ont-ils une part de responsabilité dans la

    normalisation du FN ? 

     « L’organisation frontiste est l’un desobjets politiques les plus rentables,d’un point de vue médiatique. Bref,le FN fait vendre. Rien d’étonnant,

     par conséquent, à ce que ses deux  principaux représentants, Marine

    Le Pen et Florian Philippot, soient les personnalités politiques les plus

    invitées des émissionsd’information matinale. »

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    7/187 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    Oui, même si les effets de cette normalisationmédiatique ne sont pas directement vérifiables.Il faudrait, pour cela, procéder à des enquêtes deréception. Ce que l’on peut néanmoins constater,c’est que nombre d’électeurs - frontistes ou non- semblent persuadés, quand on les interroge,

    que le FN n’est plus le même, et que Marine LePen est différente de son père. Mais il s’agit làd’une illusion d’optique, en grande partie pro-duite par les médias.Cela s’explique, tout d’abord, par la sur-attentionqu’ils accordent au FN. Pour une raison simple :l’organisation frontiste est l’un des objets poli-tiques les plus rentables, d’un point de vue mé-diatique. Bref, le FN fait vendre. Rien d’étonnant,par conséquent, à ce que ses deux principaux

    représentants, Marine Le Pen et Florian Philip-pot, soient les person-nalités politiques lesplus invitées des émis-sions d’informationmatinale. Et, c’est biensûr sans compter sur les innombrables arti-cles, reportages ou do-cumentaires qui sontconsacrés au parti.Plus un jour ne sembledevoir s’écouler sansque le Front nationalne soit propulsé aucœur de l’actualité – etce, quel que soit l’inté-rêt de l’information, enquestion. Ainsi, de BFM TV au Nouvel Obs, deRTL aux Echos, on s’est empressé de relayer lanouvelle selon laquelle la chatte bengalaise de

    Marine Le Pen s’était faite dévorer par le dober-man de Jean-Marie Le Pen… Or, l’intensité decette exposition médiatique du FN n’a fait queservir les intérêts du parti. Elle a contribué à «normaliser » sa présence, tout en permettant àla présidente frontiste de diffuser ce qu’on a ap-pelé, dans notre ouvrage, le « roman de la dé-diabolisation », un storytelling dont les médiasn’ont eu de cesse de se faire l’écho. Et pour cause,difficile de trouver mieux comme intrigue poli-

    tique que celle de la transformationa priori improbable d’un parti d’extrême droiteen parti « comme les autres »…Il faut, ensuite, noter un changement très clair 

    dans le rapport des médias à l’égard du FN ou,plutôt, de son leadership. Cela tient, tout d’abord,au renouvellement de présidence. De l’aveumême des journalistes, les relations avec l’exé-cutif frontiste semblent plus cordiales, au-

     jourd’hui, que du temps de Jean-Marie Le Pen.

    Mais, cela va au-delà. Bien sûr, on aurait tortd’homogénéiser le rapport des médias au FN,mais on peut constater qu’un certain nombre de

     journalistes tendent, aujourd’hui, à considérer Marine Le Pen comme une « femme politiquenormalisée » – je reprends l’expression de l’und’entre eux – et le FN comme un parti « dédiabo-lisé ». L’indice le plus flagrant de ce rapportnouvellement décomplexé réside sans doutedans le prix que le jury du Trombinoscope, com-

    posé de 120 journalistes, a décerné à SteeveBriois, en janvier 2015,au titre d’« élu local del’année 2014 ». Cette« normalisation » tientégalement aux nou-velles modalités deproduction de l’infor-mation politique, deplus en plus travailléepar des logiques depeoplisation et d’inti-misation. Jusqu’à unedate récente, le traite-ment médiatique duFront national sem-blait épargné par cettetendance de fond.

     Jean-Marie Le Pen pouvait certes apparaîtredans quelques hebdomadaires tels que ParisMatch ou VSD, mais, le plus souvent, de manière

    exceptionnelle. Cette époque semble révolue. Lesreprésentants du Front national sont désormaisrégulièrement invités dans des programmesd’infotainment  - des émissions où, par défini-tion, on parle du FN tout en se divertissant – etleur intimité est devenue un objet d’attentionmédiatique légitime – même si ce constat vautsurtout, pour l’heure, pour Marine Le Pen. Ainsi,ce n’est plus seulement la femme politique quiintéresse les médias, mais ce qu’elle est dans sa

    vie quotidienne : une personne qui travaille, lamère de trois enfants, la compagne de LouisAliot, la fille de Jean-Marie Le Pen, la propriétaired’animaux de compagnie, etc. Les contributions

     « Les représentants du Front national sont désormais

    régulièrement invités dans des programmes d’infotainment - des

    émissions où, par définition, on parle du FN tout en se divertissant –et leur intimité est devenue un objet 

    d’attention médiatique légitime –même si ce constat vaut surtout,

     pour l’heure, pour Marine Le Pen. »

  • 8/20/2019 Regards sur les droites_n° 67

    8/18NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 8

    abordant ces dimensions personnelles de la viede Marine Le Pen se sont ainsi multipliées, aucours de ces quatre dernières années. Ses pro-blèmes de couple ont été placés sous les feux del’actualité par le magazine Closer . Le supplément

     Stylesde L’Express a fait l’inventaire de ses diffé-rentes coupes de cheveux. L’hebdomadaire fé-minin Elle s’est intéressé à sa garde-robe, etc. Ensomme, le traitement médiatique du leadershipfrontiste s’est aligné sur certaines des nouvellesmodalités de traitement de l’actualité politique,qui tendent non seulement à désacraliser la po-litique - autrement dit, à n’en faire qu’une sphèresociale profane parmi les autres -, mais aussi àla dépolitiser. En dévoilant l’ordinaire de la vie de

    Marine Le Pen, les médias ont rendu la prési-dente du FN un peuplus « ordinaire »,contribuant ainsi àfaire oublier ce qu’ellereste fondamentale-ment - la présidented’un parti encore perçucomme d’extrêmedroite -, tout en effa-çant les stigmates as-sociés à l’exercice duleadership frontiste. Dela sorte, ils ont bienparticipé à son entre-prise de « normalisa-tion ».

    La nouveauté du FN procède d’une illusion, dites-vous. En quoi les continuités entre le

     parti mariniste et le mouvement lepéniste l’emportent-ils sur lesinnovations ? 

    Si la nouveauté du FN procède d’une illusion,c’est qu’en réalité, le FN n’a pas fondamentale-ment changé. C’est ce que révèle l’examen atten-tif des différentes dimensions du phénomèneauxquels nous nous sommes livrés dans l’ou-vrage.Concernant la stratégie de dédiabolisation, il faut

    commencer par rappeler que le FN a toujourscherché à se « respectabiliser », dès lors qu’il s’estinscrit dans une logique de conquête du pou-voir. La création même du parti relève de l’adop-

    tion de cette stratégie, puisque le FN est fondé,en 1972, par les responsables du mouvementnéofasciste, Ordre nouveau, dans le but de seconstituer une façade politique légaliste et departiciper aux élections législatives de 1973.

    Mais, bien plus, il faut noter que l’entreprise de« dédiabolisation » de Marine Le Pen s’inspire,en grande partie, de la stratégie mise en œuvrepar Bruno Mégret, à partir du milieu des années1980, qu’il s’agisse de l’euphémisation du dis-cours – hier, la préférence nationale, aujourd’huila priorité nationale -, de la création d’une struc-ture périphérique visant à attirer des candidatsde droite – hier, le Rassemblement national, au-

     jourd’hui le Rassemblement Bleu Marine -, de la

    politique de main tendue en direction de ladroite – hier, le pro-gramme minimumcommun des électionsrégionales de 1998,aujourd’hui la charted’action municipale,au service du peuplefrançais -, de la créa-tion de groupes d’ex-perts – hier, le Conseilscientifique du Frontnational, aujourd’huile think tank « Idéesnation » -, ou de la cap-tation de personnesressources censées at-tester la normalité po-litique du parti – hier,

    l’énarque, Jean-Yves Le Gallou, ou l’universitaire, Jules Monnerot, aujourd’hui, l’avocat, Gilbert Col-

    lard, ou l’humoriste, Jean Roucas.Concernant le programme, là encore, on doitbien constater que le FN a plutôt tendance àcamper sur ses fondamentaux. Ainsi, le rejet du« système », la préférence nationale, la défensede la nation, la critique de l’Union européenne,le rejet de « l’immigration massive », l’islamo-phobie, le principe de mise en corrélation duchômage et de l’immigration, la dénonciationde l’« insécurité » comme « fléau humain et éco-

    nomique », l’anti-mondialisme, la restaurationde la souveraineté populaire par « l’instaurationdu référendum d’initiative populaire », la déca-dence, ou encore, le rétablissement de la peine

     « La rupture avec les positionsultralibérales, autrefois adoptées par le FN, ne date pas de Marine Le Pen,mais du début des années 1990, au

    moment où le parti commence à s’intéresser aux thématiques

     sociales pour davantage coller àl’évolution de la sociologie de sonélectorat. C’est à cette époque que

    l’un des principaux slogans du partidevient : « Le Front national,

    c’est le social. »

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    9/189 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    de mort, sur lequel Marine Le Pen souhaiteraitpouvoir consulter les Français, au moyen d’unréférendum… constituent autant d’invariants duprogramme frontiste. Même la thématique so-ciale, qu’on a pu présenter comme un élémentnovateur, fait partie, depuis longtemps, des

    orientations du parti. Ainsi, la rupture avec les po-sitions ultralibérales, autrefois adoptées par leFN, ne date pas de Marine Le Pen, mais du débutdes années 1990, au moment où le parti com-mence à s’intéresser aux thématiques socialespour davantage coller à l’évolution de la sociolo-gie de son électorat. C’est à cette époque que l’undes principaux slogans du parti devient :  « LeFront national, c’est le social ». Certes, il y a bienquelques innovations repérables dans les orien-

    tations programmatiques frontistes version Ma-rine Le Pen, mais elles ne sont que de façade : s’iln’est pas résolumentnouveau au FN, le dis-cours « républicain »est plus accentué quepar le passé, mais sa fi-nalité apparaît, en der-nier ressort, conformeà la rhétorique fron-tiste, puisqu’il vise sur-tout à dénoncer l’islamet à le présenter comme incompatibleavec les fondementsdu régime politiquefrançais.Concernant le leadership, on a beaucoup insistésur les différences de style entre Jean-Marie LePen et Marine Le Pen. Elle s ’est certes clairementdistinguée de son père et de ses positions sur la

    Shoah, au point d’en faire un motif d’exclusionde son père. Mais, sur le reste, les ressemblancesapparaissent plutôt flagrantes. Lorsqu’elle assi-mile les prières de rue à une « occupation »(décembre 2010) ; lorsqu’elle parle de « mondia-lisation identicide », de « Tchernobyl moral » oude « monstre européiste » (janvier 2011) ;lorsqu’elle propose de dérembourser ce qu’elleappelle les « IVG de confort » (mars 2012) ;lorsqu’elle se prononce pour l’interdiction du

    voile islamique et de la kippa dans les lieux pu-blics, en France (septembre 2012) ; lorsqu’elle af-firme que « La France est la maîtresse des USAet la catin d’émirs bedonnants » (septembre

    2013) ; lorsqu’elle déclare qu’elle veut « détruirel’Union européenne » ( juin 2014) ; lorsqu’elle in-voque la possibilité de rétablir la peine de mort- à laquelle elle se dit « personnellement favora-ble » -, au lendemain de l’attaque terroriste per-pétrée contre Charlie Hebdo (7 janvier 2015)…

    Marine Le Pen ne fait finalement que reproduire,fidèlement, la marque du discours lepéniste,contribuant ainsi à entretenir la singularité lexi-cale du parti. Faut-il, par ailleurs, rappeler que laprésidente du parti est actuellement jugée pour ses propos de décembre 2010 sur les prières derue ?Enfin, sans entrer dans le détail, il faut bien ad-mettre que la géographie et la sociologie del’électorat frontiste restent également assez sta-

    bles pour l’instant. Ses zones de force se situentencore à l’Est d’une ligne Le Havre-Valence-Per-pignan - exceptionfaite de la vallée de laGaronne -, plus parti-culièrement dans leNord-Est de la Franceet autour du bassinméditerranéen. Le FNcontinue de progres-ser là où il s’est histori-quement implanté,élargissant son au-dience à la périphériedes villes et dans lescampagnes. Lors desscrutins de 2014-

    2015, il a certes enregistré des scores inhabituel-lement élevés dans l’Ouest, et, plusparticulièrement, dans le Nord-Ouest - enMayenne ou en Ille-et-Vilaine -, mais ils restent

    inférieurs à sa moyenne nationale. Et les grandstraits de cet électorat n’ont pas changé. Il se situemajoritairement à droite. Il accorde une impor-tance marquée aux enjeux de l’immigration etde l’insécurité. Et le niveau de diplôme reste lapremière variable explicative de leur choix. Leseul changement notable est la percée de Ma-rine Le Pen dans l’électorat féminin - très nette àl’élection présidentielle de 2012, beaucoupmoins lors les consultations municipales et eu-

    ropéennes de 2014 et départementales de 2015-, en particulier dans un prolétariat des services,très touché par la crise.

     « Marine Le Pen ne fait finalement que reproduire, fidèlement, lamarque du discours lepéniste,

    contribuant ainsi à entretenir la singularité lexicale du parti. Faut-il,

     par ailleurs, rappeler que la présidente du parti est actuellement  jugée pour ses propos de décembre

    2010 sur les prières de rue ? »

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    10/18NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 10

    Le Front national est-il devenu le premier parti de France ? 

    En termes de suffrages, et si l’on prend les élec-tions européennes de 2014 ou les élections dé-partementales de 2015, cela paraît peucontestable. Il reste que la place d’un parti, son

    classement, par rapport aux autres partis, semesure à l’aune de bien d’autres critères. Ainsi,il faut rappeler que la représentation du partireste non seulement marginale, au niveau mu-nicipal, mais, également très relative, au niveaudépartemental - 62 conseillers sur 4 108 dans14 départements, aucun département remporté-, régional - 118 conseillers sur 1 880, aucuneprésidence de conseil régional – en attendant laprochaine consultation -, et parlementaire - 2 dé-

    putés sur 577, dont un député RassemblementBleu Marine, et 2 sénateurs sur 348. De même,contrairement aux chiffres avancés, en octobre2014, et relayés sans aucun souci de vérificationpar les médias, le Front national se situe encoreloin derrière l’UMP et le PS, en ce qui concerne lenombre de ses adhérents : environ 51 000, etnon 83 000.

    Ce parti est-il aux portes du pouvoir ? Est-il en capacité de l’emporter lors de

    l’élection présidentielle de 2017 ? 

    Le FN n’est pas aux « portes du pouvoir ». Onpeut regretter, à ce titre, les déclarations alar-mistes de certains représentants politiques degauche comme de droite qui, de la sorte, contri-buent également à projeter une image défor-mée de la réalité du phénomène frontiste. Pour l’heure, le FN ne bénéficie, en effet, ni de l’implan-tation, ni du réseau d’élus, ni même du nombrede cadres suffisants pour prétendre à l’exercice

    du pouvoir, au niveau national. Au cours de cesderniers mois, l’organisation frontiste - à traversle FN ou le Rassemblement Bleu Marine - acertes réussi à recruter des individus pourvusd’un capital académique et/ou politique notable.Mais, ces ralliements restent numériquement li-mités et, par ailleurs, la cohabitation interne avecces nouvelles recrues est loin d’aller de soi,comme on a pu s’en rendre compte. Même ausein même du FN, certains responsables, pour-

    tant proches de la direction, déclarent redouter la perspective d’accéder aux responsabilités na-tionales. Marine Le Pen peut toujours se dire« prête à gouverner », y compris dans le cadre

    improbable d’une cohabitation avec FrançoisHollande ; d’aucuns, en interne, estiment à l’in-verse qu’une telle issue serait « dramatique ».Penser que le FN est aux « portes du pouvoir »,c’est oublier encore que le parti frontiste resteisolé sur la scène politique française – ce que les

    « marches républicaines » du 11 janvier 2015 etles débats qui les ont précédées ont rappelé. C’estaussi oublier que cet isolement constitue unobstacle important pour accéder au pouvoir,dans un système politique dominé par le scrutinmajoritaire à deux tours – comme l’ont encoreillustré les résultats du FN aux élections dépar-tementales. En dépit des appels du pied en di-rection de la droite - pendant la campagne desmunicipales de 2014 et des départementales de

    2015 -, le parti peine, en outre, à passer desalliances. Enfin, le FN apparaît sans doute, au- jourd’hui, à beaucoup comme un parti « dédia-bolisé ». Mais, il faut rappeler qu’il a toutes lesdifficultés à se constituer une image de parti degouvernement crédible et acceptable, tandis queseul un tiers des personnes interrogées, dans lesenquêtes sondagières, reconnaissent à MarineLe Pen « l’étoffe d’un président de la République». Quant à me prononcer sur l’avenir du FN…c’est précisément ce que nous avons cherché àéviter de faire dans notre ouvrage !

    Propos recueillis par Bruno Tranchant

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    11/1811 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

     Spécial régionales…

    En prévision des élection régionales (6-13 décembre), la rédaction de Regards sur les droites consacre une série de reportages aux territoires les plus

    exposés, politiquement, au danger frontiste et à la montée de la droite forte.Quatrième destination, les Pays de la Loire, où le candidat socialiste, ChristoheClergeau, est confronté au très droitier Bruno Retailleau, longtemps prochede Philippe de Villiers, avant de mettre ses pas dans ceux de François Fillon.

     Pays de la Loire : une droite

     revancharde ! Les Pays de la Loire cultivent leur singularité.À l’instar de quatre autres régions métropoli-taines, ce territoire a conservé ses frontières na-turelles, au terme de la réforme territoriale votéepar le Parlement. Dirigée par la gauche, depuis2004, elle est convoitée, aujourd’hui, par ladroite. Ce d’autant plus, que le président sortant,

     Jacques Auxiette, ne se représente pas. Tant et sibien que c'est son premier vice-président, Chris-tophe Clergeau, qui a étéinvesti par les militants so-cialistes. Il devra faire faceà une liste Europe Ecolo-gie-Les Verts (EELV), em-menée par SophieBringuy, également vice-présidente de l’exécutif en

    place, tout en comptantsur le soutien des prochesdu député François deRugy. A droite, le sénateur filloniste et très droitier Bruno Retailleau, implantéde longue date en Vendée,mènera une liste d'union réunissant l'UDI et lesRépublicains. La liste du Front national, dont lesrésultats sont traditionnellement médiocres

    dans cette région, sera menée, pour sa part, par Pascal Gannat, responsable du parti dans laSarthe et ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. Mais, il progresse. Au point que le

    parti de Marine Le Pen apparaît comme la troi-sième force régionale. Selon une enquête deBVA, il est crédité, ainsi, de 16 % des intentionsde vote. En 2010, il n’avait obtenu que 6,84 %des voix. La montée en puissance est donc sen-sible.

    Bataille scolaire. Dans ce contexte, ChristopheClergeau et les militants socialistes s’emploient

    m é t h o d i q u e m e n t àcontrarier la poussée de ladroite, entrevue lors desdépartementales. L’anpassé, le parti de NicolasSarkozy a gagné quatredes cinq départementsque comporte la région.

    L’exécutif piloté par  Jacques Auxiette a pour-tant consenti d’importantsefforts, dans tous leschamps qui relèvent de sacompétence. Au point queles Pays de la Loire comp-

    tent parmi les territoires les plus riches deFrance, avec un taux de chômage particulière-ment faible – il atteignait 8,6 % fin 2014, quand

    la moyenne nationale dépasse les 10 %. Denombreuses entreprises sous-traitantes y pros-pèrent. Tant et si bien que la diversité écono-mique y est forte, avec un taux industriel dense

    Les Pays de la Loire comptent  parmi les territoires les plus

    riches de France, avec un taux de chômage particulièrement  faible – il atteignait 8,6 % fin

    2014, quand la moyennenationale dépasse les 10 %.De nombreuses entreprises

     sous-traitantes y prospèrent.

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    12/18

     

    NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 12

    et dynamique. La disparition de grosses entre-prises a été suivie par un redéploiement specta-culaire de l’appareil productif, au profit de filièrestertiaires d’excellence qui prospèrent désormaisdans les grandes métropoles. Nantes occupeainsi le troisième rang financier, derrière Paris et

    Lyon, quand Angers peut compter sur le succèsde la Cité de l’objet connecté, et la Sarthe sur lesassurances et mutuelles.Au cœur des enjeux électoraux, les questionstraitant de l’aéroport de Notre-Dame des Landes,dont l’annonce de la reprise des travaux suscitede nombreuses réactions, de l'agriculture, del'environnement, du développement écono-mique et des modes de déplacements. Avec, enfiligrane, la gratuité des

    transports scolaires, qui fi-gure au rang des prioritéssocialistes, dans toutes lesrégions, et qui provoque desremous, à droite. L’ancienbras droit de Philippe de Vil-liers au Mouvement pour laFrance (MPF), Bruno Retail-leau, dénonce ainsi une pro-position « démagogique et irresponsable », au motif qu’elle ne s’appuierait sur aucune  « étude financière

     sérieuse ». Même son decloche dans le Centre-Val deLoire, où Maurice Leroy, président UDI du Loir-et-Cher, explique que la baisse des dotations del'État - dont la droite porte une lourde responsa-bilité - a vidé les caisses des collectivités locales.Mémoire sélective ?Christophe Clergeau ne manque pas une occa-

    sion de rappeler qu’il ne fait là que reprendreune proposition défendue, en 2010, par Chris-tophe Béchu, alors candidat de la droite. Le pré-sident UMP du conseil général du Maine-et-Loiremettait alors en avant « une mesure de solidaritéavec les familles, un encouragement en faveur des transports en commun et pour préserver l'environnement ». Effet boomerang garanti !Mais, qu’importe. Le candidat socialiste a été lepremier à en défendre le principe pour l’ensem-

    ble des lycéens et collégiens de la région. La me-sure concernerait quelque 150 000 jeunes, avecun coût moyen estimé à 132 € par élève. « Il y ades inégalités et je souhaite annuler cette charge

     pour les familles, explique-t-il. C’est une réponseconcrète pour soutenir les habitants des sec-teurs rural et périurbain ». Là où le FN prospère,traditionnellement, où la défense de l’école de laRépublique, accessible à tous, est indispensablepour combattre les inégalités et la fracture terri-

    toriale. Faut-il rappeler que la région a été la pre-mière à offrir gratuitement des manuelsscolaires à chaque lycéen ? Et qu’elle soutient,par ailleurs, les familles des apprentis et des ly-cées professionnels grâce à la gratuité des équi-pements.

    Contradictions. La droite fait mine de s’étonner,au prétexte que l’état des finances n’est plus le

    même. Et quand Franck 

    Louvrier, conseiller régio-nal sortant sur la liste deBruno Retailleau, déclareau Monde qu’il convient demettre le paquet sur l’em-ploi et l’économie, il sembleignorer les efforts consen-tis par la collectivité, dansce sens. Dernière initiativeen date, le fonds d’investis-sements Pays de la Loire,créé sous l’égide de six ETI,de partenaires sociaux, debanques et mutuelles et duconseil régional. Histoire

    d’accompagner les PME en phase de croissanceou de rebond. Cette opération inédite et rare-ment observée ailleurs, dotée de 20 millionsd’euros, s’est fixée pour objectif de booster letissu industriel. Et de compenser le manque defonds propres limitant la capacité d’investisse-

    ment desdites entreprises. Le tout, en les aidantà prendre le tournant des grandes mutationsliées aux transitions numériques, énergétiques,écologiques, ou à l’économie sociale et solidaire.Un partenariat destiné à réinvestir dans le tissuindustriel et de préserver des savoir-faire. Avec,à la clé, la création d’emplois nouveaux dans dessecteurs innovants.

    Clivages droite-gauche. Face à la montée du FN

    dans les zones rurales, Bruno Retailleau s’esttourné, tout naturellement, vers ces territoires,en déclinant un « plan d’urgence » pour l’agricul-ture, dans le bocage vendéen, acquis à sa cause.

    Faut-il rappeler que la régiona été la première à offrir 

     gratuitement des manuels scolaires à chaque lycéen ?

    Et qu’elle soutient, par ailleurs, les familles desapprentis et des lycées

     professionnels grâce à la gratuité des équipements.

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    13/1813 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    Accompagné, pour l’occasion, par Gérard Lar-cher, président du Sénat, sur sa terre natale etd’élection, le candidat LR s’est fendu d’un pro-gramme décliné en cinq points : modernisationdes exploitations, promotion de l’innovation par un centre de recherche sur les semences, travail

    d’inventaire sur les normes environnementales,notamment, anticipation des aléas climatiques,fourniture d’énergies alternatives…Christophe Clergeau n’a pas attendu après cespropositions qui dépassent d’ailleurs largementle cadre des compétences régionales (cf. inter-view jointe de SylvianeBulteau). Rien de bienétonnant, il est vrai, de lapart d’un adversaire LR

    qui passe le plus clair deson temps au Sénat etqui se plait à opposer villes et campagnes, sala-riés et fonctionnaires,

     jeunes et ainés. Dans lespas de son prédécesseur,le candidat socialiste pro-pose, pour sa part, lacréation d’un fonds régio-nal pour faciliter la trans-mission et la reprised’activités locales, dans les commerces, l’artisa-nat et l’agriculture. « Mises bout à bout, elles re-

     présentent des dizaines de milliers d’emplois »,confie-t-il. « J’ai vu trop d’exemples d’exploitationsagricoles ou de petites entreprises disparaître

     parce que l’on a pas pu aider à leur transmissionou à leur reprise. Ce sont à chaque fois desdrames locaux. Nous aiderons à la sauvegardede ces emplois ». (Le Point , 19 octobre).

    Dans une région où la « lepénisation des idées »se mêle à une droite dure et insidieuse, la ques-

    tion des réfugiés n’a pas manqué, non plus, d’ali-menter les débats. Lorsque Bruno Retailleaus’interroge sur les conséquences prévisiblesd’un « appel d’air incontrôlable », dans une lettreouverte à Jacques Auxiette, Christophe Clergeaun’omet pas de préciser que la région « a toujours

    répondu présent à l'appel des collectivités,lorsqu'elles sont confrontées à l'urgence d'un

     phénomène exceptionnel. C'est donc dans lecadre du dispositif global géré par l'Etat que

     s'inscrit l’aide exceptionnelle de 100 000 euros »,allouée aux principaux intéressés. Au passage,

    le candidat socialisteexprime l’ « effroi » qui lesaisit lorsque Bruno Re-tailleau demande quelle

    garantie assure que cesfonds « seront seulement attribués à ceux qui fuient réellement la mort ».

     « Quelle preuves faut-ildonc avancer pour béné-

     ficier de notre secours ? ,s'interroge l’élu PS. Les ré-

     fugiés ne sont pas des suspects qui doivent se justifier, nous parlonsd'enfants, de femmes,

    d'hommes qui fuient le pays qu'ils aiment pour  sauver leur peau ». Un échange qui en dit longsur le climat d’une campagne délétère, à biendes égards, qui vaut à la droite de recourir auxmêmes recettes que le FN. Entre droite extrêmeet extrême droite, il n’y a qu’un pas que BrunoRetailleau franchit allègrement. La région desPays de la Loire mérite mieux que cette bientriste alternative.

    Bruno Tranchant

    Dans les pas de son prédécesseur, le candidat 

     socialiste propose, pour sa part,la création d’un fonds régional

     pour faciliter la transmission et la reprise d’activités locales, dans

    les commerces, l’artisanat et l’agriculture. « Mises bout à bout,elles représentent des dizaines

    de milliers d’emplois », confie-t-il.

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    14/18NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 14

     « Bruno Retailleau n’a pas

     grand-chose d’un républicain »

    La Vendée est la terre d’élection du candidat LR, Bruno Retailleau, par ailleurs proche de Philippe deVilliers. Quelle est la situation

     politique, à droite, au sein du département ? 

    Bruno Retailleau a réussi à réunir autour deson nom toutes les composantes de la droitevendéenne, jusqu’aux représentants du MPF,son ancien parti. Philippe de Villiers, avant lui,

    avait imposé, sur ce territoire, une véritablechape de plomb. Avec le conseil départemen-tal, ses amis tiennent tout le monde, à coup dechèques et de subventions. Certains mairesn’ont d’ailleurs pas eu le choix, lors des der-nières élections. Au point que le manque de li-berté d’expression est aujourd’hui criant !Quant à la gauche, elle se défend avec lesmoyens du bord.

    Ce même Bruno Retailleau a présenté un plan d’urgence pour l’agriculture,dans le bocage vendéen, et décliné 

     plusieurs propositions. Qu’en pensez-vous ? 

    Il mélange compétences régionales et natio-nales, ce qui est franchement inquiétant pour un personnage public de ce niveau. Lorsqu’ilparle des normes, il omet de dire ainsi qu’ils’agit d’un travail qui relève de la compétencedes parlementaires.

     J’observe, par ailleurs, que dans son départe-ment, il a défini son propre règlement d’attri-bution d’aides financières. C’est bien cela qu’ilfaut changer pour éviter le saupoudrage. S’il

    est élu, je crains fort que nous n’en arrivions àce que Jacques Auxiette, président sortant dela région, dénonçait, en 2004 : la politique despetits chèques et des amis. Tout le contraire dece qui a été mis en place, depuis, par la gauche.En bons républicains, nous refusons de céder à toute politique préférentielle, visant à oppo-ser le privé au public, la ville à la campagne oules salariés au patronat.

    Doit-on parler de politiqueclientéliste, en référence au systèmeRetailleau ? 

    La réalité est plus subtile. Sa logique est pure-

    S ylviane Bulteauest députée de la deuxièmecirconscription de Vendée.

    « La confrontation avec la droite peut être violente »

    Témoignage

  • 8/20/2019 Regards sur les droites_n° 67

    15/1815 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

     

    ment idéologique. Il entend mettre en œuvrece qu’il a appris auprès de Philippe de Villiers,en stigmatisant le bénévolat et le tissu associa-tif, notamment. Ou bien encore la laïcité, quiest totalement étrangère à son langage.

    Fondamentalement, il se plait à adapter sondiscours à son auditoire, à l’image d’une sa-vonnette. Il est, de ce point de vue, totalementinsaisissable. Exemple, parmi d’autres, l’ap-prentissage qu’il cite à tout bout de champ. Ilne parle, en revanche, jamais d’enseignementsupérieur ou de recherche. Or, dans une lo-gique de globalisation, tout doit être pris encompte. Il nous faut former la jeunesse, ausens large. On ne peut opposer l’apprentissage

    aux études supérieures, comme le fait BrunoRetailleau. Cette offensive « anti-savoir » est in-tolérable ! Et lorsqu’il dénonce, au prix d’unmensonge éhonté, l’absence de moyens al-loués à l’école privée, il s’emploie à flatter saclientèle électorale. Tant et si bien qu’l n’a pasgrand-chose d’un républicain.

    Quel est le rôle de Philippe de Villiersdans cette campagne ? Quid du poidsdu Front national ? 

    Avec Philippe de Villiers, les Vendéens n’ontpas besoin du Front national ! Il a toujours re-couru à une ligne dure et ultra-catholique, anti-IVG et anti-euthanasie, voire mêmeislamophobe. Bruno Retailleau paraît plussubtile, mais n’hésite cependant pas à surfer sur les mêmes idées. Ce qui lui vaut quelquessarcasmes de son ex-ami qu’il a pourtant trahi,en 2010, pour s’emparer de la présidence du

    département, avant de tirer sa révérence et dese présenter aux régionales.Depuis, Villiers n’a eu de cesse de le dénoncer,au motif que le candidat LR cherche un trem-plin pour se faire connaître à Paris. Il est d’ail-

    leurs, aujourd’hui, président du groupe LR, auSénat. Et, il ne fait guère de doute qu’en cas devictoire de la droite, en 2017, il quémanderaun portefeuille ministériel.

    Comment le PS assure-t-il la riposte,dans ces conditions ? 

    La situation est complexe. Nous ne comptonsque deux parlementaires socialistes, à l’échelledépartementale. Ce qui ne nous empêche pas,

    toutefois, de combattre les choix opérés par ladroite et de pointer les politiques de saupou-drage auxquelles les élus LR et leurs alliés selivrent. Exemple parmi d’autres, le finance-ment de l’université catholique, pour un mon-tant proche de 3 millions d’euros. Nous nemanquons pas, non plus, de dénoncer cettefrange de la droite dure qui s’en prend directe-ment aux réfugiés, en flirtant avec le FN.N’oublions pas, enfin, que Bruno Retailleau aété le leader de la Manif pour tous, dans leGrand Ouest, en libérant la parole et les acteshomophobes. Au point que de violents inci-dents sont survenus à La Roche-sur-Yon. Cethomme est habité par un sentiment de re-vanche, sans se préoccuper véritablement dusort de ses concitoyens. À nous de le démon-trer !

    Propos recueillis par B.T.

  • 8/20/2019 Regards sur les droites_n° 67

    16/18NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 16

     

     « François Fillon reste très in-

     fluent, dans le département »

    Quelle est la situation politique àdroite, à moins d’un mois du premier tour des élections régionales ? 

    François Fillon reste très influent, dans le dépar-tement. Elu sans discontinué, de 1981 à 2012, entant que député-maire de Sablé et président duconseil général, il exerce un véritable magistèresur sa famille politique. Au point qu’il continue àtirer les ficelles, à droite, en s’appuyant sur le

    mouvement, Force Républicaine, qu’il a lui-même créé.Des tensions n’en sont pas moins apparues, ausein de l’UMP locale, au moment de l’élection duprésident du parti. Elles étaient si fortes que deuxlistes se revendiquant de la même famille poli-tique se sont affrontées, lors des dernières mu-nicipales, au Mans. L’une était soutenue par l’appareil filloniste contre la liste officielle présen-tée par l’UMP. Aujourd’hui, le président du conseil

    départemental, Dominique Le Mèner, proche deFrançois Fillon, est l’homme fort du parti Les Ré-publicains (LR), à l’échelle du territoire. Tant et sibien que les tensions se sont apaisées.

    Quelles sont les thématiquesauxquelles le candidat LR recoure,dans le cadre de la campagne ? 

    Nous ne sommes pas confrontés à une frangedure de la droite. J’observe, d’ailleurs, que sesélus se sont montrés discrets, dans le cadre dela Manif pour tous. Ce qui ne les empêche pas,toutefois, de taper sur le gouvernement et de re-courir à des arguments démagogiques, dès lors

    que la situation le permet. Rien à voir, cepen-dant, avec la situation vendéenne où le climatest beaucoup plus tendu. L’UDF a longtemps eule vent en poupe, dans la Sarthe et il a fallu at-tendre l’arrivée de François Fillon pour que lerapport de force s’inverse, au profit de l’UMP. Latradition libérale est donc prégnante chez sesélus qui mêlent volontiers leurs voix à celles dela gauche sur les gros dossiers. Et ce, parce quel’agglomération est à gauche.

    Nous pouvons donc avoir une identité de vuesur un certain nombre de sujets, même si desdivergences subsistent, à l’échelle départemen-tale. Exemple, parmi d’autres, les collèges qui

    Christophe Counilest le Premier secrétaire fédéral

    de la Sarthe.

    « François Fillon reste très influent

    dans le département »

    Témoignage

  • 8/20/2019 Regards sur les droites_n° 67

    17/1817 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE

    valent à la droite de se prononcer pour un par-tenariat public-privé, dans le cadre de la recons-truction de quatre établissements. Ceci vautégalement pour l’éducation ou le déploiementde l’informatique pour lequel nous avons pris

    beaucoup de retard. Ces clivages se situent prin-cipalement dans la gestion des dossiers.

    Dans la Sarthe, comme dans d’autres portions du territoire, le FN enregistreune véritable percée dans lesterritoires ruraux. Comment endiguer ce phénomène ? 

    Cette percée n’est pas nouvelle. Aux cantonalesde 2011, je me suis retrouvé face à un candidat

    FN, au deuxième tour. Nous étions alors en me-sure de prendre le département, avantd’échouer au second tour à deux cents voix près.La présence d’un adversaire frontiste était alorsla conséquence de l’effondrement de la droite,mais le FN montait déjà en puissance dans leszones rurales. Les élections qui ont suivi n’ontfait que conforter ce constat, lié au sentiment dedéclassement d’une catégorie de la population.Ce ne sont pas tant les problèmes d’insécuritéou d’immigrations qui ont pesé dans la balanceque la peur relayée par les médias et le senti-ment d’abandon auquel je faisais référence àl’instant. C’est étonnant, mais c’est ainsi, d’au-tant que le FN n’est pas du tout organisé, loca-lement.Ce parti capitalise sur l’image de Marine Le Penet de son candidat, Pascal Gannat, qui occupe,par ailleurs, le poste de secrétaire départemen-tal du mouvement, dans la Sarthe. C’est unhomme dangereux qui parvient, néanmoins,

    petit à petit, à mettre de l’ordre dans son parti,tout en tenant des propos particulièrement ten-dancieux. Récemment, il comparait ainsi l’ho-mosexualité à une forme de zoophilie.N’empêche qu’il parvient peu à peu à bâtir desréseaux, tout en professionnalisant ses troupes.

    Comment convaincre les Sarthois devoter pour le candidat socialiste ? 

    En régionalisant la campagne ! Notre bilan est

    excellent. Le président sortant, Jacques Auxiette,est apprécié et reconnu. Il nous faut donc capi-taliser sur son image, en rappelant aux élec-teurs que nous ne sommes pas sur une électionà enjeu national, mais local.

    Fort de ce constat, nous faisons feu de tout bois,en communiquant sur les bonnes nouvelles :première baisse du chômage, hausse de lacompétitivité, mesures incitatives en faveur dulogement… Ce qui nous vaut de recourir à deséléments de langage, afin de convaincre les in-décis que les politiques que nous menons com-mencent à porter leurs fruits. C’est le seulmoyen de faire reculer le FN.

     J’ai affronté deux fois ce parti, dans une élection.

    Dans un premier temps, j’ai recouru à des pro-pos moralisateurs et pro-républicains. Résultat: la gauche n’a pas gagné la moindre voix entreles deux tours. En clair, l’électorat de droite nes’est pas déplacé. Changement de cap, lors de ladernière cantonale, où nous nous sommes ef-forcés de ne pas culpabiliser la population, endressant un tableau comparatif entre nos pro-positions et celles du candidat FN. Ce discourss’est révélé beaucoup plus efficace que le précé-dent. J’en conclu que seuls les résultats comp-tent ! Quant à la droite, elle s’est bien gardée dedonner des consignes de vote…

    Quels éléments de riposte le Parti socialiste déploie-t-il face au candidat Républicain ? 

    Nous tapons sur la droite dure, en dépit d’unesituation particulière, comme je l’expliquais toutà l’heure. Nous concentrons le tir, également,sur la pratique du cumul des mandats, en stig-

    matisant l’adversaire LR de Christophe Cler-geau, Bruno Retailleau, et en rappelant qu’encas de défaite, les subventions allouées auxquartiers disparaîtront. Nous faisons donc cam-pagne sur le thème « Au secours, la droite re-vient ! », et ça fonctionne plutôt bien, auprèsd’un électorat qui ne nous est pourtant pas ac-quis naturellement.

    Propos recueillis par B.T.

  • 8/20/2019 Regards sur les droites_n° 67

    18/18

      Le numéro de ce mois-ci consacre un dossier spécial aux défis et  problèmes auxquels se confronte la Conférence mondiale sur le cli- mat, la COP 21, qui se réunira à Paris, fin novembre. À lire !