regards sur la poÉsie

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REGARDS SUR LA POÉSIE Je ne prétends pas brosser, en ces quelques pages, un tableau complet du lyrisme contemporain ; mais je voudrais mettre en évidence les poètes que je considère comme les plus représentatifs parmi ceux qui restent fidèles au chant et qui, à notre époque désorientée, ont le courage d'être humains, de trouver leur inspi- ration ailleurs que dans le seul inconscient, de ne pas sombrer dans l'incohérence et de fuir les dangers de la mode autant que l'abus des théories. Il existe encore un certain nombre de musiciens du vers dans l'œuvre desquels continue à triompher cette forme strictement régulière qu'ont employée, avant eux, Baudelaire et Verlaine ainsi que Moréas et Valéry. Le Languedocien Jean Lebrau, dont on a récemment publié un attachant florilège, est un des premiers entre les poètes qui, misant plus sur la durée que sur l'immédiat, découvrent leur liberté dans la rigueur même des contraintes qu'ils s'imposent ; et l'on peut dire que la plupart de ses élégies et de ses courtes chansons joignent à merveille, dans la louange de sa terre natale, la fraîcheur à la force et témoignent avec fer- meté d'un sentiment tragique de la vie. A côté de Lebrau se rangent ses quatre amis du groupe rhoda- nien : Louis Pize, chantre du Vivarais qu'il célèbre aussi fervem- ment qu'A. P. Garnier sa Normandie ; Jacques Reynaud, auteur d'un très pur Cantique du Rossignol et d'un très beau Chant pour les Morts M pour les Vivants à la puissante harmonie pleine d'espé- rance et de sérénité, Albert Flory, plus convaincant en sa vigou- reuse concision que tant d'autres en leur bavarde éloquence, et Charles Forot, qui délaissant de plus en plus son Pigeonnier pour les îles Baléares, exalte avec un rare bonheur dans son dernier LA REVUE N * 2 S

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REGARDS SUR LA POÉSIE

Je ne p ré tends pas brosser, en ces quelques pages, un tableau complet du lyrisme contemporain ; mais je voudrais mettre en évidence les poètes que je considère comme les plus représentat i fs parmi ceux qui restent fidèles au chant et qui, à notre époque désorientée, ont le courage d 'ê t re humains, de trouver leur inspi­ration ailleurs que dans le seul inconscient, de ne pas sombrer dans l ' incohérence et de fuir les dangers de la mode autant que l'abus des théories .

I l existe encore un certain nombre de musiciens du vers dans l 'œuvre desquels continue à triompher cette forme strictement régulière qu'ont employée, avant eux, Baudelaire et Verlaine ainsi que Moréas et Valéry. L e Languedocien Jean Lebrau, dont on a r é c e m m e n t publ ié un attachant florilège, est un des premiers entre les poètes qui, misant plus sur l a durée que sur l ' immédia t , découvren t leur l iber té dans la rigueur même des contraintes qu'ils s'imposent ; et l 'on peut dire que la plupart de ses élégies et de ses courtes chansons joignent à merveille, dans la louange de sa terre natale, l a fraîcheur à l a force et t émoignen t avec fer­m e t é d 'un sentiment tragique de l a vie.

A côté de Lebrau se rangent ses quatre amis du groupe rhoda­nien : Louis Pize, chantre du Vivarais qu ' i l célèbre aussi fervem-ment q u ' A . P . Garnier sa Normandie ; Jacques Reynaud, auteur d'un t rès pur Cantique du Rossignol et d'un t rès beau Chant pour les Morts M pour les Vivants à l a puissante harmonie pleine d'espé­rance et de sérénité , Alber t F lory , plus convaincant en sa vigou­reuse concision que tant d'autres en leur bavarde éloquence, et Charles Forot, qui délaissant de plus en plus son Pigeonnier pour les îles Baléares, exalte avec un rare bonheur dans son dernier

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l ivre, Couchant, les enchantements de la lumière médi te r ranéenne , en des stances dignes de l'admirable Emmanuel Signoret et du non moins admirable Pierre Camo :

Un vent doré se joue aux rameaux d'oliviers, Il découvre et caresse une face plus pâle : Le paysage est tel qu'Amour vous le rêviez Dans le scintillement d'une mer triomphale.

L'eau palpite et frémit et se marie aux cieux, Cette eau d'un bleu nacré par ces heures sereines, Et si divinement vivante que nos yeux Y cherchent le reflet des dernières sirènes.

Indéniable érudi t auquel nous devons un excellent Florilège des Troubadours et une remarquable Anthologie de la Poésie occi­tane, A n d r é Berry, dont l'abondance rappelle celle de Raoul Pon-chon, est, de m ê m e que le poète de la Muse au Cabaret, un pres­tigieux artisan du vers, aussi bien quand i l écrit une geste cham­pê t re telle que les Esprits de Garonne, où sont chantés les t ravaux rustiques du pays gascon, que lorsqu'il nous conte en son Trésor des Lais les aventures de sa vie de grand voyageur et de grand coureur de filles. I l a, jusque dans ses ét ranges sonnets oniriques et son Petit Ecclesiaste subi l 'utile influence d 'André Mary , créa­teur de l 'Ecole gallicane et, maintenant, i l est à son tour tenu pour un maî t r e par des poètes comme Edgar Valès, son biographe le plus averti, comme le si divertissant Roger Rabiniaux, comme Pierre Labracherie, notre meilleur satirique depuis l a disparition de Fernand Fleuret, comme le docte François Pradelle et comme Henr i Courmont dont les savoureuses Bourrées pour la SaiM-Jean nous r a m è n e n t au temps de Théophi le , de Saint-Amant et de V i o n Dalibray.

L a v i r tuos i t é d 'Armand Godoy, presque aussi grande que celle de Berry, sert une inspiration fort différente et d 'un carac­tè re foncièrement spiritualiste. F . Chaffiol-Debillemont, André St i r l ing et Maurice-Pierre Boyé unissent en leurs vers mélodieux, que marque le haut exemple d 'Henr i de Régnier, beaucoup d'élé­gance à beaucoup de tendresse et de sensibilité. Jean Pourtal de Ladevèze est plus subtil dans sa rigueur mal la rméenne . L a m ê m e discipline et l a m ê m e sobriété ne font défaut n i à Jacques Duron, n i à Christian Dédéyan , n i au rilkéen Louis E m i é , mys­té r ieux poè te de la solitude ; et l'enseignement profond du Valéry de Palme, de Narcisse et de la Dormeuse a été scrupuleusement

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suivi par Pau l Lorenz dont l'apparente obscuri té ne voile aucune insuffisance de pensée et dont maint poème souple et savant allie, en sa br iève té , la grâce à je ne sais quelle inquiè te ferveur :

Pas à pas se sont joints les chemins séparés E t l'ombre a répandu sa troublante influence, E t la terre a formé de souhaits égarés L a modulation qui manquait au silence.

Pas à pas désunis, heureux ou moins heureux, Ils agitent leurs mains dans la lumière blonde, E t les joueurs de luth se demandent entre eux Quel attrait s'est rompu sur la face du monde.

Bien que, pour donner plus de place à leurs cadets, i l m'ait fallu renoncer à parler des poètes dont l 'œuvre é ta i t connue avant 1914, je suis obligé de faire une exception en faveur de Jean Coc­teau tellement i l s'est renouvelé à diverses reprises et tellement i l est demeuré plus jeune que bien des poètes nés vingt ans après lu i . L 'auteur de Vocabulaire a eu certes de brillantes réussi tes en vers libres, mais c'est dans ses poèmes en vers traditionnels, comme ceux de Clair-Obscur ou comme ce récent Cérémonial Espagnol du Phénix, qu ' i l s'est élevé le plus haut dans une voie secrète où, loin de toute jonglerie, i l se montre le petit-neveu de Gongora et l 'un des vrais descendants du Nerval des Chimères.

Jacques Audiber t i , t r ès apprécié aujourd'hui comme auteur dramatique, s'est imposé, dès ses premiers recueils, par sa vio­lence baroque et sa force d'invention verbale. Quant à la poésie de Georges Gabory, qui d é b u t a en compagnie de Malraux et qui fut l ' on des intimes de Max Jacob et d 'André Salmon, elle est plus nuancée en ses rythmes habiles où s'accordent souvent le rêve, le désir et la mélancolie :

Voyageur, que Dieu t'accompagne, Puisque c'est Dieu qui t'a conduit Dans cette auberge de campagne Où l'horloge a sonné minuit 1

— Les nuits sont froides en décembre, Dit la servante au Voyageur. Un ange est au seuil de la chambre Qui les suit d'un regard songeur.

Sur eux la porte s'est fermée, Demain peut-être il fera jour : — Je suis la Mort, ô bien-aimée ! — Je t'attendais, je suis 1*Amour I

Paul Damarix , Henry Lasserre et Marcel Béguey sont des élégiaques d'une riche concision et d'une p é n é t r a n t e simplicité ;

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mais le plus parfait lyrique de sa généra t ion (celle des écr ivains qui ont tout juste dépassé l a cinquantaine) est à coup sûr Robert Houdelot. A u c u n autre poète contemporain ne fait, du reste, preuve, depuis l a mort de Vincent Musell i , d'une telle p lén i tude , jointe aux sons noirs de ce « démon » que Federico Garcia L o r c a a merveilleusement évoqué dans une célèbre conférence et qui n'est l'apanage que des plus grands :

Cette image pâle et chérie Qu'entre mes bras j'ai cru tenir Qu'elle dorme dans la féerie,

Au fond du souvenir,

Mais que sa face, une seconde, Me sourie au bord du tombeau (Il n'est rien de plus triste au monde,

Il n'est rien de plus beau).

J'ai tiré mon dernier courage, Où j'ai souffert et guerroyé, D'une larme sur un visage

Par l'amour foudroyé.

L e poème en prose qui est un genre apparemment facile, mais à l a vér i té des plus difficiles et dans lequel on aime rencontrer la rigueur unie à la surprise, a permis aux importants novateurs que sont Henri Michaux, René Char et Francis Ponge d'expri­mer le meilleur d ' e u x - m ê m e s , ainsi q u ' à Henr i Hoppenot, ce méconnu du plus rare et du plus haut talent, de faire tenir tant de beau té s mystér ieuses en son é t o n n a n t Continent perdu. P l u ­sieurs autres poètes à qui cette forme est familière mér i t en t d ' ê t r e pareillement cités. L ' u n des plus originaux est sû remen t Lou i s Guillaume dont La Nuit parle nous transporte dans un bizarre univers de songe ; mais on peut lu i préférer Marcel Béalu qui mêle avec une maî t r ise peu commune l'insolite au quotidien, Jean FoIIain qui sait envelopper la réali té d'une sorte de magie et, surtout, Jacques de Laprade qui, après un trop long silence, nous offre dans « Odeur du Temps », l a jeune revue trimestrielle dirigée si intelligemment par Christiane Cauët , une confidence é m o u v a n t e et profonde comme un secret aux fiers prolongements que rien n 'égale dans son œ u v r e , sauf peu t -ê t re cette én igma t ique Etrangère :

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Elle me passa deux anneaux, l'an au petit doigt, l'autre au doigt où je porte notre alliance — et celui-ci était orné d'une pierre noire — puis elle me montra sa main aux deux bagues d'argent sombre.

Près de moi restait son visage, son visage changeant qui parfois était semblable au tien ; mais je ne pouvais la nommer et il n'y avait aucune joie dans mon cœur fidèle.

Si c'était toi, que ne me l'as-tu dit, hélas ! Sinon qui donc étais-tu — et suscitée pour quels présages — toi qui un instant

revêtis le sourire charmant de ma bien-aimée ?

Le verset, venu de la Bible et des Feuilles d'Herbe du fougueux: W a l t Whi tman , est une forme moins pure que le poème en prose, mais qui a parfois servi superbement les inspirations de Claudel et de Saint-John Perse et donné à Milosz autant q u ' à Monther­lant l'occasion d'écrire certaines de leurs pages les plus somp­tueuses. Deux poètes le manient maintenant avec une singulière aisance. Le premier d'entre eux est Léopold Sedar Senghor, grand lyrique africain d'expression française, dont les chants robustes et pleins des aspirations de sa race rendent un son d'une inten­sité tout à fait personnelle ; et le second, le Belge Robert Goffin r

fervent hér i t ier de Cendrars, qui allie à une curieuse puissance d'images un fastueux vocabulaire et l'enthousiasme le plus vif .

Tristan Derème jugeait l a fantaisie comme une façon 'de « l iber té spirituelle et sentimentale qui permet de donner au monde des aspects imprévus ». Cette excellente définit ion me semble parfai­tement convenir aux poèmes en vers libérés de Maurice F o m -beure, disciple de Saint-Amant et de Léon-Pau l Fargue, qui rejoint avec facilité, dans ses jolies chansons paysannes, l a meilleure veine populaire et qu'on ne saurait trop louer de nous rafraîchir ainsi le c œ u r et l'esprit. I l y a également bien du charme dan* l'attachant lyrisme de Pau l Gilson, presque toujours épris de merveilleux, en son modernisme aussi aigu que ceux de Pau l Morand ou de Philippe Soupault, et dont le climat de rêve se prê te mieux que nul autre à l 'évocat ion de capricieux fantômes :

Entre les berges de la Seine une voyageuse au long cours cours du dimanche et cours d'amour mêlait en jouant des mitaines et les jamais et les toujours au fond d'un manchon de velours.

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Belle passagère qu'entraîne une rumeur de revenants ô gué sachez que la sirène avait la voix de ma marraine et que Nemo le capitaine est mort sans lui laisser d'enfants.

Les Proverbiales de Georges Neveux et les romances de Jean-Vincent Bréchignac sont é t r an ge me n t séduisantes . Armand Lanoux, collectionneur de faits divers et photographe dél i rant , ne manque ni de verve n i d'imagination et s'apparente à Pierre Mac Orlan, tandis que le Brésilien Vincent Monteiro se rapproche de Ban­ville par son goût des rimes cocasses et de Max Jacob par l a savou­reuse v ivac i té de ses images. Jean Berthet, Paul Zenner et Luc ien Feuillade, qui pousse la coquetterie j u s q u ' à ne pas signer ses vers, restent plus voisins du P . J . Toulet des Contrerimes et du Jean Pellerin des Familières comme d'ailleurs Yves Gandon et Pierre Moussarie, tous deux poètes d'un mét ier sûr et d 'un tendre pouvoir d 'émot ion .

Je pense, depuis plus de vingt ans, comme le pensait Francis Garco, que Louis Aragon est le plus doué de nos poètes , et je suis fâcheusement é tonné lorsque je l'entends comparer à Déroulède . Rien n 'est 'moins juste, car l 'auteur aujourd'hui célèbre du Crè-vecœur descend, en vér i té , de Charles d 'Orléans et de Guillaume Apollinaire. Une romance comme Richard Deux Quarante devrait figurer dans toutes les anthologies, et nombre de pièces écri tes pour Eisa , entre 1940 et 1962, comptent indiscutablement parmi les meilleurs poèmes d'amour de notre époque :

U n jour Eisa mes vers qui seront ta couronne E t qui me survivront d'être par toi portés On les comprendra mieux dans leur diversité Par ce reflet de toi que tes cheveux leur donnent Un jour Eisa mes vers en raison de tes yeux De tes yeux pénétrants et doux qui surent voir Demain comme personne aux derniers feux du soir Un jour Eisa mes vers on les comprendra mieux

Alors on entendra sous l'accent du délire Dans les aveugles mots les cris de déraison Par cet amour de toi sourdre la floraison Des grands rosiers humains promis à l'avenir Alors on entendra le cœur jamais éteint Alors on entendra le sanglot sous la pierre Que l'on verra saigner où s'attacha mon lierre On saura que ma nuit préparait le matin...

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R E G A R D S S U R L A P O É S I E m L'influence d 'Aragon a touché quelques lyriques de tendance

marxiste eomme le v é h é m e n t Charles Dobzynski , l ' é m o u v a n t Claude R o y qui fait aussi penser à Supervielle et le mélodieux Rouben Melik au charme oriental d'une insinuante et douce per­suasion. N o n loin d'eux, i l me faut citer encore Gui lkwic , ami des menhirs et de l 'océan, au talent ferme et dense, et René Lacôte dont le Vent d'Ouest est une pièce obsédante qu ' imprègne magni­fiquement l ' a tmosphère des marais, des plages, des landes et des bosquets d 'Aunis et de Saintonge.

*

I l y aura b i en tô t six ans que la mort de Roger Michael a mis en deuil la jeune poésie française et nous a privés du continuateur le plus humain qu'ait jamais connu le généreux lyrisme de Jules Romains, de Chennevière, de Georges Duhamel et de Charles Vildrae. Mais l 'œuvre de notre ami demeure en son heureuse simplicité, ses élans vigoureux et sa profonde richesse, et je suis certain qu'on l i ra et relira longtemps des livres comme Chapeau de Fer, Passe Noire, Grandeur Nature et cette longue pièce amou­reuse qu ' i l nomma Litanie et qu ' i l acheva peu de temps avant de nous quitter :

Elle est duvet de tourterelle, Elle est joyau dans son écrin, Elle est tige de piraprenelle, Elle est lumière du matin.

Elle est le fruit, elle est l'amande, Elle est reflet mouvant sur l'eau, Elle est le genêt et la lande, Elle est le saule et le bouleau

Et de ses longs cheveux de fée Parfois s'envolent des oiseaux. Elle est la chanson étouffée Pendue aux sceptres des roseaux.

Elle est flamme, elle est étincelle. Ses yeux péti l lent d'astres nus E t sa voix est violoncelle Frémissant d'accords inconnus...

L a m ê m e ardeur p a t h é t i q u e et le m ê m e solide amour de la vie donnent leur prix à l a poésie des Marseillais Gabriel Audisio et Louis Brauquier, du Charentais Pierre Boujut et du Parisien Pierre Seghers plus connu pour ses dons exceptionnels d'anima­teur. L e beau talent de Noël Ruet, comme celui de Pau l Chaulot,

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s'impose par sa robustesse aussi bien que par sa pudeur, et l a veine populiste de Pierre Béarn s'accorde à celle d 'André L o Celso dans un sentiment de révol te et de communion avec la souffrance des hommes.

Auprès de ces poètes prennent place, tout naturellement, «eux de l 'Ecole de Rochefort, fondée par Jean Bouhier en 1941 : Marcel Béalu, Jean Rousselot, Lucien Becker, L u c Bér imont , Michel Manol l et René-Guy Gadou. Ils sont tous justement notoires et le dernier d'entre eux, né en 1920 et disparu à trente et un ans, conna î t m ê m e une sorte de gloire posthume que l u i vaut l a chaude et fervente in tens i té d'une inspiration où le réel est, l a plupart d u temps, merveilleusement t ransf iguré.

L a publication des Enfants de Septembre de Patrice de L a Tour du P i n dans le n u m é r o d ' aoû t 1932 de la Nouvelle Revue Française eut un légitime retentissement. Ce poème sans précé­dent dans notre poésie, mais qui laisse peu t -ê t re voir quelques affinités avec le Soir d'Automne de Lenau et YUlalume d 'Edgar Poe, nous ouvrait en effet les portes d'un mys té r i eux domaine couvert de brume et t raversé de fiévreux oiseaux de passage qu'on peut aussi prendre pour des anges farouches. L ' année suivante L a Tour du P i n fit pa ra î t r e sa Quête de Joie où la magie d 'un songe trouble et pourtant riche de mystique ferveur se mêle à ce que la vie garde en elle de plus frais, de plus matinal et de plus spon­t a n é . C 'é ta i t là un superbe d é b u t qui semblait m ê m e annoncer un poè te de génie, mais dont les promesses éc la tan tes ne furent h é l a s ! confirmées qu'assez fragmentairement dans Une Somme de Poésie (1946) et dans le Second Jeu (1959). Malgré leur échec relatif, ces deux gros volumes aux mythes secrets, dérivés des légendes celtiques, n'en doivent pas moins imposer le respect à tous ceux qui savent, avec Paul Valéry, que « les longs poèmes sont vu lnérab les » et qu ' i l serait injuste de les juger trop sévèrement .

L e succès du Tombeau d'Orphée de Pierre Emmanuel fut, en 1941, presque aussi v i f que celui de la Quête de Joie huit ans plus t ô t . Ce n ' é t a i t que justice, car ce recueil, avec son âpre d u r e t é , son lyrisme déchaîné comme un torrent de lave et son angoissant désir de connaissance, rejoint, à travers l'exemple de Pierre Jean Jouve, l a tradition de l ' impé tueux Agr ippa d 'Aubigné des Tra-

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giques. Emmanuel ne s'en tint pas là et devint rapidement un des poètes majeurs de la Résis tance. Puis i l écrivit Babel qui reste, en ses vers blancs magnifiquement ry thmés , en ses proses royales et en ses bondissants versets, un des ouvrages capitaux de notre temps et que je mets fort au-dessus de ses Cantos et de son récent Evangëliaire, dignes cependant d 'ê t re aimés pour leur curieux dépoui l lement .

Dans le sillage de L a Tour du P i n et d 'Emmanuel et dans la m ê m e inspiration religieuse, je nommerai encore L u c Estang, vrai poète aux chants baudelairiens et t ou rmen tés , Jean Grosjean très influencé par la Bible, Pierre-Louis Flouquet, qu'animent fortement les grands souffles de l a foi, Jean Bancal , auteur du substantiel Arbre de Vie et Pierre-Henri Simon, dont les vers harmonieusement cadencés unissent maintes fois, comme ceux que voici , la discrét ion à la densi té :

La voix que j'ai jetée au vent de la nuit lourde, Sur le sentier blessant et sous le ciel couvert, A rebondi longtemps au creux de l'ombre sourde, Et me voici plus seul en mon palais ouvert.

Le chant de ma souffrance et de ma solitude Comme un rets de tendresse en vain je l'ai tendu : Les oiseaux ont monté vers l'obscure altitude, Et tout, jusqu'à l'horreur du silence, est perdu 1

S'il est fou d'espérer que l'homme entende l'homme, S'il est vain de se plaindre et honteux de crier, Sur la plus haute voie où l'amour se consomme, Mon Dieu, découvrez-moi la douceur de prier 1

J 'a i groupé dans ce paragraphe divers poètes qui me parais­sent entre tous m a r q u é s par le signe impér ieux de l ' indépendance . Alphonse Métérié, que j ' a i connu au Divan vers 1925, est comme Gabriel-Joseph Gros, dont le Bouquet de la mariée se pare de toutes les grâces pr in tanières , un é m o u v a n t élégiaque de l a famille de Charles Guérin et d 'Emile Despax qui nous confie ses bonheurs et ses peines d'une voix pure et dél icieusement persuasive. L ' insp i ­ration de Maurice Carême incline p lu tô t vers la féerie et la poésie d 'Armand Bernier est faite d ' inquié tude mé taphys ique , de trans­parence et d 'é t ro i te communion avec la nature :

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Penchez-vous sur mon front, feuillages. Faites que je devienne pur Comme une branche après l'orage.

Le vent, ce souffle de Dieu, fait briller des gouttes d'eau dans les mains naïves des feuilles.

Mes lèvres, déjà les touchent : je les respire et je les bois et tout le ciel est sur ma bouche.

I l y a dans les vers de Pierre Menanteau, que Maurice F o m -beure a judicieusement loué « pour avoir conservé intacte sa facul té -{'émerveillement devant les spectacles qui l'entourent », beau­coup de sève, une fraîcheur de source, une sincère amit ié pour les plantes et les animaux et l a plus franche simplicité. U n iden­tique amour de la campagne est p résen t dans les poèmes de Jac­ques Charles et d 'André Henry comme dans ceux d 'Antony Lhér i -tier, qui montre, de plus, en digne petit-neveu de Tristan Cor­bière, sa passion pour les beau té s changeantes de l a mer. Auteur d'une thèse brillante sur Francis Jammes et d'un p é n é t r a n t essai sur la mort de Gide, Robert Mallet nous touche également par des qual i tés où se donnent libre cours les mouvements d 'un c œ u r sensible, mais i l nous retient, avant tout, parce que nous le sen­tons vé r i t ab lement lié aux lourdes angoisses de notre époque .

Norge, qu'on a quelquefois r app roché de notre grand humo­riste Raymond Queneau, est, en compagnie de Marcel T h i r y et d 'Alber t Ayguesparse, le poè te belge contemporain dont l 'origi­na l i té me semble la plus évidente . Son Gros Gibier déborde d'images, de san té , d'invention et de ferveur, sa Langue Verte renferme de belles réussites en argot, pleines de verve et de fantaisie, et ses récentes Quatre Vérités me captivent par leur ton à l a fois rude et prenant et par l a bizarre acui té de plusieurs des pièces qu'elles contiennent, comme, par exemple, celle que voici :

L'un faisait signe i bonjour Debout sur l'azur tenace. L'autre appelait au secours Dans le fond de sa crevasse.

L'un criait pour sa gencive E t l'autre pour sa prison. Jean voulait mordre à la rive E t Paul mordait l'horizon.

On m'agrippe, on me réclame Partout, vivants et défunts ! O terrible poids de flammes Qu'il faut au froid de chacun.

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O terrible poids de feu E t pas un rocher qui fonde. Le brasier du cœur est peu Pour chauffer le gel du monde.

Edmond Vandercammen et le Suisse Gilbert Trolliet ne sont jamais aussi convaincants que lorsqu'ils écouten t l a leçon de Valéry. Le Canadien Robert Choquette, brillant émule de ses compatriotes Anne Héber t , A l a i n Grandbois et Alfred des Rochers, nous laisse voir une puissance peu commune dans sa t rès longue Suite marine, le Haï t ien Léon Laleau, admirateur de Toulet et de Max Jacob, compose pour notre plaisir des chants pleins d'adresse et de séduct ions et le Vénézuélien Robert Ganzo s'est depuis longtemps affirmé comme un de nos plus hauts poètes en éc r ivan t Orénoque et Lespugue.

Les versets du Mauricien Loys Masson, qui me fut révélé en 1941 par un é t range et symbolique Voilier nord perdu parmi les brumes d'une aventure sans fin, servent le m ê m e audacieux moder­nisme que les sonnets occultes d 'Henr i de Lescoët et que les vers libérés de Philippe Dumaine toujours h a n t é par les mys té r ieux prestiges du rêve et toujours p rê t à explorer les régions de l'inex­primable. Alber t F lad demeure, au contraire, a t t a c h é au réel en des pièces courtes dont le sombre accent est parfois proche du ton grave et p a t h é t i q u e des poèmes d 'André Blanchard en qui je me plais à reconnaî t re un des lyriques les plus denses et les plus savants de sa générat ion.

U n seul recueil de vers paru en 1931 a suffi pour mettre Gérard d 'Houvi l le au tout premier rang de nos muses ; et ses poèmes, où s'exprime à merveille un harmonieux désenchan temen t , n'ont rien à craindre des menaces de l 'oubli . On peut en dire autant de Marie Noël dont la juste gloire ne cesse de grandir et dont le dernier l ivre est un des meilleurs qu'elle nous ait offerts et celui où, sans doute, se montrent le mieux sa fraîcheur d ' âme , ses tour­ments causés par la solitude et sa naturelle pure té . Les seize vers de cette chanson écrite dans la tradition des t rouvères , du Nerval des Cydalises et du Verlaine de Sagesse, feront d'ailleurs com­prendre à quel dépoui l lement est maintenant parvenue l 'émou­vante poétesse d'Auxerre :

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Qu'est, ce pas, venu dire ? (Elle attend dans la salle) — Qu'est, ce pas, venu dire ? — Le cœur de son ami.

Qu'est, ce pas, venu dire ? (Sa robe en fleur, sa bague) Qu'est, ce pas, venu dire ? Que le cœur a trahi.

Qu'est, ce pas, venu dire ? (Le pain, le vin, la nappe) Qu'est, ce pas, venu dire ? Qu'au loin il est parti.

Qu'est, ce pas, venu dire ? (Le gâteau sur la table) Qu'est, ce pas, venu dire ? ... Que quelqu'un va mourir.

L'inspirat ion d'Henriette Charasson est foncièrement chré­tienne comme celle d'Alliette Audra , mais la première emploie u n verset clair et familier pour vanter les heures tranquilles du foyer et nous confier l a ferveur de sa foi, tandis que la seconde brise à demi le rythme de ses alexandrins pour nous faire enten­dre une voix douce où tremblent, ainsi que des gouttes de rosée, de tendres et chers secrets d'enfance. George-Day reste plus grave, et son ferme t e m p é r a m e n t de moraliste s'accorde de mieux en mieux, à chacun de ses recueils, avec un vigoureux désir de con­centration, un ton de franchise qui ne trompe jamais et le sobre ca rac tè re d 'un lyrisme tendu vers une sorte d'apaisante séréni té . O n devine un apaisement analogue chez Nel ly A d a m , dont le l ivre de débu t , Mezza Voce, nous a révélé une exquise.intimiste ; -et l a m ê m e sincérité se fait jour dans nombre de stances mélo­dieuses où Anne-Marie Oddo chante le désespoir lucide qui vit en elle.

Après avoir commen té pour ses amis, en des poèmes musicaux et raffinés, les toiles des peintres qu'elle préfère, K a t i a Granoff a publ ié une remarquable anthologie de la poésie russe dont la traduction en vers lu i a va lu de grands éloges. Hélène Jules, morte en novembre 1959, à l 'âge de trente-six ans, nous a laissé un long p o è m e inédi t d 'un attrait comparable à celui de ses Ombres du Matin, si fraîches et si secrètes en leur attachante mélancolie, et Jane Kieffer a confirmé ses dons par t icu l iè rement originaux dans son dernier recueil où elle sait, avec les mots de chaque jour, mêler u n sentiment panique de la vie à toutes les forces du songe.

Quelques femmes poètes et non des moindres sont au nombre des artistes du vers les plus accomplis que nous possédions actuel-

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lement. C'est le cas d 'Yvonne Ferrand-Weyer dont Valéry goû­tait avec raison le sûr talent, de Gilbert Mauge, discrète et fine magicienne, de l a pan thé i s t e Violette Rieder et de Claude Four-« a d e , cette élégiaque vraiment exceptionnelle à qui l 'Ile de France et l a Sologne ont inspiré de brefs et parfaits poèmes au charme nervalien. Une égale soumission aux contraintes les plus sévères marque pareillement les productions lyriques de Gisèle Lombard-Mauroy, subtile et p é n é t r a n t e à souhait, de Ninette Collins, de Jacqueline Frédér ic Frié , de Magdeleine Labour, de Michèle Comte, de la valmorienne Ginette Bonvalet et de Frances de Dalmatie •qu'admirait Henr i Mondor et que je crois promise à un haut destin.

U n vers moins rigoureux, quoique fidèle à ce qui fait l'essen­tiel de notre prosodie, est le moyen d'expression préféré de l ' ingé­nieuse Louise de Vi lmor in , d'Anne-Marie de Backer, de Pier­rette Sartin, de Jeanine Moul in , d 'Anne-Marie Kegels, de la vibrante Yanette Delétang-Tardif , si bien louée par Edmond Jaloux, et •de Jeanne Sandelion à laquelle nous sommes redevables des plus beaux cris de passion qu'une femme ait poussés depuis A n n a de Noailles. E t je tiens à signaler aussi d'autres poétesses comme Thérèse Aubray , Pascale Olivier, Claudine Chonez, Anne Fon­taine, Angèle Vannier, Christiane Burucoa et la fougueuse Pier­rette Micheloud qui ont écrit des vers libres pleins d'images, de ^ève, d'audace et d'invention.

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J'arrive, maintenant, aux poètes nés entre la fin de la guerre de 14-18 et 1930, dont le plus grand é ta i t , sans contredit, René-G u y Cadou et le plus parfait l a quasi inconnue Hélène Jules à qui, je l 'espère, un hommage collectif sera b ien tô t rendu. E n leur absence, qu'on ne regrettera jamais assez, Lucienne Desnoues me pa ra î t s'imposer plus que nul autre par son talent si personnel, fait de verdeur et de simplicité. L o i n des exercices de rhé to r ique et des expériences de laboratoire, si malheureusement à l a mode dans certains milieux l i t téraires de la capitale, l 'auteur de Jardin délivré, des Racines et de la Fraîche, que découvr i t Charles V i l -drac et qu'aimait Colette, possède les dons les plus vrais et chante admirablement les solides beau tés de la nature. Gilbert Lamireau a, comme Lucienne Desnoues, le goû t de la campagne et, de plus, une tendance à la révol te ainsi qu ' à la ferveur mystique et Pierre

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Gabriel qui vi t dans le Gers, sur les bords de la Baïse, nous dit, en des vers bien frappés, le ferme attrait des paysages qui fentou­rent et la joie d 'un amour vér i tab le :

Pays que je partage avec tous les vivants, J'ai retrouvé le poids des orages fertiles, Les vergers du matin bouscules par le vent, La promesse de l'orge et la paix de l'argile. Le vin frais va garder le goût de ce terroir, J'ouvre les yeux, le ciel regagne ses limites, Je trace le domaine aride du blé noir Où l'été fait flamber la terre que j'habite. Voici la saveur dure où la sève suspend Le désir d'un fruit mûr à l'ombre des collines. Il faut à cette soif les pluies d'un autre temps Quand l'homme était p longé dans la nuit des racines. Notre amour va survivre à l 'épreuve du feu, Sur ce ciel où crépite un bel arbre solaire, O terre, cette joie immense d'être deux A partager enfin les fruits de la lumière.

A v a n t d'écrire des romans dont plusieurs connurent un vif succès, Robert Sabatier é t a i t dé jà poè te , et, depuis, i l n 'a jamais cessé de l 'être. L e pur lyrique des Fêtes solaires, qui a bénéficié des recherches d'Apollinaire et de SupervieHe et dont le vers favori est le décasyl labe cher à Maurice Scève, garde en lu i assez de ressources pour donner à ses poèmes un ton de légende, parer de secrète féerie la réali té quotidienne et joindre harmonieuse­ment le naturel au surnaturel. Son ami Charles Le Quintrec, Bre­ton comme Tristan Corbière, n 'a pas caché, dès sa première pla­quette, sa prédilect ion pour l'auteur des Amours Jaunes ainsi que pour celui à'Alcools, puis nous a laissé voir sa foi catholique et sa générosi té d ' âme en des vers où dominent les vertus paysannes et où i l exprime un âpre tourment qui se confond bien des fois avec celui des hommes de son temps. Jean Laugier, qui s'est efforcé dans ses Bogues d'atteindre à une substantielle concision et Joseph Rouffanche, dont les chants ne manquent pas de saveur, ont, tous deux, plus d'une ressemblance avec Le Quintrec, duquel je ne veux pas, non plus, séparer son camarade A l a i n Bosquet, théor ic ien de l 'approximatif encore plus que de l'irréel et poè te é loquent au lyrisme souvent t e m p é t u e u x .

Influencés à leurs débu t s par les romantiques allemands et par Ri lke , le Suisse Philippe Jacottet et l 'Alsacien Claude Vigée ont donné , depuis, maints témoignages de leurs vivante person­nal i té . L a poésie de Gérard Prévô t , pleine de souffle et de chaleur humaine, est presque toujours en étroi t rapport avec les soubre-

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sauts de notre époque. Jean-Paul Siou, héri t ier de Rimbaud et d 'Emmanuel Signoret, travaille à de curieux poèmes qu ' i l remanie sans cesse. Deux livres : Du Mouvement et de VImmobilité de Douve et Hier Régnant Désert ont suffi pour établ i r la r enommée d 'Yves Bonnefoy qui nous retient en son hermét i sme par la profonde gravi té de ses accents et par l 'éclat surprenant d 'un assez grand nombre de ses vers. Henri Pichette est beaucoup plus abondant et l 'on trouve d 'évidentes réussites dans son œuvre fort diverse de révolté , comme on découvre d ' é m o u v a n t s poèmes dans les recueils d'inspiration religieuse et mé taphys ique de Jean-Claude Renard, qu'on a plus d'une fois comparé à Péguy.

I l est également parmi les derniers venus, nés depuis 1930, plusieurs poètes d 'un talent incontestable et chargé des espoirs les plus vifs. Marc A l y n et Jean Breton font preuve d'un remar­quable t e m p é r a m e n t , d'une franchise qui va parfois j u squ ' à la violence et d'une rare puissance d'imagination. Les poèmes en versets de Pierre Oster ont une ampleur aux multiples résonances qui sait évi ter les dangers de l 'abstraction. Jean-Luc Moreau s'annonce comme un rigoureux artiste du vers, capable déjà d'écrire de courtes pièces d'une singulière densi té , Robert Lorho, sui­vant l'exemple de Milosz et de Supervielle, nous émeu t par la pure té d'une voix dont la fraîcheur n'est pas le moindre charme et, enfin, la Flamande Lil iane Wouters, authentique descendante de Vi l lon et du meilleur Apollinaire, nous montre, en sa vigueur mêlée de grâce et sa parfaite simplicité, que la vér i tab le poésie française n'est pas près de mourir.

P H I L I P P E C H A B A N E I X