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DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Quelles différentes entités cliniques se cachent derrière les termes génériques de « somatisation » et de « trouble fonctionnel » ? Une question cardinale pour la thérapeutique What different clinical entities are hiding behind the generic terms somatisation and functional disorder? A crucial issue for therapeutics Yann Auxéméry Service de psychiatrie, hôpital militaire Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, Metz cedex 3, France Reçu le 25 mars 2013 ; accepté le 5 juillet 2013 Résumé Les termes de « somatisation » et de « trouble fonctionnel » sont régulièrement usités de manière générique pour tenter de rendre compte de cadres syndromiques et étiopathogéniques en réalité très différents mais qui se rejoignent sur un point : la plainte du patient n’est pas objectivée par l’examen clinique ou les investigations complémentaires. Alors, une origine psychogène des troubles est suspectée. Mais le médecin somaticien reste souvent seul dans l’accueil de ces patients qui refusent spontanément de rencontrer un psychiatre ou un psychologue. Nous aborderons dans ce travail les notions de conversion, d’hypocondrie, de symptôme somatique fonctionnel, de manifestation somatique anxiodépressive et de trouble psychosomatique, dans le but de dégager leurs caractéristiques cliniques spécifiques. Pour chaque entité nosographique, nous nous intéresserons à leur description clinique précise, aux hypothèses étiopathogéniques, aux diagnostics différentiels et enfin aux traitements pharmacologiques et psychothérapiques. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The terms ‘‘somatisation’’ and ‘‘functional disorder’’ are commonly used generically and inappropriately in an attempt to explain syndromic and etiopathogenic contexts which are in reality very different but concur on one point: the grievance of the patient is not objectified by the clinical examination or the additional investigations. Disorders of psychogenic origin are thus suspected. However, the physician-somatist often remains unaccompanied when receiving these patients who spontaneously refuse to meet a psychiatrist or a psychologist. In this work, we will address the notions of conversion, hypochondriasis, functional somatic symptoms, anxiodepressive somatic manifestations and psychosomatic disorders, with the aim of highlighting their specific clinical characteristics. For each nosographic entity, we will be interested in the precise clinical description, etiopathogenic hypotheses, differential diagnoses and finally, possible pharmacological and psychotherapeutic treatments. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Épisode dépressif caractérisé ; Hypocondrie ; Somatisation ; Trouble anxieux généralisé ; Troubles de conversion ; Troubles psychosomatiques Keywords: Conversion disorders; Hypochondriasis; General anxiety disorder; Major mood disorder; Psychosomatic disorders; Somatization Annales Médico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx Adresse e-mail : [email protected]. + Models AMEPSY-1826; No. of Pages 9 http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.07.013 0003-4487/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s.

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DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU

Quelles différentes entités cliniques se cachent derrièreles termes génériques de « somatisation » et de« trouble fonctionnel » ? Une question cardinale pourla thérapeutique

What different clinical entities are hiding behind thegeneric terms somatisation and functional disorder?A crucial issue for therapeuticsYann AuxéméryService de psychiatrie, hôpital militaire Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, Metz cedex 3, France

Reçu le 25 mars 2013 ; accepté le 5 juillet 2013

Résumé

Les termes de « somatisation » et de « trouble fonctionnel » sont régulièrement usités de manière générique pour tenterde rendre compte de cadres syndromiques et étiopathogéniques en réalité très différents mais qui se rejoignent sur unpoint : la plainte du patient n’est pas objectivée par l’examen clinique ou les investigations complémentaires. Alors, uneorigine psychogène des troubles est suspectée. Mais le médecin somaticien reste souvent seul dans l’accueil de ces patientsqui refusent spontanément de rencontrer un psychiatre ou un psychologue. Nous aborderons dans ce travail les notions deconversion, d’hypocondrie, de symptôme somatique fonctionnel, de manifestation somatique anxiodépressive et detrouble psychosomatique, dans le but de dégager leurs caractéristiques cliniques spécifiques. Pour chaque entiténosographique, nous nous intéresserons à leur description clinique précise, aux hypothèses étiopathogéniques, auxdiagnostics différentiels et enfin aux traitements pharmacologiques et psychothérapiques.� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The terms ‘‘somatisation’’ and ‘‘functional disorder’’ are commonly used generically and inappropriately in an attempt toexplain syndromic and etiopathogenic contexts which are in reality very different but concur on one point: the grievance ofthe patient is not objectified by the clinical examination or the additional investigations. Disorders of psychogenic origin arethus suspected. However, the physician-somatist often remains unaccompanied when receiving these patients whospontaneously refuse to meet a psychiatrist or a psychologist. In this work, we will address the notions of conversion,hypochondriasis, functional somatic symptoms, anxiodepressive somatic manifestations and psychosomatic disorders,with the aim of highlighting their specific clinical characteristics. For each nosographic entity, we will be interested in theprecise clinical description, etiopathogenic hypotheses, differential diagnoses and finally, possible pharmacological andpsychotherapeutic treatments.� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Épisode dépressif caractérisé ; Hypocondrie ; Somatisation ; Trouble anxieux généralisé ; Troubles de conversion ; Troublespsychosomatiques

Keywords: Conversion disorders; Hypochondriasis; General anxiety disorder; Major mood disorder; Psychosomatic disorders;Somatization

Annales Médico-Psychologiques xxx (2014) xxx–xxx

Adresse e-mail : [email protected].

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2013.07.013

0003-4487/� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

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1. INTRODUCTION

Souvent utilisés de manière générique voire inappropriée, lestermes de « somatisation », de « conversion », de « symptômefonctionnel » et de « symptôme psychosomatique » font référenceà des cadres syndromiques et étiopathogéniques différents. Lespatients souffrant de tels troubles sollicitent les médecinssomaticiens, en revenant sans cesse à la consultation dans unequête d’investigations paracliniques souvent dupliquées du faitd’un nomadisme médical. L’attitude du médecin est ici difficilecar il se sent souvent inutile, voire parfois dénigré. Lorsqu’uneexaspération se construit du côté du médecin et du patient, il fautgarder à l’idée que toute rupture thérapeutique pérenniserala situation : le patient irait consulter rapidement un confrère.Mais que faire lorsque les symptômes se prolongent alors quel’examen clinique est normal et que les premiers résultats desexplorations complémentaires biologiques sont rassurants ?

Les cadres nosographiques de conversion, d’hypocondrie,de syndrome somatique fonctionnel et de trouble psychoso-matique possèdent des déterminants étiopathogéniques dif-férents et des perspectives thérapeutiques distinctes. Mieuxconnaître ces catégories cliniques permettrait de mieux cernerle problème médical. Malheureusement, ces cadres nosogra-phiques ne sont que peu présents au sein des manuels depsychiatrie comme de médecine interne : nous avons doncsouhaité synthétiser les données issues de notre expérienceclinique, de la littérature internationale et de la littératurefrancophone classique. Nos sources ont été les grands traitésde psychiatrie moderne : le manuel de Guelfi [14], le traité deLempérière et de Féline [15], le traité de l’encyclopédie EMC, lemanuel diagnostique et statistique des troubles mentaux [1,2],le manuel d’Henri Ey [12]. Il ne sera pas question dans cetarticle de simulation (où le sujet crée un symptôme pourobtenir des gratifications matérielles pécuniaires ou d’irres-ponsabilité pénale), ni de pathomimie (encore appelée troublefactice) dans laquelle le patient joue le rôle du malade avecavidité d’attention médicale. Nous n’aborderons pas non plus lespathologies somatiques à retentissement psychiatrique oupsychologique, ni les troubles psychiatriques générateurs demorbidité organique du fait des traitements psychotropesproposés (syndrome extrapyramidal, syndrome métabolique)ou de troubles des conduites associés (consommations desubstances psychoactives, automutilations). Nous aborderonsdans ce travail successivement la conversion, l’hypocondrie, lessymptômes somatiques fonctionnels, les manifestations somati-ques anxiodépressives et le trouble psychosomatique. Pourchaque entité nosographique, nous nous intéresserons à ladescription clinique précise, aux hypothèses étiopathogéniques,aux diagnostics différentiels et enfin aux traitements pharmaco-logiques et psychothérapiques. Mais avant cela, nous commence-rons par une analyse critique du « concept » de somatisation.

2. UNE RÉELLE CONCEPTUALISATION DU« TROUBLE DE SOMATISATION » ?

Le « concept » de somatisation souffre cruellement d’uneévolution théorique jamais consensuelle au cours des âges et

d’un manque actuel de précision. Une définition est pourtantretrouvée dans le DSM-IV, même si le terme « somatisations » ypossède un sens très large, concernant toute plainte somatiquepouvant avoir un lien avec une origine psychogène [1]. Pourle DSM-IV, le trouble de somatisation est un trouble poly-symptomatique débutant avant la troisième décennie pourpersister plusieurs années en associant des sites corporelsdouloureux à des symptômes gastro-intestinaux, sexuels etpseudo-neurologiques. La prévalence sur la vie entière estestimée à 0,2–2 % chez la femme et à 0,2 % chez l’homme. Ladéfinition associe des antécédents de douleurs touchant aumoins quatre localisations corporelles (céphalées, douleursabdominales, rachialgies. . .) ou fonctions corporelles (miction,rapports sexuels, menstruations. . .) avec deux symptômesgastro-intestinaux (nausées, ballonnements abdominaux, diar-rhées, vomissements, intolérances alimentaires), au moins unsymptôme sexuel ou génital (règles irrégulières, métrorragies,troubles de l’érection ou de l’éjaculation) et au moins unsymptôme neurologique (conversion, dysesthésies, parésies,spasme laryngé, crises psychogènes non épileptiques. . .). Plutôtqu’une liste de doléances actuelles, c’est l’anamnèse qui établitle diagnostic devant la multiplicité des symptômes présentésau cours du temps, de manière souvent fluctuante. Denombreux médecins spécialistes ont été consultés et demultiples examens complémentaires ont été réalisés. Parfois,des associations hasardeuses de médicaments sont consom-mées, souvent du fait d’une automédication. Un abusd’antalgiques et/ou d’anxiolytiques est fréquent. Les symptô-mes apportés par le patient ne sont pas explicités par unepathologie somatique et le retentissement fonctionnel paraîtexcessif en regard de l’examen objectif. Si la mortalité despatients présentant un trouble de somatisation est égale à cellede la population générale, ces sujets se considèrent sub-jectivement comme sévèrement malades, même davantagemalades que les patients souffrant de pathologies somatiquesgraves [19]. Lorsque tous les critères du trouble de somatisationne sont pas strictement présents (nombre de sites douloureux,nombre de symptômes fonctionnels), le DSM parle de troublesomatoforme indifférencié. Dans la même logique, le troubledouloureux définit une douleur localisée dans un ou plusieurssites, douleur rapportée à des facteurs psychogènes qui jouentun rôle important dans le déclenchement, l’intensité, l’aggrava-tion ou la persistance des symptômes.

Si la pathologie de « somatisation » a parfois été comprisecomme un syndrome incluant une kyrielle de symptômesconversifs (syndrome de Briquet), d’autres auteurs l’ontassociée à l’hypocondrie ou aux manifestations somatiquesde l’anxiété. La classification des DSM nous semble êtreici insatisfaisante car uniquement descriptive, à défaut d’êtreétiopathogénique. Le groupe catégoriel des « troublessomatoformes » thésaurise dans les DSM plusieurs entitéstrès différentes en termes cliniques et psychopathologiques : laconversion, l’hypocondrie, le trouble de somatisation, letrouble somatoforme indifférencié et le trouble douloureux.Plutôt qu’une approche purement descriptive athéorique, nousenvisagerons successivement dans ce travail les différentesentités nosographiques que sont la conversion, l’hypocondrie,

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les symptômes somatiques fonctionnels, les manifestationssomatiques de l’anxiété ou de la dépression, et les troublespsychosomatiques.

3. LA CONVERSION : UN TROUBLEPSYCHO- ET NEURODYNAMIQUE

3.1. Tableau clinique

La conversion ou trouble conversif désigne un ou plusieurssymptômes productifs ou déficitaires touchant la motricitévolontaire ou les fonctions sensitives et sensorielles, suggérantune affection neurologique ou de manière plus générique uneaffection médicale générale. Mais malgré l’examen clinique etles examens complémentaires, aucune souffrance organiquen’est objectivée. La survenue des symptômes est le plussouvent précédée de conflits psychiques ou de facteurs destress. Touchant plutôt la jeune femme ayant des antécédentsconversifs, les symptômes sont souvent spectaculaires etmodifiés par le regard d’autrui. Les conversions peuvent êtretrès variées, allant des mouvements anormaux aux paralysies,passant des dysarthries à l’aphonie ou encore intégrant desacouphènes, des dysesthésies. . . Si le symptôme conversif estclassiquement isolé, peuvent toutefois se côtoyer des signesdéficitaires (paralysies, parésies, anesthésies, amnésies) et dessignes productifs comme des mouvements anormaux. Lesconversions motiveraient près de 5 % des consultations àl’hôpital général et jusqu’à 30 % en milieu spécialiséneurologique [8,21]. Le diagnostic reste difficile : de 20 à50 % des troubles conversifs sont secondairement réviséscomme étant en fait des maladies neurologiques etréciproquement, 10 % des pathologies initialement appréhen-dées sous l’angle neurologique seront finalement reconsi-dérées comme psychogènes [17,20]. Notons que pourcompliquer le diagnostic différentiel, s’associent régulière-ment des dimensions conversives à des symptômes somati-ques dont l’organicité est authentifiée. Le symptôme selocalise souvent sur un point d’appel somatique avéré, lieud’une lésion traumatique ancienne, résultat d’une agressionpar exemple. Mais le trouble ne respecte pas l’anatomie pourse confondre dans l’idée imaginaire que le patient s’en fait : uneanesthésie du pied affectera par exemple tous les types desensibilité sans gradient proximo-distal et sans suivre lesdermatomes.

La conversion diffère d’une pathomimie ou d’une simula-tion, même si parfois le sujet peut bouger par inadvertance« sa paralysie » lorsque son esprit est occupé ailleurs.Précisons enfin qu’une conversion peut s’établir chez un sujetsans trait de personnalité pathologique et qu’inversement, unepersonne souffrant d’un trouble de la personnalité histrio-nique peut ne jamais développer d’atteinte conversivecomorbide. Pour mémoire, la personnalité histrioniquedécline une hyperexpressivité des affects et une érotisationdu contact doublée de conduites séductrices, mais restantdans la superficialité en négligeant l’implication affective etsexuelle durable.

3.2. Déterminants étiopathogéniques : de lapsychanalyse à la neuroimagerie

L’idée freudienne de l’existence d’un inconscient pulsionnelen interaction avec les impératifs sociaux rappelés par laconscience vigile amène à considérer la conversion comme unesymbolisation, au minimum partielle, qui rend compte d’unconflit psychique. Mettant en défaut un refoulement totalementopérant, une appétence pulsionnelle inconsciente mais incon-ciliable avec les convenances morales du moment se transmutevia un symptôme qui touche au corps pour inscrire dans lesoma, comme une métaphore incarnée, un hiéroglyphe àdéchiffrer. S’opposent ici les forces de plaisir individuel auximpératifs de réalité rendant compte des exigences moralesd’une époque. Le symptôme détient un sens et s’adresse à autruicar l’organe ou la fonction lésée aurait pu servir à l’assouvisse-ment du désir qui, de par l’impotence fonctionnelle présentée,s’en trouve soudain irréalisable. Les symptômes hystériquespeuvent donc être très divers en diffusant à toutes les dimensionsde la vie de relation comme la motricité, la sensorialité etmême la conscience sans laquelle l’éveil à autrui reste impossible.Grâce à ces symptômes paralysants, l’angoisse causée par lapulsion interdite est neutralisée : cela caractérise un bénéficeprimaire. Les bénéfices secondaires peuvent se constituersubséquemment : le symptôme permet d’attirer l’attention,d’éviter des contraintes ou des situations dévalorisantes.

Dans la théorie freudienne, la création du symptômeconversif n’est pas directe : elle prend corps dans le passé. Laconstruction de l’hystérie s’intègre via l’après coup d’unethéorie psychotraumatique où une scène de séduction infantile,en grande partie fantasmée, se réactualise plus tard dansl’existence, secondairement à une circonstance ou une penséequi appelle l’originaire par un trait mnésique associatif.

Semblant de prime abord s’éloigner d’explications psy-chanalytiques, la conversion est aujourd’hui étudiée par uneméthodologique neuroscientifique basée sur la neuroradiologiefonctionnelle. Chez des patients souffrant de conversion, il estpossible de comparer l’activité cérébrale homo- et controla-térale en s’intéressant à un sujet qui peut être son proprecontrôle du fait de la fréquente asymétrie des troublesprésentés mais aussi de leur réversibilité au cours du temps.L’imagerie des accidents conversifs met en lumière des zonesd’hyperactivité cérébrales associées à des régions d’hypo-activité [10,11,22]. Si Freud a eu l’intelligence de différencierconversion et simulation comme deux cadres nosologiques nonsuperposables [13,16], la neurologie moderne lui a donnéraison : une avancée majeure des images est d’avoir confirméscientifiquement que conversion et simulation font intervenirdes mécanismes cérébraux distincts [10,11]. Un tel diagnosticdifférentiel pourrait être un jour réalisé en routine par laneuroimagerie. De plus, Freud a eu le mérite de définir laconversion grâce à un diagnostic positif psychopathologique, etnon pas en se contentant d’une stratégie d’élimination pseudo-exhaustive de l’organicité. De même, les travaux récents deneuroimagerie proposent une définition positive de laconversion en fonction de caractéristiques neurofonctionnel-les. En sus d’une origine psychogène, la conversion peut aussi

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être redéfinie comme la paralysie réversible d’une zoneneuronale [5].

3.3. Perspectives thérapeutiques

Au cours d’une psychothérapie d’orientation psychanaly-tique freudienne, détourner les résistances pour revenir à lascène primitive traumatique permet un effet cathartique delevée du symptôme, sans retourner dans l’angoisse [13].Effectivement, la compréhension psychodynamique dusymptôme peut permettre de lever durablement les troubles.Malheureusement, les patients ne sont pas toujours disposés àréaliser ce type de travail psychothérapique et les soignants nesont pas nécessairement formés à la psychothérapie psy-chodynamique. Une hospitalisation pour un bilan étiologiqueest souvent réalisée : elle sera courte pour limiter lespossibilités de régression, d’hospitalisme et de capacité qu’aparfois le patient d’imiter inconsciemment tous les symptômesqu’il pourrait entrevoir chez les autres malades. En pratique,faire verbaliser le patient sur son symptôme et établir des liensavec son histoire personnelle permet d’obtenir une réassu-rance. Le terme « hystérique » doit être évité dans la relationthérapeutique du fait de ses connotations communes, souventopposées. Vis-à-vis du symptôme, le médecin affirmera, avecbienveillance mais fermeté, qu’aucune lésion n’a été retrouvéeet que, par conséquent, le patient est invité à s’affranchir de sestroubles : l’organe mis en jeu est intact et peut récupérer safonction originale. Par exemple, une patiente en fauteuil roulantsouffrant de paraplégie conversive bénéficiera d’un programmede sevrage du fauteuil en quelques jours, en présence dessoignants qui favoriseront une réassurance à la station deboutpuis à la marche. Il faut parallèlement limiter les bénéficessecondaires qui résistent à la rémission avec nécessité deréduire les soins de nursing et de limiter les attitudesrégressives souvent favorisées par les proches du patient. Lareprise du travail sera rapide mais, secondairement à desfacteurs de stress ou des conflits psychiques, un quart despatients récidiveront dans l’année.

4. L’HYPOCONDRIE : UNE PHOBIESPÉCIFIQUE

4.1. Tableau clinique

L’hypocondrie s’initie le plus souvent entre 20 et 30 ans. Ledébut est brutal, précisément daté chez un sujet de bon niveausocioéconomique qui, sans posséder de traits de personnalitépathologiques, présente de faibles capacités d’introspection.Parmi les facteurs déclenchants sont régulièrement retrouvésles deuils, les agressions et les antécédents de maladiespourtant considérées en rémission complète. Obsédé par sonétat de santé, le sujet hypocondriaque est persuadé de souffrird’une maladie grave que le corps médical n’arrive pas à luidécouvrir : cette conviction pathologique persiste malgré lestentatives de réassurance réitérées et concordantes auxrésultats « rassurants » des examens complémentaires réalisés.Cette peur injustifiée persiste malgré l’attitude et les propos

rassurants des médecins. Toutefois, si le sujet peut admettre lapossibilité qu’il soit exagérément préoccupé par la maladieredoutée ou même qu’il n’a pas de maladie du tout, il ne peutcependant s’ôter cette idée bien qu’il la juge irrationnelle.

D’après le DSM, le trouble doit être présent au moins sixmois et ne doit pas être explicité par une anxiété généralisée.Les préoccupations des patients peuvent concerner desfonctions corporelles (transpiration, battementscardiaques. . .), des perturbations physiques mineures (touxoccasionnelle, petite plaie. . .), des sensations physiques vagues(veines douloureuses, cœur fatigué. . .). Si n’importe quellepartie du corps peut être surinvestie, l’atteinte est focaliséeprécisément. Les plaintes les plus fréquentes élisent domiciledans les sphères digestives (nausées, constipation, douleurs) etcardio-pulmonaires (palpitations, précordialgies, dyspnée). Laplainte peut aussi être neurologique devant une impressiond’insomnie, de trouble de la mémoire ou de fatigue persistante.

Le sujet hypocondriaque scrute, écoute, s’intéresse etinterprète sans relâche les perceptions de son propre corps. Ilse palpe et s’ausculte pour rechercher, inquiet et pessimiste, lespremiers signes d’une maladie grave. Friant d’émissions et dechroniques médicales, de livres spécialisés qui enrichissent sesconnaissances et par là même ses souffrances, le maladehypocondriaque recherche puis décrit méthodiquement ses« symptômes » en utilisant des termes médicaux, souvent demanière approximative. Le discours reste rigide et stéréotypé,focalisé autour d’un langage sur le corps bien que finalementsans langage du corps. La plainte actuelle, demande toujoursimmédiate, fait écran à l’histoire personnelle et empêche toutepossibilité de distanciation du symptôme. Toute investigationanamnestique ou psychique est rapidement détournée vers laplainte somatique actuelle. Il demeure difficile de déplacerl’attention du patient pour replacer son symptôme dans sonhistoire biographique : parfois le médecin n’est sollicité quecomme simple témoin et ses interventions ne sont pas mêmeentendues. L’évolution est fluctuante : des périodes d’accalmieoscillent avec des exacerbations réactionnelles à des facteursde stress, la peur de vieillir et la peur de la mort.

4.2. Perspectives étiopathogéniques

L’hypocondrie intègre le cadre des troubles phobiques.Outre la fixation anxieuse sur les moindres perceptionscénesthésiques proprioceptives et intéroceptives, le sujethypocondriaque est avant tout nosophobique. Spécifiquementdéclenchée par un objet ou une situation n’ayant pasobjectivement de caractère dangereux, la phobie est une« peur irrationnelle ». Pour toute phobie, trois types decomportements sont possiblement associés à l’angoisse :� des conduites de réassurance par ritualisation de pensées ou de

comportements, avec parfois la présence d’objets ou depersonnes contraphobiques qui permettent d’éviter lesurgissement de l’angoisse en présence de la situationphobogène (examens complémentaires réguliers, consulta-tions chez le médecin) ;� l’évitement systématique de la situation phobogène avec des

stratagèmes d’aménagement (nettoyages et désinfections

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rapprochent l’hypocondrie des troubles obsessionnelscompulsifs) ;� la fuite en avant par l’affrontement direct de la situation

susceptible de générer l’angoisse (résultats des examenscomplémentaires, confrontation au diagnostic). Ce derniermécanisme de défense permet de mieux illustrer le modèlepsychopathologique freudien : la fuite en avant rendraitcompte de l’attirance du sujet pour l’objet source de phobie.En d’autres termes, l’angoisse est déplacée vers unelocalisation ou une situation qui représente symboliquementle « danger » interne, indépendamment d’un risque objectif.

4.3. Diagnostics différentiels

Le discours est parfois tellement imperméable à la critiqued’autrui que le différentiel d’avec une maladie psychotique estténu. Mais dans la schizophrénie, les plaintes somatiques sontbizarres, traduisant un syndrome délirant ou une dissociationidéo-affective. Dans l’hypocondrie délirante du mélancoliqueou syndrome de Cotard, la plainte considère une négation defonction physiologique voire une négation d’existence d’orga-nes, le plus souvent digestifs.

Comme le patient hypocondriaque est un anxieux per-manent, il est quelquefois difficile de faire le distinguo avec lesmanifestations somatiques de l’anxiété ou de la dépressionmasquée, particulièrement en cas de dépression réactionnelle àcette même hypocondrie.

Une plainte hypocondriaque peut se greffer sur uneauthentique lésion organique, mais il persiste alors unediscordance majeure entre l’objectivité du trouble et l’idéeque s’en fait le patient (hypocondrie cum materia).

Un sujet à la personnalité obsessionnelle peut êtrepréoccupé à l’excès par son état de santé, cherchant uneexplication médicale rationnelle à ses « symptômes » soma-tique, alors que ses émotions sont réprimées.

4.4. Perspectives thérapeutiques

Devant les exigences du patient pour trouver la cause ou lemécanisme des symptômes, difficile pour le médecin somaticiende ne pas céder aux consultations spécialisées et aux examenscomplémentaires. Vers le risque d’escalade jusqu’aux stratégiesinvasives, le médecin devra s’en tenir aux recommandations envigueur et informer le patient qu’une objectivation des symptômesn’est pas toujours possible. L’objectif thérapeutique principal estde passer d’un discours stéréotypé entièrement focalisé sur lesperceptions corporelles à une parole qui devra faire du lien etassocier des éléments biographiques pour tenter de symboliser laplainte immuable, dans l’optique de la fragmenter.

5. LES EXPRESSIONS SOMATIQUES DESTROUBLES ANXIEUX ET DÉPRESSIFS

5.1. Les somatisations anxieuses

L’anxiété est un ressenti qui peut être présent du fait desstress de la vie quotidienne, d’événements de vie intenses et de

troubles anxieux (anxiété généralisée, trouble panique, phobieset état de stress post-traumatique). L’attente anxieuse est unétat d’alerte et de tension, une inquiétude sans objet défini maisparfois secondairement attribuée, par reconstruction, àn’importe quel prétexte. Cette attente anxieuse est souventune anxiété anticipatoire, définie par la peur d’avoir peur, soit lacrainte de réaliser une prochaine crise d’angoisse aiguë. Cettecrise d’angoisse aiguë (ou attaque de panique) est unbouleversement affectif et organique qui submerge brutale-ment le sujet à n’importe quel moment, seul ou en public, sanscaractère nécessairement réactionnel à une situation ou unepensée anxiogène. Les symptômes se déclinent en angoisse sansobjet précis, sentiment de danger imminent, déréalisation,dépersonnalisation, détresse, peur de mourir et/ou de perdrela raison. Le sujet est pâle, et tachycarde, en sueur avec unerespiration haletante. La crise peut durer de quelques minutes àquelques heures mais cède dans tous les cas rapidement, parfoisavec diarrhée et polyurie, toujours dans un sentiment de fatigueet de vide. Les manifestations somatiques sont souvent aupremier plan avec expressions cardiovasculaires (palpitations,lipothymies, précordialgies), respiratoires (dyspnée, hyper-ventilation avec alcalose secondaire et crise tétaniforme,sensation d’étouffement), digestives (spasme pharyngé avecimpression de boule œsophagienne, spasme digestif), génito-urinaires (douleurs pelviennes, pollakiurie, troubles sexuels) etneurologiques (céphalées, lombalgies, bourdonnementd’oreille, flou visuel, sensation vertigineuse, instabilité à lamarche). Les tensions musculaires impliquent régulièrementdes douleurs posturales ostéotendineuses. Le tableau anxieuxest souvent contemporain d’une hyperémotivité et d’unehyperesthésie sensorielle avec intolérance aux bruits. Lesperceptions sensorielles peuvent être étranges, rappelant unecrise comitiale partielle avec modification de l’intensitélumineuse, de l’audition et de l’appréciation des distances.On note fréquemment une diminution de la vigilance et un arrêtdu cours de la pensée. Les cognitions sont modifiées sous l’effetde la déréalisation et de la dépersonnalisation. Ressentant unepeur extrême et insupportable, le sujet craint de mourir, dedevenir fou ou d’avoir une maladie grave (asthme, infarctuscoronarien, attaque cérébrale, tumeur) et de ne pas pouvoirêtre secouru. Enfin, des manifestations comportementalespeuvent être très variées, de l’inhibition stuporeuse àl’agitation, de la fuite à la défenestration. Lorsque les crisesd’angoisse aiguë se répètent, on parle de trouble panique,lequel s’établit habituellement sur une personnalité préala-blement anxieuse.

Le traitement des troubles anxieux cherchera toujours àlimiter la prescription de benzodiazépines, qui ne serontdonnées qu’à faible dose et pendant une courte période. Mieuxvaut choisir une benzodiazépine à demi-vie longue comme lediazépam ou le prazépam. D’autres anxiolytiques sontpossiblement prescrits comme les antihistaminiques H1 depremière génération (hydroxyzine, alimemazine) ou un bêta-bloquant non cardiosélectif (le propranolol bénéficiant seul del’AMM). Mais avant tout, le traitement des troubles anxieux estbasé sur les antidépresseurs ISRS (sertraline, seropram,paroxétine) ou, peut-être mieux, des antidépresseurs IRSNa

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qui agissent directement autant sur la neuromodulationsérotoninergique que sur la voie noradrénergique (venlafaxine,mirtazapine). Rappelons qu’avant de conclure à l’inefficacitéd’un antidépresseur, ce dernier doit avoir été prescrit à laposologie recommandée et pour une durée suffisante, del’ordre de trois à quatre semaines. Avant que ce traitement nefasse effet, les anxiolytiques sont utiles mais ces derniers serontstoppés rapidement selon une décroissance rapidementprogressive.

5.2. La dépression masquée

La dépression est dite « masquée » par des troublessomatiques avec atteinte préférentielle des sphères digestiveset cardio-respiratoires auxquelles s’associent les plaintesd’insomnie, de fatigue et d’algies rebelles. Alors que le patientdénie farouchement être déprimé, l’anamnèse découvresouvent des antécédents familiaux et personnels de troublesthymiques, parfois avec une incidence saisonnière. Le troublethymique est relégué au second plan par le patient, même si dessignes objectifs sont présents : insomnie, perte de poids,constipation et perte de la libido. Les troubles présententclassiquement une recrudescence matinale avec améliorationvespérale, sans réelle anxiété concomitante. Le tableau cliniqueest sensible aux antidépresseurs qui peuvent constituer un testthérapeutique. Si les ISRS sont souvent efficaces, les anti-dépresseurs tricycliques peuvent être envisagés en deuxièmeintention (clomipramine).

Au-delà de cette description classique de la dépressionmasquée, il convient de rappeler la fréquence des douleursdiffuses dans tous les syndromes dépressifs. Le syndromedépressif possède deux symptômes cardinaux : l’anhédonie(absence généralisée d’intérêt et de plaisir) et la tristessepathologique de l’humeur (tristesse intense permanente durantplusieurs semaines). Les symptômes associés les plus fréquem-ment sont le ralentissement psychomoteur, les troubles dusommeil, l’aboulie, l’apathie, la baisse de libido et l’inappétencealimentaire. Les ISRNa sont ici le traitement de choix enpremière intention avec la venlafaxine, la duloxétine et lamirtazapine.

6. LES « SYNDROMES SOMATIQUESFONCTIONNELS »

6.1. De nouvelles pathologies. . .

Le syndrome somatique fonctionnel est une association desymptômes physiques sans explication organique après desexamens cliniques et complémentaires de routine [9]. Troiscatégories de symptômes peuvent être individualisées enpratique : les douleurs de siège divers (arthromyalgies, algiespelviennes, précordialgies, céphalalgies, douleurs abdominaleset pelviennes), des symptômes fonctionnels de divers appareils(acouphènes, vertiges, palpitations, troubles du transit. . .) etune fatigue chronique [18]. On note une absence deparallélisme entre, d’une part, la richesse des plaintes et leurretentissement en termes de souffrance et d’invalidité et,

d’autre part, la négativité des examens complémentairescomme l’absence de toute souffrance organique objectivable.Les deux facteurs de risque cardinaux sont le sexe féminin et untrouble anxiodépressif. Les syndromes somatiques fonction-nels ont parfois des critères diagnostiques précisés définissantles contours de « nouvelles pathologies » comme lafibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique ou les troublesfonctionnels intestinaux. Plusieurs syndromes peuvent êtreprésents chez un même patient, peut-être du fait dechevauchement symptomatique. Reconnu par l’OMS, lesyndrome de fatigue chronique est un état de fatigue persistantrésistant au repos et réduisant les activités du patient, associé àau moins quatre symptômes parmi les suivants : trouble de lamémoire ou de la concentration, ganglions cervicaux ouaxillaires, pharyngite, polyarthralgies, myalgies, céphalées,sommeil non réparateur, malaise après un effort physique. Siun trouble dépressif d’apparition secondaire est régulièrementretrouvé, l’association du syndrome de fatigue chronique avecla fibromyalgie est également fréquente. Pour certains auteurs,la fibromyalgie est une maladie anatomoclinique autonome carl’imagerie cérébrale mettrait en évidence des dysfonctionne-ments des centres de régulation de la douleur [3,6]. Cettepathologie existe sans doute, tant d’un point de vue médical,par probable dysrégulation des mécanismes de la douleur auniveau neurologique, que d’un point de vue sociétal via la pressede vulgarisation et l’activisme des associations de malades. Si denombreux patients souffrent d’un trouble douloureux àl’étiologie neurophysiologique, beaucoup d’autres y trouvent,via un mécanisme identificatoire, un moyen économique dedonner une expression à leur souffrance. Une authentiquemaladie somatique peut être secondairement épidémique : sapropagation est psychogène, alors que l’entité médicaleorganique princeps demeure. Il est difficile d’établir undistinguo entre une maladie somatique et le trouble éponymesomatisé dont les symptômes cardinaux sont les mêmes, bienque s’exprimant différemment dans le discours.

La propagation dans la société de « nouvelles pathologies »du fait des moyens de communication modernes est encoreplus fréquente dans les suites de conflits armés, avecl’apparition de « syndrome post-guerre » dont le plus célèbreest le syndrome de la Guerre du Golfe. Le 2 août 1990 commençaitl’opération dite Tempête du désert où 800 000 soldats étaientmobilisés. La crainte de pertes humaines importantessecondairement à l’utilisation d’armes de destruction massivechimiques et biologiques avait conduit la préparation dessoldats à ce type de conflit en associant un entraînement adaptéà des vaccinations spécifiques. Plusieurs fausses alertesd’attaques retentissaient tous les jours, impliquant la nécessitéde revêtir une tenue de protection dite « Nucléaire-Radio-logique-Bactériologie-Chimique », accoutrement particulière-ment anxiogène et inconfortable. Finalement, les armes tantredoutées ne furent pas utilisées mais, dans les mois quisuivirent l’opération, un certain nombre de soldats ontdéveloppé des symptômes fonctionnels multisystématisés etnon spécifiques : fatigue, céphalées, rash cutané, douleursmusculaires, troubles de la mémorisation et dyspnée.Engloutissant des millions de dollars, de nombreux travaux

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de recherche ont tenté d’incriminer l’exposition aux toxiquescomme les armes chimiques, les organophosphorés, lapyridostigmine (pour traiter préventivement les précédentes),le feu des puits de pétrole. . . Mais aucun marqueur desouffrance physique objectif n’a finalement été décelé : lesvétérans symptomatiques ne consomment d’ailleurs pasdavantage de soins hospitaliers et leur mortalité est similaireà la population civile. Il a fallu plusieurs années avant d’accepterque ces symptômes fonctionnels expriment des troublespsychologiques se déclinant en fléchissement thymique,troubles du sommeil, troubles cognitifs, états de stress post-traumatiques et somatisations. Plutôt qu’une expositiontoxique à telle ou telle substance, le syndrome dit « de laguerre du Golfe » est le résultat de l’exposition au théâtreopérationnel éponyme : si le contexte sociétal s’y prête, uneépidémie de symptômes fonctionnels peut se répandre par desmécanismes de suggestion, d’identification et d’imitation [4].

6.2. Perspectives thérapeutiques

Dans la prise en charge des symptômes somatiquesfonctionnels, le médecin informera le patient sur les résultatsnégatifs en positivant qu’aucune maladie grave n’a été décelée etqu’un substrat organique n’est pas toujours identifiable. Letraitement pharmacologique est symptomatique, associant lesantalgiques simples à faibles doses, les myorelaxants et lesantispasmodiques. La nécessaire progression des lignes théra-peutiques antalgiques sera mise en parallèle avec une possibleconstruction intellectuelle à cette souffrance, au minimumpartielle, mais qui sera sensible à la prise en charge psycho-thérapique. Si l’on observe un nombre croissant de nouveauxsyndromes médicalement inexpliqués qui sont sujets à polémi-ques, car généralement considérés comme « post-traumatiques » même si le traumatisme incriminé est ancien, ilest vrai que les sujets souffrant d’état de stress post-traumatiqueprésentent davantage de co-occurrences somatoformes. Deplus, il y a nécessité d’informer nos dirigeants comme lapopulation générale sur l’existence des réactions psychiquescollectives qui peuvent prendre la forme d’un syndromefonctionnel complexe à diffusion épidémique ou endémique.Le rôle des médias est ici fondamental et des recommandationsde bonnes pratiques pourraient être diffusées à l’image de cellesédictées par l’OMS sur la manière de rapporter un fait suicidairedans la presse pour éviter la diffusion suicidaire.

7. LES AFFECTIONS PSYCHOSOMATIQUES :UNE PRÉSENCE DE LÉSIONS ORGANIQUESAUTHENTIFIABLES

7.1. Tableau clinique

À la différence des autres cadres nosographiques présentésici, une affection psychosomatique se caractérise notammentpar une lésion organique ou une anomalie biologiqueobjectivée. Au cours de l’histoire, de nombreuses maladiesont été supposées en partie déterminées par le stress,comme l’hypertension artérielle, les crises d’asthme, l’ulcère

gastroduodénal, les entérocolopathies inflammatoires, certai-nes allergies et maladies auto-immunes. Mais si la pathologie estinduite par une charge de stress et se localise au niveausomatique en fonction de prédispositions biologiques hérédi-taires, la maladie évolue secondairement pour son proprecompte, même si les facteurs déclenchants ont disparu.

7.2. Déterminants étiopathogéniques

La lésion psychosomatique est le résultat d’une carenced’accès à la représentation : devant une difficulté globale àmentaliser, les conflits psychiques altèrent le corps. Lapersonnalité psychosomatique est alexithymique, associantune immaturité affective à une rigidité du caractère rendant lesujet peu adaptable aux changements. Le patient est détaché deson inconscient et néglige sa propre histoire comme tout ce quipourrait échapper à la logique. Les mécanismes habituels dedéfense psychique (refoulement, déplacement, projection) sontremplacés par des défenses comportementales et une fragilitésomatique. Les conflits psychiques et les contradictions ne sontpas représentés mentalement. Le sujet présente une penséeopératoire, décrivant avec exactitude les symptômes demanière impersonnelle, collant à la réalité, sans affect niangoisse notoire. Un discours pratique et concret s’associe àune relative pauvreté affective. Le verbe est ici terne, sansdigression, révélant une pensée consciente sans grande activitéfantasmatique et ne semblant qu’illustrer les actions. L’activitéd’association onirique est limitée, tant par l’absence de rêve quede rêverie diurne et, si des rêves nocturnes sont parfoisdécelés, ils restent irrémédiablement concrets, répétant à lalettre une situation vécue sans les classiques mécanismesfonctionnels de condensation ou de déplacement. Ceséléments cliniques seraient le résultat d’une faiblesse dupréconscient impliquant une mauvaise dynamique entre lessphères conscientes et inconscientes. Une atteinte du lieu derésistance entre conscient et inconscient faciliterait leseffractions du pare-excitation. Les excitations pulsionnellesne pouvant pas se décharger vers des activités de mentalisa-tions ou des comportements sensori-moteurs, elles seretournent alors vers le corps, causant des altérationssomatiques. En d’autres termes, les troubles psychosomatiquessont le résultat d’une insuffisance d’élaboration mentale, d’unecarence de représentation et de symbolisation qui canalisehabituellement les excitations. Le stress chronique endommagealors les tissus (périphériques et cérébraux), modifie dura-blement la physiologie endocrinienne, la réactivité du systèmenerveux autonome, l’immunité et d’autres grandes fonctionshoméostatiques. Si des déterminants psychologiques semblentêtre cardinaux, un support biologique et son héréditégénétique font toujours le lieu de la somatisation.

7.3. Évolution clinique

La maladie psychosomatique procède par évolution régres-sive, de point de fixation en point de fixation, parfois jusqu’à unedésorganisation globale. Par exemple, si des troubles muscu-losquelettiques entraînent un blocage articulaire impliquant

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encore moins de possibilité de décharge motrice, une autrevoie de décharge des excitations devra être trouvée, lestroubles somatiques se propageront vers une autre fonction.Les régressions progressives sont souvent le lieu de criseslocalisées comme les poussées d’eczéma, les crises d’asthme,les rachialgies récurrentes, les poussées de gastralgies et decéphalalgies. La désorganisation progressive peut impliquer enrevanche des maladies graves cardiovasculaires, auto-immuneset néoplasiques. Henri Ey a proposé une continuité sympto-matique en envisageant la pathologie appareil par appareil(digestif, cardio-vasculaire, cutané, respiratoire et locomoteur)pour hiérarchiser les manifestations banales et transitoires, lestroubles fonctionnels et les lésions psychosomatiques. Parexemple, une tachycardie simple pourra s’aggraver avec laperception de palpitation et de précordialgies, avant qu’unehypertension artérielle ne fasse le lit de l’athéromatose et d’unsyndrome coronarien.

7.4. Perspectives thérapeutiques

Le traitement associe la prise en charge médico-chirurgicalede l’affection présentée à une psychothérapie, en gardant àl’esprit que priver brutalement d’une souffrance organique peutfaire surgir une souffrance morale. Des médiations corporellesde gestion du stress par la voie de l’activité physique, del’apprentissage de stratégies de relaxation, des séances detoucher thérapeutique, de psychomotricité, d’acupuncture. . .Au niveau de l’accompagnement psychothérapique, il convientde faire élaborer le patient sur ses sensations corporelles, en lesliant aux affects et aux représentations, en les associant à desdéterminants de l’histoire biographique ancienne ou récente.Le dialogue thérapeutique doit être actif, le médecin parlant,« prêtant » son inconscient et ses représentations au patientpour que ce dernier puisse, dans un second temps, élaborerdavantage.

8. CONCLUSIONS

L’accès facile au système de soins, la médiatisation decertaines pathologies, la médicalisation de toute souffrance et ledéni du psychique référencé à une notion de sa propreresponsabilité ont favorisé le développement des plaintessomatiques. Par exemple, les « non-maladies » sont unensemble hétérogène de symptômes, de préoccupations ou dephénomènes ressentis ou interprétés comme pathologiques, etdonc justifiables d’une intervention médicale [7]. Toutes lespathologies ne sont pas connues ou reconnues – même avecdes techniques d’investigations modernes – et certains patientspenseront souffrir de maladies à l’existence controversée, maisqui leur permettront d’exprimer une douleur corporellelorsque d’autres souffrances ou conflits psychiques sontindicibles. Une logique d’élimination pseudo-exhaustive del’organicité viendrait justifier une escalade dans les investiga-tions complémentaires, jusqu’aux explorations invasives. Ilconvient d’expliquer au patient la place délétère des examensparacliniques qui ne rassurent pas nécessairement, à défaut dedécouvrir un incidentalome. Une authentique épine irritative

est souvent à l’origine de la fixation sur l’organe, même si ellen’explique pas l’intensité de la plainte subjective. Le patient peutrester hermétique au discours du médecin. L’omnipraticiendevra passer par une phase de tolérance de l’inefficacitéapparente de ses actes et de ses dires, et accepter la réticencedu patient qui remet en cause son savoir académique. Le patients’inquiétant de présenter une maladie somatique ne se satisfaitpas souvent des réponses qui lui sont apportées. Ses plaintes etsymptômes continuent, ce qui frustre le médecin qui n’arrivepas à soulager son patient : cette situation aboutit parfois à unerelation conflictuelle voire au nomadisme médical, ce quipérennisera le problème tant pour le patient que le corpsmédical.

Comment sortir de l’impasse ? Par un retour à la clinique et àla théorie. Reconnaître la douleur du patient sans la dénigrer etlui confier une origine pluridéterminée tant somatique queneuropsychologique permet d’échanger au sujet de la plaintepour tenter d’en savoir plus. Dès ce stade des premièresinvestigations, alors qu’intuitivement l’omnipraticien a déjà poséun diagnostic de trouble fonctionnel, le médecin somaticien atout intérêt à évoquer une consultation psychiatrique pouramener l’idée d’emblée et ne pas faire de la psychiatrie unespécialité par défaut lorsque les autres ont échoué. Aborderl’investigation psychologique des dimensions anxieuses etdépressives en les entendant comme le retentissement destroubles fonctionnels est régulièrement une approche qui porteses fruits : cette recherche doit être systématique.

La consultation spécialisée de psychiatrie permet uneévaluation systématique de la situation, caractérisant au mieuxla problématique psychopathologique et proposant unepharmacopée de première ou de deuxième ligne. Si laconsultation est bien amenée, peu de patients la refuseront.En revanche, une majorité voudront surtout revoir leurmédecin somaticien car c’est bien là que la souffrance semanifeste, à défaut du psychique. . . Le médecin somaticienprésente un avantage car il examine les symptômes, ce quiconstitue un temps fort d’entrée en relation avec son patient.

Le suivi sera à l’idéal conjoint entre médecine somatique etpsychiatrie ou psychologie, en fonction du réseau de soins.Pourquoi ce patient communique-t-il avec ce symptôme ? Lestraumatismes corporels ont des implications psychoaffectiveset les carences affectives précoces sont susceptibles d’avoir desconséquences corporelles doublées d’une quête de recon-naissance. Parfois le sujet aura fait l’expérience d’une maladiegrave dans l’enfance, plus souvent le symptôme permettra uneidentification à un membre de la famille. Dans sa kyrielle deplaintes et son avidité pour le médical, le sujet est souvent enquête affective : son symptôme est une médiation dans sarelation avec autrui. La relation médecin-malade devraentrevoir le sens du symptôme présenté, et surtout, devrarétablir une continuité entre les perceptions corporelles etl’expérience psychique.

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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