la maladie d’ebstein - cardiologie cardinale · anomalie ne sont pas connues, elles peuvent...

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MISE AU POINT Cardiologie - Cardinale Octobre 2012 vol. 6 numéro 51 213 DESCRIPTION La maladie d’Ebstein est une mal- formation congénitale rare. Dé- crite la première fois en 1866 par Wilhelm Ebstein chez un jeune homme de 19 ans, décédé avec cyanose après un passé clinique émaillé de dyspnée et palpitations (1). La réelle prévalence reste in- connue, car souvent des formes mineures ne sont pas diagnos- tiquées. Cependant, elle semble présente chez 1/20 000 né vivant et entre 0,5 et 1 % chez des patients avec cardiopathie congénitale étu- diés à l’autopsie (2). Lo et al. ont rapporté des cas de familiarité (3). L’âge moyen du diagnostic d’après la Mayo Clinic, centre de référence américain pour cette pathologie, est de 14 ans. Les causes de cette anomalie ne sont pas connues, elles peuvent s’intégrer dans un complexe malformatif d’origine chromosomique, ou dans cer- taines embryopathies, comme celles rapportées en cas d’inges- tion de lithium pendant le premier trimestre de grossesse ou infec- tions virales (4). Benson et al. ont montré, dans de très rares cas, une mutation dans la transcription cardiaque du facteur NKX2.5 (5). De plus, l’existence d’une prédo- minence liée au sexe ne semble pas démontrée. Le risque héréditaire d’après Nora et Nora est d’environ 1 % (6). POLYMORPHISME MORPHOLOGIQUE La caractéristique de la maladie d’Ebstein est son polymorphisme morphologique secondaire à l’em- bryogenèse de la malformation. Une revue exceptionnelle a été faite par Anderson et al. (7). En ré- sumé, sur le plan embryologique, les valves tricuspides, à l’exception de la cuspide antérieure (2/3 mé- dian) dont la dérivation provient © Matthew Cole / Fotolia LA MALADIE D’EBSTEIN Actualités Introduction La maladie d’Ebstein est une malformation rare de la valve tri- cuspide, elle représente environ 1 % de toutes les malformations cardiaques. C’est une anomalie de la valve tricuspide où le plus sou- vent les 3 feuillets sont impliqués, à des degrés divers, empêchant le bon fonctionnement valvulaire. D’autres anomalies peuvent être associées. Afin d’optimiser le traitement, qu’il soit médical ou chirurgical, il semble nécessaire de connaître la maladie aussi bien sur le plan anatomopathologique que clinique. Nous nous sommes efforcés de montrer son histoire naturelle qui reste partiellement connue, d’appréhender les critères diagnostiques, les caractéris- tiques échocardiographiques et quelques aspects du pronostic pour une stratégie thérapeutique rationnelle. Un suivi annuel est préconisé chez les patients pauci-symptomatiques, et semestriel pour les symptomatiques. L’examen clinique sera complété par un Holter rythmique et un test d’effort. Alberto Tiritilli, Pierre Iaria, Philippe Viard, Smain Sayah, Tahar Benali, Sonia Martis, Philip Aouate. (Service de cardiologie, Centre Hospitalier Laennec, Creil)

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Mise au point

Cardiologie - Cardinale • Octobre 2012 • vol. 6 • numéro 51 213

DescriptionLa maladie d’Ebstein est une mal-formation congénitale rare. Dé-crite la première fois en 1866 par Wilhelm Ebstein chez un jeune homme de 19 ans, décédé avec cyanose après un passé clinique émaillé de dyspnée et palpitations (1). La réelle prévalence reste in-connue, car souvent des formes mineures ne sont pas diagnos-tiquées. Cependant, elle semble présente chez 1/20  000 né vivant et entre 0,5 et 1 % chez des patients avec cardiopathie congénitale étu-diés à l’autopsie (2). Lo et al. ont rapporté des cas de familiarité (3).

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L’âge moyen du diagnostic d’après la Mayo Clinic, centre de référence américain pour cette pathologie, est de 14 ans. Les causes de cette anomalie ne sont pas connues, elles peuvent s’intégrer dans un complexe malformatif d’origine chromosomique, ou dans cer-taines embryopathies, comme celles rapportées en cas d’inges-tion de lithium pendant le premier trimestre de grossesse ou infec-tions virales (4). Benson et al. ont montré, dans de très rares cas, une mutation dans la transcription cardiaque du facteur NKX2.5 (5). De plus, l’existence d’une prédo-

minence liée au sexe ne semble pas démontrée. Le risque héréditaire d’après Nora et Nora est d’environ 1 % (6).

PolymorPhisme morPhologiqueLa caractéristique de la maladie d’Ebstein est son polymorphisme morphologique secondaire à l’em-bryogenèse de la malformation. Une revue exceptionnelle a été faite par Anderson et al. (7). En ré-sumé, sur le plan embryologique, les valves tricuspides, à l’exception de la cuspide antérieure (2/3 mé-dian) dont la dérivation provient

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La maLadie d’ebstein Actualités

introduction

La maladie d’ebstein est une malformation rare de la valve tri-

cuspide, elle représente environ 1 % de toutes les malformations

cardiaques. c’est une anomalie de la valve tricuspide où le plus sou-

vent les 3 feuillets sont impliqués, à des degrés divers, empêchant

le bon fonctionnement valvulaire. D’autres anomalies peuvent

être associées. Afin d’optimiser le traitement, qu’il soit médical ou

chirurgical, il semble nécessaire de connaître la maladie aussi bien

sur le plan anatomopathologique que clinique. nous nous sommes

efforcés de montrer son histoire naturelle qui reste partiellement

connue, d’appréhender les critères diagnostiques, les caractéris-

tiques échocardiographiques et quelques aspects du pronostic

pour une stratégie thérapeutique rationnelle. Un suivi annuel est

préconisé chez les patients pauci-symptomatiques, et semestriel

pour les symptomatiques. L’examen clinique sera complété par un

Holter rythmique et un test d’effort.

alberto tiritilli, Pierre iaria, Philippe Viard, smain sayah, tahar benali, sonia martis, Philip aouate. (Service de cardiologie, Centre Hospitalier Laennec, Creil)

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Observation clinique

Figure 1 - electrocardiogramme de surface. Flutter atrial typique à conduction variable 101/min. Rares esV monomorphes.

trouble aspécifique de la repolarisation ventriculaire.

Madame de C., née le 15 octobre 1958, a été adressée à l’hôpital pour palpitations, dyspnée et vertiges depuis 3 jours. Devant la persistance de la symptomatologie, la patiente consulte son médecin traitant qui préfère l’adresser aux urgences. Elle n’a pas d’antécédent, ni facteurs de risque cardiovasculaire connus. L’examen clinique effectué aux urgences et les différents examens complémentaires orientent la patiente en USIC pour prise en charge. L’examen somatique à l’entrée montre des bonnes conditions cliniques avec une tension arté-rielle à 132/75 mmHg, et une FC à 130/min. La patiente est apyrétique. Elle présente un pectum excavatum.

A l’auscultation cardiaque, on note : • un souffle systolique sur tout le precordium max foyer tricuspide, sans irradiation particulière ; • aucun frottement péricardique ; • aucun signe d’insuffisance cardiaque gauche. L’auscultation pulmonaire est claire avec quelques sibilants expiratoires. Il existe un murmure vésiculaire symétrique, pas de foyer.

L’abdomen est souple sans masse palpable ; à signaler cependant un reflux hépato-jugulaire sans hépato-splé-nomégalie. Le réseau vasculaire veineux périphérique est défi-citaire mais sans signe clinique de phlébite. Il n’y a pas d’OMI. Les axes carotidiens sont perméables. Le reste de l’examen est sans particularité. L’ECG met en évidence un flutter atrial commun (Fig. 1). Le bilan biologique à l’entrée est normal, avec une créatinine à 54 micromol/l, sans autre trouble méta-bolique associé et notamment pas d’élévation des marqueurs de cytolyse myocardique, hépatique ou pancréatique. Devant une hypoxie isolée, modérée avec pO2 à 84,7 mmHg, une scintigraphie pulmonaire a été de-mandée, qui s’avère normale.

Notre observation résume assez bien, par son tableau clinique, dyspnée, palpitations, flutter atrial conforté par les données échocardiographiques qui reste l’examen de référence pour le diagnostic de maladie d’Ebstein.

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du coussinet endocardique ventral, prennent naissance au niveau d’un lambeau de tissu myocardique qui se détache de la paroi ventriculaire par un processus “d’excavation” qui démarre à l’apex du ventricule pour s’arrêter à la jonction atrio-ventriculaire. Ce processus reste incomplet et n’arrive pas à l’anneau valvulaire. Le lambeau musculaire ainsi formé donne naissance dans sa partie crâniale aux cuspides val-vulaires, tandis que la portion api-cale entame une réabsorption par-tielle avec formation des muscles papillaires et des cordages. La por-tion latérale du lambeau antérieur va se libérer assez rapidement, tan-dis que les cuspides, postérieure et septale, vont se délinéer plus tardivement. Puisque la cuspide antérieure prend origine aussi au niveau des coussinets endocar-diques, elle est toujours située nor-malement au niveau de l’anneau.

les anomaliesEn définitive, la maladie d’Ebstein intéresse la valve tricuspide et le ventricule droit (VD). La valve

basse d’un ou plusieurs feuillets de la valve tricuspide sur la paroi ventriculaire droite entraînant une réduction de taille. La valve antérieure est le plus souvent in-téressée, normalement insérée au niveau de l’anneau qui est le plus souvent en place et dilaté. Le tissu valvulaire est anormal, redondant et myxoïde. La diminution du jeu valvulaire provoque une insuffi-sance tricuspide constante s’asso-ciant parfois à une sténose de degré variable. La taille réduite du ventri-cule droit, la régurgitation tricus-pide, associées à l’inefficacité auri-culaire droite, expliquent en partie la mauvaise qualité fonctionnelle du cœur droit. L’état hémodyna-mique est aussi aggravé par l’asso-ciation des malformations asso-ciées qui peuvent être multiples et, notamment, une communication interauriculaire (CIA), un fora-men ovale perméable (FOP), plus rarement, une sténose valvulaire pulmonaire, une communication interventriculaire (CIV) et lorsque celle-ci est présente, elle est géné-ralement musculaire.

miques, ce sont les résistances artérielles pulmonaires qui, étant élevées, dominent l’évolution de l’anomalie. Cette évolution est bonne si la baisse des pressions pulmonaires permet au shunt de diminuer et à la cyanose de ré-gresser. Pour les formes tardives, l’évolution est liée à la dilatation plus ou moins rapide des cavités droites, en rapport avec le reten-tissement de la fuite tricuspide et la survenue de troubles du rythme cardiaque.

asPects cliniques chez l’adultePlusieurs aspects cliniques ont été rapportés : des formes mineures de découverte fortuite chez l’ado-lescent ou l’adulte devant des anomalies électriques ou radio-logiques. Les formes de sévérité moyenne sont découvertes par une limitation de l’activité, une dyspnée ou des palpitations, re-léguant la cyanose au deuxième plan. L’auscultation cardiaque est évocatrice avec un rythme à trois ou quatre temps. Un souffle d’in-suffisance tricuspide d’intensité variable est le plus souvent pré-sent. Les troubles de la conduction ou voies anormales atrioventricu-laire accessoires sont retrouvés dans 25 à 30 % des cas (9). Chez les sujets avec défaut interatrial avec shunt, on observe souvent cya-nose et embolies paradoxales. Le tableau clinique est le plus souvent compliqué d’arythmies hyper-cinétiques graves, en particulier devant la présence d’un faisceau accessoire.

exAmens compLémentAires Le diagnostic peut être radio-logique : cardiomégalie par dilatation du cœur droit, es-sentiellement l’oreillette, une hy-povascularisation pulmonaire est le plus souvent associée, surtout dans les formes néonatales.

La Lésion caractéristique est L’insertion basse d’un ou pLusieurs feuiLLets de La vaLve tricuspide sur

La paroi ventricuLaire droite.

tricuspide est implantée de façon plus apicale par rapport à l’an-neau par dislocation en bas de son feuillet septal et parfois du feuillet postérieur, réalisant ainsi des de-grés variables d’atrialisation de la chambre de chasse. Les sections droites du coeur sont ainsi formées par une oreillette droite anatomique vraie, une por-tion atrialisée du VD et un ventri-cule droit fonctionnellement petit.

caractéristiques anatomiquesSur le plan anatomique, la lésion caractéristique est l’insertion

Le DiAgnostic cLiniqUe

Formes néonatalesHabituellement, le diagnostic est fait dans l’enfance, parfois in utero (8). Les formes néonatales sont gravissimes, rapidement mor-telles par inefficacité ventriculaire droite. Le diagnostic néonatal est parfois possible, les formes graves aboutissent la plupart du temps à la mort in utero par fuite tricuspi-dienne massive, cardiomégalie et insuffisance cardiaque fœtale. Le plus souvent, elles sont très mal tolérées, outre les lésions anato-

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électrocardiogrammeL’électrocardiogramme montre une hypertrophie auriculaire droite avec des ondes p amples, parfois évocatrices. Un bloc A-V de premier degré est présent dans 20 à 40 % des cas. Différents de-grés de bloc de branche droit. Les troubles rythmiques plus fréquents sont des extrasystoles auriculaires, ventriculaires et des tachycardies par réentrée. La préexcitation ventriculaire représente 15 à 25 % selon les séries. La présence d’un Kent à charge de la paroi libre droite ou postéroseptale représente-rait 20 % des cas (10). L’absence de celle-ci sur l’ECG de surface n’exclut pas la présence de voies accessoires cachées.

échocardiograPhieL’échocardiographie doppler est l’examen de référence pour confir-mer le diagnostic et sa sévérité (Fig. 2, 3 et 4).

❚ L’étude TML’étude TM a peu d’intérêt car aspé-cifique. On peut noter, néanmoins, le retard de fermeture de la valve tricuspide, le mouvement septal paradoxal, la dilatation du VD.

❚ L’examen bidimensionnelL’examen bidimensionnel est l’examen indispensable, il per-met d’apprécier l’anomalie valvu-laire, le retentissement cavitaire. La coupe parasternale grand axe montre la dilatation des cavités droites, plus ou moins marquée. Les coupes parasternales, petit axe centrées sur l’aorte, montrent l’insertion (à midi) de la valve tri-cuspide. L’incidence apicale 4 ca-vités met en évidence l’insertion basse de la valve septale vers la pointe du VD avec décalage mitro-tricuspide > 1 cm, le plus souvent le degré de décalage est variable, il peut être modéré, important ou majeur. Le feuillet septal est sou-vent court, ses mouvements sont

Figure 2 - La coupe apicale 4 cavités montre un décalage modéré mais indéniable du

feuillet de la paroi libre du ventricule droit. t = valve tricuspide. M = valve mitrale (GVM).

Figure 3 - La coupe apicale 4 cavités modifiée montre un décalage du feuillet septal par

rapport à l’anneau mitral. Le feuillet postérieur semble peu mobile et attaché par des

cordages courts à la paroi ventriculaire.

Figure 4 - La coupe apicale 4 cavités modifiée montre un ventricule droit petit et des

attaches tricuspides sur la paroi libre du ventricule droit.

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limités. L’anneau tricuspide est le plus souvent en place, mais dilaté. Le feuillet antérieur est généra-lement très long. Si l’insertion est normale, le mouvement est ample, mais l’extrémité amarrée à la pa-roi VD par des cordages courts fait que l’orifice tricuspide est décalé vers l’apex avec un VD fonction-nellement réduit.

❚ Le doppler couleurLe doppler couleur montre que la fuite tricuspide est située à l’inté-rieur du VD droit anatomique en rapport avec le déplacement apical du feuillet septal de la tricuspide. Il aidera à la recherche de shunt auriculaire.

❚ Le doppler pulséLe doppler pulsé et continu met en évidence l’insuffisance tricuspide toujours présente qui peut être modérée ou majeure. Son origine est plus proche de l’apex que nor-malement. La pression systolique du VD déterminée grâce à la l’in-suffisance tricuspide est le plus souvent normale.Chez l’adulte, le diagnostic de ma-ladie d’Ebstein est absolu lorsque le décalage est de 20 mm par rapport à la mitrale. Par ailleurs, on peut normaliser la distance de la mitrale par la surface corporelle et considé-rer comme diagnostic une distance de 8 mm/m2. Cette évaluation est importante car elle conditionne le pronostic. De plus, un rapport entre VD fonctionnel et anato-mique < 35  % semble synonyme d’intervention chirurgicale (11).

évaluation PréoPératoireL’échocardiographie est aussi utile pour l’évaluation pré- et pé-ri-opératoire. La morphologie du feuillet antérieur de la tricuspide est un index prédictif positif en cas de reconstruction chirurgi-cale. En effet, les feuillets petits et peu mobiles sont peu susceptibles de réparation et appellent le plus souvent à un remplacement valvu-

laire (12). Cette approche permet aussi de reconnaître les tableaux capables de mimer la maladie, comme le prolapsus tricuspide, la dysplasie arythmogène du VD, ou l’endocardite, avec d’importantes conséquences chirurgicales.

❚ L’échocardiographie transœsophagienneL’échocardiographie transœso-phagienne multi-plan utile chez les sujets peu échogènes permet de mieux visualiser le degré de dé-placement du feuillet septal, d’ap-précier le volume du VD, la sévéri-té de la fuite tricuspide et le niveau de déplacement vers l’apex de la coaptation des valves. De plus, elle permet de différencier d’une part, les malformations congénitales associées, d’autre part, en per-opé-ratoire, elle est utile pour évaluer la reconstruction valvulaire (13).

❚ Les autres modalités d’imagerieL’échocardiographie tridimen-sionnelle est utile surtout pour apprécier la taille respective des 3 cusp et la position de l’ori-fice régurgitant. L’IRM, quant à elle, permet d’évaluer la taille de la zone atrialisée et sa fonction contractile, la taille et la fonction globale du VD, l’étoffe valvulaire. L’examen doit être complété par la recherche d’autres malformations associées : CIV, FOP, CIA ostium secundum, sténose pulmonaire.

❚ Scores échographiquesAfin de choisir entre substitution ou remplacement valvulaire, dif-férents scores échographiques ont été proposés. Comme toutes clas-sifications, celles-ci sont subjec-tives et aléatoires. Calermajer et al. (14) ont proposé un score basé sur le rapport entre surface de OD+VD (atrialisé) rapporté à celle du VD fonctionnel et à celle du VG :• degré 1 : rapport < 0,5 ; • degré 2 : rapport entre 0,5 -0,99 ;• degré 3 : rapport 1-1,49 ; • degré 4 : rapport > 1,5.

Carpentier et al. (13) ont proposé 4 types :• le type A où le volume du VD vrai est adapté ;• le type B, le volume du VD est ré-duit, mais le feuillet antérieur se déplace normalement ;• le type C, où le volume du VD est réduit et le feuillet antérieur est limité dans son mouvement pouvant obstruer la chambre de chasse ;• le type D, où le VD est complète-ment atrialisé, excepté une petite partie de l’infundibulum.

pronosticL’évolution est aléatoire, condi-tionnée par la situation anatomo-fonctionnelle. • Les formes mineures sont bien tolérées pendant longtemps. • Les formes moyennes sont responsables de dyspnée surtout à l’effort, celle-ci devient vite in-validante, troubles du rythme, syncopes et, à plus ou moins long terme, tableau d’insuffisance car-diaque.

Pendant la Période néonatale En présence d’une insuffisance tricuspide sévère, les patients peuvent être particulièrement cyanotiques à cause du shunt droit-gauche lié aux résistances pulmonaires élevées. Après la chute physiologique des résis-tances pulmonaires, on peut as-sister pendant l’enfance à une amélioration des conditions circulatoires et les patients peu-vent rester asymptomatiques pendant de longues années. Ha-bituellement, lorsque la maladie se manifeste dans l’enfance, elle est en général sévère et de pro-nostic défavorable. Chez 67 pa-tients consécutifs analysés à la Mayo Clinic avec un follow-up de 12 ans, Giuliani et al. ont montré que 39 % sont restés en classe fonctionnelle I-II, 61 % sont pas-

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sés en classe III-IV, et 21 % sont décédés (15). De plus, 50 % des enfants sont décédés, 5 % des patients ont survécu au-delà de 50 ans et de très rares atteignent 80 ans mais il s’agit de formes mineures.

chez l’adulte Le pronostic est conditionné par l’âge, le degré d’insuffisance fonctionnelle NYHA (III-IV), la cardiomégalie, la présence ou l’absence de cyanose et/ou de tachycardies atriales paroxys-tiques, les malformations asso-ciées, ou un haut degré de déca-lage mitrotricuspide rapporté à la surface corporelle (16). Il faut souligner la possibilité d’embo-lies paradoxales si défaut atrial associé, abcès cérébral, mort su-bite malheureusement non pré-dictible. A rappeler également que la maladie d’Ebstein est pour-voyeuse d’endocardite infectieuse habituellement bactérienne.

trAitementLe traitement est variable en fonc-tion des tableaux cliniques. Il est médical concernant l’insuffisance cardiaque, les troubles du rythme, les foyers d’arythmie et les voies accessoires seront ablatées.

les Formes néonatalesChez les nouveau-nés, la symp-tomatologie peut être sévère d’emblée et se manifester par une grande décompensation cardiaque associée à différents degrés d’hy-poxie selon, d’une part, la capacité d’éjection antérograde à travers la valve pulmonaire, d’autre part le degré d’insuffisance tricuspide. Dans le cas où le flux antéro-grade est garanti, quand la valve pulmonaire est perméable, la symptomatologie due à l’insuffi-sance valvulaire va s’améliorer en fonction de la diminution physiolo-gique des résistances pulmonaires, cela entraîne une réduction des pressions ventriculaires droites

et, par conséquent, une réduction de la régurgitation pulmonaire. Le monoxyde d’azote (NO) et les prostacyclines peuvent être utilisés pour accélérer la chute des résis-tances pulmonaires. Dans le cas où il y a atrésie de la valve pulmonaire, il est néces-saire de maintenir perméable le foramen de Botallo à travers la per-fusion de prostaglandine E1. Dans les formes néonatales gra-vissimes, l’option thérapeutique afin de stabiliser un état hémodyna-mique satisfaisant est l’intervention de Starnes (création d’une atrésie de la tricuspide avec shunt artère sys-témique/artère pulmonaire selon Blalock-Taussig ou bien stabiliser le foramen de Botallo avec implanta-tion d’un stent coronaire). Chez les patients symptoma-tiques en période néonatale, le VD est habituellement non fonc-tionnel et l’approche chirurgicale prévoit de pallier de façon défini-tive selon le principe de Fontan qui consiste à faire une anastomose cavopulmonaire bidirectionnelle à partir de 6 mois et une anastomose cavopulmonaire totale après la troisième année (17).

chez l’adulteLe traitement chez l’adulte en in-suffisance cardiaque fait appel aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou ARA 2, aux diurétiques parfois digitaliques. Les tachyarythmies seront traitées à l’aide de médicaments anti-aryth-miques, ou ablation chez les sujets présentant des voies accessoires. Les formes sévères résistantes aux traitements pharmacolo-

giques vont bénéficier d’un trai-tement chirurgical, la description anatomique correcte prend ici une place de grande importance pour le choix de la technique chirur-gicale. Les indications formelles chirurgicales sont détaillées dans le tableau 1. Les premières interven-tions ont été réalisées à partir de 1963 comportant le plus souvent une annulovalvuloplastie. Par la suite, on a proposé de nombreuses solutions comprenant la plicature du VD dilaté, avec valve mono-cuspide, la création d’une valve bicuspide avec raccordement du feuillet déplacé (18), le remplace-ment valvulaire (19). Chez l’adulte, le remplacement de la tricuspide par bioprothèse est indispensable, associé de plus à la fermeture de la CIA ou des FOP. La correction chirurgicale avec valvuloplastie ou remplacement valvulaire asso-ciés à la plicature atrialisée du VD est nécessaire en cas d’aggravation de la dyspnée, surtout à l’effort, l’augmentation de la cardioméga-lie et surtout de la cyanose. Si le feuillet antérieur est relativement mobile, on préfère le traitement chirurgical conservateur. Non obstant les résultats favorables, le risque de mort subite reste élevé (10 %). Un travail publié par Car-pentier et al., portant sur 191 pa-tients, montre que chez l’adulte, le traitement conservateur est possible dans 98 % des cas avec mobilisation du feuillet antérieur, la plicature longitudinale du VD avec annuloplastie de la tricuspide avec d’excellents résultats hémo-dynamiques et cliniques (20). Les mêmes conclusions sont expri-

tableau 1 - indications formelles chirurgicales dans la maladie d’ebstein.

Clinique Cyanose importanteStade III ou IV de la NYHAInsuffisance cardiaque

Radiologique Rapport RCT > 0,65

electrique Arythmies (FA)

echographique Début d’altération de la fonction VG Insuffisance tricuspide importante

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mées dans le travail de la Mayo Cli-nic, selon ces auteurs la réparation de la malformation améliore la classe fonctionnelle, la tolérance à l’effort, réduit l’incidence des arythmies, améliore également la survie et la qualité de vie. Et enfin, pour Giuliani et al., l’annuloplastie tricuspide modifiée semble le pro-cédé de choix pour son faible taux de mortalité (25 %) et pour les ré-sultats cliniques à long terme (21).

concLUsion La maladie d’Ebstein est une malformation rare de la valve tri-cuspide. Elle comporte de nom-breuses implications cliniques et anatomopathologiques. De façon habituelle, les valves sont mal-formées, elles adhèrent souvent

à la paroi du VD avec cinétique réduite. L’histoire naturelle de l’affection n’est pas encore bien connue. Le pronostic des formes néonatales est différent de celui de l’adulte. Chez les nouveau-nés critiques, avec maladie d’Ebstein dépendante du foramen de Bo-tallo ne répondant pas, la thérapie pharmacologique à court terme, la mise en place d’un stent type coronaire dans le même foramen sont possibles. Bien entendu, cela constitue une alternative à la thé-rapie qui, à moyen et à long termes, conduit au remplacement valvu-laire, ce dernier étant responsable d’une mortalité élevée. Les indica-tions chirurgicales chez les sujets pauci ou asymptomatiques font objet de controverses. Les adultes s’adaptent à leur qualité de vie.

Nonobstant la nette amélioration clinique chez les sujets opérés, le risque de mort subite reste très élevé et non prédictible. Pour un traitement efficace, aussi bien médical que chirurgical, il semble nécessaire de connaître aussi bien les aspects anatomopathologiques que cliniques. Pour une straté-gie thérapeutique rationnelle, la surveillance sera clinique, écho-graphique et comportera égale-ment un enregistrement Holter rythmique et un test d’effort. Un suivi annuel chez les patients pau-ci-symptomatiques et semestriel pour les symptomatiques. n

Mots-clés : Maladie d’ebstein, Cardiopathie

congénitale, insuffisance tricuspide

dessin du Mois

RetRouVez La bibLioGRaphie CoMpLète suR CaRdinaLe.FR

pour en savoir plus: Deftereos S, et al. Colchicine for prevention of early atrial fibrillation recurrence after pulmonary vein isolation : a randomized

controlled study. J Am Coll Cardiol 2012. doi : 10.1016/j.jacc.2012.07.031. Disponible à : http://content.onlinejacc.org

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Mise au point

Cardiologie - Cardinale • Octobe 2012 • vol. 6 • numéro 51 1

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