quand napoléon iii suscita la naissance de la roumanie

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10/6/2015 Quand Napoléon III suscita la naissance de la Roumanie http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/articles/files/471953.asp 1/6 IN ENGLISH Recherche OK Pour découvrir l'histoire napoléonienne, pas à pas, parfaire ses connaissances et poursuivre des recherches personnelles, pour tous les amateurs et les historiens passionnés, laissezvous guider parmi un riche ensemble d'articles et de dossiers thématiques, d'images commentées, d'outils pour travailler. Enrichissements récents : Articles : Le butin de Waterloo reconstitué au musée de la Légion d'honneur Images : Photographie : La princesse Clotilde et son fils Victor Napoléon Bibliographies : L'Expédition d'Egypte (17981801) NAPOLEONICA LA REVUE La revue ARTICLES QUAND NAPOLÉON III SUSCITA LA NAISSANCE DE LA ROUMANIE (ARTICLE DE DOUAY ABEL, HERTAULT GÉRARD ) Informations Une survivance du moyenâge en plein XIXe siècle Un système politique bloqué Les idées révolutionnaires françaises : une éclaircie en MoldoValachie La politique des nationalités à l'origine de l'intérêt de Napoléon III pour la Roumanie. Le congrès de Paris (25 février30 mars 1856) L'Union de la Moldavie et de la Valachie, première application de la politique des nationalités L'entrevue d'Osborne, triomphe de la politique extérieure de Napoléon III L'élection du Prince Cuza et l'Unité réalisée de facto (17 janvier et 5 février 1859) Les raisons de la réussite de Napoléon III dans la “régénération” de la Roumanie Alors qu'explosait partout en Europe la révolution de 1848 qu'Alexandre Walewski, futur ministre des Affaires étrangères de Napoléon III, qualifiait de « Printemps des peuples », il est difficile d'imaginer l'état pitoyable et arriéré de la Moldavie, la Valachie, la Dobroudja, la Transylvanie, la Bessarabie… et pourtant soixante dix ans plus tard, ces provinces devaient constituer la Grande Roumanie qui connaîtra son apogée entre les deux guerres mondiales. Une survivance du moyenâge en plein XIXe siècle D'un côté, immensément riches, le clergé orthodoxe, les moines dépositaires des Lieux saints et les grands et petits boyards constituant la noblesse possédaient les terres, étaient exemptés d'impôts, jouissaient seuls des droits politiques et civils et nommaient dans leurs rangs les députés des Assemblées. À eux seuls, ils ne représentaient que 7% de la population. De l'autre, les paysans, représentant 92% de la population, payant au gouvernement une taxe annuelle, aux communes une taxe de capitation, aux boyards un fermage au montant exorbitant en plus de jours de travail gratuits pouvant aller jusqu'à cent cinquante jours par an. Vu la rigueur de l'hiver, ils ne disposaient plus guère que d'une centaine de jours de travail pour faire vivre leur famille. Ils étaient même astreints à payer une taxe sur la fumée de leur âtre. Il leur était quasiment impossible de quitter leur terre sans laisser au préalable tous leurs biens aux boyards. Devant tant d'inhumanités, les malheureux ne pouvaient que se réfugier dans la paresse et l'abus d'alcool et y laisser leur raison. Une absence quasi complète de culture et de savoir marquait tout autant la majorité des classes privilégiées et des classes inférieures, mais entre les deux, s'intercalait une classe moyenne (moins de 1% de la population) composée de quelques petits boyards lettrés, de commerçants et de membres des professions libérales résidant presque exclusivement dans les villes. Bien évidemment, le retard économique était immense. Pas ou extrêmement peu de routes, pas d'industries, peu de commerces et une justice au service des classes dominantes (1) . Retour page d'Accueil Retour page de Section Retour page de Rubrique Imprimer Ajouter à votre sélection Tweeter 0

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10/6/2015 Quand Napoléon III suscita la naissance de la Roumanie

http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/articles/files/471953.asp 1/6

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Pour découvrir l'histoire napoléonienne, pas à pas, parfaire ses connaissances etpoursuivre des recherches personnelles, pour tous les amateurs et les historienspassionnés, laissezvous guider parmi un riche ensemble d'articles et de dossiersthématiques, d'images commentées, d'outils pour travailler. 

Enrichissements récents :

Articles : Le butin de Waterloo reconstitué au musée de la Légion d'honneurImages : Photographie : La princesse Clotilde et son fils Victor NapoléonBibliographies : L'Expédition d'Egypte (17981801)

NAPOLEONICA LA REVUE

La revue

 

ARTICLESQUAND NAPOLÉON III SUSCITA LA NAISSANCE DE LA ROUMANIE

(ARTICLE DE DOUAY ABEL, HERTAULT GÉRARD )

 Informations

Une survivance du moyenâge en plein XIXe siècleUn système politique bloquéLes idées révolutionnaires françaises : une éclaircie en MoldoValachieLa politique des nationalités à l'origine de l'intérêt de Napoléon III pour laRoumanie. Le congrès de Paris (25 février30 mars 1856)L'Union de la Moldavie et de la Valachie, première application de la politique desnationalitésL'entrevue d'Osborne, triomphe de la politique extérieure de Napoléon IIIL'élection du Prince Cuza et l'Unité réalisée de facto (17 janvier et 5 février 1859)Les raisons de la réussite de Napoléon III dans la “régénération” de la Roumanie

Alors qu'explosait partout en Europe la révolution de 1848 qu'Alexandre Walewski,futur ministre des Affaires étrangères de Napoléon III, qualifiait de « Printempsdes peuples », il est difficile d'imaginer l'état pitoyable et arriéré de la Moldavie,la Valachie, la Dobroudja, la Transylvanie, la Bessarabie… et pourtant soixante dixans plus tard, ces provinces devaient constituer la Grande Roumanie qui connaîtrason apogée entre les deux guerres mondiales.

  Une survivance du moyenâge en plein XIXe siècle

D'un côté, immensément riches, le clergé orthodoxe, les moines dépositaires desLieux saints et les grands et petits boyards constituant la noblesse possédaient lesterres, étaient exemptés d'impôts, jouissaient seuls des droits politiques et civilset nommaient dans leurs rangs les députés des Assemblées. À eux seuls, ils nereprésentaient que 7% de la population. De l'autre, les paysans, représentant 92%de la population, payant au gouvernement une taxe annuelle, aux communes unetaxe de capitation, aux boyards un fermage au montant exorbitant en plus de joursde travail gratuits pouvant aller jusqu'à cent cinquante jours par an. Vu la rigueurde l'hiver, ils ne disposaient plus guère que d'une centaine de jours de travail pourfaire vivre leur famille. Ils étaient même astreints à payer une taxe sur la fuméede leur âtre. Il leur était quasiment impossible de quitter leur terre sans laisser aupréalable tous leurs biens aux boyards. 

Devant tant d'inhumanités, les malheureux ne pouvaient que se réfugier dans laparesse et l'abus d'alcool et y laisser leur raison. Une absence quasi complète deculture et de savoir marquait tout autant la majorité des classes privilégiées et desclasses inférieures, mais entre les deux, s'intercalait une classe moyenne (moinsde 1% de la population) composée de quelques petits boyards lettrés, decommerçants et de membres des professions libérales résidant presqueexclusivement dans les villes. Bien évidemment, le retard économique étaitimmense. Pas ou extrêmement peu de routes, pas d'industries, peu de commerceset une justice au service des classes dominantes (1).

 

 

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10/6/2015 Quand Napoléon III suscita la naissance de la Roumanie

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  Un système politique bloqué

En 1848, lorsque le prince Louis Napoléon Bonaparte fut élu Président de laSeconde République française, les Principautés danubiennes orthodoxes, etnotamment la Moldavie et la Valachie, qui douze ans plus tard devaient constituerle noyau dur de la future Roumanie, étaient placées sous la suzeraineté du sultande la Turquie musulmane. Ces provinces lui étaient redevables, chaque année,d'un tribut. Le sultan avait pouvoir de nommer et de déposer ses lieutenants oureprésentants dans chaque province (les caïmacans). Là se bornait en principel'exercice de sa suzeraineté. 

Avec le traité d'Andrinople (1826), la Russie avait obtenu l'application derèglements organiques par lesquels elle exerçait un véritable protectorat sur lesprovinces danubiennes (1830). Soucieuse de contrôler le cours du Danube,l'Autriche de son côté, veillait jalousement sur ces provinces et se heurtait ainsiaux intérêts russes et turcs. Il en résultait des conflits perpétuels et des invasionsquasi continuelles des provinces roumaines par les armées des trois puissancesvoisines. Non contente de se nourrir sur l'habitant, la soldatesque de tout bordpillait et rançonnait sans vergogne. 

Ainsi écrasée entre ses trois puissants voisins, surveillée de près par l'Angleterrequi craignait pour son commerce si ces principautés danubiennes s'unissaient, laRoumanie, contrairement à la Pologne convoitée sans cesse par la Russie et laPrusse, n'existait pas. En principe, rien ne pouvait la faire évoluer… Et pourtant,deux facteurs allaient entrainer l'unification des principautés : la propagation desidées de la Révolution française puis la politique des nationalités de Napoléon III. 

  Les idées révolutionnaires françaises : une éclaircie en MoldoValachie

Le rayonnement culturel de la France en Roumanie se fit sentir à partir de 1820 etce, dans les classes privilégiées, notamment chez les petits boyards, les plusréceptifs car les plus proches de leurs paysans. Les premiers fils de famille furentalors envoyés à Paris, notamment au lycée Louis le Grand. En 1846, se créait sousle patronage de Lamartine, la “Société des étudiants roumains”. En firentnotamment partie ceux qui devaient figurer quelques années plus tard parmi lesplus grands noms roumains de l'époque : Mihail Kogalniceanu, Constantin Rosetti,Alexandre, Stefan et Nicolas Golescu, Ion et Dimitri Bratianu. Jules Michelet etEdgar Quinet virent se presser les étudiants roumains dans leurs cours. Rentrés enRoumanie en 1848, ils devaient perpétrer les idées de la révolution en Moldavie eten Valachie. Les troupes russes et turques devaient écraser le mouvement, maisceluici se poursuivit clandestinement et s'organisa notamment autour des logesmaçonniques. La communauté de culture et de langue (la latinité au milieu depeuples slaves), et de religion (orthodoxie), devait s'avérer être un cimentpuissant. 

  La politique des nationalités à l'origine de l'intérêt de Napoléon III pour laRoumanie. Le congrès de Paris (25 février30 mars 1856)

Rien ne prédisposait Napoléon III à s'intéresser tout particulièrement à laRoumanie. La guerre de Crimée qui mobilisa la Turquie, l'Angleterre et la France,chacun pour des intérêts qui leur étaient propres, devait permettre à la France dereprendre un rôle politique de premier plan en Europe. Par ses victoires (Alma,Balaklava, Inkerman, Tracktir, Sébastopol), elle effaçait Waterloo et le traité deVienne de 1815. Elle organisait les réunions pour la paix à Paris, lors d'un congrèsqui s'ouvrit le 25 février 1856. 

L'historien Paul Guériot résume ainsi l'ensemble de la diplomatie de Napoléon III :« Il voulut se faire le champion des peuples opprimés, intervenir commeredresseur de torts, jouer en Europe, et même audelà, le rôle d'arbitreprovidence. La Turquie est menacée par l'Empire russe, il interviendra en faveur dela Turquie par la guerre de Crimée. L'Italie souffre sous la domination de l'Autriche,il n'hésite pas à soutenir l'Italie. Le Mexique est déchiré de luttes intestines,menacé d'absorption par les EtatsUnis, Napoléon III conçoit le dessein de pacifierle Mexique, de le régénérer par la création d'un grand Empire latin qui contiendral'avidité anglosaxonne (2). » Dans cette vue du monde, des Empires doivent êtreappelés à disparaître dans leur forme actuelle telle l'Autriche qui doit, selon lui,rendre leur libre choix à la Vénétie, mais aussi à la Hongrie… Ainsi, l'Autriche seratelle combattue afin que les peuples qu'elle assujettit puissent se développerharmonieusement et que la paix puisse régner. 

Le but de Napoléon III était donc d'établir un système de paix générale dans uneEurope constituée d'États indépendants, d'Étatsnations homogènes, fondés sur lesidées de la Révolution française. Chaque peuple voyant ses intérêts satisfaits,parce qu'il aurait conquis son indépendance et atteint ses limites naturelles sanschercher à les outrepasser, il n'y aurait plus de causes de conflits en Europe, doncplus de guerres. 

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Pour arriver à ce but, Napoléon III comptait employer deux moyens : les congrèsinternationaux pour dénouer toute crise dès son apparition et la consultation despopulations concernées par voie de plébiscite en appliquant le droit des peuples àdisposer d'euxmêmes. C'est dans cette optique qu'eût lieu le congrès de Paris de1856 qui scella l'indépendance, vis à vis de la Russie, de la Moldavie et de laValachie. On retrouve ici l'aspect visionnaire de Napoléon III, précurseur de laSociété des nations et de l'organisation des Nations Unies. 

Résumant la politique des nationalités de l'Empereur, si décriée après l'appuibienveillant de la France dans la réalisation de l'unité de la Prusse et après ledésastre de Sedan qui s'ensuivit, Jean Tulard devait conclure : « [Cette politique]était la plus belle, la plus généreuse, elle dépassait même les limites du vieuxcontinent, bref, elle croyait en la bonté des hommes (3) . »

  L'Union de la Moldavie et de la Valachie, première application de la politique desnationalités

Hyppolite Desprez avait beaucoup réfléchi et c'est avec passion qu'il présenta sonmémoire à l'Empereur sur la nécessité d'unir la Moldavie et la Valachie quipourraient ainsi former le noyau dur de la future Roumanie. Il y ajoutait, dès 1854,une suggestion a priori tout à fait étonnante pour accroitre la solidité de cet État :proposer la couronne à un prince étranger car aucune des grandes famillesroumaines qui se battaient depuis si longtemps pour le pouvoir ne pourraitapporter la stabilité et la crédibilité d'un prince issu d'une grande famille régnante.N'étaitce pas d'ailleurs la solution qui avait été retenue lors de la formation de laGrèce et de la Belgique ? L'Impératrice Eugénie fut, quant à elle, grandementsensibilisée par Mérimée qui lui présenta le jeune boyard Constantin Rosetti, etpesa sur les décisions politiques de l'Empereur. 

À l'issue du congrès de Paris, outre les clauses commerciales et religieuses (librecirculation sur le Danube, neutralisation de la mer Noire, renonciation par laTurquie de son protectorat sur les chrétiens de son Empire), la Russie devait aussirenoncer à son protectorat sur les Principautés danubiennes de Moldavie et deValachie.  Sept Puissances devenaient garantes de ce traité : la France, l'Angleterre, laRussie, l'Autriche, la Prusse, la Turquie et le royaume de PiémontSardaigne. Aveclui, Napoléon III posait les jalons d'une future unification de l'Italie. 

Avec le congrès de Paris, prenait corps l'idée de l'Empereur de créer un embryonde société des Nations qui se réuniraient pour dénouer les crises européennesfutures. Pour la première fois, les Puissances allaient se pencher sur le sort desPrincipautés danubiennes. Napoléon III, auteur de L'extinction du paupérisme,invitait les nations à soulager la misère de leur population en leur donnant desstatuts équitables. L'Angleterre, attachée à l'équilibre européen de Metternich,louvoyait et Clarendon, ministre des Affaires étrangères du Royaume uni,acquiesçait du bout des lèvres voulant ménager la Turquie et l'Autriche en évitantla création d'un État trop puissant à leur porte. Mais Napoléon III tenait bon. Avecopiniâtreté il obtenait la création d'une commission présidée par un Français, lebaron Charles de Talleyrand, fils d'un neveu du grand Talleyrand. Cettecommission siégeant à Bucarest, était chargée de proposer les bases de la futureorganisation des Principautés. L'Empereur sentait qu'il fallait agir vite et mettre enplace au plus tôt une régence, pendant que les deux assemblées élues (les divansad hoc), l'une pour la Moldavie et l'autre pour la Valachie, élaboreraient la futureconstitution. Il obtenait la destitution des deux hospodars (4) et la nomination parla Sublime Porte de deux régents (dénommés caïmacans) : Alexandre Ghika etThéodore Bals, bientôt remplacé par Vogoridès. 

Napoléon III ne doutait pas que les divans ad hoc allaient rédiger une constitutionprônant l'union des deux principautés. Il pensait avoir gagné. 

  L'entrevue d'Osborne, triomphe de la politique extérieure de Napoléon III

C'était sans compter avec l'Angleterre et la Turquie qui refusaient l'union.Encouragés par les consuls de France à Iasi et à Bucarest (Victor Place et LouisBéclard), un puissant mouvement unioniste se concrétisa alors en moldovalachiesous l'égide d'un mouvement patriote emmené par les anciens étudiants roumainsde Paris. Sous leur pression, les électeurs des futurs députés aux divans ad hocprirent conscience des multiples anomalies et injustices, notamment de Vogoridèsqui organisa la concussion, emprisonna les opposants, s'en prit violemment auclergé… soutenu par la Turquie et par l'Angleterre. La présidence des collègesélectoraux fut dévolue aux préfets et souspréfets. Les comités unionistes furentdissous, toutes les réunions et tous les journaux furent interdits. 

 

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À son tour, le Métropolite réagit et demanda des comptes. Vogoridès tenta de ledestituer sans succès. Alors, il songea à réunir plusieurs médecins pour constaterque le prélat était devenu fou et l'enfermer. Trois mille deux cent soixante troisprêtres et vingt mille laïcs étaient les électeurs potentiels prévus par lacommission avant que Vogoridès, après une falsification éhontée des listes, n'enretienne que 10% (5) !  Les élections à un seul tour des “grands électeurs” en Moldavie eurent lieu le 19juillet 1857 et marquées par un taux considérable d'abstentions : si mille vingttrois grands électeurs votèrent, mille six cent soixante deux s'abstinrent (6) . 

La situation était devenue explosive et Walewski suivait son évolution d'heure enheure, en liaison constante avec ses deux consuls, son ambassadeur àConstantinople (Thouvenel) et ses envoyés spéciaux sur place. L'alliance conclueavec l'Angleterre et l'amitié sincère du couple impérial avec la reine Victoria, quis'était développée lors de la visite de celleci à Paris en août 1855, risquait bel etbien de voler en éclats. Toute la politique de Napoléon III se trouvait mise endanger. Dans les Principautés danubiennes, la tension était à son comble. 

C'est alors que l'Empereur décida d'une entrevue éclair avec la reine d'Angleterrepour trouver un terrain d'entente susceptible de calmer les esprits et d'apaiser lescraintes des moldovalaques toujours sous le joug de leur carcan médiéval. Le 6août 1857, il débarquait avec l'Impératrice Eugénie, dans l'île de Wight où lecouple royal était en vacances. Le même jour, pour marquer sa détermination, ilmenaçait de rompre les relations diplomatiques avec la Turquie, faisait embarquerThouvenel, son ambassadeur, sur un vaisseau français et tirer le canon dans leport de Constantinople. Des deux souverains qui se rencontraient à Osborne où eutlieu la rencontre, du 6 au 9 août, lequel allait céder ? L'Anglais qui voulaitmaintenir en moldovalachie un scrutin truqué ou le français qui exigeait denouvelles élections, c'est à dire la désignation de nouveaux grands électeurs qui, àleur tour, éliraient les deux divans ad hoc qui, à leur tour également, établiraientune nouvelle constitution ? 

Des historiens se sont penchés maintes fois sur les entrevues de Plombières et deBiarritz, qu'ils ont étudiées dans le détail, mais peu se sont intéressés à l'entrevued'Osborne qui constitua pourtant un modèle de finesse et de diplomatie. 

Très vite, dès le début de la discussion, Napoléon III comprit qu'il était primordialpour l'Angleterre d'empêcher l'union des deux Principautés, et par conséquent lanaissance d'un nouveau pays susceptible, pensaitelle, de déstabiliser la région.Pour l'Empereur, ce qui importait, en premier lieu, c'était l'annulation des électionstruquées. Avec deux assemblées ouvertes au progrès et au bien des peuples, toutarriverait par la suite. Il suffisait de patienter et de poursuivre inlassablement lapolitique des petitspas. 

Alors, dans leur protocole d'accord, les souverains jouèrent sur les mots. NapoléonIII obtint l'appui des britanniques pour faire pression sur la Turquie et faire annulerles élections. La Reine, le Prince Albert, le Premier ministre lord Palmerstonobtinrent la signature de Napoléon III sur un texte à la rédaction ambiguë et flouerelatif au maintien de la séparation des deux États. Dès la signature de ce textesecret (7) , le gouvernement anglais, soucieux à l'extrême de ne pas perdre laface, le rendait public et la presse divulguait le commentaire suivant de lordCowley à lord Clarendon : « Vous avez gagné la substance, tandis que la Francelutte pour une ombre... ». L'Empereur se tenait coi, affectant d'avoir perdu. Seullord Stratford de Redcliff, ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, vit clairdans le jeu de l'Empereur. Très en colère, il écrivait à Londres le lendemain :« Vous avez lâché la proie pour l'ombre (8) . » Napoléon III avait obtenu denouvelles élections. Seul, il avait compris que tout un peuple s'éveillait et que levote qui allait suivre serait un plébiscite pour l'Union. Comment les Roumains s'yprendraientil ? L'Empereur et Victor Place, son bouillant consul à Iasi, en avaientdéjà une certaine idée. 

  L'élection du Prince Cuza et l'Unité réalisée de facto (17 janvier et 5 février1859)

Les 10 et 22 septembre 1857 eurent lieu les secondes élections des représentantsaux divans de Moldavie et de Valachie. Le 19 octobre, le divan moldave votait àl'unanimité une motion solennelle pour l'union à destination des sept Puissancesgarantes. Le 7 novembre, c'était au tour du divan Valaque. Ceuxci n'enélaborèrent pas moins deux constitutions distinctes, en clôturant leur session le 19août 1858, soit après un an de travaux... Un an pendant lequel le peuple, maisaussi les élus des deux assemblées, s'étaient préparés aux grands jours desélections des deux nouveaux régents. 

Les élections des deux régents par les grands électeurs eurent lieu dans un climatde fièvre et furent suivies de très près par les consuls de France : Victor Place àIasi et Louis Béclard à Bucarest, qui tenaient Napoléon III informé chaque jour. 

Chaque représentant de chacune des grandes familles aspirait à être élu régent. Ladispersion des voix faisait qu'aucun d'eux n'avait de chances d'être élu. À Iasi, le

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17 janvier 1859, pour sortir de l'impasse, un nom circula soudain : Alexandre IonCuza, petit boyard et obscur colonel de Moldavie. Ce nom avaitil été tenu enréserve jusqu'au dernier moment ou bien futil effectivement improvisé ? L'idée fitson chemin, portée par Constantin Rosetti et les ténors du parti des patriotes. Lasurprise fut totale et Cuza fut élu. 

Le 5 février, à Bucarest, ce fut au tour de la Valachie d'élire son prince. Cette fois,Louis Béclard, Victor Place et un jeune député roumain M. Boërescu, suggérèrentde concentrer les votes sur le même candidat qui avait été élu en Moldavie quinzejours plus tôt. Dans un discours enflammé, tandis que le peuple attendait audehors, à la fois anxieux et plein d'espoir, Boërescu s'exclamait : « Considérons lepeu d'années que nous avons à vivre et songeons que notre prospérité recueilleral'héritage préparé par notre abnégation ! Ralliés au principe de l'union, nous lesommes par conséquent, à l'homme qui personnifie ce principe, à Alexandre Cuza,prince de Moldavie. Unissonsnous autour de ce nom et notre souvenir sera béni...et dès à présent nous jouirons de notre oeuvre... (9) »

« Un cri unanime » rapporte Béclard retentit : « “Vive le Prince Cuza ! ”. Ce cris'est fait entendre dans la salle des séances. Il a été ensuite souvent répété par lafoule qui, retenue jusqu'alors en dehors des murailles, est venue bientôt prendrepart à une manifestation improvisée... » Un siècle et demi après ces événements,le récit de Béclard, qu'il faut lire, nous émeut et nous étreint encore. Ce jourlà, laRoumanie venait de naître. Elle avait pour parrain Napoléon III et pour mère, laFrance. L'Union de la Moldavie et de la Valachie se trouvait réalisée de facto.Comment l'Europe et en particulier les Puissances garantes allaientelles réagir ? 

Tenant à la fois du miracle et de la préparation souterraine, l'élection du princeCuza déconcerta et surprit les Puissances garantes, mises devant le fait accompli.Trois mois plus tard, toutes avaient reconnu la double élection du Prince. Dès lors,Cuza gouverna en étroite collaboration avec la France. 

Qui donc avait ainsi manoeuvré de façon souterraine pour élire Alexandre Cuza àla tête des deux Principautés ? Victor Place, le bouillant consul de France à Iasi, sedépensa sans compter pour faire triompher cette idée. En obtenant à Osborne, unan et demi  auparavant, l'annulation des premières élections des délégués et unnouveau scrutin de représentants favorables à l'union, Napoléon III avait su, avecpatience et sagesse, appliquer une fois encore sa politique des petitspas etdiscerner l'essentiel : l'obtention de nouvelles élections de représentantsfavorables à l'union. 

Mais le 5 février 1859, le vrai vainqueur n'étaitil pas une démocratie naissantedans une jeune nation qui prenait conscience d'ellemême. Pour une fois, lesboyards avaient fait taire leurs égoïsmes et le peuple par sa présence massivedurant le déroulement des scrutins, s'était fait entendre. Une ère nouvelle s'ouvraitque Victor Place saluait ainsi dans une dépêche à Walewski : « Malgré soi, on sesentirait gagné par tant d'enthousiasme. C'est un spectacle qui touche les plusinsensibles que celui d'un peuple saluant, par de telles acclamations, l'acte de sarégénération(10). » 

  Les raisons de la réussite de Napoléon III dans la “régénération” de laRoumanie

  Lorsqu'il aborda la guerre de Crimée et le congrès de Paris, Napoléon III étaitencore en bonne santé et en possession de tous ses moyens, d'où sa parfaiteclairvoyance, notamment à Osborne. Mais, plus tard, souffrant de son calcul dansla vessie, lors du choix du prince Charles de Hohenzollern Sigmaringen pourremplacer Cuza, il devait faire confiance à Madame Cornu, sa soeur de lait. 

Sa parfaite maîtrise des affaires lui permit, dès 1855, de choisir pour l'applicationde sa politique des nationalités, la question roumaine à la portée des possibilitésfrançaises. Il sut alors choisir de secourir la Roumanie plutôt que la Pologne. Uneautre raison de la réussite pour la régénération de la Roumanie fut la cohésion dela coalition Angleterre, France et Turquie contre la Russie et la solidité des intérêtspourtant divergents qui les unissaient. Pour l'obtention de l'indépendance italienne,Napoléon III devait s'engager seul contre l'immense Empire autrichien. Il devaitsusciter l'hostilité de la Prusse et traiter prématurément à Villafranca provoquantde surcroît le mécontentement italien que le marquis Massimo d'Azeglio devaitrésumer ainsi : « Aller en Italie avec deux cent mille hommes, dépenser un demimilliard, gagner quatre batailles, restituer aux Italiens une de leurs plus bellesprovinces et en revenir maudit par eux. »

Au Mexique, la coalition formée de l'Angleterre, de l'Espagne et de la France avaitdes buts limités pour les deux premiers pays. Ils y mirent fin dès qu'ils furentrentrés dans leurs intérêts et les troupes de Napoléon III se retrouvèrent seules,loin de leur base et face à une guérilla expérimentée et des EtatsUnis d'Amériquequi haussaient le ton avec fermeté. 

Enfin, dans la question roumaine, les buts étaient clairs et comme l'avait préditMichelet, le peuple moldovalaque devait les atteindre « parce qu'il avait ce qu'ont

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très peu de peuples : une idée simple et forte de son avenir. » En Italie, NapoléonIII fut dépassé par l'ampleur donnée à la poursuite des opérations par certainspatriotes tels Garibaldi. Quant au peuple du Mexique qui voyait fondre la guerresur lui, il n'avait rien demandé. 

La régénération de la Roumanie ne fut pas pour Napoléon III qu'un simple épisodede deux à trois années de son règne. Elle fut en réalité une préoccupationconstante durant quinze ans, jusqu'à son abdication. Durant les six années durègne du prince Cuza, il ne cessa de le conseiller et d'envoyer en Roumanie descoopérants de haut niveau qui devaient apporter encore davantage auresserrement des liens entre les deux pays. 

Lorsqu'en 1866, le prince Cuza abdiqua, les Puissances garantes réclamèrent ànouveau l'éclatement des deux provinces danubiennes. Une fois encore, l'Empereursut les contenir en suscitant la mise en place d'une commission qui fit traîner leschoses jusqu'à ce que le prince Charles de Hohenzollern fût élu. Pourquoi un tel engagement de la France pour la Roumanie au Second Empire ?« Si l'on me demandait quel intérêt la France avait dans ces contrées lointainesqu'arrose le Danube, je répondrais, disait Napoléon III, que l'intérêt de la Franceest partout où il y a une cause juste et civilisatrice à faire prévaloir. » À cela, IonBratianu, qui fut à de nombreuses reprises Premier ministre des provinces unies duDanube puis du royaume de Roumanie, répondait comme en écho : « ChaqueRoumain a deux patries, la seconde c'est la France. »Il y a de cela, tout juste cent cinquante ans… 

     

 

 Informations

Auteur : DOUAY Abel, HERTAULT GérardRevue : InéditMois : NovembreAnnée : 2008

Notes

 Notes :(1) Archives du Ministère des Affaires étrangères. Mémoire de l'agent diplomatiqueBotmileau sur l'état de la MoldoValachie. Mémoires et documents, Turquie, microfilmn°55, pièce n°4, octobre 1850. (2) Guériot Paul, Napoléon III, Paris, 1863. (3) Tulard Jean, L'Empereur Napoléon III, un européen convaincu, in Revue Histoire, n°37. (4) Les hospodars étaient des gouverneurs de provinces. (5) Études balkaniques, Sofia 20042005, chiffres communiqués par Vogoridès. (6) Otetea A. Revue roumaine d'histoire, éd. Académie de la république populaire deRoumanie, 1964, tome 3, pp. 684685. (7) The Osborne conférence and memerandum of august 1857, in : The EnglishHistorical Review, imprimerie de l'université d'Oxford, vol. 43, n°171, juillet 1928, pp.409412. (8) Cambridge Historical Journal, vol. 3, 1937, p. 321.(9) Sturdza et Skupiewski J. Actes et documents, tome IX, n°2695, télégramme deBéclard du 5 février 1859 et n°2700, lettre de Béclard à Walewski du 7 février 1859. (10) Sturdza, Actes et documents, lettre de Victor Place à Walewski du 10 février1859, tome X, p.284. 

 

 

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