prix prud’homme 2000 l’inversion du tourbillon...

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Cet article retrace d’abord l’histoire des idées qui ont conduit à la mise en évidence de l’importance du tourbillon potentiel pour la compréhension des mécanismes de cyclogenèse. En s’appuyant sur le principe d’inversibilité du tourbillon potentiel, il met ensuite en évidence, sur l’exemple de la tempête du 27 décembre 1999, le rôle joué dans le creusement de la dépression par un précurseur d’altitude constitué par une anomalie de tourbillon potentiel située au voisinage de la tropopause. The potential vorticity inversion; a tool for understanding cyclogenesis This paper describes the history of ideas that lead to the discovery of the importance of potential vorticity for understanding the mechanisms of cyclogenesis. Then, by applying the potential vorticity invertibility principle to the December 27th 1999 storm, it reveals the part played in the deepening of the cyclone by a potential vorticity anomaly located near the tropopause. L’atmosphère se caractérise par la très grande diversité des échelles spatiales et des durées de vie des mouvements qui l’animent. Aux latitudes tempérées, on observe des perturbations d’une durée de vie allant de un à quelques jours et d’une taille pouvant atteindre quelques milliers de kilomètres sur une épaisseur verticale d’une dizaine de kilomètres. Généralement, la présence d’une telle per- turbation se manifeste par une dépression en surface et par la présence de nuages, de vent et de pluie. On surveille tout particulièrement les dépressions en phase de cyclogenèse, c’est-à-dire pour lesquelles la pression diminue au cœur de la dépression et la vitesse du vent augmente. Prévoir ce type de phénomène deux ou trois jours à l’avance nécessite de disposer de modèles de prévision perfor- mants, mais aussi de bien comprendre les mécanismes qui donnent naissance aux dépressions et qui font que certaines d’entre elles deviennent des tempêtes dévas- tatrices. L’ambition de cet article est de présenter une vision renouvelée de la cyclo- genèse qui s’appuie cependant sur un ensemble de concepts et d’outils, trou- vant leur origine au milieu du XX e siècle. On reviendra sur le contexte historique qui a déterminé ces découvertes, puis, en s’appuyant sur le cas de la tempête du 27 décembre 1999 qui a balayé le centre et le sud de la France, on montrera que la cyclogenèse résulte de l’interaction entre des structures Résumé Abstract Prix Prud’homme 2000 L’inversion du tourbillon potentiel Un outil pour comprendre le creusement des dépressions Philippe Arbogast Météo-France Centre national de recherches météorologiques 42, avenue Gaspard-Coriolis 31057 Toulouse Cedex Courrier électronique : [email protected] Météorologie dynamique La Météorologie - n° 38 - août 2002 19

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Cet article retrace d’abord l’histoire des idées qui ont conduit à la mise enévidence de l’importance du tourbillon potentiel pour la compréhension desmécanismes de cyclogenèse. En s’appuyant sur le principe d’inversibilité dutourbillon potentiel, il met ensuite en évidence, sur l’exemple de la tempêtedu 27 décembre 1999, le rôle joué dans le creusement de la dépression parun précurseur d’altitude constitué par une anomalie de tourbillon potentielsituée au voisinage de la tropopause.

The potential vorticity inversion; a tool for understanding cyclogenesis

This paper describes the history of ideas that lead to the discovery of theimportance of potential vorticity for understanding the mechanisms ofcyclogenesis. Then, by applying the potential vorticity invertibility principleto the December 27th 1999 storm, it reveals the part played in the deepeningof the cyclone by a potential vorticity anomaly located near the tropopause.

L’atmosphère se caractérise par la très grande diversité des échelles spatiales etdes durées de vie des mouvements qui l’animent. Aux latitudes tempérées, onobserve des perturbations d’une durée de vie allant de un à quelques jours etd’une taille pouvant atteindre quelques milliers de kilomètres sur une épaisseurverticale d’une dizaine de kilomètres. Généralement, la présence d’une telle per-turbation se manifeste par une dépression en surface et par la présence de nuages,de vent et de pluie. On surveille tout particulièrement les dépressions en phase decyclogenèse, c’est-à-dire pour lesquelles la pression diminue au cœur de ladépression et la vitesse du vent augmente. Prévoir ce type de phénomène deuxou trois jours à l’avance nécessite de disposer de modèles de prévision perfor-mants, mais aussi de bien comprendre les mécanismes qui donnent naissance auxdépressions et qui font que certaines d’entre elles deviennent des tempêtes dévas-tatrices.

L’ambition de cet article est de présenter une vision renouvelée de la cyclo-genèse qui s’appuie cependant sur un ensemble de concepts et d’outils, trou-vant leur origine au milieu du XXe siècle. On reviendra sur le contextehistorique qui a déterminé ces découvertes, puis, en s’appuyant sur le cas de latempête du 27 décembre 1999 qui a balayé le centre et le sud de la France, onmontrera que la cyclogenèse résulte de l’interaction entre des structures

Résumé

Abstract

Prix Prud’homme 2000

L’inversion du tourbillon potentielUn outil pour comprendre le creusement des dépressions

Philippe ArbogastMétéo-FranceCentre national de recherches météorologiques42, avenue Gaspard-Coriolis31057 Toulouse CedexCourrier électronique : [email protected]

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La Météorologie - n° 38 - août 2002 19

Un peu d’histoire

cohérentes préexistantes, aussi appelées précurseurs, que l’on définira par lasuite. On montrera également que ces structures cohérentes peuvent être élégam-ment décrites au moyen d’une seule variable, le tourbillon potentiel. Cettevariable contient de l’information à la fois sur le caractère tourbillonnaire desparticules d’air atmosphérique et sur la répartition de la masse. Pourtant, le tour-billon potentiel ne se mesure pas et ne se ressent pas. Or, son utilisation est parti-culièrement aisée grâce à une propriété remarquable. En effet, à l’échellesynoptique, on peut reconstruire le champ de vent et de température par la don-née du seul tourbillon potentiel grâce au principe d’inversibilité : si une condi-tion d’équilibre existe entre le champ de vent et le champ de température (c’estbien le cas à l’échelle synoptique) et si on connaît le vent ou la température auxbords du domaine considéré, alors à toute distribution spatiale de tourbillonpotentiel correspond une et une seule distribution de vent et de température.

On devine ainsi que, grâce à la représentation des écoulements atmosphériques etau principe d’inversibilité, on pourra donner une représentation numérique desprécurseurs de la cyclogenèse et donc quantifier les interactions à l’origine desdépressions.

Pour les latitudes moyennes, à l’échelle synoptique, un des premiers problèmesde météorologie dynamique qui se soit posé aux météorologistes du XIXe sièclen’est autre que la compréhension des dépressions et des coups de vent ainsi queleur prévision. Des progrès importants ont été effectués depuis cette époque, tantdu point de vue de la connaissance phénoménologique que sur le plan théorique.Ceux-ci n’ont pas conduit à l’émergence d’une théorie unifiée, mais plutôt à unensemble de modèles conceptuels. On se propose ici de rappeler le cheminementdes idées autour de la notion de tourbillon.

La Météorologie - n° 38 - août 200220

Tourbillon potentiel et imagerie satellitaireLes Anasyg (Analyse synoptique graphique) et Presyg (Prévision synoptique gra-phique) sont de nouveaux documents graphiques synthétisant les résultats del’expertise synoptique effectuée par le Centre national de prévision de Météo-France. Ils fournissent une vision synthétique de l’atmosphère s’appuyant sur uneredéfinition des fronts et de la notion de système dépressionnaire. La principale nou-veauté réside dans la représentation des phénomènes situés à la tropopause, telsque les courants-jets et les tourbillons cohérents que l’on repère dans les sorties demodèle numérique au moyen du champ de tourbillon potentiel.

Les structures remarquables de la tropopause peuvent parfois être repérées dans lesobservations. Ainsi, les images du satellite Météosat dans le canal vapeur d’eau per-mettent-elles de repérer les anomalies de basse tropopause. Le lien entre l’imagedans le canal vapeur d’eau (représentant le champ d’humidité au-dessus de 600 hPa)et la dynamique n’est pas direct. Cependant, la vapeur d’eau est bien reliée à ladynamique de l’atmosphère : l’humidité est apportée depuis les basses couches parles ascendances et elle est transportée par le vent horizontal ; la subsidence assèche

la haute troposphère. Lesrégions de basse tropopause,accompagnées de forte subsi-dence, correspondent à deszones sombres sur l’image. Ellesont repérées par des traitsnoirs épais et continus dansl’Anasyg ou le Presyg. Les ano-malies latentes de tropopause(repérées par des traits inter-rompus noirs) ne sont pas tou-jours associées à unmouvement vertical et elles nesont donc que rarementvisibles sur les images vapeurd’eau.

Superposition de l’analyse Anasyg et d’uneimage satellitaire Météosat (canal vapeurd’eau) pour le 30 juin 1998 à 12 h UTC.(Document P. Santurette)

Figure 2 - Variation du tourbillon d'un élément defluide se déplaçant suivant un méridien.

En mécanique des fluides, on décompose généralement le champ de vitesse en lasomme d’une partie non divergente et d’une partie irrotationnelle. Dans l’atmosphère,la partie tourbillonnaire non divergente du vent suffit à décrire les mouvementsd’échelle synoptique. D’ailleurs, dès la fin du XIXe siècle, on reconnaît l’intérêt de lacomposante tourbillonnaire des mouvements atmosphériques (Bjerknes, 1919).

On appelle tourbillon relatif le vecteur :

�➝

= �➝

u➝

(1)

où u➝ est le vecteur vent horizontal,

représente le produit vectoriel

et �➝

= (∂/∂x, ∂/∂y, ∂/∂z) est l’opérateur gradient en troisdimensions, dans le repère local à la particule d’atmo-sphère (le plan tangent à la surface terrestre est représentépar les deux premières composantes, tandis que la troi-sième composante repère la verticale).

Le vecteur tourbillon relatif est porté par l’axe de rotationde la particule fluide.

Il existe une autre manière de mesurer le caractère tour-billonnaire des mouvements atmosphériques. L’intégraledu tourbillon sur une surface bornée par une courbe fer-mée � est égale à la circulation C du vent le long de cettemême courbe, avec

C = ∫� u➝

. ➝dl (2)

L’exemple de la figure 1 illustre le lien entre le venthorizontal – ou sa circulation – et la composante verticaledu tourbillon. On peut en déduire certaines propriétés du

champ de vent associé à une seule source de tourbillon telle que celle de lafigure. Si l’on s’éloigne de la source de tourbillon, la circonférence du circuit,(que l’on suppose circulaire) augmente proportionnellement avec le rayon ducircuit. La circulation du vent n’est pas modifiée puisque l’intégrale du tour-billon est inchangée. Pour compenser l’augmentation de la longueur du circuit,le vent moyen autour du circuit doit alors diminuer. En fait, le champ de ventassocié à un élément de tourbillon varie avec l’inverse de la distance à l’élé-ment de tourbillon. Supposons maintenant que le tourbillon soit uniformémentréparti à l’intérieur d’un cercle placé dans un plan horizontal. On peut, par

exemple, calculer la circulation du vent le long du cercle. On montre de lasorte que le tourbillon de la particule fluide est égal à deux fois sa

vitesse angulaire de rotation sur elle-même.

Plaçons-nous dans un repère lié au centre de la Terre, en translationpar rapport à un repère galiléen. La vitesse des particules d’atmo-

sphère dans ce nouveau repère (appelée aussi vitesse absolue)est la somme du vent (vitesse relative) et de la rotation de laTerre sur elle-même (appelée aussi vitesse d’entraînement).On appelle alors tourbillon absolu le vecteur

➝�a =

➝2Ω + �

➝(3)

où Ω➝ désigne la vitesse angulaire planétaire (vecteurporté par l’axe des pôles dont l’intensité est de 1 tour parjour).

Rossby (1939) réalise que la composante verticale �a du vec-teur tourbillon absolu est celle qui revêt le plus d’intérêt pour

l’étude des mouvements atmosphériques de grande échelle(1). Ilconstate que dans les mouvements d’échelle planétaire, dont la

taille caractéristique est de l’ordre de 5 000 kilomètres, le tour-billon absolu est quasi conservé. On montre que la conservation du

tourbillon absolu peut s’écrire au moyen de la circulation :

Du tourbillon au tourbillon potentiel

La Météorologie - n° 38 - août 2002 21

Figure 1 - Illustration de la circulation du vent. L’intégrale le long du circuit (en rosesur la figure) du vent est exactement égale à l’intégrale du tourbillon (en rouge pourles valeurs positives) sur la surface délimitée par le même circuit.

(1) Dans la suite de ce paragraphe, le mot tourbillon désigne la composante verticale du vecteur tour-billon, qui est due au vent horizontal.

v

v

À l’échelle synoptique, on peut faire l’hypothèse adiabatique, c’est-à-dire sup-poser que les particules d’atmosphère n’échangent pas de chaleur avec leurenvironnement au cours de leur évolution. Autrement dit, les particules d’air sedéplacent sur des surfaces isentropes que l’on peut, par exemple, repérer parleur température potentielle. La représentation des mesures atmosphériques surdes surfaces isentropes est introduite par Shaw (1930), puis très vite adoptée

aux États-Unis. Rossby (1937) étend la conservation de laquantité �a/h, dans le cadre du modèle correspondant à unecolonne de fluide, à une atmosphère représentée par unnombre fini de surfaces isentropes. Puisque les surfaces isen-tropes sont des surfaces matérielles, un volume de fluide évo-luant dans le temps reste toujours contenu entre les deuxmêmes surfaces isentropes. Rossby (1940) montre que letourbillon potentiel P d’une particule fluide est conservéquand cette particule évolue de manière adiabatique. P est unscalaire défini par :

P = -g(f + ��) / �p où :�p est la différence de pression entre deux isentropes,g est l’accélération de la pesanteur,f = 2 Ω sin�, où � est la latitude (f est aussi appelé paramètrede Coriolis),�� est le tourbillon du vent horizontal calculé sur une surface iso-�.

Dans le même temps, Ertel(1) (1942) définit la quantité P, appelée tourbillonpotentiel d’Ertel :

P = �-1 �➝

�. ➝�a

La Météorologie - n° 38 - août 200222

d(C + 2 Ω A)/dt = 0 (4)où A est l’aire de la projection orthogonale à Ω

➝de la surface délimitée par le cir-

cuit � et Ω est le module du vecteur Ω➝.

De cette approche de la dynamique du tourbillon, on peut, par exemple, déduire lemécanisme présenté sur la figure 2. Le changement de latitude d’une particule fluideconduit à une variation de la surface projetée A. La conservation de la quantitéC + 2ΩA impose une variation de la circulation C et, par conséquent, du tourbillonmoyen de l’élément de fluide matérialisé sur la figure par des vecteurs vents. On voiten particulier que le déplacement vers le sud de l’élément de fluide augmente sontourbillon.

Rossby (1940) va encore plus loin en remarquant que, dans un modèle simplifiéd’atmosphère à une couche dont l’épaisseur est h, la quantité �a/h est conservée parune particule en mouvement. En fait, ce précurseur historique du tourbillon potentielpermet de décrire élégamment le mécanisme conduisant à la création de tourbillon :supposons une colonne de fluide dont l’épaisseur h augmente ; pour assurer la conser-vation de la quantité �a/h, le tourbillon doit alors augmenter. Cette notion de créationde tourbillon par étirement est centrale dans la cyclogenèse.

Un paramètre conservatif,le tourbillon potentiel

La température potentielleLe point de départ de la thermodynamique des particules d’air atmosphérique est le pre-mier principe de la thermodynamique (la quantité de chaleur reçue par la particule estégale à la somme de l’énergie interne et du travail fourni). On suppose en général que lesparticules n’échangent pas de chaleur avec leur environnement. On parle alors de transfor-mations adiabatiques ou isentropes. On peut construire une quantité caractéristiqued’une isentrope, c’est à dire constante lors d’une transformation adiabatique, homogène àune température et appelée température potentielle. Il s’agit de la température qu’attein-drait la particule si elle était ramenée à la pression de 1000 hPa. On la note �

� = T (1000 / p)R/Cp

où T est la température, p la pression, R la constante des gaz et Cp la chaleur mas-sique à pression constante.

(1) Hans Ertel (1904-1971), physicien allemand. On peut noter que, dans les années 1930, H. Ertel a aussibeaucoup travaillé sur l'approche hamiltonienne de la mécanique. Nul doute que ces travaux fondamentauxl'ont inspiré lorsqu'il a abordé les équations de Navier-Stokes sous un angle lagrangien.

θ−δθ

θ

ζζ

12δΡ1

δΡ2

Figure 3 - Manifestation de l'effet du patineur dans l'atmosphère : la diminutionde la stabilité statique conduit au renforcement du tourbillon de la particulecylindrique. Le volume d'air atmosphérique va de la gauche (où la stabilité estforte) vers la droite (où la stabilité est plus faible) sans échanger de chaleuravec l'extérieur. Son tourbillon potentiel est constant au cours de la transfor-mation.

La Météorologie - n° 38 - août 2002 23

Il établit que P se conserve, en l’absence de frottement et dechauffage diabatique, dans les équations de Navier-Stokes.

Cette seconde définition du tourbillon potentiel est la plus géné-rale. La première n’a de sens que dans le cas d’une atmosphèrehydrostatique, cas dans lequel elle est équivalente à la seconde.

Considérons une particule d’atmosphère limitée par deux isen-tropes comme indiqué par la figure 3. On suppose que cette parti-cule se déplace d’une région caractérisée par une forte stabilitéstatique (par exemple la stratosphère) en direction d'une région

(par exemple la troposphère) où la stabilité statique est plus faible. La conservation dutourbillon potentiel impose alors une augmentation du tourbillon.

La moyenne temporelle et zonale du tourbillon potentiel peut être estimée par le pro-duit du tourbillon planétaire f par la stabilité moyenne de l’atmosphère où la stabilitéest représentée par l'inverse de l'écartement moyen �

_p entre deux surfaces d'égale tem-

pérature potentielle :gf

P = - ––– (5)�_p

Figure 4 - Distribution climatologique du tourbillon potentiel en PVU (1 PVU = 10-6K.m2.kg-1.s-1)et de la température potentielle (trait pointillé) en hiver pour l'hémisphère nord, d'aprèsHoskins (1990).

Du tourbillon potentiel aux anomalies

Figure 5 - Topographie de la tropopause dite dynamique (définie par un tourbillon

potentiel constant et égal à 1,5 PVU) le 27 décembre 1999 à 0 h UTC.

Toutes les plages colorées correspondent à des géopotentiels inférieurs à 10 000 m.

Les plage rouges correspondent à des géopotentiels inférieurs à 6 000 m.

La variation de f avec la latitude induit une faible variation horizontale du tourbillonpotentiel climatologique (figure 4), tandis que les fortes stabilités statiques présentesdans la stratosphère expliquent le réservoir stratosphérique de tourbillon potentiel.Cette distribution moyenne occulte les nombreux accidents de la topographie de la tro-popause (figure 5) dus à la présence d’ondes planétaires dont le déferlement amènedes valeurs de faible tourbillon potentiel à des latitudes septentrionales ainsi que desvaleurs de fort tourbillon potentiel aux tropiques. Les plus petites structures discer-nables sur la figure sont appelées anomalies ou bien structures cohérentes. Leurtaille caractéristique avoisine les 1 000 km et leur durée de vie peut atteindre plusieursjours. Elles apparaissent généralement au sein de dépressions matures, puis servent deprécurseurs à de nouvelles cyclogenèses.

Figure 6 - Géopotentiel (traits pleins) et température(traits pointillés) à 500 hPa associés

à une configuration typique de développement de la cyclogenèse (encore appelée à cette époque

ondulation du front polaire). Le courant-jet est symbolisé par la flèche verte, le mouvement

vertical forcé par le talweg d'altitude par les flèches rouges et bleues. L'histoire du talweg

est résumée par la séquence d'axes et de flèches pourpres (Rossby, 1959).

La Météorologie - n° 38 - août 200224

Sous l’impulsion de Rossby et de Petterssen (1955), l’école de Chicago joue un rôlepionnier dans l’utilisation des cartes d’altitude pour la prévision. Dès la fin desannées 1930, on sait que la cyclogenèse se produit dans des configurations remar-quables de la haute troposphère. C’est à la même époque que le modèle conceptuelde développement de la cyclogenèse induit par une perturbation préexistante de lahaute troposphère (couramment appelée talweg d’altitude ou tourbillon) voit le jour.Rossby (1959) utilise bien le symbolisme norvégien pour repérer les systèmes per-turbés des latitudes moyennes (figure 6). En revanche, il rejette le mécanisme nor-végien de développement en ce sens qu’il associe une perturbation de la hautetroposphère – que l’on identifie sur la figure 6 par le géopotentiel et la températuresur la surface 500 hPa – à toute cyclogenèse modérée ou forte. Il suggère que la per-turbation d’altitude possède une vie propre et qu’elle n’est pas une conséquence ducreusement en surface comme le pensaient les Norvégiens.

Le lecteur comprend alors qu’au milieu du XXe siècle le concept de précurseurd’altitude des dépressions n’est plus à inventer.

Kleinschmidt (1950), quant à lui, associe une région de fort tourbillon potentiel – qu’ilappelle Zyklonenkörper ou corps cyclonique – à un système perturbé (figure 7). Ilinsiste sur le fait que cette structure remarquable conduit au creusement importantd’une dépression, mais que ces deux éléments sont indépendants l’un de l’autre, lecorps de tourbillon potentiel élevé poursuivant son chemin vers l’est plus rapidementque la dépression de surface. Il identifie les deux sources principales de tourbillonpotentiel : le réservoir stratosphérique et les effets diabatiques dans la troposphère.

Le principe d’inversibilitédu tourbillon potentiel

Le développement des dépressions

et les perturbations de la haute troposphère

Figure 7 - Volume de fort tourbillon potentiel associé à une dépression observée le 6 mars 1943

sur l'Europe d'après Kleinschmidt (1950).

Mais, surtout, il introduit le principe d’inversibilité du tourbillon potentiel (Hoskins etal., 1985) : sous l’hypothèse que le vent et la masse sont en équilibre, autrement ditque ce ne sont pas des quantités indépendantes, l’atmosphère peut être résumée par laconnaissance d’un seul champ, le tourbillon potentiel. Il conduit même les développe-ments analytiques de l’inversion d’une forme simplifiée de son Zyklonenkörperjusqu’à leur terme, dans le but de mieux comprendre le creusement de la dépression.Ainsi, au milieu du XXe siècle, il paraît en phase avec l’école de Chicago. Pourtant,lorsqu’il affirme qu’un « volume de tourbillon potentiel anormalement élevé » sur-monte toujours une dépression, il considère que l’anomalie de tourbillon potentielporte en elle l’anomalie de la masse responsable de la dépression. En fait, il néglige lefait que, pour perdre de la masse, il faut de la divergence en altitude et que celle-ci nesoit pas compensée par la convergence en surface. Sutcliffe (1939 et 1947) élaboreune technique de prévision du creusement des dépressions fondée sur le diagnosticindirect de la variation verticale de la divergence du vent horizontal entre deuxcouches d’atmosphère.

Par ailleurs, l'explication de la cyclogenèse par Kleinschmidt ne fait pas intervenir lavariation verticale – ou cisaillement vertical – du vent horizontal. Il ne semble pasconnaître les travaux de Eady (1949) et de Charney (1947) qui montrent, dans uneatmosphère idéalisée, que la cyclogenèse tire son énergie des contrastes horizontauxde température (toujours associés à une variation du vent sur la verticale). On revien-dra plus loin sur cet aspect du mécanisme de la cyclogenèse.

La Météorologie - n° 38 - août 2002 25

Le meilleur des conceptions de Kleinschmidt, de Sutcliffe et de l’école deChicago constitue un ensemble cohérent d’outils pour comprendre la cyclo-genèse et développer de nouveaux modèles conceptuels. Or, il faudra attendre1985 et l’émergence d’une manière de considérer l’atmosphère et les mouve-ments qui l’animent à travers le tourbillon potentiel, le « PV Thinking(1)», pourvoir enfin cette synthèse aboutir (Hoskins et al., 1985). Les applications sontmultiples. On peut par exemple attribuer une partie du vent et des perturbationsde température à un endroit donné à un élément du tourbillon potentiel situé àdistance. On explicite la dynamique de l’atmosphère à travers des actions à dis-tance. L’encadré ci-dessous revient sur cette notion dans un cadre simplifié, àl’aide d’une analogie avec l’électrostatique. Des relations de cause à effet peu-vent être mises en évidence, ouvrant la voie à de nouveaux modèles concep-tuels de développement de la cyclogenèse. Nous allons maintenant revisiter latempête du 27 décembre 1999 (figure 8) en nous aidant d’une décompositionde l’atmosphère en éléments de tourbillon potentiel et du principe d’inversibi-lité du tourbillon potentiel.

Analogie électrostatique de l’inversion

du tourbillon potentielLe processus qui consiste à déduire le champ et le potentiel électriques associés àune distribution de charges placées dans le vide est équivalent au processus d’inver-sion du tourbillon potentiel qui consiste à déduire le vent et la température à partirdu tourbillon potentiel (Bishop, 1994).

On peut établir une analogie entre l’électrostatique et la météorologie, en raison dela forme en laplacien de l’opérateur qui relie la source de tourbillon potentiel auxchamps météorologiques. On retiendra essentiellement l’équivalence entre le tour-billon potentiel et la densité de charge électrique ainsi que l’équivalence entre lepotentiel électrique et le géopotentiel. L’équivalent météorologique du champ élec-trique est un vecteur hybride dont la composante horizontale est le vent tourné de π /2 et la composante verticale dépend de la température potentielle et de la stabi-lité statique de référence. La figure propose une série de trois inversions du tour-billon potentiel quasi géostrophique dans une atmosphère bidimensionnelle,

c’est-à-dire uniforme dans la direction orthogonale aux schémas,et dont la stabilité statique est uniforme. Lorsque l’on s’éloigne del’anomalie de tourbillon potentiel, on remarque la décroissancerapide de la perturbation de géopotentiel ; on remarque aussi quela solution dépend de moins en moins de la forme de l’anomalie.Un équivalent atmosphérique du théorème de Gauss nous ditqu’à une distance respectable des charges de tourbillon potentiel,la solution ne dépend que de l’intégrale en volume des charges etpas des détails de la distribution. On assimile alors l’anomalie detourbillon potentiel à une charge ponctuelle, et les surfaces équi-potentielles – ou à géopotentiel constant – sont des boules dontle centre est la charge ponctuelle. C’est bien ce que suggèrent lesdeux premières inversions : insensibilité à la forme de la charge etsymétrie sphérique de la solution.

La troisième inversion met en évidence le fait qu’une anomalie degéopotentiel, ici un peu allongée, peut être associée à plusieurscharges de tourbillon potentiel. On voit que l’utilisation du tour-billon potentiel permet de mieux mettre en évidence les struc-tures remarquables de l ’atmosphère et facil i te ainsi lacompréhension de la dynamique.

Trois inversions du tourbillon potentiel quasigéostrophique dans une atmosphère àstabilité uniforme. L'extension horizontale est de 6 000 km, l'épaisseur de l'atmo-sphère est de 12 km. À gauche : anomalies de tourbillon potentiel. À droite : ano-malies de géopotentiel résultant de l'inversion de l'anomalie de tourbillon potentielsituée à gauche.

Le tourbillon potentielet son inversion :

des outils pour comprendre

la cyclogenèse du 27 décembre 1999

(1) PV est l'abréviation de potential vorticity (tourbillon potentiel en anglais).

1

2

3

Figure 10 - Représentation tridimensionnelle d'un volume d'atmosphère centré surl'Atlantique, ayant une épaisseur de 10 km et recouvrant une surface de 5 000 par 4 000 km (l'œil de l'observateur est approximativement situé au-dessus des Antilles,donc au sud du domaine représenté) le 27 décembre 1999 à 0 h UTC. En plages colo-rées, le champ de température au voisinage de la surface (en rouge les valeurschaudes, en bleu les valeurs froides). Le volume coloré représente le courant-jetd'ouest (la couleur saumon est associée à des vents supérieurs à 300 km/h). Unecoupe verticale traverse le domaine du nord au sud. On y distingue (voir aussi la figure11) la topographie de quelques surfaces isentropes (les isolignes sont les intersec-tions entre la surface de coupe et les surfaces d'égale température potentielle aussiappelées isentropes). On remarque que la pente des surfaces isentropes est d'autantplus forte que le contraste de température entre le nord et le sud est important.

La Météorologie - n° 38 - août 200226

On s’appuie ici sur une représentation tridimensionnelle des variables del’atmosphère. Les figures 9 et 10 représentent un volume d’atmosphère d’uneépaisseur de 10 km environ, d’une longueur de 5 000 km et d’une largeur de 4 000 km, centré sur l’Atlantique dans la région de naissance de la tempête. Ondistingue sur la figure 10 des éléments toujours présents au départ d’une cyclo-

genèse : un contraste thermique entre les régions chaudesau sud et les régions froides au nord et un courant-jetd’ouest dont le maximum se situe vers 10 km d’altitude àl’aplomb de la région où le contraste thermique est maxi-mal. Les positions relatives du courant-jet et de la zone duplus fort contraste thermique sont contraintes par l’équi-libre géostrophique. En d’autres termes, ce lien entre lesvariations horizontales du champ de température et lesvariations verticales du vent est une conséquence directede la rotation de la Terre.

Sur la coupe verticale nord-sud (figures 10 et 11), onconstate, au nord et à haute altitude, que les isentropes sonttrès proches les unes des autres. Il s’agit d’une stratifica-tion typique de la stratosphère. Sur le reste du plan decoupe, les isentropes sont plus espacées : on se situe dansla troposphère. La surface de séparation entre l’air strato-sphérique et l’air troposphérique, aussi appelée tropo-pause, est indiquée par la nappe mauve sur la figure 11.Elle sépare aussi les très fortes valeurs de tourbillon

La tempête du 27 décembre 1999

Figure 8 - Pression réduite au niveau de la mer et vent en surface le 27 décembre 1999 à 21 h UTC.

107

65

047

34

335

25

766

959

3355

8

6

65

038

84

9730500

85

95

9

0550055055 0062

84

3 953 95

79

090

64

946946

5

984 936

4

0062

040 995 9454544545

4

040004

766

98

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Figure 9 - Image Météosat dans le canal vapeur d'eau le 27 décembre 1999 à 0 h UTC.Les traits rouges délimitent le volume d'atmosphère représenté dans les figures 10 à 15.

La Météorologie - n° 38 - août 2002 27

Figure 11 - Par rapport à la figure précédente, on a remplacé le jet par la topogra-phie de la surface dont le tourbillon potentiel est égal à 1,5 PVU (en violet). Il s'agitde la tropopause dite dynamique. Légèrement à l'ouest de la coupe verticale, ondistingue une région marquée par tropopause basse. Encore un peu plus à l'ouest,on trouve une deuxième région de basse tropopause qui ne joue cependant aucunrôle dans le développement de la tempête.

potentiel de la stratosphère des faibles valeurs que l’onretrouve habituellement dans la troposphère. Tentons

d’analyser la forme de cette surface. Un saut de tropopause entre le nord et le suds’étend d’est en ouest. On retrouve généralement de telles structures au voisinagedes courants-jets. La tropopause présente une deuxième structure remarquable :on distingue une bosse orientée vers le bas juste à l’ouest de la coupe verticale.Le tourbillon potentiel que l'on rencontre vers 5 km d'altitude dans le cœur de labosse atteint des valeurs que l'on rencontre généralement dans la stratosphère, leplus souvent au-dessus d'une altitude de 10 km. Nous allons maintenant analyserla contribution de cette structure à la cyclogenèse.

La première étape consiste à isoler le volume tridimensionnel de tourbillonpotentiel responsable de la bosse de tropopause (voir la figure 12), aussi appeléstructure cohérente ou anomalie. On vérifie à posteriori sur la figure 13 que lefait de supprimer l’anomalie de tourbillon potentiel fait disparaître la bosse de latropopause. La seconde étape consiste à inverser cette anomalie, c’est-à-dire àcalculer la part du champ de vent et de température qui lui est associée. On a

maintenant superposé sur la figure 14 l’anomalie de tempé-rature, résultat de l’inversion de l’anomalie de tourbillonpotentiel, à cette anomalie de tourbillon potentiel. Onconstate qu’à une anomalie positive de tourbillon potentielest associée une anomalie positive de température au-dessus et une anomalie négative en-dessous, celles-ci deve-nant de plus en plus petites à mesure que l’on s’éloigne del’anomalie de tourbillon potentiel. La figure 15 présentel’anomalie de vent méridien. Là encore, l’anomalie de ventdécroît à mesure que la distance à l’anomalie de tourbillonpotentiel augmente. L’anomalie de vent est une ceinture devent tournant autour de l’anomalie de tourbillon potentielavec, à l’ouest, des vents de nord (en bleu sur la figure) et,à l’est, des vents de sud (en rouge sur la figure). Or, on saitque les particules doivent suivre des surfaces isentropes etque celles-ci sont inclinées (figures 10 et 11). On a vu quela contribution de l’anomalie de tourbillon potentiel est, enparticulier, de renforcer les vents de sud en aval, c'est-à-dire à l'est du précurseur. La forme des isentropes conduitalors les particules d’atmosphère à s’élever au cours deleur déplacement du sud vers le nord. La coupe verticale dela figure 15 confirme l’existence d’un maximum d’ascen-dance en moyenne troposphère, dû à la présence de l’ano-malie de tourbillon potentiel. Finalement, ce mouvementvertical ascendant agit sur les surfaces isentropes elles-mêmes : une isentrope située au voisinage de la surfaces’élèvera peu. Une isentrope située en moyenne tropo-sphère, là où l’ascendance est maximale, s’élèvera plushaut. Considérons alors un volume de fluide compris entreces deux surfaces isentropes. Sous l’effet du mouvementvertical, le volume de fluide subira un étirement et, parconséquent, une augmentation de son tourbillon du fait de laloi de conservation du tourbillon potentiel suivant le schémade la figure 3. La figure 16 met en évidence l’étirement d’unvolume d’atmosphère situé au voisinage du maximumd’ascendance associé à l’anomalie de tourbillon potentiel.

L’inversion du tourbillon potentiel permet bien de mettre enévidence une relation de cause à effet entre une anomalie detourbillon potentiel située au voisinage de la tropopause, vers

Pourquoi une anomalie de tourbillon potentiel est-elle le précurseur

de la tempête ?

Figure 12 - Anomalie de tourbillon potentiel (les valeurs de tourbillon potentiel supé-rieures à 2 PVU sont en violet) associée à la région de basse tropopause de la figureprécédente.

Figure 13 - En violet : tropopause après suppression par inversion de l'anomalie de tour-billon potentiel. On constate que les basses tropopauses ont disparu dans la région del'anomalie.

Figure 14 - Résultat de l'inversion : anomalie de température en coupe verticale (lesvaleurs positives sont en rouge et les valeurs négatives en bleu).

La Météorologie - n° 38 - août 200228

a b

10 km d’altitude, et le renforcement local du vent cyclo-nique dans les basses couches de l’atmosphère plus à l’est.

Ce mécanisme peut encore être amplifié si une anomalie de température poten-tielle de basses couches préexiste.

L’absence de courant-jet ou, ce qui revient au même, d’inclinaison des surfacesisentropes conduit à l’absence de mouvement vertical et cela quelle que soitl’intensité de la perturbation de la tropopause. En fait, l’environnement de grandeéchelle, à travers l’inclinaison des surfaces isentropes au voisinage du courant-jet, est la véritable source d’énergie, le carburant de la dépression, l’anomalie detourbillon potentiel ne jouant que le rôle du moteur.

À ce stade, le rôle moteurde l’anomalie de tour-billon potentiel associéeà la zone de basse tropo-pause est bien mis enévidence. Pour autant,comment savoir si unecyclogenèse se serait toutde même produite enl’absence de son précur-seur d’altitude ? On a vuprécédemment qu’il estpossible de construire un état « virtuel » del’atmosphère qui necontient pas le précurseurd’altitude. On peut alorsutiliser cet état virtuelcomme condition initialedu modèle de prévision

Arpège. La figure 17 nous montre que la prévision à 18 heures d’échéance pourle 27 décembre à 18 h UTC contient bien une dépression dont le centre est situéesur la région Poitou-Charentes. Elle nous montre également que la prévision quin’a pas de précurseur dans ses conditions initiales ne contient pas de dépressiondans la prévision. Ainsi, la démonstration du rôle du précurseur d’altitude ne faitplus appel à un raisonnement subjectif, elle est donnée par un modèle numériquede prévision.

Figure 16 - Déformation d'un élément de fluide sous l'effet d'un tourbillon d'altitude entre

le 26 décembre à 21 h UTC (a) et le 27 décembre à 3 h UTC (b). Le plan de la coupe verticale

est présenté sur la figure précédente. Il est orientéde telle sorte que le sud est à gauche (l'observateur

étant placé à l'est de la coupe, du côté de la Bretagne).Les régions caractérisées par un fort tourbillon

sont en marron foncé. On rappelle que le volume de fort tourbillon situé entre 6 et 10 km d'altitude

se situe à l'ouest du plan de coupe, c'est-à-dire en amont du système. On constate que la forme

de la particule fluide évolue en six heures : elle subitun étirement sur la verticale qui conduit

à une augmentation du tourbillon. À ce stade de développement de la dépression, le vent

horizontal est dominé par un vent d'ouest qui augmente avec l'altitude. Ce vent déplace

la particule fluide de la figure d'ouest en est.Le plan de coupe suit ce déplacement.

a

b

Figure 15 - Résultat de l'inversion : anomalie de vent méridien (la plage bleue est asso-ciée à des vents de nord et la plage rouge à des vents de sud). Sur la coupe verticale,les isolignes en bleu clair correspondent à la vitesse verticale ascendante associée àl'anomalie de tourbillon potentiel. On note que le maximum d'ascendance correspond àun maximum de vent de sud.

Figure 17 - (a) Prévision à 18 heures d'échéance de la pression réduite au niveau de la mer pour le 27 décembre à 18 h UTC ; (b) prévision pour la même date calculée à partir d'un état initial virtuel ne contenant pas le précurseurd'altitude, comme sur la figure 13.

La Météorologie - n° 38 - août 2002 29

Tout au long de cet article, on a tenté de montrer qu’en faisant revivre des idéesanciennes, on pouvait renouveler le sujet de la conceptualisation des cyclogenèses.On franchit néanmoins une étape par rapport aux travaux de Kleinschmidt, en cesens que l’inversion du tourbillon potentiel peut être appliquée sur des cas réels avecdes distributions de tourbillon potentiel quelconques. L’atmosphère est le sièged’une multitude d’interactions, comme l’ont suggéré, chacun à sa manière,Petterssen ou Sutcliffe, entre des anomalies préexistantes dans l’atmosphère. Letourbillon potentiel en donne une description synthétique car, à l’échelle synoptique,les composantes du vent et la température ne sont pas indépendantes, mais liées pardes contraintes dynamiques fortes. Ainsi, dans l’atmosphère, une zone de contrastethermique est associée à des vents forts (et, dans l’océan, à des courants forts1). Enfait, moyennant ces contraintes, on peut résumer l’état de l’atmosphère à cetteéchelle par la donnée d’un seul champ, le tourbillon potentiel. De plus, une particuled’air atmosphérique qui n’échange pas de chaleur avec son environnement conserveson tourbillon potentiel au cours du temps(2). En résumé, le tourbillon potentiel décrità lui seul la dynamique d’échelle synoptique.

Parallèlement, la pratique de la prévision synoptique a évolué grâce aux progrès de laprévision numérique et aux observations issues des satellites. Néanmoins, l’utilisationdes observations d’altitude n’est pas nouvelle. On peut même dire que l’arrivée descartes en altitude, notamment au niveau 500 hPa, dans les services de prévision a étéun événement plus important que la mise à disposition de cartes de tourbillon poten-tiel. Très grossièrement, à une anomalie de tourbillon potentiel correspond générale-ment un talweg sur la surface 500 hPa. En revanche, l’utilisation du tourbillonpotentiel permet une décomposition systématique de l’atmosphère en une superposi-tion d’anomalies de tourbillon potentiel à des niveaux différents, de taille et d’ampli-tude variables. Santurette et Joly (2001) ont même proposé un cadre graphique que lesprévisionnistes de Météo-France commencent à utiliser(3). Grâce à ce cadre graphique,les Anasyg et les Presyg, on peut repérer facilement les anomalies de tourbillon poten-tiel et leur contribution à la cyclogenèse, au même titre que les fronts. Grâce à l’inver-sion, on peut calculer la partie du champ de vent et de température associée à chaqueélément de tourbillon potentiel et, ainsi, quantifier les relations de cause dues aux ano-malies de tourbillon potentiel. Le synopticien moderne dispose donc maintenant d’unelarge panoplie d’objets pour conceptualiser la cyclogenèse, dont l’inversion du tour-billon potentiel constitue le volet numérique et l’Anasyg-Presyg le cadre graphique.

(1) Le Gulf Stream a ses équivalents atmosphériques que sont les courants-jets.(2) On parle alors d'invariant lagrangien d'un fluide évoluant de manière adiabatique.(3) Voir à ce sujet le court article de la rubrique « Échos » page 4 de ce numéro de La Météorologie (Ndlr).

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Bibliographie

Conclusion