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250 Depuis la première description en 1905 par Kanavel [3], le phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts a fait l’objet de plusieurs publications au cours du XX e siè- cle. Cependant, les données et le mode de prise en charge de ces phlegmons n’ont cessé d’évoluer avec les progrès médicaux et l’apparition des antibiotiques. Même si le pronostic vital du patient ne semble plus en danger, cela est différent pour son pronostic fonctionnel. Cette grave infec- tion représente 20 % des infections de la main et peut, si elle n’est pas traitée rapidement, avoir des conséquences préjudiciables pour la fonction du doigt et, au-delà même, de la main. L’amputation est toujours un risque. Par sa définition, un phlegmon est une infection “sans collection”, à l’inverse de l’abcès qui est collecté. Le mot “phlegmon” est issu du grec phlégô signifiant “je brûle”. On appelle phlegmon de la gaine des ten- dons fléchisseurs, l’infection des tendons flé- chisseurs des doigts, causée par l’infection des gaines synoviales (membrane synoviale entourant ces tendons), localisée au doigt (gaine synoviale digitale) et/ou s’étendant à l’avant-bras (gaine synoviale digito-carpienne ulnaire ou radiale). L’équipe de Raymond Vilain, à Boucicaut, constitua en 1985 la plus importante série internationale de phlegmons des gaines digi- tales publiée depuis l’avènement des antibio- tiques (68 cas) [4, 6, 8]. Confrontés fréquemment à ce type d’infection, nous présentons un état des lieux des connaissances sur les phlegmons des gaines, afin de codifier et améliorer la prise en charge globale du patient, mettre en œuvre des moyens de prévention, et compléter la connaissance médicale dans ce domaine. RAPPEL ANATOMIQUE GAINES DES FLÉCHISSEURS DES DOIGTS Descendant de l’avant-bras à leurs termi- naisons digitales, les tendons fléchisseurs tra- versent le canal carpien, la paume de la main et les gaines digitales [7, 8]. Le tendon du long fléchisseur du pouce (LFP) suit un trajet à part, à la partie latérale du canal carpien. On distingue la gaine synoviale commune des tendons fléchisseurs, s’étalant du canal carpien à la paume de la main, la gaine syno- viale du tendon long fléchisseur du pouce, les gaines synoviales digitales des 4 doigts longs [9] (fig. 1) : - La gaine synoviale commune des tendons fléchisseurs entoure les tendons des mus- cles fléchisseurs superficiels et profonds des doigts. Elle déborde le rebord supérieur du rétinaculum des fléchisseurs et commu- nique souvent avec la gaine digitale du 5 e doigt. - La gaine synoviale du tendon LFP entoure le tendon depuis son insertion phalangienne jusqu’au-dessus du bord supérieur du réti- naculum des fléchisseurs. - Les gaines synoviales des tendons fléchis- seurs des doigts longs sont au nombre de 4. Elles s’étendent de la base de la phalange distale jusqu’à 15 mm proximalement à la tête du métacarpien correspondant, pour former le cul-de-sac proximal de la gaine. Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts W. Mamane, E. Masmejean

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Page 1: Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts · Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts Fig. 5 :Œdème majeur du 3e doigt et de la main. Fig. 6 : Nécrose

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Depuis la première description en 1905par Kanavel [3], le phlegmon des gaines destendons fléchisseurs des doigts a fait l’objetde plusieurs publications au cours du XX

e siè-

cle. Cependant, les données et le mode deprise en charge de ces phlegmons n’ont cesséd’évoluer avec les progrès médicaux etl’apparition des antibiotiques.

Même si le pronostic vital du patient nesemble plus en danger, cela est différent pourson pronostic fonctionnel. Cette grave infec-tion représente 20 % des infections de la mainet peut, si elle n’est pas traitée rapidement,avoir des conséquences préjudiciables pourla fonction du doigt et, au-delà même, de lamain. L’amputation est toujours un risque.

Par sa définition, un phlegmon est uneinfection “sans collection”, à l’inverse del’abcès qui est collecté. Le mot “phlegmon”est issu du grec phlégô signifiant “je brûle”.On appelle phlegmon de la gaine des ten-dons fléchisseurs, l’infection des tendons flé-chisseurs des doigts, causée par l’infectiondes gaines synoviales (membrane synovialeentourant ces tendons), localisée au doigt(gaine synoviale digitale) et/ou s’étendant àl’avant-bras (gaine synoviale digito-carpienneulnaire ou radiale).

L’équipe de Raymond Vilain, à Boucicaut,constitua en 1985 la plus importante sérieinternationale de phlegmons des gaines digi-tales publiée depuis l’avènement des antibio-tiques (68 cas) [4, 6, 8].

Confrontés fréquemment à ce typed’infection, nous présentons un état des lieuxdes connaissances sur les phlegmons desgaines, afin de codifier et améliorer la prise en

charge globale du patient, mettre en œuvredes moyens de prévention, et compléter laconnaissance médicale dans ce domaine.

RAPPEL ANATOMIQUEGAINES DES FLÉCHISSEURS DESDOIGTSDescendant de l’avant-bras à leurs termi-

naisons digitales, les tendons fléchisseurs tra-versent le canal carpien, la paume de la mainet les gaines digitales [7, 8]. Le tendon dulong fléchisseur du pouce (LFP) suit un trajetà part, à la partie latérale du canal carpien.

On distingue la gaine synoviale communedes tendons fléchisseurs, s’étalant du canalcarpien à la paume de la main, la gaine syno-viale du tendon long fléchisseur du pouce,les gaines synoviales digitales des 4 doigtslongs [9] (fig. 1) :- La gaine synoviale commune des tendons

fléchisseurs entoure les tendons des mus-cles fléchisseurs superficiels et profondsdes doigts. Elle déborde le rebord supérieurdu rétinaculum des fléchisseurs et commu-nique souvent avec la gaine digitale du5e doigt.

- La gaine synoviale du tendon LFP entoure letendon depuis son insertion phalangiennejusqu’au-dessus du bord supérieur du réti-naculum des fléchisseurs.

- Les gaines synoviales des tendons fléchis-seurs des doigts longs sont au nombre de 4.Elles s’étendent de la base de la phalangedistale jusqu’à 15 mm proximalement à latête du métacarpien correspondant, pourformer le cul-de-sac proximal de la gaine.

Phlegmon des gaines des tendonsfléchisseurs des doigts

W. Mamane, E. Masmejean

Page 2: Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts · Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts Fig. 5 :Œdème majeur du 3e doigt et de la main. Fig. 6 : Nécrose

Au niveau d’un doigt, le canal digital estformé d’une structure fibreuse et d’une struc-ture synoviale entourant les tendons fléchis-seurs. La structure fibreuse est relativementrigide, attachée au périoste des phalanges etenglobe les poulies de réflexion. La structuresynoviale, aussi appelée gaine synoviale destendons fléchisseurs, est constituée de deuxfeuillets : un feuillet pariétal et un feuillet vis-céral qui entourent les tendons comme unmanchon. Le faible espace créé ainsi entreles deux feuillets joue un rôle important dansla mécanique des tendons fléchisseurs.

VARIATIONS ANATOMIQUES DESGAINESUne communication vraie peut exister

entre les deux gaines digito-carpiennes, dupouce et du 5e doigt, au niveau du poignet(fig. 2). Gosselin ne l’a constaté que dans1,67 % des cas. D’autres études évoquent, aucontraire, une fréquence de 60 % de commu-nication. Cette variation est à la base duphlegmon dit “à bascule” [6]. Voir aussi lechapitre “Anatomie pratique appliquée auxinfections de la main” de ce même volume.

VASCULARISATIONAu sujet de la vascularisation, grâce à

leurs travaux [1, 2], Zbrodowski etGuimberteau ont décrit une vascularisationpropre des gaines synoviales et des tendons

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Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts

Fig. 1 : Représentation schématique des gaines destendons fléchisseurs. 1) Gaine synoviale communedes tendons fléchisseurs ; 2) gaine synoviale destendons fléchisseurs du 5e doigt, elle communiqueavec la gaine synoviale commune pour former lagaine digito-carpienne ulnaire ; 3) gaine synovialedigitale du 4e doigt ; 4) gaine synoviale digitale du3e doigt ; 5) cul-de-sac proximal de la gaine syno-viale de l’index ; 6) gaine synoviale du tendon longfléchisseur du pouce, formant la gaine digito-car-pienne radiale.

Fig. 2 : Schéma de communication entre les deux gaines digito-carpiennes.

Page 3: Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts · Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts Fig. 5 :Œdème majeur du 3e doigt et de la main. Fig. 6 : Nécrose

fléchisseurs (fig. 3). Au niveau digital, la vas-cularisation s’effectue à partir :- de l’arcade digito-palmaire, qui s’étend

entre les deux artères digitales palmaires,- des branches issues des artères digitales,- des artères paratendineuses,- de l’arcade palmaire superficielle qui vascu-

larise le cul-de-sac des gaines synoviales.

DIAGNOSTICETIOLOGIESelon le mode de contamination

On distingue :• Le phlegmon par inoculation directe :

L’agent vulnérant introduit, directement,le germe à l’intérieur de la gaine syno-viale, par l’intermédiaire d’un objetpénétrant (clou, épine, verre…). Ledeuxième facteur étiologiquementdominant est constitué par les morsuresd’animaux domestiques (chat et chien)dont le risque particulier, outre celui deprovoquer un phlegmon de gaine, est depouvoir transmettre la pasteurellose ausujet mordu.

• Le phlegmon par diffusion : Les germestraversent la gaine synoviale à partird’un foyer infectieux de voisinage (pana-ris, le plus souvent) (fig. 4).

• Le phlegmon par contamination héma-togène : Ils surviennent à la suite d’unediffusion septique à partir d’un foyer àdistance (infection génitale àGonocoque, certaines infections àMycobactéries, dont tuberculosis).

Selon l’étiologie

L’étiologie des phlegmons est variée [5, 7].Nous distinguons deux types de phlegmons :les phlegmons primaires et les phlegmonssecondaires :

• Le phlegmon primaire survient, le plussouvent, à la suite d’une plaie ;

• Le phlegmon secondaire apparaît audécours d’un acte chirurgical effectuéau niveau de la main : réparation d’unesection de fléchisseur, excision d’unpanaris, plastie d’agrandissement d’unepoulie de réflexion, ablation d’un corpsétranger, chirurgie d’une maladie deDupuytren…

INTERROGATOIRE• Circonstances de l’accident : plaie, exposi-

tion à risque (eau contaminée, sexuelle) ;

• Terrain favorisant : diabète, déficit immuni-taire (SIDA, traitement immunosuppres-seur, traitement corticoïde, cancer), éthy-lisme chronique, toxicomanie ;

• Tabagisme ;

• Etat de la vaccination antitétanique ;

• Signes fonctionnels :- Douleur : Elle est constante, d’intensité

variable, de caractère inflammatoire,c’est-à-dire permanente, diurne et noc-turne, parfois insomniante et/ou pulsatile.

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Cours européen de pathologie chirurgicale du membre supérieur et de la main

Fig. 3 : Réseau vasculaire des gaines.

Fig. 4 : Phlegmon pulpaire de l’index.

Page 4: Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts · Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts Fig. 5 :Œdème majeur du 3e doigt et de la main. Fig. 6 : Nécrose

En fonction des circonstances étiolo-giques, son apparition peut être brutaleou, au contraire, lentement évolutive. Ellesiège le long du trajet de la gaine des ten-dons fléchisseurs des doigts, et peutremonter jusqu’à la face antérieure dupoignet le long des gaines digito-car-piennes ulnaire et/ou radiale.

- Attitude en crochet : Le doigt est en posi-tion demi-fléchie. C’est le signe le pluscommun, mais inconstant surtout dansles formes débutantes. C’est en flexionque la gaine autorise le plus grandvolume de remplissage.

EXAMEN PHYSIQUE• Signes locaux :

- Œdème : Il peut concerner le doigtinfecté ou englober toute la main (fig. 5).

- Douleur à l’extension passive :L’extension passive du doigt provoqueune intense douleur.

- Douleur à la palpation du cul-de-sac dela gaine des fléchisseurs du doigt inté-ressé : Ce cul-de-sac se situe en regarddes têtes métacarpiennes pour les 2e, 3e et4e rayons, et à la face antérieure du poi-gnet pour les 1er et 5e rayons.

• Signes régionaux :- Adénopathies épicondyliennes médiales

et/ou axillaires ;- Lymphangite.

• Signes généraux :- Fièvre, frissons,- Asthénie.

Ces signes généraux sont inconstants etsont des signes de gravité.

EXAMENS COMPLÉMENTAIRESAucun examen complémentaire n’est

utile pour faire le diagnostic de phlegmondes gaines des fléchisseurs. Le diagnostic estclinique.

Cependant, les examens complémentairessont nécessaires dans le cadre d’un doutediagnostique, à la recherche d’une tare, pourun bilan pré-opératoire, pour identifier ungerme : NFS, CRP, bilan de déficit immuni-taire, radiographie de la main pour visualiserun corps étranger ou pour rechercher uneostéoarthrite associée, échographie ou IRM.

CLASSIFICATION ANATOMO-CLINIQUELes phlegmons évoluent par trois phases

distinctes, qui sont à la base de la classifica-tion, longtemps utilisée, décrite principale-ment par Michon (1974) et qui est basée surdes constatations opératoires :- Stade I : Sérite exsudative qui distend la

gaine ; le liquide est clair ou louche, lasynoviale est simplement hyperhémiée.

- Stade II : Le liquide est trouble ou purulent,et la synoviale présente un aspect congestifet granulomateux ; le tendon est intact.

- Stade III : Nécrose plus ou moins étenduedes tendons (fig. 6).

Cependant, cette classification a été modi-fiée et améliorée par Sokolow, en 1982 [4], à

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Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts

Fig. 5 : Œdème majeur du 3e doigt et de la main.

Fig. 6 : Nécrose tendineuse des tendons du 3e doigt (stade 3).

Page 5: Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts · Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts Fig. 5 :Œdème majeur du 3e doigt et de la main. Fig. 6 : Nécrose

partir toujours de constatations peropéra-toires. Ces modifications concernent essen-tiellement le stade II :- Stade IIa : La synoviale est subnormale, il

existe quelques zones pathologiques limi-tées ; la synovectomie complète n’est pasjustifiée, elle peut être limitée aux zonespathologiques.

- Stade IIb : La synoviale est pathologique(turgescente, hypertrophique, lie de vin)tout le long du canal digital ; le tissu sous-cutané peut être également infiltré, et pré-senter des zones septiques ; il est justifié,dans ces cas, de pratiquer une synovecto-mie complète.

BACTÉRIOLOGIELa microbiologie des ténosynovites infec-

tieuses varie en fonction du mode de conta-mination [7, 12, 13, 14].

Lors d’une contamination par inoculationdirecte (piqûre, plaie), la flore microbiennecorrespond à la flore présente sur la peau.On retrouve ainsi des staphylocoques(Staphylococcus aureus et Staphylococcusepidermidis), présents dans 1/3 des cas, etdes streptocoques β-hémolytiques et non β-hémolytiques dans 15 % des cas. Les asso-ciations bactériennes sont présentes dans30 % des cas, en moyenne.

Après morsure, on retrouve, typiquement,une flore polymicrobienne :- En cas de morsure humaine, on retrouve

des staphylocoques, streptocoques,Eikenella corrodens [48], Haemophilus,Neisseria, ainsi que des bactéries anaéro-bies comme les peptostreptocoques, lesveillonella, des fusobactéries et des bacté-roïdes [51].

- Les morsures animales ont une microbiolo-gie semblable, avec un risque d’infectionpar Pasteurella multocida, coccobacilleGram négatif, responsable d’une rapiditéd’évolution et d’une lymphangite impor-tante. Les autres bactéries rencontréessont : Capnocytophaga, Bacillus, Proteus,Pseudomonas, Actinomyces et Leptotrichiabuccalis.

Les ténosynovites par dissémination héma-togène concernent, essentiellement, le gono-

coque (Neisseria gonorrhoeae), et certainesmycobactéries [9, 10]. D’autres bactéries peu-vent infecter la gaine des fléchisseurs, et déve-lopper une infection chronique à bas bruit.

Ces germes sont des mycobactéries aty-piques telles que Mycobacterium marinum,M. kansasii, M. asiaticum, M. avium, M. for-tuitum, M. chelonae et M. abscessus. On uti-lise alors le terme de “ténosynovite infec-tieuse”. La mycobactérie de la tuberculoseest parfois responsable de ténosynovite. Elleprovient souvent, mais pas toujours, d’unetuberculose pulmonaire active.

Enfin, aucun germe n’est retrouvé dans15 % des cas.

PHLEGMON DE L’ENFANTBien que les infections de la main ne

soient pas rares chez l’enfant, très peu depublications concernent les ténosynovitesinfectieuses [11]. L’essentiel des infectionsbactériennes concerne les panaris.

L’enfant n’est pas un adulte en miniature ;il se distingue par le type de germe rencontré,le mode de contamination, et des caractèrespropres à lui-même.

La main de l’enfant est souvent exposée auxtraumatismes (succion, morsures, fracture).

Parmi la population bactérienne, le germeen cause est, moins souvent, le staphylo-coque doré (40 %), comme c’est le cas chezl’adulte (50 à 80 %). Les streptocoqueshémolytiques du groupe A sont plus fré-quents que chez l’adulte (20 %). Enrevanche, les associations de bactéries aéro-bies et anaérobies sont en même proportionque chez l’adulte (30 %), alors que l’adulte ades facteurs d’infection mixte (plaie par mor-sure, drogue intraveineuse, diabète). Cettedonnée sur les infections mixtes, chezl’enfant, n’a pas d’explication, à l’heureactuelle, à part des causes locales (succiondu pouce, onychophagie), ou générales(immaturité du système immunitaire).

Comme chez l’adulte, les modes decontamination peuvent être par inoculationdirecte, diffusion d’un sepsis local (panaris)ou par voie hématogène. Cependant, unecause rare, mais aux conséquences graves,

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est à connaitre, car spécifique de l’enfant[40] : il s’agit d’une effraction de la gaine desfléchisseurs après un décollement épiphy-saire ouvert de la phalange distale (doigt deporte). Le facteur primordial est d’ordre ana-tomique : le décollement épiphysaire ouvrel’accès à l’infection de la gaine des fléchis-seurs, car il faut rappeler que le fléchisseurprofond s’insère en totalité sur la métaphyse,et que l’extrémité de la gaine se situe enregard du cartilage de croissance. Ainsi,s’explique la rapidité de l’évolution d’unelésion dorsale en apparence banale, en unphlegmon de la gaine des fléchisseurs. Cetteétiologie reste toutefois exceptionnelle.

Le traitement ne diffère pas de celui del’adulte. Il est toutefois recommandéd’instaurer une antibiothérapie probabilistesur les germes aérobies et anaérobies, avantl’identification microbiologique.

PRISE EN CHARGE MÉDICO-CHIRURGICALE

TECHNIQUE CHIRURGICALEL’intervention est à réaliser en urgence, au

bloc opératoire, en décubitus dorsal, sousanesthésie générale, ou bloc plexique enl’absence de diffusion proximale, sur table àbras et main de plomb, avec garrot pneuma-tique à la racine du membre supérieur gonflésans vidange, sous loupes grossissantes.

Il faut débuter par un parage minutieux dela porte d’entrée, si elle existe.

En fonction du stade anatomo-clinique,on prend la décision d’un agrandissement enzigzag palmaire :- En cas de stade 1, on peut réaliser une

contre-incision proximale ou distale.- En cas de stade 2 ou 3, l’ouverture sur tout

le doigt est nécessaire, du pli palmaire dis-tal à la pulpe pour les 2e, 3e, et 4e doigts ;agrandissement jusqu’au poignet pour lepouce et 5e doigt.

L’excision de tous les tissus inflammatoireset/ou nécrotiques est nécessaire. Les pouliesde réflexion des tendons doivent être conser-vées dans la mesure du possible. A l’extrême,on est parfois amené à amputer un segmentdigital.

Plusieurs prélèvements bactériologiquesdoivent être réalisés, au minimum trois. Encas de recherche de germe atypique, unedemande spécifique doit être formulée.

On réalise un lavage abondant de la gaineau sérum physiologique, si possible du “pro-pre vers le sale” (fig. 7).

Les éventuelles lésions associées doiventêtre réparées (tendons, nerf, artère…).

Au lâchage de garrot, l’hémostase soi-gneuse est faite à la pince bipolaire. Onapprécie alors la vitalité digitale. Seuls lesangles de l’incision sont suturés.

En postopératoire, les pansements sont faitstous les jours. Une courte immobilisation peutêtre prescrite, notamment en cas de réparationtendineuse ou vasculo-nerveuse. Une réédu-cation doit être débutée précocement.

Enfin, on surveille la survenue de compli-cations : locales (ischémie, reprise septique),régionales (extension proximale del’infection) et générales (sepsis sévère,décompensation de tares).

D’un point de vue médical, une antibio-thérapie probabiliste est instaurée dès la finde l’intervention, en attendant les résultats desprélèvements bactériologiques. L’associationde l’AMOXICILLINE avec acide clavulaniqueintraveineux est conseillée en 1re intention. Encas de gravité ou de suspicion d’infectionpolymicrobienne à germes pyogènes, on peuty ajouter de la CLINDAMYCINE ou de la GENTAMY-

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Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts

Fig. 7 : Lavage de la gaine au sérum physiologique,de proximal à distal (du propre vers le sale).

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Cours européen de pathologie chirurgicale du membre supérieur et de la main

CINE. La durée d’antibiothérapie est fonctionde la gravité, de l’évolution et du terrain. Ellene doit pas être inférieure à 10 jours dans lemeilleur des cas.

EXPERIENCE DE L’HEGPA partir d’une étude réalisée sur 120 patients

opérés à l’Hôpital Européen Georges-Pompidou, plusieurs éléments ont attirésnotre attention. La durée moyenned’hospitalisation a été trouvée, à notregrande surprise, de 17 jours.

De l’étude ressortait que le tabagisme étaitidentifié comme un nouveau facteur derisque au même titre que le diabète oul’immunodépression, et exposait au risqued’une infection plus sévère et plus longue[17]. Notre étude précise, un peu plus, le rôlemajeur de la vascularisation des tendons flé-chisseurs et de leurs gaines, dans la physio-pathologie des phlegmons des gaines.

Les résultats cliniques ont montré que lepronostic fonctionnel à long terme était mau-vais, avec une raideur ou des amputationsdigitales, notamment en cas de stade initialavancé de l’infection, d’infection àStreptocoque β-hémolytique du groupe A, et

une prise en charge chirurgicale retardée [15,16]. D’un point de vue médicolégal, lepatient devrait être prévenu de la gravité decette infection, et du pronostic fonctionnelincertain, malgré un traitement adapté.

Les résultats bactériologiques ontconfirmé les précédentes études sur la prédo-minance du Staphylocoque, et ont montréque l’évolutivité de l’infection était en rap-port avec le mode de contamination, et letype de germe, c’est-à-dire une évolutivitéhoraire pour les Streptocoques hémolytiquesdu groupe A, et une évolutivité plutôt chro-nique pour les germes intracellulaires(Mycobactéries).

Par ailleurs, ce travail montre les insuffi-sances de connaissance de cette infectiongrave parmi la population médicale. Ainsi,toute suspicion de phlegmon des gaines doitconduire à une exploration chirurgicale enurgence, et non à la prescription aveugled’antibiotiques. Ceci aura pour conséquenced’améliorer le pronostic fonctionnel, par uneprise en charge rapide et spécialisée, et delimiter l’émergence de bactéries résistantespar l’utilisation d’antibiotiques ciblés, ce quiest un réel problème de santé publique àl’heure actuelle [12, 13].

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Phlegmon des gaines des tendons fléchisseurs des doigts

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