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Stratégie

Penser la stratégie

Christian MarmuseProfesseur à l’ Université de Lille 2

(École Supérieure des Affaires)

Référence e-theque : 2002A0061T ISBN : 2-7496-0018-9

©e-theque 2002 e-theque - 167 rue Jean Jaurès - 59264 Onnaing

Toute reproduction même partielle, par quelque procédé que se soit est interdite sans autorisation. Une copie par xérographie, film, bande magnétique, ou autre procédé, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi (du 11. mars 1957 et 3.juillet 1985) sur la protection des droits d’auteurs.

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Résumé

La stratégie est parfois présentée comme l’application d’outils d’analyse et de réflexion rationnelle. Dans les environnements complexes qui sont ceux des entreprises d’aujourd’hui, cet ouvrage ambitionne de présenter quelques pistes pour « bien conduire sa pensée stratégique ». Cet eBook ne constitue donc pas un manuel de stratégie. Il ambitionne de montrer au manager, au dirigeant, mais aussi à l’étudiant futur « penseur » de la stratégie, une voie vers la découverte d’un véritable système de pensée stratégique. Organisé autour des lettre qui composent le mot stratégie, il présente les leviers essentiels d’une pensée stratégique réellement efficace. Ces leviers sont autant de points de repère qui permettent de pratiquer la stratégie au quotidien, même si les analyses et modèles peuvent aussi servir de bases d’information pour le stratège. La stratégie est ainsi un concept à repenser, pour le sortir de l’idée trop souvent avancée d’un processus d’élaboration purement rationnel. Conçus dans des univers de complexité, les choix stratégiques sont — peut-être paradoxalement — élaborés à partir de règles simples quoique très globales. Vient ensuite naturellement ce qui fait l’essence de la stratégie : le recherche permanente d’une singularité stratégique. Il faudra pour cela, accepter de sortir du cadre, c’est-à-dire appliquer les principes du changement de type 2. Tout cela conduit à l’élaboration d’une véritable « théorie des affaires » propre à l’entreprise singulière. Cela permet d’exprimer le sens de l’action stratégique dans un processus de diagnostic permanent pour gagner, pour identifier le cœur de métier, processus de choix stratégique majeur. Tout cela mérité que se construise un système de veille pour informer la stratégie. On constatera enfin que la stratégie se construit en marchant car nécessitant un constant recadrage en fonction des opportunités et des nécessités.

Sommaire

Stratégie : un concept à repenser 5 1. L’histoire des entreprises, ou l’érosion du temps 5 2. Une pensée stratégique globale et intelligente 8

Tout est simple dans un monde complexe ! 15 1. La fabuleuse histoire des « Boids » 15 2. « Strategy as simple rules » 18

Rechercher la singularité 21 1. Définir la singularité stratégique 21

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2. Singularité ou différenciation ? 22 3. Le rôle du temps 23 4. Les risques du métier 24 5. Une logique de la création de valeur 24

Accepter de sortir du cadre 27

1. Le changement 1 27 2. Le changement 2 28

Théorie des affaires et intention stratégique 30 1. L’intention stratégique, moteur des choix de l’entreprise 30 2. La théorie des affaires comme référentiel de pensée 32

Exprimer du sens par le diagnostic stratégique 36 1. Le diagnostic stratégique est la construction d’une représentation 37 2. Le diagnostic stratégique présente une réalité multiforme 38 3. Du diagnostic à la construction de sens 39

Gagner le cœur de métier 45 1. Les ressources 46 2. Les capacités 47 3. Les compétences 47 4. Comment éviter l’imitation de nos ressources ? 48 5. L’innovation stratégique pour redéfinir le cœur de métier 48

Informer la stratégie 53 1. Qui a gagné la bataille de Waterloo ? 53 2. Construire un système d’information pour la stratégie 54 3. Les caractéristiques d’un système d’information stratégique 55 4. Quelques idées fausses sur l'usage de la veille stratégique et concurrentielle 58

En marchant se construit la stratégie 58 1. Entre stratégie délibérée et stratégie émergente 59 2. La stratégie du judoka 61

Conclusion : des principes scientifiques aux principes de management 63 Bibliographie 65

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Introduction

« La stratégie est un art simple, mais tout d’exécution » disait Napoléon. Après les stratèges militaires (de Sun Tzu à Clausewitz), les gestionnaires ont développé maintes théories autour de l’idée de stratégie et ce, depuis maintenant une cinquantaine d’années. Cet ouvrage ambitionne de replacer la stratégie à sa juste place en proposant un parcours à la fois initiatique et opérationnel à ceux qui ignorent encore que la stratégie ne se résume pas à des méthodes rationnelles de découverte des opportunités et des menaces. La stratégie emprunte aux capacités fabuleuses des managers pour remettre en cause en permanence ce que d’autres (les imitateurs) croyaient immuable. Elle renouvelle souvent ses contenus, mais se révèle d’abord dans la tête du stratège, homme d’anticipation, de reconstruction permanente et de pari. Si la stratégie est réellement « l’art d’être différent » comme le prétend Michael Porter, alors sans doute faut-il mobiliser des outils et des méthodes qui n’ont rien à voir avec ce que les trente dernières années nous ont enseigné en la matière. Mais souvenons nous en même temps que ce sont les entreprises qui ont toujours montré la voie à la nouveauté, à la remise en question, tout simplement parce qu’elle y étaient obligées par un monde de plus en plus concurrentiel et intraitable avec les médiocres. La stratégie peut avoir quelque chose d’extraordinaire. Laissons à d’autres l’art des stratégies ordinaires ! L’ouvrage se déroule en neuf tableaux, comme les neuf lettres du mot stratégie :

Stratégie : un concept à repenser

Tout est simple dans un monde complexe !

Rechercher la singularité

Accepter de sortir du cadre

Théorie des affaires et intention stratégique

Exprimer du sens par le diagnostic stratégique

Gagner le cœur de métier

Informer la stratégie

En marchant se construit la stratégie Ces neuf tableaux comporteront des références à la littérature, mais aussi des renvois aux pratiques parfois singulières, paradoxales, bref véritablement stratégiques des entreprises.

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I - Stratégie : un concept à repenser

Stratégie : un concept à repenser Tout est simple dans un monde complexe ! Rechercher la singularité Accepter de sortir du cadre Théorie des affaires et intention stratégique Exprimer du sens par le diagnostic stratégique Gagner le cœur de métier Informer la stratégie En marchant se construit la stratégie

Dans un article de 1996, Michael Porter posait la question : “ What is strategy ? ” [Porter, 1996]. Question incongrue dira-t-on de la part de celui qui est pour beaucoup dans la rénovation de la pensée stratégique contemporaine. Le constat est cependant très clair : “ Competitive strategy is about beeing different. It means deliberately choosing a different set of activities to deliver a unique mix of value ”. Sur cette lancée, M. Porter définit ainsi la stratégie : “ la stratégie est la création d’une position unique et valorisable, ce qui implique un ensemble d’activités différent. S’il n’y avait qu’une seule position idéale, il n ’y aurait aucun besoin de stratégie. Les entreprises seraient ainsi confrontées à un impératif simple : gagner la course pour la découvrir et se l’accaparer. L’essence du positionnement stratégique est de choisir des activités qui sont différentes de celles des rivaux ”.

1. L’histoire des entreprises, ou l’érosion du temps

Pour parvenir à des logiques stratégiques nouvelles, l’histoire nous est d'un recours instructif :

Camaïeu a échoué parce qu’il a réussi : le circuit court et les prix bas dans lesquels il avait innové étaient fort bien adaptés à une clientèle féminine. Le concept n’était sans doute plus aussi efficace lorsque l’entreprise a voulu s’attaquer au monde de l’homme ou de l’enfant. C’est en oubliant les choix historiques de son succès que cette entreprise s’est fourvoyée en voulant devenir généraliste comme les autres… Un effet du paradoxe d’Icare si bien décrit par Danny Miller [Miller, 1993].

Il en est certainement de même pour Canal+ dont le succès a commencé à se tarir (jusqu’à provoquer le limogeage de Pierre Lescure, son patron historique et fondateur) à partir du moment où l’usure du temps a conduit à une érosion de la fidélité des clients. Certes, la concurrence (TPS par exemple) a été aussi pour beaucoup dans la perte d’originalité du concept ; mais le temps, les habitudes et le manque de remise en question auront aussi beaucoup contribué à ce que lorsque l’on est devant Canal+, on est de plus en plus devant la télé ! Comme dans les jeux de stratégie ou de société, la bonne stratégie d’entreprise est celle qui permet de gagner, non seulement en

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imposant sa vision des choses, mais aussi en ne suivant pas forcément le même chemin que l’adversaire ou que le concurrent.

Autre exemple, celui de 3M, qui peut se comparer au contre-exemple de Norton (Barlette and Goshal, 1995) : au début du boum économique de l'après-guerre, 3M et Norton avaient approximativement la même taille et la même activité (les abrasifs). Au milieu des années 80, 3M pouvait annoncer un chiffre d'affaires représentant huit fois celui de son concurrent (racheté par Saint Gobain). Pourquoi ces trajectoires aussi différentes ? En réalité, ces deux entreprises, dont l'origine et les buts étaient relativement similaires, ont divergé sur le terrain de leur philosophie et de leur style de management. Si Norton est restée un archétype d'une entreprise pilotée par un système, 3M a développé un modèle entrepreneurial centré sur l'homme. Le choix de Norton s'inscrit dans une logique de système de contrôle " top down " basé sur l'idée qu'il n'était pas possible de faire confiance aux hommes. L'entreprise était ainsi gouvernée par le système, ce qui fonctionna fort bien pendant de nombreuses années. Ce fut également le modèle choisi par une grande majorité des entreprises industrielles de l'époque. À l'opposé, chez 3M, le système de planification formelle et de budgétisation a été développé plus tardivement et a toujours joué un rôle secondaire dans la prise de décision du management. La société n'avait pas de système de planification formelle jusque dans les années 80 : les directeurs avaient la conviction que leur premier travail était de développer et d'encourager les entrepreneurs qui travaillaient sur des activités nouvelles. « Senior management primary role is to create an internal environment in which people understand and value our way of operating… Our job is one of creation and destruction supporting individual initiative while breaking down bureaucraty and cynism. It all depend on developing a personnal trust relationship between those at the top and those at lower levels » (Barlette and Goshal, 1995).

Si, avec Henry Mintzberg, l’on examine la manière dont la théorie a considéré le processus stratégique (Mintzberg, 1999), on sera d’accord avec les constats suivants :

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« L’évolution du management stratégique obéit à différents principes parce qu’il est gouverné par des idées et pratiques qui trouvent leur origine dans des sources qualitativement différentes. Nous en avons identifié quatre : • Les nouvelles formes de stratégies émergent de contacts de

collaboration entre les organisations. Les entreprises ne peuvent pas éviter d’apprendre et de s’adapter lorsqu’elles travaillent et commercent ensemble.

• L’évolution de la stratégie est également provoquée par la compétition et par la confrontation. En stratégie, comme dans d’autres domaines, la nécessité est mère de l’innovation et, comme ailleurs, les nouvelles idées et pratiques apparaissent lorsque les managers tentent de contrer ou de battre des concurrents puissants.

• Les nouvelles stratégies sont souvent des « remakes » des anciennes stratégies. Dans un certain sens, les anciennes idées stratégiques ne disparaissent jamais complètement. Elles deviennent souterraines et nourrissent de nouvelles pratiques. Pas comme du vieux vin dans des bouteilles neuves, mais plutôt comme le savant mélange de vieux et de jeunes whiskies pur malt.

• Finalement, la stratégie est poussée par la créativité impressive des managers, parce qu’ils explorent de nouvelles manières de faire les choses » (Mintzberg, 1999).

Tout cela incite à penser que la véritable « fabrique de stratégie » se trouve dans l’entreprise et, au sein de l’entreprise, dans la tête de ses dirigeants. Souvent, nous semblons surpris par la nouveauté, l’aspect étonnant ou au contraire le retour au passé habilement exploité par de nouveaux concurrents. Dans le milieu des années 80, le secteur de la grande distribution a connu l’avènement du “ hard discount ”. Ces moyennes surfaces, profitant de la baisse du pouvoir d’achat de certaines catégories de clientèles de la distribution, ont choisi une logique de prix bas, associée à une simplification de l'offre pour d’offrir un modèle de gamme restreint et économique. Il s’agissait là manifestement d’une stratégie originale en ce qu’elle remettait en cause une logique bien acceptée par tous les distributeurs (on parlera de logique « conventionnelle »), lesquels avaient quelque peu oublié le modèle sur lequel ils avaient eux-mêmes bâti leur développement originel 20 ans auparavant. Alors que le monde de la grande distribution évoluait de plus en plus vers des hypermarchés confortables, été comme hiver et montaient en gamme, les hard discounters appliquaient le modèle

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d’origine des Auchan ou Carrefour autrefois installés dans des hangars !

2. Une pensée stratégique globale et intelligente Le développement des complexités de tous ordres lié notamment à l’interconnexion croissante des systèmes économiques et concurrentiels oblige à adopter un vision du monde plus globale, plus « systémique ». Pour aborder ce monde complexe, Peter Senge nous propose de penser systémique grâce à la « cinquième discipline » (Senge, 1991). Cette discipline nous impose de regarder avec humilité les 11 lois (celles que Peter Senge a identifiées) de la pensée systémique :

2.1. Les problèmes d’aujourd’hui viennent des solutions d’hier Nous refusons souvent de voir que nos difficultés proviennent des

choix stratégiques qui ont été les nôtres. Nous créons les conditions de nos échecs. Souvenons nous de la décision, certes radicale, de retrait des enseignes Marks & Spencer des villes d’Europe et du monde (Grande-Bretagne exceptée). Pourtant, des

études très sérieuses avaient monté en exemple cette « success story » étaient liée au fait que cette société possédait des facteurs clés de succès (terme aujourd’hui consacré) qui lui procuraient des avantages stratégiques uniques. Mais ce modèle, encore bien efficace en Grande-Bretagne, est lui-même à l’origine des difficultés d’aujourd’hui :

- La localisation des magasins est un élément clé si l’on joue sur la valorisation immobilière (ce qui a d’ailleurs permis à l’entreprise de se sortir très honorablement du guêpier, financièrement s’entend), mais pas si l’on doit lutter contre des centres commerciaux qui ont quitté le centre-ville.

- La réputation de la marque peut se retourner contre soi si les clients demandent à bénéficier de marques emblématiques et plus de marques « maison » (à marque de distributeur) signes de produits d’entrée de gamme.

- La loyauté des employés ne tient guère lorsque l’image de l’entreprise se détériore, d’autant plus qu’elle n’était pas

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soutenue par des politiques salariales ou de promotion efficaces.

L’avantage concurrentiel théorique de Marks et Spencer

Localisation des magasins

Réputation de la marque St Michael

Loyauté des employés

Chaîne d'approvisionnement

Qualités de jugement du management

- Les coûts de la chaîne de distribution se sont trouvés contrebalancés par des coûts de change importants liés à la non-adhésion de la Grande-Bretagne à l’Euro. Comme la plupart des produits (y compris les produits frais) transitaient obliga-toirement par l’Angleterre, on devine la suite.

- Quant au management, le maintien de gammes un peu vieillottes a contribué à émousser ses qualités de jugement.

2.2. Plus vous poussez dans un sens, plus le système pousse dans l’autre

William Easterly est un très sérieux conseiller de la Banque mondiale, et pourtant, il pourfend l’idée bien répandue aujourd’hui de l’annulation de la dette des pays pauvres. Car, dit-il, cela ne servirait à rien ! Il démontre que la mise en œuvre de cette belle idée généreuse profiterait aux gouvernements et non aux citoyens des différents pays concernés (Easterly, 2001). Pourquoi ? Parce que l’annulation de

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la dette n’améliorerait en rien le sort des citoyens de ces pays trop enclins à s’armer ou à laisser faire la corruption. De plus, cela ne pourrait guère améliorer le crédit de ces pays auprès des banques qui redouteraient de n’être, une fois encore, pas remboursées de leur prêt.

Comme l’expliquent bien les dresseurs de chevaux américains (les « chuchoteurs »), si vous essayez de contraindre un cheval, il fera tout pour résister à votre « force ». Par contre, si vous lui faites comprendre que c’est son intérêt (son confort) d’accepter de faire ce que vous demandez, alors le miracle se produira naturellement et il se soumettra à vos désirs. Combien d’entreprises ont-elles essayé de redresser leur situation déjà fragile en cassant les prix pour tenter d’enrayer la chute des ventes ? Cette mesure ne fit que multiplier encore les pertes sans pour autant améliorer l’image des produits bradés. La stratégie consiste souvent à remettre en cause le modèle de développement de l’entreprise. Encore faut-il détecter le bon moment pour cette remise en question !

2.3. Un peu de progrès précède beaucoup d’inconvénients

Regardons le modèle sur lequel se sont construits maints projets de « start-up » ou d’entreprises de la nouvelle économie.

Le modèle des start-up de la fin des années 90

Une idée neuve ou presque neuve

Une communication vantant l'idée et les perspectives de développement

Des levées de fonds spéculatives

Des pertes conséquentes

Céder la société avant la rentabilité

Pérennité ?

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Beaucoup des « start-up » qui ont échoué dans les années récentes (et elles sont légion) ont voulu simplement appliquer un modèle finalement assez simpliste basé sur la crédulité des marchés financiers. Beaucoup de ces financiers y ont cru, ce qui n’a fait qu’amplifier le mouvement. Mais comme le disent les économistes : « la mauvaise monnaie chasse la bonne » et le reversement de tendance s’est produit, comme prévu, mais à la grande surprise de ceux (créateurs de start-up et investisseurs) qui continuaient à vivre sur cette idée. Ce qui était une bonne idée (lorsque peu d’entreprises l’appliquaient) est devenue une sacrée mauvaise affaire lorsque trop d’entreprises ont voulu profiter de l’aubaine. Il en est de même dans beaucoup de situations qu’illustre bien le « cycle du cochon ». Chacun sait que dans le monde agricole, une bonne idée (faire du cochon, produire des endives hors sol, des fraises ou du muguet de serre) induit souvent une surproduction par imitation qui vient inéluctablement entrer en conflit avec une demande insuffisante (laquelle n’a ni augmenté, ni baissé dans l’intervalle !). Les assureurs connaissent bien ce phénomène : Coût élevé de l’assurance …

=> Mesures de prévention du risque => Baisse de la fréquence et de la gravité des sinistres => Baisse des primes d’assurance => Affaiblissement de la surveillance des risques => Développement des sinistres => Hausse des primes etc.

2.4. La solution de facilité vous ramène au problème de départ

Il est souvent plus facile d’appliquer des vielles solutions éprouvées sur des problèmes nouveaux, même si ces solutions n’ont que peu de choses à voir avec le problème posé. Comme l’ivrogne qui cherche sa clé sous le réverbère (« parce que là au moins, il y a de la lumière ! »), le manager (et le stratège) a peut-être tendance à appliquer les mêmes recettes sur des problèmes très différents. En réalité, s’il était si facile de trouver une solution « simple » à un problème stratégique, sans doute aurait-on déjà trouvé la réponse ; et peut-être le concurrent l’a-t-il déjà trouvée depuis longtemps. Raison de plus pour chercher d’autres voies plus imaginatives. Il est ainsi nécessaire d’accepter parfois de « sortir du cadre », pour inventer non seulement de nouvelles solutions, mais aussi de nouvelles manières de voir un problème ou une situation (voir plus loin le point consacré à cette nécessité de sortir du cadre).

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2.5. Le remède peut être pire que le mal

L’histoire de l’adoption du pot catalytique sur les véhicules automobiles est révélatrice de cette inadaptation de la solution à un problème. Lorsque les pays européens sous la pression des verts (notamment allemands) ont décidé d’obliger les constructeurs automobiles à installer un pot catalytique sur tous les véhicules fabriqués, cela a pu passer pour une mesure efficace pour lutter contre la pollution. En fait, il n’en est rien : d’abord le pot catalytique a un coût de revient important (de l’ordre de 1.000 € par véhicule) et son rôle est, comme l’aurait dit Coluche d’éliminer la crasse propre après l’avoir purifiée à grand renfort de billes d’alumine (c’est Péchiney qui a été le plus satisfait de la décision !). Pour être efficace, cet ustensile doit être porté à très haute température (comme le four de la ménagère en activité de catalyse) ce qui ne se produit que si le véhicule a parcouru plus de 30 km. Or le parcours moyen en zone urbaine (là où la pollution est la plus forte) est de l’ordre de 10 km. Mais, dira-t-on, tout fonctionne bien sur autoroute… précisément là où le pot catalytique perd de sa raison d’être (les moteurs fonctionnant alors dans des conditions optimales et produisant proportionnellement moins de déchets). La morale de l’histoire, c’est que, pour obtenir rapidement une mesure en faveur de l’environnement, la décision prise a en fait retardé d’autres mesures (ce que prônait à l’époque par Jacques Calvet), c’est-à-dire celles du moteur propre et à faible consommation.

2.6. Qui va lentement va plus vite

Les managers n’ont pas tous bien compris la fable du lièvre et de la tortue ! La recherche de la croissance rapide n’est pas forcément la garantie de la réussite à long terme. Il faut parfois (souvent) prendre le temps de développer une technologie, un réseau commercial ou une communication efficace, avant de se lancer sur le marché. L’intrusion brutale de nouvelles compagnies aériennes sur le marché du transport aérien français (AOM, Air Liberté, British Airways) n’a en rien empêché Air France de maintenir son cap. La volonté de « battre Air Inter » (puis Air France) a sans doute créé plus de précipitation que de stratégie. Par contre, les vraies stratégies des compagnies « low cost » telles que Easy jet ou Ryan Air semblent mieux construites car elles reposent sur une redéfinition radicale de la manière de transporter (et de faire payer le juste service) des passagers sur les courtes distances.

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2.7. Les rapports lointains des effets et des causes L’identification des causes des problèmes (ou simplement des réalités) n’est jamais complètement évidente. Dans une logique systémique, les causes et les effets s’interpénètrent et il se produit souvent des phénomènes de circularité gênant une vue claire des situations. Car les causes identifiées reposent sur la vision que les managers ont de leur métier et de leur secteur. Cette vision est partielle et partiale : comme le signalait Herbert Simon, il y a plus de trente ans (Herbert Simon est prix Nobel d’économie), nous souffrons de ne pouvoir utiliser qu’une « rationalité limitée ». Nous sommes tout à fait incapables, en raison de nos limites cognitives, de nos présupposés, de la complexité des choses, de décider rationnellement, c’est-à-dire en ayant clairement identifié toutes les solutions possibles. D’aucuns ont cru pouvoir affirmer (et ils le faisaient très sérieusement) que la réduction du temps de travail résorberait le chômage en créant mécaniquement de nombreux emplois. Mais la nature a horreur du vide, et les effets de productivité, d’organisation, de modernisation ont vite eu raison de ce présupposé simpliste (qui ne tenait pas compte de l’interaction entre situation de l’emploi et comportements, tant individuels que collectifs). Dans un monde complexe et systémique, il est bien difficile d’identifier définitivement les causes des phénomènes. Il est encore plus difficile de leur attribuer définitivement des effets induits.

2.8. Des petits changements peuvent provoquer de grands résultats Le fameux effet papillon peut illustrer cette réalité qui fait que de petites causes peuvent conduire à des effets « catastrophiques » (et vice-versa d’ailleurs). L’effet de levier, bien connu des financiers implique que des efforts faibles peuvent conduire à des effets proportionnellement importants. L’attentat du 11 septembre 2001 aura eu des conséquences mondiales bien plus importantes que ce que ses auteurs avaient pu imaginer. Sur les conséquences directes du crash d’abord, qui n’était pas destiné à détruire complètement les Twin Towers (était-ce imaginable ?) ; sur les conséquences politiques et militaires à long terme ensuite. Il faut en tout cas convenir que l’état des relations internationales en a été transfiguré.

2.9. On peut avoir le beurre et l’argent du beurre, mais pas en même temps Peter Senge rappelle que pendant longtemps, les industriels ont cru qu’il fallait choisir entre baisse des coûts et augmentation de la

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qualité. Les pratiques japonaises et aujourd’hui celles de la totalité des entreprises occidentales ont démontré le contraire. Mais il est vrai que, dans un premier temps, la qualité coûte cher (investissements, formation, réorganisations) et qu’il faut un certain délai pour en ressentir les effets sur les coûts (baisse des rebuts, disparition du traitement des défauts, fidélisation des clients etc.). Ce phénomène est sans doute lié notamment à notre besoin de voir le monde de façon dichotomique : tout est bien ou tout est mal !

À titre d’exemple, l’entreprise Favi, sous traitant de l’automobile,fonctionne aujourd’hui sans patron… ou presque. Le patron (initiateurde la transformation de l’entreprise en réseau) n’intervient pas dans lasolution des problèmes. Il veille surtout à la fixation des objectifs etau respect des principes de l’organisation « chamallow » (souple etmalléable). Chaque mini usine de cette PME de 500 salariés travailleexclusivement pour un client (ainsi placé au centre de l’organisation).Résultat : après un gros travail de redéfinition des rôles, la nouvellemécanique fonctionne à merveille : gains de productivité, performanceglobale, croissance du chiffre d’affaires, et 16,5 mois de salaire parpersonne sont quelques-uns des résultats visibles de ce changementprofond. Chose remarquable, le patron de l’entreprise assimile le fonctionnement cette communauté aux évolutions d’une nuée d’étourneaux, « où la seule règle apparente est que les oiseaux en périphérie reviennent systématiquement vers le centre et que le nombre et la répartition de ces retours induisent les déplacements de l’ensemble » (Management, juin 2002). Une belle histoire qui trouvera sa pleine justification dans le modèle des « Boids » qui sera présenté un peu plus loin.

2.10. Un éléphant coupé en deux ne fait pas deux petits éléphants

L’un des principes essentiels de l’approche globale et systémique est que le tout n’est pas égal à la somme des parties. Principe simple en apparence, mais qui est loin d’être entré partout dans les mœurs. Un problème ne peut se résoudre localement ; il doit l’être dans l’intégralité de l’entreprise et de son environnement. Découper un problème (ou un éléphant) n’a jamais permis d’y voir plus clair, mais contribue, au contraire, à brouiller les cartes.

2.11. Les reproches ne servent à rien En matière de stratégie, les modèles ont la vie dure. Par exemple, celui qui veut que l’on distingue soigneusement l’analyse interne et l’analyse externe (le fameux modèle d’Harvard). Outre que cette vision des

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choses revient à dissocier ce qui est indissociable (l’entreprise aussi fait partie intégrante de son propre environnement) elle conduit à penser en termes de forces et faiblesses (la bonne vieille habitude de la dichotomie). Mais avez-vous remarqué que la plupart du temps, la conclusion à laquelle on aboutit est que les forces viennent de nous (on est les meilleurs, on a trouvé le meilleur concept etc.) et que les faiblesses viennent des autres (les concurrents, l’État, le Gatt etc.) qui bien sûr nous veulent du mal et nous empêchent de réaliser nos rêves. « Gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge » !

II - Tout est simple dans un monde complexe !

Stratégie : un concept à repenser Tout est simple dans un monde complexe ! Rechercher la singularité Accepter de sortir du cadre Théorie des affaires et intention stratégique Exprimer du sens par le diagnostic stratégique Gagner le cœur de métier Informer la stratégie En marchant se construit la stratégie

Les analyses de la complexité sont devenues légion et ont suscité une sorte de mode, sans que tous les « complexologues » aient toujours une vision très constructive (ou « constructiviste ») des choses. Le constat est clair : le monde est complexe, la réalité est complexe et donc tout devrait être étudié à l’aune de cette complexité. Ces approches ont fait l’objet d’un examen attentif de maints chercheurs et en particulier dans le domaine des sciences dites exactes (e.g. les travaux du prix Nobel Prigogine) et dans celles du management de manière plus récente

Les ouvrages sur la pensée globale ou les approches systémiques ont fleuri sur les étals des librairies parce qu’il est devenu de bon ton de dire que la complexité est à la source de toutes les … difficultés des entreprises. Bien au contraire, c’est parce que le monde est complexe que la stratégie existe. Sans complexité, pas besoin de stratégie, tout est logique, habituel, transparent. Comme l’exprimait fort bien Edgard Morin :

« La complexité appelle la stratégie. Il n'y a que la stratégie pour s'avancer dans l'incertain et l'aléatoire. L'art de la guerre est stratégique parce que c'est un art difficile qui doit répondre non seulement à l'incertitude des mouvements de l'ennemi, mais aussi à l'incertitude sur ce que pense l'ennemi, y compris sur ce qu'il pense que nous pensons » (Morin, 1986). La complexité, liée également à la diversité des comportements d’acteurs permet d’imaginer un grand nombre de futurs possibles. Ces futurs ne sont pas écrits dans le grand livre de la nature, ils sont des constructions humaines qui résultent de choix délibérés des entreprises et de leurs dirigeants. C’est donc de la complexité (des

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environnements, des décisions, des marchés, des cultures etc.) que naissent les opportunités stratégiques. Mais comment faire pour que la complexité ne soit pas simplement synonyme de fouillis, d’opacité ou d’incapacité à agir ? En faisant de la complexité une source d’avantages et de règles de décisions plus globales.

1. La fabuleuse histoire des « Boids »

Laissez-moi vous raconter ici la très belle histoire des « boids ». Les boids (que l’on peut voir en action sur le site internet qui leur est dédié) sont des oiseaux artificiels nés de l’imagination d’un chercheur américain, Craig Reynolds. Celui-ci rêvait en effet de parvenir à simuler, par des modèles mathématiques, le vol des oiseaux en formation. Vaste programme qui cherchait à comprendre comment des groupes d’oiseaux pouvaient se déplacer de façon harmonieuse sans trop de collisions et surtout sans qu’aucun centre de contrôle ne leur donne jamais de directives pour choisir leur route (au contraire de ce qui se produit pour nos avions commerciaux). Les modèles économétriques complexes ne furent que de peu d’utilité et ce chercheur eut finalement recours à quelques règles simples (trois essentiellement) qui, combinées, permettaient de faire voler ces oiseaux artificiels comme s’ils étaient réels. In 1986 I made a computer model of coordinated animal motion such as bird flocks and fish schools. It was based on three dimensional computational geometry of the sort normally used in computer animation or computer aided design. I called the generic simulated flocking creatures « boids ». The basic flocking model consists of three simple steering behaviors which describe how an individual boid maneuvers based on the positions and velocities its nearby flockmates. Les trois comportements de base sont représentés sur les figures suivantes (les concepts figurant en rouges sont des applications des règles en matière de management, que nous proposons de manière analogique). Bien que chaque « boid » puisse avoir une vision complète de son environnement global (l’analyse externe), le vol en formation nécessite en fait que chacun ne réagisse qu’au comportement des voisins les plus proches. Ainsi se construit un comportement collectif sur la base de règles simples. Le voisinage, conçu ici comme le modèle de base du comportement peut se rapprocher du concept de groupe stratégique

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ou de secteur d’appartenance, qui dicte en fait une part significative du comportement des firmes. La stratégie ajoutera, en plus, des règles de séparation d’un groupe (et d’association à un autre groupe) qui permet d’imaginer des métiers différents contribuant à la création de nouvelles « nuées » d’entreprises.

La règle de séparation permet d’éviter les collisions avec les voisins immédiats.

Part de marché Zone de chalandise Non-concurrence Créneau

La règle d’alignement conduit à s’aligner sur le leader des voisins immédiats.

Leadership Domination Tendance Benchmarking

La règle de cohésion conduit à se déplacer vers la position moyenne des voisins immédiats.

Logique dominante Conformisme Imitation

Dans ce modèle, l’interaction entre des comportements simples d’individus produit des comportements complexes de groupes organisés. On pourra penser aux logiques sectorielles des entreprises pour comprendre que la complexité des comportements collectifs (concurrentiels) relève en fait de l’application de règles simples au niveau de chaque acteur. Ceci crée l’imprédictibilité des compor-tements individuels… suivis par des comportements très prévisibles des autres membres du groupe (effets de mode, d’imitation, de « pensée unique », ou de prisme des conventions). Le cas de la collision en vol de deux avions en juillet 2002 (un Tupolev russe et un Boeing de Federal Express) est révélateur de cette problématique : l’accident est sans doute du à la mauvaise interaction entre des règles de décisions ressemblant à celles de travaux de Craig

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Reynolds (les systèmes anti-collision embarqués dans les avions modernes) et les règles appliquées (un peu tardivement) par le contrôle aérien suisse en charge des deux appareils. Si l’on avait laissé fonctionner les règles (simples) anti-collision, l’accident n’aurait été qu’un incident (comme il s’en produit tous les jours dans les couloirs aériens). Ces règles obligeaient un avion à monter (le Tupolev) et l’autre à descendre (le Boeing). Malheureusement, ce système de décision très efficace a été contredit par la décision (l’intrusion) du contrôle aérien de faire descendre le Tupolev, en ignorant que, les délais étant très courts, les systèmes anti-collision étaient déjà en action (signalée d’ailleurs au contrôleur, mais non interprétée en raison de l’absence de ligne téléphonique disponible !) et en cours de mise en œuvre (le Boeing avait ainsi amorcé sa descente par précaution). Il reste que cette représentation d’un mode d’adaptation permanent à la complexité de l’environnement, difficilement prévisible (les oiseaux ne disposent pas d’un système de contrôle aérien.. et leurs collisions sont bien sûr moins catastrophiques que celles des avions) est, nous semble-t-il, une vision tout à fait opérationnelle de ce que pourraient être les règles de la conduite stratégique. Cette vision transparaît dans l’idée que la stratégie pourrait fort bien n’être que l’application particulièrement intelligente de quelques règles simples !

2. « Strategy as simple rules » C’est ainsi que Kathleen M. Eisenhardt et Donald N. Sull expriment la nécessité pour les entreprises d’adopter des règles simples pour naviguer dans les univers de complexité que sont les secteurs concurrentiels (Eisenhardt and Sull, 2001). Particulièrement adapté aux entreprises de ce que l’on convient d’appeler la « nouvelle économie » (internet, e-commerce), cette idée, assez proche finalement de celle des « boids », met en évidence trois grandes approches de la stratégie.

- Dans les secteurs bien structurés où les changements sont lents la logique stratégique est celle de construire une position pour rentabiliser ce que le Boston Consulting Group qualifiait jadis de « vaches à lait ».

- A contrario, dans les marchés où les changements sont progressifs et où l’usage d’un management basé sur les ressources s’avère payant, les stratégies conduisent à s’approprier ces ressources pour en tirer un avantage concurrentiel à long terme. C’est la stratégie suivie par exemple par L’Oréal qui maintient son avantage mondial sur la base de ressources issues à la fois de la recherche (les molécules brevetées) et par le marketing (une gestion rigoureuse d’un portefeuille de marques de renom).

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- Dans le troisième cas, celui des marchés émergents ou des

secteurs en évolution rapide, il devient très complexe d’utiliser des modèles de positionnement ou de ressources tant les changements restent imprévisibles. L’entreprise doit se tenir prête à contourner les obstacles, à saisir des opportunités qui se présentent ou qu’elle a su créer. Comme les oiseaux artificiels de Craig Reynolds, les entreprises adoptent un jeu limité de règles simples qui leur permettront de s’adapter (cohésion), de suivre les mouvements du secteur (alignement) tout en évitant de chuter avec ceux des concurrents qui auront fait fausse route (règle de séparation).

Trois approches de la stratégie (d’après Eisenhardt and Sull, 2001)

Position Ressources Règles simples Logique stratégique Établir une position Levier de ressources Saisie d’opportunités Étapes stratégiques Identifier un marché

attractif Localiser une position défendable Fortifier ou défendre

Construire une vision Construire des ressources Marchés

Profiter de la confusion Continuer à bouger Saisir les opportunités Finir les meilleurs

Question stratégique

Où devrions-nous être ? Que devrions-nous être ?

Comment devrions-nous faire ?

Source de l’avantage Position unique, valorisable avec un système fortement intégré

Ressources uniques, valorisables et inimitables.

Processus clés, règles simples et uniques

Fonctionne bien dans…

Marchés stabilisés et bien structurés

Marchés bien structurés à changement graduel.

Marchés en changement rapide et ambigu

Durée de l’avantage Connu Connu Imprévisible Risque Position difficile à modifier si

les conditions changent Difficile de reconstruire des ressources quand les conditions changent

Les managers peuvent être leurrés par des opportunités tentantes

Objectif visé Profitabilité Domination à LT Croissance Quelles sont donc ces règles simples qui gouvernent la stratégie dans les environnements complexes et changeants ? Certainement pas des règles larges (trop englobantes), vagues (impuissantes à guider l’ action), banales (sans grande originalité), ou largement éculées. Au contraire, ces règles simples (mais terriblement efficaces) ressemblent beaucoup à celles utilisées pour simuler le vivant et le comportement de groupe des « boids » :

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Les règles simples de la stratégie

(d’après Eisenhardt and Sull, 2001)

Type Objectif Règles « How-to »

Énoncé des éléments clés qui décrivent le processus d’exécution : En quoi notre process est-il unique ?

Les règles de frontières

Quelles opportunités poursuivre et lesquelles sont en dehors de notre champ ?

Règles de priorité Celles qui permettent de classer les opportunités choisies.

Règles de timing Permettent la synchronisation entre opportunités nouvelles et autres activités.

Règles de sortie Comment décider d’abandonner les opportunités d’hier ? Einsenhardt et Sull reprennent la définition de la stratégie déjà évoquée par Michael Porter : « Strategy as simple rules is about beeing different » et ils commentent ainsi l’usage de ces règles simples en stratégie : Sur des marchés stables, les managers peuvent compter sur des stratégies compliquées, construites sur des prévisions détaillées de l’avenir. Mais, sur des marchés complexes, à évolution rapide, où croissances significatives et création de valeur peuvent apparaître, c’est l’imprévisibilité qui règne. Il peut être sensé de suivre la piste des entrepreneurs et des challengers – saisir les opportunités ici et maintenant avec une poignée de règles et peu de processus clés. En d’autres termes, quant les affaires se complexifient, la stratégie se doit d’être simple (Eisenhardt and Sull, 2001). Il serait sans doute instructif d’interroger ceux qui fabriquent la stratégie des entreprises pour leur demander quelles sont les règles qu’ils appliquent lors de leurs choix de politique générale (le terme est d’ailleurs évocateur de l’aspect global de la réflexion). Nous nous apercevrions sans doute (mais d’autres études sur les problématiques de décision ont déjà largement défriché ce thème) que le décideur n’est pas un être rationnel (la rationalité limitée d’Herbert Simon) et qu’il utilise des modèles de représentation du monde pour établir ses choix. C’est précisément lorsque les modèles dont il dispose ne lui donnent plus satisfaction qu’il va chercher à en changer, soit en imitant un modèle venu d’ailleurs, soit en inventant de toutes pièces un modèle nouveau. Beaucoup des principes de « bonne gestion » des managers ressemblent à ces règles simples (et très génériques) pour bien

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conduire sa stratégie. Elles doivent être appliquées de manière constante et rigoureuse pour produire des effets à long terme sur les stratégies. La stratégie ne supporte pas les changement de cap incessants. Les règles simples doivent être celles de l’organisation, pas celles des hommes qui la dirigent ! Comme l’exprime bien Emmanuel Dandré, PDG de 3 Suisses International : « Nouveau chef de gare, nouveau sifflet » ! La grande question est donc la suivante : comment aider le stratège à changer de cadre et à trouver les changements 2 ? La réponse est sans doute dans la recherche d’une plus grande singularité stratégique.

III - Rechercher la singularité

“ Le propre d’un être vivant, c’est de se distinguer, par son individualité, sa singularité, des autres êtres et de son environnement ” [Morin, 1990].

Stratégie : un concept à repenser Tout est simple dans un monde complexe ! Rechercher la singularité Accepter de sortir du cadre Théorie des affaires et intention stratégique Exprimer du sens par le diagnostic stratégique Gagner le cœur de métier Informer la stratégie En marchant se construit la stratégie

Les modèles, mais aussi les pratiques des stratégies d’entreprises ont tour à tour adopté des logiques de trajectoire (la planification), de positionnement (les matrices stratégiques) ou de stratégies concurrentielles ou génériques (dans l’axe des travaux de M. Porter). De tout temps, les entreprises et les stratèges modélisateurs ont cherché et cherchent encore la pierre philosophale, celle qui leur fera découvrir la “ vraie bonne stratégie ”, soit en sondant le futur, soit en analysant le comportement de celles des entreprises qui ont réussi dans le passé. Ces modes de réflexion sont vains et nombre d’entreprises ont séduit par leur mode de développement original; elles ont pris une place enviée parce qu’elles avaient su et voulu choisir un “ autre mode de développement stratégique ” (Marmuse, 1997). Notre conviction aujourd’hui est celle de la supériorité des approches de la stratégie qui privilégient la singularité plutôt que le conformisme. Les exemples sont nombreux de ces entreprises qui ont réussi parce qu’elles étaient différentes ou plutôt parce qu’elles avaient choisi d’adopter ou d’inventer un nouveau modèle de parcours stratégique. L’exemplarité de certaines trajectoires peut nous inciter à reposer en d'autres termes le paradigme des choix stratégiques. Posons ici les bases de ce paradigme de la singularité, comme point de départ d’une réflexion basée non sur l’étude du plus grand nombre, mais sur celle de l’identification des particularismes spécifiques à chaque organisation.

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1. Définir la singularité stratégique

Le dictionnaire nous apprend que singulier se dit d’une “ chose ou quelquefois d’une personne qui se fait remarquer par quelque trait peu commun, extraordinaire ”. Mais l’idée de singulier (par opposition à pluriel) caractérise aussi l’unicité d’une pratique ou d’un comportement. Dès lors la singularité est le propre de ce qui fait remarquer (et nous verrons plus loin le lien avec les logiques du paradoxe - qui étonne) et qui caractérise, qui différencie un individu ou une chose. En matière de stratégie, on conviendra de définir la singularité à la fois comme le résultat et comme la démarche d’une logique de choix non conforme aux pratiques ou aux modes de pensée habituels. Singularité s’oppose ainsi à conformisme, logique de comportement ou de décision qui se réfère à une pensée commune que l’on adopte par habitude ou par convention. Il s’agit ici tout autant d’un mode de pensée et d’un mode d’action qui régit les choix et les modèles de décision. Ainsi, les modèles hérités du PIM’S ou des matrices de positionnement stratégique sont-ils de nature conformiste en ce qu’ils induisent des comportements hérités d’une logique de pensée commune (matrices) ou des pratiques habituellement efficaces mises en œuvre par d’autres entreprises (PIM’S).

2. Singularité ou différenciation ?

La logique de singularité ne recouvre pas celle de différenciation, largement diffusée depuis les travaux de Michael Porter [Porter, 1982]. Les stratégies de différenciation sont celles qui s’attachent à servir un segment particulier du marché en mettant en avant les spécificités d’un produit, perçues par la clientèle. Elles s’opposent aux stratégies de domination par les coûts liées à des choix de standardisation de produits. Ces logiques de choix sont donc largement liées tant au cadre de logiques dominantes, qu’à une segmentation de clientèle; elles sont souvent trop proches de considérations marketing plus que stratégiques. Un exemple permettra de mieux cerner la distance séparant différenciation et singularité. Dans le milieu des années 80, le secteur de la grande distribution a connu l’avènement du “ hard discount ”. Ces moyennes surfaces, profitant de la baisse du pouvoir d’achat de certaines catégories de clientèles de la distribution, ont choisi une logique de prix bas (domination par les coûts), associée à une

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simplification de l'offre (standardisation) afin d’offrir les prix les plus réduits possible dans une gamme restreinte. Il s’agit là manifestement d’une stratégie singulière en ce qu’elle a remis en cause une logique bien acceptée par tous les distributeurs, lesquels avaient quelque peu oublié le modèle sur lequel ils avaient eux-mêmes bâti leur développement originel, il y a 25 ans. Mais il ne s’agit pas d’une stratégie de différenciation au sens de M. Porter puisque les produits sont, au contraire banalisés et vendus au moindre prix. Il est clair que les stratégies singulières peuvent utiliser les modalités de la domination par les coûts ou celle de la différenciation. Leur originalité tient essentiellement dans le fait de choisir un nouveau modèle de choix stratégique, plus que dans celui de choisir l’une des branches de l’alternative Coûts-Différenciation. Ces stratégies sont dans la nature des choses, l’observation de la vie des entreprises montrant une constante attirance vers ces stratégies non conformes à la logique habituelle. 3M a utilisé la singularité de son mode de management pour construire son développement, tout en jouant les stratégies de différenciation (l’effet de la marque 3M apposée sur les produits, l’innovation du Post It) ou de domination par les coûts (par des stratégies de part de marché sur des produits grand public).

3. Le rôle du temps

La stratégie de la singularité comporte une dimension essentielle liée au temps. En effet, la création d’une ressource stratégique originale (analyse en termes de ressources) implique de pouvoir construire la performance sur cette base et de pouvoir en conserver le bénéfice pendant un temps permettant l’amortissement des coûts de création de cette ressource. Les stratégies singulières ne peuvent se concevoir que dans leur unicité, et donc dans la possibilité de capter l’avantage stratégique de façon durable. Les choix stratégiques de Canal+ permettaient d’asseoir la destinée de l’entreprise sur des avantages stratégiques à long terme : il serait aujourd’hui extrêmement difficile de rebâtir une autre entreprise audiovisuelle sur le même modèle tant les choix réalisés sont spécifiques et difficilement imitables. De même, British Airways s’est-elle dotée d’une capacité de rentabilité avant les autres, ce qui lui a autorisé tous les paris, toutes les nouveautés stratégiques.

De la même manière, Nouvelles Frontières a-t-elle choisi une très forte intégration de ses services et jouissait d’un avantage stratégique notable en matière de coûts. Cette stratégie reste unique en France pour des raisons historiques et structurelles. C’est surtout la carence d’un système de contrôle de gestion et de méthodes de management qui a conduit Nouvelles Frontières à perdre son indépendance, pas le modèle d’intégration qui reste un modèle du

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genre, même s’il possède en lui-même les inconvénients naturels de l’intégration (difficile remise en question, nécessité d’être bon partout, développement de concurrences multiples sur d’autres modèles stratégiques etc.). Les actuelles difficultés de l’entreprise en témoignent.

4. Les risques du métier

Singularité ne rime pas avec sécurité, malgré les apparences ! L’usage d’une stratégie de l’ordre de la singularité implique la prise de risque liée à la recherche d’un effet de surprise. Les stratégies développées ainsi peuvent donc échouer, non parce qu’elles étaient intrinsèquement mauvaises, mais parce que, dans leur complexité, elles possédaient des germes de difficile mise en œuvre : la curiosité a tué plus de souris que de chats, car le chat possède moins de prédateurs naturels que la souris ! Il était assez facile de donner des leçons de stratégie à Air France lorsqu’on a constaté le redressement exemplaire de British Airways ou de Lufthansa. Bien peu des analystes qui font aujourd’hui œuvre de conseillers auraient parié sur les chances de British Airways à la veille de sa privatisation. Le risque a été beaucoup plus faible pour Lufthansa qui a pu profiter des enseignements de la politique de son concurrent afin de mener son redressement.Par contre, quelle que soit la politique des autres compagnies, British Airways restera un modèle d’engagement dans la voie étroite de la stratégie singulière, par exemple en inventant la classe affaires au moment où toutes les compagnies se battaient sur les prix… Cela n’a d’ailleurs pas empêché cette compagnie d’annoncer en mai 2002 ses premiers résultats déficitaires depuis sa privatisation, pour cause de 11 septembre et de ralentissement sensible du marché du transport aérien. Cependant, on observe aujourd’hui que c’est Air France, bâtie sur un modèle original (mi-prive, mi-public) qui tend à tirer son épingle du jeu dans le secteur.

5. Une logique de la création de valeur L’usage d’une stratégie de singularité repose sur la possibilité de créer de la valeur pour un marché (valeur client) alors même que ces marchés n’existent pas encore. Que faut-il pour créer de la valeur ?

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Trois composantes d’une activité concourent à la création d’une valeur pour le client [Collins and Montgomery, 1995] :

• La demande doit pouvoir exister pour crédibiliser la stratégie, de manière réelle ou potentielle. Les études de marché sont ici insuffisantes pour permettre une bonne appréciation de cette demande. Il convient en fait d’anticiper l’apparition d’une demande et de postuler son existence à terme. La dimension risque de ce type de stratégie resurgit ici pour justifier pleinement la logique de singularité • La rareté est sans doute le trait dominant de ce type de stratégie car l’entreprise ne choisit pas la lutte frontale avec les concurrents, mais au contraire elle choisit le chemin difficile des voies détournées ou à tout le moins non conventionnelles. • La pertinence se construit de façon problématique sous la forme de scénarios et de supputations quant à la plausibilité de la stratégie. Elle est un construit qui ne peut se valider au contact des faits, mais uniquement ex- post.

Comme le disait Michael Porter, la valeur, c’est ce que les clients sont prêts à payer. Aujourd’hui, la valeur se crée non seulement par les caractéristiques des produits (qualité, technologie, innovation) mais également de manière virtuelle : la valeur créée par Federal Express ne repose pas seulement sur le service de transport rendu au client, mais également sur l’information donnée à ce même client qui peut suivre en continu l’état d’avancement de la livraison. La valeur virtuelle prend ainsi une importance capitale dans les systèmes utilisant les Technologies d’Information. Mais, la valeur peut également être créée de façon « virtuelle » (Marmuse, 1996)

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• En améliorant la visibilité : le fait que les managers puissent visualiser les étapes de la chaîne de valeur physique induit le développement d’une capacité de réaction par rapport au déroulement des différentes activités. Le service rendu au client est ainsi générateur de valeur par le développement de sa qualité. Tous les services de pilotage de l’entreprise basés sur l’information peuvent tendre à améliorer la visibilité sur la chaîne de valeur. • En transférant des capacités au niveau virtuel : les systèmes de conception assistée par ordinateur ont déplacé la création de produit du monde physique vers le monde virtuel. Il en est résulté une capacité de tests et de visualisation infiniment plus large. Mais il est possible d’aller encore plus loin : les capacités actuelles de transmission de l’information autorisent aujourd’hui à faire fonctionner des équipes virtuelles, c’est à dire des ensembles de personnes localisées à des endroits différent du monde : les équipes de recherche peuvent travailler ensemble (sur leurs écrans d’ordinateur) et travailler au même projet sans être physiquement réunis. L’entreprise « fabless » est celle qui ne comporte plus ni murs, ni ateliers : sur les propositions de créateurs « free-lance », un ingénieur ou un groupe d’ingénieurs conçoit des machines ou des produits qui sont fabriqués par des sous-traitants et livrés directement par ceux-ci à une entreprise de logistique, qui met en œuvre les ordres de livraison aux client désignés par le commercial, lequel peut aussi être un « free-lance » ! • En établissant de nouvelles relations avec les clients : les sites Internet servent aujourd’hui à véhiculer de la publicité et de l’information sur les produits. Dell a utilisé le Web pour offrir de nouveaux services aux clients : le site internet de Dell permet aux clients, à partir de n’importe quel ordinateur personnel de construire un ordinateur « sur mesure » en y intégrant les options proposées par le constructeur.

En France, la société d’assurance de personnes April s’est construite autour d’une nouvelle vision de l’assurance où la transparence a remplacé la complexité des contrats. Cette vision est basée sur un système informatique performant qui permet aux agents répartis sur toute la France de simuler les coûts d’assurance en fonction des demande du client qui se trouve devant eux. Le service nouveau rendu au client (clarté des contrats, instantanéité de l’information, et finalement coût réduit de l’assurance) est un outil de création de valeur au travers d’une chaîne de valeur virtuelle.

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Ces caractéristiques sont également celles des sites d’apprentissage bâtis autour du concept de « e-learning » : des communautés virtuelles regroupent des individus (les étudiants qui ne se rencontrent que rarement et qui sont disséminés dans le monde entier) qui travaillent ensemble en mode synchrone (au même moment) ou asynchrone (aux moments qu’ils choisissent) pour valider des études diplômantes. L’exploitation de la valeur virtuelle n’est pas sans conséquences sur le management de l’entreprise :

- elle permet d’exploiter la loi des actifs numériques : posséder des actifs numérisés (images, sons, vidéos) devient une source d’avantages concurrentiels spécifiques ;

- la notion d’économie d’échelle change de dimension : plus besoin de fonds importants (immeubles) pour créer un magazin virtuel ou une banque en ligne (ce qui permet une entrée dans le secteur moins coûteuse, mais ne garantit cependant pas le succès)

- de nouvelles économies de gamme apparaissent : les produits, tels les ordinateurs de Dell ou d’ACER sont composés ou fabriqués au moment de la livraison ;

- les coûts de transaction peuvent être réduit : l’échange de données informatisées (EDI) permet de nouveaux types de relations entre fournisseurs et client ;

- un nouvel équilibre s’établit entre offre et demande : le client peut visualiser l’offre et faire son choix en connaissance de cause (sites de B to C ou B to B).

IV - Accepter de sortir du cadre

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Le « génie du stratège » selon une expression consacrée de Kenichi Omahe réside sans doute dans cette capacité à décider brusquement de « changer de cap », sans que les concurrents aient perçu cette nécessité.

Lorsque Nokia a décidé d’abandonner toutes ses activités autres que celles du téléphone portable, c’est parce que les dirigeants avaient senti que le ralentissement du marché demanderait des capacité d’innovation encore plus importantes. Les désinvestissements ultérieurs de Philips ou d’Alcatel ont confirmé cette impression. Il est parfois indispensable d’être le plus gros sur un marché très concurrentiel. L’effet de taille est ainsi un critère de succès discriminant dans certaines circonstances. Mais comment faire et pourquoi pour décider de « sortir du cadre » ?

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Les psychanalystes de l’école de Palo Alto ont parfaitement décrit la problématique de la thérapie des problèmes de changement de comportement lorsqu’ils ont distingué changement 1 et changement 2. « Voici un exemple de cette distinction en termes de comportement : en proie à un cauchemar, le rêveur a la possibilité de faire plusieurs choses en rêve : courir, se cacher, se battre, hurler, sauter d’une falaise, etc., mais aucun changement issu de ces actions ne pourrait mettre fin au cauchemar. Dorénavant, nous appellerons cette sorte de changement, le changement 1. La seule possibilité pour sortir du rêve comporte un changement allant du rêve à l’état de veille. Il est évident que l’état de veille ne fait plus partie du rêve, mais représente un changement complet. Cette sorte de changement sera désormais désignée par le terme changement 2 ». (Watzlawick, Weakland & Fisch, 1975). La distinction entre changement 1 et changement 2 est fondamentale en stratégie et les stratèges en ignorent trop souvent la portée.

1. Le changement 1

Le changement 1, c’est toujours un peu de la même chose : on reste dans le même univers, dans la même conception des choses, les modifications sont mineures et ne remettent pas en cause la réalité générale d’un problème. Il en est ainsi dans les évolutions progressives et somme toute mineures dans les produits. Il est extrêmement difficile de changer un modèle de véhicule emblématique de la réussite d’un constructeur (la Coccinelle, la 2 CV, la DS ou la Golf). Tout changement majeur comporte un risque de perte de repères pour une clientèle fidèle ... alors on change sans changer ! La mode est souvent d’ailleurs une logique de changement 1 et ce sont souvent des groupes « marginaux » qui conduisent aux changements radicaux (mai 68). Cela marche bien (car le client est finalement assez conformiste) jusqu’à ce que l’un ou l’autre des concurrents ne se décide à enfreindre les règles du secteur avec des choix technologiques, de design ou de mode de fonctionnement qui sont des paris sur un changement de cadre.

2. Le changement 2

Le changement 2, au contraire du changement 1, nécessite de « sortirdu cadre », de reconsidérer la nature même du problème que l’on a àrésoudre. Le groupe Preussag qui s’appelle désormais TUI pouraffirmer sa nouvelle vocation, était un leader européen dans le

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domaine de la sidérurgie et se trouve être aujourd’hui le leadereuropéen des tour operators ! Changement radical de positionstratégique, réussi, en quelques années, mais au prix de la remise encause radicale de ce qu’est le métier de l’entreprise. De même, BSN, devenu Danone a-t-il radicalement repositionné son activité en passant du verre (concurrent de Saint Gobain) à l’alimentaire en devenant le concurrent de Nestlé (Marmuse, 1996). L’ARTT (Aménagement et Réduction du Temps de Travail) a fait plus de dégâts dans le monde du tourisme que beaucoup n’avaient pu l’imaginer : la disponibilité (légale et obligatoire) de temps de loisir réparti sur toute l’année ouvre des perspectives au tourisme de court séjour et de proximité. Elle limite le recours aux longs voyages et aux périodes de vacances très concentrées. Le cadre a changé de manière inopinée et le secteur du tour operating est contraint de s’y adapter. Ce changement de perspective est parfaitement illustré par l’exercice suivant qui donne invariablement le même résultat tant que ceux à qui on l’applique n’en connaissent pas la solution. Considérons les neuf points suivants. Comment les relier par quatre segments de droite sans que le crayon ne quitte le papier ?

« Presque tous ceux qui rencontrent ce problème introduisent une hypothèse qui rend la solution impossible. Ils pensent, en effet, que les points forment un carré et que la solution doit s’inscrire dans ce carré, s’imposant ainsi une condition que l’énoncé ne comporte pas. Leur échec, par conséquent, n’est pas dû à l’impossibilité de la tâche, mais à la solution choisie. Une fois qu’ils ont ainsi créé le problème, ils ont beau essayer toutes les combinaisons de quatre lignes, et dans n’importe quel ordre, à la fin il reste toujours un point qui n’est pas relié aux autres. Ce qui signifie que, même en utilisant toutes les possibilités de changement 1 à l’intérieur du carré, ils ne résoudront pas le problème. La solution serait pour eux un changement 2, qui consiste à dépasser ce champ (Watzlawick, Weakland & Fisch, 1975)

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Sortir du cadre, cela veut dire remettre en cause l’appartenance même des solutions à une certaine classe de problèmes. Traiter la pollution en utilisant un pot catalytique, c’est adopter un changement 1 car la solution n’empêche pas le moteur de polluer, il en supprime les effets, de façon imparfaite et coûteuse. Par contre, réinventer le moteur avec cette hypothèse de non pollution serait une logique de changement 2, beaucoup plus efficace, mais également beaucoup plus difficile ! Il faut donc savoir repartir d’une feuille blanche pour créer un nouveau cadre propice à générer des espaces de solutions nouveaux. C’est la tâche à laquelle s’attaque plus d’un créateur d’entreprise qui invente ou réinvente un métier en recherchant une autre manière de concevoir et de fabriquer des produits. Pour résoudre le problème posé précédemment, il « suffit » d’accepter que les neuf points ne constituent pas un univers clos, et qu’en sortant du cadre (littéralement) on entrevoir une solution satisfaisante. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de s’apercevoir que la solution est maintenant évidente, et interdit en même temps de revenir à la logique précédente trop restrictive.

Sortir du cadre pour résoudre un problème insoluble…

Une solution « évidente », comme toutes les grandes idées stratégiques, après qu’elles aient été mises en œuvre par leurs géniaux initiateurs !

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V - Théorie des affaires et intention stratégique

1. L’intention stratégique, moteur des choix de l’entreprise

Stratégie : un concept à repenser Tout est simple dans un monde complexe ! Rechercher la singularité Accepter de sortir du cadre Théorie des affaires et intention stratégique Exprimer du sens par le diagnostic stratégique Gagner le cœur de métier Informer la stratégie En marchant se construit la stratégie

"Les sociétés qui sont arrivées à un leadership global au cours des 20dernières années ont toutes débuté avec des ambitions qui étaientsans proportion avec leurs ressources et capacités. Mais elles ontutilisé une obsession de gagner à tous les niveaux de l'organisation etelles ont entretenu cette obsession au cours des 10 ou 20 ans au coursdesquels elles ont conquis ce leadership global. Nous appelons cetteobsession «strategic intent». D'un côté, le «strategic intent» imagine une position de leadershipdésirée et définit le critère que l'organisation utilisera pour évaluerses progrès. Komatsu a choisi d'«encercler Caterpillar». Canon adécidé de «battre Xerox». Honda a voulu «devenir un second Ford, unpionnier de l'automobile». Tous sont des expressions de l'intentionstratégique. Dans le même temps, l'intention stratégique est plus qu'une simpleambition sans contrainte. Plus d'une entreprise possède une intentionstratégique ambitieuse, mais échoue dans ses objectifs. Le conceptsuppose également un processus actif de management qui inclut :polariser l'attention de l'organisation sur l'essence de la victoire;motiver les gens en communiquant la valeur de l'objectif; laisser laplace aux contributions individuelles et collectives; maintenirl'enthousiasme en proposant de nouveaux ajustements opérationnelslorsque les circonstances changent; et utiliser la cohérence del'intention pour guider l'allocation des ressources" (Hamel etPrahalad, 1989).

L’idée d’intention stratégique est une pratique très ancienne des entreprises (la volonté qui soulève des montagnes) mais qui n’a été mise en exergue que dans les années 90, avec les travaux de Gary Hamel et C. K. Prahalad. Observant les raisons qui ont conduit à l’hégémonie de certaines entreprises japonaises dans leur secteur, ils ont fait ce constat suivant de la prééminence de l’intention stratégique dont les caractéristiques essentielles peuvent être définies ainsi: - L'intention stratégique se nourrit de l'ambition de gagner - L'intention stratégique est stable au cours du temps - L'intention stratégique définit un but qui canalise l'effort personnel et l'implication

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En quelque sorte, cette idée s'apparente à la force qui déplace les montagnes… Il faut la distinguer d'une logique de planification qui définit une cible précise que l'on peut atteindre. On ne peut en effet pas planifier une stratégie globale à long terme : alors que le «strategic intent» est systématique sur les fins, il est flexible dans les moyens, laissant la place à l'improvisation (à la "stratégie du potier" dirait H. Mintzberg !).

G. Hamel

C.K. Prahalad

Les moyens à mettre en œuvre pour développer cette philosophie des affaires sont très spécifiques et peuvent se résumer dans l'exemple évocateur suivant :

The Sillicon Valley approach to innovation : Put a few bright people in a dark room, poor in money, and hope.

(Hamel et Prahalad, 1989) Plus précisément, le management se doit de mettre en application les conseils suivants : - Créez le sens de l'urgence. - Développez une focalisation concurrentielle par un large usage de l'intelligence concurrentielle. - Donnez aux employés les compétences dont ils ont besoin pour travailler efficacement. - Mettez en place des mécanismes clairs d'évaluation d'étape et de remise en question. L'un des messages importants donné par Hamel et Prahalad est le suivant : l'essence de la stratégie est la capacité à créer les avantages compétitifs de demain plus vite que les concurrents n'imitent ceux que l'on possède aujourd'hui. Une version plus moderne de la courbe d'expérience du BCG !

2. La théorie des affaires comme référentiel de pensée

L’idée de “ théorie des affaires ” a été proposée par Peter Drucker pour exprimer le malaise de certaines entreprises (à la recherche de leur modèle) et l’inefficacité des outils du nouveau management (downsizing, outsourcing, total quality management ou reengineering) en matière de développement d’entreprise (Drucker, 1994).

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Cette idée se retrouve chez plusieurs auteurs ou managers dans les concepts de « business model » ou de « principes d’action ». Selon Drucker, la théorie des affaires explique à la fois le succès de sociétés comme General Motors ou IBM, qui ont dominé l’économie américaine pendant la dernière moitié du vingtième siècle, et les challenges auxquels elles ont été confrontées. En fait, beaucoup des difficultés d’entreprises sont dues au fait que leur théorie des affaires ne fonctionne plus dans l’environnement qui est le leur. Par exemple, le principe de diversification qui bute sur les conséquences d’une trop grande dispersion ; ou encore la croyance dans une croissance continue du marché du téléphone portable qui ne tient pas compte d’une rapide saturation du marché (une partie significative des utilisateurs souhaitant des matériels de base leur permettant de téléphoner, sans plus…) Un théorie des affaires (celle à laquelle toutes les entreprises devaient réfléchir en permanence) comporte trois éléments clés : les hypothèses sur l’environnement de l’entreprise, celles qui concernent sa mission et celles qui concernent les compétences nécessaires à l’exercice du métier.

2.1. des hypothèses sur l'environnement de l'organisation

L’entreprise doit se représenter en permanence ce que sera son environnement dans les prochaines années. Même si l’on accepte que la prospective est difficile ou qu’elle peut réserver des surprises, il demeure nécessaire d’imaginer ce que pourrait être l’environnement des secteurs d’activité dans lesquels l’entreprise exerce ses métiers. Ces hypothèses concernent notamment les domaines suivants :

• L’évolution des technologies : quelle modifications majeures pourraient influer sur nos activités ?

• Les évolutions sociologiques : quelles conséquences peuvent avoir les évolutions de modes de consommation sur le secteur de la VPC (développement des centres commerciaux, dévelop-pement de l’usage de la voiture, utilisation d’internet etc.) ?

• Les évolutions sociales : développement de la réduction du temps de travail (en France !), modes et styles de vie,

• Les évolutions économiques : mondialisation, taux d’intérêt, croissance etc.

On pourra ainsi bâtir des scénarios relatifs aux types d’environnements futurs de l’entreprise (Marmuse, 1996). Chaque scénario comportera des hypothèses sous-jacentes et tentera de préparer les esprits à une certaine forme d’organisation des environnements.

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C’est ainsi que les visions du constructeur Airbus se sont révélées être radicalement différentes de celles de son concurrent Boeing dans la réflexion sur l’avion du futur. Airbus a conçu le projet A380 (mise en service prévue en 2006) alors que Boeing n’a pas jugé qu’il était nécessaire de faire autre chose que d’améliorer le B747. En réalité, c’est notamment le constat de l’encombrement des couloirs aériens (surtout en Europe et en Asie) qui a été à l’origine de ces choix, Le concurrent Boeing étant peut-être encore trop attaché (comme beaucoup des entreprises américaines du reste) à son marché intérieur. Le modèle est alors celui d’un très gros porteur qui pourra, y compris sur des lignes intérieures, remplacer plusieurs avions plus petits qui occupent chacun un créneau aérien. Mais, la réflexion a été également celle de la nécessité de disposer d’avions de transport de fret de taille plus importante, en lien avec la mondialisation des marchés et avec le besoins de livraisons plus rapides. D’où la commande d’un ensemble d’avions A380 par la société Fedex, premier transporteur aérien de fret. La question : que sera notre environnement dans 5 ou 10 ans ? Faut-il changer de pratique, de métier ou quitter cet environnement ? De nouveaux environnements vont-ils apparaître et créer de nouvelles opportunités ?

2.2. Les hypothèses sur la mission spécifique de l'organisation Marks et Spencer définissaient la mission de leur entreprise comme étant d’être l’agent de changement de la société britannique en devenant le premier des distributeurs. De là sans doute est venu le succès, mais aussi l’échec dans les autres pays où le style « british », après avoir été une mode, n’était plus qu’une illustration d’une culture un peu surannée, venant d’un pays à la marge de l’Europe… Les hypothèses sur la mission sont ainsi des présupposés que pose l’entreprise quant à l’objectif de base qu’elle essaie d’atteindre. La mission d’une société d’assurance mutuelle ne peut être la même que celle d’une société d’assurance de type non sociétaire qui doit défendre les intérêts de ses actionnaires (mission liée à des principes de gouvernance), là ou la mutuelle défend ceux de ses sociétaires qui, sans être actionnaires sont largement intégrés au mécanisme de fonctionnement de l’entreprise. De même, il existe dans le secteur alimentaire des sociétés de type coopératif qui, outre qu’elles entrent en compétition avec des sociétés de capitaux, se donnent comme mission de « favoriser » les intérêts de ceux qui sont à la fois les décideurs et les premiers partenaires (en position de fournisseurs notamment dans le secteur des produits laitiers). La cas de la société coopérative Sodiaal en est un bel exemple.

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Premier groupe coopératif français, Sodiaal et ses marques appartiennent à 13 500 agriculteurs producteurs de lait. Sodiaal, qui collecte chaque année 2,3 milliards de litres de lait (plus de 10% de la collecte française) dans 62 départements français, est présent sur l'ensemble des grands marchés de la transformation laitière au travers de quatre branches spécialisées par métiers. Yoplait pour les produits laitiers frais (yaourts, crème fraîche, desserts lactés, fromages frais, substituts de repas...) Cedilac-Candia pour les laits de consommation (lait frais, lait UHT entier, demi-écrémé, écrémé, laits à teneur garantie en vitamines, boissons lactées, laits supplémentés pour enfants en bas âge, substituts de repas...) Les Fromageries Riches Monts pour les fromages (camemberts, bries, fromages AOC et terroir, spécialités fromagères, raclettes, fondues, fromage à tartiflette...) Sodiaal Industrie pour tous les produits industriels et ingrédients laitiers (beurres conditionnés, beurres concentrés, caséine et caséinates, protéines du lait, laits et produits laitiers en vrac, produits laitiers formulés...) Grâce à son savoir-faire et à une capacité d'innovation reconnue, Sodiaal a construit, en France et à l'étranger, des marques de premier plan. La question : Quelle est notre mission ? Pourquoi existons nous ?

2.3. Les hypothèses sur les compétences clés nécessaires à l'accomplissement de la mission.

Lorsque les hypothèses sur la mission et sur la nature de l’environnement ont été formulées, il devient indispensable d’identifier les compétences dont nous aurons besoin pour exercer notre métier dans les meilleurs conditions. Ces compétences définissent la nature du cœur de métier (voir ce thème plus loin) et rendent nécessaires des décisions dans les domaines suivants :

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• Recherche fondamentale si les éléments de connaissance de base n’existent pas : par exemple le décryptage du génome pour construire la future industrie du médicament génétique.

• Recherche appliquée pour transférer les connaissances dans notre domaine d’activité : comment utiliser les nanotechnologies ou les nouveaux matériaux issus de la recherche spatiale ?

• Formation des personnels à mettre en place très en amont des applications, qu’il s’agisse de compétences fonctionnelles (les modes d’organisation issus de l’ARTT) ou opérationnelles (choix de nouveaux processus d’organisation de la production, modes de recrutement basés sur les « habiletés » plutôt que sur les qualifications liées au diplôme etc.).

• Investissements de production qui peuvent demander des délais très longs (dans l’automobile, dans l’aéronautique, dans l’informatique et les réseaux …).

• Communication et publicité pour faire comprendre les orientations de l’entreprise et « vendre » un nouveau concept ou un nouveau procédé.

• Nouveaux types de management nécessaires à l’accom-plissement de la mission (organisation autour des processus, travail en réseau ou à distance, groupes de travail, entreprise virtuelle etc.).

La question : de quoi l’organisation aura-t-elle besoin pour que notre théorie des affaires fonctionne ? Dans quel délai faut-il faire évoluer les esprits et les compétences ? Au delà de ces composantes, une bonne théorie des affaire doit répondre à quatre spécifications : 1 - Les hypothèses sur l’environnement, la mission et les compétences clés doivent coller avec la réalité => validation des scénarios et recherche de cohérence et de faisabilité. 2 - Les hypothèses sur ces trois domaines doivent être cohérentes entre elles => repositionnement du métier, choix d’un autre métier, décisions de croissance externe. 3 - La théorie des affaires doit être connue et comprise dans l’ensemble de l’organisation => politique de communication interne. 4 - La théorie des affaires doit être testée en permanence => développer une capacité de remise en question pouvant aller jusqu’à des changements radicaux (changements de type 2 présentés précédemment).

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VI - Exprimer du sens par le diagnostic stratégique

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Lorsque, le 21 janvier 1998, Jean-Martin Foltz réunit les 500 cadresde PSA à la Cité des Sciences de la Villette, l’état d’urgence estdéclaré dans un groupe où l’on estime déjà les pertes de l’exercice1997 à 2,5 milliards de francsi. La “ vision ” du nouveau dirigeant dePeugeot s’avère radicalement différente de celle de son prédécesseur,remplacé en juillet 1995. Jacques Calvet était convaincu de rester leseul en Europe à contenir l’invasion des Japonais et à défendre desvaleurs de tradition dans ce groupe automobile. Jean-Martin Foltz,quant à lui, a mis le doigt sur les errements d’une direction qui acertes pratiquement réduit l’endettement à zéro, mais qui a aussilaissé la marque Peugeot perdre du terrain et délaisser l’innovation. Saposture est celle de l’industriel, formé à la pratique de la productionet qui, n’étant pas immédiatement concerné par la stratégie du groupe,a pu découvrir d’autres approches des phénomènes et des règles deconcurrence. Le diagnostic fait par ces deux hommes diffèreprofondément et, partant, la manière d’élaborer les règles d’action quien découlent.

Pourquoi ces deux visions sur une même entreprise à six moisd’intervalle, c’est-à-dire dans un laps de temps qui n’a pas suffi àchanger complètement l’environnement concurrentiel ? Comment deuxdirigeants successifs d’un même groupe peuvent-ils appréhender defaçon aussi radicalement différente les atouts et faiblesses d’uneentreprise œuvrant dans un marché éminemment concurrentiel etmondial ?

Ce cas (au même titre que bien d’autres d’ailleurs) nous conduit à réfléchir à la manière de poser un diagnostic stratégique en situation d’incertitude comme une démarche de construction de sens (quel sens doit-on donner aux signes observables dans l’environnement et dans l’entreprise ?) bien plus que comme une simple méthode d’observation du réel et de déduction des traits les plus saillants (Marmuse, 1999). En effet, la différence essentielle entre les approches de Jacques Calvet et de Jean-Martin Foltz résulte de la manière dont ils se représentent, dont ils interprètent, une situation qui se modifie sans cesse. Leur mise en perspective est différente, car ils n’ont pas la même histoire dans l’entreprise. Leur point de vue, à chacun, pourrait se défendre, car aucune certitude ne peut exister sur ce qu’il conviendrait de retenir comme vision prospective. Ce ne sont pas les phénomènes qui donnent raison à tel ou tel dirigeant. Ce sont les visions qu’ils ont de la réalité concurrentielle de leur environnement et de leur entreprise qui concourent à créer le monde stratégique au sein duquel ils vont tracer leur chemin [Avenier, 1997].

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1. Le diagnostic stratégique est la construction d’une représentation Le diagnostic se définit, d’une façon générale comme un “ jugement porté sur une situation, sur un état ”ii. Si l’on peut s’accorder sur le résultat auquel on souhaite aboutir, il n’en va pas de même de la méthode : en effet, les méthodes d’élaboration du diagnostic d’entreprise foisonnent et se résument parfois au simple énoncé de la recherche des forces et faiblesses de l’entreprise. L’approche classique dite LCAG, due à l’école d’Harvard, pose le principe du diagnostic préalable à l’identification des possibilités d’action stratégique. Cet aspect séquentiel ne va pas sans poser de problème et ne correspond pas réellement à l’observation de la vie des entreprises. L’hypothèse sur laquelle nous nous basons est celle d’un diagnostic conçu comme processus d’intelligence stratégique [Marmuse, 1996]. Le diagnostic est ainsi l’intelligence d’une situation qui doit conduire à des choix de nature opérationnelle (remettre l’entreprise dans une situation désirée) ou de nature stratégique (réorientations, choix de développement, mouvement stratégique). Le diagnostic, dans sa dimension stratégique est fondamentalement contextuel, centré sur l’action et doit conduire à l’élaboration à la construction d’une conviction. Ceci se démarque d’une importante littérature de gestion qui verrait le diagnostic comme le révélateur rationnel et définitif de réalités sous-jacentes à l’action, basé notamment sur l’observation du secteur, des forces concurrentielles ou de la performance passée des concurrents. Comme le note A-C. Martinet : “ le diagnostic stratégique n’est autre que l’énoncé provisoirement stabilisé et acceptable (cognitivement et politiquement) par les participants au processus. […] Il est dès lors obligatoirement la résultante d’un processus analytique — études et approches cherchant à “ photographier ”, “ faire parler ” le territoire —, d’expérimentations — par l’évaluation des actions antérieures —, de mises en scène et de négociation de ces mises en scène ” [Martinet, 1998]. Contrairement à l’approche classique déjà évoquée, le diagnostic stratégique n’est pas une étape préalable à la stratégie, mais bien un processus intégré où l’action se mêle à la construction d’une interprétation, d’une représentation, elle-même source d’inspiration stratégique. De plus en plus émergent, ce processus résulte de la conjonction de visions multiples au sein de l’entreprise et non plus du travail de réflexion discontinu d’un groupe d’experts de la stratégie. Il

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peut être guidé par l’intervention d’un conseiller extérieur ; il est toujours révélation de choix implicites de l’organisation. La vision de l’entreprise, commune, collective, conflictuelle, se construit ainsi, “ chemin faisant ” comme l’exprime Marie-José Avenier, sans que l’on ne s’arrête en chemin pour découvrir rationnellement le chemin à prendre, lequel se construit en marchant [Avenier, 1997].

2. Le diagnostic stratégique présente une réalité multiforme Le diagnostic, au même titre que la stratégie, reste un concept ambivalent : le mot représente en effet à la fois le processus (le diagnostic “ en cours ”) et le résultat de ce même processus (le diagnostic comme “ opinion ” sur une situation). La double interprétation de la nature du diagnostic stratégique implique que la recherche qui en résulte ne peut se limiter à l’étude de situations pour espérer une explication définitive des phénomènes observés. Le processus de diagnostic apparaît ainsi comme celui qui, pour un observateur subjectif, dessine une représentation des situations, laquelle prend un sens par rapport à une vision générale de l’entreprise et de son environnement. Le diagnostic apparaît alors comme une démarche de “ construction de sens ” permettant la représentation subjective d’une situation complexe, organisationnelle et politique. Il n’a de signification que par rapport à un contexte d’action dont il est inséparable. Comment vouloir séparer, en effet, la pratique diagnostique d’une implication dans l’action, comme si l’observateur pouvait être neutre par rapport à l’objet de son observation ? Lorsque Jacques Calvet construisait sa vision de PSA, c’était bien par rapport à une conception personnelle de ce que devait ou pouvait être un constructeur automobile européen (voire français) : intégré, autonome, industriel, traditionnel et indépendant. De là découlèrent un certain nombre de mises en actes qui relevaient d’un diagnostic orienté et centré sur la politique générale sous-tendant toute l’action du dirigeant. Mais c’est aussi une démarche qui s’inscrit dans une perspective historique : justification ex post des décisions passées, renforcement des choix implicites par une reconstruction des situations passées et contraintes d’autoréférences qui interdisent ou limitent dramatiquement une remise en question radicale des présupposés. Très souvent, ce n’est d’ailleurs que lorsque les dirigeants changent, que les orientations générales de l’entreprise sont révolutionnées. Il ne s’agit pas ici d’évoquer les qualités ou compétences personnelles des managers, mais bien le fait qu’il leur est souvent difficile, voire impossible, de remettre en question radicalement leur propre vision du monde et de l’entreprise. C’est donc bien la nature ambivalente du diagnostic stratégique qui nous incite à nous le représenter comme une pratique de construction de sens.

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3. Du diagnostic à la construction de sens

“ Dans la pratique du monde réel, les problèmes ne se présentent pas d’eux-mêmes au professionnel comme des données. Ils doivent être construits à partir des matériaux de situations problématiques qui sont curieux, troublants et incertains. Pour transformer une situation problématique en problème, un professionnel doit effectuer un certain travail. Il doit donner du sens à une situation incertaine qui, initialement, n’en a pas ” [Weick, 1995]. Le leader, dans une organisation, devient ainsi un sense-giver, en désignant (au sens du mot design) le sens qu’il convient de donner aux situations pour en faire des problèmes. On peut s’interroger sur le constat fréquent de l’extrême difficulté de remettre en question un diagnostic élaboré par un individu, par “ l’autre ”. Une information contraire à une représentation ne remet d’ailleurs pas en cause la construction elle-même, mais elle concourt à élaborer une explication, une interprétation : si ce que l’on avait prévu ne marche pas, ce n’est pas parce que l’entreprise ou le décideur s’est trompé, mais parce que les autres (les concurrents, l’environnement ou la réglementation…) ont œuvré à notre perte. Le sens donné aux choses est difficile à remettre en question, sauf si l’on change aussi celui qui est l’auteur de cette construction de sens. La vie de l’entreprise est, à cet égard, un excellent révélateur de ce constat. L’approche diagnostique, par exemple dans une situation de crise ou de difficulté d’entreprise, n’est jamais neutre. Les solutions s’entrechoquent, se contredisent puis se construisent, au fur et à mesure, et en même temps que le problème se révèle à la conscience des acteurs.

Il n’y a jamais de solution qui soit bonne a priori. Il y a des solutions apportées par les acteurs, qui projettent ainsi leurs intentions, leurs craintes et leurs discours. Selon K. E. Weick, le processus de construction de sens se combine, , en sept carac-téristiques essentielles dans lesquelles nous insè-rerons notre vision du diagnostic stratégique.

3.1. Un ancrage dans la construction d’identité : La construction de sens implique l’existence d’un “ donneur de sens ”. Cette affirmation, que l’on peut tenir pour évidente, met le décideur, l’analyste — toujours singulier — au cœur du processus. Cet acteur est certes singulier, mais il n’agit pas comme un individu unitaire. L’individu

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est un puzzle en redéfinition perpétuelle (« un parlement de moi »). Plus l’individu (le manager) sera composite et plus il pourra accéder à des significations qu’il pourra extraire et imposer dans certaines situations. L’individu est ainsi lui-même multivalent. Son approche du diagnostic en sera donc fortement affectée en lui conférant un caractère d’ambiguïté essentielle. Reprenons l’exemple de PSA. Lorsque Jacques Calvet effectue le diagnostic de la situation de son entreprise, il est lui-même partagé entre des ancrages identitaires multiples : le politique (attitude générale vis-à-vis du libre-échange et précisément de la concurrence japonaise), le technologique (le réflexe du not invented here), le social (une conception relativement autoritaire des rapports sociaux) ou les rapports avec un actionnariat familial spécifique (gouvernance). Les orientations prises sont alors des compromis entre des tendances multiples de sa propre identité, d’un manager arlequin par essence. À l’opposé, son successeur, issu de et intégré à l’organisation, présente une « carte cognitive » [Lauriol, 1998 ; Laroche et Nioche, 1994], peut-être tout aussi variée, mais en tout cas différente. Le diagnostic ne peut alors être le même car l’ancrage identitaire orientera la pensée et donc l’action en d’autres directions.

3.2. Un processus de reconstruction rétrospective

Le passé tend à capturer la réalité que l’on peut connaître. Le temps se constitue en une durée pure, comme un courant d’expériences unique, mais également en une série de segments discontinus. Ce passé intégré sert de substrat à la construction d’une référence historique : notre démarche de diagnostic est ainsi une démarche de reconstruction du passé, à la lumière des situations perçues d’aujourd’hui. Il est important de noter que, puisque plusieurs projets existent à un moment donné, plusieurs significations possibles vont apparaître de manière concomitante : Il y a trop de sens différents et non “ pas assez de sens ”. Le problème du diagnostic est celui de l’équivoque, non celui de l’incertitude ; celui de la confusion, pas celui de l’ignorance. C’est l’équivoque qui déclenche l’organisant [Koenig, 1996]. Ceci nous conduit à accepter le fait que le sens change avec les modifications de projets et d’objectifs. Le diagnostic est une re-construction rétrospective d’éléments mémorisés, et la différence de passé entre deux membres de l’organisation les conduira, peut-être pour cette seule raison, à des conclusions radicalement diffé-rentes. Ainsi, Jean-Martin Foltz, arrivé beaucoup plus tardivement chez PSA, et ayant une position différente dans le groupe, ne peut-il que développer une reconstruction différente de celle de son prédécesseur, une réinterprétation des phénomènes passés (de certains phénomènes) dont il a la connaissance ou la mémoire. De

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même, le moment différent où le diagnostic est posé conduit obligatoirement à des différences de vue entre les deux hommes. La construction de sens s’enracine ainsi dans un processus rétrospectif qui implique une reconstruction du passé. Le diagnostic stratégique n’échappe pas à la règle : nous voyons ce que notre conscience du passé nous permet de voir. Nous ne voyons pas, nous ne pouvons pas voir, ce que nous avons occulté de notre passé.

3.3. Un processus de mise en scène (« enactment ») L’action et l’activité cognitive sont inséparables : les membres d’une organisation sont en partie les producteurs de l’environnement auquel ils font face. Ils ne sont pas complètement dissociés de leur environnement ; l’action, (la “ mise en scène ”) est cruciale pour la compréhension des situations. Le nouveau patron de PSA a construit sa vision de l’entreprise dans son environnement dès le moment où il en était le patron. Il a préparé cette vision, en étant lui-même partie intégrante de l’organisation, elle-même insérée dans l’environnement. Il s’est aussi positionné en différence par rapport à l’ancien patron : “ Le processus de compréhension émerge du besoin pour les individus de construire un ordre de faits externes ou de reconnaître qu’il existe une réalité externe dans leurs relations sociales ” [Ring, Van de Ven, 1989]. L’intervention de Jean-Martin Foltz le 21 janvier 1998, devant les 500 cadres de PSA, et dans le site de la Cité des sciences est tout à fait révélatrice de cette nécessité de mise en scène.

Il s’agit de faire partager une vision sur l’avenir de l’entreprise, donc de mettre les acteurs “ en scène ” en un même lieu qui structurera ensuite l’histoire du processus. Le choix d’un lieu représentatif de la

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technologie et de la recherche est ainsi complètement associé à l’une des hypothèses de transformation de l’entreprise.

3.4. La dimension sociale et organisationnelle La construction de sens est un processus social : la conduite est contingente à la conduite des autres, que ceux-ci soient imaginés ou physiquement présents. Dans tout processus de diagnostic, la représentation de l’environnement social (les autres, les concurrents et leurs stratégies) est un élément fondamental de la démarche de construction. Le diagnostic n’est donc jamais indépendant de la structure au sein de laquelle il prend corps. Certains diagnostics sont « acceptables » par une organisation et pas par une autre.

3.5. Un processus “ en cours ” Les gens sont toujours “ au milieu des choses ” : la construction de sens ne commence jamais, elle est “ en cours ”. L’implication des managers dans l’action les conduit à gérer conjointement de multiples projets et à être influencés par des changements continus dans leur attention. Si Jacques Calvet a insisté sur la concurrence japonaise ou sur la discussion autour du moteur propre (et du diesel), c’est bien parce que ces débats étaient les plus forts au moment où il avait à construire sa vision de développement. De même, c’est parce qu’il avait anticipé une chute de la livre sterling (après la victoire de Tony Blair aux élections en Grande-Bretagne) qu’il avait demandé aux banques de lui garantir une livre à 9 francs. La montée de la livre à 10 francs a ainsi été à l’origine d’une perte conséquente, provisionnée par son successeur pour 1,45 milliard de francs !. Aujourd’hui, PSA est confronté à des concurrences allemandes (groupe Volkswagen organisé autour de plates-formes communes) et françaises (les innovations de Renault et les ratés du Berlingot face au Kangoo), il en découle des choix différents (notamment sur le choix des plates-formes communes) qui ne sont cependant pas à l’abri des effets de mode.

3.6. Un processus sélectif Notre capacité à créer du sens à partir de l’observation d’un contexte dépend largement de la manière dont nous extrayons des signaux comme inputs de notre processus de compréhension. Comment fait-on pour remarquer, extraire des signaux et caractériser ce que nous choisissons d’extraire ? Les éléments sélectionnés sont des structures simples et familières qui sont “ récoltées ” et que les gens développent de façon plus large que ce qui se passe habituellement. Le contexte

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affecte ce qui est extrait et il affecte l’interprétation de ce qui est extrait. En réalité, le rôle d’un manager est de donner confiance, même s’il n’a pas lui-même la solution face à un problème. Celle-ci peut surgir de la mise en action des membres de son équipe qui imaginent que leur leader connaît la voie à suivre. K. E. Weick évoque à ce sujet ce que rapportait le prix Nobel A. Szent à propos de manœuvres qui se passaient en Suisse : “ Le jeune lieutenant d’un petit détachement Hongrois dans les Alpes décida d’envoyer un groupe de reconnaissance dans un environnement hostile. Il commença à neiger et la neige continua de tomber pendant deux jours. La patrouille ne revint pas. Le lieutenant craignait d’avoir envoyé ses hommes à la mort, mais la patrouille revint le troisième jour. Qu’avaient-ils fait pendant tout ce temps ? Comment avaient-ils trouvé leur chemin ? “ Oui dirent-ils, nous nous sommes vus perdus et attendions la mort. C’est alors que l’un d’entre nous trouva une carte dans sa poche. Ceci nous calma tous. Nous installâmes le camp pour laisser la tempête se calmer et ensuite, avec la carte, nous nous réorientâmes. Et nous voici “. Le lieutenant demanda à emprunter cette carte remarquable et la regarda attentivement. À son grand étonnement, il découvrit qu’il s’agissait d’une carte des Pyrénées et non des Alpes ! ”.

Dans le cas du diagnostic stratégique, il n’est pas toujours possible d’assurer que la voie est la bonne. Les signaux détectés et mis en exergue pour “ mettre en action ” sont le point important, même s’ils ne sont pas adaptés à la situation. Ils servent de déclencheurs. Tout point de référence fera l’affaire [Fiegenbaum, Hart, Schendel, 1994]. Le diagnostic révèle une “ orientation ” et donc participe à la remise en marche de l’organisation. Dans cette acception, il constitue la “ révélation ” d’une représentation de la réalité qui donne une impulsion pour une orientation “ problématique ” de l’action. Il ne donne pas la solution aux problèmes qui vont naître de cette remise en action.

3.7. Le référentiel du plausible Dans le langage courant, la notion de sens évoque peu ou prou la recherche d’une certaine forme de “ vérité ” ( “ le sens des mots ”, “ donner un sens à la vie ” etc.) fût-elle personnelle. On a peut-être trop souvent tendance à associer à cette recherche de sens, celle

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d’une réalité, du “ vrai ” sens des choses ou des mots. En matière de diagnostic stratégique, la recherche de “ vérité ” n’est pas forcément du domaine du possible (est-on jamais en position de garantir qu’une seule vision des choses soit vraie ?), même si cela peut sembler efficace. A contrario, le raisonnement plausible n’est pas forcément correct, mais il correspond aux observations, même de façon imparfaite. Le raisonnement est alors basé sur une information imparfaite (plusieurs approches plausibles peuvent ainsi se justifier à un moment donné, au regard des signes observables d’une situation en évolution permanente). Tous ceux qui, managers, dirigeants ou conseillers, ont eu à animer la production d’un diagnostic stratégique, savent combien il est important de débuter la réflexion avec des approches très provisoires et fort discutables [Marmuse, 1996]. C’est précisément ce caractère “ discutable ” qui confère au processus de diagnostic ses caractéristiques de construction de sens : le sens se crée, émerge [Mintzberg, 1987], à partir des représentations plausibles de la réalité. “ La force de la construction de sens, c’est qu’elle ne repose pas sur l’exactitude et son modèle n’est pas la perception de l’objet. Au contraire, la construction de sens est concernée par la plausibilité, le pragmatisme, la cohérence, le raisonnable, la création, l’invention et le caractère instrumental ” [Weick, 1995]. Pour anticiper sur des possibilités futures, les managers ont besoin d’avancer de façon plausible, là où la recherche d’une hypothétique vérité serait sans doute un frein à la construction de sens et à l’interprétation des phénomènes réels. La démarche générale de construction de sens permet ainsi de donner une ampleur nouvelle à la pratique du diagnostic, notamment en lui ôtant ses caractéristiques trop souvent évoquées de recherche d’une vérité ontologique. On constate ainsi que le diagnostic stratégique est avant tout une démarche (aspect procédural) qui est intimement connectée avec l’action et qui ne peut ni se fixer à un moment donné, ni s’arrêter après qu’il ait été formulé. Les caractéristiques de la construction de sens permettent de mieux interpréter une démarche qui reste complexe et ambivalente.

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VII - Gagner le cœur de métier

Stratégie : un concept à repenser Tout est simple dans un monde complexe ! Rechercher la singularité Accepter de sortir du cadre Théorie des affaires et intention stratégique Exprimer du sens par le diagnostic stratégique Gagner le cœur de métier Informer la stratégie En marchant se construit la stratégie

Les années récentes ont vu de nombreuses entreprises décider de serecentrer sur leur « métier de base » : c’est Nokia qui abandonnetoutes ses activités autres que le téléphone portable (bien avant ladéprime du secteur de la téléphonie), c’est Philips qui abandonnel’électroménager et se recentre sur ses activités traditionnelles (etqui décide d’arrêter la fabrication de téléphones portables !) ouencore Alcatel qui décide de ne plus fabriquer aucun produit pour seconcentrer sur des tâches de conception (en cédant toutes sesusines, y compris les plus modernes). De même Danone abandonne-t-ilquelques unes de ses activités pourtant rentables (la bière ou laconfiserie par exemple) pour concentrer ses ressources sur desactivités où le groupe tient des positions de leadership (eauxminérales, produits frais).

Par contre, l’appétit sans limite de Jean-Marie Messier qui a fait de Vivendi un complexe multi-activités a conduit au désastre et à un endettement sans mesure. La stratégie n’est donc sans doute plus celle que développaient les célèbres conglomérats des années soixante-dix, copiés, mais un peu tard, par certains groupes coréens aujourd’hui en faillite financière. Même si l’analyse concurrentielle garde tout son intérêt, les entreprises tendent aujourd’hui à concentrer leurs efforts sur des ressources et compétences critiques pour un petit nombre d’activités . Cette « Resources Based Vue » de la stratégie réactive la théorie de la rente, chère à Ricardo : « That portion of the produce of the earth which is paid to the landlord for the use of the original and indestructible powers of the soil » Le cœur de métier, c’est le domaine d’activité où l’entreprise peut développer des compétences distinctives de nature à lui procurer une rente, c’est-à-dire des sources de profits en partie indépendantes des activités de production. C’est ainsi le sens des choix d’Alcatel qui ont surpris plus d’un analyste, qui montrent que les ressources de cette entreprise ne se situent pas dans le domaine de la production, mais bien dans celui de la conception. L’analyse est du même type chez IBM qui laisse à Acer le soin de fabriquer les ordinateurs qu’elle vend sous sa marque ou chez Renault qui se dit « concepteur » (et non producteur) d’automobiles.

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L’approche basée sur les ressources (Resources Based Management) considère ainsi l’entreprise comme un ensemble de ressources et compétences dont le management doit générer des capacités de développement et de rentabilité. « Dans le court terme, la compétitivité d'une entreprise découle des attributs prix/performance des produits actuels. Mais les survivants de la première vague de compétition globale, qu'ils soient japonais ou occidentaux, convergent tous vers les mêmes standards de coût et de qualité, éléments de base à la compétition, mais de moins en moins importants comme sources d'avantage différentiel. Sur le long terme, la compétitivité découle d'une capacité à construire, à moindre coût et plus vite que les concurrents, les compétences clés qui permettent l'éclosion de produits difficiles à imaginer à l'avance. Les sources réelles d'avantages se trouvent dans la capacité de l'entreprise à consolider les savoir-faire technologiques et de production en compé-tences qui permettent une adaptation rapide des activités individuelles aux opportunités changeantes C'est une compétence clé dans les moteurs et dans les transmissions qui donne à Honda un avantage distinctif dans l'automobile, la moto, les tondeuses à gazon et les générateurs électriques. Les compétences clés de Canon dans l'optique, l'imagerie et le contrôle des microprocesseurs lui ont permis d'entrer dans et de dominer des marchés aussi divers que les copieurs, les imprimantes laser, les caméras et les scanners. Philips a mis 15 ans à perfectionner sa compétence dans le disque optique laser » (Prahalad & Hamel, 1990) Les ressources conduisent aux compétences clés s’articulent de la manière suivante :

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1. Les ressources

Les ressources sont des actifs spécifiques à l'entreprise. Elles ne sont pas échangeables sur un marché, mais c'est l'entreprise qui les crée par transformation spécifique de certains inputs : gestion particulière de la main d'œuvre par exemple (animation, motivation, formation interne etc.). Un avantage concurrentiel peut ainsi être créé par une combinaison unique de plusieurs ressources. Les ressources sont dites tangibles lorsqu'elles sont visibles et évaluables (en quantité, valeur, prix ...). Elles sont par contre intangibles lorsqu'elles sont de nature immatérielle : droits de propriété, brevets, ressources subjectives telles que savoir-faire, réseaux, culture organisationnelle et réputation de l'entreprise.

2. Les capacités

Les capacités dynamiques permettent à l'entreprise de développer, renouveler, adapter les compétences stratégiques. C'est par leur usage que l'entreprise acquiert une compétitivité stratégique durable. Elles sont de quatre types : L'apprentissage, l'innovation, la détection des savoir-faire et la conservation des compétences stratégiques afin d'éviter que les concurrents ne puissent se les approprier ou en réduire l'effet. On pourra citer notamment l’articulation entre re-cherche fondamentale, recherche appliquée et marketing dans les produits cosmétiques de L’Oréal qui permet à cette entreprise de rester leader sur son marché en déposant plus de 200 brevets par an.

3. Les compétences

Les compétences sont des routines organisationnelles qui existent dans l'entreprise de manière spécifique. C'est la capacité de l'entreprise à déployer des ressources qui ont été intégrées afin d'atteindre une situation donnée. Comme la colle qui maintient la cohésion d'une organisation. Les compétences émergent au cours du temps en interactions complexes entre et au sein des ressources tangibles et intangibles. Elles se révèlent souvent en développement, en échange d'informations et de savoir au travers du capital humain. Les compétences créent ainsi de nouvelles ressources dans l'entreprise. Certaines de ces compétences sont critiques pour la survie ou pour la stratégie de l'entreprise. Il s'agit des compétences clés qui, selon Prahalad et Hamel (Prahalad et Hamel, 1990) :

• Fournissent un accès potentiel à un grand nombre de marchés; • Contribuent de manière importante à la valeur perçue du

produit par les clients; • Sont difficiles à imiter ou à remplacer par les concurrents.

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L’intérêt d’une telle approche est de permettre une réflexion sur la nature du réel « cœur de métier » de l’entreprise : Quelles sont nos ressources spécifiques ? Quelles sont nos compétences associant ces ressources ? Comment construire notre compétitivité sur cette base ? La question centrale, pour obtenir un effet de rente est de pouvoir disposer de ressources et compétences qui sont difficiles à imiter par les concurrents.

4. Comment éviter l’imitation de nos ressources ?

L'inimitabilité constitue la caractéristique essentielle d'une ressource. Les stratégies doivent être construites sur des ressources qui possèdent au moins l'une des quatre caractéristiques suivantes (Collins & Montgomery, 1995) :

• unicité physique : droit exclusif d'usage, possession d'une exploitation minière, localisation préférentielle, marque etc.… • chemin critique : les ressources sont uniques et rares en raison de tout ce qui s'est produit dans le processus d'accumulation d'expérience ou de savoir-faire. Cette idée rejoint celle de coût d'expérience défini par le BCG : l'image de qualité technologique de Boeing a été longtemps un facteur qui a rendu plus difficile la reconquête du marché aéronautique par Airbus. De même les capacités de recherche accumulées avec le temps (Microsoft, Intel par exemple) induisent des délais dans la capacité des concurrents à développer des ressources similaires.

• ambiguïté causale : qu'est-ce qui fait réellement la valeur d'une ressource ? Sans doute un complexe fortement lié à des carac-téristiques organisationnelles et qui fait que les concurrents peuvent difficilement reconstituer le puzzle ou retrouver la « recette ». Tel est le cas bien sûr des ressources des grands cuisiniers, mais aussi celle de toutes ces entreprises considérées comme des « modèles » : 3M, Microsoft ou Swatch. • le détournement économique apparaît lorsqu'une entreprise devance les concurrents en réalisant un investissement de taille dans un actif. La limitation du marché implique ipso facto que le second à investir sur le marché ne pourra plus être rentable et décidera de ne pas réaliser l'investissement. C’est bien, sûr le pari d’ Amazon.com lors de sa création : capter le plus vite possible et de la manière la plus importante le marché de la vente de livres en ligne. Un pari difficile, compte tenu de la nouveauté du concept (débuts d’internet) et de la présence d’une concurrence très diffuse dans le monde de la librairie.

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5. L’innovation stratégique pour redéfinir le cœur de métier

Beaucoup de réussites stratégiques ne sont pas dues à des innovations techniques radicales et pourtant, elles ont souvent permis à des « challengers » de contrer voire de dépasser le leader d’un secteur. Cette observation va à l’encontre des modèles stratégiques établis qui veulent que le leader, par des caractéristiques structurelles (part de marché relative) dispose d’un avantage systématique sur ses suivants. L’exemple récent de la réaction victorieuse de Pepsi-Cola jusqu’alors constamment maintenu à distance par le leader Coca-Cola est à ce titre tout à fait évocateur.

Pepsi-Cola éternel second ? Pendant des décennies, Pepsi Co est resté le challenger de Coca, loin derrière le leader des sodas. Les choses sont en train de changer : - En rachetant les céréales de Quaker Oats (7 % du C.A.), Pepsi devient le 4ème mondial de l’alimentaire (derrière Nestlé, Krafts foods et Unilever) ; - Pepsi a également élargi son domaine d’activité, le soda ne représentant plus que 24 % du chiffre d’affaires : les snacks (54 % du C.A.), et les autres boissons (Tropicana et l’eau Aquafina qui représentent 15 % du C.A.) viennent en complément des céréales. - La plupart des marques complémentaires détiennent des places de leader : Fruivita et Tropicana avec 44 % de part de marché des jus de fruits frais, Croky et Doritos avec 60 % de part de marché des snacks salés aux USA, Gatorade, la boisson des sportifs (82 % du marché !). - Des ambassadeurs et ambassadrices de choc pour la publicité : vedettes du show biz, sportifs de renom etc. - Des positions très fortes acquises sur les marchés émergents délaissés trop souvent par les concurrents (en Russie , Australie, Inde, Brésil ou Afrique du sud …). Bilan de tout cela : un bénéfice net qui croît d’un tiers sur les trois dernières années (+ 12,3 % seulement pour Coca) et un cours de bourse qui s’envole (+ 19 % contre – 42 % pour Coca-Cola très touché par la vague diététique qui fait bouder les soft drinks). Après des années de lutte frontale, Pepsi a décidé de déplacer son offensive en redessinant son portefeuille de marques et de produits alors que son concurrent restait concentré sur les soft drinks, base de son développement passé. Mais Pepsi a aussi délogé Coca-Cola du marché de la compagnie United Airlines (1.700 vols quotidiens), idem pour le sponsoring de la National Football League !(Capital, Août 2002).

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Clé de cette innovation : les challengers parviennent à casser ou à redéfinir les règles du jeu de leur secteur (Markides, 1997).

5.1. Redéfinir les règles du jeu

Comme le signale Constantinos Markides, « les modifications significatives dans les parts de marchés apparaissent non pas parce que les entreprises essaient de mieux jouer le jeu concurrentiel, mais parce qu’elles changent les règles du jeu » (Markides, 1997). Mais cela n’est pas forcément évident :

• La stratégie qui conduit à changer les règles du jeu n’est pas réellement nouvelle : bien connue des stratèges militaires, cette pratique devient très efficace dans les environnement très concurrentiels, là où les positions établies sont souvent difficiles à contrer ;

• Changer les règles ne constitue que l’un des moyens de jouer le jeu concurrentiel : tous ne peuvent adopter ce comportement dans un même secteur (singularité stratégique) ;

• La manière de changer les règles du jeu dépend du secteur dans lequel œuvre l’entreprise ;

• La stratégie est risquée, par principe : le changement de stratégie n’est pas assurée du succès ;

• Les nouvelles idées ne garantissent jamais le succès : l’organisation doit aussi être modifiée en profondeur pour les mettre en application.

Les voies de l’innovation stratégique :

• Redéfinir le « business » : du soft drink aux produits alimentaires associés liés aux boissons, jusqu’aux boissons même pour Pepsi ;

• Redéfinir le «Qui » (consommateur) : comment mieux servir le consommateur (par exemple en tenant compte de son besoin diététique pour créer une marque d’eau en bouteille) ;

• Redéfinir le « Quoi » : identifier les produits nouveaux que nos propres clients sont prêts à consommer (portefeuille de produits et de marques et par exemple, donner soif avec des snacks et désaltérer avec les produits Pepsi) ;

• Redéfinir le « Comment » : identifier de nouveaux moyens d’atteindre le même besoin (se désaltérer, se nourrir) et utiliser des partages de compétences (par exemple l’unification des réseaux de distribution de Pepsi, quel que soit le produit alimentaire concerné), une nouvelle utilisation de compétences cachées ou oubliées (rajeunir les contrats de sponsoring ou de communication avec des vedettes plus porteuses d’image …) ou développement des compétences existantes

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• Commencer à réfléchir à partir de différents points, par

exemple penser en termes de compétences distinctives ou en termes de méthode d’approche plutôt qu’en termes de consommateur.

5.2. Redéfinir le consommateur et le produit

Dans certains secteurs, l’attitude de certains concurrents conduit à pourrir le marché, au point que le domaine finisse par être considéré comme une impasse concurrentielle. Pourtant ces marchés sont parfois revigorés par une entreprise qui continue à croire au produit. Le cas de la chicorée est ici tout à fait représentatif : ce produit, synonyme de succédané du café pendant la seconde guerre mondiale était voué par beaucoup à la disparition. Mais la société Leroux en a fait le fer de lance de son développement en rachetant un peu à la fois tous les concurrents jusqu’à posséder 98 % des parts de marché ! (le reste étant détenu par Nestlé, son concurrent, mais aussi client pour ses boissons pour le petit déjeuner). L’entreprise s’est ainsi maintenue et développée sur un marché en déclin. C’est ce qui lui a permis de renforcer des compétences uniques dans le domaine de la torréfaction et de la lyophilisation ; compétences aujourd’hui mises à produit dans le secteur des édulcorants tels que l’aspartame (le succédané du sucre après celui du café !). Entre-temps, le marché de la chicorée s’est à nouveau développé autour de son utilisation par de grands cuisiniers, dans la confection de desserts (flans, crèmes brûlées, tartes etc.) Mais les exemples de redéfinition du profil de consommation ou du produit foisonnent dans l’histoire des entreprises : le retour au concept de randonnée pour Lafuma, le repositionnement de Vert Baudet sur l’enfant après son rachat par La Redoute, l’identification du besoin de naturel par le fondateur de « Nature et découvertes ». Roger Brown explique ainsi comment il a construit aux Etats-Unis, une entreprise solide (Bright Horizons) dans un secteur affaibli, celui de la santé et de l’éducation des enfants (Brown, 2001). Pourtant, ce secteur avait tout pour déplaire : pas de barrières à l’entrée, de faibles marges chroniques, une utilisation intensive de main d’œuvre, pas de technologie propriétaire, peu d’économies d’échelle, pas de marques de renom et une réglementation sévère !

L’idée des fondateurs de Bright Horizons est venue d’une analyse décalée en voyant employeurs et employés d’entreprises d’abord comme des parents d’enfants, lesquels avaient des besoins particuliers car ne pouvant pas s’occuper de leurs enfants pendant leur temps de travail. D’où la création de centres d’accueil pour enfants, des crèches « new look » qui pouvaient assurer un service de qualité associé à une activité éducative de premier niveau. Le fait d’associer les employeurs

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à la construction des crèches a été déterminant, en dédouanant ces sociétés de leur responsabilité en la matière. Le business model répondait à ces limites intrinsèques du secteur :

• Barrières à l’entrée : tout le monde peut créer une crèche, mais Roger Brown développa des relations très proches avec les employeurs ce qui permit d’accaparer le marché dans une zone (une industrie, une université ou un centre de recherche) en axant la politique sur un très haut niveau de qualité. Cela renforce l’image de compétence de la BH qui peut utiliser la liste de ses clients comme des références indiscutables.

• Faibles marges : en demandant aux entreprises clients d’investir dans la construction des crèches (500 millions de $ investis à ce jour), les managers de la société ont pu minimiser leur propre investissement et donc garantir des rentabilités de capitaux de l’ordre de 20 % par an.

• Forts besoins en personnel : La qualité des centres pour enfants a fait de cette entreprise l’un des endroits où l’on aime venir travailler lorsque l’on possède les compétences nécessaires (puéricultrices et éducateurs), à rémunération équivalente.

• Pas de technologie propriétaire : Dans ce secteur, il est difficile de développer des brevets ou des marques, mais des développements technologiques ont été néanmoins utilisés en association avec des opérateurs tels que IBM, Cisco ou Motorola : caméras connectées sur internet pour que les parents puissent voir leur bambin en temps réel, système d’information sur les menus de la cantine, photos des enfants envoyés par mail, réseau de commentaires sur les profils particuliers de chaque enfant etc. Tout cela contribue à créer des compétences distinctives au travers d’une création de valeur virtuelle.

• Faiblesse des marques de consommation : la notoriété de bright Horizons a contribué à créer une marque qui a acquis la confiance des client, ce qui n’était pas envisageable pour des établissements isolés et régionaux. Les recommandation des parents par bouche à oreille amplifient encore la notoriété.

• Contrôles sur le respect de la réglementation : par sa taille, la société a développé le sens de l’accréditation nationale (NAEYC) pour assurer un très haut niveau de qualité.

Ces exemples contribuent à prouver que les entreprises performantes ne se développent pas seulement dans les secteurs dits « porteurs » ou dans ceux liés aux technologies de pointe (ce qui est encore le présupposé de maintes officines spécialisées dans le développement local ou régional !), mais que la clef d’une claire définition du cœur de métier réside dans une analyse intelligente, c’est-à-dire non forcement canonique d’un secteur, d’un marché ou d’un besoin.

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VIII - Informer la stratégie 1. Qui a gagné la bataille de Waterloo ?

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C'est le 18 juin 1815 que s'est terminée la bataille de Waterloo.

Mais il y eut aussi d'autres gagnants, et d'autres perdants dans cette affaire : À la fin du XVII ème siècle, les cinq héritiers de Meyer Amschel Rothschild étaient à la tête d'un important réseau de banques à Francfort (la maison d'origine), Paris, Vienne, Naples et Londres. Les cinq frères avaient saisi l'intérêt d'échanger des renseignements de tous ordres. C'est ainsi que naquit le célèbre système d'information qui contribua à l'expansion de la fortune des Rothschild. Des messagers, des voitures, des navires parcouraient le monde apportant des lettres, des espèces, mais aussi des informations soigneusement sélectionnées qui étaient habilement exploitées sur les places boursières (Amabile, 1997). Cependant, c'est Nathan, le troisième fils installé à Londres depuis 1800 qui donna à la famille une puissance colossale en soutenant l'effort de guerre anglais contre Napoléon. Banquiers de la contre-révolution, les frères Rothschild surent tirer profit de leur immense réseau d'information… et nulle information ne fut plus précieuse en 1815 que celle de l'issue de la bataille de Waterloo. Le 18 juin, l'Europe économique est à l'écoute : si Napoléon l'emporte, c'est la place de Londres qui en subira les conséquences. Au contraire, en cas d'échec, l'empire ne survivrait pas et les cours de la place de Paris s'effondreraient. Nathan de Rothschild, se tenant sur les quais d'un port au sud de Londres, apprit de l'un de ses agents de renseignements, et plusieurs heures avant les envoyés de Wellington, que Napoléon avait perdu la bataille de Waterloo et donc la guerre. Il se rendit immédiatement à la bourse de Londres et, au lieu d'acheter toutes les actions possibles (qui à coup sûr allaient monter!), il vendit, ainsi que ses frères, un nombre impressionnant de titres à Londres. Leur renommée aidant, ils furent suivis par de nombreux opérateurs qui en avaient conclu à une défaite britannique. Le bruit ne cessait alors de s'amplifier : "la famille Rothschild sait… Napoléon a gagné la bataille de Waterloo". Ils

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vendirent, jusqu'à ce que la nouvelle éclate. Juste avant ce moment fatidique, Nathan acheta un volume gigantesque de valeurs boursières pour un montant dérisoire, comparé à ce que cela aurait coûté trente heures auparavant. Trente heures : la durée de la bataille de Waterloo. Trente heures pour décupler la fortune des Rothschild !

2. Construire un système d’information pour la stratégie Cette histoire révèle certains traits caractéristiques d’un système d’information pour la stratégie :

• Il n’est pas lié à l’utilisation de technologies informatiques • Il est construit à dessein sur la base d’objectifs stratégiques • Il est d’abord une procédure qui ne définit pas a priori le

contenu des informations recherchées. Toutes les informations « intéressantes » sont bonnes à prendre !

C’est la logique qu’a suivie Philippe Joffard, patron de la PME lyonnaise Lafuma en construi-sant, pour redresser l’entreprise en dépôt de bilan, un « observatoire de l’air du temps ». Cet observatoire a été conçu à partir de classeurs (produits, coloris, concepts) qui rassemblent des « fenêtres » d’observation du monde, pour que Lafuma puisse être attentif aux changements, mieux qu’il ne l’avait fait auparavant. Pas d’informatique ici, mais des bases qui permettent à tous les acteurs, lorsqu’ils pénètrent dans le local dédié à cette veille, de se ressourcer, de trouver ou d’apporter des idées, même peu structurées. De là viennent alors des innovation s techniques en appli-quant des matériaux (ceux des bagages) à des produits destinés aux ados, tels que les sacs à dos bien malmenés dans les cours de récréation !

Chez Doublet aussi, on fait de la veille, mais à partir du courrier qui arrive tous les jours dans l’entre-prise, leader sur le marché du drapeau (les jeux olympiques, les coupes du monde de foot ou de rugby etc.) et qui a développé une veille d’informations que tout le monde doit pouvoir partager.

C’est ainsi que, tous les matins vers 8 h 30, une demi-douzaine de personnes (cadres ou non) se réunissent autour d’une table, au premier étage de la pyramide, siège de la société. Pour quoi faire ? Eh bien tout simplement pour dépouiller le courrier ! Même le patron s’y emploie chaque fois qu’il est présent (voir la vidéo - 17 Mo).

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Le principe est de faire participer les salariés à l’identification des informations émanant des fournisseurs, clients et autres partenaires. Le fait que chacun puisse avoir connaissance des informations brutes (devis, commandes, réclamation, propositions de prix etc.) constitue un gage de la transparence. Au travers de ce dépouillement, des informations concurrentielles ou de nature sociale peuvent également être identifiées et transmises aux personnes concernées dans l’entreprise.

3. Les caractéristiques d’un système d’information stratégique

Les deux exemples précédents, au même titre que l’histoire de la fortune des Rotschild à l’occasion de la bataille de Waterloo, incitent à poser la problématique des systèmes d’information stratégique en termes d’organisation et de « bonnes pratiques » de veille plutôt qu’en termes de système technique (notamment lié à l’usage de l’informatique). Comme le soulignent Martha S. Feldmann et James J. March, "on mesure l'intelligence d'une organisation à sa capacité de se procurer, d'analyser et de retrouver les bonnes informations en temps voulu" (March J.G., 1988). Que doit donc être un système d'information orienté vers la décision stratégique ? D'abord un système organisationnel car il est illusoire de laisser les seuls spécialistes de l'information collecter (saisir) l'information dont on ne connaît, à l'avance ni la teneur ni l'origine. Ensuite, un système non formalisé car le stockage détruit l'essentiel des qualités de ce type d'informations, même si les données objectives de la connaissance statistique d'un secteur méritent d'être engrangées préalablement à tout choix stratégique. Un système flou puisque orienté vers des informations aléatoires, qu'il faut sélectionner, sans véritables processus rationnels. Enfin, un système utilisant des sources spécifiques d'informations et dont nous verrons qu'elles doivent être multiples voire paradoxales.

3.1. Un système d'information organisationnel

C'est l'organisation qui s'informe et non les spécialistes de l'information. Des sociétés comme Hewlett Packard aux États-Unis ont compris depuis longtemps que la meilleure source de création de nouveaux produits était encore la prise en compte des demandes non satisfaites des clients, rapportées par l'ensemble du réseau commercial. Les vendeurs ne font pas que vendre, ils identifient aussi des opportunités. Un système d'information organisationnel, cela veut dire : construire l'organisation afin de lui permettre d'être, non seulement un lieu de

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transactions avec l'environnement mais également un capteur d'informations pertinentes à chacun des niveaux de l'entreprise. L'information doit ainsi devenir l'ardente obligation de chaque membre de l'organisation, à condition que les moyens de transmission en soient donnés à chacun. L’usage de la microinformatique a, au demeurant, largement contribué à fractionner et à « privatiser » nombre d’information. C’est pourquoi il est souvent préférable de ne pas utiliser l’ordinateur comme seul vecteur de mémorisation des informations. Après tout, le meilleur moyen de stocker et de traiter les informations, c’est l’homme, en lui donnant une importante capacité de communication. Certes cela n'est sans doute pas le plus facile, mais c'est à ce prix que les entreprises seront capables d'identifier et donc de saisir les opportunités qui se présenteront. Cette tâche est en particulier dévolue aux décideurs dont l'une des activités essentielles est de rester informés. L'ordinateur restera encore longtemps incapable de leur donner ces données stratégiques dont ils ont tant besoin.

3.2. Un système d'information non formalisé La formalisation tue l'information stratégique : l'information straté-gique, de par sa nature, ne supporte guère le stockage qui implique son codage. Même si ce dernier s'effectue de façon très conviviale (dans des bases de données relationnelles très ouvertes par exemple), il appauvrit l'information : d'où provient l'information obtenue sur un concurrent ? Quel laboratoire a développé un procédé nouveau qui nous intéresse (que signifie d'ailleurs le vocable "nous intéresse" ?) Qui a fait une réflexion anodine lors d'un déjeuner ou d’un colloque et qui nous a permis de poser tout autrement notre problématique de développement ? Comment nous est venue l'idée d'une nouvelle production qui fait notre réussite d'aujourd'hui ? Sans parler de toutes ces informations que nous n'avons pas jugé utile ou que nous avons oublié (temporairement) de stocker… parce qu'elle ne nous ont pas paru pertinentes ou utiles sur le moment. Ce système d'information doit ainsi être largement de type verbal. Il doit favoriser les discussions, les révélations, les contacts informels, il doit en quelque sorte saisir et assimiler l'information en temps réel. Les petits calepins des dirigeants recèlent des trésors d’idées stratégiques !

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3.3. Un système d'information flou

La logique floue utilise notamment le concept de "possibilistic information". Ce terme, quasiment impossible à traduire en français révèle parfaitement ce que doit être un système d'information stratégique : il se pourrait qu'une information importante apparaisse… Mais, on ignore comment et quand se présentera cette information, le plus difficile étant d'être averti de sa survenue éventuelle ! Et pourtant, c'est cela qui fait l'information stratégique. Le système d'information organisationnel, non formalisé doit pouvoir accepter des informations mal structurées, ce que Martha S. Feldmann et James G. March nomment des potins :

"Les organisations, tout comme les individus, collectent des potins, c'est-à-dire des informations qui n'ont pas de conséquences immédiates apparentes sur les décisions. Ces informations apparaissent donc sans valeur dans l'optique de la théorie de la décision. mais cette optique est trompeuse. Au lieu de considérer que l'organisation cherche des informations dans le but de choisir entre des options, selon ses préférences préalables, on peut considérer qu'elle sonde son environnement, pour y découvrir des surprises (ou être rassurée par leur absence). Ces surprises peuvent être de nouvelles options ou préférences possibles, ou encore des changements significatifs dans le monde. Les processus sont plus inductifs que déductifs. Et l'analyse est plus une analyse exploratoire des données qu'une estimation des paramètres inconnus ou qu'une vérification des hypothèses" (March J.G., 1988). L'idée de surprise est très séduisante, car c'est ce qui donne tout son sel à des décisions stratégiques. La bonne nouvelle (et pourquoi pas la mauvaise !) est généralement le point de départ d'un travail de réflexion et d'analyse qui peut, ensuite, donner lieu à une collecte systématique d'informations. Mais celle-ci ne pourra être initiée sans ce déclic qui fait l'information stratégique. Gérer un système d'information stratégique organisationnel, non formalisé et flou (ou acceptant le flou) relève semble-t-il de la gageure. Cependant, un mot peut exprimer parfaitement l'idée que nous nous faisons de ce système, celui de réseau et en particulier celui de réseau d'information. L'organisation est, quelle que soit sa confi-guration, un réseau de décisions-communications. Insérée dans un

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environnement, elle s'intègre alors dans un réseau plus vaste encore de secteurs ou de pays. L'idée de réseau comporte plusieurs connotations :

• des sources d'informations multiples, • des centres d'intérêt différents, • des positions stratégiques spécifiques, • des points de vue subjectifs variés, • des visions stratégiques particulières, • une étendue large inaccessible à une seule firme, • des connexions nombreuses, • des associations d'idées fertiles, • des communications discrétionnaires, • des champs d'intérêt nombreux, • des supports verbaux ou formalisés.

Le rôle d'un dirigeant sera alors, et de manière prioritaire, d'être l'organisateur et l'un des tout premiers acteurs de ce réseau. Il lui reviendra d'identifier et de spécifier les sources d'informations stratégiques pertinentes. Il deviendra aussi l'une des sources d'information privilégiées à l'intérieur de l'entreprise.

4. Quelques idées fausses sur l'usage de la veille stratégique et concurrentielle

Terminons ce point en présentant à votre sagacité quelques idées fausses sur l'usage de la veille stratégique et concurrentielle (Daniel C. Smith & John E. Prescott). La réponse vous appartient ! 1. L'analyse concurrentielle doit être compréhensible et uniforme

pour tous les concurrents. 2. Le plus est le mieux : une croyance fréquente semble laisser à

penser que l'incertitude décroît lorsque l'information s'accumule. 3. L'analyse concurrentielle n'est nécessaire que dans les envi-

ronnements extrêmement compétitifs. 4. L'intelligence concurrentielle est coûteuse et n'est appropriée que

dans le cas des décisions majeures. 5. Le personnel chargé de l'intelligence concurrentielle est surtout

celui responsable des systèmes d'information. 6. L'intelligence concurrentielle est simplement la recherche

marketing dissimulée. 7. Les gens amassent de l'information pour des raisons personnelles. (Smith & Prescott, 1987).

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IX - En marchant se construit la stratégie

Stratégie : un concept à repenser Tout est simple dans un monde complexe ! Rechercher la singularité Accepter de sortir du cadre Théorie des affaires et intention stratégique Exprimer du sens par le diagnostic stratégique Gagner le cœur de métier Informer la stratégie En marchant se construit la stratégie

La fin des années soixante et les années soixante-dix ont porté aux nues la planification stratégique et ses pouvoirs de prédiction de l’avenir des entreprises. Adoptée par la plupart des entreprises, ce « strategic planning » a contribué à faire de l’entreprise un centre de calcul de rentabilité et d’efficacité basé sur les projection à moyen ou long terme (jusqu’à 50 ans parfois). Les échecs maintes fois constatés, tout autant que les changements majeurs dans les environnements économiques ont aujourd’hui fortement limité le rôle et l’importance de cette approche trop calculatrice et trop rigide de la construction de stratégies. Si Henry Mintzberg (Mintzberg, 1989, 1994) a toujours été l’un des pourfendeurs des approches de la planification, on peut aujourd’hui constater que l’on peut assez souvent se passer de la planification (sauf à court terme) pour se concentrer plus sur le contenu que sur le processus de construction des « plans » d’entreprise.

« Imaginons quelque stratégie planifiée. Ce qui saute immédiatement à l'esprit, c'est l'image d'une pensée bien ordonnée : un manager supérieur ou un groupe de managers supérieurs siégeant dans un bureau et formulant les méthodes d'action que les autres membres de l'organisation devront suivre selon le calendrier prévu. La note dominante est la raison — un contrôle rationnel, une analyse systématique des concurrents et des marchés, des forces et faiblesses de la société — la combinaison de ces analyses conduisant à des stratégies claires, explicites et certifiées. Maintenant, imaginons quelque peu la stratégie du potier. Une image totalement différente apparaîtra, aussi différente de la planification que la poterie est différente de l'industrie. La poterie évoque une habileté traditionnelle, un dévouement, une perfection à travers la maîtrise de tout un ensemble de détails. Ce qui frappe alors l'esprit, ce n'est pas tant la réflexion rationnelle que l'engagement, un sentiment d'intimité et d'harmonie entre le matériau et la main qui s'est développé à travers de longues années d'expérience et d'attachement. Formulation et réalisation se sont coulées l'une dans l'autre en un processus fluide d'apprentissage à partir duquel se développe la stratégie créatrice. Ma thèse est simple, l'image du potier appréhende mieux le processus à travers lequel émergent les stratégies efficaces » (Mintzberg, 1989).

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1. Entre stratégie délibérée et stratégie émergente

Un abondante littérature oppose les tenants de l’approche de la stratégie délibérée (planifiée) et ceux de la stratégie émergente. La stratégie délibérée postule la rationalité des décisions qui se matérialisent dans un plan, pensé, délibéré de façon organisée, a priori. À l’opposé, la stratégie émergente, représentée par la « stratégie du potier » ne se révèle qu’après coup, lorsque l’on constate ex-post les choix qui ont été effectués dans l’action. L’intention n’est plus préalable, elle apparaît dans le sens donné à la stratégie. Un courant de pensée a cherché à concilier ces deux approches qui sont, à tout le moins, caricaturales (ni totalement fausses, ni complètement vraies car trop systématiques). Cette approche a notamment été systématisée par Marie-José Avenier sous le vocable de stratégie tâtonnante. Depuis la fin des années 80, en réponse à la complexité et à l’incertitude accrues des contextes décisionnels, un troisième courant se développe « entre » les deux autres, au sens où, dans ce courant, l’élaboration/mise en actes d’une stratégie repose sur la mise en œuvre tâtonnante d’actions délibérées au sein de situations émergentes. Nous l’avons qualifiée de « stratégie tâtonnante ». (Avenier & al. 1997). Cette logique prend appui sur deux dimensions de base d’application de la stratégie :

Niveau /Processus Vision Action

Global (central)

Local

(périphérique)

La vision, telle l’intention stratégique peut évoluer du global au local (« top-down ») et du local au global (« bottom-up ») comme cela se produit dans les processus de planification stratégique. La pensée peut être globale et s’articuler avec le local (« Think Global, Act Local »).

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Mais il est clair que les interaction entre ces quatre « pôles » sera continue et que des flèches pourraient relier de manière réciproque les quatre cases de ce schéma. Un peu comme lorsque les « boids » s’organisaient pour à la fois définir une stratégie collective et en assurer la mis en œuvre, la stratégie tâtonnante est un mode d’action stratégique qui suppose que l’organisation soit établie sur des bases appropriées :

• L’autonomie qui permet aux acteurs de disposer d’une liberté d’action susceptible de trouver leur chemin. Cette autonomie concerne plusieurs niveaux : celui de la représentation (chacun dispose de la faculté de se représenter son univers décisionnel), celui de l’organisation (capacité à s’organiser, à utiliser ses ressources) et celui du projet (capacité d'élaborer ses propres projets et visions stratégiques).

• Utilisation de ressources en informations (être capable de « voir » le chemin) et en temps (disposer d’une latitude temporelle pour ne pas se tromper de chemin ou pour pouvoir revenir en arrière si le chemin s’avère inapproprié). Cela signifie que les différentes unités ou acteurs d’une organisation ne peuvent pas forcément vivre sur le même rythme, dès lors qu’ils possèdent des projets ou des contraintes d’action spécifiques.

• Un logique de décentralisation doit pouvoir se développer pour éviter que le global (la direction générale) ne soit systé-matiquement privilégié au détriment du local. Sans doute Jean-Marie Messier aurait-il pu ou du se préoccuper plus de l’attachement des employés de Canal+ à leur patron historique pour identifier le chemin du redressement de la chaîne voire du groupe Vivendi tout entier !

C’est un peu ce que fait quotidiennement la société Favi dont le cas a été évoqué précédemment, au travers d’une organisation flexible (presque) sans patron.

2. la stratégie du judoka Les batailles entre les David et les Goliath sont devenues monnaie courante dans le domaine de l’internet ou de l’usage des réseaux de communication pour commercialiser produits et services. Dans ces domaines, la stratégie de ces entreprises, en constante remise en question peut s’apparenter à celle du judoka sur le tatami : rapidité de mouvement, flexibilité et effet de levier en sont les caractéristiques (Yoffie & Cusumano, 1999). Contrairement au matches entre Sumos (la bataille frontale par la force), les adeptes du

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judo vont souvent utiliser la souplesse et le report de la force de l’adversaire (parfois plus « fort » qu’eux) pour vaincre.

La stratégie du judoka : à faire et à ne pas faire …

(d’après Yoffie & Cusumano, 1999) Principe 1 : Se déplacer rapidement vers des terrains incontestés pour éviter le face-à-face Faire … • Investir de nouveaux produits pour redéfinir l’espace concurrentiel ; • Utiliser de nouveaux modèles de prix que les concurrents sont incapables

de mettre en œuvre ; • Utiliser des modèles de distribution qui évitent les forces des

concurrents Ne pas faire … • Faire l’hypothèse que le mouvement permanent est possible ou désirable ; • Effectuer des mouvements excessifs qui détruisent le positionnement et

affaiblissent votre crédibilité ; • Considérer le mouvement rapide comme un substitut à la vision à long

terme Principe 2 : Être flexible et esquiver en cas d’attaque par une force supérieure. Faire … • Éviter le match de sumo tant que l’on n’est pas aussi gros et aussi fort que

son concurrent ; • Accompagner et dépasser les changements réussis par le concurrent ; • Mélanger la flexibilité et les ajustements tactiques avec les plans à long

terme. Ne pas faire … • S’engager dans des guerres perdues d’avance ; • Avoir peur de cannibaliser ses propres produits. Principe 3 : Exploiter les effets de leviers qui utilisent la force et le poids de l’adversaire contre lui. Faire … • Tourner les investissements et implications du concurrent à votre

avantage ; • Coopérer avec ceux qui sont associés au succès de votre adversaire. Ne pas faire … • Oublier que plus vous réussirez et plus cela constituera un levier que

d’autres utiliseront contre vous. Ce type de stratégie, très « vigilant e » et flexible s’est révélée payante dans le domaine des sites internet et plus généralement des TIC : Les grosses structures n’ont pas toujours tenu le coup (par

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exemple Vivendi dans la librairie électronique ou le groupe de Bernard Arnault dans le e-commerce) alors que des sociétés plus petites, mais plus agiles ont réussi à survivre et à se développer. Des combats apparemment inégaux ne se sont pas toujours soldés par la victoire des plus forts. Ainsi la FNAC.com fait-elle mieux que résister à Amazon.fr, émanation française d’Amazon.com.

Conclusion : des principes scientifiques pour le management ?

Dans un fort intéressant article, Jean Staune, consultant et enseignant-chercheur se posait la question du possible transfert de certains principes scientifiques au domaine du management (Staune, 1999). Évoquons, pour conclure cet ouvrage autour de la pensée stratégique les trois principes semblent émerger de manière assez systématique des recherches contemporaines : Le principe d’incertitude : Heisenberg a montré en 1927 que le simple fait d’observer un électron conduit à modifier celui-ci. Conséquence : on ne pourra jamais connaître à la fois sa position et sa vitesse. Il existe donc, pour les particules élémentaires, un niveau d’incertitude irréductible. L’incertitude remplace donc la certitude, base des conceptions scientifiques du XIXème siècle. Qu’en déduire pour le management ? D’abord que si le dirigeant veut savoir à la fois où sont ses collaborateurs et ce qu’ils font, il perd son temps : c’est sans doute impossible ! Mais si l’incertitude est dans l’univers, elles est aussi dans l’entreprise (qui en fait partie). D’où la nécessité d’adopter des approches tâtonnantes, et de tenir compte de la complexité qui, on le sait, naît de l’incertitude. Le principe de non-séparabilité : Ce principe, identifié comme un paradoxe par Niels Bohr dans les années vingt, mais démontré plus récemment (en 1982 par Alain Aspect à l’institut d’optique d’Orsay) est le suivant : deux particules conservent, même séparées, des liens entre elles : quant on stimule l’une, l’autre répond instantanément de façon identique, même si elle se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres et si rien ne la relie à sa voisine. Donc séparées « physiquement », ces deux particules continuent néanmoins à être liées entre elles, d’où ce principe de non-séparabilité. Ce principe évoque bien sûr la notion de synergie entre activités et pourrait représenter le lien indissoluble entre l’entreprise (ses métiers) et les éléments que l’on considère parfois un peu vite comme étant « externes » à l’entreprise mais qui fonctionnent en symbiose. L’entreprise ne peut concevoir sa stratégie en ignorant le monde dans lequel elle vit. Et la valeur de l’entreprise dépend de liens invisibles entre les membres de l’organisation (le réseau), entre l’entreprise et ses clients, fournisseurs et même concurrents. Ces liens sont

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impossibles à éliminer de manière volontaire et constituent la marque de l’entreprise, sa mission qui active sa théorie des affaires. Le principe d’anthropie (la référence à l’homme) : cette notion signifie que l’homme cherche toujours à donner un sens à ses actes et qu’il ne peut s’empêcher de le faire (même si cela constitue parfois des sources de pathologies dépressives). Il en fait usage lors d’un diagnostic par la construction de sens (notamment stratégique car rien n’est assuré dans ce domaine). Mais le client, les salariés aussi posent la question du sens de leur travail, de leurs actes. Et la stratégie est aussi le vecteur de la prise en compte de ce sens qui reste présent dans l’ensemble des activités humaines. Ces références à la science montrent que la stratégie et le management en général ne se sont peut-être pas assez intéressés aux grands principes qui permettent d’aborder la complexité du monde et des relations économiques et sociales. Pour aborder la complexité du monde, les scientifiques ont identifié des lois (parfois très relatives). Ne faudrait-il pas ériger ces lois de la stratégie pour disposer de principes d’action efficaces ? Vaste programme auquel nous espérons avoir un peu contribué.

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i Le dossier de PSA a été constitué à partir de la revue de presse sur le site de l’entreprise (http://www.psa.fr), des rapports annuels et d’articles de Capital (avril 1998) et de l’Essentiel du Management (mars 1998). ii Larousse – Dictionnaire de la langue française.