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Ce texte a été présenté lors du colloque de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), qui s'est tenu à Montréal, du 26 au 28 septembre 1996. Partage de la vision : réflexions préliminaires par Louis Jacques Filion Cahier de recherche n o 1996-09-01 Septembre 1996 ISSN : 0840-853X Copyright © 1996. École des Hautes Études Commerciales (HEC), Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série des Cahiers de recherche HEC n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. La publication de ce Cahier de recherche a été rendue possible grâce à des subventions d'aide à la publication et à la diffusion de la recherche provenant des fonds de l'École des HEC. Direction de la recherche, École des HEC, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) Canada 3T 2A7. H

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Ce texte a été présenté lors du colloque de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), qui s'est tenu à Montréal, du 26 au 28 septembre 1996.

Partage de la vision : réflexions préliminaires par Louis Jacques Filion Cahier de recherche no 1996-09-01 Septembre 1996

ISSN : 0840-853X

Copyright © 1996. École des Hautes Études Commerciales (HEC), Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série des Cahiers de recherche HEC n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. La publication de ce Cahier de recherche a été rendue possible grâce à des subventions d'aide à la publication et à la diffusion de la recherche provenant des fonds de l'École des HEC. Direction de la recherche, École des HEC, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) Canada

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Résumé Ce texte résume, dans un premier temps, les recherches de l'auteur sur le processus visionnaire. Trois catégories de visions y sont présentées : les visions émergentes, centrales et complémentaires. Ensuite six éléments au processus visionnaire sont introduits dont cinq en soutien de la vision : concept de soi, énergie, leadership, compréhension d'un secteur, relations. Trois niveaux de relations viennent soutenir le fonctionnement de ce processus visionnaire : primaires, secondaires, tertiaires. Des étapes sont aussi décrites. Dans un deuxième temps, des réflexions préliminaires sont livrées sur les conditions et les moyens du partage de la vision. Finalement, un modèle du partage de la vision est suggéré.

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Introduction On entend parler souvent de vision. Mais qu'est-ce qu'une vision? Comment se développe-t-elle? Comment la partager? Ce sont-là les thèmes soulevés dans ce texte. Le sujet est abordé en deux parties. La première suggère un processus visionnaire dégagé de l'étude empirique d'entrepreneurs. On y suggère, à partir de termes simples, les éléments à intégrer pour s'inscrire dans cette démarche systémique. La deuxième partie parle du partage de la vision dans l'organisation, qu'elle soit petite ou grande, privée ou publique. Le processus visionnaire Une des compétences distinctives qui caractérise l'entrepreneur réside dans sa capacité de conception. L'entrepreneur conçoit, définit des contextes: d'abord la place qu'il veut occuper sur le marché, puis le type d'organisation dont il a besoin pour arriver à occuper l'espace désiré. Cela s'appelle visionner (Filion, 1989). L'étude de plus de cent entrepreneurs dans vingt pays au cours de la dernière décennie nous a amenés à identifier le processus visionnaire comme constituant le coeur et le cadre intégrateur du processus entrepreneurial. Les visions offrent des fils conducteurs constituant les racines du système de l'entrepreneur et autour desquels il organise ses activités par la suite (Filion, 1991 a et b). La vision est définie comme "une image projetée dans le futur, de la place qu'on veut voir occupée par ses produits sur le marché ainsi que l'image projetée du type d'organisation dont on a besoin pour y parvenir" (Filion, 1991b: 109-110). On distingue trois catégories de visions: émergentes (idées de produits ou de services qu'on veut lancer), centrale (aboutissement d'une ou plusieurs visions émergentes) comprenant deux composantes: externe, c'est-à-dire la place qu'on veut voir occuper par son produit ou service sur le marché, et interne, c'est-à-dire le type d'organisation dont on a besoin pour y parvenir, et, finalement, les visions complémentaires qui sont des activités de gestion définies pour soutenir la réalisation de la vision centrale (schéma 1) (Filion, 1991 a et b).

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Schéma 1 Trois catégories de visions Le processus visionnaire présenté ici résulte de la superposition du système d'activités des entrepreneurs étudiés à partir de l'approche de Checkland (1981). Il suggère cinq éléments de soutien à la vision, ayant tous des effets réciproques d'influence les uns sur les autres. L'un de ces éléments, le système de relations, est beaucoup plus important que les autres. Nous commenterons d'abord les quatre éléments de soutien secondaires avant d'introduire l'élément principal : le système de relations. Schéma 2 Processus visionnaire

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Le concept de soi C'est la façon dont on se perçoit, sa conscience d'être. Il est souvent associé aux modèles auxquels l'individu s'est identifié. Comme les valeurs, il n'est pas fixe. Il est continuellement remis en question compte tenu du contexte dans lequel on opère, de ce qu'on vit, de ce qu'on expérimente et de ce qu'on apprend. Le concept de soi constitue le fondement sur lequel se construira le processus visionnaire. On peut difficilement projeter ce qu'on veut devenir sans d'abord prendre conscience de ce qu'on est. C'est pourquoi l'un des premiers exercices dans le processus de développement d'une vision consiste à décrire les éléments qui sont à la base de notre personnalité et qui conditionnent notre façon de voir la réalité: comprendre sa propre histoire, les valeurs et les modèles découlant des antécédents familiaux, des expériences de travail, de l'éducation formelle, de l'éducation informelle (lectures, voyages, cinéma, etc...), des croyances, du système de relations, etc... (Filion, 1991b : 232-236). Ici, les modèles d'entrepreneurs ou de stratèges auxquels a été exposé le futur dirigeant semblent jouer un rôle déterminant. La dimension du temps où cette conception de soi et de son rôle que l'entrepreneur définit pour lui-même aura été déterminée, influencera aussi la mise en place du processus visionnaire. Plus jeune il est lorsqu'il décide ce qu'il fera, plus il se donne du temps pour réfléchir à ce qu'il veut faire, à ce qu'il veut devenir, et plus cela lui permet de mieux façonner les attitudes mentales qui conviennent à ce rôle entrepreneurial auquel il se destine. Ceci semble particulièrement vrai dans les entreprises familiales, lorsqu'on sait longtemps à l'avance qui sera le successeur et que ce dernier accepte et ambitionne de jouer ce rôle. Le ou les successeurs introduiront souvent des changements dans l'organisation, non seulement parce que leur vision diffère mais parce que d'autres éléments entrent en ligne de compte. Leur concept de soi n'est pas le même que celui du prédécesseur. Le contexte n'est plus le même. Les façons de penser et de faire sont aussi différentes. Énergie L'énergie, c'est le temps accordé aux activités professionnelles de même que l'intensité avec laquelle ces activités sont accomplies. Le concept de soi, les valeurs influenceront ce qu'on est prêt à investir et ce qu'on investit, de fait, à ce niveau. De même, l'énergie dépensée pourra conférer plus de leadership, amener à consacrer plus de temps à établir et à maintenir des relations, à comprendre un secteur, à articuler une vision. Cet ensemble d'activités pourra entraîner le réajustement du concept de soi. En retour, l'énergie consacrée à assumer un certain leadership fera que ce leadership retournera à l'entrepreneur, sous une forme ou sous une autre, une partie de l'énergie et parfois même plus que l'énergie investie au départ. L'énergie dépensée à établir et à maintenir des relations rapporte des dividendes, puisque l'entrepreneur bien positionné dans un système de relations pourra profiter d'un flux d'informations qui lui permettra de réajuster fréquemment son tir. Finalement, on remarque que ceux qui auront investi temps et énergie pour élaborer une vision en bénéficieront dans la même proportion, car la ligne directrice développée générera en retour motivation et énergie pour eux et autour d'eux. Les entrepreneurs étudiés au cours de nos recherches sont des gens qui consacrent beaucoup de temps au travail. Par contre, certains entrepreneurs qui travaillent aussi beaucoup ne semblent pas réussir très bien. Cette constatation nous amène à suggérer qu'il n'existe pas de relation directe entre la seule variable du nombre d'heures de travail et la performance de l'entrepreneur. D'autres variables doivent aussi être présentées. Parmi les conditions requises pour la réussite d'un entrepreneur, nous avons identifié l'énergie, qui comprend le temps consacré aux activités professionnelles, donc le nombre d'heures de travail, mais surtout

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l'intensité, la présence d'esprit au travail. Il faut consacrer assez de temps au travail pour aller chercher les connaissances afin de mieux comprendre ce qu'on fait, y mettre une certaine intensité et être capable de s'engager suffisamment dans ce qu'on fait pour pouvoir non seulement intérioriser, mais aussi pour développer sa vision, pour concevoir un espace à occuper. Leadership Le leadership découle du concept de soi, de l'énergie, de la compréhension du secteur, de la vision et des relations. Par contre, il influencera aussi chacun de ces éléments. Mais le leadership demeure surtout important dans le processus visionnaire parce qu'il aura beaucoup d'impact sur le niveau, la hauteur de la vision, et sur l'ampleur de ce que l'entrepreneur veut réaliser. On peut même dire que l'intensité du désir de réalisation lié au concept de soi et qui soutient le leadership déterminera en grande partie le niveau qu'atteindra la vision. Il demeure peu probable qu'un leader atteigne une réalité qui dépasse sa vision, bien que, comme le concept de soi et le leadership, la vision s'insère dans un processus continu, réaménagé à intervalles. On peut se demander ici ce qui constitue le leadership: qu'est-ce qui fait que quelqu'un est reconnu comme un leader? Cela peut comprendre bien des dimensions. Nous avons vu chez les entrepreneurs étudiés, que le leadership s'insère dans un processus graduel, qui suppose l'acquisition par le dirigeant de compétences distinctives dans un secteur donné. Nous avons observé que la capacité de développer une vision donnait du leadership et que le leadership impliquait aussi, pour l'entrepreneur qui réussit, le développement d'une vision. Compréhension d'un secteur La connaissance d'un secteur d'activités d'affaires puis sa compréhension constituent une des assises du processus visionnaire. Il ne s'agit pas que de connaître et de comprendre l'articulation des 4P dans un marché donné, mais de connaître et de comprendre l'évolution du secteur dans son ensemble : qui fait quoi, tendances lourdes et à court terme. Le concept de soi qui renferme la motivation, l'énergie avec laquelle on travaille, le leadership, soit l'expertise et la reconnaissance acquises dans un domaine, les relations qu'on entretient sont tous des éléments qui viennent soutenir cette compréhension du secteur. En retour, la compréhension d'un secteur vient renforcer le concept de soi, permet de canaliser ses énergies sur ce qui donne davantage de résultats, confère du leadership, attire des relations mais permet aussi d'identifier les relations utiles pour être bien informé de l'évolution du secteur concerné. La compréhension du secteur constitue une des assises très fondamentales pour visionner. En effet, comment déceler une occasion d'affaires, puis cibler une niche qu'on occupera de façon différenciée si on ne comprend pas bien le secteur. Visionner, c'est identifier un segment de marché qu'on désire occuper. Comment le faire si on ne possède pas une bonne compréhension du secteur concerné. Visionner, c'est aussi imaginer le type d'architecture organisationnelle qui nous permettra de réaliser la vision externe, c'est-à-dire d'occuper l'espace désiré dans le marché. Une bonne connaissance et compréhension du secteur semblent fournir des repères à l'entrepreneur pour utiliser son intuition, imaginer des modes organisationnels cohérents avec ce qu'il veut faire compte tenu du contexte concerné. Ici, les gens qui sont en contact avec le marché, les clients, les fournisseurs, qui oeuvrent dans la vente et le marketing semblent nettement avantagés. Plus elle se précise, plus la vision conduit l'entrepreneur à identifier avec clarté ce qu'il doit comprendre du secteur pour mieux y progresser.

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Relations Le système de relations apparaît comme étant l'élément le plus déterminant pour expliquer le cheminement d'une vision. Le système de relations d'où est issu le dirigeant, son système familial, aura beaucoup d'influence sur les types de visions émergentes qu'il sera d'abord amené à développer. Puis les relations qu'il développera pour mettre en place des visions complémentaires influenceront, de façon souvent déterminante, l'évolution de la vision centrale. En retour, plus elle sera articulée, plus la vision deviendra l'élément qui fournira les critères d'établissement du système de relations. Le vieil adage : «Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es» ne pourrait s'avérer plus vrai ici. Dans une optique visionnaire, on pourrait même le modifier en suggérant : «Dis-moi qui tu comptes fréquenter et je te dirai qui tu devien-dras.» Plusieurs auteurs ont présenté l'homme comme le produit de la société. Cela est d'autant plus vrai pour les entrepreneurs étudiés: dans un premier temps produits de leur système de relations familial, ils développent ensuite le tissu de leurs relations externes et internes à l'entreprise, de telle sorte que les gens impliqués dans cette toile semblent devenir graduellement les produits sociaux de ce que l'entrepreneur a besoin qu'ils deviennent pour réaliser sa vision. Comme eux-mêmes se sont conformés au rôle qu'ils se sont défini, les entrepreneurs attendent la pareille de leurs collaborateurs. Souvent, ils vont même les conditionner à se conformer au rôle qu'ils ont eux-mêmes défini pour ceux qui les entourent. On retrouve presque immanquablement autour des entrepreneurs qui réussissent une ou deux collaboratrices inconditionnelles qui ont en quelque sorte épousé la culture de leur patron. Extrêmement loyales, elles travaillent énergiquement à faire avancer les causes, projets et dossiers qui entourent le visionnaire. En fait, la plupart des entrepreneurs étudiés ont indiqué que le système de relations internes dont ils se sont entourés représente l'un des éléments majeurs à la base de leur réussite, bien avant leur système de relations externes. Pour mieux comprendre comment s'organisent les relations, nous avons établi trois niveaux de relations. On les retrouve au tableau 1 ci-dessous : Tableau 1 Trois niveaux de relations

PRIMAIRES . Familles, proches . Reliées à plus d'un type d'activité

SECONDAIRES . Connaissances . Reliées à une activité précise . Réseautage

TERTIAIRES . Cours . Livres, voyages, expositions industrielles

Les relations primaires concernent les proches, habituellement les membres de la famille

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avec qui on entretient des relations à plusieurs dimensions: affectives mais aussi intellectuelles, sportives, de loisirs ou autres. Ce sont les relations les plus déterminantes quant au concept de soi qu'entretient la personne et quant aux choix qui seront faits par la suite aux autres niveaux du système de relations. Plus le visionnaire avance dans le temps, plus il tend à tisser des relations aux niveaux secondaires et tertiaires. Les relations secondaires sont celles qu'on développe en fonction d'une activité précise: club social, activité religieuse, affaires ou politique. Certaines deviendront des relations primaires. Les relations tertiaires sont celles qu'on choisit afin de combler un besoin. Elles n'impliquent pas d'abord de relation avec une personne physique, mais plutôt un contact avec un domaine d'intérêt: suivre un cours, lire un livre, visiter une exposition industrielle. L'attention accordée à la gestion de son système de relations semble présenter pour l'entrepreneur une des conditions déterminantes pour se former une vision centrale cohérente. On entend souvent les dirigeants visionnaires qui ont construit une entreprise dire : «Pour arriver où je voulais, j'avais besoin d'apprendre telle ou telle chose. C'est pourquoi je voulais changer d'emploi ou aller étudier à tel ou tel endroit.» C'est là une gestion typique du niveau de relations tertiaires, qui mènera souvent au développement de relations secondaires utiles et stimulantes pour le cheminement du visionnaire. C'est en général le système tertiaire développé par la personne qui l'amènera à réviser, le plus souvent à la hausse, les critères de sélection de ses relations aux autres niveaux. Visionner Après avoir présenté les éléments de soutien à la vision, nous abordons maintenant le fonctionnement du processus visionnaire. Le fait de visionner inclut six éléments composites dont la réalisation s'emboîte les uns dans les autres de façon consécutive sous la forme d'étapes. (Filion, 1994). Ils sont présentés ci-dessous au schéma 3.

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Schéma 3 Étapes du processus visionnaire Identifier un intérêt pour un secteur d'activités d'affaires amène l'entrepreneur à étudier, à creuser, à mieux comprendre ce secteur. Mais comprendre nécessite un minimum de connaissances. Nous en avons déjà parlé! Déceler une occasion d'affaires, c'est détecter l'opportunité, la niche qu'on pourra ensuite cibler. Certains des entrepreneurs étudiés qui ont très bien réussi n'ont pas apporté d'innovations majeures, mais ils ont su cibler et très bien servir un marché précis. La compétition sur les coûts, la qualité ou la rapidité, leur a procuré un avantage. C'était ça la niche. De plus en plus de niches semblent s'ouvrir autour de la dimension «temps» : non seulement choisir le moment propice, mais offrir un produit ou un service dans un laps de temps réduit. Une fois identifié l'espace qu'on désire occuper sur le marché, cela génère un fil conducteur autour duquel l'entrepreneur imagine et définit le contexte organisationnel dont il a besoin pour réaliser ce qu'il souhaite. C'est souvent là que débute le processus de partage de la vision pour l'entrepreneur qui crée son entreprise. Visionner, c'est donner une direction à ses activités. On a besoin de gens autour de soi pour nous aider à les réaliser. Pour passer à l'action, on va se donner un canevas de travail, un minimum de planification, souvent à la demande du banquier ou des partenaires financiers. Cet embryon finira par prendre la forme d'un plan d'affaires puis évoluera en plan stratégique.

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Une des différences entre gestionnaires de première ligne et entrepreneurs réside dans la façon suivant laquelle se structure le processus visionnaire. Les entrepreneurs passent une bonne partie de leur temps à définir où ils veulent aller ainsi que la façon dont ils vont s'y prendre pour y arriver. D'une certaine façon, on peut décrire l'entrepreneur comme un déceleur d'espaces à occuper et un définisseur de contexte pour y parvenir. C'est là un processus où on peut observer plusieurs similitudes entre l'entrepreneur et le stratège. Une fois l'opportunité détectée, la vision prend forme et vient fournir les directions au plan d'ensemble pour la mise en oeuvre. De son côté, le gestionnaire passe une bonne partie de son temps à faire des choix quant à l'utilisation des ressources en vue de réaliser des objectifs. Il est amené à élaborer des visions complémentaires. Plus son travail impliquera de dimensions stratégiques, plus ses activités s'apparenteront à celles de l'entrepreneur, y compris les activités de nature visionnaire. Alors que le gestionnaire de première ligne sera appelé à jouer un rôle de stratège au fur et à mesure de son ascension dans l'organisation, l'entrepreneur continuera souvent longtemps à prendre des décisions limitées à l'une ou l'autre dimension précise des opérations, tout en prenant des décisions stratégiques. Les modèles proposés ici ne présentent qu'une alternative parmi les configurations possibles qui intègrent les principaux éléments retenus des modèles de chaque entrepreneur étudié au cours de nos recherches. Ils nous sont apparus comme les dénominateurs communs les plus accessibles. Une fois les modèles compris, on s'interroge sur les étapes suivantes : comment ces modèles peuvent-ils nous servir pour développer une vision, et autant que possible une vision cohérente? Une fois cette étape franchie, comment s'intègrent-ils dans une organisation? Comment peut-on partager sa vision? Ce sont là les sujets que nous abordons dans la deuxième partie de ce texte. Partage de la vision Aborder le partage de la vision, c'est passer d'un processus individuel à un processus collectif, social où des individus intègrent, chacun à leur rythme, une progression soutenue par inter-action. Le terme «partage» est utilisé ici dans le sens de communion d'idées, de convivialité, d'harmonie, de communauté d'esprit, d'identité de vues. On fait référence à une certaine identité de vues que le dirigeant tente de créer quant à l'endroit vers lequel il veut orienter son organisation. La vision offre un repère structurant autour duquel on pourra construire un ordre social, celui d'un système organisationnel. Parler du partage de la vision c'est préparer la planification stratégique, car c'est engager les coeurs et les esprits dans une démarche qui les amènera à l'action. C'est aussi regarder des ensembles, pour comprendre de façon holistique l'entreprise et son secteur par rapport à l'environnement où elle évolue. On est arrivé à un moment dans l'histoire des organisations où ce n'est plus le savoir-faire qui fait défaut. Des multitudes d'individus pris séparément peuvent gérer et arriver à accomplir à peu près n'importe quoi. Ce dont les organisations, comme les sociétés, ont besoin ce sont d'agents polarisateurs de vouloir-être collectifs. Si on en est arrivé à parler de partage de la vision comme approche à la direction des entreprises, c'est dû aussi en partie au niveau général de savoir-faire où on est arrivé et qui permet au dirigeant de se concentrer sur l'ensemble et de laisser à chacun le soin de rendre opérationnel à sa façon son secteur d'activités. Nous abordons dans un premier temps les conditions du partage de la vision pour la direction, ensuite pour l'organisation, puis les moyens du partage avant d'introduire un schéma qui suggère un

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modèle du processus de partage de la vision. Les conditions du partage de la vision Il existe un certain nombre de conditions à respecter pour mener toute activité humaine et encore plus pour la réussir. Pour ce qui est du partage de la vision, nous en avons retenu douze : six pour la direction, six pour l'organisation. Elles sont reproduites aux tableaux 2 et 3 ci-dessous, puis expliquées brièvement par la suite. La direction Tableau 2 Conditions du partage de la vision 1. La direction

LLaa ddiirreeccttiioonn

. leadership

. expertise du secteur

. vision attrayante et réaliste

. transparence

. système de communication

. légitimité

- Leadership Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté quant à la personne qui détient le pouvoir et donne les

orientations. Cette personne doit être en mesure de fournir une orientation vers une direction donnée. Ceci implique cohérence et constance pour ne pas changer de direction à tout bout de champ. Le dirigeant doit être capable d'adopter une ligne directrice et de s'y tenir. Ceci ne signifie pas qu'il doit se buter. Il devra périodiquement apporter les rectificatifs qui s'imposent, mais on ne change pas d'idée au premier obstacle. Constance et solidité chez le dirigeant finiront par donner les signaux justes quant à l'orientation désirée.

- Expertise du secteur On a besoin d'un minimum de connaissances et d'expertise d'un secteur d'activités d'affaires

pour y visionner de façon réaliste. On n'insistera jamais assez là-dessus. C'est aussi sur cette expertise que le dirigeant construit sa crédibilité. C'est aussi à partir de là qu'il peut préparer le terrain dans l'entreprise pour mieux faire comprendre le pourquoi, la logique de sa vision.

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- Vision attrayante et réaliste Plus d'un dirigeant qui croit communiquer une vision exprime en réalité un désir vague

dans le style suivant : «On veut être les meilleurs». Avoir de la vision implique la com-munication d'un espace à occuper, de ce qu'on veut atteindre et par extension de ce qu'on a besoin de devenir pour y parvenir. La vision exprimée se doit d'être réaliste, atteignable, articulée, cohérente, attrayante. Elle doit contenir une vue différenciée d'une façon d'être et de faire. Si elle ne rencontre pas ces conditions, elle risque de ne pas être suffisamment mobilisatrice pour engendrer un effet d'attraction. Par exemple, pour Anita Roddick (1991) de Body Shop, la vision peut se résumer à «mettre en marché des produits de soins pour le corps qui soient les plus naturels possible, dans une perspective écologique». Les visions mobilisatrices semblent toutes contenir une dimension de mieux-être humain.

- Transparence Dans son mode d'exercice du pouvoir, le dirigeant visionnaire semble davantage axé sur la

créativité que sur la manipulation des gens. Le dirigeant visionnaire s'apparente au leader : il consacre beaucoup de temps et d'énergie à trouver et donner des orientations. Gorbachev nous a offert une dimension intéressante de cette façon de faire : au lieu de cacher les problèmes, mettons-les sur la table et voyons de quelle façon nous allons les régler ensemble. La transparence constitue à la fois un moyen et une conséquence de la solidité du leader. La transparence aura vite des effets sur la loyauté et l'engagement de l'organisa-tion. Celle-ci sera loyale et engagée au même degré que le dirigeant l'aura d'abord été.

- Système de communication Six à douze mois sont requis pour comprendre le minimum d'un secteur d'activités

d'affaires pour un dirigeant, et deux à cinq ans pour bien maîtriser son image du secteur. Beaucoup d'entreprises acquises pendant des cycles d'expansion des marchés doivent être revendues à perte deux ou trois ans plus tard lorsque la situation économique devient plus difficile. Pourquoi? Une des raisons réside dans le fait que les dirigeants n'ont pas appris à visionner. Ils ont continué à gérer dans les mêmes termes. En fait ils ne sont pas arrivés à visionner car ils ne sont pas arrivés à bien maîtriser l'image du secteur puis à y cibler des niches à occuper de façon différenciée. Il faut aussi du temps au dirigeant pour articuler une vision, il faut du temps pour la partager. Il lui faut maîtriser une compréhension externe et interne : à l'externe, celle du secteur, à l'interne, apprendre à jauger ce qu'il est possible d'atteindre compte tenu des caractéristiques de l'organisation et de son rythme d'évolution. Selon la dimension de l'organisation, de l'ancienneté de même que de l'expertise des gens du contexte, du temps et de l'énergie investis, il peut falloir entre un à trois ans au nouveau dirigeant pour intégrer un processus cohérent de partage de la vision.

- Légitimité Le dirigeant doit être reconnu comme étant légitime par l'organisation. S'il arrive au

pouvoir par la force, cela peut prendre du temps avant qu'il finisse par être accepté. Le dirigeant doit aussi être perçu comme étant capable d'apporter les changements qui reflètent les aspirations exprimées ou latentes des membres de l'organisation. Il doit aussi être en mesure de comprendre et de donner un rythme à la dynamique d'évolution et de changement de l'organisation. Les contacts personnels établis sur une longue période peuvent jouer un rôle vital ici. Il faut au dirigeant un minimum d'acceptation, de soutien, de légitimité pour obtenir les complicités nécessaires au soutien de la dynamique visionnaire qu'il veut mettre en place.

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En somme, c'est le dirigeant qui donne le ton. Son engagement, sa persévérance, l'efficacité de ses méthodes de travail, sa compréhension qu'une organisation est un système social qui a besoin qu'on l'alimente pour évoluer, tous ces éléments auront un impact sur le partage de la vision. D'autre part, le dirigeant n'est pas seul. Certaines organisations seront plus ou moins réceptives à certains dirigeants et à certaines visions. Il faut que la vision proposée s'insère dans la dynamique de l'organisation et en récupère les caractéristiques saillantes de son histoire. Mais il faut aussi que l'organisation remplisse un minimum de condi-tions pour que le partage devienne possible. Nous en présentons quelques-unes ci-dessous. L'organisation L'organisation doit présenter un certain nombre de caractéristiques et remplir certaines conditions pour que le partage de la vision devienne possible. La situation de l'organisation en ce qui a trait au partage de la vision peut offrir de grandes variantes. Par exemple, si c'est le dirigeant qui a créé son entreprise, celle-ci présente davantage de possibilités de s'être développée à son image. On observera des degrés de différences entre le dirigeant et son entreprise selon la provenance du dirigeant : vient-il de l'intérieur ou de l'extérieur? S'il vient de l'extérieur, quelle est son intégration à la culture du secteur? Ainsi les caractéristiques de l'organisation quant à l'endroit où elle se situe par rapport aux conditions du partage de la vision sont présentées en tenant compte de sa relation avec la direction de cette organisation. Ces conditions apparaissent au tableau 3 ci-dessous puis reprises en détail. Tableau 3 Conditions du partage de la vision 2. L'organisation

LL''oorrggaanniissaattiioonn

. image partagée de l'évolution du secteur

. image partagée du potentiel du secteur

. attitude positive face au changement

. loyauté

. engagement

. culture d'apprentissage

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- Image partagée de l'évolution du secteur Entretenir une image d'un secteur d'activités d'affaires implique un minimum de

connaissance et de compréhension du secteur. Lorsqu'on aborde le partage de la vision, il est important d'établir non seulement une connaissance mais aussi une compréhension commune du secteur et de son évolution. S'il n'existe pas un minimum de points communs qui amènent les gens à évoluer sur la même longueur d'ondes en ce qui concerne leur image de l'évolution du secteur, il devient difficile d'établir des ponts pour partager une image d'un état futur désiré par la suite. Ne l'oublions pas, une vision est une image d'un état futur désiré. Il est plus facile pour les gens de s'entendre sur un état futur désiré après s'être d'abord entendu sur l'état actuel des choses. Nos recherches nous ont appris trois éléments :

. D'abord, l'image d'un secteur peut varier énormément à l'intérieur d'une organisation

dépendamment de l'expérience du domaine, du groupe de références immédiat et des activités des personnes concernées. Par exemple, les gens qui travaillent au marketing et aux ventes semblent entretenir une meilleure image du secteur que ceux qui travaillent aux opérations ou à la comptabilité. En d'autres mots, les gens en contact avec des agents extérieurs semblent mieux informés sur le secteur et ses tendances.

. Ensuite, on remarque que l'image du secteur varie avec l'expérience acquise et le

temps passé dans le secteur. Chaque génération semble entretenir des images différentes. L'image du secteur que les gens ont acquise au moment où ils y sont entrés semble demeurer comme une toile de fond sur laquelle viennent se greffer les événements ultérieurs. On peut ainsi observer de grandes disparités dans les entreprises qui ont plus de 50 ans d'existence. Ceci peut présenter un problème majeur dans les cas de succession ou de transfert de pouvoir à la direction lorsqu'un dirigeant est resté en place plusieurs décennies consécutives. On en est venu, à la haute direction, à partager l'image du secteur. Si un nouveau dirigeant arrive en provenance de l'extérieur, il aura beaucoup de travail à faire pour établir de nouvelles bases communes de connaissance et de compréhension de l'évolution du secteur avant d'enclencher la mise en place de son processus visionnaire.

. Troisièmement, les entreprises dont les opérations sont toutes situées au même

endroit jouissent d'un avantage certain quant à l'image partagée de l'évolution du secteur. Celles qui ont fait des acquisitions, qui ont des opérations dans des secteurs différents ont besoin d'un travail d'information afin de s'assurer qu'on est bien tous au même niveau en ce qui concerne l'évolution du secteur ainsi que la position occupée dans le secteur. Il n'est pas du tout certain qu'on puisse développer une vision trans-sectorielle dans une entreprise qui évolue dans plusieurs secteurs d'activités différents. On pourra partager une philosophie de gestion mais il n'est pas certain par exemple que chaque division pourra occuper la position de leader dans chaque secteur.

- Image partagée du potentiel de l'organisation Il peut être possible de s'entendre sur ce qu'est l'état actuel du secteur ainsi que sur ses

tendances, mais la plupart des membres de l'organisation n'entretiennent pas une vue d'ensemble de l'organisation qui soit aussi complète que le dirigeant. On ne connaît pas aussi bien que lui les ressources et les capacités de l'organisation. Ceci est particulièrement

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vrai pour les ressources financières. Par exemple, le dirigeant peut mieux évaluer les possibilités d'investissement des actionnaires. Le propriétaire-dirigeant est souvent seul à connaître ses propres capacités financières. Il faut aussi regarder le potentiel des opérations de même que celui de la gestion. Plusieurs entreprises opteront pour une croissance rapide par la sous-traitance parce qu'on évalue insuffisantes les ressources de l'entreprise. Ici, les communications internes entre la direction et l'organisation peuvent jour un rôle stratégique vital car le personnel de l'organisation peut évaluer avec plus de justesse ce qu'il est possible ou non de réaliser. Ils peuvent aussi connaître des ressources externes compétentes qui coûtent moins cher.

- Attitude positive face au changement Le partage de la vision conduit l'organisation à s'insérer dans un processus évolutif. Ceci

nécessite non seulement l'acceptation mais aussi le désir du changement. On dit que la résistance au changement croît avec l'âge. Ce précepte peut s'appliquer tant aux organisations qu'aux individus. Je n'ai pas vu un seul cas où un nouveau dirigeant a réussi à insérer une nouvelle vision dans une organisation existante depuis au moins 20 ans sans apporter de changement de personnel à un minimum de postes-clefs. Il semble qu'il faille introduire un minimum de changements dans les ressources humaines pour générer une dynamique de changement.

- Loyauté Les discussions qui auront cours sur l'évolution du secteur, le positionnement de

l'entreprise dans le secteur, les niches à occuper, les façons de les occuper, les transforma-tions organisationnelles requises, vont amener la direction à fournir énormément de renseignements parfois de nature stratégique sur cette organisation. Si on est dans un climat où certains ont des comptes à régler, où des compétiteurs pourraient profiter de cette information, où certains pourraient en profiter pour partir à leur compte, cela viendra ralentir ou même annihiler le partage de la vision. Il faut un minimum de loyauté si on veut avoir accès à suffisamment d'informations pour être impliqué dans le processus. La loyauté cela se cultive en commençant par la direction.

- Engagement Il faut que chacun se retrouve dans la vision. Pour ce faire, il faut concevoir un système où

les gens se commettent. Les visions complémentaires de ce que chacun fera dans son secteur d'activités peuvent être définies soit conjointement, soit par les personnes concernées elles-mêmes. La qualité, c'est d'abord la responsabilisation de chacun. Cela peut se manifester lors de l'élaboration et de la mise à jour des budgets, du plan stratégique, des plans d'action sectoriels. Le dirigeant définit des orientations d'ensemble. Il revient à chacun de définir les siennes dans son secteur. À partir de là, on peut négocier.

- Culture d'apprentissage Le visionnaire apprend, intériorise. «On est amené à dépasser l'orientation initiale que

donne le consultant; on est forcé d'aller au fondamental» insiste André Dostie, un dirigeant étudié. Les gens de l'organisation devront se mettre à apprendre pour que le partage de la vision puisse s'opérer. On devra s'interroger sur les clients, les compétiteurs, s'intéresser aux événements reliés au travail, salons commerciaux, industriels, lire les publications dans lesquelles on parle des tendances du secteur, participer à des séminaires, suivre des cours, même lire quelques livres. L'image que la direction entretient de l'organisation constitue

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aussi une variable non négligeable dont nous avons peu parlé. Elle risque de fluctuer en fonction du temps que consacrera à son organisation le dirigeant. Il faut consacrer un minimum de temps à l'organisation pour en tenir l'image à jour et il faut que les gens de l'organisation puissent donner l'heure juste. On se doit de créer un climat propice pour soutenir cet apprentissage, car tout ce qui concerne la vision et son partage se situe et consiste à se placer dans un processus évolutif.

En somme, les conditions du partage de la vision, qu'elles soient reliées à la direction ou à

l'organisation, dépendent essentiellement du dirigeant. Il doit s'assurer de les mettre en place avant de commencer à travailler sur les moyens proprement dits du partage de la vision. Évidemment, la loyauté est quelque chose qui n'est jamais totalement achevée. Mais il en faut un minimum pour commencer à partager. Plus d'une recherche ont montré qu'une des bonnes façons de se maintenir bien informé sur l'évolution du secteur, consiste à maintenir des relations étroites avec les fournisseurs et leurs représentants. Ces derniers visitent des entreprises à longueur de journée et sont bien informés de ce qui s'y passe.

Les moyens du partage de la vision Une fois les conditions mises en place, du moins pour l'essentiel, on aborde les moyens plus directs de partage de la vision. Sur ce point, comme sur plusieurs autres abordés dans ce texte, la littérature en gestion apparaît assez limitée. On connaît pourtant un certain nombre de recherches intéressantes sur la préparation du successeur tant dans les entreprises familiales que non familiales (McCall et Lombardo, 1983; McCauley, 1986; McCall. Lombardo et Morrison, 1988; Hugron, 1992; Fiegener, Brown et al., 1996). Ces recherches abordent la préparation à la succession et, pour ce faire, on étudie implicitement la façon selon laquelle on partage, on transmet la vision d'un dirigeant à l'autre. Ces recherches rapportent des moyens directs et indirects. Ils sont présentés au tableau 4, puis commentés sommairement.

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Tableau 4 Moyens de partage de la vision 1. Mode inter-personnel

Relations directes Relations indirectes

- Observation - Influence des tâches à accomplir

- Communication inter-personnelles - Tâches spéciales à réaliser. Ex. : participation à la planification stratégique

- Introduction à des personnes-clefs - Formation

- Activités informelles communes (ex. golf)

- Communications de groupe

Ward (1991) insiste sur le fait qu'une des bonnes façons de bien préparer son successeur consiste à enseigner patiemment l'histoire, la philosophie ainsi que l'évolution de la stratégie de l'entreprise. D'autres insistent sur l'importance de confier des tâches dont l'importance augmente graduellement. Par exemple, les tâches qui impliquent des relations avec les actionnaires et avec les clients semblent privilégiées. Lorsqu'on parle de partage de la vision avec une organisation, on entre dans un système inter-subjectif à multiples acteurs dont la complexité s'amplifie. Même si ce partage implique un système relationnel entre le dirigeant et un ensemble, il n'en demeure pas moins que le dirigeant devra s'attarder à établir une relation inter-personnelle plus étroite avec les leaders de l'organisation. Six moyens sont proposés pour soutenir un processus de la vision. Ils sont présentés au tableau 5 ci-dessous, puis commentés :

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Tableau 5 Moyens de partage de la vision 2. Mode organisationnel

Communication

Négociation Transformation

Formation Reconnaissance

Rythme

Communication La communication implique un émetteur et un récepteur. Le dirigeant visionnaire sait écouter. Il sait poser les bonnes questions. Parce qu'il travaille autour des fils conducteurs pour lui-même, il sait donner des pistes auxquelles les autres peuvent se raccrocher. Les moyens de la communication ainsi que la façon de les utiliser varient énormément d'une entreprise à l'autre. Mentionnons : les rencontres individuelles et collectives, les groupes de travail, les vidéos, les journaux et autres publications internes, l'accueil et l'initiation pour les nouveaux employés, les activités de formation, les conférences-midi. On observe que ce qui est communiqué atteint des niveaux de profondeur très différents, varie énormément tant dans la forme que dans le contenu d'une entreprise à l'autre. Les rencontres d'une heure par mois que font certains dirigeants de PME avec des groupes de 30 à 40 employés apparaissent fort stimulantes. Le dirigeant explique - parfois à l'aide de graphiques et d'acétates - ce qu'on veut faire, ce qu'on essaie de développer. Il répond aux questions, note des suggestions. Ces présentations sont complétées par d'autres personnes de l'entreprise. Un vendeur est venu expliquer les problèmes qu'il avait eus avec un nouveau produit chez un client. La discussion qui s'ensuivit permit d'apporter des correctifs à une vison complémentaire-clef, celle de la mise en marché de ce nouveau produit. Les gens de ce service de production sont sortis de cette réunion déterminés à fabriquer un produit sans faille. Ils se souviendront longtemps de cette rencontre. Il importe que la communication se fasse dans la transparence et qu'on sente de part et d'autre qu'on évolue vers un canevas intégrateur. Plus on communique, plus la vision semble prendre forme facilement, se préciser, être réalisée et évoluer. Ici, la qualité de la communica-tion importe davantage que la quantité. Elle doit refléter une implication. Négociation Le partage puis la mise en place d'une vision nécessite des choix stratégiques de lancement de produits/services, d'orientation de marchés et d'utilisation des ressources. Dès le début des discussions sur l'élaboration de visions on voit apparaître des négociations sous diverses formes

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dans la haute direction. Lorsque le dirigeant est propriétaire, on se rallie volontiers plus facilement. Lorsqu'il s'agit d'un gestionnaire, moins son pouvoir est assis solidement, plus on risque d'assister à des négociations ardues. Dans certains cas, on assistera à des divisions dans la haute direction qui iront jusqu'au divorce. On créera des entreprises distinctes. Cela se produit lorsque certaines conditions décrites dans la section précédente ne sont pas rencontrées, en particulier celles qui ont trait aux images partagées sur l'évolution du secteur, à la reconnaissance de l'expertise du dirigeant et à la loyauté qui n'a pas été suffisamment cultivée de part et d'autre. Dirigeants, ne négligez pas «les habiletés politiques: sans elles, point de salut!» (Harel-Giasson 1993). Toutefois, on doit se fixer une limite au-delà de laquelle on n'ira pas, car le dirigeant qui cède au-delà d'une certaine limite voit sa vision tellement diluée qu'elle perd son avantage compétitif et sa force d'attraction. Le dirigeant aurait dû livrer bataille à ce moment-là. Parce qu'il ne l'a pas fait, il finira par devoir quitter l'entreprise de toute façon, parce que ce qu'il est forcé de faire ne fonctionne pas. Il a perdu confiance suite à ce qu'on l'a empêché de faire. Transformation Dans la première partie de ce cahier, nous avons vu que les relations influencent la vision et que réciproquement, au fur et à mesure qu'elle progresse et prend forme, la vision sert de critère implicite ou même explicite à la mise en place de nouvelles relations en commençant par celles des collaborateurs immédiats. C'est ce qu'on veut réaliser qui nous amène à nous entourer de gens dont on a besoin pour y parvenir. Le dirigeant qui a une vision s'en servira pour recruter et sélectionner les gens dont il s'entourera. Déjà là, on peut déceler une différence énorme entre l'entrepreneur qui crée son entreprise et s'entoure de gens qui partagent ses vues, sa culture dès les tout débuts, comparativement au gestionnaire qui arrive dans une entreprise où il a à travailler avec des collaborateurs qu'il n'a pas choisis et qui risquent d'être des gens qui ne partagent pas ses vues. C'est surtout là qu'il faut parler de transformation, de réingénierie de l'organisation (Hammer et Chamky, 1993). Il est peu probable qu'un dirigeant parvienne à partager et mettre en place une vision dans une nouvelle entreprise où il arrive, sans avoir à placer quelques-unes de ses relations à des postes-clefs et sans procéder à un minimum de transformations architecturales. Plus on évolue dans un processus de partage visionnaire, plus il faut penser à une organisation en transformation permanente. On évolue vers des structures modulaires souples où les gens sont responsabilisés par secteurs d'opérations et invités à développer leur vision. Dans la transformation, on devra tenir compte du niveau d'autonomie requis - compte tenu du secteur d'opération - pour que l'organisation fonctionne de façon créative. Par exemple, Max de Pree (1990) se doit de laisser une grande marge de manoeuvre à ses gens car il évolue dans la conception de mobilier. On ne peut laisser une si grande marge de manoeuvre dans les services financiers par exemple (Robichaud, 1993). En général, les organisations semblent encore beaucoup trop centralisées et auraient avantage à recourir plus à la sous-traitance. Ceci leur permet d'opérer à partir d'un cadre d'opération moins lourd où il devient plus facile de conserver une organisation en perpétuelle mutation. Formation Les organisations, même petites, qui se sont dotées de moyens de formation bénéficient d'un avantage certain. On a parlé de culture d'apprentissage. On se doit de l'initier, la soutenir, la développer. Favoriser la formation certes, mais l'organiser soi-même c'est encore mieux. Il faut pourtant éviter que l'organisation ne devienne par là un système totalitaire. Certaines

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entreprises ont développé des systèmes qui s'apparentent à cela. On peut éviter cette situation en laissant les gens par services, par catégories d'activités, participer à la définition de leurs besoins de formation de même qu'à l'élaboration des programmes et au choix des moyens de formation. L'implication de chacun sera vite reflétée par la motivation à apprendre. Formation et vision se rencontrent plus particulièrement lorsqu'on utilise les groupes de formation pour les insérer dans un processus visionnaire : les amener à développer des visions complémentaires par leur participation à l'élaboration de plans d'action dans leurs secteurs d'opérations respectifs. Reconnaissance Le partage de la vision aura plus de chance de réussir s'il est fait à partir d'un plan de communication bien orchestré. Dans ce plan, on aura avantage à travailler par gradation. D'abord montrer beaucoup de respect et de confiance aux gens de l'organisation afin de hausser le niveau d'estime de soi. Plus on le fera, plus les gens auront tendance à s'engager, à se responsabiliser. Ensuite, on aura avantage à passer aux récompenses tant individuelles que de groupe. Savoir reconnaître les contributions en particulier celles qui font avancer l'entreprise dans la direction de la vision suggérée. Un des effets indirects de la grande dimension et du syndicalisme sur les organisations réside dans une certaine standardisation des comportements. Les organisations, comme les sociétés, qui ne savent pas reconnaître les entrepreneurs, celles et ceux qui sont des agents de changement, finissent par mourir. Dans une perspective d'évolution visionnaire, les récompenses à privilégier peuvent être des stages de formation payés, choisis par la personne elle-même. Rythme Gérer une organisation, c'est aussi savoir jauger le rythme de croisière de son évolution. Lors de la présentation des conditions, nous avons insisté sur le temps : il faut savoir prendre le temps. Dans les moyens, nous insistons sur le rythme : il faut savoir utiliser le temps au maximum. La compétitivité des organisations se joue de plus en plus sur le temps d'action et de réaction. De là l'importance de la communication : système de communication bien rodé, système organisationnel souple et bien coordonné, activités de formation, de développement et d'apprentissage continues. Une fois cela en place, on peut faire prendre de la vitesse à l'organisation. Le temps de conception, de développement, de mise en marché de nouveaux produits sera réduit. On se donne aussi des mécanismes pour viser juste. À l'occasion, on sait ralentir le tempo. Par exemple, une entreprise super performante étudiée fait une pose d'un an tous les cinq ans. Pendant cette période on fait le point. On discute de visions émergentes et de vision centrale mais on ne travaille pas activement sur le développement de nouveaux produits. On accumule tellement d'idées au cours de cette année-là qu'on en a pour cinq ans à les réaliser. Nous avons proposé un ensemble de conditions et de moyens pour soutenir le partage de la vision dans une organisation. Il va de soi que ces conditions et moyens ne peuvent pas toujours être mis en place de façon séquentielle. Les organisations où une vision a été partagée et intégrée ont pourtant toutes travaillé, à des degrés divers et dans des ordres fort disparates il faut le dire, à mettre en place ces conditions et ces moyens. Le gradualisme, la méthode des petits pas, l'ajustement continuel, l'écoute sont à la base de la méthode de travail du dirigeant qui progresse en cette matière du partage de la vision.

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Nous allons maintenant regarder de quelle façon se produit ce partage de la vision. Le partage de la vision implique une combinaison de facteurs. Toutefois, cinq éléments principaux semblent y exercer une influence déterminante : l'image du secteur, la vision projetée du dirigeant, la culture de l'organisation, le contexte situationnel et les habitudes d'apprentissage qu'aura acquises l'organisation. Un modèle est suggéré (schéma 4) ci-dessous, et ensuite commenté. Schéma 4 Partage de la vision

L'image partagée du secteur L'image du secteur, c'est la compréhension que l'on a du secteur concerné. Cette dimension fondamentale du processus visionnaire a été abordée dans la première partie de ce cahier. Ce qui importe dans le processus de partage de la vision, c'est d'établir d'abord une base commune de compréhension du secteur ainsi que de ce qui est en train de s'y passer. Si on n'entretient pas les mêmes perceptions, si on n'a pas la même compréhension de ce qui est en train de se produire dans le secteur, on risque fort de ne pas être sur la même longueur d'ondes en ce qui a trait au partage de la vision. Si le nouveau dirigeant ne s'attaque pas à mettre à jour l'image du secteur d'abord, il devient très difficile d'amener par la suite les gens à partager sa

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vision puisqu'on ne part pas des mêmes prémisses. La vision du dirigeant «Il faut que tout le monde trouve son compte et puisse s'identifier à la vision projetée» insiste André Dostie, vice-président exécutif et chef de l'exploitation de Joailliers Birks, un des dirigeants étudiés dans cette recherche. On retrouve la même dimension chez Cascades. Il faut que la vision présente assez de dénominateurs communs pour que chacun non seulement s'y retrouve mais puisse l'intégrer, la faire sienne. Elle vient donner un sens, une direction, une orientation au travail de chacun. Il faut qu'elle soit à la fois attrayante et réaliste. Pour élaborer une vision réaliste qui soit assez attrayante pour être adoptée par les membres de l'organisation, il faut qu'ils y retrouvent un peu d'eux-mêmes. Il faut aussi que le dirigeant maîtrise bien sa connaissance du secteur, qu'il en aie une image assez adéquate. Il faut qu'il échange beaucoup avec les gens de son organisation. Il faut aussi que le dirigeant respecte bien les espaces de chacun en s'en tenant à une vision assez générale pour que chacun s'y retrouve et puisse en préciser les applications, chacun dans son secteur d'opération. Par exemple, dans son document Back To The Future, André Dostie trace les lignes directrices et les grandes orientations vers lesquelles il suggère d'orienter Birks. Il reste à chacun de rendre opérationnelle la démarche dans son secteur d'activités. Mais on sait où on s'en va. La culture de l'organisation Les valeurs, les normes, le savoir-être collectif, les habitudes de vie qualifient le rythme de changement auquel on est habitué. Il faut un minimum de culture du changement pour qu'une organisation progresse dans un processus visionnaire. André Dostie qui opéra un virage à 180o chez Birks en 93-94 parle de rétablir une «culture de gagnants». En fait, c'est parce qu'on veut gagner qu'on est prêt à changer, à s'ajuster, à cheminer puis à travailler en conséquence pour y arriver. La création d'une culture de gagnants c'est une stratégie non seulement pour éliminer la résistance au changement mais aussi pour créer un mouvement, un momentum vers le changement. C'est une façon de préparer le terrain, de rendre le climat propice, réceptif à la nouvelle vision. Celle-ci sera accueillie comme un fruit mûr, un élément polarisateur qu'on attend. Les dirigeants étudiés ont tous parlé de la culture du client. Chacun dans l'organisation, à tous les niveaux, doit penser «client» pour organiser son travail et l'accomplir. Tout cela crée un terrain propice où la réceptivité à l'information et aux idées augmente. En somme, on ne lance pas une nouvelle vision dans le vide. Il faut préparer le terrain, les esprits, réfléchir tout haut, communiquer ce qu'on est et ce qu'on veut devenir. La vision offrira des pistes pour concrétiser cela. Le contexte situationnel Le contexte économique général, sectoriel, celui de l'entreprise va jouer un rôle quant à la réceptivité de l'organisation, quant au désir des gens de changer. On attend du dirigeant qui arrive à la tête d'une entreprise en difficulté qu'il apporte des changements, qu'il propose une vision. Plus le contexte est difficile, plus on attend du dirigeant qu'il apporte une vision nouvelle, attrayante et bien ciblée à laquelle on pourra adhérer. Par contre, le successeur de l'entrepreneur fondateur, n'a pas toujours la tâche facile. Cela devient encore plus difficile si l'entreprise a obtenu de bons résultats. On attend du successeur une vision renouvelée mais qui

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s'insère dans la continuité. Des tensions internes sont inévitables pendant ces périodes d'ajustement. Nous venons de parler dans les pages qui précèdent de quelques éléments qui permettent de comprendre l'articulation du processus de partage de la vision. Nous abordons maintenant les conditions de même que les moyens de ce partage. L'apprentissage Le développement d'une vision chez le dirigeant se présente le plus souvent comme la résultante d'une culture d'apprentissage. La vision qui prend forme graduellement offre un fil conducteur autour duquel on organise tant ses activités que l'apprentissage requis pour les entreprendre et les mener à terme. Pour être en mesure de partager sa vision, le dirigeant devra amener l'organisation à pratiquer un minimum de culture d'apprentissage. Le partage de la vision constitue une activité d'inter-relation systémique pro-active. On ne fait pas que de l'ajustement réciproque, on établit une culture dynamisante où on va évoluer ensemble. Cela requiert non seulement des activités de communications inter-actives, mais des activités de formation formelles tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation. Chacun doit s'insérer dans une dynamique d'apprentissage. Le milieu où évolue l'entreprise peut jouer un rôle qui peut être classé sur un vecteur entre l'éteignoir et la sur-stimulation en ce qui concerne l'apprentissage et la croissance personnelle. On doit en tenir compte lorsqu'on aborde un phénomène comme celui du partage de la vision. C'est là un des éléments qui pourra faire la différence pour engendrer une vision statique ou dynamique. La vision commune La vision commune c'est la résultante du processus décrit. Le partage sera proportionnel aux conditions et moyens mis en place (Typologie à suggérer). ********* Tout au long de ce cahier, nous avons fait référence essentiellement à un processus d'élaboration et de partage de la vision initié à partir du haut de la pyramide, à partir du dirigeant. Nous dirons maintenant quelques mots sur le partage d'un processus visionnaire initié par la base. Visionnaires et visionneurs Dans toute organisation, et en particulier dans la grande entreprise, on remarque que les configurations de partage de la vision peuvent prendre diverses formes. Une étude d'intrapre-neurs dans des organisations parapubliques a montré que leur articulation de micro et mini-visions, visions émergentes et complémentaires finissait par présenter des éléments orienteurs pour la mise en place d'une vision centrale dans leur organisation (Filion, 1990b et c). On arrive ainsi à un partage visionnaire qui présente une configuration inverse de celle à laquelle il a été fait référence précédemment et où le partage de la vision s'établit de bas en haut. En fait, dans certaines organisations publiques ou parapubliques, on ne peut même pas parler de partage de la vision vers le haut car plus on monte dans la pyramide, moins on retrouve de gestionnaires prêts à accepter une vision au sens où cet article le propose. Ce sont les

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visionneurs à la base qui agissent comme moteurs de l'organisation. Dans bien des cas, ils n'ont pas le choix, car ils sont sur la ligne des opérations et là quelque chose de nouveau doit être apporté pour faire face au changement et continuer à servir la clientèle. La grande difficulté de ces visionneurs consiste à établir un système relationnel de soutien. Ils s'isolent car personne ne veut être associé à leur déviance. Les gestionnaires en haut soit ne veulent pas de changements, soit ne sont pas prêts à tolérer des changements qui font déjà consensus. Ils visent d'abord à conserver leur poste et leur statut. S'il n'est pas facile de faire bouger une entreprise qui nous appartient, cela devient beaucoup plus difficile de le faire dans celle où le pouvoir est très diffus : les organisations publiques par exemple. Le fait de savoir identifier, reconnaître, soutenir les intrapreneurs, ces visionneurs de micro et de mini-visions présente des avantages certains pour une organisation. C'est là que le changement peut être introduit à moindre risque. Et quoi de mieux qu'un champion qui croit à son projet pour que ça réussisse. Cela, certaines grandes entreprises l'ont compris. Par exemple, chez Norsk-Hydro à Bécancour, la vision centrale a émergé des visions complémentaires sectorielles issues de la base. L'entreprise atteint de cette façon un des meilleurs rendements du groupe. Elle est même devenue un modèle que les Norvégiens eux-mêmes viennent étudier. Ces modèles organisationnels où la vision émerge de la base - que cela soit voulu ou non - ne sont pas exempts de zones de tensions et de frictions. La mise en place des conditions et des moyens de partage devient majeure, en particulier les habiletés de négociation des responsables en place. Nous avons présenté et abordé plusieurs dimensions du processus d'élaboration et de partage visionnaire. Avant de conclure, nous dirons quelques mots sur la qualité d'une vision puis sur la relation entre le partage de la vision et la performance. Vision statique et vision dynamique Les dirigeants d'entreprise utilisent de plus en plus le concept de vision. Des firmes, des partis politiques, des revues ont même inclus le mot «vision» dans leur identification. On a fait du concept et de son utilisation une mode. On constate qu'il existe toutefois bien des niveaux dans l'articulation et le partage d'une vision. Nous allons ici en décrire brièvement deux. D'abord la vision statique. C'est la plus courante. C'est l'idée fixe, le rêve. Sa formulation n'est basée sur rien de cohérent. On n'est pas trop articulé : on ne sait pas trop quoi faire pour insuffler un mouvement à son organisation. On regarde autour et on suit les modes du jour. On entend parler de vision, alors pourquoi est-ce que je n'en n'aurais pas une, moi aussi! C'est la vision-minute qui risque d'avoir plus d'effets négatifs que positifs. D'abord parce qu'elle n'est pas réaliste, elle ne se réalisera pas. Elle risque d'engendrer plus d'effets démobilisateurs à long terme. C'est le ballon qui va se dégonfler. Ensuite parce qu'elle ne résulte pas d'un cheminement qui a été fait par le dirigeant, elle n'implique pas d'engagement réel ni de mise en place d'un ensemble de moyens pour qu'elle soit réalisée. On parlera bientôt d'autre chose et vogue la galère! À l'autre extrême, la vision dynamique reflète un processus où le dirigeant a fait sérieuse-ment ses devoirs, a analysé son secteur, a réfléchi, a intériorisé ce qu'il veut et ce qu'il est possible de réaliser. Il s'engage à fond dans le processus. La vision devient la racine et le fil conducteur de son activité. Plus elle comporte de différenciations, plus il devient impérieux d'expliquer, de convaincre. C'est là la marque du leadership. Que ce soit au niveau politique ou organisationnel, avec Mandela en Afrique du Sud ou avec Jack Welsch chez GE, comme membre d'une organisation, on se sent mobilisé! Une vision dynamique mobilise car elle

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exprime l'engagement d'un leader, elle offre un instrument évolutif d'apprentissage qui fera grandir chacun. Cela se reflétera sur la marche de l'organisation qui arrivera ainsi à se démarquer. Le succès d'une organisation résulte du processus évolutif dans lequel se sont impliqués ses membres. Le partage de la vision se présente comme le fil conducteur par excellence pour soutenir cette démarche. Partage de la vision et performance Aborder la relation entre le partage de la vision et la performance présente un véritable défi. D'abord, parce qu'il faut tenir compte des contextes, des cycles, des circonstances, des secteurs. Identifier des comparables ne s'avère pas toujours facile. Ensuite, la grande relativité de la notion de performance et de succès rend encore plus difficile les comparables. Chez l'entrepreneur la notion de succès varie énormément. Alors que certains évaluent le succès à partir de critères extrinsèques reliés au statut et à la manifestation de richesse, d'autres ont leur propres critères intrinsèques basés sur leur réalisation en tant qu'individus. Pour un bon nombre, l'entreprise est d'abord un moyen d'expression d'eux-mêmes. Chez le gestionnaire, on rencontre la même diversité. Par exemple, si on se réfère aux types de leaders de Pitcher (1994), on peut imaginer que la performance pour l'artiste est liée à la croissance tandis que pour le technocrate, c'est le rendement maximal sur l'avoir des actionnaires. L'avantage que présente la vision et le partage de la vision pour la performance peut-être relié essentiellement à deux dimensions : la cible et la frontière. Travailler à partir d'une approche visionnaire implique des cibles. On part de plusieurs éléments particuliers - marché, compétition, tendances du secteur - pour évoluer vers le général - vision centrale - puis revenir au particulier - visions complémentaires. Le processus visionnaire force à ne pas perdre de vue pourquoi on fait les choses. Il force à se cibler, à ajuster continuellement son tir pour viser plus juste. Le grand danger de l'organisation qui vieillit, consiste à perdre sa dynamique, à dériver en continuant à faire les mêmes choses. L'autre avantage se présente sous la forme de frontières : savoir fixer des balises, éviter la dispersion. Entre la cible et la balise, on pourra se concentrer sur le corridor, le segment dans lequel on deviendra performant. Si on le peut, si on en présente les caractéristiques, on aura avantage à rechercher des secteurs reliés à la nouvelle économie (Beck, 1994). On risque d'être plus performant. Conclusion Nous avons abordé le sujet du partage de la vision à partir de modèles dégagés de l'étude des entrepreneurs quant à l'initiation et au développement de visions. Nous avons ensuite regardé de quelle façon ce partage s'effectue dans les organisations en général. Les dimensions techniques du processus visionnaire présentées dans la partie droite du schéma 2 et au schéma 3 semblent s'opérer à peu près de la même façon chez les entrepreneurs et les gestionnaires. La grande différence se situe dans la partie gauche du modèle présenté au schéma 2. Pour l'entrepreneur, son entreprise c'est sa vie. Il y est engagé profondément, y déploie beaucoup d'énergie. L'expertise accumulée finit par lui conférer du leadership. Cela se sent et finit par se refléter lors du partage de la vision. Dans certaines entreprises, l'intensité de la communication de l'entrepreneur est tellement forte qu'elle semble se produire par osmose. La leçon d'engagement, d'intériorisation devient ici très forte pour le gestionnaire. Une vision est une image projetée d'une réalité désirée. Pour être réaliste, il faut qu'elle soit basée sur une image aussi adéquate que possible de la réalité actuelle du domaine et du secteur concernés. La vision

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et son partage précèdent la gestion et en déterminent le cadre stratégique et opérationnel. Le partage de la vision nécessite des mécanismes de négociation et d'ajustements pour une organisation qui s'insère de cette façon dans un mouvement en perpétuelle évolution. Proposer un système de partage de la vision, c'est sortir des modèles tout faits pour recréer chaque jour l'organisation. C'est intégrer un système évolutif. Pour que ce système évolue bien, on aura avantage à y favoriser des comportements pro-actifs et à inviter chacun à joindre le processus. On obtient ainsi un mélange entre une stratégie formulée par la direction et une stratégie émergeant de la base. On est orienté essentiellement sur l'avenir. On évolue à partir du mélange droite-gauche, tant individuellement que collectivement. On a recours tant aux caractéristiques d'analyse et de rationalisation de la partie gauche du cerveau qu'à celles d'imagination et de créativité de la partie droite. On évolue vers l'organisation imaginative. Saint-Simon insistait pour que les dirigeants passent de l'administration des choses au gouvernement des hommes. Dans une perspective de partage de la vision, on passe de la gestion par planification à la direction par imagination, de l'administration des opérations à la mise en place d'un système social à qui on a donné une cause, un projet. Mais dirigeants, attention, la proposition d'une vision constitue une arme à double tranchants qui pourra faciliter votre acceptation et vous conduire au succès comme mener à votre rejet et engendrer votre perte. À vous de bien discerner, de bien juger, de savoir bien utiliser l'espace et le temps et savoir choisir les moments propices!

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