objets connectés pour le meilleur et le pire · un tiers mal intentionné peut ainsi prendre le...

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11 TENDANCES DÉCRYPTAGE I nternet se développe à très grande vitesse en un nouveau réseau étendu appelé Internet des objets (IoT en anglais), reliant tous ceux devenus connectables. Ce ne sont pas des ordinateurs, mais ces objets ont besoin d’être connectés à Internet pour fonctionner. Quinze milliards d'objets aujourd'hui ; ce chiffre pourrait atteindre, selon les experts, les 80 milliards en 2020. Cette évolution ouvre de nouveaux marchés prometteurs, mais soulève de nombreuses questions sociales. Quant à son impact sur les libertés individuelles et la protection de la sphère privée, en particulier dans la perspective de la protection des données, il n’est pas à sous- estimer. Longtemps réservés aux technophiles fortunés, les objets connectés sont aujourd’hui entrés dans notre vie quotidienne. Des montres intelligentes aux téléphones portables, en passant par les réfrigérateurs, les jouets, les voitures, les caméras de surveillance, les serrures, ou Objets connectés pour le meilleur et le pire ! ———— Devenus une réalité de notre quotidien, les objets connectés ont deux faces comme Janus, l'une positive et l'autre non. S'ils facilitent l'existence, ils mettent aussi en péril notre sphère privée et ses données confidentielles. Une prise de conscience collective s'impose. GILLES MEYNET, VINCENT PFAMMATTER, ASSOCIATION NEURHONE CONNECTEUR D'IDÉES encore les appareils médicaux et paramédicaux… la liste est quasiment infinie. Et cela n’est pas près de s’arrêter. LE MEILLEUR… La connectivité des objets de notre quotidien a ouvert un champ illimité d'applications pratiques, qui portent la promesse de l’amélioration de notre société et de nos conditions de vie. Il y a des gadgets, parfois pratiques, souvent amusants. Ainsi, l’oreiller connecté envoie un signal à la machine à café, afin de renforcer la dose de caféine en cas de sommeil perturbé. La voiture connectée peut indiquer où et quand il convient de faire le plein (et la station-service la moins chère), de même qu'elle peut contacter les secours en cas d'accident, envoyer des informations sur une panne ou éviter des obstacles. Mais les objets connectés jouent aussi un rôle important dans d’autres domaines, tels que la santé ou la justice. Aujourd'hui, il existe déjà plus de quinze milliards d'objets connectés ! © HES-SO Valais/Wallis photo.Genic.ch PRINTEMPS 2017 —— VVA 11

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Page 1: Objets connectés pour le meilleur et le pire · Un tiers mal intentionné peut ainsi prendre le contrôle de n’importe quel objet doté d’une caméra ou d’un micro et espionner

11TENDANCES DÉCRYPTAGE

I nternet se développe à

très grande vitesse en un

nouveau réseau étendu

appelé Internet des objets (IoT

en anglais), reliant tous ceux

devenus connectables. Ce ne

sont pas des ordinateurs, mais

ces objets ont besoin d’être

connectés à Internet pour

fonctionner. Quinze milliards

d'objets aujourd'hui ; ce chiffre

pourrait atteindre, selon les

experts, les 80 milliards en

2020. Cette évolution ouvre de

nouveaux marchés prometteurs,

mais soulève de nombreuses

questions sociales. Quant à

son impact sur les libertés

individuelles et la protection de la

sphère privée, en particulier dans

la perspective de la protection

des données, il n’est pas à sous-

estimer.

Longtemps réservés aux

technophiles fortunés,

les objets connectés sont

aujourd’hui entrés dans notre

vie quotidienne. Des montres

intelligentes aux téléphones

portables, en passant par

les réfrigérateurs, les jouets,

les voitures, les caméras de

surveillance, les serrures, ou

Objets connectés pour le meilleur et le pire !

———— Devenus une réalité de notre quotidien, les objets connectés ont deux faces comme Janus, l'une positive et l'autre non. S'ils facilitent l'existence, ils mettent aussi en péril notre sphère privée et ses données confidentielles. Une prise de conscience collective s'impose. GILLES MEYNET, VINCENT PFAMMATTER, ASSOCIATION NEURHONE CONNECTEUR D'IDÉES

encore les appareils médicaux

et paramédicaux… la liste est

quasiment infinie. Et cela n’est

pas près de s’arrêter.

LE MEILLEUR…

La connectivité des objets de

notre quotidien a ouvert un

champ illimité d'applications

pratiques, qui portent la

promesse de l’amélioration

de notre société et de nos

conditions de vie.

Il y a des gadgets, parfois

pratiques, souvent amusants.

Ainsi, l’oreiller connecté

envoie un signal à la machine

à café, afin de renforcer la

dose de caféine en cas de

sommeil perturbé. La voiture

connectée peut indiquer où et

quand il convient de faire le

plein (et la station-service la

moins chère), de même qu'elle

peut contacter les secours en

cas d'accident, envoyer des

informations sur une panne ou

éviter des obstacles. Mais les

objets connectés jouent aussi

un rôle important dans d’autres

domaines, tels que la santé ou

la justice.

-^

Aujourd'hui, il existe déjà plus de quinze milliards d'objets connectés ! © HES-SO Valais/Wallisphoto.Genic.ch

PRINTEMPS 2017 —— VVA 11

Page 2: Objets connectés pour le meilleur et le pire · Un tiers mal intentionné peut ainsi prendre le contrôle de n’importe quel objet doté d’une caméra ou d’un micro et espionner

12TENDANCES DÉCRYPTAGE

Dans le domaine de la santé,

des objets accessibles à tout un

chacun (les bracelets trackers,

les montres et tensiomètres

connectés) permettent de suivre

notre état général, que ce soit en

mesurant le rythme cardiaque,

la tension artérielle, la qualité du

sommeil, l’état de stress, l’ali-

mentation et bien plus encore.

Pour les professionnels de la

santé, il existe également des

avancées exceptionnelles. Les

lunettes connectées permettent

par exemple à des médecins de

collaborer avec d’autres spécia-

listes ou d’enseigner en diffusant

en direct des images de leurs

opérations. Il est également pos-

sible de superposer des données

sur le verre des lunettes, afin

de compléter les informations à

disposition des chirurgiens.

Dans le domaine de la justice,

les objets connectés ont fait une

percée fracassante en 2016. Il y a

bien sûr les téléphones portables,

une source d’informations illimi-

tées, qui sont au cœur de chaque

enquête criminelle aujourd’hui.

Plus anecdotique, mais révélateur

du potentiel des objets connec-

tés, une BMW volée à Seattle a

pu être localisée, puis contrôlée à

distance par la marque allemande.

Les portes ont été verrouillées et

le téléphone portable de la voiture

enclenché pour informer le

voleur, pris au piège, que la police

était en route pour le cueillir.

Enfin, de nouveaux objets - des

assistants électroniques - qui ont

récemment fait leur apparition

au sein de nos maisons, sont

aujourd’hui les témoins-clés de

crimes domestiques. C’est ainsi

que l'enceinte Echo d’Amazon

(un assistant intelligent qui dif-

fuse de la musique, effectue des

recherches sur internet, etc.) se

trouve au centre d’une enquête

criminelle aux Etats-Unis. Echo

fonctionne sur commande vocale.

Pour lui permettre de réagir à

chaque ordre, il est connecté en

permanence et enregistre tout

ce qui se passe dans la maison.

De fait, un appareil Echo a

récemment été « témoin » d’un

meurtre et la justice tente donc

de récupérer les données en-

registrées par Amazon (mais se

heurte à une opposition de ce

géant d’internet).

…ET LE PIRE

Ces nouveaux outils incitent

toutefois à la réflexion. Censés

améliorer notre quotidien, ils

sont aussi, souvent, une source

inquiétante de violation de notre

vie privée, voire de notre sécurité.

Les données collectées par ces

objets sont en effet enregistrées,

stockées, triées et utilisées par

les fabricants. Ces données sont

souvent collectées à l’insu des

personnes concernées (la seule

véritable information se trouvant

dans les conditions générales

que, à l'évidence, personne ne

lit). Qui plus est, nombre d’objets

connectés viennent de pays tiers

- souvent des Etats-Unis - où les

données sont irrémédiablement

stockées et où la protection de la

vie privée est bien moindre qu’en

Suisse. Nous perdons dès lors le

contrôle sur nos propres don-

nées et n’avons aucune visibilité

sur l’utilisation qui en est faite.

Mais pourquoi ces fabricants

d’objets connectés s’intéressent-

ils à nos données ? Pourquoi

l’assistant personnel Echo est-il

commercialisé par Amazon, le

géant du commerce en ligne ? La

réponse tient probablement dans

la question. L’immense base de

données personnelles fournie par

les utilisateurs d’Echo permet à

Amazon de connaître précisément

les comportements de ses clients,

ainsi que leurs préférences, et il

devient de plus en plus facile de

prédire leurs envies de consom-

mation et de cibler la publicité en

conséquence.

Les objets connectés sontaujourd’hui entrés

dans notre vie quotidienne

-^

Annonce des actions de vente de légumes sur téléphones portables et tablettes.© Valais/Wallis Promotion,Etat du Valais, François Perraudin

VVA 11 —— PRINTEMPS 2017

Page 3: Objets connectés pour le meilleur et le pire · Un tiers mal intentionné peut ainsi prendre le contrôle de n’importe quel objet doté d’une caméra ou d’un micro et espionner

13TENDANCES DÉCRYPTAGE

Le projet ultime d’Amazon, qui ne

s’en cache d’ailleurs pas, consiste

à pousser la connaissance de ses

clients à un tel point qu’il sera

possible de leur livrer à domi-

cile des objets qu’ils n’ont pas

(encore) commandés, mais dont

ils voudront et qu’ils finiront donc

par acheter. En d’autres termes,

Amazon va bientôt nous vendre

des objets que nous n’avons pas

commandés et nous ne nous en

plaindrons même pas !

Par ailleurs, les données récoltées

par le biais d’objets connectés

sont partagées directement avec

certains gouvernements, notam-

ment celui des Etats-Unis, mais

également des Etats totalitaires,

lesquels sont donc au courant des

faits et gestes de tous, en temps

réel. Il en résulte un monitoring

particulièrement néfaste pour la

liberté d’expression. Nombre

d’opposants politiques sont sur-

veillés et n’osent plus s’exprimer,

de peur de se voir arrêtés.

Enfin, ces objets peuvent être

utilisés à des fins criminelles. Il

est relativement facile de prendre

le contrôle d’objets connectés,

dès lors que leurs connexions

(souvent par Bluetooth) ne sont

pas cryptées. Il est aussi notoire

que la majorité de ces objets ne

sont protégés que par des mots

de passe standards des fabri-

cants, lesquels sont par ailleurs

disponibles sur internet. Un

tiers mal intentionné peut ainsi

prendre le contrôle de n’importe

quel objet doté d’une caméra ou

d’un micro et espionner ceux qui

se trouvent à leur proximité.

Cela pose de sérieux problèmes

en termes d’espionnage indus-

triel, de confidentialité lors de

réunions et, bien sûr, de la vie

privée de tout un chacun.

UNE PRISEDE CONSCIENCECOLLECTIVE

Aussi fascinants qu’inquiétants,

les objets connectés sont

aujourd’hui une réalité de notre

quotidien et, à l’évidence, leur

nombre va croître considérable-

ment dans les années à venir.

Afin de maintenir la confiance dans

ces technologies et de redonner à

chacun le contrôle de ses don-

nées, les lois doivent imposer un

cadre plus strict. En Europe et en

Suisse, la réglementation évolue

puisque l’UE a adopté un Nouveau

Règlement général sur la Protec-

tion des données (GDPR), lequel

entrera en vigueur en 2018. La

Suisse suit cette évolution de près,

avec un projet de loi en cours de

consultation. Outre des sanctions

importantes en cas de violations

du GDPR, celui-ci intègre les

notions de « Protection dès la

conception » (Privacy By Design),

et « Protection par défaut » (Privacy

by default), dont l'objectif est que

On va bientôt nous vendredes objets que nous

n'avons pas commandés

soient pris en compte les droits

et les intérêts des individus dès

la conception du traitement de

données et des paramétrages

par défaut.

Mais les lois ne pourront avoir

qu’un effet limité si la population

n’est pas suffisamment informée.

Les objets connectés sont per-

fides en ce qu’ils ne créent pas la

perception de collecter des infor-

mations (à l'inverse, par exemple,

du remplissage d’un questionnaire

online). Qui se douterait à première

vue qu’un petit gadget qui joue

de la musique et diffuse des

nouvelles enregistre (et conserve !)

en continu toutes les discussions

de la maison ? La protection de

données personnelles, qui est

un droit fondamental en Europe,

passe par une prise de conscience

collective, autant que par un ren-

forcement des lois en la matière.

-^ Programme de reconnaissance faciale.© Valais/Wallis Promotion, Etat du Valais Jean-Yves Glassey

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