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L es démences séniles de type Alzheimer (DTA) représentent les causes les plus fréquentes de démences chez les sujets âgés. Elles touchent plus de trois millions de personnes en Europe et plus de quinze millions dans le monde. Près de 6 à 8 % des personnes âgées de plus de 65 ans souffrent de cette maladie et la prévalence double tous les cinq ans pour toucher 30 % des sujets de plus de 85 ans. L’étiologie est complexe, non élucidée à ce jour, probablement multifacto- rielle et impliquant des facteurs génétiques et environnementaux. La maladie d’Alzheimer évolue sur huit à dix ans, entraînant une dégradation progressive des fonctions cogni- tives, responsable d’un grand nombre d’inca- pacités physiques et mentales, de troubles du comportement dont des troubles du compor- tement alimentaire. La nutrition apparaît ainsi impliquée de deux manières dans l’évolution des DTA. D’une part, la perte de poids et la survenue d’une dénutrition sont particulièrement fréquentes au cours de la maladie (1) et, d’autre part, les facteurs nutritionnels, lipides, antioxydants et homocystéine apparaissent de première importance dans l’étiopathogénie des DTA. La perte de poids, indicateur de dénutrition mais aussi facteur prédictif de morbidité et de mortalité, est un problème nutritionnel fréquemment rencontré chez les patients présentant une démence de type Alzheimer (1) : 35,6 % des hommes et 32,4 % des femmes présentant une démence de type Alzheimer perdent plus de 5 % de leur poids corporel en un an, contre 18,9 % des hommes et 18 % des femmes témoins (2). Cette réduc- tion pondérale apparaît dès les premiers stades de la maladie et précéderait même le diagnos- tic de la démence (3). Elle s’amplifie avec l’évolution de la pathologie. Le mécanisme de cette perte de poids n’est pas à ce jour clairement identifié. Une majoration de la dépense énergétique totale ou de repos ne semble pas être en cause (4). Afin de mieux comprendre ces variations pondérales, des hypothèses ont été formulées. Il a été ainsi mis en évidence l’existence d’une corrélation entre l’atrophie du cortex mésio-temporal (impliqué dans le comportement alimentaire) et la perte de poids chez les sujets atteints de maladie d’Alzheimer, suggérant la présence d’une relation entre l’altération du système limbique et la perte de poids (5). La constata- tion des variations pondérales (gain et perte de poids) émaillant l’évolution de ces patho- logies a amené à formuler une deuxième hypothèse selon laquelle la maladie d’Alzheimer serait caractérisée par un dysfonctionnement des systèmes de régula- Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 2002 18 Nutrition et maladie d’Alzheimer A. Ghisolfi-Marque* Texte présenté aux Entretiens de nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, 14 juin 2001. Dossier * Service de gérontologie et de médecine interne, centre hospitalier Purpan, Toulouse.

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Page 1: Nutrition et maladie d Alzheimer · vitamines A, C, E, B12 et B9 et les folates. Plusieurs études ont ainsi associé perfor-mances cognitives et DTA avec les concen-trations plasmatiques

L es démences séniles de type Alzheimer(DTA) représentent les causes les plus

fréquentes de démences chez les sujets âgés.Elles touchent plus de trois millions depersonnes en Europe et plus de quinzemillions dans le monde. Près de 6 à 8 % despersonnes âgées de plus de 65 ans souffrentde cette maladie et la prévalence double tousles cinq ans pour toucher 30 % des sujets deplus de 85 ans. L’étiologie est complexe, nonélucidée à ce jour, probablement multifacto-rielle et impliquant des facteurs génétiques etenvironnementaux. La maladie d’Alzheimerévolue sur huit à dix ans, entraînant une

dégradation progressive des fonctions cogni-tives, responsable d’un grand nombre d’inca-pacités physiques et mentales, de troubles ducomportement dont des troubles du compor-tement alimentaire.La nutrition apparaît ainsi impliquée de deuxmanières dans l’évolution des DTA. D’unepart, la perte de poids et la survenue d’unedénutrition sont particulièrement fréquentesau cours de la maladie (1) et, d’autre part, lesfacteurs nutritionnels, lipides, antioxydants ethomocystéine apparaissent de premièreimportance dans l’étiopathogénie des DTA.La perte de poids, indicateur de dénutritionmais aussi facteur prédictif de morbidité et demortalité, est un problème nutritionnelfréquemment rencontré chez les patients

présentant une démence de type Alzheimer(1) : 35,6 % des hommes et 32,4 % desfemmes présentant une démence de typeAlzheimer perdent plus de 5 % de leur poidscorporel en un an, contre 18,9 % des hommeset 18 % des femmes témoins (2). Cette réduc-tion pondérale apparaît dès les premiers stadesde la maladie et précéderait même le diagnos-tic de la démence (3). Elle s’amplifie avecl’évolution de la pathologie. Le mécanismede cette perte de poids n’est pas à ce jourclairement identifié. Une majoration de ladépense énergétique totale ou de repos nesemble pas être en cause (4). Afin de mieuxcomprendre ces variations pondérales, deshypothèses ont été formulées. Il a été ainsimis en évidence l’existence d’une corrélationentre l’atrophie du cortex mésio-temporal(impliqué dans le comportement alimentaire)et la perte de poids chez les sujets atteints demaladie d’Alzheimer, suggérant la présenced’une relation entre l’altération du systèmelimbique et la perte de poids (5). La constata-tion des variations pondérales (gain et pertede poids) émaillant l’évolution de ces patho-logies a amené à formuler une deuxièmehypothèse selon laquelle la maladied’Alzheimer serait caractérisée par undysfonctionnement des systèmes de régula-

Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 1, janvier-février 200218

Nutrition et maladie d’Alzheimer

A. Ghisolfi-Marque*

Texte présenté aux Entretiens de nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, 14 juin 2001.

D o s s i e r

* Service de gérontologie et de médecineinterne, centre hospitalier Purpan, Toulouse.

Page 2: Nutrition et maladie d Alzheimer · vitamines A, C, E, B12 et B9 et les folates. Plusieurs études ont ainsi associé perfor-mances cognitives et DTA avec les concen-trations plasmatiques

tion du poids corporel (2). Ainsi, l’atteintefonctionnelle hypothalamique constatée dansla maladie d’Alzheimer pourrait contribuer àcette dysrégulation. Enfin, un certain nombrede perturbations neuro-endocriniennes :neuropeptide Y, cytokines, cholécystokinine,etc. ont été rapportées et pourraient êtreimpliquées dans la perte de poids des DTA(6). Par ailleurs, les démences de typeAlzheimer sont caractérisées par la survenuede difficultés dans la réalisation des activitésde la vie quotidienne, dont certaines ont unretentissement nutritionnel certain. Au débutde la maladie, les sujets atteints de démencede type Alzheimer ont des difficultés pouracheter leur nourriture, pour cuisiner ou,encore, oublient de manger... À un stade plusavancé, ils présentent fréquemment destroubles du comportement alimentaire(opposition, etc.). Enfin, une étude récente apermis de mettre en évidence le caractèreprédictif de la charge ressentie par l’aidantprincipal (échelle de Zarrit) sur la perte depoids des patients (7). En d’autres termes,plus l’aidant est stressé, plus le patientprésente un risque de perte de poids et dedénutrition. Au vu de ces conclusions, ilapparaît donc indispensable, pour agir sur lerisque nutritionnel du patient, d’intervenirégalement sur son entourage. C’est dans cesens qu’a été développé, sur l’impulsion duPr Wellas, un programme européen depromotion de la santé concernant le risquenutritionnel dans la maladie d’Alzheimer. Ceprogramme comporte deux points distincts :en premier lieu, un programme d’éducationnutritionnelle et, parallèlement, un deuxièmeversant d’informations destinées auxsoignants et aux familles ayant à leur chargedes patients atteints de maladie d’Alzheimer.Le but du programme d’éducation nutrition-nelle est de prévenir et de prendre en chargede manière précoce la perte de poids en diffu-sant des informations nutritionnelles ciblées.Il s’agit d’une étude cas-contrôle se déroulantsur un an, dans trois sites expérimentaux(Toulouse, Brescia, Barcelone). Centcinquante et un patients atteints de DTA etleurs “aidants” et 74 patients atteints de DTA“témoins” ont été recrutés. Trois typesd’outils ont été utilisés :

• des séances d’éducation nutritionnelle desti-nées aux aidants et animées par un diététicien ;

• un calendrier nutritionnel confié aux aidantspour suivre leur poids et celui de leur parentmalade ;

• des interventions nutritionnelles personnali-sées.

Après une année de suivi, les résultatsmontrent un effet positif du programme sur lepoids des patients et sur l’évolution de leursperformances cognitives (8).

À côté des variations pondérales caractéris-tiques de la maladie, la nutrition semble jouerun rôle notable dans l’étiopathogénie multi-factorielle de la maladie. Un certain nombred’hypothèses nutritionnelles constituentactuellement des voies de recherche sédui-santes. L’une d’entre elles concerne lesvitamines A, C, E, B12 et B9 et les folates.Plusieurs études ont ainsi associé perfor-mances cognitives et DTA avec les concen-trations plasmatiques en vitamines C, E, B12,B9, folates ou bêta-carotène chez lespersonnes âgées ; de hauts niveaux plasma-tiques seraient à l’inverse corrélés à demeilleures performances cognitives (9-11).Les vitamines A, C et E sont des antioxy-dants et interviennent pour limiter l’effetdélétère des radicaux libres. Au niveaucérébral, l’augmentation de la production desradicaux libres peut contribuer au développe-ment de la maladie d’Alzheimer en interve-nant dans la dégénérescence neuro-fibrillaireet la mort neuronale (12). Plusieurs étudesont retrouvé des concentrations plasmatiquesen vitamines antioxydantes significativementplus basses chez des patients atteints de DTAque chez des sujets témoins (13).Parallèlement, il a été mis en évidence, dansl’étude de Rotterdam, une plus faibleconsommation alimentaire en vitaminesantioxydantes chez des sujets présentant uneDTA par comparaison aux témoins (14).Enfin, un certain nombre de travaux ont mis enévidence l’effet bénéfique d’une supplémen-tation en antioxydants sur les performancescognitives (14, 15).Les déficits en vitamines B12, B6 et enfolates pourraient intervenir sur le déclincognitif de deux manières : d’une part, en

favorisant l’accumulation toxique d’homo-cystéine et, d’autre part, en réduisant laméthylation de la myéline, deux phéno-mènes pouvant être à l’origine du déclincognitif (16). L’hyperhomocystéinémie,surtout connue comme facteur de risquevasculaire, est actuellement impliquée dansl’altération des performances cognitives.En effet, si certains auteurs retrouvent destaux significativement plus bas envitamines B12 et en folates chez lespatients atteints de DTA par rapport auxtémoins (17), d’autres ne mettent enévidence que la seule augmentation del’homocystéinémie (11). Aucune étude nepermet actuellement de conclure à un liende causalité entre le fonctionnementcognitif et les apports nutritionnels envitamines B12, B6 et en folates. Les étudesde supplémentation, peu nombreuses,montrent une certaine efficacité sur lanormalisation des taux sanguins d’homo-cystéine (18), l’amélioration cognitiverestant à démontrer.

La dernière hypothèse nutritionnelle que nousaborderons est celle du rôle des apports enacides gras alimentaires sur le déclin cognitif.La consommation d’acides gras pourrait avoirun lien avec la survenue d’une DTA parl’intermédiaire de plusieurs mécanismescomme l’athérosclérose, la thrombose,l’inflammation, un effet sur le développementcérébral ou sur le fonctionnement desmembranes cellulaires et par l’accumulationde protéine B-amyloïde. Un certain nombred’études épidémiologiques suggèrent l’effetprotecteur des acides gras n-3 et du poisson,tandis qu’une consommation importanted’acides gras saturés augmenterait le risquede DTA (19). Ces résultats demandent à êtreconfirmés dans d’autres études intervention-nelles avant de pouvoir conclure.

ConclusionLes hypothèses nutritionnelles constituentdonc des voies de recherche particulièrementintéressantes. À ce jour, la plupart des résul-tats proviennent d’études cliniques et épidé-miologiques qui ne peuvent établir un lien

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causal. Des études complémentaires sontdonc nécessaires pour déterminer si cesfacteurs nutritionnels pourraient prévenir lasurvenue de DTA. Elles encouragent toute-fois à favoriser un équilibre nutritionneloptimum chez les sujets âgés sains ou atteintsde DTA, sujets qui ont fréquemment unealimentation peu variée et, de ce fait,carencée.

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