mille et une histoires 130

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N°130 Les plus beaux contes du monde entier N°130 - JUIN 2011 - 5,50 - Bel/Lux/DOM : 6,50 - Suisse : 11 CHF - TOM : 500 XPF - CAN : 5,50 CAD - Tunisie : 5,50 TND Maroc : 35 MAD - Zone CFA : 2000 CFA - ISSN : 1297-0662 Le loup et le renard ont le ventre vide. Ils croisent un chien dodu qui leur parle de sa vie auprès de son maître... Pierre, le fier troubadour, rentre chez lui après un long voyage. Mais il tombe nez à nez avec de terribles brigands ! Un roi capricieux rêve qu’un doux chant le berce et le rend très heureux. L’oiseleur saura-t-il retrouver l’oiseau de son rêve ? Le loup et le chien Le troubadour et les brigands Le chant de l’oiseleur Petiot et son pipeau Mille et une histoires LA MUSIQUE Petiot est tout petit, si petit que ses parents ne savent pas quoi faire de lui... Un jour, il aide une étrange vieille dame.

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Mille et une histoires, dès 3 ans, les plus beaux contes du monde entier.

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Page 1: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

n°1

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Les plus beaux contes du monde entier

N°130 - juin 2011 - 5,50 € - Bel/Lux/Dom : 6,50 € - Suisse : 11 CHF - Tom : 500 XPF - CAN : 5,50 CAD - Tunisie : 5,50 TND maroc : 35 mAD - Zone CFA : 2000 CFA - ISSN : 1297-0662

Le loup et le renard ont le ventre vide. Ils croisent un chien dodu qui leur parle de sa vie auprès de son maître...

Pierre, le fiertroubadour, rentre chez lui après un long voyage. Mais il tombe nez à nez avec de terribles brigands !

Un roi capricieux rêve qu’un doux chant le berce et le rend très heureux. L’oiseleur saura-t-il retrouver l’oiseau de son rêve ?

Le loup et le chien

Le troubadour et les brigands

Le chant de l’oiseleur

Petiot et son pipeau

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us

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Petiot est tout petit, si petit que ses parents ne savent pas quoi faire de lui... Un jour, il aide une étrange vieille dame.

Page 2: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

P. 3Le chant de l’oiseleur

P. 11Petiot et son pipeau

P. 21Le troubadour et les brigands

P. 29 Ma fable :Le loup et le chien

P. 3434 Ma poésie : « Saltimbanques »

de Guillaume Apollinaire36 Ma BD : Les aventures de Loulou40 La famille Perlimpinpin

à l’Opéra42 Mon petit musée : « Le concert »

de Mathieu Le Nain

P. 45Parents46 Les troubadours, ces musiciens

qui inventèrent l’amour50 Une histoire qui fait du bien :

Le chant de l’oiseleur

Page 3: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

La musique est très présente dans les contes orien-taux. Ici, un roi mélomane et capricieux est sous le charme d’une « mélodie du bonheur » impossible à re-trouver. Voyez page 50 com-ment l’oiseleur musicien lui permettra de renouer avec ses émotions et avec sa part d’humanité.

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Une nuit, un roi fit un rêve. Sur une branche d’olivier, un oiseau chantait.

Son chant, si beau, toucha son cœur. Au petit matin, il fit appeler son oiseleur :

- Cette nuit, j’ai fait un rêve merveilleux, lui dit-il. Dans le jardin, un oiseau

chantait et son chant m’a transporté au paradis. Va, cours, oiseleur, et

rapporte-moi l’oiseau de mon bonheur !

Le chant de l’oiseleur

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- Certainement Sire, balbutia l’oiseleur, mais comment s’appelle l’oiseau ?

Il en existe des milliers !

- Je ne le sais pas. Tu as sept jours pour le retrouver, sinon je te fais jeter

en prison. Hâte-toi !

L’oiseleur obéit car il connaissait les caprices et les colères du roi.

Page 5: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Dans le jardin, il réfléchit, puis il se cacha derrière un muret. Avec sa flûte, il joua

le chant du merle et attendit. Longtemps. Soudain, le merle sortit de son nid.

L’oiseleur l’attrapa avec son filet, si délicatement qu’il ne lui fit aucun mal.

Il mit l’oiseau dans une cage et l’apporta au roi.

- Sire, voilà l’oiseau de votre rêve. C’est le merle.

Il dit à l’oiseau :

- Chante pour le roi.

L’oiseau chanta, mais le roi hocha la tête :

- Ce n’est pas lui, ce chant est triste et fade.

Page 6: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Alors le lendemain, l’oiseleur retourna

au jardin. Il se cacha dans une haie.

Avec sa flûte, il joua le chant

de l’alouette et attendit. Longtemps.

Soudain, l’alouette sortit de son nid.

L’oiseleur l’attrapa avec son filet, la mit

dans une cage et l’apporta au roi.

- Sire, voilà l’oiseau de votre rêve.

C’est l’alouette.

Puis il dit à l’oiseau :

- Chante pour le roi !

L’oiseau chanta, mais le roi tourna les

talons avant la fin du chant et grogna :

- Ce n’est pas lui. Son chant est

ennuyeux comme la pluie !

L’oiseleur était inquiet. Le jour suivant,

il se cacha derrière un rocher, au bord

de la rivière. Avec sa flûte, il joua

le chant du loriot. Quand l’oiseau sortit

de son nid, il l’attrapa et l’apporta au roi.

- Sire, voilà l’oiseau de votre rêve.

C’est le loriot.

L’oiseau chanta, mais le roi tapa du pied :

- Ce n’est pas du tout ça ! Son chant

me casse les oreilles !

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Le jour d’après, l’oiseleur lui apporta

une grive. Mais cette fois, quand

l’oiseau chanta, le roi gronda d’un ton

sévère :

- Ce n’est pas lui ! Son chant est trop

aigu. Je commence à m’impatienter,

oiseleur. Trouve l’oiseau de mon bonheur

ou bien il va t’arriver malheur !

Le lendemain, dès l’aube, l’oiseleur

retourna au jardin. Puis, tout tremblant,

il se présenta devant le roi, avec

un roitelet. L’oiseau chanta, mais le roi

entra dans une colère terrible :

- Triple idiot. Ce n’est toujours pas cet

oiseau-là. Son chant est trop maladroit.

Le sixième jour, l’oiseleur apporta

un rossignol. Désespéré, le pauvre

homme supplia l’oiseau :

- S’il te plaît, rossignol, mon ami, chante

pour le roi de ta plus jolie voix.

L’oiseau chanta du mieux qu’il put

mais le roi prit un ton grave :

- Ce n’est toujours pas lui. Demain est

ta dernière chance, oiseleur. Tu finiras

en prison si tu échoues encore.

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Le septième jour, l’oiseleur ne savait

plus quel oiseau capturer. Assis sous

les fenêtres du roi, il était triste à mourir :

- J’ai tout essayé ! Aujourd’hui, le roi

va prendre ma flûte, mes notes

et mes chansons, et me jeter en prison.

C’est sans doute la dernière fois

que je joue de la musique…

L’oiseleur respira l’air du printemps et

se mit à souffler dans son instrument.

Il joua son air préféré, c’était

une douce berceuse que sa maman

lui chantait, quand il était petit.

Tous les oiseaux se turent pour l’écouter.

Sa mélodie, si belle, parvint aux oreilles

du roi qui s’exclama :

- Voilà le chant que j’ai entendu

dans mon rêve !

Aussitôt, il fit appeler l’oiseleur :

- Où est l’oiseau ? Je viens

de l’entendre, c’est lui, j’en suis sûr !

- Sire, il n’y a pas d’oiseau.

C’est mon propre chant que vous

avez entendu, répondit l’oiseleur

en montrant sa flûte.

Page 9: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Alors le roi se calma. Il sourit et demanda au musicien de jouer cette douce

musique une fois encore, juste pour lui. Il en fut si heureux qu’il souhaita même

l’entendre chaque jour de sa vie et il ne fit presque plus de caprices !

Quant à l’oiseleur, il gagna la liberté de jouer à sa guise, selon son bon plaisir,

tous les airs qu’il aimait.

Page 11: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

Plusieurs ver-sions de ce conte cir-culent en France et en Espagne. Comme souvent, dans ce type d’histoires, le « petit » dont on se moque retrouve sa dignité grâce à son audace et à sa bonté. Si elle ne le conduit pas à l’amour, la musique tient ici un rôle de révélateur et lui offre la confiance en lui.

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Il était une fois un homme et une femme qui n’arrivaient pas à avoir d’enfant.

Un jour, enfin, la femme mit au monde un garçon, grand comme un pouce.

Les parents étaient ravis, mais un peu déçus :

- Il est si petit, disait la femme.

Si petit, qu’on l’appela Petiot. Sa mère le promenait dans la poche de son

tablier. Et à quatre ans, il était à peine plus grand qu’une fleur des champs !

- Qu’allons-nous faire de lui ? soupirait son père.

Petiot et son pipeau

Page 12: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Pourtant, le jour de ses quinze ans,

Petiot dit à ses parents :

- Il est temps que je parte pour chercher

du travail. J’aime les bêtes, je garderai

les chèvres !

La mère embrassa longtemps

son enfant et le regarda s’éloigner :

- Prends soin de toi, mon fils, tu es si petit.

Petiot trouva du travail chez un fermier

et sa femme. Il devint un bon berger.

Dans les champs, il écoutait le chant du

vent et s’amusait à fabriquer des petits

instruments de musique avec des bouts

de bois. Ainsi, il ne s’ennuyait jamais.

Mais le soir, quand il rentrait à la ferme,

ses maîtres étaient méchants avec lui.

Ils lui donnaient à peine de quoi dîner

et le faisaient dormir dans l’étable.

Un jour qu’il gardait les chèvres près du

ruisseau, une vieille femme s’approcha :

- Bonjour mon garçon, dit-elle, sais-tu où

est le pont pour franchir ce ruisseau ?

- Il n’y a pas de pont, dit le petit berger.

Montez sur mon dos et je vous ferai

traverser. Je suis Petiot, mais costaud !

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La vieille femme monta sur le dos de Petiot, qui traversa le ruisseau sans peine.

- Tu es bon et courageux, lui dit-elle. Pour te remercier, je t’offre ce pipeau.

- Merci, dit Petiot, en prenant l’instrument en bois décoré. Je n’ai jamais rien

reçu d’aussi beau !

Il s’empressa de souffler dans l’instrument : « Flui... flui... flui... » Et, incroyable,

ses chèvres se mirent à danser sans pouvoir s’arrêter. Petiot comprit alors que

la flûte était magique. Ceux qui l’entendaient ne pouvaient cesser de danser.

Petiot fit encore danser ses chèvres deux ou trois fois, puis il rentra à la ferme.

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Ce soir-là, ses maîtres furent encore plus méchants que d’habitude. La fermière

le traita de paresseux et menaça de lui donner des coups de bâton.

- Va te coucher, s’écria-t-elle. Tu ne mérites même pas de dîner !

Au lieu de partir la tête basse, Petiot tira le pipeau de sa poche, et joua.

« Flui... flui... flui... » Aussitôt, le fermier et sa femme se mirent à danser, malgré eux.

Quel spectacle ! Les voilà qui sautent et tourbillonnent, emportés par la musique.

- Arrête ça ! hurla le fermier. Promis, tu auras à manger !

Mais Petiot les fit danser jusqu’à minuit. Quand il arrêta, le fermier et sa femme

étaient si fatigués qu’ils allèrent se coucher sans dîner, et Petiot mangea

avec gourmandise tout ce qui était sur la table.

Page 15: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Le lendemain matin, un bon

petit-déjeuner l’attendait. Pour

une fois, Petiot partit aux champs

le ventre plein. Vers midi, il entendit

soudain le galop d’un cheval.

Un cavalier, entouré de ses chiens

de chasse, s’arrêta devant lui :

- Hé, toi ! As-tu vu passer un sanglier ?

Comme Petiot ne répondait pas,

le cavalier s’énerva :

- Es-tu sourd ?

- Je ne suis pas sourd, dit Petiot, mais

vous avez oublié de me dire bonjour.

Page 16: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Le cavalier se mit en colère :

- Sais-tu à qui tu parles ? Je suis le fils du marquis ! Un moins que rien comme

toi ne va pas me donner des leçons de politesse ! Tu m’as fait perdre la trace

du sanglier, pour la peine, mes chiens vont te dévorer. Attaquez-le !

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Vite, Petiot attrapa son pipeau et se mit à jouer. Il était temps ! Un peu plus,

et les chiens se jetaient sur lui ! Dès les premières notes de musique, « Flui... flui...

flui... » la meute, le cheval et son cavalier se mirent à danser. Petiot était sauvé.

Quand il s’arrêta de jouer, tout ce petit monde repartit la queue basse.

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L’après-midi, alors qu’il faisait la sieste, Petiot entendit le trot léger d’un cheval.

Quand il ouvrit les yeux, une ravissante cavalière se tenait devant lui.

Petiot en fut ébloui. Elle lui dit avec curiosité :

- Je suis Éléonore, la fille du marquis. Mon frère vous a rencontré ce matin

alors qu’il chassait le sanglier. Ce nigaud est rentré épuisé et m’a parlé

de votre flûte extraordinaire, mais je ne l’ai pas cru. Montrez-la moi donc !

Petiot ne résista pas au charme de la belle. Il allait lui tendre timidement

son pipeau quand il eut l’idée de demander :

- D’abord un baiser ! Donnez-moi un baiser, jolie demoiselle.

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- Un baiser ! se moqua Eléonore,

comment oses-tu ? Je préférerais

embrasser un crapaud plutôt

qu’un avorton comme toi !

Petiot la laissa dire, il porta son

pipeau à ses lèvres et joua :

« Flui... flui... flui... » La jeune fille cessa

de se moquer et se mit à danser.

Bientôt, elle supplia Petiot d’arrêter :

- S’il te plaît, cesse de jouer

et je te donnerai le baiser que

tu me demandais.

Mais Petiot continua à la faire danser.

Quand il s’arrêta, Éléonore ne tenait

plus sur ses jambes. Rouge, essoufflée,

elle s’approcha pour l’embrasser,

mais Petiot la repoussa :

- Gardez votre baiser. Je n’en veux

plus. Et si vous m’offriez de l’or,

je n’en voudrais pas non plus.

Ce pipeau est magique. C’est le

cadeau d’une vieille dame que j’ai

portée sur mon dos pour traverser

le ruisseau. Vous, vous n’êtes ni

bonne ni gentille, jolie marquise !

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Alors qu’elle le regardait, stupéfaite, Petiot ajouta :

- Vous ne me méritez pas. Celle que j’aimerai saura comprendre mon cœur

et m’aimera tel que je suis.

Sur ce, Petiot tourna les talons. Pour la première fois de sa vie,

il se sentit fier et fort. Il partit sur les routes, son pipeau dans sa poche,

bien décidé à découvrir le monde.

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Pierre de Châ-teauneuf (ou Peire de Castelnou), trouba-dour et seigneur de Mollé-gès, a vraiment existé. Ce musicien et poète au bel es-prit vivait au XIIIe siècle. Sa mésaventure est devenue une légende que l’on ra-conte encore durant les veillées provençales...

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Il était une fois en Provence, un chevalier troubadour qui revenait d’un long

voyage. Parti en croisade, il avait guerroyé de l’autre côté des mers.

Ce troubadour se nommait Pierre. C’était un grand musicien et son luth

l’avait accompagné partout. Qu’il était heureux de retrouver sa Provence !

Et surtout de revoir les belles dames qui l’attendaient ce soir au château,

sur la route des Alpilles.

Le troubadour et les brigands

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En traversant une épaisse forêt au milieu des montagnes où souffle le mistral,

il pensait déjà aux chansons qu’il allait leur chanter. Il leur raconterait ses

aventures à la guerre, bien sûr, mais leur chanterait aussi des poèmes d’amour

qu’il destinait à la jolie Béatrix, fille du seigneur du château. Sur la route,

il chantonnait tout seul, pour son cheval et pour les petits oiseaux :

Dame ! De loin, votre seigneur revient,

Ses pas résonnent sur le chemin,

Avec au cœur tant d’amour.

Dame ! toutes les forêts, il passera.

À la fin du jour, près de vous, il sera... là, là, là...

Page 23: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

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Au détour d’un sentier, il s’arrêta

pour boire à une fontaine.

En s’agenouillant, il remarqua

une rose plus belle que les autres.

Comme par magie, celle-ci s’ouvrit

et se mit à lui parler :

- Bonjour mon beau seigneur !

Te voilà de retour au pays...

- Bonjour la rose, répondit Pierre,

un peu surpris. Dis-moi, je suis bien

sur la route du château des comtes

de Provence ?

- Oui, Monseigneur. Mais prends garde

à toi. Et surtout, n’oublie pas que ta

musique est ton bien le plus précieux...

- Merci la rose, mais pourquoi

me dis-tu cela ? demanda Pierre.

La rose sembla sourire puis se referma.

Intrigué, Pierre remonta sur son cheval

et lui chuchota à l’oreille :

- C’est étrange, tu ne trouves pas,

mon fidèle ami ?

Mais ce seigneur troubadour avait

connu tant de dangers qu’il n’avait

plus peur de rien, ou presque.

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Il chevaucha encore longtemps en pleine forêt. Au crépuscule, les oiseaux

cessèrent de chanter, son cheval hennit et, tout à coup, sept brigands armés

jusqu’aux dents sortirent des buissons en hurlant !

- Saute de cheval et donne ta bourse et ton épée ! cria leur chef, qui était sale,

barbu et vêtu d’habits troués.

- Pardieu, non, j’en ai vu d’autres ! répondit le chevalier avec courage.

- Faites-le descendre alors ! gronda le chef à sa bande de brigands.

Zou ! les brigands sautèrent sur Pierre, lui attrapant les jambes, les bras et

le faisant tomber de cheval.

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Après une grosse, très grosse bagarre, Pierre dut renoncer.

Seul contre tous, il ne pouvait venir à bout des brigands.

- Prenez son or, son cheval et ses habits ! cria le chef.

- Et ça, on le prend ? demanda un brigand

en montrant le luth du troubadour.

- Hum, je ne sais pas à quoi ça sert,

mais prenons-le et nous le revendrons,

dit le chef, tout en sortant son poignard.

Quand il vit briller sous la lune le poignard

du brigand, Pierre, nu comme un ver, comprit

que sa dernière heure était venue...

« Après toutes ces batailles, pensa-t-il,

voilà que je vais mourir près du château

de ma bien-aimée, dans ce pays

que j’ai tant voulu retrouver...

Ma foi, je ne dois pas me laisser faire ! »

Songeant aux paroles de la rose,

il s’agrippa à son luth et dit :

- Messires les brigands, ceci est

un luth ! C’est un instrument

de musique et...

- Et alors ? grogna un des brigands

qui n’avait plus qu’une seule dent

et qui n’avait jamais entendu

de musique de sa vie.- Eh ! bien

avant de mourir, je veux vous en - -

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- Eh bien, avant de mourir, reprit Pierre, je voudrais

en jouer un air. Car je suis chevalier, mais aussi

troubadour. Et je ne peux vivre ni mourir

sans ma musique. Laissez-moi jouer une dernière

fois. Après, vous pourrez me tuer si vous le voulez.

Les brigands se regardèrent. Le chef fit un signe

de tête comme pour dire « d’accord », car il était

sauvage et brutal, mais plutôt curieux. « Un peu

de repos ne nous fera pas de mal », pensa-t-il.

Alors tous s’assirent autour du troubadour et dès

que Pierre se mit à jouer du luth, quelque chose

de magique se passa. Les feuilles des arbres

et les oiseaux de nuit lui firent écho

et les brigands semblèrent fascinés.

Il leur chanta ses voyages, la beauté de la mer,

le plaisir d’être libre. Et il chanta aussi pour eux,

parlant de leur courage, de leur force et

des dangers qui les guettaient. « On dirait que

ce musicien comprend notre vie », pensaient

les bandits de grands chemins. Quand la musique

cessa, les oreilles mais aussi le cœur des brigands

avaient été touchés. Ils applaudirent très fort :

- Gloire à toi, Pierre le troubadour ! s’écrièrent-ils.

Et ils lui rendirent ses habits de velours, sa bourse

et même son cheval. Pierre n’en revenait pas.

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- Pourquoi menez-vous cette vie ? demanda-t-il aux brigands.

Le monde est si beau, il y a tant de choses à voir...

- Parce que nous avons faim, voilà tout, répondit le chef,

et que nous ne savons rien faire d’autre...

Alors Pierre eut une idée :

- Venez avec moi au château, leur dit-il. Vous mangerez à votre faim

et si vous voulez, vous apprendrez le jonglage, la musique et la danse...

C’est ainsi que Pierre, le chevalier troubadour, franchit le pont-levis du château

des comtes de Provence, entouré d’une troupe de brigands mal fagotés

et chantant à tue-tête... Les belles dames en furent bien surprises mais,

elles aussi, savaient que la musique peut faire des miracles...

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Sur le chemin, ils rencontrent un chien... bien beau, bien gras.

Un matin, deux amis, le loup et le renard, se promènent dans la forêt en jouant à saute-mouton. « Brr... Qu’il fait froid ! » dit le loup. « J’ai si faim ! dit le renard, comme la vie est dure par ici... »

« Je me sers d’animaux pour instrui-re les hommes », disait La Fontaine. Cette fable célèbre est une leçon d’indépendance. Protégé par Fouquet, le prince de Conti et le duc de Bourgo-gne, fréquentant la cour de Louis XIV, le poète en subis-sait les avantages comme les inconvénients... et savait le prix de la liberté !

Le loup et le chien

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Le loup lui dit : « Eh, bonjour le chien ! Tu as l’air en forme !« Eh oui ! lui répond le chien. Il faut dire que j’ai beaucoup de chance... » « Ah ? Et quelle chance ? » lui demande le loup.

« Eh bien, j’ai un maître ! » « Mais qu’est-ce qu’un maître ? » demande le renard, curieux.

« C’est un homme adorable qui me donne à manger tous les jours », dit le chien.

« Vraiment ? » dit le loup. « Et quand il fait froid, poursuit le chien, je peux me réchauffer devant sa cheminée. » Le renard roule de gros yeux : « Incroyable ! » « Là, ajoute le chien, mon maître me fait des caresses...

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... et il me dit : Tu es vraiment mon seul ami ! » Le renard l’interrompt : « Et ce collier autour de ton cou ? »

« Oh, ça ! c’est un collier que mon maître m’a donné. C’est un cadeau ! » Le renard et le loup s’écrient : « Nous aussi on veut ce maître ! Montre-le nous ! »

Là-dessus, un cri résonne dans la forêt : « Sac-à-puces ! » « Tiens, qui appelle-t-on ? » demande le loup. Le chien ne répond pas.

Mais le cri recommence : « Sac-à-puces ! Ici ! Au pied ! »Le chien baisse la tête et dit : « Suivez-moi et rendez-vous ce soir ! » Puis il se dirige vers la voix.

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De loin, le loup et le renard épient le chien qui va vers son maître. Celui-ci crie : « Plus vite, Sac-à-puces ! » et il accroche une laisse à son collier avant de rentrer à la maison.

Le soir, les compères retrouvent le chien qui les attend derrière la grille. Il dit : « Alors, je vous présente mon maître ? »

Le loup répond : « Tu as peut-être de la chance mais moi, je préfère faire ce que j’ai envie... Et tant pis si, parfois, j’ai un peu faim ! »

« Et tant pis si j’ai froid ! » ajoute le renard. La lune brille, les amis retournent à la forêt en songeant : « Comme la vie est douce quand on est libre... »

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SaltimbanquesDans la plaine les baladinsS’éloignent au long des jardinsDevant l’huis des auberges grisesPar les villages sans églises

Le mot « saltimban-que » de l’italien saltim-banco, « qui saute de banc en banc », évoque la liberté des gens du voyage. Apollinaire (1880-1918), chantre de toutes les avant-gardes artistiques, for-gea le terme « surréaliste » au dé-but du XXe s. Spontanéité et imagi-nation sont à la source de son art poétique. Ce poème sans ponc-tuation, empreint de musicalité, semble se dire au rythme de la marche des baladins...

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Et les enfants s’en vont devantLes autres suivent en rêvantChaque arbre fruitier se résigneQuand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrésDes tambours des cerceaux dorésL’ours et le singe animaux sagesQuêtent des sous sur leur passageGuillaume Apollinaire, Alcools, 1913

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Aujourd’hui, c’est jour de kermesse à l’école de Loulou. Les mamans des élèves ont préparé des gâteaux et la maîtresse a installé des stands de jeux dans la cour.

À la pêche aux bonbons, Loulou est sur le point d’attraper la plus grosse papillote...

... mais un des frères cochons lui fait des chatouilles et zut, c’est raté !

La fête de l‘école

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Au chamboule-tout, Ziboulette a renversé trois boîtes. « À mon tour ! » dit Rocco.

Alors il lance la pelote et badaboum ! il renverse toutes les boîtes d’un coup.

De son côté, Igor essaie de planter la queue de l’âne au bon endroit, guidé par Mireille la taupe.

Hélas, quand il enlève son bandeau, le résultat n’est pas très satisfaisant…

Eddy, le moniteur de sport, arrive avec une longue corde.

Il explique : « Les deux équipes tirent de chaque côté de la corde et celle qui dépasse cette ligne a perdu. »

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Les garçons se placent d’un côté, les filles de l’autre. « Du nerf, les gars ! » lance Loulou pour encourager son équipe. « Allez les filles , on va les battre ! » crie Gudule pour motiver ses troupes.

« Maintenant, j’ai prévu une petite surprise », dit la maîtresse.

Et elle emmène les enfants dans la classe. Là, Papalou les attend avec des instruments de musique.

Les deux équipes tirent tant et si bien que crac ! la corde casse et tous les enfants se retrouvent sur leur derrière ! « Bravo ! s’exclame Eddy. Tout le monde a gagné ! »

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« Exceptionnellement, le papa de Loulou est venu avec la fanfare des pompiers », explique la maîtresse.

Tout à coup, elle réalise : « Mais, mais… où sont les autres musiciens ? »

Papalou sourit. Il montre les enfants et dit : « Ils sont à côté de vous, voyons ! »

« Mes élèves vont jouer ? » s’étonne la maîtresse. Alors les enfants s’écrient : « Surprise ! »

La maîtresse est ravie. Les élèves se précipitent sur les trompettes, trombones à coulisse, tuba, cymbales, flûte, grosse caisse, et tsim ! boum ! dzing ! musique ! En avant la fanfare de l’école !

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Retrouve toute la famille Perlimpinpin cachée dans l’image !

La famille Perlimpinpin à l’Opéra

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42

Musique en familleDans ce beau tableau, chacun porte une grande attention

à son instrument, mais une chose réunit tous ces personnages : la musique qu’ils font ensemble… Regarde bien ces détails.

Mathieu Le Nain (1607-1677) est le frère cadet de Louis et Antoine Le Nain. Tous trois étaient peintres et il est parfois difficile de distinguer les œuvres de chacun. Il règne dans leurs toiles une atmosphère étrange et poétique. Ici, la musique, intemporelle, relie les personnages qui figurent les trois âges de la vie (enfance, maturité, vieillesse). L’uni-vers des frères Le Nain illustre no-tamment le quotidien des paysans du Laonnois. On peut admirer ce célèbre tableau au Musée d’Art et d’Archéologie de Laon (02).

Vois la position de ses doigts :

sa main droite gratte les cordes

du luth, tandis que la gauche

les pince.

L’homme au chapeau à plumes est

peut-être le papa de l’enfant.

Il joue du luth, un instrument

assez compliqué.

La jolie dame en bleu tient une guitare. Elle pourrait être la maman.

Derrière, se tient celui qui est sans doute le grand-père, au visage tout ridé. Il joue du flageolet, un instrument qui ressemble à une flûte.

Tous entourent l’enfant comme s’ils le protégeaient. Il tient une partition que regarde aussi le vieil homme. On dirait qu’il s’apprête à chanter…

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43Le concert, Mathieu Le Nain. XVIIe siècle

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Concert “famille” : samedi 18 juin, 16 h - Prix des billets : 29 E.

Page 44: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

45

« L’amour de la musique mène toujours à la musique de l’amour », disait Jacques Prévert... Ainsi, notre fier troubadour touche le cœur des bandits de grands chemins, ainsi le sultan capricieux retrouve une part d’humanité, ainsi, depuis la nuit des temps, les hommes chantent leurs pei-nes et leurs bonheurs, exaltant la vie, sublimant leurs sentiments et leurs combats. C’est au début du XIIe siècle, que s’épanouit l’art des troubadours, ces musiciens aux semelles de vent qui inventèrent « l’amour courtois » et écrivirent des textes d’une grande puissance poétique. Musique et histoires semblent liées depuis toujours, pour le plaisir des petits et des grands... Le 21 juin, on fêtera la musique, alors, laissez s’ouvrir vos oreilles et, avec vos enfants, entrez dans la danse ! Valérie CheVereau

Tablette d’ivoire représentant deux musiciens (XIVe siècle).

ur un air de musique

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46

Qui étaient les troubadours ? Chanteurs, poètes, musiciens ? En les mettant en musique, ils ont permis de mémoriser les récits d’une époque où peu de gens savaient lire...

vec le lancement des croisa-

des, en 1095, les récits épiques

exaltent la foi religieuse et le

sentiment patriotique. Loyauté,

honneur, courage, voilà les

valeurs que propagent les premières chan-

sons de geste médiévales, ces longs poè-

mes qui relatent les prouesses des rois et

des chevaliers. Dans cet univers littéraire

très préoccupé par les vertus guerrières, il

semblait qu’il n’y aurait jamais de place

pour une poésie inspirant des mœurs plus

courtoises. Et pourtant !

La révolution troubadouresqueDans la première moitié du XIIe siècle appa-

raissent les troubadours, à ne pas confon-

dre avec les trouvères, même si les deux

termes ont la même origine étymologique,

le verbe latin tropare qui signifie « trouver »,

« inventer », c’est-à-dire « composer ».

Troubadours et trouvères ont en commun

d’être des « trouveurs de rimes ». Mais alors

que les troubadours exercent leur art en

pays de langue d’oc, au Sud de la Loire, les

trouvères sont originaires des régions où l’on

parle la langue d’oïl, le Nord de la France

actuelle. Les troubadours sont surtout des

précurseurs. Ce sont eux qui ont inventé un

style poétique novateur, la « lyrique ». Cette

œuvre est indissociable de la musique car,

à une époque où peu de gens savent lire,

la pratique du chant permet de mémoriser

Les troubadours ou l’invention de l’amour

À droite, deux musiciens,

l’un jouant du luth, l’autre

de la vièle, extrait des

Cantigas de Santa Maria,

XIIIe siècle. Ci-dessus,

lettrine ornant

un chansonnier provençal

du XIIe s. On y voit la

comtesse Beatrix de Die,

l’une des plus célèbres

femmes troubadours.

Ci-contre, une gracieuse

jeune femme danse au son

de la vièle du troubadour,

dont on voit les armes sur

l’écu et le heaume.

Chansonnier de la famille

Manesse, XIIIe s.

Page 46: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

47

les récits. Ce nouveau genre d’expression

artistique est une révolution car les trouba-

dours écrivent en langue vulgaire, et non

plus en latin, et leurs chansons traitent

d’amours profanes. Les troubadours chan-

tent en solo, accompagnés le plus souvent

d’un jongleur jouant de la vièle, un ins-

trument muni de 5 à 7 cordes,

ancêtre de notre violon.

Des rois, des grands sei-

gneurs, des nobles

ou de simples

c h e v a l i e r s

s’essayèrent à cet art délicat. Quelques fem-

mes, les trobaïritz, se glissent dans la liste des

250 noms qui nous est parvenue. L’une des

plus célèbres est la comtesse Beatrix de Die.

Mais la plupart des troubadours sont de basse

extraction sociale, formés dans des écoles de

musique liturgique ou auprès d’autres trou-

badours. Ils se produisent devant les cours

seigneuriales, vivant de la générosité

de quelques mécènes. Certains se

mettent au service d’un grand per-

sonnage, célébrant ses actions, pro-

pageant ses opinions.

Des poètes de l’amourEnfants de cette Occitanie qui va de

l’Aquitaine à l’Italie et du Poitou à la

Catalogne, les troubadours chantent

leurs terres écrasées par les chaleurs

estivales, lavées par de violents ora-

ges, enivrées par mille vents lancés

des quatre points cardinaux. Ils trem-

pent leurs plumes dans les embruns

et l’émulsion des garrigues. La dou-

ceur de vivre inspire leur poésie.

À l’heure où la noblesse du Nord ne

jure que par la violence virile des

tournois, les troubadours chantent

le courage, la générosité et la passion de la

jeunesse. « Est jeune celui qui brûle sa vie

et qui distribue sans compter », écrit Bertran

de Born (1140-1215 env.), troubadour et sei-

gneur de Hautefort, un fief situé entre

Limousin et Périgord.

Les troubadours ou l’invention de l’amourCi-dessous, une cour de

musique, où un maître

enseigne à ses jeunes élèves

l’art des troubadours.

Sur son écu et sur son

heaume, figure le portrait

de la dame de son cœur

(Codex Manesse, XIVe s.).

À g., un preux chevalier

couronné par sa belle.

« Dame, adieu ! Je ne puis

rester davantage : Malgré moi

je dois partir; Combien

m’attriste l’aube ! (... ) »

Raimbaud de Vacqueyras.

Page 47: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

48

Les croisades auxquelles certains trouba-

dours participent comme chevaliers vont

ouvrir les portes d’autres imaginaires. Dans

le Sud de l’Espagne actuelle, à Grenade ou

à Cordoue, ils lisent les vers enchanteurs

des poètes arabes. Auprès des courtisanes

élevées dans les harems, ils goûtent au

raffinement des califes et vont se métamor-

phoser en chantres de l’amour à une épo-

que où les femmes sont cantonnées au

rôle de mère. Contre l’ordre moral imposé

par l’Église, ces poètes inventent un code

de valeurs dans l’art d’aimer. C’est la fin’amor.

Cet amour courtois constitue une révolution

des mœurs. Dans les chansons des trouba-

dours, l’amoureux devient le vassal de sa

bien-aimée, allant jusqu’à acquérir de bon-

nes manières. L’homme calme ses ardeurs,

se civilise, car l’objet de son désir est sou-

vent marié. Il faut alors préserver le secret.

uand je vois voler l’alouetteQuand vois l’alouette mouvoirDe joie ses ailes face au soleil,Que s’oublie et se laisse choir

Par la douceur qu’au cœur lui va,Las ! si grand envie me vientDe tous ceux dont je vois la joie,Et c’est merveille qu’à l’instantLe cœur de désir ne me fonde.

Hélas! tant en croyais savoirEn amour, et si peu en sais.Car j’aime sans y rien pouvoirCelle dont jamais rien n’aurai.Elle a tout mon cœur, et m’a tout,Et moi-même, et le monde entier,Et ces vols ne m’ont rien laisséQue désir et cœur assoiffé...Bernar de Ventadour, 1130-1195 (extrait)

Écrite par Bernar de Ventadour (qui apparaît sur la lettrine ci-dessus), cette « canso » évo-que le désarroi amoureux. Ce troubadour serait vraisemblablement de basse extraction sociale, ses parents auraient servi au château des seigneurs de Ventadour. C’est le vicomte Ebles II, “Lo Cantador” (le chanteur) qui semble l’avoir initié à l’art troubadouresque.

Le Jardin des plaisirs,

miniature du Roman de la

Rose, poème courtois de

Guillaume de Lorris et Jean

de Meung XIIe-XIIIe s.

Un joueur de luth enjôle les

dames, tandis que l’Amant

pénètre dans le verger avec

sa belle. Dans Le Roman

de la Rose, dédié à celle qui

est digne « d’estre rose

clamée, l’art d’amours est

toute enclose »...

Page 48: MILLE ET UNE HISTOIRES 130

49

L’amour se transforme en quête mystique et

la femme devient l’objet d’un culte entre-

tenu à travers les chants. « Pour elle je fris-

sonne et je tremble car de tant bon amour je

l’aime je crois qu’il n’en est jamais née de

semblable en beauté dans le lignage du sei-

gneur Adam », écrit Guilhem IX de Poitiers,

duc d’Aquitaine, premier troubadour connu

de l’Histoire, excommunié à plusieurs repri-

ses pour ses propos jugés scandaleux.

Disparus comme par enchantementLes troubadours jouèrent aussi un rôle de

ciment social, culturel et politique. Ils ont

éveillé les consciences de leurs contempo-

rains. Mais à la fin du XIIIe siècle, leur mou-

vement avait totalement disparu. Pourquoi ?

D’abord parce que les seigneurs occitans ont

été considérablement affaiblis par la croisade

contre les Cathares. Cette dernière a égale-

ment renforcé le puritanisme de la société.

L’amour n’était plus vraiment à la fête !

Un autre facteur a certainement joué dans la

disparition de la culture orale des trouba-

dours : la multiplication des livres. Entre le

XIIe et le XIVe siècle, l’abandon progressif du

parchemin pour le papier a entraîné le déve-

loppement de l’édition. Outils de diffusion

des connaissances, les livres ont facilité la

lecture silencieuse et favorisé d’autres types

d’expression artistique comme le roman et

le théâtre. Privés de riches donateurs autant

que de public, les troubadours ont sombré

dans les limbes du temps, laissant 264 mélo-

dies et 2500 poèmes comme seules preuves

de leur passage. Pourtant, le message de ces

passeurs de rêves éveillés, sans doute les

premiers chanteurs à texte de l’histoire, n’a

jamais cessé de nous inspirer. Plus de 800

ans après Bernar de Ventadour qui déclarait

« L’amour améliore l’homme », Aragon clamait

encore « La femme est l’avenir de l’homme ».

Un vers que tous les troubadours auraient

souhaité accrocher à leur cœur… ■

Serge TignèreS

lusieurs types de récits ont été créés par les trouba-

dours, répartis en une ving-taine de genres comme :

La Canso (la chanson) : Genre majeur de la lyri-que, il traite du “fin’amor”, l’amour courtois.

L’Alba (l’aube) : Dialo-gue entre deux amoureux éperdus surpris par l’aube.

Le Planh (la complain-te) : composée à l’occasion de la mort d’un prince.

Les Sirventès : Poèmes politiques ou moraux ex-primant les sentiments de plusieurs personnes.

La Pastourelle : Elle décrit les amours entre un chevalier et une bergère plutôt difficile à séduire.En haut, lettrine extraite

d’un chansonnier proven-

çal figurant Guillaume IX

d’Aquitaine, XIIe siècle.

En haut, une scène galante

où un faucon, symbole de

hardiesse, est offert en gage

d’amour. Ci-contre, de

retour des croisades, le

chevalier accueilli par sa

dame (Codex Manesse).

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UNE HISTOIRE QUI FAIT DU BIEN

50

Cette jolie fable philosophique amuse beaucoup les enfants avec son défilé d’oiseaux. on y trouve l’idée que la musique, et l’art en général, sont reliés au monde intime de chacun, ainsi que nous l’explique la psychologue Dominique Naeger.

Le chant de l’oiseleur

Cette histoire commence par

un doux rêve. Quelle influence

va-t-il avoir sur ce roi ?

Le rêve agit comme le révélateur d’un

manque, d’une insatisfaction, qui tour-

mentent le roi. Il semble que les riches-

ses matérielles qui sont les siennes

ne suffisent plus à le combler. Ici, il ne

sera pas question de princesse ni de

baguette magique mais d’un chant à

retrouver : chant issu à la fois des pro-

fondeurs d’un rêve, et d’un jardin. Ce

jardin, monde clos d’où vibre la petite

musique de l’oiseleur, n’est pas sans

évoquer un lien avec l’enfance, monde

idéal, éloigné des préoccupations du

roi et des exigences de sa charge. C’est

donc un monde caché, ou occulté, que

ce souverain porte en lui qui demande

à se réanimer avec l’aide de l’oiseleur.

Justement, quel va être son rôle ?

Il est à la fois le repère et partenaire

de la quête du roi. Il est un médiateur.

Il a fait naître chez le souverain le désir

vital de renouer avec l’émotion res-

sentie au son de la musique. Leur

aventure artistique va permettre au

roi de se raccorder à cet espace de

sensibilité dont il s’est détourné. Grâce

à l’oiseleur, le roi va engager avec

lui-même une recherche intime et

émotionnelle.

Qu’est-ce que symbolisent ici

l’oiseau et son chant tant désiré ?

On pourrait y reconnaître l’illustration

d’une résonance intérieure, d’un souf-

fle, d’autant que l’oiseau est la

représentation de l’âme, et son chant

délivre une parole. Notre roi n’est plus

dans l’action ou le paraître, mais dans

l’introspection. D’une certaine façon,

ce chant recherché lui permet de se

reconnecter à des émotions enfouies,

sans passer par les mots. Car, comme

toute expression artistique, la musi-

que nous amène dans le mouvement,

dans la vie !

Quel enseignement peut-on tirer

de cette fable ? Et qu’est-ce qui

touchera les enfants ?

L’enfant peut ressentir qu’il y a un dan-

ger pour soi-même à ce que force et

puissance prennent le pas, aliénant,

sur toutes les autres composantes de

la personnalité. Il peut aussi percevoir

qu’il a fallu des tâtonnements au roi,

et aussi du temps et de la ténacité à

l’oiseleur pour l’aider à trouver la paix...

Enfin, l’histoire montre aussi aux adul-

tes que nous sommes, que c’est en

restant à l’écoute de sa propre musi-

que, c’est-à-dire de ses ressentis ou

de sa créativité, que l’on trouve des

bienfaits... n

ProPos recueillis Par Valérie cheVereau

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rédacTion (tél. 01 56 79 36 61)Directeur de la rédaction : Pascal TeuladeRédactrice en chef : Valérie ChevereauPremière rédactrice graphique : Julie HaffnerAssistante : Valérie Gauchet

onT parTicipé à ce numéro :Adaptation des histoires : « Le chant de l’oiseleur », « Petiot et son pipeau » Karine-marie Amiot« Le troubadour et les brigands », V. Chevereau« Le loup et le chien », Pascal Teulade« Une histoire qui fait du bien » : Dominique Naeger « Pour vous parents », Serge TignèresRévision : Catherine PetriniIconographie : Nathalie Lasserre

Illustrations : Couverture et « Petiot et son pipeau », Juliette Boulard « Le chant de l’oiseleur », Yi Wang« Le troubadour et les brigands », Anja Klauss« Le loup et le chien », Fabienne TeyssèdrePoésie : Ilya Green« Les aventures de Loulou », scénario : Laurence Gay - dessins : Christel Desmoinaux La famille Perlimpinpin, Appoline HarelP. 51 : « Arthur », Capucine mazille

Crédits photos : p.42-43 : Musée d’Art et d’Archéologie de Laon © RMN/Hervé Lewandowski - p. 45 : Lettrine Bibliothèque municipale de Dijon, © Photo Josse/Leemage - Musée National du Moyen Age, © Photo Josse/Leemage p. 46 : © BNF - © Universitätsbibliothek Heidelberg - DR - p. 47 : © Universitätsbibliothek Heidelberg - p. 48 : © Heritage Images/Leemage - © AKG - Images/Visioars - p. 49 : © Universitätsbibliothek Heidelberg - © BNF

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À paraître

le 17 juin

La princesse prisonnièreLe chevalier au fier destrier

Et deux jolis contes de princesses et de chevaliers !

Le mois prochain