megemorin - ethique et filiation (1)

Upload: aliodormanolea

Post on 07-Jul-2018

221 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    1/39

      1

    Ethique et Filiation

    Ethique et Filiation

    Jeanine Mège-Morin1 

    INTRODUCTION

    I - Quelques apports notionnels et éléments de présentation du cadre

    de cette réflexion:

    Idéologie, morale et éthique

    Droit et règles morales

    Filiation en droit, filiation en psychanalyse

    Processus mentaux, trauma et traumatisme

    Le niveau social et l'Inconscient

    II - Pouvoir, savoir et éthique: Quelles relations peuvent-ils

    entretenir?

    III - Aperçu de l'évolution du concept de famille de l'époque romaine

    à nos jours.

    IV - Epoque actuelle: Une évolution sociale? Recherche des origines,

    recherche de paternité

    V.- Places de celui qui sait et de celui qui est supposé savoir

    Histoire du pouvoir médical

    Lien entre pouvoir et savoir.

    1  CAMSP d’Aix en Provence, 4 avenue de Grassi, 13100 Aix en Provence.CMPP ARI République, 13 rue Trigance,13002 MarseilleCorrespondance: Jas Bello Viste, 3560,chemin des Lauves, 13540 Puyricard

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    2/39

      2

    VI - Problèmes de filiation et problèmes éthiques

    Echographie et I.V.G.

    Adoption et P.M.A.

    L'adoption ratée d'Oedipe

    Filiation, Secret et Inconscient

    VII.- Point de vue clinique: Au cas par cas, ou histoire singulière de

    chaque Sujet

    Comment un certain non-dit(?), déni(?) des origines est pourvoyeur de

    symptômes.

    Histoire de dossier ou ce que la nouvelle loi rend possible

    Autres histoires singulières

    CONCLUSION

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    3/39

      3

    INTRODUCTION

    Le travail que nous présentons est un ensemble de réflexions

    et de questionnements sur les relations, conflictuelles ou non qui relient

    aujourd'hui l'éthique et ce que l'on nomme "filiation".

     Notre démarche s'inscrit dans une pratique, la psychanalyse, et vise à

    confronter cette pratique aux avancées des technologies et des sciencesainsi qu'au croisement des règles édictées par le législateur et le juge,

    autrement dit le droit. Elle veut se faire l'écho de certaines interrogations

    qui commencent à préoccuper de plus en plus certains professionnels de

    santé. Par exemple la loi française a récemment permis la consultation des

    dossiers des enfants adoptés. Quelles transformations cette loi, au-delà des

    aspects juridiques, introduit-elle dans les histoires individuelles, dans ce

    qui relève de l'intimité de chacun?

    Du point de vue psychanalytique, se repérer dans sa filiation permetentre autres de se repérer psychiquement et de se retrouver dans son

    identité.

    A notre époque, il existe un consensus pour dire également que la filiation

    est distincte de la sexualité car amour n'est pas sexualité. “ Accepter sa

    filiation, dit Tony Anatrella, c'est être capable d'aimer à son tour. ”2 Cette

    coupure dichotomisante est-elle satisfaisante?

    La clinique nous révèle le besoin vital de retrouver nos origines.

    L'être humain ne peut assumer pleinement sa vie si quelque chose le fait

    douter ou penser qu'il y a un “ trou ”, un blanc concernant ses origines.

    C'est comme s'il manquait une page dans une histoire.

    Il faut préciser que le droit et la psychanalyse n'ont pas les mêmes

     pratiques, ni les mêmes objectifs. Ils n'interviennent pas sur les mêmes

     plans. Le droit intervient sur le social-juridique, la psychanalyse sur les

    affects, les émotions. Le champ biomédical vient parfois recouper les deux

    champs précédents. Il se veut efficace, rationnel, ouvrant des possibles par

    2 Tony Anatrella , Psychanalyste et spécialiste en Psychiatrie Sociale, Paris cours marseillais de 2002.

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    4/39

      4

    exemple dans les traitements de stérilités, mais ouvrant également un grand

    nombre de questionnements.

    Avant d'aller plus loin nous nous interrogerons sur les différentes

    notions que nous allons employer.

    I- Quelques apports notionnels et éléments de présentation du cadre

    de cette réflexion:

    L’éthique, l’idéologie, et la morale semblent avoir à la fois des liens

    et des frontières qui les différencient..

    Idéologie, morale et éthique:

    L'idéologie est une approche de la pensée qu’on associe à Condillac

    et au dix-huitième siècle: c'est la formation des idées dans la conscience à

     partir des sensations mues par la réalité extérieure. Condillac affirme que la

    sensation est la source unique de nos pensées. On pourrait dire que

    l'idéologie est l'ensemble des représentations mentales qui apparaissent dès

    que les hommes nouent des liens entre eux. Les mythes, les religions, les

     principes éthiques, les us et coutumes, les programmes politiques sont ou peuvent être dans ce sens là des idéologies.

    L’éthique se veut différente d’une idéologie. Elle requestionne les

    idées, les représentations existantes.

    En ce qui concerne la morale, elle est définie par le Larousse de la

    façon suivante: c’est “ l’ensemble des règles considérées comme bonnes de

    façon absolue ou découlant d'une certaine conception de la vie et des

    actions qui fonctionnent comme normes dans une société. ” La vertu

    morale vient de l'habitude nous rappelle Aristote: “ Tout homme est père

    de ses actes comme de ses enfants ”. Tout être humain est un être moral,

    quoiqu'il fasse. Il peut être a-moral, moral ou immoral.

    Pour Kant la morale ne se préoccupe pas du bonheur individuel,

     personnel, mais de la vie en commun. “ Agis uniquement écrit-il d’après la

    maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne

    une loi universelle. ” Cette maxime est appelée impératif catégorique. C'est

    un impératif librement consenti et non imposé par les lois. C'est un principe

    qui doit s'imposer raisonnablement à tous.

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    5/39

      5

    “ Comment la morale vient-elle à l'homme? ”3  A la fin du dix-

    neuvième siècle, Durkheim4 dans son analyse du “ fait moral ” met l'accent

    non pas sur l'acte et l'individu mais sur le contexte social, sur les règles de

    la société (obligation et sanction). Il attribue à la conscience collective la

    même fonction que les théologiens attribuaient à Dieu. A la même époque,

     Nietzsche affirme que la conscience morale est le résultat d'une forte

    contrainte sociale. La morale, pour lui, est une “ anti nature ” c'est à dire un

    ensemble de principes mis en place par les faibles pour limiter la volonté

    de puissance des forts4. Freud qui est également leur contemporain, pense

    que c'est la famille qui joue un rôle important dans la création de la

    conscience morale. C'est l'autorité parentale qui donne les premières

    limitations aux pulsions5. 

    Voyons maintenant la notion d'éthique. Il existe des définitions qui

    donne un sens identique à la morale et à l'éthique. Par exemple pour le

    Larousse, l’éthique c’est ce “ qui concerne les principes de la morale ” Le

     petit Littré définit l'éthique comme la science de la morale. La langue

    française, en évoluant, a permis la dissociation de ces deux mots, éthique et

    morale, qui pourtant se référent à la même étymologie. Pour Hegel, c'est

    “ ce qui concerne l'organisation des rapports sociaux par opposition à la

    moralité qui énonce les principes de l'action individuelle ” dans ce qu'ildéfinit comme “ l'ordre éthique ”.

    On pourrait dire que l’éthique se dégage de l’idéologie et de la

    morale. Elle se présente comme un mouvement de la pensée qui conduirait

    l’être humain à se déprendre des pensées qui lui ont été apprises et à les

    mettre en question. La morale serait un système de valeurs constantes.

    L'éthique par contraste, pour J.F Mattéi, est avant tout un questionnement,

    ce n'est pas une science. Ce questionnement se veut être en premier lieu

    individuel. Pour Max Weber, on passe de l’éthique de conviction à

    l'éthique de responsabilité. “ L'éthique de responsabilité gouverne l'homme

    moderne et elle est le substitut du principe de justice éternelle ” dit J.F

    Mattéi. Le questionnement deviendra questionnement de groupe ou encore

    de société. L'altérité et la temporalité sont parties prenantes et participent à

    l'élaboration des règles communes à décider en groupe. L'éthique se

    différencie de la morale. Elle amène, après les questions posées, à prendre

    3Revue Sciences Humaines , n°46, 1995

    4 Durkheim 1858-1917.4 .Nietzsche 1844-1900 Généalogie de la morale 19875 Freud 1856-1939 Nouvelles conférences sur la psychanalyse Gallimard Idées NRF 1971

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    6/39

      6

     position à partir de différents champs qui se croisent tel que le juridique, le

    médical, l'économique, le psychanalytique, le scientifique, le politique, le

    religieux etc auxquels chaque sujet humain va être confronté. Il s'agit de

    trouver un équilibre entre la conscience individuelle et le fait de satisfaire

    aux exigences de la communauté. Hans Jonas y ajoute un principe deresponsabilité: “ Fais en sorte que ton action soit toujours compatible avec

    le maintien d'une vie sur terre. ”

    André Comte-Sponville 6  propose deux définitions à partir de

    Deleuze et Spinoza. “ Nous appellerons morale le discours normatif et

    impératif qui résulte de l'opposition du Bien et du Mal, c'est l'ensemble de

    nos devoirs. La morale répond à la question: “ que dois-je faire? ” Elle tend

    vers la vertu et culmine dans la sainteté.....Nous appellerons éthique tout

    discours normatif mais non impératif ou sans autres impératifsqu'hypothétiques qui résulte de l'opposition du “ bon ” et du “ mauvais ”,

    considérés comme valeurs relatives: c'est l'ensemble réfléchi de nos désirs.

    Une éthique répond à la question “ comment vivre? ”. Elle est toujours

     particulière à un individu ou à un groupe. C'est un art de vivre: elle tend

    vers le bonheur et culmine dans la sagesse. ”

    Droit et règles morales

    La recherche scientifique et ses dérivés ( les techniques qui endécoulent P.M.A., clonage, etc ) font des propositions aux hommes.

    Lorsque ces propositions sont énoncées ou lorsqu'il y a changement de

    normes sociales des questions se posent. L'homme s'adresse alors à d'autres

    hommes, c'est à dire à la société. La science propose donc ses techniques

    (ex clonage) qui vont plus vite que la façon avec laquelle avance la

    conscience humaine. “ Toute techné dit Foldscheid s’inscrit dans un travail

    civilisateur, qui instaure un ordre en équilibre mouvant ”.7  Actuellement,

    nous sommes dans une révolution culturelle et un changement des normes

    morales et sociales. “ La norme morale risque même de se dissoudre dans

    la surabondance actuelle des normes sociales disparates, de type technique,

    comptable, économique, juridique, ou administratif, qui se réduisent

    finalement à des codes qu'il suffit d'appliquer pour être “ en règle ” et, par

    là même, pour se dégager de toute responsabilité. ” (J.F Mattéi) 8.La société

    devient une société de précaution qui a tendance à vouloir légiférer, à faire

    en sorte que tout risque soit couvert. On demande au droit de règler toutes

    6

     Revue Lettre n°28 Printemps 91.7  Philosophie, Ehique et droit de la médecine chapXII8  Philosophie, éthique et droit de la médecine.chap VI. PUF. 1997

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    7/39

      7

    les questions. Le fantasme, que toutes distorsions dues à l'erreur humaine

    ou à la nature soient réparées, amène parfois les hommes à certains actes

    qui ont plus à voir avec la toute puissance qu'avec une réelle réflexion

    éthique.

    Quant au droit, pour lui, le sujet humain est une abstraction. La personne humaine est au mieux le support d'un sujet de droit. Les progrès

    de la génétique font resurgir les fantasmes d'accoucher et de mettre au

    monde un enfant parfait, “ sans faute ”, en un mot, un enfant idéal. Les

    recherches sur l'embryon amène le chercheur à se trouver au “ carrefour de

    ses convictions intimes ” rappelle J.F Mattéi 9. 

    Quant à Aristote, voilà ce qu'il nous enseigne dans l'Ethique de

     Nicomaque: “ La prudence est une disposition, accompagnée de raison

     juste, tournée vers l'action et concernant ce qui est bien et mal pourl'homme. ” “ Les principes, en ce qui concerne l'action morale, sont la fin

    en vue de laquelle l'action s'exécute. Celui qui est égaré par le plaisir ou la

     peine cesse immédiatement de voir clairement le principe et le but de la

    raison qui doivent l'engager à choisir et à agir en toutes circonstances. ”

    “ C'est peut-être l'affaire d'une vie de passer de la loi qui nous tient à

    la loi qui nous fonde ” dit M. Balmary10. Entre la loi juridique, la loi du

    désir et des interdits il y a lieu de savoir, dans telle circonstance, à quelle

    loi on se réfère. Voici un exemple clinique. Une femme raconte: “ Je viensde recevoir des coups par mon mari (les coups sont visibles) le médecin

    m'a fait un certificat, ça fait des années que ça dure, je me hais moi-même

    de ne rien dire, de rester dans cet état, est-ce que je dois aller à la police?

    qu'est-ce que vous me conseillez? ” le tout dans un contexte où cette femme

    est très déprimée et parle de ses idées suicidaires. Que doit faire, que doit

    dire ou ne pas dire le psychanalyste devant le risque de passage à l'acte.

    Il y a une différence entre le droit et les règles morales. Le droit, en

    essayant d'évoluer et d'intégrer les avancées des idées nouvelles en arrive

     parfois à des situations paradoxales et contradictoires. Il fixe les lois sur

    lesquelles s'appuie la société mais il n'est que de se référer au grand débat

    qui a eu lieu autour de l'arrêt Perruche pour s'apercevoir que les avancées

    ne se font pas automatiquement en ligne droite. Voici une histoire qui se

     passe avant que le divorce ne soit reconnu en Italie: Cette femme ne

     s’entendait plus avec son mari et pourtant celui-ci voulait à tout prix un

    9 Professeur de pédiatrie et génétique médicale, cours du 29 janvier 2002,Marseille10 Les lois de l'homme. Etudes. Juillet-Aôut 1991

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    8/39

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    9/39

      9

    l'éthique utilitariste et de l'éthique déontologique. En ce qui concerne

    l'éthique utilitariste, c'est le pourquoi devrions nous interdire si tout le

    monde trouve.... son intérêt. C'est le cas de ce que l'on peut appeller des

    mères de substitution ou "locations d'utérus". P.Le Coz, dans la revue

    “ Forum ”13,  nous dit encore, comment cette optique utilitariste raisonne:“ Au niveau de la recherche, l'investigation sur les embryons humains est

    légitime puisque d'un côté, il participe du souci d'optimiser le bien être

    collectif et que de l'autre, l'embryon manipulé est suffisamment précoce

    (moins de quatorze jours) pour ne pas ressentir de douleur. ”. Quant au

    raisonnement de type déontologique il “ s'organise autour de principes très

    différents. Comme son nom l'indique, l'éthique “ déontologiste ” (du grec

    déon: “ ce qu'il faut faire ”) se fonde non pas sur le droit au plaisir mais sur

    le devoir du respect de la dignité de la personne....Nous ne pouvons vouloird'un monde où les hommes traiteraient leur corps comme un fonds de

    commerce ”

    Se poser une question éthique entraîne un mouvement interne qui me

    rapproche de l'autre autrement que dans quelque chose qui sera codé par le

    dire et le faire. Il s’agit d’une écoute, d’un respect de l'autre, d’un respect et

    d’une acceptation de là où l'autre se trouve dans son cheminement. La

    question éthique fait s’entrecroiser des discours qui viennent de champsdifférents. Tous sont réunis par le langage, sachant que la langue s’entend

    différemment selon le champ où l’on se trouve.

     Nous ferons appel à une petite vignette clinique:

    Son enfant venait de subir une opération très grave où le processus vital

    était en jeu. La maman est reçue par l'assistante sociale du service

    quelques mois après l'opération. Celle-ci trouve que l'enfant devrait être

     socialisé. Elle incite cette maman à faire la démarche d'inscription dans

    une crèche. et parallèlement, elle lui retient une place. La maman est reçue

    également par le psychothérapeute de l’équipe. Elle lui parle de sa forte

    culpabilité à ne pas pouvoir faire la démarche pour socialiser son enfant.

     Elle dit avoir affiché le téléphone de la crèche bien en évidence chez elle,

    et pourtant elle ne peut pas. L'acte est impossible, malgré le sentiment

    d'être coupable de ne pas le faire. Il fut nécessaire d’entendre que cette

    maman était restée de longs mois sans pouvoir s'exposer et exposer l'enfant

    13 L’espace éthique méditérranéen, n°5 septembre 2002

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    10/39

      10

    au regard des autres. Elle ne pouvait pas psychiquement sortir de chez

    elle.

    Le questionnement doit avoir lieu mais il semble également

    impératif de se poser la question :où en est l'autre? Même, si l'on pense

    que, ce que l'on pense est bien pour l'autre, le risque pour le soignant est des'abriter derrière le savoir de sa profession. Il peut s’abriter également

    derrière un autre savoir, anonyme, qui joue de sa puissance inconsciente.

    Filiation en droit, filiation en psychanalyse: 

    Filiation en droit

    La filiation en droit n'a rien à voir avec la sexualité et lareproduction. Elle est un lien de droit entre un père ou une mère et son

    enfant. Ce lien de droit diffère selon les liens sociaux qui unissent les deux

     parents. On parle de filiation légitime si le père et la mère sont mariés. La

    filiation est dite naturelle s'ils ne sont pas mariés ensemble. Si l'un ou les

    deux parents sont mariés la filiation sera cataloguée adultèrine simple ou

    double. La filiation est dite incestueuse s'il y a un lien de parenté prohibé

     par la loi (ex: père- fille, frère -soeur biologiques ou adoptés). La filiation

    est adoptive quand elle est crée par un jugement, donc par la loi à lademande des futurs parents adoptifs donc par une demande usant de

    l'artifice de la loi.

    Il y a deux sortes de filiation en droit, la filiation légitime et

    naturelle, et la filiation adoptive crée avec l'artifice de la loi. Pour celle-ci,

    il n'y a pas besoin de preuves puisqu'il y a eu intervention du juge. Pour la

    filiation légitime, il fallait avoir des preuves sociologiques. En ce qui

    concerne la maternité, il n'y avait pas besoin de preuves puisque celle-ci est

     prouvée par l'accouchement. Pour la paternité, les preuves sont plus

    difficiles à fournir. “ La paternité, ça ne se diagnostique pas en France ” dit

    D. Thouvenin par contre, “ on peut contester la paternité dans un délai de

    six mois. ” “ Le droit ne crée pas la filiation biologique comme il le fait

    avec la filiation adoptive; il reconnaît un état de fait. ” dit J. Foyer 14,.

    L'article 312 du Code civil dit: “ L'enfant conçu pendant le mariage a pour

     père le mari. ” Quant à l'article 319, il précise: “ La filiation des enfants

    légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur les registres de

    l'état civil. ”

    14 Professeur à l'université de Paris II

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    11/39

      11

    Le Code civil et les lois évoluent en fonction des idées, des normes

    sociales, des idéologies qui bougent, qui changent de place. Le terme de

    filiation adultérine disparaît avec la loi de 1972. Il est remplacé par celui

    d'enfant naturel, ce qui fut une révolution signifiante au niveau des mots

    mais que l’on pourrait qualifier encore de frileuse. Qu’est-ce qu’un enfantqui ne serait pas naturel? A partir des années soixante-dix, la famille

    traditionnelle, dite légitime, ne semble plus correspondre aux schémas

    sociaux. A partir d'enquêtes menées sur l'évolution des familles, on note,

     par exemple une augmentation des divorces, une diminution des mariages,

    une augmentation de l'union libre et donc des naissances hors mariage,

    ainsi qu'une augmentation des familles dites monoparentales. Le droit va

    suivre l'évolution de la société ainsi que l'évolution des sciences.

    Parallèlement, nous percevons également une évolution dans la notion defiliation. Le code civil, en 1972 dit que “ L'enfant naturel a en général les

    mêmes droits et les mêmes devoirs que l'enfant légitime dans ses rapports

    avec ses père et mère. Il entre dans la famille de son auteur. ” Il est donc

    déclaré avoir une généalogie. Cependant, il semble que dans les héritages,

    l'égalité ne soit pas la même selon que l'on soit “ naturel ” ou “ légitime ”.

    De même, dans la société, certains cachent leurs origines, certains cachent

    l'enfant né hors des “ bons principes ou affichés comme tels ”. La science

    est une autre cause d'évolution du droit, par exemple, sur les recherches possibles de paternité. Actuellement, le droit utilise la notion de

    consentement pour édicter les règles. Il est dit que sauf l'accord express de

    la personne, aucune identification ne peut être réalisée. C'est par exemple le

    cas d'Y. Montand14bis qui, de son vivant, n'avait pas consenti à la demande

    de recherche de paternité. A ce non consentement a été associée une

    violation de sépulture. Dans la Convention Internationale des droits de

    l’enfant15, le droit de l'enfant à connaître ses parents s'oppose par exemple,

    en France, à l'accouchement sous X. A qui va le droit? Qui va avoir accès

    au savoir sur le “ d’où je viens, quelles sont mes origines? ” ou le droit “ à

    ne pas pouvoir assumer de donner son nom comme mère de cet enfant? ”,

    le droit en somme d'avoir le libre choix même si le choix de l'enfant

    s'oppose à celui de l'adulte?

    Filiation en psychanalyse 

    14bis acteur15 1990

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    12/39

      12

    En psychanalyse, lorsqu'on parle du père, on parle des fonctions du

     père et, pour la mère, des figures maternelles. Ces fonctions paternelles et

    maternelles se situent dans l'ordre symbolique, c'est à dire dans ce qui fait

    appel aux effets inconscients. Par rapport aux pratiques sociales et aux

     pratiques juridiques, la psychanalyse apporte sa contribution pourcomprendre ce qui peut agir dans la praxis de la filiation. Autrement dit,

    comment des comportements perçus à travers des actes concrets peuvent,

     peut-être, se décrypter. Les avancées technologiques, “ le renouvellement

    des pratiques, ne doivent pas faire oublier la part du sujet inconscient au

    lien social et à la norme ”16.  Les idéaux familiaux sont placés sous le

    contrôle de la norme sociale ce qui ne les empêche pas d'être

    "imaginarisés".

    Au cours de son histoire, dans la construction de son roman familial,l'enfant comprend que le père est “ incertain ” alors que la mère, elle, est

    “ certaine ”. Nous retrouvons une croisée de chemin avec le droit qui

    affirme la certitude de la maternité alors que pour le père c'est ou c'était,

     jusqu'à une époque récente, l'inconnu. Il n'y avait pas de certitude. Le droit

    remplaçait la preuve biologique par un fait juridique, le mariage.

    Actuellement pour que la preuve existe, il est nécessaire qu’il y ait

    consentement de recherche de paternité.

    Au moment du conflit oedipien, l'enfant se pose des questions sur safiliation. Certains enfants s'inventent même une généalogie royale. Ce

     processus comme le note Freud, la mise en accusation des parents réels, est

    nécessaire et devient un facteur d'émancipation. Les enfants vont alors

    commencer à critiquer les parents. Freud dit que le progrès de la société

    repose sur l'opposition de deux générations. Actuellement, nous aurions

    tendance à évoquer plus de deux générations et à évoquer ce qui passe, à

    l’insu des générations (secret, non-dit, déni), d'une génération à l'autre . La

    théorie sexuelle infantile que l'enfant développe ne comporte pas de doute

    sur ses origines quant à la mère même s'il lui invente des aventures. Le

     père, au contraire, sera principalement celui dont il pourra douter. L'enfant

    va pouvoir jouer avec ses “ deux objets parentaux ” dont un sera enclin au

    doute. Cette chose inconsciente s'appuyant sur le doute va permettre de

    nouer le sujet à son désir. Le doute sur le père comme géniteur va amener

    la confrontation avec la filiation, filiation qui, elle, fonde l'identité. Ce

    vacillement à l'égard du père c'est ce qui fait sa force symbolique. C'est

     paradoxal et pourtant ce vacillement à l'égard du père permet

    16 P.L Assoun Revue Anthropos/Economica 1994

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    13/39

      13

    symboliquement un travail d'idéalisation. La puissance du père idéal est

    rendue possible par la destitution du père réel. Ce vacillement à l'égard du

     père permet aussi le deuil de l'idéal et par conséquent permet

    l'identification. La position du père “ incertain ” introduit le sujet au

    manque ....de savoir. Le manque c'est ce qui fait que tout ne devient pas besoin, que le désir du sujet puisse émerger, que le sujet se constitue.

    Quant à la position de la mère, le sujet est pris dès l'origine dans le

    lien maternel. Mais la mère pour être “ certaine ” n'en est pas moins aussi

    inconnue.

    C'est entre la loi paternelle et la dépendance maternelle que le sujet

    advient à son propre désir.

    “ L'ambivalence est un caractère essentiel des relations entre père et

    fils ” écrit Freud dans “ Moise et le monothéisme ”. Le fils peut à la foishaïr et aimer son père. Avec la mère, il est dans un rapport de passion.

    Envers toute autre personne, il faudra choisir entre l'amour ou la haine.

    Avec le père, le fils est confronté à l'ambivalence et à son désir

    d'identification; il veut à la fois être comme le père et en même temps il a

    un désir de meurtre vis à vis de lui. C'est ce qui permet d'organiser une

     place de sujet désirant, de faire face à l'angoisse de castration et de pouvoir

    forger son Surmoi. Dans “ Totem et tabou ” écrit en 1913, Freud construit

    le mythe du meurtre du père, fondateur selon lui de l'organisation sociale.Les fils tuent le père et le mangent. Ils renoncent à la mère et à toutes

    convoitises à l'égard de leurs soeurs. Ils édictent les lois du groupe. Le

    meurtre du père renvoie à la culpabilité et à la gestion des pulsions. En

    renonçant aux pulsions, en instaurant le tabou de l'inceste, le champ de la

    socialisation et la vie en société deviennent possibles. “ Le besoin sexuel

    divise les hommes. Si les frères étaient associés tant qu'il s'agissait de

    supprimer le père, ils devenaient rivaux dès qu'il s'agissait de s'emparer des

    femmes. ” “ Avec l'acte meurtrier, aucun des fils ne pouvait réaliser son

    désir primitif de prendre la place du père. Or nous savons que l'échec

    favorise beaucoup plus la réaction morale que ne le fait le succès. ” Plus

    loin, Freud ajoute que “ La famille est devenue une reconstitution de la

    horde primitive. ”

    Le sujet va pouvoir constituer son propre désir en s'appuyant, à la

    fois, sur la loi et les interdits du père, et la dépendance maternelle.

    L'élaboration au plan inconscient du conflit oedipien amène à la

    constitution du Surmoi. Le Surmoi est comme chacun sait l'instance de la

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    14/39

      14

    deuxième topique de Freud. Il sert de conscience morale et s'instaure en

    grand ordonnateur des pulsions, du ça.

    C'est parce qu'il y a doute au plan inconscient que la filiation peut se

     bâtir et que le fils pourra avoir une descendance. Se repérer dans sa

    filiation permet de se retrouver dans ses identifications, dans son identitésexuelle. C'est ce qui permet à l'être humain de se constituer en sujet.

    Processus mentaux, trauma, et traumatisme.

     Nous aborderons les mécanismes propres au fonctionnement mental

    tels qu'ils ont été élaborés par Freud à partir de l'étude des symptômes et

    des rêves. On ne peut pas dire que les rêves n'ont pas de sens mais qu'ils

    sont soumis à un glissement incessant du sens. Ces mécanismes sontappelés: déplacement et condensation. Dans le déplacement, la

    représentation le plus souvent d'apparence anodine peut se voir attribuer

    toute la signification, toute l'intensité attribuée à une autre représentation.

    Quant à la condensation, toutes les chaînes associatives de la pensée

    viennent converger en une représentation unique. Il en est de même pour le

    symptôme. L'inconscient parle à travers lui. C'est ce que Lacan a théorisé

    en reprenant les figures rhétoriques de la métaphore et de la métonymie.

    Trauma (qui vient du grec blessure) et traumatisme sont des termesqui viennent de la médecine. Le traumatisme est ce qui résulte du trauma.

    La lésion ainsi crée, associée à une violence extrême entraîne des

    conséquences sur l'organisme, sur l'ensemble de l'individu. Le traumatisme

    “ psychique ” qui fait suite, vient directement menacer l'intégrité du sujet.

    Il y a comme une espèce de symétrie entre le danger externe et le danger

    interne. Le moi est attaqué du dedans par les excitations pulsionnelles

    comme il l'est du dehors. Ces excitations sont au delà du tolérable, au delà

    du supportable. Elles demandent à être liquidées. Cette situation

    traumatique rend le moi de la personne sans défense. Le moi déclenche un

    signal d’angoisse pour éviter d’être débordé par une angoisse dite angoisse

    automatique qui envahit tout selon la force de l’événement traumatique.

    Toutefois il est nécessaire de nuancer le rôle joué par l'événement

    extérieur. Les événements externes qui font traumatisme, vont être liés aux

    fantasmes qu'ils vont déclencher ainsi qu'aux afflux d'excitations

     pulsionnelles. On pense aux rêves à répétition et au comment rompre cette

    compulsion de répétition. On pense également aux symptômes qui

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    15/39

      15

    surgissent après un traumatisme. (Pour ne citer qu'un exemple très banal on

    citera l'insomnie).

    Le niveau social et l'Inconscient: 

    Autres choses sont les non-dits, les secrets, les "mensonges" élaborés

     pour le bien de l'enfant qui font traumatisme. Nous sommes sur deux plans

    distincts et entremêlés: le plan de l’inconscient et le niveau social .D'un

    côté, il y a l'organisation des fantasmes du père et de la mère qui participent

     par exemple à la rétention d'un secret. Du côté social, il y a l'exigence de

    normes qui passent par les idéaux parentaux et familiaux. Le social

    demande également des preuves à la science, autrement dit aux

    scientifiques. On sait que les chercheurs avancent par exemple dans ledécryptage de l'écriture génétique. Elle est mise au service de la loi que ce

    soit pour la filiation ou pour les recherches sur les meurtriers. Devant la

     possibilité offerte de manipuler, de créer de l'humain, et de devenir l'égal

    de celui qui peut être appelé Tout Puissant, Dieu, Etre Suprême, tout

    homme peut être confronté à la toute-puissance et au sentiment de toute

     puissance .

    Le sujet inconscient de la filiation doit rester dans le doute pour que

    son désir advienne. Le sujet social ne veut pas de doute, il veut uneassurance “ tous risques ” ou “ sans risque ” ce qui nous fait penser au

     principe dit de précaution. Avec ce principe, on est amené à agir par

    anticipation sans attendre qu'une catastrophe advienne. P.L Assoun dit que

    le “ sujet social semble chercher dans le corps de la femme une réassurance

    du côté de la reproduction de la vie, d'où l'intérêt pour la problématique de

    la stérilité et de la procréation dite “ médicalement assistée ” où, on

     pourrait, sans risque, avoir le bébé de ses rêves, le bébé de ses fantasmes. ”

    De façon générale, on peut dire que l'éthique n'est pas de l'ordre de la

    loi. Elle se pose comme une question qui en appelle à la loi, au désir, au

    droit. Elle remet en lien ces différents aspects et joue le rôle de résonateur,

    de “ mêleur ” des idées questionnantes, qui renvoie au moi individuel et

    collectif. Pour les professions qui gravitent dans le champ de la santé, il y a

    un renvoi au code de déontologie, des médecins, des psychologues, etc qui

    se veulent une garantie de soins pour l'usager, garantie de la dignité de la

     personne, garantie du secret professionnel mais, les professionnels n’en

    sont pas moins hommes et sont soumis à leurs pulsions, à leurs fantasmes.

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    16/39

      16

    II Pouvoir, savoir, et éthique. Quelles relations peuvent-ils entretenir? 

    La réflexion éthique naît du doute et des incertitudes. Comment lesavoir peut-il se positionner face au doute? face au pouvoir? Les liens que

    chaque individu entretient avec le pouvoir et le savoir sont à la fois de

    l'ordre du conscient et de l'inconscient. Ces liens le renvoient à sa propre

    histoire.

    Que le savoir soit scientifique n'est pas suffisant pour qu'il puisse

    être dit éthique. Tel soignant peut se poser la question de savoir si ce soin

    est approprié et s'il doit le faire sans le consentement du soigné. Parexemple, en psychiatrie, lorsqu'il y a H.D.T c'est à dire hospitalisation à la

    demande d'un tiers, ou H.O, hospitalisation d'office, on peut se demander

    où est passé le consentement du patient? Mais un patient qui serait hors de

    lui-même, faudrait-il son consentement? Faut-il soigner de force? On voit

    que le changement de l'esprit de la loi de 1838 est passé à travers des mots-

    supports dans le remaniement de celle-ci. En effet, la loi de juin 1990

    transforme le terme de “ placement ” en celui d'“ hospitalisation ”. Par

    ailleurs, il avait fallu attendre 1792, c'est à dire la Déclaration des Droits deL'Homme pour que le malade mental soit reconnu citoyen et malade.

    L'évolution des idées obligent les lois à suivre mais, parfois avec un grand

    décalage.

    Le savoir met celui qui sait en position de pouvoir sur l'autre.

    Pouvoir du savoir qui renvoie au secret, secret qui comme le rappelle

    Geneviève Delaisi et Pierre Verdier 17 est défini par le fait qu'il s'agit d'un

    savoir partagé, d'un savoir protégé, et d'une conduite d'évitement. ” “ Le

     profane suppose l'initié. S'il y a secret, il y a confidence, c'est à dire

    confiance. Quelqu'un sait, quelqu'un a, en dépôt, une vérité sur laquelle il

    veille jalousement, mais qu'il partage néanmoins avec un autre...ou avec

    Dieu. ” écrit V. Jankélévitch18 

    L'identité se construit par les liens que l'on développe avec les autres

    mais tout commence avec un nom qui vient de quelqu'un d'autre, et ce

    quelqu'un nomme le sujet. En psychanalyse,.cela s'appelle la nomination.

    17L'enfant de personne18 L'Ironie, Paris, Flammarion).

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    17/39

      17

    L’enfant est nommé. Il porte le nom du père qui lui même a été nommé par

    son père. Nous retrouvons ainsi la chaîne symbolique des générations.

    Il n'y a pas de prêt à porter dans l'éthique. Dans son ouvrage: “ Les

    droits de la vie ” J.F Mattei écrit: “ Entre la loi morale et la loi civile, entre

    l'éthique de conviction qui repose sur la foi et l'éthique de responsabilitéqui impose la loi, je ne suis pas sûr qu'il faille choisir ”. La pratique

    clinique amène le clinicien dans des eaux troubles et tourmentées dont on

    ne sait comment sortir....parfois.

    Voici l'histoire de A

    Sous le coup d'un événement traumatique (un départ brutal du

    domicile familial avec sa mère vers l’âge de trois ans, et donc une rupture

    brutale, aussi, avec son père si bien que l’au revoir du matin ne fut jamais suivi par le bonjour du soir) un enfant oublie tous ses souvenirs. Cet oubli

    va se transférer sur tout ce qu'il apprend. Cet état de fait entraîne un échec

     scolaire massif. On pourrait dire qu'il y a un retour de la violence contre

    lui-même. Pourquoi s'était-il senti coupable? On ne peut exister sans

     passé, sans souvenirs. Après une thérapie, puis la mise en place d'une

    orthophonie en parallèle et d'un travail long et difficile mère-enfant, le

    bouchon du traumatisme saute et l'enfant retrouve sa capacité à

    apprendre. Il y aura un jugement de divorce. Pendant deux ans l'enfant neverra pas son père. Il sera amené à le rencontrer deux ou trois fois,malgré

    les résistances de la mère. Celle-ci n'avait pas évoqué le fait que,

    maintenant, elle vivait avec un compagnon. Suit l'annonce brusque qu'elle

    va déménager. La séance suivant le déménagement, autrement dit

    l'emménagement dans une maison commune avec le nouveau compagnon,

    le compagnon fait un esclandre dans la salle d'attente, disant que tout va

    bien maintenant, combien cela allait-t-il encore durer? (Sous entendu cette

    thérapie!). Je propose de les recevoir la fois prochaine et d'en parler. Que

     se passe-t-il la semaine suivante? Un nouvel esclandre dans la salle

    d'attente. C'est le "beau-père", qui hurle que je lui manque de respect, qu'il

     faut que je les reçoive immédiatement. En fait, arrivés en retard par

    rapport à la séance de l'enfant que j'avais reçu à son heure habituelle, ne

    les ayant pas aperçus dans la salle d'attente, dans le même temps je venais

    de faire entrer le patient suivant dans mon bureau. Que fallait-il faire?

    Que fallait-il dire? Où pouvait-on placer le respect de la personne entre

    celui qui se trouvait dans mon bureau et celui qui se trouvait hors du

    bureau, hors de lui-même?, et ce dans un temps où la réponse se devait

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    18/39

      18

    d'être immédiate. Il m'avait interpellé en tant que personne manquant de

    respect, en me mettant à une autre place que celle de soignant, en décalant

    ma position. Par ailleurs, le tout venait redoubler la notion de respect car

    de part et d'autre de ma porte se trouvaient deux cultures dont “ le

     savoir ” me laissait fortement penser que ce ne serait plus un esclandremais un pugilat qu'il y aurait à gérer en fonction de la position prise. Que

    faire? Que dire? Que devais-je entendre de celui qui se désignait comme

    nouveau père, chef de sa nouvelle famille? occupant (?) la place du père de

    l’enfant sous l’oeil approbateur de la mère? Que fallait-il entendre dans ce

    raccourci du “ manque de respect ”? La réponse se devait d’être dans le

    temps de l’immédiateté. 

    III.Aperçu de l'évolution du concept de famille, de l'époque romaine à

    nos jours 

    La notion de famille se décline selon différentes définitions qui vont

    de l'Antiquité à nos jours. L’histoire nous enseigne que les rôles et les

     places des divers protagonistes qui constituent la famille ont évolué,

    changé jusqu'au concept actuel de famille dont celui de famille

    monoparentale..Dans la Rome Antique, la paternité biologique n'existait pas pour la

    famille romaine. La fonction paternelle devait produire de nouveaux

    citoyens. Le pater familias désignait le chef de famille. Celui-ci englobait

    les membres des générations suivantes et les esclaves. Il était le protecteur

    et avait tous les droits sur l'ensemble du groupe. Il ne désignait pas le

    géniteur qui, en latin, se dit genitor ou parens. A la naissance, le pater

     prenait le nouveau-né dans ses bras. S'il l'élevait, il devenait enfant légitime

    et reconnu; s'il le mettait dehors, alors il devenait esclave ou il était

    condamné à mort. Le pater familias avait la puissance paternelle. Le terme

    de mater, lui, désignait la femme qui mettait au monde un enfant et qui le

    nourrissait. On peut dire que les liens de filiation au père et à la mère

    étaient asymétriques. Dans l'usage, il y avait des nourrices pour qu'il y ait

    des liens et un attachement limité. Le père avait le pouvoir d'émanciper le

    fils. Il pouvait adopter un adulte et en faire son fils-héritier.

    En Occident, le père a eu un droit de vie et de mort sur ses enfants

     jusqu'au IVe siècle après Jésus-Christ.

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    19/39

      19

    Dans la famille chrétienne, la femme dont le modèle est la Vierge

    Marie a une autorité supérieure au pater familias mais on peut dire que

    l'Annonciation prévient le matriarcat, la mère se retrouvant sous la tutelle,

    sous l'autorité de Dieu. Quant à Joseph, il devient un modèle pour celui qui

    veut élever l'enfant d'un autre.La famille de l'Ancien Régime a pour fonction de transmettre un

     patrimoine. En ce qui concerne le modèle aristocratique, l'importance

     première est accordée à la lignée. Les dits "bâtards" ne sont pas exclus. Ils

    sont élevés au château. Les enfants sont élevés par une nourrice. Le père et

    la mère, du fait de leur rang, se doivent d'avoir d'autres responsabilités.

    Lorsque les enfants sont plus grands, ils vont dans des institutions, ce qui,

    du fait de la distance, vient renforcer le respect dû aux parents. Celui-ci est

    une notion très importante. Elle passe bien avant les démonstrationsd'affection et de tendresse. Les rôles sont déterminés selon la place que l'on

    occupe dans la fratrie. Les cadets entrent en religion ou à l'armée. Chez les

    Paysans, on place les enfants comme domestiques. Le travail est une

    condition de survie. On devient un exclu si l'on ne travaille pas.

    l'infanticide est camouflé ou ritualisé.A la ville, les artisans, les

    commerçants, sont dans la transmission de leur savoir. Ils transmettent leur

    métier à leurs enfants. Le père est un enseignant. La mère s'occupe le plus

    souvent de l'argent. La relation parents-enfants passe par d'autres liens, pard'autres tissages où les affects entrent différemment en jeu dans la relation.

    C'est à travers ces couches moyennes de la population que s'est développé

    une nouvelle conception de la famille. Pourtant la loi du père reste

     pratiquement inchangée jusqu'au dix-neuvième siècle. Souvenons-nous des

    lettres de cachet. Les philosophes des Lumières vont mettre en valeur les

    droits de l'homme. Pendant la Révolution, quelques lois viendront limiter

    l'autorité des pères de famille ( la puissance paternelle est abolie) mais le

    citoyen est seul maître chez lui. Le mariage est un contrat libre. L’homme

    se marie pour avoir des enfants. Vivre ensemble est la condition nécessaire

     pour l’amour paternel. L'évolution tend à confier à la femme les soins à

    apporter à la maison, à l'enfant. La gestion de la citoyenneté, le politique

    reviennent à l'homme. La Révolution, à partir de son idée que la paternité

    devait être volontaire, a revalorisé l’adoption pour que les citoyens soient

    égaux devant le fait d’avoir ou non des enfants. La filiation ne se décline

     plus à partir des liens du sang.

    Progressivement va se dégager la famille bourgeoise et la famille

    ouvrière. Dans la famille bourgeoise, le père délégue, laisse à son épouse le

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    20/39

      20

    soin de s'occuper de l'éducation des enfants. On assiste à une diminution du

    nombre d'enfants par famille pour faire honneur aux parents. L'autorité que

    représentait le père se vide doucement de son sens. Mais, à la fin du dix

    neuvième siècle, les avortements augmentent. Il semble que, ce qu'on

    appelait alors les filles-mères (vocable utilisé jusqu'au trois quarts duvingtième siècle) soit un sous produit de cette famille bourgeoise. En effet,

    il ne faut pas oublier qu'à cette époque il y a un interdit de recherche de

     paternité, ce qui entraînait des abandons d'enfants. Voici un exemple de ce

    signifiant “ abandon ” pourtant toujours aussi fort à notre époque: “ Il nous

    a abandonné moi et mon bébé ”en parlant du père de l’enfant. Cette

     phrase est énoncée par la mère et reprise par l'enfant de huit ans. Cette

    enfant arrive à la consultation avec une inhibition et une absence

    d'appétence pour la chose scolaire, ayant une idée obsédante: ma mèreveut m'abandonner. Sa mère, depuis quelques mois voulait refaire sa vie.

     L'intolérable et l'horreur de l'abandon amenait l’enfant à rester bloquée

     sur ce signifiant traumatisant “ abandon ” . Elle ne pouvait rien entendre

    d'autre que “ l'histoire se répète, ma mère ne peut que m'abandonner ”. 

    L'obligation scolaire a démocratisé le savoir. Le savoir ou les savoirs

    ainsi acquis ont portés atteinte au prestige du père.

    L’état participe à la déchéance du père en légalisant en 1889 la

    déchéance paternelle. Elle se fait au profit de l’Assistance Publique, c'est àdire “ l'Etat ” si le père est déclaré “ indigne ”. En 1935, c’est la correction

     paternelle qui est supprimée. En 1972, l’autorité paternelle devient

    l’autorité parentale.

    Au vingtième siècle, nous arrivons à ce que l'on appelle la famille

    Baby-boom. L'état ayant une politique nataliste, l'assistance sociale se

    développe, les femmes passent sous le regard médical, les enfants sont

    soignés. Il y a la création de la P.M.I.(Protection maternelle et infantile). Le

     père est mis sur le côté de la route. En 1940, l'état crée les allocations

    familiales afin, notamment que les jeunes se marient et fassent des enfants.

    1968 apporte le fameux slogan “ un enfant si je veux quand je veux ” ainsi

    que “ les femmes ont droit au travail ”, ce qui amène une journée double

     pour les femmes, des liens différents avec les enfants et, bientôt, nous

    assistons à l'apparition de la famille dite monoparentale, suivie de la

    famille recomposée. Il y a une évolution que l'on peut qualifier de rapide.

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    21/39

      21

    IV.Epoque actuelle: une évolution sociale? Recherche des origines,

    recherche de paternité 

    Comment les relations au sein de la famille ont-elles évoluées? et

    comment la réflexion éthique prend en compte cette évolution?“ Les droits de l'enfant ne peuvent pas faire obstacle aux droits de la

    mère ”. Cette phrase qui se trouve dans la Convention Internationale des

    Droits de l'enfant vient interpeller le droit français notamment avec

    l'accouchement sous X. Elle remet en évidence qu'une histoire singulière

     peut se lire selon plusieurs perspectives , que ce soit à partir du point de

    vue de l'adulte ou de celui de l'enfant. On peut noter que les droits du père

    ne sont pas signalés dans cette petite phrase.

    Filiation renvoie à généalogie, à recherche des origines. Qui vont

    être les passeurs de mémoire? les passeurs d'histoire?

    Le nom de famille est au centre d'interrogations sur l'identification,

    sur le rapport homme-femme, sur la relation entre les vivants et les morts.

    Quels sont les enjeux conscients et inconscients dans la transmission du

    nom? et dans certaines manipulations avec les non-dit? “ Le non-dit sur

    l'origine entraîne des conséquences psychiques fragilisantes, voire

     pathologiques ” évoque G. Delaisi19

    .  On rencontre, dans la clinique, desenfants ou des enfants devenus adultes qui portent le prénom de l'enfant

    mort qui les a précédés dans la fratrie. Pour le nom de famille, que l'enfant

     porte le nom du père ou ne soit pas reconnu par celui-ci entraîne des effets

    inconscients qui seront différents et marqueront l'histoire de chaque sujet.

    Il faut remarquer que se multiplie la pratique d'accoler le nom de la mère à

    celui du père notamment lorsque la mère élève seule son enfant.

    La recherche de paternité prend un autre sens à notre époque avec les

    avancées scientifiques (ADN). Sous Henri II, il y avait une ordonnance qui

    faisait obligation de déclarer les grossesses. On attendait l'accouchement, et

    on sommait la parturiente de dévoiler le nom du “ séducteur ”. Parfois un

    homme riche était désigné. Cette pratique amena un certain nombre de

    “ mensonges ” qui augmenta tellement qu'à la fin du dix-huitième siècle les

     juges ne poursuivaient plus les supposés innocents-coupables.

    A notre époque, l'enfant qui ne ressemblerait pas à son père

    risquerait d'être le révélateur de ce que la stérilité soit vécue comme une

    tare. Actuellement l'I.A.D permet un simulacre de filiation naturelle. Le

    19 L'enfant de personne

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    22/39

      22

    futur père se trouverait-il placé dans le rôle de mari trompé? Le geste du

    donneur est effacé par la loi puisqu'il est anonyme. L’article du code civil

    (311-20) de la nouvelle loi de 1994 stipule: “ que le consentement donné à

    une P.M.A. interdit toute action en contestation de filiation ou en

    réclamation d’état, à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issude la P.M.A. ou que le consentement a été privé d’effet ”. L’enfant né par

    P.M.A. est donc celui que les “ noces démontrent ”!

    Cependant, on peut ressembler physiquement à son père et pourtant.

     Il s'agit d'une patiente adulte qui raconte comment la phrase suivante la

     poursuit encore maintenant: “ l'enfant née ne peut être l'enfant du père ” -

     petite phrase assassine- énoncée à sa naissance. Son père, marin, était

     parti depuis de nombreux mois lorsque la mère de la patiente accouche.

    Cette petite phrase était distillée par la famille paternelle. Et pourtant, à lanaissance, elle ressemblait trait pour trait au visage paternel, celui-ci ne

     pouvait renier la couleur de sa peau, et donc son enfant. Et pourtant, le

    chemin va être long et difficile. Cette petite phrase, on peut penser que

    toute petite, elle l'a entendue sans l'entendre c'est à dire sans qu'elle

     prenne sens pour elle. Cette phrase a pris sens au sortir de l'adolescence.

     Elle a le sentiment de payer cette naissance affublée de la petite phrase.

    “ Mais pourquoi donc je voudrai tant, se demande-t-elle, que mon père me

    dise: tu es ma fille?"   Comment le comment du pourquoi attaché à une“ dite ” faute fantasmatique, généalogique ou réélle(?) peut-elle entraîner

    un dysfonctionnement psychique?

    L'enfant dont la naissance est entourée d'un “ secret ” (de quelque

    sorte que ce soit, médical, dossier, familial), à quelles conditions assurons-

    nous que cet enfant puisse raconter son histoire si certains passages,

    certains morceaux de cette histoire se trouvent gommer, effacer ou porteurs

    d'un secret. A quelle place se trouve “ englué ” l"enfant dont la naissance

    est entachée de quelque chose d'illégitime par rapport à la loi, par rapport

    aux normes reconnues dans sa famille, et à celles reconnues par la société.

    Que se passe-t-il pour le sujet dit “ illégitime ”?.Le souvenir des histoires

    que Guy de Maupassant racontait dans ses contes est toujours présent. La

    femme qui impose à son mari l'enfant né d'une relation autre, la domestique

    abandonnée avec l'enfant, ou encore, l'homme qui , pour avoir pris la

    femme comme épouse, accepte femme et bébé.

     Nous citerons l'exemple clinique suivant. C'est l'histoire de Mme M

    et de son fils. La mère de Mme M avait été violée à l'âge de treize ans et

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    23/39

      23

    avait accouché d'un bébé. Pour éviter tout ébruitement de cet événement,

    elle fut mariée très vite par sa mère à un homme plus âgé qui, semble-t-il,

    accepta le “ marché ” et/ou le “ pacte ”. Mme M enfant ne fut jamais

    acceptée par cet homme. Elle passa une grande partie de son enfance dans

    des institutions, en ayant des comportements délinquants. Lorsqu'elledécida de se marier, elle n'arrivait pas à se faire confier le livret de famille

    de ses parents. Elle avait échafaudé différents scénarios possibles sur sa

    naissance. Ce n'est qu'à l'âge de quarante ans passés, à l'occasion, si l'on

     peut dire, d'un décès, celui de sa grand mère maternelle, qu'elle reçut la

    levée du secret de sa naissance. Cette grand mère maternelle qu'elle

    n'avait pas connue, voulait la voir avant de mourir pour lui dire quelque

    chose. Elle voulait lui transmettre probablement le secret et le poids de ce

    qu'elle même avait imposé à sa fille-c'est à dire à la mère de la patiente. Madame M a dû développer différents symptômes pour faire front à

    l'existence dont celui de se sentir persécutée par sa famille et par les

     personnes rencontrées dans son entourage. Celui-ci était prégnant et

    résistant. Sa mère n'a jamais pu lui parler. Il est nécessaire de noter

    également les symptômes de son petit garçon qui lui aussi développa des

    comportements de violence puis trouva un autre mode , celui de se faire

     punir partout, à la maison, à l'école, au centre aéré. Où est le coupable? et

    lorsqu'on sait que ces choses conscientes-inconscientes se transmettent àtravers les générations et que ce qui n'a pas pu se dire revient s'inscrire

     sous forme de symptômes, que peut-on essayer de mettre en place?

    Comment la loi peut-elle intervenir?

     Notre système était construit de telle manière que la “ paix des

    familles ” était préservée. Mais quelle paix? La “ fille-mère ” portait

    entièrement le poids de la charge sociale par rapport à l'homme qui pouvait

    légitimement refuser sa paternité. Actuellement les femmes ont un pouvoir,

    celui de décider ou non d'avoir des enfants, avec, bien entendu, un certain

     prix à payer à la fois conscient et inconscient. Toutes les avancées

    technologiques y participent (I.V.G., P.M.A., clonage, prélèvement

    d'organes, congélation d'embryons, etc..). Jacques Testart, dans son cours

    marseillais de janvier 2002 nous disait: “ L'éthique n'est qu'un moyen

    d'éviter la violence technologique ”. Il nous propose une mise en garde

    contre les dérives et les effets pervers de certaines découvertes. Par

    exemple, penchons-nous sur la position de l'échographiste qui va pointer

    telle dysmorphie. Nous sommes dans le temps prénatal, celui d'avant la

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    24/39

      24

    naissance où tous les rêves, tous les fantasmes sont “ permis ”. Faut-il tout

    dire se demande Nicole Philip20  lorsque certaines dysmorphies font partie

    du patrimoine familial. On avait les grandes oreilles du grand père ou les

    mêmes bras un peu courts de la grand mère. Il y a transformation d'un

    caractère familial en maladie. Mais, parfois, certaines dysmorphies signentet révélent des syndromes plus graves. La réflexion éthique a besoin de se

    développer pour chaque histoire qu'elle soit individuelle ou familiale.

    L'enfant construit son identité sur les ressemblances psychiques et

     physiques des membres de sa famille. Ces bases identitaires vont-elles

    rester fondamentales et constantes pour le développement de l’être humain

     par rapport à l’évolution de la société?

    V - Places de celui qui sait et de celui qui est supposé savoir 

    Histoire du pouvoir médical 

    Le médecin est, à notre époque, considéré comme celui qui sait.

    Dans la clinique, par exemple, dans une annonce où le diagnostic n'a pas

    été trouvé, où l'on dit au patient que c'est d'origine inconnu, que c'est

    indéterminé, que l'on ne sait pas, il est fréquent que le patient se révolte,

     pense que le médecin ne veut pas dire, ne dit pas tout, qu'il cache quelquechose de grave.. etc.

    Accéder à la profession médicale donne un pouvoir sur l'autre.

    L'autre est dans une dépendance. Au début, le médecin soignait, puis il a pu

     prédire avec par exemple, les vaccinations, et enfin, maintenant, il entre

    dans l'ère de la médecine anticipatrice avec les recherches sur l'embryon,

    sur le clonage.

    Une petite page d'histoire sur l'évolution du pouvoir médical devient

    intéressante afin de pouvoir suivre et comprendre les étapes et les méandres

    d'un pouvoir qui s'entrelace avec le pouvoir étatique.

    La société semble utiliser le médecin à son profit selon les époques.

    A Rome, c'était le Pater Familias qui avait le rôle de dispenser les soins. Ou

    encore, ce pouvait être un esclave qui soignait, ou un “ immigré ” (souvent

    les grecs étaient médecins). Sous Maxime Sévère, la loi dite Cornélia

    stipulait que le médecin coupable de la mort d'un patient devait être banni

    ou subir la décollation.

    20 généticienne

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    25/39

      25

    Au Moyen Age, des procès sont intentés contre les médecins. Des

    corporations de médecins voient le jour pour défendre leur pouvoir

    (chirurgien barbier, apothicaire épicier..). Au douzième siècle, le

    compagnonnage est remplacé par la création des universités de Bologne,

    Salernes, et Montpellier. Le savoir est encadré et ne peut être divulgué quedans une structure.

    A la Renaissance, le pouvoir des universités s'accroît. Les médecins

    vont se réunir en académie où les échanges de savoir seront possibles.

    Louis XIV va entrer en guerre contre l'université de Paris. Elle s'était

    rigidifiée, probablement pour garder un contre-pouvoir par rapport au roi,

     peut être également parce qu'elle n'acceptait pas le progrès. (exemple de la

    circulation sanguine qui était contestée). Louis XIV va donc créer une

    contre-université en créant le Jardin du Roy où il recrute les médecins les plus brillants, fait donner les cours en français, instaure la gratuité.

    Cependant, les étudiants en médecine doivent toujours aller passer leur

    diplôme à la faculté- ce qui laisse interrogatif sur la puissance du contre-

     pouvoir universitaire. Avec l'édit de Marly, Louis XIV veut un

    enseignement identique pour l'ensemble du royaume, mais il ne sera pas

    obéi.

    A la Révolution tout change à nouveau. La loi Hallard confisque

    l'exercice de la médecine. Les médecins ne gèrent plus la santé. N'importequi peut s'installer. Puis, la loi Le Chapelier dissout toutes les corporations.

    En 1803, Napoléon réinstaure le diplôme de médecin chirurgien

     pharmacien et de l'officier de santé. Celui-ci officie à la guerre et dans les

    campagnes. En 1892, une loi réforme la loi de 1803. Elle supprime

    l'officier de santé, abolit le titre de docteur en chirurgie et crée le diplôme

    de médecin et celui de chirurgien. Le médecin doit s'inscrire en préfecture

    et il a obligation à déclarer les épidémies. Il est soumis à l état.

    Les débuts du vingtième siècle représentent un âge d'or de la

    médecine et la deuxième partie verra les médecins devenir plus efficaces.

    Ils prennent rang de notables dans la société. Ils sont respectés. Le

    vingtième siècle verra également les dérives idéologiques (nazisme,

    communisme..) où le médecin devient le “ gardien de la race ”, où l'on a le

    droit de supprimer les mal formés, les homosexuels etc...Les nouvelles

    spécialisations et techniques médicales vont jouer le rôle de paravent entre

    le médecin et son malade21. L'avancée sociale et l'égalité pour tous devant

    la santé avec la création de la sécurité sociale va développer également un

    21M. Balint

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    26/39

      26

    versant à effets pervers que la société va devoir contrôler. Il s'agit de la

    déresponsabilisation de la personne humaine face à son corps, face à la

    maladie et /ou la santé. Yvan Illitch développe ce que l'on appelle la

    iatrogénèse c'est à dire cette maladie que le médecin ou celui qui est en

     position de pouvoir sur l'autre peut induire. La société, en voulant protégerl'homme ne le fragilise-t-elle pas?, ne l'exproprie-t-elle pas de sa santé?

    Michel Foucault fait une étude approfondie de l'histoire de la

     profession médicale après la Révolution. Il montre comment cette

     profession a repris le rôle qu'avait auparavant le clergé. Elle a un pouvoir

    sur les corps comme le clergé l'avait sur les âmes. Il y a glissement

     pourrait-on dire et récupération du pouvoir. Celui-ci n'est jamais laissé

    vacant dans la société. Les fidèles-patients devront se convertir à la santé

    c'est à dire au salut. Dans une gravure-caricature du dix-neuvième siècle oùl'on voit un médecin et son patient, Daumier grave aussi la phrase qui suit:

    “ Mon cher ami, je veux absolument te soigner ”.

    Lien entre pouvoir et savoir par rapport à la santé du corps et à celle

    de l'esprit:

    A notre époque, nous assistons à une idéalisation de la santé qui

    entre dans une idéologisation de la santé et dans le fantasme (?) et/ou laréalité (?) de faire reculer la mort.

    La santé est vécue comme le bonheur sur terre qui remplace le

     bonheur au paradis. Avoir ou penser posséder le savoir met dans une

     position de pouvoir. Le médecin, en toute bonne foi, va dire à son patient,

     je sais ce qui est bon pour toi. Il y a problème lorsque le médecin est

     persuadé qu'il a raison, qu'il détient la vérité et que, pour le bien de l'autre,

    il pense qu'il doit lui imposer ce qu'il pense être juste. On appelle cela de

    l'intégrisme. On pense à certaines dérives: nazisme, communisme... Que

    l'on s'occupe de soma ou de psyché, la position est identique. Le “ psy ” n'y

    échappe pas. Le savoir prend donc une place particulière dans la relation de

    soins.

    Toutes les techniques, qu'elles se référent au corps ou à l'esprit sont

    toujours à réinterroger. En dissociant sexualité et procréation la biologie a

    ouvert la boîte de Pandore. Pouvoir et mégalomanie se sont mis à galoper.

    Le droit donne par définition des limites à la tentation de toute

     puissance des hommes. Scientifiques et médecins et autres peuvent être

    tentés. L'utilisation de différentes parties du corps humain jusqu'à

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    27/39

      27

    l'utilisation de cellules embryonnaires pourrait-elle provoquer dans la

    société une rupture des liens sociaux les plus élémentaires comme les liens

    de parenté?

    Le droit et la biomédecine se construisent sur des orientations

    différentes. Le droit se construit sur la recherche du juste; la biomédecinerecherche l'efficacité. S'il est utile de disposer de sperme pour

    l'insémination artificielle, remède à la stérilité, est-il juste de procréer des

     personnes à parenté confuse ou de réduire les donneurs à des étalons

    irresponsables? Dans le domaine de l'économie, le corps humain est une

    ressource, voire une matière première à consommer ou à produire. La

     personne humaine, par le biais de la matière biologique humaine, se

    retrouve objet de marché (vente d'organes, prêts d'utérus, femmes

     porteuses.etc..)Information et connaissance sont nécessaires au jugement. Or la

    vision quasi religieuse de la médecine et de la science rend difficile la

    recherche d'informations objectives. Il s'en suit parfois que la loi cède aux

     pressions médiatiques du moment (exemple des différentes variations dans

    l'arrêt Perruche). Quel arbitrage mettre en place lorsque l'on est confronté

    entre le droit aux soins du malade et le droit d'expérimenter sur lui(?), entre

    le traitement de la stérilité et le droit de l'enfant à une parenté identifiant un

     père, une mère sans confusion, entre dire et mi-dire de certains dossiersmédicaux (celui du praticien et celui communiqué au patient). La loi ne se

    doit pas de réglementer dans le détail mais de poser les cadres et les

     principes qui pourront être repris par un droit gestionnaire.

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    28/39

      28

    VI.Problèmes de filiation et problèmes éthiques 

    Echographie et I.V.G. 

    Les questions de filiation débutent, tout au moins techniquement,avec l'image révélée par l'échographie. Lorsqu'une malformation est

    détectée (quelle soit majeure ou mineure au regard de la société, et par

    rapport à l'histoire familiale) l'équipe concernée est toujours en position

    d'intrus. Tout le monde a les yeux fixés sur le foetus, la mère peut se vivre

    comme étant un lieu de dépot, un lieu de passage. Winnicott dans “ De la

     pédiatrie à la psychanalyse ” parle des trente deux raisons de haïr son bébé.

    Les équipes sont soumises à des mouvements très violents entre, par

    exemple, l'avis maternel du matin et l’avis maternel du soir. L'attaquenarcissique peut entraîner de grandes violences. Etre enceinte amène des

    remaniements identitaires. Michel Soulé22  parle de la “ dette de vie ”.

    Lorsque le foetus ne répond pas aux attentes parentales, à tout ce qui a été

     projeté sur lui, il ne répond pas à la dette fantasmatique. Il peut y avoir une

    déferlante de sentiments agressifs inconscients qui peut se traduire par une

    demande d'interruption de grossesse. La haine peut également se

    déclencher dans les équipes où les soignants se sentent impuissants : telle

    mère qui veut interrompre sa grossesse alors que la malformation estminime et telle autre qui veut continuer avec une malformation grave. La

    haine se cristallise et devient envahissante. Ce que la clinique nous

    enseigne, c'est que l'histoire ne s'arrête pas à l'IVG. Le bébé qui viendra par

    la suite dans cette famille sera porteur en positif ou en négatif de cette

    histoire qui l'a précédée.

    Par ailleurs lorsqu’on “ sélectionne ”, que l’on dit c’est un bon ou un

    mauvais embryon, non ne peut que penser au modèle de l’eugénisme.

    Galton voulait une société d’hommes parfaits. Quelle est la part du

    fantasme de toute puissance dans cette demande de perfection ? et

    comment cela peut-il être pris en compte dans une équipe et sur le plan

    sociétal.

    22Psychiatre. Paris

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    29/39

      29

    Adoption et P.M.A. 

    Ce qu'il y a de commun entre l'adoption et certaines procréations

    médicalement assistées c'est que la filiation ne se fonde pas surl'engendrement. Les parents ne sont pas les géniteurs mais tout le monde

    accepte l'idée qu'ils n'en sont pas moins pour autant les parents. Les rôles

    des géniteurs et des parents ne sont pas les mêmes mais les deux ont

    existés. L'enfant n'a qu'une histoire et il est préférable qu'il n'y ait pas de

    trou, de non-dit, de mensonges, de secret, dès l'origine. A qui profite le

    secret? L'enfant est privé d'une part de son identité, il n'est pas nommé.

    “ Dans toutes les histoires de filiation, derrière le secret officiel, il faut en

    chercher un autre que ce premier redouble et cache et qu'il a sans doute pour fonction de commémorer en le dissimulant ” écrit P.Bourdier 23. 

    Est-ce fantasmes, peurs fantasmatiques qui s’expriment pour justifier

    l'anonymat des donneurs dans les P.M.A.? “ Si je me retrouvais avec des

    enfants inconnus demandant une reconnaissance de paternité? ou de

    maternité? ” “ C’est l'idée d'avoir des enfants inconnus qui un jour

     pourrait apparaître dans ma vie”. “ Je n'aimerais pas que mon mari soit

    donneur car je n'aimerais pas que mon voisin ait des enfants qui

    ressemblent à mon mari.”.  Pourquoi la loi a-t-elle opté pour adopter leglissement, la substitution du sperme d’un donneur anonyme à celui d’un

    homme stérile, à celui d’un mari stérile? L'Etat moderne est-il à nouveau

    entraîné à tenter de contrôler l'adultère et les passions-pulsions qui peuvent

    devenir dévorantes? Des histoires de “ donneur ” et de stérilité, voilà fort

    longtemps que l'on en connaît, anonyme ou non. Il y a ainsi celle du

    “ coiffeur ” citée par Françoise Dolto dans “ Inconscient et destins ” Un

    adolescent de quatorze ans lui est adressé parce qu’il souffrait de

    compulsions obsessionnelles. qui l’empêchaient d’accomplir un acte

     jusqu’au bout. Par exemple, pour s’habiller, il lui fallait plus d’une heure

    car après chaque objet touché il devait souffler.  Voici l’histoire de sa

    naissance: Son père, enfant de l’Assistance Publique, et sa mère, n’ayant

     pas d’enfant consultent au bout de quelques années de mariage. Le

     gynécologue n’informe que la femme de la stérilité du mari: "si vous

    voulez donner un enfant à votre mari, il faut recourir à la fécondation

    artificielle, ou se faire faire un enfant par quelqu’un d’autre." Elle choisit

     son coiffeur, lequel fut consentant. Mais il ne lui fut plus possible d’avoir

    23 psychanalyste

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    30/39

      30

    des relations sexuelles avec son mari. Le mari développa une obsession:

    que son fils soit impeccable, qu’il ne fasse pas de désordre dans la maison.

     Il rectifiait tout ce qui ne lui semblait pas à sa place. “ Un jour, dit F.

     Dolto, le garçon me parle des manies de son père et que ce n’est pas

    étonnant que lui, ait des manies puisqu’il est, n’est ce pas? le fils de son père. ” Elle lui demande d’en parler avec sa mère ce qu’il ne peut pas

     faire, pas plus que sa mère n’avait pu lui en parler. C’est F. Dolto qui va

    lui raconter son histoire. L’adolescent va dire, mais alors je n’ai pas

    besoin d’avoir des manies si je ne suis pas son fils, mais mon père je l’aime

    encore plus. Puis, il a été voir la tête du coiffeur et a dit: heureusement que

     je ressemble à mon père légal! 

    La permission de “ respirer ” lui fut accordée par la levée du secret

    dans le cadre d’un cheminement. Que se passera-t-il pour ces 20000enfants nés d’I.A.D.? On sait qu’un secret peut être gardé toute une vie

    mais on sait également qu’il y a toujours quelqu’un qui connaît le secret!

    Par rapport à la filiation, que deviennent les embryons surnuméraires

    frères et soeurs de ceux qui ont été implantés? A partir de quand un

    embryon fabriqué dans une éprouvette entre-t-il en résonance avec

    l’histoire particulière du couple demandeur d’un bébé? Les fantasmes et

    imaginarisations de toutes sortes sont à prendre en compte et à intégrer au parcours difficile que les couples demandeurs ont à franchir, que ce soit

    techniquement et/ou psychiquement. Le soignant, (mais est-ce de l’ordre

    du soin?) qui les reçoit, comment va-t-il gérer ses propres projections

    inconscientes face à cette recherche de descendance, face à cette recherche

    de donner et transmettre un héritage, face à cette nouvelle forme

    d’adoption. Ce qui renvoie aux histoires familiales de chacun. La technique

    amène chacun sur d’autres interrogations.

    L'adoption ratée d'Oedipe 

    Reprenons les propos de Geneviève Delaisi De Parseval sur ce

    qu'elle appelle l'adoption ratée d'Oedipe.

    Le mythe d'Oedipe met en évidence les deux tabous sur lesquels se

    fonde notre société, l'inceste et le parricide. Robert Graves dans son

    ouvrage “ Les Mythes Grecs ” explique l'histoire de Laïos, Jocaste et

    Oedipe. “ Laïos, affligé de ne pas avoir d'enfant consulta secrètement

    l'oracle de Delphes. Tout enfant né de Jocaste serait l'instrument de sa

    mort. Il renvoya donc Jocaste sans explication. Celle-ci, après l'avoir enivré

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    31/39

      31

    l'attira encore une fois dans ses bras. Quand, neuf mois plus tard, Jocaste

    mit au monde un fils, Laïos l'arracha aux bras de sa nourrice, perça ses

     pieds d'un clou et, les ayant attachés, il l'exposa sur le mont Cithéron. ” Des

     bergers recueillirent l'enfant et le donnèrent à un autre couple Polybe et

    Mérope, rois de Corinthe, qui étaient sans enfant. A notre époque, on parlerait d'adoption plénière c'est à dire une adoption pleine et entière où la

    filiation d'origine est gommée. Un jour, un Corinthien railla Oedipe, lui

    disant qu'il ne ressemblait pas à ses parents. Lorsqu'Oedipe apprend l'oracle

    de Delphes, “ Tu vas tuer ton père et épouser ta mère ”, il est dans

    l'ignorance de ses origines. Il s'enfuit de Corinthe. Les circonstances vont

    faire qu'il va tuer son père de sang, Laïos, en ignorant qui est l'homme qu'il

    tue. Le “ destin ” fera qu'il donnera la bonne réponse à l'énigme posée par

    la Sphinx. Les Thébains, débarrassés de la Sphinx le proclamèrent roi et ilépousa Jocaste sans savoir qu'elle était sa mère. “ La place prépondérante

    du mensonge, du non-dit, du secret, se présente comme une condamnation

    claire de l'organisation des filiations anonymes ou maquillées, comme une

    dénonciation des effets pervers des secrets de filiation, également comme

    une désignation de l'anonymat comme symptôme d'une démarche

    captatrice d'un enfant. Elle dénonce la volonté de certains adultes de

    manipuler l'histoire d'un enfant à leurs fins propres, en faisant un enfant-

    objet et non le sujet de son histoire. ”24

     Par ailleurs, cette “ manipulation ”, à la fois consciente et

    inconsciente, de l'histoire du sujet, ne s'arrête pas à lui. La clinique nous

    enseigne que les enfants “ héritent ”, en quelque sorte, des secrets

    concernant les générations précédentes. Laïos avait eu une malédiction des

    dieux pour avoir enlevé le jeune Crysippos et avoir eu avec lui semble-t-il

    une relation homosexuelle. Le châtiment était qu'il ne devait pas avoir de

    descendance. Par ailleurs, on sait que les enfants-frères d'Oedipe ont eu des

    destins difficiles. Antigone, sa fille, avait, en secret, voulu donner une

    sépulture à son frère Polynice malgré l'interdit posé par Créon, représentant

    des lois de la cité. Le fils de Créon, Haemon, fiancé à Antigone, désobéit

    aux ordres de son père. Ses ordres étaient les suivants: enterrer Antigone

    vivante dans le tombeau qu'elle avait élevé pour Polynice. Les deux amants

    se marièrent secrètement, eurent un enfant qui fut condamné à mort par son

    24 G.Delaisi De Parseval,in Khaïat actes

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    32/39

      32

    grand père Créon. Antigone et Haemon se donnèrent la mort. Cette histoire

    nous enseigne sur certains arrêts de descendance dans certaines familles25. 

    Filiation, Secret et Inconscient 

    Le secret, selon les circonstances de sa levée, peut faire trauma ettraumatisme.

    Voilà une autre façon de “ forcer ” la filiation, ou encore d'utiliser les

    nouvelles technologies apportées par la science

    Le mercredi 10 avril 2002, le journal “ Le Monde ” publiait l'article

    suivant: “ Un couple de sourdes fait naître un enfant sourd. Lesbiennes,

    elles veulent transmettre la surdité en héritage ”..La banque de sperme

    avait expliqué que les pathologies étaient évitées dans le choix des

    donneurs. Elles ont trouvé un donneur à leur convenance. “ Alors que de plus en plus de parents cherchent à détecter les risques de maladie

    (pratique déjà controversée) ce couple a fait le choix inverse; la recherche

    d'un handicap. Cependant certains sourds pensent que la surdité n'est pas

    un handicap mais “ une identité culturelle ”. Il s'agit du mouvement de la

    “ deaf culture ” (fin des années 80, né aux Etats Unis) qui rejettent la

    vision pathologique de la surdité. Il considère cette vision comme

    oppressive. Les partisans de ce mouvement expliquent que la culture des

     sourds est une culture à part entière avec ses valeurs et son histoire.Autre histoire arrivée en France, dans un département voisin. Une

     femme, ménopausée va aux U.S.A. Implantation d'embryon grâce au

     sperme de celui dont on apprendra plus tard qu'il est son frère. Par

    ailleurs, elle loue une femme porteuse qui lui avait donné les ovules. Elle

    revient en France avec deux bébés. L'assistance sociale française se

    déchaîne. On parle d'inceste, d'enlever les bébés ou tout au moins celui

    issu de l'utérus de la mère-soeur du père. Là encore, quel va être le mieux

     pour ce bébé? va-t-il être élevé par ses parents-frère-soeur? ou deviendra-t-

    il un enfant en errance de parents que lui trouverait l'Etat? On peut dire que

    de toute façon la filiation sera malmenée. L'inceste est une manipulation

    des places et une mise en cause du système de parenté. Pourtant, même

    l'enfant maltraité par ses parents préfère rester avec eux!

    Le secret peut, même en ne se dépliant pas complètement, devenir la

    vérité du sujet, c’est à dire celle qu’il va s’approprier pour construire sa

    vie. Dans l’exemple du “ coiffeur ” de F. Dolto il est à remarquer que le

    secret ne sera pas révélé au père par le fils, de même que la mère, autorisée

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    33/39

      33

     par le gynécologue ou s’étant senti autorisée, n’avait rien dit à son mari.

    Chacun a une histoire singulière; le “ tout dire ” n’est pas forcément ce

    qu’il faut faire, de même que le “ rien dire ”.

    VII- Points de vue clinique. Au cas par cas, ou histoire singulière de

    chaque sujet 

    Comment un certain non-dit(?), déni(?) des origines est pourvoyeur de

    symptômes 

    Les origines, nous pouvons les entendre comme généalogiques et/ou

    génétiques.C’est l’exemple d’une annonce génétique concernant un enfant par un

    médecin généticien. Celui-ci demande que les parents de l’enfant posent

    des questions aux générations précédentes afin d'affiner le diagnostic. Or,

    ce qui semble être une routine va entrer en résonance avec l'histoire

    familiale et ce depuis le mariage des parents de l'enfant, bien avant la

    naissance de cet enfant. Cette jeune mère était reçue en consultation

    régulièrement depuis quelques séances. Son discours était le suivant.

    “ J'étais déjà très coupable d'avoir fait naître mon enfant avec cette pathologie. Ma belle mère n'arrêtait pas de me dire que c'était de ma faute.

     Mon mari ne croyait pas que sa mère puisse m'accabler ainsi. Il ne me

     soutenait pas.” Dans la belle famille de cette jeune femme il y a des signes

    visibles non seulement sur le corps du père de l'enfant mais sur celui de la

    mère du père de l'enfant, ainsi que sur un autre de ses enfants. La grand-

    mère maternelle aurait eu aussi cette anomalie. La mère du mari nie tout et

    continue d'accuser la jeune femme. Ce fut au tour du mari d'être très mal

    car lui reconnaissait les marques qu'il avait sur son corps. C'était la

     signature de sa paternité par la pathologie. C'était la mise à jour des

    comportements de sa mère vis à vis de sa femme qu'il n'avait jamais voulu

    entendre. C’était le renvoi à des comportements de repli sur soi qu’avait

    eu son épouse. 

    Par ailleurs, cette femme se demandait comment pouvoir avoir

    d'autres enfants, que sa descendance ne soit pas arrêtée par la pathologie.

    S’agissait-il uniquement de la pathologie dite génétique? Comment faire

     pour que la chaîne des générations y survive? S’agit-il de non-dit, de

    J.Mège-Morin  Ethique et filiation

  • 8/19/2019 MegeMorin - Ethique Et Filiation (1)

    34/39

      34

    secret, ou de déni de la réalité? Freud parle du déni comme d’un mode de

    défense, d’un refus de la réalité d’une perception traumatisante.

    Il est heureux de constater que cette jeune femme a utilisé le lieu de

     parole qui lui avait été proposé. Le généticien pouvait-il se douter que ses

    questions banales dans le déroulement de sa recherche etl'approfondissement des causes de la pathologie allait déclencher un

    ouragan familial. Peut-être que la question éthique reste, dans ce cas, la

    question de la recherche à tout prix, à quel prix? Et qui paye le prix? La

    technologie peut parfois désigner “ le coupable ” et/ou devenir le support

    de sentiments de culpabilité. Quelles sont les conséquences? Les

    “ révélations ” doivent-elles être accompagnées? différemment? comment?

    Histoire de dossier ou ce que la nouvelle loi rend possibleCeci est un exemple de ce que la nouvelle loi sur l’ouverture et

    l’accès aux dossiers des enfants adoptés peut rendre possible.

    C’est l’histoire d’une femme, mère de trois enfants, chacun d'un père

    différent. Cette femme a été amenée à consulter pour son deuxième enfant.

    Celui-ci présentait des comportements bizarres à l'école Maternelle. IL

    avait également des accès de violence. Cette femme avait été amenée,

     pendant sa troisième grossesse, à demander la consultation de son dossier

    d'adoption. En effet, elle avait été adoptée tout bébé. Les rapports avec ses parents (dits adoptifs) avaient été et étaient toujours houleux, notamment

    avec sa mère. Elle précisait que l'ouverture du dossier avait été une

    ouverture pour elle. Elle avait permis qu'“ une page blanche de son

    histoire retrouve le texte ” “ Pourtant ajoutait-elle, après avoir retrouvé

    ma mère de naissance il n'était pas question d'avoir une quelconque

    relation avec cette femme. Ma mère c'était ma mère. Ma famille c’était ma

     famille, pas celle de cette femme ”.Les conséquences du non savoir avait

    déjà modelé son histoire , celle de ses trois enfants et des trois pères

    différents avec qui les relations étaient pour le moins plus que délicates. Le

    travail analytique lui a permis de faire une approche différente du troisième

    homme, du troisième père. Ce travail lui a permis d'élaborer et de donner

    sens à ce que l’ouverture du dossier lui avait révélé de façon “ brute ” et

     peut-être pourrions nous dire brutale, sans écart avec cette révélation. (Ce

    qui nous fait penser à certaines annonces diagnostic qui se révélent être de

    “ dangereuses ” sources de conflit éthique.)

    J.Mège-Morin  Ethique et fi