ethique et finance

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21 INTRODUCTION À LARTICLE ÉTHIQUE ET FINANCE D’AMARTYA SEN JEAN-MARIE THIVEAUD Amartya Sen, professeur de philosophie et d’économie à l’université d’Harvard a reçu, au début du mois d’octobre, le Prix Nobel d’économie. A cette occasion, nous sommes heureux de présenter à nouveau l’article qu’Amartya Sen avait publié dans la Revue d’économie financière, au prin- temps 1992, traduction française du produit d’une conférence qu’il avait prononcée un an plus tôt à la Banca d’Italia. Cet article était le premier que nous avions inscrit dans la rubrique « Ethique et finance », au moment où nous étions avec Robert Lion et Hélène Ploix en train de mettre en place une fondation, « Finance, éthique et société », dont les travaux à venir ont été transférés, à la mi-1992, dans le cadre de l’Association d’économie financière. Ce programme de recherche international, financé par la Caisse des dépôts et consignations, et qui a pris le nom de « Finance, Ethique, Confiance » a réuni jusqu’en 1996, des universitaires, des centres de recherche, des établissements financiers, en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis et au Japon, avant d’y associer la Belgique et l’Espagne quelques années plus tard. Les contacts que nous avons noués alors, avec notamment l’université d’Harvard, par le biais du Pr. Marc Shell, qui a organisé, par notre intermédiaire le Center of studies of Culture and Money, nous a permis de prendre ainsi contact avec le Pr. Amartya Sen, éminent spécialiste de l’économie, de la finance et de l’éthique. A l’occasion de ce colloque tenu à Rome, Amartya Sen a ainsi estimé que le problème central en éthique financière est la relation entre les devoirs et les conséquences. Ainsi, la poursuite de la maximisation du profit en tant qu’engagement primordial est souvent défendue au nom de la responsabilité fiduciaire envers les actionnaires. Mais cette approche, explique-t-il dans son article, reste erronée, d’une part à cause des domma- ges qu’un tel comportement peut causer au public au sens large, et d’autre part, en raison du besoin de considérer ses devoirs envers les autres qui sont eux aussi impliqués dans les affaires. L’évaluation de toutes ces conséquen- ces est donc profondément au centre de l’éthique financière.

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INTRODUCTION À L’ARTICLEÉTHIQUE ET FINANCED’AMARTYA SENJEAN-MARIE THIVEAUD

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  • THIQUE ET FINANCE

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    INTRODUCTION LARTICLETHIQUE ET FINANCE

    DAMARTYA SENJEAN-MARIE THIVEAUD

    Amartya Sen, professeur de philosophie et dconomie luniversitdHarvard a reu, au dbut du mois doctobre, le Prix Nobel dconomie.A cette occasion, nous sommes heureux de prsenter nouveau larticlequAmartya Sen avait publi dans la Revue dconomie financire, au prin-temps 1992, traduction franaise du produit dune confrence quil avaitprononce un an plus tt la Banca dItalia.

    Cet article tait le premier que nous avions inscrit dans la rubrique Ethique et finance , au moment o nous tions avec Robert Lion etHlne Ploix en train de mettre en place une fondation, Finance, thiqueet socit , dont les travaux venir ont t transfrs, la mi-1992, dans lecadre de lAssociation dconomie financire. Ce programme de rechercheinternational, financ par la Caisse des dpts et consignations, et qui apris le nom de Finance, Ethique, Confiance a runi jusquen 1996, desuniversitaires, des centres de recherche, des tablissements financiers,en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis etau Japon, avant dy associer la Belgique et lEspagne quelques annesplus tard.

    Les contacts que nous avons nous alors, avec notamment luniversitdHarvard, par le biais du Pr. Marc Shell, qui a organis, par notreintermdiaire le Center of studies of Culture and Money, nous a permis deprendre ainsi contact avec le Pr. Amartya Sen, minent spcialiste delconomie, de la finance et de lthique.

    A loccasion de ce colloque tenu Rome, Amartya Sen a ainsi estimque le problme central en thique financire est la relation entre lesdevoirs et les consquences. Ainsi, la poursuite de la maximisation duprofit en tant quengagement primordial est souvent dfendue au nom dela responsabilit fiduciaire envers les actionnaires. Mais cette approche,explique-t-il dans son article, reste errone, dune part cause des domma-ges quun tel comportement peut causer au public au sens large, et dautrepart, en raison du besoin de considrer ses devoirs envers les autres qui sonteux aussi impliqus dans les affaires. Lvaluation de toutes ces consquen-ces est donc profondment au centre de lthique financire.

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    Quelques annes plus tard, lors dun colloque qui sest tenu, en 1995,au Columbus Ethic Center, Columbus, Ohio, sous la prsidence duDr. Paul Minus, le Professeur Amartya Sen sest nouveau expliqu surle point de savoir si lthique financire a un sens conomique.

    Selon lui, Adam Smith encourageait dj la convergence de lconomieet de lthique. Toutefois, si lon dfinit lconomie, comme certainsindustriels visionnaires lont fait, comme laccomplissement dune socitmeilleure, lamlioration de la socit est une rcompense en elle-mme.

    En outre, si le sens conomique ne renvoie quau profit, le souci desautres est jug par rapport au profit quil rapporte. Il convient alors de fairetrs attention aux normes de scurit pour quil ny ait pas daccidents quinuiraient autant aux profits quaux objectifs du bien-tre social.

    Limportance de lthique dans le business nest pas en contradictionavec le postulat dAdam Smith selon lequel notre intrt nous fournit unemotivation adquate pour les changes. Lthique peut tre dune impor-tance cruciale pour lorganisation conomique en gnral et les oprationsdchange en particulier.

    Il nen reste pas moins que toutes ces questions lies lthique et lafinance ou la monnaie remontent la plus haute antiquit et, comme onle verra dans larticle dAmartya Sen, elle trouve une partie de ses racinesdans les textes vdiques de lInde ancienne o, pour reprendre les termesde Charles Malamoud tels quil les avait rapports dans son article inscrit la fin du numro de la REF sur le 175me anniversaire de la Caisse desdpts , paru en septembre 1991, la dette est la fois de lordre du crdit,de la foi et de la crance.

    Cependant, ds lors que lon demeure dans lordre inaugural et de ladette et du sacrifice, il est clair que la dimension thique est encore aupremier plan, pour maintenir les relations avec les divinits, puis, plus tardavec les mcanismes religieux.

    Amartya Sen voque son tour les deux philosophes qui ont vcu auIVme sicle avant J.C., lindien Kautyla et le grec Aristote, lun et lautreassociant la question de la monnaie celle de lthique, question surlaquelle Aristote a trs largement dissert. La suite de larticle revient sur lestextes du Deutronome, sur les conomistes anglais du XVIIIme sicle, surMarx et Keynes et, enfin, sur les problmes strictement contemporains quiassocient les problmes des affaires, ceux des dlits diniti et des diffrentsaspects qui regardent les abus de biens sociaux, la corruption, les traficsillicites, etc.

    En reprenant, six ans et demi plus tard, cet article particulirementintressant et subtil, nous venons clbrer, avec Amartya Sen, la remise deson Prix Nobel et le remercier pour son aimable concours aux travauxentrepris dans le cadre de lAssociation dconomie financire.

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    THIQUEET FINANCE

    AMARTYA SEN1

    PROFESSEUR, HARVARD UNIVERSITY, ETATS-UNIS

    J e suis trs honor davoir loccasion de donner la premire conf-rence Baffi la Banque dItalie. Paolo Baffi ntait pas seulement unbanquier remarquable et un expert financier, il tait galement unexcellent conomiste et un penseur social visionnaire. Il avait dminen-tes comptences techniques dans diffrents domaines qui salliaient une distinction intellectuelle dote dun profond sens des valeurs.

    Comme le gouverneur Ciampi la dit lors de lAssemble gnrale dela Banque dItalie en mai dernier, Paolo Baffi reprsentait une allianceextraordinaire de logique, drudition et de force morale ; ce ntait pas seulement un tudiant dou pour lconomie, il tait profondmentengag dans laction pour le bien commun 2. En se souvenant de Baffiaujourdhui, nous devons garder lesprit ses contributions intellectuellesdune part et ses proccupations gnrales dvaluation dautre part.

    DEVOIRS ET CONSQUENCESLes raisonnements thiques sur ce qui devrait tre fait ou pas, impli-

    quent des notions varies du devoir. Cela sapplique aussi la morale desactivits financires. Les ides conventionnelles du devoir sont souventfondes sur la sparation des tches que nous devons accomplir, les obligations dontologiques , davec leurs consquences. En fait, il y aeu maintes propositions varies dans une morale stricte comme dans unemoralit usuelle qui suggraient que les tches puissent tre observesdans des termes indpendants de leurs consquences. Jai essay deprsenter en dautres occasions quune telle dissociation serait uneerreur, et quil est difficile de rconcilier une telle csure avec lesexigences de discipline dun raisonnement thique3. Dans notre con-texte, cest--dire en analysant lthique et lconomie financire, cesrapports peuvent tre particulirement fondamentaux.

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    Linterrelation existant entre les devoirs et les consquences prendparticulirement tout son sens dans le cas de lthique financire, et nousdevons tudier la manire dont ces rapports sexercent.

    La finance est une matire dont les prceptes thiques ont t exami-ns sous tous ses aspects depuis des milliers dannes. Je vais mattacher quelques aspects des analyses traditionnelles de lthique et delconomie financire, allant de Kautilya et dAristote au IVme sicleavant J.-C. Adam Smith au XVIIIme sicle. Nous verrons que lesprincipes et les proccupations qui ressortent de ces analyses restentvraiment pertinents face aux problmes actuels de lorganisation finan-cire et quils nous aident dans les difficults contemporaines. Jillustre-rai mon propos par des questions dthique financire et commercialeconnexes, qui traitent des devoirs des agents financiers, gestionnaires ouautres administrateurs dinstitutions financires et de socitscommerciales.

    Lune des questions renvoie aux objectifs quune socit financire et/ou commerciale doit poursuivre, en particulier au rle de la maximisa-tion du profit. La priorit des bnfices pourrait tre prconise sur deuxterrains trs diffrents : a) elle est le chemin vers un optimum social ;b) la responsabilit financire envers les actionnaires implique le devoirde maximiser les bnfices pour eux. Le rapport entre ces deux argu-ments est d'un intrt considrable.

    Un second problme vise la contrainte instrumentale qui devraitlimiter toute socit dans la poursuite des objectifs choisis, commepour la maximisation du profit. Les affaires ou les oprationsfinancires particulires pourraient tre dclares inadmissibles mme sielles ont pu valoriser la promotion de ces objectifs. Par exemple,la poursuite de l'objectif de maximisation du profit est-ellecompatible avec l'influence de la politique publique ? Ou encore, lescontraintes sur la prise en main de fortunes mal acquises, ou sur le blanchiment de largent, sont-elles concevables, notamment lorsquelinstitution financire elle-mme nest pas implique directement dansun acte illgal ?

    Un troisime point est celui des contraintes de comportementqui pourraient restreindre notablement la recherche de bnficesprivs par des agents financiers individuels. La recherche de gainspersonnels par les agents eux-mmes pourrait crer des situationsconflictuelles allant lencontre des intrts des actionnaires, ou de lacommunaut en gnral. Comment pouvions-nous valuer la lgitimitde diffrents types de recherche de gains personnels au sein mme dessocits ? La grande question du dlit diniti vaut largement dtretudie.

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    UN CONTRASTE TONNANT ?Quelles sont les approches traditionnelles de lthique financire ?

    Peut-tre pourrais-je commencer en exposant un contraste singulier,cette sorte de dissonance entre la mauvaise image traditionnelle despratiques de la finance et lnorme contribution sociale quelle a, sansdoute, apport dans lhistoire. Le conseil que Polonius donne son fils, ne sois ni emprunteur, ni prteur , tmoignage peut-tre duneprudence pragmatique plutt que dun rejet moral, mais la profession deprteur dargent a toujours t rprouve et dans des termes pour lemoins catgoriques depuis des milliers dannes ; les injonctions desprophtes et des lois juives ont condamn le prt intrt ; lIslam afulmin linterdiction de lusure.

    Les penseurs laques considraient que vivre du produit des intrtsntait pas moral. Solon a annul la plupart des dettes et a interdittotalement dans ses lois de nombreux types de prts, il fut imit par JulesCsar cinq sicles plus tard. Aristote remarqua que lintrt tait un actede reproduction contre nature et une cration injustifie dargent parlargent, et ses critiques ont marqu les savants et les moralistes pendantde longs sicles. Cicron raconte que lorsque lon interrogea CatonlAncien sur lusure, il rpondit en demandant celui qui lui avait posla question ce quil pensait du meurtre.

    Laccueil par la socit de ceux qui se sont enrichis en prtantde largent est rest un objet de controverse jusqu une priode rcente.En Grande-Bretagne, en particulier, les activits bancaires taient leplus souvent rcuses par laristocratie qui laissait la conduite de cestransactions aux trangers et aux Juifs. Aujourdhui encore, le sigede la Banque dAngleterre, dans Lombard Street, tmoigne biendu rle essentiel des trangers, les Lombards ou les Juifs, dans lesfinances anglaises4. Le portrait de Shylock par Shakespeare, dansLe Marchand de Venise, met en lumire certaines attitudes socialescaractristiques face aux pratiques de la finance dans lAngleterre lisa-bthaine.

    Je pourrais donner dautres exemples mais le tableau est dj assezillustratif. La finance a donc t traditionnellement soumise la critiquemorale. De nos jours, chacun reconnat cependant que la financecontribue pour une part importante la prosprit et au bien-tre desnations. Une bonne portion de la richesse actuelle aurait t impensablesi le monde avait suivi le conseil de Polonius.

    En matire de culture et de science, la fonction crative de la financeest tout aussi puissante et, lorsquon regarde lhistoire, ni la Rvolutionindustrielle, ni auparavant la Renaissance, nauraient vraisemblable-ment pu spanouir, sans laide prcieuse de la finance5.

    Donc, notre premire question est la suivante : comment est-il

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    possible quune activit si utile ait pu tre considre comme un actequivoque, dun point de vue moral ?

    Dontologie, mthode dvaluation 6

    Dans lthique moderne, on fait souvent la distinction entre lesapproches dontologiques et valuatives . Lapproche dontologi-que donne au concept de devoir une position prminente. En revan-che, les mthodes dvaluation prennent en compte le devoir et lesactions relles en fonction de leurs consquences respectives. On com-mence par demander quels sont les objectifs, quest-ce qui produit debons rsultats, etc., puis on continue observer les devoirs en fonctionde lvaluation - des consquences - par rapport aux objectifs7.

    La dontologie peut prendre diffrentes formes dont certaines sontmoins sensibles aux consquences que dautres. Des approches donto-logiques larges, mises en place par des philosophes comme EmmanuelKant (1788), ne sparent pas le concept du devoir des consquences desactions lies ce devoir et explorent ces consquences de manireexhaustive. Par ailleurs, le foss slargit encore lorsque lon nie les effetssensibles dune action, comme cest le cas dans des structures dontolo-giques plus puristes . Par exemple, dans la Bhagavadgita, Krishna offreune vision qui nie tout effet, toute consquence du devoir de chacun. Ilexplique au hros Arjuna quil est de son devoir de se battre pour labonne cause, malgr lobjection dArjuna qui prtend quil ne peut pastre juste de se battre, mme pour une guerre juste, ds lors quil enrsulte tant de souffrances chez les allis comme chez les ennemis.Comme T.S. Eliot la rsum, en termes sympathiques pour Krishna,largument de celui-ci prend la forme dun reproche. Ne pense pas aursultat de ton acte / Va de lavant . Eliot conclut : Not fare well / Butfare forward, voyagers.8

    Les activits dun usurier, qui fait payer des intrts levs, pourraienttre considres certains gards, comme une violation de notre obliga-tion de traiter les autres de faon humaine. Aucune approche humaine,quelle soit valuative ou dontologique, ne peut chapper la priseen compte de cet aspect du problme, avec toutes ses consquences.Mais selon un schma dontologique puriste , reconnatre ce fait sertdj de fondement pour dclarer lusure moralement ou lgalementinadmissible. Et il pourrait bien en tre ainsi, mme sil est clair que leschoses seraient bien pires pour les prtendus emprunteurs en labsencede ces prts9.

    Ainsi, dans une conception dontologique puriste - cest--dire,insensible aux consquences - rien noppose le fait de condamner le prt intrt ou le fait de reconnatre simultanment les bons rsultats de lapratique du prt, par exemple, lamlioration du commerce, de lemploi

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    ou des revenus. Ce paradoxe apparent peut facilement tre lev enconsidrant le fil conducteur : une vision de la vie indiffrente auxconsquences.

    De toute faon, les investigations traditionnelles de lthique finan-cire nont pas toujours pris la forme dune dontologie puriste . Lescondamnations les plus lourdes de la finance et de lusure ont t misespar des gens qui avaient soigneusement pris note des malheurs qui leurtaient survenus dans les circonstances en question10. Comme je lai djindiqu, la sensibilit aux effets dun acte est compatible tout la foisavec les approches dontologiques et les analyses valuatives .

    Je vais maintenant prsenter quatre critiques particulires de la fi-nance et de lusure, celle de Kautilya, dAristote, des interprtes duDeutronome, et enfin, dAdam Smith.

    LARTHASASTRA DE KAUTILYAKautilya, qui vivait en Inde la fin du IVme sicle avant Jsus-Christ

    et qui tait donc un contemporain dAristote, crivit un trait fameuxsur lart de la politique et sur les applications conomiques et sociales,intitul Arthasastra. Traduit du sanscrit, le titre signifie peu prs Instructions sur la prosprit matrielle , ou plus simplement Economie politique . Kautilya navait pas matire une critiqueintrinsque des modes de fixation des taux dintrt sur les prts, et il neprtendit pas que lon et le devoir de prter sans intrts. Il commenapar tablir que le bien-tre dun royaume dpend de la nature destransactions entre les crditeurs et les dbiteurs , et souligna la ncessitdun examen minutieux des activits financires dans une telleperspective11.

    Ltude de la finance par Kautilya, comme celle des autres activits dela Cit, tait centre sur les consquences des actes et des lois. Ladtermination des vraies activits et des vrais devoirs dpend de leursconsquences. Par exemple, il demande au roi, qui doit juger les disputesfinancires, daccepter dabord la priorit de lobjectif du bonheur deses sujets , puis dtre actif et de remplir ses devoirs . En labsencedactions ou dactivit, toute acquisition prsente et future viendra prir ; seule lactivit permet non seulement au roi de parvenir ses fins,mais aussi de trouver labondance de richesse.12

    Kautilya voulait que lEtat fit un examen scrupuleux des transactionsfinancires, pour fixer le maximum du taux dintrt et pour punir lesprteurs dargent sils faisaient payer des taux plus levs que le maxi-mum stipul. Les taux maxima devaient varier selon des critres diverslis la destination des prts et leur poids respectif. Par exemple, lestaux suggrs par Kautilya taient particulirement bas pour lemploinormal dans un mnage, un peu plus levs pour les prts commerciaux,

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    et nettement plus levs pour des activits risques comme le commercemaritime. Il fallait galement tenir compte des variations des prix desproduits de base dans le temps, mme de faon approximative13.

    Si les anciennes perceptions de la finance ntaient pas toutes hostiles,comme on le voit ici, la facturation dintrts, lArthasastra de Kautilyaprcise toutefois que lon ne doit pas regarder la prise dintrt commeun acte intrinsquement mauvais, ni la finance comme une formeinfrieure dactivit, et il aboutit cette recommandation : lintrt doittre rgl par des lois associes des objectifs normatifs. Le problme deseffets ngatifs dune activit doit tre bien spar du caractre intrins-quement mauvais de cette activit. Cest une position gnrale qui, nousallons le voir, est puissamment dveloppe et manipule par AdamSmith, et cette distinction lmentaire demeure pertinente.

    LA POLITIQUE ET LTHIQUE DARISTOTERegardons les crits dAristote. Comme je lai dit, la condamnation

    de lusure par Aristote a eu une influence extraordinaire sur la penseeuropenne, pendant environ deux mille ans. Elle a eu un impactparticulirement fort sur la tradition scolastique mdivale, sur lestravaux de Saint Albert le Grand, de Saint Thomas dAquin, de JeanAndreas, de Buridan, de Nicolas Oresme, et bien dautres aussiclbres, comme sur lEcole franciscaine et ses commentateurs critiques,Alexandre-le-Lombard, Guillaume dOccam, Jean Olivie, etc.14

    Il est important de noter ds prsent que le traitement aristotliciende la finance et de lusure est polymorphe. Aristote a parl dun certainnombre de diffrents problmes lis entre eux, de la distinction entre lesbnfices sur la production ( prix constants) et les bnfices pararbitrage (avec des quantits constantes) ; des mthodes lmentairespour les gains financiers et de celles qui sappliquent au domaine de laproduction de biens ; des effets pervers, parce quils engendrent lemonopole et lingalit, - de la recherche implacable du profit - ; de ladifficult doctroyer un rle vraiment productif largent dans uneconomie comprise en termes de production relle, de distribution etdchange (La Politique, livre I, chapitres 9-11).

    Je crois que le point central, dans la critique de lusure par Aristote, at mal compris durant les sicles de commentaires qui lont suivie.Dans les chapitres qui traitent de lusure, au livre I de La Politique, nousavons choisi le texte suivant pour expliquer son refus dune lgitimit delintrt comme de lactivit financire en gnral : (Largent) a t faitpour lchange, alors que lintrt ne fait que le multiplier. Et cest de lquil a pris son nom : les petits, en effet, sont semblables leurs parents,et lintrt est de largent n dargent. Si bien que cette faon dacqurirest la plus contraire la nature.15

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    Le mot grec tokos signifie en mme temps usure et progniture ,et le passage dans son entier est un vrai jeu de mots. Mais le reproche leplus grave formul dans ce fragment et dans ceux qui en sont proches -une contestation que Karl Marx poursuit et dveloppe dans le premiervolume du Capital16 - est quil est anti-naturel de bnficier dunegratification pour avoir prt de largent, car prter nest pas en soi uneactivit crative, mme si des crations peuvent tre ralises grce desressources qui peuvent elles-mmes tre achetes avec de largent. Maisce nest pas cette distinction fine, mais bien le thme plus simple que lusure est une reproduction contre nature de largent par largent ,qui fut rpte et rpte dans ce que lon a prtendu tre lanalysearistotlicienne de lusure17.

    Ainsi, sur cette formulation rductrice, la critique aristotlicienne at attaque par maints auteurs dfendant la finance, depuis Grardin deSienne18 au XIVme sicle (lui-mme augustinien mais influenc parlEcole franciscaine) jusqu Jeremy Bentham, 1837, au XIXme sicle,qui fournit une rationalisation ex-post des activits financires dans sonpamphlet puissant, Dfense de lusure . Bentham ridiculisa en effetAristote pour avoir (soi-disant) attach une grande importance lastrilit de la monnaie et il expliqua quAristote avait cherch desorganes gnitaux ressemblant des pices de monnaie et quil nen avaitpas trouv. Il na jamais t capable de dcouvrir, dans nimporte quellepice de monnaie, des organes capables dengendrer une autre pice . Rempli daudace par ce corpus de preuves ngatives, il se risquafinalement jeter dans le monde le rsultat de ses observations, sous laforme dune proposition universelle, que tout largent est strile parnature. 19

    Laffirmation dAristote sur la nature improductive des prts na pasgrand-chose voir avec la strilit de la monnaie. Dans la discussiondo provient le passage tant cit, Aristote oppose les bnfices tirs deschanges par lutilisation de la variation des prix dans le temps oulespace (et en particulier par le prt et le commerce dargent) auxaugmentations dans la quantit des produits issus de lconomie domes-tique comme le tissage par exemple, (La Politique, livre I, 10, 1258b). Lerefus par Aristote de considrer que les revenus acquis grce la variationdes prix sont lgitimes, recevables ou non, et lon pourrait dailleurssoutenir que le prt et le commerce sont, en fait, des services qui doiventtre intgrs dans toute comptabilit, mais il nest pas difficile decomprendre la distinction faite par Aristote et voir que la fcondit de lamonnaie ne fait pas partie de son analyse.

    Il nest pas plus difficile de saisir la vritable proccupation dAristotequi veut que dans un modle de production, de distribution et dchangedes biens, il nest pas commode dattribuer un rle essentiel la

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    monnaie, qui, nous dit-il, semble tre quelque chose dabsurde et quinexiste uniquement que par la loi 20. Nest-ce pas ici loccasion desouligner que le problme fondamental des modles conomiques (don-ner une place largent dans un modle rel ), reste un des dfisconstants de la thorie conomique moderne ?21

    La lgitimit des gains provenant dactivits financires peut tredfendue si lon met laccent sur les mrites de leurs effets. Si lon doitcritiquer Aristote, il faut simplement faire remarquer quil ne prendpratiquement pas en compte les effets des activits financires. Dans lechapitre qui suit immdiatement le fameux passage sur lintrt, argentn de largent , Aristote plonge son regard sur les consquences prati-ques des activits financires, et il commence avec cette remarque, puisque nous avons suffisament parl de ce qui relve de la connais-sance, nous devons maintenant traiter de ce qui relve de la pratique .Il dirige sa pense sur quelques consquences ngatives de la recherchedu profit financier, en particulier sur les crations de monopoles destins favoriser les gains. En Sicile , dit Aristote, un particulier, avec delargent dont il disposait, acheta dun coup toute la production desmines de fer. Ensuite, quand les grossistes vinrent de leurs comptoirs, iltait seul vendeur. Il ne pratiqua pas une hausse excessive des prix ;pourtant pour une mise de cinquante talents, il en gagna cent. 22

    Aristote est trs soucieux du fait que, dans certains types dactivitsfinancires ou commerciales23, la probabilit des gains sociaux demeurefaible au regard des pertes considrables, mme si ces activits produi-sent des profits financiers importants24.

    La critique dAristote sur la finance et le commerce sappuie aussi surlaugmentation des ingalits qui en rsulte : Cest que, dun ct, ilsemble que toute richesse ait une limite, alors que dun autre ct, nousvoyons le contraire se produire dans les faits, car tous ceux qui prati-quent la chrmatistique augmentent sans limite leurs avoirs en argent.25Dans lEthique Nicomaque, Aristote traite de lusure comme moyendexploitation : Dautres, au contraire, dpassent la mesure quand ilsagit de prendre, prenant et reprenant de partout, indistinctement ; parexemple, ceux qui exercent des mtiers indignes des hommes libres, lesmaquereaux, tous les gens de cet acabit et ceux qui prtent des petitessommes dargent des taux trs levs. Toute cette clique se procure delargent par des moyens malhonntes et en quantit indue.26

    Ici comme ailleurs, Aristote met en avant des considrations quisoulignent la ncessit de fixer des contraintes aux comportements enmatire de commerce et dactivits financires, et les seuils que lon peuttolrer.

    Si un examen moderne de la finance ne peut dcemment pas se fonderseulement sur une analyse ne de lthique aristotlicienne, il nest pas

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    possible dignorer cependant les proccupations dAristote : 1 sur lalgitimit morale des fortunes construites sans effort, ou 2 sur lesdommages produits par a) la recherche du gain grce au monopole, oub) laugmentation des ingalits, ou encore c) lexploitation de la fai-blesse des gens ncessiteux.

    LANALYSE DU DEUTRONOMELinterdiction fondamentale de lusure dans la foi juive remonte au

    Deutronome, le cinquime et dernier livre du Pentateuque dans lAn-cien Testament, qui est traditionnellement attribu Mose. Les injonc-tions y prennent la forme dun commandement : tu ne prteras pas intrt (neshek) ton frre (lahika) (XXIII ; 19) mais : A un tranger(nokri), tu pourras prter intrt (XXIII ; 20)27. Puisque chaque prt intrt est assimil lusure dans linterprtation traditionnelle juive28,linterdiction de lusure chez les Juifs est une interdiction astreignante.Lastreinte est accentue par lobligation rituelle dune aide destine auxmembres les plus pauvres de la communaut, qui fait du prt sans intrtune obligation envers ceux qui sont dans le besoin29.

    La conception sous-jacente du devoir est clairement dorigine tribaleet lon y constate aisment que les codes sont formuls pour le bnficedes autres membres de la tribu. Linterprtation des lois (par exempledans le Code de Mamonide), tendait utiliser lvaluation des cons-quences dun acte pour tracer la ligne sparant la pratique des intrtsdune part et la location dune proprit, le partage des bnfices, lafixation des prix dans le temps, etc., dautre part.

    Par exemple, sil est autoris investir dans une entreprise en partici-pation avec partage des bnfices et des pertes, un homme na pas ledroit de donner son argent un autre pour linvestir dans une entreprisecommune sil ne partage que les profits et pas les pertes (XIII, V : 6 ;dans la traduction de Rabinowitz 1949, p.95). Le fait est considrcomme quasi-usuraire , parce quil a comme effet de prter sansprendre le risque dun investissement quitable.

    La ligne qui spare dautres territoires disputs est, elle aussi,semblablement fonde sur lvaluation des consquences : sont-ellesidentiques pour un prt intrt ou non ? Par exemple, est-il interdit devendre des prix paramtriques qui augmenteront des poquesprcises dans le futur ? Ainsi, un lment dvaluation des consquencesest incorpor dans la nature mme des devoirs spcifis.

    Un autre exemple amusant dun raisonnement fond sur lvaluationdes effets, chez Mamonide, souligne la distinction entre prter despaens et emprunter des paens. Mamonide note que les Sagesdcourageaient le prt des paens justement pour viter quun prteurisralite prenne les mauvaises habitudes des paens en les frquentant

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    souvent. Il est toutefois autoris , nous assure Mamonide, demprunter avec intrt auprs dun paen, puisquil est plus probableque le Juif vitera le prteur plutt quil ne sassociera avec lui. 30

    Le statut thique de cette distinction entre Juifs et non-Juifssoulve des questions intressantes. Le double critre qui y est attachfut un sujet de discussions sans fin dans les littratures chrtienneet juive. Selon linterprtation chrtienne, cette distinction jouaitun rle positif lpoque, comme rpondit Saint Thomas dAquin la duchesse de Brabant, lautorisation de prendre des intrtsaux trangers existe depuis longtemps 31. Un moyen duniversaliserlinterdiction de prts usuraires dautres Juifs aurait t toutsimplement dinterdire les prts usuraires qui que ce soit - directiondans laquelle lIslam se dirigea, comme de nombreux thologienschrtiens.

    On peut aussi gnraliser cette injonction dune autre faon, eninterdisant la prise dintrts entre les diffrents membres dun mmegroupe, et ce, pour tout groupe. Il y a plusieurs rgles de conduite quiexigent un sens de la solidarit avec le groupe auquel on sidentifie ;le fait daccepter davoir des obligations envers les autres membres dunefamille en est un bon exemple. Ce serait sans doute une erreur que dechercher la porte universelle dune rgle en la rduisant au fait davoirles mmes obligations envers nimporte qui et nimporte o. Une telleanalyse thique construirait une solidarit de groupe sur un modeuniversaliste dont les consquences pourraient tre trs vastes si lonconsidrait la loyaut au sein du groupe comme un simple instrumenttechnique.32

    Des interprtations rabbiniques sur critres apparemment doublesont suivi la mme voie. Par exemple, dans la Torah Temimah : Notreabstention pour prendre des intrts les uns envers les autres est identi-que la rgulation qui a lieu dans de nombreux commerces et autresassociations au sein desquelles les membres fournissent les uns aux autresdes avantages particuliers. De tels avantages ne sont pas valables pour lestrangers au groupe. Mais il ny a rien qui empche les autres de crer detelles associations et de se donner de tels avantages.33

    Si nous considrons les problmes contemporains de lthique finan-cire, la question de lanalyse des consquences de la solidarit du groupedevra tre particulirement privilgie.

    ADAM SMITH, LINTERVENTIONNISTEOn pense souvent Adam Smith comme au classique dfenseur de la

    seule valorisation du march. Il a certes beaucoup contribu montrer lalogique des mcanismes du march, mais il a galement analys quel-ques-unes de ses limites les plus importantes34. Et, sur la question des

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    intrts, bien quil ft oppose son interdiction35, il soutenait lesrestrictions lgales imposes par lEtat sur les taux maxima.

    Dans les pays o lintrt est permis, la loi en gnral, pourempcher les exactions de lusure, fixe le taux le plus lev quon puisseexiger, sans encourir de peine

    Il est observer que si le taux lgal doit tre un peu au-dessus du tauxcourant de la place, il ne faut pas quil soit non plus trop au-dessus. Si,par exemple, en Angleterre, le taux lgal de lintrt tait fix 8 ou 10pour 100, la plus grande partie de largent qui se prterait, serait prte des prodigues ou des faiseurs de projets, la seule classe de gens quivoult consentir payer largent aussi cher. Les gens sages qui ne veulentdonner pour lusage de largent quune partie du profit quils esprent enretirer, niraient pas risquer de se mettre en concurrence avec ceux-l.Ainsi, une grande partie du capital du pays se trouverait, par ce moyen,enleve aux mains les plus propres en faire un usage profitable etavantageux, et jete dans celles qui sont les plus disposes la dissiper et lanantir.36

    La logique interventionniste sous-jacente chez Smith repose sur le faitque les indicateurs du march peuvent tre trompeurs, et les consquen-ces du march libre peuvent induire beaucoup de gaspillage du capital,rsultant la fois de la poursuite prive de projets qui promettent desprofits rapides et du gaspillage priv des ressources sociales.

    Jeremy Bentham prit Smith partie dans une longue lettre quil luiadressa en mars 1787, en soutenant quil fallait laisser le march tran-quille37. Cest un pisode trange dans lhistoire de la pense conomi-que de voir cet interventionniste utilitaire et ce rformateur publicdonner des leons sur les vertus de la ventilation du march au gourou etpionnier de lconomie de march38. Smith et Bentham partageaienttous deux une mme conception fonde sur lvaluation des consquen-ces pour le commerce et la finance, mais Bentham soppose lide deSmith selon laquelle des taux levs, les prodigues et hommes deprojets entraneraient un gaspillage social en vacuant du march desutilisateurs de capital potentiellement plus productifs. Au regret des prodigues et autres dpensiers extravagants, Bentham pensait que ce nest pas parmi eux quil faut chercher les clients naturels de largent haut taux dintrt (p.39). Il disait enfin que ceux que Smith voyaitcomme des hommes de projets - avec des projets varis pour faire delargent rapidement - taient galement les innovateurs et les pionniersdu changement et du progrs (pp.40-46).

    La question de la fixation lgale dun taux maximum dintrt na plusde sens dans les dbats actuels - cet gard, Bentham la clairementemport sur Smith - mais il est important de comprendre pourquoiSmith avait une opinion si ngative sur linfluence des prodigues et

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    hommes de projets dans lconomie. Il se sentait rellement concernpar le problme du gaspillage social et la perte de capital productif. Et ilexpliqua en dtail comment ce risque pourrait se raliser (Livre II,chapitre 3). Au regard des prodigues , Smith considre quils prsen-tent un danger de gaspillage social car ils sont pousss par la passion duplaisir du moment .

    Ainsi, chaque prodigue est un ennemi public . Vis--vis des hom-mes de projets , les soucis de Smith portent encore sur le gaspillagepublic : Les effets dune conduite peu sage sont souvent les mmes queceux de la prodigalit. Tout projet imprudent et malheureux en agricul-ture, en mines, en pcheries, en commerce ou manufactures, tend demme diminuer les fonds destins lentretien du travail productif.Dans chacun de ces projets..., il rsulte toujours quelque diminution dansce quaurait pu tre sans cela la masse des fonds productifs de la socit.39

    Le caractre pertinent de linterventionnisme de Smith, appliqu auxquestions actuelles, la dnonciation de cette possibilit de pertes socialespar la poursuite de profits privs court terme, mritent une attentionparticulire.

    BNFICES ET RESPONSABILIT DU MANAGER Lodeur du profit est propre / Et douce quelle quen soit la source ,

    crivait Juneval, dans un de ses pomes satiriques sur la vie romaine auxalentours de 100 aprs J.-C.40. Personne na prouv que cette opiniondun sceptique, sur la recherche du profit, fut entirement errone, quelque fut le pays ou lpoque, mais le rle du profit est peru tout faitdiffremment dans un monde moderne que le capitalisme dynamique abti avec succs. La recherche du profit est maintenant considre, etavec raison, comme la force qui a cr les possibilits conomiques et quiguide leur utilisation. Comme la dit John Maynard Keynes - unadmirateur pourtant critique du capitalisme : La machine qui faitmarcher lEntreprise nest pas lEconomie mais le Profit.41

    En discutant de la relation entre le devoir et ses consquences, dansune mise en perspective historique de lthique financire, nous avons euloccasion de remarquer ce fait lmentaire que les actions qui ne sontpas intrinsquement sduisantes peuvent nanmoins produire de bonsrsultats. Ce point de vue est tout fait fondamental pour valuer le rlede la maximisation du profit dans des conomies qui font un usagesubstantiel des mcanismes du march. Les deux aspects de la recherchedu profit, a) la recherche goste du gain, et b) sa capacit produire desrsultats satisfaisants et efficaces, peuvent paratre loigns, mais unebonne gestion de lconomie moderne - y compris des lments signi-ficatifs de la thorie de lquilibre - a essay de montrer les liens troitsqui les unissent.

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    Le rsultat essentiel de la thorie de lquilibre - on la dsigne quel-quefois comme thorme fondamental de lconomie du bien-tre -,est de montrer, au prix de quelques hypothses, - par exemple, labsencedexternalits, dinterdpendances fonctionnant en dehors du mar-ch -, comment lquilibre comptitif de la maximisation du profitcorrespond exactement au principe de loptimum - ou de lefficacit -chez Pareto, au sens o personne ne peut senrichir sans que quelquundautre sappauvrisse42. Aussi, nimporte quel rsidu efficace pourPareto - mme sil nest pas galitaire - peut tre obtenu au moyen dunquelconque quilibre comptitif, en lui adaptant la distribution initialedes ressources et des dotations. Mais cette dmarche peut exiger uneredistribution absolument radicale des proprits, de telle sorte quelutilisation complte de ce rsidu appartient distinctement au manuel du rvolutionnaire .43

    De toute faon, une part moins ambitieuse du rsultat est plusgnralement disponible, cest--dire que, quelle que soit la distributioninitiale des dotations, chaque quilibre comptitif de la maximisation duprofit doit correspondre loptimum de Pareto. Mais en faisant cettevaluation, nous devons garder prsent lesprit que loptimum dePareto na pas besoin, en soi, dune russite spectaculaire, et quil est,plus particulirement, compatible avec beaucoup dingalits et depauvret. Ainsi, les proccupations dAristote pour lingalit conjugue une conomie financire opulente ne sont pas diminues par la partieplus pratique du thorme fondamental . En outre, Aristote nauraitpas t vraiment satisfait par un rsultat qui se rduit explicitement delui-mme aux quilibres comptitifs, car sa critique de la recherche duprofit concernait galement les profits raliss par une personnecapable dtablir un monopole pour elle-mme (La Politique, livre I,passage 1259).

    La recommandation sans quivoque faite aux entreprises commercia-les de maximiser leurs profits parce quils peuvent avoir des effetsconomiques positifs est tout autant contrarie par la nature restrictivedes hypothses sous-jacentes. Ici, lorsque Adam Smith redoute que lesindicateurs du march soient trompeurs, sa remarque est pertinente.Comme Smith sattache volontiers la prservation et la promotion dece quil appelle les fonds productifs de la socit , il serait particulire-ment tonn du poids de lenvironnement sur les dcisions des entrepri-ses, domaine dans lequel les indications du march sont vraimentdfectueuses. Les prodigues et hommes de projets daujourdhuipeuvent abmer lair que nous respirons, leau que nous buvons et laprojection de rayons nocifs, et cela nous semble aller de soi.

    Jai essay ailleurs dexpliquer quen matire dvaluation des consquen-ces des mcanismes du march tourns vers le profit, il ny a

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    qu un cas pour lloge de la dfaillance - un seul cas, ni plus, ni moins .44

    Je ne vois aucune raison de modifier aujourdhui ce jugement. Mais ily a un autre type de justification de la maximisation du profit dont on abeaucoup parl rcemment, notamment dans des dbats politiques trspratiques. Il ne fait appel aucun rsultat fondamental de la thorieconomique - comme le soi-disant thorme fondamental -, mais laresponsabilit fiduciaire des managers qui doivent maximiser les profitsparce que ces profits sont dus aux dtenteurs du capital. On a soulignavec vigueur, et notamment en Italie, que les managers sont responsa-bles de la poursuite exclusive des intrts des actionnaires, et quen tantque tels, ils ont le devoir de maximiser les profits. Dvier de cet objectifpeut paratre thique, mais dans cette optique, cette drive conduirait un abandon des responsabilits morales de confiance et de protectionqui appartiennent aux managers.

    Cette approche de lthique financire a une raison dtre puissante etdtermine, et elle prsente galement lavantage de ne pas dpendre dela validit ou du bien-fond dun lment particulier dune thorieconomique. Elle repose simplement sur la responsabilit immdiatedont les managers sont censs disposer, pour raliser ce quon leur aconfi. Cette ide de responsabilit fiduciaire est incontestablementattirante. Lchec de certains managers, dans de nombreuses firmescommerciales et entreprises financires, pour veiller aux intrts de ceuxqui leur faisaient confiance (par exemple, le comportement irresponsa-ble des managers des Savings and loans aux Etats-Unis) nous a convaincude prter une oreille particulirement attentive cette conceptionpropre au secteur financier.

    La distinction tablie du point de vue de la responsabilit des mana-gers, entre les actionnaires et les propritaires, dun ct, et le reste dumonde, de lautre, rappelle certains traits du Deutronome. La respon-sabilit est fonde sur la distinction qui sopre entre un groupe prcis ettous les autres groupes. Mais on peut soulever lobjection suivante :pourquoi la responsabilit devrait-elle tre fonde sur cette distinctionparticulire ? Les fortunes de personnes trs diffrentes sont investiesdans une entreprise daffaires, et de nombreuses personnes - les tra-vailleurs par exemple - pourraient placer leur confiance dans la gestion,tout autant et aussi bien que le font les actionnaires45. Si une affaire faitnaufrage, ce nest pas uniquement une tragdie pour les dtenteurs ducapital, mais aussi pour les autres - y compris les salaris.

    Dans le cas dentreprises financires comme les Saving and loans, onpeut dire facilement que la responsabilit financire des managers necouvre ni les actionnaires, ni davantage les millions de dpositairesconfiants qui ont plac leur argent dans de tels tablissements. Les institu-tions financires oprent selon un modle particulirement diversifi de

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    confiance et de protection, et le domaine de lobligation fiduciaire peutdifficilement tre confin au seul gain de profits pour les seuls actionnaires.

    En gnral, mme pour des institutions non financires, il nest pasvident du tout de prouver que les intrts des actionnaires devraienttre si prpondrants dans la dtermination de la responsabilit desmanagers, compte tenu de limportance de la bonne coopration dediffrents groupes pour assurer le succs de lentreprise. On pourraitaussi trouver une autre ligne de dfense dans la rduction de la respon-sabilit fiduciaire des managers vis--vis des seuls actionnaires. Enparlant des distinctions du Deutronome, jai dit plus haut que le faitdassumer une responsabilit spciale envers un groupe impose dtrefond sur des raisons intrinsques, et quil peut tre justifi par uneanalyse des consquences dune combinaison des responsabilits respec-tives des diffrents groupes. On pourrait suggrer que cette prminencedes intrts des actionnaires soit considre comme une partie dunschma plus large des responsabilits du groupe. On peut imaginer quesi les managers veillent maximiser les profits des actionnaires, et si lessyndicats prennent soin des intrts des travailleurs, etc., le rsultatglobal sera absolument parfait. De ce point de vue, les managerssengagent implicitement agir uniquement pour les intrts des action-naires ( comme sils taient des actionnaires eux-mmes), et lajustification de linterprtation dun tel contrat incomplet pourraittre trouve dans les effets dune telle pratique, et en particulier dans sesavantages en termes defficacit.

    Une proposition mriterait un examen srieux, bien que je doute quequiconque la formule. Pour cette seule raison quexclure les intrts desautres personnes impliques dans lentreprise engendrerait des dissen-sions susceptibles dentraver la productivit. Ainsi, on pourrait mmeaffirmer que cest prcisment la ngation de cette distinction entre lesactionnaires et les autres membres de lentreprise, et ladoption duneconception plus intgre de lentreprise, vue comme une grandefamille , qui a t latout majeur pour permettre lindustrie japonaisedassocier la coopration efficace de ses agents46. Cet argument en termesdeffets qui incite une notion moins troite de la responsabilit peutrenforcer - plutt que contredire - largument intrinsque.

    Si la conception troitement dfinie de la responsabilit directoriale,comme une responsabilit fiduciaire (i.e., que les managers sontresponsables de la seule fortune des actionnaires) semble tre prcaire, ilne sensuit pas ncessairement que les meilleurs rsultats seront invaria-blement obtenus par les managers qui auront cibl constamment leursactions sur la maximisation du bien-tre social dans son ensemble.Il peut exister de bons arguments en termes deffets pour rduire le cadrede la perception, mais sils sont fonds sur lconomie de linformation

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    et sur la viabilit de la structure de motivation propose. Le point le plusimportant me semble de limiter la conception extrmement troite delaction des managers, comprise comme responsabilit fiduciaire ,plutt que de dfendre lautre extrme , cest--dire lexigence, vis--vis des autres agents, de la plus efficace recherche du bien social . Il estncessaire dexaminer les mrites subsquents des diffrentes procduresde dcision et danalyser les structures diverses dincitation la lumirede leurs consquences les plus larges. Mais cette ncessit nimplique pasforcment que les agents sy rfrent, pour leur plus grand profit, chaquefois quun choix simpose.47

    Finalement, quelle que soit la vision de la responsabilit en affairesquon adopte, celle-ci doit tre lie avec les consquences de comporte-ment quelle suppose. Cela ramne les mrites de la maximisation duprofit recherch par les managers un loge de la dfaillance -reconnaissant son rle positif et central dans le fait de gnrer lefficacitconomique, mais galement ses limites. Lalternative de la faire tota-lement reposer sur une responsabilit fiduciaire fonde sur unedontologie indpendante des consquences soulve de trop nombreu-ses questions laisses en suspens. Il nest pas facile de suivre le conseilsans compromis de Krishna et Eliot : Et ne pense pas au rsultat deton acte / Va de lavant , Not fare well / But fare forward, voyagers .

    LES CONTRAINTES INSTRUMENTALESPOUR LES ENTREPRISES

    Peu importe que les critres de maximisation du profit soient dfec-tueux pour lanalyse apprciative, il est probable que la stratgie desentreprises repose, au moins en partie, sur la maximisation du profit. Lemoyen dintroduire quelques lments propres inverser la tendance -lorsque les indicateurs du march sont trompeurs - est dinsister sur unesrie de contraintes susceptibles dtre rencontres.

    Se plier aux directives sur lenvironnement peut, par exemple, contri-buer orienter la maximisation du profit dans la bonne direction.Certaines de ces contraintes peuvent tre imposes par le biais dergulations publiques, et il est possible, dans cette optique, de trouverune place pour des considrations extrieures au calcul du profit.48

    INFLUENCER LE COMPORTEMENT FINANCIERNEST PAS UNE NOUVEAUT.49

    Quoi quil en soit, la porte de la rgulation effective est souventconsidrablement limite par des problmes de mise en application, etcest l quune auto-rgulation des rgles et une thique de comporte-ment pourraient intervenir. Par exemple, un des problmes que les

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    banques et les institutions financires ont affronter ces derniers tempsest le traitement des bnfices illgaux dposs par des entreprises peurecommandables ou des particuliers, quelquefois accompagns de pro-positions de blanchiment de ces gains illgalement perus. La plupartdu temps, de telles oprations seraient, en fait, illgales, et sil en est ainsi,le dilemme de comportement se rduit la peur du gendarme. Maissouvent il se peut quil ny ait aucune illgalit dans de telles oprations,et les chances de ne pas encourir de poursuites sont importantes. Onpeut alors se demander comment lthique dcisionnelle concernant cesinstitutions financires devrait tre value.

    On pourrait estimer que lillgalit en question est le fait de lautreentreprise ou affaire, et soccuper de son argent, comme on le ferait pournimporte quel dpt, nest pas en soi dlictueux. En outre, si linstitu-tion financire donne la priorit la responsabilit fiduciaire de larecherche du profit, la collaboration peut sans doute tre le bon modedopration.

    On peut opposer cette conclusion deux raisons diffrentes, corres-pondant respectivement aux considrations de cruaut intrinsque et de mchancet apprciative . En premier lieu, la participation lutilisation de procds pour des oprations illgales pourraittre considre comme un comportement mauvais en soi, et cest l quenous retrouvons la pression dmode - mais non ngligeable - de ladontologie puriste (similaire linterdiction non subsquente delusure). Je nai pas grand-chose dire ce sujet, bien que je le voiecomme faisant partie des considrations senses envisageables.

    En second lieu, si lon dfinit son devoir au terme dune analyse desconsquences, largument quun autre est responsable de lillgalitcommise nest pas dcisif en lui-mme. Il devient ncessaire dexaminerles consquences dactes particuliers, ainsi que les rsultats ventuels desrgles de comportement les autorisant, et ici, lthique financire re-trouve le cadre dune analyse apprciative classique.

    Dpendant de la nature exacte du mal dans les fortunes illgale-ment acquises, les analyses apprciatives des rgles appropries pourtraiter de belles fortunes sont sans doute loin dtre facultatives.

    On peut faire des observations similaires sur dautres problmes decomportements financiers. Un point particulier est la possibilit, pour lesecteur priv, dexercer une influence politique qui pourrait modifier lapolitique publique, conomique ou montaire, ou qui pourrait influencerles dcisions en vigueur dans le secteur public. Ce problme thiqueparticulier, de lutilisation de la politique publique dans un but priv, taitun des problmes qui, de toute vidence, proccupait feu Paolo Baffi.50

    Le problme nest pas, bien entendu, nouveau et Adam Smith en aparl longuement dans La Richesse des nations.

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    A la vrit, sattendre que la libert du commerce puisse jamais treentirement rendue la Grande-Bretagne, ce serait une aussi grandefolie que de sattendre y voir jamais raliser la rpublique dUtopie oucelle dOcane. Non seulement les prjugs du public, mais, ce qui estencore beaucoup plus impossible vaincre, lintrt priv dun grandnombre dindividus, y opposent une rsistance insurmontable

    Un membre du Parlement qui appuie toutes les propositions tendant renforcer ce monopole est sr, non seulement dacqurir la rputationdun homme entendu dans les affaires du commerce, mais dobtenirencore beaucoup de popularit et dinfluence chez une classe de gens qui leur nombre et leur richesse donnent une grande importance. Si, aucontraire, il combat ces propositions, et surtout sil a assez de crdit laChambre pour les faire rejeter, ni la probit la mieux reconnue, ni le rangle plus minent, ni les services publics les plus distingus ne le mettront labri des outrages, des insultes personnelles, des dangers mmes quesusciteront contre lui la rage et la cupidit trompe de ces insolentsmonopoleurs.51

    Lutilisation de linfluence politique ne peut pas tre facilementdfendue en invoquant la responsabilit fiduciaire pour maximiser lesprofits par tous les moyens disponibles (pour des raisons que jai djdonnes). Cela ne peut pas non plus convenir un comportementapprciatif justifi. En effet, la prsomption des effets pervers dun telcomportement est fonde sur son rle de crateur de distorsions varies(y compris certaines dont Aristote et Smith ont parl), par exemple, parles avantages scurisants du monopole.

    En faisant la part des mrites et des dfauts valuatifs dun telcomportement, et des contraintes comportementales qui y sont lies, laprsomption habituelle des effets nfastes pourrait bien tre plausible.Un point gnral est particulirement intressant dans ce contexte. Lesuccs instrumental de la maximisation du profit, en augmentant leffi-cacit et en amenant dautres bons rsultats (comme ceux prciss dansla thorie de lquilibre par exemple, dans le thorme fondamental ),dpend dun certain nombre de conditions. Un march comptitif, parexemple, repose sur la ncessit que les transactions aient lieu des prixdonns sur lesquels les entreprises nont pas de prise. Lorsque lesstratgies des entreprises pour gnrer du profit prennent la forme duneinfluence sur les prix, ou dune rduction de la comptition, etc., seuleune petite partie de la thorie classique dune efficacit reposant sur lemarch subsiste pour lide dune maximisation insense du profit.

    INFORMATION ET DLIT DINITIPour finir, examinons brivement le problme controvers des condi-

    tions du profit par lintermdiaire du dlit diniti. Les membres de

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    lquipe directoriale dune entreprise sont souvent dans une positionfort avantageuse pour faire des profits sur des oprations commercialesauxquelles lentreprise prend part grce aux informations internes quils dtiennent. Dimportantes fortunes ont t amasses sur la basedun commerce reposant sur de telles informations, comme acheterdes actions juste avant que leur cours ne monte (en raison par exempledune offre publique dachat imminente - connue des initis mais pasdes autres).

    Le dlit diniti est moralement rprouv et, dans certains pays, faitgalement lobjet de sanctions judiciaires svres, par exemple auRoyaume-Uni et aux Etats-Unis.51

    Des textes rglementaires du mme genre sont maintenant en vigueuren Italie. Mais, la lgislation est beaucoup moins restrictive au Japon eten Suisse. Dgager des profits suite une information interne - enabusant de la confiance des autres - nest en aucune manire uncomportement exemplaire et il est dailleurs vident que cela a unedimension malfique . Mais comme nous lavons dit plus haut, il fautdistinguer la duret des consquences dune telle pratique de son carac-tre intrinsquement rprhensible. Comment pourrions-nous valuerle mal caus par ce dlit diniti ?

    Il est certainement vrai que les initis qui bnficient de ces informa-tions privilgies ont, dans un sens, un avantage injuste par rapport auxautres qui, eux aussi, achtent et vendent des actions. Mais, on a dit (enparticulier John Kay, 1988) que le dlit diniti ne cause finalement detort quaux seuls professionnels du march . Si, par exemple, uneaction est sur le point de voir son cours grimper de 100 180, et queliniti achte au prix de 120, juste avant que cela ne se produise, il ne faitpas de tort direct aux actionnaires continuels. Il nen fait pas non plus ceux qui dcident seuls de vendre au moment o liniti achte. En toutcas, ils peuvent bnficier dune offre plus leve (120) de liniti quecelle du march (100).

    Cela laisse le champ libre la personne qui navait pas prvu de vendremais qui est convaincue de le faire par loffre de liniti. Une telle personnese dcharge de ses actions au prix de 120, alors quelle aurait pu en toucher180 immdiatement aprs. Puisquil est probable quune telle personnesoit un professionnel du march (achetant et vendant des actions),laffirmation de Kay est que lensemble des mesures de lutte contre le dlitdiniti est destin sauvegarder les intrts des oprateurs en leur donnantdes chances gales face aux initis, dtenteurs de leurs informationsprivilgies. Ces objectifs spcifiques sont poursuivis au prix dun largis-sement du foss sparant ceux qui financent lindustrie de ceux qui lagrent, et selon Kay, entraver le dlit diniti peut avoir de trs gravesconsquences. Do son opposition linterdiction du dlit diniti.

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    On retrouve bien ce dont nous avons parl prcdemment dans ladfense par Kay du dlit diniti. En labsence de quelque chose commeune distinction du Deutronome sattachant aux intrts du groupespcifique des oprateurs, ce serait un objectif trangement arbitraire,fond sur une conception plutt troite de la responsabilit collective.Ce sentiment est renforc par une antipathie justifie vis--vis des initis cupides , et la demande implicite dune sanction pour vileniemorale . Finalement, la question est de savoir si toutes les consquencespertinentes ont t prises en compte.

    King et Roell (1988) ont dmontr que le dlit diniti a dautrescots. Premirement, la prsence dune information asymtrique tend accrotre la propagation de la demande denchre , car les oprateurscraignent davoir traiter avec les initis. Ce cot agit comme une taxesur les oprations. Deuximement, la possibilit de gains trs rapides,fonde sur des informations internes, fait se dployer bon nombredefforts et de ressources. Puisquil ny a aucun bnfice social vident tirer de ces oprations, il y a une perte sociale nette, correspondant auxcots impliqus.

    On peut, en fait, complter lanalyse de King et Roell en considrantla possibilit quun initi puisse mme peser sur le moment et larticula-tion de lannonce faite par lentreprise pour accrotre la possibilit, pourles initis, de faire des gains rapides. Cela impliquerait aussi des cotssociaux et donc une perte sociale. Lanalyse des consquences peutgalement prendre en considration leffet dcourageant que le dlitdiniti peut avoir sur la confiance dans le march boursier, et celapourrait certainement tre un effet pervers prendre en compte, parti-culirement dans un pays o la Bourse est la recherche dun dve-loppement.

    La proccupation dAdam Smith pour les considrables pertes socia-les issues de la poursuite, par les particuliers, de profits rapides peut trepertinente ici. Il y a aussi des ressemblances entre les initis et les chercheurs de gains monopolistes dAristote. Il est particulirementimportant de garder lesprit ce problme aristotlicien puisque linter-diction du dlit diniti a pour trange effet disoler prcisment ceuxqui ont davantage - plutt que moins - dinformations que les autres, etcela peut paratre bizarre, du moins premire vue, dobserver que lacause de lefficacit pourrait tre bien servie en cartant prcisment lesmieux informs, au bnfice de ceux qui le sont moins. Une des sourcesmajeures de ce problme repose sur le monopole de linformation quecertains des oprateurs (les initis ) ont vis--vis des autres, et sur lesgains obtenus par la conservation de cet avantage monopolistique.Puisque la participation des autres (y compris du public en gnral)est importante pour le succs de la finance, le problme de lasymtrie de

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    linformation ne peut pas tre rsolu en les expulsant , par unprocessus de slection naturelle. En outre, la possibilit que les initis puissent dlibrment accrotre le foss entre leurs propres informationset celles que les non-initis connaissent par eux-mmes, en manipulantles articulations de la compagnie et autres mouvements, rend beaucoupplus graves les perspectives de distorsion.

    Voici, pour finir, les raisons appropries pour dcourager et rguler ledlit diniti. Ce dernier provoque une indignation morale, mais celanest pas en soi, - jai essay de le dire -, une bonne raison dinterdire oude rguler cette pratique. Si, dans certains cas, lindignation moralepourrait bien tre le reflet dune critique raisonne sous-jacente, ce nestpas ncessairement le cas. Enfin, une minutieuse analyse des effetsdirects et indirects du dlit diniti et dautres pratiques doit permettreleur valuation. Il existe donc un cas qui rcuse le dlit diniti, mais sesfondements doivent tre clairement distingus de nos simples tendancesnaturelles repousser les profits fonds sur des informations privilgies,ou dsapprouver les gains personnels tirs de la confiance sociale.

    UNE REMARQUE FINALEJai dit pendant cette confrence que le problme central en thique

    financire est la relation entre les devoirs et les consquences. Latentation de considrer la finance sous sa forme la plus immdiatementattrayante ou sa dimension rapidement condamnable est forte, et ainfluenc lanalyse de lthique financire par le pass, comme actuelle-ment. Mais les traitements srieux de la finance ont, dans le pass, rsist cette facilit. Cela sapplique non seulement des auteurs commeKautilya et Smith, mais aussi la fameuse critique de lusure par Aristote(mme si de persistantes interprtations errones de la nature de sesarguments ont eu tendance cacher ce fait important). Les problmesque ces analyses apprciatives subsquentes ont eu tendance souleverdemeurent pertinents.

    Quelques problmes dthique financire moderne furent examinspour illustrer la nature des proccupations subsquentes et des pigesde la dontologie puriste . Par exemple, la poursuite de la maxi-misation du profit en tant quengagement primordial (sans respect deses consquences sociales) est souvent dfendue, dans les argumentsactuels, au nom de la responsabilit fiduciaire , envers les action-naires. Cette approche reste profondment errone dabord cause desdommages quun tel comportement peut causer au public au senslarge (par exemple, travers la dgradation de lenvironnement, oules distorsions monopolistiques), et ensuite en raison du besoin deconsidrer ses devoirs envers les autres, eux aussi impliqus dans lesaffaires. Une justification partielle de la maximisation du profit passe

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    par la reconnaissance du rle que les profits jouent en tant quincita-teurs lefficacit conomique, mais il ne faut pas sous-estimer lespertes sociales et les injustices quelle peut, en de nombreuses circons-tances, amener.

    Pareillement, le choix des instruments que les entreprises pourraientutiliser pour la poursuite de leurs objectifs (y compris les profits finan-ciers) est un autre sujet propos duquel la dontologie puriste peuttre trompeuse. Cela prend tout son sens dans la relation entre lapolitique publique et les intrts privs, et galement dans le dveloppe-ment des rgles et de normes de comportement pour rglementer lamanipulation (par exemple, le blanchiment ) de gains financiers quiauraient pu tre mal acquis ailleurs.

    Un autre exemple concerne les contraintes de comportement quipeuvent sappliquer aux managers et aux administrateurs qui disposentdinformations internes . Il est tentant dexclure le soi-disant dlitdiniti pour les raisons simples dune vilenie apparente ou duneprtendue injustice , mais de telles critiques nont que peu de poids.Les objectifs les plus srieux sont lis au tort social gnral qui pourraitrsulter du dlit diniti par laccroissement des cots et des distorsionsdus aux motivations.

    Lvaluation soigneuse des consquences est au centre de lthiquefinancire et ne peut pas tre remplace par les attraits des devoirs indpendants des consquences. Jai dit, en donnant des exemplesparticuliers, que les rgles et les rgulations, aussi bien que les codes deconduite, peuvent srieusement se fourvoyer en tentant de baser lesdcisions publiques ou les attitudes prives sur une simple dontologiede proccupations et dobligations immdiates. Dans des affairesfinancires, pas moins que dans dautres domaines conomiques, lesignificatif va bien au-del de lapproximatif.

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    NOTES

    1. Ma plus grande dette va Tommaso Padoa-Schioppa pour ses conseils prcieux chaque tape de laprparation de cette confrence, prononce la Banque dItalie le 26 avril 1991. Je suis aussi trsreconnaissant Fabrizio Barca, Sissela Bok, Moshe Halbertal, John Kay, Mervyn King, Franco Modigliano,Emma Rothschild, Ignazio Visco et Stefano Zamagni. Jai aussi profit des commentaires dIgnazioAngeloni, Chitrita Banerji, Giorgo Basevi, Robert Dorfman, Gianni Fodella, Eugenio Gaiotti, CharlesGoodhart, Frank Hahn, Albert Hirschman, Eric Hobsbawm, Alexandre Lamfalussy, David Landes, SiroLombardini, Mario Monti et Luigi Spaventa pour leurs utiles suggestions.

    2. Remarques finales du gouverneur lors de lAssemble gnrale ordinaire des actionnaires de la BanquedItalie, le 31 mai 1990. Dans la conception du devoir de Baffi, il y avait un engagement ferme en faveurde lavance conomique et sociale, combin avec beaucoup de compassion pour la situation difficile desdfavoriss. Par exemple, en crivant au sujet de sa visite de lcole des sciences conomiques de Londresen 1931, il ne parle pas seulement des confrences auxquelles il a assist, mais aussi de la vue des mineursgallois sur une seule range en train de chanter des hymnes funbres et de mendier, et des bateaux dsarmset des grues immobilises (Baffi 1985, p.2).

    3. Jai prsent et runi des arguments ce sujet dans Sen 1982, 1985a, 1987. Voyez aussi l Introduzione de Stefano Zamagni dans la traduction italienne de Sen, 1982.

    4. Kindleberger, 1984, note que limplication des trangers ou des exclus sociaux est un phnomne plusgnral : Dans de nombreuses socits, les prteurs dargent appartiennent une religion diffrente, etdonc ne sont pas tenus par les principes thiques de la communaut (p.41). Pour une tude intressantedu choc des cultures dans le systme bancaire europen en Egypte, voir Landes, 1957.

    5. On sait aussi que la naissance mme de lcriture couvre le dveloppement des mathmatiques qui furenttroitement lis aux activits financires, au tout dbut de lhistoire du monde. A ce sujet, voir Bernal,1954, chapitre 3.

    6. Le terme anglais consequentialism est spcifique A. Sen et na pas dquivalent strict en franais. Senlui-mme en propose en synonyme : lvaluation sur la base des consquences , dans son article Evaluator Relativity and Consequential Evaluation , in Philosophy and Public Affairs, 1983, 12, 2, pp. 113 132. Nous lavons traduit approximativement, soit par les mthodes dvaluation , en usage dans lemanagement moderne, sinon dans la philosophie classique, soit par ladjectif apprciatif ou lenologisme valuatif .

    7. La nature et le caractre sens de ceci ainsi que les distinctions qui y sont apparentes ont t traits dansSmart et Williams, 1973 ; Nagel, 1979 ; Sen, 1987, entre autres.

    8. T.S. Eliot, The dry Salvages , in Four Quartets, Londres, Faber and Faber, 1944, p.31.

    9. Il peut en effet exister un conflit gnral entre a) la nature intrinsque inapproprie de certains actes, etb) lamlioration que ces actes pourraient en fait apporter dans ltat des affaires qui viennent se produire.Dans un contexte plus gnral (pas spcifiquement li la finance), de tels conflits ont, en fait, t trssouvent traits dans des critiques dontologiques modernes du consquentialisme en gnral. Voyez, parexemple, Robert Nozick, 1973 et Derek Parfit, 1984. Aucun dentre eux na, de toute faon, argumenten faveur de lignorance de toutes les consquences par lvaluation de la justesse des actes, cest--direquils nont pas de position dontologique puriste (dfendue par Krishna et Eliot).

    10. Cela sapplique galement de nombreux traits scolastiques mdivaux - y compris franciscains - surlusure. Par exemple, Saint Thomas dAquin, Guillaume dOccame, Nicolas Oresme et dautres utilisrentdes analyses extensives des consquences pratiques de lusure (des introductions utiles leurs raisonne-ments peuvent tre trouves dans Nelson, 1944 et Nooman, 1957). Lvaluation de lusure en Islam taitfonde explicitement sur les effets pervers de la pratique, et ces fondements ont t ranims dans lesinterprtations modernes de lIslam, expliquant en particulier que linterdit ne sapplique pas aux intrts

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    en tant que tels, mais seulement aux intrts usuraires - un sujet dimportance considrable dans le cadredes travaux lgislatifs des pays islamiques contemporains. A ce sujet, voir Naqvi et Qadir, 1986, ainsi queAli Khan, 1990.

    11. Kautilya, Arthasastra, livre II, chapitre 11, section 174 ; dans la traduction de Shamasastry,1967, p.200.

    12. Arthasastra, livre I, chapitre 19, section 39 ; dans la traduction de Shamasastry, 1967, p.39.

    13. Par exemple, si lemprunt et le prt se font tous deux sous la forme de grains, plutt que de monnaie,alors lintrt en grains lors dune bonne moisson ne doit pas excder plus de la moiti de lvaluationmontaire . Arthasastra, livre II, chapitre 11, section 174 ; dans la traduction de Shamasastry, p. 200.

    14. Voir Nelson, 1949 ; Noonan, 1957 ; Barker, 1959 et Langholm, 1984.

    15. Aristote, La Politique, livre I, 10, 1258-a, traduction de P. Pellegrin, GF Flammarion, 1990, p. 122.

    16. Marx, 1887, chapitre V, pp. 141-145. Sur les problmes de la valeur implique dans cetteestimation, voire Dobb, 1937.

    17. Voir Noonan, 1957, p. 47. La phrase cite provient dune discussion de Saint Albert au XIIIme sicle,mais cette remarque est rpte de nombreuses fois par un bon nombre de commentateurs.

    18. A ce sujet, voir Langholm, 1984, p.61.

    19. Bentham, 1837, p.30. Bentham est loquent ce sujet : une considration qui nest visiblement pasapparue ce grand philosophe, mais qui, si cela avait t le cas, naurait pas t tout fait indigne de saremarque, est, que bien dune darique nen crerait pas une autre pas plus quun blier ou une brebis, unhomme qui en aurait pourtant emprunt une aurait pu en tirer un blier ou un couple de brebis, et celles-ci, condition quon laisse le blier avec elles un certain temps, nauraient certainement pas t striles. (p.31) Il continue ainsi parler de ce quil considre tre une erreur stupide de la part dAristote.

    20. La Politique, livre I, passage 1259, dans la traduction de Lord, 1984, p.51.

    21. A ce sujet, voir Hahn, 1981, 1985.

    22. La Politique, livre I, 11, 1258-b, traduction de P. Pellegrin, GF Flammarion, 1990, p. 126.

    23. Il ne pensait pas non plus que faire de largent partir du commerce et de la finance ntait pas unebonne vie mener, mme pour les personnes qui devenaient riches par ces moyens.

    24. La Politique, livre I, 1259 20. Aristote dfend sa position en citant le cas de Thals de Milet, qui - endpit de sa position de philosophe - fit de largent facilement, en faisant un monopole sur les pressoirs olive, alors quil avait correctement anticip une bonne anne en matire dolives, 1258-b, GF Flamma-rion, 1990, p. 125.

    25. La Politique, I, 9, 1257-b, traduction de P. Pellegrin, GF Flammarion, 1990, p. 118.

    26. Ethique Nicomaque, livre IV, chapitre 1 ; traduction de Voilquin, GF Flammarion, 1965, p. 100.

    27. Voir Nelson, 1949, pp. XV-XVI qui, lui aussi, est en proie des problmes de traduction.

    28. A ce sujet, voir Le Code de Mamonide : le livre des lois civiles, Les Lois concernant les crditeurs et lesdbiteurs, chapitre VI : 1, traduit dans Rabinowitz, 1949, p.88.

    29. Le Code de Mamonide : le livre des lois civiles, Lois concernant les crditeurs et les dbiteurs,chapitre I : 1, dans la traduction de Rabinowitz, 1949, p.78.

    30. Le Code de Mamonide, livre XIII, V : 2 ; Rabinowitz, 1949, p.93.

    31. Voir Nelson, 1949, p.19. Saint Thomas dAquin dclara que linvention de linjonction taitdindiquer que prlever des intrts sur chaque homme est tout simplement mauvais, parce que nousdevrions traiter autrui comme notre voisin et frre, particulirement dans lesprit de lEvangile, o noussommes tous appels . Il continua, assez trangement, prtendre que lexemption spciale de prlever desintrts aux trangers a t donne aux Juifs pour viter un mal plus grand, de peur qu travers lavarice, laquelle ils taient enclins selon Is.Lvi : 11, ils devraient prendre des intrts aux Juifs, qui adoraient Dieu ,cit dans la traduction de Nelson, 1948, p.14.

    32. Pour les aspects techniques de la conscience du consquentialisme avec des moralits relatives largent, voir Sen 1983, 1987. Sur les diffrents rles de la loyaut, voir Akerlof 1983, 1984.

    33. Cit dans Tamari, 1987, p.182. Torah Temimah est un commentaire influent du XXme sicle, parRabbi B. Epstein.

    34. A ce sujet, voir Sen, 1987 et Rotschild, 1991.

    35. Dans certains pays, lusure a t interdite par la loi. Mais comme quelque chose peut toujours tre fait

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    grce largent, quelque chose devrait toujours pouvoir tre pay pour son utilisation. Cette rgulation, aulieu de lempcher, a accru le mal de lusure comme lexprience la montr, le dbiteur tant obligde payer, non seulement pour lutilisation de largent, mais pour le risque que le crditeur a couruen acceptant une compensation pour cette utilisation. Smith, 1776, volume I, livre II, chapitre 4,paragraphe 13 ; dans Campbell et Skinner, 1976, p.356.

    36. Smith, La Richesse des nations, livre II, chap. IV, traduction de Ad. Blanqui, GF Flammarion, 1991,pp. 446-447.

    37. Bentham, 1837, lettre XIII, Au Docteur Smith .

    38. Smith ne prta pas une attention particulire la critique de Bentham, et dans ldition suivante deLa Richesse des nations, il na revu en aucun point le passage que Bentham avait critiqu. Mais il prit bienla critique, y fit des rfrences favorables - tel point que Bentham sentit quil avait une preuve indirecteque les sentiments de Smith avec respect pour les points de divergence restants, sont prsent lesmmes que les miens . A ce sujet, voir Campbell et Skinner, 1976, pp.357-358, note 19 et Spiegel, 1987,p.770.

    39. La Richesse des nations, livre II, chap. III, traduction de Ad. Blanqui, GF Flammarion, 1991, pp. 428.

    40. Juvenal (Decimus Julius Juvenalis), Satires, traduit par Hubert Creekmore, vers 14 204.

    41. Keynes, 1930.

    42. A ce sujet, voir Debreu, 1959 et Arrow et Hahn, 1971. Koopmans, 1957, prsente une explicationprliminaire lucide.

    43. A ce sujet, voir Sen, 1987, chapitre 2.

    44. Sen, 1985b, p.19.

    45. Adam Smith, en son temps, a mis une opinion particulirement critique sur la ngligence des intrtsdes travailleurs en articulant les exigences et les plaintes : Il ny a aucun ordre qui ne souffre aussicruellement de son dclin (de la socit productive) Dans les dlibrations publiques, ainsi, sa voix estpeu entendue et encore moins considre, sauf dans des occasions particulires, quand sa clameurest anime, attaque et supporte par les employeurs, pas pour ses besoins, mais pour leurs propresobjectifs atteindre. Smith, 1776, volume I, livre I, chapitre 11, paragraphe 9 : dans Campbell et Skinner,1976, p.266.

    46. A ce sujet et au sujet dautres questions concernant lexprience japonaise et ses interprtations, voirMorishima, 1982 ; Dore, 1987 ; Aoki, 1989. Jai essay daborder quelques problmes connexes en thorieconomique, Sen 1982, 1987. Voir aussi Akerlof 1983, 1984. La vision dune grande famille peut avoirdes effets exploitables sur certains groupes vis--vis dautres, mais cest un problme nouveau qui naffecteen rien les inconvnients de linefficacit des dissensions.

    47. Jai essay den parler et daborder les problmes sy rapportant dans Sen 1985b, 1987.

    48. Un des derniers dveloppements intressants dans le monde de la stratgie des affaires est le soutien quecertaines firmes semblent apporter des lois anti-pollution strictes. En effet, comme The Economist le dit,lorsquune firme prive dcide de devenir amie de lcologie ( pour les relations publiques, la moraledu personnel, et dautres raisons ), elle ne dsire pas se mettre en position dsavantageuse en permettant ses concurrents de prendre de lavance cause dun laisser-aller envers lenvironnement , in A lapoursuite des pollueurs : ils renversent les ordures ; The Economist, 9-15 fvrier 1991, pp. 70-71. Le casgnral pour des rgulations appropries de la motivation dun supplment de profit vu sous la perspectivejoyeuse de lentreprise prive elle-mme a t bien prsent par Fumagalli, 1990.

    49. Bien que je nai pas abord, dans cette confrence, le problme du management macro-financier, lesrgulations pourraient tre lies galement aux exigences dun tel management. Par exemple, le tauxdintrt a une influence majeure sur lvolution de lconomie et pourrait tre une variable instrumentaleimportante dans la politique de lemploi et dans la stimulation de la croissance conomique, ce sujet, voirRobinson, 1952. Dans la pratique, le niveau des taux dintrt est totalement contrl par les politiques dela Banque centrale dans la plupart des pays, et ce contrle est fond sur des rgulations dautres niveaux.Dans le contexte actuel, quoi quil en soit, je me soucie des rgulations lies au comportement financierindividuel, plutt que des exigences du macro-management.

    50. Lappel de Baffi une rgnration morale tait fortement li sa lecture des affaires du momenten Italie. Ce que lon pourrait appeler le message de Baffi en liaison troite avec cette proccupation.

    51. La Richesse des nations, livre IV, chapitre II, traduction de Ad. Blanqui, GF Flammarion, 1991, p.60.

    52. En Grande-Bretagne, les genres les plus simples de dlit diniti sont interdits malgr les Rglesfondamentales nonces par le Conseil dInvestissement et de Scurit. Voir CIS, Principes et rglesfondamentales pour la conduite des affaires dinvestissement , Londres, 1991.