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filologie L'un et l’autre. Représentations du mal dans La Queste del Saint Graal et La mort le roi Artu Mihaela Voicu L'article se propose de surprendre dans les textes mentionnés un fonctionnement autre des valeurs qui fondent l'univers courtois, tel qu'il se reflète dans les premiers romans arthuriens. Les différences et écarts signalent, en plus d'une relativisation de l'opposition tradition- nelle entre bien et mal, l'avènement d'un individu qui revendique de plus en plus sa liberté. “Un seul est le Bon” (Mt 19,17). “De cest chose furent molt lié li privé et li estrange” (La Queste del Saint Graal, p.16). L'opposition Bien/Mal est constitutive de la mentalité médiévale au point de lui valoir souvent le qualificatif de “manichéenne”. En ef- fet, à première vue, l'univers médiéval apparaît comme strictement délimité. Il y a le blanc et le noir, le bien et le mal, les bons, repré- sentés à la droite du Juge céleste sur les portails des cathédrales, et Caietele Institutului Catolic II (2001, 1) 132-167

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f i l o l o g i e

L'un et l’autre. Représentations du mal dans La Queste del Saint Graal

et La mort le roi Artu

Mihaela Voicu

L'article se propose de surprendre dans les textes mentionnés un fonctionnement autre des valeurs qui fondent l'univers courtois, tel qu'il se reflète dans les premiers romans arthuriens. Les différences et écarts signalent, en plus d'une relativisation de l'opposition tradition-nelle entre bien et mal, l'avènement d'un individu qui revendique de plus en plus sa liberté.

“Un seul est le Bon” (Mt 19,17). “De cest chose furent molt lié

li privé et li estrange” (La Queste del Saint Graal, p.16).

L'opposition Bien/Mal est constitutive de la mentalité médiévale au point de lui valoir souvent le qualificatif de “manichéenne”. En ef-fet, à première vue, l'univers médiéval apparaît comme strictement délimité. Il y a le blanc et le noir, le bien et le mal, les bons, repré-sentés à la droite du Juge céleste sur les portails des cathédrales, et

Caietele Institutului Catolic II (2001, 1) 132-167

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les réprouvés, à sa gauche, que les foudres de sa colère précipitent déjà en enfer.

L'un ...

Chrétienne (le mal est tout ce qui détourne l'homme du service de Dieu et le jette dans une grande tristesse), la conception médié-vale du mal, qui n'oublie pas ses racines juives (le mal y est vu comme ennemi de la vie humaine, instaurant une rupture entre l'homme et Dieu), sera systématisée par saint Augustin.

Empruntant à la philosophie, plus précisément au néoplato-nisme, une doctrine et une méthode qui vont lui permettre de mettre en place les éléments d'une métaphysique valable, saint Augustin exclut l'existence substantielle du mal, qu'il s'agisse du mal physique ou du mal moral. Le mal est un nihil privativum, privation d'un bien que le sujet devrait posséder, un manque d'être ce qu'il devrait être: “le mal n'est que la privation du bien, à la limite du pur néant” (Saint Augustin, 1962,III, VII, 12).

En définissant le mal comme “privation d'être”, Augustin ne fait pas que réfuter la doctrine manichéenne qui parlait d'un “être du mal”, mais révèle en même temps que le mal ne peut être conçu en dehors du bien dont il est privation, solution qui va constituer un des fondements de la pensée occidentale. Privation d'être qui s'applique également au mal moral. Une “mauvaise volonté” est celle à laquelle il manque d'être pleinement ce qu'elle devrait être. Là encore, le mal ne peut exister en dehors du bien.

En somme, pour Augustin le mal n'est point substance, mais “la perversité d'une volonté” qui, se détournant de la “suprême sub-stance” (Dieu), “se tourne vers les choses inférieures” (Saint Augus-tin, 1962, VII, XVI, 22). Le mal moral consiste dans la perversion du libre arbitre1. Ce n'est donc pas une cause efficiente qui est à l'ori-gine du mal (et encore moins Dieu, cause positive), mais une cause déficiente. Le péché est par conséquent une déficience qui ne de-vrait pas être. “Seul n'est pas de toi ce qui n'est pas, ainsi que le mouvement d'une volonté qui s'écarte de toi qui "es" vers ce qui "est" moins, parce qu'un tel mouvement est faute et péché” (Saint Augustin, 1962, XII, XI, 11).

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Pour Augustin donc, penser “être”, c'est penser “intelligible”, penser “un”, penser “bien”. Surpassant le savoir et identifiée à l'être, cette exaltation de l'unité suscite à ses côtés la crainte de l'autre, identifié au mal.

... et l'autre

Multiples sont les visages littéraires de cet autre. Dans les Chansons de geste le païen que le “racisme religieux” de la chré-tienté médiévale fermée sur elle-même (cf. Le Goff, 1964, p. 217) condamne à avoir tort ou le félon, souvent identifié au païen - “felun païen” - mais plus dangereux quand il appartient à l'espace du même et, par trahison ou reniement, choisit de devenir “autre”. Dans le grand chant courtois l'autre prend le visage du lauzengier, cet “étranger” aux règles du monde courtois, non-personne exclue du discours qui procède du “je” et se projette vers un “vous” idéalisé. Dans le roman courtois enfin, notamment arthurien, dont l'univers, unifié autour du roi droiturier, se constitue en un “centre du monde”, espace idéal dans lequel une humanité d'élite a le plus de chances de s'accomplir, le mal vient du dehors, d'un monde étranger, souvent “autre”. Représentant une menace pour cet espace de perfection symbolisé par la Table Ronde, il sera repoussé à l'extérieur par la quête victorieuse du protagoniste. Là encore le mal s'identifie à l'au-tre.

Quels que soient donc les visages horribles, méprisés ou inquié-tants de l'autre, il y a toujours une nette délimitation entre le sai et le lai, entre l'espace un et ordonné du Même et celui multiple et chao-tique de l'Autre.

Toutefois certains indices, sans vraiment porter atteinte à cette ordonnance parfaite et à la séparation du bien et du mal, suggèrent que celles-ci peuvent être mises en question. Telle est, dans Le Chevalier de la Charrette, la dichotomie entre l'espace de l'ordre (cour d'Arthur) et le royaume de Gorre, “dont nus estranges ne re-torne” (cf. Chevalier…, p.641), ce qui en fait un espace de mort, mais où Lancelot passe une nuit d'amour avec Guenièvre, ce qui en fait un espace de joie. Ou encore l'opposition encore plus accusée entre la cour d'Arthur et le domaine de la fontaine dans Yvain, roman

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où, justement, la cour et ses valeurs déclenchent la crise qui menace de détruire le héros. Sans plus parler du Conte du Graal où les pré-rogatives de perfection traditionnellement assignées au monde ar-thurien sont transférées au château du Roi Pêcheur, qui devient le pôle sacré du monde, face à la cour d'Arthur devenue déjà ou en passe de devenir monde profane, siège des valeurs inauthentiques. Tous ces écarts font pressentir un fonctionnement différent de l'op-position Bien/Mal.

Pressentiment qui s'actualise et s'achève au début du XIIIe siècle. C'est cette nouvelle perspective sur l'autre et la perception dif-férente du rapport Bien/Mal que je me propose de cerner, en prenant comme point d'appui La Queste del Saint Graal et La Mort le Roi Artu. L'option pour ces deux textes n'entend nullement les isoler du cycle du Lancelot-Graal, dont l'unité de structure et d'esprit ne peut être mise en question2. Mais les deux racontent “l'achèvement” du monde arthurien dans deux sens: accomplissement (La Queste) et disparition (La Mort Artu).

Tradition

Il faudrait pourtant se garder de croire que les deux textes pro-posent exclusivement un point de vue “autre” sur la dialectique du bien et du mal. On y retrouve, certes, également une perspective “traditionnelle”. L'opposition jour/nuit, blanc/noir, beau/laid recoupe la dichotomie Bien/Mal. La nuit est le temps des êtres infernaux, des tentations (tentations de Perceval ou de Bohort), de la mort (rêves prémonitoires d'Arthur à la veille de la bataille de Salesbières). Le noir est la couleur du diable (les chevaux “plus noirs que mûre” de la Queste). La laideur figure la hideur du péché (épisode de la lépreuse toujours dans la Queste). La tempête, la fumée et la puanteur ac-compagnent les manifestations diaboliques dans le même roman: “si en voit issir une fumee et une flamme aprés, et en voit issir une fi-gure la plus hisdeuse qui fust en semblance d'ome” (Queste…, p.36) ; lors de sa deuxième tentation Perceval voit “tote la mer tan-tost pleinne de flambe, si merveilleusement qu'il sembloit que tuit li feu dou monde i fussent espris” (ibidem, p. 110). Dans le même ro-man, l'allégorie des deux Lois réunit tout un répertoire de représenta-tions traditionnelles: vieillesse et laideur opposées à jeunesse et

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beauté, le serpent contre le lion (ibidem, pp. 96-103). Représentation également traditionnelle du mal moral comme vice, auquel la Queste donne des visages particuliers, colère pour Lyonnel, orgueil pour Hestor et le “nouveau chevalier” Mélyant, et qu'elle surprend à sa ra-cine, le péché originel, dans la légende de l'Arbre de Vie: quand “Eve la pecheresse [...] ot pris conseil au mortel anemi, ce fu au deable, qui des lors comença a engignier l'humain lignage par dece-voir, et il tant l'ot enorte de pechié mortel [...], il li fist son desloial ta-lent mener à ce qu'il li fist coillir dou fruit mortel de l'arbre [...], si le menja a nostre paine et a la soie et a son grant destruiement et au nostre” (ibidem, p. 211). Perspective presque traditionnelle: ayant pour conséquence le passage de l'état spirituel à l'état charnel (“et virent qu'il estoient charnel et nu, qui devant ce n'estoient se chose esperitex non”, ibidem, p. 211), le fruit mortel rend la condition hu-maine perméable à la mort.

Distorsions

Cette perspective traditionnelle est pourtant brouillée par de multiples dysfonctionnements. Ainsi, dans la mentalité médiévale sous-tendue par une symbolique chrétienne, le blanc, la lumière sont assimilés à la divinité et à la grâce, alors que le noir et les ténèbres au mal et au démon. “Jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière, dans le Seigneur: conduisez-vous en enfants de lu-mière; car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vé-rité, [...], et ne prenez aucune part aux oeuvres stériles des ténèbres” (Eph 5, 8-9.11). La demoiselle tentatrice qui invite Perceval à “issir hors du soleil, que mal ne [li] face” (Queste, p. 108) l'invite en fait à sortir de la lumière de Dieu. Pourtant dans la vision-tentation de Bo-hort, autre est la senefiance du blanc et du noir: “par le noir oisel qui vos vint veoir doit len entendre Sainte Eglyse” et “par le blanc oisel qui avoit semblance de cisne doit len entendre l'anemi” (ibidem, p. 185). Rappelons en passant que la “tentatrice” de Bohort l'invite à s'asseoir sur un “blanc lit” avant de le requérir d'amour.

La Mort Artu offre elle aussi une distorsion de l'opposition tradi-tionnelle lumière/ténèbres. Si, avant d'arriver au château de Morgain la déloyale, le roi et ses compagnons s'égarent dans la forêt au coeur de la nuit noire, obscurité qui doit signaler le mal au lecteur

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avisé, la richesse de la demeure, “leu si bel et si delitable et si riche et si bien hebergié que il n'orent onques veü” (Mort Artu, p. 57) évoque le topos du locus amoenus. Quant à la “grant plenté de cierges dont li luminaires estoit si granz” (idem), elle n'est pas sans rappeler la “grant clarté” du château du Graal. Là signe révélateur de cette “tant sainte chose”, ici indice peut-être de la “lumière” que la ré-vélation de la fée doit produire dans l'esprit de son frère, lumière qui ne se fait justement pas. Après avoir vu “les letres des ymages qui devisoient les senefiances des portretures” (ibidem, p. 61), Arthur ne tient pas le fait pour vrai, mais pour hypothétique: “se la senefiance de ces letres est veraie [...], et se il est veritez einsi com ceste escri-ture le tesmoigne, ce est la chose qui me metra au greigneur duel que ge onques eüsse” (idem, - c'est moi qui souligne). On retrouve le même dysfonctionnement à la fin du roman. Après l'affrontement meurtrier de Salesbières, le roi passe la nuit entière en prières et oraisons et le lendemain matin tue Lucan, l'échanson, sans s'en rendre compte, “par malchance”. La nuit est devenue donc temps de prière et le jour temps du “péché”, contredisant une fois de plus la perspective chrétienne traditionnelle3.

Valeurs “autres”

Les exemples ci-dessus confirment la remarque déjà ancienne d'Albert Pauphilet: “dès le début du récit et en toute occasion”, la Queste opère “un renversement des valeurs, un bouleversement du monde romanesque” (Pauphilet, 1921, p.17). Le texte utilise des mo-tifs traditionnels mais leur surimpose un sens nouveau, sans éliminer complètement le sens originel, ce qui interdit une lecture littérale. Si les diverses aventures et la glose qui les explicite illustrent, sous di-verses formes figurées, l'éternel combat entre le Bien et le Mal4, il n'est plus toujours possible à l'homme de (bien) choisir. L'épisode de Mélyant reprend l'antique allégorie des deux voies, celle de droite étant la voie de Dieu et celle de gauche, la voie de l'Autre. Aveuglé par l'orgueil, Mélyant choisit mal. Mais de la façon dont l'inscription est formulée, il faut se demander si l'on pouvait vraiment choisir, car les deux voies annoncent un danger également grand. On pourrait même dire que celle de gauche ménage toutefois une possibilité de

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sortie à condition d'être prud'homme, alors que celui qui emprunterait la voie à droite “tost i porra perir” (Queste, p. 41).

Même mise en question des repères connus dans la Mort Artu, avec peut-être un surplus d'ambiguïté. En reprenant des motifs tradi-tionnels, le roman ne réhabilite nullement l'idéal courtois, système de valeurs auquel il semble se rapporter. Il “peint plutôt la mort de cet idéal et son évanouissement ou son élévation dans la pénitence, le renoncement à la fois résigné et joyeux au siècle” (Frappier, 1961, p.228). Par ailleurs aucun des motifs traditionnels ne fonctionne conformément à l'horizon d'attente du public des romans arthuriens. L'incognito du héros, source de rebondissement de l'action, pro-voque ici la blessure de Lancelot, son inactivité et la “douloureuse méprise” de la Demoiselle d'Escalot. L'errance dans la forêt, qui de-puis Érec et Énide mène à l'aventure, conduit Arthur à la fatale dé-couverte de la Salle aux Images. L'arrivée de la nef qui conduit à l'amour (Tristan, Guigemar) signifie ici la mort par amour (épisode de la Demoiselle d'Escalot). Si l'aventure advient encore quand il en est besoin, à la fois hasard et destin, elle n'ouvre plus sur un a-venir, mais se tourne vers le passé qu'elle invite à relire autrement (cf. Baumgartner,1994, p.11).

La perception autre du bien et surtout du mal est donc une constante dans les deux textes. Avant de s'interroger sur la raison d'être de ce dysfonctionnement qui produit un brouillage dans le sys-tème de valeurs traditionnelles, arrêtons-nous à quelques exemples qui ont une fonction structurante du modèle narratif arthurien.

Amour

L'amour courtois, cette “precieuse chose et sainte” (Le Cheva-lier…, v. 6046), source de toute valeur selon l'éthique courtoise, est systématiquement dévalorisé5. Ainsi, d'entrée de jeu la Queste jette l'interdit sur l'amour: “que nus en ceste Queste ne maint dame ne damoisele qu'il ne chiee en pechié mortel” (Queste, p. 19). C'est le “pechié de la reïne” qui écarte Lancelot de la quête du Graal et le soumet aux humiliations, depuis les paroles de la messagère du Graal, aux injures adressées par un valet et enfin à la condamnation prononcée par la voix mystérieuse dans la chapelle du Graal: “Lan-celot, plus durs que pierre, plus amers que fuz, plus nus et plus des-

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pris que figuiers ... va t'en de ci, car li lieux est ja toz empuentez de ton repere” (ibidem, p. 61). Ce que Lancelot croyait être un bien se révèle en fait être un mal qui le prive à jamais du Bien. Il faut mettre en parallèle l'émouvante confession du héros qui, plutôt que d'accu-ser le péché, l'exalte: “Sire, fet Lancelot, il est einsi que je sui morz de pechié d'une moie dame que je ai amee toute ma vie, et ce est la reine Guenievre, la fame le roi Artus. Ce est cele qui a plenté m'a doné l'or et l'argent et les riches dons que je ai aucune foiz donez as povres chevaliers. Ce est cele qui m'a mis ou grant boban et en la grant hautece ou je sui. Ce est cele por qui amor j'ai faites les granz proeces dont toz li mondes parole. Ce est cele qui m'a fet venir de povreté en richece et de mesaise a toutes les terriannes beneurtez” (ibidem, p. 66), et la senefiance exacte de l'acte dévoilée par l'er-mite: “Chetis! bien estes enfantosmez par cele qui ne vos aime ne ne prise se petit non” (ibidem, p. 118). Opposition qui rappelle la scène de l'Agravain où Guenièvre dit à Lancelot son remords de lui avoir fait manquer la plus haute aventure, scène qui met en pré-sence les deux valeurs essentielles qui éclairent le cycle, les deux mystiques qui s'y affrontent.

La femme est constamment dévalorisée dans la Queste: elle est la tentatrice par excellence, l'Ève éternelle, l'autre.Par ses ruses et “engiens” elle “deçoit” l'homme, fût-il le plus puissant et le plus sage. C'est la reine qui entraîne Lancelot dans l'engrenage du péché et l'y enchaîne, selon un mécanisme que saint Augustin n'aurait pas désa-voué. Le mal entre d'abord en Guenièvre, qui ne s'était pas bien confessée avant son mariage, et la pousse à regarder Lancelot avec plaisir: “Quant tu veis qu'ele te resgarda, si i pensas; et maintenant te feri li anemis d'un de ses darz6 a descovert, si durement qu'il te fist chanceler. Chanceler te fist, si qu'il te fist guenchir fors de droite voie et entrer en cele que tu n'avoies onques coneue: ce fu en la voie de luxure, ce fu en la voie qui gaste cors et ame [...]. Des lors te toli li anemis la veue. Car si tost come tu eus tes eulz eschaufez de l'ardor de luxure, maintenant enchaças humilité et atresis orgueil [...], et deis en ton cuer que tu ne devoies riens prisier ne ne priseroies ja mes, se tu n'avoies ta volenté de cele que tu veoies si bele. Quant li anemis [...] conut que tu pechoies mortelment en pensee et en vo-lenté, si entra lors dedenz toi, et en fist aler celui que tu avoies si longuement ostelé” (Queste, p. 125-126). “Volonté qui se pervertit dans un premier acte coupable, plaisir qui résulte d'une première

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jouissance et qui est aussi appétit d'un nouveau péché [...], tels sont les anneaux de la chaîne du péché” (Solignac, 1962,p.179).

La femme est donc complice ordinaire de l'Ennemi, elle-même diabolique, mauvais esprit qu'un signe de croix fait disparaître dans le fracas et la fumée. Elle joue sur la naïveté d'un Perceval à qui elle offre d'abord le cheval dont il a tant besoin. Sous un autre visage, se fait passer pour deshéritée, arrache d'abord à l'ingénu une pro-messe, puis entreprend de le séduire. Ses diverses apparences ne sont que les visages multiples du démon, poussant vers le mal aux formes innombrables. La tentation à laquelle est soumis Bohort est encore plus subtile, car la femme-démon fait appel à sa pitié: s'il n'accepte pas de devenir son ami, il la verra mourir sous ses yeux ainsi que ses douze compagnes. Bien qu'ému de pitié, Bohort “ne-porquant n'est pas conseilliez qu'il ne veuille mielz qu'eles toutes perdent lor ames que il seuls perdist la soe” (Queste, p. 181).

Si le signe de la croix dissipe l'enchantement de cette fausse mort, la Demoiselle d'Escalot mourra bel et bien d'amour. Mort due à la fidélité rigoureuse au code de l'amour courtois autant qu'à la “mescheance”, mais due avant tout, il me semble, au dysfonctionne-ment du langage qui ne communique plus la pensée, mais la trahit. L'ambiguïté affecte cette relation dès le début: don contraignant qui conduit au port de la manche et qui induit Gauvain, Arthur et enfin Guenièvre à une “fausse croyance” sur les sentiments de Lancelot. “Fragments de réalité”, qui, ajustés par chacun des interprétants, conduisent à une contre-vérité jusqu'au moment où la nef funèbre et la lettre qui accompagne le corps dissipent la fausse croyance (cf. Andreux-Reix, 1994). Ambiguïté que traduit l'accusation portée cont-re Lancelot: “ge sui morte por le plus preudome del monde et por le plus vilain: ce est Lancelos del Lac” (Queste, p. 89 - c'est moi qui souligne).

Si l'observation trop stricte du code courtois mène à la mort dans le cas de la Demoiselle d'Escalot, sa transgression a le même effet. C'est pour s'être précipitée “toute desvee” sur la bière qui ren-ferme le corps de Gauvain que la dame de Béloé se fait tuer par son mari jaloux. Épisode secondaire qui fonctionne comme une mise en abyme de l'amour de Lancelot et de Guenièvre et de la mort qu'il en-traîne. À première vue, on peut être étonné que Lancelot le repenti, qui avait choisi un “novel estre” qui lui plaisait “cent tanz plus que li autres ne fist onques” (Queste, p. 128), ce qui lui avait valu la faveur

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insigne d'entrevoir le Graal, aussitôt de retour à la cour “fu autresi espris et alumez come il avoit onques esté plus nul jor, si qu'il ren-cheï el peché de la reïne autresi come il avoit fet autrefoiz” (Mort…, p. 3). On serait tenté de voir là une rupture éclatante avec l'esprit de la Queste qui faisait de la virginité la vertu suprême et de la luxure le plus grand vice. Contradiction seulement en apparence. Car dans cet amour coupable s'origine la catastrophe finale.

Amour coupable en tant qu'adultère mais surtout en tant que “force d'amour”, amour-folie qui ne respecte plus normes et contraintes et tout d'abord la loi du “bien celar”. “Et se il avoit devant meintenu celui pechié si sagement et si couvertement que nus ne s'en estoit aperceüz, si le meintint aprés si folement que Agravains [...] s'en aperçut” (Mort…,p. 3). Imprudence redoublée après la mort de la Demoiselle d'Escalot: “et se demenerent si folement que li plu-seur de leanz le sorent veraiement, et messire Gauvains meïsmes le sot tout apertement” (ibidem, p. 107), qui entraîne la dénonciation du “lauzengier” Agravain et précipite les événements. On ne peut s'em-pêcher de se demander ce qu'il serait advenu si les formes de la dis-crétion avaient été respectées. D'autre part et paradoxalement, c'est justement cette folie d'amour qui disculpe les amants aux yeux d'Ar-thur, qui se refuse d'exprimer la réalité de la trahison autrement que sous forme hypothétique: “se il onques le pensa, force d'amors li fist fere, encontre qui sens ne reson ne puet avoir duree” (ibidem, p. 5)7.

La Queste comme la Mort Artu dénoncent cet “amour parfait” qui a sa fin en lui-même justement parce qu'il se donne pour propre fin. Sa mystique n'est qu'une fausse mystique, une “folie”. Amour qui connaît toutefois une réhabilitation au moment où il est capable de se dépasser, de se renoncer, de s'ouvrir à l'autre. Acceptant de rendre Guenièvre par souci de son honneur à elle, en se séparant d'elle à jamais, geste que traduit poétiquement le don de l'écu à l'église Saint-Étienne de Camaalot, où il avait reçu l'ordre de cheva-lerie, Lancelot atteint à nouveau la grandeur du “meilleur chevalier del mont”. Sans devenir pour autant une “vertu”, cet amour n'est plus “péché”. Si l'on veut trouver une figure de l'amour-vertu, c'est vers la Queste qu'il faut se tourner: c'est la soeur de Perceval qui donne sa vie “par amour”, pour guérir la reine lépreuse. Son corps placé sur une nacelle, accompagné d'un “bref” explicatif, anticipe, mais en sens inverse, l'épisode de la Demoiselle d'Escalot. Deux visages de l'amour, amour de soi ou concupiscentia et amour de l'autre, caritas.

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Ces deux conceptions de l'amour sont constamment mises en pré-sence, avec des accents différents, tout au long de la trilogie du Lan-celot-Graal.

Prouesse

Autre devient aussi la prouesse, insuffisante pour conquérir le Graal ou pour conjurer la catastrophe. Dans la Queste, les pratiques chevaleresques traditionnelles ne sont plus d'aucune utilité. “Les plus preux naguère, Lancelot, Perceval, Gauvain, les plus confiants en leur force neuve, tel Mélyant, sont dès l'entrée dans la forêt désarçonnés d'un coup de lance, dépouillés de leur cheval et de leurs armes, gravement blessés, insultés et humiliés par des infé-rieurs, instruits de leur irrémédiable mescheance par des ermites” (Baumgartner, 1981, p.57). Si, dans la personne de Lancelot, la Queste met en question l'idéal humain du fin'amant, par Gauvain elle condamne l'idéal chevaleresque de prouesse. Parangon des vertus chevaleresques dans les premiers romans de Chrétien de Troyes8, hardi, courageux, généreux, bon vassal mais étranger à Dieu, Gau-vain est incapable de rencontrer “l'aventure”. Sa prouesse tourne au meurtre. Il tue d'entrée de jeu plus de dix chevaliers, frappe à mort son ami Yvain ou le sage roi Baudemagu. Cette allégresse à lever la vie des autres fait de lui le repoussoir de l'élu Galaad qui se défend, désarçonne, frappe au besoin mais sans jamais donner la mort9. En tuant les sept chevaliers maîtres du château des Pucelles auxquels Galaad avait laissé la vie sauve (allégorie assez transparente des sept péchés capitaux), Gauvain prouve qu'il n'est pas dans les voies de Dieu, car il ne leur a pas laissé la possibilité de s'amender. En lui prêtant les traits d'un meurtrier et en l'écartant définitivement de la quête du Graal, l'auteur de la Queste veut prouver une fois de plus que la grandeur selon le siècle est néant selon Dieu. Car “ les aven-tures qui ore avienent sont les senefiances et les demostrances dou Saint Graal” (Queste, pp. 160-161); ces aventures ne sont pas “d'omes tuer ne de chevaliers ocirre; ainz sont des choses esperitex” (ibidem, p. 161). Il ne s'agit plus de “faire”, mais de voir, de contem-pler, de savoir.

Cette violence de Gauvain que lui-même appelle malchance au début de la Mort Artu (“je vos di por voir que g'en ai ocis par ma

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main dis et uit, non pas pour ce que ge fusses mieudres chevaliers que nus autres, mes la mescheance se torna plus vers moi que vers nul de mes compaignons” – Mort Artu, p.2) se transforme à la fin en “outrance” et constitue une des causes de la destruction du monde arthurien10 .

D'ailleurs, plus que dans la Queste, la prouesse prend dans la Mort Artu un autre visage. Elle apparaît d'abord sous sa forme gra-tuite, le tournoi, affectée déjà de dysfonctionnements majeurs (elle n'est plus occasion de fête mais d'imbroglio, plus source de gaité mais de déplaisir, plutôt sujet de conversation que d'action), pour disparaître dans la seconde moitié du livre et laisser la place aux vrais combats, à la guerre meurtrière. Mais est-ce une “vraie” guerre? Si le duel judiciaire entre Lancelot et Mador établit, contre les apparences, l'innocence de la reine en instituant la distinction entre le fait et l'intention, les autres grands combats opposent le plus brave et loyal des chevaliers à “l'ome del monde qu'il avoit plus amé” (Mort Artu, p. 140) devenu “son ennemi mortel”, les deux meilleurs amis et compagnons, Lancelot et Gauvain, et enfin, dans la plaine de Salesbières, le vassal à son suzerain, le père au fils: “einsi ocist li peres le fill, et li filz navra le pere a mort” (ibidem ,p. 245).

Étant elle même valeur, la prouesse est traditionnellement signe et garantie d'une autre valeur, la loyauté. C'est la prouesse incompa-rable de Lancelot qui empêche Arthur de croire à sa trahison “car en cuer ou il a si grant proesce ne se porroie enbatre traïsons” (ibidem, p. 30). Or, dans le cas de Lancelot, la trahison s'accompagne non seulement de prouesse, mais d'une réelle grandeur d'âme. Arthur lui-même le constate avec amertume: “Dex, quel douleur et quel do-mage quant en si preudome se heberja onques traïson!” (ibidem, p. 111).

Fonction royale

Privée de ses deux colonnes, l'amour et la prouesse, désertée du Graal qui est grâce, la cour d'Arthur n'a plus de raison d'exister. Incapable désormais de modeler l'espace autre selon ses propres normes, elle n'est plus le centre exemplaire “où se scelle et se fina-lise un destin héroïque” (Baumgartner, 1981, p.72), mais elle est de-venue regio dissimilitudinis11, statut qu'elle va garder et accentuer

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dans la Mort Artu. La quête se joue désormais dans un espace autre, à l'autre bout du monde, et la cour arthurienne se laisse contaminer par des valeurs autres (plutôt des non-valeurs), en devenant un lieu de mort. Espace des rivalités et des intrigues, pour Agravain, le lau-zengier, content de surprendre le secret des amants “plus par le do-mage que il cuida que Lancelot en eüst que por le roi vengier de sa honte” (Mort Artu, p. 4), espace de la haine, dans le cas d'Avarlan le déloyal, qui “haoit monseigneur Gauvain de mort” (ibidem, p. 76), et qui pour toucher son but met en jeu la vie de la reine et la stabilité du royaume. Espace de la faute, enfin, parce que les folles amours de Lancelot et de Guenièvre constituent à la fois une faute contre la courtoisie par le manque de discrétion et contre le roi qu'elles désho-norent. Espace surtout de la faute du roi, car les erreurs d'Arthur s'enchaînent en un crescendo inéluctable et entraînent l'effondre-ment du royaume. Arthur ne se conduit plus en roi, mais en simple baron, se comportant comme si Gauvain était le chef du lignage, et s'enfermant dans la vengeance privée de celui-ci. Mais sa faute capi-tale est de confier à Mordret le royaume, la reine et les clefs du tré-sor. Faute ambigüe toutefois, telle la personnalité de Mordret. Car si le personnage apparaît comme maléfique dans le Lancelot, plus pré-cisément dans l'Agravain, prédétermination dont hérite La Mort Artu, à examiner attentivement la personnalité de Mordret, on n'y trouve de disqualifiant que la condition de sa conception. L'inceste, avatar du péché originel, qui préside à sa naissance ne peut être, selon la mentalité médiévale, que porteur de ruine et de destruction. C'est ce qui est clairement symbolisé par le combat symbolique au Palais Aventureux auquel assistent Gauvain et Bohort12 de même que par la sonorité de son nom. La Mort Artu fait sienne cette perspective né-gative de Mordret, en lui associant pourtant des valences positives. Au moment où le traître a rédigé le bref annonçant la fausse nou-velle de la mort d'Arthur, les barons le désignent comme roi et époux de Guenièvre, ce qui prolongerait l'inceste en le faisant rejaillir sur la femme du père. Ce choix est motivé par deux raisons: “l'une, por ce que li rois Artus les en avoit proiés; l'autre, por ce qu'il ne veoient en-tr'ex home qui si bien fust digne de tele enneur comme il estoit” (Mort Artu, p. 173). Raisons qui seront reprises et précisées dans les insistances auprès de Guenièvre, afin qu'elle l'accepte pour époux. Il est tout aussi vrai que Mordret fait preuve de qualités “politiques”: aussitôt après le départ du roi, son “neveu”, désormais maître du tré-

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sor, “si manda a soi touz les hauz barons del païs et commença a tenir les granz corz et a doner les granz dons souvent et menu, tant qu'il conquist les cuers de touz les hauz hommes qui remés estoient en la terre le roi Artu, si enterinement qu'il ne pooit riens commander el païs qui ne fu autresi fete comme se li rois Artus i fust” (ibidem, p. 171). Mordret distorsionne donc la fonction de la largesse, préroga-tive proprement royale: l'usurpation en devient ainsi légitimée. Le texte l'investit donc de qualités réelles et cette coexistence dans un même personnage du bien et du mal est déroutante.

L'outrage opposé à la mesure, l'honneur qui exige pour se satis-faire les violences de la guerre privée, la largesse utilisée par Mor-dret à acheter la fidélité des barons, c'est le dérèglement de tout le système féodal et la preuve que “les meilleures institutions de-viennent nuisibles dès qu'elles sont manipulées par une volonté mauvaise” (Boutet, 1994, p.55). L'aveuglement même du vieux roi, la négligence des prophéties, la mauvaise perception de la réalité, la conviction - contre toute évidence - d'avoir le droit pour lui (“ceste perte ne m'est pas avenue par la justice Damledieu, mes par l'or-gueill Lancelot” – Mort Artu, p. 133), l'incapacité de comprendre qu'il est privé de la présence de Dieu, ce qui voue toutes ses initiatives à l'échec, ne viennent pas seulement de son entêtement. La logique d'Arthur rencontre ici, ainsi que le remarque D. Boutet, “celle de la perversion des valeurs féodalo-chrétiennes, du système dans son ensemble, perversion qui empêche de concevoir l'avenir du royaume comme l'accomplissement augustinien des temps [...], l'avènement progressif de la Cité céleste” (Boutet, 1994, p.59).

Perversion des valeurs qui transforme la société arthurienne en monde “autre”. Perversion due au péché, présent dès les premières pages, qu'il s'agisse de la “luxure” de Lancelot et de Guenièvre, de l'outrage de Gauvain et surtout du “péché” du roi, l'inceste tout d'abord, péché ineffaçable qui lui vaut de ne plus être entendu par Dieu.

Responsabilité ou destin?

Ce qui nous amène à nous interroger sur le problème du mal: s'agit-il de responsabilité humaine ou de destin? La critique a sou-vent opposé la Queste, roman de la grâce13, à la Mort Artu, roman

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de la fatalité et du destin, ce qui, selon Jean Frappier, la rapproche de la tragédie grecque.

Pourtant, contrairement à ce qu'affirmait A. Pauphilet14, il y a ici, sinon une prédestination, du moins une prédétermination des héros et des aventures. Telles sont, dès le début du texte, les épreuves ré-servées au meilleur chevalier (l'épée fichée dans le perron de marbre, le Siège Périlleux, l'écu que nul ne peut décrocher sans qu'il lui arrive malheur), épreuves qui traduisent une certaine élection en même temps que la confirmation du statut de “meilleur chevalier”. Toutefois, la destinée de Galaad n'est pas tracée d'avance. S'il réus-sit toujours et partout, c'est que ses qualités s'exercent conformé-ment au bien “debitum naturae”, impliqué dans la condition native de la chose.

D'autre part, il serait difficile d'éviter pour la Mort Artu l'emploi du mot fatalité. Pour reprendre les termes de J. Frappier, “on croit en-tendre à travers tout le roman la marche sourde et continue du Des-tin qui mène à la catastrophe inéluctable tout un lot de victimes prises dans l'engrenage des passions et des événements” (Frappier, 1961, p.264), toute-puissance traduite poétiquement par le thème de la Fortune. C'est Fortune qui permet que le brave Yvain soit tué par le scélérat Mordret: “ce sont li geu de Fortune” constate Sagremor – Mort Artu, p. 243; c'est à Fortune que s'en prend Arthur: “Tu me fus jadis mere, or m'ies tu devenue marrastre, et por fere moi de deul morir as apelee avec toi la Mort” (ibidem, p. 221); c'est Fortune qui élève et précipite “felenessement”, comme dans le rêve allégorique et prémonitoire d'Arthur (ibidem, p. 227). Pourtant Arthur accuse à tort Fortune. Seule l'erreur humaine est en jeu. Les personnages ne sont jamais contraints de lutter contre des éléments étrangers à eux-mêmes. Ils commandent à leurs actes et ont toujours la possibilité d'agir/choisir. Il est vrai que le roi semble paralysé comme s'il était victime d'une geis: “Sire”, répond-il à l'archevêque qui l'implore de re-noncer à la bataille, “merveilles me dites qui me deffendez a fere ce dont ge ne me puis retorner” (idem). Mais plutôt que d'être privé de volonté, Arthur agit avec une volonté déficiente. Confronté systémati-quement à deux alternatives, l'une centrée sur la réalité, l'autre sur l'illusion, Arthur choisit toujours la dernière. D'autre part -et c'est là une vérité tragique, ainsi que Donald Mc Rae l'a relevé (cf. Mc Rae, 1982) - quoi qu'il fasse, il va perdre: s'il ne se venge pas, son autorité et son honneur s'en trouvent dégradés; s'il agit contre Lancelot, il va

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précipiter la destruction de la Table Ronde, dont il s'efforce, par tous les moyens, de préserver la gloire.

Fortune n'édicte rien en fin de compte. C'est l'erreur humaine qui permet au destin d'exercer toute sa rigueur et les personnages n'ont pas à affronter une fatalité implacable, mais n'ont à lutter que contre eux-mêmes. Fortune ne règne que sur les royaumes de ce monde, les âmes ne sont pas en son pouvoir. Aidées par la grâce, elles peuvent travailler à leur salut. Plutôt que moyen poétique de “se décharger de la responsabilité des événements et d'en déchar-ger également Dieu” (Boutet, 1994, 65), la Fortune signifie la bonne ou mauvaise volonté de l'homme. La liberté humaine est sauvegar-dée car Dieu n'est pas responsable de la différence entre l'action im-parfaite, mue par une volonté déficiente, et l'action parfaite qui aurait pu et dû avoir lieu.

Autre ou même?

En opposant “l'individualisme poussé à l'extrême” de la Queste (Pauphilet, 1965, 53) et son figuralisme à la complexité des carac-tères dans la Mort Artu, Alfred Adler, dans un article désormais clas-sique (cf. Adler, 1950), a cru pouvoir établir l'appartenance des deux textes à deux courants de pensée. Alors que la Queste reflète un “fi-guralisme” dérivé de l'augustinisme néoplatonicien, la Mort Artu “s'accorde avec la conception aristotélicienne d'un "pluralisme" en vertu duquel chaque être, bien que créé par Dieu, possède son exis-tence propre, sa qualité distincte” (Frappier, 1964, P. XXVIII), plurali-té qui produit dans chaque individu une complexité du bien et du mal.

Pourtant, à y regarder de plus près, l'opposition entre les deux n'est pas aussi tranchante. Loin d'être tout simplement noir et blanc, le monde de la Queste est celui de la mouvance et de la métamor-phose. Le démon apparaît sous son visage propre (Queste, p. 36; p. 119) mais s'incarne aussi en femme désirable (ibidem, p. 181), en demoiselle deshéritée (ibidem, p. 107), en religieux qui interprète à rebours des événements dont le sens était pourtant évident (ibidem, pp. 177-179). Si le plus souvent l'autre prend le visage du même (tentations de Perceval et de Bohort), le même parfois apparaît “autre”, comme dans le cas de Lancelot qui, vaincu dans le tournoi

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symbolique, attribue sa défaite à son péché, la rapproche de son échec devant le Graal, pensant que “ses pechiez et sa male aven-ture li a tolue la veue des eulz et le pooir dou cors” (ibidem, p. 141), alors que, justement, il a été “vaincu” par le Bien.

L'accent mis sur la possibilité de s'amender, sur l'importance de la confession et de la pénitence, l'insistance sur la miséricorde de Dieu qui surpasse infiniment la misère de l'homme, l'affirmation nette de la responsabilité personnelle et individuelle devant le péché (“li filz ne partira ja as iniquitez au pere, ne li peres ne partira ja as ini-quitez au filz; mes chascuns selonc ce qu'il avra deservi recevra loier” – ibidem, p. 138) donnent à la Queste une dimension “opti-miste”, plus proche de l'aristotélisme que de l'augustinisme.

Par contre, la conception pessimiste de l'histoire dans La Mort Artu, le sentiment aigu du péché, l'affirmation de la nécessité abso-lue de la grâce sans laquelle il n'est pas de salut, la distinction entre, d'une part, l'obscurité de ce qui n'est pas encore complètement for-mé (épisodes du fruit empoisonné, du meurtre de Gaheriet, de la De-moiselle d'Escalot, où le mal semble arriver “par hasard”) et, d'autre part, les ténèbres d'une volonté qui choisit de se détourner de Dieu (trahison de Mordret, “outrage” de Gauvain, aveuglement-entête-ment d'Arthur) sont augustiniens.

Si les deux textes ont chacun une dominante: roman de l'antici-pation de la catastrophe, pour La Mort Artu et roman de la rétros-pection pour La Queste, les deux sont un témoin, littéraire, certes, mais non moins précieux pour autant, d'une mutation qui se produit dans les mentalités au début du XIIIe siècle. Mutation due très pro-bablement à la pénétration des idées aristotéliciennes dans les mi-lieux intellectuels et dans les universités.

Il faut retenir toutefois que, pour ce qui est de la conception du mal, les deux perspectives ne sont pas irréductibles. Le mal n'est plus seulement privation, comme pour saint Augustin, et surtout pas volonté de négation, acte positif, mais absence de ce qui aurait pu et dû être, absence d'un bien. Tel il apparaît dans les paroles de “la messagère du destin“ à la fin de la Mort Artu: “Saches veraiement que c'est grant folie et que tu crois fol conseil; car ja de ceste em-prise que tu as comenciee n'avras honor, car tu ne la prendras ja [la cité de Gaunes], ains t'en partiras sans ce que tu n'i avras riens fait” (Mort Artu, p. 168 - c'est moi qui souligne).

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Étant privation, le mal n'a d'existence que dans un sujet bon. Ou comme le dira saint Thomas à la fin de ce XIIIe siècle, “le nom de mal signifie une certaine absence de bonté” ( De Malo, in Sentis, 1992, q. 148). Or les formes du mal dans les deux textes sont en fait des biens déformés, des “distorsions” du bien. Choisir un bien moindre au lieu du plus grand bien15, comme dans le cas de Lance-lot qui choisit l'amour de la reine ou dans celui de Gauvain qui pousse l'honneur jusqu'à la démesure, adhérer à son bien propre comme à sa fin ultime, en oubliant que la créature ne peut être à elle-même son propre bien, ce qui explique que la prouesse tradi-tionnelle devienne inopérante ou qu'elle soit même sanctionnée car elle atteste la confiance en soi plutôt qu'en Dieu16, agir avec une vo-lonté déficiente, comme le fait Arthur, ce sont les visages “autres” du mal que nous avons décelés et qui se rapportent tous au Bien comme à leur sujet.

La Queste ainsi que La Mort Artu témoignent donc d'une conception non plus statique, mais dynamique de l'être. Etre com-plexe, dans lequel coexistent le bien et le mal, dont le désir porte non seulement sur ce qu'il n'a pas, mais sur l'être même.

Le liberum arbitrium augustinien rencontre la proiaresis aristoté-licienne17. La volonté n'a plus seulement la capacité de s'attacher au bien ou de s'en détourner. Elle peut aussi délibérer au sujet des moyens en vue d'une fin, délibération impliquant le pouvoir de l'homme d'agir ou de ne pas agir.

C'est cette nouvelle perspective d'une autonomie de la morale, du libre agir dans le monde d'un être qui prend sa source en Dieu, mais existe déjà de façon intrinsèque, que traduisent, à mon avis, La Queste del Saint Graal et La Mort Artu. Dans un sens, les deux sur-prennent le moment délicat où le plateau de la balance commence à s'incliner vers la modernité.

L'unité de l'Un s'efface au profit de la multiplicité de l'autre. Autre dont le visage n'est plus terrifiant, mais inquiétant, fascinant, différent et ressemblant à la fois, mystère. Autre qu'on ne peut posséder, connaître, saisir et dont le nom est l'Avenir.

N o t e s :

1. Substituer à la question unde malum, dépourvue désormais de sens onto-logique, la question unde malum faciamus, c'est faire basculer le problème

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du mal dans la sphère de la volonté, du libre arbitre. Dieu se trouve ainsi « déchargé » de la responsabilité du mal car, donnée par Dieu et condition de la vie droite, la volonté est en elle même un bien. En la créant, Dieu lui a donné la capacité de s'attacher au souverain bien ou de s'en détourner. Elle pouvait se détacher de Dieu, elle ne le devait pas.2. “La Queste ne fait que porter au plus haut point ce qui était suggéré et plus d'une fois proclamé [...] dans le Lancelot. La Mort Artu ne contredit pas à ces options” affirmait Al. Micha (Micha, 1987, p.170). Jean Frappier avait exprimé la même opinion: “L'amour de Lancelot et de Guenièvre, source de prouesse dans le Lancelot, cause de déchéance dans la Queste, est le res-sort de la catastrophe dans La Mort Artu. L'unité de structure est incontes-table” (Frappier, 1978, p. 584).3. “Mais vous, frères, vous n'êtes pas dans les ténèbres [...]: tous vous êtes des fils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit, des ténèbres. Alors ne nous endormons pas, comme font les autres, mais res-tons éveillés et sobres. Ceux qui dorment dorment la nuit, ceux qui s'en-ivrent s'enivrent la nuit. Nous au contraire, nous qui sommes du jour, soyons sobres; revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l'es-pérance du salut” (1 Thes 5, 4-8). 4. Voir l'allégorie des deux Lois, pp. 96-103.5. Certes, il faut soigneusement distinguer fiction et histoire des mentalités, car la condamnation de l'amour et la dévalorisation de la femme sont au Moyen Âge une constante du discours « officiel ». La mise en question doit être évaluée par rapport à d'autres textes de fiction qui font de l'amour la va-leur suprême et la condition de toute valeur et de la femme la source et la dispensatrice de cette valeur. D'autre part, il ne faut pas non plus oublier que le texte de fiction reflète par de multiples médiations (topoï de l'imaginaire collectif, clichés de pensée et d'expression) les mentalités d'une époque, mais aussi ses fantasmes.6. À remarquer que l'image traditionnelle du dard d'amour change ici de sens: ce n'est plus l'amour qui frappe, c'est l'Ennemi. 7. De même est étonnante la complaisance de Bohort, l'un des trois élus de la Queste, pour l'amour de Lancelot. Plaidant auprès de la reine la cause de son cousin qu'il admire plus que nul autre, Bohort combine dans son dis-cours deux éthiques: une éthique cléricale qui développe le topos de la per-versité des femmes et une éthique courtoise qui fait de la femme la source de toutes les vertus de l'homme: “car vos feroiz perir el cors d'un seul che-valier toutes bones graces por quoi hom puet monter en honneur terrienne [...], ce est biautez et proesce, hardemenz et chevalerie, gentillesce” (p. 71).8. Le modèle humain proposé par Gauvain est pourtant mis en question dans Lancelot et surtout dans Perceval.9. À une exception près: le château de Carcelois. Mais là encore un prêtre « vestuz de robe blanche » a tôt fait d'apaiser les scrupules des élus. Leur

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action fut « la meillor oevre que chevaliers feissent onques mes », car les trois frères maîtres du château étaient « poior que Sarrazin » (p. 231) puis-qu'ils s'étaient rendus coupables de luxure vis-à-vis de leur soeur. Ce qui semblait un mal est au fond un bien.10. Paradoxalement pourtant, ce pécheur endurci et démesuré sera en fin de compte sauvé. Non par la prouesse, mais par l'intercession de tout un peuple de pauvres envers lesquels il a fait preuve de générosité.11. Décadence traduite encore par le nouveau statut de l'aventure. Quel que soit leur contenu, elles sont toutes mises sur le même plan. Il n'y a plus de progression, plus d'enchaînement vers un but. Les aventures et leur glose, la semblance et la senefiance sont là pour être déchiffrées, pour faire sens, alors que le Sens s'inscrit déjà dans le creux d'une absence.12. Un serpent, explicitement désigné comme le roi Arthur, se bat contre un léopard, figure de Lancelot. Après que les adversaires se séparent, le ser-pent va engendrer une centaine de serpenteaux qui se jettent sur lui, an-nonce métaphorique du grand combat final d'Arthur et de son fils incestueux.13. “Le Graal [...] n'est donc manifestement autre chose que la grâce du Saint-Esprit“, Gilson, 1955, p. 62.14. On ne trouve dans la Queste « rien qui ressemble à la prédestination », Pauphilet, 1921, p. 31.15. Idée chère aussi à saint Augustin. Voir, entre autres, Confessions, VII, XVI, 22.16. Au château du Graal, une main enflammée frappe Lancelot qui pensait se servir de son épée et une voix lui dit: « Ha! hons de povre foi et de mau-vese creance, por quoi te fies tu plus en ta main que en ton Criator » Molt es chetis, qui ne cuides mie que cil en qui servise tu t'es mis ne puisse plus va-loir que tes armes ! (Queste, p. 253).17. Les deux vont s'articuler de façon géniale à la fin du siècle dans la pensée de saint Thomas d'Aquin.

T e x t e s d e r é f é r e n c e

Saint Augustin, Confessiones - Les Confessions, édités par M. Skutella, in-troduction et notes par A. Solignac, traduction de E. Trehorel et G. Bouissou, Bibliothèque augustinienne, vol. 13-14, Desclée de Brouwer, 1962.

Les romans de Chrétien de Troyes, édités d'après la copie de Guiot, III, Le Chevalier de la Charrette, publié par Mario Roques, Paris, H. Champion, CFMA, 1978.

Les romans de Chrétien de Troyes, édités d'après la copie de Guiot, IV Le Chevalier au lion (Yvain), publié par Mario Roques, Paris, Honoré Champion, CFMA, 1965.

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«La Queste del Saint Graal », roman du XIIIe siècle, édité par Albert Pauphi-let, Paris, Librairie Honoré Champion, 1965.

« La Mort le Roi Artu », roman du XIIIe siècle, édité par Jean Frappier, Ge-nève - Paris, Droz - Minard, 1964.

B i b l i o g r a p h i e

Adler, Alfred, 1950, Problems on Aesthetic versus Historical Criticism in «La Mort le Roi Artu», in “Publications of the Modern Language Association of America”, LXV, 1950, pp. 930-943.

Andrieux-Reix, Nelly, 1994, D'amour, de vérité, de mort. Signes et en-seignes, in «La Mort le Roi Artu» ou le crépuscule de la chevalerie, études recueillies par Jean Dufournet, Paris, Champion, coll. “Uni-champ”, 1994, p. 9-24.

Baumgartner, Emmanuèle, 1994, Présentation de «La Mort le Roi Artu», Pa-ris, Klinksieck, coll. "Parcours critiques".

Baumgartner, Emmanuèle, 1981, L'Arbre et le Pain. Essai sur « La Queste del Saint Graal », Paris, Sedes.

Boutet, Dominique, Arthur et son mythe dans«La Mort le Roi Artu»: visions psychologique, politique et théologique, in «La Mort le Roi Artu» ou le crépuscule de la chevalerie, Ed. citée.

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62 Mihaela Voicu

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U n u l ş i c e l ă l a l t . R e p r e z e n t ă r i a l e r ă u l u i î n “ L a Q u e s t e d e l S a i n t G r a a l ”

ş i “ L a m o r t l e r o i A r t u “

( R e z u m a t )

Tributară definiţiei propuse de sfântul Augustin, care neagă orice sub-stanţialitate a răului, gândirea medievală identifică Răul cu Celălalt. Chipurile diferite pe care acesta din urmă le poate împrumuta nu pot şterge linia de demarcaţie clar trasată între Bine şi Rău, Acelaşi şi Celălalt, şi aceasta până în secolul al XIII-lea, când, credem, intervine o schimbare de mentalitate. Ar-ticolul îşi propune să surprindă tocmai această schimbare şi să-i desprindă sensurile.

Fără a renunţa total la perspectiva tradiţională, cele două texte tră-dează o disfuncţie a sistemului de valori tradiţionale, cu funcţie structurantă pentru modelul romanului arturian. Astfel, întâlnim o “altă” perspectivă asu-pra iubirii, a vitejiei, a misiunii regale. Lipsită de valorile ei fundamentale, existenţa însăşi a curţii regelui Arthur, devenită “regio dissimilitudinis”, este pusă sub semnul întrebării.

Toate aceste disfuncţii ne determină să punem problema răului în ter-meni dilematici: responsabilitate sau fatalitate? Dincolo de opoziţia, deseori afirmată de critică, dintre neoplatonismul augustinian, prezent îndeosebi în Căutarea Sfântului Graal, şi pluralismul aristotelic, manifest în Moartea Re-gelui Arthur, cele două texte trădează mai degrabă o “altă” perspectivă asu-pra răului: nu doar privare, ci absenţă a binelui. Formele răului întâlnite în cele două texte traduc de fapt o distorsiune a binelui.

La Queste del Saint Graal si La Mort le Roi Artu dau, credem, mărturie despre o nouă concepţie asupra omului, mai dinamică, în cadrul căreia noţiunea augustiniană de liberum arbitrium o întâlneşte pe cea aristotelică de proiaresis. Înfăţisând o voinţă capabilă nu doar de opţiune, ci şi de deli-berare asupra modalităţilor de a atinge ţelul dorit, cele două texte vestesc o nouă perspectivă, care aparţine modernităţii.

Universitatea din BucureştiFacultatea de Limbi şi literaturi străine

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