les saints gardiens de pourceaux (suite) le...

21
LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE PORCHER DANS LA TRADITION RURALE COLETTE MECHIN C'est un honneur et une joie de pouvoir offrir à Monsieur Julien FREUND cette modeste étude ethnologique. Dans le souci de dépasser les limites commodes mais stérilisantes des anciennes provinces, pour atteindre à cette «France de l'Est» dont cette revue porte le nom, cet hommage voudrait porter témoignage de l'esprit de recherche régionale dont le fondateur de cette revue, Monsieur Julien FREUND, a été le fervent animateur. Un précédent article, paru dans la Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est n°9, 1980, faisait le point sur la légende et le culte d'un saint ardennais : saint Juvin, porcher par sa naissance - ou pour sa punition d'après certaine variante - et dont la fontaine, au village qui porte son nom, passait pour guérir les porcs malades. Poursuivons sur ce thème cette prospection par l'étude d'un saint Florentin, vénéré à Bonnet, dans le Sud du département de la Meuse et d'un saint Antoine, réputé à Appenwihr, dans le Haut Rhin. Une réflexion sur les pèlerina- ges de protection des porcs permettra ensuite de s'interroger sur le statut du por- cher dans la tradition rurale des régions du Nord-Est français. I. Saint Florentin de Bonnet (Meuse) A. La vie d'un fils de roi qui devint porcher 0) L'histoire édifiante de saint Florentin est racontée en dix-neuf tableaux, peints vers la fin du xv e siècle et restaurés au xix e siècle, sur les murs de l'église de Bonnet ( 2 ). Accompagnés de légendes, les différents panneaux nous expliquent comment Florentin, «fils du roy d'Escosse» refusa la couronne et s'enfuit pour traverser la mer sur une large croix. Arrivé à Bonnet, il «se loua aux habitants pour garder les pourceaux qu'il garda trente-deux ans». Sur un tableau, on le voit dans une ville avec son troupeau et on apprend «comment il mena les porcs dans Langres un jour de foire et les virent les habitants du dit Bonnet, et les ramena le soir» ; puis on passe à Florentin guérissant «aveugles boiteux et contrefaits», puis aux tentations du démon (tableaux 10, 11, 12). La première tentation est fomentée par des diables «voulant luy faire perdre son bonheur en gardant les pourceaux», (1) À ne pas confondre avec saint Florentin d'Amboise, martyr du v e siècle, honoré au bourg de Saint-Florentin dans l'Yonne et patron des tanneurs de cette ville. (2) La description de ces peintures a été faite par M. F. JACOPS, de la Commission Régionale d'Inventaire de Lorraine, dans un article paru dans la revue «Le Pays Lorrain», Nancy, 1972.

Upload: dangthuan

Post on 12-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) L E P O R C H E R D A N S LA T R A D I T I O N R U R A L E

COLETTE M E C H I N

C'est un honneur et une joie de pouvoir offrir à Monsieur Julien F R E U N D cette modeste étude ethnologique. Dans le souci de dépasser les limites commodes mais stérilisantes des anciennes provinces, pour atteindre à cette «France de l'Est» dont cette revue porte le nom, cet hommage voudrait porter témoignage de l'esprit de recherche régionale dont le fondateur de cette revue, Monsieur Julien F R E U N D , a été le fervent animateur.

Un précédent article, paru dans la Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est n°9, 1980, faisait le point sur la légende et le culte d 'un saint ardennais : saint Juvin, porcher par sa naissance - ou pour sa punition d'après certaine variante - et dont la fontaine, au village qui porte son nom, passait pour guérir les porcs malades. Poursuivons sur ce thème cette prospection par l'étude d'un saint Florentin, vénéré à Bonnet, dans le Sud du département de la Meuse et d'un saint Antoine, réputé à Appenwihr , dans le Haut Rhin. Une réflexion sur les pèlerina-ges de protection des porcs permettra ensuite de s'interroger sur le statut du por-cher dans la tradition rurale des régions du Nord-Est français.

I. Saint Florentin de Bonnet (Meuse)

A. La vie d'un fils de roi qui devint porcher 0)

L'histoire édifiante de saint Florentin est racontée en dix-neuf tableaux, peints vers la fin du xv e siècle et restaurés au x ix e siècle, sur les murs de l'église de Bonnet (2). Accompagnés de légendes, les différents panneaux nous expliquent comment Florentin, «fils du roy d'Escosse» refusa la couronne et s'enfuit pour traverser la mer sur une large croix. Arrivé à Bonnet, il «se loua aux habitants pour garder les pourceaux qu'il garda trente-deux ans». Sur un tableau, on le voit dans une ville avec son troupeau et on apprend «comment il mena les porcs dans Langres un jour de foire et les virent les habitants du dit Bonnet, et les ramena le soir» ; puis on passe à Florentin guérissant «aveugles boiteux et contrefaits», puis aux tentations du démon (tableaux 10, 11, 12). La première tentation est fomentée par des diables «voulant luy faire perdre son bonheur en gardant les pourceaux»,

(1) À ne pas confondre avec saint Florentin d'Amboise, martyr du v e siècle, honoré au bourg de Saint-Florentin dans l'Yonne et patron des tanneurs de cette ville.

(2) La description de ces peintures a été faite par M . F. JACOPS, de la Commission Régionale d'Inventaire de Lorraine, dans un article paru dans la revue «Le Pays Lorrain», Nancy, 1972.

Page 2: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E C Y C L E D E L ' O R G E / B I È R E

Le cycle de l'orgeIbière :

Cycle de la bière

Cycle de l'orge

Page 3: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L'étoile des brasseurs.

Cette étoile figure dans de nombreuses enseignes de débits de bière en Alsace :

En haut à gauche : enseigne du XVIIIC

siècle (Musée Alsacien). En haut à droite : enseigne de la

brasserie Zum Lamm (xixc siècle Pfaffen-hoffen).

En bas : étoile en fer suspendue au-dessus de la porte d'entrée d'un débit de bière «Au bois Vert» à la Robertsau (1978).

Canette à bière : «Bierkann», «Bierkruej».

Betschdorf, 2 e moitié xixc siècle. Terre grise fine. Hauteur : 0,200, diamètre maxi-mum 0,130. Collection particulière. N° 191, Exposition Musée Alsacien 1973.

Page 4: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L école des brasseurs. Le 46 e frère qui y mourut s'appelait Herttel, brasseur.

Dans cette gravure de la chronique de Mendel (Nuremberg entre 1425 et 1436) l'étoile figure juste au-desssus de la cuve à brasser. Malgré l'habit de type monacal, il ne s'agit pas d'un moine brasseur mais d'un «frère» artisan, membre de la confrérie Conrad Mendel de Nuremberg. Document Stadt-bibliothek. Nuremberg.

Page 5: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 149

la seconde est une apparition «en forme de filles de roy lui présentant l 'anneau en mariage» et lui rappelant «qu'il estoit fils du roy d'Escosse», la troisième montre Florentin résistant vail lamment à une diablesse couronnée en l 'empoignant par ses longues cornes ; au panneau suivant, la fatigue l 'ayant terrassé après cette âpre lutte, il s 'endort «et ficha sa massue en terre, se réveillant voulant la prendre il la t rouva enracinée et la fontaine à ses piés» enfin il tombe malade, révèle au curé sa haute naissance et avant de mourir , exige qu 'on attelle deux taureaux rouges qui décideront du lieu de son inhumation. Le convoi s'arrête dans la forêt «au lieu de sa sépulture qui estoit un très grand boys». La fresque se termine par une re-présentation curieuse des miracles opérés dans l'église de Bonnet :

«Au premier plan, un prêtre lit une formule d'exorcisme sur un malade agenouillé, la tête rasée à qui il a passé son étole autour du cou (...). Au deuxième plan, un h o m m e est couché dans une sorte de petit enclos carré, un des trois «berceaux» de charpente dans lesquels on attachait les malades» (3).

Comme l'écrit fort justement J. C H O U X ( 4 ) :

«La légende de saint Florentin, telle que nous la connaissons par les fresques de Bonnet ou par le texte fort tardif, résumé par D E M P S T E R (Historia ecclesiastica gentis Scotorum. Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé pour pallier l'absence de toute donnée historique certaine et satisfaire la curiosité des pèlerins venus invoquer le saint. Rien dans ce récit ne semble devoir être retenu ; il ne permet même pas de dire quand saint Florentin a vécu».

Ce peu d'épaisseur de l 'hagiographie officielle aurait pu permettre que se développe un culte local agraire à la mesure des préoccupations du lieu. Or il n 'en a rien été. U n pèlerinage réputé pour la guérison des fous s'instaura. Il est attesté de longue date : «les registres de la Chambre des Comptes de Bar le Duc ment ionnent en 1663 ce pèlerinage des fous à Bonnet aux frais de la Maison-Dieu de la cité» (5). Pour comprendre ce destin, l 'intervention des moines de Saint Mansuy à qui l 'évêque de Toul, saint Gérard donne en 969 l'autel saint Florentin de Bonnet, n'est peut-être pas tout à fait à négliger. La pratique sophistiquée de la cure exposée plus loin, par le côté pointilleux de son organisation, rappelle celle qui était en vigueur à Saint-Hubert d 'Ardenne, par exemple, pour la guérison de la rage. Les puissantes congrégations, de bénédictins en l 'occurrence, organisaient culte et thérapie.

B. Pèlerinage et culte

1) Cures d'autrefois

«Un savant physicien dont la famille était originaire de Bonnet, Haldat. a décrit ces exercices tels qu 'on les pratiquait au début du xix e siècle : «la neuvaine a trois

(3) M. F . JACOPS, op. cit., p. 94. (4) Même article, dans le Pays Lorrain p. 99, Nancy, 1972. (5) FRUSSOTTE (abbé). Un saint secourable : Le porcher de Bonnet, saint Florentin, p. 26, Verdun,

1899.

Page 6: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

1 5 0 C . M E C H I N

périodes pendant lesquelles ils (les malades) doivent être séparés de leurs familles et placés dans une situation nouvelle, imposante et propre à changer l 'ordre vicieux de leurs pensées et de leurs affections. Pendant la première période, le malade est conduit processionnellement chaque jour à une fontaine placée hors du village, où il reçoit des projections d'eau froide, et exercé à quelques pratiques de dévotion et séquestré le reste du jour. Pendant la seconde période, outre le régime adopté et l'isolement, on a recours à la saignée, à moins que son exaltation ne soit assez modérée pour s'en dispenser. Mais pendant cette durée, qui est de trois jours , il est placé dans un berceau de bois solide, où il est retenu par des liens qui maîtrisent t o u s . ses mouvements. Ce berceau permet de le soumettre à des oscillations plus ou moins rapides. Rendu à la liberté dans sa loge pendant le cours de la troisième période, on réitère les mêmes cérémonies et les mêmes exercices que dans la première, et on recommence la neuvaine si elle a été sans succès» (6).

À la fin du siècle, en 1 8 9 9 , l'abbé FRUSSOTTE ajoute quelques détails. Il les tient des habitants de Bonnet chez qui le souvenir de ces fous qu 'on attachait dans l'église dans des «berceaux» de bois est, selon ses dire, «très bien conservé» P) :

«Chaque jour le malade passait trois fois sous le tombeau de saint Florentin et vénérait ses reliques ; il était conduit dans les trois premiers et les trois derniers jours de la neuvaine à la fontaine de saint Florentin pour y boire et même y être plongé et on le ramenait à l'église par la chapelle champêtre du saint et le chemin qu'on appelle encore le chemin des malades ; il devait passer les trois jours intermédiaires à l'église et couchait dans un des lits auquel on l'attachait s'il était nécessaire».

Cette thérapie rappelle - mais peut-on s'en étonner ? - le tableau qu'a dressé M. FOUCAULT des moyens employés jusqu 'au xvn e siècle, pour soigner la folie (8). Si l'on s'en tient aux textes qui viennent d'être produits et à l 'iconographie (la fresque n° 1 9 de l'église), on sait que les fous avaient la tête rasée, qu 'on les menait à la fontaine pour les asperger voire les plonger dans l'eau froide, qu 'on recourait à l'occasion à la saignée, enfin qu 'on les liait dans des berceaux de bois qu 'on pouvait soumettre à des oscillations «plus ou moins rapides selon que l'on (avait) à combattre une démence plus ou moins violente». Or qu'écrit M. FOUCAULT : «... on recommande la friction de la tête et du crâne, autant que possible rasé, avec du vinaigre». À propos de l ' immersion il note «l'usage (en) remonte loin dans l'histoire de la folie (...) au Moyen âge quand on avait affaire à un maniaque, il était de tradition de le plonger plusieurs fois dans l'eau jusqu 'à ce qu'il ait perdu sa force et oublié sa fureur». Il n'est pas jusqu'à ces curieux berceaux qui ne t rouvent leur justification dans les méthodes en vigueur aux siècles passés : «s'il est vrai que la folie est agitation irrégulière des esprits, mouvement désordonné des fibres et des idées, elle est aussi engorgement du corps et de l 'âme (...). Il s'agit alors de rendre à

(6) Cité par J. CHOUX, op. cil., p. 103. (7) FRUSSOTTE (abbé), op. cit., p. 30. (8) FOUCAULT (Michel), Histoire de la folie à l'âge classique, coll. 10/18. p. 162 etpassim, Paris,

1961.

Page 7: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 151

l'esprit et aux esprits, au corps et à l 'âme, la mobilité qui fait leur vie (...). La cure consiste à susciter chez le malade un mouvement qui soit à la fois régulier et réel». La thérapeutique mise en action à Bonnet jusqu 'à la fin du xix e siècle s'inscrit donc dans une représentation de la folie peut-être un peu archaïque mais qui n'est pas, quoi qu 'on en pense, en totale contradiction avec la pratique médicale laïque.

Il n'est donc pas surprenant qu'avec la transformation de l'idée même de folie, le pèlerinage de saint Florentin soit .tombé en désuétude. Le dernier avatar de cette spécialisation, et en même temps le seul témoignage de miracle qui nous soit parvenu est ce constat dressé en 1 7 3 6 (*) par le curé V A U I . T I E R à propos d 'Anne Ronvenelle originaire du canton de Berne et hérétique, «étant infirme depuis plus d 'un mois par des évanouissements et défaillances causées par des vapeurs d'arsenic dont elle s'était servie pour faire périr les rats de sa Métaierie et sentant que ses évanouissements redoublaient et qu'elle était en péril d 'une mort subite nous a requis, nous Curé de Bonnet (...) de nous transporter chez elle le 2 7 février 1 7 3 6 où étant parvenu, elle a fait entre nos mains adjuration de son hérésie».

Ce compte-rendu inserré dans les pages du registre paroissial, ne dit pas si la malade guérit, mais on y voit encore probablement l'assimilation qui était faite entre possédés, fous et hérétiques.

Le pèlerinage des fous a disparu il y a beau temps, même dans la mémoire des anciens, ne subsiste au village qu 'une petite pratique quasi-secrète et individuelle qui se maintient peut-être à cause des visiteurs et des touristes qui découvrent avec é tonnement dans un bourg d'assez modeste envergure, une très belle église du x iu e

siècle.

2 ) Culte ordinaire

Les «berceaux» ont été détruits par le curé D O U I L L O T au milieu du xix e siècle et la chapelle champêtre sur le chemin de la fontaine, a été remplacée par une croix, néanmoins les anciennes «sacralités» n 'ont pas toutes disparu.

a) L a f o n t a i n e

En contrebas du village, la source a du, avant qu 'une station de pompage installée tout près ne la tarisse, avoir un débit important. Sortant d'un édicule en béton surmonté d 'une statue du saint mise en place en 1 9 3 7 ( 1 0) , elle approvi-sionnait deux auges en pierre et un grand lavoir couvert qui subsistent encore. Cette fontaine, il y a une vingtaine d'années à peine, était le but d 'une procession le jour de la «petite Fête-Dieu» (fête du Sacré-Cœur). On y allait avec deux bustes reliquaires (saint Florentin et saint Firmin de Verdun) pour commémore r la translation des reliques du saint. Cete fête d'été, dite le «rapport», était l'occasion d'inviter la famille. Des manèges s'installent encore à cette date au village, paraît-il, mais la «vraie» fête de saint Florentin au dire des habitants actuels de Bonnet, est

(9) Archives Départementales de Bar le Duc. Collect. Communales de Bonnet registres parois-siaux 1721-1736.

(10) Archives de l'Évêché de Verdun, dossier Bonnet n° 059.

Page 8: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

152 C . M E C H I N

en octobre (le 27). C'est l 'avant dernier dimanche d'octobre qui est maintenant retenu pour célébrer la fête religieuse. À cette date, à l'issue de la cérémonie, le curé pose sur la tête des personnes qui le désirent une couronne reliquaire protectrice (").

b) L a c o u r o n n e Elle est encore actuellement réputée «guérir les maux de tête» et «prévenir la

folie». L'Inventaire général des saintes reliques des églises du diocèse de Verdun, mentionne en 1896 une «couronne en cuivre mal travaillée, faite sans doute pour rappeler l'origine royale de saint Florentin» 0 ° ) . L'abbé CHOUX complète ainsi la description :

«C'est une couronne fermée en cuivre, formée d'un bandeau que garnissent d'anciennes pièces de monnaies de bronze, entièrement frustes fixées par des rivets entre deux baguettes où l'on a grossièrement suggéré une torsade. Les deux branches qui la ferment également rivées, sont ornées de fleurs de lys et de cercles alternés, frappés en creux par un poinçon. Sur le bandeau est fixé un médaillon circulaire, renfermant une relique de saint Florentin» C2).

c) L e t o m b e a u

«Il est composé d'un gisant reposant sur une grande table que portent cinq robustes piliers, dressés sur la dalle qui couvrait, sans doute à l'origine, la tombe proprement dite. L'effigie du saint le représente vêtu d'une tunique à capuce qui lui tombe à mi-jambes, serrée par une ceinture à laquelle pend une besace. La tête jeune et imberbe est soutenue par un oreiller . . .»( 1 2 ) . En 1896, dans l 'Inventaire des reliques, il est signalé : «Le corps de saint Florentin a été changé de place plusieurs fois sans aucune raison sérieuse. De l 'avant-chœur on l'avait relégué derrière le maître-autel ; les paroissiens réclamant, on l'a replacé dans une chapelle latérale qui porte son nom» C3) ; depuis le tombeau a repris sa place au centre du transept.

Pourquoi des «paroissiens réclamant» ? Parce que, bien que cette pratique n'est mentionnée qu'allusivement, la tradition encore bien ancrée actuellement - même si elle est présentée sur un ton badin - est qu'il faut passer sous le tombeau pour être préservé des maux de tête et de la folie. Encore ne suffit-il pas de passer simplement sous le gisant, il faut, comme nous l'a expliqué une paroissienne ... démonstration à l'appui faire à quatre pattes le tour sous le tombeau autour du pied central C4). Certains le font parfois encore, ou le font faire aux gens qui viennent leur rendre visite, ou aux touristes intéressés ... Bref la coutume s'amenuise, prend presque l'allure d 'un jeu mais, semble-t-il a du mal à mourir .

Autrefois - une lettre du maire datée de 1816 en fait foi - il était d'usage le jour du rapport (la fête d'été) pour beaucoup de personnes «de déposer à l'église leurs

( 1 1 ) Enquêtes personnelles. ( 1 2 ) J. CHOUX, op. cit., p. 104 , 1 0 0 . ( 1 3 ) Archives de l'Évèché de Verdun Bonnet n° 0 5 9 . ( 14) Enquêtes personnelles.

Page 9: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 1 5 3

offrandes sur la tombe de saint Florentin construite au milieu du chœur» , à côté du gisant, «on y dresse une table sur laquelle sont déposées les saintes reliques de saint Florentin (et certains) donnent à l 'un ou à l 'autre endroit» C3).

À aucun moment , les gens du lieu sont- formels, saint Florentin n'a été requis comme protecteur des troupeaux ni même des porcs. Pourquoi est-il alors saint des fous ? s'interroge FRUSSOTTE : «c'est apparemment parce que nul n 'a eu plus que lui la folie de la croix qui l'a fait renoncer à un trône, s'abaisser et presque s'avilir en remplissant pendant trente-deux ans le métier le plus abject de nos villages, pourcil, gardien de pourceaux» C5).

L'idée que la folie pouvait être un renversement des valeurs était en effet exprimée dès le Moyen âge dans les «Fêtes des Fous» du début de l 'année ou en Carnaval, mais l'explication est un peu mince. Des pèlerinages où l'on menait les fous, il y en a une multitude. FRUSSOTTE rappelle qu'à Avioth (Nord de la Meuse) il y avait jusqu'en 1 6 5 7 un «charlier pour les possédés, obsédés, insensés, frénéti-ques ...». Et toujours en Meuse, non loin de Bonnet, à Loxéville, un pèlerinage à saint Paul, évêque de Verdun, était aussi le rendez-vous des fous.

Laissons posée la question sur l'origine du pèlerinage aux fous qui risquerait de nous entraîner fort loin de notre saint gardien de porcs, pour revenir à des élé-ments curieux de sa légende.

C. Particularités de la légende

Il y a en effet, dans la légende telle qu'elle figure sur les fresques de l'église de Bonnet, mais aussi dans les variantes de certains épisodes de cette légende, des thèmes qui, dans le contexte du pèlerinage qui vient d'être décrit, semblent superfétatoires. Si l'on veut bien oublier le pèlerinage et s'attacher au saint

(15) FRUSSOTTE (abbé), op. cit., p. 27.

Page 10: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

154 C . M E C H I N

porcher, les péripéties de cette légende deviennent plus compréhensibles. Ainsi, au panneau 8, il est raconté comment saint Florentin «mena les porcs dans Langres un jour de foire et (...) les ramena le soir». Or voici comment B O N N A B E I . I . E C6) étoffe l'histoire :

«Les habitants de Bonnet se plaignaient un jour de leur pâtre et disaient qu'il était un paresseux laissant dans le même endroit ses porcs, pendant toute une journée ; saint Florentin voulut prouver qu'il n'était pas un paresseux, mena un jour de foire ses porcs dans la ville de Langres (située à vingt lieues de Bonnet) et les ramena le même jour ...». Faire faire cent-soixante kilomètres à des cochons en une journée, pour prouver qu 'on n'est pas paresseux, cela laisse songeur, mais une autre légende, variante de la fontaine miraculeuse est tout aussi curieuse C6) :

«Dans une année de grande sécheresse, saint Florentin était obligé pour trouver de la nourri ture à son troupeau de le mener fort loin dans la campagne ; un jour qu'il se trouvait sur le finage de Bure, dans les prés du côté de Ribeaucourt, les habitants de Bure allèrent en foule sur le pâtre pour lui faire des reproches de ce qu'il amenait, sans droit, ses porcs sur leur finage, et ils étaient même sur le point de lui faire un mauvais parti, quand Florentin pour se venger en saint et les indemniser sans doute de l'injustice qu 'on lui reprochait, fit un miracle en leur faveur. À chaque trou que ses porcs avaient fait dans la prairie pour trouver des racines et s'en nourrir , il surgit de l'eau fraîche et limpide qui, en se réunissant, forma une fontaine qui existe encore et que l'on appelle toujours la fontaine de saint Florentin».

À un premier niveau de lecture, la conduite du saint comme celle de ses contemporains d'ailleurs est surprenante. Il se situe, comme saint Gengoult qui emporte ou déplace les sources C7) parmi les saints facétieux et pusillanimes. Or, si cela est, c'est croyons-nous, parce que la leçon a été perdue. Comme pour saint Gengoult, comme pour saint Juvin dont il a été question dans un précédent article, un second niveau de compréhension peut-être atteint en utilisant une autre grille que celle qui est communément utilisée en matière d'hagiographie. Dans le cas présent, si l'on veut bien replacer les histoires des saints porchers dans le contexte qui les a produites, on voit surgir un univers de préoccupations liées aux pratiques culturales de champs ouverts. La fonction du berger communa l est liée à ce système collectif bien particulier où la terre cesse d'appartenir à chacun, lorsque la récolte a été faite. Comment est perçu ce berger à travers les récits hagiographiques que nous venons de produire ? Il est l 'étranger au village - et quel étranger, quand il s'agit de Florentin : il vient d'Ecosse ! - celui dont on ne connaît pas la famille, qu 'on ne peut situer dans le réseau de parentèles, il est de par sa fonction, dans son essence pourrait-on dire un paresseux (d'où les curieux épisodes dans les légendes de saint Juvin et de saint Florentin pour mettre en évidence ce vice) ; il est surtout

(16) Cité par FRUSSOTTE. op. cit., p. 8. (17) Cf. notre article saint Gangolf et les sifflets du printemps. Revue des Sciences Sociales de la

Frence de l'Est n° 7, 1978.

Page 11: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 155

celui qui met en péril les limites territoriales : les habitants du village voisin de Bonnet l 'accusent de ne pas respecter les limites du finage, et que dire de cette idée saugrenue de conduire à Langres, ses porcs en promenade ? La distance est longue certes, mais le message n'est pas là. Ce qu'il faut retenir c'est que Langres est la métropole de l 'autre province, celle où l'on ne va guère, en tout cas pas pour acheter ni vendre ses porcelets (le marché pour Bonnet est resté Gondrecour t et à plus longue distance Ligny-en-Barrois ou Bar-le-Duc). Enfin, il n'est pas jusque par le choix de sa sépulture que le saint traduit son non conformisme aux usages communautaires . Dans les fresques de l'église, dans le commentaire de F R U S S O T T E ,

il est question de «deux taureaux rouges» attelés à la charrette où repose le défunt, or une variante de la légende raconte C8) :

«Les taureaux communau x de Tourailles et de Bonnet ne pouvaient se ren-contrer sans se battre avec acharnement (...). Chose inouïe ! Mis en présence l 'un de l'autre les deux animaux se léchèrent et menèrent le corps du saint hors de l'ancien village de Bonnet, dans un petit bois où fut construite l'église actuelle».

Le thème du choix miraculeux du lieu d ' inhumation est estompé par cet autre miracle qui fût d'atteler ensemble deux animaux combattifs e t . . . propriétés des communes ; ces taureaux sont comme le porcher, les représentants des usages communautaires , il est remarquable que la légende les aient rassemblés.

À Bonnet donc, l 'univers des préoccupations locales ne s'est pas exprimé dans le culte tenu en main par les moines, mais, comme nous venons de le montrer , il affleure dans les variations de la légende non officielle. Le pèlerinage de saint Antoine à Appenwihr que nous allons maintenant examiner, présente un cas de figure tout-à-fait différent mais tout aussi révélateur de l'état d'esprit local.

IL Saint Antoine d'Appenwihr

A. Ancienneté de la pratique

Tous ceux qui ont écrit sur les saints agraires alsaciens, n 'ont eu garde d'omettre de signaler le pèlerinage de saint Antoine ermite à Appenwihr (Haut Rhin). J. L E V Y

écrit en 1926 C9) :

«Chaque année à la fête du 17 janvier, des paysans en grand nombre accou-raient pour demander aide et protection pour leur bétail, no tamment pour leurs porcs. Autrefois et encore en 1869, on déposait des pigeons, des coqs, des oies, des canards et des jambons en offrande sur l'autel qui se trouve sous un tableau du saint ermite». Ces cadeaux à saint Antoine existaient aussi dans la région de Belfort : À Froideval, «des pèlerins qui avaient foi en saint Antoine venaient presque chaque jour pour l ' invoquer, et pour se le rendre favorable ils déposaient au pied de sa statue des offrandes d'une étrange nature : des jambons , des

(18) LABOURASSE (Henri), Anciens us ... du département de la Meuse, p. 169 Bar-le-Duc, 1903. (19) LEVY J., Die Willfahrten der Heiligen im Elsass, Ed. Alsatia, Sélestat, 1926 (traduction B.

FREQUEI.IN).

Page 12: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

156 C . M E C H I N

saucisses, des morceaux de lard, des andouilles» ... Que les couvents d'Antonites aient favorisé la diffusion de ce culte est indéniable, et le privilège qu'avaient ces moines de laisser les porcs leur appartenant circuler librement partout, n'est peut-être pas étranger au choix des offrandes déposées dans les sanctuaires dédiées à leur saint ( R A B E L A I S dans son Gargantua ne nomme-t-il pas irrespectueusement «commandeur jambonnier» un moine de saint Antoine en train de quêter ...).

La fête de saint Antoine à Appenwihr au 17 janvier était l'occasion au début du siècle d 'un rassemblement des catholiques des alentours (l'église est bi-confes-sionnelle de longue date mais les protestants tolèrent saint Antoine). Les villages compris en gros dans un triangle Colmar, Neuf-Brisach, Ensisheim, venaient jusqu 'en 1940, à pied en procession le jour de la fête : Ober- et Niderentzen, Ober-et Niderhergheim, Dessenheim, Hettenschlag, Sainte-Croix-en-Plaine, Logelheim, Sundhoffen et Wolfgangtzen. L'église d 'Appenwihr n'était alors qu 'annexe de Logelheim, aussi la cérémonie mettait une animation inaccoutumée dans le village. En cette occasion on procédait au «grand nettoyage», celui des maisons pour recevoir dignement la famille, mais surtout à l'église où, se souvient une de nos informatrices, on décorait avec des fleurs artificielles et on «repeignait en or les bougeoirs» ( 2 0 ) .

Les pèlerins des villages voisins partaient très tôt en récitant le rosaire en route, pour assister à la grand-messe de dix heures, mais à la «petite» messe de huit heures, l'église était déjà remplie. Après les offices, tout le monde se retrouvait au café pour «prendre un réchauffant» ; certains paraît-il avaient leur petite réserve de schnaps dans la poche de la veste ... ou dans le jupon, pour résister, au retour, au froid des chemins ... ( 2 0) . Pour midi chacun rentrait chez soi sauf si l'on avait de la famille à Appenwihr qui vous invitait.

Dans les souvenirs des personnes rencontrées, il n'est plus question de cochonnaille déposée à l'autel du saint. Par contre on parle abondamment des cadeaux de victuailles qu 'on faisait au curé autrefois en prévision de la fête. C o m m e en cette occasion, il invitait ses collègues des paroisses voisines, ses ouailles avaient à cœur de lui offrir de quoi les recevoir : cette tradition de cadeaux alimentaires aux curés et aux pasteurs est encore largement répandue. Il y a les grandes occasions (baptêmes, mariages, communions . . . ) et, dans les régions où l'on fait encore du porc pour sa consommation, l 'habitude de donner quelques morceaux frais au moment de l'abattage. La coutume que d 'aucuns disent général en Alsace ( 2 1 ) de la bénédiction de pain et de sel destinés au bétail le jour de la saint Antoine, n'est pas pratiquée à Appenwihr .

B. État actuel

La messe de saint Antoine n'est pas tombée en désuétude. Dans cette région de polyculture et d'élevage, on vient encore prier saint Antoine de protéger les

(20) Enquêtes personnelles avec la collaboration de B. FREQUEI.IN et Y. GOURVENNEC. (21) STINZI P. , Paysans d'Alsace, p. 437, F . X. Le Roux, Strasbourg, 1959 ; PARAYE-KUNTZEI. M.,

L'église et la vie quotidienne du paysan d'Alsace au Moyen âge, p. 57, Strasbourg. 1975.

Page 13: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 157

animaux. Le rassemblement est moins vaste qu'autrefois, cependant les trois villages associés pour le culte maintenant viennent à la messe de saint Antoine (Appenwihr , Wolfgangtzen et Weckolsheim).

Il est communémen t admis que le rôle de protecteur de la race porcine dévolu habituellement à saint Antoine ermite provient d 'une interprétation erronée de ses représentations. Le cochon comme symbole de luxure, dans la peinture et la statuaire n'a pas été compris par les fidèles, et la foi naïve a investi le personnage d'un patronage que la légende d'origine ne lui connaissait pas. Ainsi, les trois officiers romains dans la hune d'un bateau aux pieds de saint Nicolas, sont devenus, parce que les préoccupations locales s'y prêtaient et que des marins dans nos régions continentales ne correspondaient pas à notre univers imaginaire, des petits enfants dans un saloir ( 2 2) .

Pour saint Antoine, le légendaire officiel n 'attribue à aucun moment une relation particulière du saint avec les porcs (sauf peut-être la résurrection d'un cochonnet qu 'une truie confiante lui apporte et que C H A U M A R T I N C23) tire de la Légende Dorée de J. D E V O R A G I N E , bien que cet épisode ne figure pas dans l'édition complète, parue chez Garnier Flammarion en 1967).

Or la tradition orale, vivante et actuelle, telle que nous l 'avons recueillie à Appenwihr en 1980, aussi surprenant qu'il y paraisse, a, d 'une part réalisé un singulier amalgame entre saint Antoine ermite et son homonym e de Padoue, et d'autre part transformé l'ermite du désert en un saint gardien de pourceaux ...

Les deux saints Antoine

En effet, ils sont tous les deux présents dans l'église. Une statue et un tableau représentent l 'ermite en robe de bure avec son bâton en forme de tau, symbole de son ordre ; et la petite statue du saint de Padoue, est celle conventionnelle du saint franciscain portant l 'Enfant Jésus sur le bras. Le portoir à cierges est proche du tableau de l 'Ermite ? Alors c'est à lui qu 'on vient offrir un cierge quand on a perdu quelque chose. «C 'e s t la bonne foi qui sauve» nous dira une paroissienne, et une autre habitante du village (81 ans) nous parlera plus tard d 'une image de saint Antoine qu 'on accrochait autrefois dans la chambre à coucher «avec un lys et le petit Jésus, mais pas de cochon ...». Cette confusion des deux protecteurs en un seul personnage donne à l 'hybride plus de pouvoir puisqu'aussi bien «il» protège le bétail et qu'«il» retrouve les objets égarés ...

Saint Antoine, le porcher

Pour expliquer le pèlerinage d 'Appenwihr , plusieurs personnes nous ont raconté : «Saint Antoine était le dernier d 'une famille, il était riche, il a tout donné aux pauvres et il est devenu gardien de cochons». Où ? Elles ne le savent pas. Quelqu'un nous a bien dit «dans le désert» mais c'était sans grande conviction.

( 2 2 ) Cf. MECHIN C , Saint Nicolas, chapitre «Un distributeur d'abondance au cœur de l'hiver», Berger-Levrault, Paris, 1978.

( 2 3 ) CHAUMARTIN H., Le compagnon de saint Antoine, Aesculape, Paris, s.d.

Page 14: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

158 C . M E C H I N

D'ailleurs qu' importe, cette nouvelle version de l 'Enfant-Prodigue n'a pas besoin d'être localisée pour contenter les fidèles. Et l 'hymne composé par l'ancien curé vers 1957 (Alfred P E R R A T ) et qu 'on chante encore ne permet guère d'éclairer cette version.

III. La tradition orale et la légende hagiographique

Dans les différentes légendes hagiographiques qui ont été présentées ici, il y a deux niveaux de lecture : il y a l'explication sérieuse, celle qu'a toujours proposé l'historien de l'art en s 'appuyant autant que faire se peut sur les textes, et puis il y a les récits non officiels qui circulent par d'autres canaux et qui, au mieux ont été pris en compte par un folkloriste attentif, au pis s'inventent, se modifient et dispa-raissent un jour sans laisser de trace.

Des contes, on note les variantes, des légendes hagiographiques, on répugne à colliger tous les avatars. Or il est curieux de constater que, dans la série des saints aux pourceaux qui a retenu notre attention, les légendes clandestines apportent de curieuses précisions, non pas tant sur les raisons du choix de tel ou tel saint pour ce patronage mais sur les situations locales et l 'univers mental des sociétés qui les produisent.

Ainsi, dans la Vie de saint Juvin ( 2 4) , la «légende à ne pas dire» concernant les tentations libidineuses du saint, révèle en fait avec insistance des préoccupations de passage de gué, de traversée de rivière, voire d'accidents géologiques anté-his-toriques comme une capture de ruisseau. De même, les particularités de la légende de saint Florentin ne deviennent compréhensibles qu 'une fois replacées dans le contexte des usages communautaires et de ses problèmes. Et la version déviante de la légende de saint Antoine se place dans la même perspective. L'anachorète au désert, dans un paysage dense de polyculture, n 'évoque pas grand chose. Par contre le «fils de famille» qui «tourne mal» et devient gardien de cochons, comme dans la parabole, c'est déjà presque du domaine du vécu. Et si, dans nos régions d'openfields, s'est faite sentir la nécessité de sanctifier des gardiens de porcs, c'est que le porcher communal était dans ces villages, un personnage étonnant, moqué et redouté tout à la fois.

IV. Le porcher

En réalité le terme de porcher est restrictif et ne convient que dans certains endroits de forêts abondantes, partout ailleurs c'est bien plutôt de gardien collectif qu'il faudrait parler, ou, comme on l'appelle en Ardennes : du herdier (du fran-cique herda, troupeau). La herde, c'était le troupeau du village, toutes bêtes confondues - sauf les chevaux - qu 'un berger emmenait paître sur certains terrains. Marc B I . O C H ( 2 5) rappelle :

(24) Cf. notre article sur saint Juvin, Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, n° 9, Strasbourg, 1980.

(25) BI.OCH (Marc), Les caractères originaux de l'histoire rurale française, p. 186, ed. Les Belles Lettres, Paris, 1931.

Page 15: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 159

«Que l'herbe, l'eau, les terres incultes, tout ce que n 'ont pas travaillé les mains humaines, ne pût sans abus être approprié par l 'homme, c'était là un vieux sentiment élémentaire de la conscience sociale». Ainsi, les terres non cultivées, les landes et dans une certaine mesure, les forêts, servaient à l'entretien des animaux de chacun :

«Chaque habitant n'eût-il pas le moindre lopin de terre, a le droit d'envoyer au troupeau c o m m u n quelques bêtes». Bien plus, les terres laissées en repos, les jachères et celles vidées de leur récolte après fenaison et moisson, tombaient jusqu 'aux prochaines semailles ou jusqu 'à la repousse de l 'herbe, dans l'usage collectif. Cette «vaine pâture» au profit de tous, même des plus pauvres, s'organisait «en vertu d'une idée ou d'une habitude de pensée : la terre vide de fruits, cessait, croyait-on d'être capable d'appropriation individuelle» ( 2 6).

De même, rappelle encore M . B L O C H , la forêt avait un rôle qu 'on a un peu oublié : «par ses feuilles fraîches, ses jeunes pousses, l 'herbe de ses sous-bois, ses glands et ses faînes, elle servait avant tout de terrain de pâture» ( 2 6). Dans la belle forêt de chênes de Haguenau, l'entretien de troupeaux de porcs représenta long-temps une source de profit importante pour la ville :

«Les porcs étaient menés en forêt par troupeaux communs sous la conduite de pâtres assermentés (...) les troupeaux restaient en forêt pendant toute la saison de la glandée, sans rentrer à l'étable. Ils étaient abrités dans des baraquements faits avec des bois qu 'on délivrait spécialement à cet effet» ( 2 7 ) .

Malgré des pressions diverses pour les faire disparaître, ces droits d'usage se sont parfois maintenus jusqu 'au début de ce siècle. Ainsi pour cette forêt de Haguenau, H U F F E L en 1920 évoque :

«Mes plus lointains souvenirs d'enfance me rappellent ce personnage (le porcher) qui parcourait les rues de la petite ville de grand matin, sonnant de sa t rompe, une sorte de long tube droit en métal (...). Les animaux auxquels on ouvrait les portes des étables,se précipitaient impétueusement hors de chaque maison à la suite du sonneur» ... ( 2 7 ) . Et la description que donnait Ar thur Y O U N G ( 2 8 ) du berger du village, à son passage à Mars-la-Tour (Meurthe et Moselle) en 1787, montre que la fonction n'évolua guère en un siècle :

«Le berger du village sonnait du cor et c'était drôle de voir chaque porte vomissant ses porcs ou ses moutons, ainsi que quelques chèvres et le troupeau s'accroissant à mesure qu'il avançait (...). On doit avoir ici, quantité de communaux , mais si j ' en juge par ces squelettes d 'animaux, ces communaux doivent être effroyablement encombrés».

( 2 6 ) BI.OCH (Marc), op. cit.. p. 4 9 . ( 2 7 ) HUFFEI. (Georges), La forêt sainte de Haguenau, p. 5 0 , Berger-Levrault, Strasbourg-Paris,

1 9 2 0 . ( 2 8 ) YOUNG (Arthur), Voyages en France - Journal de Voyages, 1.1, p. 3 3 0 , trad. H . SEE, A. Colin,

Paris, 1 9 7 6 .

Page 16: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

1 6 0 C . M E C H I N

Mais qui était cet homme, ce berger communal ? En Lorraine comme en Alsace, et bien que notre enquête ne puisse prétendre à l'exhaustivité, c'était, semble-t-il, un étranger au village. Sa disparition ne s'est produite, dans certains endroits que peu avant la guerre de 1 9 1 4 , mais les anciens qui se souviennent du personnage, l 'évoquent avec un manque de précision dont on ne peut accuser la défaillance de leur mémoire. S'ils ont peu à en dire, c'est parce qu'on ne lui parlait guère, on «ne sait pas d'où il venait» (village meusien), «il est venu de Moselle avec sa femme» (village du Toulois) ; sans lien de parenté avec les gens du village, connu la plupart du temps par un prénom ou un surnom (le «Monmon», le «Fritz», le «Nickel» ...), il ne s'enracinait pas dans la communauté . Loué par le conseil municipal, à l 'échéance de son contrat il pouvait partir, on en trouvait un autre. U n logement lui était fourni pendant la durée de son emploi. Sa rémunération était fixée par un document dont on trouve parfois la trace dans les Cahiers de Délibérations des Conseils Municipaux. Ainsi, dans un village du Verdunois, en 1 8 1 6 , le pâtre Joseph A U B R Y est reconduit dans ses fonctions avec comme appointements :

«Les habitants paieront audit A U B R Y , pour la continuation de la garde de leurs t roupeaux en l 'année 1 8 1 7 , deux décalitres et demi, 3 / 4 d'orge et 1 / 4 de blé pour chaque vache et chaque porc pour l 'année ; et cinq centimes par mois pour les chèvres (...) et quinze centimes pour chaque porc lors du premier jour de la mise au troupeau» ... ( 2 9) . Cette rétribution variait d'un village à l'autre, elle était parfois remplacée par une somme en argent, payable deux fois par an ou tous les mois selon les lieux. Mais il y avait d'autres usages. Ainsi, dans la région de Bastogne (pays wallon), outre son salaire, le hardier «avait droit à la pension prise à tour de rôle dans les maisons du village, le nombre de jours de pension étant proport ionné au nombre de bêtes de chaque propriétaire», et J. M E U N I E R qui rappelle cette coutume ajoute immédiatement : «Un ancien instituteur m'a rapporté que ce mode de rémunérat ion était jadis appliqué au maître d'école dans la région de la Sûre» ( 3 0).

Pour le remercier de sa garde, on lui offrait à Hunspach (Bas Rhin) une saucisse, lorsqu'on tuait le cochon, et puis, dans le village voisin, à Seebach, comme il était parmi les plus pauvres, on lui offrait un morceau de viande le jour des noces ( 3 1 ) .

Il y avait aussi pour lui un droit de quête à certains jours de l 'année. Dans la région de Saint-Hubert (Ardenne belge), «le jour de l 'Epiphanie, les herdiers accompagnés de leurs cawlèts (gamins de quinze ans environ qui accompagnaient les herdiers à la virée) allaient de porte en porte chanter une espèce de complainte en mémoire sans doute de la naissance du Christ. Les paroles en étaient devenues inintelligibles (..). À chaque maison, les chanteurs recevaient une pièce de monnaie et parfois aussi une «goutte». Aussi, à la fin de la journée, herdiers et cawlèts étaient presque toujours dans un pitoyable état» ( 3 0).

(29) Enquêtes personnelles. (30) Revue Enquêtes du Musée de la vie Wallonne, p. 296 et passim, Liège. 1935.

Page 17: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 161

En Meuse, c'est au Mardi-Gras que le berger faisait sa tournée :

« Y e n avait qu 'y donnait deux litres de haricots, l 'autre un sac de pommes de terre, en plus de la paye, parce que fallait donner tant par bête . . .»( 3 1 ) . Dans la région messine, le berger recevait «le Jeudi-Gras, une portion de viande, à Pâques, une certaine quantité d'ceufs et le jour de la fête patronale, une part de gâteau» (3 2).

Choisi par la communauté pour effectuer une tâche jugée vile, expression de cette «conscience sociale» dont parle M. B L O C H , le herdier, indispensable à la bonne marche du village, en était aussi le dernier élément, le plus pauvre et sans doute le plus méprisé. D'un mépris sans grandiloquence, d'un mépris tout ordinaire :

«Je le vois encore avec son éternelle peau de bouc comme manteau et sifflant dans un gros sifflet de cuivre pour avertir les ménagères. Il était accompagné de son gros chien, un chien dressé exprès, un «chien de cochon» qui devait avoir des aptitudes spéciales (..). Le porcher était vigilant, agile et surtout criard. Il interpellait chaque animal par un sobriquet comique trouvé par lui-même et le cochon semblait comprendre» ( 3 3). Cependant, une fois dans l 'année se jouait la revanche du herdier :

«À Madrid, les porchers de la ville élisaient au 17 janvier (fête de saint Antoine) un roi des porchers qu 'on menait sur un âne paré de navets, de carottes et d'ail jusque dans la chapelle saint Blas» ( 3 4 ) . Mais dans nos régions, dans cette «forêt sainte» de Haguenau si célèbre pour ses troupeaux de porcs, c'est à Noël que le porcher jouait son plus beau rôle :

«Le jour de Noël, à la messe de Minuit, le maître-porcher était admis, au fond de l'église avec son instrument (la trompe) et, aussitôt après l'élévation, on entendait retentir la sonnerie bien connue» ... ( 3 5 ) .

Ce renversement des valeurs autorisé par l'Église, cette sacralisation provisoire, bien dans l'esprit du Carnaval ne remettait pas en cause le statut de pauvre et d'étranger du porcher. Mais son ambiguïté et cette sorte de menace qu'il fait peser sur le village sont révélées dans cette scène vosgienne décrite par E R C K M A N N et C H A T R I A N ( 3 6 ) :

«Pendant le Carnaval, au cœur de l'hiver, on célèbre dans ces montagnes ce qu 'on pourrait nommer la fête des mauvaises langues (..). Quelques jours après l 'Epiphanie, un soir les garçons du village se rendent sur la roche la plus élevée de la Côte au milieu des bois. Cette roche s'appelle «la roche aux chibés». Ils y font un

( 3 1 ) Enquêtes personnelles. ( 3 2 ) WESTPHAI.EN (R. DE), Petit dictionnaire des traditions populaires messines, p. 5 7 4 , Metz, 1 9 3 4 . ( 3 3 ) LAVIGNE (Louis), Revue Le Pays Lorrain, p. 3 1 8 , Nancy, 1 9 3 3 . ( 3 4 ) BAROJA (Julio C ) , Le Carnaval, p. 3 5 0 , Gallimard, Paris, 1 9 7 9 . ( 3 5 ) HUFFEI. (G.), op. cit., p. 5 1 . ( 3 6 ) ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un sous-maitre, p. 2 8 , Pauvert, Paris, 1 9 6 2 . souligné par

nous.

Page 18: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

162 C . MECH1N

grand feu de ronces et de bruyères. Vers les neuf heures de la nuit, le feu brille au-dessus des forêts. Les gens sortent des baraques, ils regardent et disent en riant : Ce sont les Chibés ! Nous allons apprendre du nouveau ! (..) En ce momen t le plus grand braillard et le plus rusé compère du pays, celui dont la voix est la plus forte et l'esprit le plus aiguisé s'avance à la pointe du rocher. C'est presque toujours le herdier qui n'ayant pas d'autre occupation que de conduire ses porcs à la glandée de faire ses balais de brindilles de bouleau et d'écouter ceux qui viennent le consulter pour leurs foulures, leurs entorses, la gale de leurs bœufs ou la tristesse de leurs vaches, s'informe de tout et épie tout...».

En même temps que les garçons projettent des rouelles enflammées dans les airs, le herdier dénonce les amours tenues secrètes, les scandaleuses et les cocasses. Cette tradition que nous avions ailleurs nommée «fiançailles-pour-rire» s'inscrit dans un contexte de permissibilité pour les jeunes hommes qui, pendant cette période, sous le masque ou en déléguant leurs pouvoirs à l 'un d'entre eux, ont tous les droits dans le village ( 3 7). Que le herdier soit choisi comme maître du jeu est révélateur de la charge symbolique qu'il possède. Les jeunes gens, dans leurs far-ces de l'hiver doivent perdre leur identité : ils ne sont plus les fils et les frères de tel ou tel et il importe qu'ils ne soient pas reconnus au cours de leurs actions. Le her-dier, cet étranger permanent en quelque sorte, peut agir à visage découvert puis-qu'il est, au sens strict du terme mé-connaissable pour les gens du village. Et la description qu'en donnent E R C K M A N N - C H A T R I A N éclaire les légendes des saints porchers que nous avons présentées au préalable. Outre cette étiquette «d'étranger» qui est comme nous venons de le montrer inérante à la fonction, semble-t-il, et qui se traduit dans la légende des saints porchers par cette mention de «fils du roi d'Ecosse», nous avions aussi remarqué l'insistance du soupçon de paresse qui pesait sur Juvin et Florentin dans leurs légendes ; or que dit-on du herdier vosgien ? «il n'a pas d'autres occupations que de conduire les porcs à la glandée». Le productif, dans le système normatif rural, c'est celui qui cultive, sur les autres pèse peu ou prou l 'opprobre réservée à ceux qui «ne font rien», (les moqueries réservées au tailleur ou au cordonnier dans les villages participent pensons-nous à cet état d'esprit).

Mais le tableau vosgien ainsi dressé, révèle un aspect plus inquiétant de la personnalité du herdier : il est celui qui sait. Il sait, sans avoir appris, les remèdes pour guérir bêtes et gens, et parce qu'il est extrêmement mobile avec son troupeau errant, il voit, devine, bref il «sait», les secrets des gens du village. Ce savoir, à vrai dire, il n'est pas le seul à le détenir. Le curé et, dans une moindre mesure l'instituteur en sont aussi les dépositaires : un savoir appris dans les livres mais aussi, de par leurs rôles, la connaissance intime des gens. Aussi, bien que leurs fonctions prestigieuses les placent aux antipodes de l 'humble berger, un proverbe du Toulois n'hésite pas à révéler leur secrète similitude et l'égale suspicion qui les enveloppe : «du curé, de l'instituteur et du berger il faut se méfier ! ...».

(37) Pour plus amples développements cf. notre article sur les veillées. Le Pays Lorrain, Nancy, 1977 et Saint Nicolas, Berger-Levrault, Paris, 1978.

Page 19: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

Le «tombeau» de saint Florentin (photo 1980 C. Méchin).

Page 20: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé
Page 21: LES SAINTS GARDIENS DE POURCEAUX (SUITE) LE …coeremieu.duo.free.fr/coeremieu.duo/La_Boite_a_Musiques/Entrees... · Bologne, 1627) est le type même du roman hagiographique imaginé

L E S S A I N T S G A R D I E N S D E P O U R C E A U X ( S U I T E ) 163

L'instituteur et le curé, souvent des étrangers au village, ne sont-ils pas au même titre que le berger des personnes «entretenues» par le bon vouloir de la commu-nauté ? En Belgique, on l'a vu, l'instituteur prenait pension dans chaque maison à tour de rôle ( 3 S), et au curé on vient encore offrir aux grandes occasions quelques victuailles.

Mais le prestige attaché aux attributions du curé et de l'instituteur, s'il n 'an-nihilait pas la suspicion, les protégeait en quelque sorte de la vindict. Le porcher, au contraire, chargé symboliquement de la plus basse besogne, supportait la charge complète de méfiance sécrétée par son rôle d'étranger redoutable. Entre le respect et la haine de cet «Autre» menaçant, les gens des «champs ouverts» ont, dans les personnages de leurs saints porchers choisi la vénération, et réservé le mépris pour le quotidien de leur berger communal ...

(38) Toujours dans l'Histoire d'un Sous-Maitre, d ' E R C K M A N N - C H A T R i A N , l'instituteur, obligé d'aller manger chez l'habitant, s'exclame : «Comment ! on traitait aux Roches le maître d'école comme le hardier (...) il était au croc des gens ! ...» (p. 298).