les régions et l'europe, contre les etats.pdf

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  • Les rgions et lEurope!: contre les Etats!?

    Note prliminaire ! : Dans le cadre de notre tude, nous avons t amens interviewer de faon informelle les personnes suivantes!: - Cline Chateau Administratrice au sein du Comit des rgions- Jean Louis Bourlanges Ancien dput europen et professeur Sciences Po Paris-Vronique Auger Journaliste franaise, rdactrice en chef et prsentatrice de lmission !Avenue de lEurope! sur France 3. - Peter Spiegel Journaliste au Financial Times, Brussels bureau chief. Avertissement !: les rponses aux interviews retranscrites dans cette tude ont t donnes titre personnel, elles ne sont en aucun cas reprsentatives des positions officielles des institutions concernes et nengagent pas ces dernires.

    Introduction

    " !Nous ne sommes pas seulement dune province mais dune rgion. Elle est une part de notre identit! Fernand Braudel (historien franais). Les 26 rgions de France reprsentent autant de dclinaisons possibles de lidentit franaise. A lchelle europenne, on dnombre plus de 90 000 collectivits locales et rgionales avec des profils divers et des caractristiques politiques, gographiques et conomiques trs diffrentes. LAllemagne se compose par exemple de 16 Etats fdrs tandis que lEspagne regroupe 17 rgions autonomes. De son ct, le Royaume-Uni compte 4 nations elles-mmes composes de plusieurs collectivits. Si lon considre que lidentit europenne est en ralit forme par lagrgation de 28 identits nationales, on pourrait mme envisager quelle se morcelle en centaines didentits rgionales reprsentatives des peuples de toute lEurope. Dans certains cas, ces identits rgionales sont tellement fortes que des mouvements apparaissent pour promouvoir leur particularisme, ils sont qualifis de !rgionalistes!.

    " Le rgionalisme, au sens dun mouvement ou dune doctrine affirmant lexistence dentits rgionales et revendiquant leur reconnaissance, sest dvelopp dans lensemble des pays de lUnion europenne en profitant notamment des politiques de dvolution, dlgation et dcentralisation mises en place par les Etats. Il prend des formes diverses et exprime des revendications diffrentes si bien quil est difficile didentifier les mouvements qui en relvent. Toutefois, il possde frquemment une dimension politique qui sexprime travers des partis dits !rgionalistes! prsents dans quasiment tous les pays de lUnion.

    " Ces partis prsentent des profils divers (taille, place dans le systme politique national etc.). Ils relvent par ailleurs didologies et de familles politiques diffrentes et expriment des revendications plus ou moins radicales - qui vont de la simple dfense et valorisation de leur particularisme identitaire des revendications autonomistes, fdralistes voire sparatistes !- via des projets et des modalits daction varis (au sein ou en dehors du systme politique). Il serait donc dlicat voire impossible den donner une dfinition. " Pour Daniel-Louis Seiler, !llment qui dconcerte le plus les politologues habitus des schmas simples, voire simplistes, comme le dualisme droite-gauche ou, plus sophistiqus, comme laxe droite-centre-gauche, est le caractre dispers sinon clat quoffrent ces partis ds quon tente

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  • de les apprhender par ce biais.!. Il prcise que les plus efficaces dentre les partis rgionalistes apparaissent comme des!fronts!qui rassemblent des militants de gauche, du centre et de droite au nom dune cause qui chappe la confrontation entre droite et gauche. Cette cause, cest la dfense de la singularit de leur rgion, de lidentit rgionale![]!. Il en conclut que !en dfinitive, unies ou divises, radicales ou modres, les formations rgionalistes constituent des partis identitaires distincts aussi bien de la droite et de la gauche classiques que du nationalisme tatique quincarne, par exemple, en France, le Front national!. " Pascal Delwit se rapproche de cette analyse puisquil considre que la notion de !famille de partis ! nest pas approprie en ce qui concerne les partis rgionalistes dans la mesure o les divergences prcites les empchent de former une alliance qualitativement importante lchelle europenne. Il dgage toutefois des points communs: ! dun point de vue lectoral, les partis politiques rgionalistes sont souvent des acteurs modestes voire inexistants lchelle de lEtat nation!! et ce sont souvent !des petits partis en termes absolus!. Mais ces lments ne suffisent pas laborer une dfinition qui apprhenderait le phnomne dans toute sa complexit.

    " Les partis rgionalistes ont rcemment t mis sur le devant de la scne, notamment le Scottish National Party qui tire profit de lorganisation prochaine du rfrendum cossais dont les consquences possibles intressent beaucoup les mdias europens. Nanmoins, il serait inexact de parler dun phnomne nouveau. Selon Pascal Delwit, il serait plus pertinent de parler de !rveil! plutt que !dmergence! ou dune !nouvelle famille de partis! puisque grand nombre des partis rgionalistes existaient dj avant les annes 2000!: le Parti Nationaliste Basque (1894), le Sinn Fein (1907), le Scottish National Party (1934) ou mme la Ligue du Nord (1991). Pour lui, la nouveaut!tient davantage au fait que lon ait observ !dans la dernire dcennie, la combinaison dune revendication rgionaliste avec des traits de formation populiste et/ou dextrme droite!. Il cite les exemples de la Ligue du Nord en Italie et du parti rgionaliste flamand Vlaams Belang. Ces partis se distinguent en ce quils prnent un !rejet de lautre! (respectivement les italiens du sud et les wallons), que lon ne retrouve pas, du moins pas de faon aussi exacerbe, chez les autres partis rgionalistes. Ces mouvements, lapproche des lections europennes, attirent galement lattention des europens.

    Paralllement ce phnomne de perce des mouvements rgionalistes en Europe, llargissement de lUnion europenne sest poursuivi cette dernire dcennie. Trois vagues successives en 2004, 2007 et 2013 ont ainsi fait passer lUnion de 15 28 Etats membres, augmentant de fait considrablement le nombre de ses rgions. De mme, lintgration europenne a t renforce avec la conclusion de nouveaux traits. Ladoption du Trait de Lisbonne a apport dimportants changements institutionnels favorables une plus grande prise en compte du fait rgional.

    ! Dans quelle mesure le processus d'intgration europen a-t-il particip de l'mergence des mouvements sparatistes rgionaux au sein des Etats membres? De quelle faon ces mouvements rgionalistes envisagent-ils d'utiliser l'Union europenne comme vecteur d'mancipation?! Quelles seraient les consquences de ces interactions sur le paysage institutionnel europen? La rgion est-elle amene devenir la nouvelle entit de rfrence dans l'Union?

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  • PARTIE 1 - L'Union europenne ": une aubaine pour lmancipation des rgions"? Quelle est linfluence de l'Union europenne sur les rgions!? Quel est son rle dans l'mergence des mouvements sparatistes rgionaux!? I/ Un rle direct": l'affaiblissement progressif des Etats - nations

    LUnion semble avoir contribu affaiblir les Etats membres au profit des rgions deux niveaux. Dune part, par la rcupration de comptences dordinaire exerces par les Etats (A) et dautre part par un renforcement des rgions (B).

    A) Un affaiblissement par le haut!: le transfert de comptences

    Depuis la cration de la CECA en 1952, la Communaut europenne puis lUnion europenne ont t dotes de comptences dans de nombreux domaines. LUnion europenne dispose dsormais de comptences exclusives pour lesquelles !seule l'Union peut lgifrer et adopter des actes juridiquement contraignants, les tats membres ne pouvant le faire par eux-mmes que s'ils sont habilits par l'Union, ou pour mettre en uvre les actes de l'Union ! (article 2 TFUE). Ces comptences exclusives relvent notamment des domaines suivants!(article 3 TFUE)!: l'union douanire; l'tablissement des rgles de concurrence ncessaires au fonctionnement du march intrieur; la politique montaire pour les tats membres dont la monnaie est l'euro; la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pche; et la politique commerciale commune. " Elle dispose galement de comptences dites partages pour lesquelles lUnion et les Etats membres sont tous deux en mesure de lgifrer. Ces domaines relvent entre autres de la politique sociale!; de la cohsion territoriale!; de l'agriculture et la pche!; de l'environnement; de la protection des consommateurs; des transports; de l'nergie. Toutefois une limite importante rside dans le fait que les tats membres exercent leur comptence dans la mesure o l'Union n'a pas exerc la sienne. Les tats membres exercent nouveau leur comptence dans la mesure o l'Union a dcid de cesser d'exercer la sienne ! (article 2 TFUE). La comptence des Etats membres est donc rduite aux domaines dans lesquels lUnion nest pas encore intervenue, or le nombre de ces domaines tend se rduire progressivement. LUnion dispose enfin dune comptence pour dfinir et mettre en uvre une politique trangre et de scurit commune, y compris la dfinition progressive d'une politique de dfense commune ! (article 2 TFUE). LUnion possde donc de prrogatives tendues dans des domaines varis. En vertu de la clause de flexibilit prvue larticle 352 TFUE, elle peut mme agir au-del des comptences prcites si lobjectif atteindre le ncessite (mais cette clause est encadre par des restrictions et une procdure stricte).

    " Il est important de prendre en compte lexistence des grands principes, prvus larticle 5 TUE, qui encadrent cette rpartition des comptences et son exercice. Ainsi selon le principe dattribution, lUnion ne dispose que des comptences qui lui sont expressment attribues par les traits. Elle ne possde des prrogatives que dans la mesure o les Etats lont dcid, celles-ci tant subordonnes au consentement pralable des Etats membres. De mme, le principe de proportionnalit prvoit que lexercice des comptences de lUnion ne peut aller au-del de ce qui est ncessaire afin de raliser les objectifs des traits. Nanmoins, ces comptences touchent des activits trs importantes

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  • qui relvent traditionnellement des fonctions rgaliennes de lEtat savoir notamment assurer la scurit extrieure (diplomatie et dfense), dfinir le droit et la justice, dtenir la souverainet conomique et financire en mettant de la monnaie. De plus, on assiste une expansion progressive de la sphre de comptences de lUnion parfois au-del de ce qui est prvu par les traits sous limpulsion de la Cour de justice de lUnion europenne. Par une jurisprudence extensive, la Cour a ainsi fait rentrer de nouveaux domaines dans le champ des comptences de lUnion notamment en matire de droit pnal (voir par exemple larrt P.I, 22 mai 2012, aff. C-348/09) ou dattribution de la nationalit (voir larrt Rottmann, 2 mars 2010, aff. C-135/08). Par consquent, en acceptant de transfrer des comptences tendues lUnion europenne, les Etats semblent avoir eux-mmes contribu leur affaiblissement.

    B) Un affaiblissement par le bas!: le renforcement des rgions

    Paralllement ce phnomne daffaiblissement des Etats membres, on a pu paradoxalement constater un renforcement des rgions.

    Sur le plan conomique tout dabord, les rgions ont profit de la politique rgionale et de cohsion mise en place par lUnion. Apparue dans les annes 70 suite aux premiers largissements, son importance sest accrue avec lintgration des pays de lEurope de lEst partir de 2004. Elle sapplique aujourdhui 274 units rgionales dans les 28 Etats membres et reprsentant le deuxime poste de dpenses du budget europen aprs la PAC (Politique agricole commune). Daprs le site de la Commission, cette politique dinvestissement vise notamment !rduire les importantes disparits conomiques, sociales et territoriales qui subsistent entre les rgions! de lUnion, avec trois objectifs principaux!: la convergence des niveaux de dveloppement des rgions europennes, la comptitivit et lemploi, et la coopration territoriale europenne. Le montant allou la politique de cohsion pour la priode 2014-2020 slvera 351 milliards deuros (contre 347 milliards pour 2007-2013) ce qui reprsente environ 36% du budget total de lUnion pour cette mme priode. Il sera rparti dans deux fonds!structurels - le Fonds europen de dveloppement rgional (FEDER) et le Fonds social europen (FSE) et dans le Fonds de cohsion. Tous les programmes sont cofinancs par les Etats membres qui contribuent donc au dveloppement conomique de leurs rgions. Ces fonds sont utiliss en priorit pour les transports, la recherche et linnovation ainsi que pour la protection de lenvironnement. " En observant leur rpartition entre chaque Etat membre, il est intressant de constater que lEspagne et lItalie, deux pays faisant face des mouvements rgionaux sparatistes, arrivent respectivement en deuxime et troisime position derrire la Pologne. Cependant on ne peut en dduire une corrlation systmatique puisque le Royaume-Uni et la Belgique arrivent respectivement en douzime et dix-huitime positions. En observant la rpartition par rgions, on remarque galement que les rgions sparatistes ne sont pas celles qui reoivent le plus daides de la part de lUnion europenne, lexception de lEcosse. Ainsi ni la Catalogne, ni les rgions dItalie du Nord, ni mme la Flandre ne sont ligibles aux aides lies lobjectif de convergence or celles-ci reprsentent 80% du montant total des fonds. Cela pourrait toutefois expliquer les raisons pour lesquelles, contrairement aux rgions prcites, lEcosse, en cas dindpendance, souhaiterait rester dans lUnion." Ainsi, si la politique de cohsion de lUnion europenne a certainement contribu au renforcement conomique des rgions, elle nexplique pas seule lapparition de mouvements sparatistes rgionaux.

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  • Ce renforcement conomique sest coupl dun renforcement politique des rgions. En effet, ladoption du principe de subsidiarit comme principe fondamental de la rpartition des comptences au sein de lUnion a sans nul doute accru le rle des rgions. Consacr larticle 5 TUE, il vise dterminer le niveau dintervention le plus pertinent dans les domaines de comptences partages entre lUnion europenne et les Etats membres. Selon ce principe, les prises de dcisions au sein de lUnion doivent se faire au plus prs possible des citoyens. Il garantit donc que laction soit prise au niveau local lorsque cela est ncessaire ou avantageux. Dans cette optique, la Commission est tenue, avant de proposer un acte lgislatif, dlaborer un livre vert par lequel elle va notamment consulter les institutions locales. Par ailleurs, avec le trait de Lisbonne, les rgions sont pleinement associes au contrle du principe de subsidiarit. Ainsi, le Comit des rgions peut dsormais contester devant la Cour tout acte lgislatif qui ne respecterait pas ce principe.

    A la fois cause et consquence de ce qui prcde, linfluence des rgions dans le processus dcisionnel europen a aussi t progressivement renforce. Celles-ci sont reprsentes au sein de lUnion trois niveaux.

    Tout dabord, la majorit des rgions europennes possdent des reprsentations permanentes Bruxelles. Ces bureaux sont chargs de dfendre leurs intrts auprs des institutions europennes travers des activit de lobbying. Ils ont galement un rle de veille lgislative dans les domaines de comptence de leur rgion ! et doivent informer les collectivits locales de limpact possible des politiques europennes sur leurs activits. Ils font la liaison entre les acteurs des collectivits rgionales et les institutions europennes en rseau avec les bureaux des autres rgions. A cet gard, Vronique Auger souligne que ! les rgions des pays fdralistes [sont] trs bien reprsentes Bruxelles. Les autres sy sont installes plus tardivement et avec moins de moyens financiers mais elles rattrapent leur retard en se regroupant!. De mme, Cline Chateau prcise que !les rgions les plus influentes, celles qui sont notamment dotes de pouvoirs lgislatifs comme en Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Autriche, Portugal, Finlande, Espagne et Italie, dveloppent leurs propres liens avec les institutions europennes et avec leurs propres reprsentations rgionales Bruxelles!. Linfluence de ces instances semble donc disparate selon les rgions.

    Deuximement, les rgions sont reprsentes au Parlement europen. Certes, si lon omet lexception britannique, les lections europennes ne sont pas organises selon un systme de circonscriptions rgionales mais la majorit des dputs europens prennent tout de mme en compte les intrts locaux et rgionaux dans leur travail parlementaire. Selon Olivier Costa, !En fonction des dossiers, des configurations politiques et de leurs choix et intrts personnels, [les dputs europens] se font tour tour les reprsentants des Europens, de leurs compatriotes, de leurs lecteurs ou des habitants de leur rgion ou commune. En outre, leurs activits sont guides dans bien des cas par leur exprience locale, comme en tmoigne le choix des exemples concrets qui tayent leurs argumentations!. Cette dfense des intrts locaux nest pas le propre des dputs rgionalistes, la plupart des dputs europens partagent cet objectif. Cela sexplique par le fait que !toute activit politique est lie une identit et des pratiques sociales propres un territoire, territoire qui est infra tatique pour la grande majorit des parlementaires europens, puisquils ne sont ni des responsables politiques nationaux de premier plan, ni une lite europenne durablement expatrie Strasbourg et Bruxelles!. Toujours selon cet auteur, on assiste une volution dans la conception de leur mandat de la part des dputs europens. La fonction de reprsentation des intrts rgionaux, auparavant juge !accessoire sinon honteuse !, serait dsormais perue comme un moyen de lgitimation contre laccusation de dficit dmocratique. Avec laccroissement des prrogatives du Parlement europen, qui en a fait un acteur primordial dans le processus lgislatif de codcision, les dputs ont d de plus

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  • en plus prendre en compte limpact de leurs dcisions sur les rgions et dvelopper !une conception plus pragmatique de leur mandat!. De mme, les lus locaux !accordent un intrt croissant aux travaux du Parlement europen et nhsitent pas solliciter leurs! dputs afin quils dfendent des intrts spcifiques !. Il existe plusieurs illustrations ce phnomne. Tout dabord, les origines gographiques des dputs sont prises en compte lors de la constitution des commissions parlementaires. Les dputs rgionalistes sont ainsi trs prsents dans les commissions propices la dfense des intrts rgionaux (agriculture, politique rgionale, environnement). Il en est de mme de la constitution dintergroupes rgionaux thmatiques ou gographique au sein desquels les dputs originaires de rgions lies par des enjeux communs peuvent sentendre pour dfendre leurs intrts territoriaux spcifiques (voir par exemple les intergroupes !Mer et zones ctires! ou !Minorits nationales traditionnelles, rgions constitutionnelles et langues rgionales!). Il est donc rare que les dputs europens ngligent totalement les enjeux rgionaux dans lexercice de leur mandat. " Par ailleurs, la reprsentation des intrts rgionaux au Parlement europen a t facilite par la constitution dun groupe politique commun entre les cologistes et lAlliance libre europenne (ALE), une fdration europenne de partis cre en 1981 qui rassemble plusieurs formations rgionalistes et autonomistes. Bien quassez diffrents, ces deux groupes partagent des objectifs communs ! : ! le respect des droits fondamentaux (parmi lesquels le droit lautodtermination), lapprofondissement de la dmocratie par la dcentralisation et la participation directe des citoyens au processus dcisionnel qui les concerne et la construction dune Union europenne fonde sur le principe de subsidiarit !. Ce groupe fond en 1999 sous lappellation !les Verts/ Alliance libre europenne! est aujourdhui le quatrime groupe sur les sept que compte le Parlement europen. Il regroupe actuellement 58 siges - issus de 15 pays membres - sur un total de 766 (soit 7,57% des membres de lhmicycle) et possde des dputs dans toutes les commissions parlementaires, en particulier dans celles propices la dfense des intrts rgionaux (12 pour la commission environnement, 10 lindustrie, 8 au dveloppement rgional). Le nombre de ses lus na cess daugmenter depuis sa fondation en 1999 (39 pour la lgislature 1999-2004, 42 pour celle de 2004-2009!et 58 aujourdhui). Compte tenu du fonctionnement du parlement europen, faire parti dun groupe politique est essentiel pour bnficier de visibilit et de moyens daction. Avant 1999, les partis rgionalistes taient marginaliss dans les grands groupes politiques (Parti populaire ou Socialistes dmocrates) ou bien non inscrits (de par leurs rticences siger avec des allis des gouvernements auxquels ils sopposent souvent). Lexistence dun tel groupe politique leur permet en thorie daccrotre leur capacit daction dans la dfense de leurs intrts territoriaux. Toutefois, il ne faut pas surestimer le ct fdrateur du groupe des Verts/ ALE. Sil regroupe actuellement plusieurs dputs issus de partis rgionalistes!(Scottish National Party, Plaid Cymru...) beaucoup de ces partis restent rattachs dautres groupes politiques. Par exemple, la Ligue du nord compte 7 dputs dont 6 sont membres du groupe eurosceptique !Europe liberts dmocratie!.

    Enfin et surtout, les rgions sont reprsentes au sein du Comit des rgions. Cet organe consultatif compte 353 membres issus des 28 pays de lUnion qui sont tous des lus ou des acteurs cls au sein des autorits locales ou rgionales de leur pays dorigine. Son rle est de faire valoir les points de vue des rgions dans le processus dcisionnel europen. La Commission, le Conseil et le Parlement sont tenus de le consulter sur les nombreuses thmatiques dintrt rgional (cohsion territoriale, transports et tlcommunications, nergie, ducation, sant publique, environnement, emploi etc.) et ils peuvent choisir de le consulter dans tout autre domaine. Le Comit peut mettre des avis de sa propre initiative, ce qui lui donne loccasion dinscrire lordre du jour des questions proccupant les pouvoirs rgionaux. Cr en 1994, il est initialement conu comme une assemble consultative assurant la liaison entre Bruxelles et lchelon local. Ses prrogatives vont tre

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  • progressivement augmentes mesure que sest affirme la dimension rgionale de lUnion. Avec ladoption du trait dAmsterdam en 1997, ses attributions sont tendues pour couvrir environ les deux tiers des propositions lgislatives de lUE. Par la suite le trait de!Lisbonne, entr en vigueur en 2009, va considrablement renforcer le rle du Comit des rgions et donc linfluence des rgions. Premirement, il va reconnatre explicitement et pour la premire fois le principe dautonomie locale et rgionale au sein des Etats membres. Le mandat du Comit est align sur celui du Parlement puisque sa dure passe de quatre cinq ans. De plus, il largit son domaine de comptences en y ajoutant la protection civile et le changement climatique et consacre la cohsion territoriale comme objectif fondamental de lUnion. Il prvoit galement que le principe de subsidiarit sapplique non seulement au niveau national mais aussi rgional ce qui signifie que lUnion est tenue de respecter les prrogatives locales. Par ailleurs, le Comit est dsormais associ lensemble du processus lgislatif et peut suivre toutes ses tapes. Il devient obligatoire de le consulter non seulement pour la Commission et le Conseil mais aussi pour le Parlement ! et ce, ds la phase pr lgislative. La Commission doit ainsi procder de larges consultations, et tenir compte, par un examen approfondi, des dimensions locale et rgionale avant de proposer de nouveaux actes lgislatifs. Cette contribution des rgions au processus lgislatif semble justifie lorsque lon sait que les collectivits locales et rgionales mettent en uvre 70% de la lgislation europenne. Enfin et surtout, le trait de Lisbonne dote les rgions et le Comit de nouveaux instruments politiques et juridiques pour faire respecter leurs prrogatives. Dune part les parlements rgionaux, avec laccord des parlements nationaux, ont un droit de regard sur la lgislation via le !mcanisme dalerte prcoce ! par lequel il peut tre demand le rexamen dun projet de texte lgislatif qui ne respecterait pas le principe de subsidiarit. Dautre part, le Comit des rgions peut dsormais introduire une action lgale devant la Cour de justice si une loi europenne ne respecte pas le principe de subsidiarit (en particulier si elle remet en cause des comptences locales) ou si, durant la procdure lgislative, les institutions europennes ont nglig les droits institutionnels du Comit. Lensemble de ces nouveauts est favorable une meilleure prise en compte des intrts locaux et un renforcement de linfluence des rgions lchelle europenne. " Pour Cline Chteau, lavantage de la reprsentation par le Comit des rgions par rapport au Parlement est !de privilgier une approche collective et transparente, o toutes les rgions (et autres niveaux de collectivits) ont des chances gales de faire valoir leur point de vue!. Elle considre toutefois que !les reprsentations par le Comit et par le Parlement ne devraient pas tre opposes, mais peuvent tre complmentaires. D'ailleurs, les avis du Comit qui ont le plus d'impact sont ceux qui sont relays par le Parlement!.

    Si lUnion europenne garde une !attitude relativement neutre sur la question de lorganisation interne des Etats membres! (Jean-Louis Bourlanges), on ne peut nier quelle a directement contribu renforcer les rgions sur un plan conomique, politique et institutionnel.

    II/ Un rle indirect": le paradoxe de la construction communautaire

    La dimension paradoxale de la construction europenne rside dans le fait que la poursuite de llargissement et de lintgration au sein de lUnion (B) ne sest pas accompagne de lmergence dune identit europenne (A).

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  • A) Labsence didentit europenne comme alternative

    Le rle de lUnion europenne dans le rveil du rgionalisme possde aussi une dimension plus sociologique et culturelle. En effet, laffaiblissement des Etats dcrit ci-dessus et la fragilisation de lidentit nationale qui en rsulte nont pas t compenss par la cration dune identit europenne alternative dans laquelle les citoyens pourraient se reconnatre. En consquence, ils se rabattent sur leur lchelon local et leur identit rgionale. " La disparition des monnaies nationales au profit de la monnaie unique est un exemple frappant. La monnaie est en effet une composante importante de lidentit nationale et son abandon marque un affaiblissement de cette identit. Max Gallo, ancien eurodput franais, avait dit ds 1999 Leuro est aujourdhui un fait mais je crains quil ne conduise lmiettement de la France en rgions et au triomphe du communautarisme. A cet gard, il est intressant de remarquer que la majorit des Etats faisant actuellement face des mouvements sparatistes font partie de la zone euro (Espagne, Italie, Belgique). " Pour Jean!Quatremer, !le rveil des !nationalismes! locaux [] naurait pu tre vit que si un !peuple europen! avait remplac ou stait superpos aux identits nationales, ce qui na pas t le cas!: lUnion reste avant tout une union dtats et ceux-ci font tout pour empcher lmergence dune conscience europenne qui transcenderait les identits nationales ! . Cette absence dune conscience europenne alternative a conduit un !regain des identits locales l o elles existaient!. Ce phnomne touche particulirement les Etats nations htrognes o des identits rgionales fortes existaient dj historiquement (lEspagne, lItalie, le Royaume-Uni). " Alors que lUnion europenne est devenue un espace de dcision primordial, cette absence de sentiment europen, de conscience europenne est paradoxale. Elle peut sexpliquer de plusieurs faons. Tout dabord, les Etats membres de lUnion ne partagent pas tous la mme langue, la mme religion, les mmes traditions. Sils partagent la mme histoire, celle-ci est souvent faite de guerres dont la mmoire divise parfois plus quelle nunifie. Sils partagent des valeurs dmocratiques, la notion de ces valeurs peut diffrer dun Etat lautre. Par ailleurs, les mcanismes traditionnels qui font que les citoyens sattachent leur Etat sont absents dans lUnion europenne ! : il ny a pas dimpts europens, les citoyens nlisent pas directement linstitution qui fait office de gouvernement, savoir la Commission, et la notion de patrie europenne est faible voire inexistante puisquils nont jamais eu se battre pour lUnion. " Beaucoup dexperts semblent partager cette vision et mettent en vidence la faiblesse voire labsence dune identit europenne et le maintien de lidentit nationale comme identit de rfrence pour les individus. Pour Vronique Auger !les individus sidentifient de plus en plus aux trois niveaux [europen, national et local] selon lendroit o ils se trouvent. Lidentit europenne tant la moins forte !. Peter Spiegel et Cline Chateau soulignent que ce sentiment diverge selon lorigine des individus et leur mtier. Pour cette dernire!: !L'identit d'un citoyen de 'grand' pays centralis comme la France est probablement plus nationale que celle d'un citoyen de pays fdral, comme l'Allemagne, o elle sera plus rgionale, ou encore celle d'un citoyen de petit pays comme les Pays-Bas ou le Luxembourg qui se verront peut-tre plus facilement europen. En ce qui concerne les fonctionnaires europens, a fortiori quand ils vivent depuis longtemps l'tranger, l'identit est forcment moins attache aux territoires!. De mme Peter Spiegel affirme !I have found very few Europeans who see themselves primarily as European, and those tend to be among the elites or those who have families that are from two or more European countries (Je connais trs peu deuropens qui se peroivent en premier lieu comme tels, et ceux-ci font plutt partie des lites ou viennent de familles originaires de deux pays europens ou plus).

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  • " Ces lments sont confirms par les Eurobaromtres. Ainsi dans les sondages raliss entre 1990 et 2006, la question !Vous arrive-t-il de penser que vous tes non seulement un citoyen (nationalit) mais aussi un citoyen de lEurope!? Cela vous arrive-t-il souvent, quelquefois, jamais!?! le !jamais! lemporte dans presque tous les pays. Si on constate une volution densemble avec une lgre baisse du jamais (de 50 43%) et une lgre hausse du !quelquefois ! (de 30 38%), la proportion de personnes rpondant !souvent! reste constante (aux alentours de 16%). De plus, ces sondages confirment des situations disparates selon les pays!: ainsi le sentiment europen est beaucoup moins important au Royaume-Uni (66% des sonds rpondent !jamais! contre 8% !souvent! en 2005) quau Luxembourg!(o on observe la tendance inverse avec respectivement 28% et 38%). Labsence de conscience europenne semble donc une ralit et constitue un cause plausible du rveil des mouvements rgionalistes en Europe.

    B) Llargissement et lintgration comme facteurs dencouragement

    Mais paradoxalement, la poursuite de llargissement et de lintgration au sein de lUnion europenne a aussi pu constituer un facteur dencouragement pour les mouvements rgionalistes. Lexistence de lUnion europenne reprsente tout dabord une garantie pour les rgions. Dans lhypothse o celles-ci, une fois indpendantes, seraient en mesure de devenir membres de lUnion, elles se verraient offrir un cadre rassurant en termes dchanges conomiques (monnaie, march unique) mais aussi de scurit (protection de lOTAN). Ainsi la perspective dune plus grande autonomie ou mme dune indpendance reprsente moins ! un saut dans linconnu ! (Jean Quatremer) et encourage lmergence de telles revendications. Pour Jean-Louis Bourlanges, les rgions indpendantistes trouvent dans lUnion !le moyen de se distancier de ltat central sans pour autant plonger dans le vide!." Les phases dlargissement semblent avoir eu des effets similaires. Daprs Vronique Auger !linformation transitant mieux dun pays lautre les pays les plus fdralistes comme lAllemagne ont commenc donner envie aux rgions des pays les plus centraliss comme la France!. De plus, la perspective dlargissement prochaine des pays comme la Serbie et le Montngro, augmentant dautant plus le nombre dEtats membres, tempre fortement la menace dune !mise lcart de lEurope en cas de scession! (J. Quatremer). Il semble en effet peu crdible que lUnion europenne refuse dintgrer des rgions comme la Catalogne ou lEcosse dont le poids gographique et conomique est plus important que pour certains de ses Etats membres.

    " LUnion europenne a donc jou un rle indniable et continue davoir une certaine responsabilit dans le phnomne dmancipation des rgions. Nous allons analyser en dtails quelques exemples de ces mouvements rgionalistes en nous concentrant sur leurs relations avec lUnion europenne.

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  • PARTIE 2- Les mouvements rgionalistes europens": points communs et diffrencesExemples de lEcosse, la Catalogne et la Ligue du Nord

    I/ Rgionalisme et Indpendance": quelle place pour un nouvel tat cossais en Europe"?

    Le sentiment national a une signification trs forte en cosse, il a t entretenu au cours des sicles en dpit de notre appartenance lUnion depuis plus de trois cent ans. Pendant tout ce temps, nous avons eu nos propres systmes lgislatifs et ducatifs, diffrents de ceux des autres parties du Royaume-Uni. Nous sommes une nation ancienne et fire. ." " " " Colin Keir,

    " Le 18 septembre prochain, les cossais vont tre appels se prononcer sur la sortie de lcosse dune Union tablie en 1707 avec la couronne dAngleterre donnant naissance au Royaume-Uni de Grande Bretagne. moins de six mois de la tenue de ce rfrendum historique pour lavenir constitutionnel de lcosse, le Parti Nationaliste cossais (SNP), dirig par son leader charismatique et Premier Ministre Alex Salmond, mne une campagne effrne afin de convaincre une majorit des lecteurs voter en faveur de lindpendance de cette nation ancienne et fire. Les derniers sondages indiquent que plus de 40% des cossais se prononcent dsormais en faveur dune sortie de lUnion, alors que 45% sy opposent. Les derniers 15% dlecteurs indcis apparaissent comme une cible qui intresse particulirement le SNP et les responsables de la campagne en faveur du ! Oui ! au rfrendum. " Depuis le lancement en mai 2012 de la campagne pour le rfrendum pour lindpendance, la vie politique cossaise et britannique sest vue galement marque par le dveloppement dun autre dbat portant sur la place ventuelle dune cosse indpendante au sein de lUnion europenne. La cration dun nouvel tat lissue dun processus de scession avec un tat dj membre de lUnion constituerait une situation sans !prcdent. Le caractre indit de cette situation, alli au silence des traits face au cas en prsence, contribue animer les dbats entre les partisans dune cosse indpendante en Europe et ceux pour qui une adhsion du nouveau pays se rvlerait quasiment impossible. Les rcentes dclarations du Prsident de la Commission europenne, Jos Manuel Barroso, jugeant lentre de lcosse dans lUnion !trs difficile, voire impossible! nont pas manqu de susciter les critiques de nombreux experts juridiques travers lEurope." Lcosse, en dpit de sa situation gographique priphrique, est une rgion trs attache lUE conomiquement et politiquement. Toutefois ce sentiment bienveillant lgard de lUE na pas t toujours de rigueur au nord de la frontire anglaise. Ainsi, une majorit dcossais se serait prononce en faveur dune sortie du Royaume-Uni de lUnion lors du rfrendum de 1975 (Mitchell et. Leicester!: 1999). Les gouvernements conservateurs et la rapide monte en puissance du SNP la fin des annes 1980, ont contribu convaincre le parti travailliste, britannique et cossais, de changer sa position vis--vis de lUnion Europenne. Aujourdhui le SNP, premier parti dcosse est partisan dune !Ecosse indpendante au sein de lUnion Europenne!et a publi en novembre 2013 un Livre Blanc intitul ! : ! lcosse dans lUnion europenne ! exposant les ambitions de sa stratgie

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  • europenne et critiquant lattitude agressive du gouvernement de Westminster et sa proposition de futur rfrendum sur la sortie du Royaume-Uni de lUnion. !Le SNP semble ainsi voir en lEurope un moyen de rassurer llectorat cossais dans la perspective de lindpendance tout en lgitimant ses arguments. Dans le cadre de notre tude, nous chercherons identifier les lments lorigine de cette aspiration rejoindre lUE et pourrons ainsi souligner le caractre sincre ou au contraire opportuniste de la stratgie de lexcutif cossais. " Comme le souligne Colin Keir, le sentiment national et nationaliste est trs prgnant en cosse depuis plusieurs sicles. Ce sentiment sincarnera dans la monte en puissance du SNP dans la seconde moiti du XXme et se ralisera finalement dans lengagement du parti travailliste pour la cration dun Parlement cossais la fin des annes 1990. Le nouveau gouvernement cossais, va tre ds lors charg de mettre en uvre la lgislation europenne sans pouvoir dfendre directement les intrts du peuple cossais Bruxelles. Cette frustration, issue partiellement du contrle prudent ralis par le Gouvernement britannique, participera encore davantage de la volont dmancipation des nationalistes cossais au sein de lUnion europenne.

    A) Le nationalisme cossais!: de lHome Rule la dvolution" En dpit de lordonnancement constitutionnel fix par les Actes de lUnion (Acts of the Union) en 1706 et 1707, le nationalisme cossais est rest largement rpandu au sein de la population grce notamment au maintien de lautonomie de certaines institutions cossaises telles que les systmes juridictionnel et ducatif ainsi que lglise Presbytrienne dcosse (The Kirk). Ces institutions, distinctes de leurs homologues anglaises ou galloises, ont contribu alimenter le sentiment national jusqu ce que les revendications politiques proto-nationalistes se matrialisent pour la premire fois la fin du 19me sicle par le biais dun mouvement prnant la mise en place de la Home Rule (Nagel!: 2004). Les partisans de ce mouvement, issus pour la plupart du parti Libral, demandaient plus dautonomie et de contrle par les cossais sur les affaires les concernant directement. En 1928, la fusion entre le Mouvement de lHome Rule et la Ligue Nationale des cossais donne naissance au Parti National dcosse, un des deux partis lorigine du SNP fond en 1934. Toutefois jusquaux annes 1960, si les lecteurs cossais semblent assez sensibles aux ides dun gouvernement autonome, ils ne seront pas enclins voter pour le parti nationaliste. Le SNP va connatre ses premiers succs lectoraux partir des annes 1970. Nanmoins, en dpit des efforts du SNP associs ceux du parti Travailliste cossaise pour lorganisation dun rfrendum sur lindpendance en 1979, le quorum de 40% de participation, ncessaire pour la validation du vote, ne sera pas atteint. Cet chec politique pour le parti Travailliste se traduira notamment par larrive au pouvoir de Margaret Thatcher. Au cours des gouvernements conservateurs, le parti travailliste commena se !tartaniser! paralllement aux nouvelles victoires lectorales du SNP. Un mouvement port par le parti travailliste, le parti libral, les glises dcosse et une importante partie de la socit civile cossaise mne jusqu la mise en place de la Convention Constitutionnelle cossaise (1989 1996) qui allait mener directement la dvolution. lu en 1997, sur un programme ayant promis notamment la cration dun Parlement cossais, le Labour Party soumet le Scotland Act au vote au Parlement de Westminster. Le Scotland Act portant cration du Parlement cossais est adopt en Mars 1997 avec plus de 74% des voix la Chambre. Quatorze ans plus tard, aprs avoir remport plus de la majorit absolue des siges au Parlement cossais lors des lections lgislatives de mai 2011, le SNP promet la tenue dun rfrendum sur lindpendance de lcosse, un lment de cristallisation de toutes les aspirations nationalistes.

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  • B) Les sympathies cossaises lgard de lUnion Europenne" Paralllement ce cheminement vers la cration du Parlement cossais, les diffrents partis politiques connaissent une volution de leur position vis--vis de la Communaut puis de lUnion europenne. Les sympathies cossaises ne furent jamais trs significatives au moment de la construction de la Communaut europenne. Au rfrendum pour lentre du Royaume-Uni dans la CEE, le soutien au !Oui! tait plus faible en cosse que dans lensemble du Royaume-Uni, environ 58,4% pour un taux de participation de 61.7% en cosse contre 67.2% en faveur du !Oui! et 62.7% de participation. De manire gnrale, lcosse, en tant que rgion priphrique, craignait la domination des conomies riches de la ! banane bleue ! . Lentre du Royaume-Uni dans la Communaut conomique, fut le fruit dun lobbyisme efficace du parti conservateur, non reprsent en cosse, !auquel tait oppos un sentiment danti-europisme chez les dputs cossais du parti travailliste. De son ct le SNP, pourtant bienveillant quant la communaut europenne dans les annes 1950 et 1960, dcida ensuite de faire campagne contre le processus europen dintgration et la communaut dans son ensemble en laquelle il semblait voir de lordre tabli des anciens tats Nations (Keating et Jones!: 1991). En 1982, lors de la confrence annuelle du SNP, son leader Gordon Wilson dclare que !ladhsion la Communaut conomique Europenne est incompatible avec les intrts nationaux cossais!. Toutefois six ans plus tard, lors de la confrence annuelle du parti en 1988, le SNP affirme quune adhsion de lcosse la Communaut europenne serait acceptable pour une cosse !enfin mme de dfendre ses intrts dans llaboration des politiques communautaires. " Depuis son arrive au pouvoir en 2007, !le SNP na cess de dfendre lide dune !cosse indpendante au sein de lUnion Europenne ! reprenant ainsi lexpression clbre et lambition porte par Jim Sillars, dput au Parlement britannque et membre du SNP." Ce tournant 180 degrs ralis par le SNP est considrer sur le long terme plutt quen pisodes qui successifs et inattendus. Il sest agit dabord pour les premiers eurodputs SNP de sassurer la captation de fonds structurels europens, limage de Winnie Ewing pour sa circonscription des Highlands et Islands. La perspective dune adhsion lUnion prsente de nombreux signes susceptibles de rassurer les lecteurs sceptiques quant au projet dindpendance dfendu par le SNP. Le concept dindpendance de lcosse au sein de lUnion permet au SNP de se distancier par rapport dautres parti autonomistes ou indpendantistes europens qui rejettent catgoriquement toute perspective dentre dans lUnion, comme la Ligue du Nord Italienne par exemple. Le projet cossais se positionne ainsi de faon plus moderne, plus pragmatique et faisant une valuation moins leve des cots de la scession. Par ailleurs, il permet au SNP de prendre clairement ses distances avec les franges les plus anti-europennes du parti conservateur issues du Thatchrisme. " De mme, alors que le parti travailliste stait prononc en faveur du retrait du Royaume-Uni de lUnion europenne, deux lments politiques vont participer du changement de position du parti. Lagressivit du Thatchrisme lgard de lUE et les succs du SNP la fin des 1980 ont effectivement pouss le parti travailliste dfendre lide dune !cosse dans le Royaume-Uni au sein de lUnion Europenne! (Burrows!: 2000). " Les aspirations pro-europennes des partis travailliste et nationaliste cossais neurent toutefois que trs peu dchos au-del des frontires britanniques jusqu la cration du Parlement cossais et mme aprs la mise en marche de la nouvelle institution. La structure institutionnelle et constitutionnelle mise en place par le Scotland Act de 1998 a en effet contribu maintenir linfluence

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  • crasante de lexcutif de Westminster dans la gestion des affaires europennes intressant directement le peuple cossais.

    C) Lmergence dune stratgie europenne de lcosse en rponse la frustration du contrle exerc par le gouvernement britannique dans la gestion des affaires europennes

    " Aprs la dvolution, les affaires europennes demeurent un domaine rserv du gouvernement de Westminster. Le changement institutionnel engendr par le Scotland Act concerne la possibilit pour les membres de lexcutif cossais de participer aux runions des Conseils des Ministres Bruxelles dans des affaires qui concernent directement lcosse. Avant les accords de dvolution, dans de tels cas despce, ce privilge tait rserv au Secrtaire dtat britannique pour lcosse. Cependant, les membres de lexcutif cossais ont tendance ne pas utiliser ce privilge. Un privilge relatif, qui leur donne le droit dassister et dintervenir dans les runions du Conseil en tant que membre de la dlgation britannique. Les interventions des Ministres cossais doivent par ailleurs respecter un ensemble de rgles clairement asymtriques, dfinies par le Scotland Act et par dautres accords conclus entre les gouvernements britanniques et cossais. Le systme de dvolution britannique repose sur une rpartition des comptences entre Holyrood (nom du Parlement cossais) et Westminster qui penche largement en faveur du second. Le Parlement et le Gouvernement cossais se voient dots de comptences subordonnes nappartenant pas au domaine rserv de lexcutif londonien. Toutefois le gouvernement britannique reste libre de lgifrer dans ces domaines sil estime que son intervention est ncessaire. De manire gnrale, les affaires europennes demeurent dans le domaine rserv du gouvernement britannique. Nanmoins, selon la lettre de la section 53 du Scotland Act, le Gouvernement cossais dtient la prrogative de la mise en uvre du droit primaire et driv europen. Le Memorandum of Understanding et des accords supplmentaires incluant le Concordat on Co-ordination of EU Policy Issues, adopt en 2002 organise la mise en uvre du droit communautaire entre les deux gouvernements. Cest au Gouvernement cossais de dcider aprs consultation avec Whitehall dans le cas o une partie du droit communautaire doit faire lobjet dune lgislation cossaise diffrente de celle britannique. En pratique toutefois, une grande partie de la mise en uvre du droit communautaire est prise en mains par le Gouvernement britannique de Londres travers des rglements qui sont appliqus directement par lexcutif cossais. En effet, alors que ! le trait de Maastricht introduit par exemple de nouveaux fonds europens pour linfrastructure et lcologie ceux-ci sont toujours grs au niveau des tats membres. Or, ces derniers sont libres de juger jusqu' quel niveau les rgions et leurs gouvernements dcentraliss peuvent participer llaboration et la mise en uvre de projets financs par ces fonds europens." Face un tel contrle de Whitehall sur les affaires europennes, les diffrents gouvernements cossais ont choisi de contourner la frustration hrite de lordonnancement constitutionnel en proposant de leur propre chef, des stratgies europennes afin dtre mme de dfendre au mieux les intrts cossais. " En 2004, le Premier Ministre travailliste Jack McConnell dcide de lancer la ! Scottish Executive European Strategy! pour dmontrer ses homologues britanniques et europens quil tait possible denvisager lexistence dune stratgie cossaise indpendante concernant les affaires europennes. Cette stratgie dveloppe au lendemain de llection de la deuxime lgislature au Parlement cossais poursuivait deux objectifs!: celui duvrer au positionnement de lcosse en tant que rgion leader sur les plans lgislatif et conomique tout en mettant la pression sur le gouvernement britannique, les tats membres, les rgions et les institutions de lUE affectant la policy-making pour lcosse. La stratgie se concentrait ainsi sur trois aspects des comptences gouvernementales !: la

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  • promotion des intrts cossais en Europe, loptimisation de linfluence du gouvernement britannique et enfin lamlioration de limage de lcosse par la construction notamment de partenariats rgionaux soutenant les liens commerciaux avec lEurope. Afin de mettre en uvre sa stratgie, le Gouvernement cossais pouvait compter sur la collaboration du Bureau cossais en Europe fond en 1992. Situ quelques centaines de mtres du Parlement Europen Bruxelles, celui-ci a ds lors la charge de guider le lobbying des groupes dintrts conomiques et sociaux cossais Bruxelles. Suite aux accords de dvolution, les comptences du Bureau cossais Bruxelles (BEB) va tre largi afin de faciliter le dveloppement dactivits de lobbying auprs de la Commission et des autres autorits europennes. Paralllement au BEB, le gouvernement cossais dcide galement de se doter dun bureau de reprsentation Bruxelles au sein mme de la dlgation britannique afin de relayer ses demandes et de renforcer linfluence de lcosse au niveau de lUnion. De mme afin dinfluencer la reprsentation du Royaume-Uni Bruxelles, le SEEUO publie chaque dbut de prsidence un document intitul !Forward Look! dans lequel sont reprises les priorits de la nouvelle prsidence et les domaines dans lesquels les intrts cossais pourraient tre affects. Cette publication dinformation est ralise en toute transparence sur le site du gouvernement cossais afin que les dpartements ministriels de Whitehall ne puissent ignorer les priorits et la ncessit de la dfense des intrts cossais. " Arriv au pourvoir aprs les lections lgislatives de 2007, le SNP dveloppe son tour un Plan dAction sur ses Engagements Europens. Contraint par la position assez faible des gouvernements rgionaux dans lUnion Europenne, lexcutif cossais sappuie sur la formation de partenariats rgionaux et daccords de coopration avec un nombre limit de rgions qui partagent les mmes intrts!: Flandre, Westphalie du Nord, la Rpublique Tchque et les pays Nordiques. Dans ce cadre, un accord de coopration bilatrale est sign en 2002 avec la Catalogne pour le dveloppement de projets dans les domaines de linnovation, de lducation et de la formation, de la culture, de lenvironnement et du e-gouvernement. " En dpit de toutes les initiatives entreprises pour influencer le gouvernement britannique et renforcer la position de lcosse au niveau de lUnion, les stratgies europennes des gouvernements travailliste puis nationaliste se rvlent peu ambitieuses et ne parviennent pas remettre en cause larrangement constitutionnel entre Holyrood et Westminster. Les deux stratgies sont le rsultat dune cohabitation politique hrite de la pax laburista (Burrows: 2010) mise en place aprs les accords de dvolution. Cette situation, ne garantissant aucune transparence ni responsabilit des gouvernements, semble stre brise avec larrive au pouvoir du parti conservateur et nationaliste de part et dautres de la frontire en 2010 et 2011. Le SNP, insatisfait des dispositions du Scotland Act concernant la gestion des affaires europennes et refusant une coopration souple avec le gouvernement de David Cameron, profite de sa majorit absolue au Parlement pour dvelopper une stratgie plus agressive en perspective de lindpendance de lcosse. Dans son Livre Blanc publi en 2013 et intitul !Scotland in the European Union!, le SNP affirme la volont dun gouvernement indpendant assis la table des ngociations pour dfendre les intrts du peuple cossais. En cas dindpendance le processus dadhsion lcosse serait ralis entre septembre 2014 et mars 2016 en accord avec le gouvernement britannique et avec le soutien du Conseil des Ministres. Les textes europens ne prvoient pas expressment lintgration automatique ou diffre dun nouvel tat qui aurait fait scession avec un tat membre. La demande dadhsion de ltat scessionniste pourrait tre apprhender selon la procdure de droit commun inscrite larticle 49 du TUE et qui prvoit une consultation de la Commission et du Parlement, un vote lunanimit du Conseil ainsi quune ratification de laccord dadhsion par tous les tats membres et par le nouvel tat membre. Toutefois,

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  • sans base juridique, le concept !dlargissement !intrieur!1, invite sparer les rgles et principes de ngociations appliques aux tats tiers et de ceux qui pourraient tre appliqus aux tats issus dune scission dun tat membre. Ainsi, selon le gouvernement cossais, lUnion ne pourrait se permettre de refuser lentre de lcosse dans lUnion sans risquer de renier les fondements dmocratiques sur lesquels celle-ci a t construite. " De nombreux experts juridiques du droit communautaire invite la pratique trouver une solution raliste et efficace lventuelle accession lindpendance dune rgion comme lcosse. ce sujet, David Edward, qui fut le juge britannique de la CJUE de 1992 2004 a rendu en 2012 un avis juridique 2 qui suggre une ngociation simultane de lindpendance et de ladhsion lUnion europenne. Cette ngociation pourrait couvrir un champ trs large allant de la monnaie aux nouveaux accords de rpartition budgtaire. Lobjectif tant dy associer lUnion europenne qui selon le principe de coopration loyale inscrit larticle 4 du TUE, ne pourrait adopter durant cette ngociation une attitude rendant impossible son aboutissement (Gounin!: 2013).

    " Linfluence des rgions sur les politiques europennes dpend de leur pouvoir dans leurs tats respectifs. Les rgions ayant le soutien de leurs Etats auront tendance tre plus puissants en Europe que les nations minoritaires.

    II/ Lexemple de la Catalogne, un retour historique

    A) Lidentit europenne de la Catalogne, une utilisation rhtorique

    " Le thme europen a toujours fortement imprgn le discours des nationalistes catalans, qui sen servent pour dune part ancrer leur diffrence par rapport lEtat-nation, qui sappuierait sur une continuit historique, mais aussi pour lgitimer leur action lchelle europenne.

    De fait, il sagit dancrer le couple Catalogne-Europe dans le pass pour le projeter vers lavenir. Les nationalistes catalans valorisent notamment lanciennet et la continuit de leur organisation en lappuyant sur lHistoire. Pour cette partie, on analysera les discours de Jordi Pujol, du parti CiU. Pour ce leader nationaliste emblmatique, la Catalogne na pas une vision diffrente de celle des pays europens de la premire Communaut, contrairement lEspagne. La Catalogne est carolingienne, proche des influences provenales et occitanes, dpendante religieusement de Narbonne jusquau XIIe sicle alors que lEspagne serait lhritire dune monarchie wisigothe, dj isolationniste en son temps, notamment vis--vis du reste de lEurope. En outre, cest travers la Catalogne que lEurope aurait reu une grande partie de ses influences dcisives comme linfluence arabe partir de lan 1000. Aprs la tentative infructueuse dassurer la prsence catalane au sud de la France, elle se lance la conqute de la Mditerrane, et grce une alliance avec lAragon, elle part la conqute de Valence. La Catalogne aurait donc acquis historiquement trois dimensions ! : sa dimension europenne continentale, sa dimension europenne mditerranenne et sa dimension pninsulaire, alors que le reste de lEspagne serait reste la priphrie de lEurope. Elle connatra ensuite une longue priode disolation, jusquau XVIIe sicle o elle recommence se sentir en

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    1 L. Roman, J. Matas I Dalmases, A. Gonzalez Bondia et J. Jaria Manzano Lampliaci interna de la UniEuropea. Anlisi de les conseqencies juridicopoltiques per a la Uni Europea en cas de secessi o dissoluci dun estat membre, Barcelone, Fondation Josep Irla, 2010.

    2 http://www.scottishconstitutionalfutures.org/OpinionandAnalysis/ViewBlogPost/tabid/1767/articleType/ArticleView/articleId/852/David-Edward-Scotland-and-the-European-Union.aspx

  • mesure de prendre des initiatives politiques et conomiques, en tentant dimiter le modle hollandais. Elle se rapproche ainsi de lEurope au XVIIIe sicle, sur les plans de la dmographie, de la modernisation de lagriculture, de lindustrie naissante, de laction commerciale dans le reste du monde. Pujol indique que ce !redressement se produit de nouveau sous le signe de lEurope et de leuropisme ! , alors que le reste de lEspagne aurait consolid un certain conservatisme isolationniste. Le XIXe sicle, qui marque la grande industrialisation de la Catalogne, finit de consolider cette dualit!; les mouvements artistiques europens, et en particulier le romantisme, ont dailleurs beaucoup de poids dans la rgion, ! tel point que leuropisme, de la fin du XIXe sicle jusqu aujourdhui pratiquement, a t considr par les Catalans comme un signe didentit!. " Pour les nationalistes catalans en gnral, et Pujol en particulier, les constantes historiques sont donc stables et sans quivoque, alors que la vague europiste en Espagne nest peut-tre pas aussi solide. Ladhsion de lEspagne la Communaut Europenne aurait en effet pu remettre en cause le caractre europen de la seule Catalogne, alignant le reste du pays cette perspective et enlevant un lment facile de diffrenciation qui reposait sur linsuffisance dautrui. Mais lEspagne reste en priphrie gographique, et ds 1986, il apparat ces nationalistes quil faudra !continuer tre un lment de liaison entre le Nord et le Sud!. " Ainsi, la personnalit catalane sancre dans le monde europen ! ; ses caractristiques sont mises en scne pour renforcer sa cohsion. Une autre arme rhtorique est celle de la perte de souverainet des Etats. Mais dans la construction europenne, cest bien lEtat que la souverainet reste reconnue. On peut, partir de l, catgoriser deux types dacteurs nationalistes!: ceux qui ont jou la carte europenne et considr quil y avait l un vritable enjeu dune part. Et ceux qui, minimisant voire sopposant cette donne, analysent lEurope comme le prolongement des Etats-nations, dautre part.

    B) Lactivit catalane dans larne tatique!: vers une projection europenne

    " Pour comprendre les perspectives de projection europenne catalanes, il est important de revenir sur la priode post-dictature en Espagne et de voir en quoi les lites catalanes, qui ne trouvaient pas un relais suffisant de leur voix au niveau tatique, ont ensuite cherch investir la scne europenne pour gagner une nouvelle plateforme dinfluence.

    Dans la deuxime moiti des annes 1970, avec la transition dmocratique en Espagne, la Catalogne est certainement la rgion qui reprsentait le plus lidal de rsistance dmocratique et national, et a pu ainsi devenir un acteur-cl de cette transition. Les demandes sont simples!: lamnistie, les liberts dmocratiques, et le retour au statut dautonomie de 1932, qui liminerait ainsi les provinces comme niveau dorganisation territoriale. La vision des lites tatiques tait cependant diffrente!: considrant le !problme historique catalan!, celles-ci ont pu mettre en place ds 1975 un dcret-loi prvoyant llection directe des gouvernements provinciaux, sans rgime spcial. Limportance du fait rgional nest cependant pas nie!: Juan Carlos 1er en fit la destination de son premier voyage officiel, le 16 fvrier 1976. Se met alors en place une certaine stratgie de flatterie au moyen de promesses dadministration locale et de reconnaissances culturelles, assortie de laffirmation dunit de lEtat espagnol. La stratgie de !dcentralisation administrative!, en ralit relativement centraliste, diverge profondment de lidal de dvolution dun vritable pouvoir politique la Catalogne. Manuel Fraga, issu de la tendance rformiste du trs conservateur gouvernement Navarro, prit alors la tte dune initiative pour un rgime spcial, mais a surtout trait le fait catalan comme un fait administratif, plus que constitutionnel. Cette initiative aurait dailleurs t approuve si les partis politiques plaidant pour un retour au statut dautonomie de 1932 navaient pas obtenu prs de 75% des

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  • voix en Catalogne le 15 juin 1977. Les ngociations qui sensuivent aboutissent rapidement la mise en place dune Generalitat provisoire. " La position officielle des teneurs du pouvoir en Catalogne est donc celle de llimination des provinces dans les ngociations pour une Constitution et pour un Statut dAutonomie, qui se heurte au refus catgorique des socialistes. En 1978, la version finale de la Constitution, et notamment larticle 137, illustrent bien la stratgie du centre!: !LEtat est territorialement organis par les municipalits, les provinces et les communauts autonomes constitues. Toutes ces entits possdent lautonomie pour grer leurs intrts respectifs!. Lquipe catalane a donc cd sur le point des provinces, point sur lequel on la fortement critique. Jos Sol Tura reconnatra en 1985 que ! la reconnaissance constitutionnelle de la province reprsente la principale dfaite politique des groupes pro-autonomiques !. La reconnaissance dun Statut dAutonomie pour la Catalogne est originellement assez vague, les acteurs envisageant une priode de consolidation. La matrise de lorganisation territoriale deviendra donc source de conflits entre les deux partis dominants, alors quau dbut des annes 1980, les Socialistes du PSOE entament une priode de domination de la vie politique qui durera 14 ans, paralllement la domination de la Generalitat en Catalogne. " A partir de l, les lites catalanes chercheront sinvestir dans larne europenne comme pour trouver une nouvelle plateforme de reconnaissance de leur voix. Alors que la rgion peut difficilement saffranchir de la tutelle madrilne, qui absorbe une grande partie de ses ventes extrieures et qui abrite les plus grands centres de finances et de recherche, elle cherchera de nouvelles projections. " Mais ces tentatives se heurtent certaines divisions internes entre les lites politiques catalanes!: les nationalistes du CiU et les socialistes du PSC poursuivent deux agendas diffrents, tel point que certains auteurs comme Michael Malloy parleront des Socialistes catalans comme du !cheval de Troie! des lites tatiques dans leur dsir de matriser le processus de rgionalisation au moyen dune dcentralisation administrative. Les Socialistes catalans sont en effet dans une position relativement dlicate en Catalogne, de par leurs liens troits avec le PSOE!: le PSC a largement adhr dans les annes 1990 la position classique des Socialistes espagnols et europens, en soutenant notamment la vision deloriste. Do laccusation frquente de la part du CiU de !brader la Catalogne pour obtenir de linfluence et du pouvoir Madrid!. Cet antagonisme provient en particulier du refus des Socialistes catalans de participer au gouvernement de coalition de Pujol en 1980. Ce dernier est la vritable personnification de la Catalogne sur lchiquier politique dans les annes qui suivent, de par sa position dominante dans le jeu politique rgional. Il dfend une vision moderne, conomiquement dynamique, culturellement progressiste, qui envisage lEurope comme vritable moteur davenir. Avec ces nombreux voyages travers lEurope, il acquiert limage dun acteur majeur du jeu politique europen.

    C) La projection catalane dans la sphre europenne

    " En 1991, les ngociations pour Maastricht, et notamment les perspectives de cration dun Comit des rgions, mettent un accent sans prcdent sur le transfert de prrogatives tatiques une organisation largie, augmentant ainsi le potentiel de transfert de prrogatives aux rgions. Avec le trait de Maastricht, qui dfinit lgalement le concept de !subsidiarit!, commence une priode de forte activit des rgions, le concept venant justifier leurs efforts. Les Catalans sont parmi les plus dynamiques dans les ngociations ! : Jordi Pujol est alors prsident de lAssemble des rgions europennes, Pasqual Maragall deviendra prsident du Comit des rgions, le communiste Antoni Guitires-Das est Prsident de la Commission sur la Politique Rgionale au Parlement Europen. Les Catalans sont aussi partie prenante de linitiative !Quatre moteurs pour lEurope!. Cette initiative, sans structure institutionnelle propre, regroupe quatre rgions !: le Bade-Wrtemberg, la Catalogne,

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  • Rhne-Alpes et la Lombardie, qui ont en commun un certain dynamisme au sein de leur Etat et une dimension exportatrice importante. La Catalogne entend safficher comme leader europen!: il sagit damliorer la comptitivit en intensifiant la collaboration en matire de recherche technologique et scientifique. Concrtement, laction vise rduire les cots dinformation et de transaction des entreprises, qui mettent en commun leurs bureaux de reprsentation, chaque rgion pouvant ainsi utiliser les structures qui lui font dfaut. Les bases sont poses dans le mmorandum de 1988, o elles dclarent que !les rgions participantes se considrent moteurs de la construction europenne tant lintrieur de leurs Etats qu lintrieur de la Communaut europenne, spcialement dans les domaines conomique, technique, scientifique et culturel !. Cet exemple dmontre la capacit de quelques rgions dynamiques se mouvoir dans lespace europen en agissant comme un lobby et en capitalisant ses nouvelles possibilits. " Dautres associations rgionales europennes viennent complter cette nouvelle plateforme et donner de nouvelles possibilits aux leaders catalans. LAssemble des Rgions dEurope (ARE) et le !Conseil des Municipalits et Rgions Europennes! (CMRE) dfendent respectivement lide dune plus grande implication des rgions dans les affaires europennes et dune gale reprsentation des rgions et municipalits. Le tournant est annonc ds mars 1991 par Jacques Delors devant le Parlement bavarois!: !la participation des rgions la construction europenne est un facteur essentiel de son succs!. LARE, qui reprsente plus de 180 rgions, est investie par Pujol, et le CMRE par Pasqual Maragall en 1992!: ce dernier se prononce avec Delors pour une reprsentation quilibre, qui prend galement en compte les municipalits." Mais cest surtout le Comit des Rgions qui devient une plateforme cruciale pour les ! revendications rgionalistes ! : largument municipal y est utilis pour viter un trop important dveloppement des prrogatives rgionales. Alors que lARE et le CMRE dbattaient encore sur son fonctionnement interne, ses principales caractristiques avaient dj t dfinies. La Confrence Intergouvernementale de novembre 1991 avait en effet accept la proposition allemande et espagnole de cration dun Comit des Rgions, malgr les rticences institutionnelles et tatiques allguant une potentielle source de discorde. La proposition initiale ne prenant en compte que les rgions a cependant t modifie pour inclure les municipalits, malgr les objections de Pujol, qui dnonait la potentielle confusion quengendrerait ce mlange ainsi que lassociation du Comit avec le Comit Economique et Social, considr comme une simple entit symbolique. La position catalane de la Generalitat sur le Comit a t prsente en janvier 1993 sous le titre !Maastricht et les rgions!!: !pour la premire fois, le Trait de Maastricht nonce le fait rgional, la ralit des rgions dans le texte dun trait communautaire ! , marquant ainsi une volution politique de la construction europenne et de lEtat vers un modle dorganisation plus dcentralis. Lconomiste Alvin Toffler allait mme jusqu prvoir labsorption des Etats dans un super-Etat ainsi que la dvolution dune partie de leurs comptences aux autorits locales. La position catalane reprenait galement la notion de subsidiarit qui dmocratiserait la construction europenne en rapprochant les gouvernements et les peuples!: la notion de rgion dans son identit est ainsi essentielle. " La stratgie europenne de la Generalitat cherche donc crer une relation directe avec Bruxelles au niveau politique pour renforcer sa rgion et remdier aux questions dautonomie. Dautres leaders, comme Pasqual Maragall dans !Rgions et Villes en Europe!, mettent quant eux laccent sur les villes comme lment essentiel et indispensables intermdiaires dans la construction europenne, alors que les Socialistes sont encore relativement exclus de la Generalitat, mais contrlent un grand nombre de villes. Il sagit daccorder une gale dignit tous les niveaux de reprsentations, appelant ainsi la gnrosit des rgions dEurope afin quelles cohabitent avec les municipalits. La session inaugurale du Comit des Rgions portera dailleurs lempreinte de Maragall, qui est lu vice-

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  • prsident. Avec Jacques Blanc, Prsident, il insistera sur le fait que lUE est une union dEtats, dfinissant ainsi clairement les limites du Comit!: il ne cherchera pas interfrer dans les relations internes entre autorits centrales et rgionales, et ne saurait tre utilis comme plateforme pour la ralisation dun quelconque agenda rgional ambitieux. De fait, lagenda du Comit se limitera des questions troites et concrtes, des tches administratives visant mieux faire comprendre les fonds de cohsion et structurels ainsi que renforcer le sentiment dappartenance du peuple. Son rle sera surtout consultatif sur les questions denvironnement, de technologies, demploi et daffaires institutionnelles, retranchant ainsi le Comit derrire une vision relativement restrictive de lactivit des rgions dans lUnion. Le rapport Westendorp confirmera le fait que les intrts tatiques ont canalis la question rgionale partir de la dcentralisation administrative qui tend finalement accrotre le potentiel de lEtat. " La projection europenne de la Catalogne tend donc affirmer sa propre diffrence davec le reste de lEtat-nation. Les actuelles difficults rencontres par le projet de rfrendum 9-N (9 novembre 2014), en cho avec celui organis en Ecosse pour lautodtermination, participent de cette relation relativement conflictuelle : alors que Bruxelles, et notamment lactuel vice-Prsident de la Commission Joaqun Almunia, restent prudents et vasifs dans leurs ractions, lactuel gouvernement espagnol soppose fermement la tenue de ce rfrendum, avanant largument constitutionnel.

    III/ Rgionalisme en Italie": La Ligue du Nord et La Padania

    Introduction

    " En novembre 2013, des rumeurs sur une nouvelle alliance politique d'extrme droite pour la campagne lectorale europenne de 2014 circulent dans les mdias europens. Il sagit dune association base sur l'Alliance Europenne pour la Libert, forme en 2010, et reconnue et finance par l'Union Europenne depuis 2011. Lors d'une confrence de presse, Gert Wilders, chef et fondateur du parti nationaliste nerlandais PVV, et Marine Le Pen, prsidente du Front National franais, confirment ces rumeurs et annoncent une coopration historique des!mouvements patriotes pour la lutte contre!ce monstre nomm Bruxelles, comme le prcise Wilders (Delaunay 2013). Selon Le Pen, cela montrerait qu'une belle dynamique a commenc: Les citoyens europens se dressent contre l'UE. Ils souhaitent dfendre leur identit (Touriel 2013)." Parmi les partis qui se runissent sous cette alliance se trouve aussi la Ligue du Nord, parti sparatiste italien qui se dit lutter pour lindpendance de la Rgion fictive de Padania. Le chef de la dlgation des neuf eurodputs de la Ligue du Nord, Lorenzo Fontana, a dclar que son parti veut se runir avec d'autres forces eurosceptiques pour donner plus de pouvoir aux rgions et moins un tat supranational et bureaucratique tel que l'Union Europenne (Lahodynsky 2013). Ainsi, le discours actuel de la Ligue du Nord s'inscrit dans une tendance europenne eurosceptique, base, comme on le verra dans cet article, sur des questions d'identit et souverainet, des intrts socio-conomiques et une idologie anti-litiste. " Afin de mieux comprendre ce discours ainsi que la stratgie de la Ligue du Nord, on dgagera d'abord brivement les racines historiques du rgionalisme italien, ce qui nous mnera la formation de la Ligue du Nord et la conception de la fiction de Padania. Puis, on analysera les conditions sous lesquelles le parti sest form pour tracer par la suite le dveloppement et le changement de son discours envers ltat central et l'Union Europenne. La thse centrale que l'on dveloppera ici est que le discours de la Ligue du Nord peut tre divis en deux phases bases sur les mmes axes!: le centre

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  • contre la priphrie et le peuple contre l'lite, mais qui changent par rapport la dfinition de ce quest le centre ou bien la priphrie et de qui est le peuple et l'lite (Albertazzi et MacDonnell 2010). La premire phase est un discours intra-national qui s'appuie sur l'Union Europenne afin d'intgrer la rgion fictive de la Padania dans l'conomie mondiale (Huysseune 2010:221) et battre les lites de ltat central italien. La deuxime phase est un discours populiste anti-europen de protection identitaire et conomique qui s'inscrit dans une tendance europenne plus large contre les lites et ! ltat central europen !. Ce dernier culminait dans la formation de l'alliance d'extrme droite europenne pour les lections europennes de 2014. Ce changement d'ennemi politique contradictoire fait de la Ligue du Nord un !camlon politique! pour lequel la dfinition de !l'ennemi politique! semble tre un choix purement stratgique (Albertazzi et McDonnell 2010:209/210).

    A) Racines historiques du rgionalisme en Italie" D'aprs Clotilde Champeyrache, on peut trouver les racines du rgionalisme italien dans la longue tradition des partis dits ligues en Italie qui, partir du moyen ge, formaient des unions entre les villes pour faire face des menaces extrieures (Champeyrache 2002:17). En 1861, le royaume d'Italie est impuls par le haut sous la domination de la Rgion du Pimont et sans option fdraliste. Beaucoup de ligues ont lutt contre cette impulsion car elles voyaient en elle une menace litiste extrieure leur propre souverainet et identit. Le manque d'une identit italienne dans la jeune nation est reflt par les mots du penseur Massimo Taparelli d'Azeglio: !LItalie est faite, maintenant il faut faire les Italiens! (Guichonnet 2002)." Dj cette poque de Resorgimento (mot italien pour rsurrection faisant allusion l'ide d'une Italie renaissante et unifie), il y avait un axe nord-sud important qui devait, plus d'un sicle plus tard, devenir la base du discours sparatiste de la Ligue du Nord. En effet, la Ligue se rfre ouvertement Alfredo Nicefero qui luttait alors pour un tat Italien compos uniquement des rgions du nord (Champeyrache 2002:18). Cet objectif tait bas sur l'ide raciste que l'Italie du nord serait compos de septentrionaux, c'est--dire issus du nord comme les allemands, les slaves et les franais celtes alors que le sud de l'Italie serait compos des primitifs mditerranens. Cette diffrenciation entre nord et sud fut l'origine de l'idologie lombarde reprise par la Ligue du Nord et son fondateur Umberto Bossi dans les annes 90." Lobjectif de cration d'une identit italienne a t le plus accompli par Benito Mussolini et sa dictature fasciste. Cependant, la dfaite humiliante de l'Italie pendant la Deuxime Guerre Mondiale rouvre des fausss et mne un rejet de toute forme de nationalisme (Champeyrache 2002:23). Ce n'est qu' partir des annes 80 dans le contexte de la crise du modle bipartisan du Partito Comunista Italiano et de la Democrazia Cristiana que la notion de territoire est rintroduite sur la scne politique italienne par la Ligue du Nord (Champeyrache 2002:19).

    B) Formation de la Ligue du Nord et premire phase" La Ligue du Nord a t fonde en 1989. Elle runissait les rgionalistes dont le plus important est la Lega Lombarda. Le contexte international tait alors marqu par les politiques nolibrales de Ronald Reagan et Magret Thatcher, l'Acte Unique Europen en 1986, la chute du mur de Berlin et la fin de l'Union sovitique!; vnements importants dans lmergence de la Ligue du Nord (Huyssenne 2010:222) dont le but principal tait de reprsenter et runir les petites rgions nord-italiennes.

    " Pour crer une identit transrgionale liant les rgions de l'Italie du nord, la Ligue du Nord dveloppe dans une premire phase un discours qui se base sur deux lments principaux.

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  • " D'un ct, elle se sert de la mondialisation conomique ainsi que de l'intgration europenne en tant que facteurs justifiant une sparation territoriale du Nord de l'tat d'Italie. Les rgions du nord se caractrisent par une culture industrielle et une puissance conomique importante en fort lien avec les cultures locales. Pour Frederico Rampini ! le territoire est en Italie un facteur clef dans la formation de lidentit politique. Sur les racines rgionales et municipales se greffent des formes didentit historico-culturelles et une communaut dintrts socio-conomiques. Enfin, lors des crises les plus aiges, le territoire sert galement identifier les ennemis, se diffrencier deux, les exclure (Rampini!1994). Porteur d'un discours nolibral, la Ligue du Nord soutenait l'intgration des rgions du nord dans l'conomie mondiale tout en dfendant les valeurs conservatrices et traditionnelles de ces rgions (Cento Bull et Gilbert 2001:211). Associ au sud conomiquement plus faible, ltat central italien avec sa capitale, Rome, tait vu comme une menace extrieure qui empcherait la participation prospre du nord dans l'conomie europenne et mondiale. Ces intrts socio-conomiques communs aux divers mouvements rgionaux ont cr un sentiment de communaut et ont aid la Ligue du Nord dclencher une ! monte dun nationalisme ethnique et rgional marqu au Nord, lequel saura se faire entendre politiquement plus large chelle que celle juste de la rgion (Champeyrache 2002:39). Ainsi, on peut observer une volution de l'identit territoriale ! : on passe d'une identit locale reprsente par les diverses ligues une identit transrgionale reprsente par la Ligue du Nord. Cette volution atteint son znith avec la cration de la mta-rgion Padania en 1995." D'un autre ct, le discours s'ancre dans un dualisme peuple contre lite. Lorsque les dimensions territoriales changent, ! l'autre ! contre qui la Ligue se dfinit ne change pas ! : la population du sud est prsente comme infrieure celle du nord et l'lite de ltat central est vue comme corrompue et menaant le peuple simple, unifi, pur et travailleur ainsi que ses traditions et son identit (Albertazzi et McDonnell 2010:128, Mny et Surel 2004:257). Ce discours populiste est notamment port par Umberto Bossi, pre fondateur de la Ligue du Nord, qui crit dans le journal de la Ligue La Padania!: !Je ressens que le bien est l o il y a le peuple. Le mal se niche dans les corridors du pouvoir.! Selon la dfinition Weberienne d'un leader charismatique (Weber 2003), c'est le capo (le leader) ou bien le guerriero (le guerrier), comme est notamment appel Bossi par ses soutiens, qui incarne la volont du peuple et le seul qui peut sauver le peuple contre l'lite avide et loigne de Rome (Albertazzi et McDonnell 2010:130). Ici la nouvelle identit padane devient une identit dfensive servant comme refuge contre un monde extrieur hostile (Castells 1999).

    " Pour conclure, on peut dire que lors de la premire phase, la Ligue du Nord insre son projet de crer une identit commune aux rgions du Nord dans le processus de mondialisation conomique. En dfinissant des intrts socio-conomiques communs du !peuple ! du Nord et en construisant l'ennemi commun de l'lite politique Rome, le discours de la premire phase est marqu par un modle asymtrique/populiste de libralisme conomique et protectionnisme culturel (Huyssenne 2010). L'Union Europenne et notamment l'intgration conomique n'est alors pas vu comme menaante, mais plutt comme favorisant les intrts conomiques du Nord et comme atout contre l'tat central italien.

    C) Deuxime phase et discours dans le contexte des lections europennes de 2014

    La position de la Ligue du Nord a depuis lors chang plusieurs reprises si bien quaux lections de mai le parti se prsente alli aux forces eurosceptiques. A travers des continus !U-turns! en matire dEurope (Iltanen et Kritzinger, 2004 et Giordano, 2008) ce parti a considr lUnion

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  • Europenne la fois comme un atout pour sa cause indpendantiste et la fois comme un ennemi fdrateur." Un premier changement de discours par rapport la question europenne peut tre dj enregistr vers la fin des annes 90. En effet, aprs lentre de lItalie dans le Systme montaire europen la Ligue commena rvaluer ses positions. La vacuit des promesses dempowerment des rgions europennes, le pouvoir concret restant en ralit aux mains des Etats membres et du Conseil, rendait toute rhtorique pro-europenne inutile pour le projet indpendantiste du parti. Ainsi, comment lexplique Iltanen, le discours du fondateur et actuel secrtaire, Bossi, devint progressivement eurosceptique. Il commena par affirmer que le processus dintgration stait rvl ngatif pour lItalie du Nord !en accusant le Systme montaire europen davoir eu un impact positif pour les grandes industries au dtriment des petites et moyennes entreprises la base du tissu conomique de la Padanie. Paralllement il critiquait les rformes de lAgenda 2000 de la PAC affirmant quelles taient formules en faveur de lAllemagne et des nouveaux Etats membres ( lpoque lAutriche, la Finlande et la Sude) et que le rgime daides aux Etats membres tait favorable de faon disproportionne au Sud dItalie. Le ton populiste dans ce premier virage est dj vident.Le virage devint encore plus vident lors de la campagne pour les lections de 2001 o la Ligue se prsenta en qualit de !dfenseur du Nord contre la globalisation et lUnion Europenne.! (Betz, 2002 as cited in Albertazzi and McDonnel, 2005); un changement qui concida avec laccentuation de la rhtorique en faveur de la !dvolution!, du transfert de plus en plus de pouvoirs de lEtat central vers les rgions, projet de rforme purement interne pour lequel lUnion europenne navait aucun rle jouer. Daprs Diamanti, ce changement reprsenta la transformation de la Ligue du Nord dun mouvement politique novateur qui considrait la mondialisation conomique et lintgration europenne positivement un mouvement ayant pour principal objectif de rflchir et reproduire la peur (Diamanti, La Repubblica, 12 octobre 2003). La Ligue du Nord devint ainsi en vue des lections de 2001 le miroir en Italie de la peur des effets de la globalisation conomique et culturelle et par consquent, galement du projet dintgration europenne. Si comme lavait affirm Bossi: !le mal se niche derrire les couloirs du pouvoir!, partir de la campagne lectorale de 2001 et pendant tout mandat du fondateur Umberto Bossi, les couloirs de Bruxelles devinrent les nouveaux couloirs de pouvoir pour la rhtorique leguiste, se substituant partiellement ceux de Rome. Bruxelles tait dsormais la !nouvelle Rome centralisatrice, hyper-bureaucratise et corrompue! (Cesaro, 2012). Lattitude anti-europenne de la classe dirigeante du parti mergea comme une des particularits du parti si bien quen 2011 Romano Prodi affirma : ! La Ligue du Nord est une force clairement anti-europiste!.

    Comment peut-on comprendre ce virage!? La cause rgionaliste joua-t-elle un rle dans ce changement!? La rponse est ngative, le virage peut tre principalement considr comme influenc par des considrations relevant du simple intrt politique. Tout dabord aux lections nationales de 2001 la Ligue du Nord, qui avait rengoci un accord avec Forza Italia et Alleanza Nazionale, connut une grosse dfaite. En effet, dans un contexte o, daprs B. Giordano, la Ligue ntait plus perue par llectorat de lItalie du Nord comme la seule force apte reprsenter ses intrts, le parti rgionaliste perdit presque 1,5 millions de votes par rapport aux lections de 1996, passant du 10,4% des voix un inattendu 3,9%. Une telle baisse rendit ncessaire un changement de stratgie. Ainsi, dans un climat o Diamanti tmoigne dune premire monte de pessimisme par rapport lUnion Europenne dans le Nord dItalie !la rponse de la Ligue fut dintensifier sa rhtorique anti-Union Europenne stait de toute faon dveloppe la fin des annes 90.! (Giordano, 2004!:67)

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  • " Cette hostilit grandissante envers lUnion, au processus dintgration et toute forme de dlgation ultrieure de pouvoirs en direction de Bruxelles resta longtemps le fil rouge du positionnement de la Ligue. Nanmoins un changement porta la Ligue du Nord prendre, au moins dans le discours officiel, un virage pro-europen sous la guide du nouveau secrtaire Maroni en 2012. Dans le !Manifeste pour le Nord!, le document programmatique publi aprs les grands scandales qui touchrent le parti et la consquente baisse de soutien, une autre inversion de tendance est vidente. La rhtorique anti-europiste est remodele pour faire place un discours qui intgre lancienne question de lindpendance padaine lancien objectif de !lEurope des Rgions!. En effet, le manifeste proclame: ! Avec lmergence et la diffusion de la crise mondiale il reste fondamental que la Ligue du Nord, en tant que force politique proche des citoyens et qui se fait interprte des exigences du Nord du Pays, donc de la question septentrionale, redfinisse son approche propos des thmatiques europennes. La nouvelle approche tait ainsi explicite: !nous voulons que dans la construction de la Nouvelle Europe, les Etats nationaux dsormais en fin dexistence, soient dpasss pour laisser place aux Rgions, aux Macrorgions.!. Concrtement le document proposait donc la cration dune macro-rgion,!!lEurorgion du Nord! concidant avec la Padanie, autodtermine et attache lUnion Europenne. Il semble que dans un contexte deuropanisation des politiques publiques, et sous le guide du secrtaire Maroni qui cherche donner la Ligue lallure dun parti responsable et de gouvernement, la direction retourna vers une vision proche de celle des origines et des thorisations de Gianfranco Miglio do la rfrence lEurope des Rgions et la volont dutiliser lEurope pour se dtacher encore plus du Sud de lItalie." Encore diffrente est la position avec laquelle la Ligue se prsente aux lections europennes de mai de cette anne. Aprs cette brve parenthse!institutionnaliste, la ligue est retourne ses anciens slogans populistes avec llection de son nouveau secrtaire en dcembre. En effet, le nouveau secrtaire Salvini, depuis le dbut de son mandat, a adress ses attaques principalement Bruxelles et non plus Rome (Il fatto quotidiano, 2014). Le jour de son lection il affirma ! : !Ma Ligue sera une ligue de bataille qui aura comme premier objectif de reprendre la souverainet lUnion Europenne !. Un choix qui a port la Ligue du Nord sallier au Front National et aux autres forces eurosceptiques et souverainistes en Europe. Un choix qui est trs intressant si on considre que la Ligue du Nord est un parti n contre lEtat centralisateur. Comment sallier des forces souverainistes quand au niveau national on est oppos la centralisation des pouvoirs? G. Speroni, co-prsident de lELD et eurodput nous a rpondu que ctait possible. Il sagit de !combattre les mmes objectifs dans deux champs de batailles diffrents. ! De cette affirmation on comprend que lUnion Europenne nest plus considre par la Ligue comme un atout pour la cause indpendantiste. En tout cas, ce dernier !U-turn! semble conditionner significativement les positions du mouvement si bien que, pour la premire fois depuis la naissance du parti, le symbole qui sera dessin sur les bulletins de vote des lections europennes ne mentionnera plus le terme Padania mais Basta Euro. Un changement important parce que le parti ne prsentera plus aucune rfrence la rhtorique indpendantiste propre au mouvement mais plutt une rfrence explicite leuroscepticisme. Une explication ce renversement susceptible selon Salvini de donner ! une connotation politique lie au futur! pourrait tre, encore une fois, une stratgie politique adopte la lumire de la difficile situation interne qui caractrise aujourdhui le parti qui, selon les derniers sondages des lections du Parlement Europen est crdit de 4.3% des voix alors quen 2009 il avait atteint les 10.9%.

    En conclusion, dans le panorama des partis rgionalistes la Ligue du Nord apparait donc comme une pure exception. Son positionnement par rapport lUnion Europenne et aux questions

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  • europennes, aprs une premire phase qui considrait lUnion comme un atout pour achever sa cause indpendantiste, semble avoir t plus li des considrations dintrts politiques contingents plutt qu une stratgie finalise lobtention de lindpendance qui reste encore lobjectif que le parti propose. En ce sens, la Ligue du Nord apparait donc dans le cadre des mouvements rgionalistes comme un animal politique et prcisment comme un camlon politique capable de changer ses positions avec des continus !U-turns! qui paradoxalement restent la principale constante historique de ce parti. En effet, daprs Giordano la force principale de la direction de la Ligue du Nord a t, et reste aujourdhui, sa capacit de modifier et changer sa ligne politique tout en maintenant le support de sa propre base lectorale. Ds son origine de parti anti-Sud, anti bureaucratie et anti taxes, la rhtorique du parti a volu plusieurs reprises en se transformant en un parti anti-immigrs, anti-europiste et aujourdhui anti-euro. Si cette constante rinvention peut apparaitre schizophrnique, en ralit il sagit plutt dune vritable stratgie politique formule par Bossi et les secrtaires successifs du parti Maroni et Salvini dans le but de se garantir un soutien politique dans les diffrents climats politiques italiens un projet indpendantiste quelle a impos plutt que porter une vritable demande populaire.

    PARTIE 3 Perspectives de gouvernance europenne ": la rgion comme entit de rfrence?

    I/ La rgion comme nouvelle communaut imaginaire

    Si lhgmonie de lEtat-nation dans la modernit post-1789 nest pas dmontrer, on peut interroger, au vu de la progression du cadre de rfrence rgional et de son exploitation lchelle europenne, la future configuration de la gouvernance. LEurope des rgions est-elle un horizon possible!?

    Le principe de souverainet territoriale connat une priode de difficults!: il est mis mal la fois par le bas avec les rinventions identitaires, mais aussi par le haut avec la modernit transnationale en gnral et la construction europenne en particulier. Do un certain regain de faveur pour lide de rgion, qui apparat a priori