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Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de l'exercice de fonctions administratives Mémoire Marc-Alexandre Croteau-Thomassin Maîtrise en droit Maître en droit (LL.M.) Québec, Canada © Marc-Alexandre Croteau-Thomassin, 2017

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Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de l'exercice de fonctions administratives

Mémoire

Marc-Alexandre Croteau-Thomassin

Maîtrise en droit Maître en droit (LL.M.)

Québec, Canada

© Marc-Alexandre Croteau-Thomassin, 2017

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Les pouvoirs de contrainte utilisés dans le cadre de l'exercice de fonctions administratives

Mémoire

Marc-Alexandre Croteau-Thomassin

Sous la direction de :

Pierre Lemieux, directeur de recherche

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iii

RÉSUMÉ

Au Québec, le 20e siècle a été le théâtre d’une forte expansion de la taille de l’État. L’une

des conséquences de cette expansion est la multiplication des domaines faisant

désormais l’objet d’une vigie par un acteur de ’Administration et, conséquemment,

l’augmentation de la responsabilité de l’État dans les domaines qu’il investit.

Afin d’évaluer la suffisance des pouvoirs de contrainte dont est dotée l’Administration

québécoise pour prendre en charge cette responsabilité, l’auteur a procédé à une méta-

analyse de 216 habilitations contenues dans un échantillonnage de quatre-vingt lois

québécoises. À cette occasion, chacun des pouvoirs de contrainte et accessoires à la

contrainte a été étudié sous les angles suivants :

1. Fréquence et historique;

2. Objectif, nature et portée;

3. Libellés des dispositions mettant en place le pouvoir ou l’accessoire;

4. Formes usuelles (titulaires et modalités).

Cela a permis de dresser un portrait de la diversité et des particularités de ces pouvoirs de

contrainte et accessoires à la contrainte. L’auteur en vient à la conclusion qu’il existe une

série de pouvoirs de contrainte et d’accessoires à la contrainte qui constitue un « noyau

dur » commun à une grande partie de ces habilitations. Leur mise en place successive par

différents légistes répartis dans un ou l’autre des ministères et organismes de l’État

québécois semble avoir permis l’émergence d’innovations méconnues, mais aussi de

diverses incohérences, omissions et redondances qui sont sources d’incertitude juridique.

Il conclut qu’il serait préférable d’uniformiser ce noyau dur par son intégration au sein

d’une seule loi à laquelle réfèreraient les lois particulières. La Loi sur les commissions

d’enquête (RLRQ, chapitre C-37) ayant déjà un rôle analogue au sein de la législation en

place, cette uniformisation pourrait prendre la forme d’une révision et d’une mise à jour de

cette loi restée presque inchangée depuis 1895.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé .......................................................................................................................... iii

Table des matières ......................................................................................................... iv

Liste des figures ............................................................................................................. vii

Liste des tableaux ......................................................................................................... viii

Remerciements ............................................................................................................... ix

Introduction ..................................................................................................................... 1

Méthodologie ........................................................................................................... 8

Méthode d’échantillonnage ........................................................................... 8

Méthode de recensement des pouvoirs parmi l’échantillon.......................... 10

Méthode d’analyse ...................................................................................... 11

Présentation des résultats ..................................................................................... 13

Partie I : La collecte de l’information .......................................................................... 14

Section 1 : Collecte de l’information détenue par les administrés et les tiers .......... 15

1.1 - Obtenir les documents et renseignements .................................................. 15

1.1.1 Les pouvoirs de demander des documents et des renseignements .. 15

1.1.2 Les subpoenas duces tecum (assignations à produire) .................... 24

1.1.3 Les demandes péremptoires ............................................................ 30

1.1.4 La collecte extraterritoriale d’information........................................... 33

1.2 - Obtenir la déclaration d’un individu ............................................................. 35

1.2.1 Le pouvoir d’interroger ...................................................................... 35

1.2.2 Le pouvoir d’exiger une déclaration écrite ......................................... 39

1.2.3 Les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure ................................... 40

Section 2 : Analyse de l’information et constatation directement par l’acteur chargé de la collecte............................................................................................................... 43

2.1 - Pouvoirs d’analyse et d’examen ................................................................. 43

2.1.1 Le pouvoir d’exiger ou de prélever des échantillons ......................... 43

2.1.2 Le pouvoir d’installer un appareil de mesure ..................................... 46

2.1.3 Le pouvoir de photographier/enregistrer ........................................... 48

2.1.4 Le pouvoir d’examiner des biens ou des documents......................... 49

2.1.5 Le pouvoir d’exiger un examen médical ............................................ 51

2.2 - Pouvoirs de pénétrer dans un lieu, d’inspecter et de perquisitionner .......... 52

2.2.1 Le pouvoir de pénétrer dans un lieu et le pouvoir de perquisition ..... 52

2.2.2 Le pouvoir d’immobiliser et d’inspecter un véhicule .......................... 60

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2.2.3 Le pouvoir d’utiliser un ordinateur ..................................................... 61

Partie II : L’élimination des entraves et l’application de la loi par l’acteur de l’Administration à l’occasion de la collecte d’informations .......................................... 65

Section 1 : Dispositions facilitant l’accès à l’information ......................................... 66

1.1 - Immunités de l’acteur de l’Administration chargé de la collecte .................. 66

1.1.1 Les clauses privatives ....................................................................... 66

1.1.2 Les immunités de poursuite .............................................................. 73

1.1.3 Les immunités de contrainte ............................................................. 81

1.2 - Auxiliaires facilitant la collecte de l’information ........................................... 85

1.2.1 L’exclusion du secret professionnel et de la confidentialité ............... 85

1.2.2 L’obligation de dénoncer et les immunités des dénonciateurs ou des personnes fournissant de l’information ............................................................ 88

1.2.3 Le pouvoir de faire des copies (et équivalence des copies) .............. 91

1.2.4 L’obligation d’assistance ................................................................... 93

1.2.5 Pouvoir d’assigner par télécopieur ou par procédé électronique ....... 94

1.2.6 Possibilité de récupérer les frais de l’inspection ou de l’enquête ....... 95

Section 2 : Dispositions permettant d’assurer l’application de la loi à l’occasion de la collecte .................................................................................................................. 98

2.1 - Mesures conservatoires ............................................................................. 98

2.1.1 Le pouvoir d’ordonner l’arrêt des activités ou de limiter l’utilisation d’un bien ......................................................................................................... 98

2.1.2 Le pouvoir de rechercher et d’amener ............................................ 103

2.1.3 Le pouvoir d’interdire de communiquer ........................................... 104

2.1.4 La suspension de la prescription .................................................... 106

2.2 - Mesures réparatrices ................................................................................ 107

2.2.1 Le pouvoir d’ordonner la cessation d’une contravention ou la prise de mesures correctrices .................................................................................... 108

2.2.2 Le pouvoir d’effectuer des travaux ou la remise en état .................. 112

2.2.3 Le pouvoir d’obtenir l’exécution forcée d’un pouvoir de contrainte par les tribunaux ....................................................................................................... 113

2.3 - Sanctions ................................................................................................. 115

2.3.1 L’interdiction d’entraver ................................................................... 115

2.3.2 Loi sur les commissions d’enquête ................................................. 122

Conclusion .............................................................................................................. 127

Bibliographie ........................................................................................................... 138

Monographie ........................................................................................................ 138

Articles de périodiques ......................................................................................... 138

Conférences ........................................................................................................ 139

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vi

Feuillets ............................................................................................................... 139

Table de jurisprudence ............................................................................................ 140

Jurisprudence canadienne ................................................................................... 140

Jurisprudence étrangère ...................................................................................... 144

Table de législation ................................................................................................. 145

Loi constitutionnelle ............................................................................................. 145

Lois refondues du Québec ................................................................................... 145

Lois annuelles du Québec ................................................................................... 147

ANNEXE 1 : Liste des lois contenues à l’échantillon ............................................... 149

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LISTE DES FIGURES

FIGURE I : Évolution des dépenses de l’État québécois ................................................. 1

FIGURE II: Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs, par décennie ...... 55

FIGURE III: Comparaison de l'augmentation relative (en pourcentage) des occurrences de certains pouvoirs, par décennie .................................................................................... 55

FIGURE IV : Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs et de l’interdiction d’entraver, par décennie ............................................................................................. 117

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LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU I : Pouvoirs d’exiger des documents et renseignements mis en place, par décennie ....................................................................................................................... 18

TABLEAU II : Libellés types les plus utilisés pour la mise en place de pouvoirs d’exiger des documents et des renseignements ......................................................................... 19

TABLEAU III : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’exiger des documents et renseignements, en fonction du libellé ................... 20

TABLEAU IV : Chevauchement du pouvoir d’exiger des documents et renseignements et de celui d’émettre des subpoenas duces tecum ............................................................ 25

TABLEAU V : Pouvoirs de la LCE mis en place, par décennie ...................................... 26

TABLEAU VI : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant les pouvoirs de la LCE, en fonction du libellé ..................................................................... 27

TABLEAU VII :Typologie des habilitations à interroger ................................................. 35

TABLEAU VIII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’interroger, en fonction du libellé ..................................................................... 36

TABLEAU IX : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant les pouvoirs de photographier et d’enregistrer, en fonction du libellé .................................. 49

TABLEAU X : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir d’examiner des documents, en fonction du libellé ............................................ 51

TABLEAU XI : Pouvoirs de pénétrer dans un lieu mis en place, par décennie .............. 54

TABLEAU XII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le pouvoir de pénétrer dans un lieu, en fonction du libellé ................................................. 56

TABLEAU XIII : Habilitations jouissant d’une clause privative, en fonction de leur source ..................................................................................................................................... 68

TABLEAU XIV : Statistiques relatives à l’année d’adoption des clauses privatives, en fonction de leur source .................................................................................................. 68

TABLEAU XV : Habilitations jouissant d’une clause privative en vertu d’une loi particulière, en fonction des recours visés ........................................................................................ 70

TABLEAU XVI : Habilitations jouissant d’une immunité de poursuite, en fonction de la source de l’immunité ..................................................................................................... 74

TABLEAU XVII : Interdictions d’entraver mises en place, par décennie ...................... 116

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REMERCIEMENTS

Débuté il y a maintenant cinq ans, ce projet de recherche a bénéficié de l’aide et du

concours qui m’ont été apportés par plusieurs personnes et qui lui ont permis d’aboutir. Au

premier titre, je tiens à remercier Me Pierre Lemieux pour son support, sa confiance et,

surtout, ses conseils justes et empreints d’ouverture d’esprit. L’issue de ce projet a

longtemps paru incertaine et je suis grandement reconnaissant pour la patience et la

compréhension dont il a fait preuve.

Je tiens aussi à remercier la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon pour son

appui et pour l’intérêt manifesté pour le sujet de mon mémoire. La curiosité exprimée par

autrui fut d’ailleurs l’un des moteurs importants ayant permis de mener à bien ce projet.

Enfin, je tiens évidemment à remercier chaleureusement mes proches, famille et amis,

pour leurs encouragements et leur intérêt qui permettent de continuer même quand nos

repères sont perdus de vue.

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INTRODUCTION

Au Québec, le 20e siècle a été le théâtre d’une forte expansion de la taille de l’État. On

constate une tendance lourde entre 1943 et 1960 alors que les dépenses per capita de

l’État québécois ont plus que doublé. Le taux d’augmentation est similaire en ce qui

concerne les dépenses en pourcentage du revenu personnel ou en pourcentage du PNB,

tel qu’il appert de données distribuées par l’École nationale d’administration publique :

FIGURE I : Évolution des dépenses de l’État québécois

Outre l’aspect monétaire, cette même tendance à l’intervention de l’État dans une

multitude de sphères se révèle aussi par des indicateurs qualitatifs. On constate ainsi que

le nombre de ministères a plus que doublé entre 1896 et 19591.

1 JAMES IAIN GOW, L'État et l'administration publique au Québec en 1960, L'État et l'Administration publique dans la construction de la modernité du Québec, Département de science politique,

Université de Montréal, Québec, L'Observatoire de l’administration publique‐ENAP, 1994.

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L’Observatoire de l’administration publique concluait encore à l’hiver 2010 :

L’évolution de l’organisation politico-administrative du Québec a été marquée par deux tendances majeures depuis 1960 :

- la multiplication et la diversification des structures administratives concomitantes de la montée en puissance de l’État québécois en tant que principal véhicule du développement et de la protection de l’identité de la société québécoise. La santé, les services sociaux, l’éducation et le développement économique sont les principaux domaines qui ont connu un investissement massif, pouvant aller jusqu’à la nationalisation, de la part du gouvernement du Québec.2

Au fur et à mesure que le législateur québécois intervient afin d’édicter les normes vouées

à règlementer une grande diversité de domaines, il crée généralement l’appareillage

administratif qui sera chargé d’assurer le respect de ces nouvelles normes3. Ces acteurs

de l’Administration, exerçant des fonctions prévues dans une loi québécoise et qui, dans

l’exécution de ces fonctions, doivent identifier, documenter et chercher la sanction des

contraventions à la loi dont ils sont chargés de l’application, correspondent parfois

directement à un ministère, mais prennent aussi la forme de commissariat, de régie, de

société, de bureau, de commission, etc.

L’arrivée d’un tel acteur étatique crée certaines attentes de résultats quant au respect de

la loi dont il est chargé de l’application4. Une approche plus classique en matière de

responsabilité tendait cependant à laisser une grande marge de manœuvre aux acteurs

de l’Administration :

These distinctions, and others like them, represent the judicial belief that it would be inappropriate to hold all government activities to the standards of private negligence law. Several reasons can be advanced for this. One concerns the respective roles of the courts and of the executive branch of government. Those who make political decisions should be held accountable in the court of public opinion, not a court of law. Further, it is inappropriate for the courts to second-guess the merits of governmental decision-making – the courts should restrict themselves to evaluating the legality of official decision-making and refrain from judging the merits of political decisions, the difficult balancing of interests or the allocation of scarce resources (which judges may not be well-equipped to evaluate). If all governmental activity

2 L’OBSERVATOIRE DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE, Synthèse sur l’organisation politico‐administrative,

Québec, L'Observatoire de l’administration publique‐ENAP, 2010. 3 PIERRE ISSALYS, «La régulation par un organisme administratif autonome comme modèle de contrôle et de participation», (1983) 24 C.deD. 831, 839. Voir aussi : Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228, 1239. 4 DAVID PHILLIP JONES et ANNE S. DE VILLARS, Principles of Administrative Law, 6e éd., Toronto, Carswell, 2014, p. 736-737.

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3

and decision-making were amenable to suits in negligence, the floodgates of litigation might be opened, public officers might be intimidated by the possibility of suit and deterred from forthright discharge of their duties, and public administration would be susceptible to retrial in the courts of law.5

L’évolution des règles applicables à la responsabilité de l’État au cours des dernières

décennies a cependant grandement élargi le spectre des situations permettant de

rechercher une condamnation à l’encontre d’un acteur de l’Administration, bien que cette

tendance ait ralenti au courant des dernières années6.

Cet élargissement s’est construit autour de la distinction entre la sphère opérationnelle et

la sphère politique de l’action gouvernementale, laquelle a été proposée par la Chambre

des Lords dans l’affaire Anns7. Cette distinction est décrite ainsi par les auteurs Jones et

De Villars :

The term “policy” is used in the distinction to describe certain kinds of discretionary decisions which would not be suitable subjects for judicial re-evaluation. It refers to high-level discretionary decisions dependant on considerations of social, economic or political factors beyond the knowledge or expertise of the courts. In contrast, the term “operational” is used to describe the process of implementation. It refers to a host of lower-level governmental decisions of actions associated with the practical execution of a policy decision.8

L’utilisation de cette distinction a fait l’objet de plusieurs critiques et a été par la suite

rejetée tant au Royaume-Uni qu’en Australie9. Cependant, les tribunaux canadiens ont

largement adopté et appliqué cette distinction. Cela a donné lieu à des résultats souvent

imprévisibles10 et contribuant à élargir le domaine de la responsabilité de l’État11, allant

jusqu’à rendre le gros de l’action gouvernementale sujet à une réclamation en dommages

5 Id., p. 739. 6 Id., p. 740. 7 Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728. 8 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 742. Voir aussi : PIERRE LEMIEUX, Droit administratif: Doctrine et jurisprudence, 6e éd., Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit de l'Université de Sherbrooke, 2014, p. 937-938. 9 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 743. 10 Id., p. 745. 11 Id., p. 756; PATRICE GARANT, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 909.

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aux termes de l’arrêt Just12. À terme, un recours en dommages permet dorénavant de

rechercher la responsabilité de l’État tant pour ses actions que pour son inaction13.

Au Québec, il est cependant à noter que cette tendance s’est inscrite dans le cadre

particulier du régime civiliste qui lui est propre. Ainsi, la distinction entre ce qui relève de la

politique et ce qui relève de l’exécution ne devenait pertinente que dans la mesure où le

régime applicable était la common law14.

Dans un premier temps, en 1989, la juge L’Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada

en vient à la conclusion qu’en matière de responsabilité d’un acteur de l’Administration, le

droit civil s’applique « dans la mesure où le droit public ne l’a pas écarté »15. Ainsi, dans

une certaine mesure, l’application du droit civil québécois dépendait de la place qui lui était

laissée par le droit public.

La situation change cependant en 1994 avec l’entrée en vigueur du Code civil du Québec,

lequel prévoit désormais à l’article 1376 que les règles du Livre des Obligations

« s’appliquent à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit

public, sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables. » Amenés à

évaluer l’impact de cet ajout dans l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme, les juges

L’Heureux-Dubé et Lebel confirment que désormais le droit civil s’applique à

l’Administration publique en règle générale, jusqu’à ce que la démonstration ne soit faite

qu’une règle de droit public trouve application et écarte le droit civil16. En d’autres termes,

l’application du droit civil québécois n’a plus à être « autorisée » par le droit public.

Dans l’arrêt Sibeca, la juge Deschamps explique la mécanique désormais applicable :

[18] […] Lorsqu’une règle de droit public est identifiée et qu’elle est jugée applicable, elle doit être intégrée dans le droit de la responsabilité civile. Il importe donc de préciser les règles de droit public applicables aux municipalités, de vérifier si elles priment les règles du droit civil et, s’il y a lieu, de les intégrer à ce droit.

[19] En l’occurrence, le Code civil du Québec ne précise pas de norme particulière pour établir la responsabilité d’un corps public pour les actes accomplis dans un

12 Just c. Colombie-Britannique, préc., note 3. Voir : D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 747. 13 P. GARANT, préc., note 11, p. 884. 14 P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 937. 15 Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, 788-789. 16 Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 31. Voir aussi : P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 926, 938.

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contexte de politique générale. En droit public, par contre, les corps publics bénéficient de l’immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de leur pouvoir législatif ou réglementaire.17

Ainsi, au Québec, l’augmentation du nombre de situations pouvant engager la

responsabilité de l’Administration s’est opérée sur deux fronts : (1) l’évolution de la

common law de droit public à la suite de l’arrêt Anns et (2) la diminution progressive du

champ d’application des immunités de common law en droit civil québécois.

Comme le font remarquer les auteurs Jones et De Villars :

In Canada, the courts have accepted the broad and flexible approach of the Anns formulation to the duty issue, although the reformulation of this approach in Cooper has signalled a more restrained approach to the negligence liability of government in novel circumstances. Nevertheless, Canadian courts have extended the reach of negligence liability to governmental activities which have no private analogue.18

Arrivant à un constat similaire, l’auteur Garant fait une mise en garde : « [le] risque d’une

telle doctrine est de transformer l’autorité publique en assureur du risque socio-

économique » 19.

Malgré les critiques qu’on puisse formuler à l’encontre de l’expansion du droit de la

responsabilité de l’État, ce mémoire ne vise pas à étudier le bien-fondé de la thèse

juridique fondant un recours contre l’acteur administratif chargé du contrôle. Ce contexte

juridique est pris pour acquis et on se questionnera plutôt sur les causes des échecs des

acteurs de l’Administration dans leur mission de voir au respect de la loi.

Une panoplie de raisons peut être avancée. Pour le juriste, le reproche adressé aux

acteurs de l’Administration, fondé ou pas, soulève la question de la suffisance des outils

juridiques qui leur sont octroyés par le législateur. Autrement formulé, l’acteur de

l’Administration a-t-il des pouvoirs de contrainte suffisants lui permettant de détecter et de

limiter les infractions à la loi dont il est chargé de l’application?

Cette question est fondamentale dans la mesure où, dans un état de droit, l’absence

d’habilitation suffisante rendra bien souvent factice la capacité de contrôle de

17 Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304, par. 18-19. 18 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 785. 19 PATRICE GARANT, «La responsabilité civile de la puissance publique: du clair obscur au nébuleux», (1991) 32 C.deD. 745, p. 759; P. GARANT, préc., note 11, p. 910; D.P. JONES et A.S. DE

VILLARS, préc., note 4, p. 750.

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l’Administration : l’Administration n’a que les pouvoirs que lui donne la loi et les tribunaux

sanctionneront les actions fondées sur une interprétation trop extensive des habilitations

prévues par la loi20.

En pratique, l’objectif de vérifier et d’assurer la suffisance des pouvoirs de contrainte en

place requiert une perspective globale. L’étude d’une seule loi, prise isolément, fournira

difficilement toute l’information nécessaire. Au contraire, la mise en comparaison des lois

les unes par rapport aux autres permet d’identifier leurs particularités, de mettre en relief

les omissions des unes et les redondances des autres. Ainsi, la vérification de la

suffisance des pouvoirs de contrainte nécessite de faire un état des lieux du corpus

législatif québécois et de recenser les pouvoirs de contrainte qu’on y trouve. Or, un tel

exercice ne semble pas avoir déjà été effectué ou, du moins, n’a pu être répertorié dans la

doctrine consultée.

L’intérêt d’une telle démarche se démontre dans la pratique, puisqu’elle permet de créer

un répertoire des outils qui s’offrent au légiste chargé de mettre en place ou de réformer

les habilitations contenues à une loi. Le risque d’omission lors de la rédaction est limité par

la création d’un inventaire des outils disponibles. De même, la confrontation avec les

exemples déjà contenus dans la législation québécoise permet d’éviter à chaque légiste

de mettre en place un nouveau libellé qui pourra être distingué, ou non, de la

jurisprudence déjà en place; une telle incertitude juridique étant de nature à miner la

liberté d’action de l’Administration.

Enfin, d’un point de vue tant pratique qu’académique, la constitution d’un répertoire des

habilitations et de leur libellé permet de mieux cibler la portée de chaque pouvoir et, ce

faisant, d’en assurer une interprétation plus cohérente. Une meilleure compréhension de

ce que comprend un pouvoir donné permettra de limiter tant des répétitions que des

omissions parfois cruciales.

Il s’agit donc là de l’objectif poursuivi par le travail de recherche exposé dans les pages qui

suivent. Il consiste à étudier les pouvoirs de contrainte qui sont mis en place par la

20 HENRI BRUN, GUY TREMBLAY et EUGÉNIE BROUILLET, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 731-732; D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 161-162, 734; P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 676; PIERRE ISSALYS et DENIS LEMIEUX, L'action gouvernementale: Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 56-57.

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législation québécoise afin d’en identifier leurs différentes formes, leurs forces, leurs

faiblesses et leurs incohérences. Au centre de cet exercice se trouve l’objectif de répondre

à la question suivante : À la lumière des tendances législatives passées ainsi que de la

réception actuelle par les tribunaux des pouvoirs de contrainte existants, quel type

d’habilitations à la contrainte doit être préconisé et est-il préférable de les uniformiser?

Parmi les mécanismes mis en place par le législateur afin d’assurer l’application des lois,

la doctrine et la jurisprudence réfèrent généralement aux concepts d’inspection ou

d’enquête administrative. Ces concepts ne sont pas toujours étanches et, dans bien des

situations, ils semblent viser une fin commune. Les habilitations qui les sous-tendent ont

généralement un tronc commun qui, malgré une multitude de variantes, se répète d’une loi

à l’autre sous un titre ou un autre. À ce propos, le professeur Issalys écrit :

Les pouvoirs d’inspection et d’enquête conférés aux organismes de régulation ne leur sont pas entièrement spécifiques : un grand nombre d’autorités administratives sont en effet habilitées par la loi à se doter d’un corps d’inspecteurs, qui bénéficient très souvent d’une attribution globale ou partielle des pouvoirs d’une commission d’enquête. Ce qui singularise ce genre de disposition dans le cas des organismes de régulation est plutôt l’objet de l’activité d’inspection. Alors que cette activité a généralement pour but la détection de cas précis de fraude ou de non-conformité à la loi, elle revêt parfois dans le contexte de régulation économique le caractère d’une inquisition générale dont seul peut-être le droit fiscal offre des exemples comparables.21

Évitant la distinction discutable entre inspection et enquête administrative22, l’analyse sera

axée directement sur les pouvoirs de contrainte octroyés aux acteurs de l’Administration,

sans égard à cette distinction.

Afin de dresser un portrait complet de la situation, l’analyse envisagée ne se limitera pas

aux seuls pouvoirs de contrainte pris isolément. Seront incluses dans l’analyse les

habilitations connexes qui, bien qu’elles ne constituent pas, en soi, des pouvoirs de

contrainte, contribuent grandement à l’efficacité de la contrainte. Agissant un peu comme

un adjuvant, ces habilitations permettent que la contrainte soit exercée efficacement et à

son plein potentiel, soit en éliminant les obstacles, soit en évitant que la contrainte et le

21 P. ISSALYS, préc., note 3, p. 858. 22 DOMINIQUE ROUSSEAU, «Les commissions d'enquête: nature, mandat et limites constitutionnelles», dans Conférence des juristes de l'État 1998: XIIIe Conférence - La justice conjuguée à tous les temps, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 152.

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8

contrôle de la légalité puissent être esquivés. Afin de ne pas alourdir le texte, ce type

d’habilitation sera désigné à titre d’accessoire à la contrainte.

Avant de débuter l’exposé de la méthodologie, il semble opportun de bien cerner la

signification du vocabulaire utilisé. Par pouvoir de contrainte, on entend le pouvoir de

contraindre une personne afin d’obtenir de celle-ci des documents, des informations, des

biens ou des déclarations et les modalités de son exercice, le tout, afin de veiller à

l’application d’une loi. L’expression « acteur de l’Administration » a déjà été définie plus

haut comme désignant une entité (ministre, commission, commissaire, office, régie,

société, etc.) exerçant des fonctions prévues dans une loi québécoise et qui, dans

l’exécution de ses fonctions, doit identifier, documenter et chercher la sanction des

contraventions à la loi dont ils sont chargés de l’application. Le terme « habilitation » vise

quant à lui les compétences octroyées par la loi à un acteur de l’Administration en matière

soit d’inspection, d’enquête, de vérification ou à des fins administratives. Enfin, le terme

« pouvoir » désigne un pouvoir de contrainte ou un accessoire dont dispose un acteur de

l’Administration dans l’exercice d’une ou l’autre de ces habilitations.

On comprendra ainsi qu’une habilitation est constituée d’un amalgame de pouvoirs et

qu’un acteur de l’Administration dispose d’une ou plusieurs habilitations, dont chacune

comprend un éventail distinct de pouvoirs.

MÉTHODOLOGIE

Méthode d’échantillonnage

Le travail d’étude de l’ensemble des pouvoirs de contrainte mis en place par le législateur

québécois pouvait difficilement être envisagé, compte tenu qu’il aurait requis l’étude de

l’ensemble des dispositions contenues à chacune des lois du Québec. Un travail

d’échantillonnage s’est donc avéré nécessaire afin de mener à bien cet exercice.

Au premier abord, une sélection purement aléatoire a été envisagée, puisqu’elle offre les

plus grandes garanties quant à la représentativité de l’échantillon. Or, une portion

seulement des lois adoptées par l’Assemblée nationale met en place des pouvoirs de

contrainte. Ce faisant, une méthode strictement aléatoire n’offre pas un contrôle suffisant

de la pertinence des données étudiées. Un échantillonnage beaucoup plus important

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aurait été nécessaire afin d’obtenir un nombre significatif de lois pertinentes parmi toutes

les lois identifiées aléatoirement.

À l’autre bout du spectre se trouve la sélection dirigée, par laquelle le chercheur aurait

procédé à l’étude de lois qu’il choisit, les sachant pertinentes. Un tel exercice, bien qu’il

permette de limiter les démarches inutiles en se limitant à l’analyse de dispositions qu’on

sait pertinentes, présente cependant l’inconvénient majeur d’obscurcir un pan complet de

dispositions qui sont moins couramment citées. Dans la mesure où ce sont justement ces

dispositions moins connues qui présentent les particularités auxquelles s’intéresse cette

recherche, la sélection dirigée ne semblait pas acceptable.

Une solution mitoyenne consiste à identifier les lois qui font l’objet d’une analyse au

moyen d’un indicateur objectif permettant de s’assurer, dans une certaine mesure, la

pertinence des lois identifiées. Pour ce faire, la Loi sur les commissions d’enquête23 est un

moyen tout indiqué.

Cette loi, à laquelle réfère fréquemment le législateur québécois, est un indicateur fiable

que la loi qui y fait référence comprend un aspect inquisitoire et, conséquemment, qu’il est

probable d’y trouver différents pouvoirs de contrainte24. La LCE met en place plusieurs

composantes courantes des habilitations en matière d’inspection ou d’enquête25. Dans la

mesure où quatre-vingts (80) lois différentes y font référence, cet outil de sélection permet

de créer un échantillonnage suffisamment volumineux pour assurer un certain niveau

d’exhaustivité à l’exercice d’analyse envisagé. De plus, la LCE étant une loi adoptée au

courant du 19e siècle, elle permet d’éviter de restreindre la recherche aux lois les plus

récentes adoptées par le législateur26. Cependant, l’utilisation de la LCE à titre d’outil de

sélection présente des inconvénients non négligeables.

Le plus flagrant est certainement la surreprésentation des pouvoirs de contrainte de la

LCE dans l’échantillonnage. On comprend rapidement que l’ensemble des lois identifiées

à l’aide de cet outil mettra en place, à au moins une occasion, les pouvoirs de contrainte

de la LCE.

23 Loi sur les commissions d'enquête, RLRQ, c. C-39, ci-après désignée « LCE ». 24 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 20, p. 386. 25 Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716, p. 25-26. 26 D. ROUSSEAU, préc., note 22, p. 149.

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Le second inconvénient majeur est en fait un contrecoup de la surreprésentation des

pouvoirs de contrainte de la LCE, à savoir la sous-représentation des « substituts » de ces

pouvoirs, c’est-à-dire les pouvoirs qui ont les mêmes fins que ceux prévus à la LCE et qui

sont mis en place dans une loi en remplacement des pouvoirs de la LCE. Bien que cet

inconvénient ne puisse raisonnablement être démontré, il est permis de croire que les

pouvoirs de contrainte ayant les mêmes fins que ceux de la LCE ne seront pas présents

dans les lois contenues à l’échantillonnage. En conséquence, du fait qu’un légiste ait

préféré repenser la rédaction des pouvoirs de la LCE dans l’exécution de son mandat, il y

a fort à parier que la loi en résultant est exclue de l’échantillonnage et échappe donc à

l’analyse.

Un troisième inconvénient tient du fait qu’une référence à la LCE, bien qu’elle soit un

indicateur fiable, n’en demeure pas moins un indicateur imparfait. En effet, les pouvoirs

établis par la LCE sont conférés à une multitude d’acteurs administratifs dans une grande

diversité de contextes, dont certains dépassent la portée de la recherche envisagée. Les

pouvoirs de contrainte voués à être utilisés dans un contexte quasi-judiciaire ont donc été

retirés de l’échantillonnage. De même, la Loi sur les impôts27 a aussi été retirée de

l’échantillonnage, étant entendu que l’étude des milliers d’articles contenus à cette loi

serait d’une pertinence limitée, et ce, même si l’un d’eux réfère à la LCE. L’échantillon final

compte donc soixante-dix-huit (78) lois différentes28.

Méthode de recensement des pouvoirs parmi l’échantillon

Une fois l’échantillon de lois identifié, une méthodologie de recensement a été mise en

place afin de s’assurer du traitement uniforme de l’ensemble des lois.

L’analyse a débuté par la lecture intégrale de chacune des lois afin de cibler les

dispositions pertinentes, à savoir les dispositions mettant en place un pouvoir de

contrainte ou un accessoire à la contrainte. Cette première lecture permet de dresser une

première banque de dispositions à partir de laquelle on retire une ébauche de typologie de

disposition et une banque préliminaire de libellé.

Une distinction a été appliquée afin de cibler l’analyse sur les pouvoirs utilisés dans un

contexte inquisitoire ou de détection. Les dispositions obligeant un administré à fournir de

27 Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3. 28 Voir annexe 1 : Liste des lois contenues à l’échantillon, à jour le 1er juin 2015.

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l’information ou à permettre un accès dans le cadre d’un processus d’obtention d’une

autorisation ou d’un permis ont donc été exclues de l’analyse, s’agissant d’exigences

préalables plutôt que de pouvoirs de contrainte visés par cette étude.

Au terme de ce recensement, 216 habilitations différentes ont été répertoriées chez plus

de 80 acteurs différents. Ces habilitations sont parfois désignées dans la loi comme des

pouvoirs d’enquête, des pouvoirs d’inspection ou d’un autre type.

Un même acteur peut être visé par plusieurs habilitations distinctes. Le cas de la Loi sur

l’instruction publique29, où le ministre dispose de trois habilitations (vérification, enquête et

administratif), peut servir d’illustration :

Un acteur peut aussi être visé par deux habilitations très similaires. Cette situation se

présente notamment dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux30 alors

que l’article 413.2 crée un pouvoir d’inspection distinct de celui prévu aux articles 346.0.8

et 346.0.9. Ces deux pouvoirs d’inspection sont néanmoins attribués au même acteur de

l’Administration, soit l’Agence de la santé et des services sociaux ou la personne qu’elle

désigne.

En ce qui concerne les accessoires à la contrainte, ils sont attribués uniquement en

fonction de leur titulaire, sauf lorsque la loi habilitante prévoit expressément qu’ils ne

s’appliquent que dans le cadre d’une habilitation spécifique.

Méthode d’analyse

Une fois recensé, chacun des pouvoirs de contrainte a été analysé en fonction de

paramètres uniformes. Dans un premier temps, une vérification a été effectuée afin de

prendre en compte les situations où un pouvoir de contrainte ou un accessoire ne peut

être utilisé que par une partie des titulaires d’une même habilitation. À titre d’exemple,

29 Loi sur l'instruction publique, RLRQ, c. I-13.3. 30 Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2.

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l’article 2 de la Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec31 octroie une

habilitation en enquête à toute personne désignée par la Société d’assurance automobile

du Québec, mais l’article 16 ne prévoit d’immunité de poursuite que pour le personnel et

les dirigeants de la Société. On comprend donc qu’un tiers pourrait détenir des pouvoirs

d’enquête sans pour autant être visé par l’immunité de poursuite prévue à l’article 16 de la

Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec. Pour prendre en compte cette

réalité, chacun des pouvoirs de contrainte et des accessoires a donc été qualifié selon un

des trois cas suivants :

1. Tous les titulaires de l’habilitation détiennent ce pouvoir32;

2. Une portion des titulaires de l’habilitation détient ce pouvoir33;

3. Le pouvoir est octroyé selon les circonstances aux personnes désignées par un

tribunal ou un décideur administratif34;

Une autre caractéristique prise en compte correspond aux modalités d’exercice des

pouvoirs de contrainte et des accessoires. Il s’agit ici de prendre en compte les conditions

dans lesquelles peut être utilisé un pouvoir. Six différentes modalités ont été identifiées :

1. Le pouvoir peut être utilisé après une autorisation d’un tribunal35;

2. Le pouvoir peut être utilisé lorsque le titulaire a des motifs raisonnables36;

3. Le pouvoir peut être utilisé après une autorisation d’un décideur administratif37;

4. Le pouvoir peut être utilisé à certaines conditions38;

5. Le pouvoir peut être utilisé dans certains cas uniquement39;

6. Le pouvoir peut être utilisé en toutes circonstances;

L’année de mise en place a aussi été déterminée pour chacun des pouvoirs de contrainte

et des accessoires. L’année de mise en place correspond au moment où a été adoptée la

disposition habilitante, dans la mesure où lors de son adoption la disposition incluait au

31Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, RLRQ, c. S-11.011. 32 À titre d’exemple : Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1, articles 306 et 306.1. 33 À titre d’exemple : id., articles 305 et 306.1. 34 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002, article 42. 35 À titre d’exemple: Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2, article 101. 36 À titre d’exemple: Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5, article 70. 37 Loi sur la qualité de l'environnement, RLRQ, c. Q-2, article 119.1. 38 Id., article 119.0.1. 39 Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1, article 80.3.

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moins les mêmes pouvoirs. Ainsi, si un pouvoir a été restreint au fil du temps, l’année de

mise en place demeure la plus ancienne. Au contraire, si un pouvoir a été élargi depuis

son adoption, l’année d’adoption de cette modification sera prise en compte.

Enfin, les formulations de la disposition habilitante de chacun des pouvoirs de contrainte et

des accessoires ont été répertoriées. Ce répertoire permet de dresser un portrait des

variations tant dans la structure que dans la terminologie de ces dispositions dont la

finalité est similaire.

Les données citées et incluses aux tableaux contenus dans ce mémoire sont extraites

d’un répertoire résultant de cette analyse.

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Le résultat de cette analyse sera présenté en fonction de la nature des pouvoirs et

accessoires recensés. La première partie portera plus précisément sur la collecte

d’information; y seront donc présentés les pouvoirs de contrainte permettant aux acteurs

de l’Administration d’avoir accès à l’information nécessaire pour détecter, documenter et,

le cas échéant, sanctionner les infractions à la loi dont ils sont chargés de l’application.

Dans la deuxième partie, l’attention sera plutôt portée aux pouvoirs de contrainte et

accessoires qui ont pour objectifs d’éliminer les entraves à la collecte d’informations et de

permettre à l’acteur de l’Administration de s’assurer de l’application de la Loi à l’occasion

de cette collecte d’informations.

Pour chacun des pouvoirs sous étude, le résultat exposé est le fruit d’une analyse des

quatre aspects suivants :

1. Fréquence et historique;

2. Objectif, nature et portée;

3. Libellés des dispositions mettant en place le pouvoir ou l’accessoire;

4. Formes usuelles (titulaires et modalités).

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PARTIE I : LA COLLECTE DE L’INFORMATION

Tel que mentionné, cette première partie s’attarde uniquement aux pouvoirs qui

permettent aux acteurs de l’Administration d’obtenir l’information nécessaire à l’exercice

de leur compétence, quelle qu’en soit la nature. En somme, chacune des dispositions

analysées dans cette première partie doit permettre à l’Administration de prendre

connaissance des faits nécessaires à l’exercice de sa compétence, qu’il s’agisse de

détecter les contraventions à la loi, de documenter ces contraventions ou simplement de

dresser un portrait d’une situation donnée.

Compte tenu de la grande diversité des domaines d’intervention de l’État québécois, les

pouvoirs de contrainte visant la collecte de l’information ont dû être adaptés à une

multitude de situations. Ainsi, s’appuyant sur la terminologie utilisée par le Code civil du

Québec en matière de preuve, l’information, telle qu’on y réfère ici, vise tant les écrits que

la preuve testimoniale ou la preuve matérielle. Sont donc notamment visés la demande de

document, l’assignation à témoigner, le pouvoir de prélever des échantillons, de les

analyser ou d’ordonner un examen médical.

Ces différents pouvoirs de contrainte seront traités en fonction de l’origine de l’information

recherchée. Ainsi, la première section traitera des situations où l’acteur de l’Administration

cherche à obtenir une information auprès d’un administré ou d’un tiers : il s’agit des

pouvoirs permettant d’exiger un document ou un renseignement et des pouvoirs

permettant d’obtenir la déclaration d’un individu.

À l’opposé, la seconde section portera plutôt sur les pouvoirs permettant à l’acteur de

l’Administration de faire lui-même son évaluation en prenant directement connaissance de

la situation. Dans cette deuxième section, il sera question des pouvoirs d’analyse de

l’acteur de l’Administration et de son pouvoir de pénétrer dans un lieu.

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1 SECTION 1 : COLLECTE DE L’INFORMATION DÉTENUE PAR LES ADMINISTRÉS ET LES TIERS

La collecte de l’information détenue par les administrés et les tiers est souvent considérée

comme la principale méthode offerte à l’Administration pour prendre connaissance de la

situation sur le terrain. À propos de la LCE et des lois similaires au Canada, l’auteur

Ratushny écrit :

The central substantive feature of every Act is that it gives the government the power to establish the subject and scope of each inquiry through terms of reference, which have the force of law. The central procedural feature of each is to authorize commissioners to compel testimony and the production of evidence. These statutes then elaborate, in various ways and to varying degrees, on the authority and powers given in each jurisdiction.40

Bien qu’il s’agisse là des principaux exemples de pouvoirs de contrainte permettant d’avoir

accès à l’information détenue par un tiers, la présente section sera aussi l’occasion de

découvrir les variantes mises en place par le législateur québécois, offrant parfois aux

acteurs de l’Administration des pouvoirs spécifiques permettant une plus grande efficacité

dans le contrôle de l’application de la loi. Il n’en demeure pas moins, et ce sera là la

structure de cette section, que ces pouvoirs de contrainte sont conçus sur deux modèles :

soit on cherche à ce que soit transmis un document ou un renseignement que détient un

individu, soit on cherche à obtenir directement la déclaration de cet individu.

1.1 - OBTENIR LES DOCUMENTS ET RENSEIGNEMENTS

Dans cette sous-section seront d’abord présentées les habilitations permettant aux

acteurs de l’Administration d’obtenir des documents et des renseignements que détient un

administré. Une analyse particulière sera effectuée en ce qui concerne le pouvoir de

délivrer un subpoena duces tecum. Enfin, seront analysés les pouvoirs d’émettre des

demandes péremptoires et la collecte extraterritoriale d’information.

1.1.1 Les pouvoirs de demander des documents et des renseignements

Les habilitations permettant de demander des documents et des renseignements ont fait

l’objet de plusieurs développements jurisprudentiels et doctrinaux au fil des années.

L’importance et le caractère fondamental de ce type de pouvoir ont généralement été

réaffirmés sans trop de réserve. La juge Laforest, pour la majorité de la Cour suprême du

40 Ed RATUSHNY, The Conduct of Public Inquiries: law, policy, and practice, Toronto, Irwin Law, 2009, p. 270.

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Canada, écrit relativement aux pouvoirs prévus à la Loi sur les décrets de conventions

collectives41 : « Quant au pouvoir de vérifier certaines données (taux de salaire, durée du

travail, conditions d’emploi diverses) et de requérir des renseignements jugés nécessaires,

ils m’apparaissent indispensables à l’exécution du mandat des comités paritaires. »42

Les deux plus anciennes habilitations bénéficiant de ce type de pouvoir qui sont toujours

en vigueur ont été adoptées dès 1899 et se trouvent dans la Loi sur l'instruction publique

pour les autochtones cris, inuit et naskapis43 :

14. Le ministre peut faire ou déléguer les pouvoirs de faire des enquêtes, dont il peut, en cas de non-paiement, recouvrer les frais de la partie qui a été condamnée. Si l'enquête est faite à la demande d'un ou de plusieurs contribuables, le ministre peut exiger de la partie qui la requiert le dépôt d'un montant suffisant pour couvrir les frais.

Pour les fins de ces enquêtes, le ministre ou le délégué peut faire venir devant lui et assermenter et entendre les témoins et les parties en cause, et les contraindre de produire tous les livres, documents et papiers se rapportant à l'affaire. […]

29. Les principaux devoirs des inspecteurs pour les écoles publiques sont:

[…]

2° d'examiner les registres des commissaires et les registres de présence des élèves aux classes des écoles de chaque municipalité scolaire sous leur contrôle;

[Nos emphases]

Bien que ce pouvoir soit aujourd’hui commun, les libellés utilisés à l’époque n’ont pas été

retenus par nos contemporains. En effet, alors que le libellé de l’article 29 n’a pas été

répertorié ailleurs dans l’échantillon, le libellé de l’article 14 n’a été réutilisé qu’à de rares

occasions, dont en 1925, à l’article 345 de la même loi. Ces deux libellés présentent

plusieurs particularités qui expliquent probablement l’abandon de leur utilisation.

D’abord, l’article 14 semble reprendre l’essentiel du pouvoir d’émettre un subpoena duces

tecum prévu à l’article 9 LCE, lequel prévoit que les commissaires peuvent « contraindre

toute personne à déposer devant eux les livres, papiers, documents et écrits qu'ils jugent

nécessaires pour découvrir la vérité. » En fait, une référence expresse à la LCE est

41 Loi sur les décrets de convention collective, RLRQ, c. D-2, paragraphe e) de l'article 22. 42 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, [1994] 2 R.C.S. 406, 424. 43 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, RLRQ, c. I-14.

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ajoutée à l’article 14 dès 191544. Dans ces circonstances, il y a lieu de se questionner sur

l’opportunité de maintenir ce type de libellé, compte tenu que la seule référence à la LCE

semble donner tous les pouvoirs recherchés.

Quant à l’article 29 de la Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et

naskapis, son libellé ne crée pas expressément d’obligation pour les administrés de fournir

les documents qui y sont décrits, se limitant à mettre en place une obligation pour les

inspecteurs. À la lecture d’un tel libellé, on ne peut conclure à l’existence d’un pouvoir de

contrainte que par déduction nécessaire. On comprend donc sans difficulté que ce modèle

n’ait pas été reproduit par la suite.

Somme toute, ce sont 114 habilitations jouissant d’un pouvoir d’exiger des documents et

renseignements qui ont été répertoriées dans les lois contenues à l’échantillon, et ce, sur

un total de 216 habilitations contenues à cet échantillon. C’est donc plus de la moitié des

habilitations répertoriées qui comprennent d’une façon ou d’une autre, un pouvoir d’exiger

des documents ou des renseignements autre que celui prévu à la LCE.

Parmi les habilitations toujours en vigueur, 91 % d’entre elles ont été adoptées à compter

de 1970, ne laissant que quelques habilitations anecdotiques entre 1899 et 1969. Ainsi,

depuis 1970, ce sont en moyenne 21 nouveaux pouvoirs d’exiger des documents et

renseignements qui sont mis en place à chaque décennie :

44 Loi amendant la loi sur l'instruction publique, L.Q. 5 Geo. V, c. 36, article 1. Cette référence à la LCE sera prévue d’emblée à l’article 344 lors de l’adoption de l’article 345 en 1925 : Loi modifiant les Statuts refondus, 1909, relativement à l'inspection des comptes des corporations scolaires, L.Q. 15 Geo V, c. 41, article 1.

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TABLEAU I : Pouvoirs d’exiger des documents et renseignements mis en place, par

décennie

Décennie Nombre d’habilitations

1890-1899 2

1900-1909 1

1910-1919 -

1920-1929 2

1930-1939 2

1940-1949 -

1950-1959 -

1960-1969 3

1970-1979 18

1980-1989 22

1990-1999 20

2000-2009 34

2010-2015 (juin) 11

Au fil de l’adoption de nouvelles dispositions, une panoplie de libellés différents a été

intégrée à la législation québécoise. De la trentaine de libellés types répertoriée, certains

libellés se démarquent par leur fréquence. L’étude des libellés observés dans l’échantillon

démontre que plus de 60 % des habilitations utilisent un des trois libellés suivants :

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TABLEAU II : Libellés types les plus utilisés pour la mise en place de pouvoirs d’exiger

des documents et des renseignements

Libellés

(à titre d’exemple)

Nombre

de cas

1

Le Commissaire et toute personne qui agit comme enquêteur aux fins de

la présente section peut requérir de toute personne tout renseignement et

tout document qu'il estime nécessaire.45

41

2

Une personne désignée pour effectuer une inspection peut:

[…]

3° exiger tout renseignement relatif à l'application de la présente loi, ainsi

que la production de tout document s'y rapportant.46

17

3 L'Office doit fournir au ministre ou à l'Administration régionale crie tout

renseignement que ces derniers requièrent sur ses activités.47

14

Bien que le libellé #1 semble s’être démarqué à la lecture de ces seuls chiffres, l’étude de

l’historique de chacun de ces libellés ne révèle pas de tendance lourde, laissant plutôt

supposer que les légistes alternent entre l’un ou l’autre de ces libellés depuis le milieu des

années 70 :

45 Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, article 189. 46 Loi sur la Régie de l'énergie, RLRQ, c. R-6.02, article 44. 47 Loi sur l'Office de la sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris, RLRQ, c. O-2.1, article 13.

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20

TABLEAU III : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le

pouvoir d’exiger des documents et renseignements, en fonction du libellé

Dates d’adoption

Libellé #1 Libellé #2 Libellé #3

Moyenne 1998 1992 1997

Médiane 2000 1990 2001

Maximum 2014 2010 2011

Minimum 1973 1974 1979

La réception de ce type de pouvoir par les tribunaux est généralement positive, et ce, bien

que la demande de renseignement ait clairement été reconnue comme constituant une

saisie au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés de la

personne48. Dans l’arrêt Potash, la juge L’Heureux-Dubé écrit dans ses motifs

concurrents :

Les pouvoirs prévus au deuxième alinéa du par. 22e) LDCC autorisent les inspecteurs à s'approprier quelque chose appartenant à l'employeur sans son consentement (entre autres, le système d'enregistrement, le registre obligatoire et la liste de paye). À cet égard, je ne vois aucune différence entre la prise d'une photocopie et la saisie de l'original. Selon moi, il s'agit là d'une "saisie", au sens de l'arrêt Dyment.

[...]

Dans le présent pourvoi, les pouvoirs prévus par la LDCC sont plus étendus qu'une simple demande de production de documents: le deuxième alinéa du par. 22e) LDCC confère aux inspecteurs le droit d'obtenir des renseignements auprès de l'employeur et des salariés, de même que celui d'exiger la production de documents et d'en prendre copie. Bref, il s'agit d'une véritable "saisie" au sens de l'art. 8 de la Charte.49

Malgré ce constat, les demandes de documents et de renseignements ont été considérées

comme « l’une des méthodes les moins envahissantes auxquelles on puisse recourir pour

obtenir une preuve documentaire »50. Conséquemment, il semble unanimement reconnu

48 Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11, ci-après désignée « Charte canadienne ». 49 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 439. 50 British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, par. 60.

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que le législateur dispose d’une certaine marge de manœuvre pour mettre en place ce

type d’habilitation51.

Cette conclusion semble, dans un premier temps, fondée sur une certaine renonciation de

l’administré à sa vie privée lorsqu’il exerce dans un secteur fortement

réglementé : « Toutes les personnes qui gagnent ce marché connaissent ou sont réputées

connaître les règles du jeu. Alors, une personne qui se livre à une telle activité a peu

d'attentes en matière de vie privée pour ce qui est de ses dossiers d'entreprise. »52

D’autre part, on appuie cette conclusion sur des motifs de nécessité, c’est-à-dire sur

l’impossibilité de vérifier le respect de la loi en l’absence du pouvoir d’exiger certaines

informations. C’est notamment cet argument qui mène la juge Wilson de la Cour suprême

du Canada à conclure qu’il n’est pas requis pour l’acteur de l’Administration d’avoir des

motifs raisonnables de croire à une infraction à la loi pour demander des documents et

renseignements :

Conséquemment, le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d'examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le ministre doit être capable d'exercer ces pouvoirs, qu'il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu'un certain contribuable a violé la Loi. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l'intégrité du régime fiscal. Si tel est le cas, et je crois qu'il en est ainsi, il est évident que les critères de l'arrêt Hunter ne conviennent pas pour déterminer le caractère raisonnable d'une saisie effectuée en vertu du par. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La nature réglementaire du texte législatif et son intention générale ne s'y prêtent pas. La nécessité d'un contrôle au hasard est incompatible avec l'exigence, énoncée dans l'arrêt Hunter, que la personne qui demande l'autorisation ait des motifs raisonnables et probables, établis sous serment, de croire qu'une infraction a été commise.53

À la lecture des dispositions sous étude, on constate que le législateur a considéré

préférable, dans certaines circonstances, de soumettre lui-même l’exercice du pouvoir

d’exiger des documents et des renseignements à la présence de certains motifs

51 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 20, p. 160. 52 British Columbia Securities Commission c. Branch, préc., note 50, par. 64. Voir aussi : R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, 641-642. 53 R. c. McKinlay Transport Ltd., préc., note 52, p. 648-649. Voir aussi : Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Services d'entretien Bo-Lav inc., 2010 QCCQ 8220, par. 36-38.

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raisonnables. À titre d’exemple, l’article 69 de la Loi sur la sécurité du transport terrestre

guidé54 prévoit qu’un inspecteur peut exiger la communication de documents « s'il a des

motifs raisonnables de croire qu'ils contiennent des renseignements utiles à l'application

de la présente loi ou de ses règlements ». Néanmoins, dans la majorité des cas, le

législateur s’est gardé de mettre en place de telles restrictions.

Enfin, il est à noter que les tribunaux considèrent que le pouvoir d’exiger des

renseignements et documents demeure une saisie « non abusive » dans la mesure où la

disposition habilitante circonscrit suffisamment les documents et renseignements qui y

sont visés. Cette obligation ne semble cependant pas des plus exigeantes, à la lecture des

motifs de la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Potash :

Cette demande de production de document est clairement une "saisie" au sens de l'art. 24.1 de la Charte québécoise (cf. Thomson Newspapers et McKinlay Transport, précités). Est-elle raisonnable? À mon avis, cet alinéa circonscrit suffisamment les documents dont les inspecteurs ont le pouvoir d'exiger la consultation ou d'ordonner la production. Seuls les documents d'affaires de l'employeur sont visés, dont plus particulièrement ceux qui s'intéressent à son assujettissement à la LDCC et à l'application d'un décret. En outre, ce quatrième alinéa du par. 22e) LDCC est plus restreint que le par. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui a pourtant été jugé constitutionnel en regard de l'art. 8 de la Charte dans l'arrêt McKinlay Transport.55

À la lecture des libellés #1, #2 et #3 décrits plus haut, il semble plutôt que ce critère a été

assimilé à une simple exigence de pertinence. En effet, les tribunaux ont déjà considéré

que le seul fait qu’un document contienne des renseignements personnels ne permettait

pas à l’administré de refuser de le fournir56. Cela dit, la précision minimale requise par la

Cour suprême semble avoir été expressément intégrée dans la formulation de certaines

habilitations qui prévoient qu’une grande variété de documents peut être examinée, mais

que seuls les documents relatifs à l’application de la loi pourront être exigés. À titre

d’exemple :

78. La personne qui procède à une inspection en vertu de la présente section peut:

[…]

54 Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, RLRQ, c. S-3.3. Voir aussi : Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance, RLRQ, c. S-4.1.1, article 73. 55 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 460-461. 56 Québec (Procureur général) c. Courte, J.E. 2004-1991 (C.Q.), par. 18-19.

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2° examiner et tirer copie des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents se rapportant aux activités du courtier ou de l'agence;

3° exiger tout renseignement ou tout document relatif à l'application de la présente loi.57

En terminant en ce qui concerne l’habilitation à exiger des documents et renseignements,

il y a lieu de souligner le cas particulier de l’article 192 du Code des professions58 :

« Peuvent prendre connaissance d'un dossier tenu par un professionnel, requérir la remise

de tout document, prendre copie d'un tel dossier ou document et requérir qu'on leur

fournisse tout renseignement, dans l'exercice de leurs fonctions : […] ». Cette disposition,

entrée en vigueur à l’adoption du Code en 1973, fait l’objet d’un contentieux intéressant

qui met en lumière la force de l’argument de nécessité dans l’interprétation des

dispositions mettant en place ce type de pouvoir. Ainsi, malgré un libellé offrant une

certaine marge d’interprétation, les pouvoirs des ordres professionnels ont généralement

été interprétés largement par les tribunaux.

Par exemple, alors que l’article 192 du Code des professions prévoit la possibilité de

prendre copie d’un dossier ou d’un document, il ne permet de requérir la remise que d’un

document. Soulignant cette distinction, un dentiste cherchait donc à refuser la remise des

originaux de ses dossiers au syndic. La Cour supérieure écrit :

[38] Le demandeur opine que le mot document à l'article de loi n'a pas la même signification que le mot dossier. Ce faisant et si l’on suit son raisonnement, le comité pourrait exiger la remise d'un document, mais non d'un dossier.

[…]

[40] Il faut admettre qu’une interprétation littérale mène à des résultats absurdes. Devant un tel résultat, il est permis de s’écarter d’un texte aussi clair, soit-il.

[…]

[43] Dans cette même affaire, la Cour suprême a favorisé l’objectif de protection du public poursuivi par le Code des professions par une interprétation contextuelle qui permet davantage de souplesse pour réaliser la finalité de la loi.

[44] Fort de ces enseignements, le Tribunal conclut que pour permettre aux ordres professionnels de bien remplir leur rôle de protection du public, ils doivent

57 Loi sur le courtage immobilier, RLRQ, c. C-73.2, article 78. 58 Code des professions, RLRQ, c. C-26.

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disposer de moyens et d’outils suffisamment efficaces pour recueillir toutes les informations qu'ils croient utiles et pertinentes.59

Soutenant une nouvelle fois une interprétation large de la disposition, la Cour supérieure a

aussi reconnu que ce même libellé permettait au syndic de faire une copie miroir des

fichiers contenus sur le disque dur d’un ordinateur60.

1.1.2 Les subpoenas duces tecum (assignations à produire)

Contrairement à la demande de documents et des renseignements, l’assignation à

produire est généralement habilitée par l’octroi des pouvoirs d’une cour supérieure par

l’intermédiaire de la LCE et, conséquemment, le défaut d’y répondre constitue un outrage

au tribunal. La distinction entre ces deux types de dispositions n’est cependant pas

toujours aussi claire. Déjà plus haut, il fut question de la Loi sur l'instruction publique pour

les autochtones cris, inuit et naskapis61 qui attribue aux inspecteurs agissant en vertu de

cette loi tant le pouvoir de demander des documents et renseignements que les pouvoirs

des commissaires enquêteurs d’émettre des subpoenas duces tecum. L’auteur O’Neill62

souligne quant à lui l’existence de la même problématique dans la Loi sur les valeurs

mobilières63. Dans le cadre de l’étude de l’échantillon, ce chevauchement entre le pouvoir

de demander des documents et renseignements et le pouvoir d’émettre des subpoenas

duces tecum a été observé à près d’une vingtaine de reprises :

59 Terjanian c. Ayotte, 2009 QCCS 358 (appel rejeté, C.A., 10-12-2009, 500-09-019447-093), par. 38, 40, 43-44. 60 Gauthier c. Deschênes, 2010 QCCS 4760 (désistement d'appel, C.A., 28-02-2011, 500-09-021151-105). 61 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43. 62 LOUIS-MARTIN O'NEILL, «Les pouvoirs de contrainte de l'Autorité des marchés financiers», dans Développements récents en valeurs mobilières 2007, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 115, 142-144. 63 Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1.1, articles 237-240.

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TABLEAU IV : Chevauchement du pouvoir d’exiger des documents et renseignements et

de celui d’émettre des subpoenas duces tecum

Chronologie de l’octroi des pouvoirs Nombre de

cas

Octroi simultané 14

Octroi d’abord le pouvoir d’émettre des subpoenas duces tecum 3

Octroi d’abord le pouvoir de demander des documents et

renseignements 2

L’opportunité d’octroyer ces deux pouvoirs soulève plusieurs questions. Compte tenu de la

portée relativement large que peuvent avoir les demandes de documents et

renseignements, on conçoit difficilement le besoin d’y ajouter le pouvoir d’émettre des

subpoenas duces tecum s’il s’agissait là de la seule fin visée. À l’opposé, l’octroi des

pouvoirs prévus à la LCE s’explique dans la mesure où le législateur souhaitait octroyer à

l’acteur de l’Administration le pouvoir tant d’assigner à témoigner que d’assigner à

produire ou afin d’ouvrir la porte à une condamnation à outrage. N’en demeure que dans

un tel contexte, l’ajout d’un pouvoir de demander des documents et renseignements

semble être redondant.

Il est pertinent de noter que de tels dédoublements génèrent une certaine confusion quant

à la portée respective de chacune des habilitations. Il est donc probable que

l’interprétation de chacune des habilitations, prise individuellement, soit interprétée de

façon restrictive afin d’éviter les chevauchements; après tout, « le législateur ne parle pas

pour ne rien dire »64.

Au-delà de cette particularité, les dispositions mettant en place un pouvoir d’émettre des

subpoenas duces tecum sont nombreuses et relativement uniformes. Ce sont plus d’une

centaine d’habilitations bénéficiant d’un tel pouvoir qui ont été répertoriées dans

l’échantillon :

64 Loi d'interprétation, RLRQ, c. I-16, article 41.1; PIERRE-ANDRÉ CÔTÉ, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 318-320; LUCIE LAUZIÈRE, L'interprétation des lois, Québec, Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon, Université Laval, 2012, p. 21; R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124, p. 1135.

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TABLEAU V : Pouvoirs de la LCE mis en place, par décennie

Décennie Nombre d’habilitations

1890-1899 -

1900-1909 -

1910-1919 1

1920-1929 1

1930-1939 2

1940-1949 -

1950-1959 -

1960-1969 5

1970-1979 26

1980-1989 16

1990-1999 19

2000-2009 27

2010-2015 (juin) 7

De ces 104 habilitations répertoriées, un libellé similaire à l’article 138 de la Loi sur le

cinéma65 est utilisé dans 80 % des cas :

La Régie, ses membres et toute personne qu'elle charge de faire enquête pour l'application du présent chapitre sont investis, à cette fin, des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

L’étude sommaire de la tendance législative laisse à penser que cette proportion est

vouée à augmenter compte tenu que l’utilisation de ce libellé « usuel » semble se

populariser au courant des dernières années.

65 Loi sur le cinéma, RLRQ, c. C-18.1.

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TABLEAU VI : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant les

pouvoirs de la LCE, en fonction du libellé

Dates d’adoption des habilitations

Libellé usuel Autre libellé

Moyenne 1990 1977

Médiane 1991 1983

Maximum 2013 2008

Minimum 1932 1915

Malgré cette tendance, on retrouve toujours dans l’échantillon certains libellés qui

présentent quelques particularités. On retrouve donc à quelques reprises66 des

habilitations qui ajoutent une référence aux articles 307 à 309 de l’ancien Code de

procédure civile67 (remplacés par les articles 282 à 285 du nouveau Code de procédure

civile68) :

307. Un témoin ne peut être contraint de divulguer une communication que son conjoint lui aurait faite au cours de leur vie commune.

308. De même, ne peut être contraint de divulguer ce qui lui a été révélé dans l'exercice de ses fonctions le fonctionnaire de l'État, si le juge est d'avis, pour les raisons exposées dans la déclaration assermentée du ministre ou du sous-ministre de qui relève le témoin, que la divulgation serait contraire à l'ordre public.

309. Un témoin ne peut refuser de répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou à l'exposer à une poursuite, de quelque nature qu'elle puisse être; mais s'il fait une objection en ce sens, sa réponse ne pourra servir contre lui dans aucune poursuite pénale intentée en vertu de quelque loi du Québec.

La recherche jurisprudentielle effectuée aux fins du présent mémoire n’a pas permis

d’identifier de cas d’application de cette référence particulière. Notons cependant que,

concernant l’article 309 C.p.c., l’article 11 LCE prévoit d’emblée que « nulle réponse

donnée par une personne ainsi entendue comme témoin ne peut être invoquée contre elle

dans une poursuite en vertu d'une loi, sauf le cas de poursuites pour parjure ou pour

témoignages contradictoires ».

66 À titre d’exemple: Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ, c. E-2.2, article 90.4. 67 Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25, ci-après désigné « C.p.c. ». 68 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1.

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Une autre situation particulière consiste en la façon de référer à la LCE. Alors que le libellé

usuel réfère aux pouvoirs et à l’immunité des commissaires nommés en vertu de la LCE,

certaines habilitations se démarquent et mettent en lumière un certain manque de

cohérence. Ainsi, une habilitation peut octroyer l’immunité (au singulier) prévue à la LCE69

alors que d’autres octroient les immunités (au pluriel) prévues à la LCE70. Dans le même

ordre d’idée, alors que le libellé usuel mentionne les pouvoirs et l’immunité de la LCE,

d’autres réfèrent plutôt aux pouvoirs et attributions de la LCE71, aux pouvoirs, immunité et

privilèges de la LCE72 ou uniquement aux pouvoirs de la LCE73. Enfin, d’autres

dispositions dressent plutôt une liste des dispositions de la LCE auxquelles on souhaite

faire référence74.

En application, l’exercice du pouvoir d’émettre un subpoena duces tecum est maintenant

clairement reconnu comme constituant une saisie au sens de l’article 8 de la Charte

canadienne75, et ce, bien que ce constat ait d’abord été mis en doute76. Cependant,

appliquant une logique similaire à celle utilisée en matière de demande de documents et

renseignements, la juge Laforest de la Cour suprême du Canada a considéré que l’attente

des administrés est limitée :

Comme le juge Dickson l'a dit clairement dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, l'objet de l'art. 8 est de protéger les attentes raisonnables des citoyens en matière de vie privée (p. 159). Mais ce degré de vie privée auquel le citoyen peut raisonnablement s'attendre peut varier considérablement selon les activités qui le mettent en contact avec l'État. Dans une société industrielle moderne, on reconnaît généralement que de nombreuses activités auxquelles peuvent se livrer des particuliers doivent malgré tout être plus ou moins réglementées par l'État pour veiller à ce que la poursuite des intérêts des particuliers soit compatible avec les intérêts de la collectivité dans la réalisation des buts et des aspirations collectifs. Dans de nombreux cas, cette réglementation doit

69 À titre d’exemple : Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1, article 19. 70 À titre d’exemple : Loi sur l'instruction publique, préc., note 29, article 32. 71 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 44. 72 À titre d’exemple : Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 109.4. 73 À titre d’exemple : Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 135. 74 À titre d’exemple : Loi sur l'autorité des marchés financiers, RLRQ, c. A-33.2, article 19.5; Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 18; Loi sur le ministère de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation, RLRQ, c. M-14, article 4. 75 Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, 505. Voir aussi : D. ROUSSEAU, préc., note 22, p. 164. 76 462657 Ontario Ltd. c. M.R.N., [1989] 3 C.F. 669, 681.

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nécessairement comporter l'inspection de lieux ou de documents de nature privée par des fonctionnaires de l'État. […]

Il s'ensuit que les attentes des particuliers ne peuvent être très élevées quant au respect de leur droit à la vie privée dans le cas de lieux ou de documents utilisés ou produits dans l'exercice d'activités qui, bien que légales, sont normalement réglementées par l'État. Dans une société où l'on reconnaît le besoin de réglementer efficacement certains domaines d'activités privées et où l'on y donne suite, l'inspection de lieux et de documents par l'État est un aspect routinier auquel les particuliers s'attendent en exerçant cette activité.77

Ainsi, la Cour suprême conclut que l’émission d’un subpoena duces tecum ne nécessite

pas que l’acteur de l’Administration ait des motifs raisonnables et probables de croire

qu’une infraction précise a été commise, ni même qu’une infraction précise fasse l’objet de

l’enquête78.

Cependant, les tribunaux ont tout de même balisé l’exercice du pouvoir d’émettre des

subpoenas duces tecum, précisant que la portée de ce pouvoir était limitée par l’objet de

l’enquête soit, le plus souvent, le mandat d’enquête79. À titre d’exemple, dans une affaire

où la Régie de l’assurance maladie du Québec avait émis un subpoena duces tecum à

l’endroit d’un tiers, la Cour supérieure jugea le subpoena invalide, le mandat ne permettant

pas de s’adresser à des tiers :

[37] L'objectif du mandat d’enquête « ciblé » de la RAMQ est de :

effectuer rapidement toutes les vérifications nécessaires auprès du Groupe Santé Physimed et auprès des médecins y pratiquant, afin d'établir la nature et la portée des sommes exigées aux personnes assurées, plus particulièrement celles en lien avec le bilan de santé, en utilisant les moyens d'enquête jugés appropriés, notamment, la cueillette des informations qui permettront à la Régie d'intervenir s'il devait s'avérer que cette pratique contrevienne à la loi.

[…]

[42] Par conséquent, malgré le fait que la RAMQ puisse assigner des tiers en vertu de ses pouvoirs d’enquête, le mandat que la RAMQ s’est donné relativement à Physimed ne le permet pas. Selon les termes de son mandat, madame T... est habilitée à faire des vérifications auprès du Groupe Santé Physimed et de ses médecins seulement, et non pas auprès de tiers comme monsieur A.... Par ailleurs, le subpoena émis par madame T... est invalide, car elle n’a pas le mandat

77 Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), préc., note 75, p. 506-507. 78 Id., p. 524-526, 529-530. 79 L.-M. O'NEILL, préc., note 62, p. 132.

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d’assigner une personne à témoigner sur des questions qui ne concernent pas la nature et la portée des sommes exigées par Physimed des personnes assurées.80

[Nos soulignements]

Enfin, les tribunaux ont considéré que le pouvoir d’émettre un subpoena duces tecum ne

permettait pas d’assigner le gouvernement fédéral81, ni de soulever à lui seul le secret

professionnel82.

1.1.3 Les demandes péremptoires

Le pouvoir de transmettre une demande péremptoire est une habilitation rare dans la

législation québécoise. L’étude de l’échantillon a permis d’identifier deux lois québécoises

qui mettent en place une telle habilitation, soit la Loi sur l’administration fiscale83 et la Loi

sur les biens non réclamés84. Le libellé utilisé est relativement le même dans ces deux

cas :

35. Pour l'application de la présente loi, une personne autorisée à cette fin par le ministre peut, par une demande péremptoire qu'elle transmet par courrier recommandé ou par signification à personne, exiger d'une personne, assujettie ou non à une obligation prévue par la présente loi, dans le délai raisonnable qu'elle fixe, la production par courrier recommandé ou par signification à personne de renseignements ou de documents, y compris un état, une déclaration ou un rapport.

La personne à qui cette demande est faite doit, dans le délai fixé, se conformer à cette demande, qu'elle ait ou non déjà produit un tel état, un tel rapport ou une telle déclaration à la suite d'une demande semblable faite en vertu de la présente loi.

La demande péremptoire doit mentionner les conséquences du défaut de s'y conformer qui sont prévues à l'article 38.

38. Lorsqu'une personne ne s'est pas conformée à une demande péremptoire à l'égard d'un renseignement ou d'un document, tout tribunal doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve de ce renseignement ou de ce document à

80 L.A. c. Régie de l'assurance maladie du Québec 2013 QCCS 3001, par. 37 et 42. 81 P.G. du Qué. et Keable c. P.G. du Can. et autres, [1979] 1 R.C.S. 218, 240, 244. Voir aussi : Constructions Louisbourg ltée c. Marchi, 2011 QCCS 3211 (appel rejeté sur requête, C.A., 06-11-2012, 500-10-004970-115), par. 15-23. 82 Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574, par. 21. Voir aussi : Gauvreau c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2015 QCCS 1953 (appel accueilli, 30-10-2015, C.A., 500-09-025291-154), par. 11; T.A. c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCS 3785, par. 31; JEAN DEAUDELIN, «Le déroulement des commissions d'enquête», dans Conférence des juristes de l'État 1998: XIIIe Conférence - La justice conjuguée à tous les temps, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 216. 83 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 39. 84 Loi sur les biens non réclamés, RLRQ, c. B-5.1, article 35.

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moins que la personne n'établisse que la demande péremptoire était déraisonnable dans les circonstances.85

La rareté relative de ce type d’habilitation ne trouve cependant pas d’explication dans son

caractère récent : la demande péremptoire fait partie des pouvoirs prévus à la Loi sur

l’administration fiscale depuis 1972. On s’explique donc difficilement qu’aucun autre

exemple n’ait été identifié dans l’échantillon jusqu’à l’adoption de la Loi sur les biens non

réclamés, en 2011.

Malgré le peu d’habilitations du genre, le seul exercice de ce pouvoir par les autorités

fiscales fournit malgré tout plusieurs précédents intéressants qui, selon toute

vraisemblance, auront poussé l’Assemblée nationale à parfaire le libellé de la Loi sur

l’administration fiscale.

D’abord, soulignons qu’à l’instar des autres méthodes d’obtention de documents ou de

renseignements, les tribunaux ont considéré que la demande péremptoire était

« équivalente à une saisie, mais qu’il s’agit d’une mesure acceptable »86. De plus, les

tribunaux ont une nouvelle fois balisé l’exercice de ce pouvoir en fonction d’un critère de

pertinence. Cependant, la teneur exacte de ce critère est sujette à interprétation.

Dans l’affaire Gilbert, la Cour du Québec écrit :

[20] C'est donc dire que lorsque l'ARQ présente une demande d'autorisation, en vertu de l'article 39 in fine, le juge doit être convaincu que la production des renseignements et/ou documents demandés sera utile pour déterminer si la personne visée rencontre ses obligations fiscales.

[21] Par analogie, cette analyse peut être faite dans le présent dossier.

[22] Le Tribunal est convaincu que les renseignements et documents demandés à M. Gilbert, à titre d'administrateur de la société Menthorex Canada inc, sont requis afin de déterminer si celle-ci a respecté ses obligations prévues à une loi fiscale.

[23] En effet, ces documents et renseignements peuvent être utiles pour établir si Menthorex Canada inc. a respecté ses obligations.

85 Id., articles 35 et 38. 86 Berger c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCS 3280 (requête en rejet d'appel rejetée et requête de bene esse pour permission d'appeler accueillie, C.A., 19-01-2015, 500-09-024626-145), par. 41.

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32

[24] Le Tribunal conclut que l'ARQ démontre que M. Gilbert est tenu, en vertu de l'article 39 de la LAF, de fournir les renseignements ainsi que les documents et qu'il ne les a pas fournis à l'ARQ.87

[Nos soulignements]

Cette décision laisse donc subsister un doute quant à la réelle exigence applicable

(nécessité ou utilité), la Cour semblant néanmoins adopter une interprétation libérale de la

disposition. Dans l’affaire 6217125 Canada inc., la Cour du Québec favorise au contraire

une interprétation beaucoup plus stricte :

[11] […] Mais, précisément parce qu'il s'agit de pouvoirs importants et spéciaux, les dispositions les conférant doivent recevoir une interprétation stricte, de façon à ce qu'ils ne soient utilisés que pour les fins pour lesquelles le législateur les a consentis, c'est-à-dire dans la poursuite immédiate des fins énoncées au premier alinéa, précité, de l'article 39.

[12] Or, dans la présente affaire, et selon ce que représente la procureure du Ministère, la demande péremptoire transmise à la compagnie numérique acheteuse ne l'a pas été dans le contexte strict du «recouvrement d'un montant dont une personne est redevable en vertu d'une loi [fiscale]», ni plus généralement «pour l'application et l'exécution d'une loi fiscale» à proprement parler, mais plutôt pour bonifier la position du Ministère dans le cadre du recours civil en inopposabilité introduit par ce dernier à l'égard d'une partie adverse qui n'est pas sa débitrice fiscale. […]

[13] En pareil contexte, le Tribunal est d'avis que les conditions d'ouverture prévues par l'article 39 ne sont pas ici rencontrées.88

En appel de cette décision, le juge Forget de la Cour d’appel du Québec entérine cette

lecture restrictive de l’article 39 de la Loi sur l’administration fiscale, concluant qu’il est

déraisonnable d’utiliser un tel pouvoir lorsque l’information requise peut être obtenue par

d’autres moyens89. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce même argument, lié au

caractère déraisonnable de la demande, a été considéré non recevable en révision

judiciaire dans l’affaire Berger90. La Cour du Québec considérait plutôt que cet argument

devait être soulevé en défense, si tant est que l’Agence du revenu devait intenter des

procédures à la suite du défaut de répondre à la demande.

87 Agence du revenu du Québec c. Gilbert, 2014 QCCQ 689, par. 20-24. 88 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 6217125 Canada inc., 2006 QCCQ 5544 (Appel rejeté, C.A., 01-03-2007, 500-09-016922-064), par. 11-13. 89 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 6217125 Canada inc., 2007 QCCA 306, par. 30-32. 90 Berger c. Agence du revenu du Québec, préc., note 86, par. 93-99.

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Quoi qu’il en soit, des modifications ont néanmoins été apportées en 2002 à l’article 39 de

la Loi sur l’administration fiscale afin de préciser que ce pouvoir pouvait être utilisé « pour

l’application et l’exécution d’une loi fiscale, notamment pour le recouvrement d’un montant

dont une personne est redevable en vertu d’une telle loi »91.

Outre la pertinence et la nécessité, la définition de « personne » au sens de l’article 39 de

la Loi sur l’administration fiscale a aussi fait l’objet de débats afin d’en déterminer la

portée. Les tribunaux ont cependant refusé d’adopter une interprétation restrictive de ce

terme. La Cour d’appel écrit :

[7] La «personne», au sens de l'art. 39 de la Loi, à qui une demande péremptoire est adressée, n'a pas à être celle qui est l'objet de l'enquête. Le ministère peut exiger des renseignements de toute personne qui, comme l'écrivait la juge Wilson, interprétant la disposition équivalente de la Loi sur l'impôt sur le revenu (art. 231(3), «est au courant des affaires d'une autre personne concernant son assujettissement à l'impôt».92

Encore une fois, le législateur est intervenu en 1996 en spécifiant que la demande

péremptoire pouvait être adressée à une personne, qu’elle soit assujettie ou non au

paiement d’un droit93. L’ensemble de ces modifications semble d’ailleurs avoir été pris en

compte lors de l’adoption de l’article 35 de la Loi sur les biens non réclamés.

1.1.4 La collecte extraterritoriale d’information

Il en va du principe de la territorialité des lois que l’acteur de l’Administration qui tire ses

pouvoirs de contrainte d’une loi québécoise ne peut les exercer que sur le territoire de la

province de Québec94. Un acteur de l’Administration ne pourrait donc pas contraindre une

personne qui ne se trouve pas sur le territoire québécois, ce qui n’est pas sans provoquer

plusieurs complications lorsque l’objet de la réglementation à appliquer permet à une

personne de conserver ses actifs informationnels au-delà des frontières. On retrouve dans

91 Loi budgétaire no 1 donnant suite au discours sur le budget du 29 mars 2001 et à certains énoncés budgétaires, L.Q. 2002, c. 9, article 141. 92 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bilodeau, J.E. 2000-453 (C.A.), par. 7. Voir aussi : Agence du revenu du Québec c. Gilbert, préc., note 87, par. 15-17. 93 Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1996, c. 31, article 24. 94 H. BRUN, G. TREMBLAY et E. BROUILLET, préc., note 20, p. 123-124; NICOLE DUPLÉ, Droit constitutionnel: principes fondamentaux, 6eéd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 419-420; PETER

W. HOGG, Constitutional law of Canada, 2014 Student Edition, Toronto, Carswell, 2014, p. 16-2.

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l’échantillon de lois sous étude deux exemples de dispositions adoptées afin de pallier

cette lacune découlant du principe de souveraineté des États.

Le premier exemple est l’article 305 de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés

d'épargne, adopté en 1987, qui permet de moduler les exigences liées à l’inspection dans

le cas d’une société extra-provinciale :

305. L'Autorité doit, au moins une fois l'an, procéder ou faire procéder sur les affaires internes et les activités d'une société aux examens et recherches qu'elle estime nécessaires ou utiles.

Elle peut, dans le cas d'une société extra-provinciale, accepter à la place de l'inspection, un rapport d'inspection fait sur cette société par une autre autorité administrative dont elle dépend.95

Cette disposition ne permet cependant pas d’obtenir l’information recherchée, autorisant

plutôt l’acteur de l’Administration à se limiter à l’information déjà préparée par une autorité

extra-provinciale.

Le second exemple, adopté en 2002, se trouve à l’article 317.2 de la Loi sur les

assurances :

317.2. Toute société de gestion de portefeuille qui contrôle directement un assureur et toute société de gestion de portefeuille qui est contrôlée par un assureur doivent souscrire un engagement ayant pour effet de permettre à l'Autorité ou au représentant que celle-ci désigne d'entrer à toute heure raisonnable dans leurs siège et autres établissements situés à l'extérieur du Québec et d'y permettre l'application des paragraphes 2° et 3° du premier alinéa et du deuxième alinéa de l'article 10, aux fins de l'inspection de leurs affaires internes et activités.96

Cette dernière disposition constitue, à première vue, une façon ingénieuse de contourner

la territorialité des lois en contraignant l’administré au Québec à consentir à l’application

des pouvoirs de contrainte prévus à la Loi même dans ses établissements hors Québec.

Cette option semble donc présenter un certain potentiel. Il a par contre été impossible de

répertorier des cas d’application de cette disposition dans la jurisprudence consultée aux

fins du présent mémoire.

95 Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, RLRQ, c. S-29.01, article 305. 96 Loi sur les assurances, RLRQ, c. A-32, article 317.2.

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1.2 - OBTENIR LA DÉCLARATION D’UN INDIVIDU

La présente sous-section traitera des habilitations répertoriées permettant d’obtenir des

réponses directement d’un individu. Il sera donc question, bien entendu, du pouvoir

d’interroger un individu, mais aussi du pouvoir d’exiger une déclaration écrite et, enfin, de

l’octroi des pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure pour obtenir un témoignage.

1.2.1 Le pouvoir d’interroger

Le pouvoir d’interroger constitue, lui aussi, l’un des premiers pouvoirs qui vient à l’esprit

lorsqu’il survient le besoin d’obtenir de l’information. En fait, même au-delà de l’écrit, la

preuve testimoniale demeure généralement le moyen de preuve par excellence. À ce

propos, les juges Sopinka et Iacobucci de la Cour suprême du Canada écrivaient :

Une enquête de ce genre contraint légitimement une personne à témoigner puisque la Loi vise la réalisation d'un objectif d'une grande importance pour le public, à savoir, recueillir des témoignages pour réglementer le secteur des valeurs mobilières. Pareilles enquêtes aboutissent souvent à des procédures de nature essentiellement civile. L'enquête est du genre autorisé par notre droit puisqu'elle a une utilité sociale évidente. L'enquête a ainsi pour objet prédominant de recueillir le témoignage pertinent aux fins des présentes procédures et non dans le but d'incriminer Branch et Levitt.97

Parmi l’échantillon étudié, les habilitations à interroger proviennent généralement d’une

référence à la LCE :

TABLEAU VII : Typologie des habilitations à interroger

Habilitation Nombre de cas

Référence à la LCE seulement 98

Référence à la LCE et autres habilitations 6

Autres habilitations 6

L’étude de la chronologie des libellés révèle aussi une tendance à laisser tomber les

autres habilitations et à se rabattre sur la simple référence à la LCE :

97 British Columbia Securities Commission c. Branch, préc., note 50, par. 35.

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TABLEAU VIII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le

pouvoir d’interroger, en fonction du libellé

Dates d’adoption des habilitations

Habilitations référant à la

LCE seulement Autres habilitations (seules ou avec LCE)

Moyenne 1988 1960

Médiane 1991 1980

Max 2013 2009

Min 1925 1899

On constate d’ailleurs que parmi les six cas où on retrouve tant une référence à la LCE

qu’une autre habilitation à interroger, à quatre reprises l’habilitation a été adoptée sous

cette forme, alors qu’à deux reprises la référence à la LCE a été ajoutée par la suite.

À la lumière de leur fréquence beaucoup plus élevée, on ne sera pas surpris de constater

que la majorité de la jurisprudence identifiée relativement au pouvoir d’interroger concerne

l’exercice des pouvoirs prévus à la LCE. En fait, une grande partie de la jurisprudence

concerne le déroulement de l’interrogatoire, le tout, compte tenu de la comparaison

inévitable avec le déroulement d’un interrogatoire dans un contexte judiciaire.

D’abord, par les motifs du juge Estey dans l’arrêt Irvine, la Cour suprême du Canada a fixé

les principes de base concernant le droit à l’avocat à l’occasion d’un interrogatoire dans un

contexte administratif98. Elle conclut qu’il n’existe pas de droit constitutionnel à l’avocat

dans ce type d’interrogatoire. De plus, lorsque le droit à l’avocat est conféré par la loi, ce

droit n’emporte pas le nécessairement le droit de contre-interroger les témoins à

l’enquête :

Les caractéristiques de la procédure, la nature du rapport qui en résulte et sa diffusion publique, et les sanctions qui s'ensuivront lorsque les événements qui suivent le rapport seront enclenchés, détermineront l'étendue du droit à l'assistance d'un avocat et, lorsqu'un avocat est autorisé sans plus par la Loi, le rôle de cet avocat. L'organisme d'enquête doit être maître de sa propre procédure.99

98 Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, par. 74. 99 Id., par. 78.

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Ainsi, lors d’un interrogatoire mené dans un contexte administratif, le rôle de l’avocat est

somme toute limité100. Dans l’affaire Fournier, la Cour supérieure avait reconnu à l’avocat

de l’administré le droit de s’objecter, considérant qu’autrement « le rôle d’un avocat est

quasiment réduit à celui de figurant ne pouvant dire mot, pour ne pas dire à celui d’un

pantin de boudoir »101. Accueillant l’appel à l’encontre de ce jugement, le juge Dufresne de

la Cour d’appel du Québec réitère plutôt que le rôle de l’avocat est limité dans un contexte

administratif :

[45] La personne assignée à répondre aux questions de l'enquêteur désigné par l'AMF peut être assistée d'un avocat. Avec égards pour l'opinion contraire, l’avocat qui assiste cette personne ne peut toutefois formuler d'objections. Comment le pourrait-il alors que l’article 241 LVM prescrit que la personne interrogée ne peut refuser de répondre?

[46] L’avocat peut choisir, s’il est d’avis qu’il y va de l’intérêt de son client, de lui recommander de refuser de répondre à certaines questions de l’enquêteur, mais il place alors son client devant la possibilité de faire face à un constat d’infraction pour refus de répondre aux questions de l’enquêteur (art. 195(4) LVM).

[47] Peut-il toutefois demander de soumettre, comme l’avocat de l’intimé le suggérait au moment de l’interrogatoire, ses objections aux questions de l'enquêteur à un juge de la Cour supérieure? Je ne le crois pas, d’autant que l'interrogatoire n'était lié à aucune procédure pendante devant les tribunaux.

[48] On ne peut s’adresser à la Cour supérieure à la seule fin de faire trancher des objections à des questions d’un enquêteur de l’AMF, sans que ces questions aient été posées dans le cadre de procédures dont cette cour est par ailleurs saisie. En somme, il n'existe pas de contrôle judiciaire pour uniquement trancher des objections à des questions posées par un enquêteur mandaté par l'AMF en vertu de l’article 239 LVM.

[49] Toutefois, si la personne interrogée estime que l'enquêteur excède son mandat ou sa compétence, ou encore qu'il y a violation des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale, elle peut intenter un recours en Cour supérieure et demander à un juge de cette cour la suspension de l’interrogatoire pendant les procédures judiciaires. Or, ce n’est pas la voie suivie ici.

[50] Elle peut aussi refuser de répondre et contester en Cour du Québec le constat d'infraction que pourrait lui avoir valu son refus de témoigner. Il faut rappeler que l’article 195 LVM énonce que constituent une infraction à cette loi le défaut de

100 J. DEAUDELIN, préc., note 82, par. 208. 101 Autorité des marchés financiers c. Fournier, 2010 QCCS 4830 (appel accueilli, C.A., 22-06-2012, 500-10-004721-104), par. 13.

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comparaître à la suite d’une assignation, le refus de témoigner, comme le refus de communiquer ou de remettre des pièces ou objets réclamés par l’AMF.102

Développant plus longuement sur les objections susceptibles d’être formulées lors d’un

interrogatoire dans un contexte administratif, la Cour d’appel conclut qu’il revient à

l’enquêteur de trancher les objections :

[54] Avec égards, si « trancher » signifie que l’enquêteur laisse tomber sa question ou la modifie à la suite de remarques ou d’une objection de la personne interrogée ou de son avocat, ou, au contraire, persiste à la poser malgré l’opposition, je veux bien. Mais l’exercice s’arrête là. L’enquêteur de l’AMF n’a pas à rendre une décision motivée sur l’objection. Imposer le contraire aurait pour effet d’alourdir indûment l’enquête administrative tenue à huis clos à la seule fin de recueillir des informations. Si la personne interrogée ne parvient pas à convaincre l’enquêteur de ne pas insister pour une réponse ou de se satisfaire de celle déjà donnée, elle doit répondre. Si elle s’y refuse, elle doit évaluer les conséquences de son refus et, le cas échéant, envisager les voies qui s’offrent à elle.103

Une logique similaire a été retenue lorsqu’il s’agit de soulever le secret professionnel.

Ainsi, bien que la LCE ne permette pas de passer outre le secret professionnel, la

personne qui entend le soulever devra néanmoins se présenter à l’interrogatoire. Elle ne

pourra s’adresser à la Cour supérieure qu’une fois les questions posées (et maintenues)

par l’enquêteur si elle considère qu’elles violent son droit au secret professionnel104.

Avant de terminer sur le pouvoir d’interroger, il semble pertinent de souligner le cas

particulier des syndics agissant en vertu du Code des professions. Dans l’affaire Coutu c.

Ordre professionnel des pharmaciens, le Tribunal des professions en est arrivé à la

conclusion que l’article 192 du Code des professions permettait au syndic de contraindre

un membre de l’Ordre à le rencontrer :

[46] Ce pouvoir accordé au syndic aux termes de l’article 122 C. prof. n’est pas limité. Il y est précisé que dans les circonstances qui y sont mentionnées, le syndic peut « faire une enquête […] et exiger qu’on [lui] fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête ».

[47] L’enquête du syndic ne se limite pas à l’obtention de renseignements ou de documents, autrement le législateur se serait contenté de dire que le syndic peut exiger qu’on lui fournisse tout renseignement et tout document pertinent.

102 Autorité des marchés financiers c. Fournier, 2012 QCCA 1179 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 20-12-2012, 34979), par. 45-50. 103 Id., par. 54. Voir aussi : Tremblay c. Gaudreault, 2008 QCCS 5070, par. 17. 104 Autorité des marchés financiers c. X, 2014 QCCA 2368 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 16-07-2015, 36310), par. 10-12. Voir aussi : Régie de l'assurance maladie du Québec c. Gauvreau, 2015 QCCA 1932, par. 16-17.

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[48] L’expression « faire enquête » contenue à l’article 122 C. prof. a une portée plus large que celle que lui accorde l’appelant.

[…]

[54] En matière disciplinaire, où l’exercice d’une profession doit être vu comme un privilège, nier au syndic le pouvoir de contraindre le professionnel qui est l’objet d’une enquête de le rencontrer, aurait pour effet de permettre une brèche importante dans la finalité de la déontologie et de la discipline qui est la protection du public.105

Il s’agit là d’une interprétation extensive de l’article 192 qui n’est pas sans entrainer

d’autres questions, notamment à savoir quelles sont les obligations du professionnel une

fois qu’il a accepté d’être présent à la rencontre? Est-il aussi tenu de répondre à toutes les

questions posées? Bien que le Tribunal des professions reconnaisse que le pouvoir du

syndic n’est pas un pouvoir d’assignation, comme celui de la LCE, il ne mentionne qu’une

seule réelle distinction : la sanction applicable en cas de défaut sera la plainte pour

entrave, et non l’outrage106.

1.2.2 Le pouvoir d’exiger une déclaration écrite

Le pouvoir d’exiger une déclaration écrite se situe entre le pouvoir d’exiger des

renseignements et celui d’interroger. Il s’agit, en quelque sorte, d’un interrogatoire sur

papier. Cinq habilitations disposant de ce type de pouvoir ont été répertoriées dans

l’échantillon. On constate cependant que dans trois de ces cinq cas, il existe aussi un

pouvoir d’interroger en parallèle avec l’habilitation à exiger une déclaration écrite. Il

s’agirait donc vraisemblablement d’une façon de rendre le processus de collecte plus

efficace dans les cas où l’interrogatoire en personne ne présenterait pas d’avantage

additionnel. L’ensemble des dispositions habilitant à exiger une déclaration écrite

répertorié a été adopté entre 1940 et 2010 et ces dispositions se présentent en trois types.

Le premier type, adopté en 1940, permet à l’inspecteur agissant en vertu de la Loi sur les

décrets de convention collective de requérir même sous serment et privément, de tout

employeur ou de tout salarié, les renseignements jugés nécessaires, consigner par écrit

105 Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 17 (Requête en révision judiciaire accueillie, C.S., 08-12-2010, 500-17-049607-099. Appels accueillis, C.A., 10-12-2012, 500-09-021277-108 et 500-09-021281-100), par. 46-48, 54. 106 Id., par. 59.

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les renseignements obtenus au cours de l’inspection et exiger la signature de

l’intéressé107.

Le deuxième type, adopté en 2010, est similaire, mais beaucoup plus spécifique. Il s’agit

d’un pouvoir d’exiger uniquement une déclaration assermentée au sujet de la provenance

du bois en la possession d’un individu108.

Enfin, le troisième type est le plus courant, avec trois occurrences parmi l’échantillon.

Adoptées entre 1982 et 2010, ces dispositions permettent d’exiger une déclaration

assermentée concernant l’authenticité des documents, la véracité des renseignements ou

la conformité de copies communiquées à l’acteur de l’Administration109.

Le principe du pouvoir d’exiger une déclaration écrite a été étudié dans l’arrêt Potash à

l’occasion de l’analyse de l’ensemble des pouvoirs prévus au deuxième alinéa du

paragraphe e) de l’article 22 de la Loi sur les décrets de convention collective. À cette

occasion, la Cour a conclu que les pouvoirs mis en place par cet article étaient

« raisonnables compte tenu de l’importance de l’objet de la LDCC et de la nécessité

corrélative des pouvoirs d’inspection pour en assurer l’application »110.

En terminant, notons que la Cour du Québec a confirmé en juin 2008 que le pouvoir

d’exiger une déclaration écrite est un pouvoir de contrainte et non une règle de preuve. Ce

faisant, une déclaration écrite obtenue dans l’exercice de ces pouvoirs ne sera admissible

en preuve que dans la mesure où elle respecte les règles de preuve par ailleurs

applicables111.

1.2.3 Les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure

Dans presque tous les cas étudiés, les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure sont

octroyés à un acteur de l’Administration par le biais d’une référence à la LCE. La lecture

des lois contenues à l’échantillon n’a permis d’identifier que deux situations où les

pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure sont octroyés directement à un acteur de

107 Loi sur les décrets de convention collective, préc., note 41, article 22. 108 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, RLRQ, c. A-18.1, article 177. 109 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 40.1.3; Charte de la langue française, RLRQ, c. C-11, article 75; Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 237. 110 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 40, 46. 111 Comité paritaire de l'industrie des services automobiles des régions Saguenay—Lac-St-Jean c. 9005-2754 Québec inc. (Paysan Pièces d'autos usagées enr.), 2008 QCCQ 6355, par. 5-7.

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l’Administration112. Même dans ces cas, il s’avère que le même acteur de l’Administration

se voit aussi confier certains pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la LCE,

excluant cependant les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure qui sont pourtant prévus

à l’article 7 LCE. Il semble difficile de concevoir les raisons ayant ainsi poussé le

législateur à attribuer les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure directement dans la loi

habilitante alors qu’une référence à la LCE y existait déjà.

Dans A c. Québec (Procureur général), la question a été soulevée à savoir si l’octroi des

pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure prévu à l’article 240 de la Loi sur les valeurs

mobilières était plus large que celui prévu à la LCE. On avançait alors que la Loi sur les

valeurs mobilières, contrairement à la LCE, ne limite pas l’octroi des pouvoirs d’un juge de

la Cour supérieure à la procédure d’examen des témoins. Cependant, faute de contexte

factuel, la Cour refusa de se prononcer sur ce point113.

Cette précision est pourtant d’un grand intérêt, la limitation de la portée de ces pouvoirs à

la procédure d’examen des témoins étant un point central de la jurisprudence de la Cour

suprême du Canada au fil des ans. Dans l’arrêt Société Radio-Canada, le juge Beetz

écrit :

Mais ce ne sont pas tous les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure que le législateur a voulu conférer à la Commission de police, mais seulement ceux qui concernent les procédures de l’examen des témoins. Ces procédures ont lieu devant la Commission et il n’est pas indispensable pour leur efficacité que la Commission de police ait le pouvoir de punir un outrage commis ex facie. D’autre part, le législateur a sans doute voulu conférer à la Commission d’autres pouvoirs que possède un juge de la Cour supérieure relativement à l’examen des témoins et qui ne sont pas spécifiquement mentionnés dans la Loi de police et la Loi des commissions d’enquête, tels le pouvoir d’exclure les témoins,—art. 294 C.p.c.—, celui de recevoir le témoignage d’un enfant qui ne comprend pas la nature du serment,—art. 301 C.p.c.—, le pouvoir de contraindre à rendre témoignage une personne présente à l’audience,—art. 302 C.p.c.—, le pouvoir de requérir les services d’un interprète,—art. 304 C.p.c.—. Ainsi donc, il est possible de donner à l’art. 7 de la Loi des commissions d’enquête une signification compatible avec la restriction que comportent les mots «en ce qui concerne les procédures de cet examen», et compatible avec la Constitution.114

112 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 19; Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 240. 113 A. c. Québec (Procureur général), J.E. 2003-1795 (C.S.), par. 12-17. 114 Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, 642-643. Voir aussi : L.-M. O'NEILL, préc., note 62, p. 130-131.

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42

Le principe selon lequel l’octroi des pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure ne fait pas de

l’acteur de l’Administration une Cour supérieure est d’ailleurs le fondement de plusieurs

décisions en cette matière. La Cour suprême avait déjà bien établi ce principe dans l’arrêt

Keable où le juge Pigeon écrit :

L’article 7 de la Loi provinciale prétend conférer au commissaire «tous les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure siégeant en terme», mais cela n’en fait pas pour autant une cour supérieure, puisque ce n’est pas quelque chose que peut faire la législature provinciale, vu l’art. 96 de l’A.A.N.B. (voir l’arrêt récent de cette Cour dans l’affaire Procureur général du Québec c. Farrah). Le commissaire n’a pas le statut d’une cour supérieure, sa compétence est limitée. Ses ordonnances ne sont pas sur un pied d’égalité avec celles d’une cour supérieure auxquelles il faut obéir sans discussion; ses ordonnances peuvent être contestées sur des moyens juridictionnels parce que ses pouvoirs sont limités. Ses décisions relatives à la portée de son enquête, à l’étendue des interrogatoires autorisés et aux documents dont il peut ordonner la production peuvent donc être attaquées comme cela s’est fait devant la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Re Royal Commission and Ashton. […]

Puisqu’un commissaire n’a que des pouvoirs limités, il ne possède aucune compétence inhérente, à la différence des cours supérieures qui ont une compétence dans toutes matières de droit fédéral ou provincial à moins d’exclusion expresse.115

Appliquant ce principe, la Cour supérieure a conclu qu’un enquêteur de la Régie de

l’assurance maladie du Québec n’avait pas le pouvoir d’émettre une ordonnance de

confidentialité fondée sur l’article 7 LCE, une telle ordonnance exigeant une habilitation

expresse116.

En contrepartie, ce principe a cependant mené les tribunaux à conclure que l’article 23 de

la Charte des droits et libertés de la personne117 ne trouvait pas application lors de

l’exercice des pouvoirs de la LCE par un acteur de l’Administration. En effet, les tribunaux

ont considéré que l’acteur de l’Administration agissant dans ces circonstances n’était ni un

tribunal ni une commission d’enquête visée par l’article 56 de la Charte118.

115 P.G. du Qué. et Keable c. P.G. du Can. et autres, préc., note 81, p. 649. Voir aussi : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, préc., note 82, par. 21; T.A. c. Autorité des marchés financiers, préc., note 82, p. 22-23; P. GARANT, préc., note 11, p. 175-176. 116 L.A. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 80, par. 47-53. Voir section 2.1.3 de la partie II. 117 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, articles 23 et 56. 118 Lessard c. Commission d'enquête sur le département de radio-oncologie de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, J.E. 2004-755 (C.S.), par. 17, 44; Comité paritaire de l'industrie du verre

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43

2 SECTION 2 : ANALYSE DE L’INFORMATION ET CONSTATATION DIRECTEMENT PAR L’ACTEUR

CHARGÉ DE LA COLLECTE

Cette deuxième section porte non pas sur l’obtention de l’information détenue par un tiers,

mais plutôt sur les habilitations qui permettent à l’acteur de l’Administration de prendre lui-

même connaissance de la situation. Tel qu’il sera démontré, il s’agit généralement de

pouvoirs qui se veulent mieux adaptés à la réalité de certains domaines où les pouvoirs

plus communs ne permettent pas de dresser un portrait assez complet ou assez précis de

la situation.

L’étude de ces pouvoirs de contrainte est divisée en deux sous-sections, à savoir : (1) les

pouvoirs d’analyse et d’examen et (2) les pouvoirs d’entrer dans un lieu, d’inspecter et de

perquisitionner.

2.1 - POUVOIRS D’ANALYSE ET D’EXAMEN

Dans cette section, les pouvoirs de contrainte étudiés sont les pouvoirs qui permettent à

l’acteur de l’Administration de pousser plus loin sa recherche des faits en s’attardant

précisément à l’objet de son mandat, qu’il s’agisse d’un individu, d’un terrain, d’une

installation, d’un appareil, d’un matériau, d’un liquide ou d’une matière solide quelconque.

Seront donc visés les pouvoirs d’exiger ou de prélever des échantillons, d’installer des

appareils de mesure, de photographier ou d’enregistrer et les pouvoirs d’examen.

2.1.1 Le pouvoir d’exiger ou de prélever des échantillons

Le pouvoir d’exiger ou de prélever des échantillons a été identifié à huit reprises lors de

l’analyse de l’échantillon sous étude. Le plus vieil exemple identifié est prévu à la Loi sur la

qualité de l’environnement119 et est en vigueur depuis 1972. Cependant, l’octroi d’un tel

pouvoir ne semble pas être très courant lors des dernières décennies considérant que six

des huit habilitations contenues à l’échantillon ont été adoptées avant 1990.

Il est néanmoins possible d’observer une évolution intéressante du libellé utilisé pour

mettre en place ce type de pouvoir au fil du temps. Ainsi, le libellé utilisé dans la Loi sur la

plat c. Ouellette, J.E. 94-985 (désistement d'appel, C.A., 24-08-1994, 500-09-000829-945) (C.S.), p. 5. 119 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119.

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qualité de l’environnement prévoit simplement qu’un fonctionnaire procédant à une

inspection peut prélever des échantillons et qu’il peut procéder à des analyses.

En 1978, lors de l’adoption de la Loi sur la protection du consommateur120, l’habilitation qui

est incluse à la loi spécifie que le président de l’Office de la protection du consommateur

peut faire le prélèvement d’échantillons aux fins d’expertise. Cet ajout soulève quelques

questions sur sa portée. D’une part, un tel ajout habilite expressément l’acteur de

l’Administration à effectuer l’expertise de l’échantillon. Cependant, on conçoit difficilement

qu’une telle expertise ne puisse être effectuée même en l’absence d’habilitation

spécifique. D’autre part, cette précision dans le libellé peut être interprétée comme limitant

le prélèvement d’échantillon qu’aux seuls cas où on souhaite en faire l’expertise; en

l’absence d’expertise, l’acteur de l’Administration aurait excédé la portée de son pouvoir.

Bien qu’il semble difficile de cerner l’avantage qu’apporte une telle précision, elle sera

malgré tout conservée dans les deux habilitations adoptées respectivement en 1979 et

1985, lesquelles ont toutes deux un libellé semblable : « La Régie peut prélever

gratuitement, à des fins d'analyse, des échantillons […] »121. On constate l’ajout à ces

libellés d’une précision à l’effet que la prise d’un échantillon peut être effectuée

gratuitement, lequel est de nature à éviter toute demande de compensation de la part de

l’administré.

Cette tendance législative prend fin en 1987, avec l’adoption de l’article 83 de la Loi sur

les pesticides où le législateur opte pour un libellé légèrement modifié qui revient à une

habilitation à procéder à une analyse, sans en faire expressément l’objectif visé par le

prélèvement de l’échantillon : « Tout inspecteur peut, dans l'exercice de ses fonctions: […]

3° prélever gratuitement des échantillons, installer des appareils de mesure, procéder à

des analyses; […] ». Cela permet donc d’éviter la confusion décrite plus haut relativement

à l’objectif visé par la prise d’échantillon. Une autre option, choisie lors de l’adoption de la

Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé122 en 1988, consiste à conserver la notion

de gratuité en abandonnant cependant la précision relative à l’analyse ou l’expertise.

120 Loi sur la protection du consommateur, préc., note 32, article 306. 121 Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1, article 113. Voir aussi : Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1, article 180; Loi sur les pesticides, RLRQ, c. P-9.3, article 83. 122 Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, préc., note 54, article 69.

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Plus de dix ans plus tard, en 2001, la Loi sur la santé publique123 ajoute une nouvelle

dimension en précisant que non seulement l’acteur de l’Administration peut prélever un

échantillon, mais il peut aussi contraindre une personne à prélever un tel échantillon ou la

contraindre à lui remettre un échantillon qu’elle a en sa possession. On y aura cependant

abandonné la notion de gratuité qui semblait pourtant être devenue un acquis. Cette

notion est de retour en 2011, alors que la Loi sur le patrimoine culturel124 réhabilite le

libellé utilisé en 1987 dans la Loi sur les pesticides, lequel spécifie à la fois la gratuité du

prélèvement et l’habilitation à procéder à des analyses. En somme, l’évolution quelque

peu chaotique des libellés au fil des ans offre aujourd’hui une grande variété d’options aux

légistes lors de la mise en place du pouvoir d’exiger ou de prélever des échantillons.

Quant à la qualification du prélèvement d’échantillon, les tribunaux reconnaissent

généralement qu’il s’agit d’une saisie125. Cependant, il semble acquis que cette saisie n’est

pas abusive et ne contrevient donc pas à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et

libertés. À ce propos, le juge Gomery, j.c.s. écrivait concernant le prélèvement d’un

échantillon d’essence :

En l'espèce, l'inspection des véhicules de l'intimée n'avait pas comme but principal la découverte d'une preuve à être utilisée contre elle; elle était plutôt effectuée dans le contexte d'une vérification réglementaire et routinière. L'inspection était limitée au contenu du réservoir de carburant d'un véhicule utilisé uniquement pour des fins commerciales. L'intimée ne pouvait raisonnablement y entretenir une expectative relative à sa vie privée. Avec respect, le juge Boyer avait tort de ne pas distinguer entre la fouille de l'intérieur d'un véhicule à moteur et l'inspection du contenu de son réservoir d'essence.

[…]

En conclusion, avec respect pour l'opinion contraire, le Tribunal ne croit pas que l'article 38 de la Loi concernant la taxe sur les carburants confère aux inspecteurs du ministère du Revenu des pouvoirs qui violent l'article 8 de la charte canadienne et l'article 24.1 de la charte québécoise. Il partage l'opinion du juge Kroft dans R. c. Grosky, où il dit:

123 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 100. 124 Loi sur le patrimoine culturel, RLRQ, c. P-9.002, article 180. 125 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Forages M.S.E. inc., J.E. 95-534 (C.S.), p. 11. Voir aussi : LUCIE ANGERS, «À la recherche d'une protection efficace contre les inspections abusives de l'État: la Charte québécoise, la Charte canadienne et le Bill of Rights américain», (1986) 27 C.deD. 723, p. 770. Contra : P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 20, p. 160-161.

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[...] the search of a fuel tank cannot be said to invade any privacy interest of an individual.126

2.1.2 Le pouvoir d’installer un appareil de mesure

Du même acabit que le pouvoir de prendre des échantillons, le pouvoir d’installer un

appareil de mesure permet à l’acteur de l’Administration de recueillir les données requises

pour l’exercice de ses fonctions dans un domaine technique ou scientifique.

Seulement quatre habilitations dotées de ce type de pouvoir ont été répertoriées dans

l’échantillon. On constate d’emblée que l’ensemble des acteurs détenant un tel pouvoir de

contrainte ont aussi le pouvoir de prélever des échantillons, témoignant du caractère

technique commun à ces deux pouvoirs de contrainte.

À la manière de ce qui était observable dans le cas du prélèvement d’échantillon,

l’évolution des libellés utilisés pour la mise en place du pouvoir d’installer un appareil de

mesure n’est pas particulièrement fluide, laissant penser que les libellés adoptés n’ont pas

été inspirés des libellés similaires déjà existants.

La Loi sur la qualité de l’environnement est la première loi contenue à l’échantillon qui met

en place, en 1972, un pouvoir d’installer un appareil de mesure. À l’instar de ce qui a été

observé dans la section précédente, le libellé s’avère particulièrement simple et direct :

« Le fonctionnaire peut aussi à cette occasion: […] 3° installer des appareils de

mesure; »127.

Adopté 7 ans plus tard, le libellé le plus complet en matière d’installation d’appareil de

mesure est certainement celui prévu à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, lequel se

lit ainsi :

En outre des pouvoirs généraux qui lui sont dévolus, l'inspecteur peut:

[…]

6o installer, dans les cas qu'il détermine, un appareil de mesure sur un lieu de travail ou sur un travailleur si ce dernier y consent par écrit ou ordonner à l'employeur d'installer un tel appareil et ce, dans un délai et dans un endroit qu'il désigne, et

126 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Forages M.S.E. inc., préc., note 125, p. 13-15. Voir aussi : L. ANGERS, préc., note 125, p. 770. 127 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119.

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obliger l'employeur à transmettre les données recueillies selon les modalités qu'il détermine;128

L’inspecteur agissant en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail peut donc

installer lui-même un appareil, tel que le prévoyait la Loi sur la qualité de l’environnement.

Cependant, cet article comprend plusieurs autres possibilités, à savoir :

Installer un appareil de mesure sur une personne;

Ordonner l’installation d’un appareil de mesure par un administré;

Préciser le délai et l’endroit où l’administré devra installer l’appareil de mesure;

Obliger l’administré à lui transmettre les données recueillies, selon les modalités

qu’il détermine.

À la lecture de cet article, l’inspecteur semble donc avoir toute la latitude voulue pour

prendre les moyens nécessaires à l’obtention des données désirées. Or, lors de l’adoption

de la Loi sur le bâtiment en 1985, le législateur opte pour un libellé qui reprend l’essence

de l’article 180 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, mais qui présente moins de

raffinement quant aux modalités d’exercice de ce pouvoir : « La Régie peut installer un

appareil de mesure ou ordonner à un entrepreneur […] d'en installer un et de lui

transmettre les données recueillies. »129

Enfin, l’exemple le plus récent de disposition mettant en place ce type de pouvoir parmi

l’échantillon se trouve à la Loi sur les pesticides130 et date déjà de près de trente ans.

Dans ce dernier cas, le libellé choisi abandonne tous les éléments qui avaient été inclus à

la Loi sur la santé et la sécurité du travail et reprend le libellé minimaliste de l’article 119

de la Loi sur la qualité de l’environnement.

Prenant en considération l’ensemble de cet historique, il s’avère bien difficile d’imaginer le

raisonnement juridique qui puisse expliquer un tel cheminement dans le choix des libellés

utilisés.

Quant à l’application jurisprudentielle de ce type de pouvoir, elle est relativement limitée.

Néanmoins, la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée sur l’exercice

128 Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, article 180. 129 Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 116. 130 Loi sur les pesticides, préc., note 121, article 83.

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d’un tel pouvoir de contrainte, soulignant qu’il ne pouvait pas être utilisé sans raison

suffisante :

[38] Dans les circonstances du présent dossier, le tribunal considère que le pouvoir d’ordonnance de l’inspecteur de procéder à des mesures de la qualité de l’air n'a pas été utilisé judicieusement. De l’avis du tribunal, l’inspecteur ne pouvait exiger de telles mesures pour « pour permettre une meilleure documentation de la situation » en s’appuyant uniquement sur des malaises non précisés et sur lesquels il n'avait pas enquêté d’autant plus que l’employeur lui avait mentionné avoir fait des interventions et des correctifs dans l’établissement au cours de la dernière année et qu’il s’était engagé à lui transmettre la documentation disponible.

[39] Il ne pouvait pas non plus, tel que rapporté à l'audience par les témoins de l’employeur, exiger qu’il procède à de nouvelles mesures uniquement « pour rassurer les travailleurs ».131

2.1.3 Le pouvoir de photographier/enregistrer

L’étude des lois faisant partie de l’échantillon n’a permis d’identifier qu’un peu moins d’une

dizaine d’habilitations de ce type. La rareté relative de ces habilitations peut cependant

s’expliquer par la faible propension des tribunaux à exiger une habilitation spécifique pour

ce faire. Ainsi, bien que les filatures effectuées par la Société de l’assurance automobile

du Québec et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail fassent l’objet d’un

important corpus jurisprudentiel, aucune habilitation spécifique à photographier ou

enregistrer n’a été identifiée dans l’échantillon pour ces deux acteurs de

l’Administration132, ni ne semble être retenue par la jurisprudence133. Comme l’absence

d’habilitation expresse n’a pas empêché le dépôt en preuve des photographies et

enregistrements obtenus à ces occasions, il est possible d’y voir une explication quant à la

rareté de ces habilitations.

En ce qui a trait aux neuf dispositions répertoriées mettant en place un tel pouvoir, elles

incluent toutes le pouvoir de photographier. Le pouvoir de procéder à un enregistrement

131 Commission scolaire de St-Hyacinthe et Syndicat enseignement Val-Maska, 2015 QCCLP 271, par. 38-39. 132 Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, article 180 contient une habilitation à photographier et enregistrer qui se limite aux lieux de travail. 133 REINE LAFOND et MYLÈNE LUSSIER, «La filature 10 ans après Bridgestone/Firestone : admissibilité devant la C.L.P., utilité et conséquences», dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail 2010, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 191; JANICK PERREAULT, «La caméra cachée de la SAAQ : la filature et la surveillance vidéo des victimes d’accident d’automobile», dans Développements récents en matière d’accidents d’automobiles 2009, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 161.

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n’est présent que pour cinq des neuf habilitations. L’analyse du libellé de ces dispositions

ne révèle cependant aucune tendance particulière sur cet aspect :

TABLEAU IX : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant les

pouvoirs de photographier et d’enregistrer, en fonction du libellé

Dates d’adoption des habilitations

Habilitations à photographier Habilitations à photographier et enregistrer

Moyenne 2000 1998

Médiane 2003 2005

Maximum 2006 2011

Minimum 1988 1979

L’habilitation prévue à Loi sur la qualité de l’environnement, adoptée en 2011, comprend

une innovation intéressante dans la mesure où elle prévoit la possibilité d’enregistrer

« l’état d’un lieu ou d’un environnement naturel au moyen de photographies, de bandes

vidéos ou d’autres enregistrements sonores ou visuels »134. Ce libellé ouvre donc la porte

à toute nouvelle technologie permettant un enregistrement sonore ou visuel. Toutefois, il y

a lieu de se questionner sur l’utilisation de l’expression « bande vidéo », qui semble vouée

à devenir obsolète et qui est déjà incluse par la notion « d’enregistrements sonores ou

visuels ». Au surplus, l’ajout des qualificatifs « sonores ou visuels » ne semble pas être

d’un grand apport, étant omis dans les quatre autres habilitations à enregistrer.

On constate d’ailleurs que toutes les habilitations à photographier ou à enregistrer limitent,

à différents degrés, ce qui peut être photographié ou enregistré. Selon le cas, les

dispositions habilitantes limitent ce pouvoir à des lieux135 ou à des biens déterminés136.

2.1.4 Le pouvoir d’examiner des biens ou des documents

Compte tenu que la situation du pouvoir d’examiner des biens diffère de façon non

négligeable de celle du pouvoir d’examiner des documents, il y a lieu d’en faire un

traitement distinct.

134 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119. 135 À titre d’exemple : Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, article 180. 136 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 38.

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D’abord, sept habilitations jouissant du pouvoir d’examiner des biens ont été retrouvées

dans l’échantillon de lois sous étude. Le libellé des dispositions habilitant deux de ces

pouvoirs utilise le terme inspection plutôt qu’examen. En l’absence de définition du terme

inspection, le sens usuel des mots ne permet pas de faire de distinction nette entre les

termes examen et inspection dans un tel contexte et, conséquemment, les sept

habilitations seront traitées sans distinction sur cet aspect.

Le pouvoir d’examiner des biens n’est pas une habilitation particulièrement récente : la

première manifestation identifiée dans l’échantillon remontant à 1932137 à l’occasion de

l’adoption de la Loi créant la commission municipale138. Cependant, au fil du temps, les

exemples de ce type d’habilitation sont peu fréquents et ne permettent pas d’en retirer une

tendance claire. Ainsi, outre les énumérations plus détaillées, on retrouve dans les

dispositions habilitantes les termes génériques de biens139, d’équipements140 ou de

choses141. Enfin, le libellé de ces habilitations se limite généralement à prévoir que l’acteur

de l’Administration peut examiner un bien donné.

En ce qui concerne le pouvoir d’examiner les documents, il s’agit d’une habilitation

beaucoup plus courante dont 55 exemples ont été répertoriés dans l’échantillon sous

étude. Tout comme le pouvoir d’exiger des documents, le pouvoir de les examiner est

particulièrement ancien : le premier exemple retrouvé a été adopté en 1899142. Le libellé

utilisé à l’époque était relativement simple et demeure largement répandu aujourd’hui. À

l’instar du pouvoir d’examiner un bien, le pouvoir d’examiner un document est mis en

place dans 80 % des cas par une disposition minimaliste prévoyant que l’acteur de

l’Administration peut examiner un document donné143. Le second libellé le plus utilisé, soit

dans un peu plus de 15 % des cas, se retrouve notamment à l’article 19 de la Loi sur la

protection du territoire et des activités agricoles :

Un enquêteur peut avoir accès aux livres, registres, comptes, dossiers ou autres documents relatifs à son enquête de tout propriétaire ou exploitant d'un lot assujetti

137 Loi sur la Commission municipale, RLRQ, c. C-35, article 91. 138 Loi créant la commission municipale, L.Q. 22 Geo. V, c. 111A, article 52. 139 Loi sur la protection du consommateur, préc., note 32, article 306. 140 Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance, préc., note 54, article 73. 141 Loi sur les pesticides, préc., note 121, article 83. 142 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 29. 143 À titre d’exemple : Loi sur la sécurité privée, préc., note 36, article 91.

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à la présente loi et exiger la communication pour examen, reproduction ou établissement d'extraits.144

[Nos soulignements]

Bien que ce deuxième libellé soit moins courant, il ne semble pas y avoir de tendance

marquée vers sa mise à l’écart :

TABLEAU X : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le

pouvoir d’examiner des documents, en fonction du libellé

Dates d’adoption des habilitations

Libellé #1 Libellé #2

Moyenne 1992 1997

Médiane 1997 2001

Maximum 2013 2011

Minimum 1899 1978

On note cependant que ce deuxième libellé, tout comme certains libellés étudiés à la

section 2.1, a comme particularité de spécifier la fin pour laquelle le document doit être

exigé. Il est donc possible de prétendre qu’un acteur de l’Administration muni d’une telle

habilitation excèderait ses pouvoirs en exigeant un document sans l’examiner.

À l’opposé, on comprendrait difficilement qu’un acteur de l’Administration exige un

document d’un administré s’il n’entend pas en faire l’examen. Il serait, en effet,

questionnable de chercher à obtenir un document sans même en prendre connaissance.

À ce propos, on retrouve dans l’échantillon de lois sous étude près de 200 habilitations

bénéficiant du pouvoir d’exiger des documents ou d’émettre des subpoenas duces tecum

et, en comparaison, seulement 55 habilitations à examiner des documents. Cette donnée

soulève donc la question de l’opportunité de prévoir une habilitation à examiner des

documents puisqu’il semble que cet examen soit couramment considéré, par déduction

nécessaire, comme une partie intégrante du pouvoir d’exiger des documents.

2.1.5 Le pouvoir d’exiger un examen médical

Un seul exemple de pouvoir d’exiger un examen médical a été identifié dans l’échantillon

de lois. Cet exemple se trouve dans la Loi sur la santé publique, en vertu de laquelle un

144 Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 19.

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directeur de la santé publique est autorisé à exiger d’une personne qu’elle subisse un

examen médical ou qu'elle lui fournisse un échantillon de son sang ou d'une autre

substance corporelle. L’exercice de ce pouvoir est cependant soumis à plusieurs

conditions. Ainsi, il ne pourra exiger l’examen médical d’une personne que s’il a des motifs

raisonnables de croire que cette personne est infectée par un agent biologique

transmissible145. De plus, dans l’éventualité où la personne visée ne consentait pas à cet

examen, le pouvoir d’exiger un examen médical ne peut être exercé qu’après avoir obtenu

un ordre de la Cour146.

Le pouvoir d’exiger un examen médical prévu à la Loi sur les accidents du travail et les

maladies professionnelles147 n’est pas considéré dans le cadre du présent mémoire

compte tenu qu’il s’inscrit dans le cadre particulier où l’examen médical est demandé à

l’occasion d’une demande de prestation148.

2.2 - POUVOIRS DE PÉNÉTRER DANS UN LIEU, D’INSPECTER ET DE PERQUISITIONNER

Dans cette section sera abordé le pouvoir d’un acteur de l’Administration de pénétrer dans

un lieu donné afin de faire ses constatations de visu. Selon la nature des activités dont il

est chargé de la surveillance, ce lieu pourra être un terrain, un immeuble, une résidence

ou une voiture.

Cette section sera aussi l’occasion de traiter d’un pouvoir de contrainte adapté à la réalité

moderne de l’information, soit le pouvoir d’utiliser ou de consulter l’information contenue

dans un appareil électronique se trouvant sur les lieux.

2.2.1 Le pouvoir de pénétrer dans un lieu et le pouvoir de perquisition

Le pouvoir de pénétrer dans un lieu est un pouvoir de contrainte faisant l’objet de

beaucoup de tractations149, notamment pour sa ressemblance avec la perquisition et, ce

faisant, avec le processus pénal. À ce sujet, l’auteure Angers écrit :

145 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 100. 146 Id., article 102. 147 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, article 204. 148 Paradis c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCA 2088. Voir aussi : Tenuta et Centre de l'auto boul. Industriel, [2006] C.L.P. 222, par. 66-72. 149 L. ANGERS, préc., note 125, p. 738.

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53

On entend par « inspection », le fait d’entrer dans un lieu dans le but d’y vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires. Plusieurs critères peuvent servir à identifier une simple inspection : l’entrée faite aux heures normales d’affaires (qui peuvent varier selon l’établissement en cause), à un rythme régulier (de façon mensuelle, trimestrielle, etc.), souvent pour des fins de santé publique ou de bien-être général des citoyens. […]

Une perquisition est une investigation en un lieu pour y découvrir quelque chose ou pour chercher des preuves d’une infraction à la loi, qui seront utilisées dans une poursuite pénale ou criminelle. […]

Cette distinction se doit effectivement d’être maintenue pour trois raisons. D’abord, l’attente de vie privée n’est pas aussi élevée dans le cas d’une inspection. Habituellement, dans la plupart des industries, les propriétaires s’attendent aux visites des inspecteurs pour des fins bien précises, ces visites faisant partie de la routine de fonctionnement de divers commerces ou industries. De plus, l’inspection sera normalement limitée dans son étendue, n’étant effectuée que pour s’assurer que l’industrie en cause se plie aux normes édictées par la loi. La perquisition, pour sa part, risque d’aller beaucoup plus loin en ce que la personne l’effectuant cherche la preuve d’une infraction à la loi qui peut être difficile à trouver, parce que cachée au fond d’un tiroir, d’une armoire ou dans des papiers personnels. Enfin, la nature de l’information recherchée n’est pas la même dans l’un ou l’autre cas : le point de mire est différent. Pour les inspections, il s’agit de déceler des conditions qui nuisent à la santé ou la sécurité publique. Dans le cas de perquisitions, c’est une preuve qu’on cherche, preuve qui peut mettre en cause la culpabilité d’un individu.150

Cette distinction a été réaffirmée dans l’arrêt Potash, où la Cour suprême insiste sur

l’importance des pouvoirs d’inspection :

La visite des lieux, qui constitue l'assise des autres pouvoirs énoncés au deuxième alinéa du par. 22e) de la Loi, n'est pas fortuite. Le législateur a lui-même reconnu son importance, en énonçant un alinéa distinct pour la production de documents. La preuve révèle que les inspecteurs préfèrent, dans la grande majorité des cas, rendre visite aux employeurs et aux salariés plutôt que d'exiger la production de documents, et pour cause. C'est au moyen de la visite des lieux que les comités paritaires peuvent réalistement s'acquitter du mandat qui leur échoit en vertu de la Loi -- surveiller l'observance des décrets -- en vérifiant la nature du travail accompli et en s'informant auprès des intéressés du respect des conditions d'emploi. Si les inspecteurs n'ont pas la faculté de «perquisitionner», ils peuvent néanmoins examiner l'environnement de travail et orienter l'inspection en conséquence. Dans cette perspective, l'inspection et la perquisition partagent un fondement commun: une recherche active de la vérité.151

L’étude des lois contenues à l’échantillon a d’ailleurs permis de cibler plusieurs situations

où le législateur octroie tant le pouvoir d’entrer dans un lieu qu’un pouvoir de

150 Id., p. 728-729, 755. 151 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 17.

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perquisition152, permettant à l’acteur de l’Administration d’ajuster la procédure suivie en

fonction de son objectif153.

Cela étant, le nombre d’habilitations à pénétrer dans un lieu est relativement important

dans la législation québécoise154. Au sein de l’échantillon de lois sous étude, ce sont

soixante habilitations disposant de ce pouvoir qui ont été répertoriées :

TABLEAU XI : Pouvoirs de pénétrer dans un lieu mis en place, par décennie

Décennie Nombre d’habilitations

1890-1899 1

1900-1909 1

1910-1919 0

1920-1929 0

1930-1939 1

1940-1949 0

1950-1959 0

1960-1969 0

1970-1979 7

1980-1989 12

1990-1999 12

2000-2009 20

2010-2015 (juin) 6

Il est intéressant de noter que la mise en place de pouvoirs de pénétrer dans un lieu est

en moyenne plus récente que la mise en place d’autres pouvoirs très répandus, tels que

les pouvoirs d’exiger des documents et les pouvoirs des commissaires nommés en vertu

de la LCE. De plus, parmi les habilitations toujours en vigueur, on constate que le nombre

d’habilitations disposant du pouvoir de pénétrer dans un lieu augmente

proportionnellement plus rapidement que ces deux autres pouvoirs depuis les années

1980, tel qu’il appert des graphiques I et II :

152 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, articles 119, 119.0.1, 119.1 et 120.1. 153 L. ANGERS, préc., note 125, p. 759. 154 Id., p. 725.

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55

FIGURE II: Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs, par décennie

FIGURE III: Comparaison de l'augmentation relative (en pourcentage) des occurrences de

certains pouvoirs, par décennie

1960-1969

1970-1979

1980-1989

1990-1999

2000-2009

2010-2015(juin)

Entrer dans un lieu 0 7 12 12 20 6

Exiger desdocuments/renseignements

3 18 22 20 34 11

Pouvoirs d'un commissairenommé en vertu de la LCE

5 26 16 19 27 7

0

5

10

15

20

25

30

35

40

1960-1969

1970-1979

1980-1989

1990-1999

2000-2009

2010-2015(juin)

Entrer dans un lieu 0,00% 70,00% 54,55% 35,29% 37,04% 10,00%

Exiger desdocuments/renseignements

30,00% 64,29% 44,00% 28,57% 32,69% 9,57%

Pouvoirs d'un commissairenommé en vertu de la LCE

55,56% 74,29% 31,37% 27,14% 27,84% 6,73%

0,00%

10,00%

20,00%

30,00%

40,00%

50,00%

60,00%

70,00%

80,00%

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56

L’analyse des différentes dispositions habilitant à pénétrer dans un lieu a révélé une

grande diversité de libellés, souvent attribuable aux choix de mots faits par le légiste.

Ainsi, bien que dans 72 % des cas, les dispositions étudiées mettent en place un pouvoir

de pénétrer dans un lieu155, 18 % utilisent plutôt l’expression avoir accès156, tandis que les

expressions entrer157 et visiter158 sont utilisées chacune dans 5 % des cas. Il n’apparait

d’ailleurs y avoir aucune tendance particulière à l’uniformisation des libellés sur cet

aspect :

TABLEAU XII : Statistiques relatives à l’année d’adoption des dispositions octroyant le

pouvoir de pénétrer dans un lieu, en fonction du libellé

Date d’adoption des habilitations

Dispositions utilisant le terme pénétrer Dispositions utilisant un autre terme

Moyenne 1991 1992

Médiane 1996 1996

Maximum 2013 2010

Minimum 1909 1899

Le libellé de l’article 93.267 de la Loi sur les assurances se distingue cependant en ce qu’il

prévoit que « [t]oute personne qui procède à l'inspection d'un fonds de garantie a accès à

toute heure raisonnable à ses livres, registres, comptes et autres dossiers […] »159. Ce

libellé laisse planer une certaine confusion quant sa portée réelle, à savoir s’il permet

d’avoir accès à tout lieu où se trouvent les documents visés ou si, au contraire,

l’administré peut se contenter de remettre les documents à l’acteur de l’Administration, lui

donnant accès aux documents par la même occasion.

Par ailleurs, la grande majorité des libellés spécifie le ou les lieux où peut pénétrer l’acteur

de l’Administration160. Cet élément peut par contre être d’une précision variable, allant de

155 À titre d’exemple : Loi sur les services préhospitaliers d'urgence, RLRQ, c. S-6.2, article 33. 156 À titre d’exemple : Loi sur l'enseignement privé, RLRQ, c. E-9.1, article 115. 157 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'énergie, préc., note 46, article 44. 158 À titre d’exemple : Code du travail, préc., note 72, article 109.4. 159 Loi sur les assurances, préc., note 96, article 93.267. 160 L. ANGERS, préc., note 125, p. 767.

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l’exclusion limitée aux résidences privées161 à une liste spécifique d’immeubles auxquels

l’accès est autorisé162.

Certains libellés mettent en place un régime particulièrement flexible en permettant à

l’acteur de l’Administration de pénétrer dans tout lieu où se déroule une activité visée par

la loi163. Dans de tels cas, la Cour supérieure a reconnu que l’acteur de l’Administration

était autorisé à entrer dans un lieu afin de constater s’il s’y déroule une telle activité164. Il

est cependant intéressant de noter que cette difficulté est contournée par d’autres libellés

qui prévoient la possibilité de pénétrer dans tout lieu où l’acteur de l’Administration a des

motifs de croire que se déroulent des activités visées par la loi165.

Le moment où l’acteur de l’Administration peut pénétrer dans un lieu est aussi un des

paramètres qui est fréquemment délimité par le libellé de l’habilitation à pénétrer dans un

lieu166. Tel est le cas pour près de 90 % des libellés utilisés. Les termes utilisés pour ce

faire sont cependant relativement variés. Ainsi, bien qu’environ 70 % des libellés limitent le

pouvoir de pénétrer dans un lieu aux heures raisonnables167, certains réfèrent plutôt aux

heures d’ouverture168, aux moments raisonnables169 ou aux heures convenables170. On

notera enfin que certaines dispositions prévoient la possibilité de pénétrer dans un lieu à

l’extérieur de la période prévue à la loi dans les situations d’urgence171.

En ce qui a trait à l’application de l’article 8 de la Charte canadienne, il est à noter que la

Cour suprême en est venue à la conclusion que le fait de pénétrer dans un lieu ne

correspond pas, en soi, à une saisie172. Plusieurs lois prévoient par contre la possibilité de

procéder à une saisie si, après avoir pénétré dans un lieu, l’acteur de l’Administration a

161 Loi sur la santé publique, préc., note 35, articles 100 et 101. 162 Loi sur l'instruction publique, préc., note 29, article 478. 163 À titre d’exemple : Loi sur le cinéma, préc., note 65, article 173. 164 Villeneuve c. Québec (Procureur général), D.T.E. 2004T-233 (requête pour permission d'appeler rejetée, C.A., 17-02-2004, 200-10-001578-041) (C.S.), par. 52-54. 165 À titre d’exemple : Loi sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 60, article 489. 166 L. ANGERS, préc., note 125, par. 766-767. 167 À titre d’exemple : Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme, RLRQ, c. T-11.011, article 41. 168 À titre d’exemple : Charte de la langue française, préc., note 109, article 174. 169 À titre d’exemple : Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris, RLRQ, c. S-5, article 142. 170 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 112. 171 À titre d’exemple : Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P-34.1, article 36. 172 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 44.

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des motifs raisonnables de croire en une infraction173. Selon l’auteure Angers, ces

situations ne seraient pas problématiques eu égard aux droits prévus à la Charte

canadienne174. La Cour suprême du Canada semble avoir adopté la même position en

1994 dans l’arrêt Potash :

L'inspection a pour objectif fondamental la vérification du respect d'une loi réglementaire; elle s'accompagne souvent d'une dimension informative destinée à promouvoir les intérêts des personnes en faveur desquelles la loi a été édictée. L'exercice des pouvoirs d'inspection n'entraîne pas les stigmates qui sont normalement associés aux enquêtes de nature criminelle et leurs conséquences sont moins draconiennes. Si les lois réglementaires sont accessoirement assorties d'infractions, elles sont principalement édictées dans le but d'en inciter le respect. Il se peut que dans le cadre de leur inspection, les personnes chargées de l'application d'une loi découvrent des indices qui en laissent soupçonner la violation. Mais cette éventualité n'altère pas l'intention fondamentale qui anime l'exercice des pouvoirs d'inspection.175

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une saisie, le fait de pénétrer dans un lieu est néanmoins visé

par l’article 8 de la Charte canadienne, la Cour suprême du Canada l’ayant qualifié de

« perquisition » au sens de cet article176. La Cour conclut cependant qu’il s’agit de

pouvoirs qui sont raisonnables compte tenu de l’importance de l’objet de la loi et de la

nécessité corrélative de mettre en place des pouvoirs d’inspection suffisants pour en

assurer l’application177. L’exercice du pouvoir de pénétrer dans un lieu ne requiert donc

pas d’autorisation préalable, ni la démonstration de motifs raisonnables de croire en une

infraction178. La Cour reconnait à la même occasion que le fait que l’acteur de

l’Administration pénètre dans un lieu à la suite d’une dénonciation ne modifie pas les

principes applicables179.

173 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, articles 205, 211; Loi sur les assurances, préc., note 96, article 12; Loi sur les pesticides, préc., note 121, articles 84-85; Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 184; Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 309; Loi sur les transports, RLRQ, c. T-12, article 80. 174 L. ANGERS, préc., note 125, p. 769-770. 175 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 21. 176 Id., p. 44. Voir aussi : L. ANGERS, préc., note 125, p. 736. 177 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 46. 178 Id., p. 19-21. Voir aussi : Gauthier c. Guimont, 2010 QCCA 2011 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 12-05-2011, 34015), par. 32; L. ANGERS, préc., note 125, p. 736, 742. 179 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 21-22.

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À l’occasion de l’exercice du pouvoir de pénétrer dans un lieu, il ne semble pas non plus

nécessaire pour l’acteur de l’Administration de transmettre un avis préalable180. À ce

propos, l’auteure Angers écrit :

« Le but de l’inspection n’est pas de surprendre quelqu’un en flagrant délit, mais plutôt de s’assurer de la saine administration d’une loi. Ce but fait-il en sorte qu’un avis doive être envoyé préalablement à l’inspection? En matière d’impôts, le gouvernement fédéral a émis une directive à l’effet qu’une telle procédure devrait être suivie afin d’accorder à la personne visitée la chance de replacer ses papiers et de planifier ses affaires.

Cette procédure peut être appropriée dans le cas des impôts puisqu’il y a peu de chances que des objets ou des papiers disparaissent ou soient forgés, un double existant presque toujours ailleurs. La situation est différente lors d’inspection dans le cadre de lois édictées pour des fins de santé et de sécurité publique. De telles intrusions :

Are based on the common assumption that the threat of unannounced inspection may be the most effective way to induce compliance. They are based on a view that inspection may be the only means of detecting non-compliance and that its detection serves an important public purpose. »181

La lecture des dispositions habilitant à pénétrer dans un lieu révèle cependant une

tendance chez le législateur à traiter de façon distincte les résidences privées. Ainsi,

certaines dispositions exigent le consentement de l’occupant afin d’avoir accès à une

résidence privée182 alors que d’autres permettront cet accès sur autorisation d’un tribunal

uniquement183. Bien que la Cour suprême du Canada n’ait pas reconnu que le fait qu’il

s’agisse d’une résidence privée soit déterminant, elle affirme néanmoins clairement qu’un

acteur de l’Administration n’est pas autorisé à en forcer l’entrée :

Selon la nature de l'industrie, il est possible que certaines inspections se déroulent au domicile de l'employeur ou des salariés, lorsqu'il coïncide avec leur lieu de travail. Cette éventualité ne diminue cependant pas le caractère raisonnable des pouvoirs d'inspection. Les salariés visés par les décrets comptent parmi les plus vulnérables et la Loi est édictée pour leur protection. Il importe, en définitive, que les pouvoirs d'inspection soient suffisamment circonscrits pour en satisfaire l'objet; ils le sont ici par la nature des personnes visées: l'employeur et le salarié. Il est utile de mentionner que la Loi n'autorise pas les inspecteurs à forcer l'entrée si l'employeur la leur refuse. Ils ne peuvent qu'entreprendre une poursuite pour

180 Id., p. 19-20. Voir aussi : St-Aubert (Municipalité de) c. Gamache, 2007 QCCS 6070, par. 15. 181 L. ANGERS, préc., note 125, p. 768. 182 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 38. 183 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119.0.1; Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 101.

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60

entrave; l'employeur récalcitrant, à l'instar des intimés, se verra alors condamner à une amende.184

En terminant, le pouvoir de pénétrer dans un lieu n’est généralement pas accompagné

d’un pouvoir exprès d’examiner les lieux. Dans l’échantillon, seules six habilitations

bénéficient du pouvoir d’examiner les lieux en complément de celui d’y pénétrer. Compte

tenu des commentaires déjà formulés dans la section 2.1.4, il y lieu de se questionner sur

l’à-propos d’inclure de tels pouvoirs exprès d’examiner les lieux, ceux-ci étant, selon toute

vraisemblance, considérés implicites au pouvoir de pénétrer dans un lieu.

2.2.2 Le pouvoir d’immobiliser et d’inspecter un véhicule

L’analyse des lois contenues à l’échantillon a permis d’identifier six habilitations

permettant à un acteur de l’Administration d’inspecter un véhicule. La plus ancienne

d’entre elles a été adoptée en 1932 dans la Loi sur la Commission municipale185. Le libellé

choisi à cette occasion est relativement simple, prévoyant simplement que l’acteur de

l’Administration peut faire l’inspection du matériel roulant d’une municipalité.

Adoptée en 1987, la Loi sur les transports contient un libellé beaucoup plus détaillé :

49.2 […] Toute personne ainsi autorisée à agir comme inspecteur ainsi que tout agent de la paix peut, dans l'exercice de ses fonctions tant sur les chemins publics que sur les chemins ouverts à la circulation publique, pour l'application de la présente loi:

[…]

3° lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'un véhicule routier effectue un transport auquel s'applique la présente loi, faire immobiliser ce véhicule, y pénétrer pour en faire l'inspection et, à cette fin, ouvrir ou faire ouvrir tout conteneur ou réceptacle;186

Ce libellé permet donc à l’acteur de l’Administration, ici un inspecteur ou un agent de la

paix, non seulement d’inspecter un véhicule, mais aussi de l’immobiliser, d’y pénétrer et

d’y faire ouvrir tout conteneur ou réceptacle. L’acteur de l’Administration dispose donc de

plus de latitude afin de s’assurer d’avoir accès à toute l’information pertinente à

l’application de la loi.

184 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 25. Voir aussi : L. ANGERS, préc., note 125, p. 760, 768-769. 185 Loi sur la Commission municipale, préc., note 137, article 91. 186 Loi sur les transports, préc., note 173, article 49.2.

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Adoptée un an plus tard, la Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé ne retient pas ce

libellé, se limitant à prévoir le pouvoir d’ordonner « l'immobilisation temporaire dans un

endroit convenable »187 d’un véhicule et d’en faire l’inspection. En fait, outre la Loi sur les

transports, les autres habilitations se restreignent à mettre en place soit :

le pouvoir d’inspecter un véhicule188;

le pouvoir de pénétrer dans un véhicule189;

le pouvoir de l’immobiliser et de l’inspecter190.

En ce qui concerne ce troisième type de libellé, la Cour du Québec a considéré que le

pouvoir d’immobiliser un véhicule et d’en faire l’inspection n’était pas abusif au sens de

l’article 8 de la Charte canadienne, même lorsqu’une saisie est effectuée à l’occasion de

cette inspection191.

2.2.3 Le pouvoir d’utiliser un ordinateur

Par pouvoir d’utiliser un ordinateur, on entend le pouvoir d’utiliser les ordinateurs présents

sur les lieux auxquels a accès l’acteur de l’Administration. Il s’agit d’un pouvoir

particulièrement rare et dont les exemples identifiés dans l’échantillon sont relativement

récents.

Le plus vieil exemple identifié d’un tel pouvoir permettant spécifiquement d’utiliser un

ordinateur est prévu à la Loi sur l’administration fiscale. Adopté en 2009, le paragraphe

b.1) du deuxième alinéa de l’article 38 de cette loi se lit ainsi :

La personne ainsi autorisée par le ministre peut:

[…]

b.1) utiliser tout ordinateur, tout matériel ou toute autre chose se trouvant sur les lieux pour accéder à des données contenues dans un appareil électronique, un

187 Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, préc., note 54, article 69. 188 Loi sur la Commission municipale, préc., note 137, article 91. 189 Loi sur la police, préc., note 45, article 271; Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119. 190 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 205; Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, préc., note 54, article 69. 191 Simard c. Bournival, 2011 QCCQ 1205, par. 99-101.

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62

système informatique ou un autre support ou pour vérifier, examiner, traiter, copier ou imprimer de telles données;192

Cette habilitation, qui constitue une adaptation au contexte technologique actuelle, est

rédigée de telle façon qu’elle permet aussi de prendre en compte les évolutions

technologiques à venir en prévoyant l’utilisation d’un ordinateur ou de toute autre chose

permettant d’avoir accès aux données contenues dans un appareil électronique, un

système informatique ou un autre support.

De plus, tel que rédigé, le libellé prend en compte la nature variée des données contenues

dans un appareil électronique en prévoyant spécifiquement la possibilité pour l’acteur de

l’Administration de traiter les données afin d’en obtenir l’information recherchée et,

ultimement, de l’en extraire soit sur papier ou sur un autre support.

Il s’agit là d’une innovation intéressante en matière de pouvoir de contrainte qui demeure

cependant anecdotique dans l’échantillon sous étude. Le seul autre exemple a été identifié

dans la Loi sur les biens non réclamés193, où on a mis en place en 2011 une habilitation en

tout point identique à celle utilisée deux ans plus tôt dans la Loi sur l’administration fiscale.

Tel que mentionné à la section 1.1.1, une telle habilitation expresse à utiliser un ordinateur

n’a cependant pas toujours été jugée nécessaire par les tribunaux. Par exemple, dans

l’affaire Gauthier c. Deschênes, le syndic du Collège des médecins avait effectué une

copie miroir des données contenues sur le disque dur de l’ordinateur d’un médecin à

l’occasion d’une visite au cabinet médical de ce dernier. Amenée à se prononcer sur la

légalité de cette procédure, la juge Martel, j.c.s., écrit :

[44] L'article 122 du Code des professions permet au syndic d'un ordre professionnel « d’exiger qu'on lui fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête », même ceux détenus par des tiers.

[45] L'article 192 du Code des professions régit les pouvoirs de consultation de documents du syndic.

[…]

[46] Il est expressément stipulé que le syndic peut « prendre copie » d'un dossier ou d'un document. Il n’y a aucune ambiguïté dans ces dispositions législatives. Il est vrai qu'en matière civile, une saisie avant jugement ou une ordonnance Anton Piller

192 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 38. 193 Loi sur les biens non réclamés, préc., note 84, article 33.

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63

doit être préalablement autorisée par un juge assurant ainsi la protection de l’intérêt privé.

[47] Cependant, les dispositions du Code des professions, faisant l’objet d’analyse, ne sont pas du même ordre. Elles sont de nature normative dont le but est de permettre une surveillance adéquate de l’exercice des professions. Elles visent la protection du public.

[…]

[49] Depuis les enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Pharmascience, les Tribunaux sont invités à interpréter les dispositions du Code des professions de manière libérale et conforme à l’intention du législateur. La soussignée s’est d’ailleurs déjà prononcée dans l’affaire Terjanian relativement à la nécessité d’examiner le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition de l’article 193 du Code des professions afin de permettre aux ordres professionnels de bien remplir leur rôle de protection du public.

[50] De l’avis du Tribunal, le prélèvement par le syndic d’une copie miroir des fichiers images contenus sur le disque dur de l’ordinateur du Dr Gauthier est conforme au pouvoir qui lui est conféré par le législateur aux articles 122 et 192 du Code des professions.194

Ce faisant, la Cour supérieure considère qu’une habilitation expresse n’était pas

nécessaire pour effectuer une copie miroir des données contenues à l’ordinateur, palliant

à l’absence d’habilitation par une interprétation libérale des dispositions existantes justifiée

principalement par l’importance des fonctions exercées par le syndic. Il est cependant

pertinent de noter que dans cette affaire, l’administré avait consenti à ce que le syndic ait

accès à l’ordinateur d’où furent extraites les données, bien qu’il prétendait que cet

ordinateur ne contenait que des données personnelles. Ce faisant, la Cour supérieure n’a

pas eu à se prononcer sur l’existence d’un pouvoir permettant de forcer l’accès aux

données, se limitant plutôt au pouvoir d’en faire une copie.

* * *

Cela termine la présente section portant sur les pouvoirs de contrainte permettant

d’obtenir l’information nécessaire à l’exercice de la compétence des acteurs de

l’Administration. Les dispositions sous étude visaient les formes les plus usuelles de ce qui

constitue un pouvoir de contrainte et, conséquemment, leurs effets juridiques se

conçoivent relativement bien. Néanmoins, cette section aura permis de démontrer la

diversité des pouvoirs, de leur application et des façons de les mettre en place, malgré un

194 Gauthier c. Deschênes, préc., note 60, par. 44-45, 49-50.

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objectif souvent constant d’un cas à l’autre. Cela soulève déjà un doute quant à

l’opportunité d’opter pour des habilitations au cas par cas et quant aux libellés parfois

utilisés. Quant à la prochaine section, elle porte sur les pouvoirs de contrainte et

accessoires qui ont pour objectifs d’éliminer les entraves à la collecte d’informations et de

permettre à l’acteur de l’Administration de s’assurer de l’application de la Loi à l’occasion

de cette collecte d’informations. Compte tenu que leur application est d’autant plus

abstraite, cette seconde section permettra d’observer si ces constats se confirment

lorsque l’objet de l’étude s’éloigne de la contrainte usuelle.

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PARTIE II : L’ÉLIMINATION DES ENTRAVES ET L’APPLICATION DE LA LOI

PAR L’ACTEUR DE L’ADMINISTRATION À L’OCCASION DE LA COLLECTE

D’INFORMATIONS

La deuxième partie de ce mémoire porte sur la grande variété de dispositions qui facilitent

l’exercice des fonctions des acteurs de l’Administration, sans être des dispositions qui, en

soi, habilitent à l’acteur de l’Administration à forcer l’accès à l’information qu’il recherche. Il

s’agit plutôt de dispositions donnant à l’acteur de l’Administration des moyens d’exercer sa

compétence efficacement et d’utiliser à leur pleine capacité les pouvoirs décrits dans la

première partie.

La diversité des dispositions étudiées dans cette partie est particulièrement importante

dans la mesure où, contrairement aux dispositions étudiées dans la première partie, elles

ne visent pas une fin commune. Ces dispositions ont parfois pour objectif de fournir

certaines protections à l’acteur de l’Administration, parfois il s’agit plutôt de retirer certains

obstacles qui pourraient être utilisés à son encontre et, à d’autres occasions, elles visent à

lui donner les moyens d’assurer la pleine application de la loi dont il est chargé de

l’application.

En complément avec les pouvoirs de contrainte traités dans la première partie, la première

section de cette deuxième partie portera sur les diverses dispositions facilitant l’accès à

l’information. Il sera donc question des immunités qui peuvent être octroyées aux acteurs

de l’Administration, mais aussi d’autres accessoires à la contrainte qui rendent moins

ardue la collecte d’information.

La deuxième section dressera le portrait des pouvoirs et accessoires qui sont parfois

octroyés aux acteurs de l’Administration afin de leur permettre d’assurer l’application de la

loi à l’occasion de la collecte d’information. Ceux-ci visent à éviter que les dispositions de

la loi en vertu de laquelle agit l’acteur de l’Administration soient privées d’effet pratique. On

met en place les moyens nécessaires pour empêcher que les contraventions à la loi

n’empirent, voire deviennent irréversibles, durant la collecte de l’information. De même,

ces pouvoirs peuvent avoir pour objectif de prévenir les infractions qui, sans de telles

dispositions, ne pourraient faire l’objet de sanction.

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1 SECTION 1 : DISPOSITIONS FACILITANT L’ACCÈS À L’INFORMATION

À l’occasion de la collecte d’information, les acteurs de l’Administration sont confrontés à

une panoplie de circonstances pouvant rendre difficile l’accès à l’information désirée. Les

arguments et les moyens qui peuvent être soulevés à l’encontre de l’exercice de pouvoirs

de contrainte sont variés et les outils pour les contrer le sont tout autant.

La première sous-section portera sur les moyens législatifs mis en place afin de limiter

l’intervention des tribunaux dans l’exercice des pouvoirs des acteurs de l’Administration.

La sous-section suivante sera quant à elle l’occasion de dresser le portrait de la grande

variété d’accessoires à la contrainte qui peuvent être mis en place par la législation afin de

s’assurer que les pouvoirs de contrainte aient toute la portée souhaitée et ainsi optimiser

l’efficacité des acteurs de l’Administration.

1.1 - IMMUNITÉS DE L’ACTEUR DE L’ADMINISTRATION CHARGÉ DE LA COLLECTE

L’étude des dispositions contenues à l’échantillon de lois a permis d’identifier trois grands

types d’immunités :

1. Clause privative: Il s’agit des dispositions visant à restreindre les recours pouvant

être exercés contre l’acteur de l’Administration afin de faire obstacle à l’exercice

de ses pouvoirs;

2. Immunité de poursuite : Il s’agit des dispositions visant à protéger l’acteur de

l’Administration contre les recours visant à obtenir sa condamnation à des

dommages occasionnés à l’occasion de l’exercice de ses fonctions;

3. Immunité de contrainte : Il s’agit des dispositions visant à empêcher que l’acteur

de l’Administration ne soit contraint à produire devant un tribunal un témoignage,

un écrit ou un élément matériel relatif à l’exercice de ses fonctions.

La présente sous-section sera donc l’occasion d’étudier les méthodes utilisées pour mettre

en place de telles immunités et pour en cerner la portée.

1.1.1 Les clauses privatives

Les clauses privatives sont un outil crucial afin de permettre aux acteurs de

l’Administration d’exercer leur compétence. Ces clauses sont couramment assorties de

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clauses de renfort et donnent la latitude requise aux acteurs de l’Administration afin

d’exercer leur fonction à l’abri de « l’immixtion des tribunaux supérieurs dans l’exercice

des pouvoirs que la loi [leur confère] » 195.

Tel que le soulignait déjà l’auteure Crête en 1978 concernant les pouvoirs prévus à la

LCE, l’exercice des pouvoirs de contrainte entraine fréquemment la naissance de litiges

quant à la portée de ces pouvoirs, visant généralement à en restreindre l’exercice196.

L’adoption de clauses privatives a donc pour objectif de limiter l’intervention des tribunaux

supérieurs à des cas restreints de nature exceptionnelle197. À ce propos, les juges

Bastarache et Lebel écrivent dans l’arrêt Dunsmuir :

[52] L’existence d’une clause privative milite clairement en faveur d’un contrôle suivant la norme de la raisonnabilité. En effet, elle atteste la volonté du législateur que les décisions du décideur administratif fassent l’objet de plus de déférence et que le contrôle judiciaire soit minimal. […]198

Malgré la forte volonté exprimée par le législateur par l’adoption d’une clause privative

complète, il est maintenant bien établi que les cours supérieures conservent toujours la

capacité de se prononcer sur la compétence de l’Administration à exercer un pouvoir. Une

clause privative ne peut donc jamais exclure totalement l’intervention des cours

supérieures :

[31] L’organe législatif du gouvernement ne peut supprimer le pouvoir judiciaire de s’assurer que les actes et les décisions d’un organisme administratif sont conformes aux pouvoirs constitutionnels du gouvernement. Même si elle est révélatrice de l’intention du législateur, la clause privative ne saurait être décisive à cet égard (Succession Woodward c. Ministre des Finances, [1973] R.C.S. 120, p. 127). Le pouvoir inhérent d’une cour supérieure de contrôler les actes de l’Administration et de s’assurer que celle-ci n’outrepasse pas les limites de sa compétence tire sa source des art. 96 à 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur la magistrature : arrêt Crevier. Comme l’a dit le juge Beetz dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, p. 1090, « [l]e rôle des cours supérieures dans le maintien de la légalité est si important qu’il bénéficie d’une protection constitutionnelle ». En résumé, le contrôle judiciaire bénéficie de la protection

195 Autorité des marchés financiers c. X, préc., note 104, par. 8. 196 RAYMONDE CRÊTE, «L'enquête publique et les critères de contrôle judiciaire des fonctions exercées par les enquêteurs», (1978) 19 C.deD. 643, p. 661-662. 197 Girard c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2011 QCCS 757 (requête pour permission d'appeler rejetée, C.A., 28-02-2011, 500-09-021411-111), par. 13-14. 198 Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 52. Voir aussi : Régie de l'assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., 2014 QCCA 1184 (requête en rétractation de jugement rejetée, C.A., 15-09-2014, 500-09-024403-149), par. 23-25, 39.

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constitutionnelle au Canada, surtout lorsqu’il s’agit de définir les limites de la compétence et de les faire respecter.199

En pratique, il existe dans les lois faisant partie de l’échantillon une grande variété de

libellés faisant office de clause privative. Néanmoins, bien que plusieurs lois contiennent

leur propre clause privative, l’immunité prévue à l’article 17 LCE demeure la protection la

plus souvent attribuée aux acteurs de l’Administration visés par l’échantillonnage. Cela dit,

dans plusieurs cas, l’acteur de l’Administration est visé tant par la clause privative de

l’article 17 LCE que par la clause privative prévue à sa loi particulière :

TABLEAU XIII : Habilitations jouissant d’une clause privative, en fonction de leur source

Habilitations Nombre

LCE 73

LCE et loi particulière 28

Loi particulière 24

Ces dédoublements ne semblent pas être le fruit d’amendements subséquents dans la

mesure où la clause privative de la loi particulière et la référence à la LCE ont été

adoptées au même moment dans plus de 80 % des cas. De plus, l’étude des dates

d’adoption des différentes dispositions ne fournit pas d’indice démontrant qu’il s’agisse

d’une tendance législative limitée à une période ciblée, ou même révolue :

TABLEAU XIV : Statistiques relatives à l’année d’adoption des clauses privatives, en

fonction de leur source

Date d’adoption des habilitations

Loi particulière LCE LCE et loi particulière

Moyenne 1985 1988 1990

Médiane 1985 1990 1993

Maximum 2009 2013 2011

Minimum 1969 1915 1968

La clause privative prévue à l’article 17 LCE présente le libellé suivant :

199 Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, préc., note 198, par. 31. Voir aussi : Régie de l'assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., préc., note 198, par. 23-25, 39; J. DEAUDELIN, préc., note 82, p. 202.

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17. Nulle injonction et nul bref visé aux articles 846 à 850 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ni aucune autre procédure légale ne peuvent entraver ou arrêter les procédures des commissaires à l'enquête.200

Bien qu’il s’agisse du modèle de clause privative le plus ancien identifié dans l’échantillon

et touchant le plus grand nombre d’acteurs de l’Administration selon cet échantillon, ce

libellé se distingue de l’ensemble des libellés contenus aux lois particulières.

La première distinction tient à l’omission de toute mention excluant les questions de

compétence de la portée de la clause privative. Il s’agit d’une mention très courante dans

les lois particulières et comprise dans le libellé des lois particulières de plus de 80 % des

habilitations. Il y a lieu cependant de se questionner sur l’utilité d’une telle mention compte

tenu des enseignements de la Cour suprême du Canada à l’effet que le pouvoir

d’intervention des cours supérieures à l’égard des questions de compétence jouit d’une

protection constitutionnelle. Dans un tel contexte, il ne semblerait donc pas nécessaire de

prévoir expressément une telle exclusion.

La seconde distinction tient à la nature des recours visés par les clauses privatives. Le

libellé de l’article 17 LCE se distingue par son caractère spécifique et pourtant d’une

grande portée : bien qu’il n’exclut d’abord que l’injonction et les brefs qui étaient visés aux

articles 846 à 850 C.p.c., cette énumération est complétée par une exclusion de toute

« autre procédure légale pouvant entraver ou arrêter les procédures des commissaires à

l’enquête ». Ce faisant, bien que seules l’injonction et la révision judiciaire soient

explicitement exclues, toute autre procédure, de quelque nature que ce soit, qui a pour

effet d’entraver l’enquête est visée par cette disposition. Ce dernier membre de phrase est

d’une telle portée qu’il est permis de se questionner sur la pertinence d’énumérer les

premiers éléments.

Les dispositions prévues dans les lois particulières sont généralement plus spécifiques

dans la description des recours qui ne peuvent être pris contre l’acteur de l’Administration.

Ils excluront donc, selon le cas, les recours fondés sur l’article 33 C.p.c., tout ou partie des

recours extraordinaires, les mesures provisionnelles ou les injonctions.

200 Avec l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, l’article 17 LCE réfère désormais au paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 529 de ce Code.

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TABLEAU XV : Habilitations jouissant d’une clause privative en vertu d’une loi particulière,

en fonction des recours visés

Recours visés Pourcentage des habilitations

provenant de lois particulières

Article 33 C.p.c. 36 (69 %)

Recours extraordinaires :

- Tous 37 (71 %)

- Articles 834 à 850 C.p.c. 14 (27 %)

- Articles 834 à 846 C.p.c. 1 (2 %)

Mesures provisionnelles 9 (17 %)

Injonction 45 (87 %)

Il est intéressant de noter que quatorze habilitations réfèrent expressément aux articles

834 à 350 C.p.c. alors que les articles 847 à 849 ont été abrogés en 1983 et l’article 850 a

été abrogé en 1989. Cette situation explique vraisemblablement l’apparition d’un libellé

référant aux articles 834 à 846 C.p.c. en 2010 dans la Loi sur les services de santé et les

services sociaux201. Quoi qu’il en soit, l’entrée en vigueur de l’article 778 de la Loi

instituant le nouveau Code de procédure civile a permis d’améliorer grandement la

situation :

778. Dans les lois et leurs textes d’application, les remplacements suivants sont effectués, en faisant les adaptations nécessaires :

[…]

11° « pourvoi en contrôle judiciaire prévu au Code de procédure civile » remplace tout texte où, qu’il y ait ou non référence expresse au Code de procédure civile, il est fait mention d’une action ou d’un recours en vertu de l’article 33 du Code de procédure civile, d’un recours extraordinaire prévu au ou au sens du Code de procédure civile ou d’un recours extraordinaire prévu aux articles 834 à 850 du Code de procédure civile;202

Cette tendance à inclure une énumération des recours exclus n’est cependant pas

systématique. Ainsi, lors de l’adoption du Code d’éthique et de déontologie des membres

201 Loi sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 30, article 76. 202 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, préc., note 68, article 778.

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de l’Assemblée nationale, le législateur a adopté pour un libellé analogue à celui prévu à

l’article 17 LCE :

86. Aucun recours en vertu du Code de procédure civile (chapitre C-25), notamment un recours extraordinaire, ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre le commissaire ou les personnes qu'il a autorisées à enquêter.203

Force est cependant de constater que ce libellé, adopté en 2010, va encore plus loin que

le libellé de l’article 17 LCE. Le libellé de l’article 86 précité exclut non seulement

l’injonction et la révision judiciaire prévue à l’article 846 C.p.c. (désormais le contrôle

judiciaire prévu au paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 529 du nouveau Code de

procédure civile), il va plus loin en excluant l’ensemble des recours extraordinaires ainsi

que l’ensemble des recours prévus à l’ancien Code de procédure civile et ce, qu’il soit de

nature à entraver le travail de l’acteur de l’Administration ou non. Adoptant une

interprétation grammaticale, la portée de cet article est telle qu’il semble exclure toutes les

procédures de nature civile, incluant tout recours en dommage. Il est par contre difficile de

concilier une portée aussi grande avec les articles 84 et 85 du Code d’éthique et de

déontologie des membres de l’Assemblée nationale, lesquels visent justement ce type de

recours :

83. Le commissaire et ses employés ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'une omission ou d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

84. Aucune action civile ne peut être intentée en raison de la publication d'un rapport du commissaire ou de la publication, faite de bonne foi, d'un extrait ou d'un résumé d'un tel rapport.

La troisième distinction entre le libellé de l’article 17 LCE et les libellés utilisés dans les lois

particulières tient à l’inclusion d’une clause de renfort, c’est-à-dire une disposition

permettant à un juge de la Cour d’appel d’annuler sommairement une décision

contrevenant à la clause privative. Cette distinction est particulièrement importante dans la

mesure où, alors qu’elle est omise dans la LCE, une clause de renfort est présente pour

plus de 90 % des habilitations bénéficiant d’une clause privative mise en place par une loi

particulière parmi celles contenues à l’échantillon.

203 Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale, RLRQ, c. C-23.1, article 86.

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Du point de vue interprétatif, ce type de disposition vise à « accroître la force dissuasive

de la clause privative »204 et « serves as a reminder of legislative intent to create a strong

protection for the administrative decision-maker »205. En pratique, elle crée un recours

sommaire permettant à l’acteur de l’Administration de faire renverser une décision

contraire à la clause privative. Bien que le juge de la Cour d’appel exerçant le pouvoir

prévu à la clause de renfort doive faire preuve de prudence, la clause de renfort ne laisse

place qu’à peu de déférence à l’endroit de la décision contrevenant à la clause privative :

[27] It is often said that the power of a judge in chambers under a reinforcement clause should be used with caution, and for good reason. Not only are such clauses unusual, but the case is heard summarily on appeal, as against what are generally more robust proceedings in Superior Court. Moreover, the motion to annul can be pursued as an alternative to a full-fledged appeal of a judgment on judicial review, where, if leave is granted, the parties have the benefit of an ordinary hearing on appeal before the Court. A judge exercises the power to annul alone, in the absence of an underlying appeal, and as a result he or she should do so prudently.

[28] I recognize that I must, therefore, proceed with caution and that I should only annul the stay if this is a plain case in which the power of judicial review has been deployed contrary to legislative intent expressed in the privative clause.

[...]

[31] In addition, the judge in chambers deciding whether to annul a stay should not confuse “prudence” with “deference”. Beyond the ordinary matters in respect of which deference is owed on appeal, a judge need not “defer”, in the administrative law sense, to the decision in the Superior Court. To defer unduly to the judgment below could result in inappropriately vacating the power conferred by the reinforcement clause and doing a disservice to an unequivocal directive by the legislature to “strengthen” the privative clause. Deference may be owed by the Superior Court to the decision of the Board when the standard of reasonableness obtains, but this same standard does not apply to the judge in chambers in regard to the decision of the Superior Court.206

Ces trois distinctions, ainsi que leur application variable dans les lois particulières,

résultent en une grande variété de clauses privatives. Cette situation n’est pas sans

conséquence en ce qu’elle ouvre la porte à l’interprétation des dispositions les unes par

rapport aux autres. Cela ouvre la porte à des interprétations restrictives où une clause

privative ne trouvera pas application, faute d’avoir inclus un recours donné dans

204 Fédération des producteurs de bovins du Québec c. Ferme John Houley & Fils ltée, J.E. 2004-2108 (C.A.), par. 16-20; Lafleur c. Terjanian, 2010 QCCA 1728, par. 18. 205 Régie de l'assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., préc., note 198, par. 26. 206 Id., par. 27-28, 31.

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l’énumération contenue à son libellé207. De même, la grande variété de libellés existants

rend difficile la différenciation entre une clause privative partielle et une clause privative

dite « complète », ce qui n’est pas sans effet sur la déférence due par les tribunaux

supérieurs208.

Enfin, l’existence de nombreux dédoublements entre les clauses privatives prévues aux

lois particulières et celles prévues à la LCE contribue évidemment à créer une certaine

confusion. Cette situation a d’ailleurs été soulevée dans le cadre d’une requête en sursis

devant la Cour d’appel :

[11] Ils plaident qu’en l’espèce l’art. 19 de la Loi ne peut s’appliquer au motif que les subpoenas n’ont pas été décernés en vertu de la Loi, mais en en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête, comme le précise l’art. 20, alinéa 2, de la Loi : […]

[12] En somme, selon les requérants, si la RAMQ a le pouvoir de décerner un subpoena, ce n’est pas en vertu de sa Loi, mais, par renvoi, en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête. Par conséquent, en faisant enquête, la RAMQ agit en sa qualité officielle, mais elle n’agit plus en cette qualité lorsqu’elle décerne un subpoena, ce qu’elle fait en tant que personne investie des pouvoirs d’un commissaire d’une commission d’enquête. Or, la Loi sur les commissions d’enquête ne contient pas une clause de renfort. Ils ajoutent être confortés dans leur argument par le fait que les dispositions prévues à l’art. 20 sont insérées après les art. 18 et 19 de la Loi, ce qui confirmerait l’intention du législateur d’exclure l’utilisation de la clause de renfort dans un cas comme celui qui nous occupe.

[…]

[15] De plus, sans me prononcer sur la valeur de ces arguments, je me limiterai à dire qu’ils ne sont pas futiles, ce qui constitue le test applicable en ce qui a trait au premier critère de suspension, soit le sérieux de la question.209

1.1.2 Les immunités de poursuite

Les immunités de poursuite sont mises en place par le législateur afin de mettre les

acteurs de l’Administration à l’abri des poursuites en justice210. On cherche donc à assurer

une certaine marge de manœuvre à l’Administration à l’intérieur de laquelle elle ne peut

être visée par une réclamation en dommage du fait de l’exercice de ses fonctions.

207 Régie de l'assurance maladie du Québec c. Gauvreau, préc., note 104, par. 12. 208 Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 30-31. 209 Pharmaprix inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1488 (requête en rétractation de jugement rejetée, C.A., 15-09-2014, 500-09-024403-149), par. 11-15. 210 D.P. JONES et A.S. DE VILLARS, préc., note 4, p. 771.

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Le plus ancien exemple de ce type de disposition qui a été répertorié dans l’échantillon de

lois sous étude n’est pas directement prévu à cette loi; il s’agit de l’immunité prévue à

l’article 16 LCE :

16. Les commissaires jouissent de la même immunité et des mêmes privilèges que les juges de la Cour supérieure, pour tout acte fait ou omis dans l'exécution de leurs devoirs.

Il existe toutefois plusieurs immunités dans l’échantillon qui sont directement prévues dans

le libellé de la loi particulière, dont la plus ancienne serait l’article 30 de la Loi sur le

protecteur du citoyen :

30. Le Protecteur du citoyen, les vices-protecteurs de même que les fonctionnaires et employés du Protecteur du citoyen ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'actes officiels accomplis de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.211

Somme toute, une proportion comparable d’habilitations sont visées soit par l’immunité

prévue à la LCE, une immunité prévue par une loi particulière, ou bien par les deux à la

fois :

TABLEAU XVI : Habilitations jouissant d’une immunité de poursuite, en fonction de la

source de l’immunité

Habilitations Nombre

LCE 59

LCE et loi particulière 43

Loi particulière 61

Total - LCE : 102

Total - Loi particulière 104

En matière d’immunité de poursuite, l’étude des dispositions contenues à l’échantillon a

révélé une très grande uniformité dans les libellés choisis par le législateur. Outre

certaines variations de style, la principale variation substantielle par rapport à l’article 30

de la Loi sur le protecteur du citoyen consiste à l’inclusion, on non, des omissions dans le

libellé de la disposition. Environ 15 % des habilitations étudiées bénéficient d’une

211 Loi sur le protecteur du citoyen, RLRQ, c. P-32, article 30.

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immunité couvrant expressément tant leurs actes que leurs omissions212. Appliquant le

principe selon lequel « le législateur ne parle pas pour ne rien dire »213, c’est donc dire

qu’une grande partie des acteurs de l’Administration ne bénéficieraient pas d’immunité

pour leurs omissions, si ce n’est en vertu des immunités de common law applicables en

droit public.

La caractéristique principale des immunités prévues dans les lois particulières est la

référence systématique à notion de bonne foi. Ainsi, un acteur de l’Administration est

susceptible de voir engager sa responsabilité uniquement lorsqu’il agit de mauvaise foi.

Dans la mesure où la bonne foi se présume214, ce type d’immunité ne laisse donc, en

principe, que peu de place aux poursuites à l’encontre de l’Administration. Néanmoins,

l’interprétation qui en est faite par les tribunaux tend à élargir la notion de mauvaise foi.

L’arrêt de principe en la matière demeure l’arrêt Finney de la Cour suprême du Canada où

le juge Lebel écrit :

[39] Ces difficultés montrent néanmoins que la notion de mauvaise foi peut et doit recevoir une portée plus large englobant l’incurie ou l’insouciance grave. Elle inclut certainement la faute intentionnelle, dont le comportement du procureur général du Québec, examiné dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, représente un exemple classique. Une telle conduite constitue un abus de pouvoir qui permet de retenir la responsabilité de l’État ou parfois du fonctionnaire. Cependant, l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. (Dussault et Borgeat, op. cit., p. 485). […] Par ailleurs, le rejet d’actions pour absence de preuve de mauvaise foi et l’importance attachée à ce facteur dans des affaires particulières ne signifient pas pour autant que seule l’existence d’une faute intentionnelle, fondée sur l’intention subjective du décideur, permet de conclure à la mauvaise foi du décideur (voir concernant des cas de faute intentionnelle : Deniso Lebel Inc., précité; Directeur de la protection de la Jeunesse c. Quenneville, [1998] R.J.Q. 44 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1998] 1 R.C.S. xiii). 215

212 À titre d’exemple : Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale, préc., note 203, article 83. 213 Loi d'interprétation, préc., note 64, article 41.1; P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 318-320; L. LAUZIÈRE, préc., note 64, p. 21; R. c. Barnier, préc., note 64, p. 1135. 214 Article 2805 du Code civil du Québec. 215 Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, par. 39. Voir aussi : Investissements Pliska inc. c. Barreau du Québec, 2014 QCCA 665, par. 4; Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308, par. 19-21; Leblond c. Régie de l'assurance maladie du Québec, J.E. 2006-183 (C.S.), par. 96.

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Cette interprétation large de la notion de mauvaise foi a été appliquée dans le cadre de

l’affaire Lecours, opposant un médecin à la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Appelée à se prononcer sur la présence ou non de mauvaise foi de la part de la Régie, la

juge Picard, j.c.s. conclut qu’un manquement à l’équité procédurale ou le caractère

superficiel d’une analyse pourront être révélateurs de mauvaise foi216. Ce raisonnement

est d’ailleurs confirmé par le juge Dufresne de la Cour d’appel du Québec, qui écrit :

[62] La Régie soutient que l’action en dommages du docteur Lecours est contrée par l’immunité dont jouit la Régie. Elle plaide, par surcroît, qu’aucun des comportements qui lui sont reprochés ne constitue un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice de son pouvoir de surveillance de la rémunération au point qu’il faille en déduire la présence de mauvaise foi de sa part au sens de l’arrêt Finney. En outre, elle considère que sa décision du 19 août 1991 n’est pas dénuée de tout fondement. Qu’en est-il?

[63] La Régie a l’obligation légale de payer le médecin et le pouvoir de réviser pour cause les paiements d’honoraires effectués. La conduite fautive est liée ici à l’exercice de ce pouvoir par cet organisme public. La bonne foi étant présumée (art. 2805 C.c.Q.), il revenait au docteur Lecours de réfuter cette présomption.

[…]

[65] La norme est exigeante, mais la faute caractérisée de la Régie, telle que déterminée par la juge de première instance, satisfait à cette norme. Bien que cette faute ne soit pas intentionnelle, la Régie a néanmoins fait preuve d’incurie grave équivalant à abus de pouvoir.217

Une autre caractéristique des dispositions contenues aux lois particulières tient du fait

qu’elles restreignent l’immunité de poursuite à l’exercice des fonctions prévues à la loi.

Ainsi, on a considéré que l’acteur de l’Administration ne jouit pas de l’immunité de

poursuite s’il agit à l’extérieur de sa compétence, par exemple en documentant une

situation en vue de la signaler au Directeur des poursuites criminelles et pénales218.

Les principes applicables sont cependant différents en ce qui concerne l’immunité de

poursuite prévue à l’article 16 LCE. Cette disposition, contrairement à celle contenue aux

lois particulières, octroie la même immunité que celle des juges de la Cour supérieure,

c’est-à-dire une immunité quasi absolue. Ce principe a été établi dans les motifs de l’arrêt

Morier c. Rivard rédigés par le juge Chouinard de la Cour suprême du Canada :

216 Lecours c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2010 QCCS 3972 (appels rejetés, C.A., 19-06-2012, 500-09-021012-109 et 500-09-021015-102), par. 88-91. 217 Régie de l'assurance maladie du Québec c. Lecours, 2012 QCCA 1183, par. 62-63, 65. 218 Leblond c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 215, par. 95.

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[45] Il convient aussi de reproduire de nouveau les art. 7 et 16 de la Loi sur les commissions d’enquête: […]

[46] Ces textes, en ce qui concerne l'immunité de la Commission de police et de ses membres, me paraissent clairs et sans équivoque. Le fait que les «pouvoirs» et «l'immunité» soient accolés dans l'art. 22 de la Loi de police qui renvoie à la Loi sur les commissions d’enquête, ne saurait avoir une influence quelconque sur la définition qu'en donne cette dernière loi. Dans celle-ci les pouvoirs sont définis aux art. 7 et suivants et l'immunité à l'art. 16.

[47] Ce dernier est limpide. L'immunité des commissaires est la même que celle des juges de la Cour supérieure «pour tout acte fait ou omis dans l'exécution de leurs devoirs».219

Le juge Chouinard précise que l’expression « dans l’exécution de leurs devoirs » ne

correspond pas à la notion de compétence, mais couvre plutôt un éventail plus large de

situations :

[67] Ce qu'il importe de souligner c'est que l'art. 16 qui confère aux commissaires la même immunité que celle dont jouissent les juges de la Cour supérieure «pour tout acte fait ou omis dans l'exécution de leurs devoirs», ne fait aucune distinction selon que les commissaires excèdent ou non leur compétence.

[…]

[81] Je conclus de ce qui précède que l'expression «dans l'exécution de leurs devoirs» de l'art. 16 de la Loi sur les commissions d’enquête s'entend de l'exécution des devoirs que cette loi impose aux commissaires et que ces devoirs sont celui de conduire l'enquête et celui de faire rapport. Je conclus en outre que contrairement à la législation qui s'applique dans d'autres juridictions, l'art. 16 ne fait aucune distinction selon que l'acte fait ou omis est fait ou omis sans compétence ou en excès de compétence. Il ne faut pas confondre «devoirs» et «compétence». L'article 16 dit «dans l'exécution de leurs devoirs». Il ne dit pas «dans les limites de leur compétence».220

Au terme de son analyse, le juge Chouinard conclut donc que l’immunité quasi absolue

dont jouissent les enquêteurs de la Commission de police, en étant investis des pouvoirs

et de l’immunité d’un commissaire nommé en vertu de la LCE, met à l’écart la plupart des

réclamations qui pourraient leur être faites :

[108] Aucun article équivalant à l'art. 15 n'est applicable aux juges des cours

supérieures et ceux-ci ne sauraient être poursuivis en dommages que dans le cas où s'appliquerait la réserve faite par lord Bridge of Harwich ou avant lui par lord

Denning, c'est-à-dire selon l'expression du premier, un juge qui de mauvaise foi ferait quelque chose qu'il sait ne pas avoir la compétence de faire, ou selon

219 Morier c. Rivard, préc., note 25, par. 45-47. Voir aussi : P. LEMIEUX, préc., note 8, p. 930. 220 Morier c. Rivard, préc., note 25, par. 67, 81.

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l'expression du second, un juge qui n'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions judiciaires sachant qu'il n'avait aucune compétence pour agir.

[…]

[110] En effet, en l'espèce il est incontestable que les appelants, membres de la Commission de police, étaient compétents pour faire enquête et pour faire rapport. Il est possible qu'ils aient excédé leur compétence en posant ou en omettant de poser les actes décrits dans la déclaration. Il est possible qu'ils aient violé les règles de la justice naturelle, qu'ils n'aient pas informé l'intimé des faits qu'on lui reprochait et qu'ils ne l'aient pas entendu. Il est possible qu'ils aient violé la Charte des droits et libertés de la personne. Ce sont là autant d'allégations de nature à appuyer l'autre recours de l'intimé visant à faire annuler le rapport de la Commission de police et la preuve recueillie. La Cour supérieure demeure saisie de ce recours sur lequel, évidemment, je ne me prononce pas. Mais ce ne sont pas à mon avis des allégations propres à fonder un recours en dommages.221

À la lecture de cet arrêt, les différences sont majeures entre les principes applicables à

l’immunité de la LCE et ceux retenus pour l’application des immunités prévues aux lois

particulières. Or, tel que mentionné plus haut, une proportion substantielle des

habilitations sous étude est visée par ces deux types d’immunités. Il semble donc difficile

de prévoir quelle portée sera donnée aux immunités se chevauchant ainsi. Alors que la

situation se présentait dans l’affaire Morier222, la Cour suprême s’attarde à l’article 16 LCE,

mais ne fait aucune mention de l’immunité prévue à l’article 16 de la Loi de police223. Au

contraire, dans le même contexte, la Cour supérieure a plutôt passé outre l’immunité

prévue à la LCE dans l’affaire Leblond224, se limitant à l’article 17 de la Loi sur la Régie de

l’assurance maladie du Québec225. Les arguments relatifs à l’une ou l’autre des immunités

sont donc susceptibles d’être invoqués en fonction de la thèse soutenue par les plaideurs,

créant ainsi une certaine incertitude juridique226.

Une autre source d’incertitude réside dans le cas relativement fréquent où la couverture

de l’immunité de poursuite est incomplète. Il s’agit par exemple des situations où

l’immunité protège les membres et fonctionnaires d’un organisme, mais pas l’organisme

lui-même. Une autre de ces situations se présente lorsque l’immunité protège l’organisme

et ses employés, mais que la loi constitutive permet à l’organisme de désigner toute

221 Id., par. 108 et 110. Voir aussi : P. GARANT, préc., note 19, p. 747. 222 Morier c. Rivard, préc., note 25. 223 Loi de police, RLRQ, c. P-13. 224 Leblond c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 215, par. 72-73, 79-80. 225 Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, RLRQ, c. R-5. 226 Par analogie : Pharmaprix inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 209, par. 11-15.

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personne aux fins d’une enquête ou d’une inspection. Ce type de couverture « partielle » a

été constaté pour plus d’une vingtaine d’habilitations contenues à l’échantillon227. Les

motifs de la Cour d’appel du Québec à ce propos apportent cependant plus de questions

que de réponses :

[43] Les membres du Conseil d’administration de même que les fonctionnaires et employés de la Régie ne peuvent être poursuivis en justice à titre personnel en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions (art. 17 de la Loi sur la RAMQ).

[44] La juge a d’ailleurs correctement appliqué aux deux fonctionnaires poursuivis personnellement cette règle d'immunité. Il n’y a pas eu appel de cette partie du jugement de première instance. Cela étant, la Régie n’est pas pour autant à l’abri de responsabilité. L’immunité dont elle jouit est relative. Pour s’en convaincre, il suffit de s’attarder aux caractéristiques des fonctions exercées et à la nature contextuelle des pouvoirs qui lui viennent de la Loi sur la RAMQ.228

La Cour d’appel cerne avec attention que l’immunité mise en place par la Loi sur la Régie

de l’assurance maladie du Québec ne s’applique qu’aux fonctionnaires et employés de la

Régie. Cependant, elle conclut qu’une immunité est néanmoins applicable à la Régie elle-

même, mais ne fournit aucun motif à l’appui de ce constat. Il est donc impossible d’en

conclure, avec certitude, qu’une immunité visant le personnel d’un organisme est

transposable à cet organisme lui-même.

Avant de terminer l’analyse des immunités de poursuite, deux libellés particuliers méritent

une attention particulière, soit les clauses de renfort des immunités de poursuite et les

immunités spécifiques à la publication d’un document.

Certaines lois contenues à l’échantillon comprennent une clause de renfort s’appliquant

non seulement à la clause privative, mais aussi à l’immunité de poursuite. Tel est le cas,

notamment, de la Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec229, de la Loi sur la

Société de l’assurance automobile du Québec230 et de la Loi sur le régime des rentes du

Québec231. Dans les deux premiers cas, il s’agit de dispositions prévoyant qu’un juge de la

Cour d'appel peut, sur requête, annuler sommairement tout bref et toute ordonnance ou

injonction délivrés ou accordés à l'encontre notamment de l’immunité de poursuite.

227 À titre d’exemple : Loi sur les transports, préc., note 173, articles 26 et 49.2. 228 Régie de l'assurance maladie du Québec c. Lecours, préc., note 217, par. 43-44. 229 Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, articles 17 et 19. 230 Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, préc., note 31, articles 16 et 16.2. 231 Loi sur le régime des rentes du Québec, RLRQ, c. R-9, articles 27 et 29.

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Compte tenu qu’une condamnation à des dommages ne correspond pas à un bref, une

ordonnance ou une injonction, il s’avère difficile de déterminer la réelle portée de ces

dispositions.

La situation est différente dans le cas de la Loi sur le régime des rentes du Québec, où la

clause de renfort permet à un juge de la Cour d’appel, sur requête, d’annuler par

procédure sommaire les jugements, ordonnances ou injonctions prononcés à l'encontre

notamment de l’immunité de poursuite. (Les mêmes libellés ont été repris aux articles 48

et 48.2 de la Loi sur Retraite Québec232) Au point de vue grammatical, cette disposition

permettrait donc à un juge de la Cour d’appel seul d’annuler un jugement condamnant un

membre du personnel de la Régie des rentes du Québec233 en contravention avec

l’immunité de poursuite applicable.

Un autre libellé qui mérite mention est celui mettant en place une immunité de poursuite

spécifique à la publication d’un document. Le premier exemple de ce type de disposition

identifié dans l’échantillon a été adopté en 1968 dans la Loi sur le protecteur du citoyen :

35. Aucune action civile ne peut être intentée en raison ou en conséquence de la publication d'un rapport du Protecteur du citoyen en vertu de la présente loi, ou de la publication, faite de bonne foi, d'un extrait ou d'un résumé d'un tel rapport.234

Un libellé de cet ordre trouve application pour treize habilitations au sein de l’échantillon.

Les variations dans le libellé sont en général mineures, si ce n’est que certains libellés

omettent les mots « ou en conséquence »235.

À une exception près236, toutes les habilitations jouissant d’une immunité de poursuite

pour la publication d’un document sont aussi visées par une immunité de poursuite

générale. Dans la mesure où la publication de tels documents fait partie de la compétence

de l’acteur de l’Administration, il y a lieu de se questionner sur l’opportunité d’inclure une

immunité précisément pour cet acte. Toujours en vertu du principe selon lequel « le

législateur ne parle pas pour ne rien dire »237, d’aucun pourrait prétendre que la publication

232 Loi sur Retraite Québec, RLRQ, c. R-26.3. 233 Désormais, les activités de la Régie des rentes sont continuées par Retraite Québec. 234 Loi sur le protecteur du citoyen, préc., note 211, article 35. 235 À titre d’exemple : Loi sur le vérificateur général, RLRQ, c. V-5.01, article 52. 236 Le Commissaire à la santé et au bien-être, en dehors de sa mission d’enquête : Loi sur le commissaire à la santé et au bien-être, RLRQ, c. C-32.1.1, articles 21 et 33. 237 Loi d'interprétation, préc., note 64, article 41.1; P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 318-320; L. LAUZIÈRE, préc., note 64, p. 21; R. c. Barnier, préc., note 64, p. 1135.

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d’un rapport n’est donc pas autrement visée par les immunités générales de poursuite. Or,

une telle conclusion est difficilement conciliable avec les conclusions de l’arrêt Morier sur

la notion de compétence exposée plus haut dans cette sous-section et par conséquent, la

réelle portée de ces dispositions peut difficilement être définie.

1.1.3 Les immunités de contrainte

Les immunités de contrainte sont des dispositions mises en place afin d’empêcher qu’un

acteur de l’Administration ne puisse être contraint de divulguer l’information dont il a eu

connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Ce type de disposition s’inscrit

fréquemment dans le cadre d’un montage législatif plus large visant à instaurer un

système étanche de gestion des plaintes238.

Parmi les habilitations contenues à l’échantillon, dix-huit jouissent d’une immunité de

contrainte. Adoptées entre 1965 et 2010, les dispositions concernées mettent toutes en

place une immunité de contrainte à témoigner. Toutes ces dispositions, sauf une239,

comprennent aussi une immunité empêchant d’être contraint de produire des documents.

Même si la finalité de chacune de ces dispositions semble plutôt uniforme, il existe malgré

tout une grande variété de libellés utilisés pour leur rédaction. Les libellés utilisés varient

selon la portée des immunités, mais aussi, quant au simple choix des termes utilisés.

Un premier élément qui tend à varier d’une habilitation à l’autre est la présence d’une

modulation de la portée de l’immunité en vertu de la source de l’information obtenue. Les

deux exemples de ce type qui ont été identifiés se trouvent dans la Loi sur l’autorité des

marchés financiers240 et la Loi sur les sociétés par action241. Dans chacun des cas,

l’immunité de contrainte se limite aux informations obtenues dans le cadre de l’exercice

d’un pouvoir de contrainte en particulier. Ainsi, l’article 15.5 de la Loi sur l’autorité des

marchés financiers met en place une immunité de contrainte se limitant aux

renseignements obtenus grâce à l’exclusion du secret professionnel prévue à l’article 15.1

de la même loi. L’article 438 de la Loi sur les sociétés par action limite quant à lui

238 Bitchoka c. Boutet, 2006 QCCA 53, par. 16; R.B. c. Centre de santé et de services sociaux de la Baie-James, 2008 QCCQ 11954 par. 38-40. 239 Loi sur les sociétés par action, RLRQ, c. S-31.1, article 438. 240 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 15.5. 241 Loi sur les sociétés par action, préc., note 239, article 438.

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l’immunité aux renseignements obtenus d’un comptable à la suite d’une ordonnance du

Tribunal en vertu de l’article 433 de cette loi.

Un autre élément de variation tient à la modulation de la portée de l’immunité en fonction

de l’instance devant laquelle on tente d’obtenir le témoignage ou le dépôt de documents

par l’acteur de l’Administration. La moitié des habilitations contenues à l’échantillon sont

visées par une immunité restreinte à certaines instances. Ces restrictions prévoient parfois

que l’immunité de contrainte se limite à la contrainte devant un tribunal242, dans une

poursuite judiciaire243, devant une instance judiciaire ou une personne ou un organisme

exerçant des fonctions juridictionnelles244. Plus précisément, la Loi sur l’administration

fiscale245 contient une immunité de contrainte où sont spécifiquement énumérés les

contextes où l’acteur de l’Administration peut être contraint.

L’étude des libellés contenus à l’échantillon permet de constater l’utilisation d’un

vocabulaire relativement varié dans la rédaction de ce type de disposition. Les immunités

de contrainte prévoient, selon le cas, qu’un acteur de l’Administration n’est pas tenu246 ou

ne peut être contraint de faire une déposition247, qu’il ne peut témoigner248 ou « ne peut

être assigné ni témoigner »249. On constate que les deux premières expressions semblent

permettre à l’acteur de l’Administration de témoigner s’il y consent, contrairement aux

deux derniers libellés qui empêchent de témoigner, sans autre distinction.

Dans le même ordre d’idées, plusieurs des dispositions contenues à l’échantillon

comprennent aussi une certaine « clause nonobstant » visant à donner primauté à

l’immunité de contrainte sur les autres dispositions applicables. Cependant, il y a encore

une fois une grande variété dans les libellés utilisés. La majorité de ces clauses

« nonobstant » excluent l’application de toute autre loi. L’expression utilisée pour ce faire

est variable : « nonobstant toute autre loi »250, « malgré toute loi au contraire »251, « malgré

242 À titre d’exemple : Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 117, article 95. 243 À titre d’exemple : Loi sur le régime des rentes du Québec, préc., note 231, article 209. 244 À titre d’exemple : Loi sur le protecteur des usagers en matières de santé et de services sociaux, RLRQ, c. P-31.1, article 35. 245 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 69.9. 246 À titre d’exemple : Loi sur le régime des rentes du Québec, préc., note 231, article 209. 247 À titre d’exemple : Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme, préc., note 167, article 47. 248 À titre d’exemple : Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, articles 15.5 et 16.1. 249 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 69.9. 250 À titre d’exemple : Loi sur le régime des rentes du Québec, préc., note 231, article 209.

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toute disposition incompatible d'une loi »252, « malgré toute autre loi générale ou

spéciale »253. La Loi sur l’administration fiscale254 se démarque en n’excluant que

l’application du paragraphe 3° de l'article 171 de la Loi sur l'accès aux documents des

organismes publics et sur la protection des renseignements personnels255, lequel

concerne spécifiquement le dossier fiscal.

Au point de vue de la réception de ce type d’immunité par les tribunaux, il semble reconnu

que ce type d’immunité est presque absolu256. La Cour d’appel a cependant rappelé

l’importance de bien cerner ce qui est visé par ces immunités :

[54] Notre Cour a décidé tout récemment, en regard de l'immunité du vérificateur général prévue à l'article 50 de la Loi sur le vérificateur général, L.R.Q., c. V-5.01 et qui s'apparente à celle en cause ici, que cette immunité se limite à une disposition ayant trait à un renseignement obtenu dans l'exercice de ses fonctions ou à un document contenant un tel renseignement, Dubé c. Le vérificateur général du Québec & Al, C.A. Québec, 200-09-003444-012, 11 mai 2001, JJ. Dussault, Robert et Pidgeon.

[55] Cet article se lit:

50. Malgré toute autre loi générale ou spéciale, le vérificateur général, ses employés et ses experts-conseils ne peuvent être contraints de faire une déposition ayant trait à un renseignement obtenu dans l'exercice de leurs fonctions ou de produire un document contenant un tel renseignement.

[56] Et notre Cour d'ajouter que le vérificateur général demeure contraignable pour témoigner sur toute autre question (…).

[57] Il en va de même en l'espèce. Les représentants de la Commission peuvent être contraints de témoigner sur le cheminement de l'enquête découlant de la plainte portée et d'expliquer les circonstances qui ont engendré le délai que l'on sait. Il va de soi que les renseignements obtenus par les enquêteurs dans l'exercice de leurs fonctions et qui sont demeurés confidentiels, s'il en est, pourront le demeurer. De même, les représentants de la Commission ne peuvent être forcés de produire un document contenant un tel renseignement. […] 257

251 À titre d’exemple : Loi sur le protecteur du citoyen, préc., note 211, article 34. 252 À titre d’exemple : Loi sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 30, article 76.4. 253 À titre d’exemple : Loi sur le vérificateur général, préc., note 235, article 50. 254 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 69.9. 255 Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, c. A-2.1. 256 R.B. c. Centre de santé et de services sociaux de la Baie-James, préc., note 238, par. 39. 257 Fermont (Ville de) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, J.E. 2003-223 (C.A.), par. 54-57. Voir aussi : Dubé c. Québec (Vérificateur général), J.E. 2011-1140 (C.A.).

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Cette logique a été reprise par la juge Mailhot de la Cour d’appel du Québec en 2006, où

elle réaffirme l’interprétation stricte déjà adoptée, mais semble étendre la portée de

l’expression « renseignement obtenu dans l’exercice de leurs fonctions » :

[20] Le texte de l’article 76.4 L.S.S.S.S. est clair. L’incontraignabilité est restreinte à la confidentialité des renseignements obtenus dans l’exercice des fonctions. Bien que cette incontraignabilité puisse être interprétée de manière large et libérale, encore faut-il que ces deux conditions soient satisfaites. Par conséquent, le juge a erré en affirmant qu’un médecin examinateur ne peut être interrogé sur quelques aspects de la plainte et de son traitement. Par ailleurs, bien que les propos du médecin examinateur ne constituent pas un renseignement «obtenu» dans l’exercice de ses fonctions, l’intention du législateur est clairement de protéger toute information confidentielle obtenue, transmise ou donnée dans l’exercice des fonctions.258

[Nos soulignements]

Compte tenu de la portée limitée de l’immunité, la Cour d’appel a confirmé qu’une

immunité de contrainte comme celle prévue à l’article 50 de la Loi sur le vérificateur

général ou à l’article 95 de la Charte des droits et libertés de la personne (« ne peuvent

être contraints de faire une déposition ou de produire un document ») ne suffit pas, à elle

seule, à empêcher l’assignation d’un acteur de l’Administration259.

Il y a lieu cependant de se questionner sur l’à-propos des dispositions mettant en place

une immunité de contrainte lorsque l’acteur de l’Administration se voit déjà attribuer les

immunités d’un commissaire nommé en vertu de la LCE. Tel est le cas de onze des dix-

huit habilitations jouissant d’une immunité de contrainte dans l’échantillonnage. Comme il

fut déjà exposé dans la section 1.1.3 de la présente partie, la Cour suprême du Canada a

reconnu que l’octroi des immunités d’un commissaire nommé en vertu de la LCE octroyait

les mêmes immunités que celles dont jouissent les juges des cours supérieures. Dans la

mesure où ces derniers jouissent déjà d’une immunité de contrainte particulièrement

étanche260, il y a lieu de se questionner sur la nécessité d’ajouter une immunité de

contrainte dans la loi particulière. Aucun précédent confirmant l’application de l’immunité

de contrainte des juges des cours supérieures aux acteurs de l’Administration jouissant

des immunités prévues à la LCE n’a cependant pu être identifié dans le cadre de la

présente recherche.

258 Bitchoka c. Boutet, préc., note 238, par. 20. 259 Fermont (Ville de) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 257, par. 53-58; Dubé c. Québec (Vérificateur général), préc., note 257. 260 Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671, par. 38-41.

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85

1.2 - AUXILIAIRES FACILITANT LA COLLECTE DE L’INFORMATION

Cette deuxième sous-section portera non pas sur les habilitations visant à protéger

l’acteur de l’Administration contre les intrusions dans l’exercice de sa compétence, mais

sera plutôt l’occasion de s’attarder à l’étude des pouvoirs et accessoires visant à s’assurer

que les pouvoirs de contrainte des acteurs de l’Administration aient toute la portée voulue.

Il s’agit des pouvoirs et accessoires facilitant la collecte de l’information.

Ces pouvoirs et accessoires identifiés à l’occasion de l’étude de l’échantillon sont :

l’exclusion du secret professionnel et de la confidentialité, les immunités visant les

dénonciateurs ou les personnes fournissant de l’information, l’obligation de dénoncer, le

pouvoir de faire des copies, le pouvoir d’exiger de l’assistance, la possibilité d’assigner par

télécopieur et celle de récupérer les frais d’inspection ou d’enquête.

1.2.1 L’exclusion du secret professionnel et de la confidentialité

Les tribunaux ayant interprété le droit au secret professionnel prévu à l’article 9 de la

Charte des droits et libertés de la personne261 comme s’appliquant à toute les professions

visées par le Code des professions262, de nombreuses situations peuvent désormais

donner lieu à une objection fondée sur le secret professionnel. Compte tenu du libellé de

l’article 9 et de l’inclusion du droit au secret professionnel parmi les droits fondamentaux

de la personne, les tribunaux exigent généralement une exclusion expresse afin de

permettre à un acteur de l’Administration d’avoir accès à une information visée par le

secret professionnel en l’absence du consentement de la personne intéressée263. La

présence d’une exclusion expresse du secret professionnel est d’autant plus importante

qu’une possible violation du secret professionnel a été considérée comme une réelle

question de compétence, limitant ainsi la déférence dont doivent faire preuve les cours

supérieures264.

261 Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 117, article 9. 262 Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456, par. 35. 263 Gauvreau c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 82, par. 11; T.A. c. Autorité des marchés financiers, préc., note 82, par. 31. 264 Chikh c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2014 QCCS 3272 (requêtes pour permission d'appeler rejetées, C.A., 22-10-2014, 500-09-024649-147 et 500-09-024650-145), par. 31.

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Dans l’arrêt Archambault, le juge Brossard de la Cour d’appel du Québec a procédé à

l’analyse des critères permettant de conclure, ou non, à la présence d’une exclusion

expresse du secret professionnel :

À titre d'exemple, l'article 192 du Code des professions, auquel réfère d'ailleurs le mis en cause dans son mémoire, me paraît être une disposition qui déroge expressément aux droits conférés par l'article 9 de la Charte. Il se lit comme suit:

192. Un syndic, un syndic adjoint, un syndic correspondant, un comité d'inspection professionnelle ou un membre, un enquêteur ou un expert de ce comité, un comité de discipline, un tribunal ou un juge de ce tribunal siégeant en appel d'une décision d'un comité de discipline ou d'un Bureau ou tout comité d'enquête formé par un Bureau peut prendre connaissance d'un dossier tenu par un professionnel, requérir la remise de tout document relatif à une enquête qu'ils tiennent et prendre copie d'un tel dossier ou document.

Dans le cadre de l'application du présent article, le professionnel doit sur demande, permettre l'examen d'un tel dossier ou document.

Cette disposition autorise expressément le syndic à prendre connaissance d'un dossier ou de documents détenus par le professionnel, lequel doit, sur demande, permettre l'examen du dossier ou du document. La disposition est claire, n'a pas besoin d'être interprétée, même si, de façon implicite elle donne accès à des informations privilégiées, dans la mesure où le dossier ou le document peuvent en contenir.265

Malgré cette interprétation large de la notion d’exclusion expresse, le législateur tend à

opter pour des dispositions beaucoup plus explicites afin d’exclure l’application du secret

professionnel. À titre d’exemple, la disposition dont traite le juge Brossard dans l’arrêt

Archambault a néanmoins été modifiée par la suite afin d’y ajouter, in fine : « et il ne peut

invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de le faire » 266.

L’étude de l’échantillon a révélé l’existence de neuf habilitations visées par une exclusion

du secret professionnel. Les quatre dispositions mettant en place ces exclusions du secret

professionnel ont été adoptées entre 1973 et 2009 et ont une portée variable en fonction

des professionnels dont on souhaite écarter le secret. Ainsi, des neuf habilitations

répertoriées, quatre habilitations bénéficient d’une exclusion générale du secret

professionnel267, trois habilitations excluent le secret professionnel, mais maintiennent les

265 Archambault c. Comité de discipline du Barreau du Québec, J.E. 92-460 (C.A.), p. 15-16. 266 Code des professions, préc., note 58, article 192. 267 Id., articles 14.3 et 192.

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secrets professionnels de l’avocat et du notaire268 et deux habilitations n’excluent que le

secret professionnel du comptable269.

Du même ordre que l’exclusion du secret professionnel, certaines lois mettent en place

des dispositions visant à écarter le caractère confidentiel de certaines informations. Dans

l’échantillon sous étude, ce sont quatorze habilitations qui sont visées par une disposition

excluant la confidentialité. Parmi ces habilitations, seules deux habilitations excluent la

confidentialité de façon générale, et ce, par deux techniques distinctes, mais relativement

simples. D’abord, la Loi sur la santé publique comprend un libellé succinct prévoyant

qu’une information est accessible « même s'il s'agit d'un renseignement personnel, d'un

document ou d'un renseignement confidentiel »270. En comparaison, la Loi sur le régime

des rentes du Québec prévoit plutôt que les informations demeurent accessibles

« nonobstant toute autre loi »271.

D’autres exclusions sont plus spécifiques. À titre d’exemple, la Loi sur les tribunaux

judiciaires met spécifiquement en place une exclusion de la confidentialité prévue à la Loi

sur la protection de la jeunesse272. Cependant, dans la grande majorité des cas,

l’exclusion de la confidentialité vise à permettre à l’acteur de l’Administration d’avoir accès

à des informations confidentielles en vertu de la Loi sur les services de santé et les

services sociaux273. Certaines de ces exclusions visaient aussi la confidentialité mise en

place par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones

cris274.

Il est remarquable de constater qu’aucune habilitation n’est visée à la fois par une

exclusion du secret professionnel et une exclusion de la confidentialité. Pourtant, il semble

probable qu’un renseignement considéré confidentiel soit aussi visé par le secret

professionnel d’une ou l’autre des professions visées par le Code des professions, tout

particulièrement en ce qui concerne les renseignements visés par la Loi sur les services

de santé et les services sociaux. Cette situation amène donc à se questionner sur

268 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, articles 46, 47 et 53.1. 269 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 15.1; Loi sur les sociétés par action, préc., note 239, article 433. 270 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 100. 271 Loi sur le régime des rentes du Québec, préc., note 231, article 208. 272 Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, article 265. 273 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, préc., note 147, article 208. 274 Loi sur le curateur public, RLRQ, c. C-81, article 28.

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l’interaction entre ces deux types d’exclusion, à savoir si l’exclusion de la confidentialité

doit être considérée comme une exclusion suffisamment explicite du secret professionnel

ou si, au contraire, l’exclusion de la confidentialité s’arrête là où commence le secret

professionnel.

1.2.2 L’obligation de dénoncer et les immunités des dénonciateurs ou des personnes

fournissant de l’information

L’étude des lois contenues à l’échantillon a permis d’identifier certaines dispositions

mettant en place une obligation de dénoncer des situations relevant de la compétence

d’un acteur de l’Administration. L’exemple le plus ancien, et peut-être le plus complet, a

été adopté en 1977 dans la Loi sur la protection de la jeunesse :

39. Tout professionnel qui, par la nature même de sa profession, prodigue des soins ou toute autre forme d'assistance à des enfants et qui, dans l'exercice de sa profession, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens de l'article 38 ou au sens de l'article 38.1, est tenu de signaler sans délai la situation au directeur; la même obligation incombe à tout employé d'un établissement, à tout enseignant, à toute personne oeuvrant dans un milieu de garde ou à tout policier qui, dans l'exercice de ses fonctions, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens de ces dispositions.

Toute personne autre qu'une personne visée au premier alinéa qui a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est considéré comme compromis au sens des paragraphes d et e du deuxième alinéa de l'article 38 est tenue de signaler sans délai la situation au directeur.

Toute personne autre qu'une personne visée au premier alinéa qui a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens des paragraphes a, b, c ou f du deuxième alinéa de l'article 38 ou au sens de l'article 38.1, peut signaler la situation au directeur.

Les premier et deuxième alinéas s'appliquent même à ceux liés par le secret professionnel, sauf à l'avocat qui, dans l'exercice de sa profession, reçoit des informations concernant une situation visée à l'article 38 ou 38.1.275

Cette disposition met en place une obligation très large de dénoncer les situations relevant

du Directeur de la Direction de la protection de la jeunesse, allant jusqu’à exclure

l’application du secret professionnel aux fins de cette dénonciation. Le défaut de se plier à

275 Loi sur la protection de la jeunesse, préc., note 171, article 39.

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cette obligation est sanctionné d’amendes de 250 $ à 2 500 $276. Une obligation analogue

existe aussi dans la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier277.

La Loi sur la santé publique278 établit aussi une obligation de dénoncer qui n’est toutefois

applicable qu’aux municipalités, aux médecins et aux établissements de santé et de

services sociaux. Dans ce cas, aucune sanction n’a cependant été identifiée à même cette

loi pour le non-respect de l’obligation de dénoncer.

Une autre méthode retrouvée dans l’échantillon afin de favoriser les dénonciations

consiste en une immunité de poursuite conférée au dénonciateur. Quatre dispositions de

ce type ont été identifiées. Encore une fois, la Loi sur la protection de la jeunesse fait

office de pionnière en la matière en mettant en place une immunité particulièrement

complète :

43. Une personne ne peut être poursuivie en justice pour des actes accomplis de bonne foi en vertu des articles 39 ou 42.

44. Nul ne peut dévoiler ou être contraint de dévoiler l'identité d'une personne qui a agi conformément aux articles 39 ou 42, sans son consentement.

Par le jeu de ces deux articles, un dénonciateur jouit donc non seulement d’une immunité

partielle de poursuite, mais est aussi protégé du fait que nulle personne ne peut dévoiler

ou être contrainte de dévoiler son identité. Toutefois, tel qu’il sera exposé ci-après,

l’ampleur de cette protection n’est pas sans présenter quelques problèmes d’application.

Les autres exemples d’immunité de poursuite pour le dénonciateur prévoient plus

simplement qu’une personne ne peut faire l’objet d’une action civile279 ou engager sa

responsabilité civile280 du fait d’une dénonciation faite de bonne foi.

Un troisième type de disposition retrouvé dans l’échantillon vise à faciliter la collaboration

non pas seulement des dénonciateurs, mais aussi de toute personne appelée à fournir de

l’information à l’acteur de l’Administration par le biais d’une immunité visant l’ensemble

des personnes qui transmettent de l’information à l’acteur de l’Administration. Deux types

276 Id., article 134. 277 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, articles 206 et 240. 278 Loi sur la santé publique, préc., note 35, articles 92-93. 279 Loi sur le protecteur des usagers en matières de santé et de services sociaux, préc., note 244, article 30; Loi sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 30, article 74. 280 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 17.1.

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de libellé mettant en place une telle immunité ont été identifiés. Le plus ancien, adopté en

1974, se trouve dans la Loi sur les assurances281. Il s’agit d’un libellé relativement simple

qui prévoit que « nul ne peut être l'objet d'une poursuite fondée sur des renseignements

qu'il a transmis de bonne foi à l'Autorité conformément à la présente loi ». Ce libellé a par

la suite été utilisé dans la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne282.

Le deuxième type de libellé identifié est beaucoup plus complexe, mais se veut sans doute

aussi plus complet. Il se trouve tant dans Loi sur le protecteur des usagers en matière de

santé et de services sociaux que dans la Loi sur les services de santé et les services

sociaux :

76.2. Les réponses ou déclarations faites par une personne, dans le cadre de l'examen d'une plainte ou de la conduite d'une intervention, et notamment tout renseignement ou document fourni de bonne foi par elle en réponse à une demande d'un commissaire local […] ne peuvent être utilisées ni ne sont recevables à titre de preuve contre cette personne devant une instance judiciaire ou une personne ou un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles.

76.5. Aucun élément de contenu du dossier de plainte d'un usager ou d'un dossier d'intervention, y compris les conclusions motivées et, le cas échéant, les recommandations qui les accompagnent, ne peut constituer une déclaration, une reconnaissance ou un aveu extrajudiciaire d'une faute professionnelle, administrative ou autre de nature à engager la responsabilité civile d'une partie devant une instance judiciaire.283

Il s’agit donc immunité particulièrement large qui rend irrecevable en preuve les

informations transmises de bonne foi à l’acteur de l’Administration, en plus d’empêcher

l’utilisation à titre d’aveu de quelque élément que ce soit contenu au dossier. Mis en

parallèle avec l’immunité de contrainte prévue à l’article 76.4 de la Loi sur les services de

santé et les services sociaux, ces dispositions ont été jugées suffisantes pour ordonner la

radiation d’allégations et le retrait de pièces produites en preuve284. Au sujet de ce groupe

de dispositions, la juge Mailhot de la Cour d’appel écrivait :

[16] L’analyse effectuée par le juge de première instance de l’intention du législateur quant aux articles 73 à 76.5 L.S.S.S.S. est sans reproche. L’objectif est clairement d’assurer une véritable indépendance du processus des plaintes, en prévoyant que

281 Loi sur les assurances, préc., note 96, article 16. 282 Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 395. 283 Loi sur les services de santé et les services sociaux, préc., note 30, articles 76.2 et 76.5. Voir aussi : Loi sur le protecteur des usagers en matières de santé et de services sociaux, préc., note 244, articles 34 et 36. 284 R.B. c. Centre de santé et de services sociaux de la Baie-James, préc., note 238, par. 37-40.

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tant le plaignant que les différents intervenants, ayant comme fonction d’assister dans le processus de rédaction, l’examen et le traitement de la plainte, peuvent, dans la mesure où ils agissent de bonne foi et à l’intérieur du cadre de leurs fonctions, le faire sans crainte de représailles ou de poursuites en justice. Il faut donc éviter de donner à l’article 76.4 L.S.S.S.S. une portée trop restrictive qui ne s’harmoniserait pas avec les autres dispositions législatives.285

Cependant, des immunités qui sont trop étanches ne sont pas sans créer quelques

difficultés d’application. Dans l’affaire M.D. c. L.D., le juge Beaudoin de la Cour d’appel du

Québec constate les complications qui peuvent en découler :

Le législateur, et la chose est évidente, puisque le signalement est l'élément clef du système de protection des enfants, a voulu que cette dénonciation soit complètement protégée, afin d'assurer l'efficacité du système. On peut, en effet, aisément imaginer les difficultés d'opération de celui-ci, si cette identité pouvait être révélée.

Cependant, ce même législateur n'a pas voulu, pour autant, mettre l'auteur du signalement à l'abri de toute poursuite, puisque, clairement, l'article 43 ne lui accorde qu'une immunité relative, levée en cas de mauvaise foi.

C'est là, à mon avis, où apparaît, on ne peut plus clairement, un important conflit d'interprétation de la loi. Comment, en effet, concilier le fait que, d'un côté, le législateur interdise complètement la divulgation du nom de la personne qui fait le signalement et que, d'un autre côté, il permette, par ailleurs, qu'elle soit poursuivie en responsabilité si elle a agi de mauvaise foi? Est-il possible de concilier la disposition claire de l'article 44 avec celle, également claire, de l'article 43?286

En réponse aux questions qu’il soulève, le juge Beaudoin conclut que le dénonciateur de

mauvaise foi pouvait faire l’objet d’une poursuite, mais que la preuve de son identité devait

être faite sans recourir au dossier de la Direction de la protection de la jeunesse. Le juge

Beaudoin admettant par ailleurs qu’en pratique, cette éventualité parait rare287.

1.2.3 Le pouvoir de faire des copies (et équivalence des copies)

Soixante-sept habilitations identifiées dans l’échantillon bénéficient expressément du

pouvoir de faire des copies des documents qui sont remis à l’acteur de l’Administration.

Bien qu’il existe une certaine diversité dans les libellés utilisés, plus de la moitié de ces

285 Bitchoka c. Boutet, préc., note 238, par. 16. 286 D.(M.) c. D.(L.), J.E. 98-1258 (C.A.), p. 26-27. 287 Id., p. 28, 35.

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habilitations sont visées par une disposition prévoyant simplement que l’acteur de

l’Administration peut « tirer copie »288 ou « prendre copie »289 des documents.

Un autre libellé relativement courant prévoit que l’acteur de l’Administration peut exiger un

document, « pour reproduction »290. Tel que mentionné dans la section 2.1.1 de la Partie I,

ce libellé peut cependant être interprété de façon restrictive, ne permettant d’exiger un

document qu’aux fins d’en faire une copie. Enfin, un dernier type de libellé met en place

une habilitation générale permettant de reproduire les documents remis à l’acteur de

l’Administration : « Un document qui a fait l'objet d'un examen par la Commission ou par

une personne qu'elle désigne, ou qui leur a été produit, peut être copié ou photocopié. »291

La Loi sur l’instruction publique présente un exemple particulier alors qu’il est interdit

d’empêcher l’acteur de l’Administration de faire des copies, bien que ce dernier ne semble

pas détenir d’habilitation expresse pour ce faire292. Cela soulève la question de la

pertinence d’une habilitation expresse à tirer des copies. En effet, même si la prise d’une

copie a été considérée comme une saisie293, elle n’est généralement pas considérée plus

intrusive que la saisie de l’original294. Dans ce contexte, on s’explique difficilement

pourquoi la prise d’une copie nécessiterait une habilitation spécifique. Au contraire, la

jurisprudence révèle des cas où la présence d’une habilitation à prendre des copies a été

utilisée comme argument afin de limiter l’accès aux originaux295.

Notons en terminant sur ce point que la Cour supérieure a considéré que le pouvoir de

prendre copie d’un document s’étendait à la prise de copie de fichiers contenus sur le

disque dur d’un ordinateur296.

Dans le même ordre d’idée que les dispositions autorisant expressément à tirer des

copies, l’étude des lois contenues à l’échantillon a permis d’identifier plus d’une dizaine

d’habilitations bénéficiant d’une disposition conférant la même valeur probante à cette

288 À titre d’exemple : Loi sur la protection de la jeunesse, préc., note 171, article 26. 289 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 112. 290 À titre d’exemple : Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, préc., note 54, article 69. 291 À titre d’exemple : Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1, article 110. 292 Loi sur l'instruction publique, préc., note 29, article 30. 293 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 16, 43; R. c. Lacets Arizona inc., B.E. 2004BE-16 (C.Q.), par. 9. 294 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 43. 295 Terjanian c. Ayotte, préc., note 59. 296 Gauthier c. Deschênes, préc., note 60, par. 46-50.

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copie qu’à l’original. Dans tous les cas, sauf un297, cet accessoire complète une habilitation

expresse à tirer des copies.

Dans l’échantillon, l’exemple le plus ancien de ce type d’accessoire provient de la Loi sur

l’administration fiscale et a été adopté en 1972 :

42. Tout document ou toute autre chose qui a fait l'objet d'un examen ou dont a pris possession un employé ou qui a été produit au ministre peut être copié, photographié ou imprimé et toute copie, toute photographie ou tout imprimé de ce document ou de cette chose, certifié conforme par le ministre ou par une personne autorisée par lui à le faire, est admissible en preuve.298

Dès 1974, un libellé un peu plus complet est adopté dans la Loi sur les assurances, lequel

ajoute que la copie est non seulement admissible en preuve, mais « est aussi probante

que l'original »299. Ce second libellé est le plus fréquemment utilisé dans l’échantillon et le

seul utilisé à compter de 1974, à l’exception de la Loi sur les biens non réclamés300 qui, en

2010, reprend plutôt le libellé de la Loi sur l’administration fiscale.

1.2.4 L’obligation d’assistance

L’étude des lois contenues à l’échantillon a permis de répertorier trente-trois habilitations

ayant comme accessoire une obligation d’assistance. Cet accessoire prend généralement

la forme d’une obligation dévolue à un administré plutôt que d’un réel pouvoir de

contrainte à son endroit.

La forme la plus courante de cet accessoire est l’obligation de « faciliter l’examen » des

documents requis par l’acteur de l’Administration. La première manifestation de cet

accessoire apparait en 1974 dans la Loi sur les assurances301 et a été reprise pour plus

d’une vingtaine des habilitations jouissant de cet accessoire, soit au-delà de la moitié

d’entre elles.

La seconde forme la plus répandue consiste en une obligation de prêter son assistance302,

de prêter une aide raisonnable303 ou simplement de collaborer304. Certaines dispositions

297 Loi sur l'immigration au Québec, RLRQ, c. I-0.2, article 12.2. 298 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 42. 299 Loi sur les assurances, préc., note 96, article 13. 300 Loi sur les biens non réclamés, préc., note 84, article 42. 301 Loi sur les assurances, préc., note 96, article 10. 302 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 40.1.2.

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vont jusqu’à exiger des personnes concernées qu’elles prennent « les moyens

nécessaires » pour permettre à l’acteur de l’Administration d’exercer ses pouvoirs305. Dans

ce dernier cas, la Cour supérieure a considéré qu’une telle obligation doit recevoir une

interprétation large et que le simple fait pour l’administré de référer à un tiers plutôt que de

donner accès contrevient à cette obligation306.

Dans certains cas, plus rares, l’obligation d’assistance prend la forme d’une obligation

d’accompagner l’acteur de l’Administration307, d’actionner une chose308 ou d’ouvrir des

contenants309. Certaines dispositions prévoient par ailleurs une obligation de rencontrer

l’acteur de l’Administration :

100. Toute personne doit fournir à la Régie les renseignements qu'elle requiert pour l'examen de la plainte et assister à toute rencontre à laquelle elle est convoquée.310

Tel qu’exposé dans la section 1.2.2 de la partie I, cette obligation de rencontrer l’acteur de

l’Administration a été considérée comme une partie intégrante du pouvoir de faire enquête

et le défaut d’assister à une telle rencontre peut être sanctionné à titre d’entrave311.

Enfin, l’étude des habilitations contenues à l’échantillon a permis de constater l’existence

de certaines dispositions prévoyant que «Toute personne à qui une telle demande est faite

est tenue de s'y conformer. »312 À sa face même, il y a lieu de se questionner sur la

pertinence d’un tel ajout et, surtout, des résultats pour le moins surprenants d’une

interprétation a contrario utilisant ce type de disposition comme comparable.

1.2.5 Pouvoir d’assigner par télécopieur ou par procédé électronique

Parmi les habilitations répertoriées dans l’échantillon de lois sous étude, quatre

habilitations bénéficient, à titre d’accessoire, du pouvoir d’assigner par télécopieur ou par

303 À titre d’exemple : Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 179. 304 À titre d’exemple : Loi sur les biens non réclamés, préc., note 84, article 33. 305 À titre d’exemple : Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, RLRQ, c. R-20, article 7.2. 306 Villeneuve c. Québec (Procureur général), préc., note 164, par. 37, 45 et 51. 307 À titre d’exemple : Code du travail, préc., note 72, article 109.4. 308 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119. 309 À titre d’exemple : Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 100. 310 Loi sur la Régie de l'énergie, préc., note 46, article 100. 311 Chartrand c. Coutu, 2012 QCCA 2228 par. 3-7. 312 À titre d’exemple : Loi sur l'aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ, c. A-14, article 64.

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un procédé électronique. Quatre dispositions différentes mettent en place cet accessoire,

toutes adoptées en 2005 et utilisant l’un des deux libellés suivants :

88.1 […] Elle peut également exiger d'une personne un renseignement ou copie d'un document par télécopieur ou par un procédé électronique, lorsqu'une personne peut ainsi être jointe.

88.4 […] L'enquêteur peut transmettre une citation à comparaître par télécopieur ou par un procédé électronique lorsque la personne à laquelle elle est transmise peut ainsi être jointe.313

Ce type d’accessoire, pourtant peu répandu, permet vraisemblablement de simplifier

l’obtention de l’information requise en rendant plus facile l’exercice de certains pouvoirs de

contrainte. Il s’agit aussi d’un ajout qui permet de prendre en compte les avancées

technologiques. Cependant, il est probable que l’exercice de pouvoirs de contrainte par

télécopieur ou par un procédé électronique qui permet de confirmer la réception de la

demande ou de l’assignation serait néanmoins considéré valide, même en l’absence d’une

telle habilitation.

1.2.6 Possibilité de récupérer les frais de l’inspection ou de l’enquête

La possibilité de récupérer les frais de l’inspection ou de l’enquête représente un

accessoire d’un grand intérêt pour les acteurs de l’Administration, notamment lorsque la

nature du domaine d’activité rend couteux l’exercice de ses contrôles. Il s’agit, en quelque

sorte, d’une manifestation du principe de l’utilisateur payeur en matière de pouvoirs de

contrainte.

Si les dispositions mettant en place les moyens de récupérer les frais d’inspection ou

d’enquête sont relativement rares, il ne s’agit cependant pas d’un concept nouveau : parmi

les neuf habilitations bénéficiant de cet accessoire, la plus ancienne date de 1899314. Les

processus de récupération des frais mis en place depuis cette époque sont d’une grande

diversité, tant par leur libellé que par la nature de ce processus. Dans certains cas, la

récupération des frais doit être ordonnée par un tribunal315, alors que dans d’autres cas,

313 Loi sur l'assurance parentale, RLRQ, c. A-29.011, articles 88.1 et 88.4. Voir aussi : Loi sur l'aide aux personnes et aux familles, RLRQ, c. A-13.1.1, articles 120 et 123. 314 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 14. 315 À titre d’exemple : Loi sur la protection du consommateur, préc., note 32, article 317.

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l’acteur de l’Administration peut l’exiger lui-même316. Selon les dispositions applicables, les

frais peuvent être exigés de la personne ayant demandé l’enquête317 ou de la personne

visée par l’inspection ou l’enquête318. Dans ce dernier cas, certaines dispositions exigent

que la personne visée ait bel et bien enfreint la loi319.

Deux dispositions se démarquent par le caractère autosuffisant du processus mis en

place. Le premier exemple, prévu à la Loi sur les compagnies, date de 1907 :

8. Les frais occasionnés, directement ou indirectement, par l'enquête sont à la charge des requérants ou de la compagnie, selon que le registraire des entreprises le décrète, ou à la fois des requérants et de la compagnie dans la proportion qu'il fixe, lorsqu'il juge équitable de les partager entre les parties.

Ils sont recouvrables, à la poursuite de l'inspecteur de toute partie contre qui ils ont été adjugés.

Ces frais sont taxés par le juge en chef de la Cour du Québec ou par le juge qu'il désigne, sur demande verbale de l'inspecteur, après avis d'au moins trois jours à toute partie qui doit les payer, de l'heure, de la date et du lieu où il présentera l'état de ses frais pour taxation.

Le certificat d'adjudication des frais par le registraire des entreprises et le certificat de taxation du juge sont incontestables et font preuve de l'obligation de toute partie contre qui ils ont été adjugés d'en payer le montant déterminé par le certificat de taxation.320

Il s’agit donc d’un processus complet prévoyant toutes les étapes jusqu’à la prise de

mesures d’exécution à l’encontre de l’administré obligé au remboursement des frais.

L’autre disposition similaire, adoptée 75 ans plus tard dans la Loi sur les valeurs

mobilières, prévoit jusqu’à un appel devant un juge de la Cour d’appel :

212. L'Autorité peut recouvrer ses frais d'enquête de toute personne condamnée pour une infraction prévue par la présente loi ou pour une infraction en matière de valeurs mobilières résultant des dispositions adoptées par une autre autorité législative.

L'Autorité établit un état des frais et le présente à un juge de la Cour du Québec après avoir avisé les parties intéressées de la date de cette présentation cinq jours à l'avance.

316 À titre d’exemple : Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 349.2. 317 À titre d’exemple : Loi sur les compagnies, RLRQ, c. C-38, article 203. 318 À titre d’exemple : Loi sur les sociétés par actions, préc., note 239, article 425. 319 À titre d’exemple : Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 349.2. 320 Loi sur les compagnies, préc., note 317, articles 110 et 203.

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Le juge taxe les frais et sa décision est susceptible d'appel, sur permission d'un juge de la Cour d'appel321.

321 Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 212.

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2 SECTION 2 : DISPOSITIONS PERMETTANT D’ASSURER L’APPLICATION DE LA LOI À

L’OCCASION DE LA COLLECTE

Cette section exposera les différents pouvoirs prévus dans les lois faisant partie de

l’échantillon qui permettent à l’acteur de l’Administration de s’assurer, par lui-même, que la

loi dont il est chargé de l’application soit susceptible de sanctions. Ces habilitations seront

traitées sous trois thèmes, soit :

Les mesures conservatoires : mesures permettant à l’acteur de l’Administration

d’éviter qu’une situation que vise à prévenir la loi n’empire ou que les sanctions

prévues à la loi ne deviennent théoriques;

Les mesures réparatrices : mesures permettant à l’acteur de l’Administration de

corriger lui-même une situation contrevenant à la loi;

Les sanctions : mesures permettant de sanctionner l’entrave, l’absence de réponse

ou l’absence d’exécution des mesures exigées par l’acteur de l’Administration.

2.1 - MESURES CONSERVATOIRES

Une première partie des mesures conservatoires vise à éviter la multiplication des

situations que vise à prévenir la loi. Il s’agit notamment des pouvoirs d’ordonner l’arrêt des

activités, de limiter l’utilisation d’un bien et de rechercher et amener une personne.

Les mesures conservatoires peuvent aussi avoir comme finalité d’éviter que la collecte

d’information ne soit faite en vain ou qu’elle soit elle-même source de préjudice. Le

pouvoir d’interdire de communiquer et la suspension de la prescription sont des exemples

d’habilitations ayant cette finalité.

2.1.1 Le pouvoir d’ordonner l’arrêt des activités ou de limiter l’utilisation d’un bien

Le pouvoir d’ordonner l’arrêt des activités ou de limiter l’utilisation d’un bien constitue un

exemple éloquent d’un pouvoir de contrainte permettant d’agir de façon directe afin

d’éviter que se concrétise ou se poursuive une situation à laquelle la loi cherche à faire

obstacle. Le nombre d’exemples de ce type de pouvoir identifiés dans l’échantillon est

cependant limité.

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Les plus vieux exemples identifiés se trouvent dans la Loi sur la santé et la sécurité du

travail et ont été adoptés en 1979322. Le pouvoir mis en place par les articles 186 et

suivants de la Loi sur la santé et la sécurité du travail a fait l’objet d’un important

contentieux afin d’en définir la portée :

186. Un inspecteur peut ordonner la suspension des travaux ou la fermeture, en tout ou en partie, d'un lieu de travail et, s'il y a lieu, apposer les scellés lorsqu'il juge qu'il y a danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs.

[…]

187. Pendant que dure une suspension des travaux ou une fermeture, les travailleurs sont réputés être au travail et ont ainsi droit à leur salaire et aux avantages liés à leur emploi.

188. Personne ne peut être admis sur un lieu de travail fermé par un inspecteur sauf, avec l'autorisation de l'inspecteur, les personnes qui exécutent les travaux nécessaires pour éliminer le danger.

Toutefois, l'application du premier alinéa ne peut avoir pour effet d'empêcher un employeur, un maître d'œuvre ou un propriétaire de prendre les moyens de conservation nécessaires pour éviter la destruction ou la détérioration grave de biens qui s'y trouvent.

189. Les travaux ne peuvent reprendre ou le lieu de travail être réouvert avant que l'inspecteur ne l'ait autorisé. […]

À l’occasion de litiges concernant des décisions rendues par la Commission de la santé et

de la sécurité du travail en application de ces dispositions, la Commission des lésions

professionnelles a généralement adopté une interprétation restrictive du pouvoir

d’ordonner la suspension des travaux, le qualifiant de mesure d’exception323. La condition

d’exercice de ce pouvoir, soit l’existence d’un danger pour la santé, la sécurité ou

l’intégrité physique d’un travailleur a fait l’objet de beaucoup de débats afin d’en définir la

portée324. La présence d’un danger est d’ailleurs essentielle325, puisque la simple

322 Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, articles 186, 190 et 218. 323 9282-4614 Québec inc. et CPQMC international, 2014 QCCLP 4022, par. 18; Entreprises GNP inc. et ASSS Côte-Nord, 2014 QCCLP 2407, par. 43; Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCLP 5819, par. 53; 9182-9119 Québec inc. et CPQMC international, 2012 QCCLP 5797, par. 44. Contra : Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, 2013 QCCLP 1920, par. 64-69. 324 Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, 2015 QCCLP 3961 (requête en révision demandée, C.L.P., 441802-71-1106-R et als.), par. 881-883; 9282-4614 Québec inc. et CPQMC international, préc., note 323, par. 15, 17; Entreprises GNP inc. et ASSS Côte-Nord, préc., note 323, par. 43; Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, préc., note 323, par. 61-63, 70-75; Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité

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contravention à une norme ne serait pas suffisante326. De plus, la Commission des lésions

professionnelles a considéré que l’émission d’une ordonnance de suspension des travaux

ou de fermeture d’un lieu de travail est une mesure ultime, faute d’autres moyens

efficaces327.

Dans le même ordre d’idée, le pouvoir d’ordonner de cesser de fabriquer, fournir, vendre,

louer, distribuer ou installer un équipement et d’apposer des scellés prévu à l’article 190

de la Loi sur la santé et la sécurité du travail a lui aussi vu sa portée faire l’objet d’une

interprétation restrictive par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire

Général International328. Cette disposition se lit ainsi :

190. L'inspecteur peut, lorsqu'une personne enfreint la présente loi ou les règlements, ordonner qu'elle cesse de fabriquer, fournir, vendre, louer, distribuer ou installer le produit, le procédé, l'équipement, le matériel, le contaminant ou la matière dangereuse concerné et apposer les scellés ou confisquer ces biens et ordonner qu'elle cesse toute activité susceptible de causer l'émission du contaminant concerné.

[…]

La fabrication, la fourniture, la vente, la location, la distribution ou l'installation du produit, du procédé, de l'équipement, du matériel, du contaminant ou de la matière dangereuse ou l'activité susceptible de causer l'émission d'un contaminant ne peut reprendre avant que l'inspecteur ne l'ait autorisée.

Lors d’une inspection dans une quincaillerie, la Commission de la santé et de la sécurité

du travail avait interdit, en vertu de l’article 190, de vendre certains modèles de bancs de

scie et de perceuses à colonne fabriquées par Général International. Des scellés avaient

aussi été apposés sur ces appareils qui, selon l’inspecteur, présentaient des dangers de

fracture ou d’amputation des doigts ou de la main. Or, lesdits appareils étaient en

démonstration à la quincaillerie, n’étaient pas branchés et n’étaient utilisés ni par les

employés ni par les clients. Les décisions de la Commission de la santé et de la sécurité

du travail, préc., note 323, par. 51-62; 9182-9119 Québec inc. et CPQMC international, préc., note 323, par. 41, 43. 325 Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité du travail, préc., note 323, par. 51. 326 Entreprises GNP inc. et ASSS Côte-Nord, préc., note 323, par. 45. 327 9282-4614 Québec inc. et CPQMC international, préc., note 323, par. 16, 19; Entreprises GNP inc. et ASSS Côte-Nord, préc., note 323, par. 43; Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité du travail, préc., note 323, par. 53; 9182-9119 Québec inc. et CPQMC international, préc., note 323, par. 42, 45. Contra : Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, préc., note 323, par. 64-69. 328 Général International et Rona inc., 2009 QCCLP 1250.

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du travail étaient donc contestées aux motifs que les pouvoirs prévus à la Loi sur la santé

et la sécurité du travail visent à protéger les travailleurs, et non le public en général;

l’inspecteur ne pouvait donc pas interdire la vente d’un produit offert au public en général.

La Commission des lésions professionnelles écrit :

[47] Le tribunal conclut, en raison notamment de l’objet de la loi qui vise la protection des travailleurs, que l’article 63 interdit la vente d’équipement non sécuritaire « pour les travailleurs » et non pas la vente d’équipement pour le public en général.

[…]

[59] Le tribunal retient donc que les pouvoirs conférés à l’inspecteur à l’article 190, dans le contexte d’un manquement aux obligations prévues à l’article 63, visent à lui permettre d’intervenir dans les cas où un équipement à vocation industrielle présente ou pourrait présenter un danger pour des travailleurs.

[…]

[75] Le fait que des équipements semblables puissent se retrouver occasionnellement sur des lieux de travail ne justifie pas l’interdiction de vente des équipements en question.

[76] Avec respect, et sans présumer ou non de la sécurité des machines ou de leur conformité aux normes réglementaires, le tribunal apprécie que la seule hypothèse que ces équipements en vente libre dans des magasins grande surface puissent être achetés par des employeurs et mis par ceux-ci à la disposition de travailleurs en violation de leur obligation de fournir un matériel sécuritaire, ne justifie pas une interdiction de vente et l’apposition de scellés chez le fournisseur.

[77] Si un inspecteur avait constaté que ces équipements étaient utilisés par des travailleurs dans un établissement, il aurait pu sceller les machines, mais il l’aurait alors fait en vertu de l’article 186 de la LSST en raison des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs de l’employeur chez qui il était intervenu.

[78] Le tribunal considère qu’il n’aurait pas eu de pouvoir coercitif auprès du fournisseur vu qu’il ne s’agit pas d’équipements à vocation industrielle visés par l’article 63 de la LSST. La situation aurait été celle d’un employeur n’ayant pas fourni à ses travailleurs des équipements sécuritaires et conformes aux normes réglementaires.329

Ce court survol de la jurisprudence développée en matière de sécurité du travail révèle

donc l’interprétation restrictive dont fait l’objet le pouvoir d’ordonner l’arrêt des activités ou

de limiter l’utilisation d’un bien dans ce champ d’activité.

329 Id., par. 47, 59, 75-78.

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Il existe cependant d’autres dispositions mettant en place de tels pouvoirs qui ne font pas

l’objet d’un contentieux aussi important. Par exemple, la Loi sur les mines330 et la Loi sur la

santé publique331 mettent en place des pouvoirs d’ordonner l’arrêt ou la suspension de

certaines activités lorsque l’acteur de l’Administration a des motifs de croire qu’elles

enfreignent la loi. De même, la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier332

permet à un inspecteur d’interdire la vente de plants qu’il constate affectés par une

maladie ou un insecte.

Outre l’interdiction pure et simple d’exercer une activité, un autre pouvoir permettant de

limiter la poursuite ou l’aggravation d’une conduite contraire à la loi est le pouvoir de limiter

l’utilisation d’un bien, notamment par l’apposition de scellés. Trois habilitations disposant

de ce type de pouvoirs ont été identifiées dans l’échantillon. Le plus vieil exemple est

prévu à l’article 186 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail dont il a déjà été question

plus haut. La Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance fournit un exemple

similaire en ce qui a trait à l’apposition de scellés.

La Loi sur la santé publique présente quant à elle un pouvoir particulièrement complet de

limiter l’utilisation d’un bien, permettant à l’acteur de l’Administration d’ajuster l’exercice de

ce pouvoir aux circonstances :

106. Lorsqu'un directeur de santé publique est d'avis, en cours d'enquête, qu'il existe effectivement une menace réelle à la santé de la population, il peut:

1° ordonner la fermeture d'un lieu ou n'en permettre l'accès qu'à certaines personnes ou à certaines conditions et faire afficher un avis à cet effet;

2° ordonner l'évacuation d'un édifice;

[…]

6° ordonner à une personne, pour le temps qu'il indique, de ne pas fréquenter un établissement d'enseignement, un milieu de travail ou un autre lieu de rassemblement, si elle n'est pas immunisée contre une maladie contagieuse dont l'éclosion a été constatée dans ce milieu;

L’acteur de l’Administration, ici un directeur de santé publique, peut donc ordonner la

fermeture complète d’un lieu, mais aussi en limiter l’accès à certaines personnes ou à

certaines conditions. Il peut aussi, à l’inverse, interdire à certaines personnes en particulier

330 Loi sur les mines, RLRQ, c. M-13.1, article 254. 331 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 106. 332 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 205.

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de fréquenter un tel lieu. L’acteur de l’Administration a donc toute la marge de manœuvre

nécessaire pour exercer ce pouvoir dans la mesure nécessaire, tout en minimisant les

inconvénients. Il est cependant à noter que cette disposition met en place un cadre

relativement restreint assurant que le pouvoir de limiter l’utilisation d’un bien soit utilisé aux

fins pour lesquelles il a été prévu.

2.1.2 Le pouvoir de rechercher et d’amener

Le pouvoir de rechercher et d’amener du droit administratif s’apparente grandement au

pouvoir d’arrestation qui existe en droit pénal. Deux habilitations disposant de ce type de

pouvoir ont été répertoriées dans l’échantillon, soit dans la Loi sur la protection de la

jeunesse333 et la Loi sur la santé publique334. À la lecture de ces dispositions, il appert

cependant que le pouvoir de rechercher et d’amener prévu dans ces lois ne vise pas à

punir la contravention à une loi, mais plutôt à protéger la personne recherchée ou ses

proches. Néanmoins, l’usage de ce type de pouvoir est généralement restreint et fait appel

à l’intervention des tribunaux.

Tel est le cas de l’article 35.2 de la Loi sur la protection de la jeunesse qui prévoit qu’un

juge de paix peut autoriser un agent de la paix ou un acteur de l’Administration à

rechercher et amener un enfant dont la sécurité ou le développement peut être considéré

comme compromis. Cette autorisation peut être accompagnée d’une autorisation de

pénétrer dans un lieu en vertu de l’article 35.3 de la même loi, lorsque l’acteur de

l’administration a un motif raisonnable de croire que l’enfant se trouve dans ce lieu et qu’il

est nécessaire d’y entrer pour rechercher l’enfant. Un agent de la paix ou un acteur de

l’Administration ne pourrait donc pas pénétrer dans un lieu pour rechercher un enfant sans

le consentement des personnes intéressées ou cette autorisation d’un juge de paix335.

La Loi sur la santé publique laisse quant à elle une plus grande marge de manœuvre aux

acteurs de l’Administration qui y sont visés en permettant aux directeurs de la santé

publique d’ordonner à une personne de s’isoler pour 72 heures afin d’éviter la contagion

ou que la santé de la population soit mise gravement en danger336. L’article 108 de la Loi

333 Loi sur la protection de la jeunesse, préc., note 171, article 35.2. 334 Loi sur la santé publique, préc., note 35, articles 103, 106, 108 et 109. 335 R. c. Goudreault-Veillette, 2008 QCCQ 5727, par. 20-25. 336 Loi sur la santé publique, préc., note 35, articles 103 et 106.

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sur la santé publique donne aussi aux directeurs de la santé publique les moyens de

s’assurer de l’application d’une telle ordonnance :

108. Un ordre du directeur de santé publique donné en vertu du paragraphe 7° du premier alinéa de l'article 106 est suffisant pour que toute personne, y compris un agent de la paix, fasse tout ce qui est raisonnablement possible pour localiser et appréhender la personne dont le nom figure dans l'ordre et la conduire dans un lieu indiqué dans l'ordre ou auprès d'un établissement de santé et de services sociaux choisi par le directeur.

La personne ou l'agent de la paix qui agit en vertu du présent article ne peut toutefois entrer dans une résidence privée sans le consentement de l'occupant ou sans être muni d'un ordre de la cour l'y autorisant.

Lorsque la personne est appréhendée, on doit immédiatement l'informer des motifs de sa mise en isolement, du lieu où elle est emmenée et de son droit de communiquer avec un avocat.

Un établissement de santé et de services sociaux qui reçoit cette personne en vertu d'un ordre du directeur de santé publique ou de la cour doit l'admettre d'urgence.

À la lecture de cette disposition, le parallèle avec la procédure applicable en matière

d’arrestation en droit pénal peut difficilement être évité. N’ayant pas identifié de précédent

jurisprudentiel, il s’avère cependant hasardeux de s’avancer sur la réception qu’aura ce

pouvoir de rechercher et d’amener devant les tribunaux. Cela étant, la mise en place de

mesures procédurales comparables à celles existant en droit criminel pourrait

éventuellement militer en faveur de la constitutionnalité de tels pouvoirs. De plus, l’article

109 de la Loi sur la santé publique réitère expressément que cette ordonnance ne peut

être valide plus de 72 heures en l’absence de consentement de la personne intéressée ou

d’une ordonnance de la Cour. Enfin, l’isolement peut être cessé en tout temps sur

émission par le médecin traitant d’un certificat à l’effet que les risques de contagion

n’existent plus.

2.1.3 Le pouvoir d’interdire de communiquer

Selon l’auteur O’Neill, le pouvoir d’interdire de communiquer a comme principal objectif de

s’assurer que la collecte d’informations par l’acteur de l’Administration ne soit pas

entravée et que les personnes visées ne subissent pas de préjudice337. Se prononçant à

ce sujet, le juge Dalphond écrit pour la Cour d’appel du Québec :

337 L.-M. O'NEILL, préc., note 62, p. 125.

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105

[36] Je peux aisément comprendre l’utilité d’une ordonnance de confidentialité afin de préserver l’intégrité d’une enquête lorsque, par exemple, la nature des renseignements demandés est telle que la personne contactée est en mesure d’identifier l’objet de l’enquête et prévenir la personne qui est visée. De même, elle peut être utile dans le but évident de préserver la conduite à huis clos de l’enquête en cours et éviter ainsi une indiscrétion susceptible de causer un grave préjudice à un émetteur assujetti ou autre participant dans les marchés.338

Deux exemples de pouvoir d’interdire de communiquer ont été retrouvés dans

l’échantillon, les deux étant contenus dans des lois dont l’Autorité des marchés financiers

est chargée de l’application. Le plus ancien de ces pouvoirs est mis en place par une

disposition adoptée en 1982 dans la Loi sur les valeurs mobilières : « L'Autorité peut

interdire à une personne de communiquer à quiconque, si ce n'est à son avocat, toute

information reliée à une enquête. »339 Un libellé identique a été adopté en 2008 dans la

Loi sur l’Autorité des marchés financiers340.

À l’occasion de l’arrêt Groupe SNC-Lavalin, le juge Dalphond de la Cour d’appel du

Québec a reconnu le caractère extraordinaire de ce pouvoir et la nécessité corrélative

d’encadrer son exercice. Après avoir signalé qu’une interdiction systématique de

communiquer applicable à toutes les enquêtes ait été considérée inconstitutionnelle en

Ontario, le juge Dalphond distingue ce cas de celui de l’article 245 de la Loi sur les valeurs

mobilières, ce dernier conférant plutôt un pouvoir discrétionnaire à l’Autorité qui est libre

de moduler la portée de l’interdiction341. Il note cependant ce qui suit :

[37] L'analyse de ce pouvoir dans son contexte législatif et constitutionnel démontre qu'il ne peut s’agir d'un pouvoir illimité, mais d'un accessoire à la conduite d’une enquête à huis clos, qui ne peut être exercé que dans la mesure où cela est nécessaire à la préservation de l’intégrité d’une enquête.

[38] Il serait par ailleurs absurde de prétendre que l'exercice d'un tel pouvoir par l'Autorité ne peut faire l'objet d'un contrôle par un forum indépendant. En l'espèce, l'Autorité plaide que ce rôle de contrôle revient uniquement à la Cour supérieure, alors que l'intimée prétend qu'il revient au Bureau. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu'il était raisonnable, voire même correct, pour le Bureau de conclure que l'intention du législateur était de lui confier cette fonction.

[…]

338 Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC-Lavalin inc., 2013 QCCA 204 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 05-09-2013, 35311), par. 36. 339 Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 245. 340 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 14.1. 341 Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC-Lavalin inc., préc., note 338, par. 26-32.

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106

[54] Cela étant exposé, je suis aussi d’avis que la conclusion du Bureau qu'il était en présence d'une décision au sens de la L.V.M. fait partie des issues possibles eu égard aux faits et au droit en l’espèce.

[55] En d'autres mots, la rédaction de l'art. 322 L.V.M. et une analyse de l'ensemble de la L.V.M. peuvent raisonnablement donner lieu à l'interprétation retenue par le Bureau que l'émission d'une ordonnance de confidentialité constitue une décision au sens de la L.V.M. et que le refus de la modifier et de fournir des renseignements additionnels aux vérificateurs constitue une décision de l'Autorité au sens de la L.V.M.342

La qualification de l’interdiction de communiquer à titre de décision emporte avec elle

l’application des règles d’équité procédurale343. Tel que le signalait la Cour du Québec en

première instance dans cette même affaire, la décision d’interdire de communiquer doit

être motivée et l’administré doit avoir eu l’occasion de faire ses observations344.

Il est à propos de souligner que le pouvoir d’interdire de communiquer n’a pas été

considéré comme un pouvoir inclus parmi les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure

octroyés en vertu de la LCE345. Cette position peut cependant être nuancée dans la

mesure où le pouvoir d’ordonner un huis clos ou d’émettre une ordonnance de non-

publication semble pourtant être reconnu aux commissions d’enquête elles-mêmes346.

2.1.4 La suspension de la prescription

Les dispositions permettant de suspendre l’effet de la prescription durant la collecte

constituent un accessoire important qui permet à l’acteur de l’Administration d’avoir le

temps nécessaire pour faire les vérifications requises. Malgré les avantages évidents qu’il

procure, cet accessoire n’a été identifié que dans deux lois parmi celles contenues à

l’échantillon, dont le plus récent date de plus de trente ans347. Dans ces deux cas, la

suspension s’inscrit dans un contexte où l’acteur de l’Administration procède à une

342 Id., par. 37-38, 54-55. 343 Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 318. Voir aussi : Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3, articles 2 et 5. 344 Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC–Lavalin inc., 2013 QCCQ 1018 (appel rejeté, C.A., 06-02-2013, 500-09-023270-135), par. 158-165. 345 L.A. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 80, par. 47-53. 346 Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, par. 171-175. Voir aussi : Gagnon c. Southam Inc., J.E. 89-776 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 23-11-1989, 21566.) (C.A.); J. DEAUDELIN, préc., note 82, p. 217. 347 Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 117, article 76; Loi sur les normes du travail, préc., note 291, article 116.

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107

collecte d’informations pouvant le mener à entamer des procédures pour le compte d’un

administré348.

Dans le premier cas, la disposition adoptée en 1979 prévoit que la prescription est

suspendue pour un délai de six mois à compter de la mise à la poste d’un avis

d’enquête349.

Le deuxième exemple identifié a été adopté trois ans plus tard et donne encore plus de

latitude à l’acteur de l’Administration :

76. La prescription de tout recours civil, portant sur les faits rapportés dans une plainte ou dévoilés par une enquête, est suspendue de la date du dépôt de la plainte auprès de la Commission ou de celle du début de l'enquête qu'elle tient de sa propre initiative, jusqu'à la première des éventualités suivantes:

1° la date d'un règlement entre les parties;

2° la date à laquelle la victime et le plaignant ont reçu notification que la Commission soumet le litige à un tribunal;

3° la date à laquelle la victime ou le plaignant a personnellement introduit l'un des recours prévus aux articles 49 et 80;

4° la date à laquelle la victime et le plaignant ont reçu notification que la Commission refuse ou cesse d'agir.

En suspendant la prescription dès le début de l’enquête ou la réception d’une plainte, et

ce, jusqu’à la prise des procédures ou la fermeture du dossier d’enquête, cette disposition

permet donc à l’acteur de l’Administration de procéder à la collecte des faits sans que cela

ne porte préjudice à ses droits ou à ceux du plaignant.

2.2 - MESURES RÉPARATRICES

Contrairement aux mesures conservatoires, qui visent à imposer le statu quo afin de

limiter les effets de la collecte de l’information ou de l’infraction à la loi, les mesures

réparatrices visent plutôt à permettre à l’acteur de l’Administration d’imposer l’application

de la loi et le retour à la conformité à l’occasion de son intervention.

348 Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 117, article 80; Loi sur les normes du travail, préc., note 291, article 113. 349 Loi sur les normes du travail, préc., note 291, article 116.

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108

Parmi les mesures réparatrices observées dans l’échantillon, on compte le pouvoir

d’ordonner la cessation d’une contravention ou la prise de mesures correctrices, le pouvoir

d’effectuer ou d’ordonner des travaux ou la remise en état et, enfin, le pouvoir d’obtenir

l’exécution forcée d’une ordonnance par les tribunaux.

2.2.1 Le pouvoir d’ordonner la cessation d’une contravention ou la prise de mesures

correctrices

Au sein de l’échantillon, quatre habilitations bénéficiant d’un pouvoir d’ordonner la

cessation d’une infraction ont été identifiées. Dans trois de ces quatre cas, les dispositions

mettant en place un tel pouvoir, adoptées entre 1978 et 2010, prévoient simplement la

possibilité pour l’acteur de l’Administration d’ordonner la cessation de la contravention

reprochée350, l’acte reproché351 ou les activités exercées sans droit352.

La Loi sur la santé publique contient une disposition plus spécifique à l’objet de la loi, en

prévoyant que les directeurs de la santé publique peuvent « ordonner la cessation d'une

activité ou la prise de mesures de sécurité particulières si c'est cette activité qui est une

source de menace pour la santé de la population » 353.

On constate cependant que ce type d’ordonnance semble superfétatoire dans la mesure

où tout administré doit respecter la loi. Ainsi, un administré est généralement déjà tenu de

mettre fin à une contravention sans qu’il lui soit ordonné de le faire. L’ordonnance de

cesser une contravention semble faire plutôt office de préavis adressé à l’administré à

l’effet que l’acteur de l’Administration considère qu’il y a infraction à la loi. En effet, tel qu’il

sera exposé à la section 2.2.3 de la présente partie, chacune des habilitations jouissant

d’un pouvoir d’ordonner la cessation d’une contravention se voit aussi octroyer le pouvoir

d’obtenir l’exécution forcée d’une ordonnance par les tribunaux.

À l’opposé, d’autres habilitations jouissent plutôt du pouvoir d’ordonner des mesures

spécifiques permettant de corriger des problématiques identifiées354 et liées à l’objet de la

350 Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 14. 351 Loi sur la protection de la jeunesse, préc., note 171, article 25.2. 352 Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 68. 353 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 106. 354 Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, préc., note 324, par. 228.

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loi355. Les dispositions mettant en place un tel pouvoir peuvent ouvrir la porte à une grande

diversité de mesures, pouvant aller jusqu’à la démolition complète d’un édifice dans

certaines circonstances356.

Le plus vieil exemple de ce type de pouvoir identifié à l’échantillon a été adopté en 1979

dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail357. L’article 182 de cette loi fait l’objet d’un

contentieux important à l’occasion duquel la Commission des lésions professionnelles a

considéré que le pouvoir d’émettre un avis de correction constitue une mesure moins

préjudiciable que l’ordonnance d’arrêt des activités et qui permet « de répondre à des

situations moins urgentes ou de moindre gravité »358.

La Commission des lésions professionnelles conclut aussi que les mesures ordonnées

n’ont pas à correspondre à des normes définies359 et, dans une certaine mesure,

pourraient même viser un tiers plutôt qu’un administré directement visé par la loi360.

Les dispositions octroyant le pouvoir d’ordonner des mesures correctrices varient

cependant quant au libellé utilisé. Ainsi, parmi les neuf dispositions identifiées dans

l’échantillon de lois, on retrouve les pouvoirs suivants :

le pouvoir d’exiger des mesures corrigeant certaines non-conformités et de fixer le

délai pour les effectuer361;

le pouvoir d’exiger des mesures correctives déterminées362;

le pouvoir d’exiger des mesures correctives déterminées et de fixer le délai pour

les effectuer363;

355 P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 20, p. 159. 356 9175-7468 Québec inc. c. Montréal (Ville de), 2015 QCCA 811, par. 32-34, 46-47, 71-74. 357 Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, articles 182 et 217. 358 9282-4614 Québec inc. et CPQMC international, préc., note 323, par. 20-21; 9182-9119 Québec inc. et CPQMC international, préc., note 323, par. 46-47. Voir aussi : Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité du travail, préc., note 323, par. 53. 359 Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, préc., note 324, par. 749-750; Société de transport de Montréal (gestion du patrimoine) et Association accréditée de la Société de transport de Montréal, 2010 QCCLP 7240 (requête en révision rejetée, C.L.P., 04-04-2011, 377010-71-0905-R et 377010-71-0905), par. 71. 360 Collège d'enseignement général et professionnel Bois-de-Boulogne et Éco-Centre l'Acadie, [2002] C.L.P. 192 (requête en révision judiciaire rejetée, C.S., 17-01-2003, 500-05-073290-023), par. 40-42, 54-57. 361 Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, article 182; Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance, préc., note 54, article 74. 362 Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, article 217; Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 65.

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110

le pouvoir d’exiger des mesures correctives temporaires364;

le pouvoir d’ordonner de prendre les mesures énumérées dans la loi365;

à la fois le pouvoir d’ordonner de prendre les mesures énumérées dans la loi, le

pouvoir d’ordonner de respecter des directives et celui d’exiger toute autre

mesure366.

Soulignons au passage la forme peu commune que prend l’article 25.2 de la Loi sur la

protection de la jeunesse : « La Commission peut recommander la cessation de l'acte

reproché ou l'accomplissement, dans le délai qu'elle fixe, de toute mesure visant à corriger

la situation. ». À la lecture de cette disposition seule, la Commission des droits de la

personne et de la jeunesse ne peut donc que recommander des mesures correctrices qui,

selon le sens usuel des mots, ne seraient pas obligatoires. Néanmoins, ces

recommandations prennent un caractère contraignant à la lecture de l’article 25.3 de cette

même loi, lequel spécifie que la Commission peut saisir le tribunal lorsque sa

recommandation n’a pas été suivie dans le délai imparti.

La diversité des libellés crée une certaine confusion dans l’interprétation de ces pouvoirs

et de leur portée. Par exemple, les mentions expresses de la possibilité de fixer un délai

dans certains cas pourraient signifier que les autres libellés ne permettent pas de fixer un

tel délai. Or, si tel était le cas, la contrainte résultant d’une telle ordonnance devient

rapidement théorique.

De même, le fait que certaines dispositions habilitent spécifiquement à déterminer les

mesures à prendre emporterait l’impossibilité de le faire dans les autres cas. Telle semble

être l’interprétation de la Commission des lésions professionnelles en ce qui concerne

l’article 182 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, lequel permet à l’inspecteur de la

CSST d’enjoindre un employeur à se conformer à la loi, tout en lui laissant le choix des

moyens367. Dans ces circonstances, le pouvoir d’ordonner des mesures correctrices

devient comparable au pouvoir d’ordonner la cessation d’une contravention.

363 Loi sur la protection de la jeunesse, préc., note 171, article 25.2. 364 Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, préc., note 54, article 76. 365 Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 14; Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 205. 366 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 106. 367 Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, préc., note 324, par. 927.

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111

À l’opposé, la Cour d’appel du Québec a cependant reconnu que l’acteur de

l’Administration, même s’il était habilité à dicter des mesures précises, n’était pas tenu de

le faire. À ce propos, la Cour écrit :

Le second volet est aussi facile à comprendre et à exécuter. À défaut par l'intimé de donner au bâtiment une vocation agricole, il devra dans un délai de deux mois remettre le lot visé dans son état antérieur. Le résultat dans ces circonstances ne peut être obtenu que par le déménagement ou la démolition des travaux déjà exécutés. Il laisse à l'intimé le choix de la solution.

Quant à la modification de la vocation du bâtiment, ce sera, en temps et lieu, une question d'appréciation des faits, comme dans tous les autres cas où une partie invoque le manquement à une injonction et prétend à outrage. Il appartiendra alors à la Cour supérieure, compte tenu de la preuve administrée par les parties, de déterminer la présence de contravention à la loi, à l'ordonnance de la Commission et à l'injonction de la Cour supérieure. […]368

De plus, l’acteur de l’Administration conserverait une grande discrétion dans le choix des

mesures correctrices qu’il impose à l’administré. Ainsi, dans une affaire où la Commission

de protection du territoire agricole avait ordonné la destruction de bâtiments dérogatoires,

le juge Théroux de la Cour du Québec écrit :

[81] Il ressort de l'étude des précédents soumis par les appelants qu'il n'existe aucune règle jurisprudentielle contraignante permettant d'affirmer, comme ils le plaident, qu'une ordonnance de démolition ou de déplacement de bâtiments dérogatoires et de remise en état des lieux est abusive et déraisonnable lorsqu'il pourrait être possible d'utiliser le tout en lui donnant une vocation agricole, si ténue soit-elle.

[…]

[88] Vu la législation applicable et l'état du droit sur la question, la simple prétention voulant qu'il soit éventuellement possible de transformer les bâtiments dérogatoires et leur donner une éventuelle vocation de remisage de matériel agricole est insuffisante, à elle seule, pour enrayer les pouvoirs confiés par la loi à la Commission et au TAQ d'en ordonner la démolition ou le déplacement.

[89] Adhérer à l'argumentation soumise par les appelants équivaudrait à accepter à l'avance de neutraliser les pouvoirs de l'art. 14 LPTAA à chaque fois qu'on prétendrait que des constructions, bâtiments ou aménagements dérogatoires peuvent être convertis en une vocation agricole.

[90] Soit dit avec égards, c'est plutôt cette position qui apparaît déraisonnable.369

368 Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Houle, J.E. 99-2286 (C.A.), p. 5. 369 Bernier c. Tribunal administratif du Québec (Section du territoire et de l'environnement), 2011 QCCQ 16094, par. 81, 88-90.

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112

2.2.2 Le pouvoir d’effectuer des travaux ou la remise en état

Le pouvoir d’effectuer des travaux ou la remise en état permet à l’acteur de

l’Administration de prendre lui-même les mesures nécessaires pour remédier à la

contravention à la loi. Ce pouvoir a été retrouvé pour quatre habilitations parmi celles

contenues à l’échantillon sous étude.

Dans la majorité des cas, ces habilitations agissent à titre de sanction pour la négligence

de l’administré à remédier à la situation. Les dispositions les plus récentes, adoptées dans

les années 2000, permettent directement à l’acteur de l’Administration d’effectuer les

travaux requis à défaut par l’administré de prendre les mesures correctives ordonnées par

cet acteur370. À titre de comparaison, la Loi sur la protection du territoire et des activités

agricoles exige plutôt un recours préalable aux tribunaux avant d’effectuer de tels

travaux371. Néanmoins, dans chacun des cas où le pouvoir d’effectuer des travaux ou la

remise en état s’inscrit comme sanction à la négligence de l’administré, les dispositions

habilitantes spécifient que ces travaux sont effectués aux frais de l’administré. La Loi sur

la protection du territoire et des activités agricoles se distingue aussi sur cet aspect alors

que l’article 84 de cette loi permet à l’acteur de l’Administration de publier au registre

foncier un avis dont l’inscription constitue une hypothèque légale en faveur du

gouvernement.

L’étude des lois contenues à l’échantillon a cependant permis d’identifier un cas où le

pouvoir d’exécuter des travaux doit être exercé précisément à l’occasion de la collecte

d’information. L’article 119 de la Loi sur la qualité de l’environnement prévoit :

119. Tout fonctionnaire autorisé à cette fin par le ministre peut, à tout moment raisonnable, pénétrer sur un terrain, dans un édifice, y compris une maison d'habitation, dans un véhicule ou sur un bateau afin de consulter des livres, registres et dossiers ou d'examiner les lieux aux fins de l'application de la présente loi ou de ses règlements.

[…]

Le fonctionnaire peut aussi à cette occasion: […]

370 Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance, préc., note 54, article 74; Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 65. 371 Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, articles 85-86.

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2° faire ou faire faire toute excavation ou tout forage nécessaire en tout lieu;372

Le pouvoir mis en place par cet article, bien qu’il permette a priori d’exiger une grande

diversité de travaux, semble cependant avoir un objectif précis se limitant aux travaux

nécessaires afin de permettre l’accès à l’information recherchée.

2.2.3 Le pouvoir d’obtenir l’exécution forcée d’un pouvoir de contrainte par les tribunaux

L’étude des lois contenues à l’échantillon a révélé huit habilitations jouissant d’une

disposition permettant expressément le recours aux tribunaux afin d’obtenir l’exécution

forcée d’un pouvoir de contrainte de l’acteur de l’Administration.

La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles fournit l’exemple le plus

ancien de ce type de disposition, mais pourtant l’un des plus complets373. Adopté en 1978,

l’article 85 de cette loi établit d’abord la possibilité pour l’acteur de l’Administration

d’obtenir d’un juge de la Cour supérieure une ordonnance enjoignant l’administré à se

conformer à l’ordonnance émise contre lui par l’Administration. L’article 86 précise qu’à

l’occasion de cette ordonnance, la Cour supérieure peut autoriser l’acteur de

l’Administration à exécuter lui-même les travaux et, tel que spécifié dans la section

précédente, à inscrire un avis au registre foncier dont l’inscription constitue une

hypothèque légale en faveur du gouvernement.

À l’opposé, la Loi sur la protection de la jeunesse contient une disposition particulièrement

générale afin d’habiliter l’acteur de l’Administration à recourir aux tribunaux, prévoyant

simplement que « La Commission peut saisir le tribunal lorsque sa recommandation n'a

pas été suivie dans le délai imparti ». Cette disposition, adoptée en 1984, ne fournit donc

aucune précision quant à l’instance qui peut être saisie ni sur la nature des conclusions

qui peuvent être recherchées.

Les six autres habilitations identifiées se voient octroyer le pouvoir de s’adresser aux

tribunaux par le biais de dispositions adoptées près de vingt ans plus tard, à compter de

2001. Ces dispositions sont relativement uniformes, permettant de s’adresser à une

372 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119. 373 Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, articles 85-86.

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instance déterminée afin d’obtenir, selon le cas, une ordonnance de se conformer374,

toute ordonnance appropriée375 ou les deux376.

Le libellé de l’article 39.2 de la Loi sur l’administration fiscale, qui est identique à celui de

l’article 39 de la Loi sur les biens non réclamés, présente cette particularité qu’il prévoit

jusqu’à la procédure d’appel des décisions rendues par les tribunaux saisis par l’acteur de

l’Administration :

39.2 […] L'ordonnance peut faire l'objet d'un appel devant la Cour d'appel, avec la permission d'un juge de cette cour.

Toutefois, l'appel n'a pas pour effet de suspendre l'exécution de l'ordonnance, sauf si le juge saisi de l'appel en décide autrement. Ce jugement est sans appel.

Saisi d’une demande d’exécution forcée d’une ordonnance émise par un acteur de

l’Administration, le tribunal doit s’assurer de la légalité de l’ordonnance dont on lui

demande de forcer l’exécution377. Ainsi, le tribunal pourra refuser d’accorder les

conclusions demandées s’il juge que l’ordonnance d’origine était abusive378.

Le statut du pouvoir d’obtenir l’exécution forcée d’une ordonnance par les tribunaux

présente cependant une certaine confusion. D’une part, l’existence d’une disposition

prévoyant un tel pouvoir empêche l’acteur de l’Administration de se prévaloir d’un autre

recours :

Le Législateur a prévu spécialement que la Commission puisse rendre des ordonnances pour faire cesser des violations à la Loi. La Cour n'est pas prête à se substituer à la Commission pour rendre des ordonnances que cette dernière a le pouvoir d'émettre pour l'unique motif que la Commission s'éviterait de devoir recourir à l'article 85 de la Loi. Si, par contre, la Commission, par la présente requête, recherche la mise en force de son ordonnance, elle doit recourir aux formalités prévues à l'article 85 de la Loi et non pas utiliser le présent recours.379

374 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 110; Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, préc., note 108, article 68. 375 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 105. 376 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 39.2; Loi sur les biens non réclamés, préc., note 84, article 39. 377 Berger c. Agence du revenu du Québec, préc., note 86, par. 51-59; Agence du revenu du Québec c. Azran, 2014 QCCQ 12449. 378 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 6217125 Canada inc., préc., note 89, par. 30-32. 379 Commission de protection du territoire agricole du Québec c. R. Racicot Ltée, J.E. 85-43 (C.S.), p. 6-8.

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115

D’autre part, on retrouve dans la jurisprudence d’autres exemples où un tribunal accepte

de forcer l’exécution d’un pouvoir de contrainte même en l’absence de disposition

habilitante, lorsque l’intervention du tribunal semble nécessaire :

[37] Les faits allégués à la requête et à la déclaration sous serment du syndic adjoint devaient être tenus pour avérés par le juge Blanchet. Or, ceux-ci justifiaient la mise en œuvre d'une enquête disciplinaire et permettaient au juge Blanchet de conclure raisonnablement qu'il s'agissait d'un de ces cas exceptionnels où une ordonnance d'assistance s'avérait nécessaire pour préserver l'accès à des documents pertinents dont un syndic peut exiger la remise sur simple demande. On ne saurait prétendre que le juge a alors abusé de sa discrétion ou commis une erreur révisable dans son évaluation de la preuve afin de conclure qu'il était en présence d'un cas justifiant une telle ordonnance.380

Néanmoins, bien que l’absolue nécessité d’une habilitation ne soit pas démontrée, il n’en

demeure pas moins qu’une habilitation claire semble orienter le débat sur la légalité de la

contrainte exercée, tel qu’exposé plus haut, plutôt que sur l’absolue nécessité de

l’ordonnance recherchée, laissant peut-être ainsi une plus grande liberté d’action à

l’Administration.

2.3 - SANCTIONS

Se distinguant des sections précédentes, les dispositions étudiées dans cette section sont

de nature punitive (et non pénale) plutôt que conservatoire ou réparatrice. Les pouvoirs

décrits ici visent donc à décourager la désobéissance aux pouvoirs de contrainte des

acteurs de l’Administration en mettant en place des sanctions généralement de nature

purement pécuniaire.

Les dispositions de ce type se divisent en deux grandes catégories obéissant à des règles

distinctes soit, d’une part, l’interdiction d’entraver et, d’autre part, les sanctions prévues à

la LCE.

2.3.1 L’interdiction d’entraver

L’interdiction d’entraver est le type de disposition le plus courant parmi tous les pouvoirs et

accessoires présentés dans le cadre de ce mémoire. Plus de la moitié des habilitations

380 Gauthier c. Guimont, préc., note 178, par. 37. Voir aussi : Protection de la jeunesse — 106300, 2010 QCCQ 14875, par. 11-12. Contra : Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 25, 55; Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), préc., note 105, par. 59-60.

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étudiées, soit 123 sur 216, sont visées par une disposition interdisant l’entrave. Des deux

plus anciennes habilitations répertoriées dans l’échantillon, soit les pouvoirs d’enquête381

et d’inspection382 de la Loi sur l’instruction publique pour les autochtones cris, inuits et

naskapis, l’une d’entre elles prévoyait déjà une interdiction d’entraver en 1899. Ainsi, lors

de son adoption, l’article 29 de cette loi se lisait :

L’inspecteur d’écoles peut obliger les secrétaires-trésoriers et les instituteurs sous son contrôle de lui communiquer les documents confiés à leur garde se rapportant à leurs fonctions, sous peine d’une amende de huit piastres pour chaque refus ou négligence.383

Un grand nombre d’habilitations visées par ce type d’interdiction a été adopté au fil des

décennies suivantes, tel qu’il appert du tableau suivant :

TABLEAU XVII : Interdictions d’entraver mises en place, par décennie

Décennie Nouvelles habilitations visées

1890-1899 1

1900-1909 2

1910-1919 -

1920-1929 1

1930-1939 -

1940-1949 -

1950-1959 -

1960-1969 -

1970-1979 36

1980-1989 18

1990-1999 18

2000-2009 32

2010-2015 (juin) 16

L’augmentation du nombre d’habilitations visées par une interdiction d’entraver est

particulièrement importante durant les années 70, alors que le nombre de nouvelles

habilitations visées par cette interdiction était deux fois plus élevé que le nombre de

381 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 14. 382 Id., articles 25, 29 et 30. 383 Loi de l'instruction publique, L.Q. 62 Vict., c. 28, article 81.

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nouvelles habilitations jouissant du pouvoir de demander des documents ou des

renseignements, tel que le démontre le graphique suivant :

FIGURE IV : Comparaison des dates d'adoption de certains pouvoirs et de l’interdiction

d’entraver, par décennie

Cette situation n’est peut-être pas étrangère au fait qu’on retrouve dans certaines lois une

interdiction d’entraver au profit d’une habilitation qui ne jouit par ailleurs d’aucun pouvoir

de contrainte384. Ces situations ne sont pas sans créer une certaine confusion dans

l’interprétation de ce qui constitue une entrave dans ce contexte.

Les sources de confusion sont d’ailleurs multiples à l’occasion d’une étude comparative

des différentes interdictions d’entraver puisque plus d’une cinquantaine de libellés

différents ont été retrouvés parmi les 123 habilitations jouissant d’une telle interdiction.

Ces libellés sont d’une grande variété, allant du plus simple (« Il est interdit d'entraver une

vérification. »385) au plus complexe :

187. Commet une infraction toute personne qui entrave de quelque façon l'action d'une personne autorisée à exercer des pouvoirs prévus à la présente loi ou celle

384 Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21; Loi sur le régime des rentes du Québec, préc., note 231, article 31; Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, préc., note 31, article 16.3. 385 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, préc., note 147, article 331.2.

1960-1969

1970-1979

1980-1989

1990-1999

2000-2009

2010-2015(juin)

Exiger desdocuments/renseignements

3 18 22 20 34 11

Entrer dans un lieu 0 7 12 12 20 6

Interdiction d'entraver 0 36 18 18 32 16

0

5

10

15

20

25

30

35

40

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d'une personne autorisée par la municipalité à exercer des pouvoirs d'inspection aux fins de vérifier l'application de la présente loi, l'empêche de faire des fouilles ou des travaux d'expertise, notamment de prendre des échantillons, des photographies ou des enregistrements de lieux et de biens qu'elle a le droit de prendre, lui fait une fausse déclaration, ne lui prête pas assistance ou ne lui fournit pas un renseignement, un document ou une copie d'un document ou une chose qu'elle a le droit d'exiger ou d'examiner. […]386

Au fil des différents libellés, l’interdiction d’entraver a donc été associée à une ou plusieurs

autres interdictions qui visent vraisemblablement à s’assurer de donner à la disposition

toute la portée voulue. Parmi ses interdictions additionnelles, il est notamment interdit de :

1- Tenter d’entraver387;

2- Tromper par réticence, déclarations fausses ou mensongères388;

3- Faire de fausses déclarations389;

4- Mettre obstacle390;

5- Induire en erreur391;

6- Refuser de fournir un document ou renseignement392;

7- Refuser de laisser prendre copie393;

8- Refuser de donner accès394;

9- Cacher ou détruire un document ou un bien utile395;

10- Empêcher de faire des fouilles ou des travaux d’expertise396;

11- Ne pas prêter assistance397;

12- Négliger d’obéir à un ordre398;

13- Détériorer ou laisser se détériorer une affiche dont l’installation a été ordonnée399.

386 Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 387 À titre d’exemple : Loi sur les assurances, préc., note 96, article 406. 388 À titre d’exemple : Loi sur l'aide aux personnes et aux familles, préc., note 313, article 125; Loi sur le cinéma, préc., note 65, article 179. 389 À titre d’exemple : Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 390 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 194. 391 À titre d’exemple : Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, préc., note 95, article 311. 392 À titre d’exemple : Loi sur la protection du consommateur, préc., note 32, article 307. 393 À titre d’exemple : Loi sur l'instruction publique, préc., note 29, article 30. 394 À titre d’exemple : Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 139. 395 À titre d’exemple : Loi sur les mines, préc., note 330, article 252. 396 À titre d’exemple : Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 397 À titre d’exemple : id., article 187. 398 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 121. 399 À titre d’exemple : id., article 121.

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Tel que mentionné plus haut, les plaideurs, ou même les décideurs, présentent parfois un

argumentaire fondé sur un raisonnement a contrario afin de déterminer la portée d’un

pouvoir de contrainte ou d’un accessoire400. Ainsi, appliquant le principe d’interprétation

selon lequel « le législateur ne parle pas pour ne rien dire »401, ils en viennent à la

conclusion que si le législateur a ajouté une mention spécifique dans une loi, c’est qu’il

considère que cet élément n’est pas déjà inclus dans un libellé plus général. Appliquant

une telle logique en matière d’interprétation de l’interdiction d’entraver, force est de

constater que l’interdiction d’entraver seule n’aurait que bien peu d’effet. En fait, un

exercice créatif important est requis pour trouver ce qui est couvert par l’interdiction

d’entraver seule en excluant toute les interdictions additionnelles qui y sont jointes dans

une loi ou une autre.

Outre le cumul de l’interdiction d’entraver et d’interdictions additionnelles, plusieurs

dispositions interdisent des actes spécifiques qui, en soi, constituent déjà une entrave. On

retrouve par exemple dans l’échantillon des interdictions de participer ou consentir à une

déclaration fausse402, d’omettre de fournir un document403, de faire défaut de

comparaitre404, de ne pas respecter des délais405, d'inciter une personne détenant des

renseignements à ne pas collaborer ou de ne pas autoriser cette personne à divulguer des

renseignements406.

Cette grande variété de libellés est aussi la source d’un grand nombre de variantes dans

le vocabulaire et les expressions utilisées, dont il s’avère parfois ardu de déterminer

l’impact. On compte notamment les exemples suivants :

1- Certaines dispositions précisent qu’il est interdit d’entraver « de quelque façon que

ce soit »407;

400 9175-7468 Québec inc. c. Montréal (Ville de), préc., note 356, par. 46-47; L.A. c. Régie de l'assurance maladie du Québec préc., note 80, par. 51-52; Coutu c. Tribunal des professions, 2010 QCCS 6076 (appels accueillis, C.A., 10-12-2012, 500-09-021277-108 et 500-09-021281-100), par. 72-74; Terjanian c. Ayotte, préc., note 59, par. 8, 13, 36-40. 401 Loi d'interprétation, préc., note 64, article 41.1; P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 318-320; L. LAUZIÈRE, préc., note 64, p. 21; R. c. Barnier, préc., note 64, p. 1135. 402 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'énergie, préc., note 46, article 47. 403 À titre d’exemple : Loi sur l'équité salariale, RLRQ, c. E-12.001, article 115. 404 À titre d’exemple : Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 195. 405 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 115.23. 406 À titre d’exemple : Code des professions, préc., note 58, article 114. 407 À titre d’exemple : Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 43.

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2- Certaines dispositions interdisent de transmettre un renseignement faux ou

mensonger408, alors que d’autres interdisent de transmettre un renseignement faux

ou trompeur409;

3- Certaines dispositions interdisent d’entraver l’acteur de l’Administration410, alors

que d’autres interdisent d’entraver l’action de cet acteur411;

4- Selon le cas, certaines dispositions interdisent de mettre obstacle412, de faire

obstacle413, de nuire414 ou de gêner415;

5- Certaines dispositions interdisent de refuser d’obéir416, alors que d’autres

interdisent de négliger d’obéir417;

6- Certaines dispositions interdisent de faire de fausses déclarations418, alors que

d’autres interdisent de tromper par de fausses déclarations419.

Un esprit attentif pourra facilement identifier ou concevoir de fines distinctions dans la

portée des interdictions en fonction du libellé utilisé. Cependant, dans la mesure où ces

dispositions visent vraisemblablement toute une fin commune, il est difficile de se

convaincre que ces distinctions reflètent bel et bien une intention particulière du

législateur.

Au travers de cette variété de libellés, il est possible d’identifier deux grands objectifs

généralement visés par ces dispositions, soit interdire une réticence (l’absence de réponse

étant assimilable à une réticence) ou interdire la transmission d’information fausse. Dans

la grande majorité des cas (107 sur 123), les libellés utilisés couvrent ces deux objectifs.

408 À titre d’exemple : Loi sur Héma-Québec et sur le Comité de biovigilance, RLRQ, c. H-1.1, article 31.3. 409 À titre d’exemple : Loi sur l'assurance automobile, RLRQ, c. A-25, article 83.24. 410 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21. 411 À titre d’exemple : Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 19. 412 À titre d’exemple : Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 194. 413 À titre d’exemple : Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ, c. P-2.2, article 57. 414 À titre d’exemple : Loi sur les pesticides, préc., note 121, article 81. 415 À titre d’exemple : Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, préc., note 69, article 87. 416 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21. 417 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 121. 418 À titre d’exemple : Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 419 À titre d’exemple : Loi sur le cinéma, préc., note 65, article 179.

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Une étude attentive révèle cependant que les libellés les plus anciens se limitent à

interdire les réticences420.

Selon le sens usuel des mots, il semble d’ailleurs que la notion d’entrave soit, en elle-

même, assez large pour couvrir le cas de la transmission de renseignements faux. Cela

semble cependant ne pas avoir été suffisant dans certains cas où l’interdiction de

transmettre des informations fausses a été ajoutée après l’interdiction de réticence421. De

plus, certains libellés limitent par eux-mêmes la portée de l’interdiction d’entraver à

certaines situations, par exemple une enquête, une inspection ou une instruction422.

Lorsque vient le temps d’appliquer les dispositions interdisant l’entrave, les tribunaux

veillent d’abord à s’assurer que l’entrave est survenue à l’occasion de l’exercice valide des

pouvoirs de l’acteur de l’Administration423. À cette occasion, ils pourront cependant

adopter une interprétation libérale des pouvoirs que détient l’acteur de l’Administration424

et de ce qui constitue une entrave. Ainsi, ont été considérées comme une entrave la

transmission de documents caviardés425, l’utilisation d’artifices légaux426 ou l’imposition par

l’administré de conditions à son obtempération à la contrainte427. Par ailleurs, agir sur les

conseils d’un avocat428 ou refuser de donner accès pour des raisons de sécurité429 n’ont

pas été considérés comme des défenses suffisantes.

Les conséquences d’une contravention à l’interdiction d’entraver sont généralement de

nature pénale. Dans ces cas, les tribunaux reconnaissent qu’il s’agit d’une infraction de

responsabilité stricte et qu’une preuve de l’intention n’est pas nécessaire430. Il existe

420 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 30; Loi sur les compagnies, préc., note 317, articles 110 et 203. 421 À titre d’exemple : Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 195. 422 À titre d’exemple : Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, préc., note 255, article 160. 423 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Beauchemin, 2015 QCCQ 3941, par. 43-46; Québec (Procureur général) c. Courte, préc., note 56, par. 20-21; Québec (Procureur général) c. Fafard, D.T.E. 2003T-1133 (C.Q.), par. 11. 424 Chartrand c. Coutu, préc., note 311, par, 4, 9, 13-15. 425 Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Groupe Laberge inc., D.T.E. 2004T-916 (C.Q.), par. 6-8. 426 Comité paritaire des agents de sécurité c. Ataev, 2010 QCCQ 3512, par. 72-74. 427 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bergeron, [1999] R.D.F.Q. 81 (C.Q.), p. 10-11. 428 Autorité des marchés financiers c. Fournier, préc., note 102, par. 59-63; Comité paritaire des agents de sécurité c. Beaumier (École de sécurité spécialisée du Québec), 2007 QCCQ 11294, par. 60-63. 429 Québec (Procureur général) c. Fafard, préc., note 423, par. 9. 430 Id., par. 12; Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bergeron, préc., note 427, p. 10.

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122

cependant des exceptions à ce principe lorsque la disposition précise que l’administré doit

entraver sciemment et lorsqu’il est question de la transmission de renseignements faux431.

La preuve d’intention a aussi été requise pour une infraction consistant à avoir consenti ou

acquiescer à une entrave432. Sur déclaration de culpabilité, la peine imposée varie

grandement d’une loi à l’autre, allant de huit dollars433 à 180 000 $ dans certains cas434.

Outre les infractions pénales, les lois contenues à l’échantillon peuvent prévoir l’imposition

de sanctions administratives pécuniaires à la suite d’une entrave435 ou, dans certains cas,

l’interdiction d’entraver ne semble être accompagnée d’aucune sanction dans la loi

prévoyant cette interdiction436.

2.3.2 Loi sur les commissions d’enquête

Tel que mentionné dans la partie I, 104 habilitations pour lesquelles ont été attribués les

pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la LCE ont été répertoriées dans

l’échantillon de lois. La principale sanction d’un refus d’obéir à un ordre donné en vertu de

cette loi est l’outrage au tribunal. Les articles les plus pertinents de la LCE à ce sujet sont

les suivants :

11. Quiconque refuse de prêter serment lorsqu'il en est dûment requis, ou omet ou refuse, sans raison valable, de répondre suffisamment à toutes les questions qui peuvent légalement lui être faites, ou de témoigner en vertu de la présente loi, commet un outrage au tribunal et est puni en conséquence.

[…]

12. Si quelqu'un refuse de produire, devant les commissaires, les papiers, livres, documents ou écrits qui sont en sa possession ou sous son contrôle, et dont les commissaires jugent la production nécessaire, ou si quelqu'un est coupable d'outrage à l'égard des commissaires ou de leurs fonctions, les commissaires peuvent procéder sur cet outrage de la même manière que toute cour ou tout juge en semblables circonstances.

431 Latulippe c. Desruisseaux, J.E. 86-476 (C.A.), p. 7-9; Vallée c. Contrôleur des armes à feu, 2011 QCCQ 11948, par. 142-148. 432 Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bibeau, J.E. 2000-2182 (C.A.), par. 4. 433 Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, préc., note 43, article 30. 434 Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 487. 435 À titre d’exemple : Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 115.23. 436 À titre d’exemple : Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21.

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L’octroi des pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la LCE emporte avec lui la

possibilité d’appliquer les sanctions qui y sont prévues, dont le pouvoir de punir pour

outrage au tribunal437. L’acteur de l’Administration jouissant des pouvoirs d’un

commissaire nommé en vertu de la LCE peut donc condamner un administré aux

sanctions prévues à l’ancien Code de procédure civile, dont l’emprisonnement438. Des

limites à l’exercice de ce pouvoir ont cependant été mises en place tant par les tribunaux

que par le législateur.

Dans un premier temps, la jurisprudence a clairement reconnu que le pouvoir de punir

pour outrage au tribunal qui est conféré en vertu de la LCE se limite aux outrages commis

en la présence de l’acteur de l’Administration. À ce propos, le juge Beetz de la Cour

suprême du Canada écrit :

Il me paraît donc juste de conclure que la jurisprudence anglo-canadienne relative au pouvoir de punir un outrage commis ex facie curiae est une jurisprudence fixée qui date de plus de deux cents ans. Cette jurisprudence veut que ce pouvoir relève de la juridiction exclusive des cours supérieures.

Une telle règle d’ailleurs se justifie en principe par les considérations suivantes. Le pouvoir de punir un outrage commis ex facie est susceptible de donner lieu à des enquêtes qui risquent d’entraîner un tribunal inférieur dans des domaines pratiquement impossibles à définir en termes de juridiction et complètement étrangers à celui de sa juridiction propre laquelle, par hypothèse, est limitée. Cet obstacle ne se retrouve pas dans le cas d’une cour comme la Cour supérieure qui est un tribunal de droit commun, (art. 31 C.p.c.) dont la juridiction est une juridiction de principe, ou de cours qui siègent en appel des décisions de la Cour supérieure et peuvent généralement rendre des décisions que celle-ci aurait dû rendre. Au surplus, le pouvoir de punir un outrage commis ex facie se rattache nécessairement au pouvoir de contrôle et de surveillance que seule une cour supérieure peut exercer sur les tribunaux inférieurs. […]

Le pouvoir de condamner pour un outrage commis ex facie, lui, ne fait pas partie intégrante des fonctions d’enquête de la Commission et n’en constitue pas un accessoire nécessaire: c’est un pouvoir distinct, plus étendu que l’ensemble des pouvoirs principaux de la Commission et qui lui permettrait de faire à quelqu’un un procès complet, différent de l’enquête, pouvant n’avoir aucun rapport avec elle et se

437 Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, préc., note 114, p. 645-647; Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gaboury, J.E. 2002-1368 (appels rejetés, C.A., 24-03-2004, 500-09-012442-026 et 500-09-012460-028) (C.S.), par. 13. Voir aussi : J. DEAUDELIN, préc., note 82, p. 212; RAYMONDE CRÊTE, «L'enquête publique et le pouvoir de condamnation pour outrage au tribunal», (1978) 19 C.deD. 859, p. 862. 438 Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, préc., note 114, p. 645-647; Dubois c. Commission de police du Québec, [1977] C.A. 28, p. 33; Boisbriand (Ville de) c. Québec (Procureur général), J.E. 93-514 (C.S.), p. 25; R. CRÊTE, préc., note 437, p. 862, 864.

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soldant à la fin, non pas par une recommandation, mais par un jugement exécutoire.439

Dans le cas d’un outrage au tribunal hors la présence de l’acteur de l’Administration, la

condamnation pour outrage au tribunal devra provenir d’une cour supérieure, par le biais

d’une assignation spéciale à comparaitre440.

Il existe par ailleurs une certaine controverse quant à l’objectif qui peut être poursuivi par

l’acteur de l’Administration lorsqu’il impose une peine pour outrage au tribunal. La

jurisprudence majoritaire semble cependant rejeter la possibilité de condamner pour

outrage à des fins purement punitives, limitant l’usage de ce pouvoir à des fins de

coercition :

Il convient également de noter que, dans l’affaire Appel, au lieu de condamner le témoin à une longue période d’emprisonnement, le juge Hand a prononcé seulement une sentence de dix jours en ajoutant: [TRADUCTION] « À la fin de cette période il aura à comparaître devant le commissaire pour voir s’il peut raconter une histoire qui ne soit pas aussi manifestement fausse. La question pourra alors être soulevée de nouveau pour un nouvel examen». Cette manière d’agir envers un témoin récalcitrant a l’avantage de bien marquer qu’il s’agit d’un emprisonnement imposé pour contraindre le témoin à se soumettre à l’autorité du tribunal et non pas d’une punition déguisée pour des infractions dont il n’a pas été déclaré coupable par la juridiction répressive.

Je tiens à réitérer l’observation que j’ai faite dans l’affaire Di lorio et Fontaine c. Le gardien de la prison. Bien que le Code ne le mentionne pas expressément, il me semble que le principe énoncé par le juge Vaughan Williams dans Re Armstrong s’appliquerait et que l’emprisonnement devrait cesser ex debito justitiae dès que la personne incarcérée accepterait de se conformer à l’ordonnance du tribunal, tout comme la peine peut être imposée derechef tant que l’outrage persiste.441

Bien que la possibilité de punir pour outrage au tribunal semble aller de soi lors d’un refus

de répondre, la possibilité de sanctionner des réponses trop évasives ou fausses soulève

quelques questions. En effet, la Cour suprême n’a pas reconnu la faculté des acteurs de

439 Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, préc., note 114, p. 638, 640-641. Voir aussi : Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gaboury, préc., note 437, par. 13; J. DEAUDELIN, préc., note 82, p. 212. 440 Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, préc., note 114, p. 638; Agence nationale d'encadrement du secteur financier c. Nadeau, B.E. 2005BE-198 (Appel rejeté, C.A., 24-03-2005, 500-09-015093-040) (C.S.), par. 1-12; Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gaboury, préc., note 237, par. 15-18. 441 Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048, p.1056-1057. Voir aussi : Di Iorio c. Gardien de la prison commune de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, p. 195-196; R. CRÊTE, préc., note 437, p. 873-874. Contra : Dubois c. Commission de police du Québec, préc., note 438, p. 30-32.

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l’Administration exerçant les pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la LCE de

procéder à une « enquête sur l’outrage » au cours de laquelle une preuve pourrait être

produite non pas au bénéfice de la collecte de faits, mais bien pour démontrer l’outrage442.

Les motifs de la Cour suprême dans l’affaire Société Radio-Canada c. Commission de

police du Québec, cités plus haut, militent en faveur de l’incapacité de l’acteur de

l’Administration à procéder à une telle enquête. La Cour suprême a cependant reconnu la

possibilité de sanctionner l’outrage par réponses évasives dans la mesure où ces

réponses, par elles-mêmes, font la preuve de ce qui est reproché443.

Les pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la LCE permettent donc à l’acteur de

l’Administration, dans certains cas, de « se faire justice lui-même » sans avoir à faire appel

aux tribunaux judiciaires. Encore ici, des nuances s’appliquent. Dans l’affaire Trottier, la

conduite faisant l’objet de l’outrage résultait d’une confrontation ayant acquis une

dimension personnelle entre un commissaire et le témoin. La Cour supérieure en vient à la

conclusion que le commissaire était dans l’obligation de se récuser, ce genre de situation

ne lui permettant pas d’être à la fois l’accusateur et un décideur suffisamment impartial444.

De plus, l’accusation portée devra être suffisamment spécifique et préciser la partie du

témoignage qui constitue l’outrage445.

D’autres restrictions ont aussi été mises en place directement par le législateur. Ainsi,

parmi les 104 habilitations jouissant des pouvoirs des commissaires nommés en vertu de

la LCE, 100 habilitations se voient retirer le pouvoir d’imposer une peine

d’emprisonnement. Ce retrait presque systématique du pouvoir d’imposer une peine

d’emprisonnement résulte en grande partie d’une réforme effectuée en 1992 par la Loi

concernant l’application de certaines dispositions du Code de procédure pénale et

modifiant diverses dispositions législatives446. Cette exclusion du pouvoir de l’acteur de

l’Administration d’imposer une peine d’emprisonnement n’empêche cependant pas les

442 Cotroni c. Commission de police du Québec, préc., note 441, p. 1054. 443 Id., p. 1054. 444 Trottier c. Dufault, D.T.E. 94T-779 (C.S.), p. 9-13. 445 Cotroni c. Commission de police du Québec, préc., note 441, p. 1057-1058. 446 Loi concernant l’application de certaines dispositions du Code de procédure pénale et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 1992, c. 61.

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126

tribunaux supérieures d’imposer une peine d’emprisonnement lorsque saisis de cet

outrage447.

D’autres dispositions législatives vont plus loin, soit en excluant complètement le pouvoir

de punir pour outrage au tribunal448, soit en exigeant l’obtention d’une autorisation d’un

tribunal pour ce faire ou en restreignant l’exercice de ce pouvoir à certains acteurs de

l’Administration449.

L’atténuation du pouvoir de punir pour outrage au tribunal est bien souvent compensée

par le chevauchement des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la LCE avec

une interdiction d’entraver450. Ce type de dédoublement a été repéré pour près de la moitié

des habilitations (48) jouissant des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la LCE.

En terminant, la LCE prévoit aussi une autre sanction au défaut de comparaitre, laquelle

est prévue à l’article 10 LCE :

10. Toute personne, à qui une assignation a été signifiée en personne ou en en laissant copie à sa résidence ordinaire, qui fait défaut de comparaître devant les commissaires, aux temps et lieu y mentionnés, peut être traitée par les commissaires de la même manière que si elle était en défaut d'obéir à une citation (subpoena) ou à une assignation légalement émise par une cour de justice

Bien que cette disposition fasse l’objet d’un contentieux beaucoup moins important que

l’outrage au tribunal, le Tribunal des professions, en obiter, en est venu à la conclusion

que cette disposition permet aux acteurs de l’Administration jouissant des pouvoirs d’un

commissaire nommé en vertu de la LCE d’émettre un mandat d’amener lorsqu’une

personne est en défaut de comparaitre451.

447 Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gaboury, préc., note 437, par. 19. 448 Loi sur les coopératives, RLRQ, c. C-67.2, article 178; Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, RLRQ, c. R-10, article 157. 449 Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, articles 240 et 248. Voir aussi : Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gaboury, préc., note 437, par. 13-14. 450 À titre d’exemple : Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 195. 451 Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), préc., note 105, par. 59-60. Voir aussi : J. DEAUDELIN, préc., note 82, p. 212; R. CRÊTE, préc., note 196, p. 665-666.

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127

CONCLUSION

Au terme de cette étude se dresse un portrait de la situation en matière de pouvoir de

contrainte. Comme il fut expliqué en introduction, ce portrait est pris selon un angle

restreint résultant du choix de la LCE comme outil de sélection des lois contenues à

l’échantillon. Il permet donc d’avoir un point de vue précis de certains éléments, mais il est

fort probable que plusieurs autres nuances, innovations ou incohérences existent dans le

vaste domaine de la contrainte administrative et auront échappé complètement à l’œil du

chercheur.

La lecture des soixante-dix-huit lois contenues à l’échantillon a permis d’identifier plus

d’une cinquantaine de types de pouvoirs de contrainte ou d’accessoires attribués à au

moins une des 216 habilitations différentes par des dispositions aux libellés pour le moins

variés.

Il s’agit ici d’une méta-analyse, d’un point de vue macroscopique sur l’univers de la

contrainte en droit administratif, avec ce qu’il a d’imperfections inhérentes. L’objectif était

de dresser un état des lieux de la situation, de constituer un répertoire des pouvoirs et

accessoires existants et de leurs libellés afin de cibler leurs forces, leurs faiblesses et

leurs incohérences. La méthodologie utilisée aura vraisemblablement permis d’atteindre

cet objectif et rend possible de tirer des conclusions tant à l’égard de la nature des

pouvoirs et accessoires dont jouissent les habilitations existantes qu’à l’égard des forces

et faiblesses des méthodes utilisées pour les mettre en place.

Un premier constat qui s’impose est celui de la grande diversité des pouvoirs et

accessoires, mais aussi des méthodes pour les mettre en place. Un premier coup d’œil

aux dispositions pertinentes laisse à penser que les pouvoirs de contrainte sont

généralement uniformes : le pouvoir de contrainte typique étant rédigé sous l’un ou l’autre

des modèles suivants :

1. L’acteur de l’Administration peut :

1o pénétrer, à toute heure raisonnable, dans un lieu où est exercée une activité visée par la loi452;

2o exiger tout renseignement et tout document qu'il estime nécessaire453;

452 60 habilitations comprennent ce pouvoir, dont 44 sous cette forme.

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3° examiner454 et tirer copie455 des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents se rapportant aux activités visées par la loi;

2. Quiconque entrave l’action de l’acteur de l’Administration dans l’exercice de ces pouvoirs commet une infraction et est passible d’une amende d’une somme déterminée456.

3. L’acteur de l’Administration ne peut être poursuivi en justice en raison d'actes officiels accomplis de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions457.

Ou :

1. L’acteur de l’Administration est investi des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement458.

Il s’agit en effet des tendances lourdes révélées par l’étude des lois contenues à

l’échantillon. Elles constituent, en quelque sorte, le « noyau dur » des pouvoirs de

contrainte en droit administratif. Au-delà de ce « noyau dur », l’étude des lois contenues à

l’échantillon n’a pas permis de définir de tendances au point de vue chronologique, et ce,

malgré le nombre important d’exemples répertoriés pour certains pouvoirs ou accessoires.

Trois exceptions sont toutefois à noter :

1. La tendance à favoriser la référence aux pouvoirs d’un commissaire nommé en

vertu de la LCE lorsqu’il s’agit d’habiliter un acteur de l’Administration à procéder

à un interrogatoire459;

2. La tendance à l’uniformisation des dispositions octroyant les pouvoirs d’un

commissaire nommé en vertu de la LCE460;

3. La tendance, relativement plus récente, à prévoir un pouvoir de pénétrer dans un

lieu461.

Ces grandes tendances ne doivent cependant pas obscurcir la grande diversité qu’on

retrouve sous cette uniformité apparente.

453 114 habilitations comprennent ce pouvoir, dont 41 sous cette forme. 454 55 habilitations comprennent ce pouvoir, dont 44 sous cette forme. 455 67 habilitations comprennent cet accessoire, dont 40 sous cette forme. 456 123 habilitations comprennent cet accessoire, dont 14 sous cette forme. 457 104 habilitations comprennent cet accessoire, dont 88 sous cette forme. 458 104 habilitations comprennent ce pouvoir, dont 84 sous cette forme. 459 Voir partie I, section 1.2.1. 460 Voir partie I, section 1.1.2. 461 Voir partie I, section 2.2.1.

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D’une part, au-delà de ces pouvoirs de contrainte et accessoires typiques, l’étude de

l’échantillon a révélé l’existence de plusieurs pouvoirs plus rares dont l’attribution semble

répondre à certains facteurs précis. Certains pouvoirs et accessoires sont limités à

certains domaines d’activités, tel le pouvoir de rechercher et d’amener qu’on ne retrouve

qu’en matière de santé publique462 et de protection de la jeunesse463. Il en est de même de

l’installation d’appareils de mesure, restreint à des activités plus techniques464 et de la

suspension de la prescription, qu’on retrouve uniquement lorsque l’acteur de

l’Administration peut exercer un recours pour l’administré465. Il s’agit là de pouvoirs

supplémentaires, distincts du noyau dur et qui permettent de répondre aux besoins de

l’acteur de l’Administration afin qu’il soit en mesure d’exercer efficacement ses fonctions.

Étant spécifique à certains domaines, l’octroi de ces pouvoirs et accessoires devait

nécessairement passer par une distanciation des libellés les plus usuels, ce qui justifiait

certainement la créativité dont a fait preuve le législateur. Une logique similaire s’applique

à certains pouvoirs qui semblent avoir été conçus sur mesure pour une situation donnée.

Tel est le cas par exemple de la Loi sur la santé publique, qui permet d’exiger d’une

personne qu'elle lui fournisse un échantillon de son sang ou d'une autre substance

corporelle466.

Dans d’autres cas, l’attribution ou non d’un pouvoir ou d’un accessoire semble être

spécifique à un acteur de l’Administration. Tel est le cas de la demande péremptoire467, qui

semble associée à l’Agence du revenu du Québec ou de l’interdiction de communiquer468,

qu’on attribue à l’Autorité des marchés financiers. Ces situations sont indicatrices d’une

tendance des légistes à perpétuer les pouvoirs et accessoires qui sont déjà présents dans

leurs milieux, mais aussi, voire surtout, pourraient être symptomatiques d’une lacune dans

l’échange de connaissances entre les équipes de légistes à travers les différents organes

de l’Administration. Bien que la solution puisse résider dans le caractère partiel de la

462 Loi sur la santé publique, préc., note 35, articles 103, 106, 108 et 109. 463 Loi sur la protection de la jeunesse, préc., note 171, article 35.2. 464 Loi sur le bâtiment, préc., note 121, article 116; Loi sur les pesticides, préc., note 121, article 83; Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 119; Loi sur la santé et la sécurité du travail, préc., note 121, article 180. 465 Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 117, articles 76 et 80; Loi sur les normes du travail, préc., note 291, articles 113 et 116. 466 Loi sur la santé publique, préc., note 35, article 100. 467 Loi sur l'administration fiscale, préc., note 34, article 39; Loi sur les biens non réclamés, préc., note 84, article 35. 468 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, article 14.1; Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 215.

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présente analyse, il semble difficile d’expliquer qu’un pouvoir tel que celui d’émettre une

demande péremptoire n’ait été octroyé qu’à deux reprises, le deuxième exemple étant

adopté trente-neuf ans après le premier dans une loi dont l’application relève du même

acteur de l’Administration.

La diversité des pouvoirs et accessoires se révèle aussi à travers la façon de les mettre en

place. L’étude de l’échantillon aura permis de constater l’existence de dispositions

exhaustives au point d’être source de confusion. On peut penser aux paragraphes 8o et 9o

de l’article 106 de la Loi sur la santé publique qui prévoient :

106. Lorsqu'un directeur de santé publique est d'avis, en cours d'enquête, qu'il existe effectivement une menace réelle à la santé de la population, il peut:

[…]

8° ordonner à une personne de respecter des directives précises pour éviter toute contagion ou contamination;

9° ordonner toute autre mesure qu'il estime nécessaire pour empêcher que ne s'aggrave une menace à la santé de la population, en diminuer les effets ou l'éliminer. […]

Il existe des différences importantes entre ces deux libellés, mais la portée à donner à ses

différences n’est pas intuitive. À titre d’illustration, le fait d’ordonner le respect de directives

peut être considéré comme une « autre mesure » au sens du paragraphe 9o. Dans le

même ordre d’idée, éviter une contagion ou une contamination constitue

vraisemblablement un moyen d’empêcher que ne s’aggrave une menace pour la santé de

la population, en diminuer les effets ou l’éliminer. Ce type de libellé rend difficile de cerner

en vertu de quelle habilitation est rendue une ordonnance donnée. Cela est source

d’insécurité juridique alors qu’il est difficile de prévoir où un tribunal dressera la frontière

entre l’ordonnance de respecter une directive et une autre mesure. Il en est de même de

la nuance qui doit être faite entre l’un et l’autre des objectifs que doit poursuivre l’exercice

de ces pouvoirs.

À l’autre bout du spectre, certaines dispositions nourrissent la confusion par leur caractère

succinct. Tel est le cas des dispositions interdisant d’entraver un acteur de l’Administration

qui semble, par ailleurs, n’avoir aucun pouvoir de contrainte. Cette situation se présente

notamment dans la Loi sur la Société de l’assurance automobile du Québec où on

retrouve à l’article 16.3 les seules mentions d’un pouvoir d’inspection :

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16.3. Il est interdit d'entraver le travail d'un enquêteur ou d'un inspecteur de la Société dans l'exercice de ses fonctions, de le tromper par des réticences ou par des déclarations fausses ou mensongères, de refuser de lui fournir un renseignement ou un document qu'il a le droit d'exiger ou d'examiner, de cacher ou de détruire un document ou un bien pertinent à une enquête ou à une inspection ou de refuser d'obéir à tout ordre qu'il peut donner en vertu de la présente loi et de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25).

Cet enquêteur ou cet inspecteur doit, s'il en est requis, exhiber un certificat attestant sa qualité, signé par le président-directeur général ou par une personne autorisée par lui à cette fin.

Toute personne qui contrevient au premier alinéa commet une infraction et est passible d'une amende de 200 $ à 1 000 $.469

Il est cependant possible que ce type de situation s’explique par un autre phénomène qu’a

permis de documenter ce mémoire, à savoir la division des dispositions concernant une

même habilitation parmi plusieurs lois. C’est du moins le cas de l’habilitation de

l’article 16.3 de la Loi sur la société de l’assurance automobile du Québec précité, laquelle

semble ne former qu’une avec l’habilitation de l’article 83.24 de la Loi sur l’assurance

automobile470. Cet effet de « courtepointe » législative peut aussi donner lieu à des

redondances, par exemple dans le cas de l’article 245 de la Loi sur les valeurs mobilières,

qui semble réitérer un pouvoir déjà prévu à l’article 14.1 de la Loi sur l’autorité des

marchés financiers471. Bien qu’elle soit probablement le fruit involontaire d’une évolution

législative à la pièce, cette méthode de rédaction rend néanmoins plus complexe et

incertain l’exercice de définition des pouvoirs de chaque acteur de l’Administration. Notons

que, aux fins de l’analyse législative effectuée dans le cadre de ce mémoire, il a été

impossible de traiter les habilitations divisées sur plusieurs lois comme une seule

habilitation.

Enfin, parmi toutes les sources de diversité, le choix du libellé des dispositions mettant en

place les pouvoirs et accessoires est sans doute la source par excellence. À maintes

reprises, les mots, les formulations, les structures utilisés varient d’une disposition à l’autre

sans qu’il soit possible d’y cerner une intention différente. Les différentes formulations du

469 Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, préc., note 31, article 16.3.Voir aussi : Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 225, article 21; Loi sur le régime des rentes du Québec, préc., note 231, article 31. 470 Loi sur l'assurance automobile, préc., note 409, article 83.24. 471 Loi sur l'autorité des marchés financiers, préc., note 74, articles 7, 12, 14.1 et annexe 1; Loi sur les valeurs mobilières, préc., note 63, article 245.

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pouvoir de demander des documents472, de pénétrer dans un lieu473 ou de l’interdiction

d’entraver474 auront aisément fait la démonstration de la créativité du législateur et, en

contrepartie, du grave manque de cohérence de la législation québécoise.

Ce manque de cohérence n’est, de toute évidence, pas le fruit d’une volonté dogmatique

d’innovation ou, pire encore, d’un souhait égoïste de faire sa marque. Au-delà des

variations de formulation qui s’expliqueraient par des lacunes au niveau de l’échange du

savoir et de l’uniformisation, ces variations semblent plutôt être le fruit d’un constant désir

de pallier à une éventuelle interprétation restrictive des tribunaux. C’est ainsi que le

pouvoir d’exiger des documents est fréquemment accompagné d’un pouvoir d’examiner

ces documents475 et d’en faire des copies476. Dans le premier cas, il est difficile

d’envisager que le pouvoir de demander un document n’inclut pas, en soi, le pouvoir de

l’examiner. Dans le deuxième cas, la Cour suprême du Canada a déjà reconnu que la

prise d’une copie n’est généralement pas considérée plus intrusive que la saisie de

l’original477 et, en application, elle est généralement moins préjudiciable à l’administré.

Cependant, en incluant une habilitation expresse, le législateur s’assure que ces pouvoirs

accessoires à la demande de documents ne soient pas exclus par une interprétation

restrictive.

L’étude des lois contenues à l’échantillon révèle une multitude de situations où coexistent

deux pouvoirs ou accessoires qui sont vraisemblablement inclus l’un dans l’autre. Cette

façon de faire semble donc constituer un cercle vicieux par lequel chaque nouvelle

disposition est plus exhaustive que la précédente. Le libellé de l’article 187 de la Loi sur le

patrimoine culturel en est d’ailleurs en exemple éloquent :

187. Commet une infraction toute personne qui entrave de quelque façon l'action d'une personne autorisée à exercer des pouvoirs prévus à la présente loi ou celle d'une personne autorisée par la municipalité à exercer des pouvoirs d'inspection aux fins de vérifier l'application de la présente loi, l'empêche de faire des fouilles ou des travaux d'expertise, notamment de prendre des échantillons, des photographies ou des enregistrements de lieux et de biens qu'elle a le droit de prendre, lui fait une fausse déclaration, ne lui prête pas assistance ou ne lui fournit pas un

472 Une trentaine de types de libellé pour 114 habilitations. 473 Une quinzaine de types de libellé pour 60 habilitations. 474 Une cinquantaine de types de libellé pour 123 habilitations. 475 Voir partie I, section 2.1.4. 476 Voir partie II, section 1.2.3. 477 Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, préc., note 42, p. 43.

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renseignement, un document ou une copie d'un document ou une chose qu'elle a le droit d'exiger ou d'examiner.478

Il est permis de croire qu’une personne qui empêche de faire des fouilles, qui fait une

fausse déclaration ou qui ne fournit pas un document commet d’ores et déjà une entrave.

L’ensemble de ces situations ont néanmoins été prévues expressément dans cet article,

en plus de l’interdiction d’entraver. En comparaison, il semble alors difficile de définir ce

qu’interdit vraiment une disposition qui n’interdit que l’entrave.

Cette situation met en lumière toute la prudence dont doivent faire preuve les juristes et

les décideurs dans l’application de certains principes d’interprétation en matière de pouvoir

de contrainte. Comme il fut souligné à quelques reprises, l’application du principe de l’effet

utile, selon lequel « le législateur ne parle pas pour ne rien dire »479 pose problème. Dans

plusieurs situations, l’application de ce principe peut facilement vider de sens plusieurs

dispositions étudiées dans le cadre de ce mémoire480. Il en est de même de l’interprétation

a contrario481 ou du recours aux lois connexes (in pari materia)482 qui, compte tenu de la

diversité des libellés existants ou de leur caractère particulièrement spécifique, aura tôt fait

de mener à des résultats absurdes.

Les constats de la présente analyse font la démonstration de la légitimité des mises en

garde faites par la jurisprudence et la doctrine quant à l’application de ces principes483. En

fait, les résultats obtenus révèlent le bien fondé des commentaires de l’auteur Tremblay

qui écrit :

Avant de recourir à l’un ou l’autre argument logique, il importe de prendre en considération les finalités législatives. Rappelons en outre que l’argument a contrario est exclu lorsque la disposition concernée confirme un principe général. Ce genre de confirmation peut être le fait d’un légiste qui n’avait pas à l’esprit le principe ou la règle concernée ou qui, tout en étant conscient d’être redondant, a été l’objet de demandes pressantes. L’argument a contrario n’a pas non plus sa place lorsque le légiste, ayant trop en vue certaines situations concrètes, a retenu

478 Loi sur le patrimoine culturel, préc., note 124, article 187. 479 Loi d'interprétation, préc., note 64, article 41.1; P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 318-320; L. LAUZIÈRE, préc., note 64, p. 21; R. c. Barnier, préc., note 64, p. 1135. 480 Voir partie I, section 1.1.2, partie II, sections 1.1.2 et 2.3.1. 481 P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 385-388. 482 Id., p. 395-396, 400. 483 Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal v. Quebec Labour Relations Board, [1953] 2 S.C.R. 140, 151; P.-A. CÔTÉ, préc., note 64, p. 388-391; RICHARD TREMBLAY, L'essentiel de l'interprétation des lois, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 24, 26, 78, 86-87.

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une formulation insuffisamment abstraite. Il serait, dans ce cas, hasardeux pour l’interprète d’en déduire une volonté d’exclure les cas analogues.

Par ailleurs, l’argument a contrario est généralement contre-indiqué dans le cas des formules types que le législateur a tendance à répéter d’une loi à l’autre. […]484

Les tribunaux peinent d’ailleurs à pallier aux difficultés d’application de ces principes

d’interprétation. Ainsi, certains juges n’hésiteront pas à les utiliser dans leur ratio

decidendi485 alors que d’autres semblent atténuer l’utilisation des règles d’interprétation,

adoptant plutôt une évaluation en fonction de la nécessité486. Tel que démontré à l’instant,

la première façon de faire peut mener à des résultats absurdes compte tenu de l’état de la

législation en matière de contrainte. La seconde façon de faire présente cependant la

lacune majeure de décupler l’incertitude juridique déjà existante en matière de contrainte.

Il est en effet impossible de prédire l’issue d’un litige lorsque le résultat dépend de

l’évaluation de la nécessité que fera le décideur, laquelle évaluation dépend bien souvent

des opinions politiques du décideur.

La question soulevée par ce projet de mémoire était la suivante : « À la lumière des

tendances législatives passées ainsi que de la réception actuelle par les tribunaux des

pouvoirs de contrainte existants, quel type d’habilitation à la contrainte doit être préconisé

et est-il préférable de les uniformiser? »

À la lumière de ce qui précède, il semble que les habilitations à la pièce mises en place

dans chacune des lois par des dispositions au libellé constamment réinventé peuvent être

source d’incertitude juridique. Il semble y avoir très peu d’avantages découlant de cette

tendance à réinventer les dispositions mettant en place des pouvoirs pourtant courants. Il

en est de même pour les pouvoirs qui sont, en apparence, superfétatoires, tel l’association

du pouvoir d’exiger des documents et celui de les examiner.

L’étude des dispositions contenues à l’échantillon révèle d’ailleurs que cette tendance à la

diversification et au dédoublement ne semble pas caractéristique d’une époque, elle est

plutôt constante depuis la deuxième moitié du 20e siècle, à une exception près : l’octroi

des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la LCE.

484 R. TREMBLAY, préc., note 483, p. 82. 485 L.A. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, préc., note 80, par. 51-52; R. TREMBLAY, préc., note 483, p. 26. 486 Par exemple : Chartrand c. Coutu, préc., note 311, par. 4; Gauthier c. Guimont, préc., note 178, par. 37; Protection de la jeunesse — 106300, préc., note 380, par. 12.

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En fait, la référence à une loi presque exclusivement rédigée pour la mise en place des

pouvoirs de contrainte permet vraisemblablement de limiter la prolifération des façons de

faire. L’exemple de la LCE est éloquent : cette loi, presque inchangée depuis 1895,

continue de faire l’objet de référence au profit d’acteurs de l’Administration œuvrant dans

une multitude de domaines. Cet exemple fait donc la démonstration de la possibilité de

créer des pouvoirs de contrainte uniques et, dans une certaine mesure, polyvalents.

La LCE, dans son état actuel, n’est toutefois pas la solution idéale. Tel que l’écrivait

l’auteur Deaudelin il y a presque vingt ans maintenant :

D’autre part, dans un tout autre ordre d’idées, il serait approprié, à mon avis, de moderniser la Loi sur les commissions d’enquête. Ainsi, les pouvoirs et devoirs des commissaires devraient être mieux précisés. La Loi pourrait aussi prévoir qui peut participer à l’enquête et quels sont ces [sic] droits. Actuellement, la Loi est muette à ce sujet. […] Cette réforme législative est souhaitée depuis longtemps. Le Barreau du Québec la recommandait en 1976 dans son Rapport sur les commissions d’enquête. Elle m’apparait encore aujourd’hui souhaitable puisque tout indique que, comme par le passé, les gouvernements auront encore recours à l’avenir aux commissions d’enquête.487

Il va donc de soi que les pouvoirs à être inclus à une nouvelle LCE devraient être mis au

goût du jour. Le pouvoir de pénétrer dans un lieu, celui de prendre des copies ayant la

même valeur probante que l’original ou d’autres pouvoirs et accessoires pourraient y être

inclus. Les pouvoirs spécifiques à un domaine, qui sont très peu répandus et qui, par leur

nature, requièrent d’être spécifiquement adaptés à un contexte particulier demeureraient

prévus aux lois particulières.

Quoi qu’il en soit, une distanciation avec la dichotomie enquête/inspection pourrait aussi

être un progrès compte tenu de la frontière incertaine entre les deux concepts tant au

niveau législatif que jurisprudentiel: la Cour suprême associant le terme enquête à un

processus contradictoire488 par moment et l’en distinguant à d’autres occasions489.

Une réforme de la LCE pourrait aussi être l’occasion de repenser les sanctions applicables

lors d’une entrave aux pouvoirs de contrainte. Tel que présenté plus haut, la majorité des

lois prévoit une interdiction d’entraver associée à une sanction pénale, ce qui impose un

487 J. DEAUDELIN, préc., note 82, p. 220. 488 R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, par. 1-2. 489 Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), préc., note 75, p. 541.

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fardeau de preuve élevé de même qu’une procédure d’une lourdeur inhibant le recours à

cette sanction. Le pouvoir de punir pour outrage prévu à la LCE présente aussi son lot de

difficultés, la procédure applicable étant mal définie490. De plus, la nature des précédents

jurisprudentiels identifiés tend à démontrer que les acteurs de l’Administration hésitent à

utiliser eux-mêmes ce pouvoir dans son état actuel, s’en référant plutôt à la Cour

supérieure491.

Des alternatives sont cependant envisageables, telle l’interdiction d’entraver, associée à

une sanction administrative pécuniaire492, laquelle ne requiert pas l’intervention préalable

des tribunaux. La solution peut aussi résider non pas dans les moyens de punir l’entrave,

mais plutôt dans les moyens de la surmonter. C’est le cas notamment du pouvoir

d’effectuer les travaux requis aux frais de l’administré493 ou de la possibilité d’obtenir une

ordonnance d’un tribunal par une procédure sommaire494.

Enfin, un régime de protection des dénonciateurs semble constituer une mesure efficace

pour augmenter l’efficacité des processus de détection des contraventions à la loi. L’étude

de l’échantillon démontre cependant que ces régimes sont relativement rares495.

Au-delà de ces considérations de fond, la mise en place de pouvoirs de contrainte plus

efficaces semble d’abord passer par un plus grand partage de l’information au sein de

l’Administration permettant à la fois le partage des bénéfices découlant d’une innovation et

l’instauration d’une vision uniforme des pouvoirs de contraintes assurant une plus grande

sécurité juridique aux acteurs de l’Administration. En effet, le travail de recensement

effectué à l’occasion de ce mémoire, bien qu’il demeure relativement superficiel, a

néanmoins révélé l’existence de belles innovations qui gagneraient à être exportées, le

besoin de rationaliser et de redéfinir le « noyau dur » des pouvoirs de contrainte et enfin, il

490 R. CRÊTE, préc., note 437, p. 878-879. 491 Cardinal c. Commission des valeurs mobilières du Québec, n° 500-09-012442-026 et 500-09-012460-028, 24 mars 2004 (C.A.) en ligne: <http://www.jugements.qc.ca>, par. 2; Agence nationale d'encadrement du secteur financier c. Nadeau, préc., note 440. 492 Loi sur la qualité de l'environnement, préc., note 37, article 115.23. 493 Voir partie II, section 2.2.2. 494 Voir partie II, section 2.2.3. 495 Voir partie II, section 1.1.2.

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ouvre la porte à une étude critique des principes d’interprétation qui doivent trouver

application dans ce domaine vaste et crucial du droit administratif496.

496 R. c. McKinlay Transport Ltd., préc., note 52, p. 648-649; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), préc., note 75, p. 506-507.

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BIBLIOGRAPHIE

MONOGRAPHIE

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2. L’OBSERVATOIRE DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE, Synthèse sur l’organisation politico‐administrative, Québec, L'Observatoire de l’administration publique‐ENAP,

2010

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TABLE DE JURISPRUDENCE

JURISPRUDENCE CANADIENNE

1. 462657 Ontario Ltd. c. M.R.N., [1989] 3 C.F. 669

2. 9175-7468 Québec inc. c. Montréal (Ville de), 2015 QCCA 811

3. 9182-9119 Québec inc. et CPQMC international, 2012 QCCLP 5797

4. 9282-4614 Québec inc. et CPQMC international, 2014 QCCLP 4022

5. A. c. Québec (Procureur général), J.E. 2003-1795 (C.S.)

6. Agence du revenu du Québec c. Azran, 2014 QCCQ 12449

7. Agence du revenu du Québec c. Gilbert, 2014 QCCQ 689

8. Agence nationale d'encadrement du secteur financier c. Nadeau, B.E. 2005BE-198 (Appel rejeté, C.A., 24-03-2005, 500-09-015093-040) (C.S.)

9. Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal v. Quebec Labour Relations Board, [1953] 2 S.C.R. 140

10. Archambault c. Comité de discipline du Barreau du Québec, J.E. 92-460 (C.A.)

11. Autorité des marchés financiers c. Fournier, 2010 QCCS 4830 (appel accueilli, C.A., 22-06-2012, 500-10-004721-104)

12. Autorité des marchés financiers c. Fournier, 2012 QCCA 1179 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 20-12-2012, 34979)

13. Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC-Lavalin inc., 2013 QCCA 204 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 05-09-2013, 35311)

14. Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC–Lavalin inc., 2013 QCCQ 1018 (appel rejeté, C.A., 06-02-2013, 500-09-023270-135)

15. Autorité des marchés financiers c. X, 2014 QCCA 2368 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 16-07-2015, 36310)

16. Berger c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCS 3280 (requête en rejet d'appel rejetée et requête de bene esse pour permission d'appeler accueillie, C.A., 19-01-2015, 500-09-024626-145)

17. Bernier c. Tribunal administratif du Québec (Section du territoire et de l'environnement), 2011 QCCQ 16094

18. Bitchoka c. Boutet, 2006 QCCA 53

19. Bohémier c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 308

20. Boisbriand (Ville de) c. Québec (Procureur général), J.E. 93-514 (C.S.)

21. British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3

22. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574

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23. Cardinal c. Commission des valeurs mobilières du Québec, n° 500-09-012442-026 et 500-09-012460-028, 24 mars 2004 (C.A.) en ligne: <http://www.jugements.qc.ca>

24. Chartrand c. Coutu, 2012 QCCA 2228

25. Chikh c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2014 QCCS 3272 (requêtes pour permission d'appeler rejetées, C.A., 22-10-2014, 500-09-024649-147 et 500-09-024650-145)

26. Collège d'enseignement général et professionnel Bois-de-Boulogne et Éco-Centre l'Acadie, [2002] C.L.P. 192 (requête en révision judiciaire rejetée, C.S., 17-01-2003, 500-05-073290-023)

27. Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Groupe Laberge inc., D.T.E. 2004T-916 (C.Q.)

28. Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics, région de Montréal c. Services d'entretien Bo-Lav inc., 2010 QCCQ 8220

29. Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash, [1994] 2 R.C.S. 406

30. Comité paritaire de l'industrie des services automobiles des régions Saguenay—Lac-St-Jean c. 9005-2754 Québec inc. (Paysan Pièces d'autos usagées enr.), 2008 QCCQ 6355

31. Comité paritaire de l'industrie du verre plat c. Ouellette, J.E. 94-985 (désistement d'appel, C.A., 24-08-1994, 500-09-000829-945) (C.S.)

32. Comité paritaire des agents de sécurité c. Ataev, 2010 QCCQ 3512

33. Comité paritaire des agents de sécurité c. Beaumier (École de sécurité spécialisée du Québec), 2007 QCCQ 11294

34. Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Houle, J.E. 99-2286 (C.A.)

35. Commission de protection du territoire agricole du Québec c. R. Racicot Ltée, J.E. 85-43 (C.S.)

36. Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gaboury, J.E. 2002-1368 (appels rejetés, C.A., 24-03-2004, 500-09-012442-026 et 500-09-012460-028) (C.S.)

37. Commission scolaire de St-Hyacinthe et Syndicat enseignement Val-Maska, 2015 QCCLP 271

38. Constructions Louisbourg ltée c. Marchi, 2011 QCCS 3211 (appel rejeté sur requête, C.A., 06-11-2012, 500-10-004970-115)

39. Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048

40. Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), 2009 QCTP 17 (Requête en révision judiciaire accueillie, C.S., 08-12-2010, 500-17-049607-099. Appels accueillis, C.A., 10-12-2012, 500-09-021277-108 et 500-09-021281-100)

41. Coutu c. Tribunal des professions, 2010 QCCS 6076 (appels accueillis, C.A., 10-12-2012, 500-09-021277-108 et 500-09-021281-100)

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42. D.(M.) c. D.(L.), J.E. 98-1258 (C.A.)

43. Di Iorio c. Gardien de la prison commune de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152

44. Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Beauchemin, 2015 QCCQ 3941

45. Dubé c. Québec (Vérificateur général), J.E. 2011-1140 (C.A.)

46. Dubois c. Commission de police du Québec, [1977] C.A. 28

47. Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190

48. Entreprises GNP inc. et ASSS Côte-Nord, 2014 QCCLP 2407

49. Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), [2004] 3 R.C.S. 304

50. Fédération des producteurs de bovins du Québec c. Ferme John Houley & Fils ltée, J.E. 2004-2108 (C.A.)

51. Fermont (Ville de) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, J.E. 2003-223 (C.A.)

52. Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17

53. Gagnon c. Southam Inc., J.E. 89-776 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 23-11-1989, 21566.) (C.A.)

54. Garoy Construction inc. et Jean Leclerc Excavation, 2013 QCCLP 1920

55. Gauthier c. Deschênes, 2010 QCCS 4760 (désistement d'appel, C.A., 28-02-2011, 500-09-021151-105)

56. Gauthier c. Guimont, 2010 QCCA 2011 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, C.S. Can., 12-05-2011, 34015)

57. Gauvreau c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2015 QCCS 1953 (appel accueilli, 30-10-2015, C.A., 500-09-025291-154)

58. Général International et Rona inc., 2009 QCCLP 1250

59. Girard c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2011 QCCS 757 (requête pour permission d'appeler rejetée, C.A., 28-02-2011, 500-09-021411-111)

60. Investissements Pliska inc. c. Barreau du Québec, 2014 QCCA 665

61. Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181

62. Just c. Colombie‑Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228

63. Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671

64. L.A. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2013 QCCS 3001

65. Lafleur c. Terjanian, 2010 QCCA 1728

66. Latulippe c. Desruisseaux, J.E. 86-476 (C.A.)

67. Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705

68. Leblanc et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCLP 5819

69. Leblond c. Régie de l'assurance maladie du Québec, J.E. 2006-183 (C.S.)

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70. Lecours c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2010 QCCS 3972 (appels rejetés, C.A., 19-06-2012, 500-09-021012-109 et 500-09-021015-102)

71. Lessard c. Commission d'enquête sur le département de radio-oncologie de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, J.E. 2004-755 (C.S.)

72. Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716

73. Paradis c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCA 2088

74. P.G. du Qué. et Keable c. P.G. du Can. et autres, [1979] 1 R.C.S. 218

75. Pharmaprix inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1488 (requête en rétractation de jugement rejetée, C.A., 15-09-2014, 500-09-024403-149)

76. Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97

77. Protection de la jeunesse — 106300, 2010 QCCQ 14875

78. Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663

79. Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982

80. Québec (Procureur général) c. Courte, J.E. 2004-1991 (C.Q.)

81. Québec (Procureur général) c. Fafard, D.T.E. 2003T-1133 (C.Q.)

82. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 6217125 Canada inc., 2006 QCCQ 5544 (Appel rejeté, C.A., 01-03-2007, 500-09-016922-064)

83. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 6217125 Canada inc., 2007 QCCA 306

84. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bergeron, [1999] R.D.F.Q. 81 (C.Q.)

85. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bibeau, J.E. 2000-2182 (C.A.)

86. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bilodeau, J.E. 2000-453 (C.A.)

87. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Forages M.S.E. inc., J.E. 95-534 (C.S.)

88. R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124

89. R. c. Goudreault-Veillette, 2008 QCCQ 5727

90. R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757

91. R. c. Lacets Arizona inc., B.E. 2004BE-16 (C.Q.)

92. R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627

93. R.B. c. Centre de santé et de services sociaux de la Baie-James, 2008 QCCQ 11954

94. Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, 2015 QCCLP 3961 (requête en révision demandée, C.L.P., 441802-71-1106-R et als.)

95. Régie de l'assurance maladie du Québec c. Gauvreau, 2015 QCCA 1932

96. Régie de l'assurance maladie du Québec c. Lecours, 2012 QCCA 1183

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97. Régie de l'assurance maladie du Québec c. Pharmaprix inc., 2014 QCCA 1184 (requête en rétractation de jugement rejetée, C.A., 15-09-2014, 500-09-024403-149)

98. Simard c. Bournival, 2011 QCCQ 1205

99. Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456

100. Société de transport de Montréal (gestion du patrimoine) et Association accréditée de la Société de transport de Montréal, 2010 QCCLP 7240 (requête en révision rejetée, C.L.P., 04-04-2011, 377010-71-0905-R et 377010-71-0905)

101. Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618

102. St-Aubert (Municipalité de) c. Gamache, 2007 QCCS 6070

103. T.A. c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCS 3785

104. Tenuta et Centre de l'auto boul. Industriel, [2006] C.L.P. 222

105. Terjanian c. Ayotte, 2009 QCCS 358 (appel rejeté, C.A., 10-12-2009, 500-09-019447-093)

106. Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425

107. Tremblay c. Gaudreault, 2008 QCCS 5070

108. Trottier c. Dufault, D.T.E. 94T-779 (C.S.)

109. Vallée c. Contrôleur des armes à feu, 2011 QCCQ 11948

110. Villeneuve c. Québec (Procureur général), D.T.E. 2004T-233 (requête pour permission d'appeler rejetée, C.A., 17-02-2004, 200-10-001578-041) (C.S.)

JURISPRUDENCE ÉTRANGÈRE

1. Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728

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TABLE DE LÉGISLATION

LOI CONSTITUTIONNELLE

1. Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11

LOIS REFONDUES DU QUÉBEC

1. Charte de la langue française, RLRQ, c. C-11

2. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12

3. Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale, RLRQ, c. C-23.1

4. Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25

5. Code des professions, RLRQ, c. C-26

6. Code du travail, RLRQ, c. C-27

7. Loi d'interprétation, RLRQ, c. I-16

8. Loi de police, RLRQ, c. P-13

9. Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ, c. P-2.2

10. Loi sur Héma-Québec et sur le Comité de biovigilance, RLRQ, c. H-1.1

11. Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, c. A-2.1

12. Loi sur l'administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002

13. Loi sur l'aide aux personnes et aux familles, RLRQ, c. A-13.1.1

14. Loi sur l'aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ, c. A-14

15. Loi sur l'aménagement durable du territoire forestier, RLRQ, c. A-18.1

16. Loi sur l'assurance automobile, RLRQ, c. A-25

17. Loi sur l'assurance parentale, RLRQ, c. A-29.011

18. Loi sur l'autorité des marchés financiers, RLRQ, c. A-33.2

19. Loi sur l'enseignement privé, RLRQ, c. E-9.1

20. Loi sur l'équité salariale, RLRQ, c. E-12.001

21. Loi sur l'immigration au Québec, RLRQ, c. I-0.2

22. Loi sur l'instruction publique, RLRQ, c. I-13.3

23. Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, RLRQ, c. I-14

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24. Loi sur l'Office de la sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris, RLRQ, c. O-2.1

25. Loi sur la Commission municipale, RLRQ, c. C-35

26. Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3

27. Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1

28. Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P-34.1

29. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1

30. Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1

31. Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1

32. Loi sur la qualité de l'environnement, RLRQ, c. Q-2

33. Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec, RLRQ, c. R-5

34. Loi sur la Régie de l'énergie, RLRQ, c. R-6.02

35. Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1

36. Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2

37. Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, RLRQ, c. S-3.3

38. Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5

39. Loi sur la Société de l'assurance automobile du Québec, RLRQ, c. S-11.011

40. Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme, RLRQ, c. T-11.011

41. Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1

42. Loi sur le cinéma, RLRQ, c. C-18.1

43. Loi sur le commissaire à la santé et au bien-être, RLRQ, c. C-32.1.1

44. Loi sur le courtage immobilier, RLRQ, c. C-73.2

45. Loi sur le curateur public, RLRQ, c. C-81

46. Loi sur le ministère de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation, RLRQ, c. M-14

47. Loi sur le patrimoine culturel, RLRQ, c. P-9.002

48. Loi sur le protecteur des usagers en matières de santé et de services sociaux, RLRQ, c. P-31.1

49. Loi sur le protecteur du citoyen, RLRQ, c. P-32

50. Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, RLRQ, c. R-10

51. Loi sur le régime des rentes du Québec, RLRQ, c. R-9

52. Loi sur le vérificateur général, RLRQ, c. V-5.01

53. Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001

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54. Loi sur les assurances, RLRQ, c. A-32

55. Loi sur les biens non réclamés, RLRQ, c. B-5.1

56. Loi sur les commissions d'enquête, RLRQ, c. C-39

57. Loi sur les compagnies, RLRQ, c. C-38

58. Loi sur les coopératives, RLRQ, c. C-67.2

59. Loi sur les décrets de convention collective, RLRQ, c. D-2

60. Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ, c. E-2.2

61. Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3

62. Loi sur les mines, RLRQ, c. M-13.1

63. Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1

64. Loi sur les pesticides, RLRQ, c. P-9.3

65. Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, RLRQ, c. R-20

66. Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance, RLRQ, c. S-4.1.1

67. Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2

68. Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris, RLRQ, c. S-5

69. Loi sur les services préhospitaliers d'urgence, RLRQ, c. S-6.2

70. Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d'épargne, RLRQ, c. S-29.01

71. Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1

72. Loi sur les transports, RLRQ, c. T-12

73. Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16

74. Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1.1

75. Loi sur Retraite Québec, RLRQ, c. R-26.3

LOIS ANNUELLES DU QUÉBEC

1. Loi amendant la loi sur l'instruction publique, L.Q. 5 Geo. V, c. 36

2. Loi budgétaire no 1 donnant suite au discours sur le budget du 29 mars 2001 et à certains énoncés budgétaires, L.Q. 2002, c. 9

3. Loi concernant l’application de certaines dispositions du Code de procédure pénale et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 1992, c. 61

4. Loi créant la commission municipale, L.Q. 22 Geo. V, c. 111A

5. Loi de l'instruction publique, L.Q. 62 Vict., c. 28

6. Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1

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7. Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1996, c. 31

8. Loi modifiant les Statuts refondus, 1909, relativement à l'inspection des comptes des corporations scolaires, L.Q. 15 Geo V, c. 41

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ANNEXE 1 : LISTE DES LOIS CONTENUES À L’ÉCHANTILLON

1. Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, c. A-2.1

2. Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001

3. Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002

4. Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, RLRQ, c. A-13.1.1

5. Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ, c. A-14

6. Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, RLRQ, c. A-18.1

7. Loi sur l’assurance automobile, RLRQ, c. A-25

8. Loi sur l’assurance parentale, RLRQ, c. A-29.011

9. Loi sur les assurances, RLRQ, c. A-32

10. Loi sur l’autorité des marchés financiers, RLRQ, c. A-33.2

11. Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1

12. Loi sur les biens non réclamés, RLRQ, c. B-5.1

13. Charte de la langue française, RLRQ, c. C-11

14. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12

15. Loi sur le cinéma, RLRQ, c. C-18.1

16. Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale, RLRQ, c. C-23.1

17. Code des professions, RLRQ, c. C-26

18. Code du travail, RLRQ, c. C-27

19. Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel, RLRQ, c. C-29

20. Loi sur le commissaire à la santé et au bien-être, RLRQ, c. C-32.1.1

21. Loi sur la commission municipale, RLRQ, c. C-35

22. Loi sur les compagnies, RLRQ, c. C-38

23. Loi sur le conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec, RLRQ, c. C-62.1

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24. Loi sur les coopératives, RLRQ, c. C67.2

25. Loi sur le courtage immobilier, RLRQ, c. C-73.2

26. Loi sur le curateur public, RLRQ, c. C-81

27. Loi sur l’application de la réforme du Code civil, RLRQ, c. CCQ-1992

28. Loi sur les décrets de convention collective, RLRQ, c. D-2

29. Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ, c. E-2.2

30. Loi sur les élections scolaires, RLRQ, c. E-2.3

31. Loi électorale, RLRQ, c. E-3.3

32. Loi sur l’enseignement privé, RLRQ, c. E-9.1

33. Loi sur l’équité salariale, RLRQ, c. E-12.001

34. Loi sur Héma-Québec, RLRQ, H-1.1

35. Loi sur l’immigration au Québec, RLRQ, c. I-0.2

36. Loi sur l’instruction publique, RLRQ, c. I-13.3

37. Loi sur l’instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis, RLRQ, c. I-14

38. Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3

39. Loi sur les maîtres électriciens, RLRQ, c. M-3

40. Loi sur les maîtres mécaniciens en tuyauterie, RLRQ, c. M-4

41. Loi sur les mines, RLRQ, c. M-13.1

42. Loi sur le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, RLRQ, c. M-14

43. Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1

44. Loi sur l’office de la sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris, RLRQ, c. O-2.1

45. Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ, c. P-2.2

46. Loi sur le patrimoine culturel, RLRQ, c. P-9.002

47. Loi sur les pesticides, RLRQ, c. P-9.3

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48. Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1

49. Loi sur le protecteur des usagers en matière de santé et de services sociaux, RLRQ, c. P-31.1

50. Loi sur le protecteur du citoyen, RLRQ, c. P-32

51. Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P-34.1

52. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1

53. Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1

54. Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1

55. Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2

56. Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec, RLRQ, c. R-5

57. Loi sur la Régie de l’énergie, RLRQ, c. R-6.01

58. Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux, RLRQ, c. R-6.1

59. Loi sur le régime des rentes du Québec, RLRQ, c. R-9

60. Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, RLRQ, c. R-10

61. Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ, c. R-20

62. Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1

63. Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2

64. Loi sur la sécurité du transport terrestre guidé, RLRQ, c. S-3.3

65. Loi sur la sécurité privée, RLRQ, c. S-3.5

66. Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, RLRQ, c. S-4.1.1

67. Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2

68. Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris, RLRQ, c. S-5

69. Loi sur les services préhospitaliers d’urgence, RLRQ, c. S-6.2

70. Loi sur la Société d’assurance automobile du Québec, RLRQ, c. S-11.011

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71. Loi sur les sociétés en fiducie et les sociétés d’épargne, RLRQ, c. S-29.01

72. Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S-31.1

73. Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, RLRQ, c. S-32.1

74. Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, RLRQ, c. T-11.011

75. Loi sur les transports, RLRQ, c. T-12

76. Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16

77. Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, V-1.1

78. Loi sur le vérificateur général, RLRQ, c. V-5.01