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« La guerre », « L’espace », « À propos de la science » Rendez-vous d’Archimède / Le FIGRA hors les murs Reportages d’actualité / (L)armes, Les carnets du caporal B…, La ruine des choses Spectacle vivant / Pratiques artistiques Théâtre, danse, concerts, exposition, écriture Henry de Montherlant, Carnets, 1957 « La liberté existe toujours. Il suffit d’en payer le prix » l e s n o u v e l l e s d le journal culturel de l’Université Lille 1 Archimède AVR MAI JUIN # 51 2009

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« La guerre », « L’espace », « À propos de la science » Rendez-vous d’Archimède / Le FIGRA hors les murs Reportages d’actualité / (L)armes, Les carnets du caporal B…, La ruine des choses Spectacle vivant / Pratiques artistiques Théâtre, danse, concerts, exposition, écriture AVR MAI JuIN # 5 1 2009 le journal culturel de l’Université Lille 1 Henry de Montherlant, Carnets, 1957 « La liberté existe toujours. Il suffit d’en payer le prix »

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Page 1: Les Nouvelles d'Archimède 51

« La guerre », « L’espace », « À propos de la science » Rendez-vous d’Archimède / Le FIGRA hors les murs Reportages d’actualité / (L)armes, Les carnets du caporal B…, La ruine des choses Spectacle vivant / Pratiques artistiques Théâtre, danse, concerts, exposition, écriture

Henry de Montherlant, Carnets, 1957

« La liberté existe toujours. Il suffit d’en payer le prix »

l e s n o u v e l l e s

dle journal culturel de l’Université Lille 1

’ A r c h i m è d eA V RM A IJuIN

# 5 1

2009

Page 2: Les Nouvelles d'Archimède 51

La façon dont les sociétés évaluent leurs richesses relève de choix politiques. Ils doivent être régulièrement réévalués en fonction de leur conformité avec les

valeurs de notre société. En effet, le choix des indicateurs de richesse (santé, écono-mie, éducation, développement humain…) n’est pas neutre et leur lisibilité par tous doit rester une exigence démocratique.

Ces dernières années, d’autres manières d’estimer la richesse sont apparues alors que le PIB s’imposait comme le premier indicateur des richesses nationales depuis l’après-guerre.« Des institutions internationales comme la Banque Mondiale et l’OCDE ont com-mencé à réviser en profondeur leur position sur les indicateurs de richesse. Plusieurs conférences internationales ont lancé le débat sur la question du décalage entre les enjeux écologiques et sociaux d’une part, et la description dominante de la richesse des nations. » 1

Selon cet indicateur majeur, la prévention, le bénévolat, l’associatif sont considérés comme activités économiquement négatives, alors que les dégâts liés à la pollution, les catastrophes et les guerres sont producteurs de croissance et de richesse.

L’incohérence du PIB semble aujourd’hui claire pour beaucoup d’acteurs y compris les grandes institutions internationales.

Vers de nouvelles règles du jeu ?« Ces réflexions nous amènent à penser que dans la période à venir, ce qui fera la différence avec les années 1970 sera (…) l’existence de ‘réseaux d’intéressement’ qui ne se limitent pas à des cercles de spécialistes et à des experts au sommet, mais sont directement pris en charge par une partie de la société civile… Il ne fait aucun doute, par exemple, que les débats français sur la réforme des retraites auraient pris une autre tournure si, à côté des critères économiques et des perspectives de croissance et de par-tage des revenus monétaires, étaient intervenus (…) des considérations et des comptes du développement humain, des inégalités du temps libre choisi et du bénévolat, du travail domestique, de l’environnement, etc. » 2.

De la crise à l’altruisme…Hobbes nous considérait comme des animaux égoïstes, se souciant uniquement de leur propre bien-être, alors que c’est l’individualisme acharné qui a fortement annihilé notre capacité à nous identifier à l’autre.Selon le psychanalyste Adam Phillips et l’historienne Barbara Taylor, « l’individua-lisme est un phénomène très récent. Les Lumières, que l’on considère habituellement comme l’origine de l’individualisme occidental, défendaient les affections sociales contre les intérêts personnels » 3.La crise révèle le besoin que l’on a d’autrui, besoin qui ne repose pas uniquement sur des biens matériels mais aussi sur une ouverture aux autres : parlons de solidarité, de générosité, d’humanité, d’empathie… ! La crise est là pour nous rappeler que, comme le disait Jean-Jacques Rousseau, se sou-cier des autres est ce qui nous rend pleinement humains. Ce qui n’est certainement pas la pensée qui guida les Thatcher, Reagan, Blair, Bush et autres qui ont proscrit l’État Providence et ont défendu un capitalisme créateur de richesses sans limites pour les uns et cause de perte d’emploi, paupérisation, déchéance morale et physique pour beaucoup d’autres.

De quoi sommes-nous vraiment riches ?

L’équipe

Delphine POIRETTE chargée de communicationEdith DELBARGEchargées des éditions et communicationJulien LAPASSET concepteur graphique et multimédiaAudrey BOSquETTEassistante aux éditionsMourad SEBBATchargé des initiatives étudiantes et associativesMartine DELATTREassistante initiatives étudiantes et associativesDominique HACHE administrateurAngebi ALuwANGA assistant administratifJohanne wAquETsecrétaire de directionJoëlle FOuREZaccueil-secrétariatAntoine MATRIONchargé de mission patrimoine scientifiqueJacques SIGNABOurégisseurJoëlle MAVETcafé culture

Nabil EL-HAGGARVice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique

1 Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, éd. de L’Aube, Paris, 2008, p. 9.

2 Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice, Les nou-veaux indicateurs de richesse, éd. La Découverte, Paris, 2007, p. 109.

3 Adam Philips, Barbara Taylor, Bonjour la gen-tillesse, The Guardian, Londres, dans Courrier international, 953.

La guerre

4-5 Prévenir et humaniser la guerre, est-ce possible ? par Monique Chemillier-Gendreau6-9 De la dialectique de la guerre et du droit Ou : qu’est-ce que la guerre après l’abolition du droit à la guerre ? par Jean-Marc Ferry

L’espace

10-12 Le cubisme : invention d’un nouvel espace plastique par Nathalie Poisson-Cogez13-14 Nos espaces et leurs dimensions (suite) par Robert Gergondey

À propos de la science

15-17 Les ressources énergétiques et minérales en France, en Europe et dans le monde. Le point de vue d’un géologue - géophysicien par Pierre Andrieux18-19 Expérimentations in silico par Jean-Gabriel Ganascia

Rubriques

20-21 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye22-23 Humeurs par Jean-François Rey24-25 Repenser la politique par Alain Cambier26-27 Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart28-29 Chroniques d’économie politique par Florence Jany-Catrice, Sandrine Rousseau et François-Xavier Devetter30-31 L’art et la manière par Mélanie Grisot 32-33 Jeux littéraires par Robert Rapilly 34-35 À lire par Bernard Maitte 36-37 À lire par Rudolf Bkouche 38-40 Mémoires de science par Robert Locqueneux

Libres propos

41 Hommage à François Jacob par Michel Morange42-43 Michel Henry ou la vie manifestée par Jean-Marie Breuvart44-47 Grèce, Islam, Moyen Âge : les sources de la science moderne. L’exemple de la lumière par Bernard Maitte48-49 L’Observatoire de Lille : patrimoine universitaire et laboratoire de recherche en mécanique céleste par Alain Vienne

Au programme

50 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « La guerre », « L’espace », « À propos de la science »51 Reportages d’actualité : le FIGRA hors les murs52 Spectacle vivant : (L)armes 53 Lecture : Les carnets du caporal B… – Danse : La ruine des choses54-55 Pratiques artistiques : théâtre, danse, concerts, exposition, écriture

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LNA#51 / éditoLNA#51 / édito sommaire / LNA#51

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sommaire / LNA#51

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LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE

Directeur de la publication : Philippe ROLLETDirecteur de la rédaction : Nabil EL-HAGGAR

Comité de rédaction : Rudolf BKOUCHEYoucef BOUDJEMAI

Jean-Marie BREUVARTAlain CAMBIER

Jean-Paul DELAHAYEBruno DURIEZ

Rémi FRANCKOWIAKRobert GERGONDEY

Jacques LEMIÈREBernard MAITTECorinne MELINRobert RAPILLY

Jean-François REY

Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTEEdith DELBARGEJulien LAPASSET

Impression : Imprimerie DelezenneISSN : 1254 - 9185

À noter page 51 :Reportages d’actualité : le FIGRA hors les murs

En couverture : Jacques Di Donato en concert

à l’Espace Culture le 4 février 2009Photo : Julien Lapasset

La guerre

4-5 Prévenir et humaniser la guerre, est-ce possible ? par Monique Chemillier-Gendreau6-9 De la dialectique de la guerre et du droit Ou : qu’est-ce que la guerre après l’abolition du droit à la guerre ? par Jean-Marc Ferry

L’espace

10-12 Le cubisme : invention d’un nouvel espace plastique par Nathalie Poisson-Cogez13-14 Nos espaces et leurs dimensions (suite) par Robert Gergondey

À propos de la science

15-17 Les ressources énergétiques et minérales en France, en Europe et dans le monde. Le point de vue d’un géologue - géophysicien par Pierre Andrieux18-19 Expérimentations in silico par Jean-Gabriel Ganascia

Rubriques

20-21 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye22-23 Humeurs par Jean-François Rey24-25 Repenser la politique par Alain Cambier26-27 Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart28-29 Chroniques d’économie politique par Florence Jany-Catrice, Sandrine Rousseau et François-Xavier Devetter30-31 L’art et la manière par Mélanie Grisot 32-33 Jeux littéraires par Robert Rapilly 34-35 À lire par Bernard Maitte 36-37 À lire par Rudolf Bkouche 38-40 Mémoires de science par Robert Locqueneux

Libres propos

41 Hommage à François Jacob par Michel Morange42-43 Michel Henry ou la vie manifestée par Jean-Marie Breuvart44-47 Grèce, Islam, Moyen Âge : les sources de la science moderne. L’exemple de la lumière par Bernard Maitte48-49 L’Observatoire de Lille : patrimoine universitaire et laboratoire de recherche en mécanique céleste par Alain Vienne

Au programme

50 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « La guerre », « L’espace », « À propos de la science »51 Reportages d’actualité : le FIGRA hors les murs52 Spectacle vivant : (L)armes 53 Lecture : Les carnets du caporal B… – Danse : La ruine des choses54-55 Pratiques artistiques : théâtre, danse, concerts, exposition, écriture

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Prévenir et humaniser la guerre, est-ce possible ?

Professeur émérite à l’Université Paris Diderot Par Monique CHEMILLIER-GENDREAU

La guerre a longtemps été acceptée comme un mode de relations entre les groupes. Souvent d’une rare violence,

n’excluant pas des actes de barbarie, elle était toutefois conditionnée à la nature des armements dont disposaient les combattants. Avec l’évolution technologique et l’intro-duction des armes de destruction massive (chimiques, bio-logiques, nucléaires) à la fin du XIXème siècle, des initiatives concrètes furent prises pour tenter, par des moyens juridiques, d’humaniser, prévenir, interdire la guerre. Mais, la guerre chasse le droit et celui-ci est impuissant à l’éradiquer ou, même, à en réduire les effets. Maîtriser la violence relève de la sphère du politique plutôt que de l’injonction juridique. Faute que l’humanité soit pensée comme une communauté solidaire, les guerres se perpétuent et leurs effets demeurent impunis.

Les moyens du droit international et leur inefficacité

Humaniser la guerre

La souveraineté de l’État, pièce centrale de la construction du droit international, comportait la fonction régalienne du droit de faire la guerre. Il n’y eut donc pas, pendant long-temps, d’initiative pour faire interdire la guerre. On tenta plutôt d’en prévenir les pires effets en réglementant les armements. Les conférences de la paix de 1899 et de 1907 furent convoquées dans ce but. Quelques conventions furent conclues pour interdire certaines armes. Mais la struc-ture même du droit international fait obstacle à ce que l’on oblige un État à s’engager par une convention s’il ne le veut pas. Aussi, ces textes n’eurent de portée que pour les États qui les avaient signés. Même si le mouvement pour inter-dire certaines armes ou certains moyens de guerre est allé en s’amplifiant et même si les Conventions de Genève sur le droit humanitaire en cas de conflit armé (12 août 1949) sont de portée quasi-universelle, il faut bien reconnaître que l’ensemble de ces dispositions reste d’une grande faiblesse du point de vue de l’application, faute de mécanismes judi-

ciaires appropriés pour poursuivre les auteurs d’infractions. L’entrée en scène des juridictions pénales internationales (Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda et Cour Pénale Internationale) a été tardive (fin du XXème siècle, début du XXIème). Et elle a été accompa-gnée de tant de limitations que les résultats en sont pour le moment bien décevants.

Les initiatives privées n’ont pas été plus efficaces. L’horreur de la guerre de Crimée avait inspiré à Henri Dunant la création d’une organisation s’engageant à la neutralité dans tous les conflits pour avoir accès aux théâtres d’opérations et secourir tous ceux qui en avaient besoin. Et la Croix Rouge Internationale reste une institution précieuse dans bien des cas. Mais ses possibilités ne sont pas à la hauteur des souf-frances infligées par les conflits actuels.

Prévenir la guerre

On peut imaginer de prévenir les conflits de deux maniè-res : en poussant, aussi loin que possible, les négociations et autres moyens pacifiques qui permettent de régler les diffé-rends sans en arriver à recourir à la force ou en obligeant les belligérants à réparer ensuite les dégâts et torts nés de leurs actions militaires.

Les moyens pacifiques, qu’ils soient diplomatiques ou ju-diciaires, ont été beaucoup développés au cours du XXème siècle, notamment sous l’égide des Nations Unies. Ils se révèlent toutefois limités. Lorsqu’un État nourrit des inten-tions belliqueuses, la diplomatie est bien impuissante et les cadres multilatéraux qui se sont développés sont encore in-suffisants à apaiser les discordes et les rivalités. Quant aux solutions judiciaires, le principe de souveraineté des États, obstacle très fort au développement du droit international, a eu pour conséquence le caractère volontariste de la justice internationale. Ainsi, n’est-il pas possible de régler, devant les juridictions internationales, un différend entre deux États si l’un des deux refuse cette voie.

Faut-il prendre la guerre comme une donnée anthropologique indépassable de l’humanité ? Devant la montée en puis-sance des armements, leur capacité de destruction des individus et de leur environnement, leur capacité aussi de laisser les humains affectés de pathologies et de souffrances durables, la résignation est impossible. Elle l’est d’autant moins que de rares exemples indiquent que les humains sont parfois capables d’entrer dans des périodes de paix et d’écarter pour long-temps la menace d’usage des armes entre eux. Dans l’histoire mondiale récente, émaillée de tant de guerres, si violentes et si longues, l’exemple de l’union européenne est un cas remarquable. Ce cas est d’autant plus intéressant que, partout ailleurs, les guerres font rage et que les périodes de paix apparaissent alors comme des parenthèses fragiles.

En conférence le 7 avril

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Pour cette même raison, la question des réparations de guerre est-elle rarement réglée. Si les belligérants (vain-queurs ou vaincus) savaient, avant même de s’engager dans une aventure militaire, qu’ils n’échapperaient pas ensuite à une mise en responsabilité pour leurs actes de guerre, avec condamnation pénale de ceux qui auraient enfreint les rè-glements en la matière et obligation pour l’État de payer à ses adversaires les réparations pour dommages de guerre, il y aurait là sans doute un frein réel aux agressions militaires. Mais, la question des réparations de guerre, qui avait été posée sérieusement après la Première Guerre mondiale, n’a connu depuis que des applications décevantes ou contesta-bles (comme dans le cas de la première guerre du Golfe où l’Irak a dû supporter le poids de réparations de guerre dé-passant de beaucoup ses propres responsabilités) et semble actuellement retombée dans l’oubli.

Interdire la guerre

Cela a été le grand tournant voulu par les Nations Unies en 1945. L’idée était d’amener les États à renoncer, à titre individuel, à recourir à la guerre en leur offrant, en échange à ce renoncement, un mécanisme de sécurité collective mis en œuvre par un organe collégial. Si l’échec est aussi patent, cela est dû au déséquilibre introduit dans le système avec la catégorie de membres permanents du Conseil de sécurité qui ont confisqué les pouvoirs de l’organe collégial (le Conseil de sécurité) à leur profit. Mais, le désordre conceptuel de la Charte explique aussi la paralysie du mécanisme. En ôtant aux États la principale de leurs fonctions régaliennes, elle dénature la souveraineté. Mais, jouant sur les contradictions, elle affirme garantir les souverainetés (article 2 de la Charte). Ce faisant, le rapport de forces est renforcé. Les plus faibles n’ont plus aucun moyen de se défendre. Les plus forts font la loi dans l’espace international.

Seule, la communauté politique, en se constituant, permet d’écarter la guerre

Si, dans un grand nombre de cas, les États apparaissent comme des communautés humaines pacifiées, cela est dû au fait que les individus qui les composent sont conscients de participer à une « communauté ». Le mot n’est pas ici pris dans le sens du communautarisme, mais dans celui d’une association politique. Alors, la violence (qui ne disparaît ja-mais complètement) est réduite, car les solidarités sont mi-ses en évidence et chacun sait qu’il trouve davantage dans

un commerce pacifique avec les autres membres du groupe qu’en se laissant aller à des actes de force. Nous sommes là au cœur du mécanisme de la démocratie. Ce n’est pas l’État en soi qui apporte la paix. Bien des États sont sanguinaires. C’est le sentiment d’appartenance à la communauté poli-tique. Lien instable par nature, à construire et consolider sans cesse, le lien politique, lorsqu’il est perçu comme tel, engage les populations dans la voie de l’agir en commun et les détourne de la destruction.

Les États européens, après avoir vécu entre eux en état de guerre récurrent et avoir vu monter l’intensité des conflits au XXème siècle, sont entrés dans une ère nouvelle avec la construction de l’Europe. Avec le processus d’intégration, ils ont écarté l’hypothèse même de la violence guerrière comme mode de relations entre eux. L’ensemble reste fra-gile, comme les dernières évolutions l’ont montré. Toute-fois, le spectre de la guerre reste écarté. Malheureusement, l’Union européenne surfe sur des contradictions graves car, alors qu’elle a fait la paix entre ses membres, elle reste un haut lieu de fabrication et d’exportation d’armes et reste ainsi un agent actif des guerres dans le monde.

La société mondiale, dans son ensemble, représentée dans l’Organisation universelle des Nations Unies, a échoué à faire la paix car elle n’a pas commencé à se construire comme une communauté politique solidaire. Le maintien d’un concept dur de souveraineté dresse les États les uns contre les autres. Les égoïsmes nationaux se déploient. Le multilatéralisme recule. La pensée complexe nécessaire à une meilleure marche du monde ne progresse pas. Il n’est pas question de renoncer aux communautés nationales exis-tantes, mais de ne plus les penser comme exclusives. C’est ce pas que l’Europe a franchi timidement. Mais elle se contre-dit en maintenant les économies de ses membres dans une extrême militarisation et elle échoue ainsi à montrer la voie. Partout ailleurs, les nationalismes s’exacerbent sur fond de racisme et de conflits interreligieux.

Il est nécessaire de prendre acte de l’échec de l’ONU et de penser dès maintenant le système mondial qui devra en prendre la place. Rien ne serait plus grave que le vide.

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De la dialectique de la guerre et du droitOu : qu’est-ce que la guerre après l’abolition du droit à la guerre ?

Philosophe, professeur à l’Université Libre de Bruxelles en science politique et en philosophie morale, docteur honoris causa

de l’Université de Lausanne, Suisse

Par Jean-Marc FERRY

Partons de ce que la guerre n’est pas ou n’est plus.Contre le théorème de Carl von Clausewitz, la

guerre n’est plus que très marginalement à compren-dre aujourd’hui comme la poursuite de la politique par d’autres moyens ; et contre l’insinuation de Carl Schmitt, la guerre n’est pas le révélateur d’une authenticité poli-tique qu’occulterait le libéralisme en faisant du droit un élément de dissolution du politique.

Je voudrais ici soutenir, au contraire, que le droit, non seu-lement est essentiel à la politique, mais qu’il donne son sens politique à la guerre. Tout conflit proprement politi-que, ou bien, présuppose, ou bien, préfigure la médiation juridique. L’affirmation du droit dans la politique ne vaut pas comme une dénégation du conflit, loin s’en faut : dans l’ordre interne, le droit structure l’espace public, de sorte que soit rendue possible la contestation politique, il orga-nise politiquement le conflit, du fait qu’il fonde l’opposabilité des mesures politiques à ses destinataires grâce au prin-cipe de publicité ; et, dans l’ordre externe, qui nous inté-resse plus directement, c’est la destination objective vers le droit qui confère à la guerre, ainsi que nous le verrons, un caractère proprement politique. Objecterait-on que le droit est le médium qui permet de sublimer le conflit, de sorte que la conflictualité juridiquement dis ciplinée, telle qu’elle s’exerce dans le cadre de nos espaces publics libé-raux et démocratiques, n’est que la forme euphémisée du politique ? Mais, sans cette forme, la pulsion agonistique régresse vers des conduites sauvages, terroristes ou génoci-daires, qui renvoient à des figures dégénérées, prépoliti ques, lesquelles ne méritent pas l’appellation « guerre ».

Le droit entretient, en vérité, un lien intime à la guerre, du moment que l’on comprend la guerre comme une espèce proprement politique. Est considérée comme politique, philosophiquement parlant, toute réalité morale qui prend effet dans le milieu de la reconnaissance. Or, de même que la guerre n’aurait pu avoir d’existence politique sans un droit à la guerre, ce ius ad bellum, que les théoriciens du droit naturel ont mis au jour, de même le conflit armé ne peut jouir aujourd’hui d’une existence recon nue et, par-tant, d’une effectivité politique, que sous le point de vue normatif d’un droit des conflits, ou ius in bello. Si le droit est donc essentiel à la guerre comme il l’est à la politique, c’est qu’au fonde ment de cette relation réside, en effet, un élément commun : la reconnaissance.

D’une part, le droit est reconnaissance. D’autre part, ce qui confère à la guerre sa valeur proprement politique est la lutte pour la reconnaissance, laquelle fonde la destination objective de la guerre pour le droit. Là réside le sens politique profond de la guerre. Le sens authentiquement politique de la guerre est l’avènement et l’extension du droit, en parti-culier du droit des peuples ou droit des gens (ius gen tium).

Dans l’ordre interne, là où s’applique donc le droit politique (ius civitatis), les guerres civiles, en particulier les guerres de religion, ont joué un rôle décisif pour l’avènement, en Europe, des droits fondamentaux individuels, ou droits de l’homme.

Dans l’ordre externe, ce sont essentiellement les guerres européennes, ces « guerres en chaîne », suivant l’expression de Raymond Aron, qui ont gran dement contribué à l’ins-cription du droit des peuples (ius gentium) dans les chartes d’ambition internationale. Cependant, la relation intime, essentielle, entre la guerre et le droit n’est pas seulement génétique, par quoi la guerre, dans son sens proprement po-litique, serait une source au moins indirecte du droit. La relation est aussi dialectique, car le droit, une fois advenu, tend à supprimer la guerre tout en en conservant l’élément dynamique, soit la conflictualité qui se déploie dans les for-mes civilisées de la compétition pour des « biens politiques premiers », tels que le pouvoir, le prestige, la richesse.

La concurrence libérale devient le régime de croisière de la conflictualité sublimée sous la discipline du droit. Elle vaut comme la forme socialisée de la guerre, car elle tend normalement à dépolémiser les rapports sociaux et les relations internationales au moyen de négociations éco-nomiques ou politiques et, lorsque ces négociations ne suff isent pas à contenir ou écarter le conf lit, le droit révèle plus directement son rôle de médiation en référence à laquelle les parties entreprennent d’en découdre, à tra-vers des juridictions.

La guerre est politiquement productive dans la mesure où elle représente un appel vers le droit qui intervient comme un transformateur : il canalise la violence et dérive l’agres-sivité vers des formes de vie typiques du politique, celles qu’alimente une articulation civile, légale et publique de conflits économiques, sociaux, politiques, et que disciplinent

En conférence le 26 mai

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les ordres de reconnaissance à travers les logiques différen-tielles de l’économie d’entreprise, de la bureaucratie d’État, de la diplomatie in ternationale. Ce disant, mon propos n’est pas de faire l’éloge de la guerre car, dès lors que la guerre est mise hors la loi, ainsi qu’il en va à présent, sa source agonistique n’échappe au télos du droit qu’au prix de ré-gressions catastrophiques qui n’ont, quant à elles, aucune productivité politique. Ces formes dégénérées de la guerre sont antipolitiques, qu’il s’agisse d’actions terroristes ou d’épurations ethni ques. Encore une fois, la guerre n’est po-litiquement significative et, à ce titre, philosophiquement inté ressante, qu’en regard de la dialectique qu’elle entretient avec le droit.

Considérons cette dialectique dans la perspective d’une histoire universelle : il semble que nous nous trouvions à un moment critique de cette histoire. Il est souvent ques-tion, aujourd’hui, de politique des droits de l’homme, tandis que cette militance se voit accompagnée comme son ombre d’une criti que insinuant que le droit se retourne à présent contre la politique – dans un langage plus pom-peux : le juridique est en passe de subvertir le politique ; et l’on retrouve à ce point un topos de la critique néo- ou crypto-schmittienne du libéralisme. Cette critique repose sur une opposition abstraite, car le droit n’est pas davantage l’autre de la politique qu’il serait l’antithèse de la guerre.

Le droit participe plutôt de l’essence commune de la poli-tique et de la guerre dans ce que celle-ci peut présenter de valeur potentiellement politique, en tant que lutte à mort pour la reconnaissance. Le droit condense la quintes sence des expériences réalisées dans cette lutte à mort. Il est la forme froide en laquelle se résument les épisodes les plus brûlants qui sont décisifs pour une genèse normative de la société civile et de l’État. Il reste que la nouvelle critique du juridisme abstrait recèle une part de pertinence, là où la politique internationale des droits de l’homme ne jette, sur la guerre, d’autre lumière que moralement négative. C’est ce point délicat que je voudrais tenter ici d’expliciter.

L’interdiction légale de la guerre, marquée par l’abolition du ius ad bellum, ne semble historique ment justifiée, d’un point de vue fonctionnel, que pour les aires politiques où les rapports sociaux et les relations internationales sont stables et durablement domestiqués. Ainsi en va-t-il, on l’espère, pour l’aire politique que forme l’Union européenne. Là, les conflits non médiatisés par l’esprit du droit font scandale. Ainsi, l’Union ne saurait-elle tolérer en son espace des exac-tions policières graves et répétées ou une déficience chroni-que d’un État membre quant au maintien de l’ordre public. Un pays membre qui présenterait des troubles de ce genre se mettrait ipso facto en marge de l’Union.

Le « scandale » politique signifie que l’Union considère ou postule que ses membres sont parvenus à maturité poli-tique. L’expression « maturité politique » s’entend là dans un sens spécifique non trivial : elle signifie que la nation considérée aurait mené à terme cette « préhistoire » que trace la genèse agonistique du droit. Il s’agit du procès de formation et de transformation organisant la conflictualité en un régime proprement politique suivant les ressources de civilité, de légalité et de publicité. Dans la mentalité de l’Union européenne, les États qui ne seraient pas parvenus à cette maturité politique ne sont censément pas européens au sens normatif du terme. C’est pourquoi feraient scandale les éven tuelles déficiences par lesquelles un État membre laisserait, pour ainsi dire, filer la destrudo hors des canaux qui la disciplinent dans les formes civilisées de la compéti-tion, pour les convertir en une force politiquement féconde. Le scandale, de ce point de vue, est à son maximum quand les forces agonisti ques s’exacerbent et dégénèrent jusqu’aux conflits identitaires.

L’Union européenne – et j’en viens à présent au « point délicat » de l’explication – ne peut toutefois présenter sa normativité politique comme un modèle d’emblée applica-ble à toute autre aire géographique. Sans être vraiment, comme le prétend Robert Kagan, une île kantienne dans un océan hobbesien, sa réalité politique est, quand même, une pointe avancée de la réalité politique globale. Aux portes de l’Union couvent et éclatent des situations de guerre dont la plus chronique et la plus dramatique parti cipe précisément du caractère proprement politique qu’au-delà de tout autre enjeu confère à la lutte à mort la reconnaissance : reconnais-sance d’un État quant à son droit à l’existence. Cela vaut des deux côtés de la relation agonistique. On peut alors parler d’une véritable guerre politique, laquelle ne sau rait être as-

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similée au concept clausewitzien d’une poursuite de la poli-tique par d’autres moyens. C’est bien plutôt la politique qui devra prendre la suite de ce type de guerre, une fois qu’aura été acquise la reconnaissance réciproque. Alors seulement le droit – en l’espèce, le droit international général – re vêtira, pour les parties, une signification substantielle. Mais, avant la reconnaissance qui fonde substan tiellement le droit, cha-que partie se fait de son droit une idée très personnelle, in-compatible avec le principe d’une compatibilité universelle des maximes individuelles.

Pour autant que le droit positif s’accorde, comme il le pré-tend, à ce principe philosophique, son ap plication n’est évi-dente que dans les aires politiques où l’expérience de la re-connaissance mutuelle des peuples, naguère en conflit chro-nique, a pu être menée à bien de sorte que les principes de réciprocité et d’égale souveraineté ne fassent plus problème. En revanche, là où une telle expérience est tout au plus en cours, sans même que l’on puisse en prédire une issue posi-tive, l’imposition du droit sera vécue comme une violence et, même, comme une injustice. Le droit international gé-néral sera récusé de même que les institutions chargées de le faire valoir. Une telle rébellion peut inciter des tiers à en-visager une intervention militaire mandatée par les Nations Unies, auquel cas il ne s’agira pas d’une guerre, mais d’une opération de police internationale.

S’enclenche, à cet endroit, une seconde dialectique : non plus celle de la lutte à mort pour la recon naissance (qui en principe mène au droit) mais, à présent, en suivant Hegel, celle dite du crime et du châtiment, soit, là où une puissan-ce publique intervient pour faire valoir la force du droit en en répri mant les violations. Or, l’ambiguïté de la situation actuelle tient à ce qu’interfèrent les deux dialecti ques. C’est dans cette mesure que l’on peut parler d’une violence du droit : le droit prétend, en effet, s’imposer, et s’imposer par la force dans les contrées où son principe n’est pas substan-tiellement ac quis du fait que la lutte pour la reconnaissance n’a toujours pas abouti. Il y va d’une résistance ouverte au droit commun. On appelle « crime », dans ce contexte, la récusation explicitement assumée du droit, rébellion de la subjectivité contre l’intersubjectivité. La nation réfractaire affirme (l’interpréta tion de) son droit contre le droit, et cela justif ie normalement une sanction émanant de la com-munauté internationale.

On sait que celle-ci a mis officiellement la guerre hors la loi. Le droit à la guerre n’existe plus, mais seulement un droit à l’auto défense face à une agression caractérisée ; par exemple, un viol des frontiè res nationales ou des bombardements du sol national. Encore que le viol d’un territoire national ne justifie parfois que de façon douteuse le recours immédiat à la force armée. C’est seulement de façon formelle que l’on a alors affaire à une autodéfense.

Ainsi, lors de ladite « guerre des Maloui nes », le Royaume-Uni avait-il fait de la prise de possession, par l’Argentine, des îles Falkland un véritable casus belli. C’eût été là une « guerre » anachronique, déplacée au point d’en paraître presque vul-gaire, si l’opération militaire britannique n’avait été rapide et sans bavure, de sorte que le conflit avec l’Argen tine a pu être relégué au statut d’un incident de frontières. On s’efforce de faire de même avec le contentieux opposant la Russie à la Géorgie à propos de l’Abkhazie et de l’Ossétie.

D’une manière générale, la notion de guerre n’a plus qu’une extension fort limitée. D’abord, les conflits justifiés par la défense d’un territoire ne peuvent plus être considérés comme des guerres au sens propre, dans la mesure où le concept de guerre juste n’a plus cours. Surtout, de façon plus claire encore, ne peuvent être considérées comme des guerres les interventions militaires menées sous pavillon des Nations Unies.

Formellement, on l’a dit, ce ne sont pas des guerres, mais des opérations de police internatio nale. Ainsi en va-t-il de la première « guerre » du Golfe. Mais on voit, avec cet exemple, que les cho ses ne sont pas si claires : la première interven-tion américaine en Iraq, pour légale qu’elle fût, présente les traits d’une guerre, de par son caractère disproportionné ainsi qu’en regard d’un hiatus entre les raisons juridiques avancées (le viol du territoire koweitien) et les motifs géopolitiques de l’opération. À l’opposé, l’opération au Kosovo, bien qu’elle ne fût pas légale au sens strict, réunit les caractères légitimes d’une opération de police internationale. Elle ne mérite pas l’appellation « guerre », ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’action en Afghanistan, laquelle évoque, en son fond, davan-tage l’esprit de la « guerre juste » que celui d’une légitime « opération de police », car il s’agit moins de sauver des popu-lations contre le génocide que de contrer un régime totalitaire éminemment susceptible d’activer un foyer du terrorisme in-ternational. Quant aux conflits identitaires et génocidaires,

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dont l’ex-Yougo slavie et le Rwanda ont pu faire la tragique expérience, ils sont fort éloignés des conflits armés relevant du concept de guerre proprement politique.

Je réserve la dénomination de guerre politique à la seule espèce des conflits armés, qui puisse vala blement porter le nom de « guerre » aujourd’hui, car ce ne sont ni des opé-rations de police internatio nale, ni des répliques légitimes d’autodéfense, ni des exactions prépolitiques, terroristes ou génocidai res. Il s’agit de cette lutte pour la reconnaissance entre deux peuples ennemis, une lutte à mort qui a pour en-jeu objectif l’intériorisation d’un droit commun (du droit en général), ce qui signerait norma lement la maturité politique des États concernés, non pas simplement dans l’exercice de leur souverai neté interne, vis-à-vis de leurs propres ressortis-sants, mais dans l’exercice de leur souveraineté ex terne, vis-à-vis d’autres États ou peuples. La maturité politique d’un État est atteinte, de ce point de vue, lorsque, et seu-lement lorsque, sa souveraineté est disciplinée par le droit : dans l’ordre interne, par les droits fondamentaux des indi-vidus, ou droits de l’homme ; mais également, dans l’ordre externe, par les droits fondamentaux des peuples ou droits des gens. C’est à cette condition que l’on peut va lablement parler à son sujet d’un « État de droit démocratique ».

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Le cubisme : invention d’un nouvel espace plastique

Docteur en histoire de l’art contemporain, chargée de cours à l’Université Charles de Gaulle Lille 3, membre associé du

Centre d’Étude des Arts Contemporains (CEAC) - Lille 3

Par Nathalie POISSON-COGEZ

Le réel et sa représentation

Le problème posé au peintre par la représentation du monde visible est lié à la scission fondamentale entre les deux concepts d’espace réel et d’espace représenté. En effet, l’espace réel, défini comme « forme a priori de la sensibilité extérieure 1 » comporte trois dimensions. Or, l’étymologie du mot tableau vient du latin tabula (table) et implique la notion de plan réduit à deux dimensions.Le monde réel, celui au milieu duquel nous évoluons, nous englobe totalement. Notre regard permet une appréhension visuelle des choses, de leur rapport entre elles et du vide qui les entoure 2. Notre vision est, par nature, binoculaire et mobile. Notre corps lui-même peut se mouvoir, se déplacer pour modifier notre point de vue. Nous avons également la faculté de focaliser notre regard sur un détail, un élément. Nous pouvons jouer – tel un appareil photographique – sur la notion de cadrage, de mise au point.Le tableau est, par essence, une surface délimitée, finie, qui oblige à ne transcrire qu’une fraction du visible. À la Renais-sance, la codification de la perspective va permettre aux artistes de donner l’illusion des trois dimensions. Le prin-cipe même de la perspectiva artificialis, telle qu’elle est définie par Alberti dans son ouvrage De Pictura en 1435 3, et comme l’avait démontré auparavant l’expérience de la Tavoletta de Brunelleschi en 1413, implique une vision monoculaire et fixe. L’historien de l’art Daniel Arasse confirme que ce type de représentation « suppose un spectateur immobile doué d’un œil unique situé au centre du spectacle envisagé 4. » Ce principe va être remis fondamentalement en cause par le cu-bisme dans les premières décennies du XXème siècle.

Points de vue multiples

Selon Alain Bonfand : « Le XXème siècle est un monde de fragments. 5 » Stimulés par les réflexions contemporaines sur la relativité et l’existence d’une quatrième dimension,

1 D. Valeton, Lexicologie, l’espace et le temps d’après des textes critiques d’Apollinaire sur la peinture moderne, éd. AG Nizet, Paris, 1973, p. 18.

2 Voir, à ce sujet, Jean-Luc Marion, La croisée du visible, éd. PUF, Paris, 1996.

3 Leon Battista Alberti, De Pictura, éd. Allia, Paris, 2007.

4 Daniel Arasse, L’homme en perspective, les primitifs d’Italie, éd. Hazan, Paris, 2008, p. 204.

5 Alain Bonfand, « Perspectives désertées » dans Trois essais sur la perspective, éd. de la Différence / FRAC Poitou-Charente, 1985, p. 62.

les peintres cubistes adoptent, dans leurs compositions, la multiplicité des points de vue. Un même objet est représenté simultanément de face, de dessus et de profil. Apollinaire définit le cubisme comme « l’art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés non pas à la réalité de vision mais à la réalité de connaissance 6. » Ainsi, la vi-sion subjective cèderait la place à une approche conceptuelle du réel. André Lhote 7 indique toutefois que ces deux axes, qu’il nomme respectivement « point de vue accidentel » et « point de vue absolu », coexistent dans le cubisme. En réalité, les différentes phases du cubisme proposent chacune une pensée spécifique de l’espace. Le cubisme cézannien (1908-1909) est caractérisé par l’emploi de la perspective cavalière, le cubisme analytique (1910-1911) par la désintégration de l’objet en multiples facettes, le cubisme synthétique (1912-1914) par l’affirmation du plan. La phase synthétique du cubisme semble résoudre le conflit entre bidimensionnalité du tableau et tridimensionnalité du réel ; notamment par l’invention de la technique du papier collé, initiée par Georges Braque en 1912. La Bouteille de Vieux Marc de Pablo Picasso (1913, Musée National d’Art Moderne, Paris, cf. illustration p. 11) est emblématique des possibilités offertes par ce procédé. L’analyse détaillée de cette œuvre permet d’appréhender le nouvel espace plastique pro-posé par le cubisme. Comparativement à une nature morte de Chardin, les objets sont ici moins clairement lisibles au premier regard. Un œil averti les reconnaît néanmoins :- La bouteille est figurée de manière schématique dans une représentation proche de celle du dessin technique. Elle est montrée simultanément sous plusieurs angles. Le gou-lot, symbolisé par les deux cercles ronds placés en haut de la composition, est vu de dessus. Le corps de la bouteille, transcrit par un angle droit tracé au fusain, est vu de face. Un cylindre semble aussi avoir été développé partiellement sur le plan du tableau : en témoigne l’inscription des lettres « VIEUX MARC ». Les lettres « VIEU » et la partie gauche du « M » sont frontales. Au contraire, la suite des lettres « ARC » incurvées et l’effacement partiel du « X » suggèrent la rotondité du volume. - Le grand morceau de papier peint orné de motifs géométri-ques est découpé de manière à laisser apparaître le pied d’un

6 Guillaume Apollinaire, Les peintres cubistes, Méditations esthétiques, 1913, rééd. Hermann, Paris, 1980, p. 68.

7 André Lhote, Les invariants plastiques, éd. Hermann, Paris, 1967, p. 147.

En conférence le 14 avril

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verre en négatif. Ce creux, ce vide, simule la transparence du verre en tant que matériau. Dès lors, c’est le fond même du support, le papier blanc qui fait surface. Une ligne noire détoure le profil du contenant au sommet duquel est replacé le petit morceau de papier qui forme le pied.- Un journal, tout à la fois signifiant et signifié, est collé à plat, sans perspective aucune, les lettres imprimées, bien que positionnées en oblique, sont frontales. La découpe rectan-gulaire du papier en fait également, comme l’indique Bri-gitte Léal, une « pure texture optique, privée de sa fonction d’usage, de communication et d’information 8. » Le journal passe dans le verre et se situe simultanément derrière, sous et au-dessus du papier peint collé. - Une table ronde est traduite par des arcs de cercles noirs tracés au fusain en traits plus épais. Mais, sa forme est frag-mentée, décomposée. Le plan de la table, logiquement horizontal, a littéralement basculé pour se confondre avec le plan vertical du tableau. Ce type de représentation évoque les dessins d’enfants qui, représentant une table, traceront un rectangle ou un cercle sur leur feuille de papier. Cepen-dant, dans l’œuvre de Picasso, une ligne blanche, peinte à la gouache dans le prolongement de l’arc de cercle noir, situé en bas à gauche, suggère la table sous forme d’ellipse dans une acception perspectiviste. La représentation de la table est donc le résultat d’une double vision accidentelle et absolue. - La table est recouverte d’une nappe, à moins qu’il ne s’agisse d’une surface en carrelage, ou encore du papier peint ornant les murs qui entourent la nature morte, puisque, en effet, le papier déborde du tracé même de la table.

Ainsi, le positionnement vertical des formes dans cette nature morte évoque, comme l’écrit Jean Paulhan, un « espace en

8 Brigitte Léal, Picasso, papiers collés, éd. RMN, Paris, 1998, p. 18.

rupture de ban où les plans se chevauchent et s’embrouillent, mieux à une étendue en accordéon, qui laisse aux objets toute liberté de s’éloigner les uns des autres, puis de se rap-procher jusqu’à se confondre 9. » Il s’agit en effet, face à une œuvre, de regarder les éléments représentés : objets et formes, à la fois dans leur rapport à la surface du tableau, à son étendue, mais il s’agit également de prendre conscience de la manière dont l’intellect les positionne les uns par rapport aux autres dans un espace reconstitué mentalement. Le rendu de l’espace et de la profondeur dans un tableau ne résulte pas uniquement de la perspective. Le traitement des ombres et des lumières joue un rôle primordial : un cercle devient une sphère dès lors qu’il est doté d’une ombre propre et, éventuellement, d’une ombre portée qui permet de la positionner dans l’espace. Dans le cas présent, un noircisse-ment apparaît en plusieurs endroits. La forme de la bouteille émerge de deux zones ombrées qui, loin de lui donner du volume, renforcent sa constitution plane. Seul l’effet de mo-delé au niveau des lettres « Vieux Marc » suggère son volume cylindrique. Du fusain recouvre en partie le journal et la zone située au-dessus. Un vrai journal : ce sont des pages multiples qui donnent à l’objet une certaine épaisseur, épais-seur totalement absente dans le cas présent ou, du moins, juste suggérée par l’ombre noire qui surplombe le papier collé.La nouvelle approche de l’espace, proposée par les cubistes, tangible dans les représentations de paysage, l’est d’autant plus dans les natures mortes. Georges Braque affirme : « Avec la nature morte, il s’agit d’un espace tactile et même manuel, que l’on peut opposer à l’espace du paysage, espace visuel... Dans l’espace tactile, vous mesurez la distance qui vous sépare de l’objet, tandis que dans l’espace visuel, vous mesurez la distance qui sépare les choses entre elles 10. » De fait, la pratique du collage 11 transforme la surface du tableau en une superposition de strates. Le support papier opère alors comme un fond, un support sur lequel sont disposés des éléments issus du réel. Le collage devient une réponse à une nouvelle matérialité de l’espace pictural 12.

9 Jean Paulhan, La peinture cubiste, éd. Denoël, Paris, 1990, p. 22.

10 Henry R. Hope, Georges Braque, éd. The Museum of Modern Art, New York, 1949, p. 28.

11 Sur l’emploi du terme collage, voir Brandon Taylor, Collage, l’ invention des avant-gardes, éd. Hazan, Paris, 2005.

12 Voir Christopher Green, Les définitions du cubisme dans le catalogue d’exposition Les années cubistes, collections du Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne et du Musée d’art moderne de Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq, 1999, p. 22-26.

Pablo Picasso, La bouteille de vieux marcprintemps 1913AM 2917 D

Papier colléFusain, gouache, papiers collés et épinglés sur papier63 x 49 cmMusée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou

© Photo CNAC / MNAM, dist.RMN / Philippe Migeat© Succession Picasso 2009

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Transparence et matérialité

Dans Bouteille de Vieux Marc, le fond neutre détermine à lui seul un espace qui est celui du support en soi. Cette vacuité met en cause la notion même de trompe-l’œil qui régentait la peinture depuis l’apparition de la perspective et de la pein-ture à l’huile. La toile était une « fenêtre ouverte 13 », comme un écran transparent sur lequel le peintre projetait sa vision du monde. Daniel Arasse souligne que « la surface peinte en tant que telle s’annule pour ne plus être qu’un plan invisible 14. » La scène évoquée paraissait dans un espace cubique, pour les scènes intérieures, ou dans un espace profond, celui du paysage, pour les scènes extérieures. Au contraire, dans le collage, cette surface est un espace en soi, ne renvoyant qu’à lui-même.Sur le pourtour du papier, des lignes verticales, horizontales et obliques forment un maillage. Ces tracés au fusain, réa-lisés à main levée, n’ont pas de signification véritable, ils ne fournissent aucune information sur la topographie du lieu dans lequel se trouve cette nature morte. Ces lignes angulai-res et brisées rappellent le traitement de l’espace diffracté des œuvres de la période du cubisme analytique, qui renforçait la fusion de la forme et du fond (voir, par exemple, Pablo Pi-casso, Portrait d’Ambroise Vollard, 1910, Musée Pouchkine, Moscou). Dans le cas présent, les lignes traversent le plan de la table qui, dès lors, semble transparente. Ce traitement plastique contribue donc à l’affirmation de la surface du tableau. Les papiers collés, dont la présence tactile a été soulignée, introduisent, dans cette œuvre, la couleur. Tristan Trémeau, dans l’analyse du collage de Georges Braque 15, Guitare (Le petit Éclaireur, 1913, Musée d’Art Moderne, Villeneuve d’Ascq), signale l’antinomie entre la vision frontale imposée par les papiers collés et la profondeur spatiale suggérée par le dessin et les ombres. Ce qui, dans l’œuvre analysée, apparaît sans doute de manière flagrante par la présence en bas, et finalement au « premier plan », du morceau de papier peint rectangulaire. Ce rectangle évoque un fragment de moulure avec un effet de trompe-l’œil donné par le traitement en gri-saille du décor. Cette moulure suggère la bordure de la table, la ceinture métallique qui entoure les tables « bistrot ». Mais,

13 Leon Battista Alberti, op. cit., p. 30.

14 Daniel Arasse, op. cit., p. 202.

15 http://imagesanalyses.univ-paris1.fr/analyse-collage-cubiste-30.html, consulté le 24/10/2008.

elle est peut-être davantage encore une allusion au cadre du tableau, à ses limites.Un dernier détail, à peine visible sur la reproduction de l’œuvre, accroche le regard : des épingles sont piquées dans les papiers ajoutés. Leur présence ne se justifie pas seulement pour des raisons techniques. Elles sont enfoncées dans les morceaux de papier pour les faire tenir au support, de la colle assure néanmoins l’adhésion totale. Outre le fait d’autoriser le dé-placement ultérieur du papier, dans la phase d’élaboration 16, ces épingles permettent sans doute, plus que le journal lui-même, l’introduction du réel dans l’œuvre. Premièrement, elles apportent une matière autre : le métal ; deuxièmement, elles sont de véritables volumes, si fins soient-ils. Enfin, leur passage dessus-dessous suggère un devant et un derrière de la surface du tableau. Un schisme apparaît donc entre, d’une part, l’affirmation de la surface bidimensionnelle (prônée par la multiplicité des points de vue, l’usage de la typographie et la technique du papier collé) et, d’autre part, la présence de ces objets véritables. Ils affirment la présence du réel dans l’œuvre par leurs qualités intrinsèques : le tridimensionnel et le tactile.

Le Tableau-objet

En somme, l’espace classique unifié de la peinture imitative – que la photographie parvient à reproduire – va laisser place, dans la peinture moderne, à un espace fragmenté. En outre, à l’articulation des plans suggérée par la perspective centrale se substitue ici une superposition des éléments plastiques constitutifs de l’œuvre matérielle. Le « tableau-miroir » est détrôné par ce que Christopher Green nomme le « tableau-objet » ou « objet-tableau 17 ». Parallèlement aux papiers collés 18, Braque et Picasso expéri-mentent le travail de « construction ». Une œuvre comme la Guitare en carton de Picasso (1912, Musée Picasso, Paris) est une expansion vers la troisième dimension. Dès lors, outre-passant la surface du tableau, les plans se projettent dans l’espace même du spectateur… L’espace réel.

16 Des photographies de l’atelier de Picasso témoignent de ces modifications de composition. Voir, également, la pratique d’Henri Matisse.

17 Christopher Green, op. cit., p. 24. Jean Paulhan propose le terme de « machine à voir », voir op. cit., p.109-134.

18 William Rubin affirme l’antériorité des constructions sur les papiers collés. William Rubin, Picasso et Braque, l’ invention du cubisme, éd. Flammarion, Paris, 1984, p. 24.

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Nos espaces et leurs dimensions (suite)

MathématicienPar Robert GERGONDEY

Un mathématicien à Profane

« Mes chers partenaires du Triangle Olympia se sont trompés, et vous ont trompé, en annonçant que je saurais, d’un point de vue mathématicien, vous éclairer sur cet espace-temps qui semble tant vous préoccuper. Comme je sentais que je n’avais rien à dire là-dessus, j’ai été tenté de ne pas vous ré-pondre et cette hésitation fait que ma lettre vous parviendra bien tard. Mais votre demande était si courtoise que, ne pouvant me dérober, je vais sortir provisoirement du cocon si confortable de mon activité de mathématicien et vous dire d’emblée que, si je ne pense pas être la bonne personne pour vous répondre, c’est précisément parce que je suis ma-thématicien. Une explication s’impose.Je vais prendre un point d’appui sur ce que vous a écrit mon ami physicien. Il évoquait les modèles théoriques, ces mondes formels, en soulignant fortement que ces cartes conjecturales pour l’exploration d’un domaine de réalité ne sont pas le territoire ; plus loin, il mentionnait l’art mathé-matique du « faire des mondes formels ». Je me décrirais volontiers comme constructeur, explorateur et habitant de mondes formels, quelqu’un qui prend un recul par rap-port à la réalité phénoménale et pour qui, plus ou moins, carte et territoire coïncident, en démarquant par là mon travail de celui du physicien du réel : pour ma part, si je fais de la physique, c’est celle de mondes imaginables. Ne croyez pas cependant que ces mondes fictifs ne sont que lubies d’insensés, qu’ils n’ont aucun ancrage dans le monde sensi-ble : il faut tenir compte de plusieurs aspects de ce travail. Tout d’abord, nous sommes tous soumis aux limitations de l’imagination qui ne sait naviguer qu’à proximité de côtes déjà explorées. Plus fondamentalement, l’entreprise mathé-matique n’aurait aucun sens si les mondes qu’elle élabore ne pouvaient accueillir, et faire vivre, ces objets de pensée, ces

« idéalités », par lesquels, conjecturalement, l’investigation scientifique complète le monde étroit de nos perceptions. (L’enjeu de cette complétion n’est pas seulement la « vision intellectuelle », qui permettrait de « voir au-delà du sen-sible », mais aussi, et surtout, l’ « enchâssement du réel dans le virtuel », qui vise à obtenir, comme sous-monde [satisfaisant à des contraintes-équations] d’un monde for-mel, un modèle idoine du monde réel, sans s’interdire pour autant de se placer dans le cadre virtuel pour obtenir des prédictions concernant le réel. Cela dit, la distinction entre sensible et intelligible mérite d’être repensée...). Enfin, au sein même de la mathématique formelle la plus autonomisée par rapport au réel qu’on puisse concevoir, subsiste une contrainte interne : une théorie qui serait prise en flagrant délit de contradiction (c’est-à-dire où coexisteraient une formule et sa négation) doit être révisée et, si cela n’est pas possible, purement et simplement abandonnée. Dura lex, sed lex : les mondes formels doivent être consistants à leur manière ; et si, de surcroît, ils ne sont pas trop mal fichus, ou même beaux, s’ils évitent la désolante insignifiance, per-sonne ne s’en plaindra. Reste que la liberté qui règne dans nos ateliers de construction de formes symboliques n’est pas absolue !Ces préliminaires sont, j’en conviens, un peu longs et, sans doute, un peu trop philosophants. Mais, avant de vous don-ner mon avis sur « espaces et dimensions », ils m’ont semblé nécessaires. Il n’y a pas, en mathématiques, de définition générale d’un objet « espace » qui couvrirait les nombreuses « espèces d’espaces » (bien définies, elles) qui y pullulent. Quand un mathématicien baptise « espace schtroumpfique » (ou « topos, variété, schéma, champ… ») ce qu’il vient de définir-construire, il marque une référence, plus ou moins distanciée, et plus ou moins pertinente, à nos espaces em-piriques. [À « La Notion d’Espace » et au lien entre espace

Profane lit et relit les lettres qu’il vient de recevoir. L’intérêt que portent des professionnels du savoir à des questions qu’il craignait stupides le réconforte. Il découvre que ce philosophe et ce physicien ne prétendent nullement détenir une vérité définitive. (La sécheresse du philosophe et son ironie un peu condescendante font qu’il l’imagine, à tort, âgé et fort maigre. Le physicien serait, lui, un sportif, un marcheur qui connaîtrait le moindre caillou des sentiers du Colomby si proches de son laboratoire). Il sent bien le souci qu’ils ont eu de rester aussi intelligibles que possible par un non-spé-cialiste, pourtant, plus encore que de ne pas comprendre, il redoute de comprendre de travers. L’autodidacte qui, en lui, n’a jamais eu le sommeil profond, tente, joyeusement, erratiquement et frénétiquement, de compléter son information. (Saint wiki, aide-le à continuer d’aimer cette ignorance sans laquelle aucun savoir ne peut pousser et préserve-le de la folie. Amen). Il attend aussi, non sans impatience, la lettre annoncée du mathématicien du Triangle Olympia. Plusieurs mois s’écoulent... Il pense qu’on l’a oublié, qu’il lui faudra trouver ailleurs les éclaircissements sur l’intrigante question des dimensions à laquelle le physicien n’a pas réellement répondu. Il ignore dans quels désarrois sa modeste demande a pu plonger ce mathématicien. une lettre lui parvient.

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empirique et espace mathématique, Henri Poincaré a, dans son livre La Valeur de la Science, consacré des pages dont le siècle écoulé n’a nullement atténué la profondeur de pensée et dont je ne peux que vous conseiller la lecture (critique, comme toute bonne lecture).] Le paradigme spatial, qui semblait réservé à la géométrie (au sens large, en y incluant la géométrie qualitative ou topologie), a aujourd’hui conta-miné, en les fécondant, toutes les régions du pays mathéma-tique : algèbre, analyse, combinatoire, probabilités, arith-métique (là où j’habite)… Ce sont, comme si souvent, mes deux amis du Triangle (qui ont tant d’acuité et moi tant d’obtusité !) qui m’ont fait entrevoir les raisons de ce succès : la métaphore de la scène théâtrale proposée par le physicien m’a permis de saisir une caractéristique essentielle commune à tous ces « espaces » : ils peuvent être modulés, équipés, décorés, peuplés par des configurations qui en révéleront les propriétés ; et, comme mon expérience de chercheur m’a convaincu qu’il n’était pas absurde de parler, en un certain sens, de perceptions (intellectuelles) dans ces mondes formels que nous explorons, la formule du philosophe sur l’ « ordination » me semble, dans ce contexte, garder sa per-tinence quant à la fonction de ces « espaces ». Et on peut compter sur « l’ingénierosité symbolique » (si ce néologisme ne vous heurte pas) pour créer, si le besoin s’en fait sentir, de nouvelles espèces d’espaces, plus ou moins accessibles à notre intuition (tels les fractals de Benoît Mandelbrot, les superespaces, les triples spectraux d’Alain Connes…). Vous comprendrez bien que, face à cette diversité, la notion de dimension d’un espace ne puisse pas être plus facile à élu-cider que celle, disons, du quotient intellectuel des animaux (une amibe, un calamar géant ou moi-même par exem-ple…). Mais, depuis que les nombres font partie de notre équipement culturel, le souci de quantifier à tout prix les qualités n’a pas cessé. La dimension (naguère nombre de di-mensions) est censée mesurer l’ampleur d’un espace : pour prendre un exemple, un fil est plus ample qu’un point et moins qu’une membrane, elle-même moins ample qu’un corps. Mais pour aller plus loin, il y aurait lieu, pour une espèce spatiale donnée, de définir cette comparaison par l’ampleur, de sélectionner un étalon (l’unité de la mesure) et enfin d’expliciter comment la comparaison par rapport à l’étalon produit un nombre (qui ne sera pas nécessairement un nombre entier naturel !). Cela effectué, il faudra montrer que ce protocole ne fournit pas de résultats incohérents ou tri-viaux, ce qui peut demander la démonstration de théorèmes profonds et difficiles. En tout cas, compter les dimensions n’est pas comme compter les pommes d’un panier à fruits. [Il est parfois tentant de ruser en redéfinissant la dimension,

par exemple en utilisant hors de son cadre de validité une relation établie entre cette dimension et une autre quan-tité, mais...]. En sens inverse, l’ingénierosité a la capacité de créer des espèces d’espaces pour lesquels les dimensions, convenablement définies, pourront être des nombres réels ou complexes quelconques ! Mieux encore : pourquoi s’en tenir à des espaces qui n’auraient qu’un seul nombre comme dimension, des espaces purs et ne pas considérer des espaces mixtes pour lesquels la notion pertinente serait celle d’un spectre de dimension ? Vous comprenez pourquoi je me tais sur « la dimension de l’espace-temps physique ».Puisque, nous avez-vous écrit, vous pouvez comprendre ce qu’est un espace euclidien de dimension autre que trois, je pourrai terminer cette lettre en vous laissant quelques sujets de méditation :- les noeuds peuvent être définis en toutes dimensions, mais seule la dimension 3 a de l’intérêt !- on peut empiler des sphères en toutes dimensions mais, en di-mension 24, il y a un empilage régulier particulièrement dense !- il n’y a pas, en dimension 3, de cristaux possédant des symétries d’ordre 5 (comme le pentagone régulier) ; cepen-dant, il y a dans la nature des quasi-cristaux présentant qua-siment de telles symétries et un modèle mathématique peut être obtenu comme « trace » d’un vrai cristal dans un espace de dimension 6 sur un sous-espace de dimension 3 !Enfin, je voudrais vous recommander sans réserve la vidéo Dimensions due à Etienne Ghys et Jos Leys (www.dimen-sions-math.org) : c’est intelligent, beau et la visualisation permet de faire comprendre bien des choses.Sans doute ne pouvez-vous pas vous en rendre compte, car cette lettre est encore bien confuse, mais votre demande m’a forcé à clarifier mes idées et je vous en suis extrêmement reconnaissant.

Très amicalement, un mathématicien.

PS : Une chose encore : puisque vous lisez l’anglais, regardez l’intro-duction de l’article The notion of dimension in geometry and algebra par Yuri I. Manin ; n’ayez pas peur : l’essentiel en est intelligible par un non-mathématicien ! (sur http://fr.arxiv.org/ puis arXiv:math/0502016v1

[math.AG] 1 Feb 2005) ».

Diagnostic cruel de Profane : « On ne doit habiter les mondes formels qu’avec modération. L’abus peut entraîner des consé-quences fatales pour la santé mentale ! ». En d’autres termes, il considère que ce mathématicien est quelque peu fêlé.

Pour copie conforme, R. Gergondey.

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Les ressources énergétiques et minérales en France, en Europe et dans le mondeLe point de vue d’un géologue-géophysicien

Vice-Président de l’Union Française des Géologues (UFG), Professeur émérite de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI)

Par Pierre ANDRIEUX

Synthèse de la vidéoconférence présentée à l’Espace Culture de l’Université Lille 1, le 25 novembre 2008.

L’Année Internationale de la Planète Terre se termine en 2009. L’un de ses objectifs : faire connaître au monde

entier la somme de connaissances accumulées par les géo-logues et les géoscientifiques – les spécialistes des Sciences de la Terre – et faire en sorte que ces connaissances soient mobilisées pour rendre la Planète Terre plus sûre, plus riche et en meilleure santé. Belle utopie ! Utopie indispensable.L’une des questions sérieuses qui se posent est celle de l’énergie et de l’exploitation des ressources minérales face aux besoins croissants de la population mondiale.Quelques éléments de réponse sont fournis dans cet exposé. Ils résultent de la collecte d’informations, sur plus de trente sites, sur la toile. Vous êtes invités à les commenter, les compléter, voire à les corriger, après avoir fait votre propre recherche sur la toile, avec les mots clés qui conviennent, et après avoir exercé votre esprit critique, bien sûr !

L’énergie

C’est le nerf de la guerre, au sens figuré et trop souvent au sens propre.L’énergie finale, consommée en 2005 et en 2006, est répar-tie entre les six formes, selon les statistiques internationales, d’une manière extrêmement voisine en France, en Europe et dans le monde. Voici quelques pourcentages à partir d’une unité commu-ne conventionnelle, la mégatonne équivalent pétrole (Mtep).

Formes d’énergie France - 2006 (%) Monde - 2005 (%)

Charbon 4 8

Pétrole 44 44

Gaz 22 16

Électronucléaire17 à 20 selon les

sources8

Hydroélectricité + Éolien + autres

3 8

Énergies renouvelables

7 16

TOTAL 100 % = 162 Mtep100 % = 7 912

Mtep

À noter : Total Énergies fossiles (charbon + pétrole + gaz) - France : 70 % - Monde : 68 %.

Pourcentages à méditer et à interpréter ! Ils seraient sensible-ment différents pour l’énergie primaire consommée qui intègre les pertes dans les unités de production et dans le transport, lorsqu’il s’agit de l’électricité en particulier. Les prévisions de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) pour la consommation d’énergie primaire dans le monde sont les suivantes, pour 2030, à comparer à la situation en 2005.Il s’agit du scénario, dit « alternatif », le plus volontariste en termes d’efforts consentis pour améliorer la situation en matière de réchauffement climatique. Pas de révolution en perspective donc, pour les 25 prochaines années.

Formes d’énergie 2005 (%) 2030 (%)

Charbon 25 27

Pétrole 35 30

Gaz 21 22

Électronucléaire 6 6

Énergies renouvelables dont hydroélectricité et autres sources

13 15

TOTAL 100 % = 11 435 Mtep100 % = 15 370

Mtep

À noter : Total Énergie fossiles (charbon + pétrole + gaz) : 2005 : 81 % - 2030 : 79 %.

Les réserves mondiales de combustibles fossiles

On les exprime, par commodité, en années de consomma-tion actuelle. Mais, attention, une augmentation annuelle minimale de l’ordre de 1,2 % est prévue au cours des 25 prochaines années.

Charbon - réserves prouvées : 200 ans ; avec une répar-tition géographique mondiale relativement équilibrée. Pétrole - réserves prouvées : 40 ans ; avec un grand déséquilibre dans la répartition géographique, puisque près de 60 % sont situées au Moyen-Orient. Réserves ultimes estimées * : 100 ans.

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Gaz - réserves prouvées : 65 ans ; avec deux pôles prin-cipaux, le Moyen-Orient, la Russie et ses voisins. Réserves ultimes estimées * : 100 ans.

* À noter : Les réserves ultimes font appel à (1) l’augmentation de l’efficacité de l’extraction des hydrocarbures à partir des réservoirs connus, (2) des découvertes futures – Arctique, mer profonde – (3) au pétrole très lourd du Canada et du Venezuela dont l’exploitation difficile et controversée commence tout juste, (4) potentiellement aux hydrates de méthane.

Pas de panique pour le XXIème siècle, donc ! Le charbon au XXIIème siècle, certes, mais encore ? Et après ?

L’électronucléaire et l’uranium

L’uranium est certes un combustible fossile, donc non renou-velable et de réserves limitées, mais l’électronucléaire mérite d’être traité différemment des énergies fossiles, pour au moins trois raisons : (1) ce n’est pas une source d’énergie primaire, il ne contribue qu’à la production d’électricité aujourd’hui, (2) ses dangers sont d’une autre nature que celui des énergies fossiles : déchets radioactifs de haute énergie et de durée de vie illimitée à l’échelle de l’homme, contre émission de CO

2,

(3) on peut espérer d’autres combustibles que l’uranium pour l’électronucléaire et l’énergie atomique en général.

L’électronucléaire aujourd’hui en France : 59 centrales en activité, 12 centrales définitivement arrêtées, 1 projet en cours. Production annuelle : 450 TWe, soit 78 % de l’électri-cité produite, certes, mais moins de 20 % de l’énergie finale consommée.

L’électronucléaire aujourd’hui dans le monde : 405 cen-trales actives, 17 seraient en cours de construction, 10 arrêts programmés, soit une très faible augmentation au cours des 15 prochaines années. Production annuelle : 2 768 TWe, soit 15 % de l’électricité produite et seulement 8 % de l’énergie finale consommée.

L’électronucléaire en 2050 : les prévisions les plus volon-taristes sont celles du CEA : passer de 15 à 22 % de l’élec-tricité mondiale produite, soit, de toute façon, moins de 15 % de l’énergie consommée. L’AIE, on l’a vu, prévoit une stagnation du nucléaire jusqu’en 2030. D’autres organis-mes tels que le Groupe de Surveillance de l’Énergie (Energy Watch Group – EWG), mis en place par le Parlement al-lemand, prévoient une réduction de la part du nucléaire dans le monde, en raison du faible nombre de nouvelles cen-trales installées, puis d’un problème d’approvisionnement en uranium. L’association française « Sortir du nucléaire » propose deux scénarios extrêmement sérieux, du point de

vue énergétique, qui permettent de supprimer, d’ici 5 ou 10 ans, les 18 % d’énergie fournis par l’électronucléaire en France.

Le nucléaire à long terme ? Un consortium international travaille sur le projet de recherche ITER, fondé sur la fu-sion nucléaire ; le CEA y joue un rôle important.

Les énergies renouvelables

Les formes anciennes et nouvelles d’énergies renouvelables sont bien connues de tous. De grands espoirs sont placés dans l’amélioration de leurs performances énergétiques, dans l’abais-sement de leurs coûts et dans leur développement rapide. Mais, chacun sait qu’elles seront insuffisantes pour remplacer les énergies fossiles et répondre aux besoins de l’industrie et du transport. Quelques mots clés : éolien en mer, biomasse, géothermie à faible et moyenne températures, photovoltaïque, unités locales de production, cogénération…

L’hydrogène

C’est un vecteur d’énergie, au même titre que l’électri-cité, et non une source. Il est très présent dans la nature, mais il est inutilisable tel quel. Il faut l’extraire – de l’eau par exemple – ou le synthétiser, ce qui nécessite des quantités d’énergie primaire colossales ! Il est produit aujourd’hui à partir de centrales thermiques ; le CEA envisage de le pro-duire, dans le futur, à partir de centrales nucléaires.

Les ressources minérales non énergétiques : mine-rais métalliques, minéraux industriels et matériaux de construction

La France a produit du fer, de l’or, de l’uranium… Elle pro-duit encore de la bauxite. Mais aujourd’hui, la mine fran-çaise est pratiquement morte, comme celle de l’Angleterre ou de l’Allemagne.Pour les métaux précieux – or, argent, platine – aussi bien que pour les métaux de base – fer, nickel, aluminium, plomb, zinc – ainsi que pour la plupart des minéraux industriels et les granulats, onze pays se partagent les trois premières places parmi les producteurs mondiaux. Ce sont, par ordre alphabétique, l’Afrique du Sud, l’Australie, le Botswana, le Brésil, le Canada, le Chili, la Chine, les États-Unis, le Mexique, le Pérou et la Russie. Situation similaire pour les métaux dits rares, donc stratégiques. L’Europe est mieux placée pour certains minéraux indus-triels : le feldspath, le kaolin et le sel en Allemagne, et le

Figure 1Forage dirigé à l’intérieur d’un chenal producteur d’hydrocarbure, de quelques dizaines de mètres d’épaisseur, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, grâce à une image « sismique » très fine du réservoir.(Extrait de l’ouvrage du centenaire de l’ENSG de Nancy, Les Géosciences au service de l’Homme, éd. Hirle, 2008).

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feldspath encore, en Italie. Pour les granulats, en production et en consommation, les trois premiers sont la Chine, l’Inde et les États-Unis.L’industrie minière non énergétique n’a rien à envier au char-bon, au pétrole, ni au gaz, pour ce qui est (1) du problème de la raréfaction et du non renouvellement des ressources, (2) des atteintes à l’environnement, (3) des problèmes de gouvernance régionale et mondiale, compte tenu de la répar-tition géographique particulièrement inégalitaire desdites ressources.

Quelles propositions pour améliorer la situation à court, à moyen et à long terme ?

Il y a un bon accord de principe, entre la plupart des acteurs, sur le type des mesures indispensables. Il reste à les mettre en œuvre, ce qui est loin d’être gagné, du fait des conflits d’intérêts à court terme et de l’importance des investisse-ments nécessaires.L’allongement de la durée de vie des énergies fossiles passe par des améliorations technologiques portant sur l’of-fre et la demande et par des mesures d’économies.Une certaine réduction des émissions de CO

2, selon le

scénario alternatif envisagé par l’AIE, est possible : 65 % de ces gains seraient obtenus par une réduction de la de-mande, grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique et à des mesures d’économie.La séquestration du C0

2 dans des réservoirs souterrains

est une piste sérieuse qui relève également de la technologie et où le rôle des géoscientifiques est important.L’allongement de la durée de vie des minerais métalli-ques, des minéraux industriels et des granulats passent par trois types de mesures déjà mises en œuvre en partie : la dématérialisation, le recyclage et la substitution.La Recherche et le Développement, aujourd’hui, pour in-venter l’Énergie de demain.Peu de propositions concrètes en revanche, concernant la limitation des conflits locaux, régionaux ou mondiaux !

Quel avenir, dans ce domaine, pour les géologues, les physiciens, les chimistes, les biologistes et pour les sciences humaines ?

De très belles carrières s’offrent aux géologues et aux géoscientifiques, pour plus d’un siècle encore, aussi bien dans le domaine des ressources minérales énergétiques que métalliques et industrielles. Ce seront des carrières à l’in-ternational, bien sûr, en opérationnel et en recherche ; ce seront des tâches exaltantes et d’un très haut niveau scien-

tifique, technique ou managérial, comme il est clair à l’exa-men des deux figures qui illustrent cet article. Ce seront des tâches nobles, puisqu’il s’agit d’assurer l’approvisionnement de l’humanité en énergie et en matières premières vitales, dans des conditions obligatoirement respectueuses de l’en-vironnement et des hommes. Des carrières non moins belles et non moins exaltantes attendent les physiciens, les chimistes et les biologistes, puisqu’il s’agit de s’atteler à l’allongement de la durée de vie des ressources non renouvelables, puis à leur substitution, et en particulier à l’invention, pour le XXIIème siècle et les siècles suivants, des sources d’énergie efficaces, propres et aussi peu dangereuses que possible pour l’homme et pour la planète.Les Sciences Humaines ne seront pas en reste, puisqu’il y va de projets où les conflits d’intérêt actuels et à venir, sont légion ; l’histoire de l’humanité l’a abondamment prouvé.

Les mots de la fin

L’avenir est assurément incertain en matière d’énergie, de ressources minérales en général et de survie des hommes et de la planète.C’est bien au niveau de la Planète Terre que les problèmes doivent être résolus pour des raisons liées (1) à la géologie, du fait de la répartition géographique de ces ressources, (2) à l’économie, du fait de la nature et des montants des investissements nécessaires, (3) à la politique, bien sûr, puisque tous les États, producteurs et consommateurs confondus, sont indissociablement concernés. Chacun, chaque nation, à des degrés divers, a sa part de res-ponsabilité. La France a des atouts majeurs pour tenir son rôle, du fait de sa place dans l’histoire mondiale de l’industrie éner-gétique et minière. L’existence, aujourd’hui encore sur son sol, d’entreprises et de centres de recherche de taille et de notoriété internationales – Total, Areva, Sclumberger, CGG-Véritas, Eramet, Imerys, le Commissariat à l’Énergie Atomique, l’Ins-titut Français du pétrole, IFREMER, le BRGM, le CNRS, les Universités... en sont la preuve.Mais, c’est au sein d’une Europe forte, unie et solidaire, et non par des engagements bilatéraux, qu’il lui faut jouer ce rôle, par-ce que ce sont les grands équilibres régionaux qui comptent et parce que les investissements se doivent d’être à cette échelle.Les traités internationaux, enfin, sont indispensables sur le modèle de Montréal (1987), Kyoto (1997) et Bali (2007). Mais, c’est à l’UNESCO qu’il revient de donner à ces traités force de lois incontournables. Sa première initiative, à l’is-sue de l’AIPT, sera, bien entendu, de déclarer la Planète Terre « Patrimoine mondial de l’Humanité ».

Figure 2L’unité de production d’hydrocarbure Dahlia, en Angola, sous 1400 m d’eau.(Extrait de l’ouvrage du centenaire de l’ENSG de Nancy, Les Géosciences au service de l’Homme, éd. Hirle, 2008).

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Expérimentations in silico

Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) et directeur de l’équipe ACASA (Agents Cognitifs et Apprentissage Symbolique

Automatique) du LIP6 (Laboratoire d’Informatique de Paris 6)

Par Jean-Gabriel GANASCIA

À la fin des années quatre-vingts, des scientifiques firent revivre un instant le latin, réputé pourtant être une

langue morte, pour inventer un nouvel idiome. Construit par analogie – et par contraste – avec les expressions in vivo et in vitro, cet idiome désigne des expériences qui ne sont effectuées ni sur des êtres vivants, comme les expériences in vivo, ni dans des tubes à essai de verre, comme les expérien-ces in vitro, mais dans le cœur d’ordinateurs, sur des puces de silicium, d’où l’expression in silico. Cette locution a été introduite en 1989 par le mathématicien mexicain Pedro Miramontes, avant d’être reprise par une équipe de biolo-gistes français dirigée par Antoine Danchin puis de connaître un réel succès 1, en dépit de l’avis des puristes qui eussent préféré in silicio eu égard à l’étymologie et aux règles de la morphologie.

Par définition, ces expériences in silico ont lieu virtuelle-ment, sans toucher leur objet d’investigation, sur une repré-sentation abstraite et numérisée de ces objets. Ces expérien-ces relèvent essentiellement de deux principes. Le premier tient à la validation d’hypothèses sur de grandes quantités de données préenregistrées comme, par exemple, celles qui proviennent du séquençage de génomes ou de protéines. Le second repose sur la simulation de processus naturels : de même que, dans toute expérience mentale, nous reprodui-sons en imagination des phénomènes réels, de même, dans beaucoup d’expériences in silico, l’ordinateur mime, par des transformations de représentations, des processus matériels. L’expérience in silico correspond alors à une intervention virtuelle sur un monde fictif. Plus que jamais, avec ces ex-périences in silico, les sciences se trouvent à la croisée du réel et du virtuel. Elles se désincarnent en cela qu’elles abandon-nent le contact direct avec la matière même de leur étude et qu’elles opèrent, de plus en plus souvent, sur des répliques numériques de leurs objets d’investigation.

Au-delà de cette dématérialisation des supports, les prati-ques scientifiques se transforment en profondeur. Non seu-lement les scientifiques quittent la blouse blanche et déser-tent la paillasse pour s’asseoir devant un écran d’ordinateur,

1 Pour s’en convaincre, le lecteur consultera l’article in silico sur l’encyclopédie en ligne wikipedia ; il constatera aussi l’usage qui en est fait dans la littérature scien-tifique. À titre d’illustration, voici le titre d’une référence récente : « Prediction of immunogenicity : in silico paradigms, ex vivo and in vivo correlates », Current Opinion in Pharmacology 2008, 8:1-7. www.sciencedirect.com

mais le statut épistémologique de l’expérience est en train de changer radicalement. Pour comprendre ces boulever-sements, revenons sur la constitution de la notion d’expé-rience telle qu’elle s’est élaborée avec des physiciens comme Galilée, puis ensuite, au XIXème siècle, avec des physiolo-gistes comme Claude Bernard. La science antique était es-sentiellement contemplative ; elle se contentait d’observer le monde pour en tirer des enseignements généraux. À l’épo-que dite moderne, à partir du XVIIème siècle, l’état d’esprit se modifie radicalement. La science n’accepte plus cette atti-tude méditative qui était celle du savant ancien ; désormais, elle intervient sur son objet d’étude et le transforme. Et, c’est au regard de cette posture volontairement active et in-terventionniste que se forge la notion d’expérience et qu’elle se distingue de la simple contemplation. Une théorie ou une hypothèse étant posée, le scientifique agit : il construit un dispositif matériel pour la valider ou la réfuter. Ensuite, il confronte les données recueillies par ce dispositif matériel à la théorie ou à l’hypothèse initiale, de façon à l’accepter, à la rejeter ou, éventuellement, à la modifier. Rappelons, à cet égard, que l’étymologie rapproche le mot « expérience » de péril : une expérience vaut d’autant plus qu’elle met une hypothèse en danger face à l’épreuve du réel. Bref, dans ce schéma désormais classique, les données sont produites par un dispositif matériel conçu en regard d’une hypothèse ou d’une théorie que l’on cherche à valider ou à réfuter.

Or, aujourd’hui, ce schéma se modifie profondément : des processus robotisés engendrent des données à foison ; celles-ci sont ensuite stockées dans d’immenses « entrepôts de données 2 » avant d’être exploitées par des techniques dites de fouille de données (data mining) ou de découverte dans les bases de données (knowledge discovery in data bases). Tandis que, dans le schéma ancien, les données étaient pro-duites après qu’une hypothèse ait été émise, aujourd’hui, les données apparaissent préalablement à toute hypothèse ; les théories sont ensuite formulées soit sous forme d’as-sertions, soit sous forme de modèles informatiques, avant d’être testées sur ces données. Et, ce sont ces confronta-tions entre les hypothèses – ou les modèles informatiques – et les données que l’on qualifie couramment d’expériences in silico ou de « quasi-expériences ». Bien évidemment, des

2 Les dispositifs de stockage sont appelés des « entrepôts de données » (data-warehouse en anglais).

En conférence le 19 mai

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mathématiciens et des philosophes travaillent, depuis plu-sieurs années, sur la justification de telles démarches. Ils déterminent les conditions sous lesquelles des corrélations empiriques observées sur des données correspondent à des relations de causalité effectives. Mais, indépendamment de ces questions théoriques, ce qui importe, pour nous, c’est une modification en profondeur du statut épistémologique de l’expérience dans la démarche scientifique.

Il résulte de tout ce qui vient d’être dit qu’une science nou-velle se constitue sous nos yeux. Les ordinateurs y prennent une part centrale. Ils ne se présentent pas seulement comme des outils de calcul ou comme des répertoires de stockage d’information. Les capacités de simulation et de stockage se sont accrues dans des proportions si importantes qu’elles changent radicalement la nature de l’activité scientifique. Et, cette transformation tient au statut de l’expérience qui se modifie profondément comme nous venons de le montrer. De nouvelles disciplines viendront pour systématiser cette démarche. Ce sera, bien évidemment, le cas de fouille de données, car cette science fonde de nouvelles formes d’ex-périmentation sur machine et elle détermine les conditions sous lesquelles il devient possible d’en tirer des connaissances nouvelles, sans risque d’erreur. Mais, ce sera aussi le cas de nombreuses disciplines anciennes, comme la pharmacologie, qui subiront des mutations radicales du fait de l’introduc-tion de ces nouveaux modes de raisonnement. Et tout cela bouleverse radicalement la démarche scientifique qui opère, de plus en plus souvent, sur des données ou à partir de si-mulation, autrement dit, dans des univers numériques faits à l’image du monde. En d’autres termes, la science antique se contentait d’observer le monde en adoptant une attitude contemplative ; la science de l’époque moderne intervenait sur le monde pour le transformer, ce qui correspondit aux révolutions Copernicienne et Galiléenne ; enfin, la science contemporaine opère sur des mondes numériques imaginaires qui reproduisent le réel afin de nous aider à le comprendre. Et, cette nouvelle révolution tient à l’introduction du virtuel au cœur de la démarche scientifique.

QuelQues références :

- Miramontes P., Un modelo de autómata celular para la evolución de los ácidos nucleicos [A cellular automaton model for the evolution of nucleic acids], Tesis de doctorado en matemáticas, unAM, 1992.

- Danchin A., Medigue c., Gascuel O., soldano H., Henaut A., From data banks to data bases, res Microbiol, 1991 sep-Oct;142(7-8):913-6.

- Ganascia J.-G., In silico Experiments : Towards a Computerized Epis-temology, APA newsletter (American Philosophy Association), mars 2008.

- J.-G. Ganascia, c. Debru : CYBERNARD : Scientific Reconstruction of Claude Bernard’s Scientifc Discoveries, Model-Based reasoning in science, Technology and Medicine, vol. 64, Magnani lorenzo, li Ping, pp. 497-510, (springer Verlag), 2007.

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Professeur à l’Université Lille 1 *

ParadoxesRubrique de divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête

* Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille,UMR CNRS 8022, Bât. M3

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. Notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une explica-tion des paradoxes proposés, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique [email protected]).

LE PARADOXE PRéCéDENt : L’INFORMAtION PARADOXALE

Rappel de l’énoncé

Un homme bavarde avec le facteur sur le pas de la porte de sa maison. Il lui dit :- « C’est amusant, je viens de remarquer que la somme des âges de mes trois f illes est égale au numéro de ma maison dans la rue. Je suis sûr que si je vous apprends que le produit de leur âge est 36, vous saurez me dire leur âge respectif ! »

Le facteur réfléchit un moment et lui répond : - « Je suis désolé, mais je ne peux pas trouver ».

L’homme s’exclame alors : « Ah oui ! J’avais oublié de vous dire que l’aînée est blonde ! ».

Quelques secondes après, le facteur lui donne la bonne réponse !Vous pouvez déduire de cet échange l’âge des f illes de l’homme sur le pas de sa porte.

Solution

Merci à Nicolas Vaneecloo et Virginie Delsart (encore une fois en tête !), à Philippe Kahn (second), Michel Huat (troisième), Emmanuel Ortolland (quatrième), Florent Delhaye (cinquième), Thomas Delclite (sixième) et à tous les autres lecteurs qui m’ont envoyé la bonne solution.

Les différentes décompositions de 36 en produit de trois entiers sont :

36 = 1x1x36 = 2x3x6 = 3x3x4 = 1x2x18 = 1x3x12 = 1x6x6 = 1x4x9 = 2x2x9 38 11 10 21 16 13 14 13

La seconde ligne indique la somme des 3 entiers de la décomposition en produit triple. Le facteur connaît la somme des âges des trois filles car il est sur le pas de la porte. S’il ne peut pas trouver leurs âges respectifs, c’est que, parmi les produits possibles, compatibles avec la somme qu’il connaît, il y en a deux qui donnent la même somme. C’est donc que la somme est 13. Les deux possibilités sont donc 1-6-6 et 2-2-9. La première est éliminée car deux enfants ne peuvent avoir le même âge que s’ils sont jumeaux et alors il n’y a pas d’aînée. La solution est donc 2-2-9. Les âges des filles de l’homme sur le pas de sa porte sont 2, 2 et 9 ans.

Par Jean-Paul DELAHAYE

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Image de Francesco De Comité

NOUvEAU PARADOXE : DES SILENCES qUI EN DISENt LONG

Ce paradoxe est aussi un paradoxe sur l’information cachée, cependant il nécessite une patience bien supé-rieure pour être résolu... ou l’aide d’un ordinateur.On choisit cinq nombres a, b, c, d et e

vérifiant les relations :1 ≤ a < b < c < d < e ≤ 10

Autrement dit : les cinq nombres sont com-pris entre 1 et 10, tous différents et classés par ordre croissant.On indique leur produit P à Patricia (qui est brune), leur somme S à Sylvie (qui est blonde), la somme de leurs carrés C = a2 + b2 + c2 + d2 + e2 à Christian (qui est barbu) et la valeur V = (a + b + c)(d + e) à Vincent (qui est chauve). Ils doivent deviner quels sont les nombres a, b, c, d et e.

1 - Une heure après qu’on leur a posé le problème, les quatre personnages qu’on interroge simulta-nément répondent tous ensemble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d et e ».

2 - Une heure après, les quatre personnages qu’on interroge à nouveau répondent encore tous en-semble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d, et e ».

3 - Une heure après, les quatre personnages qu’on interroge à nouveau répondent encore tous en-semble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d et e ».Etc.

23 - Une heure après (soit 23 heures après la formulation de l’énoncé !), les quatre personnages qu’on interroge à nouveau répondent encore tous ensemble : « je ne connais pas les nombres a, b, c, d et e ».

Cependant, après cette 23ème réponse, les visages des quatre personnages s’éclairent d’un large sou-rire et tous s’exclament : « c’est bon, maintenant, je connais a, b, c, d et e ».Vous en savez assez maintenant pour deviner les 5 nombres a, b, c, d, e ?Il semble paradoxal que la répétition, 23 fois, de la même affirmation d’ ignorance de la part des per-sonnages soit porteuse d’une information. Pourtant, c’est le cas. Essayez de comprendre pourquoi et, ensuite, armez-vous de courage : la solution est au bout du calcul.

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Humeur noire

Professeur de philosophie à l’IUFM de Lille - Université d’Artois

Par Jean-François REY

Il s’agit pour nous de relever un défi d’opinion : réguliè-rement, dans les informations télévisées, surgit le spectre

du fou dangereux devenu criminel. Que ce soit à Pau, il y a quelques années, ou à Grenoble en novembre 2008, dès qu’une personne hospitalisée en psychiatrie se rend cou-pable d’homicide, c’est toujours lors d’une sortie autorisée présentée, le plus souvent, comme une « évasion ». Car, on a habitué l’opinion publique à une réhabilitation sécuritaire de l’enfermement. Et ce n’est que trop vrai : la moitié de la population souffrant de troubles psychotiques se trouve en prison, lieu qui n’a pas de vocation thérapeutique. La folie, aujourd’hui, redevient l’objet d’un traitement social où le juge et le psychiatre sont exhortés à « défendre la société ». Ce que suggère cette actualité, c’est un sentiment d’immense régression depuis la psychiatrie d’après-guerre, la psychia-trie de secteur, la lutte quotidienne contre l’ordre asilaire et les potentialités ouvertes par la chimie des années 50/60. Si l’on ne peut pas dire très exactement que l’on est revenu soixante ans en arrière, on doit convenir que, là comme pour l’école ou pour la justice des mineurs, le pacte de la Résistance, la promesse de la fin de l’asile, l’ordonnance de 1945 accordant la priorité à l’éducatif sur le répressif, toutes ces échappées de liberté et de désaliénation sont aujourd’hui vidées de leur contenu, voire de leur sens.

Invité récemment à relire l’émouvant mémoire d’un par-ricide de 1830, édité par Michel Foucault en 1973, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère 1, je suis frappé par la récurrence des questions et des analyses, même si les experts n’empruntent plus leurs concepts aux mêmes théories. Élaborant en la pratiquant sa méthode gé-néalogique, Michel Foucault a bien montré que la notion de dangerosité émerge comme une évidence dans un renvoi perpétuel du pénal au médical et médical au pénal. Ces crimes « monstrueux », « contre nature », sont connus du public du XIXème par les complaintes et les chansons des rues amplifiant et exhibant le « monstre ». Avec les expertises liées au procès de Pierre Rivière, on peut lire la genèse de la loi de 1838 sur l’internement d’office, mais aussi la nais-sance de « l’hygiène publique ». Aujourd’hui, la révélation

1 Éd. Gallimard/Julliard.

du monstrueux est assurée par les medias. Commencée au XIXème siècle, la psychiatrie du crime est d’abord une pa-thologie du monstrueux se déroulant, le plus souvent, sur la scène domestique : le monstre fait partie de la famille. Ces crimes mettent en présence des personnes de générations différentes, crimes contre la génération et la filiation. C’est de ce type même de crime qu’on va tirer de quoi le rapporter à la folie. Enfin, tous ces crimes ont en commun d’avoir été accomplis sans raison, sans motif, sans intérêt. Pour en ren-dre compte, la psychiatrie du XIXème siècle trouva, dans la monomanie homicide d’Esquirol, la théorie explicative uni-fiante. Malgré leurs réticences initiales, les juges de l’époque ont fini par accepter cette notion de monomanie. Au terme de cette histoire appelée à se développer jusqu’au milieu du siècle dernier, le médecin est devenu un technicien du corps social et les juges se sont rangés à l’hypothèse d’Esquirol et de son école.

Aujourd’hui, c’est le discours politique qui fusionne, dans le droit à la sécurité, la dangerosité sociale du fou, la sur-veillance par bracelet électronique et l’enfermement. La raison est la même qu’au XIXème siècle : il faut défendre la société. L’utilisation du procès comme moment essentiel du « travail du deuil » des familles des victimes, reprise vulgari-sée d’un concept freudien, va dans le même sens. Ce qui est en jeu dans ces affaires, c’est le concept de responsabilité.

Le substantif « responsabilité » est forgé à partir du verbe « répondre » et apparaît, pour la première fois, au XVIIIème siècle dans Le Journal de Trévoux. La notion d’imputation y joue un rôle central ; elle sera reprise philosophiquement par Kant qui montre qu’on ne peut imputer la responsa-bilité d’un acte qu’à une liberté. Responsabilité et liberté se renvoient réciproquement l’une à l’autre. Imputer, c’est respecter la liberté de l’agent et lui rendre hommage. Et, ce lien doit valoir jusque dans les crimes commis en état de démence, ce qui exclut le fou criminel de la société des responsables. Le philosophe Louis Althusser, qui était dans le cas de l’article 64 du Code Pénal après le meurtre de son épouse, a fort bien expliqué qu’il aurait voulu pouvoir s’ex-pliquer devant la Cour.

Comme convenu et comme annoncé dans le précédent numéro des Nouvelles d’Archimède, cette rubrique « Humeur » s’ouvrira de temps en temps au champ de l’humeur du moment. La dominante mélancolique n’exclut pas quelque colère dont nous allons exposer les motifs.

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Dans le traitement politico-médiatique des cas de folie homicide, c’est l’État lui-même, dans la personne de son chef, qui prend la responsabilité d’aller à rebours du patient travail de lutte contre la pente de l’exclusion et de l’enfermement. C’est lui qui, mettant au principe de son action le « droit » des victimes au travail de deuil, limite au pénal et au carcéral le traitement de la folie. Le fou tend, dans ce discours, à redevenir celui qu’un pas-sage à l’acte délirant, par définition imprévisible, pousse à tuer n’importe qui dans la rue, sans motif ni raison. L’inconfortable et l’inquiétant dans ce discours, c’est que, de proche en proche, il stigmatise toute espèce de folie, au-delà même de la taxinomie : tout « schizophrène » de-vient ainsi un criminel en puissance. On ne reprochera

pas à l’État de vouloir « défendre la société », mais bien de donner, avec cet objectif sécuritaire, un coup d’ar-rêt au travail thérapeutique qui, parce qu’il demande du temps et du soin, de l’attention et de la liberté dans la recherche, ne saurait être passé à la « moulinette » de l’évaluation, à l’obligation de résultat et au traitement administratif de la folie.

Sombres temps

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Droits et devoirs de l’opposition en démocratie

Docteur en philosophie, professeur en classes préparatoires, Faidherbe - Lille

Par Alain CAMBIER

Les périodes troubles sont toujours propices aux pires errements : il serait tout à fait incohérent que le débat

démocratique fasse les frais du moment critique dans le-quel nos sociétés se trouvent, alors que la lisibilité de leur avenir fait défaut. Aucune crise ne ressemble à une autre, et celle-ci encore moins : dès lors, l’expression publique est requise pour que les points de vue se multiplient – au risque de la réfutation – afin d’éclairer les voies qui s’ouvrent à nous. Or, la solution de facilité consisterait à faire croire qu’il faudrait s’en remettre aux initiatives d’un seul homme et faire taire toute opinion contradictoire. Le système repré-sentatif recèle la possibilité perverse de déresponsabiliser le citoyen, au point de s’en remettre aveuglément au culte du chef. C’est pourquoi le rappel des principes démocratiques apparaît indispensable.

Pas de démocratie sans opposition

L’un de ces principes élémentaires est qu’il ne peut y avoir de démocratie sans existence d’une opposition. Toute volonté de désorienter l’opinion publique en débauchant individuel-lement les figures les plus corruptibles de cette opposition ne peut qu’affaiblir la démocratie, en entretenant le mirage d’un unanimisme trompeur et en disqualifiant l’éthique de la conviction au profit d’un pragmatisme cynique. Alors que les démocraties parlementaires qui nous environnent se font un devoir politique de représenter sans fard les contra-dictions propres à chaque peuple – parce qu’elles y voient une source de dynamisme –, le régime présidentiel français repose sur un principe de représentation mystificateur qui tend à transformer le chef de l’État en incarnation d’un peuple indifférencié. Dès lors, par rapport à la parole offi-cielle, toute voix discordante peut paraître mal venue. Dans les démocraties occidentales, le cas français fait exception par sa propension à favoriser la monocratie. Bien plus, un message insidieux est volontiers distillé qui consiste à soute-nir qu’une fois l’élection présidentielle passée, plus personne

n’aurait le droit légitime de contester l’action entreprise et chacun devrait désormais attendre l’élection présidentielle suivante. Étrange démocratie qui se résumerait aux campagnes électorales des élections présidentielles et qui, au nom de la raison d’État, devrait être suspendue entre temps ! Une démocratie par intermittence ? Cette tendance se manifeste particulièrement lorsqu’on prétend limiter le droit d’amen-dement au Parlement, sous prétexte d’efficacité. Par définition, le Parlement est le lieu où la parrhésie est institutionnelle-ment requise. Lors des débats, même l’obstruction fait partie de la vie démocratique, parce qu’elle est un moyen de résister à la toute-puissance du pouvoir exécutif. Ce n’est pas un hasard si la pratique du filibustering 1 a été inventée, depuis longtemps, par les Anglais pour se prémunir contre tout activisme politique hasardeux.

La pierre de touche de l’opinion publique

Il n’est pas anormal qu’en démocratie l’opposition s’exprime parfois en exagérant les dangers qui peuvent peser sur la liberté politique. Montesquieu avait déjà souligné que, dans une démocratie représentative, l’opinion publique doit pou-voir être prise à témoin, non par l’hyperbole de la parole du pouvoir en place, mais surtout par celle de l’opposition. Le peuple n’ayant pas une puissance immédiate sur la façon de gouverner, il apparaît nécessaire de le tenir en alerte, afin qu’il puisse faire preuve d’esprit critique : « Ceux qui s’op-poseraient le plus vivement à la puissance exécutrice (…) augmenteraient les terreurs du peuple, qui ne saurait jamais au juste s’il serait en danger ou non. Mais cela même contri-buerait à lui faire éviter les vrais périls où il pourrait être exposé ». Et Montesquieu d’ajouter à propos des « vaines clameurs » que l’on peut entendre en démocratie : « Elles auraient même ce bon effet, qu’elles tendraient tous les

1 Il s’agit de la pratique de l’obstruction, institutionnalisée au Parlement anglais.

La crise financière et économique constitue un tournant de notre histoire contemporaine, non seulement par sa nature, mais aussi par ses conséquences. Au-delà de la crise sociale qu’elle provoque, et qui touche dramatiquement les plus vulnérables, il faut prendre conscience de la crise morale qu’elle induit et surtout de la crise politique qu’elle est susceptible d’engendrer. Or, il n’est pas évident qu’un monde plus juste puisse spontanément s’élever sur les dé-combres du néo-libéralisme. La tentation du protectionnisme et de la fuite en avant devant les problèmes rencontrés peut favoriser la montée des nationalismes, des fanatismes et les risques de conflits. Au sein même de chaque État, la démocratie risque d’être fragilisée et menacée par la fascination qu’exerce la tentation autoritaire. C’est pourquoi chacun a pour devoir civique de se tenir sur ses gardes et de se montrer particulièrement vigilant.

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ressorts du gouvernement, et rendraient tous les citoyens attentifs » 2. Encore faut-il évidemment que la liberté de la presse soit garantie : « Comme, pour jouir de la liberté, il faut que chacun puisse dire ce qu’il pense, et que, pour la conserver, il faut encore que chacun puisse dire ce qu’il pense, un citoyen, dans cet État, dirait et écrirait tout ce que les lois ne lui ont pas défendu expressément de dire ou d’écrire ». Pour éviter toute dérive autocratique, il est abso-lument nécessaire que les trois pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – soient clairement séparés : encore faut-il éga-lement que le quatrième pouvoir représenté par les média – écrits et audio-visuels – soit lui-même indépendant et non pas victime de projets visant à le bâillonner.

Le devoir de crédibilité de l’opposition

Mais, l’affaiblissement d’une démocratie peut provenir aus-si d’une opposition qui n’est pas à la hauteur de ses devoirs. Lorsque celle-ci apparaît écartelée entre le prophétisme historiciste du « grand soir » et l’abdication la plus veule 3, l’action politique en pâtit. D’une part, le dogmatisme idéo-logique conduit à jeter « le bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire révoque le libéralisme économique, sans prendre en compte l’apport pour les libertés du développement d’une société civile autonome qui soustrait les individus, tout à la fois, à la tutelle du clan familial et à l’abus du pouvoir cen-tral. D’autre part, la déliquescence de l’opposition républi-caine trouve d’abord sa source dans sa propre impuissance. La démission irresponsable de son chef – en pleine bataille politique – a accentué l’impasse dans laquelle elle s’était mise. Depuis, son absence persistante de vision du monde et sa déshérence pathétique favorisent tous les aventurismes et opportunismes. À défaut de structurer une réflexion cri-tique, cette opposition s’est placée sur la défensive et s’est contentée d’une vieille tactique halieutique : attendre que les bancs d’électeurs mécontents viennent gonfler des filets installés entre deux eaux… Et, quand il s’agissait de faire preuve d’une quelconque modernité, cette opposition a préféré se laisser imprégner par les thèses économistes des néo-libéraux au point de parler comme eux ou s’en est re-mise à une mystique moralisatrice prétendument inspirée, surtout révélatrice de la faillite des idées... En aucun cas, la

2 Monstesquieu, De l’Esprit des lois, livre XIX, chapitre 27.

3 C’est-à-dire entre ceux qui réduisent les convictions à des dogmes et ceux qui confondent les convictions avec leurs intérêts personnels.

social-démocratie ne s’est donnée les moyens d’anticiper de quelque façon la crise 4 : depuis vingt ans, le néo-libéralisme s’efforçait pourtant de précariser le travail et de freiner toute augmentation des salaires, afin de contraindre à recourir sys-tématiquement au crédit bancaire, de pouvoir spéculer sur ses produits dérivés et privilégier le capitalisme financier. Vis-à-vis de cette dérive, la social-démocratie est allée de concessions en concessions. La qualité d’une opposition se mesure aussi à sa capacité à ne pas manquer les rendez-vous de l’histoire…

Le rôle salutaire de la contradiction

Quand on passe d’un État autoritaire à un État démocrati-que, on peut être frappé par le spectacle de vaines polémi-ques et de débats stériles que ce dernier peut apparemment offrir. Il témoigne pourtant de l’existence d’un espace public et garantit, pour les citoyens, une prise réelle sur le devenir de leur société. Comme le disait Montesquieu : « Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal ; il suffit qu’ils raisonnent : de là sort la liberté qui garantit les effets de ces mêmes raisonne-ments ». Un État autoritaire, où les citoyens sont censés s’en remettre à l’arrogance de celui qui prétend monopoliser la parole à leur place, présente le défaut majeur de pouvoir se tromper, sans que personne ne puisse légitimement émet-tre un quelconque doute. En revanche, la démocratie offre l’immense avantage de reposer sur le rôle productif de la contradiction et de permettre ainsi de reconnaître suffisam-ment tôt les erreurs commises, afin d’être en mesure de les rectifier avant qu’il ne soit trop tard. La liberté est donc loin d’être un bien superflu, a fortiori en situation de crise. Ici, encore, référons-nous à Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » 5. Quand une opposi-tion est entravée ou brille elle-même par son impéritie, la démocratie ne peut que régresser.

4 L’aveu, sous forme d’auto-dérision, du travailliste Wouter Bos, Ministre des finances aux Pays-Bas, est éloquent : « La première chose que j’ai faite pour montrer combien j’ étais un leader socialiste moderne a été, en 2003, de rédiger une décla-ration de principes : la façon de montrer au monde qu’un leader socialiste était moderne a été d’effacer la ligne disant que les sociaux-démocrates devaient nationaliser les banques. C’est ce que j’ai fait : ainsi, j’ étais moderne… Il y a deux mois, on a dû nationaliser les banques ! » Le Monde du 15-01-2009.

5 Montesquieu, De l’Esprit des lois, livre XI, chapitre 4.

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vivre avec les NBIC : pour le meilleur ou pour le pire ?

PhilosophePar Jean-Marie BREUvARt

La sortie récente d’un ouvrage collectif sur une éthique de la complexité 1 pose finalement une question plus globale,

celle du rapport des NBIC (Nano-Bio-Info-Cognition) à l’hu-main et à tout ce qui fait que la vie humaine peut être appréciée. Le développement des techniques d’investigation de l’infi-niment petit a passé un seuil avec l’apparition de la physique quantique, obéissant à d’autres règles que celles de la physique classique 2, mais surtout avec l’apparition d’outils d’investiga-tion nouveaux, suscités par cette nouvelle théorie. Car il faut comprendre que le microscope est un prolongement de l’esprit plu-tôt que de l’œil, comme l’écrivait déjà G. Bachelard 3. Pris dans l’interaction permanente entre les faits observés et le calcul qui peut en rendre compte, l’instrument s’affine pour nous permet-tre de descendre de plus en plus profond dans la perception de la réalité.

Une révolution d’échelle

Il faudrait ajouter à cette évolution de la physique un chan-gement parallèle dans les méthodes d’observation du vivant et de l’humain. Dans ces domaines, les sciences se sont dé-veloppées vers l’investigation et l’analyse de ce qui fait le fondement de notre vie corporelle, de nos perceptions et de nos émotions. Au fur et à mesure que cette « numérisation » se développe apparaît le désir d’enclore ainsi, de mieux en mieux, l’ensemble de la réalité humaine, selon un passage de l’expérience concrète aux éléments abstraits qui sont censés la fonder.D’un autre côté, cette numérisation du réel permet un retour au concret, non plus seulement pour mieux

* Le Grand Robert, art. Complexité, p. 197.

1 Bionano-Éthique – Perspectives sur les bionanotechnologies, Ouvrage collectif dirigé par Bernadette Bensaude-Vincent, Raphaël Larrère et Vanessa Nurock, éd. Vuibert, oct. 2008.

2 Même si l’on peut considérer qu’il y a une continuité entre physique classique et physique quantique (cf. l’article de B. Pourprix, La naissance de la physique quantique : Mythes et réalité, dans le dernier numéro (#50) des Nouvelles d’Archi-mède), les méthodes et instruments de mesure ont progressivement été modifiés par l’infiniment petit.

3 G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, éd. Vrin, 1980, p. 242.

(…nous sommes entraînés) avec une rapidité qui s’accélère jusqu’ à deve-nir inquiétante, dans un état de choses dont la complexité, l’ instabilité, le désordre caractéristique nous égarent, nous interdisent la moindre prévi-sion, nous ôtent toute possibilité de raisonner sur l’avenir.

Valéry, Regards sur le monde actuel *

le connaître mais afin de le « traiter » par l’outil informatique. La technologie a entretenu ainsi l’idée que l’on peut agir sur le réel par la mise en forme de nombres, eux-mêmes réductibles aux in-finies combinaisons du 0 et du 1. Parallèlement,

l’informatique repose, de plus en plus, sur une application de la physique quantique, en vue d’accroître les performan-ces des composants.

Une telle évolution introduit finalement à la création d’une échelle nouvelle qui remet en question le sens même de l’hu-manité. Celle-ci s’éprouve, en effet, d’ordinaire dans la vie des besoins quotidiens et, finalement, la vie du désir humain. Mais l’intérêt suscité par l’étude de l’infiniment petit dans tous les domaines a eu pour effet pervers de gommer cette référence au désir en visant un réel unique auquel « convergent » toutes les différences entre non-vivant et vivant et entre vivant et humain. Les discussions au sujet de cette « convergence » oc-cupent actuellement beaucoup l’esprit des chercheurs 4. Dès lors, c’est le processus même de l’identité personnelle qui se trouve remis en question : faut-il comprendre que les réalités essentielles se situent au niveau microscopique ou que le seul niveau de réalité qui compte est celui de notre expérience de vie et de mort, sans cesse renouvelée ? Or, l’évolution même des techniques conduit à un « brouillage » entre les deux questions : à la fois, l’homme ordinaire ne peut pas renoncer à l’expérience de la vie et de la mort, cepen-dant qu’il voit se développer, au niveau microscopique, des technologies dont certaines conduisent à vouloir abolir cette même expérience de vie et de mort par une promesse d’im-mortalité. C’est ainsi que Marina Maestrutti, dans l’ouvrage évoqué, produit un article remarquable par ce qu’il suggère, et intitulé Le corps glorieux, L’ imaginaire du corps dans les nanotechnologies entre mythe et utopie 5.Actuellement, les craintes suscitées par ce développement technologique proviennent de ce que les NBIC, à la fois, conduisent à dévaloriser le corps mortel en promettant une autre façon de vivre, sans donner, en même temps, les moyens concrets de la promouvoir en lui donnant un sens acceptable par tous.

4 Cf. in Bionano-Éthique… les articles de Raphaël Larrère (De quelques doutes au sujet de la convergence), Michel Morange (Une périlleuse convergence : la biologie synthétique) et Bernadette Bensaude-Vincent (Entre chimique et vivant : deux voies de passage).

5 Op. cit., pp. 143 et svtes.

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Je voudrais montrer que c’est précisément la question d’une telle dévalorisation qui est posée à la bio-nano-éthique.

Le rapport à l’homme dans la bio-nano-éthique

Peut-on, en effet, ne pas tenir compte de l’échelle proprement humaine à laquelle les questions d’éthique se sont posées tout au long de l’histoire de la philosophie ? La question précise est alors celle-ci : qui définira à l’avenir le « bon » comporte-ment humain, conforme à ce que serait la vraie « nature » ? L’expérience de vie à laquelle peut légitimement prétendre chaque « sujet » humain ? Ou les NBIC « objectives » qui mo-difieront en profondeur ladite expérience, en y introduisant des perspectives révolutionnaires ? Dans le premier cas, les technologies « artificielles » sont mises au service de l’homme « naturel » qui en use pour sa propre satisfaction. Dans le second, elles s’imposent d’elles-mêmes et transforment radi-calement la destinée humaine par la perspective du corps glo-rieux évoqué ci-dessus 6.En réalité, ce dont nous sommes les témoins, au quotidien, c’est la présence d’une césure, de plus en plus claire, entre un public non-spécialisé et les NBIC. Celles-ci, en poussant très loin l’investigation sur ce que l’on pourrait appeler les « secrets » de la matière, définissent (sans peut-être le vouloir) les modes de comportement qui seraient conformes à la réa-lité de cette matière : il faudrait abandonner la perspective ancienne, fondée sur l’expérience de la vie et de la mort, pour s’ouvrir à de nouveaux « projets » incluant, non seulement, l’immortalité de l’espèce humaine mais même celle des indi-vidus qui la composent.

Pour autant, une bio-nano-éthique peut-elle réellement se développer à partir de telles perspectives révolutionnaires ? Les technologies considérées ouvrent-elles sur une nouvelle humanité, en rupture avec tous les modes de vie antérieurs ? Tel est, me semble-t-il, le défi auquel serait confrontée cette bio-nano-éthique.Or, celle-ci est, à son tour, soumise à quelques aléas peut-être rédhibitoires :- Elle ne prend, le plus souvent, qu’une forme négative (recul devant l’horreur ou une situation considérée comme « inhu-maine ») ;- La durée de vie des solutions proposées est de plus en plus réduite, étant soumise au rythme même des découvertes ;- L’applicabilité même des solutions envisagées dépend pres-que toujours du contexte socio- ou psychologique dans le-quel elle est possible ;- Enfin, elle dépend également du sens moral personnel de celui qui doit la mettre en œuvre.Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que ces carences sont, pour l’essentiel, imputables aux sciences elles-mêmes. Devant les difficultés liées à la complexité, le statut du scientifique est en train de se modifier : il n’est plus seulement le fils de

6 En fait, dans le premier cas, on artif icialise la nature et, dans le second, on naturalise l’artifice. Cf. l’article de X. Guchet, Nature et artifice dans les nanotechnologies, op. cit., pp. 19 & svtes.

son époque, comme l’était encore A. Einstein selon G. Hol-ton 7, il en devient le père, plus ou moins légitime, par les perspectives vertigineuses offertes au public. Certes, on ne peut, de ce fait, mettre entre parenthèses l’activité scientifique elle-même, ni ignorer les multiples domaines du complexe. Il reste qu’une telle complexité peut obscurcir le regard humain du scientifique sur le monde, en s’attachant à d’innombrables détails du réel, et en perdant la vision globale qui caractérise la vertu morale depuis Aristote. C’est à ce point précis que les scientifiques pourraient devenir créateurs d’une éthique nou-velle et évolutive, en fonction des nouvelles perspectives qu’ils ouvrent eux-mêmes.

Les NBIC et le droit

Toutes ces difficultés conduisent à poser une question fon-damentale : les sciences peuvent-elles poursuivre leurs inves-tigations sur le complexe sans inclure, dans leurs recherches, le souci d’une vie sensée pour chacun ? Cette question en entraîne d’ailleurs une seconde : comment un État de droit peut-il veiller à ce que cette dimension humaine soit réelle-ment prise en compte par l’ensemble des chercheurs ? Car la difficile construction personnelle d’un sens pour la vie et la mort humaines se définit toujours dans le cadre d’un État de droit (lequel a laissé d’ailleurs lui-même se développer cette logique nouvelle du complexe).De ce point de vue, comme le montre bien F. Worms 8, les NBIC ont franchi un seuil qui pose clairement le sens de toute éthique. J’ajouterai qu’elles conduisent même à redéfinir à nouveaux frais le rôle de l’État : il ne s’agit plus de promou-voir simplement une politique de recherche, mais d’ouvrir la possibilité d’une discussion sur ses conséquences humaines les plus décisives. Ainsi serait progressivement comblé le hiatus actuel entre les scientifiques et le « commun des mortels ». Finalement, il me semble qu’il n’y a aucune éthique spécifique aux NBIC, mais qu’elles font beaucoup mieux : - Elles ramènent, par les questions radicales qu’elles posent, à ce que l’on pourrait appeler une éthique première- Elles transforment, pour les mêmes raisons, le politique, tant pour le statut accordé au scientifique que pour l’attention de l’État aux questions de sens, jusqu’à présent trop souvent lais-sées aux particuliers. L’infiniment petit, présent en chacun des domaines de réalité, nous fait ainsi redécouvrir son contraire : la taille humaine « macroscopique », dont on apprécie alors bien mieux la ri-chesse absolue, tant au niveau personnel d’une morale qu’à celui du collectif dont il faut maintenir vivante une histoire déjà ancienne.

7 G. Holton, L’ invention scientifique, 6ème partie, Essayer de comprendre le génie scientifique…, pp. 415 & svtes.

8 Bionano-éthique…, F. Worms, La question des usages et le moment des nano-tech-nologies, pp. 173 & svtes, notamment pp. 174-175.

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Services à la personne ou néo-domesticité ?

Maître de conférences en économie, Clersé (UMR 8019 CNRS)

Coordonnées par Richard SOBEL

à domicile, aides aux personnes dépen-dantes... Cette vaste palette de charges pour les ménages pourrait être « ex-ternalisée » pour une plus grande qua-lité de vie pour tous. « Il suffirait que chaque ménage français consomme, en moyenne, trois heures par semaine de SP pour créer deux millions d’em-plois » 1. Mais, alors, pourquoi donc, y compris parmi les économistes, des voix s’élèvent-elles pour interroger ce plan de développement des SP, dit plan Borloo (2005) ?

Un bilan plus que mitigé des créa-tions d’emplois : quantité et qualité

L’arithmétique des emplois dans ce champ des SP est rendue complexe du fait de l’émiettement des emplois dont il est question. Si les estimations divergent parfois (entre 40 000 em-

1 Pierre Cahuc, Michèle Debonneuil, Productivité et emploi dans le tertiaire, éd. La Documentation Française, 2004.

plois créés, en 2006, selon l’OFCE et 140 000 selon l’ANSP 2), soit à peine plus que dans les années précédant la mise en place du plan, un consensus assez large existe sur le fait que les emplois créés sont de l’ordre de 10 à 15 heures hebdomadaires. Comme ce sont des emplois faiblement rému-nérés – la plupart autour du Smic –, cela conduit à des rémunérations men-suelles de l’ordre de 500 euros nets par mois. On est, ici, sous le seuil des « très bas salaires » (la moitié du salaire mé-dian), accroissant, ce faisant, le risque de pauvreté salariale. Dans les conventions internationales, largement diffusées au niveau national, la notion d’emploi est peu restrictive : au sens du Bit 3, est considérée en em-ploi toute personne ayant travaillé au moins une heure dans la semaine pré-cédant l’enquête. La légitimation des politiques de création de ces miettes d’emplois puise dans ces conventions et dans un mimétisme sans recul du comportement des autres pays euro-péens. « Est-il légitime de convertir les emplois créés en équivalent temps plein pour juger du succès du plan ? Nous ne le pensons pas. En effet, les pays déve-loppés qui ont retrouvé le plein emploi l’ont fait, dans 75% des cas, avec des emplois de moins de 30 heures et, pour la moitié d’entre eux, de moins de 15 heures par semaine, majoritaire-ment dans les secteurs des services à la personne » 4.

La création politique d’un secteur et d’un marché

Malgré de vifs efforts du gouvernement et de l’ANSP pour homogénéiser ces activités, celles-ci restent extrême-ment diverses et ne relèvent pas toutes des mêmes f inalités. Traditionnel-lement 5, les services « personnels et domestiques », c’est-à-dire les activités

2 Agence Nationale des Services à la Personne.

3 Bureau International du Travail.

4 Michèle Debonneuil, Services à la personne : bi-lan et perspectives, rapport pour le Minefi, 2008. http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/sricom/emploi/0809rapport_services_personne.pdf.

5 « Traditionnellement » signifie : dans les statistiques, les nomenclatures, les politiques qui leur sont dédiées, etc.

Heurs et malheurs des services à la personnePar Florence JANY-CATRICE *

L’économie, pour l’essentiel, est devenue une sorte de « novlangue » ressassée, tous les jours, par ces élites dites « éclairées » qui monopolisent le débat public – décideurs politiques et économiques, experts en tout genre, pédago-gues de la réforme, intellectuels à gage inconnus au bataillon de la recherche, sans compter bien sûr tous leurs relais médiatiques. À les entendre, on parle d’économie comme d’un ordre « naturel » des choses par rapport auquel il n’y aurait, pour le bon peuple, d’autre conduite raisonnable que la soumission raisonnée. Se trouvent ainsi formatés les termes désormais « acceptables » du débat démocratique concernant les « économies de marché ». Voilà qui, pour le moins, précontraint – pour ne pas dire vide de sa substance – l’exercice effectif de la citoyenneté et, ce, qu’on ambitionne une rupture radicale avec un capitalisme aujourd’hui bien mal en point ou, plus modestement, sa régu-lation bien tempérée. Dans L’Idéologie allemande (écrit avec Engels), Marx dit, en substance, que l’idéologie n’est pas dans les réponses mais d’abord, et avant tout, dans les questions. Se réapproprier l’économie pour faire de la po-litique, cela suppose donc d’apprendre à poser d’autres questions. Ce à quoi peut être particulièrement utile la recherche publique en économie – enfin celle qui se veut critique ! –, comme ambitionnent de le montrer régulièrement ces chroniques intempestives.

* Maître de conférences en économie au Clersé (UMR 8019 CNRS), membre junior de l’Institut Universitaire de France (IUF), auteur (avec F.X. Devetter et T. Ribault) de Les services à la per-sonne, éd. La Découverte, coll. repères, 2009

Pour sortir de l’impasse du chômage, dans laquelle la France s’est durable-

ment engagée, nos gouvernants, inspirés par de nombreux experts, identifient régulièrement une activité, source de création (massive) d’emplois. En France, c’est souvent dans les services que ces gi-sements d’emplois sont repérés. Après le commerce de détail (années 80), puis les emplois familiaux (1991), c’est au tour des « services à la personne » (SP) d’être ainsi porteurs d’espoir. Le développement des SP serait doublement formidable. Non seule-ment, il permettrait, par la politique fiscale avantageuse stimulant la de-mande effective, d’absorber une partie importante des chômeurs ; mais, en plus, ce que ces activités « produisent » serait source de bien-être pour les consommateurs : courses, ménages, aide aux devoirs, conseils informatiques

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de ménage, le plus souvent auprès des couples aux revenus élevés et bi-actifs, sont très nettement séparés des services d’action sociale (aide à domicile et as-sistance de vie auprès des personnes dépendantes et vulnérables). Regrouper ces activités dans un même ensemble induit une indistinction dans les avan-tages fiscaux distribués selon que les ménages recourent à l’un ou à l’autre de ces services. Les choix de société sous-jacents à la promotion de l’un ou l’autre sont pourtant diamétralement opposés : d’un côté, la promotion de l’action sociale auprès des personnes dépendantes, nécessitant un finance-ment public fort, des emplois qualifiés et, de l’autre, la promotion du bien-être des ménages du décile supérieur (les « riches »), ne pouvant se procurer des services de confort que parce que les inégalités économiques sont suffisamment importantes pour créer des formes d’incitation au recours à ces services, comme l’énonçait si bien A. Gorz (1988) : « Le développement des services personnels n’est donc pos-sible que dans un contexte d’inégalité sociale croissante, où une partie de la population accapare les activités bien rémunérées, et contraint une autre partie au rôle de serviteur ».

Le choix d’une société économi-quement inégale ?

Nous assistons, en direct, à une triple banalisation. Banalisation de la « pro-duction » : la prise en charge des ser-vices de dépendance sont dorénavant ouverts à la concurrence. Banalisation de l’activité par homogénéisation du produit : les services à la personne sont considérés comme un produit comme un autre, en particulier taylorisable et industrialisable. Banalisation enfin de l’acte de « consommation » des services à la personne, alors même que certains d’entre eux (en particulier les services de ménage) sont aussi, lorsqu’ils sont généralisés à grande échelle, l’expres-sion de choix de société que la France n’a jamais débattus : ceux d’une société économiquement inégale.

I l est des réformes qui n’ont l’air de rien mais qui portent en elles le

germe de transformations plus profon-des, de mutations sociales plus fonda-mentales. Ainsi vont celles, successives, du développement des « services à la personne », et notamment du dévelop-pement des chèques emplois services récemment devenus « universels » (CESU). Ces réformes visent des buts louables : développer l’emploi, lutter contre le chômage, favoriser l’égalité entre hommes et femmes par l’exter-nalisation des tâches domestiques, etc. Pourquoi, dès lors, le développement des services à la personne pose-t-il un certain nombre de problèmes ? Le développement de ces services constitue la mesure phare du plan Borloo de 2005, autrement appelé Plan de Développement des Services à la personne. En cela, il continue, en l’ac-centuant, une politique constante de soutien à ce « gisement d’emplois ». Le chèque emploi service est destiné, au départ, à lutter contre le travail au noir dans la profession notamment de fem-me de ménage. Il ouvre la possibilité, pour les employeurs, de bénéficier de réductions d’impôts (50 % des sommes versées) moyennant la déclaration de leur salariée. Parallèlement, et dans la même optique de « normalisation » des emplois, le plan Borloo a largement en-couragé la création d’entreprises de mé-nage à domicile pour atténuer le risque de retour à une certaine domesticité. Beaucoup de bonnes intentions, donc, jalonnent le chemin des politiques de soutien aux emplois domestiques. Pourtant, le bilan n’est pas bon et les arrières-pensées ne sont pas absen-tes. Ces mesures développent un type d’emplois précaires et alimentent le contingent des travailleurs pauvres : les trois quarts des employées de maison gagnent moins de 818 euros par mois, ce qui constitue le seuil de pauvreté en France (soit deux tiers du salaire mé-dian). De même, si le chèque emploi service, puis le chèque emploi service

Ma fille, tu seras… femme de ménage !Par Sandrine ROUSSEAU et François-Xavier DEVETTER *

universel constituent des contrats de travail, peu d’employeurs et surtout peu de salariées le savent. Le taux de syndicalisation dans la profession est proche de zéro, les conditions de travail sont difficiles, les relations avec les employeurs particuliers parfois conflictuelles. Cependant, même en cas d’abus, les employées de maison ne peuvent pas facilement faire inter-venir l’inspection du travail, interdite d’entrer dans les domiciles privés. Une politique publique qui encourage direc-tement des emplois de très mauvaise qualité, et pour partie non contrôlables, constitue déjà un premier niveau de questionnement. Mais, au-delà, cette politique d’in-citation à l’emploi de personnels do-mestiques transforme radicalement la philosophie de l’action publique. Le CESU multiplie exonérations et déduc-tions fiscales en faveur des employeurs et constitue en cela une entaille im-portante dans le modèle fordiste de redistribution. En effet, les Trente Glorieuses sont marquées par une in-tensification de la redistribution et par la constitution d’un ensemble d’alloca-tions distribuées aux plus modestes au nom de l’équité. C’est une philosophie très différente qui anime la création des chèques emplois services. Il s’agit, au contraire, de subventionner non les personnes en difficulté mais les per-sonnes imposables (donc la moitié tout au plus des ménages et nécessairement les plus aisés) 6 pour embaucher des personnes en situation sociale précaire. Dit plus crûment, les ménages les plus riches sont aidés pour embaucher « un » pauvre (ce qui coûte à l’État un minimum de 2 milliards d’euros par an sous forme de réductions fiscales). Nous touchons là du doigt l’élément le plus fondamental du dispositif et, sans doute, celui qui rompt de manière la plus forte avec le modèle précédent.

6 Même si, aujourd’hui, les chèques emplois universels donnent droit à un crédit d’impôts, ces populations y ont rarement recours.

* Maîtres de conférences en économie au Clersé (UMR 8019 CNRS)

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Comment mettre en scène l’art d’Océanie ?

Par Mélanie GRISOt *

De manière générale, une exposition est l’analogie d’une vision et d’un univers dont les modes de représentation

évoluent selon les valeurs de chaque époque. Elle permet au spectateur de se mesurer à une autre réalité. Une exposition à caractère géoculturel est une ouverture vers la diversité, mais il est nécessaire d’éviter certains écueils. Les enjeux de ce type d’exposition seront illustrés par une manifestation organisée par le groupe d’origine néerlandaise ING Direct, leader mon-dial de la banque à distance. Le service Art de ING Direct de Bruxelles a pour objectif d’élargir son public et sa clientèle. Il organise, en ce sens, des expositions artistiques sur des propos divers comme « Brillante Europe », exposition historique sur des bijoux ayant appartenu à la haute société, ou « Portrait et Paysage du XXIème siècle » qui témoignent, au travers d’un genre classique, de la diversité de la société contemporaine. Les actions menées par la banque ING sont dignes de celles des grands musées, comme en rend compte la dernière ex-position « Signes de rites, symboles d’autorité » inaugurée le 23 octobre 2008 et présentée jusqu’au 15 mars 2009, le groupe bancaire a mis l’Océanie à l’honneur.La mondialisation a poussé le monde de l’art, dirigé par les pays dits « occidentaux », à composer autrement avec les pro-ductions artistiques qui lui sont exogènes. Après l’Afrique, des manifestations culturelles concernant l’Océanie sont pré-sentées dans les pays occidentaux : effet de mode ou nouvelle escale ? Cela reste, tout de même, une opportunité pour la reconnaissance des cultures océaniennes.

« Cette exposition unique propose deux cents œuvres d’art océanien issues de collections privées belges et de musées belges, néerlandais, français et allemands. » (cf. dossier de presse). Franck Herreman, expert international et commissaire de l’exposition, a réalisé un travail important de prospection dans le domaine privé pour réunir les pièces exposées. L’ex-position permet aux amateurs avertis et aux professionnels de voir celles qui n’avaient, pour la plupart, jamais été exposées, ni publiées.

Il est intéressant de se pencher, au préalable, sur l’histoire de ces pièces et de savoir quel fut leur parcours. Beaucoup d’entre elles doivent provenir de pillages coloniaux. Ces pièces, sujettes à un marché spécialisé, ont pris de la valeur et ont été élevées au rang d’œuvres d’art. Il serait plus juste de les présenter comme des objets culturels esthé-tisés. En effet, au cours du temps, elles ont pris un statut d’objet usuel et symbolique, de trophée colonial, d’objet de curiosité, d’objet d’art, d’objet de marchandise, d’objet d’antiquité, d’objet culturel ou de témoin historique. Elles ont perdu de leur sens, ce qui rend le mode d’appréhension difficile pour tous. Tous les peuples du monde n’ont pas la même conception de l’art. Il existe beaucoup de cultures pour lesquelles façonner un objet est assimilé à de la dé-coration ou à un symbole, sans être considéré comme un « geste artistique pur ». Pourtant, ces pièces proviennent de collectionneurs et ceux-ci, à l’inverse des ethnologues ou anthropologues, les considèrent comme des œuvres d’art ; ainsi soit-il. L’esthétisme d’un objet est, bien entendu, à ne pas négliger. Ne serait-il pas nécessaire de traduire aussi le goût des « Autres » ainsi que le statut qu’ils donnent et donnaient à ces pièces plutôt que de transposer notre regard esthétique sur ces artefacts ?

Au-delà d’une collection impressionnante, il est nécessaire de s’attacher à la mise en forme de cette exposition. La distribution géographique du parcours du spectateur est un choix qui, à défaut d’être original, reste sûr. Le Musée du quai Branly, dans sa collection permanente, en fait de même et découpe le monde selon les continents. La répar-tition géographique est établie selon trois aires culturelles (dont l’Australie ne fait pas partie) : la Nouvelle-Guinée et les îles mélanésiennes, les îles polynésiennes et les îles mi-cronésiennes. Il est impressionnant de constater la grande diversité de « styles » que contient chacune de ces aires.

Le problème pour beaucoup d’expositions traitant de sujets concernant des pays sans transmission écrite est que les pièces ne peuvent pas, pour la plupart, être datées avec certitude. Ce manque d’indication plonge le spectateur dans un anachro-

Mélanie Grisot nous livre, dans cet article, son point de vue sur « la mise en exposition » de l’art océanien ou, plus largement, ce que l’on nomme « Art non occidental ». Elle s’appuie sur l’exposition « Signes de rites, symboles d’auto-rité » qui a été présentée à la banque ING Direct à Bruxelles jusqu’au 15 mars 2009. La confusion quant au statut des objets présentés, l’absence de repères temporels, l’invitation au voyage imaginaire et la reproduction d’une vision fantasmée sont des éléments participant à l’élaboration d’un imaginaire collectif destructeur de réalité.

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nisme face à des objets témoins de cultures dont l’histoire devient figée. D’autant plus que certaines pièces sont encore utilisées de nos jours. Cette exposition ne tient compte que de deux périodes qui paraissent immuables, la pré-colonisa-tion et la colonisation marquée notamment par l’apport de nouveaux matériaux. Elle ne prend pas non plus en consi-dération les modifications artistiques et culturelles induites par le post-colonialisme. La scénographie de l’exposition reste claire et les objets sont, selon les normes établies, bien mis en valeur. Au premier étage, le visiteur découvre le contexte géographique de l’ex-position sous forme de cartes et peut lire un rappel historique sur la colonisation européenne. Un espace multimédia y est installé ainsi qu’une salle pédagogique dédiée aux enfants. Le second étage fonctionne selon un parcours géographique et analytique. Dans la signalétique de l’exposition, des cartes géographiques et des explications didactiques, concernant certains objets et territoires, permettent au spectateur de se situer. L’information est complétée par la mise à dispo-sition d’audio-guides et l’organisation de visites guidées. Le groupe bancaire a également soutenu le symposium annuel de l’organisation internationale « Pacific Art Asso-ciation 1 » (PAA), tenu à Bruxelles du 29 au 31 octobre 2008, donnant un crédit supplémentaire à l’exposition. Un très beau catalogue a aussi été édité pour l’occasion. Enfin, la banque propose même un grand concours où de « fabuleux cadeaux » sont à gagner !

Cette exposition idéale est, selon le dépliant, « Un voyage imaginaire ». Sous un thème mystérieux et vendeur d’exo-tisme : « Signes de rites, symboles d’autorité », une mise en lumière semi-tamisée, le client n’a plus qu’à rêver, noix de coco et vahinés…Est-ce là le témoignage d’une réponse au besoin d’une nou-velle « destination culture » ? Les expositions concernant les sociétés dites « non occidentales » doivent-elles proposer au public un parcours pédagogique, une invitation au voyage ou une exposition de chef d’œuvres ? Malgré l’intention informative et pédagogique de l’exposition, l’imaginaire et l’exotisme sont revendiqués dans la communication en tant qu’accroche marketing. Peut-être est-ce la manière de

1 Pacific Arts Association est une organisation internationale menant des études relatives aux arts de l’Océanie. Elle organise des symposiums et édite diverses publications.

pouvoir atteindre le public et l’amener au musée. Les pro-ductions artistiques de l’Océanie furent d’ailleurs qualifiées, par le peintre américain Barnett Newman, comme « art de la magie 2 », un qualificatif mystérieux qui dénote en réa-lité une mauvaise compréhension de ces cultures créatrices. Les acteurs culturels issus de pays occidentaux qui souhai-tent porter leur engagement pour les productions artistiques des sociétés périphériques ou lointaines doivent faire attention de ne pas mettre en scène les fantasmes exotiques que leur propre culture porte sur les « Autres ». Cela conduit vers une mauvaise compréhension de ces dernières. Il semble néces-saire de rester à l’écoute. Cette démarche peut être initia-trice de bien des solutions pour se défaire de nos imageries formatées plutôt qu’entretenir cet exotisme culturaliste. De plus, une vision géoculturaliste figée des groupes culturels définis enferme les individus dans une seule identité grou-pale. Cette approche pousse à ne voir que la différence et la spécificité dans une culture, ce qui la stéréotype.

Le but d’une manifestation comme celle-ci est aussi la créa-tion d’un espace dialectique. Comme cité plus haut, cette exposition répond à bien des critères que demande une exposition « réussie ». La banque auteure de ce projet n’a légitimement pas pour devoir de construire des ponts inter-culturels entre Occident et Océanie, mais elle répond au but de fidéliser et d’élargir sa clientèle. Loin d’être seulement une distraction et une attraction, un tel type d’exposition peut aider à construire un véritable dialogue entre deux ensembles culturels qui, de par les conséquences de la mondialisation, ne sont plus aussi différents. Les indications signalétiques donnent à comprendre, un minima, les intentions créatrices initiales des cultures océaniennes, mais est-ce suffisant ? Peut-être pourra-t-elle au moins susciter l’envie du public de connaître un peu plus l’Océanie.

2 En 1946, le Museum of Modern Art présenta une exposition intitulée « The Art of the South Seas » (L’art des mers du Sud). Barnett Newman en fit un compte-rendu.

* Mélanie Grisot a réalisé un stage à l’Alliance Française de Sydney (Australie) et une mission au centre culturel Tjibaou de Nouméa au second semestre 2008. Elle a réalisé un mémoire ayant pour sujet : « Art contemporain en Nouvelle-Calédonie, Une recolonisation de l’imaginaire ? », Université Lyon 2, Master Développement Culturel et Direction de Projets, section anthropologie-socio-logie, sept. 2008.

Appuie-nuque, kali hahapoÎles Tonga - Bois - l. 36 cmRijksmuseum voor Volkenkunde, Leyde, inv.552-74© « studio R. Asselberghs – Frédéric Dehaen Brussels »

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B anlieue d’Hellemmes, près de Lille, cent vingt ans après L’Inter-

nationale de Pierre Degeyter en 1888, une seconde vague lyrique va-t-elle déferler sur le monde ? C’est qu’un plan subversif, rien moins, crible le territoire d’impacts non pas guerriers, mais poétiques. Comment ? Accordés comme en orphéon, des habitants par-tisans - enfants comme adultes - s’ap-pliquent à saisir la singularité de leur quartier et des environs ; en cohorte, ils amassent des sensations, recueillent notes et témoignages sur l’architecture industrielle ou domestique, la voirie, les sentiers et jardins, la flore, l’activité humaine. On se donne à parcourir un site délimité de la ville, souvent dans l’ambiance inouïe des petits matins, voire aux heures nocturnes…

Georges Perec en a inspiré le mode d’emploi : « Ce qu’il s’agit d’interroger, c’est la brique, le béton, le verre (…), nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner. (…) Décrivez votre rue. Décrivez-en une autre. Comparez. » (l’ infra-ordinaire - Seuil 1989)

Effet prodigieux sur les participants, la sensation de sortir d’un sommeil sans rêves, toucher dans sa propre rue à ce que l’on avait oublié à force d’ha-bitude, enrichir sa vision du regard des autres, faire société autour d’un enjeu partagé : la conquête pacifique de sa ville. Aperçus infimes, au hasard des pages d’un recueil à paraître (Éd. LaProPo, 2009), ce poème écrit en chemin par six mains distinctes :

Trois fois rien, jaune pissenlitTrois chemins, rouge terre battuePorte bleue, barbelés, arbre fleuriSur fond de macadam, truffe noire du chien rouxVacarme insensé de la petite motoTalons qui claquent sur le trottoir

… et huit croquis à la façon de Jaques Jouet, esquissés en longeant l’intermi-nable enceinte d’une friche ferroviaire :

Je sais que 15 hectares opaques au regard campent là, juste après la brique froide.J’ ignore quel atelier saturé de vapeur a pu fumer et hurler ici même, de l’autre côté de la paroi vertigineuse.Je pense aux contingences croisées du lierre et du mur : le mur est plus dur que le lierre, mais le lierre dure plus que le mur, il rampera quand le mur se sera effondré.Je souligne, du noir de mes semelles, des flaques de peinture blanche, bleue, rou-ge piquetée de feuilles mortes, d’ herbes ténues et tenaces.J’ imagine déferler en ville la pression explosive des végétaux sur cette frontière verticale, jungle de loups, de sangliers, de chevreuils, de buffles…Je me demande l’ incidence de l’ombre de l’usine sur l’ humeur des jardiniers de la rue Denis du Péage côté pair.Je suis sûr que tout le monde passant rue Dupuytren a dû jeter un regard par-dessus la grille verte, perspective étroite dans la friche : y voit-on passer de petites vaches ?Je parie que les mésanges ont leurs habi-tudes dans l’ impasse paisible Saint Éloi.

Désirez-vous connaître la suite de l’aven-ture, en lire le mode d’emploi, l’appliquer près de chez vous à Bruxelles, à New Haven, à Montréal, à Paris, à Pirou, à Toronto et partout ? L’adresse électroni-que www.zazipo.net vous renseignera, rubrique « En remontant la rue et le temps ».

DANGER, CHASSEURS !

La réécriture de contes est un art tout d’exécutions. S’y côtoient âpreté subli-me et mièvrerie navrante. Évacuons le pire : combien de parents non avertis ont laissé leurs enfants feuilleter ces dommageables versions du « Petit Chaperon rouge » où la morale est bafouée : hélas, de stupides chasseurs surgissent à la rescousse, extraient Petit Chaperon et mère-grand du ventre du loup ; indemnes l’une et l’autre s’il vous plaît ! Mais à quoi bon les contes, s’ils éludent platement la souffrance, l’ombre, la mort ?

En dépit des fades chaperons décolorés, certains créateurs ont ravivé un Petit Chaperon rouge vif… pour le mieux dévorer ensuite : Tex Avery, Marcel Gotlib, Jean-Pierre Énard et à présent Olivier SalOn. Lisons l’exergue du re-cueil « Les gens de légende » : « Il n’existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur » (Franz Kafka).

En effet, Olivier SalOn préserve la férocité des originaux, s’ingénie à sub-vertir davantage mythes et légendes. On assiste à un détournement puissant où la moulinette oulipienne cuisine le texte. De surcroît, la lampe cèle un se-cond génie : l’illustrateur Julien COuty, qui rythme les pages d’un contrepoint « quadricomique ». Ni à la traîne du ré-cit, ni envahissant, voici l’inimaginable en images.

« Les gens de légende » balisent brillam-ment une tradition subtile de littérature illustrée. Traits doubles : d’encre et d’esprit.

« Les gens de légende » par Olivier Salon & Julien Couty, éditions « Le Castor astral » ISBN 978-2-85920-753-3.

Adresse à quiconque souhaite vivre plus

par Robert Rapilly http://robert.rapilly.free.fr/

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re, des arbres, des graines qui lèvent, « tes pieds s’enfoncent dans l’ humus de feuilles mortes et d’ herbes couchées (…) un geai braille, éclair bleu (…), comme une vache tu te frottes le dos au tronc lisse d’un frêne, tu es seul dans le bois loin des affaires de la finance et de la mécanique » ; mais à la page 47 le jar-dinier tombe parmi les bûches qu’il est en train de fendre, terrassé par un infarctus ; déferlement d’images issues des sensations de l’homme en train de mourir, cataracte tourbillon déluge f lashs délires hallucinations ça se bouscule, pas de belles phrases trop lisses pas de points ni majuscules que des virgules et parfois même pas « tu cours vers le pied de l’arc-en-ciel, tu n’as jamais su si le trésor y était caché, aujourd’hui tu n’as jamais été aussi près de le savoir, les sept couleurs papillonnent devant tes paupières fermées, tu es dans le train du mystère, tu avances dans un vacarme effrayant entre les parois qui se resserrent, le stroboscope coloré fait place à des jets d’ étincelles bleues, le voltage faiblit, l’arc électrique fait trembler les vitres de la véranda… » ; tu ne peux plus lâcher ce livre, tu as quitté l’univers du jardin, l’effort, la sueur, le combat avec le végétal, le sa-voir-faire du jardinier, la précision des gestes, les mésanges à longue queue, les premières laitues, tu navigues à toute vitesse avec étonnement et dé-lice dans les sensations, tout ce qui est du corps, de la maison, de la terre, de l’histoire singulière d’un homme, les odeurs, les bruits, une vie défile dans le désordre des souvenirs, la recette de la carbonade, Buck Danny, une plage de la mer Egée, les trompet-tes des « quatre anges » Don Cherry, Louis Armstrong, Miles Davis, Dizzy Gillespie ; tu arrives à la fin, tu sais qu’il va mourir, tu le redoutes, ça y est « à un mètre de ton corps abandonné, la

terre se soulève légèrement en un point précis, le sol se déforme, (…) là-dessous une taupe noire et lustrée pousse de toutes ses forces pour déblayer sa galerie, le vent caresse ton visage détendu, (…) une colonne de fourmis noires esca-lade ta bottine droite… » ; tu ne peux pas t’arracher, tu retournes en arrière « quand tu es dans le jardin, tu considè-res les saisons comme les chapitres d’un livre familier que tu relis régulièrement, chaque année tu écris de nouvelles pages dans la terre du jardin, tu rédiges des brouillons successifs, tu élagues, tu mets au propre, tu relis tu déchires, tu chif-fonnes des boules de papier, tu jettes au fumier, tu recommences, l’ écriture te nourrit, tu rédiges les versets de la terre… » ; tu reposes le livre du poète jardinier à ton chevet, parmi ceux que tu garderas ah ça oui.

« Mort d’un jardinier » par Lucien Suel, éd. « La Table ronde » ISBN 978-2-7103-3092-9.

LEttRE DE LA JARDINIÈRE

Une lectrice, la Jardinière, nous a adressé ses impressions de « Mort d’un jardinier », roman de Lucien Suel couronné d’un large succès. Émerveillement partagé.

Tu sors de la maison, tu vois sur le trottoir et dans le caniveau de l’huile de vidange, le sable qui la recouvre, devant toi l ’école jaune, le grand HLM de brique, le lierre sur le mur du garage, un enfant casqué à vélo, ombre et soleil, air imbibé de gazole, tu longes la grille verte de l’ancien jar-din sans nom baptisé depuis Bizardin, tu vois l’églantier squelettique, mais qui débordera de la clôture en mai, toutes ces herbes gelées, tu aspires à ce printemps qui dort dans le froid de janvier, tu sens déjà le parfum du seringat, le jasmin des poètes, mais tu ne t’arrêtes pas, tu vas aux « Escales hivernales », salon où Lucien Suel pré-sente son bouquin « Mort d’un jardi-nier », ça te branche le jardin c’est ton truc ; retour à la maison, tu entres dans ces pages qui te parlent de la ter-

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« Ce que disent les minéraux »

Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie à l’Université Lille 1Centre d’Histoire des Sciences et Épistémologie

UMR Savoirs, Textes, Langage

Par Bernard MAIttE

Les chapitres de l’ouvrage sont organisés en une suc-cession de doubles pages traitant un aspect particulier

d’une démonstration logique et didactique. Toutes sont illustrées de magnifiques photographies, de schémas, de diagrammes et de graphiques parfaitement légendés. Cette superbe présentation est mise au service de la rigueur de la démonstration.

Premier temps : « un voyage au cœur des minéraux » apprend au lecteur ce que les observations optiques, radio-cristallographiques… apportent comme informations quant aux conditions de formation, d’évolution des miné-raux, conditions qui peuvent être reproduites par l’expé-rimentation au laboratoire, modélisées et théorisées grâce aux calculs. Certains minéraux, par leur abondance, leurs particularités chimiques et structurales, les déformations ou réorganisations dont ils sont le siège, servent d’indica-teurs pertinents pour reconstruire leur histoire et celle de la Terre. La minéralogie donne alors les preuves des grands mouvements tectoniques, de la lubrification des failles, des surgissements des dorsales océaniques, du déplacement des plaques continentales. Les minéraux gardent aussi la trace des chocs d’astéroïdes – ce qui permet de localiser ces structu-res d’impact, aujourd’hui très érodées et donc difficilement identifiables. Mais ces « impactites » disent aussi le compor-tement des minéraux aux températures et pressions élevées et amènent de précieux résultats permettant de continuer la quête de l’étude minéralogique.

Deuxième temps de celle-ci : la passionnante exploration de l’histoire du système solaire et la participation aux dé-bats quant à l’évolution de l’Univers. Bien des météorites proviennent de la « ceinture des astéroïdes », située entre Mars et Jupiter, qui pourrait être constituée de restes d’un disque protoplanétaire, donnant ainsi des renseignements directs sur ce qu’était le système solaire au début de son évolution. Des échantillons ramenés de la lune accréditent les conditions de formation de celle-ci, alors que des mé-téorites martiennes permettent de reconstruire l’évolution de la « planète rouge », d’y attester la présence puis la ra-réfaction de l’eau. Le prélèvement de poussières dans les

queues de comètes, effectuées par des sondes, montre que chacun des minuscules fragments récoltés est unique et ra-conte sa propre histoire, certains n’ayant pas évolué depuis la formation du système solaire et étant messagers de la nébuleuses solaire, d’autres révélant les mouvements de convection dont était animé le disque protoplanétaire. Mais les résultats les plus stupéfiants sont peut-être obtenus par l’astro-minéralogie qui permet de caractériser les minéraux présents autour des étoiles en formation ou, au contraire, en fin de vie. C’est toute l’histoire du nuage interstellaire pré-curseur de la nébuleuse solaire qui est ainsi reconstituée…

Troisième temps : l’exploration des profondeurs de la Terre. C’est que, ainsi que le notent les auteurs, l’homme est capable d’envoyer des sondes à plus de 5 milliards de kilo-mètres, remonter à des milliards d’années dans le temps, mais ne peut descendre à plus de 4 km de profondeur dans les mines, atteindre une dizaine de km par forage…, alors que le rayon de notre globe est de 6 400 km. Certes, depuis longtemps, des méthodes sismiques ont permis de caracté-riser des discontinuités à l’intérieur de la Terre, de distin-guer les manteaux supérieur et inférieur, le noyau externe, la « graine »…, mais à quoi correspondent-ils ? De quoi sont-ils faits ? Quels sont leurs évolutions et leurs éventuels mouvements ? Là encore, les minéraux permettent de répondre en gardant la trace des températures et des pres-sions énormes, des mouvements de convection. D’abord, les volcans amènent en surface des enclaves de roches formées en profondeur. Ensuite, le matériel des fonds océaniques a pu être charrié lors de la formation des montagnes. Mais, ces témoins ne permettent guère de « descendre » bien bas. L’étude des transformations des structures cristallines, sous fortes pressions et températures obtenues grâce à des presses sophistiquées, jointe à l’étude des témoins que sont les in-clusions présentes, par exemple, dans des diamants, permet de comprendre que les discontinuités de propagation des on-des sismiques correspondent à des réarrangements de struc-ture dans les minéraux présents. Ce sont les profondeurs de 350, 410, 520 km qui sont ainsi interprétées. L’étude au synchrotron d’échantillons comprimés dans des presses permet d’expliquer la discontinuité de -670 km par l’appa-

Voici un bien précieux petit livre clair, démonstratif, illustrant à merveille ce qu’est la méthode scientifique. Les auteurs, professeurs à l’Université Lille 1, partent de l’attrait que développe la beauté des cristaux pour nous condui-re à la compréhension de leurs structures, de ce qu’ils disent quant à l’histoire de la Terre, à celle du système solaire, à la constitution de notre globe.

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rition d’une structure cristalline, identifiée aussi dans cer-taines météorites…, tandis que l’étude d’autres inclusions dans des diamants permet de prouver les mouvements entre manteaux supérieur et inférieur, entraînant dans celui-ci des minéraux hydratés.

Les combinaisons des trois démarches que sont l’observation, l’expérimentation, le calcul, permettent d’expliquer l’origine de la chaleur interne de la Terre, les propriétés du noyau, la composition de celui-ci, fournissent des modèles plausibles du magnétisme terrestre. Ce sont toutes les structures de notre globe, des autres planètes, même extrasolaires, qui se révèlent grâce à la minéralogie à haute pression.

L’enquête passionnante qu’effectuent les deux auteurs de ce livre nous fait découvrir l’histoire de la Terre, son fonction-nement, l’évolution du système solaire. Un travail qui montre l’homme en quête des réponses aux questions concernant ses origines, son évolution, en quête de sens, bien loin des déclinaisons concernant les seules applications technologi-ques, auxquelles on voudrait réduire actuellement la recher-che scientifique.

Patrick cordier et Hugues leroux, Ce que disent les minéraux, Paris, éd. Belin, Pour la science, 2008.

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Jean Ziegler, La Haine de l’Occident *

Professeur émérite, Université Lille 1Par Rudolf BKOUCHE

Que s’est-il donc passé pour une telle transformation ? C’est cette question qu’aborde Jean Ziegler dans son

dernier ouvrage au titre significatif : La Haine de l’Occident, cette haine s’adressant, sans discernement, à tout ce qui vient de l’Occident.Ziegler commence par une anecdote. Haut fonctionnaire de l’ONU, l’auteur participe à une réunion sur les respon-sabilités du dictateur du Soudan dans les massacres du Dar-four. Après la réunion, Ziegler entend la représentante du Sri Lanka exprimer sa colère contre les représentants de l’Union européenne qui proposent une résolution contre le régime islamiste du Soudan ; la question est moins celle du Darfour que cette arrogance envers les peuples du Sud de la part de ceux qui oublient les crimes qu’ils ont commis.Autre anecdote tout aussi significative. En novembre 2006, l’armée israélienne bombarde Beit Hanoun, une ville pales-tinienne située au Nord de la bande de Gaza, tuant dix-neuf personnes. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU décide d’envoyer, à Gaza, une commission d’enquête inter-nationale. Devant le refus israélien, la commission n’ira pas à Gaza et il n’y aura pas d’enquête. Les représentants de l’Union européenne à l’ONU laisseront faire. En décembre de la même année, la Commission des Droits de l’Homme décide d’envoyer une commission d’enquête au Darfour, le Soudan s’y opposera, et la commission d’enquête est bloquée. Explication donnée par le Soudan : si l’État d’Israël refuse une commission d’enquête, pourquoi le Soudan de-vrait-il l’accepter ? Cette fois-ci, les représentants de l’Union européenne protestent contre l’attitude soudanaise.

On peut continuer longtemps, l’Occident est prêt à condam-ner les crimes commis par les États du Sud, mais refuse la condamnation des crimes commis par ceux de son camp. On comprend alors pourquoi et comment se développe une haine de l’Occident et c’est cette haine que l’ouvrage de Ziegler se propose d’expliquer. Comme le précise Antonio Guttierez, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, « c’est la quittance pour l’Irak et la Palestine ».La prétention universaliste de l’Occident se joue à deux niveaux, d’une part, le discours sur les droits de l’homme,

d’autre part, la violence de sa domination sur le monde qui s’est manifestée par la colonisation et, aujourd’hui, par la mondialisation capitaliste. Le discours sur les droits de l’homme disparaît derrière la violence et c’est celle-ci qui provoque la haine. Ziegler distingue alors deux formes de haine, une haine pathologique, telle celle manifestée par les attentats du 11 septembre et la nébuleuse Al Qaïda, une haine raisonnée, qui est la réponse politique aux prétentions de l’Occident. Mais, l’Occident est-il capable de distinguer ces deux types de haine ? C’est la question que l’on peut se poser à la lecture de l’ouvrage.

Parmi les raisons qui ont conduit à cette haine, « le retour de la mémoire » et « l’affirmation identitaire ». Les prétentions universalistes de l’Occident conduisent à trier la mémoire, ce qui revient à occulter les multiples mémoires des victimes de l’oppression occidentale. Pour comprendre ce retour de la mémoire et cette affirmation identitaire des victimes de l’Occident, Ziegler renvoie à l’un des grands événements des années 50 du XXème siècle, la conférence de Bandung, laquelle fut l’un des grands lieux d’expression des pays du Sud. La conférence de Bandung marque la volonté d’exis-tence des pays du Sud contre les prétentions occidentales, volonté d’existence politique mais aussi volonté d’existence culturelle. « L’oppresseur occidental est contesté au nom des mémoires ancestrales, des identités, des cultures singulières des peuples du Sud », écrit Ziegler.Deux formes de cette oppression sont rappelées par l’auteur, l’esclavage et la conquête coloniale.La traite négrière est l’un des grands crimes de l’humanité, faut-il le rappeler. Si quelques Européens eurent conscience de ce crime, ils se heurtèrent aux intérêts économiques de ceux qui en profitaient. Et les révolutions des droits de l’homme, l’américaine et la française, qui marquent la seconde moitié du XVIIIème siècle, ne mirent pas fin à la pra-tique de l’esclavage. Les pères fondateurs de la démocratie américaine acceptaient l’esclavage et, si les révolutionnaires français mirent fin à l’esclavage en 1794, Bonaparte le rétablit en 1802, ajoutant une répression féroce à l’encontre de ceux qui osaient résister.

Dans les années 50, les peuples colonisés rappelaient aux colonisateurs que la lutte contre le colonialisme s’inscri-vait dans la tradition des Lumières et des Droits de l’Homme que les colonisateurs avaient trahis. C’est ainsi que l’on peut lire le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire ou les textes de Franz Fanon. Cinquante ans après, les anciens colonisés dénoncent, dans l’idéologie des droits de l’homme, une forme d’impérialisme et remettent en question sa portée universelle.

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La conquête coloniale ne fut pas seulement volonté d’assu-jettissement économique et politique, elle fut aussi destruc-tion des cultures au nom de la prééminence de la culture occidentale et, en cela, elle participe du racisme. Ziegler rappelle ensuite quelques-uns des crimes perpétrés par les deux grandes puissances coloniales que furent la France et la Grande-Bretagne.

Il ne faut alors pas s’étonner des réactions de la conférence mondiale contre le racisme qui s’est tenue à Durban en 2001, réactions qui se traduisent par une exigence de repentance et de compensations des crimes occidentaux. La confé-rence se déroulait en deux temps, une première conférence ouverte aux représentants de plus de trois mille organisa-tions et mouvements sociaux non gouvernementaux issus des cinq continents et une seconde conférence réservée aux chefs d’État. Dès la première conférence, le représentant des ONG africaines, Aloune Tine, proclamait : « Nous exigeons que l’esclavage et le colonialisme soient reconnus comme un double holocauste et crime contre l’ humanité », et la conférence des chefs d’État reprenait ces exigences. Les délégations occidentales ne pouvaient supporter ni l’idée d’une justice réparatrice, ni la demande de repentance, et la délégation des États-Unis quittait la conférence. Cette forme d’autisme de l’Occident ne peut que renforcer la haine. Autre forme de cet autisme, l’intervention de Nicolas Sarkosy à Dakar, discours renvoyant aux Africains, considérés comme inca-pables de prendre en charge leur propre histoire, la respon-sabilité de leurs souffrances comme si la traite et le colonia-lisme avaient été de simples manifestations de la souffrance commune à tous les hommes. On ne peut mieux montrer son mépris des anciens colonisés.

Pourtant, l’exigence de justice reste d’autant plus forte que l’hégémonie occidentale est toujours prégnante, comme le rappelle l’actualité. La question ne se résume pas à un sim-ple repentir pour un passé révolu et l’oppression continue sous la forme de la mondialisation, ce que Ziegler explique dans la seconde partie de son ouvrage. L’auteur distingue quatre moments de l’hégémonie occidentale. D’abord, celui des conquêtes avec ce que l’on appelle les grandes découver-tes, puis le temps du commerce triangulaire avec la traite, ensuite la mise en place du système colonial, enfin l’actuel ordre du capital occidental globalisé qui règne aujourd’hui. L’auteur développe deux exemples pour illustrer la violence exercée par l’Occident contre les pays du Sud, la destruction du marché africain du coton et le chantage de l’Union euro-

péenne imposant un nouvel accord de partenariat économi-que aux peuples des ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).Il est vrai que des oligarchies financières puissantes se sont développées au Sud, mais ce développement, copiant le mo-dèle occidental, ne participe pas au développement des pays concernés, tout au plus permet-il le développement d’une oligarchie sur le modèle occidental, alors qu’une grande partie de la population vit dans la misère et l’exploitation, comme le montre l’exemple de l’Inde et la Chine. Tout en étant concurrentes, les oligarchies, qu’elles soient indiennes, chinoises ou occidentales, sont solidaires et contribuent au développement du capitalisme mondialisé et à l’exploitation des populations du Sud, ce qui ne peut que renforcer la hai-ne de l’Occident.

Que vient faire alors la Déclaration des Droits de l’Homme dans cette histoire ? Tout au plus un leurre, comme le mon-tre l’auteur, et nous nous contenterons de renvoyer aux anec-dotes citées ci-dessus. L’Occident, si pointilleux lorsque les droits de l’homme sont bafoués dans les pays du Sud, laisse faire quand ces mêmes droits sont bafoués chez lui ou dans des pays amis. On comprend alors que les droits de l’homme puissent être considérés, par certains, comme une machine de guerre occidentale. On peut y voir l’aboutissement ex-trême de la haine de l’Occident, mais cet aboutissement, aussi discutable soit-il, est d’abord la conséquence du mépris occidental envers le Sud.

Loin d’être un ouvrage manichéen, reprenant le discours classique de trop de Blancs qui se complaisent dans l’auto-flagellation, l’ouvrage de Ziegler, en analysant la volonté hé-gémonique des puissances occidentales et le comportement méprisant envers les pays du Sud, peut conduire le lecteur à comprendre comment cette haine de l’Occident se met en place, première étape pour apprendre à résister à cette po-litique de domination, pour apprendre aussi combien il est nécessaire de redonner la parole à la face claire de la pensée occidentale avant qu’il ne soit trop tard.

* Éd. Albin Michel, Paris, 2008.

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Des travaux et des jours du « Grand Ampère »

Professeur émérite, Université Lille 1Par Robert LOCqUENEUX

La vie d’Ampère est un roman, un roman semé d’épi-nes. Au terme d’une enfance heureuse : la mort d’une

sœur tendrement aimée, les grands espoirs de 1789 trahis par la Terreur, le martyr de Lyon, le père guillotiné, enfin la rencontre de Julie, les longues fiançailles. Un bref mo-ment, Ampère peut penser retrouver le bonheur, un bon-heur tel qu’on a pu le connaître dans son monde au temps des Lumières. Après le mariage, nous trouvons Ampère à la recherche de cours particuliers, enfin professeur à l’École Centrale de Bourg en Bresse : l’exil et la maladie de Julie. À l’idylle succède la tragédie : la mort de la jeune épouse au terme d’une longue agonie. Ensuite, il y a le poste de répé-titeur d’analyse à l’École polytechnique, un second mariage malheureux suivi d’une séparation définitive, l’installation de sa famille à Paris, quelques désordres sentimentaux, la tentation du suicide, des moments de doute et de désespoir, la foi qui se perd. Enfin, la paix intérieure atteinte dans une foi tranquille retrouvée, Ozanam nous le montre priant le matin à Saint-Etienne du Mont, mais c’est aussi le temps d’une santé déclinante. Toute une vie qui peut être suivie grâce à une correspondance abondante, une correspondance qui traduit fréquemment ses états d’âme, laisse deviner ses amours, dissèque ses doutes religieux et suit sa reconversion. Ampère se montre en entier dans cette correspondance, il s’y montre même à l’occasion colérique envers sa sœur, lorsque les dettes s’accumulent, mal inspiré lorsqu’il tente – en vain et c’est heureux – d’orienter la carrière de son fils, encore plus mal inspiré lorsqu’il marie sa fille à un inconnu et toujours lâche envers ce gendre joueur, alcoolique et violent – la pitié peut être lâche – n’utilisant pas les moyens que la loi met à sa disposition pour protéger sa fille. Cette correspondance peut nous le montrer travaillant tout le jour comme une brute, indifférent à tout ce qui n’est pas l’objet de ses re-cherches et, à l’instant suivant, tourmenté par quelque mal moral, quelque désespoir amoureux, quelque doute religieux, quelque dégoût de la vie, en bref tourmenté par le mal du siècle. Ainsi, cette correspondance adressée à ses amis les plus intimes est-elle bien dans l’esprit du temps, qui tourne à la confession d’un enfant du siècle : on pense à René de Châteaubriand, à Oberman de Senancourt ou à Adolphe de Benjamin Constant.

Les amis d’Ampère ont tous une personnalité fortement marquée, tous ont souffert de la Terreur, quelques-uns failli-rent y périr, quelques-uns eurent une conduite héroïque et obtinrent des fonctions éminentes dans les administrations les plus inamovibles de l’Empire ou de la monarchie consti-

tutionnelle ; ceux-ci favorisèrent constamment la carrière de leur ami. Ils ont laissé des témoignages des conversations passionnées d’Ampère, soit qu’il parle de science, de philo-sophie ou de religion, soit que, plus simplement, il refasse le monde. Ampère et ses amis appartiennent à la mouvance libérale et chrétienne ; ses opinions politiques sont celles de Camille Jordan. D’autres nous le montrent errant comme une ombre dans le salon de Mme Récamier. Sa correspon-dance nous le montre plus souvent chez les Cuvier ou chez les Jussieu. Nous avons des témoignages contrastés de la vie dans la maison d’Ampère, selon qu’ils sont de la patte du peintre Delecluse ou de Frédéric Ozanam qui vécut chez Ampère le temps de ses études. Nous avons donc la matière d’une biographie intime détaillée.

Ampère a appris à lire dans l’Histoire naturelle de Buffon. Très jeune, il s’est plongé dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : on ne s’étonnera pas que, comme d’Alembert, il se soit intéressé autant à la philosophie qu’aux sciences. Toute sa vie, Ampère sera tourmenté du désir de connaître la nature de l’intelligence et de la volonté, de remonter à l’origine de nos connaissances et au principe de détermina-tion de nos actes. À ses débuts en philosophie, comme tout le monde en France, Ampère suit Condillac, il y trouve un thème de recherche qu’il poursuivra toute sa vie : la ques-tion de l’origine de nos idées. Mais, très vite, en s’éloignant de Condillac et de Destutt de Tracy, Ampère cherchera à restaurer la certitude de l’existence réelle du monde phy-sique et du monde moral que, pense-t-il, les systèmes de Condillac, de Reid et de Kant détruisent. Pour ce faire, il élabore sa théorie des rapports : Ampère emprunte à Kant la distinction entre, d’une part, les phénomènes que sont les sensations et le sentiment du Moi et, d’autre part, les noumènes ou substances que nous ne pouvons percevoir mais que nous concevons comme causes des phénomènes et qui n’ont, avec eux, aucune ressemblance. Ainsi, la matière serait-elle la cause de la sensation, l’âme celle du Moi et Dieu celle de l’âme et de la matière. Convaincu de la vérité des théories physiques, Ampère cherche à jeter un pont indestructible sur l’abîme qui sépare la connaissance de la réalité. Ce pont, c’est sa théorie des rapports par la-quelle il établit – du moins s’en montre-t-il convaincu – que les rapports que nous apercevons entre les phénomènes sont identiques à ceux qui existent entre les substances. Ampère pense ainsi achever le travail de ces lignées de philosophes qui s’attachent à déterminer la valeur de la connaissance et qui vont de Locke à Reid et à Kant. L’œuvre philosophique

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d’Ampère, c’est aussi l’histoire d’une collaboration privilé-giée avec Maine de Biran, une collaboration qui produisit une correspondance persévérante de 1805 à 1819. On peut raisonnablement penser qu’Ampère, qui appartînt à l’école mystique de Lyon, ne fit qu’une brève incursion en idéolo-gie, qu’il fut très tôt influencé par Kant, et qu’il guida la dé-marche de Maine de Biran de l’idéologie au spiritualisme.

La correspondance Maine de Biran-Ampère renferme la théorie des rapports, elle renferme aussi une classification des faits de l’intelligence en psychologie, une classification qu’Ampère échafaude dans le même temps qu’il établit une classification des éléments en chimie. À la fin de sa vie, Ampère consacrera tout son temps à une classification des sciences noologiques et cosmologiques.

En sciences, Ampère est avant tout un mathématicien. Dans la première partie de sa carrière, à l’École polytechni-

que, il enseigne les mathématiques ; il est un peu plus tard chargé du cours de mécanique. À l’Académie des sciences, c’est un fauteuil de mathématicien qu’il sollicitera. Ainsi,

une grande partie de sa car-rière dépend-t-elle de ses recherches en mathémati-ques. Mais, Ampère est un touche-à-tout : il est aussi

chimiste, naturaliste amateur, il disputera avec Cuvier sur la formation du globe ; passionné de botanique, il discute avec Geoffroy Saint-Hilaire de classification des plantes. En 1808, l’intérêt que, dans sa jeunesse, Ampère avait mani-festé pour la chimie renaît lorsqu’il apprend la découverte du potassium et du sodium par Davy. En chimie, comme en métaphysique, Ampère ne publie pas, c’est dans ses dis-cussions particulières et dans sa correspondance avec Davy qu’il développe alors ses idées sur le chlore, le fluor et l’iode : il est alors le premier qui considère que ces corps sont des corps simples. Dans une lettre datée de mars 1813, et dans un mémoire sur le fluor publié en juillet de la même année, Davy reconnaît une dette envers Ampère. Voilà ce qui l’in-cite à entreprendre la publication de ses travaux : trois mé-moires de chimie s’ensuivront : le premier, en janvier 1814, sur la loi de Mariotte ; le second, la même année, sur la théorie de la combinaison chimique qui paraît sous la forme d’une lettre à Berthollet ; le troisième, en 1816, sur la classi-fication des corps simples en chimie. La rédaction du second mémoire fut tourmentée, son auteur, en pleine crise senti-mentale, songeait au suicide dès qu’il levait les yeux de ses papiers. En plus, il briguait un fauteuil de mathématiques à l’Académie des sciences, aussi était-il urgent qu’il rédige quelques mémoires d’analyse, ce qu’il avait omis de faire de-puis fort longtemps : il passe ainsi une grande partie de son temps à rédiger un mémoire sur les équations aux dérivées partielles. La relation privilégiée d’Ampère avec le chimiste Davy et une relation conflictuelle avec Thénard ont éloigné Ampère des membres de la Société d’Arcueil. Ampère a ce-pendant fait part de ses idées sur la combinaison chimique à Berthollet qui l’a engagé à la publication. Alors qu’il craint d’avoir contre lui les « Bonaparte de l’algèbre », lors de sa candidature à l’Académie des sciences, ceux-ci ont remis à septembre l’élection à l’Académie en partie pour lui donner le temps d’y lire son mémoire de mathématiques, lequel fera l’objet d’un long compte rendu de Poisson dans le Bulletin de la Société philomatique de Paris. Ainsi, Ampère reprend-t-il goût aux mathématiques : il complètera ensuite son mémoi-re sur les équations aux dérivées partielles par plusieurs mé-

Ampère, Encyclopédiste et métaphysicienRobert Locqueneux, avec la collaboration de Myriam Scheidecker-ChevallierLes Ullis, éd. EDP Sciences, 2008.

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moires où il traite de diverses applications et publiera encore quelques mémoires de mécanique. Il publiera, en 1815, un mémoire sur les lois de la réfraction ordinaire et extraordi-naire, mémoire dans lequel ses travaux sur les équations aux dérivées partielles trouvent à s’appliquer et qui généralise un mémoire de Laplace sur le même sujet. Les deux mémoires, celui de Laplace et celui d’Ampère, sont présentés par Biot dans son Traité de physique expérimentale et mathématique en 1816. Ainsi, en 1816, Ampère s’est-il rapproché des mem-bres de la Société d’Arcueil lorsqu’un événement scientifique va l’en éloigner à nouveau : voici qu’en mai 1816, à la suite d’une communication d’un mémoire de Fresnel par Arago à l’Académie des sciences, Ampère abandonne à regret la théorie de l’émission pour la « vraie théorie de la lumière », celle qui est fondée sur l’hypothèse ondulatoire. Voilà scellé un nouveau groupe d’amis : Arago, Fresnel et Ampère. Ampère mettra beaucoup de temps à convaincre Fresnel de la néces-sité de supposer la transversalité des vibrations de l’éther et n’en convaincra jamais Arago. Voici une option qui éloigne Ampère des « Bonaparte de la physique » qui s’en tiendront toujours à la théorie de l’émission.En 1820, un événement va bouleverser les projets d’Ampère : Oersted a mis en évidence l’action d’un circuit galvanique (que nous nommons, à la suite d’Ampère, un courant élec-trique) sur un aimant. Ampère interrompt ses différents travaux philosophiques, chimiques et mathématiques pour se consacrer à ce phénomène qui dérange les physiciens français : il découvre l’interaction entre les courants électri-ques et invente l’électrodynamique. Pour ce faire, Ampère conçoit et fait construire des instruments qui permettent de déterminer les forces d’interaction de deux circuits électri-ques de formes diverses à partir de leurs conditions d’équi-libre. Ampère, qui était un expérimentateur fort malhabile, fut aidé dans ses manipulations par Fresnel et Arago ; il reçut de ce dernier les exhortations nécessaires à la publica-tion quasi hebdomadaire de ses premiers travaux. Ampère conçoit des enroulements de fils électriques, des solénoïdes – le mot est de lui – qui imitent l’action des aimants et, à partir de là, il ramène le magnétisme à l’électricité. Dans ce domaine de recherche, Ampère et Biot sont alors concur-rents ; ainsi, une nouvelle fois, Ampère s’oppose aux convic-tions de la Société d’Arcueil. Alors qu’Ampère ramène les actions des aimants à celles des courants électriques, Biot ramène les secondes aux premières. Il s’ensuit qu’Ampère suppose des actions entre les particules (ou les fluides) élec-triques de natures différentes selon que les particules sont au repos ou en mouvement, il distingue des actions élec-

trostatiques et des actions électrodynamiques. Biot, de son côté, suppose que les interactions sont les mêmes, que les particules électriques ou magnétiques soient au repos ou en mouvement, et considère que le courant électrique rend, par sa présence, passagèrement magnétique, les corps conduc-teurs, ainsi est-ce par une action magnétique que le fil élec-trique dérange l’aimant. Alors que Biot voit dans l’action des courants électriques des phénomènes statiques, Ampère y voit des phénomènes dynamiques. Dans ses travaux sur les phénomènes électrodynamiques, Ampère a joué, tour à tour, sur plusieurs registres, soit qu’il recherche les causes cachées des phénomènes physiques entre un atomisme proche de celui de Laplace et le dynamisme d’Oersted, soit qu’il éla-bore sa théorie mathématique des phénomènes électrodyna-miques sur quelques lois générales et élémentaires tirées de l’expérience, une approche théorique qui lui vaut les éloges d’Auguste Comte. C’est sur cette dernière note qu’au terme d’une période de travaux de six ans, plusieurs fois interrompue par la maladie, Ampère met un point final à cette recherche en publiant la Théorie mathématique des phénomènes électro-dynamiques uniquement déduite de l’expérience. Entre temps, en 1824, Ampère a obtenu, pour la première fois de sa car-rière, une chaire qui lui convient, la chaire de physique ex-périmentale au Collège de France.

Ampère revient ensuite à la métaphysique en s’attachant à l’élaboration d’une classification des sciences cosmologiques et noologiques et, en passant, il donne les bases d’une scien-ce naissante, l’ethnologie. La classification éclaire ses diffé-rentes approches de la physique : approche expérimentale, approches interprétatives. Ampère puise dans le système du monde de Newton et dans la structure de l’éther propo-sée par Fresnel pour rendre compte de la transversalité des ondes lumineuses, la conviction que les théories physiques saisissent la réalité même des choses et les véritables causes des phénomènes.

Ainsi Ampère est-il, tout à la fois, un héritier des Lumières, un héros romantique tourmenté par le mal du siècle, l’auteur d’une œuvre philosophique profondément éclectique qui contribua à mener la philosophie française de l’idéologie au spiritualisme, un scientifique aux centres d’intérêt multiples : un mathématicien de profession que seuls ses soucis de car-rière ramènent aux mathématiques, un chimiste passionné et, ce qui assura sa gloire, l’initiateur d’une nouvelle branche des sciences physiques : l’électrodynamique.

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Hommage à François Jacob

Directeur du Centre Cavaillès, École Normale Supérieure

Par Michel MORANGE

Sa vie fut au moins triple. La première phase est une jeunesse heureuse à Paris, des études brillantes au lycée

Carnot et la décision d’entreprendre des études de médecine pour devenir chirurgien. La deuxième période commença en juin 1940, à l’âge de vingt ans, avec la mort de sa mère des suites d’un cancer, son refus d’accepter les diktats d’un fou et d’un criminel et le départ pour Londres. François Jacob rejoignit le général de Gaulle et les Forces Françaises Libres qu’il venait de créer. Il passa les quatre années suivantes en Afrique, au Tchad, en Libye et en Tunisie, comme infirmier, au plus près des combats. C’est avec la deuxième division blindée du général Leclerc qu’il débarqua en Normandie, en août 1944, où il fut grièvement blessé en portant secours à un camarade. La guerre était finie pour François Jacob, mais aussi ré-volu l’espoir de devenir chirurgien. Il acheva ses études de médecine, mais sans réel intérêt, il chercha une activité qui lui conviendrait avant d’entrer, en 1950, presque par hasard, à l’Institut Pasteur de Paris dans le laboratoire d’André Lwoff. Commença alors pour François Jacob la troisième partie de sa vie, une carrière scientifique fulgurante. Une nouvelle discipline, que l’on appellera biologie moléculaire, était en train de naître. L’explication des phénomènes du vivant était dorénavant cherchée par la description et la caractérisation des macromolécules qui y sont présentes. À l’Institut Pasteur, Jac-ques Monod et André Lwoff en étaient les hérauts. Le premier travaillait sur l’adaptation enzymatique : la capacité qu’ont les bactéries de fabriquer les enzymes permettant la dégradation et l’utilisation des sucres avec lesquels ils sont mis en contact. An-dré Lwoff tentait, lui, de comprendre la lysogénie, un étrange processus par lequel un virus de bactérie, le bactériophage, peut se maintenir silencieux à l’intérieur d’une bactérie pendant de nombreuses générations mais, de temps en temps, rompre ce silence, se multiplier et faire éclater la bactérie. En quatre ans, grâce à tout un ensemble d’expériences, simples mais parfaitement conçues, François Jacob fit progres-ser la compréhension des mécanismes qui maintiennent le bactériophage silencieux à l’intérieur de la bactérie. Puis, en collaboration avec Elie Wollman, il utilisa et perfectionna les outils de la génétique bactérienne pour préciser la nature de ces mécanismes. Au passage, il donna une description nouvelle des mécanismes d’échange génétique chez les bactéries. En 1957,

il commença une collaboration avec Jacques Monod : il devait apporter les outils génétiques permettant de déterminer le mé-canisme de l’adaptation enzymatique. Les premiers résultats de cette collaboration suggérèrent que des mécanismes semblables pouvaient expliquer la régulation du bactériophage et la syn-thèse contrôlée d’enzymes de dégradation des sucres. François Jacob fit l’hypothèse que, dans les deux systèmes, un répresseur contrôlait, en se fixant directement sur la molécule d’ADN, l’expression – l’activité – des gènes responsables du développe-ment du bactériophage ou de l’adaptation enzymatique. Pas à pas, Jacques Monod et François Jacob précisèrent leur modèle, dit de l’opéron, en s’appuyant sur des observations faites sur l’un ou l’autre des deux systèmes expérimentaux. Ce modèle est considéré comme l’un des plus beaux résultats de la biologie moléculaire. Le prix Nobel de phy-siologie ou de médecine récompensa son élaboration en 1965, quatre années seulement après qu’il eût été connu de la communauté scientifique. Le modèle proposait, pour la première fois, un mécanisme de contrôle de l’activité des gè-nes : quarante ans plus tard, il reste vrai et la régulation de l’expression des gènes est toujours une question centrale en biologie. Un tel mécanisme permettait d’imaginer comment le processus de développement embryonnaire, la formation de l’organisme adulte à partir de l’œuf, pouvait s’opérer. La découverte du modèle de l’opéron explique l’énergie avec la-quelle beaucoup de biologistes moléculaires abandonnèrent, au milieu des années 1960, l’étude des bactéries pour celle des organismes complexes. François Jacob lui-même consacra les vingt années qui suivirent à l’étude des premières étapes du développement embryonnaire des mammifères. François Jacob a écrit plusieurs ouvrages d’histoire et de ré-flexion sur la science, dont La logique du vivant publié en 1970 1. Il a toujours lutté avec énergie contre les idéologies qui peuvent pervertir l’utilisation des connaissances scientifiques. Son auto-biographie, La statue intérieure, reflétant son parcours singulier, lui valut d’être élu à l’Académie Française 2. Il est aussi Compa-gnon de la Libération et, depuis peu, Chancelier de l’Ordre. Peu de scientifiques ont aussi bien servi la science et la société.

1 Éd. Gallimard, Paris.

2 Éd. Odile Jacob, Paris.

Il existe deux catégories de grands scientifiques. Ceux qui trouvent, dans le cocon protégé de la recherche, le milieu favorable à leur épanouissement. La seconde catégorie est plus hétérogène, pleine de fortes personnalités, d’aventuriers pour lesquels la science fut un formidable terrain d’exploration, mais qui auraient pu, dans d’autres circonstances, exceller dans de multiples autres activités. Tel est le cas de François Jacob.

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Michel Henry ou la vie manifestée

PhilosophePar Jean-Marie BREUvARt

M ichel Henry, sans se situer dans la lignée bergsonienne, pourrait, à bon droit, être caractérisé avant tout com-

me le philosophe de la vie. Mais il l’est en mettant cette vie à la croisée de plusieurs courants, dont le plus caractéristique, pour lui, est sans doute celui de la phénoménologie. Mais, il s’est également intéressé au marxisme et à la psychanalyse comme approches visant à analyser un « vécu » à la fois com-mun à tous les hommes et propre à chacun. Ce qui est ainsi le plus individuel, et même la marque de l’individualité, le « vécu », devient alors une réalité en laquelle chaque être humain peut se reconnaître.

L’Essence de la Manifestation

En fait, l’orientation première de M. Henry peut être définie comme un nouveau développement du projet husserlien de manifester et d’éclairer ce qu’est finalement notre « monde de la vie ». C’est selon une telle orientation que l’un de ses ouvrages les plus anciens s’intitule L’Essence de la Manifestation 1. Quel rapport à la phénoménologie de Husserl et à celle de Heideg-ger ? Pour M. Henry, Husserl se limite encore à l’analyse de ce qui est « donné » à notre conscience même, sans voir un autre niveau plus radical que celui de la conscience : le niveau de la vie elle-même sur laquelle repose une telle conscience. De même, refuse-t-il l’approche heideggerienne d’un Être de l’ étant qui serait celui d’un horizon de monde. M. Henry refuse cette conception d’une réalité de surplomb, fût-elle présente en nous-mêmes comme un « horizon » : notre conscience du monde répond ainsi à une dynamique qui est celle de la vie elle-même. C’est le thème qui lui est cher d’une immanence radicale, selon laquelle le « soi » de la conscience n’est jamais qu’une manifestation d’une réalité qui la dépasse. L’essence de la vie est, en effet, de se manifester comme telle dans un corps individuel, fait de désirs, d’émotions et de sensations et que les phénoménologues ont appelé le corps propre.On trouve déjà ce concept de corps propre dans le Husserl

* Édition du centenaire, éd. PUF, 1959, p. 1192.

2 Éd. PUF, 2 volumes, 1963.

des Méditations Cartésiennes 2 ou Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la Perception 3. Qu’y a-t-il de nouveau avec M. Henry ? Dans un livre écrit en 1950, et publié seulement en 1965 (Philosophie et Phénoménologie du corps), il montre que le « corps » n’est pas seulement, comme chez Husserl, ce qui

resterait inexpliqué à la f in de notre réf lexion, comme un irréductible à notre pensée. Il faut, au contraire, avec un philosophe comme Maine de Biran par exemple, par-tir de ce corps comme la « donnée » initiale relevant, non pas d’une pensée déjà conceptuellement formée, mais d’un « sentir » qui reçoit le monde et produit seulement ensuite la conscience et la pensée. Très curieusement, M. Henry passera par le détour de l’Évan-gile chrétien de Jean, notamment par le célèbre Prologue, pour nous faire comprendre sa position philosophique sur le corps. En 1996, il publie un ouvrage intitulé C’est moi la vérité 4. Apparemment, rien à voir avec la question du corps propre en lequel la vie se développe concrètement. Pourtant, l’intérêt de cet ouvrage réside en ce que le thème du Verbe, qui est la Vérité selon le prologue de l’Évangile de St Jean, est déjà présent comme tel dans le thème de la Vie :

Comprendre l’ homme à partir du Christ, compris lui-même à partir de Dieu, repose à son tour sur l’ intuition décisive d’une phénoménologie radicale de la Vie, qui est précisément aussi celle du Christianisme : à savoir que la Vie a le même sens pour Dieu, pour le Christ et pour l’homme, et cela parce qu’ il n’y a qu’une seule et même essence de la Vie, et, plus radicalement, une seule et unique Vie 5.

Tel est le résultat de ce que M. Henry a appelé l’ immanence radicale. Le texte biblique n’est jamais alors qu’une manifes-tation corroborant ce que nous éprouvons au plus profond de notre être. Le concept chrétien de « chair » concrétise une telle manifestation de la profondeur vécue.

La chair et le verbe

Dans un livre plus récent, Incarnation, paru en 2000, M. Henry poursuit audacieusement cette réflexion sur la

2 Conférences données en Sorbonne en 1929 et reprises en 1953, chez Vrin, par E. Levinas.

3 1945.

4 Éd. Seuil.

5 M. Henry, C’est moi la Vérité, p. 128.

(la vie) a partout la même essence, qui est d’accumuler graduellement de l’ énergie potentielle pour la dépenser brusquement en actions libres (…) Dans ces conditions, rien n’empêche le philosophe de pousser jusqu’au bout l’ idée, que le mysticisme lui suggère, d’un univers que ne serait que l’aspect visible et tangible de l’amour et du besoin d’aimer.

H. Bergson, les Deux Sources de la morale et de la religion *.

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Vie, en reliant plus explicitement le thème de l’Incarnation du Christ et celui de la vie du corps propre. Le corps propre devient donc ici la chair, au sens où Le Verbe s’est fait chair. On trouve ainsi chez M. Henry ce qu’il appelle lui-même une phénoménologie de l’ incarnation.

Car pourquoi faut-il qu’ il y ait (…) quelque chose comme la vision, l’audition, l’odorat, la motricité, l’activité sexuelle avec sa différenciation qui impose partout sa puissance at-tractive, ses pulsions elles-mêmes différenciées ? Tous se passe comme si l’apparaître du monde ne faisait que faire voir, mettre littéralement à nu la contingence radicale d’une di-versité de propriétés spécifiques déjà inscrite dans la chair 6.

Avec ce concept de « chair », que l’on trouve dans l’œuvre postérieure de Merleau-Ponty, se manifeste à la fois l’essence de la vie et sa fragilité : nous sommes des êtres de chair, qui commençons tous par subir le destin de notre corps, d’une façon que nous n’avons pas choisie, et qui est la vie même par laquelle chaque corps éprouve la contingence radicale d’une diversité de propriétés spécifiques. Il y a donc finalement un double sens de la vie : - La vie courante, celle qui se manifeste au quotidien et qui est faite de toutes les sensations, mais également toutes les émotions qui font de nous des êtres vivants évolués- La Vie qui en est le fondement et qui ne se laisse précisé-ment connaître que dans ses effets. On dira qu’il s’agit là d’un procédé apologétique commode pour introduire dans le champ philosophique la religion chrétienne, telle qu’elle se présente, du moins, dans l’Évangile de Jean. On pourrait en effet avoir la tentation d’identifier, dans sa tentative, la présence d’une sorte de « concordisme », analogue à celui qui voyait une convergence entre vérités scientifiques et thèmes religieux : ce que nous fait découvrir la conscience de notre propre corps serait déjà présent dans les textes évangéliques et en prouverait la validité. Mais, pour comprendre la réflexion de M. Henry sur l’ incar-nation, il faudrait se reporter à un livre écrit 15 ans plus tôt, et qui a pour titre Généalogie de la psychanalyse 7. Le propos de M. Henry était là de montrer que l’inconscient freudien ne prenait encore sens que par référence à la vie consciente : l’inconscient est simplement ce qui échappe à la conscience, exactement comme le corps, selon Husserl, est ce qui échappe à l’analyse phénoménologique. Or, la vie retrouvée, c’est celle qu’avait déjà évoquée, outre Maine de Biran déjà mentionné, le

6 M. Henry, L’Incarnation, éd. Seuil, 2000, p. 322.

7 Éd. PUF, coll. Epiméthée, 1985.

philosophe Schopenhauer, lorsque celui-ci opposait le monde comme représentation (abstraite) et le monde comme volonté (concrète). C’est surtout celle de Nietzsche, qui, en s’inspirant de cette pensée, propose une philosophie de la volonté, no-tamment de la volonté de puissance. En définitive, M. Henry retrouve ainsi, sur le plan de la vie, l’appel à une transcendance qu’il refusait à la représentation. Thème constant de l’essence de la manifestation, évoqué en commençant. La question n’est pas alors de savoir s’il s’inspire ou non de l’Évangile de Jean mais, plutôt, de voir simplement dans cet Évangile une convergence nouvelle avec d’autres ef-forts pour réellement révéler une telle « essence ».

L’ouverture au politique

Je ne puis passer sous silence un autre versant de la pensée de M. Henry, souvent méconnu parce qu’il semble se situer sur une autre planète que celle de la phénoménologie : la présen-tation de Marx. La réflexion sur ce penseur va s’étendre sur une quinzaine d’années (Marx, I. Une philosophie de la réalité, II. Une philosophie de l’ économie, Gallimard, 1976 – Du com-munisme au capitalisme – Théorie d’une catastrophe 8).

Or, cette présentation est, en un sens, complètement révolu-tionnaire par rapport aux interprétations classiques de Marx qui partent d’un primat problématique de l’économique sur le vital. En réalité, tout le travail de M. Henry consistera à montrer que la pensée politique de Marx repose sur une conception première du corps souffrant et désirant, base abso-lument première de toutes les transformations économiques. M. Henry retrouve une certaine convergence entre une appro-che objective de l’histoire et du rôle de l’économie, à la façon de Hegel, et une approche subjective de ceux qui réalisent et cette histoire et cette économie, à la façon de Feuerbach.

Bref, s’il y avait un seul thème pour regrouper ces différents aspects, ce serait, à n’en pas douter, celui de notre corps vivant. À les examiner de près, toutes les productions culturelles, que ce soit dans le domaine de la phénoménologie, de la psycha-nalyse, de l’herméneutique des textes sacrés, ou encore du champ politique, ne sont jamais que des manifestations, plus ou moins complexes, d’une même vie qui sourd en chacun de nous, pour nous faire toucher, sentir et voir le monde et en vivre finalement le sens.

8 Éd. Odile Jacob, 1990.

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Grèce, Islam, Moyen Âge : les sources de la science moderne L’exemple de la lumière

Un récent pamphlet islamophobe 1 tire son succès de trois facteurs : l’ignorance partagée de ce que furent les

civilisations islamique et médiévale, l’utilisation de la vision communautariste ambiante pour la projeter vers le passé, l’emploi d’un concept faux (celui d’une soi disant « trans-mission » d’un corpus entre deux civilisations différentes par une troisième, intermédiaire). En s’appuyant sur l’évo-lution des idées concernant la nature de la lumière, ce texte veut rappeler ce que fut la pensée médiévale, montrer que sa richesse venait de la pratique de l’interculturalité, mettre en perspective les périodes de fécondité des pays d’Islam et de l’Occident latin, au cours desquelles ces grandes civilisa-tions se sont approprié les connaissances de leurs devanciers ou de leurs contemporains pour les métaboliser selon leur logique propre.

Les grecs ne s’intéressent pas à ce qu’est la lumière. Ce qui les préoccupe, c’est la vision. Pour les atomistes, des objets émanent des écorces (telles les peaux abandonnées par les serpents), très ténues, qui gardent la forme de l’objet et viennent jusqu’à l’œil en appuyant sur l’air comme un sceau sur la cire. Dans le même temps, des effluves émanent de l’œil. Leur rencontre au niveau de la pupille avec les écorces, transparence contre transparence, cause la vision. Les py-thagoriciens, Platon, Euclide, s’opposent à cette conception. Pour eux, l’œil, telle une lanterne, émet des « feux de la vue » qui s’écoulent de façon subtile et continue et rencontrent, pour donner la vision, le feu provenant des objets extérieurs. Euclide utilise cette conception de rayons visuels, partant de l’œil, pour construire une optique géométrique. Aristote s’oppose fortement aux deux camps. De sa conception gé-nérale et hiérarchisée de l’univers, formé de deux régions cosmiques, celle de la Terre avec les quatre éléments et celle du ciel emplie d’éther, il tire l’explication de la vision. Le frottement de la sphère du feu avec celle de l’éther introduit un peu de celui-ci dans notre monde. On l’appelle alors diaphane : il s’insinue dans tous les corps. Notre regard et la lumière peuvent l’actualiser, plus ou moins. Cette actua-lisation peut, de plus, être ou non contrariée par les autres éléments. C’est ce qui cause les différentes couleurs et la vision de leurs formes. Toutes ces conceptions possèdent un socle commun : il y a identité de genre entre le regard et la chose vue. Le semblable agit par le semblable. Trois autres

1 Sylvain Gougenheim, Aristote au Mont Saint-Michel…, Paris, éd. Seuil, L’uni-vers historique, 2008.

œuvres vont marquer la civilisation gréco-romaine-alexan-drine. Celle d’Archimède qui aurait fait incendier, par des miroirs ardents, la flotte romaine mouillée devant Syracuse. Celle de Ptolémée, qui introduit des mesures précises de réfraction afin de situer la position exacte des astres. Celle de Galien, le premier à donner un schéma de l’œil et à faire dépendre de ce récepteur la vision : elle se situerait sur le cristallin.

Lors de l’effondrement de l’Empire romain, dans lequel le christianisme était devenu la religion officielle et les doc-trines païennes (dont les philosophies grecques) interdites, l’évolution est très différente à l’Ouest et à l’Est. À l’Ouest, les envahisseurs cherchent l’appui de la seule force organisée qui subsiste : celle de l’Église. La vie intellectuelle reprend dans les monastères, origine qui va marquer tout le Moyen Âge, où les problèmes philosophiques seront posés dans un espace chrétien. Le Dogme constitue un donné devant le-quel la raison individuelle devrait s’incliner. Mais, ce Dog-me comprend deux parties : la Bible et les écrits des Pères de l’Église. Ceux-ci se sont lancés dans une interprétation du Dogme, dans le prolongement des philosophies grecques, qui constitue un autre Univers que celui de la Révélation. Entre-t-il dans Celle-ci ? Il faudrait le montrer. Interfère-t-il avec Elle ? Il faudrait concilier. Le concile de Nicée (325) lance l’interprétation d’un hellénisme constitué de quelques traités d’Aristote et d’importants fragments de Platon. Le démiurge de Platon devient Dieu créateur, le monde d’Aris-tote « la création ». Pour cela, il faut dépasser l’un et l’autre. Dans ce travail, l’œuvre d’Augustin, fortement imprégnée de néo-platonisme, est fondatrice. Pour lui, il faut s’établir dans la Foi et chercher Dieu par l’intelligence, laquelle s’ap-puie sur l’observation et la raison. Comme la vérité est cohé-rente, si une contradiction apparaît entre Foi, observation et raison, c’est que nous ne comprenons pas l’un de ces termes. Pour le faire, nous devons exercer notre intelligence, sans jamais donner une signification littérale à l’Écriture ou à la science. Notre pensée connaît la vérité comme l’œil voit les corps, par l’Illumination, qui mène à notre maître intérieur, Dieu. De la métaphore de l’Illumination viendra l’habitude de donner des explications par des symboles : la lune sym-bolise l’Église, qui réfléchit la lumière de Dieu comme l’as-tre celle du soleil.

Pour lutter contre l’analphabétisme régnant jusque dans les monastères et former les cadres dont il a besoin, Charlema-gne fonde les écoles. Pour les organiser, il appelle Alcuin,

Professeur d’histoire des sciences et d’épistémologie à l’Université Lille 1Centre d’Histoire des Sciences et Épistémologie

UMR Savoirs, Textes, Langage

Par Bernard MAIttE

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qui reprend l’organisation de Boèce : les enseignements seront donnés selon le Trivium (grammaire, rhétorique, dia-lectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astro-nomie, musique). Cette organisation traversera le Moyen Âge, tout comme le débat posé par Jean-Scot Erigène (800-870) : les notions de genre et d’espèce sont-elles de simples noms (nominalisme), des concepts (conceptualisme) ou des choses (réalisme) ? Pour répondre, il faut construire une philosophie complète s’appuyant sur Platon, Aristote, mais les dépassant. Ce débat sur les universaux donne aux textes du Moyen Âge une couleur bien particulière, qui peut les rendre ardus et ésotériques à nos yeux…

Nous sommes au IXème siècle. Au sud et à l’orient de l’ancien Empire romain est née la religion musulmane. L’attitude des premiers responsables de son expansion, qui, dès le VIIIème siècle va de Saragosse à Samarcande, est, globalement, de préserver ce qu’ils trouvent dans les territoires conquis et d’encourager les communautés placées sous leur contrôle politique à poursuivre leurs activités. Avec le développe-ment des villes, les choses changent. Une couche de lettrés se constitue. Ces citadins de confessions variées (musul-mans, juifs, chrétiens, sabéens, zoroastriens…) ou athées, d’ethnies différentes (arabes, persans, turcs, berbères, ibéri-ques…), obéissant à des motivations diverses (intellectuel-les, techniques, financières, commerciales…), prennent des initiatives dans un contexte dynamique d’expansion. Ils s’approprient les connaissances de leurs prédécesseurs. Une fièvre de traductions se développe. Ce mouvement permet que s’épanouissent des démarches complémentaires, voire contradictoires, exprimées dans la langue de communication savante : l’arabe. C’est ainsi que naît la « science en pays

d’Islam ». Elle est profane et va beaucoup innover. En ce qui concerne l’optique, al-Kîndi (796-873) étudie, dans la filiation d’Archimède, les « miroirs ardents ». Il ne s’inté-resse plus à la vision, mais à cette lumière qui vient du soleil, échauffe, embrase, frappe l’œil : elle possède une existence individuelle et matérielle digne d’étude. Ibn Sahl (984) étudie l’embrasement par réfraction (sphères ardentes, len-tilles). Ibn al-Haytham (965-1039) s’interroge explicitement sur la nature physique de la lumière : ne peut-on comparer la « plus petite des lumières » à des mobiles partant de la source et arrivant à l’œil après des réflexions, réfractions… ? Pour répondre, il met au point une méthodologie nouvelle faite d’expériences, d’inductions, de raisonnements : c’est ce que nous appelons la méthode expérimentale. Et il démon-tre, au moyen de diaphragmes, de mires, de mesures d’an-gles, que la lumière se propage en lignes droites : il vérifie ainsi les propositions établies par la géométrie d’Euclide. Il montre ensuite que l’identité de comportements d’une bille, qui rebondit ou traverse des surfaces, avec la lumière, peut ainsi inférer une nature que nous dirions corpusculaire de la lumière. Pour étudier son chemin dans l’œil, il utilise un dispositif analogique (des sphères emplies d’eau), là où il ne peut étudier in vivo notre récepteur optique. L’œuvre d’Ibn al-Haytham est discutée dans l’espace islamique. Beaucoup de mathématiciens et de mécaniciens l’adoptent et la pro-longent. Certains philosophes la refusent en ce qu’elle intro-duit l’expérience comme catégorie de la preuve logique, le mouvement en mathématiques.

Lorsque Ibn al-Haytham construit son œuvre, des chan-gements commencent à se produire dans la chrétienté. Ils sont marqués par le développement des villes. En leur sein

Les trajets des rayons lumineux dans une sphère de verre reconstitués par Ibn-al-Hayham grâce à la chambre noire.

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vivent de jeunes audacieux. Certains, tentés par le rayon-nement et la richesse des pays d’Islam, viennent s’y fixer, apprennent la langue culturelle, l’arabe, s’imprègnent des savoirs rencontrés, traduisent des manuscrits, s’approprient leurs contenus, reviennent dans les pays latins. Les commu-nautés juives participent à cette appropriation : les unes sont parties prenantes de la civilisation islamique, les autres vi-vent en Occident latin. Leurs relations « inter frontalières » favorisent la diffusion des connaissances. Ce mouvement s’accentue avec la reconquête de la Sicile (1063) et de To-lède (1085). Les savoirs gréco-arabes arrivent massivement en chrétienté. Les traductions se multiplient. On introduit, dans la langue latine, des mots qui n’y ont pas d’équivalent (alambic, alcali, alchimie, algèbre, borax, élixir, luth, rebec, zénith, zéro…). Ceci produit un changement de perspec-tive. Il y a de nombreuses contradictions entre la Foi et les nouveaux savoirs. Il importe de les résoudre. Les voies pour le faire sont différentes : Pierre Abélard (1079-1142) effectue

dans le Sic et Non le relevé des contradictions apparen-tes, afin de soulever des questions qui puissent être résolues par la dialectique 2. Il s’appuie sur Aristote contre Platon.

Son enseignement attire à Paris des étudiants venant de toute l’Europe, masse qui entraînera la fondation des Universités. Bernard

de Clairvaux (1091-1153) s’oppose à Abélard et développe un mysticisme valorisant les sciences sacrées… Jean de Salisbury (1115-1180), élève d’Abélard et de Guillaume de Conches, bénéficiant un temps de l’appui de Bernard de Clairvaux, développe un néoplatonisme et en vient à penser pour le seul plaisir de penser. Il aime à citer Bernard de Chartres, qui aurait dit « Nous sommes comme des nains ju-chés sur des épaules de géants. Nous voyons plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient les anciens, non par la pénétra-tion de notre propre vue ou par l’ élévation de notre taille, mais parce qu’ ils nous soulèvent et nous exhaussent de toute leur stature gigantesque » 3. Cette période débouche, au XIIIème siècle, sur une profonde remise en cause de tous les savoirs anté-rieurs. Elle se fera dès que les grands philosophes Ibn Sinâ (Avicenne) et Ibn Rushd (Averroès) auront été traduits et étudiés. Avec ce dernier, l’Occident s’approprie un Aristote complet et débarrassé des scories néo-platoniciennes dont les siècles l’avaient entouré. Une sagesse gréco-arabe vient rem-placer la sagesse augustino-platonicienne antérieure mais de façon originale, dans le respect des mises en relations de la Foi et de la Raison, en poursuivant le débat sur les univer-saux, avec un enseignement s’appuyant sur le trivium et le quadrivium, enrichie de la disputatio, héritée d’Abélard. Les grandes « Sommes » de Thomas d’Aquin, d’Albert le Grand, de Bonaventure, cathédrales intellectuelles du Moyen Âge, marqueront le dépassement des traditions antérieures dans des synthèses différentes entre elles.

En ce qui concerne la lumière, le XIIIème siècle s’approprie l’héritage d’Ibn al-Haytham (Alhazen). Jean de Meung, dans le Roman de la Rose, conseille aux clercs d’étudier son Traité des Regards s’ils veulent comprendre l’optique. Mais, l’hypothèse de mobiles traversant un espace vide d’Alhazen ne s’accorde pas avec le monde plein d’Aristote, ni avec le

2 Abélard et Héloïse prénomment leur fils Astrolabe du nom de l’instrument emblématique de l’astronomie arabe.

3 Jean de Salisbury, Melalogicon, livre III, 1159.

Influence persistante de Ibn al-Haytham : frontispice d’un livre de Witelo (Le « singe d’Alhazen ») imprimé à la Renaissance.

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récit de la Genèse, où la lumière est séparée des ténèbres le premier jour, tandis que les luminaires sont créés le qua-trième. Robert Grossetête (1168-1253), évêque, théologien franciscain, bâtisseur d’une cathédrale, homme de science, va résoudre ces contradictions. Dieu, le premier jour, a créé un point de lumière, le lux, qui a la propriété de s’autopro-pager instantanément dans toutes les directions en créant l’espace et étendant la matière selon une vaste sphère, l’Uni-vers. Comme nous l’a enseigné le juif Salomon ibn Gabirol (Avicebron), l’unité a engendré la tridimensionnalité. Arri-vée à sa limite de ténuité, la sphère de l’Univers se rétracte vers le centre et donne la lumière efficiente, le lumen, qui condense la matière et l’informé, détermine la sphère terrestre. Suivent trois expansions suivies de contractions au cours desquelles sont formées les sphères des éléments Eau, Air, Feu, qui entourent, dans cet ordre, la Terre. Une quatrième contraction condense les luminaires. Cette métaphysique de la lumière permet de définir des courbes, des droites, des angles (géométrie) ; elle fait dériver le multiple de l’un (arithmétique). Les mathématiques sont essentielles dans la compréhension de la nature. Le lumen agit sur la peau (chaleur), sur l’œil (vision) : il se propage des luminaires à notre corps dans un espace empli d’éther, comme le fait le son dans l’air, à la manière de petites vagues. Voici une première théorie vibratoire de la lumière. Thomas d’Aquin la combat au nom d’un Aristote revisité : la lumière, le lux, n’est pas de nature terrestre, mais céleste. Elle n’est pas de notre monde, elle ne se comporte pas de manière grossière. Dans tous les sens, il y a de la qualité et de la quantité. Dans la lumière, il n’y a que la qualité : elle ne se propage pas. Roger Bacon (1214-1294) pourfend Thomas et les faux pro-phètes. Il s’appuie sur Grossetête et sur la science expérimen-tale pour, dit-il, rétablir la sagesse révélée à Adam par Dieu, perdue lors du péché originel. Pour cela, il introduit l’expé-rience, spirituelle d’une part, sensible d’autre part, dans ses raisonnements. Witelo (1220-1286), moine Silésien vivant et travaillant dans la cité papale de Viterbe, préfère à cette conception celle de Ibn al-Haytham. Il est d’ailleurs affu-blé du sobriquet de singe d’Alhazen, mais un singe qui, s’il permet de donner des bases quantitatives à l’optique latine médiévale, ne pratique pas l’expérimentation. Il utilise au mieux, comme tous ses précurseurs en Occident, comme aussi Dietrich de Freiberg (1305) dans sa conception mys-tique de la lumière, la mesure des observations effectuées. Tout se passe comme si, en passant en Occident, quelque chose de fondamental dans la science en pays d’Islam s’était

perdu : le recours à l’expérience. C’est que le souci principal des intellectuels médiévaux est d’ordre métaphysique : ils ne ressentent pas le besoin de contact avec les artisans.

Ce contact va se développer à la Renaissance, après le déclin des civilisations islamique et médiévale. À la cour des mécè-nes, là où s’élaborent maintenant les arts et les sciences, vi-vent artisans, architectes, peintres, sculpteurs, philosophes. Cette rencontre, en ce lieu, permet l’émergence d’une nou-velle manière de voir le monde, initiée par les perspectivistes du Quattrocento et par un Marsile Ficin, nourri très tôt de Platon, d’Avicenne et d’Averroès. C’est dans ce contexte que va naître la science des mécènes. Celle-ci se dote de finalités pratiques. C’est alors avec les Francis Bacon, les Galilée que les savants mettent en pratique la science expérimentale dans la filiation de la « science arabe ». Un Kepler au XVIIème siècle fonde l’optique moderne dans un ouvrage qu’il in-titule Paralipomèdes à Vitellion en hommage à son prédé-cesseur. Un Helvétius fait placer, sur le frontispice de ses Oeuvres complètes, les représentations d’Alhazen et de Gali-lée, un Galilée revêtu d’un turban, turban symbole encore en ce milieu du XVIIème siècle d’un savoir qui se constitue à la lumière de l’autre. Une nouvelle interculturalité permet que naisse alors la science classique, qui va aller plus loin, aller ailleurs…

POur en sAVOir Plus :

- Ahmed Djebbar, Une histoire de la science arabe, Paris, éd. seuil, Points-sciences, 2001.- Bernard Maitte, Histoire de l’arc-en-ciel, Paris, éd. seuil, science-Ouverte, 2005.- Bernard Maitte, La Lumière, Paris, éd. seuil, Points-sciences, rééd. 2002.- Gérard simon, Le regard, l’être et l’apparence dans l’optique de l’An-tiquité, Paris, éd. seuil, Des travaux, 1988.

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L’Observatoire de Lille : patrimoine universitaire et laboratoire de recherche en mécanique céleste

Directeur de l’Observatoire de LillePar Alain vIENNE

L’Observatoire de l’Université de Lille abrite un groupe d’enseignants-chercheurs en mécanique céleste. Ils parti-

cipent notamment à l’élaboration des éphémérides nationales qui, selon la loi du 7 messidor an III (25 juin 1795), sont sous la responsabilité du Bureau des Longitudes. L’histoire de cet observatoire est complexe mais intimement liée à celle de l’Université de Lille : sans remonter aux chaires d’astronomie, qui existaient déjà au XIXème siècle, l’observatoire, en tant que tel, existe depuis 1909 et a été déclaré « Observatoire de l’Université de Lille » par décret ministériel du 6 juillet 1912, mais son matériel scientifique n’a appartenu à l’université qu’en 1933, quand il a été déplacé de Hem à Lille. Je pré-senterai son histoire depuis sa fondation jusqu’à ses activités présentes. Nous nous rendrons ainsi compte de sa place dans le paysage régional et universitaire.

La fondation de l’Observatoire

Il y a un siècle, un riche industriel et négociant en tissus, à Roubaix, proposa à son fils un cadeau à l’occasion de sa majorité (21 ans à l’époque). Celui-ci, passionné d’astrono-mie, souhaitait un observatoire astronomique. C’est ainsi que l’Observatoire de Hem a été fondé. Cet heureux fils, Robert Jonckheere, a pu ainsi assouvir sa passion de l’astronomie et fit donc construire, à Hem, un grand observatoire digne des observatoires nationaux de l’époque : lunette de 35 cm de diamètre et de près de 6 m de long. On trouvait dans ce bâti-ment une bibliothèque, des bureaux, une station météorolo-gique, une maison d’habitation.

Très rapidement, des contacts sont établis entre l’Observatoire de Hem, le Conseil Général du Nord et l’Université de Lille. On y réalisait des relevés météorologiques quotidiens. L’Ob-servatoire participa aussi au service de l’heure et prit en charge les cours d’astronomie pratiques de l’Université de Lille. Pour ces services « d’utilité publique », l’Observatoire reçut des sub-ventions du Conseil Général du Nord. Ainsi, par délibération du Conseil de l’Université de Lille du 26 juin 1912, l’Obser-vatoire a été rattaché à l’université. Robert Jonckheere vécut dans son observatoire où ont été employées quatre personnes à temps complet. Il y poursuivit des observations astronomi-ques dans le domaine des étoiles doubles qui lui permettront d’acquérir une renommée internationale.

Cependant, après la Première Guerre mondiale et les difficul-tés économiques qui suivirent (dévaluation du franc, ferme-

ture des frontières économiques de l’Angleterre avec laquelle l’entreprise Jonckheere négociait presque exclusivement), Ro-bert Jonckheere n’était plus en mesure de financer le fonc-tionnement et l’entretien de son observatoire. Après plusieurs années de négociation, il vendit ses équipements scientifiques à l’Université de Lille en 1929.

L’Observatoire de l’Université de Lille... à Lille

À cette époque, à la fin des années 20 et au début des an-nées 30, sous l’impulsion de Roger Salengro, Maire de Lille, le quartier de « Lille-Moulins » a été réaménagé. Le projet de réaménagement devait répondre à la fois à une politique sociale et à une orientation scientifique. C’est dans ce cadre que furent construits notamment l’Institut de Mécanique des Fluides, l’Institut Denis Diderot, l’École de plein air, le Jardin des plantes et l’Observatoire de Lille. Ce dernier allait recevoir les équipements scientifiques de l’Observatoire de Hem dont la grande lunette faisait partie. L’Observatoire de Lille a ainsi été inauguré le 8 décembre 1934.

Malgré ses demandes, Robert Jonckheere ne pouvait pas ac-céder à un poste de chercheur dans ce nouvel établissement, faute de diplôme universitaire suffisant. Il part pour Mar-seille. Il effectua différents petits métiers. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se fera connaître à l’Observatoire de Mar-seille où il devint astronome professionnel à la fin du conflit et entra au CNRS. Il continua ses travaux et ses découvertes d’étoiles doubles. Il devint rédacteur en chef du Journal des Observateurs. À la fin de sa carrière, il a obtenu plusieurs prix scientifiques importants. Il a pris sa retraite en 1962 et s’est éteint le 27 juin 1974.

Ainsi, si aujourd’hui encore un observatoire astronomique existe au nord de Paris, à Lille, c’est grâce à une volonté com-mune de la Mairie et de l’Université de Lille, et à l’opportunité d’acquérir un matériel scientifique déjà existant, construit au début du siècle dernier par un astronome amateur passionné. Au niveau de l’université, cette volonté a été portée notam-ment par des mathématiciens. Je pense à Albert Châtelet et Joseph Kampé de Fériet et au premier directeur de l’Obser-vatoire de Lille, Charles Galissot (de 1934 à 1951). On sait peu de choses de lui et même de cette époque. La commis-sion « histoire » de l’ « Association Jonckheere – Les Amis de l’Observatoire de Lille » effectue des recherches dans ce sens. Il y eut ensuite Vladimir Kourganoff, de 1952 à 1962. Né à

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Moscou en 1912, il a mené des études brillantes en France et l’étranger (Berkeley, Oslo...). Ses recherches allaient de l’étude des intérieurs des étoiles aux théories cosmologiques. Pierre Bacchus a ensuite été directeur de 1962 à 1986. Avant d’arriver à Lille, il était professeur à l’Observatoire de Stras-bourg où, avec le professeur Lacroute, il a eu l’idée d’utiliser un satellite dans l’espace pour mesurer avec précision les déplacements angulaires des étoiles. Cette idée est à l’origine du grand projet d’astrométrie international, la mission Hip-parcos. Il a transmis, par sa personnalité et sa pédagogie très claire, le goût des calculs astronomiques. J’invite le lecteur à lire, sur le site de l’association Jonckheere, l’hommage rendu par Luc Duriez, son étudiant et responsable de l’Observatoire de Lille de 1986 à 1989. Irène Stellmacher prit ensuite la direction jusqu’en 2003. Venant du « Service de Calcul » du « Bureau des Longitudes » 1, elle a œuvré au rapprochement administratif de l’Observatoire de Lille avec ce service. Ce rapprochement s’est fait d’autant plus naturellement que les astronomes de l’Observatoire travaillaient déjà à l’élaboration d’éphémérides.

La science, des étudiants et des observations

En effet, ces astronomes ont construit des théories générales du mouvement des planètes du système solaire (c’est-à-dire des théories de précision inférieure aux éphémérides publiées mais, en revanche, valables sur plusieurs millions d’années), des théories des mouvements des satellites naturels qui sont en orbite autour des planètes Saturne et Jupiter. Plus généra-lement encore, leurs recherches s’inscrivent dans le domaine de la dynamique des systèmes gravitationnels et de la plané-tologie dynamique : recherche de scénario de formation des résonances, étude des effets de marées des corps considérés (et, donc, en lien avec leur structure comme la possibilité d’un océan interne dans Encelade), étude de la dynamique à long terme des comètes, processus de capture de satellites...

Même si, en 2003, des observations faites à l’Observatoire de Lille ont été publiées dans la revue d’astronomie scientifique européenne (Astronomy & Astrophysics), la grande lunette de 35 cm est moins utilisée pour la recherche que pour des ac-tivités pédagogiques. Des cours d’astronomie sont enseignés,

1 Depuis 1998, ce service est l’ « Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides », soit l’I.M.C.C.E, toujours sous l’égide du Bureau des Longitudes.

notamment pour les étudiants en licence de Physique et en licence de Mathématiques. Lorsque le ciel est dégagé, des tra-vaux pratiques sont organisés pour familiariser ces étudiants à l’observation des astres à l’aide de la lunette. Depuis 1999, grâce à une convention entre le Forum Départemental des Sciences et l’Université Lille 1, les astronomes amateurs de la région Nord-Pas de Calais peuvent utiliser la lunette pour leurs propres observations sous la responsabilité d’un mem-bre de l’équipe du planétarium du Forum Départemental des Sciences. Enfin, l’association Jonckheere elle-même poursuit un programme d’observations scientifiques des étoiles doubles, faisant revenir en quelque sorte la grande lunette de l’Obser-vatoire de Lille à « ses amours de jeunesse », puisque Robert Jonckheere en était véritablement amoureux !

Ce texte a été écrit avec l’aide de l’Association Jonckheere – Les Amis de l’Observatoire de Lille.

- Conférence de l’association Jonckheere

Robert Jonckheere et les origines de l’Observatoire de Lille

Par Jean-Claude ThorelJeudi 14 mai à 18h30 à l’Espace Culture

- Conférences pilotées par l’AMA et le CARL

De la poussière de comète dans les laboratoiresPar Hugues Leroux

Samedi 6 juin à 20h

Promenade cosmiquePar Yael Nazé

Samedi 10 octobre à 20h

À la Maison de l’Éducation Permanente - Lille (Salle des Congrès)

POur Plus D’infOrMATiOns :

- http://lal.univ-lille1.fr/- http://asso.jonckheere.free.fr/- ht tp://asa3.univ-lille1.fr/spip/AsA_histoire/mathematiques/mathematiques.htm.

Photos : Association Jonckheere/Les Amis de l’Observatoire de Lille

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CyCle la guerre

u Prévenir et humaniser la guerre, est-ce possible ? Le cas du Vietnam Mardi 7 avril à 18h30Par Monique Chemillier-Gendreau, Professeur émérite de droit public et science politique, Université Paris Diderot. Animée par Nabil El-Haggar, Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, de la Communication et du Patrimoine Scientifique.

En 1945, les Nations Unies ont imaginé de prévenir la guerre par une interdic-tion du recours à la force. Celle-ci est un échec. Mais le droit humanitaire en cas de conflit armé, en dépit de ses développements, demeure tout aussi inefficace. Les injonctions normatives n’ont d’efficacité, et la violence ne re-cule entre les humains, que lorsqu’ap-paraît entre eux le sentiment d’appar-tenance à une communauté politique. Seul le sentiment de constituer une communauté politique universelle peut permettre à l’humanité de dominer la violence qui la submerge.

(Cf. article p. 4-5).

u Guerre et paixMardi 26 mai à 18h30Par Jean-Marc Ferry, Philosophe, pro-fesseur à l’Université Libre de Bruxelles en science politique et en philosophie morale, docteur honoris causa de l’Uni-versité de Lausanne, Suisse. Animée par Jean-Marie Breuvart, Philosophe.

Des sources morales de la guerre et l’ idée d’une éthique reconstructive comme philosophie pratique des relations inter-nationales S’il existe un lien interne entre l’inté-riorisation des droits fondamentaux et l’expérience historique des luttes à mort pour la reconnaissance, alors la viola-tion non cynique du Droit, celle qui

s’appuie sur la conviction de son bon droit, indiquerait que l’expérience tirée des guer res antérieures n’aurait pas été menée à bien. Doit-on continuer de s’en remettre à la guerre pour mettre au repos la dialectique de la lutte, de sorte qu’un jour advienne le Droit ? Ou pourrait-on devancer la guerre sur la voie d’une éthique reconstructive tra-vaillant sur les traces de la reconnais-sance manquée ?

(Cf. article p. 6 à 9).

Remerciements à Youcef Boudjemai, Jean-Marie Breuvart, Bruno Duriez, Rémi Franckowiak, Robert Gergondey, Jacques Lemière, Patrick Picouet, Jean-François Rey et Frédéric Worms pour leur participa-tion à l’ élaboration de ce cycle.

CyCle l’espaCe

u Le cubisme : invention d’un nou-vel espace plastiqueMardi 14 avril à 18h30Par Nathalie Poisson-Cogez, Docteur en histoire de l’art contemporain, chargée de cours à l’Université Charles de Gaulle - Lille 3, membre associé du Centre d’Étude des Arts Contemporains (CEAC) - Lille 3.

Au début du XXème siècle, le cubisme confirme la remise en cause de la re-présentation traditionnelle de l’espace. La conception albertienne du tableau comme « fenêtre ouverte » et l’usage de la perspective sont abandonnés. La décomposition en facettes de l’objet, la fusion fond/forme et l’introduction de nouveaux matériaux attestent du respect de la bidimensionnalité du support. Les artistes proposent une traduction nou-velle de l’espace tridimensionnel en of-frant une vision simultanée de la réalité. Dès lors, les concepts de mouvement et de temps révèlent l’invention d’un nouvel espace plastique.

(Cf. article p. 10 à 12).

Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Marie Breuvart, Alain Cambier, Rémi Franckowiak, Robert Gergondey, Hugues Leroux, Bernard Maitte, Bernard Pourprix, Alain Vienne et Georges Wlodarczak pour leur participation à l’ élaboration de ce cycle.

CyCle À propos de la sCienCe

u Les expérimentations « in silico »Mardi 19 mai à 18h30Par Jean-Gabriel Ganascia, Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) et directeur de l’équipe ACASA (Agents Cognitifs et Apprentissage Symbolique Automatique) du LIP6 (Laboratoire d’In-formatique de Paris 6). Animée par Jean-Paul Delahaye, Professeur d’informatique à l’Université Lille 1, Laboratoire d’Infor-matique Fondamentale de Lille.

À la fin des années 80, les biologistes ont inventé un nouvel idiome latin pour désigner les expérimentations réalisées sur ordinateurs : on les qua-lifie d’expériences « in silico » parce qu’elles ne sont effectuées ni sur les êtres vivants, comme les expériences « in vivo », ni dans des tubes à essai de verre, comme les expériences « in vitro », mais sur les puces de silicium qui constituent le cœur des ordina-teurs. Ces expériences « in silico » ont donc lieu virtuellement, sans toucher leur objet d’investigation, mais sur une représentation abstraite de ces objets…

(Cf. article p. 18-19).

Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Paul Delahaye, Gilles Denis, Hugues Leroux, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Bernard Pourprix, Bernard Van-denbunder, Alain Vienne et Georges Wlodarczak pour leur participation à l’ élaboration de ce cycle.

Octobre 2008 – mai 2009

Rendez-vous d’Archimède

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Le FIGRA hors les mursJeudi 2 avril Entrée gratuite

En partenariat avec Radio Campus

L’Espace Culture, partenaire associé du FIGRA 2009 (16ème édition), propose une après-midi consacrée au grand reportage d’actualité et au documentaire de société.

16h/ projections autour des thèmes au programme des Rendez-vous d’Archimède : « La guerre » et « L’espace »

u Un génocide à huis clos (A secret Genocide)

De Alexandre Dereims - 52mn - FranceImage : Alexandre Dereims - Montage : Alexandre DereimsProd : Première Nouvelle

300 000 réfugiés Karens survivent au cœur de la jungle birmane. Victimes d’une persécution perpétrée par la junte militaire birmane, les combattants de la KNLA mènent leur lutte à armes inégales. Un nouveau génocide se prépare dans cette région du monde.

Mention Spéciale du Jury (2007).

u Les enfants de la baleine

De Frédéric Tonolli – 52mn – FranceImage : Frédéric Tonolli - Montage : Caroline Chomicky Co-prod : Mano a Mano, Tatou France, FX avec la participation de France 3

La vie et la mort d’un peuple, les Tchoutch, qui vivent sur la presqu’île d’Ouelen dans le cercle arctique, à l’autre bout du monde. Ils sont là depuis toujours, partagent leurs pei-nes, leurs drames, leurs chasses, leurs pêches et le quotidien extrême des grands froids…

Prix de la meilleure image (2008).

18h30/ projection d’un film primé au FIGRA 2009, suivie d’une rencontre-débat avec le réalisateur ou l’un des membres de l’équipe du film

Un génocide à huis clos

Les enfants de la baleine

Festival International du Grand Reportage d’Actualitéet du Documentaire de Société

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Jeudi 9 avrilà 19h,

20h

et 21h

Par À corps perdus / groupe de la compagnie Les Tambours BattantsMise en scène : Grégory Cinus

www.tamboursbattants.org

À Corps Perdus investit tout l’Espace

Culture le temps d’une soirée de 5 ou 6 petites formes à la croisée du théâtre, de la

danse, de la vidéo, de la performance.

Des petites formes sur le thème de la guerre… Que dire sur la « guerre » ? Qu’on est contre ? Certes…

Quand tous les discours sont délavés à force d’être repassés.Quand toutes les analyses finissent par vider l’horreur de son contenu.

Quand l’Histoire n’en finit plus de bégayer les mêmes erreurs.Que reste-t-il à dire ?

Alors, s’il n’y a plus rien à dire, espérons qu’il reste encore beaucoup à ressentir.

Insinuons-nous dans les entrailles du monstre, laissons-nous guider à travers les univers horriblement poétiques d’un monde en état de

guerre permanent.Un sniper qui danse sur un toit,

Un fossoyeur qui creuse une tombe sous la lune,Un soldat blessé et un fantôme…

À corps perdus vous invite à une balade en terrain miné.

Dans le cadre de « (L)armes », À corps perdus propose un stage pluridisciplinaire à la Makina (Hellemmes) du 11 au 15 avril (3 jours pleins et 2 soirées).

Pour plus de renseigne-ments, contactez-nous au 03 20 42 05 03 ou [email protected]

Entrée gratuite sur réservation (30 personnes par représentation)

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Les carnets du caporal B...Lundi 25 mai à 19hEntrée gratuite sur réservation

Par Jean Maximilien Sobocinski

Cette lecture sera l’occasion de découvrir les carnets de guerre de Louis Barthas, œuvre majeure de cette période.

Pour certains, le XXème siècle commença avec cette guerre, la première guerre qui deviendra mondiale. Que l’on

voulait la dernière.Il fallait se battre pour qu’il en soit ainsi. Mensonges.Ils étaient pour la plupart jeunes, 17, 18, 19 ans, parfois 30 et plus.Inconscients pour certains, trop conscients pour d’autres.Ils faisaient toutes sortes de métiers dans le civil, garçons de café, coiffeurs, instituteurs, ouvriers agricoles, tonnelier pour Barthas.Ils étaient célibataires ou avaient une femme qui les attendait. Pour les célibataires, on inventa les marraines de guerre pour que le poilu puisse écrire et avoir, de temps à autre, un cour-rier en retour. Pour les hommes qui écrivaient à leurs épouses, à leurs proches, certains ont éprouvé le besoin de faire garder ces écrits. Garder trace de ces traces, de ces blessures qui font mal pendant des années, garder ces mots écrits dans le froid, dans la boue, sous un soleil trop chaud.Très vite, les poilus ont compris que cette guerre allait durer : on leur demanda de creuser, de s’enterrer, de se terrer. Ils savaient qu’il y aurait beaucoup de sacrifices humains.Alors, il fallait écrire, consigner, rapporter pour ne pas dé-naturer l’horreur de cette guerre, se rappeler les odeurs, la fatigue, la peur, la franche camaraderie entre poilus, le par-tage, la générosité, l’absence de haine de l’ennemi, la frater-nisation avec l’ennemi pour certains.Après la guerre, ceux qui ont écrit ont parfois, dès leur re-tour, retranscrit leurs notes, leurs lettres et cartes postales, leurs carnets. Barthas est un poilu à carnets.

La ruine des chosesLundi 25 mai à 20hEntrée gratuite sur réservation

Pièce courte pour danseuse, film d’animation et toile enneigéeSarah Gonçalves - Marie Miranda - Hélène Defromont

Par la Compagnie Osmonde En partenariat avec la Compagnie Double Accroche

Sur scène, un jeune soldat. Ou presque. une danseuse habillée de blanc, ses vêtements souillés par la terre qui re-couvre le plateau. Le spectacle s’ouvre sur ce qui pourrait être un premier combat, sous le feu des bombardements.

Quoi de plus vivant qu’un corps de chair et de sang, pour re-donner vie quelques instants aux émotions d’un soldat.La danseuse s’anime, vit sur scène le corps à corps avec la terre, la peur, la mort.Il s’agit de revivre, avec elle et la projection du film d’anima-tion qui l’accompagne, ce qu’a pu être vivre la guerre à 20 ou 30 ans.Avec ce spectacle, nous souhaitons évoquer les soldats français qui ont servi entre 1914-1918, en offrant notre vision de l’ his-toire, de ce que nous avons ressenti en cherchant à connaître ce qu’ ils ont vécu.Pour ne pas oublier. Pour donner vie à un regard, celui des arrières petit-fils de poilus, maintenant que les derniers survi-vants se sont éteints.Pour la mémoire de leur souffrance.Nous proposons une vision d’artistes, car l ’art comme la mémoire nous semble faire partie de l’ âme humaine.Nous voulons, par le biais de notre spectacle, sensibiliser le spectateur à un sujet difficile, qui peut paraître lointain au premier abord.Or, la guerre reste un fait quotidien dans notre monde moderne et « civilisé ».

© C

hristo Gonçalves

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THÉÂTRE

Direction :Jean-Maximilien Sobocinski

Lundi 6 avril à 19h30Entrée libre

À partir d’une série de témoignages Nous avons durant notre atelier tenté de rendre cette parole, cette parole universellequi parle des souffrances des craintes et parfois de la vie... aprèsMais comme chaque fois il ne fallait pas oublier l’intérêt de notre atelierqui est avant toute chose un lieu où l’on vient pour se rencontreret pratiquer chacun à notre niveau avec nos qualitésnos absencesse confronter à l’autre pour faire le plus simplement possible du théâtreMais garder une exigence... toujoursmais ne pas oublier le plaisir du texte et des rencontresAlors encore une fois partageons ce dernier atelier de la saison avec vous

Avec Darima Abderahmane, Floriane Batot, Alexendra Bucholc, Allan Ca-baret, Arnaud Cleenewerck, Nicolas Courtois, Dorothée Descamps, Ma-thieu Dumoutier, Eléonore Gatta, Thierry Holtzapffel, Morgane Lozach, Aboudiou Salawou, Anne Simon, Marc Tounsi-Goffin.

Intervention du workshop électrique dirigé par Olivier Benoit.

CONCERTS

Workshop acoustiqueMardi 12 mai à 18h30

Direction : Olivier BenoitEntrée libre

Le travail avec le workshop acoustique se poursuit cette année avec une per-cussionniste. L’orchestre approfondit les expériences sur l’improvisation débu-tées l’année dernière. La musique est le reflet de la personnalité des musiciennes qui, peu à peu, font des choix sur ce qu’elles aiment entendre et élaborent un langage tout à fait personnel, signe de maturation.

Workshop électriqueMercredi 13 mai à 12h30Direction : Olivier Benoit

Entrée libre

Le workshop électrique est composé uniquement de nouveaux musiciens. Sans batterie, le répertoire est apaisé, la musique plus mélodique que ces der-nières années.Seront notamment jouées des pièces écrites pour un ensemble franco-viet-namien qui a publié un disque l’année dernière sur le label circum-disc.

En concert à la Malterie les 30 avril et 1er mai à 20h45.

EXPOSITION PHOTOGRAPHIQUE

Direction : Antoine Petitprez et Philippe Timmerman

Du 18 mai au 24 juilletEntrée libre

Vernissage le 18 mai à 18h

La photographie peut-elle être consi-dérée comme l’autoportrait de son auteur ?Telle est la question qui fut posée aux participants cette année. Pour le pho-tographe américain Robert Adams, l’image photographique nous en dit autant sur la personne qui tient l’appa-reil que sur ce qui est devant l’objectif. Selon Serge Tisseron : « […] tout pho-tographe est préoccupé par sa présence dans ses images 1 ». En effet, la photo-graphie cristallise l’ensemble des déci-sions qui ont poussé l’auteur à capturer une image à un moment précis. Ainsi, qu’elle soit réelle ou non, la pré-sence de l’auteur constitue, de près ou de loin, l’image photographique.Par le choix des images présentées sous la forme d’une exposition, chaque parti-cipant s’est engagé à formuler un propos artistique sur sa propre présence dans ses images.

1 Tisseron S., Le mystère de la chambre claire - photographie et inconscient, éd. Les Belles Lettres, Archimbaud, 1996, p. 49.

Pratiques artistiques

Jérôme ChampavereElsa Ficquet

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ÉCRITURE

Direction : François Fairon Lundi 18 mai à 18h

Entrée libre

Météo à la manière de Raymond Queneau (Exercices de style)

- Samedi, alors je vous dis. Le ciel re-peindra la façade atlantique.- Moi, c’est jeudi seulement qui m’in-téresse !- Moi, grand chef Météo, et moi fais ce que ça me dit. Alors samedi, l’éclair si si dans la matinée sur la PACA, et sur le SUMACE.- J’en ai marre dis ! Moi, c’est jeudi que j’dis.- Moi, grand chef Météo, Je dis : samedi, évacuation des nuages vers l’allée Magne et le franc Soleil s’imposera même si le coeur n’y est pas. Le roi est mort, Vive l’empereur ! et versa-vice…- Et dimanche, alors ?- Dimanche est un jour du mois qui ne se travaille pas encor’ !..

MMTexte rédigé à partir d’un bulletin météo paru dans Le Monde en s’ inspirant du ro-man « Exercices de style » de Raymond Que-neau en choisissant le style de l’ insolence.

Stéréotype actuel : acceptation de la disparition des communautés humai-nes. Non reconnaissance des cultures à peine visibles, négation des person-nalités individuelle et familiale. Sug-gestion insidieuse qu’il est plus impor-tant d’être Français plutôt qu’homme et femme. Informatisation autoritaire de toutes les langues, actes barbares, émergences de constructions géné-tiques entraînant des dérives morti-fères. Seule autorisée une identité de papier, aucun secret possible.

FG Texte issu d’un logo-rallye ou série de mots im-posés en s’ inspirant d’un extrait du livre « Les identités meurtrières » d’Amin Maalouf.

DANSE

Impromptus dansés

Atelier danse États de corps animé par Alice Lefranc-Bette

Cie CarapacineDu 27 au 30 mai

(dates et horaires à préciser)Entrée libre

Présentation d’extraits de la création en cours « Lam » et rendu, par les par-ticipants à l’atelier, du travail mené au cours de cette saison : expérimenta-tions d’états de corps, improvisations itinérantes dans l’Espace Culture.

STAGES DE MIME CORPOREL DRAMATIQUE

Par la Compagnie du Théât re Diagonale : Esther Mollo, Amalia Modica et Nicolas Madrecki.

Stage 1 : « du texte au mouvement »D’après des extraits de

« La nuit remue » de H. Michaux

Samedi 4 avril de 15h à 18hDimanche 5 avril de 10h à 14hTarif stage : 100 euros et 15 euros

d’adhésionTarif exceptionnel : 160 euros les 2

stages et 15 euros d’adhésion Ce texte est utilisé comme base dra-maturgique de la composition des actions : une matière à façonner pour créer l’objet théâtral et parcourir le chemin qui de la page écrite mène à la scène, en le transformant en actions, en images, en sons, et surtout en sous-texte du jeu corporel des acteurs.Stage 2 : danse avec Éric Skieffrate

Samedi 18 avril de 15h à 18hDimanche 19 avril de 10h à 14h

Tarif stage : 100 euros et 15 euros d’adhésion.

Tarif exceptionnel : 160 euros les 2 stages et 15 euros d’adhésion.

Approche du corps dans sa globalité. Travail au sol, de placement technique, déplacement libre, travail avec un ob-jet tiers, étude d’une variation choré-graphique… En fin de stage : mini atelier chorégraphique à thème, sorte de « laboratoire » où un état de danse pourra être expérimenté, approfondi, transformé.

Inscription et infos : Théâtre Diagonale 03 20 92 15 86 / 06 83 45 37 66

[email protected]

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LNA#51 / au programme / pratiques artistiques au programme / pratiques artistiques / LNA#51

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Page 56: Les Nouvelles d'Archimède 51

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.g e n d aA Retrouvez le détail des manifestations sur notre site : www.univ-lille1.fr/culture ou dans « l’in_edit » en pages

centrales. L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’université de Lille 1.

Avr

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2009

Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’AscqDu lundi au jeudi de 11h à 18h et le vendredi de 10h à 13h45

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59 www.univ-lille1.fr/culture - Mail : [email protected]

Jeudi 2 avril 16h Le FIGRA hors les murs : reportages d’actualité « Un génocide à huis clos »,

« Les enfants de la baleine », prix du FIGRA 2009 et rencontre-débat avec le réalisateur

18h30 Question de sens : Cycle « Chemins d’humanisation » « Le droit à une santé sexuelle,

quels défis en université ? » avec Nadia Flicourt et Isabel De Penanster

Les 4 et 5 avril Stage de mime corporel dramatique : « du texte au mouvement »

par la Cie du Théâtre Diagonale

Lundi 6 avril 19h30 Atelier théâtre

Les 7 et 14 avril 14h30 Conférences de l’UTL

Mardi 7 avril 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La guerre » « Prévenir et humaniser la guerre,

est-ce possible ? Le cas du Vietnam » par Monique Chemillier-Gendreau

Jeudi 9 avril 19h / 20h / 21h Spectacle vivant : « (L)armes » par À corps perdus *

Mardi 14 avril 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « L’espace » « Le cubisme : invention d’un nouvel

espace plastique » par Nathalie Poisson-Cogez

Les 18 et 19 avril Stage de mime corporel dramatique : « danse avec Éric Skieffrate »

par la Cie du Théâtre Diagonale

Les 5, 12 et 19 mai 14h30 Conférences de l’UTL

Mardi 12 mai 18h30 Concert Workshop acoustique

Mercredi 13 mai 12h30 Concert Workshop électrique

Lundi 18 mai 18h Atelier écriture

Du 18 mai au 24 juillet Exposition Atelier photographie - Vernissage le 18 mai à 18h

Mardi 19 mai 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « À propos de la science » « Les expérimentations

‘in silico’ » par Jean-Gabriel Ganascia

Lundi 25 mai 19h Lecture « Les carnets du caporal B… » par Jean-Maximilien Sobocinski *

20h Danse « La ruine des choses » par le Cie Osmonde *

Mardi 26 mai 18h30 Rendez-vous d’Archimède : Cycle « La guerre » « Guerre et paix »

par Jean-Marc Ferry

Du 27 au 30 mai Atelier danse États de corps