les nouvelles d'archimède 63

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l e s n o u v e l l e s d la revue culturelle de l’Université Lille 1 Archimède AVR MAI JUIN # 6 3 2013 Sénèque, La Brièveté de la vie « Ce n'est pas que nous disposions de peu de temps c'est plutôt que nous en perdons beaucoup » Science, technologies, démocratie Journée d’études « À propos du nucléaire » / Mouvements arabes de révoltes deux ans après Journée d’études « La Méditerranée » / 24°3'55''N - 5°3'23''E Installation vidéo d’Ammar Bouras / La guerre, une vérité humaine Parution collection Les Rendez-vous d’Archimède

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Les Nouvelles d'Archimède, revue culturelle de l'Université Lille1 Au sommaire du 63 : Science, technologies, démocratie Journée d’études « À propos dunucléaire » / Mouvements arabes de révoltes deux ans après Journéed’études « La Méditerranée » / 24°3'55''N - 5°3'23''E Installationvidéo d’Ammar Bouras / La guerre, une vérité humaine Parutioncollection Les Rendez-vous d’Archimède

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Page 1: Les Nouvelles d'Archimède 63

l e s n o u v e l l e s

dla revue culturelle de l’Université Lille 1

’ A r c h i m è d eA V RM A IJUIn

# 6 3

2013Sénèque, La Brièveté de la vie

« Ce n'est pas que nous disposions de peu de temps c'est plutôt que nous en perdons beaucoup »

Science, technologies, démocratie Journée d’études « À propos du nucléaire » / Mouvements arabes de révoltes deux ans après Journée d’études « La Méditerranée » / 24°3'55''n - 5°3'23''E Installation vidéo d’Ammar Bouras / La guerre, une vérité humaine Parution collection Les Rendez-vous d’Archimède

Page 2: Les Nouvelles d'Archimède 63

Les Assises de la recherche 1, qui ont eu lieu fin 2012, ont réaffirmé le rôle culturel de l’université comme une réponse à « l’aspiration de notre société de nourrir et renouveler sans cesse le lien social par la connaissance, la culture, l’humanisme, […] ». Cette réduction de la culture au lien social est accentuée par la transcription en termes législatifs de ce rôle : le code de l’éducation indique que « le service public d’enseignement supérieur contribue […] à l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la composent » tout en ne mentionnant, dans les actions à développer, que des « activités culturelles » souvent à destination exclusive des étudiants. Le rapport Le Déaut 2 va encore plus loin : il fait de la culture l’un des moyens de la réussite des étudiants, au même titre que les transports, le logement ou la restauration. Comment concevoir une telle réduction, une telle instrumentalisation alors que la culture est si intimement liée au développement des facultés personnelles, au désir d’étude, à la curiosité qui devraient être au cœur de l’enseignement et de la recherche ?Heureusement, il existe d’autres visions de la culture notamment dans ses rapports à la science. Abordant la « culture scientifique », les Assises plaident pour qu’elle ne soit pas que « la diffusion des sciences, [… mais un] véritable partage avec les citoyens de la science et des choix scientifiques » 1. Jean-Marc Lévy-Leblond 3 propose plutôt de « faire entrer la science dans la culture et la culture dans la science » en notant que « À chaque fois que l’on met un adjectif derrière le mot culture, c’est pour en atténuer le sens ». Dans un monde où les « nouvelles technologies », issues de la recherche scientifique, s’imposent dans notre quotidien, provoquent des mutations sociales, économiques, politiques, culturelles fondamentales, interrogent l’éthique, l’Université doit mettre à la disposition de la société les outils permettant de vaincre les dogmatismes. Face à une médiatisation « qui contribue à renforcer une conception magique de la science et des techniques » 4, elle doit lutter afin d’éviter que la « science n’apparaisse que comme le spectacle de ses réalisations » 5. En assumant pleinement son rôle de production de savoirs, de formation à la pensée critique, elle participe à la compréhension éclairée du monde dans toutes ses dimensions, matérielles, sociales, économiques...Dans ce numéro des « Nouvelles d’Archimède », Bernard Maitte, en interrogeant l’enseignement en quantique, plaide pour un « enseignement des sciences comme […] une éducation à la pensée scientifique » par opposition à un enseignement dogmatique qui « affirme comme vérités les pertinences constatées ». Claudia Neubauer, dans sa présentation des sciences participatives, constate « une implication croissante d’acteurs « profanes » […] dans la réalisation et le pilotage de la recherche et l’innovation ». Ce constat rejoint la proposition de Jean-Marc Lévy-Leblond d’explorer la voie de la contribution des « amateurs » 5 au développement de la recherche. Les journées d’études « Science, technologies, démocratie » et « Les mouvements arabes de révoltes deux ans après », qui se dérouleront au mois d’avril, chercheront, dans le témoignage, l’analyse et le débat, à construire collectivement une meilleure compréhension des réalités sociales et politiques qui sous-tendent ces deux thèmes au cœur de l’actualité.

Le Conseil de l’Espace Culture propose les thèmes « À propos de l’évaluation » et « Le corps » pour structurer les propositions culturelles de la prochaine année uni-versitaire. Nous pouvons faire ensemble que les conférences et débats, les journées thématiques, les interventions d’artistes, par la variété des approches et l’ouverture des échanges, contribuent à une meilleure compréhension du monde complexe qui nous entoure autour de ces thèmes.

Une culture pour comprendre le monde

L’équipe

Jacques LESCUYER directeur Delphine POIRETTE responsable de la communicationEdith DELBARGEchargée des éditions et communicationJulien LAPASSET graphiste - webmestreAudrey BOSqUETTEassistante aux éditionsMourad SEBBATchargé des initiatives culturellesMartine DELATTREassistante initiatives culturellesDominique HACHE responsable administratifAngebi ALUwAnGA assistant administratifFathéa CHERGUIsecrétaire de directionSophie BRAUnchargée du patrimoine scientifiqueBrigitte FLAMAnDchargée d'accueilJacques SIGnABOUrégisseur techniqueJoëlle MAVETresponsable café culture

Jean-Philippe CASSARVice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture et du Patrimoine Scientifique

1 Rapport final des Assises de la Recherche.

2 Rapport « Refonder l’Université – Dynamiser la recherche », Jean-Yves Le Déaut.

Rapports disponibles sur :http://www.assises-esr.fr/mise-en-œuvre

3 Colloque « Culture scientifique ? », PRES Lille Nord de France, 24/11/2011.http://www.univ-lille-nord-de-france.fr/tele-chargement/culture/actes_24nov2011_web.pdf

4 Rudolf Bkouche : colloque « Culture scien-tifique ? ».

5 Alliage n° 69, « Amateurs ? », octobre 2011.

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LNA#63 / édito

Page 3: Les Nouvelles d'Archimède 63

LES NOUVELLES D’ARCHIMÈDE

Directeur de la publication : Philippe ROLLETDirecteur de la rédaction : Jean-Philippe CASSAR

Comité de rédaction : Bertrand BOCQUET

Alain CAMBIERJean-Paul DELAHAYERémi FRANCKOWIAK

Jacques LESCUYERBernard MAITTERichard SOBEL

Rédaction - Réalisation : Delphine POIRETTEEdith DELBARGEJulien LAPASSET

Impression : Imprimerie DelezenneISSN : 1254 - 9185

AVRIL > JUIN 2013 /#9

Rendez-vous d’Archimède

À propos du nucléaire

La Méditerranée

Lecture publique

Circum Grand Orchestra

24°3'55''N - 5°3'23''E

Didier Aschour + Muzzix

Jazz / Improvisation

La guerre

Retrouvez le détail de nos manifestations dans notre programme trimestriel et sur notre site Internet : culture.univ-lille1.fr

En couverture :

Cycle « À propos du nucléaire »

À propos du nucléaire

4-5 Réflexions sur la recherche à Tchernobyl et Fukushima 1991-2012 par Anders Pape Moller

La Méditerranée

6-7 La résistance des femmes tunisiennes, un combat face au projet hégémonique islamiste par Faouzia Farida Charfi

Rubriques

8-9 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye10-11 Mémoires de sciences : Histoire des sciences et formation scientifique : à propos de la quantique par Bernard Maitte12-13 Repenser la politique : La massification de la culture par Alain Cambier14-15 Chroniques d’économie politique : L'État n'est pas un « bon père de famille » par Thomas Dallery16-17 Sciences en société : Sciences participatives en réponses aux défis du XXIème siècle par Claudia Neubauer18-19 Sciences en société : Le Festival « Sciences Métisses » : autour du livre de vulgarisation scientifique par Jean-Claude D'Halluin20-21 Vie de l’université : La radioprotection et les activités nucléaires à Lille 1 22-23 Vie de l’université : L'Observatoire de l'Université de Lille : un lieu de recherche, d'enseignement et de patrimoine par Alain Vienne24-25 Vie de l’université : Cantiques des quantiques par Éric Sterenfeld26 À lire : Le nucléaire : témoigner de la réalité vécue par Jean-Philippe Cassar

Au programme

27-28 Rendez-vous d’Archimède : Cycles « À propos du nucléaire » et « La Méditerranée » 29 Rencontres culturelles de sens : Vers une culture de sens au service des Droits fondamentaux30 Exposition : 24°3'55''N - 5°3'23''E - installation vidéo d’Ammar Bouras31 Collection Les Rendez-vous d'Archimède : nouvelle parution « La guerre, une vérité humaine »

sommaire / LNA#63

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sommaire / LNA#63

Page 4: Les Nouvelles d'Archimède 63

L’ampleur de l’accident de Tchernobyl et ce qui s’y est réellement passé sont encore mal connus. Quelle quantité

de matières radioactives est encore dans le sarcophage ? Nul ne sait. Combien en a été rejetée dans l’atmosphère ? Plus de 100 bombes nucléaires du type de Hiroshima et Nagasaki.

Le lendemain de l’accident de Tchernobyl, le 24 avril 1986, des dizaines de milliers de nettoyeurs arrivent sur le lieu de l’accident, souvent de très loin. Le caractère héroïque des travaux des liquidateurs de Tchernobyl est rarement mis en doute, mais ils n’y ont sans doute pas consenti. C’était des héros staliniens de la classe ouvrière, battant de nouveaux records de travail humain, comme ceux de la quantité de charbon produite en une journée, à la dif-férence que le rayonnement radioactif était élevé et les protections insuffisantes. Parmi ces liquidateurs, on compte 1600 pilotes d’hélicoptères qui ont déversé du sable sur le réacteur nucléaire et des dizaines de milliers de mineurs qui ont déblayé à la pelle le matériel radioactif. Il n’y a eu aucune compensation financière ni aucun suivi médical et donc aucune détection précoce des maladies possible. Les liquidateurs de Tchernobyl et les habitants déplacés ne constituant pas un échantillon aléatoire, les conséquences médicales des rayonnements de Tchernobyl sont encore mal connues et les études controversées. Autour de 1986-1990, plusieurs projets de recherches soviétiques ont été entrepris alentour de Tchernobyl, mais la plupart suivaient la tradition soviétique de Lyssenko 1, avec peu ou pas de réplication et suivant une démarche scientifique générale obsolète, sans aucune conception moderne, écologique ou évolutive, des questions scientifiques. Peu après 1986, le Kremlin a publié un décret interdisant les études ainsi que la divulgation d’informations quant aux effets des radiations de Tcher-nobyl. Plusieurs scientifiques ont été assignés à résidence surveillée pour avoir enfreint cette loi, certains pendant de nombreuses années. Cela n’a bien entendu pas favorisé la

1 [NdR] Trofim Denissovitch Lyssenko, ingénieur agronome soviétique aux théories sur la génétique discréditées.

* Traduit par Sylvain Billiard.

tenue d’études scientifiques sur les effets des radiations sur les êtres vivants, notamment sur les humains.Avec la chute de l’URSS en 1991, les scientifiques d’Ukraine, de Biélorussie et de Russie ont perdu leurs sources de finan-cement, voire la majeure partie de leur salaire. Peu d’études ont ainsi été conduites entre les années 1990 et 2000, voire jusqu’à ce jour.

Depuis 1991, T.A. Mousseau et moi-même avons effectué un total de cinquante voyages en Ukraine et en Biélorussie afin d’étudier les conséquences de l’accident. L’absence de toute recherche fondamentale la plus élémentaire surprend quiconque visite la région de Tchernobyl. Suite aux 20ème

et 25ème anniversaires de l’accident, de nombreux rapports officiels ont été rédigés. Par exemple, les rapports du Forum Tchernobyl sont censés synthétiser les publications scien-tifiques sur les conséquences de l’exposition à des matières nucléaires. En fait, ils consistent essentiellement en des résumés narratifs d’un nombre restreint de publications, réalisés par des scientifiques employés par l’industrie nucléaire ou les organismes de surveillance. En comparaison, depuis les années 1950, plus aucun médecin impliqué dans l’évaluation des effets du tabac sur le cancer du poumon n’est employé par l’industrie du tabac ! Les recherches médicales et sociales sur le tabagisme ou, autre exemple, sur les effets d’un régime alimentaire gras sur les problèmes cardiaques sont traditionnellement évaluées dans des méta-analyses quantitatives. Des outils statistiques tenant compte de la qualité des études, de la taille des échantillons et des variables potentiellement confondantes sont utilisés. Cela permet d’éviter l’inclusion biaisée de certaines études et les conclusions partiales, conscientes ou non. Aucune méta-analyse traitant des effets de Tchernobyl n’a été publiée à ce jour. Mon étudiant de doctorat Srdan Randic a récemment fait la synthèse de 45 études chez 33 espèces où sont estimés 151 effets de mutations et qui font état des effets parmi les plus importants jamais observés en biologie. D’autres méta-analyses sont en cours, pour enfin publier ce qui aurait dû l’être depuis longtemps.

Réflexions sur la recherche à Tchernobyl et Fukushima 1991-2012 *

Laboratoire d’Écologie, Systématique et Évolution, CNRS UMR 8079, Université Paris-Sud

Par Anders Pape MOLLER

L’explosion de Tchernobyl est, de loin, le plus grand désastre écologique d’origine humaine. Il occupe une place importante dans la conscience de beaucoup. Certains pensent que cela a déclenché la chute de l’URSS, en révélant un système politique désuet, incompétent, méprisant la vie humaine et dénoncé depuis longtemps. La donne a consi-dérablement changé avec l’accident de Fukushima, puisque l’on sait maintenant qu’une des sociétés les plus avancées technologiquement peut, elle aussi, connaître des accidents nucléaires majeurs.

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cycle à propos du nucléaire / LNA#63 LNA#63 / cycle à propos du nucléaire

Page 5: Les Nouvelles d'Archimède 63

Des écologues ont étudié le lien entre abondance et distri-bution spatiale des espèces avec certains facteurs environ-nementaux, dont la radioactivité. Étonnamment, aucune étude de ce genre portant sur les animaux et les plantes n’a eu lieu avant 1996 à Tchernobyl, quand Tim Mousseau et moi-même avons réalisé les premiers comptages d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, d’amphibiens, d’insectes et d’araignées. De telles études sont nombreuses en Europe et en Amérique du Nord et sont fréquemment réalisées par des dizaines de milliers de naturalistes amateurs, mais pas à Tchernobyl. Nous avons mis en évidence que les espèces sont moins abondantes et que la biodiversité est plus faible quand la radioactivité augmente. Cet effet est vérifié au cours des années d’études et dans différentes zones géo-graphiques, comme plus récemment à Fukushima. L’abon-dance des espèces est généralement deux fois plus faible, voire plus, dans les zones à fort rayonnement que dans les zones de référence, ce qu’aucun facteur confondant tel que le type de sol, l’habitat, la hauteur des arbres et d’autres, ne peut expliquer. Nos études montrent un effet systématique des radiations sur les interactions écologiques entre prédateurs et proies, pollinisateurs et plantes, hôtes et parasites, et cela, à nou-veau, dans diverses zones géographiques et sur plusieurs années. Par exemple, si les proies sont moins abondantes du fait d’une réduction de leur succès de reproduction et de leur survie, il faut s’attendre à une réduction de l’abondance des prédateurs. Nous avons fait à Tchernobyl ces deux ob-servations.

Si de nombreuses interactions écologiques sont affectées par le rayonnement, on devrait pouvoir en observer les effets sur les écosystèmes. Dans une étude menée sur des pommiers et des poiriers dans des villages abandonnés de Tchernobyl, nous avons trouvé une diminution de l’abondance des pol-linisateurs dans les zones les plus contaminées, entraînant en cascade une réduction de la production de fruits et de l’abondance des oiseaux frugivores. La conséquence ultime en est la réduction du taux de renouvellement des pommiers et des poiriers car moins de graines sont produites et, donc, moins de nouveaux individus à chaque génération. Nous avons également constaté que la vitesse à laquelle les micro-organismes et les invertébrés décomposent les feuilles non contaminées dépend du rayonnement ambiant. Elle est, en effet, plus de deux fois moindre en zones contaminées qu’en zones témoin. La litière de feuilles s’accumule ainsi plus vite, les plantes ont accès à moins de nutriments et leur abondance est réduite. Ceci est d’autant plus grave que les plantes qui enrichissent les sols en nutriments se portent mal en zones contaminées. L’épaississement de la litière et l’accumulation de bois a également pour conséquence l’aug-mentation du risque d’incendie. Or, un incendie trans-

porterait des radionucléides des zones contaminées vers les zones habitées, y compris vers des grandes villes comme Moscou et Kiev. Vingt-six ans s’étant écoulés depuis l’accident de Tcherno-byl, peut-on trouver des adaptations aux radiations ? Des études menées sur les pins, les bouleaux et le soja en zones contaminées ont montré une modification de l’expression de certains gènes qui atténue les effets des rayonnements en augmentant les taux de réparation de l’ADN. Mais, à l’image des recherches soviétiques conduites juste après l’accident de Tchernobyl, ces études sont peu fiables car elles sont fondées sur peu de réplications et ne comparent pas zones irradiées et zones de référence.

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011, la recherche sur les effets négatifs des radiations sur les êtres vivants, humains compris, connaît un regain d’in-térêt. Fukushima constitue une formidable opportunité de réplication, notamment parce que de nombreuses espèces sont communes avec Tchernobyl, ces deux villes étant situées dans la région zoogéographique du Paléarctique. Quatorze espèces d’oiseaux y sont présentes en commun, ce qui permet d’évaluer et de comparer les effets des rayonne-ments sur l’abondance. Un fait intéressant doit être signalé : pour un même niveau de radioactivité, l’abondance a été plus réduite à Fukushima qu’à Tchernobyl, ce qui suggère que les radiations ont eu un effet plus important juste après l’accident.

Il est surprenant qu’il soit presque impossible d’obtenir des financements pour des travaux du type de ceux que j’ai effec-tués sur le terrain à propos des effets du rayonnement sur les plantes et les animaux depuis 1991. Les articles rédigés sur la base de nos résultats sont le plus souvent rejetés car n’étant « pas d’intérêt scientifique général ». Pourtant, étant donné l’existence de Tchernobyl, de Fukushima et d’autres petits accidents nucléaires, une troisième catastrophe nucléaire majeure surviendra forcément, tôt ou tard. Nous ignorons seulement quand ! Par conséquent, il serait préférable d’être aussi prêt que possible et d’apprendre autant que nous le pou-vons. De nombreux sites naturellement contaminés à travers le monde sont potentiellement intéressants pour mener des études scientifiques. Une méta-analyse récente a montré des effets négatifs sur les plantes et les animaux dans ces zones sensibles. On peut donc supposer que les êtres vivants sont naturellement exposés à une radioactivité et que, depuis l’apparition de la vie, il y a eu sélection et adaptation pour y faire face. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux organismes aient développé des mécanismes permettant de réduire les effets des radionucléides. Pourquoi ce domaine de recherche n’est traité que par un petit nombre de scientifiques reste un mystère !

cycle à propos du nucléaire / LNA#63

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La Tunisie indépendante a été dotée, le 13 août 1956, du Code du statut personnel, soit quelques mois après la

proclamation de l’indépendance, avant même l’abolition de la monarchie et la proclamation de la République. Ce code, qui a placé la Tunisie dans une position d’avant-garde par rapport à tous les autres pays arabes, interdit la polygamie et la répudiation, institue le divorce judiciaire aux mêmes conditions et avec les mêmes effets pour les femmes et les maris, fixant l’âge minimum du mariage à 17 ans pour la fille, et exige le consentement de la femme pour la validité de son mariage. Ce choix résolument moderne était inspiré par les penseurs musulmans, dont le Tunisien Tahar Haddad qui publiait, en 1929, Notre femme dans la Charia et dans la société. Pour ce théologien et juriste, diplômé de l’Université de la Zitouna, certaines dispositions juridiques constituaient, à l’époque de la Révélation coranique, une avancée des droits civiques et sociaux des femmes et devaient être rénovées pour poursuivre l’évolution vers une égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, y compris celui du droit successoral. Ses idées révolutionnaires à l’époque séduisirent les Tunisiens formés dans le système sadikien ouvert sur le monde et imprégnés de la philosophie des Lumières, mais elles suscitèrent la colère des théologiens conservateurs de l’Université de la Zitouna qui décidèrent de lui retirer son diplôme.

Aujourd’hui, les femmes tunisiennes sont présentes dans tous les secteurs d’activité et font partie des acteurs de la révolution du 14 janvier 2011. Elles sont présentes et très engagées dans le combat contre le projet d’islamisation de la société, contre la remise en cause de l’État républicain et contre la volonté d’instaurer un État théocratique par le parti Ennahdha.

Le projet politique des islamistes, déjà présents en Tunisie depuis les années 1970 en particulier à l’université, a pour cible essentielle la femme dont « le rôle social doit être limité à la tenue de la maison » et à propos de laquelle un discours de haine était déjà développé dans leur revue Al Maarifa (autorisée en 1972) dirigée par Rached Ghanouchi, président du parti Ennahdha. La revue cite quelques hadith attribués

au Prophète selon lesquels il aurait dit : « la seule source de conflits et de désordres (fitna) que je laisse après moi, pour les hommes, ce sont les femmes… On m’a montré l’Enfer, j’y ai trouvé une majorité de femmes… Vous pouvez faire du bien à une femme toute votre vie mais si, un jour, vous faites quelque chose qui lui déplaît, elle vous dira que vous n’avez jamais été bon avec elle » 1.

Les dirigeants du parti Ennahdha ne se sont pas écartés de ces positions en tentant d’imposer, dans la nouvelle Consti-tution, la Charia comme source de la législation, ce qui a pour conséquence la remise en cause du Code du statut personnel, en substituant au principe d’égalité entre les femmes et les hommes celui de la « complémentarité de la femme avec l’homme au sein de la famille et en tant que véritable partenaire de l’homme dans la construction de la nation ». La résistance de la société tunisienne a abouti au retrait de ce projet. Mais, comme le déclare son président, Ennahdha n’a pas pour autant abandonné l’objectif de déconstruction de l’État républicain : « Ce projet (celui d’Ennahdha) se caractérise par le fait qu’il donne la priorité à la société par rapport à l’État. Notre capital le plus important, c’est la société, ce n’est pas l’État […] Le projet bourguibien a accordé à l’État la plus grande importance : c’est l’État qui est la locomotive et il tire la société, par ses lois, ses institutions, un type d’enseignement [...] Bourguiba avait un projet pour la modernité et il réquisitionnait les organes de l’État afin de l’imposer 2 ». On comprend l’opposition de deux visions de la société, l’une reconnaissant les droits individuels et collectifs tels que définis par la Déclaration universelle, l’autre prônant un « projet social » soumis à un dogme autoritaire et voulant dès à présent, sans scrupule, façonner la petite enfance. On compte actuellement plus de deux cents « jardins d’enfants » coraniques créés en toute impunité par des associations « religieuses » et échappant à tout contrôle et inspection de la part du Ministère de la Femme et de la Famille. Ces « jardins d’enfants » n’offrent

1 Al Maarifa, 1ère année, n° 4, p. 2 et 2e année n° 7, p. 47.

2 La Presse, 31 juillet 2012, propos recueillis par Olfa Belhassine et Raouf Seddik.

La résistance des femmes tunisiennes, un combat face au projet hégémonique islamiste

Professeur à l’Université de TunisPar Faouzia Farida CHARFI

Deux années après la révolution de la dignité et de la liberté, l’attente et l’inquiétude sont partagées par l’ensemble des Tunisiens. Les habitants des régions déshéritées et oubliées du centre ouest n’ont pas obtenu les améliorations attendues. La Tunisie n’est toujours pas dotée de la nouvelle Constitution et deux projets de société s’affrontent. Au cœur de ces deux projets, le statut des femmes. L’un moderniste, celui de l’État tunisien depuis l’indépendance, l’autre se référant à la charia, défendue par le parti Ennahdha au pouvoir depuis les élections du 23 octobre 2011.

En conférence le 30 avril

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cycle la méditerranée / LNA#63 LNA#63 / cycle la méditerranée

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pas des fleurs et de la joie aux tous jeunes enfants mais une prison conçue pour les embrigader. Une prison qui fait de nos enfants des victimes d’un projet politique qui ne conçoit l’islam que dans le refus de l’autre, l’exclusion et l’extrême violence antinomiques à une foi sereine. Que proposent ces institutions au service des partis politiques islamistes à nos petits de trois à cinq ans ? Tout d’abord, la séparation entre les filles et les garçons : on inculque déjà à la petite fille qu’elle représente le péché, qu’elle doit être voilée et que son corps doit être caché sous des robes amples et longues, on veut la convaincre qu’elle est coupable. Quant au pro-gramme des activités proposées, il est entièrement consacré à l’enseignement du Coran et à sa récitation : réciter, rien que réciter les versets coraniques. L’enfant n’a pas la pos-sibilité de s’exprimer par des activités créatrices comme la peinture, ni d’interagir à travers les jeux avec ses camarades, ni de chanter ou danser et, à aucun moment, il ne peut dire « pourquoi ? ». Leurs aînés à l’Université affrontent aussi la violence de la part de mouvements extrémistes utilisant la religion à des fins politiques. Cette violence se mani-feste sous plusieurs formes, physique, intellectuellement insoutenable et inacceptable comme l’acte de substituer au drapeau tunisien celui de l’islam radical dans l’indifférence des forces de l’ordre. Inacceptables, les violations de l’espace du savoir comme le projet de s’emparer de la Grande mosquée de la Zitouna pour en faire une université qui puisera sa source dans l’idéologie wahhabite. Inacceptable, l’occupation de la tribune d’un amphithéâtre de la Faculté des lettres de Kairouan par un prédicateur saoudien wahhabite, invité par deux associations proches du parti Ennahdha, dont le cours d’ « islam radical » appelle à frapper les femmes et met en garde contre le péché de laisser seule une fille en présence de son père « au risque de céder aux tentations démoniaques » 3.

Aujourd’hui, la dernière version du texte de la Constitution que veulent faire passer les députés de la majorité à l’Assemblée nationale constituante introduit, en faveur de l’ordre religieux qui devra gouverner, la protection du sacré, ne fait pas référence au caractère universel « des droits de l’Homme et de ses libertés » sous prétexte qu’il est un legs de l’Occident et, plutôt que de défendre l’égalité pleine et effective, sans aucune réserve, entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, elle en définit les limites en garantissant seu-

3 Voir le journal en ligne leaders.com.tn

lement « l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes responsabilités ». L’article pre-mier 4 de la Constitution de 1959 est maintenu mais il perd l’ambiguïté – voulue par Bourguiba – sur la question de l’islam, religion de la Tunisie ou religion de l’État : le chapitre portant sur la révision de la Constitution comporte une disposition impliquant qu’aucune révision constitutionnelle ne peut porter atteinte à « l’islam en tant que religion de l’État ». Un autre point préoccupant est celui des droits des minorités qui doivent être inscrits dans la Constitution afin que soient explicitement proscrites toutes les formes de discrimination quelles qu’elles soient. Toutes ces questions cruciales pour la définition de la deuxième République tunisienne sont, depuis le 23 décembre 2012, l’objet d’une discussion à l’échelle nationale organisée par l’Assemblée nationale constituante. Ces débats mobilisent les citoyennes et citoyens, nombre de représentants d’associations, de partis politiques, de syndicalistes, portés par la volonté de résister à un projet de société imposant une morale dictée par la norme religieuse incompatible avec l’instauration d’un État démocratique.

4 « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain. Sa religion est l’ islam, sa langue l’arabe, et son régime la République ».

cycle la méditerranée / LNA#63

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Professeur à l’Université Lille 1 *

ParadoxesRubrique de divertissements mathématiquespour ceux qui aiment se prendre la tête

* Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille,UMR CNRS 8022, Bât. M3 extension

LE PARADOXE PRÉCÉDENT :LA LONGUEUR DES FLEUVES

Julien adore les paris et les chiffres. Durant le cours de géo-graphie, il s’ennuie et propose à son voisin Alain de parier sur les nombres que va mentionner le professeur qui est en train d’expliquer les réseaux hydrographiques. Julien propose à Alain de miser vingt euros sur les neuf prochains nombres qui seront mentionnés (des longueurs de fleuves ou de rivières). Julien dit à Alain : « On ne considérera que le premier chiffre significatif des longueurs des cours d’eau mentionnés. Je prends le paquet des trois premiers chiffres A = {1, 2, 3} et je te laisse le paquet des six autres chiffres B = {4, 5, 6, 7, 8, 9}. Celui qui, dans les neuf nombres qui vont venir, aura le plus souvent un premier chiffre dans son paquet gagnera et recevra vingt euros de l’autre. Exemple : si les longueurs mentionnées sont 243 km, 876 km, 1 222 km, 92 km, 4 330 km, 982 km, 3 445 km, 2 122 km, 832 km, dont les premiers chiffres sont 2, 8, 1, 9, 4, 9, 3, 2, 8, tu auras gagné puisqu’il y a cinq chiffres du paquet B et quatre du paquet A ». Alain est enchanté, il va certainement empocher les vingt euros, puisqu’il a en sa faveur 6 chiffres, alors que Julien n’en a que 3. C’est une illusion et Julien – qui est un rusé parieur – a en réalité une probabilité de gagner égale à 73,77 %. Cela semble paradoxal. Saurez-vous expliquer et justifier ce 73,77 % ?

Solution

Bravo à Léo Gerville-Réache, à Jean-Jacques Devulder et Jef Van Staeyen qui ont trouvé la solution. Un merci particulier à Jef Van Staeyen qui m’a fait remarquer que le personnage d’Alain (dans l’énoncé publié il y a quatre mois) était parfois nommé Pierre par erreur.

La solution est liée à ce qu’on nomme la loi de Benford. Celle-ci indique que la probabilité qu’un nombre provenant d’une donnée comme la longueur d’un fleuve, ou la population d’une ville (et cela vaut aussi pour bien d’autres données statist iques), commence par le chif fre i est éga le à log10(1 + 1/i). Concrètement, quand une longueur de cours d’eau est mentionnée, il y donc 30,1 % de chance que le pre-mier chiffre de cette longueur soit ‘1’. Les autres probabilités

Par Jean-Paul DELAHAYE

Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine de nombreux progrès mathématiques. notre but est de vous provoquer et de vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une solution au paradoxe proposé, envoyez-la moi (faire parvenir le courrier à l’Espace Culture ou à l’adresse électronique [email protected]).

sont 17,6 % pour le ‘2’ ; 12,5 % pour le ‘3’ ; 9,7 % pour le ‘4’ ; 7,9 % pour le ‘5’ ; 6,7 % pour le ‘6’ ; 5,8 % pour le ‘7’ ; 5,1 % pour le ‘8’ ; 4,6 % pour le ‘9’.

Cette loi étonnante a été vérifiée empiriquement et elle possède des explications mathématiques diverses, sujets aujourd’hui encore de travaux de recherche. Voir par exemple :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Benford

ou : http://www.ehess.fr/revue-msh/pdf/N182R1280.pdf

La probabilité pour que le premier chiffre d’un nombre que va citer le professeur soit un ‘1’, un ‘2’ ou un ‘3’ est donc :

a = (log10(1 + 1)+log10(1 + 1/2)+log10(1 + 1/3)) = 0,60205.

La probabilité pour que ce soit l’un des autres chiffres est :b = 1 - a = 0,39795.

Si on ne prenait en compte qu’un seul nombre, Julien gagnerait avec une probabilité de 60,205 %. Cependant, le pari prend en compte neufs nombres et non pas un seul. La probabilité pour que Julien gagne est donc la probabilité pour que, parmi les 9 nombres que va citer le professeur, il y en ait 5, 6, 7, 8 ou 9 dans le paquet A = {1, 2, 3}. Les méthodes usuelles pour traiter ce type de questions (loi de Bernoulli, loi binomiale) donnent que cette probabilité est :a9 + (9!/8!)a8b + (9!/7!2!)a7b2 + (9!/6!3!)a6b3 + (9!/5!4!)a5b4 = 0,7377

(Sur la loi binomiale, voir par exemple : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_binomiale)

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NOUVEAU PARADOXE :

Le même Julien que dans l’énoncé précédent propose un nouveau un pari à Alain.

« Voici deux dés A et B. Ils possèdent la propriété suivante : en les lançant simultanément, le dé A gagne contre le dé B dans précisément 21 des 36 cas possibles, soit avec une pro-babilité de 58,33 %. Les faces de A portent respectivement les numéros 6, 3, 3, 3, 3 et 3. Les faces de B portent, elles, les numéros 5, 5, 5, 2, 2, 2. Le dé A gagne quand il obtient 6 – il y a 6 cas sur 36 de ce type – ou quand il obtient 3 et que B obtient 2 – il y a 15 cas sur 36 de ce type – ; le dé A gagne donc dans 21 cas sur 36, ce qui fait 58,33 %. Je précise que ces dés à 6 faces ne sont pas truqués, chaque face tombe avec la probabilité 1/6. Voici le pari que je propose. Nous engagerons chacun 100 euros. Tu prendras le dé que tu voudras et je prendrai l’autre. Ensuite, nous lancerons chacun notre dé deux fois de suite. Tu feras la somme des résultats des deux lancers de ton dé. Je ferai la somme des résultats des deux lancers de mon dé. Celui dont le total sera le plus élevé gagnera et emportera les 200 euros. »

Alain réfléchit un moment. Il raisonne ainsi :« Le dé A est plus fort que le dé B, puisqu’il gagne dans 58,33 % des lancers et j’ai vérifié le raisonnement, c’est juste. En le lançant deux fois de suite, cela augmente encore son avantage sur le dé B et les chances qu’il a donc de gagner. Le pari que me propose Julien est stupide. Je vais l’accepter et je choisirai le dé A qui m’assurera au moins 58,33 % de chances de gagner. »

Alain accepte le pari et choisit le dé A.

Julien s’en réjouit et dit : « C’est parfait, les chances sont de mon côté, j’ai plus de 59 % de chances de gagner ».

N’est-ce pas paradoxal ? Comment expliquer cette affirmation de Julien ?

Ce dé étrange infiniment troué est une éponge de Menger. C'est un objet fractal, dont la

dimension (intermédiaire entre 2 et 3) est log(20)/log(3) = 2,7268…

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L’enseignement de la physique ne fait nulle référence à l’histoire

L’enseignement de la physique présente cette discipline comme étant achevée et dogmatisée. Il affirme comme vérités les pertinences constatées, apprend à appliquer les lois aux-quelles la nature est censée obéir, forme à l’utilisation d’outils – qu’ils soient mathématiques ou appareils de mesures. Nulle place, en général, à l’éducation à la pensée scientifique. Nulle trace de l’histoire des voies que celle-ci a empruntées pour parvenir aux savoirs actuels. Cette manière d’enseigner pos-sède la qualité de former à l’utilisation de savoirs concrets, mais la faiblesse de se limiter aux conclusions actuelles, placées au sein de disciplines étroites et étanches, sans vision générale.

Ces caractéristiques de l’enseignement ne concernent que les sciences. L’enseignement de la philosophie se réduit à peu près à son histoire ; celui de la littérature convoque les grands auteurs. L’éducation musicale s’appuie sur l’écoute des œuvres majeures des grands compositeurs... Mais qui, parmi les scientifiques, a lu un paragraphe, un seul, des œuvres des pères fondateurs de la physique ? Certes, un effort considérable peut être nécessaire pour pénétrer les formalisations mathématiques, les logiques internes utilisées à diverses époques. Mais, surtout, la science fait des décou-vertes, se rature, se corrige, se précise, alors que l’art et la litté-rature créent des œuvres et atteignent « d’emblée les sommets, d’un coup d’aile » 1…

Copernic est dépassé : pourquoi lirait-on son monde fermé et ses épicycles. Galilée est dépassé : une bille sans frottement ne parcourt pas une trajectoire circulaire. Newton est dépassé : la gravité n’est pas l’action constante de Dieu sur le monde. Laplace est dépassé : le temps et l’espace de la phy-sique ne sont plus absolus. Maxwell est dépassé : le champ ne se mathématise pas comme des roues et des pignons, l’éther a été chassé de l’explication. Pourquoi les lirait-on ? L’oubli est constitutif de la science. Il est impossible de garder la mémoire de toutes les errances. La positivité de la science l’oblige à nier son passé. Rien de tel en art, un chef d’œuvre existe une fois pour toutes. Dante ne dépasse pas

1 Victor Hugo, L’art et la science, Paris, éd. Actes Sud, 1985.

Homère. Manet n’efface pas Michel-Ange. Ils sont ailleurs. La nouveauté radicale marquerait donc la différence entre les connaissances scientifiques et les autres formes de connais-sances humaines.

L’enseignement de la quantique porte la trace de son histoire

Pourtant, par exception, l’enseignement de la quantique et sa vulgarisation portent la trace du passé, de toutes ces ratures faites par ses Pères fondateurs, alors qu’elles sont effa-cées des travaux scientifiques contemporains. Cent dix ans après sa naissance, cette discipline n’a pas trouvé son mode d’enseignement et de diffusion, ce qui lui confère son étrangeté et explique l’incompréhension dont elle souffre. Que trouve-t-on dans les manuels ? Que les atomes sont formés par des électrons, des protons, des neutrons ; la lumière par des photons. Que ces électrons, protons, neutrons, photons sont des « particules quantiques », qui sont « à la fois des ondes et des corpuscules ». On lit aussi : « toute particule quantique de matière possède son antiparticule » ; « on ne peut connaître à la fois la position et la quantité de mouve-ment d’un électron : l’observation perturbe le système » ; « notre connaissance est limitée par le principe d’incertitude d’Heisenberg »…

Toutes ces affirmations, et bien d’autres, sont inexactes. Ce sont les ratures contenues dans les œuvres des fondateurs, Einstein, Bohr, De Broglie, Heisenberg, Pauli, Schrödinger, Dirac. Ces hommes ont une formation en mécanique, que l’on appelle aujourd’hui « classique ». Cette mécanique ne distingue que deux objets, les ondes, continues en extension, continues en nombre, et les particules, discrètes en nombre, discrètes en extension. Ces Pères fondateurs ont aussi à leur disposition l’optique dans ses formalisations indépendantes de la théorie de Maxwell, la thermodynamique, l’électroma-gnétisme, qui usent de statistiques. Ils découvrent des effets nouveaux qui les surprennent, n’entrent pas dans les cadres de leur éducation et qu’ils tentent d’expliquer peu à peu en faisant appel à des notions qui ne remettent pas fondamen-talement en cause leurs certitudes.

En 1900, sans s’en rendre compte, Planck introduit la quanti-

Histoire des sciences et formation scientifique :à propos de la quantique

Professeur émérite, Laboratoire SCité, Université Lille 1Par Bernard MAITTE

Le 12 décembre 2012, Raffaele Pisano et Aleandro Nisati ont organisé un workshop par téléconférence entre le CERN et le laboratoire SCité de Lille 1 au sujet de l’événement détecté par le CERN, compatible avec l’existence du boson de Higgs. À cette occasion, je suis intervenu pour évoquer l’enseignement de la physique et notamment celui de la Quantique.

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fication de l’énergie lumineuse émise par un « corps noir ». En 1905, Einstein est amené à introduire des « grains de lumière » pour expliquer cette émission. Cette audace au sein d’un électro-magnétisme uniquement décrit alors en termes d’ondes lui permet de rendre compte du seul effet photo-électrique. En 1913, Bohr donne un schéma de l’atome qui parle de résonateurs, d’orbites, d’états station-naires… En 1924, après la caractérisation du « photon », Louis de Broglie remarque que la lumière est décrite comme étant à la fois ondes et corpuscules, alors que la matière est uniquement corpuscules. Pour rétablir la beauté dans la physique, il associe à toute particule une onde. Matière et lumière deviennent à la fois ondes et corpuscules, « tigre et requin » dira Thomson. En 1931, Dirac établit une équation relativiste décrivant l’électron et introduit la notion d’anti-particule.

En énonçant toutes ces conjectures, les Pères fondateurs établissent des passerelles entre la mécanique « classique » et ce qu’ils découvrent. Leurs travaux marquent l’étape indis-pensable de la continuité entre ce qui est devenu la physique nouvelle et celle qui la précédait. Pour cela, ils n’ont pas introduit de noms nouveaux – ou peu –, pas d’objet physique différent. Les électrons et les photons sont « à la fois » ondes et corpuscules.

Des notions dont l’enseignement doit être revisité

Ces ratures continuent à être enseignées comme des concepts alors que toutes ces notions ont été revisitées et réinterprétées depuis. Par exemple, les « particules quantiques » sont discrètes en nombre, continues en extension, non localisées : elles ne sont ni ondes, ni corpuscules : pour éviter toute confusion, il serait pertinent de les désigner par un nom nouveau : les quantons. Au dualisme de la physique classique succède le monisme quantique 2. Le positron est dit antiparticule de l’électron : même masse, charge opposée ; de fait, il est le symétrique de l’électron, comme ma main droite l’est de ma main gauche. Appelle-t-on celle-ci une « anti-main droite » ? Un changement de terminologie éviterait de nom-breuses confusions. Les atomes ne répondent pas à la description enseignée : ils sont formés d’un noyau, d’électrons et de ce qui le fait tenir ensemble, le champ électromagné-tique, c’est-à-dire les quantons de ce champ, qui s’appellent justement des photons. Les échanges de photons entre le noyau chargé et les électrons chargés assurent la cohésion de l’atome. Les photons, de masses nulles, sont donc aussi substantiels que les électrons et les protons qui en ont une. La notion de substance s’élargit.

2 Jean-Marc Lévy-Leblond, De la matière, relativiste, quantique, interactive, Paris, éd. du Seuil, Traces écrites, 2006.

Les traces de l’histoire dont témoignent les appellations et les notions qui sont utilisées dans l’enseignement et dans la vulgarisation brouillent, on le voit, la compréhension des conceptions modernes. Affirmant ceci, j’ai l’air de justifier que l’enseignement des sciences se réduise à la transmission des normes actuelles. Et pourtant, je soutiens que l’histoire des sciences doit faire partie intégrante de l’enseignement des sciences. Contradiction ? Non, si l’on veut bien admettre que cet enseignement ne peut se réduire à un dressage et à la disciplinarisation des savoirs actuels.

Former à l’exercice de la pensée scientifique

Je conçois l’enseignement des sciences comme devant être une éducation à la pensée scientifique, une pensée vivante qui porte en elle sa propre capacité de contestation : le recours à l’expérience. Une pensée qui apprend à poser des pertinences comprises entre des limites de validité. Une pensée qui est une œuvre collective, s’enrichit de « l’autre », ne saurait donc être ni universelle, ni hégémonique. Comment initier à cette pensée féconde ? En étudiant comment les hommes qui nous ont précédé ont pensé, hésité, échangé, reculé… sans souvent formuler ces « lois » qui leur sont aujourd’hui attribuées, maintenant que la décantation s’est effectuée.

Les travaux du passé ne sont pas périmés : les approches modernes permettent de les re-visiter, d’en établir les limites de validité. La mécanique newtonienne est totalement incluse dans la Relativité, la Quantique ne l’est pas. Les théories successives ne sont pas des poupées russes qui s’empilent les unes dans les autres et, même lorsqu’elles le sont, leurs domaines de validité sont exploitables : il est plus qu’inutile de décrire la trajectoire d’une fusée au moyen de la Relativité ! Apprenons à penser... et aussi à analyser com-ment une logique, comment les réductions que nous opérons, comment les questions que nous posons dépendent de la culture, de la société, d’une époque.

La science réussit parce qu’elle est réductionniste. Comme elle est réductionniste, elle n’a pas réponse à tout. Mieux vaut essayer de poser de nouvelles questions que d’apporter des réponses à des questions qui se révéleront mal posées. Voici le sens que renferme l’étude de l’histoire de la pensée scientifique.

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La confusion entre culture et divertissement

Le symptôme fondamental de la massification de la culture se situe dans la confusion entretenue entre culture et loisir – ce que les anglo-saxons appellent entertainment. Comme le souligne Hannah Arendt, « la culture concerne les objets et est un phénomène du monde ; le loisir concerne les gens et est un phénomène de la vie » 1. Arendt oppose ainsi la vie naturelle sous sa forme physiologique au monde culturel, construit de main d’homme. Il faut dire que la notion de « loisir » a malheureusement subi, au cours de notre histoire, un détournement de sens : elle désignait, dans l’Antiquité, l’activité intellectuelle proprement dite, alors que – souvent mise aujourd’hui au pluriel – la notion ne connote plus que celle de divertissement. Celui-ci exprime un besoin propre à tout être vivant qui est en même temps la marque de notre fini-tude : celui de se délasser afin de rétablir un équilibre, quand notre organisme est soumis à des tensions éprouvantes. Or, Aristote concevait plutôt le loisir – qui, en grec, se disait « scholè », c'est-à-dire « étude » et a donné le mot « école », en français – comme l’exact opposé de la « pause » (anapausis, en grec) ou du jeu (paidia) 2. Alors que le divertissement était considéré comme l’apanage de ceux qui se livraient à l’exécution de tâches serviles et avaient donc besoin de recons-tituer leurs forces physiques, le loisir véritable renvoyait aux activités les plus libérales et les plus désintéressées de l’esprit. La pause faisait partie des métabolismes nécessaires de la vie organique, alors que le loisir comme activité intellectuelle

1 Hannah Arendt, La Crise de la culture. Sa portée sociale et politique, dans L’ humaine condition, éd. Quarto Gallimard, 2012, pp. 763-787.

2 « Nous ne laissons des amusements s’introduire qu’en saisissant le moment opportun d’en faire usage, dans l’idée de les appliquer à titre de remède, car l’agitation que le jeu produit dans l’âme est une détente et, en raison du plaisir qui l’accompagne, un délassement. Le loisir, en revanche, semble contenir en lui-même le plaisir, le bonheur et la félicité de vivre. Mais ce bonheur n’appartient pas aux gens affairés, mais seulement à ceux qui disposent du loisir », Aristote, Politique, VIII, 3.

s’en émancipait dans la mesure du possible. Or, le retournement de sens est désormais avéré : le loisir est aujourd’hui syno-nyme de « détente », de relâchement, voire de farniente. La culture se situe effectivement aux antipodes : elle relève de l’activité de l’esprit dont les œuvres sont, dans le monde humain, les artefacts les moins soumis à la dictature des besoins et de l’utilité fonctionnelle. L’homme ne s’accomplit comme tel qu’en se distanciant des « meules de la néces-sité » auxquels sont soumis tous les êtres vivants naturels, qu’en édifiant un monde culturel qui rend possible l’expé-rience de la liberté. Dès lors, il y a un paradoxe à prétendre faire l’amalgame entre culture et divertissement : l’activité culturelle n’a pas pour vocation de se confondre avec le fait d’offrir panem et circenses. Son exigence empêche de la réduire à un amusement frivole : se cultiver ne signifie pas se distraire. Bien plus, dans cette maison terrestre publique qu’est notre monde humain, les œuvres culturelles sont censées se déterminer comme autant de points de résistance au procès de consommation nécessaire à la satisfaction des besoins vitaux intimes. Mais ici encore, la tentation est grande de transformer la culture en objet de consommation pas-sive ou en facilitateur de préoccupations mercantiles. La logique même de la « consommation-consumation » met en péril le statut de la culture, puisqu’elle transforme les œuvres culturelles en produits, artificiellement présentés comme nécessaires aux métabolismes vitaux et soumis à des cycles dévorants. Comme le montre Hannah Arendt, la massification de la culture correspond au triomphe de l’animal laborans (celui qui s’échine pour consommer) sur l’homme de la poiésis (la fabrication intelligente) et de la praxis (l’action politique).

De la massification de la culture à celle de l’éducation

Un parallélisme peut être établi entre la crise de la culture et celle de l’éducation, parce qu’elles montrent les mêmes

La massification de la culture

Docteur en philosophie, chercheur associé UMR 8163 « Savoirs, textes, langage »

Professeur en classes préparatoires, Faidherbe-Lille

Par Alain CAMBIER

En 2004, Lille devenait capitale européenne de la culture. Deux ans plus tard, la première édition thématique de Lille 3000 – Bombaysers de Lille – a constitué un nouveau moment festif, relayé par Europe XXL en 2009. Le 6 octobre dernier, la fête inaugurale de Fantastic a réuni des milliers de personnes dans les rues pour saluer les prouesses de « plasticiens volants ». Des expositions très pointues et exigeantes – comme au Tri Postal – ont permis d’accéder aux œuvres « de grands noms et de jeunes révélations de la création contemporaine ». Presqu’au même moment, le 4 décembre dernier à Lens, le Louvre II ouvrait ses portes. Devant cet afflux d’offre, le risque est alors d’entretenir la confusion des genres : entre culture d’avant-garde et culture patrimoniale, entre fête – foraine avec « train fantôme » ou « grande parade » populaire – et culture. Mais, plus globalement, il s’agit de ne pas confondre ici démocratisation et massification.

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repenser la politique / LNA#63 LNA#63 / repenser la politique

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effets pervers de la massification. Dès 1995, Michel Euriat et Claude Thélot ont mis en évidence la fermeture croissante des plus prestigieuses grandes écoles aux enfants issus de milieux modestes. Or, l’une des hypothèses avancées par Stéphane Beaud 3 pour expliquer ce phénomène est que la massification scolaire, liée à la politique des 80 % au bac, « a eu pour effet morphologique, dans beaucoup de lycées à recrutement social intermédiaire, de faire émerger un groupe lycéen majoritaire, issu des milieux populaires, qui s’est révélé porteur, au contact de la culture scolaire plus aride et plus ancrée dans la légitimité culturelle, d’une certaine forme de culture anti-école ». Peut-être faut-il y voir aussi l’effet sur les consciences des « pédagogies de l’animation » développées par les IUFM et appliquées systématiquement dans les écoles. Car partir du postulat d’une société enfantine autonome, favoriser la recherche de procédés d’animation prétendument attrayants, valoriser les techniques de communication au détriment des contenus de savoir, bref promouvoir le jeu distrayant à la place du travail méthodique témoigne également de cette préten-tion à « mettre de la vie » dans l’école, mais au prix de la déconstruction de son monde : c’est aussi introduire la musardise en lieu et place de l’apprentissage des Muses. La massification a eu pour conséquence de produire des élèves moins adaptés à l’ascétisme qu’exige la progression scolaire. La massification génère une forme de populisme qui s’en prend à toute forme d’élitisme. Elle aggrave les tensions inhérentes à toute entreprise publique d’éducation qui consiste à structurer de l’intérieur (in-struere est la racine du mot instruire) et conduire à l’extérieur (ex-ducere), c’est-à-dire accéder au monde. Cet anti-élitisme a objecti-vement exercé un effet de censure sur les ambitions scolaires des élèves de milieu populaire, au point que l’appétence pour les classes préparatoires ou les études universitaires longues en a pâti, de manière plus accentuée encore depuis quinze ans. La tentation de désirer vivre dans l’immédia-teté de la vie a toujours été la solution de facilité et notre société de masse concourt à la renforcer par opposition à l'exigence de différer nos impulsions pour s’élever par l’étude. Aujourd'hui, le paradoxe est que la complai-sance vis-à-vis de cette tentation est revendiquée au cœur même de l’école. Or, comme le souligne Arendt, le rôle

3 Stéphane Beaud, Le modèle français : l’ascenseur social en panne ?, article extrait des Cahiers français, n° 330, 2006.

de l’école est moins d’apprendre à vivre aux « nouveaux venus » que de les mettre en mesure de comprendre le monde 4.

Les nouveaux philistins

La massification est synonyme d’indifférenciation. Celle-ci se traduit par l’absence de goût, c'est-à-dire de sens critique. Dans la société de masse, qui favorise la fascination pour les attraits et la consommation passive de tout spectacle, tout se vaut. Or, le goût est puissance distanciée de jugement, de discrimination : « Le goût juge le monde en son appa-rition et en sa mondanité ; son intérêt pour le monde est purement « désintéressé », ce qui veut dire que ni les intérêts vitaux de l’individu, ni les intérêts moraux du moi ne sont ici en jeu », ni a fortiori les intérêts strictement mercantiles. Alors que la société de masse ne jure que par la quantité, la culture est le dernier bastion de la qualité : elle est même l’ultime ressource pour résister à l’avènement de « l’homme sans qualités ». À l’encontre de l’adage populaire qui dit que « tous les goûts sont dans la nature », le goût est l’activité de l’esprit cultivé qui nous fait sortir de la confusion des genres et de la fascinatio nugacitatis 5. Comme le dit Arendt, « le goût débarbarise le monde ». Or, la barbarie se cache aussi dans les syncrétismes improbables de la culture de masse, engendrant un nouveau philistinisme qui se pique de « consommation culturelle ». Car les enjeux d’une politique culturelle sont de savoir si l’on se contente – sous prétexte de culture « fun » – d’en faire un alibi et de monter des « coups » censés ébahir ou si la culture à laquelle on se réfère permet véritablement de renforcer les fondements du monde humain que nous habitons, contribue sérieusement à la rénovation urbaine de notre milieu environnant, participe efficacement au développement durable des apprentissages culturels dans la cité et nous initie intelligemment au rôle de citoyen actif.

4 Cf. Hannah, Arendt, La Crise de l’ éducation, op. cit.

5 Littéralement : « fascination pour la frivolité ».

repenser la politique / LNA#63

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Pour le lecteur peu habitué aux « subtilités » de la science économique, il est de coutume en économie de distinguer

la microéconomie de la macroéconomie. Cette distinction repose, de prime abord, sur le niveau d’analyse retenu par chacune des deux disciplines, la microéconomie se préoccu-pant des phénomènes concernant des entités économiques singulières (entreprise, ménage, marché) quand la macro-économie s’intéresse à la dynamique du système économique pris dans son ensemble.

Mais cette simple différence d’échelle de l’analyse a éga-lement de profondes implications, trop souvent oubliées, quant à la nature même de l’analyse. Dès lors que l’on se situe au niveau microéconomique, il est normal de se concentrer sur des dimensions comportementales, comme la rationalité d’un acteur plongé dans un environnement donné (la fameuse clause selon laquelle « toutes choses doivent rester égales par ailleurs » tient), les décisions que cet acteur prendra... Quand on se situe au niveau macroéconomique, il n’est plus question de traiter du « comportement » à proprement parler, ou des « décisions » d’un système. Ce qui importe, c’est la confrontation des décisions des acteurs dans un environ-nement où les choses ne sont plus égales par ailleurs. Trop d’économistes, obnubilés par les questions d’optimalité associées à l’univers microéconomique de la prise de décision sous contrainte, oublient cette nécessaire suspension de la clause ceteris paribus quand ils en viennent à parler de macroéconomie. Or, ce qui confère à la macroéconomie son autonomie, son existence propre, c’est bien le fait qu’elle ne se réduise pas à une agrégation des différentes microécono-mies. Celui qui a le mieux mis en évidence que le tout ne se résumait pas à la somme des parties dès les années 1930, à savoir John Maynard Keynes, est aussi celui qui a le plus sûrement établi une macroéconomie pleinement ouverte à des effets de composition, à des paradoxes spécifiquement macroéconomiques. Ce qui est valable au niveau d’un acteur isolé ne l’est plus nécessairement quand on passe au niveau macroéconomique de l’ensemble des acteurs, et les choses peuvent même tout bonnement s’inverser. L’oublier, c’est se condamner à retourner dans un univers pré-keynésien dont on sait qu’il était plutôt mal agencé pour traiter des problèmes d’une économie en dépression. À l’heure où la conjoncture économique sonne comme l’écho inquiétant de la Grande Dépression des années 1930, il peut être oppor-

tun de se remémorer quelques recettes macroéconomiques de bonne conduite en cas de crise, recettes basées sur une solide distinction entre les conclusions valables au niveau microéconomique et celles valables au niveau macroécono-mique.

L’épargne, entre vertu privée et vice public

Le premier exemple de décalage entre les niveaux micro et macro tient au caractère souhaitable de l’épargne. S’il est souvent mis en avant que l’épargne est une vertu pour un ménage particulier, parce que cela dénote une forme de pru-dence dans la gestion des affaires du foyer, la recherche de la frugalité, quand elle est généralisée au niveau du système économique, engendre une dynamique macroéconomique beaucoup plus questionnable. L’épargne n’est qu’un refus de dépenser aujourd’hui, qui ne s’accompagne d’aucun enga-gement à dépenser plus demain. En cela, une société dont les membres seraient contaminés par un désir d’épargner davantage verrait son activité économique ralentir, faute de débouchés offerts aux productions nationales (avec, au bout du compte, une épargne globale qui pourrait même se mettre à baisser). Inversement, une société touchée par une fièvre de « désépargne », c’est-à-dire d’endettement, se verrait stimulée dans sa croissance économique.

Les États-Unis (mais aussi l’Espagne ou l’Irlande des années 2000) ont constitué un exemple extrême d’une croissance économique tirée par la baisse du taux d’épargne et l’envolée du crédit, avant que la bulle de l’endettement n’éclate, à partir de 2007. Malgré sa condamnation morale dans la sphère privée, le goût de la dépense est donc un puis-sant levier de croissance au niveau macroéconomique, et cela d’autant plus quand existent des effets d’imitation qui déversent en cascade les normes de consommation, petit à petit des ultra-riches aux aisés, puis aux classes moyennes et populaires. En quelque sorte, sur la voie de la prospérité éco-nomique, le chemin du paradis est pavé de mauvaises inten-tions (la dépense), quand les bonnes intentions (l’épargne) conduisent tout droit à l’enfer (la dépression économique). En particulier en cas de crise économique, une vague de désendettement désiré par les ménages pourra se traduire par une dépression prolongée, surtout si personne n’accepte de s’endetter en lieu et place des ménages... Or, c’est juste-

L’État n’est pas un « bon père de famille »

Maître de conférences en économie, Université du Littoral Côte d’Opale, TVES

Par Thomas DALLERY

Si cette sentence fait office de titre, c’est parce qu’elle résume ce qui pourrait être tenu comme le message essentiel d’une bonne macroéconomie.

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chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel / LNA#63 LNA#63 / chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel

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ment l’une des fonctions essentielles de l’État que d’accepter une dégradation de ses comptes lorsque l’économie privée se grippe, et c’est même l’accroissement du déficit public qui permettra le désendettement du secteur privé.

Vouloir réduire le déficit public a toutes les chances de l’aggraver

On en arrive ainsi au deuxième exemple de paradoxe micro/macro. S’il est parfaitement normal d’attendre d’un ménage qu’il exhibe une situation financière saine, un État n’est pas un acteur microéconomique et, à ce titre, il n’est pas soumis aux mêmes règles de bon sens. En particulier, un ménage isolé a toutes les chances de réussir à se désendetter en se serrant la ceinture, lorsque les autres maintiennent leur comporte-ment inchangé. Il n’en va pas de même d’un État. De par son poids économique, et surtout de par les effets multi-plicateurs de ces actions, un État qui déciderait de couper dans ses dépenses et d’augmenter les impôts pour essayer de résorber son déficit public provoquerait une récession économique potentiellement si marquée qu’elle aboutirait à une dégradation des comptes publics, sous l’effet conju-gué d’une remontée mécanique des dépenses liées à la crise (indemnités chômage notamment) et d’une diminu-tion tout aussi mécanique des recettes fiscales (ex : moins de TVA rentre dans les caisses de l’État s’il y a moins de consommation).

Après une période relativement courte durant laquelle les gouvernements ont exhumé quelques vieilles recettes de relance keynésiennes, ils ont presque unanimement fixé comme nouvelle priorité le redressement des comptes publics (depuis 2010). Les plans d’austérité, d’abord admi-nistrés aux pays les plus fragiles de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne), se sont ensuite généralisés aux États du cœur de l ’Europe (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni). Or, au-delà des degrés variés de baisse de dépenses et d’augmentation d’impôts selon les pays, le point commun de ces plans est qu’ils pêchent à chaque fois par excès d’optimisme, ou par refoulement de la pensée keynésienne. En effet, les prévisions de croissance qui sous-tendent la réussite de ces politiques de rigueur sont à chaque fois surestimées, puisque ces prévisions sont basées sur des multiplicateurs keynésiens eux-mêmes sous-estimés, ce qui génère une non-prise en compte des effets récessifs des plans de rigueur. Devant les révisions successives (à la baisse) des prévisions de croissance, et donc des déficits publics (à la

hausse), le Fonds Monétaire International a récemment fait son mea culpa, en concédant qu’il avait mal pris en compte les effets multiplicateurs des plans de rigueur sur la croissance (et les déficits) dans ses études.

L’enjeu de cette concession du FMI (tournant historique durable ou simple feu follet) est bien crucial, notamment en Europe. Le FMI est en effet partie prenante de la Troïka (avec la BCE et la Commission européenne) qui a poussé à l’adoption des plans d’austérité dans les pays en difficulté, et les plans ont été d’autant plus sévères que ces coupes dans les dépenses publiques avaient été anticipées comme n’ayant que peu d’effets sur la croissance et l’emploi. La redécouverte qu’a permis la crise – l’État est un acteur macroéconomique, et la réduction de son déficit public a des effets sur le sys-tème économique, là où l’action d’un individu isolé n’aurait guère d’impact – n’a pas été obtenue sans frais. Certes, le FMI a fait amende honorable, mais les Grecs, les Espagnols, les Italiens... ont eu à subir les ravages des politiques d’austérité, sans que celles-ci aient atteint leur objectif (redres-ser les comptes publics). L’oubli de la macroéconomie, et notamment de la macroéconomie keynésienne, a mené à adopter des politiques économiques aussi cruelles qu’inutiles, ouvrant ainsi la voie à une décomposition sociale favorisée par des États européens se comportant en bien piètres pères de famille pour leurs citoyens...

chroniques d'économie politique coordonnées par Richard Sobel / LNA#63

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Science, développement technologique et société

L’époque géologique actuelle, qualifiée d’Anthropocène, s’identifie avec la civilisation thermo-industrielle, née au milieu du XIXème siècle lors de la montée en puissance du méga-système technique des « machines à feu » – de la machine à vapeur à la centrale nucléaire. L’activité de l’humanité manifeste désormais un impact sans précédent sur l’inté-grité et la stabilité de la biosphère en raison des croissances démographique et techno-scientifique, accentuées depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Après un siècle de développements économique et technique sans précédents dans l’histoire, nous sommes dorénavant conscients que nous vivons dans un monde dont les ressources naturelles sont limitées, alors que la nature ne peut sup-porter indéfiniment les nuisances produites par l’homme. Dans le même temps, les sociétés humaines ne savent pas répondre aux grands défis tels que la famine, les guerres, les problèmes environnementaux et sanitaires, les injustices sociales... Dans tous les cas, les technologies apportées par les développements scientifiques sont questionnées en tant qu’elles affectent profondément nos sociétés, sur les plans social, politique, éthique, économique et culturel. Puissante activité collective de construction de savoirs, l’activité scien-tifique joue un rôle clé dans l’exploration et l’orientation de notre devenir collectif.

Aujourd’hui, la recherche, qui ignore de plus en plus sa fonction première de compréhension du monde, est sou-mise à deux tendances qui s’opposent. Dans la première, nous assistons au développement du pilotage par les acteurs économiques et par le marché, afin de servir la croissance, l’innovation et la compétitivité : la conséquence en est la privatisation des résultats (brevets, secrets industriels et militaires), entraînant un accès limité aux connaissances produites et soutenant une vision technologiste de l’avenir. Entre la mise en commun et la mise en concurrence, cette dernière prend largement le pas dans le modèle scientifique dominant. La concurrence généralisée comme norme du marché s’est introduite dans la recherche, qui est dorénavant un facteur indispensable à ce même marché. L’augmentation

du nombre de brevets déposés par des organismes de recherche publique n’est qu’un indice parmi d’autres de ce fait. Cette tendance consacre la suprématie du savoir scien-tifique sur les autres savoirs dans une approche élitiste des sciences.

Dans la seconde tendance, dans laquelle le savoir scientifique se conçoit pleinement comme socialement construit au même titre que d’autres formes de savoirs, nous constatons une implication croissante d’acteurs « profanes » (qui ne sont pas des scientifiques ou techniciens professionnels) dans la réalisation de projets de recherche et d’innovation. Cette science en devenir montre que le chemin est aussi important que les résultats. Une dynamique, certes marginale et marginalisée, de mise en commun de l’activité et des résul-tats scientifiques se met en place entre chercheurs et non chercheurs dans une logique de co-production des connais-sances, pour répondre aux interrogations de la société civile, ainsi qu’aux besoins sociaux, sanitaires, économiques, culturels, politiques... peu ou pas pris en compte.

La recherche participative

De nombreux termes existent – recherche participative, recherche action, sciences citoyennes, recherche avec des communautés… – pour décrire cette tendance qui se nourrit de multiples racines. Le terme « recherche participative » a été forgé et développé au début des années 1970 afin de décrire des processus de production de savoirs avec des populations villageoises dans de nombreux pays, notamment en Afrique et en Amérique Latine. Cette recherche combi-nait l’investigation sociale, l’éducation et l’action dans un processus interdépendant. Elle fut influencée, notamment, par le pédagogue brésilien Paolo Freire, qui insistait sur la nécessité de comprendre la recherche non comme un acte neutre et « dépassionné », mais comme une pratique engagée de solidarité et de soutien actif. Le concept de « Citizen Science » a vu le jour en 1995 sous la plume du sociologue anglais Alan Irwin : il rendait compte de nouvelles initiatives tentant d’instaurer un dialogue mutuel permettant de mieux

Sciences participatives en réponses aux défis du XXIème siècle

Docteur en génétique humaine, directrice de l’association pour une Fondation Sciences Citoyennes

Par Claudia NEUBAUER

L’émergence d’un « tiers secteur scientifique », qui associe des chercheurs professionnels, des détenteurs de savoirs traditionnels, empiriques, techniques et des acteurs « profanes », montre l’intérêt d’une science participative pour répondre à des besoins sociaux, sanitaires, écologiques, économiques, culturels, politiques… souvent peu pris en compte par la recherche.

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sciences en société : rubrique dirigée par Bertrand Bocquet / LNA#63 LNA#63 / sciences en société : rubrique dirigée par Bertrand Bocquet

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répondre aux demandes de la société civile 1. À travers de nombreuses expériences, il délivrait des propositions fondées sur le souhait d’une meilleure maîtrise des sciences et des technologies et sur l’élimination des menaces sur l’environ-nement.

Dans ces deux cas, la production de savoirs et d’innovations n’est plus l’exclusivité des institutions traditionnelles de recherche publiques ou privées. Elle provient de plus en plus d’un « tiers secteur scientifique » émergeant de collectifs qui s’investissent dans ce type de recherches. Ce tiers-secteur comprend une grande diversité d’acteurs – associations de malades, paysans, consommateurs, communautés d’inter-nautes en « pair à pair »... Leurs degrés d’investissement sont divers : mobilisation occasionnelle d’experts bénévoles, veille sur les travaux et études destinés à la diffusion de l’information, commande d’études ou de recherches, expertises et contre-expertises (exemple en recherche indus-trielle), analyses et recherches originales en collaboration avec des chercheurs... À côté de la recherche publique et de la recherche privée, ce tiers secteur est en passe de deve-nir un nouvel acteur dans la production des connaissances. Il confirme que le savoir scientifique est essentiel mais ne suffit pas à répondre aux défis du XXIème siècle, et que les solutions aux problèmes qui se posent à notre société vien-dront aussi de la mise en synergie de divers types de ratio-nalités, qui ont produit les savoirs traditionnels, empiriques, techniques... Le tiers-secteur scientifique est porteur d’un modèle élargi de production des connaissances, générant des innovations avec et pour la société civile. Dans cette perspective, l’espace public devient le lieu de négociations démocratiques quant aux choix technologiques que privilégie une société. Cette orientation converge avec l’idée de biens communs sur l’intelligence, sur la gestion collective, sur l’importance du « community level ». Elle met en exergue l’importance de la contextualisation des résultats scienti-fiques en intégrant les dimensions sociale, économique et écologique.

Sélection participative des semences versus sélection industrielle techno-scientifique

L’exemple de la sélection participative de semences illustre cette tendance. Les espèces végétales cultivées aujourd’hui

1 Alan Irwin, Citizen sciences – A study of people, expertise and sustainable development. London : Routledge, 1995.

descendent d’espèces sélectionnées par les communautés paysannes depuis le Néolithique. Ce mode de sélection, qui a dominé l’agriculture jusqu’au milieu du XXème siècle, a peu à peu été éliminé à partir de la Deuxième Guerre mondiale, en France et dans de nombreux pays industrialisés. Actuellement, la sélection industrielle des semences est organisée dans une interaction entre les chercheurs acadé-miques et les industries semencières, loin du champ des paysans, dans le but de générer des profits. À l’inverse, la sélection participative, démarche novatrice où chercheurs et paysans sont partenaires, cherche à répondre à un besoin de création et de renouvellement variétal non couvert par la sélection industrielle. Elle s’oppose au cloisonnement entre conservation (dans les banques de graines), sélection (en station ou en laboratoire) et production (dans les fermes, avec des semences achetées sur le marché). La sélection participative est un processus de gestion dynamique de la biodiversité cultivée et de la sélection de nouvelles varié-tés hétérogènes issues de croisements ou de mélanges. Les paysans peuvent alors, localement, sélectionner des va-riétés adaptées à leur milieu, leurs besoins et leurs attentes. Cette sélection participative réduit la dépendance aux pro-duits phytosanitaires et confère une meilleure adaptabilité aux changements climatiques. Cette vision dynamique de la biodiversité cultivée a également un impact important sur la biodiversité sauvage. L’absence d’intrants chimiques favorise le retour d’espèces animales et végétales dans les zones agricoles cultivées, les espèces sauvages et cultivées ne sont plus opposées mais considérées comme un conti-nuum à l’image d’espèces végétales messicoles (coquelicots, bleuets…).

Les questionnements et les propositions venant de citoyens et de collectifs de la société civile enrichissent la recherche et ouvrent de nouvelles pistes. La reconnaissance d’une démarche scientifique plus ouverte, s’intégrant dans une vision vivante de la démocratie, constitue un atout pour que la recherche reste (ou redevienne) un des outils fondamen-taux de transformation humaniste de la société. Dans une approche écologique de l’état de notre planète et de notre société, elle deviendra aussi un outil d’action pour que nous ne restions pas « les spectateurs impuissants de notre toute-puissance » 2.

2 Claude Lorius, Laurent Carpentier : Voyage dans l’Anthropocène : Cette nouvelle ère dont nous sommes les héros, éd. Actes Sud, 2011.

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Pourquoi « Sciences métisses » ?

Le nom Sciences Métisses, choisi pour cette manifestation, est porteur de sens qu’il convient d’expliciter. La science est multiple. Elle réduit les propriétés du réel, afin de mieux pouvoir les expliquer. Ceci a conduit histori-quement à la définition de disciplines précises, qui portent chacune sur un domaine particulier du savoir scientifique et paraissent relativement autonomes pour le grand public (et quelquefois aussi pour les acteurs mêmes de la recherche). Mais chaque discipline bénéficie des avancées théoriques, des concepts, des méthodes des autres disciplines comme, par exemple, l’interaction entre les sciences cognitives et les réseaux informatiques. La recherche, dans chaque domaine particulier, bénéficie aussi des progrès technologiques dus aux avancées théoriques dans d’autres domaines. Citons le rôle de l’informatique en biologie, l’utilisation des lasers en microscopie, les ultrasons en imagerie médicale, l’IRMf (Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle) dans les neurosciences… La science est une construction plurielle et collective.Le travail de recherche est donc de plus en plus spécialisé, tout en ayant paradoxalement de plus en plus besoin des avancées d’autres domaines. Le grand virage a eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale : le projet Manhattan, un succès scientifique, qui a abouti à la fabrication de la bombe atomique (qui n’est certainement pas un succès éthique), constitue le premier exemple d’équipe pluridisci-plinaire, fruit de la coordination entre des physiciens, des chimistes, des spécialistes du calcul numérique, des ingénieurs, pilotés par des organisateurs. Ces recherches intégrées se sont, depuis lors, généralisées à l’ensemble de la recherche, y compris la biologie.Le concept de métissage nous a paru refléter ces influences mutuelles des différents domaines en contact. Les sciences se construisent dans un vaste « mixtus ».

Aujourd’hui, il est devenu impossible pour quiconque de couvrir tout le champ de la connaissance scientifique, aussi le chercheur spécialiste d’un domaine particulier se trouve de plus en plus dans la posture du « grand public » dès qu’il aborde les autres domaines de la connaissance. Ceci oblige

le chercheur à diffuser largement, et à différents niveaux, les avancées de la recherche en s’adaptant au mieux au public ou plutôt aux publics potentiels. En effet, les publics sont très variés, tant en termes de niveau scientifique, de centre d’intérêt, d’âge, de réceptivité à la science que de curiosité.La diffusion des connaissances ou des avancées de la science requiert donc de véritables interprètes, capables de faire des synthèses mais aussi de rendre compte fidèlement, et de façon intelligible, des nouveaux concepts et des méthodes utilisées. Les publics de cette diffusion ne sont pas unique-ment des récepteurs mais peuvent aussi être des acteurs de la production de savoirs, qu’ils soient chercheurs, comme il est dit précédemment, ou « grand public » curieux ou partici-pant (in)directement à la recherche. C’est par exemple le cas de la coopération entre astronomes amateurs et professionnels, c’est également le rôle des associations de malades dans la recherche sur le sida, le cancer et les pathologies d’origine génétique, sans oublier que certaines pratiques précèdent les concepts, dont l’exemple type est la sélection des plantes et des animaux bien avant l ’avènement de la théorie de l’évolution.Dans cette diversité des publics qui participent à l’élabo-ration des sciences ou en observent les évolutions, nous retrouvons également le concept de métissage. Un métissage, c’est un souhait que nous formons, qui devrait également se développer, afin que la culture entre dans la science et la science dans la culture : c’est à ce prix que pourront naître les débats démocratiques sur l’introduction des nouvelles technologies dans la société. Tout ce que nous sommes capables de faire doit-il être fait ?

Trois années d’existence, trois thèmes : biodiversité, énergie, eau

La biodiversité est le résultat de l’évolution du monde vivant, dont les premières formes ont au moins 2,5 et au plus 3,7 milliards d’années. Évolution produite par des mutations, des duplications de gènes, des sélections par l’environnement, des catastrophes, comme la chute de grosses météorites, et/ou de graves changements climatiques, qui ont eu un rôle majeur… À ces conditions naturelles est venu s’ajouter le

Le Festival « Sciences Métisses » :autour du livre de vulgarisation scientifique

Président de l’Association Science Technologie et Société Nord-Pas de Calais

Par Jean Claude D'HALLUIN

Les 28, 29 et 30 mars 2013 s'est déroulée à la MEP de Lille la troisième édition du festival « Sciences Métisses » consacrée à l'eau et qu’organise l’association ASTS Nord-Pas de Calais, avec le concours de l’Université Lille Nord de France, la librairie Meura, le Forum départemental des Sciences et diverses associations. Dans ce texte, nous présentons ce festival, riche et multiple, qui se déploie autour du livre de vulgarisation scientifique.

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rôle de l’Homme qui, depuis environ 10 000 ans, sélectionne les plantes et les animaux. Ce processus de sélection et d’impact humain sur la nature s’accélère depuis le début de l’industrialisation au milieu du XIXème siècle, et se manifeste sous différentes formes : pollutions, urbanisation croissante, déforestation intensive, etc. Une réflexion sur ces évolutions s’avère nécessaire, une réflexion à laquelle veut contribuer « Sciences Métisses » et qui fut le thème du premier festival (2011).L’industrialisation nécessite une utilisation importante d’énergie apportée par les énergies fossiles et le nucléaire. Les énergies fossiles s’épuisent et le nucléaire n’est pas sans danger, aussi il est nécessaire et urgent de développer des énergies renouvelables. Ces énergies proviennent directement ou indirectement du rayonnement solaire et, contrairement aux autres ressources terrestres, nous sommes dans une gestion de flux. La mise en place progressive des énergies nouvelles va entraîner des modifications de la nature et de nos modes de vie, aussi faut-il s’en préoccuper, tant d’un point de vue scientifique que citoyen. Ce fut le thème du second festival (2012).

L’eau, dans l’univers, est présente sous trois formes : liquide, solide et gazeuse. C’est sous la forme liquide que l’eau permet la vie. Sur Terre, elle a un rôle majeur comme solvant qui facilite un très grand nombre de réactions chimiques et en particulier celles du vivant. La surface de la Terre est recouverte à 72 % par de l’eau dont 97,2 % d’eau salée et 2,15 % emprisonnée dans les glaces. L’eau disponible ne représente que 0,65 % de l’eau présente dont 0,63 % en nappes souterraines et 0,02 % en lacs et cours d’eau. C’est l’activité humaine qui est la plus grande consommatrice d’eau. L’eau sert à produire de l’énergie (59 % de la consommation totale), à la consommation humaine (18 %), à l’agriculture avec l’irrigation, à l’élevage (12 %) et à l’industrie (10 %). La consommation d’eau varie selon les niveaux de développement des pays, ainsi environ 10 000 m3 sont nécessaires pour un États-unien par an contre 7,3 m3 pour un Malien. Les deux autres formes, solide et gazeuse, interviennent principalement dans les modi-fications du climat. Le cycle de l’eau est complexe et est un enjeu important car l’eau est indispensable à l’agriculture, à l’industrie, etc. Les ressources en eau sont aussi un enjeu géopolitique et source de conf lits. Un problème essentiel mis en valeur par le troisième festival (2013).

Les outils de la diffusion des sciences

La diffusion des connaissances requiert aussi des outils. Parmi ceux-ci, le livre joue un rôle essentiel, en offrant du temps, en permettant d’approfondir, de réaliser des synthèses. Le livre peut utiliser différents supports, écrits, images, photos, numériques ; il peut avoir été élaboré par une seule personne, un collectif ou être le résultat d’un travail colla-boratif (wikibook).La production de livres de vulgarisation scientifique est non seulement abondante mais aussi très variée en niveaux ainsi qu’en qualités scientifiques, le très bon côtoie le passable voire le médiocre. Le choix des éditeurs n’est pas suffisant pour garantir la qualité. De plus, il est parfois difficile, en parcourant la quatrième de couverture, de connaître le public ciblé. Les revues de vulgarisation proposent des analyses critiques des livres récemment publiés, mais ces analyses sont dispersées et rarement regroupées par thèmes. C’est pour apporter une première réponse à ces manques que nous avons décidé de réaliser un catalogue critique des livres de vulgarisation scientifique sur le thème de l’année. Ce catalogue croise les critiques scientifiques et documentaires, précise les niveaux de lectures (petits et grands, initiés ou non). Il est largement diffusé auprès des médiathèques de la région, tout en étant aussi accessible sur le Web (www.sciences-metisses.org/crbst_13.html).

Le festival Sciences Métisses célèbre donc l'union du livre et de la science, prend pour témoin la pluralité du monde vivant, invite la société entière au partage de la connais-sance. Pour s’adapter à la variété des motivations possibles, pour accompagner le livre d’un environnement ludique et éducatif, le festival s’enrichit aussi d'ateliers (scientifiques ou de lectures), de conférences, de rencontres, d’expositions, d’animations… Le festival « Sciences Métisses » : trois jours foisonnants à destination de toute notre région qui visent l’appropriation citoyenne des sciences et des techniques pour que soient alimentés les débats démocratiques sur les thèmes liés à nos conditions de vie 1.

1 www.sciences-metisses.org

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La Cellule radioprotection a été créée en 2009 pour assurer le suivi administratif des activités nucléaires de l’Université. Sylvie Deloof et Pascale Brivoal, qui la font vivre, ont répondu à nos questions.

Qu’est-ce que la radioprotection  ? La radioprotection, définie comme « la protection contre les rayonnements ionisants », vise à empêcher ou à réduire les effets nocifs des rayonnements produits sur les personnes par des règles, des procédures et des moyens de prévention et de surveillance. Elle prend en compte les effets directs ou indirects, y compris par les atteintes portées à l’environnement.

Quel est votre rôle ? Nous devons gérer les déchets radioactifs produits et apporter une aide à la constitution des dossiers d’autorisation. Nous avons une mission de conseil et nous assurons le lien entre les autorités (Ministères, Autorité de Sûreté Nucléaire) et la direction de l’Université. En 2009, pour mettre l’Université en conformité avec la réglementation, un dossier de demande d’autorisation auprès de l’ASN a dû être constitué pour de nombreuses activités nucléaires. Pour chaque installation, il a souvent fallu une mise en conformité, puis nommer une personne compétente en radioprotection (PCR) formée par un organisme agréé et mettre en place un contrôle annuel par un organisme agréé.

Comment votre action est-elle perçue ? Au départ, les actions à mettre en œuvre sont vécues comme des contraintes administratives qui vont à l’encontre des activités de recherche ou d’enseignement : acquisition de matériel conforme, suivi médical des personnels, des uti-lisateurs, rédaction de rapports internes, de consignes de sécurité, mesures mensuelles des rayonnements ambiants, traçabilité des contrôles et des déchets, déclaration annuelle auprès de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire)…

Comment ce regard a-t-il évolué ?En clarifiant des démarches quotidiennes ou exceptionnelles (incident/accident) et en organisant la radioprotection, notre action a mis en avant la responsabilité des décideurs et l’importance de l’intérêt commun. Par exemple, à la cessa-tion d’une activité nucléaire, il faut convaincre de gérer le dossier de demande d’abrogation de l’activité nucléaire et d’éliminer la radioactivité selon les règles de la radioprotec-tion alors qu’il est plus facile de ne rien faire. De même, la responsabilité vis-à-vis d’un stagiaire ou d’un étudiant exer-

çant une activité nucléaire et des risques qu’il peut encourir si l’installation est non conforme doit être opposée à une réticence face à une demande d’autorisation.

Au bout de trois ans, quel est votre bilan ?Nous pouvons nous appuyer sur un réseau de PCR motivés. Grâce à lui, les activités nucléaires à l’Université Lille 1 sont aujourd’hui très bien encadrées et suivies. Si la sensibilisa-tion sur le terrain reste un impératif constant, nous consta-tons avec satisfaction que cette gestion du risque, rigoureuse et conforme à la réglementation, a permis de changer le re-gard d’un certain nombre d’utilisateurs sur leurs pratiques.

La recherche et la formation dans le domaine nucléaire à Lille 1

Les recherches menées au sein de quatre unités mixtes de recherche (UMR) de l’Université Lille 1 sont au cœur des enjeux posés par le maintien, voire le développement de la production énergétique d’origine nucléaire. La présen-tation de ces travaux, en lien avec le cycle « À propos du nucléaire », permet de pointer les domaines variés dans lesquels la sécurité nucléaire est concernée et de pré-senter rapidement en quoi ils constituent des sujets de recherche fondamentale ou appliquée pour ces équipes de recherche.

L’accident de Fukushima et l’éventualité qu’un tel accident survienne de nouveau dans une installation nucléaire rendent essentiel d’en limiter les conséquences en terme de contamination des populations et du territoire. Le laboratoire PC2A (UMR 8522 CNRS/Lille 1) collabore depuis 2006 avec l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et développe des programmes de recherche visant, dans le cadre d’un accident nucléaire majeur, d’une part, à réduire les possibles émissions d’espèces chimiques radioactives dans l’atmosphère, telles que l’iode, le bore, le césium et le ruthénium et, d’autre part, à mettre en œuvre des procé-dures d’urgence permettant d’informer et de protéger les populations. Pour cela, la réactivité des espèces chimiques doit être prédite au sein du réacteur nucléaire lors de l’acci-dent, mais également dans l’atmosphère à la suite de leur éventuelle émission. Dans cette deuxième situation, l’étude de l’impact potentiel d’un incendie amène à étudier la cinétique de formation des particules de suies qui jouent un rôle prépondérant dans la dissémination des espèces chimiques. Cette collaboration s’est concrétisée, en septembre

La radioprotection et les activités nucléaires à Lille 1

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vie de l'université : rubrique dirigée par Jean-Philippe Cassar / LNA#63 LNA#63 / vie de l'université : rubrique dirigée par Jean-Philippe Cassar

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2009, par la création d’un Laboratoire de Recherche Commun (LRC) IRSN/CNRS/Lille1, le laboratoire « Ciné-tique Chimique, Combustion, Réactivité (C3R) ».

Les matériaux métalliques de structure (aciers, alliages de zirconium essentiellement) utilisés dans les centrales actuelles et futures qui se trouvent au voisinage du cœur du réacteur sont soumis à l’irradiation à des degrés variables, à des températures importantes et à la corrosion induite par le liquide du circuit primaire (eau sous pression à 350°C dans les réacteurs actuellement en service, métal liquide et en particulier sodium ou plomb bismuth liquides dans certains prototypes de surgénérateurs). L’équipe « Métallurgie Physique et Génie des Matériaux » de UMET (UMR 8207 CNRS/Lille 1/ENSCL) développe des programmes de recherches fondamentales et technologiques dans le domaine de la fiabilité pour prendre en compte ces conditions de service afin de garantir la tenue des propriétés méca-niques des alliages et leur vieillissement. La collaboration avec EDF (département MMT, centre de recherche des Renardières), depuis bientôt une vingtaine d’années dans ce domaine, a conduit à la création d’un Laboratoire de Recherche Commun, intitulé EM2VM : « étude et modéli-sation des microstructures pour le vieillissement des maté-riaux ». L’équipe contribue à des projets de recherche européens développés dans le cadre de EURATOM.

L’Unité de Catalyse et Chimie du Solide (UCCS UMR 8181 CNRS/Lille 1/ENSCL) apporte son expertise en chimie du solide, à l’étude de la chimie du combustible nucléaire à différentes étapes de son cycle de vie. Pour diminuer les effluents et le nombre d’étapes, de nouveaux modes de conversion des concentrés uranifères en fluorure d’uranium sont étudiés en collaboration avec la société Comurhex. Les recherches sur le recyclage des combustibles usés, menées en collaboration avec AREVA et le CEA, concourent à une diminution à la fois de la consommation de la matière première naturelle (uranium), des risques de prolifération et de la radioactivité des déchets ultimes. Dans le cadre de la décontamination, des études sont entreprises, en partenariat avec l’IRSN, sur le piégeage et la rétention de radionucléides susceptibles d’être libérés en cas d’accident grave. Enfin, pour la vitrification de déchets radioactifs spé-ciaux (sulfates, iode) qui ne peuvent pas être confinés dans les matrices classiques de verres, des compositions verrières alternatives sont formulées, et leur durabilité chimique

est étudiée au moyen d’outils spectroscopiques comme la RMN 1 des solides.

Dans l’équipe « Sûreté et Tolérance » du LAGIS (UMR 8146 CNRS/École Centrale Lille/Lille 1), deux études ont été menées pour le CEA. Elles s’inscrivent dans les phases préliminaires d’étude des futures générations de réacteurs nucléaires dont le cœur du réacteur serait refroidi par du sodium liquide. La filière à refroidissement au sodium a été abandonnée en 1998 avec l’arrêt de la centrale Super-phénix suite à de nombreux incidents d’exploitation. Le retour à cette solution technologique impose d’en améliorer la fiabilité. Les études menées visaient l’évaluation de la capacité des méthodes de traitement de signal, appliquées à des enregistrements acoustiques ou vibratoires, à détecter les situations de dysfonctionnement potentiellement dan-gereux : fuite d’eau dans le sodium liquide, ébullition du sodium au sein du réacteur suite à la constitution d’un point chaud. Malgré des résultats positifs des méthodes développées sur les données disponibles, leur intégration dans les systèmes de sécurité des futures centrales deman-derait une évolution des règles de sécurité telles qu'elles sont actuellement définies par l’Autorité de Sûreté Nucléaire.

À côté de ces actions de recherche, un « parcours nucléaire » porté par le PC2A, l’UMET et l’UCCS a été mis en place au sein des Masters 2 « Chimie Énergie Environnement » et « Physique Matériaux », au cours du dernier contrat quadriennal. Ce parcours a été labellisé à l’échelle nationale par le CFEN, Conseil de Formations en Énergie Nucléaire. L'université Lille 1 et l'ENSCL sont partenaires de l'I2EN 2.

1 Résonance Magnétique Nucléaire.

2 Institut International de l'Énergie Nucléaire.

vie de l'université : rubrique dirigée par Jean-Philippe Cassar / LNA#63

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Historique de l’Observatoire 2 12

Il y a plus d ’un siècle, Robert Jonckheere, f ils d ’un riche industriel de Roubaix et passionné d’astronomie, fit construire à Hem un grand observatoire digne des observa-toires nationaux de 1909 : lunette de 35 cm de diamètre et de 6 m de focale. Le 26 juin 1912, par délibération du Conseil de l’Université, l’Observatoire a été rattaché à l’Université.

R. Jonckheere poursuivit des observations astronomiques dans le domaine des étoiles doubles qui lui permettront d’acquérir une renommée internationale. Cependant, après la Première Guerre mondiale et les difficultés économiques qui suivirent, il vendit ses équipements scientifiques à l’Université de Lille. Avec la Mairie de Lille, l’Université de Lille construisit un nouveau bâtiment plus près des fa-cultés lilloises afin de recevoir les équipements scientifiques de l’Observatoire de Hem, dont la grande lunette faisait partie. C’est dans le quartier de « Lille-Moulins », réaménagé par R. Salengro, Maire de Lille, que l’Observatoire de Lille a été inauguré le 8 décembre 1934.

Grâce à l’opportunité d’acquérir un matériel scientifique de haut niveau, à la volonté commune de la Mairie et de l’Uni-versité de Lille portée dans le temps par des générations de mathématiciens 3, aujourd’hui encore, un observatoire astronomique existe au nord de Paris.

L’Observatoire : lieu de recherche

L’Observatoire de l’Université de Lille abrite le Laboratoire d’Astronomie de Lille (LAL) composé de quatre permanents, trois doctorants et d’un post-doctorant. Ils constituent l’équipe de l’Université Lille 1 de l’Institut de Mécanique

1 Voir les participants : http://lal.univ-lille1.fr/100_ans_de_l_observatoire-invitation.pdf

2 Plus de détails historiques peuvent être trouvés dans le n° 51 des Nouvelles d'Archimède.

3 Notamment A. Châtelet, J. Kampé de Fériet et le premier directeur de l'Observatoire de Lille, C. Galissot.

Céleste et de Calcul des Éphémérides (IMCCE). À ce titre, ils participent à l’élaboration des éphémérides 4 nationales (loi du 7 messidor an III ou 25 juin 1795). Les recherches menées concernent la construction de théories du mouvement des corps du système solaire : satellites de Saturne et de Jupiter, petits satellites et anneaux des planètes géantes. La dynamique de ces objets est très riche et complexe en raison des interactions disque-satellite, des phénomènes de résonances, des mouvements chaotiques éventuels. Notre équipe s’intéresse également à la détection et à la dynamique des planètes extrasolaires, en particulier dans le cadre de la mission CoRoT, premier télescope spatial dédié à la recherche de planètes par la méthode des transits.Le nuage de Oort, situé aux confins du système solaire, serait à l’origine des comètes à longue période et fait éga-lement l’objet d’études. Les propriétés dynamiques de ce nuage donnent accès à des informations sur la formation du système solaire. Enfin, nous modélisons l’évolution à long terme de la population des débris spatiaux et plus généralement les satellites artificiels. Dans le cadre de la Loi sur les Opéra-tions Spatiales (LOS), l’étude de trajectoires stables pour les centaines de milliers d’objets qui tournent autour de la Terre permet la définition d’orbites parking de satellites artificiels.

L’Observatoire : lieu de diffusion des connaissances

L’Observatoire a acquis de nombreux instruments scien-tifiques et une riche bibliothèque. Parmi ces instruments figurent deux théodolites d’époques différentes, un sidérostat de la fin du XIXème siècle, des horloges astronomiques, un micromètre à fils, un spectrographe, un sismographe qui constituent un patrimoine scientifique digne d’intérêt. Mais, évidemment, le plus symbolique des instruments est la grande lunette. Ces objets patrimoniaux sont utilisés lors d’activités pédagogiques par les étudiants des cours d’astro-

4 Les éphémérides astronomiques désignent des tables de positions des corps du système solaire ainsi que des phénomènes astronomiques visibles à une date donnée, telles les éclipses.

L’Observatoire de l’Université de Lille : un lieu de recherche, d’enseignement et de patrimoine

L’Observatoire de Lille a été déclaré « Observatoire de l’Université de Lille » par décret ministériel du 6 juillet 1912. Le 6 juillet dernier, l’Université Lille 1 a tenu à fêter ces 100 ans. À l’occasion d’une table ronde 1, nous avons essayé de com-prendre, d’une part, la place que peuvent tenir des observatoires astronomiques « traditionnels » à coté de grands instru-ments internationaux dans la recherche astronomique et astrophysique, et, d’autre part, les relations qui se nouent entre les Observatoires, les Universités et leur environnement dans l’enseignement, la diffusion de connaissances scientifiques et la transmission des compétences astronomiques.

Directeur de l’Observatoire de LillePar Alain VIENNE

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nomie qui sont donnés notamment en licence de Physique et en licence de Mathématiques.

L’Observatoire, en tant que lieu universitaire, participe à la diffusion des connaissances bien au-delà de ces enseignements et aussi au-delà des seuls étudiants inscrits à Lille 1. On touche là à ce qui fait la particularité de l’Observatoire : être également un lieu de « culture scientifique ».

1 - Grâce à une convention entre le Forum départemental des Sciences et l’Université Lille 1, les astronomes amateurs de la région peuvent utiliser la lunette pour leurs propres observations sous la responsabilité d’un membre de l’équipe du planétarium du Forum.

2 - Tous les ans, dans le cadre du « Plan Académique de Formation » à destination des enseignants du secondaire, un stage est animé par un groupe d’enseignants de notre laboratoire et d’enseignants en Lycées 5. Ce groupe élabore des activités permettant aux élèves de comprendre en quoi les réponses à des questions d’astronomie requièrent l’utili-sation des mathématiques. Des fiches niveau collège et lycée ont été élaborées.

3 - Afin de rendre l’Observatoire de Lille plus ouvert aux élèves de la région, nous avons mis en place une formation de professeurs du second degré à la manipulation de la grande lunette. Ils peuvent ainsi initier le public scolaire aux différentes observations lors des visites à l’Observatoire de Lille. Ces activités entrent dans le cadre des programmes scolaires.

4 - Dans le cadre de la mise en place d’une formation com-mune entre Lille 1 et Lille 3, j’ai donné quelques séminaires (série « La mesure : approche littéraire et mathématique ») :- « Autour de Copernic : le problème de la Mesure du

5 Dans le cadre de l'IREM de Lille (Institut de Recherche en Enseignement des Mathématiques).

Monde » (avec A.P. Pouey-Mounou pour « Observations et systèmes dans la littérature de la Renaissance », 9 juin 2009)- « Voyage dans le système solaire puis dans les galaxies », (avec C.O. Stiker-Métral pour « La mesure et l’infini chez Cyrano de Bergerac et Fontenelle », 26 janvier 2010)- « Beauté naturelle et beauté artistique : le cas de l’astro-nomie », (avec Isabelle Pantin de l’ENS-Ulm pour « La poésie du ciel à la Renaissance : images astronomiques », 6 novembre 2012).

5 - L’Association Jonckheere – Les Amis de l’Observatoire de Lille (AJAOL) – organise les visites de l’Observatoire destinées au public lillois et aux étudiants de l’Université. Elle répond ainsi à l’attrait qu’a l’astronomie auprès du public. Cette action est importante et donne les moyens de mieux répondre aux nombreuses demandes en aidant les permanents de l’Observatoire dans cette mission d’accueil. L’AJAOL assure également une campagne de mesures d’étoiles doubles ainsi qu’une maintenance régulière de la lunette de l’Observatoire. Au niveau scientifique encore, elle maintient, avec notre laboratoire, notre station de radio-détection des météores. Le principe est d’écouter une fréquence habituellement inaccessible en raison de l’éloigne-ment de la station émettrice. Lorsqu’un météore – libéré par une comète lors de son dégazage – entre dans l’atmos-phère, le plasma généré reflète alors le signal à hauteur de l’ionosphère. Cette technique permet de surveiller l’activité météoritique en permanence.

Ainsi, l’Observatoire de Lille, comme d’autres observatoires « traditionnels » adossés à une université, est non seulement un lieu d’enseignement et de recherche, mais aussi un lieu patrimonial, de diffusion des connaissances et de culture scientifique. Les activités évoquées ci-dessus montrent que cela se fait grâce à la rencontre en ce lieu de toutes les personnes concernées par ces missions. Il nous appartient de continuer à faire vivre ce lieu de rencontre et d’échange.

vie de l'université : rubrique dirigée par Jean-Philippe Cassar / LNA#63

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Zurich, 30 avril 1901

Mon enfant adorée

Je ne lâche pas prise ! Il faut absolument que tu viennes me voir à Zurich, ma douce petite sorcière. Cela ne te fera pas perdre beaucoup de temps et tu me feras un immense plaisir. Nous serons de retour au bout de trois jours et nous pourrions même nous arranger pour inclure le dimanche. Tu verras comme je suis devenu gai et plein d’entrain, ma mine renfrognée n’est plus qu’un mauvais souvenir. Et je t'aime de nouveau si fort ! C’est par pure nervosité que j’ai été sans cesse si désagréable avec toi. C’est à peine si tu vas me reconnaître tant je suis plein d’entrain et tant j’ai hâte de revoir ma douce et tendre doxerl.

En ce moment, je me suis remis à étudier la théorie des gaz de Boltzmann. Tout cela est bien beau mais il n’accorde pas assez d’importance à la comparaison avec la réalité. Je crois en revanche qu’il y a dans le livre de O.E. Meuer assez de données empiriques pour notre recherche. Tu pourras y jeter un coup d’œil si tu vas un jour à la bibliothèque. Dernièrement, l’idée m’est venue que, lors de la production de la lumière, il pourrait y avoir transformation directe de l’énergie cinétique en lumière, du fait du parallélisme Force vive de la molécule / Température absolue / Spectre (énergie spatiale de rayonnement à l’équilibre). Qui sait quand un tunnel pourra être creusé dans ces montagnes dures comme du roc ! Je suis très curieux de savoir si nos forces moléculaires conservatives s’appliqueront aux gaz.

Je t’embrasse de tout mon cœur, ton johonzel

Lettre d’Albert Einstein à Mileva Maric

CompositeurPar Éric STERENFELD

« Cantiques des quantiques »

L’ouverture de la saison culturelle de Lille 1 a accueilli, dans le patio de l’Espace Culture, la performance « Cantiques des quantiques » *, proposition artistique qui a su pleinement tirer parti de l’architecture du lieu. Éric Sterenfeld, concepteur de la performance, revient sur cet événement.

Lors de la performance, il était important de combiner, de manière aléatoire ou synchronisée, l’image, le son

et la présence de comédiens ; l’ensemble proposant une évocation poétique du nucléaire (noyau), de l’atome et de la recherche scientifique.

J’ai choisi les textes lus, dont des extraits de « Le cantique des quantiques » 1 par les comédiens parce qu’ils reflètent, à mon sens, par leurs contenus, les différents imaginaires suscités par l’univers impressionnant de l’atome. Impres-sionnante, la découverte d’Einstein bouleversa la lecture du monde contemporain. J’ai retenu sa correspondance avec Mileva Marić 2 qui date d’avant la parution de sa thèse de 1905 à l’époque où il cherchait jusqu’à la révélation de l’intuition géniale.

Le choix du texte de John Cage 3, compositeur, poète et plasticien, résulte de la part importante qu’il accordait au hasard, miroir de l’intuition, source de découverte.

Le texte du poète performeur Charles Pennequin 4, quant à lui, met en avant la place que l’imaginaire lié à l’atome, au nucléaire, au monde quantique, a pris, petit à petit, dans l’esprit des gens.

1 Le cantique des quantiques. Le monde existe-t-il ?, Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, éd. La Découverte-Poche, 2007.

2 Lettres d’amour et de sciences, éd. du Seuil, 1993.

3 Mesostic I-VI, John Cage, Wesleyan University Press.

4 Charles Pennequin, http://pennequin.rstin.com/blog/charles?page=5

* Cédric Barchoz : vidéo, Kate France : comédienne, Émmanuel Rabita : comédien.

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on n’est pas des bosons de Higgs dans la perfon a affaire à des massesà des reculsà des résistancesle public est comme inerte et nous-même avons à soulever le couvercleavec en-dessous la parolela parole librele chantl’airle quelque chose qui continue hors d’haleineet dans un vrai déséquilibreà tournoyercreusers’enfoncerprendre tout ce qu’on trouve et s’il n’y a rienprendre le rienl’empêchement de parlerle bafouillementle blocage l’incapacitéla grimacela foulurela crampe instantanée prendre tout ça et le retourner en couragecourage à montrer la peurla faiblessele troula faillite de soitout ça le théâtre n’en veut pasle théâtre et l’art et la mort n’en veulent pasbosons et neutrinostrucs qui passent à travers toutéléments du Qi et souffle pneûmatout ça est vrai et pourtant contredit parune tableun verre d’eaudes estradesla lumière et la diplomatie des lieux

Charles Pennequin

are as Much is not ‘ finitE Trouble and Heavy tO only neeD with the ‘ caMpus arE iT Has exist amOng of hurDles nobody all huManity ‘ now or tastE To current pHysics Or ‘ opposition of fisches think Does not exist a garden eMpty ‘ a lawyEr ‘ and acT in us wHatever Of i gathereD in ‘ a probleM arE a Time ‘ flood Has fOrming unDer pressure

Extrait du livre des poèmes « Mesostic I-VI » de John Cage

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Je ne sais pas de quoi parler… de la mort ou de l’amour ? », ainsi commence le premier des monologues de « La sup-

plication » 1. Svetlana Alexievitch y donne la parole aux habitants, travailleurs du nucléaire, scientifiques, responsables civils et militaires du « monde de Tchernobyl ». Par la répétition des témoignages, la mort, la peur, l’angoisse pour des êtres chers, l’incompréhension face à l’attitude des autorités, les désillusions... s’expriment et font rejaillir l’humanité là où les récits des événements souvent factuels ont tendance à la masquer. La force de ce livre est ainsi de « reconstituer les sentiments et non les événements ».

« Vendredi 11 mars 2011, début d’après-midi, la vibration des fenêtres. Quelque chose s’ouvre, grogne, frémit, demande à sortir ». Michaël Ferrier 2, dans sa chronique d’un Japon saisi au collet par le séisme et ses répliques – selon l’image de Paul Claudel – puis dépassé par la catastrophe nucléaire, convoque les sens – visions, odeurs, sons – pour rendre sensibles des situations extraordinaires dans un style riche et imagé. Tout au long de son voyage dans les territoires ravagés par le tsunami et dans les zones évacuées autour de la centrale de Fukushima, il tend l’oreille, se met à l’écoute des rescapés, des réfugiés pour essayer de comprendre ce qui a pu réelle-ment se passer. Il le restitue merveilleusement et témoigne aussi de la force de vie qui peut exister au milieu du désastre.

Le roman « La centrale » 3 est le récit à la première personne d’un de ces intérimaires du nucléaire, travailleurs DATR (Directement Affecté à des Travaux sous Rayonnements), qui suivent les chantiers d’arrêt des centrales nucléaires en France. Les réflexions de cet homme, l’histoire qu’il partage amènent le lecteur dans une plongée poignante dans la réalité du nucléaire civil au quotidien et de la précarité de ces personnels un peu en marge. La dose de rayonnement reçue est omniprésente : dose dont on préfère ne pas envisager les conséquences, dose qu’il faut répartir entre les membres

1 Svetlana Alexievitch, La supplication - Tchernobyl chronique du monde après l’apocalypse, éd. J’ai lu, 2004.

2 Michaël Ferrier, Fukushima - Récit d’un désastre, éd. Gallimard, Collection « L’Infini », 2012.

3 Élisabeth Filhol, La centrale, éd. P.O.L., 2010.

d’une même équipe lors des interventions, dose maximale annuelle qu’il ne faut pas dépasser sous peine d’éviction.

Ces ouvrages expriment tous la difficulté de se situer face à « l’invisibilité du mal » 4 que représente la radioactivité. Ils interrogent également les logiques économiques qui guident les décisions : la sûreté dans les discours mais pas dans les budgets des donneurs d’ordre 3, une centrale construite au niveau de la mer pour limiter les coûts d’exploitation 2… Mais, en nous plongeant au cœur de ces réalités humaines, ils interpellent surtout sur les implications du choix du recours au nucléaire civil. Face aux catastrophes, les systèmes de gestion de crise sont débordés, impuissants. Ils installent une situation de guerre par la présence des forces militaires pour faire évacuer les populations et gérer les zones d’exclu-sion. Ils maintiennent le secret sur l’état de la situation pour éviter les conséquences de la panique qui est jugée plus grave que l’exposition des populations aux aérosols radioactifs.

Cette prise de position relève d’une inversion grave de l’échelle des priorités. Elle découle d’une logique qui amène des « experts » à affirmer que « la peur de la radioactivité serait plus nocive que la radioactivité elle-même » 3 et des agences internationales, dont l’OMS * soumise par un accord avec l’AIEA ** à ne pas diffuser d’information qui puisse nuire au développement de l’énergie atomique, à minimiser le nombre de victimes des accidents nucléaires suivant une dialectique fort bien décrite par Jean-Pierre Dupuy. Face à ce dévoiement de l’expertise, il est salutaire que des œuvres littéraires nous amènent à nous interroger sur la position qui serait la nôtre en cas d’accident nucléaire majeur et portent témoignage de ces victimes injustement éliminées des chiffres officiels.

4 Jean-Pierre Dupuy, L’ invisibilité du mal, Revue Esprit, mars-avril 2008.

* Organisation Mondiale de la Santé.

** Agence Internationale pour l’Énergie Atomique.

Le nucléaire : témoigner de la réalité vécue

Vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture et du Patrimoine Scientifique

Trois ouvrages nous invitent à aborder la réalité du nucléaire civil du point de vue de ceux qui la vivent au quotidien ou qui subissent les conséquences des catastrophes récentes. Une manière de rappeler que, au-delà des faits, des statistiques, des discours et des politiques industrielles, il y a des femmes et des hommes concernés.

Par Jean-Philippe CASSAR

«

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au programme / réflexion-débat / LNA#63 LNA#63 / à lire

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APRèS-MIDI

14h : Introduction par Jean-Philippe Cassar

Table ronde : Science, technologies, démocratieAnimatrice : Claude Chardonnet, Consultante experte, présidente-directrice générale C&S Conseils

14h15 : Processus de décision et gouvernance du nucléaire au Japon suite à FukushimaPar Isabelle Sourbès-Verger, Géo-graphe, chargée de recherche au CNRS, directrice adjointe du Centre Alexandre Koyré

14h30 : Ambitions et réalités de la démocratie environnementale, cas de l’eau et des déchets Par Rémi Barbier, Sociologue, profes-seur à l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Stras-bourg

14h45 : Témoignage de la dé-marche d’un groupe de travail sur les risques technologiquesPar Mireille Havez, Administratrice, Maison Régionale de l’Environnement et des Solidarités

15h : Mise en œuvre des démarches participativesPar Claude Chardonnet, Consultante experte, Présidente-directrice générale de C&S Conseils

15h15 : Mise en place de procédures de débat publicPar Christine Momont, Directrice de projet, mission débat public, Conseil Régional Nord-Pas de Calais

suivie d’échanges-débats (15h30/17h)

* Avant le 22 mars : [email protected]

Comité d'organisation : Jean-Philippe Cassar, Frédéric Dumont, Bruno Duriez, Rémi Franckowiak, Gautier Goormachtigh, Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Hervé Vautrelle, Alain Vienne.

Retrouvez toutes nos conférences en vidéo sur le site : http://lille1tv.univ-lille1.fr/

www.culture.univ-lille1.fr

La réalité nucléaire dans toutes ses dimensions interpelle la question centrale de la démocratie et du débat public face aux choix technologiques. Cette journée de clôture proposera de débattre sur ce thème central.Le débat public sur ces questions est-il possible ? Comment les scientifiques peuvent-ils y prendre leur place ? Face au déficit démocratique, quelles moda-lités d’action mettre en avant ?

MATIN

9h : Accueil

9h30 : Introduction par Jean-Philippe Cassar, Vice-président Culture et Patri-moine Scientifique

9h45 : Une ethnologue, le nucléaire et le débat publicPar Françoise Zonabend, Ethnologue et anthropologue, ancienne directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris), membre du laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France de l’EHESS et du CNRSAnimateur : Jean-Philippe Cassarsuivie d’échanges-débats

11h : La démocratie participative au défi des risques technologiquesPar Martine Legris Revel, Sociologue, chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS)Animateur : Jean-Philippe Cassarsuivie d’échanges-débats

Rendez-vous d'Archimède, cycle À propos du nucléaire

journée d’études : SCIENCE, TECHNOLOgIES, DÉMOCRATIEMardi 2 avril - Entrée libre sur inscription *Espace Culture

au programme / réflexion-débat / LNA#63

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Moyen-Orient à Sciences-Po (Paris),Yassin Al Haj Saleh (Syrie), ÉcrivainIntervention écrite présentée par Badr-Eddine Arodaky, Écrivain et socio-logue, ancien directeur général adjoint de l’ImaAnimateur : Jean-Philippe Cassar suivie d’échanges-débats

11h : Transitions démocratiques ? Agnès Levallois (France), Écrivain, ancienne directrice de Radio Monte Carlo,Ziad Majed (Liban), Politologue et professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris. Co-fondateur et coordinateur du réseau arabe pour les études de la démocratieAnimateur : Badr-Eddine Arodakysuivie d’échanges-débats

12h10 : La place des femmes, un enjeu Faouzia Farida Charfi (Tunisie), Professeur de physique à l’Université de Tunis, ancienne secrétaire d’État à l’Enseignement Supérieur du gouver-nement provisoire tunisienAnimateur : Salam Kawakibi (Syrie), Politologue, directeur adjoint, Arab Reform Initiative suivie d’échanges-débats

APRèS-MIDI

14h30 : Table rondeLe rôle de la jeunesse dans l’émer-gence de la société civileOssama Mohammed (Syrie), Cinéaste, réalisateur,

Khadija Mohsen-Finan (Tunisie), Chercheure associée à l’Institut de Re-lations Internationales et Stratégiques,Moaaz Elzoughby (Égypte), Cher-cheur, Arab Reform Initiative (ARI),Yousif Faker Al Deen (Palestine), Écrivain palestinien de SyrieAnimateur : Badr-Eddine Arodakysuivie d’échanges-débats

16h : Table rondeLe rôle des intellectuels et des artistes Ziad Majed (Liban), Politologue et professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris, co-fondateur et coordinateur du réseau arabe pour les études de la démocratie,Salam Kawakibi (Syrie), Politologue, directeur adjoint, Arab Reform Initiative, Ossama Mohammed (Syrie), Cinéaste, réalisateur,Badr-Eddine Arodaky, Écrivain et sociologue, ancien directeur général adjoint de l’ImaAnimateur : Jean-Philippe Cassar suivie d’échanges-débats

Conclusion par Jean-Philippe Cassar et Badr-Eddine Arodaky

* Avant le 17 avril à : [email protected]

www.culture.univ-lille1.fr

Cet événement est présenté en co-construction avec l’Université Lille 1, dans le cadre de la phase de préfigu-ration de l’antenne de l’Institut du monde arabe en Région Nord-Pas de Calais menée en partenariat avec l’Ima, la Région Nord-Pas de Calais, la Ville de Roubaix et la Ville de TourcoingAvec le soutien de la Ville de Villeneuve d’Ascq

Cette journée revient sur la situation des sociétés que les mouvements arabes ont bouleversées. Les points de vue dif-férents de témoins directs ou d’analystes de ces pays se confronteront pour donner un éclairage sur les situations complexes et diversifiées et pour nous aider à dépas-ser les visions schématiques qui risquent de s’imposer.

MATIN

8h : Accueil

8h30 : Ouverture parPhilippe Rollet, Président de l’Univer-sité Lille 1,Lucie Lequien, Coordinatrice de l'an-tenne de l’Institut du monde arabe,Sandrine Rousseau, Vice-présidente en charge de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Conseil Régional Nord-Pas de Calais, Gérard Caudron, Maire de Villeneuve d’Ascq.

Introduction de la journée parJean-Philippe Cassar, Vice-président Culture et Patrimoine Scientifique, Université Lille 1

9h : Unité et diversité dans le monde arabe Jean-Pierre Filiu (France), Politologue, professeur des universités en charge du

Rendez-vous d'Archimède, cycle La méditerranée

journée d’études : LES MOUVEMENTS ARABES DE RÉVOLTES DEUx ANS APRèSMardi 30 avril - Entrée libre sur inscription *Amphi Migeon - Polytech’Lille

Caricature : © Ali Ferzat

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au programme / initiatives culturelles / LNA#63

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CONFÉRENCES

u La lutte contre la corruption doit-elle passer par une cause nationale ?Corruption, argent sale, fraude et évasion fiscale, pourquoi est-il urgent d’agir ?Jeudi 11 avril à 18h30Par Julien Coll, Délégué général de l’association Transparency International France.TI France contribue à améliorer, dans notre pays, la gouvernance publique et privée en termes de transparence, d’intégrité et de responsabilité : pré-vention et lutte contre les différentes formes de corruption, blanchiment de l’argent sale et divers types de fraudes.À travers des actions diverses – sensi-bilisation, plaidoyers et alertes, apport d'expertises aux acteurs de la lutte anti-corruption… – TI France entend contribuer au développement de com-portements éthiques, citoyens et res-ponsables.

u Vivre ensemble dans une Europe multiculturelle et multireligieuse : des convictions héritées aux convictions partagées dans une approche inter-convictionnelleJeudi 2 mai à 18h30Par François Becker, Président du Groupe International, Interculturel et Interconvictionel (G3I) du Conseil de l’Europe, professeur émérite.Le G3I – qui comprend des associations humanistes, des associations laïques, des associations de conviction chré-tienne, des associations de culture musulmane et des associations de culture juive – travaille sur les pro-blèmes de cohésion sociale et de laïcité dans une Europe multiculturelle et multiconvictionnelle. On présentera également les divers objectifs du G3I.Au niveau local : participation du groupe

« Coexister » de Lille (coexister.fr) qui présentera ses objectifs et actions pour la rencontre interculturelle des jeunes. Exemple d’opération : la journée « En-semble à Sang% » où l'EFS propose un don du sang et les jeunes de Coexister organisent des animations dans un esprit interreligieux et interculturel.

EXPOSITIONS

u « Pour une transparence de la finance : le système bancaire, les paradis fiscaux »Du 8 au 12 avrilLes banques, ça nous intéresse ! Et vous ? Proposée par ATTAC

Cette exposition explique le système qui a permis aux banques de provoquer la crise des « subprimes » partie des USA, analyse son exten-

sion au système financier international et permet de comprendre les faces cachées du système bancaire à partir d’une question simple : que fait la banque de notre argent ? L’exposition conclut par une dénon-ciation de ce système financier inter-nationalisé, générateur de crises, qui favorise la montée vertigineuse des inégalités. ATTAC formule des pro-positions, en déclarant son choix pour une société solidaire, écologique et démocratique.

Comprendre les paradis fiscauxProposée par le CCFD Terre solidaire

Les paradis fiscaux, judiciaires et prudentiels sont les trous noirs de la finance internatio-nale, ces centres financiers articulent fiscalité faible,

secret et opacité. Cette exposition per-mettra de comprendre leurs rôles et leurs méfaits.

ATELIER

Quelle est mon identité ?En partenariat avec le SUAIOAtelier culturel pratique transversal, ouvert aux étudiants de licences, sur l’estime de soi, la réalisation de soi pour la mise en place de projets d’études ou professionnels, l’engagement dans la vie associative…Cet atelier fait suite à la conférence Le sens de la vie donnée par Christian Merle le 8 novembre (accessible sur http://lille1tv.univ-lille1.fr).

Inscription préalable : [email protected] ou [email protected]’atelier se déroulera de 18h30 à 21h (date limite d' inscription : 30 avril), le lieu et la date seront précisés, selon le nombre d’ ins-criptions, aux personnes intéressées.

Rencontres culturelles de sens 2012-2013

Vers une culture de sens au service des Droits fondamentauxCoordinateurs : Jean-Pierre Macrez et Daniel Poisson

www.culture.univ-lille1.fr

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Ammar Bouras est un artiste engagé, dans le double sens du terme. Il est engagé, lui et son art, dans l’histoire de sa culture. Il s’engage et, de sa terre

à lui, parle aux autres, à l’humanité.

« L’artiste Ammar Bouras se penche cette fois-ci sur les frontières. Toutes les frontières. (…) le vidéaste expérimental élabore une installation frappante : deux écrans se faisant face dont l’un projette la tentative de franchir une haie d’un paisible et florissant jardin et en face la tentative de traverser les barbelés entourant le site des essais nucléaires français In Ekker, dans l’Extrême Sud algérien.

Le titre de cette installation reproduit les coordonnées GPS du point zéro des explosions nucléaires de In Ekker.

« Je suis parti de l’idée des frontières et des fronts, comme l’illustration des limites et des lignes entre les individus et l’Autre, l’étranger, la mort ou la vérité. L’idée que nous avons tous besoin de l’autre comme d’un miroir, et non comme le mou-roir de nos mémoires communes en fin de compte. Se libérer, passer les frontières et sortir des séparations réelles ou imaginaires », explique Ammar Bouras (…).

Adlène Meddi dans El Watan le 18.05.12 à l’occasion de sa résidence de création au Favril dans le nord de la France.

Ce projet a été réalisé avec l'aide de l'Association La Chambre d'eau (Le Fa-vril - France), Objet Direct (Marseille) et le quotidien El Watan (Algérie).

© Ammar Bouras

24°3'55''N - 5°3'23''EInstallation vidéo d’Ammar BourasVisible jusqu'au 3 mai - Entrée libre

Dans cette vidéo consacrée aux essais nucléaires au Sahara, l'artiste semble ne faire que défiler côte à côte les images de deux mondes, celui de l'implosion nucléaire et de la destruction de la Nature et celui du paysage façonné par le travail des hommes, ceux-ci n’appa-raissant que dans les traces de leur action. L’œuvre d’Ammar Bouras est donc un travail de mémoire où mémoire individuelle et mémoire collective viennent parfois s’entre-choquer tout en se développant en toute autonomie.

LNA#63 / au programme / exposition

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LNA#63 / au programme / exposition

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Depuis toujours, la guerre hante l’humanité. En per-manence menaçante, elle n’a jamais cessé d’inquiéter

l’homme. De l’histoire à l’actualité, à travers les différentes régions du monde ou dans ses nombreuses dimensions, il n’y a pas une lecture de la guerre. Bien au-delà du champ militaire strict, phénomène multiforme, la guerre impacte tous les domaines de la société humaine.

Outre l’approche pluridisciplinaire que l’on trouvera dans cet ouvrage, il faut souligner ici la diversité des points de vue sur la guerre, son développement théorique, mais aussi sur ses conséquences sociales, économiques et culturelles. Aujourd’hui, une part majoritaire de la planète est en paix. Mais une partie non négligeable d’États, d’hommes d’affaires, d’insurgés, d’opprimés voire d’illuminés, préparent encore leurs guerres, persuadés que leur combat est légitime. La guerre reste aussi une activité très rentable.

Alors, peut-on entrevoir l’espoir d’un monde sans guerre ? Est-il raisonnable aujourd’hui, sans solution durable et juste aux conflits, d’envisager la fin de la guerre, ou l’avenir doit-il nous laisser craindre de nouvelles mutations des conflits ?

AUTEURSMonique Chemillier-Gendreau, professeur émérite de droit public et de science politique à l’Université Paris DiderotJean-Marc Ferry, professeur de philosophie politique, titulaire de la Chaire de philosophie de l’Europe à l’Université de NantesFrancis Guibal, philosophe, professeur émérite de l’Université de StrasbourgPierre Hassner, chercheur associé au Centre d’Études et de Recherches Internationales, directeur de recherches émérite à la Fondation nationale des sciences politiquesFrançois-Bernard Huyghe, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, enseignant sur le campus virtuel de l’Université de LimogesJean-Claude Monod, chercheur en philosophie au CNRS, ensei-gnant à l’École Normale Supérieure de ParisJean-François Rey, professeur honoraire de philosophieJean-François Robinet, agrégé de philosophie, professeur en classes préparatoires aux grandes écoles Goran Sekulovski, chargé de cours en patrologie à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris

Présentation d’ouvrage : LA gUERRE, UNE VÉRITÉ HUMAINENouvelle parution dans la collection Les Rendez-vous d’Archimède, ouvrage collectif aux éditions L’Harmattan

Dirigé par Nabil El-Haggar, Ancien vice-président de l’Université Lille 1, chargé de la Culture, fondateur de l’Espace Culture et des Rendez-vous d’Archimède

Présentation : mardi 28 mai à 17h30Espace Rencontres du Furet de Lille - Entrée libre

En présence de Philippe Rollet, Président de l’Université Lille 1Jean-Philippe Cassar, Vice-président de l’Université Lille 1, Culture et Patrimoine ScientifiqueNabil El-Haggar, directeur de l’ouvrageet des auteurs.

Retrouvez toutes les informations sur cet ouvrage et la collection complète sur :http://culture.univ-lille1.fr/publications/la-collection.html

Ouvrage en vente en librairie et à l’Espace Culture, consultable à l’Espace Culture et à la Bibliothèque Universitaire de Lille 1.

au programme / parution / LNA#63 LNA#63 / au programme / exposition

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Page 32: Les Nouvelles d'Archimède 63

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). g e n d aA Retrouvez le détail des manifestations sur notre site : http://culture.univ-lille1.fr ou dans notre programme trimestriel.

L’ ensemble des manifestations se déroulera à l’Espace Culture de l’Université Lille 1.

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Espace Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’AscqDu lundi au jeudi de 9h30 à 18h et le vendredi de 9h30 à 13h45Café : du lundi au jeudi de 9h45 à 17h45 et le vendredi de 9h45 à 13h45

Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59Mail : [email protected] Internet : http://culture.univ-lille1.fr

Jusqu’au 3 mai Installation vidéo « 24°3’55’’n - 5°3’23’’E » d’Ammar Bouras

Mardi 2 avril 9h Journée d’études : Cycle « À propos du nucléaire » « Science, technologies, démocratie »

Mercredi 3 avril 19h Concert : Didier Aschour + Muzzix *

Du 8 au 12 avrilRencontre culturelle de sens : exposition« Pour une transparence de la finance : le système bancaire, les paradis fiscaux »

Mercredi 10 avril 12h15 Lecture publique « Témoignages au cœur du nucléaire »

Jeudi 11 avril 18h30Rencontre culturelle de sens : La lutte contre la corruption doit-elle passer par une cause nationale ? par Julien Coll

Mardi 30 avril 8h

Journée d’études : Cycle « La Méditerranée » « Les mouvements arabes de révoltes deux ans après »(Ima / Espace Culture) Amphi Migeon - Polytech’Lille

Jeudi 2 mai 18h30Rencontre culturelle de sens : Vivre ensemble dans une Europe multiculturelle et multireligieuse par François Becker

Mardi 7 mai 12h30 et 19h Ateliers Jazz et workshop d’improvisation de l’Université Lille 1

Mercredi 15 mai 18h30 Café langues avec la Maison des Langues (Lille 1)

Mardi 28 mai 17h30 Présentation de l’ouvrage « La guerre, une vérité humaine »Collection Les Rendez-vous d’Archimède (Furet - Lille)