les céphalées de madame d

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2366 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 17 octobre 2007 § § élémentaire dr watson… Les céphalées de Madame D. Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 17 octobre 2007 0 Rédaction : Sylvain Eminian Nicolas Fragnière Tuteur : Pr Gérard Waeber M adame D. est une femme de 81 ans qui décrit la sur- venue de céphalées persis- tantes dans un contexte d’arthrose cervicale traitée par physiothérapie et anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). ANAMNÈSE ACTUELLE Durant le mois de septembre Mada- me D. se plaint de céphalées occipitales exacerbées à la mobilisation de la nu- que. Un traitement de physiothérapie et d’AINS est prescrit dans un contexte d’arthrose cervicale connue. Fin septem- bre et début octobre, Madame D. note une disparition des céphalées. La surve- nue d’un état de fatigue marqué, une douleur de la mâchoire lors de la masti- cation, une baisse de l’acuité visuelle fin octobre et la récidive des céphalées as- sociées à une impression de tuméfaction de l’hémiface droite motivent une consul- tation en urgence. ANTÉCÉDENTS PERSONNELS En 1995, Madame D. a souffert d’un carcinome du sein gauche traité par chi- rurgie, radiothérapie et hormonothérapie pendant cinq ans. En 1996 et 1999, elle a été opérée d’une cataracte bilatérale. Sur le plan cardiovasculaire, la patiente est connue pour un foramen ovale per- méable et un anévrisme du septum inter- auriculaire. Un syndrome métabolique est également diagnostiqué chez cette pa- tiente et la constellation hypertension ar- térielle, hypercholestérolémie et diabète nécessite différents traitements per os. ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX Aucun antécédent familial particulier n’est relevé. STATUT ET BILAN INITIAL (tableau 1) Madame D. est en bon état général, vigilante et orientée dans les trois dimen- sions. Un état fébrile à 38°C est relevé à son admission. Sur le plan cardiovascu- laire, un souffle systolique d’intensité 3/6 maximum au foyer aortique, sans irradia- tion, est décrit. Le statut abdominal est sans particularité. Sur le plan neurologi- que, Madame D. présente un léger œdè- me périorbitaire droit, des réflexes hypo- vifs aux quatre extrémités et aucun signe de méningisme. Sur le plan paraclinique, une formule sanguine est effectuée (tableau 1). Un syn- drome inflammatoire marqué est constaté : CRP (= C-reactive protein à 231 mg/l), une anémie avec un taux d’hémoglobine à 104 g/l et une hématocrite à 31%. Une leucocytose (13,6 G/l), une thrombocyto- se (444 G/l), et une vitesse de sédimen- tation (130 mm/h) élevée sont également relevées. En résumé, cette patiente âgée pré- sente donc des céphalées intenses as- sociées à une baisse de l’acuité visuelle Coordination rédactionnelle : Dr Pieter van Dijken Pr Bernard Waeber Unité de pédagogie médicale – UPM Ecole de médecine Faculté de biologie et de médecine de Lausanne Rev Med Suisse 2007 ; 3 : 2366-8 Adresse Sylvain Eminian Nicolas Fragnière Association des étudiants en médecine de Lausanne – AEML Case postale 10 CHUV, 1011 Lausanne [email protected] Cette rubrique reprend le travail d’étudiants de 4 e année de la Fa- culté de biologie et de médecine de Lausanne. Ces derniers ont eu l’occasion de présenter le malade ci-dessus à leurs collègues dans le cadre de l’apprentissage au raison- nement clinique. Elémentaire Dr Watson... Valeurs normales Bilan sanguin Hb 104 g/l 117-157 g/l Ht 31% 35-47% Leucocytes 13,6 G/l 4-10 G/l Thrombocytes 444 G/l 150-350 G/l CRP 231 mg/l 10 mg/l VS 130 mm/h 20 mm/h Tableau 1. Bilan initial

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Page 1: Les céphalées de Madame D

2366 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 octobre 2007

§§

élémentaire dr watson…

Les céphalées de Madame D.

Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 octobre 2007 0

Rédaction :

Sylvain Eminian Nicolas Fragnière

Tuteur :

Pr Gérard Waeber

M adame D. est une femmede 81 ans qui décrit la sur-venue de céphalées persis-

tantes dans un contexte d’arthrosecervicale traitée par physiothérapieet anti-inflammatoires non stéroïdiens(AINS).

ANAMNÈSE ACTUELLE

Durant le mois de septembre Mada-me D. se plaint de céphalées occipitalesexacerbées à la mobilisation de la nu-que. Un traitement de physiothérapie etd’AINS est prescrit dans un contexted’arthrose cervicale connue. Fin septem-bre et début octobre, Madame D. noteune disparition des céphalées. La surve-nue d’un état de fatigue marqué, unedouleur de la mâchoire lors de la masti-cation, une baisse de l’acuité visuelle finoctobre et la récidive des céphalées as-sociées à une impression de tuméfactionde l’hémiface droite motivent une consul-tation en urgence.

ANTÉCÉDENTS PERSONNELS

En 1995, Madame D. a souffert d’uncarcinome du sein gauche traité par chi-rurgie, radiothérapie et hormonothérapiependant cinq ans. En 1996 et 1999, ellea été opérée d’une cataracte bilatérale.Sur le plan cardiovasculaire, la patienteest connue pour un foramen ovale per-méable et un anévrisme du septum inter-auriculaire. Un syndrome métabolique est

également diagnostiqué chez cette pa-tiente et la constellation hypertension ar-térielle, hypercholestérolémie et diabètenécessite différents traitements per os.

ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX

Aucun antécédent familial particuliern’est relevé.

STATUT ET BILAN INITIAL(tableau 1)

Madame D. est en bon état général,vigilante et orientée dans les trois dimen-sions. Un état fébrile à 38°C est relevé àson admission. Sur le plan cardiovascu-laire, un souffle systolique d’intensité 3/6maximum au foyer aortique, sans irradia-tion, est décrit. Le statut abdominal estsans particularité. Sur le plan neurologi-que, Madame D. présente un léger œdè-me périorbitaire droit, des réflexes hypo-vifs aux quatre extrémités et aucun signede méningisme.

Sur le plan paraclinique, une formulesanguine est effectuée (tableau 1). Un syn-drome inflammatoire marqué est constaté:CRP (=C-reactive protein à 231 mg/l),une anémie avec un taux d’hémoglobineà 104 g/l et une hématocrite à 31%. Uneleucocytose (13,6 G/l), une thrombocyto-se (444 G/l), et une vitesse de sédimen-tation (130 mm/h) élevée sont égalementrelevées.

En résumé, cette patiente âgée pré-sente donc des céphalées intenses as-sociées à une baisse de l’acuité visuelle

Coordination rédactionnelle :

Dr Pieter van DijkenPr Bernard Waeber

Unité de pédagogie médicale – UPMEcole de médecine

Faculté de biologie et de médecine de Lausanne

Rev Med Suisse 2007 ; 3 : 2366-8

AdresseSylvain EminianNicolas FragnièreAssociation des étudiants en médecinede Lausanne – AEMLCase postale 10CHUV, 1011 [email protected]

Cette rubrique reprend le travaild’étudiants de 4e année de la Fa-culté de biologie et de médecinede Lausanne. Ces derniers ont eul’occasion de présenter le maladeci-dessus à leurs collègues dans lecadre de l’apprentissage au raison-nement clinique.

Elémentaire Dr Watson... Valeurs normales

Bilan sanguinHb 104 g/l 117-157 g/lHt 31% 35-47%Leucocytes 13,6 G/l 4-10 G/lThrombocytes 444 G/l 150-350 G/lCRP 231 mg/l l 10 mg/lVS 130 mm/h l 20 mm/h

Tableau 1. Bilan initial

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et un syndrome inflammatoire marquéd’origine indéterminée.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Le diagnostic différentiel des cépha-lées comprend entre autres les céphaléestensionnelles, les migraines, les céphaléesvasculaires, les céphalées sur sinusitecompliquée, une névralgie du trijumeau(localisation plus au niveau des joues,mâchoires, lèvres), un processus expansifintracrânien (tumeur primaire ou secon-daire), une méningite et une hémorragiesous-arachnoïdienne.

Le syndrome inflammatoire est relati-vement aspécifique et peut être secondai-re à une infection, une endocardite (ceciest en accord avec un état fébrile et laprésence d’un souffle, si ce dernier étaitnouveau), une vasculite (maladies de sys-tèmes) ou un problème oncologique.

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

La piste infectieuse responsable dusyndrome inflammatoire a été raisonna-blement exclue sur la base d’une radiodu thorax sans particularité, l’absenced’infection urinaire ou de symptomatologieabdominale.

L’anamnèse de notre patiente révèleune claudication intermittente de la mâ-choire. Ce signe est presque pathogno-monique d’une vasculite appelée artéritegiganto-cellulaire de Horton. Le diagnos-tic de la maladie de Horton est générale-ment posé sur la base d’une biopsie del’artère temporale.

Cette biopsie (figure 1) a confirmé uneatteinte typique de la maladie de Horton,à savoir une réduction de la lumière vas-

culaire et une prolifération fibreuse sous-intimale, une interruption de la lame élas-tique interne, une atrophie de la média,une paroi vasculaire avec une réactioninflammatoire lymphohystiocytaire et descellules géantes plurinuclées.

DIAGNOSTIC RETENU

Madame D. présente une artérite tem-porale giganto-cellulaire de Horton.

À RETENIR

Sur le plan épidémiologique, la préva-lence de la maladie de Horton est ap-proximativement de 1% chez les per-sonnes âgées. On relève un pic de lamaladie entre 70 et 80 ans, touchant parailleurs entre deux et trois fois plus lesfemmes que les hommes. Les popula-tions scandinaves et nord-américainessont plus touchées par cette affectioninflammatoire dont l’étiologie reste enco-re passablement obscure. On évoque desfacteurs génétiques de susceptibilité à lamaladie liés au complexe HLA, et desfacteurs environnementaux (des étudesont montré une fluctuation dans l’inci-dence du Parvovirus B19 similaire à cellede la maladie de Horton).

Pour confirmer le diagnostic, l’Ameri-can college of rheumatology a établi cinqcritères :1. âge de plus de 50 ans ;2. des céphalées inhabituelles ;3. une palpation anormale, voire doulou-reuse de l’artère temporale ;4. une vitesse de sédimentation L50mm/h ;5. une biopsie montrant une vasculite àprédominance de cellules mononucléai-

res ou inflammation granulomateuse.La présence de trois des cinq critères

donne une sensibilité de 93,5% et unespécificité de 91,2% pour le diagnosticd’artérite temporale. Quant à la fréquen-ce des symptômes, une claudication dela mâchoire est présente chez 50% despatients et la survenue de céphalées in-habituelles chez 66%. On peut retrouverun état subfébrile, voire chez 15% despatients une fièvre comprise entre 39-40°C. La baisse de la vision permanenteou partielle dans un ou les deux yeux estun symptôme retrouvé chez près de 20%des patients (ce signe est souvent unemanifestation précoce de la maladie).

Au niveau des examens, la biopsie del’artère temporale reste l’examen de choix.Toutefois la maladie de Horton peut êtrefocale et segmentaire et une biopsie peutse révéler négative si le prélèvement estfait sur une zone de l’artère temporalenon touchée. En conclusion, il n’est pasnécessaire de faire une biopsie de l’artè-re temporale si tous les critères cliniquesconcordent avec le diagnostic de la ma-ladie de Horton car on pourrait éventuel-lement assurer un examen histopatholo-gique sur un fragment d’artère, poten-tiellement exempt d’inflammation (fauxnégatifs), et, considérant les critères dé-crits ci-dessus, il aurait de toute manièreimposé un traitement de manière urgente.

Sur le plan thérapeutique, des gluco-corticoïdes sont prescrits, telle la predni-sone, à haute dose les premiers jours (60mg de prednisone/j chez Madame D.,soit 1 mg/kg de poids corporel). Puis, ondiminue les doses progressivement demanière conjointe avec l’amélioration dessymptômes (sur une période d’environun an).

0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 octobre 2007 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 octobre 2007 2367

Figure 1. Biopsie de l’artère temporale

A. Histopathologie de la biopsie (HE ; agrandissement 40 X) de l’artère temporale de Madame D. qui dévoile une infiltration inflammatoire de toute l’épaisseur de laparoi du vaisseau. B. L’histologie dévoile une rupture de la lame élastique interne et une hyperplasie de l’intima. (Trichrome de Goldner+Elastine ; 100X). C. Rupturede la lame élastique interne et présence d’une cellule géante (HE ; 1000 X).Remerciements pour les images au Dr S. Uffer – Laboratoire d'histopathologie oculaire, Hôpital des aveugles Jules Gonin, Lausanne.

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Quant au pronostic, on sait que le tauxde mortalité n’est pas plus élevé chez lespatients non traités mais il y a des ris-ques beaucoup plus élevés de compli-cations à long terme telles que cécité,

atteinte cérébrale ischémique et/ou ané-vrisme aortique et risque de dissection.Pour cette raison, un suivi avec une radio-graphie du thorax doit être effectué cha-que année.

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Bibliographie

• Salvarani C, Cantini F, Boiardi L, Hunder GG. Poly-myalgia rheumatica and giant-cell arteritis. N Engl JMed 2002;347:261-71.• Smetana GW,Shmerling RH.Does this patient havetemporal arteritis ? JAMA 2002;287:92-101.

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