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L’ÉDUCATION TOUT AU LONG DE LA VIE défis du vingt et unième siècle L’ÉDUCATION EN DEVENIR ÉDITIONS UNESCO

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L’ÉDUCATIONTOUT AU LONGDE LA VIEdéfis du vingt et unième siècle

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ÉDITIONS UNESCO

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L’éducation tout au long de la vie — défis du vingt et unième siècle

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L’éducation tout au long de la vie — défis du vingt et unième siècle

L’éducation en devenir

É d i t i o n s U N E S C O

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Les désignations employées dans cette publication etla présentation du matériel adoptée ici ne sauraient être interprétéescomme exprimant une prise de position du secrétariat de l’UNESCOsur le statut légal d’un pays, d’un territoire, d’une ville ou d’une région,ou de leurs autorités, non plus que sur le tracé de ses frontières.Les idées et opinions exprimées sont celles des auteurs de ce rapport etne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Organisation.

Publié en 2002 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation,la science et la culture7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SPMise en pages : Gérard ProsperImpression : Imprimerie Pollina, F-85400 Luçon

ISBN 92-3-203812-9

© UNESCO 2002Imprimé en France

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Préface

La Commission internationale sur l'éducation pour le vingt et unièmesiècle, présidée par Jacques Delors, a présenté à l'UNESCO en avril1996 le fruit de ses travaux, poursuivis sur trois ans. Son rapport,L'éducation : un trésor est caché dedans, est centré sur le thème fonda-mental de l'apprentissage tout au long de la vie. Largement débattu ausein du monde enseignant et dans les milieux politiques, ce rapport, quia nourri dans différents pays les discussions sur la nature et l'avenir dela réforme de l'enseignement, a eu une influence déterminante sur leprogramme de l'UNESCO en matière d'éducation. À la demande duDirecteur général de l'Organisation, Jacques Delors a accepté deprésider une équipe spéciale chargée de veiller au suivi des réflexions etrecommandations formulées par la commission.

C'est dans ce cadre qu'une conférence sur l'éducation tout au long dela vie a été organisée à Lisbonne les 8 et 9 mars 1999 par l'UNESCO et laFondation Calouste Gulbenkian. Dans un monde où les structureséconomiques et sociétales sont en pleine mutation, apprendre tout aulong de la vie ne constitue plus un luxe mais bien une nécessité. Toutefois,comme il ressort des documents présentés lors de la conférence, les parti-cipants ont constaté que l'apprentissage tout au long de la vie demeuraitpour l'essentiel un vœu pieux et que la reconnaissance des acquis étaitencore presque exclusivement le monopole de l'éducation formelle. Leprésent ouvrage se veut donc une tentative pour éclairer certains desaspects qui doivent être pris en compte si l'on veut que l'éducation toutau long de la vie devienne une réalité pour tout un chacun, en particulierpour ceux qui sont traditionnellement les plus défavorisés.

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L'éducation tout au long de la vie – défis du vingt et unième siècleprésente en français les actes de la Conférence de Lisbonne et entendaider les pédagogues et les décideurs concernés à faire en sorte que despossibilités d'apprendre tout au long de la vie soient offertes dans lecadre de l'éducation tant formelle que non formelle.

L'UNESCO tient à exprimer sa gratitude à Jacques Delors pour lerôle crucial qu'il a joué dans le suivi du rapport L'éducation : un trésorest caché dedans et lors de la Conférence de Lisbonne. L’Organisationsouhaite également remercier la Fondation Calouste Gulbenkian et lesparticipants qui ont contribué à la présente publication : María TeresaAmbrósio, Roberto Carneiro, Felicity Everiss, María de Ibarrola,Abdul Waheed Khan, Toby Linden, Enver Motala, GeorgePapadopoulos et Francesc Pedró.

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Sommaire

Introduction Karen MacGregor 9

Première partie : Où en sommes-nous? Les étapes vers l’éducation tout au long de la vie 39

Chapitre 1 : Les politiques d’éducation permanente : panorama des tendances internationales 41

George PapadopoulosChapitre 2 : Les nouveaux défis de l’éducation 71

Roberto CarneiroChapitre 3 : L’éducation tout au long de la vie :

état des lieux, nouveaux enjeux 81Maria Teresa Ambrósio

Chapitre 4 : Les difficultés des pays en développement 93Toby Linden

Seconde partie :Dépasser les limites de l’éducation formelle ; réponses à la question de l’éducation permanente 101

Chapitre 5 : L’éducation tout au long de la vie : la perspective anglaise 103

Felicity EverissChapitre 6 : Des campus virtuels au campus planétaire :

une expérience espagnole 117Francesc Pedró

Chapitre 7 : L’éducation tout au long de la vie : une perspective latino-américaine 135

María de IbarrolaChapitre 8 : Sociétés en transition :

étude de cas sud-africaine 149Enver Motala

Chapitre 9 : Formation ouverte et enseignement à distance en Inde : les grands défis 157

Abdul Waheed Khan

Conclusion Jacques Delors 169

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IntroductionKaren MacGregor∗

À l’aube du nouveau millénaire, le consensus sur la nécessité d’uneéducation tout au long de la vie est général. Les gouvernements s’accor-dent à y voir la clé de la prospérité économique et du développementdes sociétés, dans un monde en évolution rapide et de progrès technolo-gique. Mais d’autres impératifs tout aussi importants alimentent le désirgénéral d’apprendre tout au long de la vie, que ce soit la nécessité d’éta-blir de meilleures relations entre les gens, les groupes et les nations, lebesoin d’un renforcement de l’équité et le souci d’un meilleur dévelop-pement personnel ou, pour tout dire, le vœu que forme tout un chacunde dégager « le trésor caché dedans », pour reprendre l’expression dontJacques Delors a fait le titre de son très original rapport.

Si l’idée d’éducation tout au long de la vie a été généralementacceptée, les stratégies pour mettre en œuvre cet engagement philoso-phique n’ont, dans la plupart des pays, été appliquées que de façon frag-mentaire. C’est aussi un concept large et évolutif qui peut désigner desréalités différentes selon les groupes et les cultures, et il n’y a donc guèrede consensus sur la meilleure façon d’avancer sur ce chemin. Dans denombreux pays en développement qui se heurtent encore à des obsta-cles énormes pour apporter une éducation primaire ou secondaireuniverselle, les ressources nécessaires pour mettre en place des mesuresd’éducation tout au long de la vie sont limitées voire inexistantes.

Introduction • 9

* Karen MacGregor est une journaliste sud-africaine, correspondante étrangère

pour des journaux internationaux, spécialiste en matière d’éducation et de poli-

tique.

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Une des entreprises les plus difficiles du XXIe siècle sera d’appré-hender l’esprit et la rhétorique de cette éducation tout au long de la vieet la notion de « société éducative » pour les traduire en politiques et enpratiques réalisables et efficaces. Ainsi, il sera peut-être alors possible dedégager de nouvelles possibilités d’apprentissage de nature à propulserle développement humain sur le plan mondial et, en fin de compte, àrapprocher le monde des idéaux des droits de l’homme, de paix, deliberté et de justice sociale.

C’est en ayant ces objectifs à l’esprit que le présent rapport a étéconçu et écrit, en même temps que pour reprendre le travail de fonddéjà accompli dans le domaine de l’éducation tout au long de la vie parl’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et laculture (UNESCO) et par sa Commission internationale sur l’éduca-tion pour le vingt et unième siècle.

En mars 1999, une équipe internationale de spécialistes de l’éduca-tion s’est réunie à Lisbonne pour examiner les problèmes de l’éducationtout au long de la vie et, surtout, les moyens d’avancer dans ce sens. Laréunion était l’hôte à la fois de la Fondation Calouste Gulbenkian deLisbonne, du Conseil national portugais de l’éducation et del’UNESCO. Le présent rapport s’appuie sur les documents et interven-tions présentés à la Conférence de Lisbonne ainsi que sur la table rondequi l’a conclue.

Le rapport DelorsEn 1993, la Conférence générale de l’UNESCO a proposé de créer uneCommission internationale sur l’éducation pour le vingt etunième siècle, chargée de réfléchir à l’avenir de l’éducation. JacquesDelors, ancien président de la Commission européenne, a été invité àprésider un groupe de 14 spécialistes éminents du monde entier repré-sentant diverses cultures et professions1. Financé et soutenu parl’UNESCO, ce groupe a travaillé en toute indépendance.

10 • Karen MacGregor

1. Les membres de la Commission étaient les suivants : Jacques Delors (France,

président) ; In’am Al Mufti (Jordanie) ; Isao Amagi (Japon) ; Roberto Carneiro

(Portugal) ; Fay Chung (Zimbabwe) ; Bronislaw Geremek (Pologne) ; William

Gorham (États-Unis d’Amérique) ; Aleksandra Kornhauser (Slovénie) ; Michael

Manley (Jamaïque) ; Marisela Padrón Quero (Venezuela) ; Marie-Angélique

Savané (Sénégal) ; Karan Singh (Inde) ; Rodolfo Stavenhagen (Mexique) ; Myong

Won Suhr (République de Corée) ; Zhou Nanzhao (Chine).

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S’appuyant sur les ressources, l’expérience internationale et lesétudes antérieures de l’UNESCO, le groupe a consacré trois années àdégager des pistes de recherche et des thèmes, à étudier la littérature et àconsulter des experts appartenant à diverses professions, organisationset États. Son rapport L’éducation : un trésor est caché dedans (1996) aprofondément marqué les débats relatifs à l’action d’apprendre qui onteu lieu dans le monde entier, a fait l’objet d’un grand nombre deréunions et a été publié dans de nombreuses langues.

Selon la Commission, l’éducation et la capacité d’apprendre tout aulong de la vie ne sont pas seulement une affaire d’amélioration desconnaissances et des compétences, c’est le cœur même du développe-ment personnel et social. Face aux défis de l’avenir, l’éducation pourraitégalement être un moyen privilégié pour établir des relations entre lespersonnes, les groupes et les nations et pour réaliser les idéaux quiforment la base de l’UNESCO, à savoir les droits de l’homme, la paix,la liberté et la justice sociale. Comme l’écrit Jacques Delors, il s’agit deconsidérer l’éducation « non pas comme un “remède miracle”, non pascomme le “sésame ouvre-toi” d’un monde parvenu à la réalisation detous ces idéaux, mais comme une voie, parmi d’autres, certes, mais plusque d’autres, au service d’un développement humain plus harmonieux,plus authentique, afin de faire reculer la pauvreté, l’exclusion, lesincompréhensions, les oppressions, les guerres… 2 ».

S’appuyant sur les quatre piliers qui, selon lui, constituent les fonde-ments de l’éducation, le rapport a offert un cadre montrant comment lessociétés peuvent aller dans le sens de l’éducation tout au long de la vie— qui était un des centres de préoccupation de la Commission — versune « utopie nécessaire » où les talents de tous (le trésor caché enchacun d’entre eux) trouvent à s’appliquer. Ces quatre piliers sont :• apprendre à connaître : en combinant une culture générale étendue

avec la possibilité d’approfondir certaines matières, offrir un« passeport » pour l’éducation tout au long de la vie en jetant lesbases de l’éducation et en donnant aux gens le goût d’apprendre toutau long de leur vie ;

• apprendre à faire : apprendre un métier et acquérir une compé-tence qui rende apte à faire face à diverses situations et à travailleren équipe. Parfois, le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’amener

Introduction • 11

2. Delors, J. et al., 1996, « L’éducation ou l’utopie nécessaire ». Introduction à

L’éducation : un trésor est caché dedans. Paris, Éditions UNESCO.

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les élèves et les étudiants à faire diverses expériences sociales ou detravail ;

• apprendre à être : c’est le thème du rapport d’Edgar Faure,Apprendre à être (1972) 3, qui appelait à associer une capacitétoujours renforcée d’autonomie et de jugement avec un fort senti-ment de responsabilité personnelle pour atteindre des objectifscommuns. La Commission a insisté sur un impératif nouveau : nenégliger aucune des potentialités de chaque individu ;

• apprendre à vivre ensemble : en développant la compréhension d’au-trui et de son histoire, de ses traditions et valeurs spirituelles, l’ob-jectif étant d’encourager les gens à réaliser des projets à plusieurs età gérer les conflits de façon intelligente et pacifique. C’est là, selonJacques Delors, une utopie vitale pour sortir du cycle dangereuxactuellement nourri par le cynisme ou la résignation.

Les idées de la Commission allaient donc bien au-delà de la simpleréforme de l’éducation. Tout en réaffirmant la nécessité impératived’une éducation de base, elle a également insisté sur le rôle fondamentalde l’enseignement secondaire dans les processus d’apprentissage desjeunes et dans le développement social. Le rôle central des enseignantset la nécessité d’améliorer leur formation, leur statut et leurs conditionsde travail ont été soulignés, de même que l’utilisation de la technologiedans l’éducation par une formation adéquate en vue d’une utilisationultérieure au travail et dans la vie quotidienne. Les établissements supé-rieurs ne doivent pas être seulement des centres de savoir et de forma-tion professionnels mais aussi des carrefours pour l’éducation tout aulong de la vie et la coopération internationale.

L’attention prioritaire que le rapport L’éducation : un trésor est cachédedans accorde à l’éducation tout au long de la vie n’a pas impliqué unediminution de la réflexion sur les différents niveaux de l’éducation ; aucontraire, le rapport a appelé à aborder sous un angle nouveau leprocessus didactique, en se fondant sur des systèmes éducatifs plussouples où les possibilités et les valeurs des gens soient mieux prises encompte. L’éducation tout au long de la vie et la création d’une « sociétééducative » ont été considérées comme allant beaucoup plus loin qu’unsimple renforcement des possibilités d’éducation des adultes, contraire-ment à l’interprétation qui en est parfois donnée.

12 • Karen MacGregor

3. Faure, E. et al., 1972, Apprendre à être : le monde de l’éducation aujourd’hui etdemain. Paris, UNESCO/Fayard.

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La Commission a noté qu’en dépit du développement scientifique etéconomique remarquable vécu par de nombreux pays au XXe siècle, leprogrès s’était souvent accompagné de désillusion, comme le montrentl’aggravation des inégalités à l’intérieur des pays et entre les pays, lesmenaces de plus en plus lourdes qui pèsent sur l’environnement, lapoursuite des conflits dans le monde et l’apathie que l’on note face à ladémocratie dans de nombreux pays riches.

Elle a aussi attiré l’attention sur les grandes tensions qui sont aucentre des problèmes du XXIe siècle : entre le global et le local, l’universelet le singulier, la tradition et la modernité, le long terme et le courtterme, la contrainte de la compétition et le souci d’égalité des chances, ledéveloppement des connaissances et les capacités d’assimilation, ainsiqu’entre le spirituel et le matériel.

L’éducation doit affronter ces problèmes « car elle se situe, plus quejamais, dans la perspective de l’accouchement douloureux d’une sociétémondiale4 », étant au cœur du développement de la personne commedes communautés et ayant une contribution essentielle à apporter à larecherche d’un monde meilleur. La Commission a estimé que l’éduca-tion tout au long de la vie, avec ses atouts de flexibilité, de diversité etd’accessibilité dans le temps et dans l’espace était de nature à accroîtresensiblement les possibilités de développement humain : « C’est l’idéed’éducation permanente qui doit être à la fois repensée et élargie. Car,au-delà des nécessaires adaptations liées aux mutations de la vie profes-sionnelle, elle doit être une construction continue de la personnehumaine, de son savoir et de ses aptitudes, mais aussi de sa faculté dejugement et d’action. Elle doit lui permettre de prendre conscienced’elle-même et de son environnement et l’inviter à jouer son rôle socialdans le travail et dans la cité5. »

Le concept d’éducation tout au long de la vie apparaît donc, selon laCommission, comme l’une des clés d’entrée dans le XXIe siècle. Il dépassela distinction traditionnelle entre éducation première et éducationpermanente et répond au défi d’un monde en changement rapide. Cetteconstatation n’est pas nouvelle, mais l’importance de l’éducation commeoutil pour faire face à la nouveauté dans la vie privée comme dans la vieprofessionnelle s’est renforcée et elle ne peut être satisfaite sans quechacun ait appris à apprendre. La modification des cadres traditionnels

Introduction • 13

4. Delors, op. cit., p. 14.

5. Ibid., p. 16.

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de vie oblige aussi à mieux comprendre l’autre et le monde, ce pour quoila Commission a insisté sur l’idée d’apprendre à vivre ensemble.

La Commission a estimé que ces réflexions n’enlevaient rien à ce quiavait été si bien défini, lors de la Conférence de Jomtien (Thaïlande) de1990 sur l’éducation de base et les besoins éducatifs fondamentaux, àsavoir : les contenus éducatifs essentiels dont l’être humain a besoinpour survivre, pour développer ses facultés, pour vivre et travailler dansla dignité, pour participer pleinement au développement, pouraméliorer la qualité de son existence, pour prendre des décisions éclai-rées et pour continuer à apprendre6. Mais l’enseignement traditionneldoit se combiner avec des approches extérieures à l’école qui permettentà l’enfant d’accéder aux trois dimensions de l’éducation : éthique etculturelle, scientifique et technologique, économique et sociale, defaçon qu’il puisse se découvrir, enrichir ses rapports avec les autres etacquérir les bases de la connaissance et du savoir-faire.

La Commission s’est déclarée convaincue que la diversification desparcours offerts permettrait de valoriser tous les talents, de limiter leséchecs scolaires et d’éviter, chez beaucoup d’adolescents, le sentimentd’être exclus du savoir et de la société. L’éducation traditionnelle devraitêtre associée aux voies qui prévoient une alternance entre l’école et lavie professionnelle, avec des passerelles entre l’une et l’autre, de manièreque puissent être corrigées les erreurs d’orientation. La perspective depouvoir reprendre des études assurerait également à chaque adolescentque son sort n’est pas définitivement scellé à vingt ans. L’enseignementsupérieur devrait s’efforcer de ne pas exclure les jeunes et de diversifierce qu’il propose : « Tout simplement, l’éducation tout au long de la viepermet d’ordonner les différentes séquences, d’aménager les transi-tions, de diversifier les parcours, tout en les valorisant. Ainsi échappe-rait-on à ce funeste dilemme : ou bien sélectionner, mais en multipliantles échecs scolaires et les risques d’exclusion ; ou bien égaliser, mais auxdépens de la promotion des talents7. »

Le rapport L’éducation : un trésor est caché dedans a souligné lanécessité d’une approche axée sur la longue durée, pour réussir lesréformes qui s’imposent, et de changements progressifs et réalistes

14 • Karen MacGregor

6. Conférence mondiale sur l’éducation pour tous, 5-9 mars 1990, Jomtien,

Thaïlande. Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous, New York.

Commission interagences pour CMEPT, article 1, paragraphe 1.

7. Delors, op. cit., p. 20.

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associant les principaux partenaires, communautés locales, autoritéspubliques et communauté internationale. Faute de quoi, la réformeéducative ne saurait aboutir. Les tentatives pour imposer les réformeséducatives d’en haut, ou de l’extérieur, sont condamnées à l’échec. Laconsultation est essentielle, et la Commission a souligné l’intérêt d’unesage décentralisation permettant d’accroître la responsabilité et la parti-cipation des autorités locales à l’éducation et la capacité d’innovation.

Étant donné qu’aucune réforme ne peut réussir sans le concours desenseignants, la Commission a recommandé que l’on rehausse d’urgencele statut des éducateurs, que l’on modifie le contenu de la formation desenseignants et que ces derniers puissent accéder à la formationcontinue. Elle a également demandé que le système éducatif disposed’enseignants bien formés et des ressources nécessaires à un enseigne-ment de qualité, et que les enseignants soient amenés à travailler enéquipe de manière à contribuer à la flexibilité des cursus et à faciliterl’orientation des études dans la perspective d’une éducation dispenséetout au long de la vie.

Selon la Commission, l’amélioration du système éducatif requiertdu politique qu’il assume toute sa responsabilité et qu’il ne laisse pasaux forces du marché ou à une sorte d’autorégulation le soin de corrigerles défauts quand les choses vont mal. Il incombe aux autoritéspubliques de poser clairement les options, de procéder à une largeconcertation, de faire les choix d’une politique publique qui trace lesdirections et assure la régulation du système éducatif au prix des adap-tations nécessaires. L’éducation est un bien collectif : ce principe étantadmis, on peut combiner argent public et argent privé selon différentesformules qui tiennent compte des traditions de chaque pays, de sonstade de développement, des modes de vie et de la répartition desrevenus, le principe de l’égalité des chances devant être à la base de tousles choix.

Les organisations internationales, auxquelles on recourt de plus enplus pour tenter de trouver des solutions à des problèmes de dimensionmondiale, mais qui n’obtiennent que des résultats largement insuffisants,doivent se réformer pour accroître l’efficacité de leurs interventions.Entre autres choses, la Commission a proposé d’affecter au financementde l’éducation au moins un quart de l’aide au développement, derenforcer « l’échange dette contre éducation » de manière à compenserles effets négatifs des politiques d’ajustement, de répandre les technolo-gies de l’information dans tous les pays pour éviter que ne se creuse le

Introduction • 15

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fossé entre pays riches et pays pauvres, et de travailler avec les organisa-tions non gouvernementales locales pour appuyer la coopération inter-nationale, ces actions s’inscrivant dans une perspective de partenariat, etnon pas d’assistance, entre pays développés et pays en développement.

L’éducation tout au long de la vie — Perspectives nouvellesLe rapport L’éducation : un trésor est caché dedans a marqué le point dedépart de la Conférence de Lisbonne, qui a procédé ensuite à l’étudeplus fouillée de l’éducation tout au long de la vie et s’est penchée sur desproblèmes théoriques et éducatifs, sur le développement du concept etsur les progrès accomplis ainsi que sur les nouvelles méthodes d’ensei-gnement, sur le rôle des technologies nouvelles et l’expérience des pays.Les interventions ont été regroupées en trois thèmes : les étapes versl’éducation tout au long de la vie, l’enseignement au-delà de l’éducationformelle et les réponses apportées par les pays à la nécessité de ce typed’éducation. Le présent ouvrage reprend ces trois sections, avec uneconclusion de Jacques Delors.

Les étapes vers l’éducation tout au long de la vieAu premier chapitre, George Papadopoulos, ancien directeur adjoint(éducation) de l’OCDE, procède à un tour d’horizon des tendancesinternationales en matière de politique d’éducation tout au long de lavie. Il fait ressortir les traits nouveaux des approches actuelles, présenteles activités des principales organisations internationales qui œuvrentdans ce domaine et fournit des exemples de pratiques nationales. Selonlui, quatre grands défis doivent être relevés si l’on veut que la rhétoriquede l’éducation tout au long de la vie devienne réalité.

Premièrement, il faut que le développement d’une culture d’éduca-tion permanente obéisse à des motivations autres qu’économiques. Lespolitiques qui visent à renforcer la participation de tous les groupesdoivent rendre l’éducation tout au long de la vie attrayante pour l’indi-vidu et en faire une satisfaction en soi. Il faut pour cela changer du toutau tout la philosophie à la base de l’éducation, transformer le processusd’apprentissage et d’enseignement dans les établissements et éliminerl’échec scolaire. Faute d’un progrès dans ce domaine, ceux qui sontprivés d’une première éducation resteront incapables de profiter despossibilités d’éducation continue.

Deuxièmement, il faut combler l’écart qui persiste entre l’éducationtraditionnelle et l’enseignement et la formation professionnels, phéno-

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mène propre à des sociétés qui attachent davantage de valeur au savoirthéorique qu’au savoir pratique. Troisièmement, les employeursdoivent être davantage associés à l’éducation tout au long de la vie, etapporter une contribution plus importante de façon à tirer parti, sur leplan collectif, des avantages d’une société éducative.

Enfin, il y a la question du caractère économiquement abordable despolitiques de formation permanente, en particulier si l’on prend ausérieux la lutte contre l’exclusion sociale. Il faut trouver des ressourcesnouvelles, mais on n’en trouvera pas suffisamment en se bornant àtransférer des crédits d’autres secteurs de l’éducation ou à appliquer desmesures d’utilisation optimale des ressources et de réduction des coûtsdans la mise en œuvre des politiques d’éducation tout au long de la vie.Ce qu’il faut, si l’on veut que l’éducation tout au long de la vie devienneune réalité, c’est compléter les financements publics par des contribu-tions plus élevées des particuliers et des employeurs. « Dans cescirconstances, la mise en œuvre des politiques d’apprentissage perma-nent ne peut être que progressive et ce principe est déjà appliqué dansun certain nombre de pays. Il s’agit de planifier et de mettre en œuvreune stratégie graduelle dans un cadre convenu pour la réalisation àlongue échéance de l’apprentissage permanent. »

Roberto Carneiro (Portugal), rédacteur en chef de la Revue del’éducation et de la société, esquisse, au chapitre 2, un panorama desnouveaux horizons de l’éducation et évoque les trois orientations quiont marqué le développement de l’éducation au cours du siècle : l’inte-raction entre la mondialisation et la recherche des racines ; la quête decohésion sociale, d’insertion et de démocratie ; le passage du concept decroissance économique inéquitable à celui de développement humaindurable. Elles exigent que soit profondément modifié le mode de fixa-tion des priorités éducatives.

Le concept de sociétés fondées sur le savoir est annoncé commenouveau modèle dominant, le savoir agissant comme moteur du déve-loppement et les nouvelles théories de la croissance étant inspirées parla contribution du savoir à l’innovation technique. Comme on ne s’enétonnera pas, ce fait nouveau a propulsé l’éducation au cœur de laréflexion stratégique et en a fait une sorte d’idéologie postmoderne etde programme consensuel pour l’avenir. Ainsi ont été jetées les basesd’un nouveau contrat social selon lequel l’éducation n’est pas seulementun droit mais aussi un devoir moral, en même temps qu’une partie inté-grante de la citoyenneté et de l’activité sociale.

Introduction • 17

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Le savoir se développe rapidement, en une mutation constante ;cette évolution est surtout marquée par le passage d’un savoir objectif àun savoir subjectif, conçu comme construction personnelle et en mêmetemps intensément social. Les stratégies d’éducation tout au long de lavie doivent être adaptées aux nouvelles structures du savoir et passerd’un savoir objectif à un savoir constructif, d’une société industrielle àune société éducative, de l’instruction à l’apprentissage personnel, de lacommunication à l’acquisition du savoir, et de la scolarité aux modesd’apprentissage non formels.

Sur le plan conceptuel, on est passé de l’idée d’école traditionnelle,en tant que mode dominant de transmission, à des modes multiples oùl’apprentissage peut se faire en un même lieu ou en différents lieux, enmême temps ou à des moments différents, et ce conformément auximpératifs d’une société fondée sur le savoir. Pour que cette philosophiedonne un maximum de fruits, il faut que le pilier « apprendre à savoir »passe d’un canon du savoir « rationnel » strictement occidental et inca-pable d’interpréter pleinement un monde complexe et incertain à uncanon global ouvert aux meilleures contributions épistémiques detoutes les cultures et aux avantages de la diversité.

Au chapitre 3, Maria Teresa Ambrósio, présidente du Conseilnational de l’éducation du Portugal, expose les enjeux de l’éducationcontinue, qui, selon elle, constitue une nouvelle conception de l’artd’apprendre, une voie plus large empruntée par des personnes de tousâges dans les divers sites et situations propres à l’éducation et à laformation, et un processus d’édification de l’individualité et d’acquisi-tion permanente de savoirs en référence aux piliers sociaux, culturels etéconomiques qui sous-tendent la vie des adultes.

Apprendre à apprendre présente une difficulté spécifique dans lasociété de l’information contemporaine puisqu’il s’agit de savoir« comment chercher l’information, l’analyser, l’utiliser et la transformerquotidiennement en savoir », même si cela ne saurait être séparé desdimensions sociales, culturelles et éthiques de l’apprentissage. Lepassage du concept d’apprentissage scolaire à celui d’éducationcontinue, qui constitue la réponse de l’individu à la société, est extrême-ment important et est contemporain de l’apparition d’un nouveau typed’élève, « un individu social qui apprend », plongé dans une sociétédynamique qui se forme elle-même.

L’évolution profonde et les difficultés de l’éducation tout au long dela vie nous obligent à repenser l’éducation telle que nous la connaissons

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et à inventer des processus, des politiques et des systèmes nouveaux carles systèmes actuels ne répondent pas aux exigences de l’éducationpermanente. Pour atteindre les objectifs dans ce domaine, il faut desactivités multiples dans les secteurs éducatifs formel et non formel, ilfaut revoir le contrat socio-éducatif sur lequel reposent les systèmesactuels, susciter la participation active des acteurs publics et non publicset apporter de nombreux changements sur le « front de la craie ».

Au chapitre 4, Toby Linden, coordonnateur de la gestion du savoir àla Banque mondiale, note que les pays en développement ont accomplide grands progrès dans le domaine de l’éducation au cours des trentedernières années. Mais ils connaissent encore des problèmes graves surquatre fronts : insuffisance de l’accès à l’éducation ; inégalité de l’accès ;problèmes de qualité, qui entraînent des gaspillages de ressources ettiennent certains à l’écart de l’éducation ; faiblesse de la capacité institu-tionnelle. Ces problèmes handicapent les pays en développement dansleur cheminement vers une société éducative, et la croissance démogra-phique aggravera encore la pression sur des systèmes déjà surchargés etmal dotés.

Néanmoins, l’éducation tout au long de la vie constitue un objectifpertinent pour les pays en développement car les travailleurs sont plusefficaces s’ils appliquent un savoir. De plus, tous les pays ont besoind’une main-d’œuvre flexible et, quoi qu’il en soit, de nombreux pays endéveloppement ont des systèmes éducatifs modernes. Dans tous lespays, les personnes peu éduquées ont de moins en moins de perspec-tives. Les changements mondiaux obligent les pays les moins avancés àréformer leur système éducatif et il convient d’y procéder dans le cadred’une politique d’éducation continue qui contribuerait aussi àaméliorer l’accès à l’éducation et sa qualité.

On constate que les pays continuent partout d’utiliser desméthodes d’enseignement traditionnelles. D’où un certain espoir pourles pays en développement, qui, au moins dans ce domaine, sont aumême stade que de nombreux pays riches. En fait, on trouve dans despays en développement certaines des innovations nécessaires pourfaire de l’éducation tout au long de la vie une réalité. Nombre d’entreeux obtiennent en effet des ressources par le biais de systèmes d’ensei-gnement privé ; certains ont d’ores et déjà testé des systèmes incitatifsnovateurs, des chèques-études aux réductions d’impôt. Nombred’entre eux ont aussi une grande expérience de l’utilisation de la tech-nologie pour encourager les « apprenants » et atteindre des popula-

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tions qui, autrement, seraient exclues. Les pays en développement ontaussi un passé d’apprentissage communautaire.

L’éducation tout au long de la vie : une nécessité dans un monde en mutation

Au chapitre 5, Felicity Everiss, qui a travaillé au Département de l’édu-cation et de l’emploi en Grande-Bretagne, se penche sur l’expérienceacquise par l’Angleterre, pays qui s’est engagé davantage que bien d’au-tres sur la voie de l’éducation permanente.

Diverses politiques nouvelles ont été adoptées pour encouragerl’apprentissage « du berceau à la tombe », à commencer par une amélio-ration des services apportés à la petite enfance et un soutien à l’éduca-tion des parents. Il existe aussi des politiques d’amélioration de laqualité des établissements scolaires, d’intervention de l’État dans lesétablissements à problèmes et les « zones d’action éducative », quiconsistent à introduire des méthodes nouvelles là où les résultats sontinsuffisants, à instituer des partenariats entre le secteur public et lesecteur privé, et à insister fortement sur l’excellence pédagogique.

Il y a en outre des politiques qui visent à élargir la participation àl’enseignement postobligatoire, à ouvrir davantage de possibilités àdavantage de groupes ; des programmes sont créés à l’intention desjeunes qui ne sont pas dans le système supérieur formel : apprentissage,congé pour études, allocations d’études, orientation professionnelle et« New Deal » pour les jeunes sans emploi. Les entreprises sont encou-ragées à investir dans leur personnel par l’éducation tout au long de lavie, et l’on procède à la mise en place d’un système de normes nationalespour assurer la qualité et la reconnaissance de l’apprentissage effectuésur le lieu de travail.

Les établissements d’enseignement postobligatoire et supérieurtravaillent à améliorer l’accès, en particulier au profit des groupes nontraditionnels. Une « université pour l’industrie » doit voir le jour, quimettra les « apprenants » en relation avec les possibilités qui s’offrent,encouragera l’éducation tout au long de la vie et fera en sorte que lesétablissements répondent aux besoins de la population. Il existe unservice d’assistance téléphonique qui donne des informations sur lespossibilités offertes, des « centres locaux d’apprentissage » sont en voiede constitution et des matériels nouveaux sont produits pour multiplierles possibilités et mettre les techniques de l’information au service del’apprentissage. Enfin, on est en train de constituer des « comptes d’ap-

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prentissage » (learning accounts), qui proposent des financements pourles études, encouragent à apprendre et viennent en aide aux personnesqui étudient tout en travaillant.

Mais la mise en œuvre de stratégies d’éducation tout au long de lavie se heurte à de nombreux obstacles. Il faut changer les attitudes rela-tives à l’investissement dans l’apprentissage et trouver un bon équilibredes financements entre l’enseignement formel, l’enseignement informelet l’apprentissage sur le lieu de travail. Pour justifier les investissements,il faut, même si c’est souvent difficile, en prouver la rentabilité. Desétablissements que l’on a encouragés à entrer en concurrence ont désor-mais besoin de partager des ressources et de coopérer. Enfin, des débatsont lieu en Angleterre sur la gestion nationale de l’éducation et sur ledéveloppement de plus en plus marqué d’activités partant de la base enréponse aux besoins des populations et collectivités locales.

Enseigner dans une perspective nouvelleAu chapitre 6, Francesc Pedró, professeur à l’Université Pompeu Fabra(Espagne), note que les universités ont un rôle essentiel à jouer dansl’essor d’une société éducative mais qu’elles n’ont pas encore pleinementtiré parti des possibilités qu’offrent les nouvelles technologies pourchanger les modalités d’apprentissage et d’enseignement. Même quandleurs étudiants utilisent largement l’Internet, les universités continuentd’appliquer le modèle traditionnel, auquel la technologie se rajoute defaçon plus ou moins efficace. Si l’enseignement supérieur doit former desprofessionnels pleinement capables de tenir leur place dans une sociétééducative, il doit faire entrer les technologies de l’information dans toutesles disciplines et tous les contextes pour en faire un instrument d’appren-tissage de plein droit et changer ses pratiques didactiques en conséquence.

Le renouvellement de l’éducation exigera des universités qu’ellesoffrent dans tous les domaines une formation qui jette les bases d’uneéducation tout au long de la vie en même temps qu’elles devrontpréparer les étudiants à des professions de haut niveau, revoir leurscontenus et méthodes, associer les notions théoriques à l’orientationvers la solution de problèmes et l’élaboration de projets, inculquer descompétences en matière de communication, de coopération et de traite-ment de l’information, mettre l’accent non plus sur les professeurs maissur les étudiants et accepter une grande variété d’étudiants. Toutes cesmesures exigent une formation professionnelle des enseignants, unfinancement adéquat et une réforme institutionnelle.

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Le recours aux technologies nouvelles permettra d’innover. On entrouve un bon exemple dans les campus virtuels qui sont nés un peupartout dans le monde et que l’on peut définir comme des réseaux d’ap-prentissage qui utilisent les technologies numériques comme moyen decontact. L’un de leurs grands avantages, c’est que, via l’Internet, lesétudiants peuvent accéder à des matériels didactiques à tout moment eten tout lieu, se servir de systèmes de gestion et de paiement électro-niques et communiquer facilement avec les enseignants et leurs cama-rades d’études, bref, avoir un accès permanent à l’éducation selon desmodalités inconnues auparavant.

Les technologies nouvelles permettent aussi de s’interroger denouveau sur ce qu’est un enseignement de grande qualité. Elles ouvrentl’accès à un volume considérable d’informations, au multimédia et à lacommunication instantanée, et offrent donc la possibilité de repenser cequi se passe dans la salle de cours. Dispensés d’enseigner de vive voix,les assistants pourront à l’avenir se concentrer davantage sur le travailde chaque étudiant et, par exemple, élaborer des matériels didactiquesde qualité. Les problèmes qui se posent sont aussi bien la nécessitéd’une infrastructure et de personnes techniquement compétentes quel’acceptation de ce système par les enseignants. Mais en associant lesavantages du campus traditionnel et du campus virtuel, les universitéspeuvent être à même d’améliorer l’accès à l’enseignement supérieurdans le monde entier ainsi que sa qualité, et donc contribuer à la créa-tion d’une société éducative.

Au chapitre 7, María de Ibarrola, de l’Instituto Politécnico Nacionaldu Mexique, fait valoir que l’évolution rapide qui a marqué les dernièresdécennies — mondialisation, progrès technique, transformations poli-tiques et culturelles — exige des niveaux toujours plus élevés de connais-sance, d’instruction, de compétence et de pratique. Pour que cessavoir-faire puissent être fournis, une éducation de base solide est déter-minante, alors qu’en dépit de réformes profondes de l’éducation, laplupart des pays d’Amérique latine connaissent encore des taux d’anal-phabétisme élevés, des niveaux d’instruction faibles et des systèmesscolaires inégaux et insuffisants pour d’importants groupes de la popula-tion. L’éducation des adultes y est surtout tournée vers l’alphabétisationet la scolarisation primaire, il est difficile de trouver des possibilités d’ap-prentissage attrayantes et la formation sur le lieu de travail est chose rare.

Dès le départ, les possibilités sont très différentes et inégales pourd’importants secteurs de la population ; or c’est cette base qui détermine

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leur possibilité de tirer parti de l’éducation tout au long de la vie. Desmillions de jeunes sont en fait exclus de l’éducation et du travail enAmérique latine ; l’enseignement secondaire a été négligé, les principauxbénéficiaires de l’éducation permanente tendent en général à être lespersonnes déjà bien éduquées, et les pays se sont montrés largementincapables d’exploiter les nouvelles technologies.

Malgré cela, la plupart des pays d’Amérique latine ont depuis desdécennies des politiques d’éducation tout au long de la vie, notammentillustrées par des cours de recyclage professionnel dans les universités.Ce qui est nouveau, c’est que l’on s’aperçoit de la nécessité d’améliorersans cesse les compétences et d’offrir une éducation continue pour tous,idéal qui doit prendre appui sur l’éducation de base. Il faut que les paysutilisent leurs ressources pour ouvrir de nouvelles possibilités d’éduca-tion de base ainsi que pour mettre en place une éducation tout au long dela vie accessible et souple qui réponde à la multiplicité des besoins, tiennecompte des différents types d’éducation et consolide les institutions.

L’éducation tout au long de la vie relève des pouvoirs publics et nepeut être abandonnée aux mécanismes du marché qui privilégient tantôtla demande tantôt l’offre de possibilités d’éducation. Ce qui se dégagecependant, c’est une combinaison intéressante d’interaction entre lesecteur public et le secteur privé, avec de nouveaux acteurs sociaux et denouvelles façons de mettre en œuvre des politiques et programmes quiassocient des entités publiques et privées. Au niveau mondial, la coopé-ration internationale doit prendre pleinement en compte le fait que lespolitiques d’éducation permanente dans les pays où les besoins d’édu-cation de base sont satisfaits depuis longtemps ne sauraient être expor-tées sans dommage vers les pays où l’éducation de base pour tous resteun rêve lointain.

Enver Motala, consultant sud-africain, spécialiste de l’éducation,montre, au chapitre 8, que la plupart des expériences d’éducation tout aulong de la vie se sont déroulées dans des sociétés stables. Mais les pays entransition connaissent des problèmes très différents, notamment desdifficultés particulières de développement, un manque de ressources quiempêche de répondre aux attentes élevées de la population, et l’ébranle-ment auquel la mondialisation soumet l’État-nation, lequel est, dans lespays pauvres, le seul mécanisme qui puisse protéger la souveraineté,combler les déficits, voire encourager le développement.

Depuis qu’il s’est engagé en 1994 en faveur de la démocratie, lenouveau gouvernement sud-africain a adopté tout un arsenal d’excel-

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lentes politiques pour régler des problèmes fondamentaux commel’équité, la réparation des torts, la qualité et la pertinence dans tous lesdomaines. Les documents d’orientation font état de la nécessité desystèmes d’éducation souples. Il existe des stratégies d’encouragementà l’éducation tout au long de la vie, et des établissements ont été crééspour les mettre en œuvre. Mais la réalisation de la réforme est unetâche colossale. L’Afrique du Sud demeure l’une des sociétés les plusinégalitaires du monde, et son système scolaire dispose de créditsinsuffisants, il est déchiré par les conflits et manque des infrastructureset des ressources essentielles.

D’autres problèmes plus généraux se posent aussi. Le déterminismeéconomique a envahi le langage de l’éducation, laquelle est constam-ment critiquée et jugée à l’aune de mesures étroites qui ne font guèrehonneur aux impératifs sociologiques et humanistes qui inspirent laréforme de la politique éducative. Les dépenses d’éducation sont enfonction directe des objectifs fiscaux, ce qui signifie qu’il ne reste pasbeaucoup de fonds, après avoir payé le personnel, pour les bâtiments etles manuels, sans parler des technologies nouvelles.

Les pressions extérieures sur les politiques macro-économiques etfiscales ne laissent pas à l’État une grande latitude pour s’acquitter deses responsabilités ou intervenir en cas de défaillances du marché. Lesorganismes internationaux soucieux de démocratie et de justice sociale,comme l’UNESCO, pourraient offrir une protection contre lesinstincts prédateurs des intérêts puissants qui fixent le sort des nations.Des institutions internationales fortes dans leurs interventions, asso-ciées à des ripostes nationales décisives, seraient sans doute à même destopper la vague de discordes générales aux effets oppressifs.

Enfin, au chapitre 9, Abdul Waheed Khan, ancien vice-président del’Indira Gandhi National Open University (Inde), soutient la thèse selonlaquelle l’enseignement universitaire à distance convient parfaitement àl’éducation tout au long de la vie et qu’il a en fait vu le jour pour répondreà la nécessité d’améliorer l’accès, l’équité et les possibilités d’éducation.

L’enseignement à distance transmet des programmes éducatifs à desparticuliers et à des groupes séparés dans l’espace et/ou le temps. Ilexige donc un processus centré sur l’« apprenant » et encourage l’auto-nomie de celui-ci, ce qui améliore à son tour l’accès à l’éducation.Toutes sortes de possibilités de cursus et de combinaisons sontoffertes, et le passage d’un établissement à l’autre est rendu possiblepar des systèmes de transfert d’unités de valeur, ce qui contribue à l’au-

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tonomie de l’« apprenant ». L’idée est aussi de fournir les cours par lemoyen de canaux multiples — que ce soit directement aux « appre-nants », par le biais de centres de documentation ou par des activités devulgarisation — sous forme de documents imprimés, de cassettesaudiovisuelles, d’émissions de radio, de réseaux informatiques ou àtravers des animateurs.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communicationsont essentielles pour l’enseignement à distance et permettent dedépasser les barrières socio-économiques et les obstacles à la communi-cation, d’améliorer l’accès à l’éducation et sa flexibilité, de renforcerl’interactivité et la proximité virtuelle, et de proposer toutes sortes deressources didactiques, de rendre possible l’apprentissage individualiséainsi que d’offrir des outils cognitifs puissants.

L’enseignement à distance a suscité une croissance extraordinaire dunombre et des types d’« apprenants », et l’on trouve aujourd’hui toutessortes de prestataires et de tendances à la mise en place d’établissementsmultimodes et d’approches fondées sur la collaboration. Les opérationsont également plus d’ampleur et les programmes sont plus diversifiés ;on note également un développement du multimédia, une plus grandevariété de matériels éducatifs et davantage de technologies interactiveset d’activités de vulgarisation.

Les tâches à venirBien que sa valeur soit reconnue de façon quasi universelle, la voie versl’éducation tout au long de la vie reste partout longue et difficile. Leconcept même a des sens différents selon les gens. Il faut peut-être yvoir un ensemble d’idées, qui doit certainement être mieux compris etdéveloppé. Bien que le rapport Delors ait reconnu la nécessité d’uneéducation permanente et qu’il ait brossé un tableau de ce vers quoi lessystèmes éducatifs devraient tendre, l’incertitude est grande quant aumeilleur moyen de procéder et aux priorités à retenir.

Il a été établi qu’il y avait une relation étroite entre l’éducation toutau long de la vie et le développement économique, ce lien étant l’une desraisons qui poussent les gouvernements à s’intéresser à l’éducationcontinue. Dans les milieux de l’éducation et de la formation, on s’ac-corde surtout à penser que l’éducation tout au long de la vie est la clé dudéveloppement personnel et communautaire. Ces conceptions ne s’ex-cluent pas nécessairement et, comme la Commission a pris soin de l’in-diquer, l’éducation permanente peut encourager le développement de

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toutes sortes de façons, sur le plan économique comme sur le plan dudéveloppement personnel, de la qualité de vie et de l’établissement derelations entre les personnes, les groupes et les pays.

Il existe de nombreuses théories sur les moyens d’encourager l’édu-cation tout au long de la vie, et nombre d’exemples excellents montrentqu’on y est parvenu, soit par le recours aux technologies de l’informa-tion et à l’Internet, comme en Espagne, soit par la mise en place d’unenseignement universitaire à distance, comme en Inde, soit encore pardes projets associant secteur public et secteur privé, comme enAmérique latine. Néanmoins, la voie qui mène à l’éducation perma-nente reste semée d’obstacles impressionnants et il y a de grandes diffé-rences à l’intérieur des pays et entre les pays aussi bien en matière debesoins que de problèmes rencontrés.

La mondialisation — qui est génératrice de phénomènes transfron-tières tels que les fortes tendances à la baisse des barrières commerciales,des flux de capitaux plus importants et une révolution de la communi-cation — exerce, par exemple, un impact sur tous les pays et sur le déve-loppement de l’éducation tout au long de la vie. Mais elle peut être vuesous des angles multiples et est faite de tendances nombreuses quitouchent diversement les pays. À l’intérieur même des pays, la mondia-lisation a un impact différent selon les contextes locaux.

Au cours de la table ronde organisée à la fin de la Conférence deLisbonne, les intervenants se sont penchés sur ces problèmes en vue derépertorier les principales difficultés à venir en ce qui concerne l’éduca-tion tout au long de la vie et de trouver les moyens éventuels de lesrésoudre. La conférence a été, en soi, l’illustration d’une façond’avancer, en partageant les expériences et les informations sur lesmeilleures pratiques au niveau international.

Dans le discours, tous les pays rêvent d’une société éducative oùchacun trouverait sa place dans une « spirale » didactique lui permettantde participer pleinement à la vie sociale et économique. Aucun pays nesaurait toutefois affirmer qu’il offre une éducation de base suffisante àchacun, et on constate des différences énormes entre les pays en termesde ressources et d’établissements permettant de passer du discours à lapratique. Selon María de Ibarrola, nous avons tous le même besoind’une éducation tout au long de la vie et nous cherchons tous àpromouvoir des valeurs générales telles que diversité, démocratie,respect des différences et pluralité culturelle. Mais nos points de départcomme nos besoins sont très différents. Le développement de l’éduca-

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tion tout au long de la vie devra peut-être alors se traduire par l’explo-sion de toutes sortes d’activités.

Jacques Delors a énuméré quatre défis à relever si l’on veut que lesefforts pour promouvoir l’éducation tout au long de la vie aboutissentlors des années à venir :• convaincre les décideurs, acteurs de l’éducation et groupes récep-

teurs de tous les pays de la nécessité de l’éducation permanente ;• trouver des moyens de ménager des transitions efficaces entre les

systèmes éducatifs actuels et des systèmes propices à l’éducationtout au long de la vie ;

• étudier les groupes de pays qui rencontrent des difficultés similaires,analyser leur évolution, leurs contextes et les meilleures pratiques defaçon à découvrir les types particuliers de problèmes auxquels ils seheurtent dans la mise en place d’une éducation continue et s’inter-roger sur les différentes solutions à apporter ;

• amener les organisations internationales à se consulter et à coopéreren même temps qu’encourager le partage d’information entre lespays, en vue de stimuler dans le monde entier les progrès en matièred’éducation tout au long de la vie.

La nécessité d’une éducation tout au long de la vieLe rapport L’éducation : un trésor est caché dedans a présenté des argu-ments puissants en faveur de l’éducation tout au long de la vie. C’est làun objectif que la Conférence de Lisbonne et ce rapport ont fait leur, etqui n’est pas considéré comme l’aboutissement de compromis (éduca-tion économique contre éducation humaine, enseignement primairecontre enseignement secondaire, etc.) mais comme une perspectiveglobale offrant un potentiel de développement où tout le monde a àgagner.

Il ne s’agit pas ici de plaider une fois de plus pour l’éducation tout aulong de la vie mais de rechercher les moyens d’en promouvoir leconcept. La mise en place et l’application des stratégies d’éducationcontinue posent des problèmes quand il y a une opposition vigoureusede la part d’intérêts immobilistes, quand il y a d’autres priorités, unmanque général de ressources, ou quand les gens n’ont que des possibi-lités limitées, manquent de connaissances de base ou sont exclus dessystèmes éducatifs en place.

Pour Roberto Carneiro, le savoir est considéré comme le moteur dudéveloppement et l’éducation comme le combustible qui l’alimente. La

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Banque mondiale travaille à la mise en place d’un plan de savoir pour ledéveloppement et, dans la partie riche du monde, la croissance écono-mique repose sur des sociétés où le savoir joue un rôle moteur. Cetteconception dure du savoir comme facteur de production ou de dévelop-pement s’insinue dans les stratégies. Mais, pour que l’éducation tout aulong de la vie devienne un objectif véritablement commun, il fautqu’elle attire l’individu et qu’elle apparaisse comme une satisfaction ensoi à mesure que les gens s’efforcent de s’améliorer et qu’ils voient dansl’acte d’apprendre une voie vers le bonheur et l’épanouissement, passeulement un outil du développement. L’éducation tout au long de lavie doit donner aux gens des moyens d’agir par une multiplicité depossibilités d’apprendre qui leur permettent d’améliorer leur qualité devie en associant les notions de choix et de responsabilité : « Ce quel’éducation tout au long de la vie a à dire, c’est que la valeur intrinsèquede l’éducation renforce le gain économique ; l’idée qui doit être vendue,c’est que l’investissement dans l’éducation suscite un “cercle vertueux”par lequel l’éducation contribue non seulement au bien-être écono-mique mais aussi au bien-être spirituel et social, et crée les ressourceséconomiques nécessaires à de nouveaux investissements dans l’éduca-tion, l’enseignement continu et le bien-être. »

Selon Toby Linden, les gens doivent en fait prendre de l’intérêt pourl’étude et ils s’en trouveront plus heureux. À cet égard, il y a beaucoup àapprendre des initiatives entreprises-salariés dans le cadre desquellesdes modules novateurs d’éducation tout au long de la vie ont été négo-ciés, qui vont bien au-delà des impératifs de la vie professionnelle. Maisd’autres incitations — comme l’éducation orientée sur l’emploi —doivent aussi être utilisées pour « vendre » le concept. Des enquêteseuropéennes ont montré que ce que les chômeurs désiraient le plus,c’était un emploi, et la désaffection des jeunes pour l’éducation s’ex-plique en partie parce qu’ils ne constatent pas qu’elle leur apporte descompétences ou qu’elle débouche sur un emploi. Si tel est bien le cas,cela signifie que les systèmes éducatifs sont incapables de déterminer lescapacités des gens et d’apporter une réponse appropriée en termesd’éducation et de formation.

Les nombreux arguments en faveur de l’éducation tout au long de lavie doivent être présentés et promus activement sous des formes quisignifient quelque chose pour les responsables politiques et les popula-tions, sinon cette éducation ne sera pas un élément essentiel desprogrammes d’action. Les organisations internationales doivent pour-

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suivre leur travail sur les profits à tirer des investissements dans l’éduca-tion, en choisissant bien leurs mots de façon à ne pas apparaître commemenaçantes. Il faut que les économistes voient dans l’éducation tout aulong de la vie un élément essentiel de la croissance et du développement,et que les spécialistes de l’éducation voient dans les moyens de produc-tion des facteurs favorables à la cause de l’éducation si l’on veut que lesuns et les autres viennent fermement appuyer les efforts d’éducationcontinue.

Les transitions vers l’éducation tout au long de la vieLes systèmes éducatifs sont le fruit d’évolutions séculaires, et l’on en estvenu à voir dans leur mode d’organisation quelque chose comme desprincipes gravés dans la pierre. Or l’éducation tout au long de la vieexige des réformes radicales si l’on veut notamment établir un lien entrel’éducation formelle et l’éducation informelle et améliorer les possibi-lités d’apprendre. Carneiro a relevé quatre grands problèmes à résoudredans l’optique de stratégies d’éducation permanente : les imperfectionsdu marché et la nécessité d’une action de la part des pouvoirs publics ;l’exclusion des systèmes éducatifs ; les exigences du nouveau savoir ;l’absence de dialogue international.

S’agissant de l’éducation tout au long de la vie, les imperfections dumarché ont été clairement repérées. Par exemple, il importe de réconci-lier l’offre et la demande. Tout le monde n’est pas conscient de sesbesoins et les gens manquent souvent des informations nécessaires pourse prononcer en connaissance de cause. Il y a aussi les déficiences dumarché en matière de financement et de dotation de l’éducationcontinue (ce que des partenariats entre le public et le privé pourraientcontribuer à résoudre). Il y a une lacune évidente du marché en ce quiconcerne la reconnaissance et la validation des compétences nonformelles, dans les pays qui n’accordent de l’importance qu’aux qualifi-cations formelles. Toutes sortes de politiques sont nécessaires dans laplupart des pays pour résoudre pareils problèmes. Nombre de paysdoivent aussi édicter des règles concernant les politiques en matière dequalité et de fiscalité, notamment en subventionnant l’éducation tout aulong de la vie et en redistribuant les fonds.

Le deuxième problème est l’exclusion cumulative qui accompagnel’éducation permanente. Nombre d’éléments indiquent qu’il y a unepremière génération d’exclusion à l’école et, le savoir suscitant le savoir,ce phénomène s’étend au système éducatif tout entier, jusqu’à ce que

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l’éducation tout au long de la vie devienne le domaine réservé desclasses instruites. Les problèmes d’accès, de participation et de qualitéde l’éducation doivent être réglés parce que c’est là que se trouvent lesfondements de l’éducation tout au long de la vie.

Sans doute, des stratégies différentes d’éducation continue sont-elles nécessaires pour ceux qui ont été exclus dès l’éducation de base, eton ne peut avoir la même stratégie pour tous. Une discrimination posi-tive est également requise, en ciblant bien les groupes exclus. Il fautaussi que des éléments de citoyenneté et de démocratie plus forts soientinsérés dans les stratégies d’éducation tout au long de la vie, en ruptureavec l’approche strictement utilitaire ; l’éducation tout au long de la viedoit être mise en relation avec la citoyenneté tout au long de la vie.

La troisième question qui se pose, c’est celle de « l’éducationnouvelle », qui recouvre l’ensemble des méthodes d’enseignement etd’apprentissage et des savoirs nouveaux, ainsi que le rôle des technolo-gies nouvelles et du multimédia dans l’apprentissage. Il s’agit d’apporteraux maîtres des outils, des bases de données et une formation qui leurpermettent d’élaborer leurs propres matériels. Il s’agit de trouver lemoyen d’associer les savoirs théorique et pratique, les connaissancescodifiées et tacites, les programmes institutionnels et collectifs, lesméthodes d’apprentissage par la pratique et d’apprentissage dans descontextes divers et multiculturels.

Enfin, la plupart des pays ignorent encore en grande partie ce qui sepasse ailleurs ; ils doivent remédier à cette situation s’ils veulent éviterde redécouvrir l’Amérique lorsqu’ils sont aux prises avec des problèmesd’éducation tout au long de la vie. Il faut qu’il y ait davantage de partaged’expériences entre les pays, et que les meilleures pratiques soientrépertoriées.

Toujours selon Carneiro, les décideurs et les acteurs de l’éducationdoivent aussi bien tenir compte des nouvelles tensions, telles que cellequi apparaît notamment entre l’apprentissage en vue de la concurrenceet l’apprentissage en vue de la coopération. À mesure que les économieset sociétés évoluent, les communautés se heurtent à des problèmes(nouveaux marchés, absence d’emplois, réorganisation du travail, etc.)qui exigent coopération et partage des connaissances, si elles veulents’adapter et survivre. Autre tension de plus en plus marquée : celle quioppose l’éducation formelle à l’éducation non formelle, cette dernièredésignant d’ordinaire l’éducation des adultes en dehors du systèmeformel et de l’enseignement supérieur. Il est fréquent que des établisse-

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ments formels proposent un enseignement « non formel », mais denombreuses activités s’organisent de façon autonome ou sont propo-sées par des groupes, des sociétés et des associations à but non lucratif,ce que les stratégies d’éducation tout au long de la vie devraient prendreen compte.

George Papadopoulos a fait ressortir deux autres tensions qui doiventêtre surmontées. La première oppose les professionnels de l’éducation,qui s’estiment gardiens de la qualité, et des personnes extérieures à laprofession qui, tels les responsables politiques et les fonctionnaires, exer-cent une influence sur la politique et la pratique en matière d’éducation.L’autre tension oppose moins la tradition et la modernité que la moder-nité et la postmodernité. La modernité est déjà là, mais la postmodernitéexige des réformes et un bouleversement du développement, ce qui estune considération nouvelle de très grande importance.

Il est essentiel d’aborder ces vastes questions pour pouvoir asseoirles stratégies de réforme de l’éducation sur une base solide. En fin decompte, les pays doivent toutefois arrêter des priorités dans le cadred’une stratégie applicable de façon que des décisions structurées puis-sent être prises, que les effets des politiques et les lacunes du marchépuissent être mesurés et que de nouvelles interventions soient arrêtées.Carneiro a proposé trois politiques de nature à influencer la réformeinstitutionnelle : étudier le temps alloué après l’école pour stimuler lademande d’éducation tout au long de la vie ; placer les enseignants aucentre de l’apprentissage et consacrer des fonds importants à leur recy-clage et à leur familiarisation avec les nouveaux outils ; enfin, prévoir unsystème double d’apprentissage qui prévoit des passerelles entre laformation traditionnelle et la formation professionnelle.

Le rapport Delors a fait état de la nécessité de rompre avec les vieuxmodèles et de se tourner vers de nouveaux modes d’apprentissage. Lerôle des enseignants va probablement changer, et les partenariats entreles États, les organisations de la société civile et le secteur privé appa-raissent de plus en plus comme des auxiliaires de nature à infléchir lesefforts éducatifs. Considérée dans le contexte d’une société du savoir enpleine évolution, l’éducation tout au long de la vie apparaît comme uneffort pluridimensionnel qui emprunte des itinéraires divers : possibi-lités d’éducation continue, utilisation des technologies nouvelles et del’Internet, participation communautaire, antidotes au désapprentissage,etc., qui prépareront le terrain et donneront le tempo d’une réformeprofonde.

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À problèmes différents, solutions différentesLa nécessité de fixer des priorités et des cadres d’action apparaît très clai-rement si l’on considère l’éducation tout au long de la vie dans uneperspective internationale. Étant différentes, les sociétés rencontrent desdifficultés différentes dans leurs efforts pour élaborer et appliquer desstratégies appropriées. Les énormes disparités de niveaux d’éducation etde ressources entre les pays avancés et les pays en développement ensont l’illustration, puisque les pays les moins développés n’ont pas mêmeles ressources nécessaires pour instituer une éducation de base solide.

Selon Enver Motala, dix années après la fin de la guerre froide etalors que le monde entier a adopté les valeurs de démocratie et demarché, il reste beaucoup à comprendre sur les sociétés en transition, etsur la façon dont elles devraient se développer et faire face aux trèslourdes contraintes imposées à l’État. Le changement doit être bien géréet ce que l’on sait à présent de la transition montre qu’elle doit se fairepetit à petit : il faut discerner les objectifs essentiels plutôt qu’essayer derésoudre tous les problèmes à la fois. La mondialisation a affaibli le rôledes États, mais les forces du marché se sont montrées incapables d’as-surer un développement équitable. Tout cela a un impact profond sur ceque l’éducation permanente peut espérer réaliser.

Pour Abdul Waheed Khan, la mise en place de l’éducation tout aulong de la vie dans les pays en développement pose aussi le problème del’absence de coordination et de la mauvaise utilisation des technologies.Même dans les pays où les politiques sont bien conçues — par exemplesur la façon d’utiliser la technologie pour multiplier les possibilitésd’apprentissage dans les communautés —, les organismes spécialisésdans le développement se sont lancés dans des projets qui ne fontaucune référence à ces politiques. L’écart entre ce qui est formulé et cequi est régulièrement pratiqué est tel que l’action politique aboutit à ungâchis.

Beaucoup de gens, même dans les pays où les systèmes éducatifssont solides, n’ont pas accès à un enseignement de qualité, ne se consac-rent pas à l’étude ou passent à travers le filet de l’éducation formellepour finir aux marges de l’économie et de la société. À l’intérieur mêmede certains pays comme l’Australie, avec sa population aborigène, ontrouve des cultures à des stades différents de transition. Il faut élaborerles moyens d’offrir à ces groupes un meilleur accès à une éducation dequalité, qui respecte leur culture tout en leur permettant de profiterd’une société plus large.

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De nombreuses données indiquent qu’il y a aggravation des inégalitésentre pays développés et pays en développement et, à l’intérieur des pays,entre populations privilégiées et populations défavorisées. Or il resteencore à trouver les moyens de remédier à ce déséquilibre croissant. PourMaría de Ibarrola, les États doivent se concentrer sur des stratégieséducatives différentes parce que les points de départ sont différents : cesont les pays en développement qui ont le moins de ressources alors quece sont eux qui ont le plus besoin de toutes sortes de programmes. Sinon,les écarts continueront de se creuser entre eux et le monde industrialisé.Dans les pays en développement, où il y a de profondes disparités entreles riches et les pauvres, nous devons nous concentrer sur de nombreuxprogrammes, leur donner la priorité et les financer en suscitant une répar-tition plus démocratique des richesses par le biais de politiques publiquesdécisives et de partenariats. La tâche est écrasante.

L’action d’apprendre est un produit social, inséparable de la culture.La première étape de la réforme consiste donc à comprendre commentcela se passe dans un contexte culturel et historique donné. Chaqueculture a sa façon à elle d’alimenter cet « apprentissage » et chaquesystème éducatif est l’aboutissement de conflits entre diverses cultures.Si nous comprenons celles-ci, nous pouvons éventuellement, avec l’aided’organisations internationales, effectuer des études comparées quiaident les cultures à élaborer leurs propres objectifs et stratégies.

Le rôle des organisations internationalesLa plupart des pays ne sont guère informés de ce qui se passe ailleurs enmatière d’éducation continue. Il faut adopter une perspective interna-tionale pour découvrir les différences entre les pays et commencer àvoir à quoi ressemble dans son ensemble le tableau de l’éducation toutau long de la vie et quels sont les idéaux à poursuivre. Les participants àla Conférence de Lisbonne sont convenus qu’il fallait mettre encommun les expériences, recenser les meilleures pratiques et fixer despoints de repère pour permettre aux pays et à la communauté interna-tionale de mesurer le progrès de l’éducation tout au long de la vie. Lesorganisations internationales doivent systématiquement montrer ce quise passe au moyen de publications, de congrès et de conférences.

Promouvoir le besoin d’une éducation tout au long de la viePour Alexandra Draxler (Commission internationale sur l’éducationpour le vingt et unième siècle de l’UNESCO), les institutions

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internationales, dans leurs efforts pour persuader les populations de lanécessité d’une éducation tout au long de la vie, pourraient contribuerutilement à rassembler des éléments convaincants, à la fois pour lesdécideurs (qui dégagent les crédits), pour les acteurs de l’éducation (quiont à mettre en place l’éducation tout au long de la vie), et pour lesbénéficiaires (parce qu’il n’y a simplement pas de demande chez denombreuses populations cibles et qu’il ne risque pas d’y en avoir si l’onn’adopte pas de mesures incitatives). Si des indices économiques témoi-gnent de la valeur de l’éducation tout au long de la vie, ce n’est pasencore le cas dans des domaines moins tangibles comme le développe-ment civique et le développement personnel.

Il pourrait peut-être aussi s’avérer utile de se demander pourquoicertains se tiennent à l’écart de l’éducation et de la société ; les raisonspeuvent être propres à chaque pays. Les études de l’UNESCO mont-rent par exemple que deux des facteurs essentiels sont la pauvreté —dans les pays en développement, en particulier, les parents n’ont pas lesmoyens de mettre ou de laisser leurs enfants à l’école — et la mauvaisequalité, qui est elle-même liée à la pauvreté. Il y a sans doute plusieursraisons qui empêchent les adultes de revenir à l’éducation, notammentles idées qu’ils se font de son utilité et le manque de possibilités finan-cières, facteurs pertinents pour la poursuite des efforts d’éducation toutau long de la vie.

Pour les groupes exclus de l’éducation (ceux qui se rendent comptequ’ils manquent de connaissances et de compétences et les populationsaliénées qui estiment ne pas avoir d’avenir), les expériences acquises parles pays pourraient aider à trouver des moyens de créer des possibilitéspermettant d’améliorer les connaissances, les compétences et leschances qui s’offrent aux populations en fonction de leurs situations etde leurs besoins particuliers.

Selon Roberto Carneiro, puisque la demande d’éducation tout aulong de la vie est souvent inexistante, il faudrait que les institutions inter-nationales en promeuvent activement le concept sur la scène internatio-nale. Elles pourraient s’associer pour tirer parti des leçons commercialesde groupes mondiaux comme Microsoft et Nike, créer un « label »attrayant pour l’éducation continue et travailler avec les médias pour enrépandre l’idée, selon des modalités qui respectent les cultures localesmais qui, par des voies différentes, arrivent toutes à la même destination.

Les gens donnent des significations différentes à l’éducation tout aulong de la vie et on ne sait pas toujours clairement ce à quoi l’expression

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renvoie. Les grands documents des organisations internationales perpé-tuent cette confusion. Par exemple, le Conseil de l’Europe s’intéresse àl’élargissement de la citoyenneté européenne et est orienté sur les valeursdémocratiques et l’identité européenne, la Commission européenne etl’OCDE insistent sur la dynamique et les besoins économiques et tech-nologiques, tandis que l’UNESCO voit dans l’éducation un moyen demieux réussir dans la vie. Il faut que les organisations internationalesétablissent des passerelles entre ces différentes conceptions et donnentune image cohérente de l’éducation tout au long de la vie.

Les transitions vers l’éducation tout au long de la vieTandis que les pays à économies avancées s’interrogent sur les moyensd’instituer l’éducation tout au long de la vie, le sens de ce projet estdifférent dans les pays qui en sont encore à essayer de garantir un ensei-gnement de base, sans parler des groupes exclus des pays développés.Mais une société fondée sur le savoir ne peut trouver de justificationmorale que sur le terrain d’un renforcement de l’équité. Pour BarryMcGaw, directeur adjoint (éducation) à l’OCDE, on se trouve là face àun problème particulièrement épineux puisque ceux qui ont le plusbesoin d’une éducation tout au long de la vie et à qui on devrait offrir enpriorité des possibilités sont ceux-là mêmes qui n’ont guère d’éducationde base et sont les moins capables de saisir les opportunités.

Du point de vue de l’action des pouvoirs publics, la question fonda-mentale est notamment de savoir comment redistribuer les ressources del’éducation tout au long de la vie de façon à aider les défavorisés. Peut-être sera-t-on amené à taxer les personnes qui ont déjà bénéficié de fondséducatifs importants et à orienter les ressources publiques communesvers celles qui n’en ont pas encore récolté les bénéfices. Les pays où l’en-seignement supérieur est gratuit se sont aperçus que c’étaient les classesmoyennes qui en tiraient le plus de profit, leur participation à l’enseigne-ment supérieur étant donc, pratiquement, en partie subventionnée parles familles ouvrières. Sans mécanismes de redistribution des finance-ments, il risque de se passer la même chose avec l’éducation tout au longde la vie. Selon Carneiro, au niveau international, la redistribution desressources de l’éducation tout au long de la vie pourrait se faire par lebiais d’échanges dette contre éducation, d’échanges de scientifiques et dechercheurs et par l’attribution d’un quart de l’aide à l’éducation.

Pour Francesc Pedró, les technologies de l’information ont un rôleessentiel à jouer dans l’éducation tout au long de la vie et dans une

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société éducative. Les organisations internationales pourraient d’abordpromouvoir la recherche sur les utilisations convenables et l’adoptiongénéralisée des nouvelles technologies et, deuxièmement, aider les pays,institutions et communautés à établir des réseaux transfrontières. Enfin,elles pourraient assister les décideurs et éducateurs dans la promotionde politiques intégrées puisque l’éducation permanente par le biais de latechnologie exige un développement des infrastructures et la collabora-tion de nombreux secteurs publics.

La coopération internationale a un rôle fondamental à jouer dansl’analyse comparée de l’éducation tout au long de la vie et dans la diffu-sion de l’information et de l’analyse. Selon l’ancien Directeur généraladjoint de l’UNESCO pour l’éducation, Colin Power, les pays en déve-loppement doivent faire l’objet de recherches particulières. Parexemple, nombre d’éléments indiquent que les programmes d’alphabé-tisation et de formation pratique des femmes sont très efficaces, enparticulier quand ils vont de pair avec une amélioration des méthodesd’enseignement. Il faut se pencher de plus près sur les conditions de vieparticulières des personnes défavorisées et découvrir ce qui leur donneles moyens d’agir, s’interroger sur la façon de créer des liens entre cedont les apprenants ont besoin et ce qu’ils reçoivent de l’éducation etsur les moyens d’inciter à apprendre, en même temps que promouvoiractivement des initiatives d’appui.

Les problèmes que connaissent les pays en développement doiventêtre au centre des préoccupations des institutions internationales et desgroupes comme la Banque mondiale et l’Union européenne, qui sont enmesure d’appuyer le développement. Dans ses efforts de promotion del’éducation dans les pays en développement et en faveur des groupesmarginalisés un peu partout, la communauté internationale doit établirdes relations nouvelles avec les pouvoirs publics à tous les niveaux etapporter un soutien vigoureux à l’établissement de politiques aux niveauxinternational et national et de programmes d’éducation tout au long de lavie au niveau communautaire. Mais, selon María de Ibarrola, la premièretâche de la coopération internationale doit être de respecter les possibi-lités de chaque pays et de leur faire connaître ce qui se passe ailleurs.

À problèmes différents, solutions différentesComme l’a soutenu George Papadopoulos, si l’on part du postulat queles priorités et initiatives en matière d’éducation tout au long de la viesont en grande partie déterminées par les niveaux de développement

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nationaux, les travaux de recherches futurs pourraient viser à répertorierles groupes de pays en fonction de leur stade de développement ou de lasimilarité des problèmes qu’ils rencontrent et s’attacher à la façon dontils envisagent l’éducation tout au long de la vie. Les pays associés auxétudes internationales pourraient donner des informations sur leursproblèmes, leurs politiques et leurs mesures pratiques, ce qui débouche-rait sur des débats relatifs à l’apprentissage dans des contextes variés. Lesorganisations internationales devraient, de façon pragmatique, chercherà rassembler et analyser les expériences et les opinions de tous.

Elles pourraient aussi mener conjointement des recherches axées surdifférents sous-groupes de pays membres, en utilisant des méthodolo-gies et des cadres similaires pour collecter les informations susceptiblesd’être mises en commun. À titre d’exemple, on peut citer l’étude del’OCDE, portant sur 29 pays, concernant l’éducation tout au long de lavie et qui s’est notamment penchée sur les nouvelles formes de finance-ment. Stratégiquement, il serait utile que, dans le cadre d’une étudesemblable, l’UNESCO s’intéresse à d’autres sous-groupes de ses Étatsmembres et que les deux organisations mettent en commun leurs résul-tats pour les analyser.

Selon Enver Motala, pour qu’un dialogue s’instaure entre des pays àniveaux de développement différents, il faut prendre en compteplusieurs caractéristiques et voir comment elles peuvent être associées.Les situations historiques et contextuelles doivent être des élémentsdéterminants dans la constitution des groupes si l’on ne veut pas que lediscours ait un effet débilitant. Les pays en développement ne doiventpas partir de l’expérience des pays développés pour informer leursnouvelles politiques. En effet, des modèles qui réussissent dans un payspeuvent ne pas fonctionner dans un autre si les points de départ sonttrès différents et les problèmes à résoudre sans rapport avec les solu-tions proposées. Les décideurs doivent partir de modèles appropriés.

Une autre façon de regrouper les pays consisterait à recenser, dansun premier temps, les difficultés éducatives qu’ils rencontrent et à s’at-tacher à la façon dont ils s’y prennent pour les résoudre, ou à déter-miner les éléments communs d’expériences particulières, éventuelle-ment en prenant des pays comme exemples de groupes. Il n’est pasforcément nécessaire de regrouper les pays dès le début de larecherche ; il serait par exemple judicieux de retenir les pays quisouhaitent et peuvent y participer et de laisser les typologies apparaîtrepar la suite.

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En fait, les organisations internationales sont parfois accusées degaspiller les ressources déjà rares de pays pauvres en leur demandant deproduire des informations qui, pour ces derniers, sont d’un intérêtlimité. Il importe de ne pas alourdir le fardeau administratif de ces payset de ne pas les empêcher de s’occuper de leurs propres besoins.Cependant, comme Alexandra Draxler l’a noté, on peut, au niveaunational, s’appuyer sur les groupes universitaires, qui sont les mieuxqualifiés pour mener à bien des études et sont d’ordinaire très désireuxde le faire, si possible sous la direction d’un coordonnateur interna-tional qui aidera à fixer des indicateurs tout en laissant les pays libresd’étudier les questions qui comptent pour eux.

D’ordinaire, les chercheurs mesurent ce qu’ils savent mesurer et ontdonc tendance à étudier l’apprentissage individuel, à voir comment lesgens transforment les éléments appris en un savoir qu’ils tentent ensuitede monnayer. Mais si l’on prend au sérieux l’idée d’apprendre à vivreensemble, il semble que l’action d’apprendre en groupe doive êtremieux comprise. Les experts occidentaux qui fournissent des avis auxpays en développement risquent de ne pas savoir proposer de solutionsexploitables parce qu’ils ne se concentrent pas sur cet « apprentissage »en groupe, qui est important dans de nombreux pays mais n’est pas laméthode appliquée dans les systèmes éducatifs occidentaux. Les organi-sations internationales pourraient utilement encourager les recherchesconsacrées aux différentes façons d’apprendre qui reprennent l’idéed’apprendre à vivre ensemble, élément essentiel du rapportL’éducation : un trésor est caché dedans.

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Première partie : Où en sommes-nous? Les étapes vers l’éducation tout au long de la vie

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Chapitre 1 : Les politiques d’éducation permanente :panorama des tendances internationales

George Papadopoulos*

La consécration du concept d’éducation tout au long de la vie a été unévénement marquant dans le débat international sur l’éducation desannées 90. Plus notable encore a été l’acquiescement généralisé à l’idéeque les stratégies d’éducation permanente sont une panacée pournombre des problèmes — économiques, sociaux, culturels, voire poli-tiques — auxquels les sociétés doivent faire face à l’aube du XXIe siècle.

Les principes fondamentaux comme les objectifs des politiquesd’éducation permanente ont été abondamment énoncés (et recom-mandés) dans les études des organisations internationales, les déclara-tions de politique générale officielles des gouvernements et les ouvragesspécialisés qui se sont rapidement multipliés sur ce thème.

L’écart est néanmoins frappant entre l’adhésion au concept et sonapplication pratique sous forme de politique. Cet écart n’est pasnouveau : les gouvernements souscrivent facilement au concept d’uneréforme radicale de l’enseignement et à ses postulats, pour constaterensuite que sa mise en œuvre est compromise en raison du manque deressources nouvelles et du corporatisme du système établi, fort de sesdroits acquis et des idéologies politiques.

Mis à part certaines exceptions, l’empressement avec lequel lesgouvernements ont adopté le concept d’éducation permanente n’aguère trouvé son expression dans des réalisations concrètes et suiviesau-delà de la mise sur pied de stratégies générales. Si bien que beaucoupde pays ont nettement tendance à classer sous l’appellation d’éducation

* George Papadopoulos est ancien directeur adjoint (éducation) de l’OCDE.

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tout au long de la vie l’ensemble des initiatives disparates prises dansdivers secteurs de leurs systèmes d’enseignement et de formation quipeuvent répondre peu ou prou aux objectifs de cette éducation. Demême, et du fait de cette approche circonstancielle dans beaucoup depays, le concept d’éducation permanente est souvent détourné par desgroupes — responsables de l’éducation des adultes, de l’éducationcommunautaire et de l’éducation populaire classiques, établissementsde formation et d’apprentissage professionnels, acteurs solidementétablis de l’éducation, universités et autres établissements d’enseigne-ment supérieur — désireux d’obtenir des ressources supplémentaires etun appui politique aux fins de leur propre développement.

Compte tenu de ces considérations, le présent chapitre, qui estfondé sur l’expérience internationale, a pour objet de mettre en lumièreun certain nombre de caractéristiques générales différenciant l’ap-proche actuelle en matière d’éducation permanente des approches anté-rieures ; d’indiquer ce qui a été accompli par les grandes organisationsinternationales — Conseil de l’Europe, UNESCO, Organisation decoopération et de développement économiques et Union européenne— qui se sont préoccupées de ce domaine, ont aidé à définir les prin-cipes fondamentaux et les objectifs de l’éducation tout au long de la vieet ont encouragé son acceptation concrète et sa mise en œuvre dans lesdifférents pays ; de donner des exemples des pratiques et des expé-riences nationales, des stratégies générales ou des activités spécifiques ;d’indiquer, en conclusion, les enseignements qui peuvent être tirés à cejour de ces expérimentations, s’agissant des obstacles à surmonter et desperspectives d’avenir.

L’approche actuelle en matière d’éducation permanenteLe concept d’éducation permanente n’est pas neuf. En un sens, ilremonte à Platon et à Aristote, même si, à leur lointaine époque, on sepréoccupait surtout d’une sorte d’éducation permanente qui devaitpermettre aux individus de jouer leur rôle de citoyens actifs — d’ani-maux politiques, selon la définition aristotélicienne de l’homme. Cetteéducation permanente est restée jusqu’à aujourd’hui un aspect impor-tant de l’éducation, et il est intéressant de noter que les mouvements enfaveur de l’éducation populaire et de l’éducation des travailleurs, quisont nés en Scandinavie et se sont répandus en Europe au XIXe siècle,visaient des buts culturels, sociaux et, indirectement, politiques etn’étaient pas directement liés au travail (Kallen, 1996). Ces buts ont

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conservé leur importance en dépit du rapide essor et de l’institutionnali-sation de l’éducation des adultes et c’est seulement après la SecondeGuerre mondiale que la nécessité d’organiser un système de formationde recyclage rattaché au système éducatif formel a commencé d’êtresérieusement reconnue.

C’est dans ce climat nouveau, favorisé par l’accroissement rapidedes besoins sociaux et économiques et par l’expansion systématique del’éducation que, à compter des années 60, des modèles inédits ont faitleur apparition sous des dénominations telles que recurrent education(éducation récurrente), continuing education and training (éducation etformation continue) et éducation permanente, dont le leitmotiv étaitl’apprentissage permanent. Le titre de la publication de l’OCDE parueen 1973, L’éducation récurrente : une stratégie pour une formationcontinue, est éloquent à cet égard.

Cette brève incursion dans l’histoire montre comment les antécé-dents de l’éducation tout au long de la vie ont été façonnés par l’évolu-tion des conditions socio-économiques et politiques. C’est dans cecontexte que les traits distinctifs des politiques d’éducation permanentepeuvent être déterminés.

On notera premièrement que, si les premiers paradigmes étaientsurtout induits par des visées d’abord culturelles, puis sociales (en parti-culier l’égalité des chances), les arguments de la campagne actuelle enfaveur de l’éducation permanente sont les impératifs technico-écono-miques et les besoins découlant du caractère des économies modernes,toujours plus fondées sur la connaissance et l’information, et qui fonc-tionnent dans le cadre d’un système de marché mondialisé et concur-rentiel. Certes, les grands objectifs, tels que la cohésion sociale, lesvaleurs culturelles et démocratiques, etc., sont pris en compte, maiscomme les éléments constitutifs d’une économie revitalisée par l’éduca-tion permanente plutôt que comme les éléments moteurs de la stratégie.

Deuxièmement — conséquence évidente de ce qui précède —, lesstratégies d’éducation tout au long de la vie sont plus fortementappuyées par les autorités politiques qu’auparavant, lorsqu’elles étaientsoutenues au mieux par les seuls ministres de l’éducation. Au sein del’OCDE, par exemple, les préceptes des politiques d’éducation perma-nente pour tous ont été approuvés non seulement par les ministres del’éducation, mais aussi par les ministres de l’emploi, les ministres desaffaires sociales et, pour finir, les ministres des finances. Cette évolutionlaisse bien augurer de l’apport de ressources supplémentaires destinées

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aux activités d’éducation permanente et elle traduit les objectifs sociauxet économiques de cet apprentissage.

En troisième lieu, dans le passé, l’éducation récurrente ou perma-nente s’inscrivait fondamentalement dans le cadre de l’éducationformelle. Le domaine d’application de l’éducation permanente actuelleest bien plus vaste et englobe toutes les activités relevant de l’actiond’apprendre où qu’elles soient menées, y compris la formation en entre-prise et l’apprentissage individuel, notamment à l’aide des technologiesnouvelles. En fait, l’accent est mis sur l’« apprenant » et ses besoins et ladiffusion de l’éducation autodirigée. L’utilisation novatrice des techno-logies de l’information fait partie intégrante des stratégies d’éducationpermanente.

Enfin, une mise en garde s’impose. L’action d’apprendre est unélément primordial du processus éducatif mais il n’est pas synonymed’éducation. L’expression « éducation permanente » peut faire l’objetd’une interprétation trop étroite, assimilant le phénomène à la simplemaîtrise de fragments de connaissances ou compétences spécifiques. Cerisque est aggravé par le substrat économico-technologique du concept— que révèle l’accent particulier mis aujourd’hui sur la formation dansles politiques d’éducation permanente — ainsi que par la tendanceactuelle à fonder l’évaluation des performances scolaires sur deséléments se prêtant à des mesures quantitatives. Il faut que les stratégiesd’éducation permanente visent des objectifs qui aillent bien au-delà decette définition instrumentale étroite. Il doit en être spécialement ainsipour la composante « formation » de ces stratégies qui, en général, esttoujours envisagée séparément de la culture humaniste dont elle devraitfaire partie intégrante.

L’optique des organisations internationalesRétrospectivement, on constate que le concept d’éducation permanentedont l’origine, nous l’avons vu, remonte aux années 60, est apparupresque simultanément dans trois grandes organisations internationales— le Conseil de l’Europe, l’UNESCO et l’OCDE. Chacune de cesentités avait en la matière son propre pôle d’intérêt et d’action, qui étaitfonction de son mandat et de sa composition, mais suivait la même idéecentrale : élaborer des stratégies cohérentes en vue d’offrir des possibilitésd’éducation et de formation à tous les individus tout au long de leur vie.

Au cours des années, cette idée a pénétré toutes les activités éduca-tives des trois organisations. Au Conseil de l’Europe et à l’UNESCO

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cependant, il est vrai, elle a plutôt été absorbée par les secteurs tradi-tionnels de l’éducation alors qu’à l’OCDE et, dernièrement, au sein del’Union européenne, l’approche a été plus systématique et dynamique,qu’il s’agisse de l’analyse ou de la conception et de l’application despolitiques.

Conseil de l’EuropeLancé au début des années 60, le concept d’éducation permanente amarqué les activités éducatives du Conseil de l’Europe pendant toutecette décennie et la suivante (Conseil de l’Europe, 1970, 1977 et 1978). Ils’est répandu en tant que « concept global et fondamentalement neuf[…] modèle intégrant toute éducation et capable de répondre auxbesoins croissants et de plus en plus diversifiés de chaque individu,jeune ou vieux, de la nouvelle société européenne » (Conseil del’Europe, 1970).

Il a été considéré que l’éducation permanente constituait lameilleure stratégie pour promouvoir l’égalité des chances en matièreéducative mais qu’elle devait être organisée avec le plein accord et leconcours des participants, assemblant théorie et pratique, connais-sances et compétence, apprentissage et action (Conseil de l’Europe,1970 ; Kallen, 1996).

Ces principes ont ensuite été largement reconnus dans les paysmembres et ont incontestablement constitué les bases de programmesponctuels. Ils sont néanmoins restés essentiellement cantonnés dans desprogrammes sectoriels établis d’enseignement formel et, mis à part lefait qu’ils ont généré un état d’esprit favorable à l’éducation perma-nente, ils n’ont guère contribué à l’élaboration de la stratégie cohérentevoulue initialement.

UNESCOContrairement aux trois autres organisations qui sont régionales et assezhomogènes, l’UNESCO doit accomplir une tâche quasi impossible :concevoir une politique éducative d’ensemble qui unifie les programmeset réponde aux besoins, intérêts et priorités extrêmement divers de sesmembres qui couvrent le monde entier. Elle n’est donc venue à l’éduca-tion permanente qu’au cours d’un processus lent et mesuré, amplementinspiré par les enseignements tirés de ses activités au cours des années 50et 60 dans le domaine de l’éducation des adultes — activités qui visaient àatténuer le problème urgent de l’analphabétisme des adultes dans les

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pays en développement. Le point culminant à cet égard a été en 1970 lapublication du premier rapport de l’UNESCO sur l’éducation perma-nente (Lengrand, 1970), suivie par la création de la Commission interna-tionale sur le développement de l’éducation, présidée par Edgar Faure etla parution de son brillant rapport intitulé Apprendre à être : le monde del’éducation aujourd’hui et demain (Faure et al., 1972).

Le rapport insistait sur le fait que l’éducation permanente, étantfondée sur le désir inné d’apprendre, pouvait conduire à une sociétéplus humaine : il a été pour cela bien accueilli par tous les États membresde l’UNESCO, quels que soient leur niveau de développement et leurappartenance politique. Dans l’ensemble, on peut dire que, compte tenude son caractère général et théorique, le rapport a été davantage unesource d’inspiration qu’un guide d’action pratique. Il ne faut passous-estimer son incidence sur l’opinion et il ne faut pas non plusnégliger l’impulsion qu’il a donnée au lancement de programmes spéci-fiques liés au concept d’éducation permanente, en particulier desprogrammes d’alphabétisation et d’éducation des adultes. Toutefois, nidans les pays ni au sein de l’UNESCO elle-même, les préceptes durapport ne se sont traduits par une approche globale de la politiqueéducative (Kallen, 1996).

Une vingtaine d’années plus tard, on a mis en place un processuspresque identique. Une commission internationale, présidée parJacques Delors, a été chargée de présenter un rapport sur « l’éducationpour le vingt et unième siècle », qui a paru sous un titre à la hauteur decette importante mission, L’éducation : un trésor est caché dedans(1996). Le rapport Delors, tout en souscrivant pleinement aux valeurs etaux objectifs humanistes de l’éducation développés dans le documentprécédent, s’en démarque sensiblement, à certains égards, dans sonanalyse des problèmes et dans les solutions proposées en raison ducontexte socio-économique et politique différent, dans lequel l’éduca-tion se situe désormais — étant donné, en particulier, les effets de lamondialisation et de la technologie et la dépendance grandissante deséconomies à l’égard des connaissances.

Le rapport définit les quatre piliers qui constituent les bases del’éducation — apprendre à être, apprendre à connaître, apprendre àfaire et apprendre à vivre ensemble — et préconise des politiques pourl’éducation tout au long de la vie (qui doit être placée au cœur de lasociété), en des termes bien plus explicites que le document précédent etcomme le seul moyen d’aller de l’avant.

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Il souligne la nécessité de repenser et de relier entre elles les diffé-rentes séquences de l’éducation de façon à rendre plus variés lesparcours tout en les valorisant. Si l’éducation de base est une prioritéabsolue, l’enseignement secondaire a un rôle central à jouer dans lesdifférentes filières d’apprentissage des jeunes et dans le développementdes sociétés. Il faut en outre diversifier les établissements d’enseigne-ment supérieur de façon à prendre en compte les fonctions et les tâchesqui leur incombent en tant que sources de connaissances, lieux deformation professionnelle, carrefours de l’éducation tout au long de lavie et partenaires de la coopération internationale. Dans un monde deplus en plus dominé par la technologie, l’accent doit être mis sur lesmoyens d’utiliser la technologie aux fins de l’éducation et de préparerles hommes à maîtriser cette technologie pour vivre et pour travailler.La réussite des stratégies de la réforme grâce à un dialogue largementouvert et à l’accroissement des responsabilités et de la participation desparties prenantes à tous les niveaux sera un facteur essentiel du renou-veau de l’éducation (Delors, 1996 — quatrième de couverture de laversion anglaise).

Comme le rapport antérieur, le rapport Delors a fait l’objet d’uneapprobation générale et a suscité un vaste débat dans les différents payset dans les conférences régionales. Il reste à savoir quelle sera son inci-dence directe sur les politiques et sur les programmes éducatifs del’UNESCO elle-même.

OCDELes activités relatives à l’éducation permanente ont été une constantedes programmes de l’OCDE au cours des trois dernières décennies.Elles ont été dûment étudiées et exposées dans la mesure où elles tradui-sent l’approche particulière de l’Organisation en matière de politiquesd’éducation et de formation, dans un contexte transdisciplinaire,notamment avec le secteur social et le secteur économique(Papadopoulos, 1994). Dans cette optique, l’éducation permanente a étéun thème suivi, unificateur, l’accent étant mis tantôt sur les considéra-tions sociales, tantôt sur les considérations économiques selon le climatpolitique présidant à la définition des objectifs généraux.

C’est donc au cours de la période de prospérité des années 60 et dudébut des années 70, où les préoccupations étaient surtout sociales etportaient notamment sur l’amélioration de l’égalité des chances, quel’OCDE a lancé sa stratégie de l’éducation récurrente (OCDE, 1973),

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laquelle a été maintenue pendant plus d’une décennie. La stratégie visaitessentiellement à répartir les possibilités d’éducation sur toute la vie del’individu de façon qu’elles soient disponibles lorsqu’elles sont néces-saires plutôt que concentrées sur une période de plus en plus longued’éducation initiale souvent inefficace. La possibilité de réunir dans uncadre unique l’éducation formelle initiale, la formation des adultes et laformation en cours d’emploi n’était pas le moindre avantage de cettestratégie qui devait permettre ainsi de mettre l’éducation et la formationen conformité avec les besoins réels du marché du travail et des indi-vidus. À long terme, l’application d’une telle stratégie exigeait une réor-ganisation radicale de l’enseignement postobligatoire pour qu’il puissey avoir une alternance entre l’éducation, la formation et le travail et unretour effectif à l’éducation formelle en cas de besoin.

L’OCDE a entrepris, avec l’appui des pays membres, une tâcheconsidérable consistant à examiner les diverses formes et incidencespratiques de l’éducation récurrente. Les conférences des ministres euro-péens de l’éducation qui se sont succédé au cours des années 70 ontapprouvé sans réserve les principes de cette stratégie. Toutefois, pour cequi est de son application, les progrès réalisés sont restés fragmentaireset inégalement répartis. Les pays étaient disposés à mettre en œuvre, etont effectivement mis en œuvre, certains de ses aspects — concernantnotamment l’amélioration et la réévaluation de l’enseignement profes-sionnel et de ses rapports avec l’enseignement général, l’entrée desjeunes dans la vie active, l’adoption de dispositifs pour encourager laformation en cours d’emploi (comme le congé d’éducation payé) et ledéveloppement de l’accès des adultes à l’enseignement supérieur —mais, en fin de compte, aucun n’a eu la volonté politique ou l’énergied’entamer la transformation radicale de son système éducatif établicomme la stratégie le recommandait1.

À bien des égards, les travaux actuels de l’OCDE sur l’éducationpermanente prolongent — mais en le développant sensiblement — leparadigme de l’éducation récurrente. Lors de leur réunion de 1990, lesministres de l’éducation de l’OCDE ont concentré leur attention sur lanécessité d’améliorer la qualité de l’éducation à tous les niveaux et pourtous les membres de la société (OCDE, 1992) alors que leur réunion de1996 a eu pour thème « Faire de l’apprentissage à vie une réalité pour

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1. Pour un exposé détaillé de l’expérience de l’éducation récurrente et la biblio-

graphie connexe, voir Papadopoulos, 1994, p. 124 et suiv.

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tous » (OCDE, 1996). Un changement d’importance s’est doncproduit. Si l’objectif premier — un enseignement et une formation dehaute qualité pour tous — est resté le même, les ministres se sont inté-ressés, en 1996, à la manière de traduire cet objectif dans les faits — laréponse étant l’adoption de stratégies d’éducation tout au long de la viecomme principe directeur de l’orientation des politiques de l’éducationet de la formation, et l’application de mesures pratiques pour donnereffet à ces stratégies.

Le communiqué de la réunion atteste combien les ministresprenaient au sérieux tant leur mission que celle de l’OCDE2 : « Noussommes tous convaincus de l’importance capitale de l’apprentissagedurant toute la vie pour l’enrichissement de la vie personnelle, la crois-sance économique et le maintien de la cohésion sociale, et nous sommesd’accord sur les stratégies à appliquer pour en faire une réalité. Les paysde l’OCDE ont réalisé de grands progrès durant les années 90, mais ilnous faut maintenant trouver des moyens plus efficaces d’offrir cettechance à tous les citoyens. C’est peut-être là un objectif ambitieux, maisnous ne pouvons pas nous permettre de ne pas œuvrer dans ce sens. »

Soulignant que les stratégies d’éducation tout au long de la vieexigent l’adhésion sans réserve à des normes, des approches et desobjectifs nouveaux, applicables à l’ensemble du système, le commu-niqué mettait en évidence quatre conditions primordiales pour appli-quer avec succès ces stratégies : renforcer les bases de l’éducationpermanente en améliorant l’accès à l’éducation préscolaire, en rénovantl’école et en favorisant le développement d’autres structures éducatives,formelles ou non ; établir des liens cohérents entre les études et la vieprofessionnelle en mettant en place des itinéraires et des passerelles quipermettent une plus grande mobilité entre enseignement, formation ettravail, et en améliorant les mécanismes d’évaluation et de validationdes connaissances et compétences des individus — que ces connais-sances soient acquises de façon formelle ou informelle ; repenser le rôleet les responsabilités de tous les partenaires — y compris des pouvoirspublics — qui offrent des possibilités d’apprentissage ; et offrir desavantages aux individus, aux employeurs et aux prestataires d’enseigne-ments et de formations pour qu’ils investissent davantage dans l’éduca-tion permanente. Pour chacune de ces conditions, le communiqué indi-

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2. Présentation du communiqué par le Président, Simon Crean, ministre de

l’emploi, de l’éducation et de la formation de l’Australie (OCDE, 1996).

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quait de façon assez détaillée la nature des problèmes qui se posaient etl’action requise pour les résoudre. Ces quatre conditions représentent leschéma directeur de mise en œuvre des stratégies d’éducation tout aulong de la vie. Tous ceux qui jouent un rôle dans ces stratégies devraienten prendre connaissance (OCDE, 1996, p. 21 à 24).

Outre les mesures à prendre au niveau national, le communiquéinvitait l’OCDE elle-même à mener des activités d’appui spécifiques,allant de la réalisation d’études techniques et analytiques dans les quatredomaines précités et de l’échange d’expériences entre les pays au suivigénéral des progrès accomplis dans la mise en œuvre de l’éducationpermanente. Cette éducation constitue désormais le principe unifica-teur de toutes les initiatives prises dans le domaine de l’éducation parl’Organisation et le lien de ces initiatives avec l’action plus vasteengagée dans le secteur social, le secteur de l’emploi et le secteur écono-mique, répondant ainsi à la nécessité de partenariats plus forts et pluscohérents entre toute une série d’acteurs dans la société. C’est à l’ap-proche systématique ainsi générée par l’impératif d’éducation tout aulong de la vie que l’OCDE doit la forme nouvelle de son action dans ledomaine de l’éducation.

L’ampleur et la diversité de cette action interdisent de l’exposer icien détail, mais trois de ses aspects méritent d’être notés. Premièrement,l’approche prospective des secteurs traditionnels de l’éducation donttémoignent, par exemple, la lutte contre l’échec scolaire, les écoles dedemain, les enseignants des écoles de demain, la création de passerellesentre l’école et la vie active et la redéfinition de l’enseignement tertiaire ;deuxièmement, les réalisations dans le suivi des progrès accomplis parles pays, en particulier l’évolution des politiques générales, des filièresoffertes aux jeunes et du financement de l’éducation permanente(OCDE, 1998a) ; troisièmement, l’étude de l’apport de l’éducationpermanente dans les domaines sociaux et économiques plus vastes telsque l’exclusion sociale, les villes en tant que centres d’apprentissage et lamise au point d’indicateurs internationaux pour l’alphabétisation desadultes et l’investissement dans les ressources humaines (OCDE,1998b). Certains des points évoqués seront développés, compte tenu dela part très active prise par les pays membres aux travaux de l’OCDE enla matière — participation qui montre bien l’incidence de ces travauxsur les situations nationales.

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Union européenneL’Union européenne n’est évidemment pas une organisation internatio-nale au même titre que le Conseil de l’Europe, l’UNESCO ou l’OCDE.Son organe exécutif, la Commission, est en fait l’entité la plus proched’un gouvernement international qui ait jamais été mise sur pied dans lecadre de l’intégration européenne. Aussi, par rapport aux autres institu-tions internationales, elle présente l’avantage d’avoir des attributionsplus normatives, une composition plus concentrée et des ressourcesplus abondantes, ce qui lui permet de lancer des projets ambitieuxsoutenus par des incitations financières appréciables et par les engage-ments politiques que suppose l’adhésion.

L’éducation n’est pas un domaine nouveau pour l’Union euro-péenne. Ce qui est nouveau, c’est l’importance stratégique qu’elle revêtdésormais dans les objectifs plus généraux des politiques de l’Union,dans les domaines social, économique et relatif à l’emploi. Depuis lesannées 60, conformément au mandat limité défini par le Traité de Rome,l’action menée dans les secteurs de l’éducation et de la formation estcentrée sur la coopération, l’échange d’expériences, l’appui à l’innova-tion et le développement et la coordination des politiques de formation.Elle favorise aussi la coopération entre le secteur industriel et l’éduca-tion et la mobilité des étudiants et des personnes en formation. Unvirage a été pris en 1993 avec l’adoption du Livre blanc Croissance,compétitivité, emploi où il était souligné que le développement de l’édu-cation et de la formation était l’une des conditions requises pour l’émer-gence d’un nouveau modèle de croissance à plus forte intensité d’em-ploi. Arrivant dans le contexte favorable de consensus au sein del’Union sur la nécessité d’intensifier et de consolider l’action éducative,le Livre blanc de 1993 a conduit à deux initiatives : d’une part, l’énoncé,sous forme de principes d’action, de propositions détaillées destinées àservir de base à la politique de la Commission en matière d’éducation etde formation, qui ont fait l’objet d’un nouveau Livre blanc Enseigner etapprendre — Vers la société cognitive (1995) ; d’autre part, la décisionprise par le Conseil des ministres et le Parlement européen (1995) deproclamer 1996 Année européenne de l’éducation et de la formationtout au long de la vie.

Les deux initiatives visaient à susciter un débat à tous les niveaux surla nécessité de l’éducation permanente en vue de « sensibiliser lesEuropéens aux chocs fondamentaux causés par la société de l’informa-tion, la mondialisation, les progrès de la civilisation scientifique et tech-

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nique et à la réponse que l’éducation et la formation peuvent apporterpour relever ce défi » (Cresson, 1996).

L’Union européenne s’engageait donc sur la voie de l’éducation etde la formation tout au long de la vie, objectif repris par le Traitéd’Amsterdam, qui entend promouvoir le développement du niveau deconnaissance le plus élevé possible par un large accès à l’éducation et lamise à jour permanente des connaissances. Le décor était planté pour ledernier acte — la définition d’orientations pour les futures actionscommunautaires dans les domaines de l’éducation, de la formation et dela jeunesse pour la période 2001-2006, orientation présentée en 1997sous le titre Pour une Europe de la connaissance.

Si l’on suit la position de l’Union européenne sur l’éducationpermanente, on constate qu’elle a évolué (évolution bienvenue pourbeaucoup) en ce sens que les préoccupations de base, à l’origine forte-ment économiques, sont désormais également sociales. Le changementqui s’est produit est bien mis en évidence par l’écart entre le Livre blancde 1995 et la communication de 1997.

Dans le Livre blanc intitulé Vers la société cognitive l’impact sur lasociété des trois enjeux que sont l’information, la mondialisation et leprogrès scientifique et technique était envisagé sous l’angle de la trans-formation des formes du travail, de la création d’emplois, des méthodesde production et de la compétitivité. Il y était estimé que la solutionconsistait à consolider l’acquisition des connaissances et à renforcerl’aptitude à l’emploi, mais la formulation retenue renvoyait, selonnombre de critiques, à une perspective bien connue, celle du détermi-nisme technologique (Iribane, 1996).

L’aspect essentiel du Livre blanc était l’énoncé des propositionsd’action qui devaient orienter les travaux de l’Union européenne aucours des deux années suivantes et qui étaient articulées autour des cinqobjectifs généraux suivants : encourager l’acquisition de connaissancesnouvelles : reconnaissance des compétences, mobilité, logiciels éduca-tifs ; rapprocher l’école de l’entreprise : programmes d’apprentissage etde stages, et formation professionnelle ; lutter contre l’exclusion : écolesde la seconde chance et service volontaire européen ; permettre lamaîtrise de trois langues communautaires ; et assurer l’égalité de traite-ment entre l’investissement en capital et l’investissement en formation.

Ces objectifs ont été diffusés et testés dans le cadre du vasteprogramme d’activités de l’Année européenne de l’éducation et de laformation tout au long de la vie. Plus de 500 manifestations ont été

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organisées à tous les niveaux sous la forme de conférences, séminaires,concours, activités multimédias, conception et diffusion de logicielséducatifs, émissions de télévision et publication d’exemples de « bonnespratiques », portant sur tous les aspects de l’éducation et de la forma-tion formelles et non formelles. Des organes de coordination nationauxont été désignés par les États membres pour diriger des projets auxniveaux national, régional et local, diffuser des informations et aider àl’évaluation et au suivi des activités dans leurs pays. Sur la base de cetteexpérience collective, en décembre 1996, l’Union européenne a adoptésur l’éducation permanente des conclusions qui ont inspiré les orienta-tions des futures actions de l’Union européenne, énoncées dans Pourune Europe de la connaissance.

Le changement de priorités de cette communication par rapport auLivre blanc est évident à deux égards. Premièrement, la Commission yreconnaît expressément l’importance des politiques de la connaissancedont elle avait déjà fait l’un des quatre axes fondamentaux des poli-tiques internes de l’Union : « La vraie richesse est désormais liée à laproduction et à la diffusion de la connaissance et dépend principale-ment de nos efforts en matière de recherche, d’éducation et de forma-tion autant que de notre capacité à promouvoir l’innovation. C’estpourquoi il nous faut développer une véritable “Europe de la connais-sance”. »

Elle reconnaît ensuite que l’apprentissage est aussi important pourle développement local et l’insertion sociale, et pour la promotion de lacitoyenneté, de la responsabilité et de l’identité que pour l’économie :« Il faut s’employer à réduire l’écart entre ceux qui ont bénéficié del’éducation et de la formation et ceux qui en ont été exclus. L’aspectsocial de l’éducation et son rôle dans l’enrichissement de la citoyennetéconstituent désormais avec la connaissance et l’employabilité les troisdimensions [...] de la construction progressive d’un espace éducatifeuropéen ouvert et dynamique. »

Pour avancer dans cette direction, six grands types de mesures sontproposés : la mobilité physique, étendue à tous les groupes cibles ; lamobilité virtuelle, via l’utilisation des réseaux de communication etd’information, et la production et la diffusion de produits et de servicesmultimédias et audiovisuels ; la mise en place de réseaux de coopérationau niveau européen en vue de faciliter un échange d’expériences et de« bonnes pratiques » ; la promotion des compétences linguistiques et dela compréhension de différentes cultures ; l’innovation à travers des

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projets pilotes fondés sur des partenariats transnationaux pour créer desproduits d’éducation et de formation ou des instruments pour mesurerles compétences ; et l’amélioration des références communautaires surles systèmes et les politiques des États membres dans le domaine del’éducation, de la formation et de la jeunesse — par exemple bases dedonnées et connaissance mutuelle des systèmes éducatifs.

Pour que de telles mesures soient couronnées de succès, il est essen-tiel d’établir un cadre de responsabilités conjointes entre laCommunauté, les États membres et les autres acteurs concernés —partenaires éducatifs, sociaux, économiques, territoriaux et partenairesde la société civile. Le développement de ces partenariats tant pour laconception que pour l’application des programmes d’éducation et deformation tout au long de la vie apparaît de plus en plus commeindispensable à ce succès.

Les expériences nationalesÀ n’en pas douter, les travaux des organisations internationales ontencouragé, soutenu et contribué à légitimer les activités relatives àl’éducation permanente menées dans les pays, aux niveaux gouverne-mental, local et institutionnel. La définition d’une approche rationnelleet cohérente est relativement facile à l’échelle internationale, mais latâche se complique lorsqu’il faut tenir compte d’une multitude deprogrammes nationaux lancés dans un grand nombre de pays sous ladénomination d’éducation permanente.

L’importance de ces programmes ne doit pas pour autant êtresous-estimée. La plupart sont destinés à des groupes de population ou àdes secteurs critiques particuliers dans un contexte national donné.Dans quelques pays — Finlande, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni etSuède, par exemple —, ils sont présentés comme faisant partie inté-grante d’une stratégie nationale d’éducation tout au long de la vie. Ilssont, dans leur globalité, l’expression d’une prise de conscience quasiuniverselle par les gouvernements de la nécessité de l’éducation perma-nente en tant qu’idéal des politiques d’éducation et de formation,toujours jugées essentielles à la prospérité sociale et économique natio-nale. Les renseignements communiqués à l’OCDE aux fins des activitésde suivi qu’elle poursuit sur la mise en œuvre des politiques d’appren-tissage permanent dans les pays membres le font clairement apparaître.

On trouvera ci-après des exemples représentatifs d’expériencesnationales, fondés sur ces renseignements.

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Les politiques généralesUn petit nombre de pays ont défini des politiques générales d’éducationtout au long de la vie assorties de mesures applicables. Ces politiquesfont l’objet de publications officielles qu’on se bornera à résumer ici.

On citera en particulier le cas de l’Angleterre et de son Livre vertintitulé The learning age : a Renaissance for a New Britain, qui a étéprésenté au Parlement en février 1998 (des documents parallèles ont étépubliés pour l’Écosse et le pays de Galles). Les objectifs ambitieuxénoncés dans le texte sont notamment les suivants : privilégier l’accès de500000 personnes supplémentaires à l’enseignement postscolaire etsupérieur pour la fin de 2002 ; doubler l’aide octroyée pour l’acquisitiondes compétences de base (lire, écrire et compter) chez les adultes, ce quidevrait permettre de toucher plus de 500 000 adultes par an à la fin de2002 ; prendre des mesures incitant les jeunes à poursuivre leurs étudesau-delà de l’âge de 16 ans ; élever les niveaux de l’enseignement et del’apprentissage en créant un nouveau Training Standards Council(Conseil des niveaux de formation) ; fixer des objectifs précis pour lescompétences et les qualifications requises à l’échelon national ; mettresur pied un système de qualification qui soit facile à comprendre,accorde la même valeur à l’enseignement théorique et à l’enseignementprofessionnel, réponde aux besoins des employeurs et des individus, etencourage l’amélioration des niveaux ; s’efforcer en association avec lesentreprises, les employeurs et les syndicats d’appuyer et de développerles compétences sur le lieu de travail (voir chap. 5).

Tous ces objectifs sont définis d’un point de vue opérationnel et leurréalisation est assurée grâce à des formules nouvelles, en particuliercelles qui visent directement à atteindre l’objectif général d’une partici-pation et d’un accès élargis des adultes à l’éducation, et sont les plusnovatrices, à savoir la création d’une université des entreprises et decomptes individuels d’éducation.

Fruit d’un partenariat entre le secteur public et le secteur privé,l’University for Industry (Université des entreprises) (UFL) sera unétablissement ouvert d’apprentissage à distance destiné tout à la fois auxparticuliers et aux entreprises. Elle aidera ses interlocuteurs à déterminerl’enseignement dont ils ont besoin et à y accéder par l’intermédiaire d’or-dinateurs et de moyens audiovisuels, à domicile ou sur les lieux de travail,ou à des produits et des services de haute qualité fournis par un réseau decentres d’apprentissage franchisés que des associations et des partenaireslocaux auront créé dans le pays. Pour commencer, l’Université mettra

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l’accent sur des secteurs cibles prioritaires : connaissances de base, tech-niques de l’information et de la communication, gestion des petites etmoyennes entreprises et savoir-faire de branches d’activité et de servicesdéterminés. Le gouvernement a consacré en 1998-1999 15 millions delivres au lancement de l’UFL, qui est devenue opérationnelle en 2000.

Un cadre pour un système national de comptes individuels d’éduca-tion est également mis en place. Le système repose sur deux principesfondamentaux : les individus sont les mieux placés pour choisir ce qu’ilsveulent apprendre et la manière dont ils veulent l’apprendre, et l’inves-tissement dans cet « apprentissage » est une responsabilité partagée. Lescomptes seront accessibles à tous, y compris aux travailleurs indépen-dants. Ils pourront être utilisés, au choix, pour payer sa formation —qu’il s’agisse d’un cours du soir ou d’un programme suivi par l’intermé-diaire de l’UFL — ou pour couvrir le coût de la garde des enfantspendant le temps consacré à la formation. Ce seront essentiellement descomptes individuels d’épargne, auprès d’une banque ou d’une autreinstitution financière, que le gouvernement encouragera par l’octroid’avantages fiscaux ou d’une aide publique qui complète la contributiondes titulaires. Les services locaux de conseil en carrières et d’orientationprofessionnelle renseigneront et conseilleront les titulaires sur lesdomaines et les méthodes de formation. Dans un premier temps,150 millions de livres sterling seront dégagées pour ouvrir un million decomptes, sur chacun desquels il sera versé 150 livres pour un apportminimal de 25 livres de la part du titulaire.

Ces initiatives seront en outre soutenues par l’extension progressivedu National Grid for Learning (Réseau national d’apprentissage) quidoit aider les enseignants et les étudiants à accéder à un large éventail dematériels didactiques en ligne, y compris un centre virtuel pour lesenseignants sur l’Internet. Enfin, décision qui prouve le sérieux de cesmesures gouvernementales, un Secrétaire d’État spécialement chargé del’éducation permanente a été nommé au sein du Ministère de l’éduca-tion et de l’emploi.

On mentionnera brièvement le cas d’autres pays dont les gouverne-ments ont exposé dans des déclarations leur conception de l’apprentis-sage permanent (OCDE, 1998a).

Dans le document d’orientation paru en Finlande en 1997, La joied’apprendre : une stratégie nationale d’apprentissage à vie, l’accent estmis sur la promotion d’une éducation permanente générale, associant lacarrière de l’« apprenant » aux activités dans les lieux de vie et de travail.

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Les objectifs visés ont trait à la formation de la personnalité, à la conso-lidation des valeurs démocratiques et de la cohésion sociale, et auxmoyens de faire face à la mondialisation, en améliorant la capacité d’in-novation, la productivité et la compétitivité. Ces objectifs se retrouventdans d’autres pays scandinaves qui pratiquent de longue date l’éduca-tion des adultes et l’éducation dans le cadre communautaire. Le docu-ment de politique générale adopté par la Norvège en 1997, Lesnouvelles compétences, donne la priorité à l’éducation de base desjeunes et des adultes qui ont été privés d’éducation initiale, au renforce-ment de la coopération entre le gouvernement et les partenaires sociauxen vue de pourvoir au besoin d’apprendre sur le lieu de travail, et àl’évaluation et à la reconnaissance de ce qui a été appris, où que ce soit.

Aux Pays-Bas, un débat national d’une année sur la connaissances’est traduit en 1997 par L’éducation permanente : l’initiative hollan-daise, programme d’action visant à réaliser l’éducation permanente. Leprogramme retient l’acception la plus large d’éducation permanentedont l’éducation première constitue un maillon essentiel. Il est fondésur des considérations sociales et économiques et est centré pour unelarge part sur l’aptitude à l’emploi des travailleurs et des demandeursd’emploi, des enseignants et des chercheurs et la prévention des inéga-lités par une réorientation de l’éducation dès les années de l’écolematernelle. Comme le document norvégien, il recommande fortementl’adoption d’un modèle de partenariat social. Soulignant les besoinsparticuliers des travailleurs les plus âgés, des chômeurs de longue duréeet des femmes reprenant une activité, il accorde beaucoup d’importanceaux mesures incitatives spécialement destinées à ces groupes. Il metaussi en lumière la nécessité d’une collaboration entre le gouvernementcentral, les autorités régionales et les autorités locales en vue derenforcer l’infrastructure publique pour l’enseignement professionnelet l’éducation des adultes par le développement de centres d’enseigne-ment régionaux solidement établis et relativement indépendants.

Les projets opérationnels découlant de ce genre de plans directeursen sont encore à leurs débuts et on ne peut pour l’instant se faire uneidée de leur efficacité. Toutefois, et bien que les priorités diffèrent selonles pays, un certain nombre de tendances convergentes sont percepti-bles dans les objectifs généraux et les grandes orientations des poli-tiques d’apprentissage qui s’ébauchent.

Premièrement, la nécessité de promouvoir la plus large participationpossible de tous les groupes d’âge à l’éducation et à la formation est

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clairement mise en évidence. Deuxièmement, il est reconnu que lesecteur public seul ne saurait y parvenir et le développement de parte-nariats et de réseaux d’apprentissage aux niveaux central, régional etlocal est donc préconisé. Troisièmement, pour des raisons économiqueset pour des raisons sociales (qui sont indissociables), la priorité estdonnée aux plus nécessiteux — les personnes défavorisées et peuinstruites, les adultes au chômage et les petits entrepreneurs. Enfin, unegrande importance est attachée tout à la fois à la satisfaction des besoinsen technologies de l’information et de la communication et à l’utilisa-tion efficace de ces technologies dans l’apprentissage. Ces tendances setraduisent aussi par des projets finalisés spécifiques.

Domaines d’activité particuliers

Les fondements de l’éducation permanente

L’éducation premièreOn s’accorde à estimer que toute stratégie visant à assurer l’éducationpermanente doit reconnaître le rôle crucial joué par l’éducationpremière dans l’acquisition par les jeunes d’une base solide pour leurcapacité ultérieure à apprendre et pour la vie en général. Il n’est cepen-dant pas certain que les vastes réformes de ces dernières années aient étéentreprises dans l’optique de l’éducation permanente. De plus, uneminorité substantielle de jeunes — 15 à 20 % — continuent de quitterl’école secondaire sans avoir acquis de compétences ou de titres leshabilitant à entrer dans la vie active ou à poursuivre leurs études. Dansle cadre des stratégies d’éducation permanente, la lutte contre l’échecscolaire demeure hautement prioritaire.

Il est aussi important que toutes les personnes intéressées — éduca-teurs, parents et employeurs — s’accordent sur l’idée que les établisse-ments d’enseignement ne doivent pas former des spécialistes decertaines tâches mais plutôt offrir aux jeunes une solide éducation géné-rale, leur apprendre à apprendre et les rendre aptes à communiquer avecles autres et à résoudre les problèmes ainsi qu’à utiliser les nouvellestechnologies de l’information et de la communication. Ce sont là descompétences dont l’acquisition n’est pas prévue par les programmesscolaires, ce qui souligne la nécessité d’une redéfinition desprogrammes de base classiques (par exemple, la connaissance de l’infor-matique fait désormais partie des nouveaux savoir-faire essentiels) ainsi

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que de l’instauration de formes plus actives d’apprentissage mettant enœuvre des pédagogies axées sur la solution des problèmes et des liensplus étroits entre la connaissance théorique d’un sujet et ses applica-tions pratiques. Les distinctions habituelles entre l’enseignement decaractère théorique et l’enseignement professionnel cadrent mal aveccette orientation dynamique, centrée sur l’éducation continue. Il s’agitd’élaborer des programmes suffisamment souples qui offrent des itiné-raires individualisés mais qui dotent les individus des capacités et desmotivations indispensables pour continuer à apprendre tout le long deleur vie (Istance, 1999).

C’est dans ce sens que vont les politiques de réforme de l’enseigne-ment appliquées actuellement par beaucoup de pays de l’OCDE, enétroite collaboration avec l’Organisation dans le cadre du projet intitulé« L’école de demain » de son Centre pour la recherche et l’innovationdans l’enseignement.

Au-delà de l’instruction obligatoireLa réforme du deuxième cycle de l’enseignement secondaire a été etcontinue d’être un sujet de préoccupation crucial pour les gouverne-ments de la plupart des pays industrialisés. C’est à ce niveau que l’orga-nisation de la carrière des jeunes se décide et que les effets des disparitéssocio-éducatives apparaissent avec le plus d’évidence. La question estde savoir si ce cycle doit marquer la fin des études ou préparer à l’éduca-tion permanente, ce qui est étroitement lié au conflit entre formationprofessionnelle et formation théorique, qui se prolonge dans l’enseigne-ment du troisième degré et qui, nulle part, n’a encore été réglé de façonsatisfaisante.

Pour la quasi-totalité de ceux qui aujourd’hui sont en cours d’étudesou de formation, le chômage des jeunes et la demande croissante d’éduca-tion de la société ont accentué la nécessité de concevoir des itinérairesnouveaux plus individualisés pour approfondir ses connaissances et sescompétences et entrer dans la vie active. Cette tendance est renforcée parune convergence grandissante entre l’enseignement professionnel et l’en-seignement général, due au fait que la connaissance théorique joue un rôleplus important dans la préparation à l’exercice d’un emploi et que lavaleur de l’expérience pratique est reconnue dans les filières classiques.

Il existe trois types d’itinéraires : l’éducation de caractère théoriquegénéral ; la filière professionnelle essentiellement scolaire permettantd’accéder à l’emploi, à l’éducation postscolaire ou aux deux (par

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exemple en Suède et, plus récemment, en Grèce) et l’apprentissage(manuel ou technique) où l’enseignement dans le cadre d’un emploirémunéré est associé à l’enseignement en classe (par exemple le systèmedual des pays germanophones).

Alors qu’antérieurement on privilégiait le modèle scolaire jugé pluséquitable, les systèmes d’apprentissage du type allemand ont été mis enavant pendant quelque temps en raison de leur capacité avérée à main-tenir les taux de chômage des 15-19 ans à un niveau relativement bas. Ilssemblent désormais avoir moins de succès parce que, en raison desdifficultés économiques et de la concurrence croissante, les entrepriseshésitent davantage à proposer des apprentissages et aussi parce qu’unplus grand nombre de jeunes, notamment en Autriche et en Allemagne,préfèrent suivre un enseignement général plutôt qu’un enseignementprofessionnel et technique. Du point de vue individuel, le principalinconvénient de l’apprentissage est de ne pas laisser la possibilité d’ac-céder ultérieurement à l’enseignement supérieur.

On voit donc apparaître dans un certain nombre de pays un mouve-ment en faveur d’une formule plus largement ouverte qui puisse satis-faire la demande d’études supérieures de type classique et les besoins dumarché du travail. Cette double finalité suppose des formes trèsdiverses de contact préalable avec le marché du travail, allant de l’ap-prentissage manuel ou technique formel aux stages et jobs d’étudiants,et elle permet aux intéressés de prendre conscience des liens qui unis-sent le monde du travail et celui de l’étude et d’envisager favorablementl’éducation permanente. Des analyses ont montré que les modes deformation professionnelle qui préparent aussi bien au travail qu’auxétudes supérieures intéressent les jeunes, comme l’enseignement desBerufshochschulen (BHS) en Autriche et des collèges communautairesen Amérique du Nord (OCDE, 1998c).

S’agissant de la vaste question de l’élaboration de politiques d’édu-cation, de politiques du travail et de politiques sociales cohérentes àl’intention des jeunes qui se préparent à la vie active et à l’éducationpermanente, on mentionnera le mécanisme mis en place dans les paysnordiques au cours des deux dernières décennies qui garantit à chacunla possibilité soit d’étudier, soit de se former, soit de travailler jusqu’àl’âge de 18 ou 20 ans. Un système d’incitations et de pénalités, assortid’un dispositif de sécurité serré pour ceux qui échouent, a contribué àassurer le bon fonctionnement de ce mécanisme (Durand-Drouhin,1998).

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L’enseignement supérieurL’enseignement supérieur, dispensé par les universités et les autresétablissements d’enseignement après le deuxième cycle de l’enseigne-ment secondaire, est important pour la réussite des stratégies d’éduca-tion permanente et, malgré une expansion déjà très sensible de ses effec-tifs au cours des dernières années, il devrait continuer de progressersous la pression des besoins sociaux. Ses diplômes sont désormaismonnaie courante dans nombre de secteurs du marché du travail haute-ment qualifié et la demande pour des spécialisations avancées débordelargement les compétences immédiatement liées à l’emploi.L’enseignement supérieur est aussi gros consommateur de ressources —surtout publiques — mais reste extrêmement sélectif pour ce qui est del’appartenance sociale. Il y a donc lieu de s’interroger sur l’organisation,la diversité et la qualité de l’enseignement proposé ainsi que sur l’équitéen la matière — notamment par rapport à ceux qui n’y ont pas accès —et sur les coûts et le financement de cet enseignement.

Ces questions sont au cœur du débat dont la politique de l’enseigne-ment supérieur fait l’objet dans beaucoup de pays et elles seront certai-nement posées au cours de la grande enquête menée par l’Union euro-péenne sur le rôle des établissements d’enseignement supérieur dansl’éducation permanente. Nous évoquerons trois sujets principaux.D’autres points, qui ont trait plus précisément à l’éducation des adultes,seront abordés plus loin.

La première question est celle du premier cycle de l’enseignementsupérieur auquel ont actuellement accès la moitié au moins des jeunesâgés de 20 ans dans la plupart des pays de l’OCDE. Les premièresannées de l’enseignement supérieur sont de plus en plus considéréescomme le prolongement de la préparation à des études ultérieures plusspécialisées — en d’autres termes, comme l’un des fondements de l’édu-cation permanente. Il s’agit donc de préciser la nature et la durée dupremier cycle de l’enseignement supérieur et de s’interroger sur sa capa-cité de réaliser les objectifs de cette éducation.

Deuxièmement, les établissements d’enseignement supérieur restentdes instruments privilégiés pour l’éducation et la formation permanentes,du fait de la variété de leur offre. Ils permettent de revenir auxprogrammes traditionnels à titre de seconde chance ou pour enrichir lesacquis antérieurs ou obtenir de nouveaux diplômes. Beaucoup d’adultesd’âge moyen ou plus avancé recherchent néanmoins des formules flexi-bles et individualisées qui revêtent d’autres formes. Malgré cette inflation

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de la demande diversifiée des adultes, les solutions institutionnellesdemeurent relativement restreintes. Des mesures imaginatives et auda-cieuses seront nécessaires et les gouvernements devront prendre l’initia-tive en créant des infrastructures, en inventant des mesures d’incitation etdes objectifs, en exploitant pleinement le potentiel des technologies del’information et de la communication, en mettant sur pied de nouveauxpartenariats parmi les organismes de formation et entre les établissementsd’enseignement, les employeurs et les acteurs locaux. À cet égard, l’expé-rience du Royaume-Uni — en particulier l’université des entreprises etles comptes individuels d’éducation — mérite la plus grande attention.

Enfin, la diversification des programmes, la clientèle et les fonctionsdes établissements d’enseignement supérieur dans l’optique de l’éduca-tion permanente exigent une conception nouvelle des systèmes et desprocédures de reconnaissance et de validation. Dans ce domaine, lesétablissements eux-mêmes devraient être encouragés à prendre desinitiatives. Certes, il importe de ne pas abaisser le niveau des connais-sances, mais la diversité des situations implique que l’on s’écarte despistes universitaires traditionnelles pour tenir compte de ce qui a étéacquis au fil du temps et dans divers contextes, y compris l’apprentissageindividuel et l’expérience pratique. Le développement des systèmes dequalification axés sur la compétence et les profils individuels, en coursdans un certain nombre de pays, atteste une évolution dans ce sens. Uneapproche modulaire de l’organisation des cours dans les établissementsd’enseignement supérieur aiderait à atteindre un tel objectif.

L’éducation des adultesL’éducation et la formation des adultes sont le domaine le plus décisif etle plus problématique de l’éducation permanente. C’est dans cedomaine que l’écart entre les prestations réelles et les prestationssouhaitables est le plus sensible et que les inégalités sont le plusmarquées. L’intérêt politique de la question a été mis en lumière par lesrésultats des dernières enquêtes menées dans les pays de l’OCDE, d’oùil ressort qu’un quart des adultes au moins n’ont pas le niveau d’alpha-bétisation requis pour faire face convenablement aux besoins de la viecourante et du travail, sans parler de ceux de l’évolution structurelle etéconomique (OCDE, 1995 ; 1997). Les problèmes ainsi révélés repla-cent les politiques d’éducation et de formation permanentes dans lecontexte plus large des politiques économiques et sociales, en particu-lier des politiques visant à lutter contre l’exclusion.

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Les difficultés inhérentes à l’éducation des adultes sont aggravéespar sa fragmentation en composantes hétérogènes. En effet, elle englobel’éducation générale des adultes dans un cadre formel, y compris l’en-seignement professionnel, l’acquisition des connaissances de base et leperfectionnement de soi ou l’éducation pour le simple plaisir, la forma-tion en vue d’un emploi pour les chômeurs ou d’autres groupes particu-liers et la formation, formelle et non formelle, en entreprise. Ces diffé-rents domaines d’activité ne sont pas centralisés dans certains pays ;dans d’autres, ils relèvent des ministères de l’éducation et du travail, auniveau gouvernemental, des autorités régionales ou des autorités muni-cipales ; enfin, ailleurs encore, ils sont placés sous la responsabilité desemployeurs et des organisations de partenaires sociaux.

Les sources de financement sont diverses. Les employeurs fournissentle gros des crédits destinés à la formation en entreprise qui bénéficie enoutre de subventions du gouvernement pour la formation des apprentis etde groupes particuliers comme les personnes qui sont touchées par unlicenciement ou qui ont besoin d’un recyclage par suite d’une restructura-tion. La formation des chômeurs et des personnes difficiles à employer esten général financée par l’État, bien que les employeurs apportent à cetégard certaines contributions dans les pays où il existe un système de taxeobligatoire de formation. L’éducation générale des adultes, peut êtrefinancée par l’État ou par des organismes bénévoles et nécessite souventun apport individuel sous la forme de droits d’inscription.

Cela étant, il est difficile de généraliser à partir d’une expériencenationale. La taille et la diversité des groupes concernés ne permettentévidemment guère d’élaborer des politiques complètes. Le mode d’ac-tion est donc fonction des circonstances, les différents pays ciblant desgroupes déterminés et les critères économiques occupant une placeprédominante. Le financement est le facteur essentiel, surtout lorsqu’ils’agit de la formation en entreprise et il l’est davantage dans les grandesque dans les petites et moyennes entreprises, et dans certains secteurs.Les premiers bénéficiaires tendent à être les personnes qui sont déjà lesplus qualifiées et les plus élevées en grade. Les femmes et les travailleursà temps partiel sont moins bien lotis que les hommes et les travailleurspermanents. Le sous-investissement et l’inégalité des chances reflètentsouvent le caractère imprévisible des avantages de la formation. Lesmesures visant à accroître la transparence et les équivalences en matièrede qualification, comme celles qui ont été prises au Royaume-Uni etaux Pays-Bas, ont contribué à améliorer les prévisions de ces progrès,

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encourageant ainsi l’investissement personnel. Cependant, même si unlarge éventail d’incitations est proposé aux entreprises et aux particu-liers, le financement est toujours insuffisant et les marchés de la forma-tion demeurent sous-développés.

Pour terminer sur une note plus optimiste, on mentionnera l’initia-tive la plus proche d’une politique nationale intégrée d’éducation desadultes, à savoir l’initiative pour l’éducation des adultes lancée enSuède. Visant à réduire de moitié le chômage pour la fin de l’an 2000 et àpermettre aux groupes défavorisés de rejoindre le corps social, elleillustre bien la tradition nordique qui consiste à vouloir assurer, parl’éducation, tout à la fois la croissance économique et l’égalité sociale.

Les réseaux éducatifsLa multiplication des réseaux éducatifs constitue l’une des manifesta-tions des plus visibles du mouvement en faveur de l’éducation perma-nente. Ces réseaux fonctionnent au niveau national ou au niveau inter-national et il n’est pas rare que des liens existent entre les deux niveaux.Ils s’occupent essentiellement d’expérimenter des systèmes et des idéesnouvelles, et leurs activités vont du lancement de projets concertés oucommuns à l’organisation de l’échange d’expériences et/ou de la miseen commun des ressources.

Au titre des programmes SOCRATES et LEONARDO de laCommission européenne, plus de 100 projets ont été consacrés àaccroître la sensibilisation à l’éducation permanente et sa pratique danset entre les États de l’Union européenne. Ces projets ont porté notam-ment sur les semaines nationales de l’éducation, les réseaux éducatifs,les revues et publications sur le sujet, l’élaboration des programmesd’enseignement, les relations avec les collectivités et les partenariatsavec les entreprises et autres entités s’occupant d’éducation. L’Annéeeuropéenne de l’éducation et de la formation tout au long de la vie(1996) a favorisé ces activités grâce au soutien accordé, par exemple, àdes projets pilotes transnationaux de formation dans les petites etmoyennes entreprises et à la création d’un grand nombre d’organismesnationaux dans le cadre du programme d’éducation et de formationtélématiques de l’Union européenne.

Au niveau national, les centres d’éducation prennent de l’impor-tance dans un certain nombre de pays. Ils jouent un rôle déterminantdans le Livre blanc anglais intitulé The learning age (L’âge de l’appren-tissage) qui prévoit un partenariat étroit avec les autorités régionales,

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locales et communautaires pour la définition de leurs besoins éducatifset la coordination des mesures permettant de pourvoir à ces besoins. Lamise en place de centres locaux dans le cadre des communautés, desinstitutions et des lieux de travail est l’une des fonctions primordiales del’Université des entreprises.

Aux Pays-Bas, en application de la loi de 1996 sur l’éducation desadultes et l’enseignement professionnel, des centres d’éducation régio-nale (ROC) ont été créés sous la responsabilité des autorités locales.Ces centres résultent de la fusion d’établissements d’enseignementprofessionnel secondaire, d’apprentissage manuel ou technique etd’éducation des adultes et ont permis tout à la fois d’accroître lasouplesse de l’offre et de réaliser des économies grâce à l’utilisation plusrationnelle des locaux et des matériels pédagogiques. En Italie, laFormazione Tecnico-Professionale Superiore propose une approchefortement intégrée de l’éducation permanente par l’intermédiaire d’unconsortium formé d’écoles secondaires, d’universités, de centresprofessionnels et d’entreprises d’une région donnée. Au Japon, laFondation de l’éducation tout au long de la vie de Kameoka a été crééeen 1990 pour promouvoir toutes les formes d’éducation des adultesavec l’appui de groupes, de sociétés et d’entreprises locaux.

En conclusion, on donnera un dernier exemple de réseaux, le projetparrainé par l’OCDE sur les « villes apprenantes » (OCDE, 1993). Ilvise à déterminer, à partir de divers cas, la mesure dans laquelle les villespeuvent encourager une culture de l’éducation permanente. À l’origine,sept villes situées dans sept pays de l’OCDE ont été retenues. Plusrécemment, cinq autres leur ont été ajoutées, ce qui montre le terraingagné par l’idée d’une « ville apprenante » où l’apprentissage permanentoccupe une place centrale dans les stratégies de développement commu-nautaire. Dans le seul Royaume-Uni, plus de 20 localités et grandesvilles sont déjà parties prenantes et seront intégrées à la nouvelle stra-tégie du gouvernement.

De manière succincte, l’idée de la « ville apprenante » est née duredéploiement industriel qui touche beaucoup de pays et laisse lesgrandes villes physiquement affaiblies et sans grande cohésion sociale.Pour remédier à cette situation, il est un moyen qui rejoint la nécessité,désormais reconnue, de placer l’éducation et la connaissance au cœur del’activité et la prospérité économiques modernes : mettre sur pied, enpartenariat, des projets de régénération urbaine comprenant un impor-tant élément éducation et investir dans l’éducation et la formation

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formelles et non formelles, pour créer des villes ou des régions « appre-nantes ». Ces villes et ces régions seront caractérisées par la volonté bienarrêtée et persistante des pouvoirs publics, des établissements d’ensei-gnement et de recherche, des organisations bénévoles et des particuliersde faire de l’éducation le pivot du développement de la ville grâce à despartenariats ; une stratégie de développement englobant toutes lesformes d’éducation, de la première enfance à l’âge adulte ; le lancementdans les secteurs de la production et des services d’activités à fort coeffi-cient de connaissance, globalement concurrentielles, l’amélioration descompétences humaines et des capacités d’organisation et la créationd’environnements favorisant l’action d’apprendre, la créativité et lechangement ; un objectif et une identité spécifiques impliquant desvaleurs communes et l’existence de réseaux ; une cohésion sociale, despréoccupations environnementales et des activités culturelles considé-rées comme faisant partie intégrante du développement.

Tel est le cadre général que le réseau de « villes apprenantes »cherche à établir concrètement sur la base des études de cas relatives auxvilles et régions participantes.

ConclusionsCe panorama des tendances nationales et internationales de l’éducationpermanente met en lumière un certain nombre d’obstacles qui doiventêtre surmontés pour que la théorie devienne, fût-ce progressivement,réalité. Seuls quelques-uns, parmi les principaux, seront mentionnés ici.

Premièrement, pour développer une culture de l’éducation perma-nente, il faut prendre en compte des facteurs autres que les argumentséconomiques qui l’emportent à l’heure actuelle dans la réflexion surl’action gouvernementale, même si, indéniablement, ces arguments sontimportants. Les politiques de promotion et d’encouragement visant àaccroître le degré de participation à l’éducation permanente dans tousles groupes sociaux doivent chercher surtout à infléchir les attitudesindividuelles et à mettre en avant l’idée d’une société qui soit non seule-ment prospère mais aussi humaine, juste et riche sur le plan culturel.L’éducation permanente doit pouvoir séduire l’individu et être unesource de satisfaction.

On ne saurait atteindre un tel objectif sans transformer radicalementla philosophie générale de l’éducation de base, en particulier sans modi-fier le partenariat enseignant/enseigné au niveau de l’école et sanséliminer l’échec scolaire. Il demeure extrêmement difficile de vaincre la

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résistance à de tels changements, y compris celle des parents et desenseignants. Si aucun progrès n’est réalisé à cet égard, les exclus del’éducation première ne bénéficieront pas non plus par la suite despossibilités de l’éducation permanente.

Deuxièmement, malgré les efforts soutenus déployés en vue de lecombler, l’écart entre l’enseignement général et l’enseignement et laformation professionnels subsiste. Le phénomène, qui est culturel, estcaractéristique des sociétés qui accordent plus de valeur au savoir théo-rique qu’aux connaissances techniques et professionnelles et à la compé-tence. Rétablir l’équilibre devrait être un objectif majeur pour les respon-sables des politiques d’enseignement et de formation professionnels.

Troisièmement, il est clair que la participation des employeurs auxprogrammes d’éducation permanente est insuffisante, même si beau-coup de pays ne disposent pas de données sur l’apport total des entre-prises. Les montants investis par ces dernières dans l’enseignement et laformation professionnels de caractère général sont particulièrementmodestes par rapport à ceux qu’elles consacrent à la formation liée à unemploi déterminé. Les avantages tant vantés du partenariat ne devien-dront jamais réalité à moins de persuader les employeurs d’accroîtreleur contribution à l’éducation permanente de façon à profiter collecti-vement des bienfaits d’une « société apprenante ».

Enfin, reste la question du prix de la mise en œuvre des politiquesd’éducation permanente, en particulier lorsque la lutte contre l’exclusionsociale est effectivement considérée comme un objectif primordial de cespolitiques. Des ressources nouvelles sont nécessaires et celles qui serontdégagées par le transfert de crédits alloués à d’autres secteurs de l’éduca-tion ou par la rationalisation et la réduction des coûts de l’éducation neconstitueront qu’un appoint. L’utilisation des technologies de l’informa-tion et de la communication, indispensable pour le développement dessystèmes d’éducation permanente, entraînera en soi des dépenses extra-budgétaires substantielles, du moins dans les premiers temps. Les fondspublics doivent être complétés par une contribution accrue des particu-liers et des employeurs si l’on veut que cet idéal se concrétise.

Dans ces conditions, la mise en œuvre des politiques ne peut être queprogressive et c’est ce que l’on constate déjà dans un certain nombre depays. Il s’agit de planifier et de mettre en œuvre une stratégie graduelledans un cadre déterminé pour atteindre à longue échéance l’éducationpermanente. Le débat en cours a au moins ouvert des perspectivesnouvelles et stimulantes pour la réflexion sur la politique éducative.

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68 • George Papadopoulos

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Les politiques d’éducation permanente : panorama des tendances internationales • 69

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Chapitre 2 : Les nouveaux défis de l’éducation

Roberto Carneiro*

L’éducation et l’humanité suivent des voies parallèles. Après tout, l’édu-cation a toujours été considérée comme une sorte de pansofia permet-tant de tirer le meilleur parti possible des connaissances et de la sagesseacquises par chaque génération.

L’unité de la personne transcende l’espace et le temps mais lapersonnalité humaine, par-delà cette unité essentielle, s’est parée d’unemultitude de masques, comme si une force intérieure la poussait à s’épa-nouir sous des formes qui toujours sont l’expression de l’attributpremier de l’univers : la créativité.

Partant, chacun des itinéraires empruntés par le développementhumain a généré des mutants culturels. Cette prolifération s’est traduitepar une diversité remarquable. On peut ainsi distinguer : L’homo faberavec la culture de l’outil ; l’homo socialis avec la culture des relations degroupe ; l’homo mediaticus avec la culture de la communication ; l’homoludens avec la culture du loisir ; l’homo economicus avec la culture del’appropriation ; l’homo connectus avec la culture du réseau ; l’homosapiens avec la culture de l’interprétation.

De fait, nous assistons actuellement à l’émergence d’une espècenouvelle de culture, celle de l’homo connectus ou collegatus, culture du

* Roberto Carneiro est président de TVI (Televisão Independente), ancien

ministre de l’éducation du Portugal, professeur au Centre d’études sur les

peuples et les cultures à l’Université catholique du Portugal (Lisbonne), et

rédacteur en chef de la Revue de l’éducation et de la société. Le présent docu-

ment a été écrit pour l’UNESCO en septembre 1998.

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réseau en ligne rendue possible par l’immédiateté des technologiesmodernes de l’information et de la communication. On notera qu’àl’origine l’interconnectabilité procédait directement des besoins del’homo economicus, en ce qu’elle accroissait sa maîtrise du monde.

La ville éducatriceLa primauté persistante de l’homo economicus dans notre civilisationcrée de graves déséquilibres dans les villes. L’accumulation de biens au-delà des besoins et sa légitimation par des modes capitalistes de produc-tion corrodent le tissu social et portent l’exclusion à un niveau que lesthéoriciens de la cité moderne n’avaient pas prévu.

Le sauvetage de nos villes en tant que symboles du progrès humain etlieux de mémoire apparaît donc comme une tâche complexe et primor-diale. Un nouveau paradigme s’impose si l’on veut respecter quatreimpératifs majeurs essentiels pour retrouver la cité éducatricequ’Athènes affirmait être pour la Grèce ancienne, il y a quelque3000 ans. Ces quatre impératifs de la ville postindustrielle sont lessuivants : favoriser l’intelligence urbaine ; encourager l’apprentissageurbain ; construire un foyer urbain commun; réinventer la démocratieurbaine.

Le concept de cité éducatrice est induit par un nouveau contratsocial, un contrat qui tend à un réaménagement de la ville fondé sur leprincipe de proximité. Le retour à l’échelle humaine dans la métropolecontemporaine est indispensable à la bonne gouvernance, c’est lemoyen de créer un capital social et un climat de confiance, la baserequise pour renforcer la cohésion de la société et l’instrument néces-saire pour constituer des communautés de haut niveau de contact.

Seul un renforcement effectif de l’intelligence urbaine peut venir àbout d’une opacité qui ne cesse de croître. Nos agglomérations urbainespourraient alors être des sujets et des moteurs d’éducation, des lieuxd’intégration et de citoyenneté participative — l’aboutissement de laconstruction d’un foyer urbain commun et de la réinvention de ladémocratie urbaine.

Les destins des villes et de l’éducation sont inextricablement liés. Iln’est pas surprenant que les tensions croissantes que génère notre façonde vivre ensemble se traduisent par des tensions nouvelles dans l’éduca-tion. En fait, les systèmes éducatifs répercutent très fidèlement lescontradictions des sociétés dans lesquelles ils s’inscrivent. Les tensionsdans l’éducation ont diverses causes, notamment : l’interaction entre la

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tradition et la modernité ; les tractations émanant de la définition despolitiques par les pouvoirs publics ; l’écart entre le long et le courttermes ; la recherche d’une équité accrue dans un monde dominé par uneconcurrence féroce ; la nécessité de concilier les approches mondiales(universelles) et les besoins locaux (individuels) ; la progression cons-tante des connaissances alors que la capacité d’assimilation de l’hommeest limitée ; les subtiles influences réciproques du spirituel et du matériel.

Perspectives sociétalesDans cette optique, on peut définir trois tendances sociétales impor-tantes dans lesquelles s’inscrit le développement de l’éducation auXXIe siècle. Ces tendances ont été esquissées à grands traits dansL’éducation : un trésor est caché dedans — le rapport présenté àl’UNESCO en avril 1996 par la Commission internationale sur l’éduca-tion pour le vingt et unième siècle, présidée par Jacques Delors1. Cestendances sont l’interaction entre la mondialisation et la quête deracines ; la recherche de la cohésion sociale, de l’intégration et d’unedémocratie accrue ; le passage d’une croissance économique inéquitableà un développement humain durable.

Les trois tendances répondent, dans un cadre mondial, aux grandespréoccupations sociales, culturelles et économiques de l’humanité en cedébut de siècle. Leur analyse sous l’angle de l’éducation suppose quel’on modifie profondément la définition des priorités éducatives, et,inévitablement, la définition des priorités dans une certaine mesurediscutable, parmi les problèmes cruciaux auxquels les sociétés doiventfaire face à l’aube du nouveau millénaire, exige que des mesures soientprises dans le domaine de l’éducation.

C’est ainsi que la Commission Delors a formulé sa vision de l’édu-cation au XXIe siècle. Cette vision est fondée sur quatre priorités oupiliers : apprendre à être ; apprendre à connaître ; apprendre à faire ;apprendre à vivre ensemble.

Les recommandations relatives à chacun de ces piliers sont exposéesen détail dans L’éducation : un trésor est caché dedans. Il est néanmoinsintéressant de savoir comment ces grandes priorités d’éducation serattachent à ce qu’on appelle la stratégie de la société de la connaissance,si souvent présentée comme le nouveau paradigme dominant.

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1. Roberto Carneiro a fait partie de la Commission internationale sur l’éduca-

tion pour le vingt et unième siècle.

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Il est intéressant de noter que la Banque mondiale, dans l’édi-tion 1998 de son Rapport sur le développement dans le monde, retient cethème comme une priorité. Le nouveau mot d’ordre, « la connaissanceau service du développement », correspond bien aux besoins croissantsde la société « cogniocratique ». De même, les nouvelles théories de lacroissance inspirées dans une large mesure par la contribution du savoirhumain à la création et à la diffusion des innovations technologiquesmentionnent quatre piliers du développement durable : la qualification ;les centres de connaissance ; les réseaux de connaissance et les infras-tructures de l’information.

Cette évolution profonde qui tend à accorder de l’importance auxéconomies et aux sociétés de l’immatériel a une fois encore propulsél’éducation au centre de la réflexion stratégique. De plus, l’éducationdevient une sorte d’idéologie postmoderne. Curieusement, en cetteépoque d’idéologies diffuses, l’élite intellectuelle semble avoir trouvéun concept nouveau auquel adhérer. Les individus, les communautés,les organisations, les nations « apprenants » lui offrent un dessein poli-tique consensuel pour l’avenir.

Dans cette approche générale, il existe ce qui pourrait constituer unfondement solide pour un nouveau contrat social : l’idée d’un vaste parte-nariat alliant étroitement les droits et les devoirs en relation avec les inté-rêts des sociétés de la connaissance. Dans cette optique, l’éducation n’estpas simplement l’exercice d’un droit universellement reconnu, elle estaussi, à l’inverse, l’action d’apprendre en tant que devoir moral, en tantque partie intégrante de la citoyenneté et de l’obligation de participeractivement à la vie sociale dans un environnement en constante évolution.

Le nouveau savoirUne fois admis que la connaissance est un concept de base pour nossociétés, on peut affirmer que l’enjeu pour les établissements d’ensei-gnement n’est pas simplement quantitatif. Il est incontestable que laconnaissance progresse à un rythme sans précédent. Le changement leplus surprenant, cependant, est celui qui s’opère dans la natureprofonde de cette connaissance.

Le nouveau savoir se métamorphose constamment. L’aspect essen-tiel de cette évolution est la transformation de la connaissance objective(codifiée et scientifiquement organisée) en connaissance subjective (uneconstruction intellectuelle personnelle, fortement sociale du fait de sesmodes de production, de diffusion et d’application).

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Dans la connaissance de caractère culturel et individuel, en confor-mité avec la nouvelle typologie des modes de connaissance dans lessociétés postindustrielles, les relations sociales jouent un rôle primor-dial. La mémoire, la culture générale, le milieu familial, le patrimoineethnique, les codes émotionnels, tous ces facteurs influent énormémentsur les voies empruntées pour élaborer et acquérir la connaissance.

Il faudra adapter les stratégies d’éducation et de formation auxnouveaux modèles de connaissance inscrits dans des mentalités extrê-mement diverses, en acceptant l’idée que le savoir est dans une largemesure une construction personnelle et en reconnaissant tacitement queles parcours permettant de le posséder en temps opportun sont multi-ples. Les évolutions qui marquent le plus fortement l’éducation et laformation dans les sociétés de la connaissance sont celles qui conduisentde la connaissance objective à la connaissance interprétative, de lasociété industrielle à la société « apprenante », de l’instruction à l’ap-prentissage individuel, de la communication à l’acquisition de laconnaissance et de l’école à des modes d’éducation non formels.

Nouveaux modes d’acquisition de la connaissanceL’acquisition du savoir n’est pas une opération simple, ce n’est pas nonplus un résultat immédiat de l’enseignement. On peut rendre lacomplexité des modes théoriques d’acquisition de la connaissance endistinguant au moins quatre processus (figure 1).

Le savoir quoi et le savoir pourquoi correspondent aux conceptionstraditionnelles de l’enseignement : une connaissance objective cons-truite et mécaniquement transmise sur la base de rapports de causalité.Le savoir qui et le savoir comment correspondent aux aspects plushumains de la production de la connaissance qui semblent fortementtributaires des milieux social et culturel.

Un nouveau triangle éducatif associe l’« apprentissage » théorique,l’« apprentissage » professionnel et l’« apprentissage » empirique. Danscette optique, l’expérience — apprendre par l’action — est importante,en particulier pour tout ce qui a trait à la mètis (connaissance pratique)par opposition à l’épistémè (connaissance théorique) ou à la téchnè, pourutiliser l’ancienne taxinomie grecque. Cela exige donc de plus en plus desouplesse. L’enseignement tend à être dispensé partout, alors que sous saforme traditionnelle il ne pouvait l’être que dans un cadre très formel.

Depuis la Conférence mondiale sur l’éducation pour tous (Jomtien,Thaïlande, 1990), un changement d’orientation conceptuel s’est

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produit dans la doctrine de l’éducation, et l’école traditionnelle, quiétait le principal pourvoyeur d’éducation, a cédé la place à desformules multiples permettant de s’instruire en un seul lieu ou dans deslieux différents, en une seule période ou en plusieurs périodes. Il enrésulte quatre situations d’« apprentissage » : dans le cadre de l’écoletraditionnelle (une seule période, un seul lieu) ; en alternance, tout aulong de l’année (différentes périodes, un seul lieu) ; par le biais de l’uni-versité ouverte (une seule période, différents lieux) ; la flexibilité (diffé-rentes périodes, différents lieux).

Le passage de l’école traditionnelle à l’éducation flexible traduitl’évolution conceptuelle qui s’est produite depuis la Conférence deJomtien et ses appels pressants pour une action mondiale en faveur del’éducation pour tous, et l’adoption d’une stratégie d’éducation tout aulong de la vie plus conforme aux besoins nouveaux de la société dusavoir.

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Savoirquoi

Savoirpourquoi

Savoir qui

Quatre manières de savoir

Un nouveau triangle éducatif

NouveauSavoir

Savoircomment

et

Professionnel Empirique

Théorique

Figure 1 : Quatre manières de savoir

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Pour apprendre à savoir en tirant pleinement parti de cette philoso-phie de l’éducation, il faudra aussi renoncer aux axiomes occidentalo-centristes en matière de connaissance et substituer aux règles rigoureu-sement occidentales des règles plus universelles qui empruntent à toutesles cultures et à toutes les histoires humaines le meilleur de leursapports épistémologiques.

Les algorithmes rationnels simples d’une norme purement eurocen-trique ne fournissent pas toutes les explications nécessaires pour inter-préter un monde complexe et incertain. Seule une approche polysé-mique de la connaissance permet de vaincre la fragmentation et lalinéarité. En outre, l’accomplissement de réels progrès et le développe-ment social sont bien davantage fonction de systèmes générateurs dediversité que de la normalisation.

La réalité du monde moderne est d’une extrême complexité. Cettecomplexité tend à produire des systèmes d’auto-organisation fondéssur des propriétés émergentes. Je pars du principe que l’action d’ap-prendre est la propriété émergente d’entités biologiques capables deparvenir à des formes supérieures d’auto-organisation, contrairement àleurs homologues purement mécaniques.

La connaissance intégratrice est un progrès, c’est une démarche quiconsiste à renoncer à l’approche classique au profit de méthodes flexi-bles permettant d’atteindre des objectifs cognitifs, de développer desaptitudes mécacognitives (aptitudes à l’autorégulation des efforts d’ap-prentissage) et d’acquérir des compétences humaines ou sociales(figure 2).

Le contenu futur de l’« apprentissage » pourvoira donc à de nomb-reux besoins humains et ne se bornera plus à générer des compétencesprofessionnelles ou des biens économiques comme c’était la règle dans lasociété industrielle et comme l’exigeaient les produits dérivés du capitalhumain. Dans cette optique, on peut classer les progrès à accomplir, auxfins de l’éducation tout au long de la vie, en trois catégories : développe-ment personnel et culturel ; développement social et communautaire ;perfectionnement professionnel et aptitude durable à l’emploi.

Dans le premier cas, il s’agit de l’harmonie intérieure et de la néces-sité connexe de fonctionner de façon logique tout au long de sa vie ; c’estl’homo sapiens construisant sa raison. La deuxième catégorie vise lesmultiples exigences de la citoyenneté dans une démocratie active ainsique l’aptitude à participer dans un esprit d’entreprise pleinement social ;c’est la formation d’un capital social et les efforts à déployer pour

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renforcer la cohésion sociale. La troisième concerne la personne autravail et le problème de son aptitude à l’emploi tout au long de la vie.

Cette conception générale des besoins éducatifs répond à ce que lasociété réclame en matière de « compétences de base de niveau supé-rieur » qui vont bien au-delà du débat traditionnel sur le programmeobligatoire commun et ses résultats.

Vue sous cet angle, l’éducation tout au long de la vie apparaîtcomme un effort multidimensionnel. Dans la ligne de ce que nousavons déjà proposé, elle devient une devise prioritaire, un leitmotividéologique, que nous devons suivre pour modeler nos sociétés endevenir. En résumé, on peut dire que l’éducation tout au long de la viedoit s’articuler autour de six axes principaux : la diversité des itinéraires ;les possibilités d’éducation permanente ; la participation communau-taire ; les antidotes à l’oubli des connaissances et des compétences ; les

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Figure 2 : Savoir connaître

Savoir connaître

Le modèle occidental Le modèle global

Fonctionnalisme cognitif

Linéarité Complexité

Approche globale (Gestalt)

Savoir fragmentéCorrélations

spatiotemporelles

Enseignement parcomposants

Savoir simple codifié

Apprentissage selon un système de choix fondé

sur la valeur. Structures auto-organisées de savoir

implicite

Standardisation imposant l’uniformité

et la conformité linéarité

Autonomie favorisant la diversité et la créativité

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dimensions sociales de la production de la connaissance ; les moyens depallier l’inégale répartition de l’intelligence.

Ces axes détermineront le scénario et le rythme de la réformeprofonde dont nos systèmes éducatifs doivent faire l’objet. Le résultatest difficile à prévoir à l’avance mais une chose est sûre : les paradigmesqui régissaient un mode industriel, mécanique, de production de laconnaissance trouvant son expression dans une école hiérarchiséedevront être sérieusement revus.

L’éducation tout au long de la vie n’est plus seulement l’extensiond’un modèle d’éducation en deux temps où l’éducation initiale étaitsimplement suivie d’une possibilité de retour à l’éducation. Il estindispensable de repenser le concept de façon à tenir compte des phéno-mènes qui se font jour : l’apparition de nouveaux anciens, la flexibilitéde l’organisation du travail et les stratégies combinées pour des activitésd’apprentissage productives.

Propositions concrètesEnfin, quelques propositions concrètes peuvent être formulées à partirdes recommandations de base faites à la communauté internationale dansle rapport Delors. Pour tenter de dégager quelques politiques gouverne-mentales susceptibles d’influer concrètement sur l’évolution des institu-tions, je suggérerai trois mesures : accorder le droit de bénéficier decongés d’étude après la scolarité obligatoire ; faire des enseignants lecentre des possibilités d’éducation; adopter le système dual pour rétablirla confiance entre les entreprises et les établissements d’enseignement.

La première mesure permettrait de favoriser un système d’apprentis-sage permanent induit par la demande, en accordant le droit de bénéfi-cier de congés d’étude une fois passé le temps de la scolarité obligatoire.

La deuxième mesure consisterait à faire des enseignants le centre despossibilités d’éducation, car, fait inquiétant, ils sont actuellementsouvent victimes d’un désinvestissement dans les politiques des pouvoirspublics. Il faudrait, au contraire, prôner énergiquement la nécessité d’in-vestir dans le corps enseignant pour qu’il devienne la source principalede l’offre de contenus dans un monde régi par l’information. Si l’onoffrait aux enseignants des outils d’édition, des matériels et des logicielsappropriés ainsi que des possibilités de recyclage intensif, beaucoupd’entre eux seraient incités à renoncer à l’ancien système passif et à neplus agir selon des instructions et cesseraient d’être condamnés à utiliserdes matériels imposés et conçus par d’autres.

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En troisième lieu, je préconise vivement l’adoption d’un systèmedual d’éducation qui jetterait une passerelle entre la connaissance codi-fiée et la connaissance implicite et aurait raison de l’opposition tradi-tionnelle entre les humanités et les études professionnelles. Il est tempsque notre civilisation abandonne le raisonnement ancien qui renonce àla culture générale au profit des compétences professionnelles. À défautd’autres arguments, il suffirait d’écouter les employeurs pour lesquels,de plus en plus, mieux valent des connaissances de base et des compé-tences de caractère social que des aptitudes professionnelles pointues.

L’éducation et l’apprentissage sont des priorités essentielles dans laperspective d’un XXIe siècle meilleur que le siècle précédent. Il faut doncrelancer la coopération internationale dans ce domaine et s’y engagerplus énergiquement.

Toute action visant à provoquer une avancée de la communautéinternationale suppose que trois conditions principales soient remplies,car une société de la connaissance ne saurait être moralement justifiéeque si elle est plus équitable que son modèle antérieur. Ces conditionssont les suivantes : échange dette contre éducation ; échange de scienti-fiques et de chercheurs ; affectation à l’éducation d’un quart de l’aidedestinée au développement.

Le XXIe siècle est porteur de nouveaux espoirs. L’éducation est véri-tablement le trésor qui est caché dedans. La société industrielle nous alégué une génération de consommateurs et de producteurs qui nedonnent pas une image positive de l’humanité. La société d’éducationouvre la voie à une génération de créateurs.

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Chapitre 3 : L’éducation tout au long de la vie : état des lieux, nouveaux enjeux

Maria Teresa Ambrósio*

Apprendre tout au long de la vie n’est ni un concept abstrait ni une idéenouvelle. C’est plutôt une conception de la vie, une poursuite opiniâtreégalement source de satisfactions et de joies.

Ma propre expérience de l’éducation tout au long de la vie, lorsque jedébutais ma carrière en tant que planificateur de l’éducation, m’a permisde mesurer l’immense apport des travaux de l’OCDE, travaux qui ontinspiré la réflexion de tant d’autres de ma génération. Plus tard, lesprogrammes de l’UNESCO m’ont guidée vers de nouveaux concepts etde nouvelles interrogations, la définition de nouveaux rôles dans lesprocessus éducatifs et de développement dans différents pays. Lescontacts avec la Banque mondiale, en particulier ses programmes desoutien aux pays de l’Afrique lusophone, ont abondamment nourri mesrecherches en politique éducative et m’ont permis d’accéder à la vie poli-tique et universitaire. L’éducation tout au long de la vie peut être unedémarche pertinente et valorisante si elle est bien pensée et menée avecconviction. À l’aube du nouveau millénaire, il est temps de faire le bilande ce qui a été fait et reste à faire pour promouvoir le défi majeur de l’édu-cation tout au long de la vie.

Qu’est-ce que l’éducation tout au long de la vie?Le défi de l’éducation tout au long de la vie est de donner du sens à desdémarches stratégiques nouvelles en matière de politique éducative

* Maria Teresa Ambrósio, professeur à l’Université Nouvelle de Lisbonne, est

également présidente du Conseil national de l’éducation, à Lisbonne.

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pour le XXIe siècle. Après tout, elle n’est rien d’autre qu’une démarche,une voie plus large offerte aux enfants, aux adolescents, aux adultes etaux personnes âgées, dans les divers lieux et situations impliqués dansl’enseignement et la formation tout au long de la vie. Plus précisément :« C’est une démarche consciente et personnelle de l’individu, parlaquelle il se construit au travers de l’apprentissage et de l’éducationmais aussi au travers d’une expérience pratique réfléchie, conditionnéepar des relations sociales et interpersonnelles multiples. Le simple faitd’apprendre, ou la relation enseignant-apprenant, n’est rien d’autre quela dimension cognitive qui sert de base à l’acquisition de savoirs tacites,pratiques et explicites, indispensables au développement de la pensée,du raisonnement, de la logique, des capacités d’analyse, de synthèse etde questionnement, toutes capacités cognitives qui aident l’individu àapprendre à s’instruire, seul ou aidé de quelqu’un. »

Apprendre à s’instruire est aussi un défi spécifique dans la sociétéactuelle, où l’information est omniprésente. C’est apprendre à recher-cher l’information, à l’analyser, à l’utiliser et à la transformer chaquejour en connaissance. Cette dimension cognitive ne doit pas êtreséparée d’autres attitudes comme le développement de relationsamicales et sociales, l’expérience esthétique et éthique de chaque indi-vidu ou la responsabilité sociale, autrement dit tout ce que les théorieséducatives actuelles déterminent comme processus holistique etpersonnalisé de l’éducation permanente. Éducation et formation dans lasociété de l’information, ces prémisses nous imposent de repenserl’éducation actuelle et de réinventer de nouveaux processus, denouveaux systèmes et de nouvelles politiques éducatives.

Une évolution nécessaireLes systèmes scolaires formels actuels, les activités périscolaires infor-melles et les systèmes d’enseignement professionnel semi-officiels,semi-déterminés par le marché ou les marchés (ou les économies) dutravail, ou encore visant à l’insertion dans la vie sociale de publics fragi-lisés, ne satisfont pas aux exigences de l’éducation tout au long de la vie.

Nous devons repenser et analyser à la lumière des objectifs de l’édu-cation tout au long de la vie les questions qui préoccupent les responsa-bles politiques : refonte des programmes à l’échelle de l’ensemble dusystème scolaire (en particulier vers la fin de l’enseignement secondaire)et des stratégies scolaires, des plans de formation et de l’enseignementprofessionnel ; impact de l’utilisation des techniques multimédias issues

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de la société de l’information ; cadres de références pour l’évaluation desélèves ; examens et épreuves traditionnels ; modèles pour la formationdes professeurs et son évaluation ; évaluation des établissements de lamaternelle à l’université.

Nous connaissons une période de changement, en particulier dans laculture de l’enseignement et, avec elle, une modification de toutes lesréférences qui ont servi à l’organisation de nos systèmes d’éducation.Ce qui était valable dans les décennies passées ne l’est plus entièrementaujourd’hui, surtout en considération de nos exigences pour l’avenir.Nous ne devons pas craindre de repenser les problèmes car nous avonsune expérience suffisamment solide de l’éducation permanente pourréviser notre politique éducative.

L’avenir réclame une évolution constante et dirigée, et non simple-ment des réformes structurelles ou des améliorations de la qualitéprésente. Plus exactement, c’est le changement qui entraînera la ruptureinévitable avec le passé, à travers laquelle nous pourrons faire desprogrès qualitatifs qui nous forceront à penser moins en termes desystèmes organisés, bien administrés qu’en termes de moyens deconduire les processus d’éducation et de formation dynamiques quiexistent déjà à l’intérieur et à l’extérieur des systèmes actuels.

Je pense que, pour l’essentiel, la politique éducative est le refletspécifique, en puissance, du sentiment social : il ne peut y avoir dequalité de vie ou de développement humain sans éducation et sans unepossibilité d’apprendre en continu.

Les principaux objectifs de la formation des citoyens en tant queressources humaines — pour un développement qui requiert desconnaissances, une culture scientifique solide et des savoir-faire techno-logiques appropriés permettant une action efficace — devront êtrel’aboutissement d’activités et de programmes multiples au sein dessystèmes scolaires, avec le soutien de centres de formation et d’établis-sements universitaires.

Mais un autre objectif est d’éduquer l’individu pour une citoyennetéactive, afin qu’il se forge une conscience et parvienne à une compréhen-sion fine du monde qui l’entoure, s’engage sur le plan social, pour cons-truire avec les autres les valeurs éthiques qui nous permettront de vivreen paix.

Ce sont là les principaux objectifs de l’activité éducative prise dansson ensemble, que l’on ne peut réduire à une simple mission d’État.C’est une responsabilité qui incombe aux États mais ils souhaitent géné-

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ralement créer un nouveau modèle capable de guider cette approcheéducative générale. Un modèle qui soit multisectoriel, multirégulateur,multiparticipatif, multiterritorial pour la société éducative. Un modèlequi exige la révision du contrat socio-éducatif (en particulier en Europe)à la base de nos systèmes éducatifs, la révision de nos lois et critèresd’évaluation, tous patiemment élaborés au cours du siècle passé, aucours des décennies où la plupart d’entre nous étions en activité.

Ce contexte est indispensable pour nous permettre de travailler à unrythme dicté par l’éducation — dont le pas est long, lent et existentiel —et non par les transformations sociales que nous expérimentons. Il nouspermet de repenser et de réinventer un nouveau paradigme éducatif à lalumière duquel nous pouvons évaluer nos accomplissements, passés eten cours, et ce que nous voulons établir.

Comme toujours, la coopération internationale a un rôle fonda-mental à jouer. Elle contribuera en premier lieu à la réflexion et à ladiffusion de cette réflexion. Elle fera naître de nouvelles politiques degestion et des stratégies convergentes et encouragera la solidarité. Maisil nous incombera toujours, à nous éducateurs de chaque pays —parents, professeurs, instructeurs et organismes sociaux —, d’initier desréformes sensées sur le plan de nos structures éducatives, de nos aspira-tions, de nos moyens et des problèmes que nous rencontrons, en cher-chant la démarche et la ligne politique justes pour réaliser les transfor-mations que nous souhaitons. Promouvoir l’éducation tout au long dela vie signifie aujourd’hui réfléchir, s’interroger, expérimenter, observer,témoigner, évaluer les résultats et, encore et toujours, réfléchir à ce quenous avons fait.

Enseigner dans une perspective nouvelleL’éducation tout au long de la vie ne se résume pas, bien sûr, à des macro-décisions. Il nous faut aussi prendre en compte les apprenants et les ensei-gnants. Nous devons avoir à l’esprit l’existence de problèmes tout à faitspécifiques, qu’il nous faut clairement poser. Un certain nombre de sujetsdevront être débattus, que soulève le questionnement des modèles d’en-seignement du point de vue de l’éducation tout au long de la vie.

Le processus individuel de l’éducation tout au long de la vieTraitant de l’éducation tout au long de la vie, il importe d’en expliquerclairement les concepts de base. L’un d’entre eux s’inspire de recherchesen matière d’éducation des adultes, perçue comme un processus de

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développement de l’individu. Ce processus implique l’acquisitionpermanente de nouvelles connaissances, de savoirs aussi bien tacites,pratiques, professionnels qu’explicites, d’enseignements susceptiblesd’être organisés en disciplines épistémologiques.

Mais la construction de l’individu, chez l’adulte en particulier,progresse aussi avec l’acquisition de savoir-faire, d’attitudes, de modesde comportement sociaux et professionnels fondés sur la réflexion indi-viduelle et l’expérience vécue. L’éducation des adultes est très différentede celle de l’enfant ou de l’adolescent. Pour être efficace, elle doittoujours prendre appui sur le contexte socioculturel et économiquepropre à chaque adulte et en particulier son propre vécu.

Dans cette conception, l’« apprentissage » adulte n’est pas seulementintellectuel, c’est aussi un processus individuel, où l’homme ou la femmeconstruit son identité personnelle et sociale au travers de relations —parfois conflictuelles, parfois au travers d’un dialogue — avec son envi-ronnement professionnel, social, familial, et avec tous les êtres humains.

L’éducation tout au long de la vie ne se résume pas à une question depolitique d’éducation scolaire. En fait, elle répond à la nécessité où setrouve chacun de répondre à la dynamique sociale du changement. Cechangement peut dans une certaine mesure s’expliquer par l’évolutionéconomique et sociale, ou par la concurrence. Mais il peut aussi s’expli-quer dans certaines régions ou au sein de certains groupes défavoriséspar une dynamique liée au mode de vie communautaire, par une crise,une stratégie de développement, voire une situation de survie.

L’émergence du savoir dans la sociétéCe passage du concept de « l’éducation scolaire » (définie par une poli-tique éducative) à un processus continu d’éducation et de formation quiest la réponse de l’individu à la société est extrêmement important pourceux qui enseignent et pour la manière dont ils enseignent, et il fautl’avoir à l’esprit dans les débats et l’analyse des paradigmes.

Cette évolution du concept est indéniablement liée à l’émergenced’un nouveau type d’« élève » : « l’apprenti » ou « l’individu social quiapprend ». Ce nouveau type d’« apprenant » n’est pas simplement unélève qui apprend, il est aussi immergé dans une société dynamique quile forme. L’éducation tout au long de la vie ne s’ancre pas seulementdans la recherche de l’autonomisation de l’individu, mais aussi dans lesnouvelles relations que cet individu établit au cours de sa vie avec

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nombre d’institutions sociales qui lui évitent d’être coupé du monde oude l’environnement local.

Le phénomène de l’apprentissage continu et de l’apprentissagefondé sur l’expérience met en cause les théories éducatives tradition-nelles et donne naissance à un nouveau type de paradigme « anthropo-métrique », voisin des paradigmes d’une pédagogie scolaire positiviste,non plus fondé sur une démarche objective de construction de l’indi-vidu mais sur une vision anthropo-formative développée selon unedynamique formation-action-formation.

C’est l’éducation tout au long de la vie, mais c’est une nouvellefaçon d’apprendre. Comme d’aucuns le disent, « il n’est pas de vie réellesi l’on n’apprend pas » (Mezirow, 1996). L’éducation ne se limite pas auraisonnement cognitif, elle passe par le développement du systèmepersonnel et nous connaissons parfaitement l’apport de la psychologiedu développement à cet égard (Knowles, 1990).

Transformer les paradigmes pédagogiquesAlors, qu’est-ce qu’enseigner ? Est-ce enseigner du point de vuenouveau de l’éducation tout au long de la vie ? Nous sommes au fait desmodèles scolaires, des modèles perfectionnés de formation profession-

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Triangle pédagogique scolaire

Apprentissage

EnseignementFormation

Élève Savoir

École

Enseignant

(Houssay, Meirieu, Fabre, Galvani)

Figure 3 : Triangle pédagogique scolaire

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nelle et des innovations qu’ils ont apportées au couple apprendre-ensei-gner. Ce sont des modèles universels, enracinés dans la psychologie dePiaget et les concepts du constructivisme cognitif en vigueur dans lesystème scolaire (in vitro), et qui dans les dernières décennies ont œuvréautour d’une perspective centrale — autour du professeur, de l’école, dela classe ou de l’élève.

En bref, ces modèles peuvent être représentés par la relation trilaté-rale qu’illustrent les diagrammes pédagogiques triangulaires bienconnus des professeurs. Le triangle scolaire (figure 3) présente l’éduca-tion comme une relation trilatérale entre l’enseignant, le savoir etl’élève : l’enseignant enseigne mais sait que cela ne signifie pas forcé-ment que l’élève apprend. L’enseignant doit établir une relation éduca-tive avec l’élève — une relation personnelle — pour mobiliser ses capa-cités cognitives et sa motivation. Cette relation éducative estindispensable pour stimuler la capacité à apprendre de l’élève.

Cependant, les paradigmes pédagogiques plus orientés vers lesadultes ou la formation professionnelle (figure 4) illustrent unprocessus plus élaboré. L’enseignant ou le formateur est la personnecapable d’établir une relation bilatérale entre l’apprentissage, l’indi-vidu et l’activité professionnelle, et de mettre en œuvre une logique

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Triangle de stratégie formative

Logique de développementpersonnel et professionnel

Logique didactiqueLogique socio-professionnelle

Métier ou activité Individu

Formation des enseignants

Apprentissage

(Mezirow, 1996 ; Honoré, 1992 ; Pineau, 1995 ; Knowles, 1990)

Figure 4 : Triangle de stratégie formative

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didactique entre l’individu et le savoir. L’enseignant peut ne pas ensei-gner mais il doit communiquer à l’élève le besoin de rechercher desconnaissances et des informations. L’enseignant doit donner à l’indi-vidu une compréhension individuelle, sociale, professionnelle dumétier enseigné et s’efforcer d’initier une dynamique permanente dedéveloppement personnel et professionnel entre l’individu et lemétier. La formation professionnelle cesse d’être un apprentissagescolaire orienté vers l’adolescence.

Il existe aussi un modèle de formation en alternance, très répandu denos jours, qui va de la formation scolaire initiale au niveau universitaire,avec pour objectif d’insérer dans les processus d’apprentissage ce quenous appelons les connaissances théoriques, pratiques et l’expérienceprofessionnelle.

Malheureusement, les modèles en alternance suscitent peu d’intérêtparce qu’ils s’appliquent à la formation professionnelle, à l’acquisitionde savoir-faire, encore passablement méprisés de la hiérarchie, reléguésdans l’échelle académique au niveau des « connaissances pratiques », dela « production » et de « l’apprentissage spirituel ». Les modèles d’ap-prentissage en alternance sont avant tout des paradigmes pédagogiquesétroitement associés aux formations professionnelles courtes. Maisnotre expérience témoigne qu’ils peuvent donner de bons résultats,même dans certaines formations avancées.

La recherche sur les processus d’éducation des adultes a énormé-ment contribué à l’analyse des pratiques actuelles. Elle nous a permisd’aborder la formation adulte à l’aide de modèles explicatifs du déve-loppement cognitif pour tous les adultes, qu’il s’agisse d’adolescents, detravailleurs ou d’intellectuels. Les courants de pensée dans ce domaine,tant anglophones que francophones, se rejoignent sur ce constat fonda-mental que la formation d’individus autonomes ne peut s’opérer par laseule adaptation homéostatique qui caractérise l’apprentissage in vitromais par des transformations morphogénétiques dans des situationsdifficiles, vitales, de survie, de conflit, de concurrence et de progrès. Ceque, par opposition au contexte scolaire, certains auteurs appellent l’ap-prentissage in vivo (Pineau, 1995).

Cette raison explique pourquoi les modèles d’apprentissage et laformation adulte ne sont pas fondés, et ne doivent pas se fonder, sur lecaractère systématique, intentionnel, séquentiel et disciplinaire de larelation directe entre théorie et pratique. Ce qui les guide est plutôt ledéveloppement de processus cognitifs reposant sur la capacité de

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performance, sur l’aptitude à rechercher de l’information et celle àtransformer l’apprentissage et les connaissances en projets pour l’actionou la recherche approfondie. C’est la quête d’un sens, d’un senspersonnel dans la tâche d’éducation des adultes.

Pouvons-nous continuer cette approche double, ces deux para-digmes de l’enseignement, et les faire perdurer à l’école et après l’école,ou faut-il envisager de rompre avec eux dans l’avenir ?

Pour l’instant, tout ce que nous pouvons dire, c’est que les différentsmodèles coexistent dans les systèmes de formation éducative et profes-sionnelle — l’enseignement des enfants et des adolescents et les modèlespostscolaires d’enseignement en direction des adultes. Dans le domainede l’éducation des adultes, nous disposons d’une vaste expérience.Quand un lieu et un contexte existent pour cette expérience, elle peutêtre particulièrement utile pour résoudre certains problèmes de groupesciblés ou de communautés, ou pour des projets spécifiques : parexemple, l’éducation des adultes pour le développement local, la mise àjour des connaissances des directeurs ou la formation professionnelle endirection de groupes spécifiques, comme les femmes privées d’emploisdepuis longtemps. Ce type d’expériences est excellent pour diversifieret définir plus précisément l’éducation des adultes.

Nous ne savons pas si la coexistence de l’enseignement scolaire etdes modèles postscolaires facilite le déroulement du processus continude l’éducation tout au long de la vie. Entre le modèle scolaire et lemodèle adulte, il y a une période au cours de laquelle, selon certainschercheurs, il y a un « désapprentissage ». Nous sommes conscients, parexemple, de l’existence de problèmes pour les adolescents et le travail. Ilne s’agit pas seulement de problèmes de connaissances inadaptées. Desétudes ont aussi mis en valeur les difficultés rencontrées dans la réadap-tion et la mobilisation des connaissances. Nous devons donc nousdemander si le modèle scolaire traditionnel doit perdurer, ou si nousdevons établir d’autres modèles plus appropriés en fonction de la matu-rité des individus au sein du système scolaire, en comptant sur le poten-tiel de la société d’information et la création de centres éducatifs multi-ples proposant la formation par les pairs, l’autoformation etl’« éco-formation »

Une conclusion, cependant, peut être tirée d’une analyse desmodèles et pratiques d’enseignement actuels : il manque aux modèlesd’enseignement scolaire la dynamique et l’initiative requises pour l’ap-prentissage continu à l’âge adulte. Trouver du sens et s’investir dans

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l’éducation tout au long de la vie est un processus d’apprentissagefondamental pour les adultes. Je ne crois pas que l’intérêt financier ou lapromotion sociale soient les seules motivations fortes pour l’apprentis-sage adulte, ou les seules forces qui poussent un individu à poursuivreson éducation tout au long de sa vie ou à en tirer profit.

Qu’enseigner? Qui enseigne?Dans le questionnement des modèles pédagogiques, nous devonstoujours nous demander : qu’enseignons-nous, et qui enseigne? Cesquestions, pertinentes pour les politiques d’enseignement scolaire, sontparticulièrement importantes pour l’éducation tout au long de la vie.Car le fait d’apprendre, défini à l’origine comme une somme d’étapesdans l’acquisition de connaissances et le développement des capacitéscognitives, est aujourd’hui un processus autonome qui se déroule toutau long de la vie de l’individu.

Cela nous amène à questionner les programmes scolaires et lesprofesseurs actuels. De la même manière, les résultats attendus en fin deparcours scolaire — que nous évaluons généralement au travers d’exa-mens et récompensons par des diplômes — devront être révisés, enfonction non plus de la fin du processus éducatif mais de sa poursuite.Ces questions se posent également au niveau de l’enseignement scolaire.Dans l’enseignement scolaire, les nouvelles conceptions ne concernentplus tant le « contenu » que la valeur épistémologique et le potentielcognitif des connaissances acquises : l’évaluation des programmes nedoit plus tant se faire du point de vue des savoirs fondamentaux,pratiques ou opératoires, de la compréhension ou de la logique cogni-tive, mais de celui de connaissances et d’aptitudes qui mèneront à l’édu-cation tout au long de la vie.

Que nous faut-il apprendre? Apprendre à chacun à manipuler desconnaissances, à trouver ses marques dans le monde réel, à résoudre lesproblèmes, à analyser de manière systématique, à développer uneréflexion complexe et multidisciplinaire. Apprendre à travers l’organi-sation, à partir de problèmes, en questionnant les expériences et parl’observation, tels sont les nouveaux paradigmes libérateurs, représen-tatifs de l’activité éducative du couple enseigner-apprendre, que nousdevons garder à l’esprit quand nous envisageons de nouvelles stratégieséducatives.

Il reste une dernière question à se poser : qui enseigne ? Qui sont lesnouveaux professeurs ? Il y a des professeurs dans les systèmes

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scolaires, mais diverses expériences d’apprentissage font que les forma-teurs des systèmes de formation professionnelle, de même que lestuteurs, directeurs et condisciples qui accompagnent le processus, pren-nent aujourd’hui de l’importance. Nous savons parfaitement à quoiressembleront les futurs professeurs. Nous savons parfaitement que lestâches éduquer-enseigner et former comportent de multiples facettes, etqu’il est besoin, dans la relation formative humaine, de connaissances,bien sûr, mais aussi d’une grande capacité à l’empathie, la communica-tion et d’une finesse intellectuelle plus grande encore.

Il ne s’agit pas d’une profession technique pour la mise en œuvre defonctions prédéfinies mais plutôt d’une mission sociale, d’une activitésociale reconnue, qui réclame un apprentissage continu et de hautniveau. Seul l’avenir dira si l’éducation trouvera de nouveaux lieux pours’exercer et un nouveau statut au sein de la société.

Il est bon d’avoir en mémoire certains programmes en cours, quisemblent très éloignés des problèmes de la formation continue. Ce sontles « plans de formation stratégiques » qui, dans la plupart des institu-tions et des entreprises — institutions et entreprises dites« qualifiantes » —, ont donné des résultats très intéressants. Sur le fond,ce sont des modèles de formation collective et communautaire répon-dant à une stratégie spécifique et où chacun comprend le sens de laformation qui lui est donnée. S’appuyant sur des moyens considérableset l’entraide entre personnes, ils fournissent un terrain d’analyse inté-ressant. Ils valent qu’on s’y arrête en détail car, bien que liés au mondede l’économie, de la production et de la gestion des ressourceshumaines, ils sont plus proches des problèmes de l’éducation tout aulong de la vie qu’on pourrait parfois le supposer.

Enfin, il faut souligner que devant l’exigence de dignité et de défensede la personne humaine, aucun plan d’éducation tout au long de la vie,si impérieux soit-il, ne peut négliger le caractère indispensable de larecherche, de l’évaluation et de la réflexion critique permanente, la réfé-rence suprême restant toujours l’individu pris dans sa globalité et sujetde tout apprentissage. Le dialogue entre la communauté scientifique, lesspécialistes, les responsables politiques et les administrateurs desystème est plus vital que jamais. Le cadre préparatoire qui a servi auxpolitiques éducatives dans la période 1960-1990 ne permet plus decomprendre l’activité sociale que sont l’éducation et l’apprentissagetout au long de la vie.

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Chronique sociale.HONORÉ, B. 1992. Vers l’œuvre de formation. L’ouverture à l’existence.

Paris, L’Harmattan.KNOWLES, M. 1990. L’apprenant adulte : vers un nouvel art de la forma-

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(première édition 1987).MEZIROW, J. 1996. Contemporary paradigms of learning. Adult

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Chapitre 4 : Les difficultés des pays en développement

Toby Linden*

La Banque mondiale n’a guère d’expérience en matière d’éducation toutau long de la vie, il lui reste beaucoup à découvrir dans ce domaine.Cette éducation n’est pourtant pas sans rapport avec ses activités — etelle présente un intérêt primordial pour les pays en développement quisont ses principaux clients.

Au cours des trois dernières décennies, le monde en développementa beaucoup progressé dans le domaine de l’éducation. Ainsi, alors qu’ily a trente ans moins de la moitié des enfants d’âge scolaire fréquentaientl’école primaire, plus des trois quarts d’entre eux sont aujourd’huiscolarisés. Pendant la même période, la proportion d’enfants inscritsdans l’enseignement secondaire a doublé, passant d’un peu plus de20 % à 45 % et, dans l’enseignement supérieur, le taux de participation atriplé, puisqu’il a été porté de 4 à 14 %.

Un résultat d’un autre ordre mais néanmoins appréciable a étéobtenu : tous les gouvernements et tous les organismes s’occupant dudéveloppement attachent une importance accrue à l’éducation et à laformation. Les avancées réalisées dans l’enseignement primaire, parexemple, n’auraient pas été possibles sans la Conférence mondiale surl’éducation pour tous, tenue à Jomtien, en Thaïlande, en 1990.

* Coordonnateur de la gestion du savoir, secteur de l’enseignement secondaire,

Réseau du développement humain, Banque mondiale.

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Quelques problèmes relatifs à l’éducationCe sont certes là de réels succès, mais les pays en développementdoivent faire face à des problèmes graves et particuliers qu’on peutclasser en quatre catégories.

Premièrement, au cours des dernières années, la progression del’accès à l’éducation s’est ralentie. En Afrique subsaharienne, les tauxd’inscription fléchissent désormais. Dans cette région, comme en Asiedu Sud, en Amérique latine et dans les Caraïbes, plus d’un tiers desélèves abandonnent leurs études au cours des cinq années suivant leurentrée dans l’enseignement primaire. Ainsi, alors que les gouverne-ments ont réussi à persuader les parents d’envoyer leurs enfants àl’école et ont investi des ressources pour offrir une éducation de base àtous, très rapidement, une fraction substantielle des intéressés décideque l’instruction est inutile.

Deuxièmement, l’inégalité d’accès à l’éducation est elle aussi préoccu-pante. Dans le monde en développement, l’amélioration des chiffres deseffectifs dissimule des taux de participation nettement inférieurs pour lesfemmes, les minorités, les pauvres et les habitants des zones rurales.

Troisièmement, il y a la question de la qualité. Même dans les pays àrevenu élevé et à système éducatif bien établi, on constate un très fortanalphabétisme. Nous ne disposons pas de chiffres pour l’ensemble dumonde en développement mais nous savons que tous les pays qui leconstituent sont aux prises avec la même difficulté. La qualité de l’édu-cation est vitale : un enseignement médiocre est un gaspillage deressources ; il peut écarter les élèves des systèmes d’éducation et deformation, ruinant ainsi les efforts des gouvernements et des autresinvestisseurs, et empêcher la population, les communautés et les paysd’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pouratteindre un niveau élevé de développement.

Quatrièmement, il faut compter avec la faiblesse de la capacité insti-tutionnelle. Dans beaucoup de pays en développement, les gouverne-ments et les institutions ne sont pas outillés pour résoudre lesproblèmes d’éducation courants et, maintenant, ils doivent en outreréformer profondément leurs systèmes éducatifs.

L’incidence de ces problèmes sur l’éducation tout au long de la vieTous ces problèmes sont de sérieux handicaps pour les pays en dévelop-pement désireux d’instaurer une société qui apprend. Leur populationqui continue de s’accroître pèsera plus lourd encore sur leurs systèmes

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d’éducation et de formation qui sont déjà mis à rude épreuve. Sans accèsà l’éducation, personne ne peut avancer sur la voie de l’« apprentissage »— et à plus forte raison sur celle de l’« apprentissage » permanent.

Si la « société qui apprend » a un objectif, c’est bien de permettre àchacun d’accéder à l’éducation — et d’accéder en toute équité à l’éduca-tion tout au long de la vie. Il s’agit d’un impératif moral et économique.Les pays où l’accès à l’éducation n’est ni facile ni équitable, surtout ceuxoù une telle situation est imputable à des faiblesses structurelles ou à desnormes culturelles, font fausse route.

S’agissant de la qualité, l’éducation permanente est doublementmenacée dans les pays en développement. En effet, alors qu’un ensei-gnement de qualité médiocre condamne déjà beaucoup trop de jeunes àn’acquérir qu’un niveau insuffisant d’instruction, la « société quiapprend » place la barre plus haut et exige des jeunes non seulement unniveau élevé d’instruction mais aussi des compétences et des attitudesnouvelles leur permettant d’apprendre toute leur vie.

La faible capacité institutionnelle des pays en développement est unautre obstacle considérable à l’éducation permanente. Pour créer une« société qui apprend », il faut modifier profondément les rôles desacteurs dans le système d’éducation et de formation et dans l’ensemblede la société et, surtout, le rôle du gouvernement. Les pays en dévelop-pement sont particulièrement défavorisés par l’insuffisance de leurscapacités de gestion et de leurs capacités institutionnelles. Comment,dans ces conditions, peuvent-ils procéder aux réorientations nécessairespour instaurer une « société qui apprend » ? Comment vont-ils mêmesaisir la nature des changements voulus et entreprendre de définir despriorités pour leur mise en pratique ?

L’intérêt de l’éducation permanenteCela étant, on pourrait être tenté de conclure que l’idée de l’éducationtout au long de la vie ne présente guère d’intérêt pour les pays en déve-loppement. Deux arguments principaux sont avancés à cet égard.

En premier lieu, les systèmes d’éducation de ces pays ne sont pasassez développés. Deux exemples pris au hasard le montrent. AuBurkina Faso, presque quatre adultes sur cinq sont analphabètes, le tauxd’inscription est inférieur à 40 % dans l’enseignement primaire ettombe à moins de 10 % dans l’enseignement secondaire. Sur un autrecontinent, au Guatemala, le taux d’alphabétisation des adultes atteint67 % et le taux d’inscription dans l’enseignement primaire est élevé

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(88 %) mais, dans l’enseignement secondaire, il n’est que de 26 % 1. Lesdeux exemples donnent une idée de la valeur accordée par les élèves àl’enseignement secondaire et remettent en question la possibilité depromouvoir l’éducation tout au long de la vie.

Le second argument est que les économies des pays en développe-ment n’exigent pas un niveau élevé de connaissances et peuvent sepasser des compétences nouvelles et ajustables sur lesquelles l’éduca-tion permanente est fondée. Il est aussi affirmé que l’avantage écono-mique comparatif des pays les moins avancés est dû au fait qu’ils dispo-sent d’une main-d’œuvre bon marché. Si cette main-d’œuvre estgénéralement peu coûteuse, c’est parce qu’elle n’est pas qualifiée. Quelbesoin a, en fait, un jardinier, par exemple, d’apprendre toute sa vie?

Cette attitude est tout simplement indéfendable. L’éducationpermanente n’a rien à voir avec le stade de développement atteint par unpays — tous les pays doivent envisager cette éducation, pour les raisonssuivantes.

Tout d’abord, s’agissant de la main-d’œuvre non qualifiée, il estévident que toutes les sociétés ont besoin de travailleurs manuels, maisnous savons que le nombre d’emplois comportant des activitésmanuelles diminue et que l’apport des connaissances accroît l’efficacitédes travailleurs — dans le cas du jardinier, il s’agirait de la connaissancedes engrais, des conditions de culture, de la structure génétique desplantes, etc.

En deuxième lieu, la crise économique de la fin des années 90 en Asiede l’Est et dans d’autres pays a révélé les effets que peuvent avoir leschocs extérieurs sur l’économie mondiale et les économies nationales etmontré combien la situation économique peut changer brutalement. Lacapacité de remédier à ces effets et la capacité d’éviter les chocs dépen-dent de la faculté d’adaptation et de la flexibilité de la main-d’œuvre.

Troisièmement, certains pays en développement sont déjà pleine-ment conscients de la nécessité de l’éducation permanente, en particu-lier, pour n’en citer que quelques-uns, l’Argentine, le Chili, tout commede nombreux pays en transition d’Europe centrale, comme la Hongrie.Les chiffres les concernant mettent en évidence une situation totale-ment différente de celle des pays susmentionnés. En Argentine, par

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1. Les données relatives à l’alphabétisation et au nombre d’inscriptions sont

fondées sur les indicateurs mondiaux de l’éducation du Rapport mondial surl’éducation 2000.

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exemple, 3,4 % des adultes sont analphabètes, ce qui correspond à unrésultat égal ou supérieur à ceux de certains pays de l’OCDE. La scola-risation dans l’enseignement secondaire atteint 77 % et dans l’enseigne-ment supérieur plus de 36 %. Sur un autre continent, en Hongrie, letaux d’analphabétisme est inférieur à 1 %, la proportion d’inscrits dansl’enseignement secondaire atteint presque 100 % et le coefficient d’ins-cription brut s’élève à 24 % dans l’enseignement supérieur. Ce sont làdes performances de systèmes éducatifs qui ont fait leurs preuves. Bienque ces pays bénéficient d’un appui et, dans certains cas, de prêts de laBanque mondiale, ils appartiennent nettement à une catégorie distincte.

Une quatrième raison interdit d’invoquer le stade de développementà propos de l’éducation permanente. Il est avéré que, dans les pays del’OCDE, les perspectives d’avenir des personnes peu instruites se rétré-cissent. La constatation faite à l’occasion d’une conférence sur lesperspectives d’avenir des jeunes, parrainée par l’OCDE et leDépartement de l’éducation des États-Unis (Washington, D.C.,février 1999), est remarquable : les pays de l’OCDE et de nombreuxpays en développement ont en commun le même problème, à savoirl’existence d’un noyau croissant de jeunes mécontents qui restent deplus en plus longtemps en marge du corps social. Il peut y avoir desdifférences d’échelle, mais, dans les deux groupes de pays, l’action despouvoirs publics met fortement l’accent sur ce problème et l’éducationpermanente est considérée comme étant, pour partie, la solution.

Relever les défis par l’éducation tout au long de la vieUn autre argument employé pour contester l’intérêt de l’éducationpermanente dans le cas des pays en développement mérite de retenirplus spécialement l’attention. En gros, il revient à dire que les pays endéveloppement ont déjà suffisamment de sujets de préoccupation —notamment les quatre problèmes d’éducation évoqués plus haut — sansdevoir encore se soucier de l’éducation tout au long de la vie. Ce n’estpas entièrement faux, en ce sens que, pour atteindre son but, touteaction visant à instaurer une « société qui apprend » exige une améliora-tion de la capacité institutionnelle qui assure à tous un accès équitable àl’éducation et des environnements éducatifs de qualité.

La Banque mondiale s’emploie depuis trente-cinq ans à aider lespays en développement à améliorer leurs systèmes éducatifs et àaffronter les graves problèmes auxquels ils sont aux prises. Sonprogramme de prêt s’est étoffé au cours des années et s’établit à l’heure

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actuelle à environ 2 milliards de dollars des États-Unis par an. De plus,dernièrement, la Banque mondiale a élaboré une nouvelle stratégied’éducation qui élargira son programme d’apprentissage.

La question est de savoir si, pour les pays en développement, le faitd’envisager une « société qui apprend » peut contribuer au règlement deleurs problèmes dans le domaine de l’éducation. Seule une réponsepositive permettra vraiment d’affirmer que l’éducation permanenteprésente de l’intérêt pour eux. J’ai le sentiment que c’est le cas pour lesraisons suivantes.

La nécessité d’un changementUne « société qui apprend » impose de nouveaux rôles aux acteurs dessystèmes éducatifs. Elle exige des types nouveaux de financement etd’autres mécanismes pour des systèmes qui sont désormais induits parla demande et elle nécessite une homologation axée sur la compétenceplutôt que sur le temps passé dans un établissement. Étant donné queles pays en développement doivent réformer leur système éducatifpour faire face aux problèmes qui ont déjà été circonscrits, il estlogique qu’ils le fassent dans le cadre d’une politique générale d’éduca-tion permanente. Si ces pays mettaient en place un enseignementprimaire fondé sur l’élève et rendant les individus aptes à acquérir desconnaissances dans le présent et dans le futur, des améliorations quan-tifiables de la qualité pourraient être constatées et ils seraient sur lavoie de l’éducation permanente.

Réforme de l’enseignement secondaireL’enseignement secondaire est au cœur de la « société qui apprend ».Tant qu’on n’en fera pas une étape valable et féconde dans les études del’individu, l’éducation permanente ne sera jamais une réalité. Il estdéterminant pour les pays en développement où l’effectif de l’enseigne-ment primaire s’accroît et où la société exerce de fortes pressions enfaveur d’un renforcement de l’enseignement secondaire. Dans beau-coup de ces pays, le nombre d’inscrits est élevé mais l’insuffisance de laqualité demeure une difficulté majeure. En outre, presque partout dansle monde en développement, les systèmes d’éducation et de formationsecondaires sont trop rigides. Il est indispensable de remédier à cesproblèmes de fond qui tous exigent des changements. Tout pays quis’intéresse à l’éducation permanente doit placer l’enseignement secon-daire au premier rang de ses préoccupations.

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Accès à l’éducationQui dit éducation permanente dit ouverture de l’éducation à despersonnes ayant des origines et des besoins différents. L’apprentissagepermanent nécessite donc une multiplicité de pourvoyeurs d’éducationet de formation, qui offrent une gamme très variée de formules et decadres et, en règle générale, aussi des solutions nouvelles. J’ai déjà notéles enjeux cruciaux que représentaient un accès facile et équitable àl’éducation et le grand nombre d’adultes analphabètes dans les pays endéveloppement. Il faut trouver des moyens d’atteindre les personnesactuellement exclues de l’instruction dans les pays en développementcomme dans les pays de l’OCDE.

L’importance des approches sectorielles et nationalesL’instauration d’une « société qui apprend » n’est pas seulement liée àl’enseignement supérieur ni même à l’éducation et à la formation, elleest aussi liée aux relations sociales et à l’économie. L’ancien président dela Banque mondiale, James Wolfensohn, a proposé un cadre de déve-loppement intégré qui n’est rien moins qu’une stratégie permettant dedévelopper tous les systèmes — social, économique, éducatif, etc. —d’un pays de manière cohérente et globale tenant compte de leurs inter-actions. Ce cadre qui peut être celui d’un débat national semble bien seprêter à des échanges de vues sur l’éducation permanente.

Nouveaux modes d’« apprentissage »Les pays de l’OCDE eux-mêmes ont encore beaucoup de chemin àparcourir pour traduire l’éducation tout au long de la vie dans les faits.Il est remarquable que les établissements d’enseignement des pays déve-loppés aient encore des pratiques pédagogiques ancrées dans les métho-dologies traditionnelles. Une personne arrivant dans une salle de classed’un quelconque pays du monde sera, le plus souvent, bien en peine dedire dans quel pays elle se trouve et à plus forte raison si elle est dans unpays du Nord ou dans un pays du Sud. En un sens, si paradoxal que celapuisse paraître, voilà une raison d’espérer pour les pays en développe-ment car, à cet égard, ils en sont au même point que nombre de paysdéveloppés. En fait, j’irai jusqu’à dire que certaines des innovations etdes mesures requises pour faire de l’éducation permanente une réalitédans les pays de l’OCDE peuvent déjà exister dans des pays en déve-loppement. Elles revêtent les formes suivantes : premièrement, beau-coup de pays en développement disposent de systèmes éducatifs privés

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bien organisés, dont les effectifs sont bien plus élevés que ceux desétablissements privés des pays de l’OCDE. Le fait s’explique par demultiples raisons, dont certaines sont bonnes et d’autres le sont moins,mais on peut en tirer des enseignements concernant le dosage desressources publiques et privées affectées à l’éducation. Deuxièmement,un certain nombre de pays en développement ont expérimenté desmesures d’incitation, des systèmes de bons, des crédits d’impôt et d’au-tres formules novatrices pour renforcer l’éducation et la formation.Troisièmement, beaucoup de pays en développement utilisent delongue date toutes sortes de techniques (pas seulement de pointe) pourencourager les « apprenants » et atteindre des populations qui autre-ment resteraient en marge de l’éducation. Enfin, les pays en développe-ment pratiquent depuis longtemps une forme d’éducation qui fait appelà la communauté, utilise les ressources communautaires et fait de lacommunauté le pôle d’activités qui vont bien au-delà de l’enseignementprimaire — puisqu’elles portent sur la santé des femmes, les méthodesde culture, etc.

ConclusionCe que recouvre la « société qui apprend » intéresse autant les pays endéveloppement que les pays du monde industrialisé pour toutes lesraisons qui viennent d’être évoquées.

Reste un point souvent négligé qui n’est pas expressément abordé :l’importance du contact humain. La question mérite une analyse appro-fondie. Lorsqu’on s’occupe des compétences et des capacités des indi-vidus, il n’apparaît pas immédiatement que le contact humain doit êtrepris en compte. Il est possible que la seule façon d’apprendre àcomprendre les autres et à travailler dans un contexte multiculturel soitde rencontrer les autres dans un même lieu mais peut-être existe-t-ild’autres moyens de parvenir au même résultat et l’idée selon laquelletout apprentissage passe par le contact interpersonnel ne devrait pasêtre prise au pied de la lettre.

Les pays en développement en particulier n’ont pas les ressourcesmatérielles requises pour accueillir tout le monde dans une salle declasse. En conséquence, même si le contact humain est le meilleurmoyen d’apprendre, nous devons trouver d’autres manières efficacesd’assurer l’accès à l’éducation dans les cas où ce contact est impossible.Ce qu’il nous faut éviter, c’est de mettre en doute la nécessité de l’édu-cation tout au long de la vie pour le monde en développement.

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Seconde partieDépasser les limites de l’éducation formelle : les réponses des pays à la question cruciale de l’éducation permanente

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Chapitre 5 : L’éducation tout au long de la vie : la perspective anglaise

Felicity Everiss*

Le cadre théorique de l’éducation tout au long de la vie a été amplementdéfini à l’échelle mondiale et l’importance philosophique attachée àcette éducation se retrouve dans les politiques sociales, économiques etéducatives nationales. Cependant, à l’aube du nouveau millénaire, ellen’a été que trop peu pratiquée, et ce à tous les niveaux.

Le présent chapitre porte sur certains aspects concrets de la mise enœuvre par l’Angleterre d’une politique d’éducation permanente. Ilimporte de souligner qu’il s’agit d’une optique anglaise. Beaucoupd’idées sont communes à tout le Royaume-Uni mais les politiquesgénérales et leur application relèvent de procédures distinctes enAngleterre, en Irlande du Nord, en Écosse et au pays de Galles.

Nous cherchons à instaurer ce qui commence à être connu sous lesdénominations de direction concertée et politiques concertées — en vuede déterminer les liens entre l’apprentissage et le travail et l’économie,les conditions de vie de la communauté et de la société, la régénérationet le développement. Les ministères s’emploient, avec un succèsvariable, à coordonner leurs buts, leurs stratégies et leurs activités.

C’est dans ce contexte que l’Angleterre définit des politiques et despratiques axées sur l’éducation permanente, c’est-à-dire schématique-ment la démarche d’une société où chacun utilise couramment les possi-bilités qui lui sont offertes d’apprendre tout au long de la vie. Au

* Lorsqu’elle a rédigé ce texte, Felicity Everiss était le chef de la Division de

l’éducation individuelle au Ministère de l’éducation et de l’emploi (Angleterre,

Royaume-Uni).

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Royaume-Uni, les autorités nationales, régionales et locales, les établis-sements d’enseignement et les entreprises, ainsi que nombre de familleset d’individus considèrent que l’objectif à atteindre est l’apprentissagedu berceau à la tombe.

Nos préoccupations portent sur tous les degrés d’enseignement :l’éducation préscolaire, l’enseignement obligatoire (de 5 à 16 ans), l’en-seignement destiné aux jeunes qui passent des études à la vie active etl’enseignement supérieur. Par ailleurs, de plus en plus, l’éducations’adresse aux adultes, et ce de diverses façons, en particulier l’enseigne-ment postscolaire et l’apprentissage sur le lieu du travail, au sein de lacommunauté et de la famille. Dans beaucoup de nos universités, ontrouve davantage de personnes âgées étudiant à temps partiel que dejeunes étudiants préparant leur premier diplôme.

Le terme « apprentissage » est parfois utilisé à la place de l’expres-sion « éducation et formation » ; son acception n’implique aucun juge-ment de valeur. Beaucoup de personnes considèrent l’éducation commeun enseignement général et la formation comme un enseignementprofessionnel alors que ce sont ces deux formes d’« apprentissage » etplusieurs autres que nous voulons désigner.

Accès à l’éducationLes voies qui mènent les jeunes et les moins jeunes à l’éducation tout aulong de la vie sont nombreuses, mais au Royaume-Uni — et en fait dans

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0Accès par âge et par niveau

20

40

60

80

1003-4 ans : Préscolaire

5-16 ans : École obligatoire16-18 ans : Lycée et enseignement technique18 ans et + : Formation professionnelle et enseignement supérieur21 ans et + : Autres

Figure 5 : Structure de l’éducation au Royaume-Uni

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la plupart des pays — plus on est âgé, moins on a de chances de fairepartie des « apprenants ». C’est ce qui ressort clairement de la figure 5où sont indiqués en pourcentage les groupes d’âge qui ont accès à l’édu-cation formelle, à l’enseignement supérieur, à l’enseignement postsco-laire ou à d’autres types d’éducation des adultes.

Les « apprenants » sont beaucoup plus nombreux parmi les jeunesque parmi les adultes bien que, au Royaume-Uni, les taux de participa-tion de ces derniers soient plus élevés que dans bien d’autres pays. Lafigure 5 révèle en outre que l’immense majorité des personnes quiapprennent le font dans le secteur formel. La chose n’est pas surprenantemais pose des problèmes structurels et institutionnels complexesauxquels il faudra réfléchir si l’on veut ne négliger aucun effort pourconvaincre les citoyens de continuer à apprendre tout au long de leur vie.

L’éducation préscolaireQue signifie véritablement l’apprentissage dès le berceau ? Toute unesérie de politiques ont été adoptées en Angleterre en vue d’aider dejeunes enfants à prendre un bon départ dans la vie dès la naissance. Celasuppose un appui aux familles et aux individus qui ne saisissent pasnécessairement toute la complexité et toutes les incidences de lamondialisation économique, du progrès technologique et des autresaspects de notre monde en mutation rapide.

Il nous faut aider les individus à trouver leur place dans une société,un pays et un monde en transformation et à apprendre comment aiderleurs enfants à réussir. Une motivation excellente en matière d’éduca-tion des adultes est ce désir de soutenir ses enfants. Beaucoup d’adultessont ainsi fortement incités à apprendre en aidant leurs enfants.L’apprentissage préscolaire commence donc avec les parents.

En Angleterre, les parents bénéficient d’un appui — fourni par lesservices de santé et les services sociaux ainsi que par la communauté —dès la naissance de leur enfant. Le gouvernement a investi dans unprogramme dénommé Sure Start (Un bon départ), dans le cadre duquelon étudie les moyens d’établir un lien entre ces services proposés auxparents et l’apprentissage, de façon que les adultes puissent apprendreen famille et favoriser le développement précoce de leurs enfants.

Un autre programme vise à améliorer les services de développementde la petite enfance, et est destiné aux parents qui souhaitent placer leursenfants dans une situation d’apprentissage avant l’âge de 3 ou 4 ans,parce qu’ils travaillent ou parce qu’ils sont persuadés (et ils sont

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nombreux dans ce cas) que de consacrer une partie de la journée àapprendre est utile à l’enfant comme à la famille.

Il existe aussi un ensemble de projets consolidés en partenariat avecdes bénévoles et avec les secteurs privé et public, pour développer leslieux d’enseignement destinés aux tout jeunes enfants âgés de 3 et 4 anset les systèmes d’accueil des enfants après l’école. Ces projets ont atteintdes stades d’avancement divers et certains sont très récents, si bien qu’iln’est pas encore possible de savoir quels seront leurs résultats.

Il n’en demeure pas moins que désormais les stratégies mettentfortement l’accent sur la période initiale de la vie, sur le caractère essen-tiel de l’appui familial et sur l’apprentissage précoce — ce afin d’aiderles jeunes à prendre le meilleur départ possible en tant qu’individus.

L’excellence à l’écoleQuelques semaines après avoir accédé au pouvoir, en mai 1997, le gouver-nement travailliste du Royaume-Uni a publié son premier document depolitique générale. Ce document portait sur la deuxième phase de la vieéducative et était intitulé Excellence in schools (L’excellence à l’école).

Il est communément admis que la clé du succès des politiques et despratiques en matière d’éducation permanente est la création de condi-tions de base adéquates, sans lesquelles les gouvernements, outre qu’ilsdéçoivent l’attente d’un grand nombre de personnes, privent l’appren-tissage ultérieur des fondements dont il a besoin. Le gouvernementbritannique a centré ses politiques d’éducation sur ce qui a reçu la déno-mination assez discutable de « tolérance zéro de l’échec ». Il ne s’agitpas de faire porter à l’enfant la responsabilité de mauvais résultats maisplutôt de considérer son échec comme l’échec du système éducatif, dugouvernement et de la société qui n’ont pas réussi à l’aider : c’est cet étatde choses qui ne saurait être toléré.

L’élément moteur du changement, en matière d’éducation, est l’ob-jectif de l’excellence. Il touche à la société et l’économie, et à la façondont les individus et les communautés évoluent. Comme le gouverne-ment l’a souligné : « L’instruction favorise l’ambition et la confiance ensoi chez les jeunes de la génération suivante — elle leur permet d’af-fronter la concurrence dans le contexte économique mondial, de vivredans une société civilisée et de cultiver les talents qui se trouvent enchacun d’entre nous. »

La nouvelle approche des pouvoirs publics en matière d’apprentis-sage scolaire présente six caractéristiques importantes. La première est

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l’urgente nécessité de généraliser l’alphabétisme et l’aptitude numé-rique, le but final étant la maîtrise par chaque citoyen des aptitudes debase à la lecture et à l’écriture. En deuxième lieu, on privilégie désor-mais la qualité par rapport aux structures, dans la mesure où l’établisse-ment et la réalisation d’objectifs d’apprentissage spécifiques sont jugésplus importants que la manière dont l’éducation est organisée.

Troisièmement, l’État interviendra dans les écoles qui n’obtiennentpas de bons résultats, son intervention étant inversement proportion-nelle à la réussite. Si un établissement est efficace, l’État le laissera pour-suivre sa tâche seul ; sinon, il agira.

Quatrièmement, divers partenariats sont encouragés entre les écoleset les communautés, les écoles et les entreprises, les enseignants et legouvernement, les enseignants et les directeurs d’établissement, les élèveset les enseignants — tous visant à améliorer le niveau de l’éducation.

Cinquièmement, un programme expérimental de création de zonesd’action éducative est en cours d’élaboration. Il a pour objet de recenserles zones et les établissements d’enseignement où le programmed’études ne porte pas ses fruits et où les résultats sont plutôt mauvais,puis de chercher à appliquer des modes non traditionnels d’éducation etd’enseignement grâce à de nouveaux partenariats entre les écoles, lesfamilles et les communautés et à des formules novatrices pour améliorerla qualité et offrir de nouvelles possibilités.

Enfin, l’accent est mis très fortement sur l’excellence de l’enseigne-ment. Dans beaucoup de pays, dont le Royaume-Uni, on constate unetendance à accabler les enseignants de reproches pour tous lesproblèmes d’éducation, tendance favorisée par les commentaires deshommes politiques et des médias. Un document directif publié endécembre 1998 a apporté un autre éclairage en la matière, le Livre vertintitulé Teachers : meeting the challenge of change (Les enseignants :comment atteindre l’objectif du changement) reconnaît la valeur et leprofessionnalisme des éducateurs et, partant, la nécessité d’augmenterles salaires et d’améliorer le système de carrière : « Nous avons tousbesoin de bons enseignants, dont les compétences et le dévouementsoient reconnus et respectés. L’enseignement doit donc être une profes-sion hors pair, judicieusement dirigée et épaulée, et son haut niveau doitêtre soutenu par une rémunération élevée, qui tienne compte des talentsde ceux qui éduquent nos enfants. »

Il reste que le Livre vert exige aussi davantage d’efforts de la part desenseignants dans des domaines difficiles, comme l’évaluation des

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résultats, la modernisation des méthodes pédagogiques traditionnellesqui ne cadrent pas toujours avec les diverses formes d’expérienceacquises par les jeunes et l’utilisation des technologies de l’informationcomme moyen didactique et comme appui au programme d’études. LeLivre vert a suscité un intérêt considérable puisque le Ministère del’éducation et de l’emploi a reçu 5 000 réponses en six semaines.

Le temps d’apprendreÀ la fin de leur scolarité, les élèves abordent « le temps d’apprendre »(the learning age). Tel est le titre d’un document de travail présenté enAngleterre en février 1998. Ce document traite de toutes les formesd’instruction postérieures à l’éducation obligatoire et esquisse un vastedessein ainsi qu’un certain nombre de mesures particulières qui visent àélargir l’accès à l’éducation — en offrant davantage de possibilités maisaussi en accroissant la participation à l’activité éducative de groupesdifférents — ainsi qu’à assurer le partage des responsabilités en matièred’éducation permanente entre les autorités nationales, régionales etlocales et entre les particuliers et les employeurs.

Comme pour l’école, les enjeux ont trait à la société et à l’économie,l’individu, la famille, la culture et la communauté. Le document l’in-dique nettement : « L’éducation est la clé de la prospérité — pourchacun de nous en tant qu’individu, ainsi que pour la nation. Outrequ’elle assure notre avenir économique, l’éducation, plus largement,contribue à faire de notre société une société civilisée, développe notrevie spirituelle et encourage une citoyenneté active. Elle nous permet dejouer pleinement notre rôle dans notre communauté. Elle renforce lafamille, les relations de voisinage et, partant, la nation. »

Si le Royaume-Uni est considéré comme un pays développé, leniveau d’éducation de ses citoyens n’en est pas moins un réel problème.Dans un pays riche, il est choquant que : sur une période de trois ans, unadulte sur quatre ne se soit livré à aucun apprentissage délibéré ; unadulte sur quatre ait un niveau d’alphabétisation et/ou une aptitudenumérique médiocre ; la moitié environ des adultes n’ait jamais utilisé unordinateur ; 7 millions d’adultes soient non qualifiés. Cela est choquantcar toute personne insuffisamment instruite a moins de possibilitésd’emploi, est moins bien rémunérée, est moins bien soignée, et a moinstendance à voter que ceux qui ont un niveau d’instruction satisfaisant.

Se livrer à un « apprentissage » délibéré n’est pas nécessairementsuivre un cours ou un enseignement formel, mais peut être simplement

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s’instruire en regardant la télévision ou en lisant un livre. Beaucoup deBritanniques adultes n’ont même jamais souhaité savoir ce que les ordi-nateurs pouvaient les aider à accomplir ou ce qu’était l’Internet. Ondispose d’un grand nombre de données sur l’insuffisance du niveaud’instruction dans le pays, et la citoyenneté, la démocratie et la partici-pation à la vie civique ont fait l’objet d’un vaste débat au Royaume-Uni.Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que les personnes qui necherchent pas à s’instruire ont moins tendance à voter ou à participer àla vie publique : il est clair que le fait de favoriser l’instauration d’une« société qui apprend » influe sur la vigueur de la démocratie.

Il s’agit maintenant de déterminer pourquoi les gens restent enmarge de l’apprentissage. En règle générale, ceux qui veulent seremettre à apprendre le font pour améliorer leur rémunération et leursperspectives de carrière ou pour aider leur famille (figure 6). Dans cecas, néanmoins, un problème complexe de motivation se pose.Comment, en effet, pousser les gens à s’instruire si les emplois sont ennombre insuffisant et difficiles à trouver et si, en conséquence, il n’y arien à proposer à la fin de l’apprentissage ?

Il y a d’autres motivations moins courantes mais importantes,comme la volonté d’aider sa communauté en accomplissant un travailbénévole nécessitant des aptitudes, des connaissances et des compé-tences adéquates. Une fois engagées dans cette démarche, beaucoup depersonnes empruntent des itinéraires divers pour se perfectionner dansles domaines correspondant aux exigences de leur vie active ou à d’autres

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0Raisons pour entamer une formation

20

10

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40

50

60Emploi actuel

Emploi futur

Travail bénévole

Impact éventuel sur le travailAutres

Figure 6 : Enquête nationale sur l’apprentissage des adultes (1997)

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besoins. Il y a aussi énormément de retraités qui continuent d’ap-prendre, ce qui pose la question de l’apport de l’« apprentissage » aubien-être des personnes âgées et de la société et du lien éventuel entre lasanté et l’action d’apprendre. Nous devons à la vérité d’inclure dans lesparticipants à l’éducation permanente, outre les travailleurs, il est vrai,très nombreux, les personnes qui ne font pas partie des actifs — cellesqui, pour reprendre l’expression d’un collègue, pratiquent un « appren-tissage sérieusement inutile ». Mais est-il vraiment inutile?

Les principes de l’éducation permanenteLes stratégies d’éducation permanente, en Angleterre, sont fondées surun certain nombre de principes : investir en vue de servir les intérêts dechacun ; lever les obstacles à l’apprentissage ; donner la priorité auxpersonnes ; partager les responsabilités ; assurer une qualité de niveauinternational et utiliser les ressources de façon optimale ; travaillerensemble.

Si ces principes sont faciles à énoncer, ils sont beaucoup plus diffi-ciles à mettre en pratique. Il reste qu’ils sont le moteur de l’éducationpermanente comme celui des établissements d’enseignement et qu’ilsvont permettre d’assurer dans de bonnes conditions l’éducation au XXIe

siècle en élargissant l’accès à cette éducation et en changeant les critèresd’admission — car un des changements notables apportés par les poli-tiques d’éducation permanente consiste à accroître la diversité desgroupes visés. Le système doit être restructuré et des ressourcesnouvelles doivent être consacrées à des initiatives judicieusementciblées si l’on veut résoudre les problèmes auxquels l’éducation posts-colaire se heurte et augmenter le nombre de ses bénéficiaires.

Les objectifs fixés par les plans d’ensemble du gouvernement sontles suivants :• la progression de l’enseignement postscolaire dont l’effectif devra

être augmenté de 700 000 personnes à la fin de 2002. Des fondssupplémentaires permettront cette augmentation qui sera due, enparticulier, à l’admission de catégories différentes d’« apprenants » ;

• une action d’envergure en vue d’améliorer le niveau des connais-sances de base chez les adultes ;

• le développement de l’enseignement supérieur, lequel devracompter 100000 étudiants de plus à la fin de 2002. Ce développe-ment s’adressera davantage aux personnes appartenant à des milieuxsocialement défavorisés qu’aux classes moyennes, clientèle tradi-

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tionnelle du système très sélectif du Royaume-Uni. Les universitésn’obtiendront des crédits que si elles peuvent prouver l’admissiond’étudiants d’origine « non traditionnelle » ;

• des mesures tendant à élever le niveau et la qualité de l’enseigne-ment. L’enjeu est l’évaluation des « apprenants » et la lutte contrel’abandon en cours d’études, dont le taux est important, en amélio-rant les normes et les matériels pédagogiques ;

• des qualifications plus étroitement liées à l’objet de l’apprentissageet aux activités ainsi qu’à la vie des « apprenants » ;

• la planification des partenariats. Il s’agit de mettre en commun lesressources et de travailler ensemble à l’échelon local et à l’échelonnational. Une initiative nouvelle réunit les établissements éducatifslocaux et les « apprenants » dans la perspective d’une mise encommun des ressources et des activités de façon à répondre aumieux aux besoins de la région. Une utilisation optimale desressources passe par la coopération et non par la concurrence entreles institutions, pratique courante au Royaume-Uni.

Investir dans les jeunesLorsqu’il était dans l’opposition, le Parti travailliste s’est engagé àprendre un certain nombre de mesures en faveur de l’éducation perma-nente, et ce sont ces mesures qu’il a ultérieurement entrepris d’appli-quer. Un ensemble de dispositions porte principalement sur les jeunes,sur le passage des études à la vie active et sur les moyens d’encouragerl’éducation permanente de sorte que les jeunes, y compris ceux quientrent directement dans la vie économique, obtiennent les qualifica-tions de leur choix et empruntent la filière qui leur permettra d’ex-ploiter tout leur potentiel.

Le gouvernement a mis sur pied une série de programmes d’inves-tissement dans l’éducation permanente, à l’intention des jeunes quin’accèdent pas à l’enseignement supérieur formel. Les domaines viséssont les suivants :• l’apprentissage (technique ou manuel) moderne ;• les stages nationaux de formation-emploi ;• l’octroi d’un congé d’étude à ceux qui commencent à travailler mais

veulent continuer à apprendre ;• le versement d’une indemnité de subsistance à ceux qui ont besoin

d’une aide financière pour continuer leurs études ;• le programme New Start (Nouveau départ) ;

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• l’orientation professionnelle pour faciliter le choix d’un itinéraired’apprentissage dans la perspective d’une carrière mais aussi dansune optique sociale et communautaire ;

• un nouveau pacte pour les chômeurs âgés de 18 à 24 ans.On estime que, chaque année, jusqu’à 100 000 jeunes à la sortie del’école ne suivent aucune filière menant à l’éducation ou à l’insertiondans la société ou dans l’économie. L’accent est mis essentiellement surceux qui semblent rayés de la carte (absorbés peut-être par le travail aunoir ou des activités criminelles) dans l’idée de mettre sur pied dessystèmes — de caractère professionnel, théorique ou communautaire —pour les remettre sur la voie de l’intégration dans la société.

L’éducation sur le lieu de travailL’apprentissage sur le lieu de travail joue un rôle déterminant dansl’éducation permanente. Le lieu de travail est un milieu d’apprentissagenaturel car sans apprendre on ne peut accomplir sa tâche. C’est là unprincipe fondamental en matière d’éducation tout au long de la vie.Toutefois, cet « apprentissage » sur le lieu de travail n’a pas pour seulobjet la formation professionnelle visant à répondre aux besoins écono-miques de l’entreprise, aussi important que cela puisse être.

Un certain nombre d’initiatives sont prises en vue d’encourager lessociétés à investir dans leur personnel par le biais de l’éducationpermanente. Un groupe national des compétences examine les straté-gies pour un développement d’ensemble de l’éducation permanentesur le lieu de travail. En outre, un système de normes nationales, quidevrait assurer la qualité de cet enseignement et sa reconnaissance, esten cours d’élaboration.

Pour savoir dans quelle mesure les sociétés investissent dans leursressources humaines, le gouvernement et les entreprises ont conjointe-ment établi un tableau qui permet de comparer les efforts déployés à cetégard dans les différents secteurs d’activité. Au Royaume-Uni, lessyndicats jouent un rôle de plus en plus important dans les stratégiesd’éducation applicables à la vie et au travail. Grâce à un fonds syndicalspécial, ils contribuent à l’éducation permanente en leur sein et dans lecadre du secteur industriel.

Certaines sociétés participent à des programmes de perfectionne-ment qui vont bien au-delà de leurs besoins en matière de compétenceset de compétitivité. Le plus connu est celui de Ford Motors qui a étélancé en réponse à une demande émanant du personnel. Le programme

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en question qui a été élaboré véritablement en commun permet touteforme d’enseignement — de la peinture à la flûte — et non pas simple-ment dans un domaine lié à l’activité professionnelle. Ce large éventailde possibilités a été très bénéfique pour la société dans la mesure où il arenforcé les motivations et amélioré l’état d’esprit du personnel. Leprogramme a ensuite été étendu aux familles des salariés.

Les initiatives de ce genre sont vivement encouragées.

L’université des entreprisesUne nouvelle initiative du gouvernement, la création de l’University forIndustry (Université des entreprises), UFL, a suscité un vif intérêt. Enfait, l’expression est impropre car l’UFL n’est pas une université et ellen’est pas destinée aux entreprises. Elle vise plutôt à réduire l’écart entreles « apprenants » et les possibilités qui leur sont offertes au XXIe siècle, àpermettre à tous de trouver facilement ce qui leur convient.

En particulier, l’UFL vise à satisfaire la demande des particuliers et àorganiser les systèmes de formation de façon qu’ils correspondent auxbesoins de la clientèle. Elle assurera la promotion à grande échelle del’« apprentissage » et de ses avantages.

Les « apprenants » peuvent se renseigner sur les possibilités exis-tantes auprès d’un service d’assistance téléphonique qui est déjà enfonctionnement. Il leur suffit de composer un numéro gratuit pouravoir accès à un conseiller qualifié, apte à leur fournir des informationssur tous les moyens disponibles dans l’ensemble du pays (Angleterre,pays de Galles et Irlande du Nord). Au cours de sa première annéed’existence, la permanence téléphonique a reçu plus d’un demi-milliond’appels, pour partie en raison de l’importante publicité qui lui avait étéfaite par les médias.

L’université ouvrira aussi dans tout le pays des centres locaux, nonpas en créant des établissements nouveaux mais en utilisant les établisse-ments existants pour fournir des services différents. Les établissementsd’enseignement participeront à l’installation et à la gestion de ces centresdans leurs locaux et dans les bibliothèques, les musées, les centrescommerciaux ou tout autre lieu fréquenté par le public. Dans le grandcentre commercial de Gateshead dans le nord de l’Angleterre, parexemple, une opération est menée en partenariat entre des établissementsd’enseignement et des employeurs, sous le nom de Learning World (Lemonde qui apprend) et ne cesse d’attirer une foule de personnes quidemandent des conseils, apprennent ou font évaluer leur travail.

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Par ailleurs, l’Université des entreprises fera réaliser des matérielspour élargir la gamme des moyens pédagogiques disponibles dans lepays, utilisera largement les technologies de l’information et de lacommunication en soutien et privilégiera l’offre éducative dans dessecteurs essentiels comme les compétences de base, les technologies del’information et les petites entreprises.

L’UFL doit progresser rapidement dans tous ces domaines car elle al’ambition de faire bénéficier de ses services environ 2 millions de parti-culiers et de sociétés dans les cinq à dix ans à venir.

Comptes individuels d’apprentissageEnfin, une nouvelle mesure porte sur ce qui est dénommé les « comptesd’apprentissage ». En résumé, tous les adultes se verront proposer uncrédit à des fins d’éducation. Le but est de les inciter à cette démarche etde faire partager aux particuliers, au gouvernement et (si tout va bien)aux employeurs la responsabilité du financement de cet apprentissage.

Le projet est fondé sur le même principe que les prêts étudiants et laprise en charge des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur, àsavoir que les individus bénéficient à titre privé d’une formationfinancée par le gouvernement mais qu’ils pourront rembourser ulté-rieurement lorsqu’ils disposeront de revenus plus élevés. Cela dit, lescomptes d’apprentissage visent à étendre à tous l’avantage résultant del’investissement de ressources publiques dans l’apprentissage postsco-laire et à permettre aux particuliers d’épargner auprès de l’État pour uneformation qu’ils effectueront ultérieurement, à leur gré. Ils sont aussiun moyen d’obtenir une aide du gouvernement — qui s’est déjà engagéà financer le projet pendant deux ans — pour accumuler au cours de lavie des ressources financières utilisables à des fins d’éducation.

Plus particulièrement, les comptes individuels d’apprentissage ontpour objet : d’accroître l’investissement des particuliers et, idéalement,des entreprises dans l’apprentissage ; de faire bénéficier un million depersonnes d’une contribution publique avant la fin de 2002 ; de favo-riser l’éducation des personnes qui travaillent ; de créer un cadrenational pour tous, en faisant appel aux organismes financiers ; deprendre des mesures d’incitation à l’éducation.

Il y a des difficultés à surmonter. Par exemple, les organismes finan-ciers ont beaucoup de mal à établir un lien entre l’instruction en généralet l’argent. Quelle garantie offre l’apprentissage et quelle est sa valeursur le plan financier? Certes, il existe un programme d’aide à l’« appre-

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nant » en Angleterre, mais le gouvernement doit s’engager auprès desbanques à assumer les frais financiers et le défaut de remboursement.Toujours est-il que les comptes individuels d’apprentissage sont plutôtune manière d’épargner et d’accumuler des crédits pour l’avenir.

ObjectifsIl est indispensable d’évaluer les résultats des stratégies d’éducationpermanente et des initiatives prises dans ce domaine. Pour ce faire, legouvernement a fixé un certain nombre d’objectifs auxquels les réalisa-tions peuvent être comparées. Les objectifs d’ensemble, plutôt ambi-tieux, à atteindre avant la fin de 2002 sont : l’obtention de bons résultatspar deux élèves sur trois âgés de 16 ans dans cinq matières de find’études ; l’inscription de 85 % des élèves âgés de 19 ans en première oudans l’enseignement postsecondaire (second degré) ; l’inscription dedeux élèves sur trois âgés de 21 ans dans l’enseignement postsecondaireou supérieur (troisième degré) ; l’inscription de 28 % des adultes dansl’enseignement postsecondaire ou supérieur (troisième degré) ; l’inves-tissement dans les ressources humaines de 45 % des organismes moyensà grands et de 10000 petits organismes.

Les défis de l’avenirLa mise en œuvre de ces stratégies d’éducation permanente se heurteraà de nombreux problèmes dont certains seront très difficiles à résoudre.

Une évolution culturelle est nécessaire. Il y a en Angleterre des orga-nismes qui prônent l’éducation permanente, des semaines et des campa-gnes en sa faveur ; on met en avant des histoires édifiantes, des modèles,des clubs de football ou autres structures qui soutiennent cette cause. Ilreste cependant difficile de changer les mentalités et d’inciter les gens às’investir dans ce sens, d’évaluer à leur juste valeur les divers résultats decet apprentissage et de mettre la priorité sur certains de ses aspects.

Les priorités de l’investissement public sont une autre source dedifficultés. L’apprentissage communautaire et les autres formes d’édu-cation se traduisent par des résultats très différents et l’importance quileur est attachée par les individus varie. Il est difficile d’équilibrer lesressources affectées à l’éducation et aux établissements d’enseignementde caractère formel avec l’investissement (public, privé et personnel)nécessaire pour l’apprentissage induit par le travail. Il n’est pas non plusfacile de trouver des solutions d’ensemble pour évaluer les diversesformes d’apprentissage et les financer équitablement.

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Il importe de prouver l’existence d’un taux de rendement, de justi-fier les dépenses publiques ou l’investissement privé dans les diversdomaines de l’« apprentissage » et d’encourager l’apport de ressourcesplus abondantes. L’établissement de normes pédagogiques est unmoyen d’évaluer la qualité, ce qui constitue un élément de retour surl’investissement. Il faut cependant aussi chiffrer la valeur sociale de cetapprentissage. Ce n’est pas du tout la même chose que faire la preuved’un rendement économique, mais c’est indispensable si l’on veutdémontrer de façon convaincante la nécessité de l’éducation perma-nente.

Un système complet d’éducation continue exige une étroite collabo-ration entre les établissements d’enseignement, traditionnellementencouragés à se faire concurrence. Des formules devront être trouvéespour persuader ces établissements, qui eux-mêmes ont souvent desbudgets serrés, de mettre en commun leurs ressources et d’élaborer desmoyens de travailler ensemble, en coopération. Les capacités requises àcet égard doivent encore être acquises.

Enfin, il faut se préoccuper de la gestion nationale du contenu et desprogrammes, des structures, des activités et des objectifs en matièred’éducation ainsi que de l’expansion croissante des activités éducativesdu terrain qui correspondent localement aux besoins des habitants.

Le règlement de ces problèmes primordiaux sera une tâchecomplexe pour l’ensemble du pays qui s’engage sur la voie de l’éduca-tion permanente pour tous les citoyens.

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Chapitre 6 :Des campus virtuels au campus planétaire :une expérience espagnole

Francesc Pedró*

L’idée que nous nous faisons du rôle des universités dans la sociétéchange plus vite que nos conceptions sur le bon enseignement universi-taire. Les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies paraissentavoir été saisies par les établissements supérieurs d’enseignement àdistance — ou par les universités traditionnelles qui se lancent dans letéléenseignement — mais ne semblent guère avoir été mises à profitpour modifier en profondeur les modes d’enseignement et d’apprentis-sage à l’université.

De façon quelque peu étrange, les universités sont censées s’occuperd’élaborer des théories nouvelles sur toutes sortes de phénomènessociaux, y compris sur elles-mêmes, alors que le rythme auquel ellesappliquent ces théories révèle une attitude conservatrice qui ne seretrouve guère ailleurs dans l’enseignement.

La crise des études et de l’enseignement traditionnels à l’universitéNous assistons à une crise (au sens le plus ambivalent du terme) danstous les domaines du savoir et des processus d’apprentissage auxquelsles universités prennent une part active.

D’une part, les types de professionnels et de chercheurs que la sociétédemande aux universités de produire n’ont pas le même profil qu’il y aune génération. Même dans les domaines professionnels et scientifiquesoù les technologies nouvelles n’ont qu’une influence mineure, les univer-

* Francesc Pedró enseigne à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone (Espagne).

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sités ne peuvent se soustraire à la responsabilité de former des citoyenscapables d’utiliser les technologies nouvelles et d’être de véritables agentsdu changement et du renouveau dans leurs domaines.

D’autre part, les systèmes d’apprentissage qui entendent trans-mettre des connaissances en n’offrant qu’une image fragmentée dusavoir professionnel ou scientifique suscitent des doutes graves. Le cloi-sonnement du savoir en disciplines qui, comme les pièces d’un jeu deLego, doivent être assemblées dans un ordre donné pour que l’onpuisse obtenir un produit final satisfaisant, conforme au modèle, nepermet pas de répondre convenablement aux besoins d’un mondenouveau où les maîtres mots sont la communication, le traitement del’information, la résolution de problèmes et les activités en coopération.

De toute évidence, ces priorités n’ont pas la moindre valeur, mêmemarchande, si elles ne reposent pas sur un fondement solide de connais-sances de base. Mais, tout valable qu’il soit, ce savoir assis sur une largebase ne garantit en rien que seront satisfaits les espoirs — sociaux ouindividuels — placés dans l’enseignement universitaire. Chacun sait quele temps passé à l’université, outre sa valeur intrinsèque en tant queprocessus d’acquisition de connaissances et de savoir-faire, a une valeurajoutée en ce sens qu’il permet de sélectionner et de façonner, pour lesbesoins de la société, les ressources humaines douées sur le plan acadé-mique. On a souvent dit que les diplômes remis aux étudiants étaientdans une certaine mesure moins importants que le fait qu’ils aient suivil’ensemble d’un cycle universitaire.

Cependant, cette remarque ne devrait pas nous amener à négligerl’importance d’un renouvellement des pratiques de l’enseignementuniversitaire, l’idée étant de faire en sorte que les étudiants apprennentdavantage et mieux dans un contexte de plus en plus caractérisé par ladiversité croissante des profils. Dès lors, il faut de nouvelles formesd’éducation qui se traduisent par de nouvelles modalités de formationde professionnels modernes. Quelles sont ces formes nouvelles ?Pourquoi sont-elles si difficiles à concevoir et à appliquer ?

Vers de nouveaux modèles d’enseignement universitaire :les principes de base

Ce qui caractérise au premier chef l’enseignement universitaire, c’estsa grande variété de grades et de diplômes, de disciplines, de matièreset de contenus. D’où la difficulté de poser des principes de basesusceptibles d’une application universelle. Il n’en reste pas moins

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possible d’établir un cadre théorique général de nature à orienter lesprocessus de renouvellement et d’innovation de l’enseignementuniversitaire. On peut très brièvement définir ce cadre par les prin-cipes fondamentaux ci-après.

Premièrement, l’objectif prioritaire de l’enseignement universitaireest de donner un enseignement global à des personnes qui deviendrontdes professionnels ou des chercheurs de haut niveau. Il arrive souventque l’intérêt accordé aux valeurs de cet enseignement global diminue enraison des pressions exercées pour le choix de telle ou telle discipline. Ilfaut revoir l’enseignement universitaire pour qu’il donne aux gens uneformation d’ensemble et qu’il serve de fondement d’une éducation toutau long de la vie.

Deuxièmement, les programmes devraient être conçus moins entermes de partage équitable du pouvoir entre les différentes disciplinesqui constituent une filière d’étude qu’en termes d’objectif finalrecherché : préparer les étudiants à exercer une profession de hautniveau. Non qu’il faille négliger les traditions propres à telle ou tellediscipline : au contraire, il faut faire appel à elles pour répondre auxdemandes d’éducation générale. Le but n’est pas de faire en sorte que lesétudiants connaissent le maximum de choses dans chaque domaine oudiscipline, mais qu’ils acquièrent progressivement le profil profes-sionnel propre à la formation qu’on leur donne.

Troisièmement, cette tendance générale doit se traduire par unréexamen des processus d’enseignement et d’apprentissage du point devue non seulement des contenus mais aussi des méthodes utilisées. Enrègle générale, les professionnels de formation universitaire sont censéspouvoir résoudre des problèmes concrets et concevoir, mettre en œuvreet évaluer des projets. Pour donner aux étudiants une formationadéquate dans ce sens, il faut trouver une combinaison heureuse debases théoriques dans une matière donnée et de formation à la résolu-tion de problèmes concrets et à l’élaboration de projets.

Quatrièmement, la résolution de problèmes concrets et l’élabora-tion de projets exigent des compétences transversales, non spécifique-ment liées à une discipline et liées à la communication (écrite, orale etpar voie multimédia), à la capacité de coopérer (même à distance et defaçon asynchrone), en particulier à utiliser l’information quel qu’ensoit le support et en quelque lieu qu’elle se trouve. Il serait intéressantde se demander dans quelle mesure ces compétences font partie duprogramme explicite des universités ou si elles s’acquièrent sous la

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pression des circonstances ou, faute de mieux, sont repousséesjusqu’aux études de doctorat, niveau où les normes universitaires sontparticulièrement élevées.

Cinquièmement, il s’agit, en bref, de mettre l’accent non plus sur lesenseignants, qui communiquent le savoir, mais sur les étudiants, quiapprennent. Il importe que les conférenciers sachent communiqueravec les étudiants, mais il importe davantage encore qu’ils sachentconcevoir un processus didactique de haut niveau où il n’est pas seule-ment question de savoirs mais aussi de compétences et d’attitudes. Dece point de vue, des efforts considérables doivent être faits pour donnerune formation de psychologie de l’éducation aux professeurs d’univer-sité.

Enfin, si l’on met l’accent sur les étudiants qui apprennent plutôtque sur les enseignants qui enseignent, cela signifie que l’on accepte unegrande variété d’étudiants, qui sont beaucoup plus nombreux àfréquenter l’université qu’à la génération précédente. Il ne faut pasnécessairement en conclure que les normes universitaires sont aujour-d’hui moins élevées qu’il y a une génération — c’est là un point fortcontestable — mais plutôt accepter le fait que chaque étudiant est unepersonne en soi, qui n’a pas seulement un niveau de connaissancesdonné et une formation distincte mais aussi des besoins et intérêts diffé-rents. Il n’y a probablement pas de meilleure éducation, à quelqueniveau que l’on se place, que celle qui donne à chacun autant de possibi-lités qu’il est nécessaire pour étudier en profondeur et se spécialiser enfonction de ses besoins.

Pourquoi la mise en pratique de ces principes est-elle si difficile ? Ily a probablement deux grandes raisons aux problèmes complexes quepose l’application de ce cadre théorique. La première est sous-entenduedans les deux derniers principes, et c’est l’insuffisance de la formationprofessionnelle des assistants des universités. Il n’y a encore que trèspeu d’universités qui proposent des cours — et encore sont-ils d’ordi-naire facultatifs — aux jeunes assistants qui souhaitent se familiariseravec des aspects essentiels de leurs fonctions didactiques, comme lafaçon dont les adultes apprennent et la façon d’évaluer convenablementles acquis.

La seconde difficulté est probablement de nature institutionnelle etelle est liée à la nature spécifique et distincte des universités en tantqu’institutions sociales participant activement à la recherche et à l’ensei-gnement. Pour toutes sortes de raisons, qui vont de leur nature corpo-

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rative à l’inertie propre aux grandes institutions, les universités onttendance à se montrer très conservatrices, en particulier lorsqu’elles ontété conçues comme des établissements de service public. L’évolutiondes politiques en matière de relations entre pouvoirs publics et univer-sités montre, en particulier dans les pays d’Europe, qu’il faut mettre enplace des systèmes de financement des universités en rapport avec lesrésultats attendus, tout en maintenant l’autonomie des universités,voire en la renforçant considérablement.

Jusqu’à une période toute récente, les universités tendaient, d’unepart, à fonctionner beaucoup trop comme des entreprises monopolis-tiques (qui commencent maintenant à être menacées) et, d’autre part,comme des centres commerciaux rassemblant diverses boutiques (lesdépartements et les titulaires de chaires) qui se contentent de mettre encommun les frais généraux. Dans ces circonstances, il est très difficile deréformer les méthodes d’enseignement et d’apprentissage par un projetinstitutionnel commun : cela reste très rare dans le secteur public. Dansce domaine comme dans d’autres, les projets en cours sont d’ordinairel’aboutissement d’initiatives individuelles héroïques.

Les technologies nouvelles comme occasion favorableLes percées des technologies nouvelles dans l’enseignement universi-taire ont offert des avantages considérables. Les centres universitairesde téléenseignement ont en général tiré plus de profit des possibilitésoffertes par les nouvelles technologies que les universités de type clas-sique. Mais la frontière entre ces deux types d’établissement s’estompe,et les uns comme les autres en perçoivent rapidement les bénéfices.

En réalité, l’introduction des technologies nouvelles dans lesprocessus d’enseignement et d’apprentissage offre de vastes possibilitésd’innovation et de renouvellement des universités en tant qu’établisse-ments d’enseignement. En fait, les percées technologiques rompent lelien physique dans les relations entre professeurs et étudiants, que d’au-cuns considéraient comme sacro-saint. Surtout, tout enseignant quis’intéresse à l’éventail des possibilités que les technologies nouvellesoffrent dans l’université aura à résoudre une tâche beaucoup pluscomplexe que d’établir un programme dans la discipline qu’il enseigne.Il faudra que les enseignants se fassent une idée des objectifs que lesétudiants sont censés atteindre, des activités qu’ils doivent entreprendrepour parvenir à ces objectifs et, surtout — c’est essentiel pour chaqueétudiant —, de la méthode d’évaluation de leurs résultats.

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Évidemment, rien ne justifierait que l’on consacre des fonds àinjecter de la technologie dans l’enseignement universitaire si le résultatfinal devait être exactement le même que celui que l’on pourrait obtenirsans ces technologies. Par exemple, quand un bon manuel universitairea déjà été publié sur papier, nul ne devrait chercher à le numériser telquel en vue de sa publication sur l’Internet étant donné que lesétudiants se contenteront de l’imprimer in extenso sur papier. C’est unrisque à prendre en compte et on ne peut y faire face comme il convientque si les assistants disposent d’un cadre approprié de psychologie del’éducation qui leur permet d’élaborer des stratégies utiles.

Les universités doivent insister pour que les technologies nouvellesfassent partie des processus d’enseignement et d’apprentissage car, enagissant dans ce sens, dans un contexte de psychologie de l’éducationadapté, elles se donnent le moyen de procéder à un renouvellement del’enseignement et à des innovations. On en a eu récemment un bonexemple avec la création de campus virtuels dans le monde entier.

Les campus virtuels en tant qu’environnements d’enseignementet d’apprentissage

Au cours des dix années écoulées, l’enseignement à distance a progresséde façon extraordinaire. Les raisons profondes de ce développementquasiment sans égal dans l’histoire de l’enseignement à distance sontautant liées à l’augmentation de la demande d’éducation (surtout chezles cadres) qu’à l’augmentation de la souplesse et de la vitesse de lacommunication, associée à l’accès aux ressources numériques que lestechnologies nouvelles permettent. Les universités n’ont pas été tenuesà l’écart de cette évolution générale. En particulier, les centres universi-taires d’enseignement à distance implantés depuis longtemps ont connuune avalanche de projets nouveaux fondés sur les technologiesnouvelles. Ces projets, qui ont pour trait commun le campus virtuel,ont prospéré d’un continent à l’autre à un rythme plus rapide que latélévision éducative. Leur succès semble indéniable.

On peut définir le campus virtuel comme un réseau didactique utili-sant les technologies numériques en tant que support de liaison. Dans laplupart des cas, la principale technologie utilisée est la télématique,c’est-à-dire une combinaison des moyens de l’informatique et de ceuxdes télécommunications. Le concept de campus virtuel a notammentpour grand avantage de permettre aux étudiants, en particulier lors-qu’ils recourent à l’Internet, d’accéder aux services éducatifs d’une

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université, n’importe quand et n’importe où, de bénéficier de méca-nismes de gestion et de paiement électroniques et d’entrer en relationavec leurs enseignants et leurs camarades d’étude en temps réel ou enmode asynchrone. Bref, il s’agit de fournir un accès permanent à l’édu-cation à des gens qui auraient du mal à l’obtenir autrement et avec d’au-tres technologies.

Des universités virtuelles ont donc été créées, notamment en vue demettre en place un environnement virtuel qui facilite à la fois la commu-nication entre les personnes et l’accès aux services, en particulier auxmatériels didactiques en ligne. Il est trop tôt pour mesurer le degré deréussite de ces universités. Mais il est à l’évidence plus facile de créer uncampus virtuel comme environnement de communication didactiqueque, pour des raisons très différentes, d’obtenir des matériels didac-tiques multimédias de haut niveau.

De façon paradoxale, le concept de campus virtuel permet aux gensde communiquer beaucoup plus facilement que tout autre système quin’exige pas de présence physique aux cours : le niveau d’interactionatteint dans un environnement virtuel peut même être supérieur, sur leplan de la personnalisation, à ce que les universités traditionnellesoffrent dans les conditions normales. Un environnement de formationvirtuelle peut personnaliser davantage l’enseignement parce que lesystème a été spécifiquement conçu à cette fin. En revanche, les environ-nements universitaires traditionnels, où la présence physique est requise,sont d’ordinaire conçus selon le principe des économies d’échelle : unenseignant fait cours simultanément à un nombre suffisamment impor-tant d’étudiants et le cours est censé être suffisamment compréhensiblepour qu’il n’y ait pas besoin de beaucoup d’interaction au niveau indivi-duel. L’attention personnelle est en grande partie réservée aux étudiantsde doctorat, pour lesquels cet investissement semble justifié.

Les centres universitaires d’enseignement à distance traditionnelsont été amenés à mettre en place des campus virtuels semblables à ceuxdes universités nouvelles qui n’imposent pas la présence physique auxcours. Dans bien des cas, en particulier dans les « méga-universités », ilest véritablement difficile de modifier les systèmes, les procédures et lesattitudes mentales. Cependant, tous les centres universitaires d’ensei-gnement à distance — certains, bien sûr, plus que d’autres — sontconvaincus qu’il leur faut intégrer le concept de campus virtuel dansleur système et prendre en charge tous les frais que cette transformationpeut entraîner.

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Enfin, le concept de campus virtuel a remporté un tel succès qu’il aservi de prétexte à de nombreuses universités traditionnelles pour seprésenter en concurrentes sur le marché de l’enseignement supérieur àdistance. Des universités traditionnelles se sont lancées dans les activitésde téléenseignement beaucoup plus vite que de grands centres universi-taires d’enseignement à distance, à qui il a fallu plus de temps pour setransformer. C’est un phénomène auquel on pouvait s’attendre car lesuniversités traditionnelles sont soumises à des pressions de plus en plusfortes pour qu’elles trouvent de nouveaux marchés, sur le plan local etmondial. Il est beaucoup plus facile d’accéder à ces marchés si l’onapplique le concept de campus virtuel, parce que c’est lui qui convient lemieux pour vaincre les obstacles d’espace et de temps, à un coûtmoindre pour l’institution. Sur le plan local, c’est de la flexibilité didac-tique que l’on vend, tandis que sur le marché mondial le produit venduest l’accès à une formation internationale prestigieuse à un coût minimalpour les étudiants.

Il semblerait que cette évolution était prévisible dès l’instant oùl’Internet était devenu accessible et quasiment indispensable, dans lamesure où la nécessité de rendre l’accès à l’Internet universel et quasi-ment gratuit avait été érigée en dogme indiscutable dans certains pays.Ce qui allait moins de soi, c’était que l’utilisation intensive des techno-logies nouvelles dans les universités permettrait non seulement derepenser le téléenseignement mais aussi de revoir les idées relatives à lanature de l’enseignement universitaire de qualité du point de vue desprocessus d’apprentissage et d’enseignement.

Le concept de campus planétaire, leçon profitableC’est dans ce contexte que des innovations comme le campus planétaireprennent tout leur sens. En fait, il s’agit de reformuler le concept d’en-seignement universitaire en combinant les avantages du campus tradi-tionnel avec ceux du campus virtuel, tout en sachant que l’un et l’autresont mis au service de la formation de toutes les catégories du corpsenseignant. Il faut associer les possibilités des universités traditionnellesà celles des universités virtuelles pour tirer le maximum d’avantages del’une et l’autre, sans oublier qu’il importe de se concentrer sur les acti-vités de travail collectif des étudiants. Ainsi, par exemple, la principaleressource du campus traditionnel, ce sont les membres individuels ducorps enseignant, tandis que la ressource principale du campus virtuelest l’accès asynchrone et à distance à du matériel, à des services et à des

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personnes. S’il s’agit de former des individus dans toute leur diversité, ilimporte d’adopter une approche globale en combinant en un mêmeprogramme un enseignement supposant la présence physique et despossibilités d’enseignement asynchrone.

Cette formule théorique peut sembler aller de soi. Mais si l’onapplique cette idée, on se heurte à d’innombrables problèmes de toutessortes : infrastructures techniques et investissements en personnes tech-nologiquement compétentes dans l’enceinte de l’université (avec forma-tion permanente), acceptation par le corps enseignant d’un projet qui nepeut aboutir que si les enseignants y adhèrent, etc. Pour donner leurconsentement, les enseignants doivent avoir une idée exacte desperspectives immenses qu’un environnement mixte peut offrir à l’ensei-gnement universitaire.

Dans un environnement comme le campus planétaire, tous lesmembres du corps enseignant, appuyés comme il convient par d’autresprofessionnels et techniciens (ingénieurs en informatique, psycholo-gues de l’éducation, bibliothécaires, etc.), doivent devenir non seule-ment les dépositaires du savoir qu’ils ont à transmettre oralement dansleurs cours mais aussi les gestionnaires des processus extrêmementcompliqués que suppose la formation des étudiants. À cet égard, lagestion ou les techniques de la formation — ce que l’on se contentaitd’appeler enseignement il y a quelques années — se définissent entermes de conception de processus de formation, de planification et deprogrammation d’objectifs, d’utilisation de matériels et de toutes autresressources disponibles (en premier lieu les enseignants, mais aussi lespossibilités qu’offrent les liaisons avec d’autres universités), de supervi-sion du processus et, enfin, d’évaluation et d’habilitation appropriées,bref, c’est là l’ensemble des opérations d’enseignement et d’apprentis-sage.

De nouveaux objectifs pour la formation universitaireLes relations entre la société et les universités ont toujours été difficiles,marquées soit par la subordination de ces dernières aux besoins sociauxet à l’ordre établi, soit par la conviction souvent naïve que les univer-sités étaient un mécanisme privilégié pour procéder à une réformesociale de grande envergure. Curieusement, jusqu’à présent, ces rela-tions se sont développées dans un cadre fondé sur l’idée qu’il n’y auraitpas d’évolution radicale de la société dans la génération suivante.Aujourd’hui, les relations entre la société et les universités sont encore

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plus difficiles, ce à quoi s’ajoute la conviction que l’avenir de la sociétéest plus ouvert que jamais, et donc plus incertain.

C’est sur ce fond d’incertitude que se dessine la perspective de lasociété de l’information comme nouveau modèle social où les popula-tions travaillent, traitent des affaires, communiquent, apprennent — etvivent même — sur des réseaux électroniques. Si l’on considère le rythmede croissance des réseaux, on ne peut guère nier que les perspectives desétudiants d’aujourd’hui sont façonnées par la société de l’information,avec le rythme trépidant de changement que cela suppose dans tous lesdomaines de la vie, depuis le travail jusqu’aux relations entre lespersonnes et aux identités culturelles. Le rythme du changement est telque l’application du principe d’éducation tout au long de la vie est la seuleréponse possible.

Quels seront dès lors les buts de l’enseignement universitaire? Quelrôle la technologie peut-elle jouer dans leur réalisation ?

L’université de la société de l’informationAux principes bien établis en ce qui concerne l’enseignement et lesuniversités, on peut ajouter les quatre objectifs suivants : rendre la tech-nologie transparente, préparer la voie à la double citoyenneté, veiller àce que la technologie contribue à l’insertion des populations et recréerdes identités culturelles.

Rendre la technologie transparenteOn peut considérer la technologie comme un instrument doté de possi-bilités considérables. L’objectif premier de l’enseignement universitairedevrait être de rendre la technologie transparente, d’en faire un outil queles étudiants ne voient pas mais qu’ils utilisent parce que ce n’est pas tantl’outil qui attire l’attention que l’utilisation à laquelle on le soumet, etsurtout la fin à laquelle on entend l’utiliser. Pour la plupart des étudiants,un stylo-bille, en tant qu’objet technique, est transparent : ils saventl’utiliser et quand ils en tiennent un entre leurs doigts, ils ne se concent-rent pas sur sa forme ou son mécanisme mais sur ce qu’ils veulentexprimer quand ils écrivent ou dessinent. Si le stylo ne fonctionne plus,on en cherche un autre, sans se soucier de sa couleur ou de sa forme tantqu’il permet de continuer d’écrire ou de dessiner. En revanche, si l’on aentre les mains non plus un stylo-bille mais les leviers de commanded’un planeur en plein vol, on cherche surtout à savoir comment ils fonc-tionnent et comment les actionner en temps voulu.

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Par conséquent, il est clair que les universités doivent contribuer autravail accompli par d’autres acteurs de l’enseignement en assumant leurpart de responsabilité dans les deux nouveaux domaines suivants :• préparer les gens à utiliser les technologies non seulement du point

de vue des compétences pratiques nécessaires — lesquelles peuventvarier au gré des innovations technologiques —, mais aussi des stra-tégies à adopter pour communiquer et travailler avec l’informationdans un environnement numérique en réseau ;

• préparer la mise en œuvre, sur le plan personnel, du principe del’éducation tout au long de la vie, le plus probablement en tenantdûment compte du fait que la technologie deviendra un instrumentclé pour obtenir un accès souple et ouvert à la formation quels quesoient le moment et le lieu, au rythme que l’étudiant aura choisi.

La meilleure façon de contribuer à la réalisation de cet objectif, c’est dedonner aux étudiants des possibilités de formation appropriées. En d’au-tres termes, il est recommandé de compléter un objectif qui a toujoursété facile à comprendre — apprendre à utiliser telle ou telle technologie— par deux autres objectifs qui concernent bien davantage la finalité del’utilisation, à savoir la communication et le travail avec l’information, etla capacité d’accéder à plus d’information grâce à la technologie.

Préparer la voie à la double citoyennetéDans les circonstances actuelles, les étudiants, quel que soit leur paysd’origine, sont la population la mieux placée pour constituerl’avant-garde dans les efforts déployés pour relever les défis sociaux quepose la société de l’information. L’une de ces difficultés réside dans lanouvelle signification du concept de citoyenneté, qui doit être trouvéedans un modèle social qui existe à la fois dans la réalité matérielle etdans la réalité virtuelle. Sur le plan de l’éducation, cela signifie que lesuniversités devraient adopter deux nouveaux objectifs :• préparer les étudiants à appliquer à la communication et à la vie en

réseau les valeurs de citoyenneté propres à une société démocra-tique. En d’autres termes, apprendre l’éthique de la citoyennetévirtuelle en tant que dimension nouvelle de l’éthique de la citoyen-neté démocratique. À l’avenir, il est très probable que ce travailcommencera dès l’école ;

• préparer les gens à se servir de la technologie comme d’un instrumentqui permet d’approfondir la vie dans une démocratie, en examinantles possibilités de participation et, de façon plus générale, les

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processus de gouvernance et d’administration dans la société de l’in-formation.

Veiller à ce que la technologie contribue à l’insertion des populationsNul n’ignore que dans l’enseignement universitaire, qui occupe d’oreset déjà une place exceptionnelle dans le monde, la nécessité urgente derecourir intensivement aux technologies nouvelles peut contribuer àcombler les fossés qui séparent les différentes couches sociales à l’inté-rieur des pays et entre pays et régions du monde. De façon paradoxale,le seul moyen d’éviter ces fossés est de les supprimer carrément soit enrenonçant à utiliser la technologie, soit en en faisant un allié précieuxdans la lutte contre l’exclusion sociale. Même si l’idée d’introduire latechnologie dans les zones souffrant de nombreuses pénuries peutsembler inadaptée ou contestable, l’absence de technologie dans ceszones ne doit pas être la source d’une pénurie supplémentaire. Aucontraire, il faudra appliquer divers types de formules de compensationtelles que :• la coopération internationale en matière de transferts de technolo-

gies et de savoir-faire ;• la coopération internationale autour du concept nouveau d’univer-

sité planétaire ou d’université en réseau. Il serait inexcusable de nepas recourir aux nouvelles technologies pour remédier auxcontraintes géographiques, économiques et sociales. La coopérationinternationale dans ce domaine pourrait être très féconde dans desdomaines encore peu étudiés comme la mobilité virtuelle quiconsiste, en d’autres termes, à offrir un accès à distance à des coursuniversitaires donnés dans n’importe quel établissement du monde,à des étudiants, où qu’ils soient, ou à offrir à des catégories de popu-lations de plus en plus nombreuses l’accès aux avantages de l’ensei-gnement supérieur ;

• l’utilisation des technologies comme instruments d’insertionsociale. Ce qu’il faut dans ce domaine, c’est davantage de créativité,d’expériences novatrices et de recherche.

Recréer des identités culturellesLe dernier objectif, particulièrement important, concerne les identitésculturelles. Tout le monde sait que, dans la mesure où la société de l’in-formation est constituée de réseaux, il est vraisemblable que le principalfournisseur de réseaux techniques et de contenus deviendra la référence

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essentielle et, en fin de compte, imposera la culture dominante. Uneculture nouvelle peut également se former à partir des caractéristiquesles plus typiques d’une culture dominante mêlées à d’autres caractéris-tiques nouvelles, formant une sorte de culture universelle capable d’ab-sorber les cultures locales. Dans la mesure où les gens passeront leur viesur l’Internet, si une culture locale ne réussit pas à faire connaître saprésence sur le réseau, elle risque de disparaître en tant que cultureauthentique. Il faut donc d’urgence élaborer un processus permettant derecréer des entités culturelles, dans un effort pour faire une place à cettedimension nouvelle, différente de l’identité culturelle à proprementparler.

C’est en ce sens que les universités doivent devenir des instrumentsessentiels de re-création d’entités culturelles. Il est donc très important :• qu’elles exercent un contrôle sur les instruments utilisés pour créer

une culture et en tirer profit, notamment une culture sur supportnumérique ;

• qu’elles situent l’identité propre d’une culture dans le contexte plusvaste de l’Internet et des relations qui se développent entre les diffé-rentes cultures.

Le potentiel réel des technologies nouvelles dans l’enseignement universitaire

Par-delà les exigences nouvelles que le concept de société de l’informa-tion impose en matière de redéfinition ou d’actualisation des processusde formation universitaire, les technologies en jeu semblent égalementoffrir des possibilités en tant qu’instruments d’amélioration de laqualité, et probablement de la quantité, de l’enseignement universitaire.Il convient de se demander si les technologies nouvelles apportent unevaleur ajoutée non seulement au contenu de l’enseignement universi-taire mais aussi à la qualité des processus qui entrent en jeu. C’est dansce domaine que les opinions s’affrontent quant à la nature réelle de l’en-seignement universitaire. Les technologies nouvelles donnent à l’ensei-gnement universitaire, et aux autres niveaux de l’enseignement, aumoins deux spécificités nouvelles :• l’accès à un volume d’informations bien plus important et au multi-

média, support nouveau qui, en théorie, se caractérise essentielle-ment par une grande souplesse et un degré élevé d’interactivité ;

• la possibilité de communiquer instantanément avec d’autrespersonnes dans d’autres universités et ailleurs.

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Il est inutile d’insister sur le fait que ces deux facteurs à eux seuls sontdes innovations authentiques sur le plan, d’une part, du support ducontenu éducatif et, d’autre part, des possibilités d’échange et decommunication. Ce sont là des ressources nouvelles confiées aux ensei-gnants. Des objections doivent cependant être apportées à l’idée selonlaquelle on peut utiliser les technologies dans les universités et amphi-théâtres sans modifier nécessairement l’enseignement tel qu’il estdispensé sans ces technologies.

On prendra pour exemple l’amphithéâtre d’une université classique,où le professeur est seul face aux étudiants et où c’est lui qui décide desmanuels et des documents à utiliser. Le motif principal de ce modèle estde nature économique : il s’agit de tirer un profit maximal d’uneressource très restreinte et coûteuse — le professeur d’université — etde faire des économies d’échelle en remplissant les amphithéâtres.

Cependant, ce serait faire fausse route que de signaler les possibi-lités inhérentes aux technologies nouvelles — qui élargissent l’accès àune ressource aussi précieuse (tout en accroissant les économiesd’échelle) — sans faire état des possibilités qu’elles offrent, lorsqu’ellessont utilisées convenablement, pour améliorer les processus d’ensei-gnement et d’apprentissage. Les technologies nouvelles ne sont passimplement une ressource didactique supplémentaire, même trèsprécieuse, elles sont aussi une occasion salutaire, qui nous amène àrepenser le système universitaire dans son ensemble ainsi que ce qui sepasse dans l’amphithéâtre, depuis la façon dont cette activité est orga-nisée de l’intérieur jusqu’aux relations qui s’établissent, en particulierentre enseignants et étudiants.

Imaginons que tous les étudiants disposent d’un ordinateur qui,même s’il n’est pas d’un modèle récent, est relié à l’Internet, au reste del’université et à l’ensemble du monde. Ils disposeraient ainsi d’unnouvel instrument de travail qui leur permettrait d’accéder à un grandnombre de données et de ressources à l’intérieur de l’université et à l’ex-térieur, les rendant également capables de communiquer avec despersonnes dans toutes les parties du monde. On serait amené à conclureque les méthodes traditionnelles d’enseignement et d’apprentissagedoivent être revues pour pouvoir apporter le maximum de profit.

Dans cette situation parfaitement concevable, un professeur d’uni-versité gérerait un processus beaucoup plus complexe mais plus axé surle travail actif de l’étudiant, que ce dernier travaille seul ou qu’il fasseéquipe avec d’autres étudiants. L’hypothèse est qu’il est beaucoup plus

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facile, selon cette modalité, d’accorder une attention particulière àchaque étudiant ; les enseignants peuvent en effet consacrer une partiedu temps qu’ils utilisaient en explications orales à suivre le travailpersonnel des étudiants.

En fin de compte, cette nouvelle situation amène à repenser la fonc-tion de l’enseignant. Cette question ne saurait évidemment être abordéedans le cadre du présent chapitre. Cependant, des estimations ont étéfaites du temps que les professeurs d’université consacrent actuellementà leurs diverses tâches, ainsi que du temps qu’ils y consacreraientprobablement si leurs étudiants avaient accès à la technologie sur lecampus, chez eux, dans un établissement ou dans le cadre d’un servicepublic. Il est facile de calculer le temps que les enseignants peuventgagner en réduisant la présentation de leurs cours. Mais les technologiesnouvelles donnent aussi à penser que l’on pourrait augmenter considé-rablement la marge dont les enseignants disposent pour préparer leurscours, apporter des éclaircissements et assurer un suivi individuel.

Il semble qu’un tel scénario ne se heurte qu’à deux difficultés. Lapremière est de nature économique, puisqu’il s’agit d’amortir lesdépenses nécessaires, telles que frais d’équipement et coûts récurrents.La seconde est de nature pédagogique, puisqu’il faut disposer d’unpersonnel enseignant suffisamment formé pour tirer le meilleur partides technologies nouvelles et intimement convaincu des améliorationsqu’elles apportent. Aucun de ces obstacles n’est insurmontable, mêmes’il y a très loin du rêve à la réalité. C’est essentiellement cette situationqui constitue le trait distinctif de l’université dans la société de l’infor-mation.

Conclusions et recommandationsActuellement, il serait très difficile de prendre au sérieux un pays quiprétendrait que son système éducatif et son université sont en adéqua-tion avec la société de l’information. Cela reste en effet un vœu pieux,sans pour autant relever nécessairement de l’utopie. Même dans despays où, dit-on, près de 90 % des étudiants utilisent chaque jourl’Internet, le système universitaire continue de reposer sur le modèletraditionnel, c’est-à-dire sur un système où les technologies s’addition-nent avec plus ou moins de bonheur.

Il est également difficile, dans ces circonstances, de considérer que lesuniversités ont à jouer un rôle notable dans l’élaboration d’un nouveaumodèle de société. Au contraire, il semblerait que l’image que les jeunes

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étudiants se font de la société de l’information soit surtout influencée parl’expérience qu’ils ont du cinéma, de la télévision et des jeux vidéo. Desurcroît, l’analyse de cette image a montré que les jeunes étudiantssavaient fort bien distinguer les applications sérieuses et ennuyeuses —réservées aux adultes, au monde du travail et, dans certains cas, au travaildans des domaines particuliers — des applications bien plus intéres-santes parce qu’elles offrent des expériences et des sensations différentes,et où ils sont les véritables acteurs. Le moins que l’on puisse dire, c’estque cette double conception des choses est préoccupante.

Si l’on désigne par société de l’information un monde où les gensvivent et apprennent en utilisant les technologies, l’université de lasociété de l’information doit permettre de vivre au quotidien en mêmetemps que d’apprendre grâce aux technologies. Ce n’est pas chosefacile. Premièrement, il faut mettre en œuvre un ensemble de facteursqui donneront une stimulation nouvelle aux universités et aux règlesqui les régissent. À de simples fins d’orientation, il conviendraitpeut-être d’avoir présentes à l’esprit les recommandations suivantes.• Les efforts pour se préparer à la société de l’information sont néces-

sairement de nature transversale. Il n’est pas indiqué d’axer la prépa-ration sur une question unique ou sur un ensemble de questions ousur un contexte bien défini car l’accent serait alors mis sur l’appren-tissage de la technologie et non pas sur les fins auxquelles elle estutilisée et sur son transfert dans des contextes différents.

• En fait, si l’on veut que pareil transfert soit envisageable, il fautdonner plus d’importance au travail sous forme de projet et moinsd’importance au découpage par questions.

• En même temps, il est essentiel de mettre en place des pratiquesd’enseignement de type réellement universitaire.

• À cette fin, il importe de modifier les dimensions spatiales et tempo-relles de l’université. En d’autres termes, il importe que les univer-sités mettent au point des approches structurelles et des pratiquestransférables qui permettent d’axer l’apprentissage sur le travail del’étudiant et non pas sur le cours magistral. En ce qui concerne lefacteur temps, il faut aussi se débarrasser de la rigidité induite pardes emplois du temps trop fragmentés. La nature complexe dusavoir et du travail interdisciplinaire ne s’accommode guère descours de cinquante minutes.

• Une des caractéristiques fondamentales de la société de l’informa-tion est la possibilité d’accès à une information lointaine. Il est donc

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essentiel de faire en sorte que toutes les universités soient intercon-nectées. C’est ce qu’on appelle de plus en plus université planétaireou université en réseau.

• À l’avenir, les professeurs resteront les principaux acteurs de l’ensei-gnement universitaire. Si l’on exige davantage d’eux, il faut leurdonner davantage au sens le plus large du terme. Il faut veiller pardifférents moyens à ce que les enseignants partagent un mêmeintérêt pour la société de l’information et qu’ils disposent des capa-cités humaines et techniques pour traduire cet intérêt de différentesfaçons, en fonction des particularités des contextes.

• Cela étant, les technologies et les produits de l’information doiventêtre aussi souples que possible, de façon que ce soient, en fin decompte, les professeurs qui les adaptent aux besoins concrets et sipossible individuels des étudiants.

• Dans ces circonstances, il est essentiel de commencer à mettre enplace des procédures et des méthodes de formation initiale etpermanente des enseignants d’université dans les domaines des tech-nologies nouvelles les plus liées aux pratiques didactiques. Demême, ces pratiques doivent constituer des exemples de bonne utili-sation des technologies nouvelles.

Dans ce processus complexe, conçu pour contribuer à l’émergence de lasociété de l’information, les universités sont tenues, conformément à lamission dont elles s’acquittent depuis l’origine, de dégager de nouvellesvoies que devront par la suite également emprunter les autres établisse-ments d’enseignement formel. Dans cette entreprise, il est fort probableque les universités de l’avenir ne ressembleront guère à celles que nousavons connues dans le passé. Si on continue à les appeler universités, cesera sans aucun doute parce qu’elles continueront de jouer un rôleextrêmement actif dans la recherche et la diffusion du savoir.

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Chapitre 7 : L’éducation tout au long de la vie : une perspective latino-américaine

María de Ibarrola*

L’éducation tout au long de la vie n’est pas seulement un slogan à lamode. C’est un fait culturel, sociologique, pédagogique et psycholo-gique avéré. En effet, il y a éducation à chaque fois qu’il y a enrichisse-ment de l’expérience humaine. Ce qui est nouveau, c’est de reconnaîtreque, dans un monde en évolution rapide, l’éducation tout au long de lavie doit être une priorité des politiques culturelles, sociales et écono-miques.

Quatre grandes considérations nous obligent à nous intéresser àl’éducation tout au long de la vie. Premièrement, les sociétés connais-sent des mutations profondes, et sont appelées à en connaître encorependant des années. Deuxièmement, on peut sérieusement se demandersi le type de possibilités d’apprentissage qui ont été offertes permet auxbénéficiaires de faire face à ces mutations. Troisièmement, un vastedébat s’est engagé sur les principaux objectifs de l’éducation tout aulong de la vie et sur les résultats qu’elle devrait viser. Enfin, il faut déter-miner qui est responsable des politiques nationales et internationalesd’éducation tout au long de la vie.

* María de Ibarrola est directeur de recherche au Département de recherche sur

l’éducation du Centre de recherche et d’études avancées de l’Instituto

Politécnico Nacional (IPN) du Mexique. La présente étude est fondée sur un

travail antérieur que l’auteur a présenté au deuxième Colloque international sur

l’éducation au XXIe siècle organisé par la Fondation mexicaine d’échanges

universitaires en novembre 1998.

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La nature du changementLes trente dernières années du XXe siècle ont permis d’entrevoir les chan-gements de grande ampleur auxquels l’humanité doit désormais faireface : mondialisation des économies, progrès technologique toujoursplus rapide et transformation politique et culturelle profonde. Ces chan-gements ne sont pas tous orientés dans le même sens. Au contraire, onconstate des processus complexes, conflictuels et détonants à l’intérieurdes pays et entre les pays, des mouvements liés entre eux par des dyna-miques qui tendent à élargir le fossé entre leurs différents résultats.

Il y a quatre grandes tendances économiques. La première est uneévolution du marché du travail et on peut l’organiser autour de sixthèmes centraux :• la nécessité d’améliorer les qualifications permettant à la main-

d’œuvre de répondre aux défis d’un marché du travail en mutation ;• l’évolution des carrières, désormais essentiellement caractérisées par

l’incertitude ;• une tendance générale au développement des services et à une

réduction des activités primaires et secondaires ;• de nouvelles conditions de travail, qui vont plus dans le sens d’un

travail collectif et en équipe que d’une organisation hiérarchique dela production ;

• de nouvelles relations entre les entreprises, qui sont fonction detendances communes : sous-traitance, réduction des effectifs etrefonte ;

• de nouvelles règles en matière de droit du travail. On constate uneérosion du sens social et de la responsabilité vis-à-vis de la main-d’œuvre, qu’il s’agisse du droit à un emploi stable et permanent, desalaire minimum garanti, des conditions de travail, des heures detravail régulières ou des avantages sociaux.

La deuxième tendance, c’est le développement du marché du travail nonorganisé, où les conditions sont souvent très précaires. Troisièmement,il y a la constitution de divers types d’emploi en dehors du marché, dansce que l’on appelle le secteur social, ou le secteur de la solidarité. Laquatrième tendance est l’exclusion totale hors de l’activité économiqued’importantes couches de la population qui, tout simplement, netravaillent pas (Novick et Gallart, 1997 ; Gitahy, 1994).

Le progrès technique risque de détruire notre planète. Les sociétésse heurtent à une triple difficulté dans leurs efforts pour lutter contrecette tendance. D’abord, il faut une masse critique de personnes

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capables de comprendre et d’orienter l’application et l’utilisation destechnologies avancées dans le sens du bien-être humain démocratiquegénéral et de la préservation de l’environnement.

Ensuite, il faut des groupes novateurs capables de peser sur lacompréhension et le développement des technologies pour résoudre desproblèmes de production et d’organisation anciens qui, jusqu’à présent,ont entravé le progrès dans de nombreux pays. Enfin, il faut que chacunait une culture technologique de base suffisante pour qu’une pressiondémocratique puisse s’exercer sur l’évolution technologique de façon àempêcher que ne se répètent les événements tragiques que le progrèstechnique a causés dans les pays développés comme dans les pays endéveloppement, mais surtout dans les pays les moins avancés.L’utilisation irresponsable de la technologie a mis en péril la vie humaine,a entraîné des destructions écologiques, a contribué à concentrer larichesse entre les mains d’un petit nombre et a aggravé l’extrême pauv-reté.

Le changement politique porte surtout sur la nécessité d’unenouvelle citoyenneté qui participe et contribue activement à la prise dedécision en vue d’un développement humain à la fois démocratique etgénéral. Prendre des décisions politiques, c’est prendre en compte desconsidérations techniques et éthiques de plus en plus complexes.Chaque pays doit aussi redéfinir les critères de représentation et la légi-timité des responsables politiques, en même temps que les droits indivi-duels et les droits collectifs.

Les changements culturels apparaissent bien dans la priorité désor-mais accordée à des concepts comme le pluralisme culturel, la diversitéet le respect des différences, ainsi que dans l’apparition de toutes sortesde discriminations — sur des critères de sexe, d’âge, de religion, d’ap-partenance ethnique, de langue, de nation, etc. — qui se manifestentdans la plupart des pays, parfois avec violence et parfois avec un fonda-mentalisme extrême.

Étant donné ces changements profonds et les défis économiques,politiques et culturels qu’ils posent, trois grandes tendances démogra-phiques sont à prendre en considération :• la place prise par les femmes sur le marché du travail et dans la vie

publique, qui transforme radicalement leur rôle traditionnel. D’où,d’une part, des conflits de rôle profonds et, d’autre part, une baissedes salaires et une dégradation des conditions de travail dans lessecteurs où les femmes constituent la majorité.

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• le changement du rapport entre vie active et vie non productive. Àmesure que l’espérance de vie augmente pratiquement pour tout lemonde grâce aux découvertes médicales et aux politiques de santé,les adultes prennent leur retraite à un âge qui leur permet de jouird’une période de quinze à vingt ans en bonne santé, pendant laquelleils ne sont pas incorporés socialement ni économiquement. Chez lesjeunes, la tendance est également à obtenir un emploi régulier plustard. Souvent, la durée de la vie active ne s’étend désormais plus quesur une vingtaine d’années, entre trente et cinquante ans, ce quialourdit considérablement la charge que représentent les personnesnon productives ;

• les migrations dues au travail, à l’intérieur des pays et entre pays,touchent d’ores et déjà des millions de personnes. Les immigrés sontsouvent exclus de nombreux services publics : droits fondamentauxen matière de travail, avantages sociaux, soins de santé, sécurité socialeet éducation. Les mouvements migratoires ont changé depuis lesannées 50 et tendent à avoir un effet sur les pays d’accueil comme surles pays de départ en termes de diversité culturelle et d’inégalitééconomique.

On peut penser qu’à l’avenir les changements seront multiples et qu’ilsaccentueront les différences et les inégalités. Ces changements se retro-uvent aussi bien à l’intérieur des pays qu’entre les pays.

Il existe un scénario optimiste fondé sur une conception exclusivedu progrès technologique supposé entraîner un gain de richesse et deproductivité. Selon ce scénario, la transformation économique est denature dynamique et entraîne graduellement mais puissamment dansson mouvement toutes sortes d’entreprises, même rurales et tradition-nelles. L’éducation tout au long de la vie sert à préparer les jeunes et lesadultes à un changement continu.

Il y a aussi un scénario pessimiste, selon lequel les politiques de l’em-ploi devront choisir entre un modèle où peu de gens sont employés et oùles autres vivent de l’aide publique et un modèle où davantage depersonnes travaillent pendant moins d’heures ou moins de jours. Lerésultat est, dans un cas comme dans l’autre, un accroissement du tempslibre, et l’éducation tout au long de la vie est nécessaire pour que les genspuissent tirer profit, sur le plan personnel et collectif, du nouveau tempsde loisir dont ils disposent (Aaronowitz et DiFazio, 1994 ; Rifkin, 1995).

Une troisième conception — fort nécessaire — de l’avenir apparaîtsi l’on considère les conditions réelles d’extrême pauvreté, d’inégalité

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énorme et d’exclusion économique, politique et sociale que connaissentde nombreuses couches de la population dans la plupart des paysd’Amérique latine. Les tendances doivent être considérées dans uneperspective différente. Contrairement à ce qui se passe dans les paysdéveloppés, les emplois réguliers sont souvent l’exception. Les condi-tions de travail médiocres et précaires — celles que l’on craint le plusdans le scénario pessimiste — sont la règle pour la plupart destravailleurs ruraux et urbains marginalisés d’Amérique latine. Leconcept de temps libre acquiert une connotation différente. Les gensn’ont pas de loisirs mais perdent chaque jour de nombreuses heures àattendre de pouvoir gagner un peu d’argent ou d’effectuer des tâchespénibles. Ce qu’il faut, d’abord, c’est une éducation de base comprisecomme une première chance plutôt qu’une formation continue,souvent confondue avec l’éducation tout au long de la vie.L’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, l’accès à l’éduca-tion et à l’information : ce sont là encore des besoins essentiels à satis-faire si l’on veut contribuer à répondre aux besoins fondamentaux enAmérique latine.

La nécessité de nouvelles compétences de baseLes changements sociaux, économiques, culturels et politiques exigentdes connaissances de base, des savoir-faire et des pratiques nouvelles. Laplupart des pays d’Amérique latine ont entrepris des réformes éduca-tives profondes pour y parvenir, notamment en prolongeant l’éducationde base (passée de neuf à dix années obligatoires), en modifiant lesprogrammes d’enseignement, en décentralisant la gestion des établisse-ments, en renforçant la participation sociale à l’éducation et en respon-sabilisant davantage les établissements.

L’alphabétisation est sans doute la pratique de base où les change-ments apparaissent le plus profonds. Autrefois, un des critères d’alpha-bétisme reconnus sur le plan international était la capacité de lire etécrire une lettre familiale ou commerciale simple, de lire une adresse ouun horaire de transports, voire de reconnaître et d’écrire son proprenom. L’alphabétisation nouvelle exige de savoir lire et comprendre desdirectives techniques complexes, de suivre les instructions d’un manuel,de remplir des formulaires au travail ou pour l’administration, ou aumoins de lire et comprendre des notices de mise en garde (par exempleconcernant des graines non comestibles par l’homme). On demandeaux gens de comprendre la logique des médias sans quoi ils risquent

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d’être manipulés, ainsi que le langage informatique et de savoir utiliserplus d’une langue, surtout une langue internationale commune commel’anglais. Faute de ces connaissances de base, les gens tendent à êtreexclus de la mondialisation économique et culturelle.

Ce type d’arguments vaut aussi pour les mathématiques et lessciences exactes et naturelles, et l’on peut également justifier la nécessitéde nouvelles connaissances de base en sciences sociales. La géographie,par exemple, peut être un instrument économique de premier ordre.L’histoire, les sciences humaines et l’éthique sont indispensables pourpouvoir s’évaluer, pour s’intégrer dans la culture et mesurer les consé-quences des décisions humaines, en particulier en ce qui concerne desimplications du progrès technique comme les risques liés au nucléaire.Toutes les sociétés ont besoin d’une nouvelle culture technologique debase. À mesure que la technologie envahit la vie quotidienne dans laplupart des parties du monde, le savoir et la compréhension de sesmécanismes fondamentaux échappent à d’importantes couches de lapopulation, qui sont par conséquent incapables d’en prévenir lesrisques, de les dénoncer ou de les endiguer (Ibarrola et Gallart, 1994).

Il faut bien comprendre que le système scolaire joue un rôle irrem-plaçable dans l’acquisition de ces compétences de base. Dans la plupartdes pays d’Amérique latine, le taux d’analphabétisme reste élevé (enmoyenne de 15 % chez les adultes, si on le mesure avec les critèresanciens). Il est beaucoup plus élevé si on le mesure selon les critères quiviennent d’être définis. Dans certains pays, la plupart des gens n’ont pasmême six années de scolarité et très peu de jeunes restent à l’école après14 ou 15 ans.

L’éducation de base s’est révélée extrêmement inégalitaire, insuffi-sante et inefficace pour d’importantes couches de la population. AuMexique, par exemple, près de 1,5 million d’enfants de 6 à 14 ans nesont pas scolarisés, et 54 % seulement de ceux qui entrent à l’école vontjusqu’au bout des neuf années d’enseignement obligatoire. Près de14 millions de jeunes de 15 à 24 ans ne sont pas scolarisés et, dans cegroupe d’âge, moins de 17 % font une formation supérieure.L’éducation des adultes est essentiellement orientée vers lesprogrammes d’alphabétisation élémentaire et l’enseignement primaire.Les adultes qui veulent bénéficier de possibilités plus intéressantesd’apprentissage doivent déployer des efforts considérables pour lestrouver. Même dans les pays où la formation en cours d’emploi est obli-gatoire, les possibilités réelles sont très rares.

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On ne saurait sous-estimer les différences de niveaux pour laplupart des couches de la population, ni à quel point cela détermine lespossibilités réelles de tirer parti de l’éducation tout au long de la vie.Une des grosses difficultés semble être le grand nombre d’adolescents etde jeunes adultes qui n’ont que quelques années de scolarisation maladaptée, qui ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre àdes cours d’alphabétisation pour adultes ou à des stages deformation-emploi et sont sans travail. Selon les spécialistes, il y auraitenviron 5 millions de jeunes effectivement exclus de l’éducation commedu travail dans les pays d’Amérique latine (Jacinto, 1998). Négligé dansles réformes éducatives, l’enseignement secondaire devient donc unepriorité essentielle (Ibarrola, 1996).

Dans ces circonstances, on ne saurait se contenter de recommanderbéatement l’éducation postscolaire. D’importantes réformes dessystèmes scolaires sont d’ores et déjà en cours dans de nombreux pays,avec par exemple l’Escuela Nueva, les cours communautaires, Telesecundaria et les systèmes de téléenseignement. Avant d’abandonner despolitiques scolaires, il faut avoir épuisé les possibilités d’utopie pédago-gique qu’elles renferment et établir les conditions préalables d’uneéducation tout au long de la vie. Les compétences de base s’acquièrentpar un effort quotidien pour créer des pratiques et capacités d’apprentis-sage, par le contact quotidien avec un savoir intelligible et par la compré-hension de cultures différentes et riches, ainsi que par un développementquotidien des possibilités humaines. Il faut qu’il y ait chaque jour uneffort pour lire et écrire de toutes sortes de façons, il faut des interactionsquotidiennes entre jeunes et adultes qualifiés dans des domaines scienti-fiques en vue d’encourager le développement global de chaque enfant.Pour cela, rien ne peut encore remplacer le système scolaire. Dans laplupart des pays d’Amérique latine, des efforts colossaux doivent encoreêtre déployés en faveur de l’enseignement secondaire.

La médiocrité des résultats de l’éducation ne justifie pas que l’onabandonne les politiques scolaires ; ces résultats ne surprennent en effetpas quand on a étudié les politiques éducatives nationales de nombreuxpays d’Amérique latine. Malgré un siècle d’efforts (essentiellement rhéto-riques), les budgets de l’éducation sont restés proportionnellement infé-rieurs à ceux des pays d’Asie et d’Afrique qui comptent pourtant parmiles moins avancés. Or les effectifs scolaires comme les taux d’abandon etde redoublement n’ont pas cessé d’augmenter. Ce paradoxe est dû, entreautres choses, à une mauvaise formation des maîtres, à la faiblesse des

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salaires et à des conditions de travail difficiles, au manque de matérielélémentaire, à l’insuffisance du temps consacré à l’étude et au fait que lesenseignants et les établissements pratiquent le travail par roulement.

Des mesures supplémentaires en matière d’éducation tout au long dela vie ne sont pas la solution pour répondre à des besoins d’éducation debase non satisfaits, et ne peuvent certainement pas s’y substituer.L’éducation tout au long de la vie ne saurait être conçue sans une éduca-tion de base solide qui prépare efficacement à tirer parti des nouvellespossibilités et des expériences de la vie quotidienne. La recherche et l’ex-périence montrent que l’auto-apprentissage est un processus complexeet qu’il est rarement le fait de personnes non qualifiées ou analphabètes.Ceux qui profitent des cours de recyclage et de perfectionnement, parexemple, sont le plus souvent des gens dotés de qualifications élevées.

Les compétences de base sont essentielles pour pouvoir profiter desnouvelles possibilités, tant pour progresser dans le processus psycholo-gique d’apprentissage que pour renforcer et élargir ses propres struc-tures cognitives et être capable de faire un choix avisé au milieu despossibilités éducatives toujours plus nombreuses et diverses. D’autrepart, la responsabilité de la mise en place et de la conduite d’une éduca-tion tout au long de la vie de qualité, efficace et novatrice ne peut êtreassumée que si on a une masse critique de personnes d’un niveau d’édu-cation élevé dans chaque pays.

En fait, le progrès technique a offert de nombreuses possibilitésd’apprentissage nouvelles, en particulier avec les technologies de télé-communication et les ordinateurs personnels et l’infinité des ressourcesauxquelles ils permettent d’accéder. Les sociétés développées ont puorganiser des communautés d’apprentissage, voire créer le concept de« villes éducatives », où chaque citoyen peut trouver de multiples occa-sions d’apprentissage d’accès facile, que ce soit sur le plan de l’adapta-tion aux intérêts et aux capacités de l’individu, ou sur celui des possibi-lités de paiement, des horaires, de la réponse aux demandes d’emploi,etc. Ce n’est tout simplement pas le cas dans les pays moins développés,où l’école de base est, pour de nombreuses communautés, l’uniquepossibilité d’apprendre.

Les politiques d’éducation tout au long de la vie : perspectivesL’éducation tout au long de la vie figure depuis au moins une cinquan-taine d’années au programme des politiques éducatives de la plupart despays d’Amérique latine. La formation professionnelle continue en est

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peut-être l’exemple le plus manifeste, que l’on retrouve dans lesprogrammes des universités. On peut citer aussi l’exemple, fréquentdans de nombreux pays, de la formation obligatoire à laquelle lestravailleurs ont légalement droit. Ce qui est nouveau, c’est que l’ons’aperçoit de la nécessité d’une évolution constante des compétences etd’une éducation tout au long de la vie pour tous pour des raisons cultu-relles, politiques et économiques. La seule solution, c’est d’apprendre àapprendre (CEPAL-UNESCO, 1992 ; Commission européenne, 1995 ;Delors et al., 1996).

Le point d’aboutissement doit être une société éducative où chacunpuisse entrer sans difficulté dans une spirale d’enseignement qui encou-rage l’intégration culturelle, politique et économique, et ce dès l’écoleprimaire. Les sociétés ne peuvent atteindre ce stade éducatif que lors-qu’elles ont pu résoudre cinq grands problèmes :• Orienter les ressources financières et l’énergie créatrice vers de

nouvelles possibilités d’éducation de base, en particulier pour lesjeunes, et vers des possibilités d’éducation tout au long de la viesouples et accessibles.

• Promouvoir un large éventail de possibilités de nature à répondre àune multiplicité de besoins et à garantir l’égalité des chances pourtous. La reconnaissance sociale des études — reconnaissance sur lemarché, reconnaissance publique des diplômes — est un champ detensions entre les exigences de diversité et d’équité ; actuellementtrès importante, elle s’incarne dans des normes et des critères d’ho-mologation en même temps qu’elle est encouragée par des groupesnationaux et internationaux, en particulier en relation avec lemarché du travail.

• Transformer les possibilités d’éducation pour répondre à la nouvelledynamique sociale, économique et culturelle externe au lieu de consa-crer du temps à renforcer des institutions et organisations nouvellesqui proposent une éducation permanente. Le problème majeur estd’améliorer les qualifications de ceux qui seront chargés d’enseigner,dans ce contexte de pluralisme, de diversité, d’évolution continue,ainsi que de renforcer l’organisation des nouvelles ressources d’infor-mations. Il est certain que les activités doivent être institutionnalisées,au moins un minimum, pour pouvoir atteindre efficacement leursobjectifs, remplir leurs fonctions sociales, disposer de ressources,s’organiser et rendre des comptes. La précarité des nouvelles possibi-lités d’éducation est un grand problème en Amérique latine.

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• Mettre en place et reconnaître officiellement un enseignement quiouvre de réelles possibilités nouvelles, à la différence des possibilitésrestreintes actuellement offertes pour utiliser les connaissancesacquises ou en tirer profit, à cause d’une organisation et de condi-tions sociales et professionnelles défavorables. L’emploi offre debons exemples de cette contradiction : il est en effet plus facile deproposer des stages aux travailleurs que de les promouvoir oud’augmenter leurs salaires.

• Faire en sorte que les possibilités d’éducation permettent auxgroupes sociaux de s’adapter aux exigences multiples de la mondiali-sation plutôt que de transformer les buts comme cela semble néces-saire pour redéfinir les objectifs de la transformation sociale, écono-mique et culturelle en dépit de la vitesse considérable duchangement, et ce précisément de façon à diminuer la distance quisépare des processus opposés.

La définition des responsabilitésL’éducation tout au long de la vie — conçue pour donner à tous lesconnaissances et compétences de base nécessaires pour apprendre àapprendre et ce, tout au long de la vie — est une affaire publique. Elle nepeut être ramenée à une dynamique du marché qui privilégie tantôt lademande, tantôt l’offre de possibilités d’éducation tout au long de lavie. Tant la demande réelle que les possibilités réellement offertes sontinsuffisantes pour les objectifs que nous proposons.

En soi, la demande peut être analysée sous différents angles : la capa-cité réduite ou la non-capacité de nombreux groupes à exiger desopportunités d’éducation ; le sens et l’orientation de demandes précisesen matière de besoins éducatifs, locaux, régionaux, nationaux et inter-nationaux ; les crédits pour satisfaire la demande. L’expérience montreque ce sont plutôt les personnes les plus instruites et les plus avisées quisont les plus capables d’exercer une pression pour obtenir des opportu-nités d’éducation.

L’offre elle aussi peut être considérée sous plusieurs angles. Toutd’abord, la plupart des possibilités d’éducation tout au long de la viepassent par des écoles qui ont des relations insuffisantes avec lesautres secteurs de la société, précisément parce qu’elles sont depuislongtemps pénalisées par le rythme du changement alors qu’ellesn’ont pas le temps de se transformer de l’intérieur et d’adapter leursfonctions aux demandes nouvelles. Par ailleurs, nombre d’institutions

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sociales essentielles à l’éducation tout au long de la vie n’en assumentpas la responsabilité, en particulier dans les pays en développement.Les médias en sont un bon exemple. Enfin, bien des couches de lapopulation des pays en développement n’ont pas accès aux réseauxélectroniques internationaux.

Une question importante qui se pose, c’est de savoir qui est respon-sable de l’éducation tout au long de la vie de jeunes qui ont eu unescolarité insuffisante et auxquels les possibilités d’éducation et detravail sont fermées. Qui est responsable de l’éducation tout au long dela vie des personnes employées sur le marché du travail non organisé ?Qui est responsable de l’éducation tout au long de la vie d’adultes dontl’espérance de vie dépasse de loin la durée de leur appartenance à lapopulation active ? Qui est responsable de l’éducation civique decommunautés qui ont à prendre des décisions locales complexes,comme la construction de pompes à essence dans leur quartier, parexemple ? Qui est responsable de l’insertion culturelle des groupesd’immigrés ? Nombre de ces besoins n’ont même pas encore atteint lestade de la demande.

Ces exemples nous amènent à considérer la responsabilité despouvoirs publics dans les politiques éducatives.

Mais les définitions de ce qui est public et de ce qui est privé chan-gent elles aussi. On ne saurait réduire les activités publiques à celles despouvoirs publics, pas plus qu’on ne saurait réduire le secteur privé auseul profit. On constate des interactions intéressantes entre public etprivé. Des acteurs sociaux nouveaux apparaissent et on voit denouvelles façons d’élaborer des politiques et programmes qui fontintervenir des entités publiques et privées. La collecte de fonds et larépartition des ressources financières supposent ressources fiscales etgestion privée. L’obligation de rendre des comptes et l’évaluationdoivent être étendues aux groupes privés, pas seulement aux interve-nants publics.

Pour que chacun puisse entrer dans une spirale éducative intégra-trice, il est besoin de différents cercles d’éducation, mais la diversitéexige aussi une coordination publique afin de résoudre les tensionspropres au monde d’aujourd’hui. La démocratie, base d’une coordina-tion publique efficace, est à la fois une exigence et une conséquence deces politiques publiques.

La coopération internationale doit trouver un équilibre entre, d’unepart, comprendre les besoins éducatifs de base des différents pays et,

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d’autre part, encourager les nouvelles tendances de l’éducation. Elledoit pleinement prendre en compte le fait que la priorité accordée auxpolitiques d’éducation tout au long de la vie dans les pays où les besoinsd’éducation de base sont satisfaits depuis longtemps ne peut s’exportersans effets pervers en direction des pays où la scolarisation de base pourtous reste encore un rêve lointain.

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Chapitre 8 : Sociétés en transition : étude de cas sud-africaine

Enver Motala*

L’élaboration et la mise en œuvre de stratégies appropriées relatives àl’éducation tout au long de la vie posent des problèmes différents enfonction des sociétés. Les expériences ont été essentiellement décrites etétudiées dans les sociétés opulentes et stables.

Les sociétés en transition comme celles d’Afrique, d’Amériquelatine et d’Europe de l’Est sont confrontées à trois problèmes cruciauxqui ont un impact, notamment, sur la capacité des gouvernements àfournir à leurs citoyens des possibilités d’apprentissage tout au long dela vie.

Le premier concerne la façon dont ils devraient traiter les questionsde développement. Plus d’une décennie après la fin de la guerre froide etle début de l’essor mondial de la démocratie et de l’économie demarché, on sait peu de chose sur la nature des sociétés en transition etsur les difficultés particulières que pose leur développement.

Le deuxième est représenté par la dissociation de la politique et de lapratique dans toutes les sociétés en transition. Les grands espoirs despopulations quant aux résultats de la transition politique se traduisentpar des demandes importantes et cumulées adressées à l’État-nation. Laréponse est une activité politique foisonnante mais pas nécessairementde grands changements sur le terrain. Le changement doit être soigneu-sement géré, et l’expérience acquise jusqu’ici en matière de transition

* Enver Motala est consultant en éducation auprès de l’administration nationale

et provinciale sud-africaine. De 1994 à 1997, il était haut fonctionnaire au

Ministère de l’éducation de la province de Gauteng.

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indique que l’évolution doit être progressive. Il convient d’identifier lesobjectifs clés, et non de chercher à résoudre tous les problèmes à la fois.Si, par exemple, on estime que le meilleur moyen de transmettre lesconnaissances à des millions de personnes auparavant défavoriséesréside dans l’utilisation de supports innovants, c’est dans ce domainequ’il convient d’axer essentiellement les efforts.

Le troisième problème, et le plus inquiétant, résulte de la mondiali-sation rapide de l’environnement, qui a sapé le rôle des États-nations.On a constaté un changement d’attitude et une nouvelle reconnaissancedes pouvoirs publics, adoptée par exemple par la Banque mondialeaprès la crise économique de l’Asie du Sud-Est et l’instabilité desmarchés financiers de 1998. Dans les pays pauvres, notamment ceuxsubmergés par les inégalités, l’État est souvent le seul mécanisme exis-tant qui permette de protéger la souveraineté nationale, de surmonterles carences du passé et d’encourager un développement équitable. Lelibre jeu des mécanismes du marché s’est avéré à lui seul insuffisantpour garantir un développement juste — en réalité, il a accentué l’inéga-lité.

Les commentaires de ce chapitre sont fondés sur l’expérience sud-africaine : il n’est pas envisageable de les appliquer à d’autres pays, enraison de la spécificité de la situation de cette région. Les conclusionsgénérales ne peuvent probablement pas être directement applicables àd’autres régions en développement, en dépit de l’empreinte évidente dela mondialisation sur tous les pays en développement — par exemple,les effets des politiques douanières et commerciales, les régimes finan-ciers, l’évolution des systèmes de production, les conditions d’emploiet, ce qui est essentiel, les transgressions à l’encontre de la souverainetédes États-nations. Ce chapitre se propose de replacer dans son contextele passage à la démocratie en Afrique du Sud, et de s’interroger sur lanature du processus de transition et de réforme, en articulant notam-ment la réflexion sur les questions relatives aux politiques et auxpratiques en matière d’éducation et de formation.

Politiques et pratiquesImmédiatement après le passage à la démocratie en avril 1994, lenouveau gouvernement du Congrès national africain d’Afrique du Suda commencé à produire une série de documents d’orientation. D’aprèsles commentaires des consultants extérieurs et des participants auprocessus d’élaboration de la politique en Afrique du Sud, on peut

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probablement affirmer que n’a jamais existé une telle gamme de docu-ments de ce type et de cette importance dans aucune autre expériencecomparable. L’Afrique du Sud dispose d’une législation sur chaquequestion, de Livres blancs, de Livres verts, de documents de discussion,de cadres réglementaires nouveaux — tous, bien sûr, résultant deconsultations massives qui ont eu lieu dans les années qui ont suivil’avènement de la démocratie et, dans certains cas, avant l’arrivée augouvernement de l’ANC.

Les propositions d’action visent à résoudre des problèmes fonda-mentaux tels que l’équité, la réparation des torts, l’accès, la qualité et lapertinence — ces mêmes problèmes qui submergent tant de pays — despolitiques d’apprentissage à vie. Une lecture de ces documentstémoigne du langage tenu et de la nécessité de mettre en place dessystèmes d’apprentissage souples, que l’on retrouve dans le discoursinternational sur l’éducation.

Les politiques d’éducation ont pour vocation de créer des cadrespour y inscrire les stratégies de développement innovantes destinées aupays. Les stratégies plus spécifiques qui ont découlé de ces paramètresd’action globale visent en particulier à rendre possible l’apprentissagetout au long de la vie : des programmes nationaux, la reconnaissance dela formation antérieure, des systèmes d’apprentissage ouverts et flexi-bles, et de nouvelles structures d’enseignement. L’intégration de laformation professionnelle au sein de l’éducation a été très importantepour démythifier la formation universitaire et promouvoir la première,en mettant l’accent sur le concept d’apprentissage critique.

L’éducation est gérée par les administrations provinciales, le gouver-nement national étant responsable des politiques globales et de l’établis-sement des normes et des critères nationaux — les neuf provincesd’Afrique du Sud doivent créer des instituts consacrés à l’éducationpermanente.

La South African National Qualifications Authority (SAQA,Autorité nationale sud-africaine de qualifications), chargée de la créationd’un National Qualifications Framework (NQF, Cadre national dequalifications) d’après les principes de l’éducation axée sur les résultats, aété mise en place. Tous les enseignements sud-africains seront reconnuspar les agences de la SAQA et les qualifications de tous niveaux, desdiplômes scolaires à ceux du troisième cycle, seront insérées dans uncadre destiné à garantir la qualité de l’enseignement et à améliorer l’accèsà l’éducation, la flexibilité et la mobilité. Un nouveau programme axé sur

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les résultats, appelé Curriculum 2005, est introduit progressivementdans les écoles et a pour objectif de permettre à l’Afrique du Sud d’ac-céder à la modernité et à la compétitivité internationale.

Nous disposons d’une loi, le Skills Development Act (loi sur ledéveloppement des compétences), et d’une taxe de formation prélevéesur la masse salariale du secteur privé visant à encourager l’éducationsur le lieu de travail et tout au long de la vie, et à financer la formationdes chômeurs. Des autorités par secteur et des autorités de formationont été officiellement créées par le Ministère du travail, et ont pourmission de favoriser la mise en valeur des ressources humaines et l’édu-cation permanente dans chaque secteur de l’économie. Une participa-tion plus massive au système éducatif a été encouragée par des conseilset des forums sur l’éducation organisés dans chaque province et dans denombreux secteurs de l’enseignement.

Un nouveau Plan national en faveur de l’enseignement supérieurdemande aux 36 universités et tecknikons (universités d’enseignementtechnique) du pays de recruter activement des étudiants adultes et nonissus du système traditionnel ; cela a pour objectif à la fois d’offrir desopportunités d’entrée dans le tertiaire aux personnes défavorisées, auxpauvres et aux groupes marginalisés, et d’élargir la population danslaquelle les institutions peuvent puiser dans le cadre d’un effort nationalvisant à valoriser les ressources humaines du pays et à s’attaquer à lapénurie critique de qualifications.

Il est incontestable que l’Afrique du Sud dispose d’un cadre d’actionsolide qui définit une voie pour l’éducation et éloigne irrévocablementle pays de l’apartheid qui, comme on le sait, était caractérisé par despolitiques discriminatoires, racistes et sexistes, par la fracture sociale etpar un enseignement inadapté à la grande majorité de la population.

Ce sont là de grands accomplissements. Nous avons cependantappris en Afrique du Sud à tempérer l’euphorie suscitée par la transitionet à la remplacer par une difficile prise de conscience de l’énormité destâches à accomplir en matière de réformes : car nous avons sous-estiméles problèmes auxquels nous sommes confrontés.

L’Afrique du Sud reste une société inégalitaire. Les taux de chômagesont alarmants et en progression : selon une définition large duchômage, un tiers de la population apte à travailler est sans emploi. Lechômage des jeunes avoisine les 50 %. Les taux de redoublementscolaire sont élevés et de nombreuses écoles — dans certains cas laplupart d’entre elles — manquent de l’essentiel comme les toilettes,

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l’électricité, l’eau, les bibliothèques, les manuels scolaires et la papeterie.Ces problèmes fondamentaux ont un impact négatif sur la nature de latransition six ans après l’arrivée du gouvernement démocratique.

Pendant les années 90, l’éducation était aux prises avec des conflitsdouloureux et fragilisants portant sur la relation entre les pouvoirspublics et les bénéficiaires de l’éducation, et entre les pouvoirs publicset les éducateurs. Le gouvernement national a décidé qu’une stratégievisant à réduire ses déficits budgétaires consistait à diminuer la taille dusecteur public — un principe bien connu de ceux qui sont au courantdes programmes d’ajustement structurel.

Le secteur le plus important du service public en Afrique du Sud estl’enseignement. C’est pourquoi, pendant plusieurs années, l’administra-tion chargée de l’enseignement a dû concentrer ses énergies à la résolu-tion des conflits qui l’opposaient au corps enseignant et à apaiser lesinquiétudes de ce dernier. La diminution des effectifs enseignants et lerééquilibrage des taux d’encadrement entre les écoles privilégiées etdéfavorisées, dans le but de réduire les disparités flagrantes en termes definancement, ont eu un effet pervers : des dizaines de milliers d’ensei-gnants se sont trouvés en surnombre ou ont cessé volontairementd’exercer leur activité, alors que l’Afrique du Sud voyait entrer descentaines de milliers d’enfants supplémentaires dans un système descolarité obligatoire.

Il y a eu une réduction en termes réels dans les dépenses de l’éduca-tion sud-africaine, alors que l’éducation est un domaine prioritaire pourle nouveau gouvernement. Cependant, au cours de l’exercice budgétaire2000-2001, l’éducation a consommé 21 % du budget national, avec unehausse de 6,5 % pour contrer le déclin du financement.

ConclusionsQuelles conclusions peuvent être tirées de ce bref exposé ? À quoi peut-on attribuer sérieusement les processus contradictoires de la transition?Je voudrais indiquer que ces contradictions constituent aussi unemenace sérieuse pour les objectifs à long terme, objectifs visionnaires,fixés dans les documents d’orientation sud-africains. Nos politiquespeuvent paraître poétiques et nos dirigeants nationaux aspirent à desobjectifs admirables. Mais nous avons été touchés par plusieursproblèmes très graves.

Le premier problème, auquel ont fait allusion George Papadopouloset d’autres, est le caractère extraordinairement impérieux du détermi-

Sociétés en transition : étude de cas sud-africaine • 153

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nisme économique dans l’expression de nos objectifs en matière d’édu-cation et de formation. Il se passe rarement un jour sans que l’onreproche aux éducateurs d’être responsables du dysfonctionnement dusystème économique et de ne pas parvenir à produire des automates quiamélioreraient la productivité de notre économie, feraient de nous desacteurs sur la scène mondiale et optimiseraient nos capacités danschaque secteur de l’activité économique — et uniquement de cette acti-vité-là, non pas l’activité sociale, économique et culturelle. Il se passerarement un jour sans que l’éducation soit accusée de ne pas réussir às’acquitter de sa responsabilité, comme si c’était un remède universel auxproblèmes du marché du travail et à ceux du chômage.

On considère que les dépenses d’éducation sont excessives, mal géréeset inefficaces, insuffisamment axées sur les résultats et la vérification asso-ciés aux étroites mesures quantitatives par lesquelles les compétences sontjaugées. Les types de mesures quantitatives élaborées au cours des vingt-cinq dernières années par les grandes institutions de politique internatio-nale continuent de prévaloir dans le discours sur l’efficacité et l’efficiencepédagogique: ce sont les analyses du rapport coût/bénéfice et les modèlesd’entrées-sorties qui révèlent très peu des questions sociologiques indui-sant les changements de politique éducative.

Un deuxième problème, corrolaire, est le désinvestissement rapidedes objectifs plus larges et humanistes de l’éducation, notamment entermes de lutte pour la démocratie. J’évoque ce point non parce que ladémocratie est une fin en soi mais parce que, conjugués, l’extraordinairedéterminisme économique et l’incapacité à reconnaître la totalité desvaleurs que l’éducation doit transmettre conduiront une fois de plusnotre société vers la dualité. Ils nous figeront sur la voie des politiquesd’exclusion parce que plus la nature de la démocratie est faible dansnotre société, plus forte est la probabilité que de larges franges parmi lespauvres continuent d’être exclues du processus de changement.

Un troisième problème est la diminution des questions sur lesréductions des dépenses de l’éducation du fait des exigences budgé-taires. On s’est beaucoup inquiété en Afrique du Sud de la façon dontles objectifs budgétaires ont été atteints. Quelles dispositions contrac-tuelles avec les organismes donateurs ou prêteurs ont déterminé nosobjectifs budgétaires ? Comment ont-ils été fixés aux différents éche-lons et quels instruments de mesure ont été utilisés ?

Dans la province où j’étais responsable de l’administration et de lapolitique, on a abouti à une situation où, sur un budget de l’éducation de

154 • Enver Motala

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près de 6 milliards de rands, il ne restait, après les dépenses en personnel,que 28 millions de rands. Pas une seule école ne pouvait être construite etl’acquisition de manuels scolaires était hors de question. On refusait auxenfants les droits fondamentaux garantis dans notre Constitution. Il estétonnant que le non-respect des droits constitutionnels n’ait pas donnélieu à des plaintes devant les tribunaux : si cela avait été le cas, le gouver-nement d’Afrique du Sud aurait eu de sérieux problèmes.

Un quatrième problème réside dans le fait que la quête d’unerespectabilité internationale et les impératifs de la pression extérieuresur notre politique macro-économique et budgétaire ont amené l’État-nation à sous-évaluer son pouvoir et ses responsabilités nationales. L’undes plus profonds impacts de la mondialisation porte sur le comporte-ment des États-nations. La mondialisation menace de paralyser l’Étatdans les responsabilités essentielles qui lui incombent en matière d’in-tervention contre les défaillances du marché ou autres carences.

Tout cela est exacerbé d’une part par la baisse d’efficacité des organi-sations démocratiques et d’autre part par la montée de puissants intérêtsde conglomérats résolus à protéger les privilèges du passé. Cesprocessus ont eu pour effet de nous réengager sur la voie d’un systèmedouble, dans lequel nous continuons d’être le jouet des effets noncontrôlés de certains aspects de la mondialisation.

En conclusion, il existe des limites à ce qu’il est possible de fairedans un pays grâce à des interventions axées sur l’éducation et la forma-tion. Il n’est pas suffisant d’avoir de bonnes politiques d’éducation et deformation. Elles ne peuvent que modifier la relation entre l’éducation etles politiques plus larges, car les politiques éducatives ne sont qu’uneexpression du comportement de l’État-nation.

Les solutions aux problèmes des sociétés en transition commel’Afrique du Sud ne sont pas nationales. Les nations peuvent contri-buer à la résolution de leurs problèmes par des formes particulières decontestation et de lutte pour démocratiser la façon dont leursressources sont utilisées. Cependant, les organisations internationalesqui sont profondément engagées en faveur de la démocratie et de lajustice sociale, comme l’UNESCO, sont des remparts potentielssolides contre les instincts de prédateur des intérêts puissants quidéterminent le sort des nations. Les agences internationales et leursinterventions, soutenues par des réponses nationales essentielles, pour-raient bien être les seules à pouvoir contenir la vague de division etd’oppression à l’échelle mondiale.

Sociétés en transition : étude de cas sud-africaine • 155

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Chapitre 9 : Formation ouverte et enseignement à distance en Inde : les grands défis

Abdul Waheed Khan*

Le lien entre l’éducation et le développement a obligé les pays avancéscomme les pays en développement à répondre à une sorte d’« impératiféducatif ». En déclarant que « savoir, c’est pouvoir », Bacon se montraitsurtout prophétique car ce jugement correspondait moins aux faits àl’époque qu’aujourd’hui, où il a acquis une validité certaine. Cependant,le savoir n’est pouvoir que lorsqu’il est pertinent et utile à la société.

Selon Takeushi, philosophe japonais, « si savoir est le moteur dudéveloppement, apprendre doit en être le combustible ». Le savoir estvraiment le moteur du développement, et il devient de plus en plusessentiel au développement des communautés et sociétés si l’on consi-dère les tendances actuelles de la mondialisation et de la libéralisationdes économies, l’influence omniprésente de la science et de la techno-logie dans nos vies quotidiennes et la convergence des technologies dela communication et de l’information qui permet de produire, destocker et de diffuser des connaissances.

Si l’on admet que savoir est le moteur du développement et qu’ap-prendre en est le combustible, on en conclut sans mal qu’il faut disposerde suffisamment de combustible pour faire fonctionner le moteur. Leface-à-face pédagogique, qui a été le mode dominant d’acquisition dusavoir, doit céder la place à l’éducation tout au long de la vie. La forma-

* Le professeur Abdul Waheed Khan, ancien vice-président de l’Indira Gandhi

National Open University de New Delhi (Inde), est aujourd’hui Sous-directeur

général de l’UNESCO, pour la communication et l’information.

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tion ouverte et l’enseignement à distance sont une des innovationséducatives les plus importantes du XXe siècle. Dans le présent chapitre,on verra comment ils ont relevé les grands défis de l’éducation tout aulong de la vie.

Répondre aux grands défisSix grandes difficultés ont entravé le développement du concept d’édu-cation universelle : l’accès, la qualité, le coût, l’équité, la pertinence et lanon-reconnaissance de l’éducation tout au long de la vie, en mêmetemps que le manque de possibilités d’en bénéficier. En tant qu’innova-tions didactiques, la formation ouverte et l’enseignement à distancesont essentiellement apparus pour répondre à ces défis critiques.

L’accès aux systèmes de formation ouverte et d’enseignement àdistance peut se définir selon plusieurs critères. Les principaux sontnotamment :• la portée du service éducatif fourni, en particulier sous l’angle des

modes d’utilisation des technologies de l’information et de lacommunication en vue d’un dialogue synchrone/contigu et asyn-chrone/noncontigu entre enseignants et apprenants ;

• la réponse apportée aux « apprenants », qui ont besoin d’un vasteéventail de formations dans toutes sortes de domaines et à toutessortes de niveaux, depuis la sensibilisation jusqu’aux cours tech-niques et professionnels ;

• le degré d’autonomie de l’« apprenant » dans le choix des cours etdes combinaisons de cours offerts par un ou plusieurs établisse-ments d’enseignement à distance et de formation ouverte ;

• le degré de flexibilité des procédures d’admission et d’évaluation, enparticulier en ce qui concerne les niveaux requis pour l’inscription,les formules d’admission à la demande des « apprenants » et l’éva-luation des résultats des étudiants ;

• le recours à des services de soutien, en particulier des servicesd’orientation proposés dans les centres d’étude, centres de travail etcentres de programme ;

• les tendances en matière d’inscription.La qualité des produits et des services éducatifs est un facteur essentielpour déterminer l’impact de l’enseignement fourni sur les« apprenants ». Le souci d’atteindre un public largement disséminé nedoit pas être dissocié du souci de fournir des possibilités d’enseigne-ment de qualité et de créer des mécanismes administratifs bien adaptés.

158 • Abdul Waheed Khan

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Parmi les critères d’une éducation de qualité offerte par les systèmes deformation ouverte et d’enseignement à distance, on citera :• la mise à disposition de toutes sortes de ressources didactiques

faisant appel à des sens multiples ;• la création de ressources didactiques qui font appel à un large éven-

tail d’expertise dans le domaine ;• l’actualisation continue de la base des connaissances incorporées

dans les ressources didactiques ;• des structures d’organisation adéquates et efficaces ;• la définition et le respect de normes de qualité pour les programmes,

les services d’appui, le retour de l’information et l’évaluation.Tous les établissements d’enseignement doivent veiller à apporter uneéducation de qualité au plus grand nombre possible d’étudiants à uncoût raisonnable. Tant les « apprenants » que les organismes éducatifsont des frais. Dans le cas des premiers, ce sont des coûts budgétaires telsque les frais d’inscription et les dépenses imprévues pour mener à bienles programmes. De plus, il y a les coûts annexes en termes de temps etd’efforts. Dans le cas des organismes éducatifs, la rentabilité se mesureen taux de couverture des dépenses par les recettes pour les établisse-ments, pour certaines opérations comme les inscriptions, l’orientationet l’évaluation, ainsi que pour les programmes et les cours.

Le souci d’équité est au centre de la philosophie de la formationouverte et de l’enseignement à distance. Pour répondre aux préoccupa-tions d’équité, il faut regarder de près non seulement les effectifs totauxmais la ventilation des chiffres en ce qui concerne les groupes défavo-risés. Il faut aussi étudier soigneusement les tendances en matière d’ins-criptions. Pour relever le défi de l’équité, il est essentiel de combler ledécalage urbain-rural-tribal, le clivage entre les sexes et le fossé entre lesclasses sociales. On peut considérer que la lutte contre les disparités estun des principaux chapitres au programme de l’enseignement à distanceet de la formation ouverte. Pour fournir une éducation aux groupesdéfavorisés, il faut reconcevoir l’activité pour permettre non seulementl’accès au système mais aussi l’accès à une éducation appropriée.

La pertinence représente également un défi pour l’ensemble de lapopulation des « apprenants » ; pour le relever, il faut que voient le jourdes systèmes appropriés, qui tiennent compte des structures technolo-giques et socio-économiques.

L’enseignement traditionnel a toujours été un face-à-face destinéaux jeunes à la recherche de qualifications professionnelles et d’un

Formation ouverte et téléenseignement en Inde : les enjeux critiques • 159

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160• A

bdul Waheed K

han

Identifierles besoinséducatifs etles groupes

cibles

Planifier et concevoir

le programmed’études

Productionde matérielsdidactiquesmultimédias

Rétroaction

Systèmede

diffusion

Supportsimprimés

Cassettesaudiovisuelles

Radiodiffusion

Obtention d’un diplôme

Évaluation

Télédiffusion

Groupes ciblesINTERNET

Travaux pratiques en

laboratoire (y comprisen formation

directe)

Séances decontact et

d’orientation

Téléconférence

Un ou plusieurs matériels didactiques

Figure 7 : Le système didactique des institutions de formation ouverte et d’enseignement à distance

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savoir élémentaire. En revanche, les établissements d’enseignement àdistance sont par nature « ouverts » aux apprenants de tous âges et detoutes conditions. Leur façon d’aborder les problèmes d’éducation toutau long de la vie a donc plus de portée que les méthodes didactiqueshabituelles. Une de leurs préoccupations majeures est de créer desapports appropriés à l’éducation tout au long de la vie.

Caractéristiques spécifiques de l’enseignement à distance et de la formation ouverte

Ce qui caractérise la formation ouverte et l’enseignement à distance,c’est que les programmes éducatifs sont transmis à des individus et à desgroupes géographiquement dispersés. Ce dialogue asynchrone entreenseignant et étudiant passe par-dessus les divisions d’espace et/ou detemps. La nature asynchrone et non contiguë du processus didactiqueest essentielle à la philosophie d’ouverture de l’enseignement à distance.Le système d’enseignement (figure 7) est centré sur le processuséducatif et sur l’autonomie de l’« apprenant » et contribue sensiblementà faciliter l’accès à l’enseignement à distance et à la formation ouverte.

En fonction du degré d’ouverture d’une institution, les « appre-nants » peuvent effectuer un choix dans tout un éventail de cours et decombinaisons de cours dans des disciplines diverses. La mobilité des« apprenants », qui peuvent passer d’un établissement d’enseignement àdistance à un autre par un système approprié de transfert d’unités devaleur, contribue aussi à leur autonomie.

La philosophie d’ouverture inspire également les structures et lesmécanismes institutionnels créés pour fournir les services didactiques.Ce qui caractérise les programmes des établissements d’enseignement àdistance et de formation ouverte, c’est qu’ils sont transmis par descanaux multiples (figure 8). L’acheminement par canaux multiples est detrois types : apport direct aux apprenants ; apport par le biais de centresde documentation ; apport par le biais d’activités dérivées.

Le travail direct avec les « apprenants » passe par des documentsimprimés, des cassettes audiovisuelles, des programmes radiodiffusés,des réseaux informatiques en ligne et des animateurs (conseillers oucoordinateurs) de l’enseignement à distance. Les centres de documenta-tion qui pourvoient aux besoins des « apprenants » constituent un vasteréseau où l’on trouve des centres d’étude, des centres de travail, desinstitutions partenaires, des centres multimédias et des institutions ouorganismes locaux. Les activités dérivées des établissements de forma-

Formation ouverte et téléenseignement en Inde : les enjeux critiques • 161

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tion ouverte et d’enseignement à distance supposent en général unecoopération avec des organisations gouvernementales et non gouverne-mentales.

Qui dit enseignement à distance dit recours aux technologiesmodernes de l’information et de la communication (TIC). Lestendances générales dans ce domaine sont les suivantes :• convergence des télécommunications, de la télévision et des ordina-

teurs par le biais des techniques de numérisation et de compression ;• miniaturisation ;• renforcement de la mobilité, par exemple à travers la communica-

tion sans fil ;• amélioration des processeurs ;• outils et logiciels plus puissants et plus faciles à utiliser ;• coûts réduits.Les TIC jouent un rôle essentiel dans l’enseignement à distance. Ellespermettent notamment de :• dépasser les barrières socio-économiques ;• réduire le fossé en matière de communication ;• renforcer la proximité virtuelle et d’améliorer l’accès ;

Figure 8 : Matériels didactiques et modes de transmission

162 • Abdul Waheed Khan

Matériels didactiques conçuspar les écoles

Ensemblesmultimédias

SIM

CourrierCentres d’études

Centres régionauxTélédiffusion/Radiodiffusion

Lieu detravail

Apprenant

Travaux àréaliser

Orientation/Séances de

contact

Matérielsaudio/video

Télé-conférence

INTERNETTravail

sur projet

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• offrir des ressources didactiques plus variées ;• adopter des formules d’apprentissage individualisé ;• renforcer l’interactivité ;• disposer d’instruments cognitifs plus puissants ;• renforcer le pouvoir de l’« apprenant » ;• disposer de plus de souplesse.Le choix des TIC appropriées et leur utilisation pertinente sont essen-tiels pour les établissements de formation ouverte et d’enseignement àdistance. Pour qu’une technologie soit jugée appropriée, il faut qu’elleait les caractéristiques suivantes : accessibilité ; compatibilité avec l’in-frastructure locale ; disponibilité des ressources financières et humaines ;facilité d’emploi ; services de maintenance. Pour utiliser efficacement lesTIC, les systèmes d’enseignement à distance ont adopté une conceptionmultimédia, intégré la technologie et assuré la formation et la durabilité.

Ces caractéristiques méthodologiques et technologiques contri-buent beaucoup à l’originalité des systèmes de formation ouverte etd’enseignement à distance et sont la cause de leur développementphénoménal. Cette croissance s’explique aussi, notamment, par desfacteurs démographiques, économiques, sociaux et politiques. À unniveau plus large, ces facteurs contribuent à alimenter les deux grandsmoteurs du processus de changement et de développement dessystèmes d’enseignement à distance : la demande croissante de connais-sances et de compétences, et la convergence des technologies de l’infor-mation et de la communication.

La croissance et la diversification des systèmes de formation ouverteet d’enseignement à distance se caractérisent actuellement par les traitssuivants :• augmentation du nombre et des types d’apprenants ;• variété des organismes d’enseignement à distance ;• ampleur croissante des activités (environnements et fins auxquelles

elles sont utilisées) ;• diversité des applications (éducation non formelle, enseignement

technique, professionnel, agricole) ;• diversification des mécanismes de transmission ;• passage du vecteur unique aux vecteurs multiples et au multimédia ;• utilisation de toutes sortes de ressources didactiques ;• importance accrue accordée aux technologies interactives ;• accent plus marqué sur l’utilisation du téléenseignement dans la

formation ;

Formation ouverte et téléenseignement en Inde : les enjeux critiques • 163

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• importance croissante accordée aux activités extérieures ;• passage de systèmes d’établissement unique à des systèmes d’éta-

blissements fonctionnant en mode double et multiple ;• importance majeure accordée aux conceptions fondées sur la colla-

boration et sur des consortiums avec des organismes internes etexternes ;

Études de cas en matière d’éducation tout au long de la vie

SensibilisationUn programme alimentation et nutrition a été conçu pour sensibiliserau rôle de l’alimentation dans la santé de l’individu, de la famille et de lacommunauté. Il était axé sur quelques domaines essentiels : les élémentsnutritifs et leurs fonctions ; la préparation des aliments et leur transfor-mation ; l’utilisation des denrées alimentaires par le corps et l’économiede la production et de la distribution des denrées alimentaires. Lesdestinataires étaient essentiellement des femmes dotées d’une éducationformelle de base limitée.

Le contenu du cours, son traitement et la combinaison desméthodes ont été conçus en tenant compte des capacités d’apprentis-sage du groupe cible. Certains éléments pratiques ont été incorporés,notamment des activités à domicile associées au manuel scolaire. Leprogramme est proposé en onze langues pour répondre aux besoins depublics régionaux, en particulier de femmes âgées qui ne connaissentque leur langue régionale. On notera que ce programme a intéressé bonnombre de femmes âgées, qui ont enrichi le processus avec leur expé-rience vaste et variée de la vie.

Des fascicules complétés par des matériels audio et vidéo en ont étéle principal vecteur. Les « apprenants » ont pu se procurer les matérielsaudio et vidéo dans des centres d’étude. Dans certains États de l’Inde,on est récemment parvenu à diffuser des programmes vidéo doublés enlangue régionale par le biais des réseaux câblés locaux.

L’équipe de soutien et de conseil pratique la mise en commun del’expérience et la résolution de problèmes. Les conseillers ont noté queles « apprenants » ont souvent besoin de vaincre un certain manque deconfiance en eux, et ce parce que certains retournent dans un cadred’apprentissage formel après plusieurs années d’absence. On a spéciale-ment veillé à renforcer les capacités d’apprentissage dans un contexted’enseignement à distance. Le passage à l’apprentissage individualisé

164 • Abdul Waheed Khan

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reste pour beaucoup d’« apprenants » un processus graduel, ainsi, aucours de la séquence d’enseignement, on a beaucoup insisté sur leconseil et l’interaction en groupes.

Développement des compétences techniques et professionnelles

Projet de qualification professionnelle pour les ouvriers du bâtimentCe projet a été conçu et lancé en collaboration avec le Conseil de déve-loppement de l’industrie et de la construction. Les programmes dequalification professionnelle des travailleurs du bâtiment sont offerts àdeux niveaux : technique et supervision. Au niveau technique, on trouvedes cours de maçonnerie, de cintrage des fers et de fabrication de cloi-sons de coffrage. Les cours de supervision portent sur la surveillancegénérale des travaux.

Projet de qualification professionnelle des employés de tannerieDes programmes de qualification professionnelle pour les employés detanneries au niveau technique et au niveau de la supervision ont étélancés en collaboration avec l’Institut central de recherche du cuir. Lescours techniques s’adressent aux ouvriers travaillant à la trempe, à l’épi-lage, au déchaulage, au tannage, à l’écharnage et au refendage. Les coursde supervision aident à acquérir les compétences dont ont besoin lescontremaîtres chargés de surveiller la trempe, le déchaulage, le tannageet le fonctionnement des machines.

Les destinataires de ces deux projets savent lire et écrire. Il s’agitd’améliorer leurs compétences et leur production. Peuvent s’inscrireaux programmes les personnes qui ont déjà certains acquis ou une expé-rience du travail. Les « apprenants » sont censés atteindre les normesd’efficacité en vigueur dans cette tranche d’activité. Les matériels didac-tiques utilisés sont des documents imprimés et des cassettes audio quiappliquent une méthode progressive ; les raisons d’adopter telle ou telletechnique sont exposées aux « apprenants ».

Les entretiens de soutien sont donnés dans les locaux de la tanneriepar le personnel de supervision. Des personnes venues de ce secteur del’industrie aident les tanneries à remplir les formulaires et à répondreaux exigences de l’université. L’évaluation des résultats des « appre-nants » est menée à bien par des contrôleurs, eux aussi issus de cesecteur de l’industrie.

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Formation de fonctionnaires des collectivités locales

Projet Panchayati RajLes panchayats sont des conseils villageois. Du fait de la tendance deplus en plus marquée à décentraliser le pouvoir, un vif besoin s’est faitsentir de renforcer les capacités des plus de trois millions de membresde panchayats que compte le pays. Le Ministère des zones rurales et del’emploi a financé le projet. La formation est censée améliorer lescompétences des élus pour leur permettre d’œuvrer plus efficacement àla transformation socio-économique des communautés.

Le matériel d’auto-apprentissage se compose de programmes audioet vidéo. Les destinataires étant juste alphabétisés, on vise essentielle-ment à donner une présentation simple, abondamment illustrée. Audébut de 1999, le programme répondait aux besoins de quelque 58000élus de panchayats dans quatre circonscriptions d’un État. Lesprogrammes audio et vidéo ont été utilisés pour des campagnes depublicité, en particulier à l’occasion de manifestations locales (foires etmarchés de villages). On s’efforce de répondre aussi aux besoins desanalphabètes, notamment par le biais de cours télévisés spéciaux quis’appuient sur les matériels d’auto-apprentissage imprimés.

C’est le modèle de formation « en cascade » qui a été adopté, lesuniversitaires formant des formateurs qui, à leur tour, apprennent auxconseillers locaux à diriger les programmes avec les villages. La stratégiea notamment eu pour objectif majeur de créer un encadrement deconseillers locaux bien formés. Pour répondre aux besoins des membresde panchayats d’autres États, le matériel d’auto-apprentissage impriméest actuellement traduit dans les grandes langues régionales. Lescassettes vidéo sont également doublées dans ces langues.

ConclusionDe l’avis général, l’enseignement de type classique ne peut répondreaux besoins didactiques d’un monde en évolution sociale et technolo-gique rapide. La nécessité d’une éducation tout au long de la vie ne faitdonc aucun doute. L’enseignement à distance figure parmi les méthodesles mieux adaptées pour répondre aux impératifs de l’éducation tout aulong de la vie. Ses caractéristiques spécifiques le rendent particulière-ment apte à relever les défis éducatifs.

L’Université ouverte nationale Indira Gandhi est l’une des plusimportantes institutions de formation ouverte et d’enseignement à

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distance du monde. Elle a tenu compte de la nécessité d’aller au-delà del’enseignement professionnel et formel et a spécialement veillé àrépondre aux différents besoins d’éducation tout au long de la vie desdiverses communautés. Les études de cas présentées ci-dessus offrentune illustration des expériences menées par l’Université en vue depromouvoir l’éducation tout au long de la vie.

Formation ouverte et téléenseignement en Inde : les enjeux critiques • 167

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ConclusionJacques Delors*

Le rapport de la Commission internationale sur l’éducation pour levingt et unième siècle (L’éducation : un trésor est caché dedans) a ététraduit en près de 30 langues. Est-ce le rapport qui a du succès ou lesujet lui-même ? Durant sa campagne électorale Tony Blair avait décritcomme ses trois grandes priorités, l’éducation, l’éducation, et l’éduca-tion. C’est donc le sujet lui-même qui est important, pour les spécia-listes de l’éducation comme pour les responsables politiques ou leschefs d’entreprise ou les animateurs d’organisations syndicales oud’associations. L’éducation est devenue un sujet central dans notremonde en mouvement.

Sans doute beaucoup pensent que les hommes politiques parlent del’éducation tout au long de la vie parce que c’est un thème à la mode. Ilfaut se méfier de la mode car elle peut tuer une idée avant même sa miseen œuvre et cela risque bien d’être le cas pour la période actuelle où lesspécialistes et les gouvernements travaillent à tâtons.

C’est ce qui explique le choix de Roberto Carneiro et d’AlexandraDraxler pour les sujets des articles de ce livre. Il ne s’agissait pas d’avoirune vue générale, mais de pointer les jalons de l’éducation tout au longde la vie et d’examiner les secteurs informels de l’éducation, avec leurspromesses, leurs exemples et leurs itinéraires qui peuvent nous inspirerpour l’avenir.

* Président de la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et

unième siècle.

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A priori et bien que notre commission ait réuni des membres detous les continents et bien qu’elle ait eu du mal à accorder deuxconceptions différentes de l’homme sur la terre et dans l’histoire —une conception de l’Ouest et une conception de l’Est —, on aurait tortde croire que l’éducation tout au long de la vie est une nécessité pourles pays riches et un luxe pour les pays pauvres. Des représentants despays en voie de développement ont eux aussi insisté sur l’importancede ce thème.

Donc, il ne s’agissait pas de reproduire L’éducation : un trésor estcaché dedans, mais plutôt, grâce à d’éminents spécialistes venus desquatre coins de la planète, de déceler les pierres d’angle qui nous entraî-nent vers cette nouvelle éducation et de tirer des enseignements desexpériences en dehors du secteur strictement formel, de voir ce qui étaitinnovant, ce qui avait été couronné de succès, ce qui avait amené desavancées pédagogiques, ce qui avait permis de lutter contre l’inégalitédes chances, de surmonter les obstacles dus à l’éloignement ou à lapauvreté ou à la minceur des moyens.

Bref, il nous faut insister sur l’apport de ceux qui, en dehors dusecteur formel, s’efforcent de transmettre aux jeunes et aux moinsjeunes ce que l’humanité a appris sur elle-même, et ce dans un contexteoù les médias nous privent de mémoire, nous font vivre dans l’instan-tané et dans l’émotionnel. Cet apport a été réconfortant et nous apermis de prendre en compte la diversité des situations.

Les quatre piliers de l’éducationCe qui a le plus frappé les lecteurs du rapport, c’est la mise en relief desquatre piliers. Les quatre piliers de l’éducation — non pas de la sagessemais de l’éducation. Apprendre à connaître, apprendre à faire,apprendre à vivre ensemble et apprendre à être soi-même.

Il va sans dire que les deux premiers concepts sont depuis longtempsles piliers de l’éducation. Apprendre à être a été recommandé dans lerapport du même nom de l’UNESCO en 1972, qui découle de laCommission sur le développement de l’éducation présidée par lecélèbre politicien Edgar Faure. C’était l’époque des révoltes étudiantes,la fin des « Trente Glorieuses » pour l’Europe, les troubles aussi auxÉtats-Unis. Chacun voulait se dégager de l’emprise de la croissance,certains même annonçaient que la croissance devait être zéro. Commeils se sont trompés !

C’était aussi le moment où chacun voulait faire exploser les carcans.

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Le rapport a retenu le thème « Apprendre à être », car l’éducation est làpour apprendre à chacun à mieux se connaître et à se développer.

En adéquation avec les idées d’aujourd’hui — et avec la volonté del’UNESCO, dont il faut saluer le combat incessant pour la paix —,nous avons ensuite « Apprendre à vivre ensemble ». Aujourd’hui, cepilier a une résonance particulière et nouvelle dans nos pays aux prisesavec la difficile coexistence de communautés, de religions, d’ethniesdifférentes.

C’est la combinaison de ces quatre éléments qui a le plus séduit dansce rapport, ce qui n’est pas négligeable quand partout l’économie estprégnante, domine même la décision politique et a tendance à imposeraussi ses exigences dans le système éducatif. Cette dictature de l’éco-nomie a évidemment entraîné une révolte, la révolte de ceux qu’onappelle les littéraires, de ceux qui croient que maîtriser une langue, enconnaître toutes les richesses, s’exprimer clairement sont des qualitésnécessaires pour dialoguer avec les autres, pour expliciter sa pensée.

Ainsi ces quatre éléments joints justifient un rééquilibrage, à unmoment où de nombreux responsables politiques ne parlent encored’éducation qu’à propos de l’économie ou du marché du travail. Il estlouable d’essayer de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté enpermettant à chacun d’accéder à la société par le travail, à conditionqu’il y ait du travail, bien sûr. Mais il ne faut pas oublier l’autre aspect,l’autre dimension de l’éducation, dimension à la fois personnelle etcollective, communautaire presque, qui permet à chacun de mieux seconnaître. D’ailleurs comment pourrait-on faire face aux mutations del’existence si l’on n’a pas confiance en soi et si l’on ne maîtrise pasquelque peu sa destinée ? C’est pourquoi la coexistence de ces quatrepiliers rappelle le système éducatif et les responsables de l’éducation àleur devoir, un devoir impérieux : concilier ces quatre éléments, ce quin’est pas simple. Mais c’est ce qui est le plus important.

À partir de ces bases, nous avons mis l’accent sur trois points, troisaxes essentiels qui font l’objet du suivi du rapport.

Le premier, c’est l’importance vitale de l’éducation de base dans tousles pays. À cet égard, on peut reprendre l’exemple du Royaume-Unipuisque le problème a été évoqué par certains responsables de ce pays.Si on avait fait la même enquête ailleurs en Europe, on aurait eu lesmêmes résultats : entre 11 et 15 ans, le nombre de jeunes qui ne maîtri-sent pas les données fondamentales est tragiquement élevé. Ils ne saventpas correctement lire, écrire, compter et s’exprimer. Or, c’est cela l’édu-

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cation de base. Il est inutile de parler de l’éducation tout au long de lavie dans les sociétés industrielles s’il en est ainsi de l’éducation de base.Par exemple, l’une des difficultés de l’industrie automobile européenneréside dans le fait qu’elle n’a pas renouvelé son personnel et qu’aujour-d’hui les ouvriers de plus de 40 ans, nantis de ce qu’ils ont pu apprendreà l’école ou de ce qu’il en reste, sont incapables de s’adapter auxnouvelles organisations du travail. Ce qui montre l’importance de cetteéducation de base, même dans les sociétés industrielles.

Le deuxième axe que nous avons ouvert, c’est la nécessaire diversifi-cation des enseignements secondaires. Et enfin, le troisième élément estl’élargissement des missions de l’enseignement supérieur, et notammentdes universités. Quand on parle des universités, on tient à redonner aupouvoir intellectuel la place qu’il a perdue dans les sociétés contempo-raines, au profit de ces arbitres des élégances que sont les médias.

Apprendre au milieu des tensions et du changementL’éducation : un trésor est caché dedans a identifié des tensions parmi lesconstantes de l’éducation. Elles sont au nombre de trois.

La première est la tension entre l’universel et le singulier : ces motsn’ont pas la même résonance en Europe et en Asie, où selon les religionset les cultures, l’homme ou la femme se fondent dans l’univers alors quel’attention apportée à l’universel n’est forte que dans nos pays euro-péens. Quant au singulier, il évoque cette part de l’éducation qui devraitpermettre à chacun de mieux se connaître, de se développer, d’avoir lamaîtrise de son destin, mais il est aussi pour certains pays la résistancecontre la banalisation culturelle que pourrait introduire la mondialisa-tion. Ceci était tout à fait net en Inde où de grands intellectuels et degrands scientifiques ont mis l’accent sur le fait que le pays entendait sedéfendre non simplement contre McDonald’s et Coca-Cola, mais aussicontre une sorte de culture mondialisée, un prêt-à-penser qui s’appli-querait au monde entier. Et aujourd’hui, ce n’est pas chose simple quede résoudre cette tension pour tout éducateur.

La deuxième est la tension entre tradition et modernité. Est-ilbesoin d’en dire plus ? Oui, dans la mesure où ce n’est pas un problèmequi se pose seulement au début de ce XXIe siècle. C’est une question quel’on peut diviser en deux. La modernité s’est imposée comme un facteurprégnant dès les Lumières, au XVIIIe siècle. Comment nos sociétéspouvaient-elles, engluées qu’elles étaient dans leurs traditions, dansleurs coutumes, dans leur art de vivre, épouser la modernité ? Qu’est-ce

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que la modernité? Voici une question redoutable. Il y a eu ensuite unebanalisation du mot moderne, chez les hommes ou les femmes poli-tiques. Moderniser est un mot qui s’est galvaudé et ne veut plus riendire. Moderniser l’éducation, moderniser les politiques du marché dutravail, moderniser l’économie, moderniser les rapports sociaux : c’estun thème général et confus. Aujourd’hui modernité voudrait dire :sommes-nous en train d’accoucher d’un monde suffisamment nouveauavec des exigences fortes qui nous obligeraient à mener une dialectiquedifficile entre tradition et modernité ?

Enfin, la tension entre spirituel et temporel. Les collègues d’Asiel’avaient mentionnée avec force au sein de la Commission, en disantqu’il fallait répondre à la soif d’idéal de la jeunesse, à la quête de sens, àla recherche des valeurs que doit porter le système éducatif. Personnene met en cause la nécessité d’un pluralisme philosophique et spirituel.Mais beaucoup de membres de la Commission se sont alarmés du faitque, sous prétexte de neutralité, on en arrive à négliger les valeurs spiri-tuelles des uns et des autres, à ne plus les respecter et même à ne plus lesconnaître. Autrement dit, la neutralité ne doit pas être simplement uneattitude passive, mais un pluralisme actif, comme le don de l’échange.C’est pourquoi la Commission a mis l’accent sur l’enseignement del’histoire et, afin d’essayer de mieux se comprendre, sur l’histoire desreligions comme élément du civisme. Pour beaucoup de membres de laCommission, l’éducation civique comporte aussi l’enseignement desreligions.

Voici donc des tensions, des dilemmes que des éducateurs duXVIIIe ou du XIXe siècle auraient pu évoquer. Qu’est-ce qui a changé,dont on doit tenir compte ?

C’est tout d’abord la tension, qui n’est pas un phénomène unique-ment éducatif et sociétal, entre le global et le local. C’est aussi lesrisques de rupture du lien social sous le poids des transformations desmodes de vie, de la formation et de la dissolution des couples et enfinc’est la grande mutation économique. On peut dire que la mondialisa-tion donne le vertige à nos contemporains. Pourquoi ? Parce que lesresponsables politiques et certains responsables d’entreprises pensentd’ores et déjà « global ». Quand un chef d’entreprise dit à ses employésqu’il va être obligé de licencier, il déclare souvent que c’est à cause de lamondialisation ou de la concurrence. Alors, aussitôt, pour le commundes mortels la mondialisation prend une image effrayante, c’est unemachine à tuer des emplois et à bouleverser les modes de vie. Parce que

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les simples citoyens, eux, pensent « local ». Cette tension entre le globalet le local explique aussi le malaise démocratique, la difficulté que nousavons dans nos démocraties à maintenir une citoyenneté active.

Mais un autre aspect de cette tension a été mis en lumière par beau-coup de chercheurs : s’il y a d’un côté globalisation — avec ses corol-laires d’entreprises multinationales, de jeunesse qui voyage, d’imagesqui viennent du monde entier, presque en instantané —, on assiste aussià une fragmentation. Il y a plus d’États-nations aujourd’hui qu’il n’y enavait il y a trente ans et cette fragmentation, on la constate chez nous, enEurope. En Irlande, c’est un problème historiquement ancien. On lavoit en Espagne, on la voit en France, sans parler des Balkans ou mêmepeut-être demain de certaines minorités importantes d’Europe de l’Est.C’est une question qui dépasse la mission de l’éducateur mais qui doitêtre posée avec une grande insistance. D’autant plus que cette fragmen-tation ne se fait pas en douceur, pacifiquement, elle entraîne aucontraire des tensions, des déstabilisations, des guerres civiles. Lesresponsables des Nations Unies peuvent se poser la question : au nomde quoi dois-je intervenir si cette population de deux millions d’habi-tants veut devenir indépendante ? Médiation, oui ; mais s’il y a mortd’hommes, assassinats, complots, attentats, que dois-je faire? C’est unredoutable problème pour l’Organisation des Nations Unies, et lesjeunes en âge scolaire doivent entrevoir cette tension. Cela montre quela société à zéro risque n’existe pas. Cela montre aussi que contraire-ment à ce qu’espérait un intellectuel américain qui porte un nom japo-nais (Francis Fukuyama, The end of history and the last man, 1992), lafin de la guerre froide et du communisme n’a pas amené la paix univer-selle, la démocratie, le pluralisme. Le monde a changé de risques et lafragmentation est un de ces risques.

Deuxième élément de changement : les risques de rupture du liensocial et de domination de l’individualisme. C’est un point très discuté.Beaucoup, aux États-Unis et en Europe, pensent que nous vivons lerègne de l’individu. D’autres déclarent que ce n’est pas nouveau, que laphilosophie des Lumières a déjà mis l’accent sur l’individu, aux dépensde la société, pour le délivrer d’un carcan communautaire trop pesant.

Mais cet individualisme, s’il se manifeste dans tous ses excès, posedes problèmes moraux et des problèmes de société. Qui se sent solidairede qui? La philosophie de l’économie de marché et de la société demarché va dans ce sens. L’individu est considéré comme un homoeconomicus rationnel et certains disent même, dans la foulée du philo-

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sophe et économiste Hayek, qu’on doit se réjouir que les individussoient capables de maîtriser leur destin tout seuls et que les seuls liensqu’ils établissent sont ceux qu’ils jugent utiles ou intéressants pour eux.

L’individualisme se reflète aussi dans d’autres éléments tels que lesmodes de vie et les structures de consommation. Le développement dutravail féminin dans les sociétés industrielles modifie beaucoup la vie defamille et l’organisation de la société. L’organisation de la société estégalement à prendre en considération : la croissance démesurée etsauvage des villes — c’est plus vrai en Afrique du Sud et en Amériquedu Sud qu’en Europe — apporte ses problèmes avec les conséquencesque l’on sait.

Un grand vide s’est creusé et doit être comblé si l’on veut jeter lesbases d’une nouvelle relation entre les personnes et les communautésd’appartenance. Ce sont des problèmes urgents, propres à notre ère,mais certes pas inédits puisque le sociologue Durkheim parlait déjà dessimilitudes essentielles de la vie collective, de ce vouloir-vivre ensemblequi se délite. De la même façon, Benjamin Constant disait avec beau-coup de scepticisme dans une sorte de préfiguration de la philosophiede Raymond Aron : « Presque toutes les jouissances des modernes sont,dans leur existence, privées. L’immense majorité est toujours exclue dupouvoir et n’attache nécessairement qu’un intérêt très passager à sonexistence publique. »

L’éducation et la nouvelle économieBeaucoup de sociétés aujourd’hui mettent l’accent sur les relationsentre éducation et emploi, ce qui soulève trois questions essentielles. Yaura-t-il demain un ou des capitalismes ? Le capitalisme s’étend partout,sans sa contrepartie le communisme, et pose la question du marché et dela régulation. La troisième interrogation concerne la centralité dutravail dont on annonce depuis une quinzaine d’années la fin.

Le capitalisme ou « les capitalismes »?La mondialisation bouleverse les rapports de force. Le marché mondialfinancier en est la plus frappante illustration. Cette mondialisation quise caractérise par l’interdépendance des économies, la progression decertains pays en développement qui deviennent des compétiteurs.

Après la crise économique asiatique de 1998, même les plus grandspartisans du marché s’interrogeaient sur les règles, ou le cadre, quipermettraient d’éviter d’aussi grandes catastrophes. Pendant que les

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spécialistes étudiaient les indices économiques, on oubliait que desdizaines de millions de personnes avaient été jetées au chômage et dansla pauvreté. La crise a été payée avec la pauvreté et l’exclusion. Lemarché n’apporte pas forcément l’exclusion, mais nous avons aujour-d’hui beaucoup de problèmes et nous nous interrogeons sur la réformedes grandes institutions internationales comme le Fonds monétaire oula Banque mondiale.

Certains disent que l’uniformisation culturelle et sociale menace.Personnellement je ne le crois pas. Je ne dis pas qu’il ne faut pasdéfendre ses propres créateurs contre un envahissement qui est dû à uneformidable industrie américaine, mais je crois quand même qu’il ne fautpas crier à l’uniformisation. Le poids des traditions et des pratiquesdemeure important et même si le cinéma, pour prendre cet exemple, estune industrie très coûteuse, même si le cinéma américain représente80 % de la fréquentation des salles en Europe, il n’empêche que l’onvoit surgir bien des créateurs dans nos pays.

D’autre part, de l’avis même des économistes de marché, la nationdemeure un acteur important de la bataille pour la prospérité écono-mique et le progrès social. Si on lit par exemple l’ouvrage de ManuelCastel, professeur en Californie, on y trouve, très bien expliquécomment la nation est aux côtés de ses entreprises pour mener labataille de la compétitivité. Ce qui représente une justification pourl’intégration européenne : les différents pays d’Europe devraient unirleurs forces pour demeurer à une place enviable dans le monde dedemain et ne pas être marginalisés. Même dans un monde globalisédominé par le capitalisme, il existe des contrepoids à l’intervention dansle marché global.

Le marché ou la régulationLa deuxième question découle de la première. Le marché joue un rôleplus important que dans le passé, mais ce qui est en cause, c’est de savoirsi l’on a une confiance absolue dans la main invisible et la doctrineabstraite de l’individualisme. C’était un peu le sens de la révolutionthatchérienne. Quand on disait à Mme Thatcher : « Nous allonsdiscuter avec les partenaires sociaux », c’est-à-dire avec les patronats etles syndicats, elle répondait : « Je ne connais que des individus. Je ne

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1. Pas ceux qui préconisent le déficit budgétaire pour créer des emplois, mais

ceux qui estiment qu’il faut des institutions de la régulation.

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connais pas les partenaires sociaux. » Le marché est opposé aux indi-vidus. Il s’agit d’un conflit de doctrines entre les néolibéraux et lesnéokeynésiens1 : absence de discipline, un minimum de règlesmondiales. Cette évolution a apporté en outre des conflits nouveauxentre le capital et le travail et souvent une détérioration des rapports deforce aux dépens des syndicats et des travailleurs.

Deux données sont à concilier. La première, c’est la bataille pour lacompétitivité et on ne peut pas l’ignorer, y compris quand il s’agitd’éduquer les enfants. Si nous voulons une école qui refuse totalementla notion de compétitivité, nous formons des gens faibles qui ne saurontpas se défendre dans la vie, qui ne pourront pas s’épanouir. La deuxièmedonnée concerne l’élaboration des théories de croissance qui doit sefaire à partir des relations entre les progrès technologiques, les possibi-lités des entreprises et les capacités des institutions publiques. Pourreprendre Manuel Castel, la réconciliation entre les deux forces reposesur une combinaison : réduire les coûts, augmenter la productivité,élargir les marchés, accélérer la rotation du capital. On revient à l’orga-nisation du travail, avec la participation de tous les acteurs du droit àl’éducation tout au long de la vie, de l’effort collectif de recherche et dedéveloppement.

La fin du travail?Le troisième point où l’économie vient défier l’éducateur est le travail.Le travail est toujours central dans nos sociétés, parce que, lorsque l’onaccède au travail, on entre dans la société. Lorsque l’on est en dehors dutravail, on ne fait pas partie de la société. Le Danemark, avec une popu-lation d’un peu plus de 5 millions d’habitants, avait pris le risque decompter 600000 habitants n’ayant jamais connu le travail et étantcouverts par des assurances multiples et par l’aide sociale nationale. Legouvernement social-démocrate a voulu mettre une fin à cette situation.

Une caractéristique des économies d’aujourd’hui est l’individualisa-tion du travail, qui produit une société partiellement fragmentée, et cegrâce au savoir diffusé par le traitement de l’information, au développe-ment des activités de services, à l’importance croissante des professionsà fort contenu d’information et de savoir. Ce qui doit nous amener àregarder l’avenir franchement et sans crainte. Car la plupart desanalyses de conjoncture sont faites d’après des enquêtes auprès desindustriels, alors que l’industrie ne représente plus que 30 à 35 % duproduit national brut. Aussi, si certains industriels peuvent être défai-

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tistes, on doit garder en mémoire que le secteur des services continue àse développer. Il y a là une mutation intellectuelle à faire, qu’il ne fautpas oublier dans l’enseignement des données de base de l’économie àl’école.

Quelles en seront les conséquences ? Sans doute une plus grandeautonomie de certaines catégories de travailleurs ; mais il faut éduquerdes adolescents à l’autonomie. L’organisation en réseaux, réseaux d’en-treprises, réseaux de travailleurs, sera une autre conséquence. Si cetteévolution spontanée continue, on constatera une inégalité croissantedans les revenus. L’évolution technologique se fait aux dépens destravailleurs non qualifiés et c’est ce qui explique que dans tous les paysd’Europe, en Grande-Bretagne notamment, on mette l’accent sur laformation des jeunes et des chômeurs de longue durée.

Il y a trois raisons pour lesquelles la « fin du travail », dont parleRifkin (voir p. 147), n’arrivera pas.

D’abord, si l’expansion de la demande ne compense pas l’accroisse-ment de la productivité du travail, la réduction du temps de travail lacompensera. Au lendemain de la guerre, un travailleur qui avait lachance de travailler toute sa vie consacrait au travail 100 000 heures danssa vie. Il n’en consacre plus actuellement que 70 000 et certains pensentque dans trente ans il en arrivera à 45 000 heures. Ce qui pose en corol-laire le problème de l’organisation du temps de non-travail et celui del’éducation qui arme les individus pour utiliser au mieux ce temps denon-travail.

Deuxièmement, l’innovation des dernières décennies expliquait lechômage, la réduction du temps de travail, car elle portait massivementsur les procédés, sur les « comment produire ». Mais aujourd’hui, l’in-novation concerne aussi le « quoi produire ». Et donc, ce sont denouveaux débouchés qui apparaissent et le besoin de travailleurs pourles combler.

Enfin, le changement des structures familiales, le travail des femmes,l’urbanisation, créent de nouveaux besoins. Aux États-Unis, parexemple, les services aux personnes et aux collectivités représentent40 % des emplois. Nous sommes face à une situation que Robert Reicha bien caractérisée dans L’économie mondialisée2. Selon lui, il y aurademain trois catégories de travailleurs. D’abord les manipulateurs de

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2. The work of nations : preparing ourselves for 21st century capitalism, New

York, Alfred Knopf, 1991. Traduction française : Paris, Dunod, 1993.

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symboles qui, dit-il, seront les gagnants d’une économie mondialisée àfort contenu technologique. Ensuite, les travailleurs routiniers quiseront les grands perdants car ils entreront directement en concurrenceavec leurs homologues des pays à bas salaires et avec les machines et,enfin, les prestataires de services dont le nombre va s’accroître.

Les jalons sur la route de l’éducation tout au long de la vieCette typologie un peu sommaire est quand même très révélatrice de ceque la société attend de l’éducation dans sa mission de préparation autravail.

Les relations entre l’homme et les technologies de l’informationsont au cœur du problème, avec les exigences sur les structures deproduction, l’organisation du travail, le monde des loisirs et de laculture. Se développent de manière extraordinaire les possibilitésd’accès à l’information et la connaissance. Notre commission n’a pasfait de travail de mesure faute d’expertise, car on ne dispose pas encored’évaluations synthétiques des conséquences politiques, économiqueset sociales de la société de l’information.

Certains vont jusqu’à dire que de la même façon que les nouvellestechnologies de l’information permettent de supprimer des ouvriersdans les entreprises, on pourrait peut-être se passer de maîtres. LaCommission ne partage en rien cette analyse. Le maître est un média-teur entre l’information, la connaissance et l’« apprenant ». Le maîtren’a pas simplement un rôle de transmetteur des connaissances, il entre-tient aussi une relation personnelle avec les élèves, il essaie d’éveillerchez eux des qualités qui leur sont propres, l’inné, tout en essayant deleur transmettre un acquis, de façon que l’addition de l’inné et de l’ac-quis permette aux intéressés de se défendre dans la vie. Donc la relationenseignant/enseigné ou enseignant/apprenant n’a pas changé depuisAristote et c’est, avec les nouvelles technologies de l’information, undes problèmes essentiels de l’éducation.

Les relations entre la société et le système éducatif sont également àexaminer. En France, quand quelque chose ne va pas, c’est de la faute del’école. On ne pose pas la question des parents, on ne pose pas la ques-tion de la société, on ne pose pas la question des médias qui proclamentbien souvent que la société devrait être à risque zéro. Dès qu’il y a unaccident de montagne, ou un embouteillage, la presse interpelle leministre et lui demande : « Alors, qu’est-ce que vous faites ? » Ainsi, lesenfants entrevoient à travers les médias une société sans risque. Mais

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malheureusement les risques sont là. Qui apprend aux enfants àaffronter les risques, sinon l’école ? Mais on ne peut pas tout demanderà l’école. La Commission s’est beaucoup intéressée aux pays quimènent des expériences où l’école est vraiment insérée dans le milieulocal et où l’ensemble de la collectivité s’y intéresse et pas simplementles parents d’élèves.

Troisième jalon, l’égalité des chances, qui demeure une des finalitésessentielles de l’éducation et qui dépasse la querelle jamais close sur lapart de l’inné et de l’acquis. L’école peut apporter beaucoup pourpermettre à chacun d’avoir en main les éléments de sa vie. Cela est d’au-tant plus difficile à réaliser que nous vivons des phénomènes de massifi-cation de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur etque nous constatons des taux d’échec considérables, des frustrationsdouloureuses et des coûts énormes. Mais, face à cette massification del’enseignement, cette prolongation de la scolarité, certains lancent un crid’alarme, une question lancinante qui est revenue tout au long de nostravaux : « Peut-on concilier l’égalité et la qualité ? »

La principale question est ailleurs, elle concerne la diversité desitinéraires permettant aux adolescents et aux jeunes adultes d’accédertous à la connaissance, à la vie en société et au travail. C’est pourquoi laCommission avait proposé un chèque-éducation. Autrement dit, ceuxqui choisiraient d’entrer dans la vie active recevraient un chèque-éduca-tion qui leur permettrait plus tard de retourner à l’école ou à l’universitédans le cadre de la formation permanente. Mais comment passer de laformation des adultes à l’éducation tout au long de la vie, d’autant plusque les études montrent, au bout de vingt-cinq ans, que ce sont les plusinstruits qui bénéficient le plus de la formation permanente ? Il y abeaucoup de raisons à cela, mais il est urgent de réexaminer toutes lesfilières d’éducation des adultes.

Comment passer à une éducation tout au long de la vie qui postuleune réforme des systèmes formels d’éducation, l’arrêt de la divisionentre éducation première et éducation des adultes, pour inventer uncontinuum, une continuité ? Ce passage ne peut se faire sans la partici-pation des autres acteurs de la société, les entreprises, les associations,les syndicats.

On ne sait pas comment procéder. La Commission était persuadéeque l’éducation tout au long de la vie permettrait d’ordonner les diffé-rentes séquences de l’éducation, d’aménager les transitions, de diversi-

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fier et de personnaliser les parcours et de donner une deuxième ou unetroisième chance.

En réalisant cela, nous échapperions au funeste dilemme que lesconservateurs de tout poil — il y en a à droite comme à gauche —préconisent : ou bien sélectionner, mais en multipliant les risques d’ex-clusion et l’enterrement des talents au profit de l’excellence et du déga-gement d’une élite, ou bien renoncer à l’excellence et à la totale qualitéde l’éducation, ce qui n’évite en rien les échecs scolaires et les frustra-tions, comme l’ont montré vingt ans d’expérience du collège unique enFrance.

Les questions qui se posent à nous sont redoutables. Nous devons yrépondre et nous engager sur le chemin de l’éducation tout au long de lavie car c’est la seule façon de permettre à chacun d’accéder au trésor quiest caché dedans.

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