le point sur la partie générale du droit des obligations 1

8
Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations SJZ 112 (2016) Nr. 8 201 Le point sur la partie générale du droit des obligations 1 Entwicklungen im Obligationenrecht, Allgemeiner Teil Prof. Dr Pascal Pichonnaz, professeur à l'Université de Fribourg (Fribourg)' Comme pour la précédente chronique•, nous relevons ici les nouveautés essent ielles intervenues en partie générale du droit des obligations de février 2015 à février 2016, à l' excl usion de la responsabilité civile qui fait l'objet d'une chronique spécifique 2 . 1. Les textes législatifs et les projets 1 ° La révision du droit de la prescription. Il ne s'ag it pas d'un long fleuve tranquille. Voilà plusieurs années que nous évoq uons le dossier 3 Le Conseil fédéral a proposé de maintenir un double délai de prescription relatif et absolu, portant le délai abso lu pour les dommages co rporels à 30 ans; le Conseil national l'a ramen é à 20 ans (P-CO 60 I bis et 128a) 4 Le 15 décembre 20 15, le Conseil des États s'est pro- noncé sur le projet. Contre l' avis de sa Commission des af- faires juridiques, qui approuvait le délai de 30 ans proposé par le Conseil fédéral, il a privilégié le statu quo, à savoir un délai absolu de 10 ans pour tous les types de dommage. En outre, sur proposition de sa Commission, le Conseil des États a ajouté au projet une (nouvelle) disposition transi- toire spéciale pour les victimes de l' am iante 5 Cette lex as- bestosis prévoit que si une action en justice est déjà prescrite, même selon le nouveau droit, ou si elle a défini- Je remercie M. Quentin Cuendet, sous-assistant à la Faculté, de l'aide qu'il m'a apportée dans la préparation de cette contribution. Une version extensive figure sur le si te <www.unifr.ch/ius/pichonna z>. ' P. Pichonnaz, Le point sur la partie géné rale du droit des obli gations, SJZ/RSJ 2015 201 ss. l es si te s ont été visités pour la dernière fois le 15.2.2016. 2 M. Kuhn, Entwicklungen im Versicherungs- und Haftpflichtrecht /le point sur le droit des assurances privées et de la responsabilité civile, RSJ/SJZ 2016, 180. 3 P. Pichonnaz, le point sur la partie générale du droit des obligations, SJZ /RSJ 2014 206 s. et SJZ/RSJ 2015 201 s. Voir ég. le Message du Conseil fédéral du 29 novembre 2013, FF 2014 22 1. Consei l National, 25. 9.2014, BO CN. 5 BO 2015 E 1300 (Dossier s ur <http://www.parlament.ch>: 13.100. CO. Droit de la prescription). tivement é rejetée en raison de la prescription, la victime pourra faire valoir des droits pendant un an après l'entrée en vigueur du nouveau texte. Cette disposition transitoire ne concerne toutefois que les victimes directes, et non pas les personnes affectées indirecte ment (parents, etc.), qui pourraient faire valoir des créances ou une indemnité pour tort moral. Enfin, elle ne s' app liquera pas si, au moment de l'action, il existe un régime spécial approprié de règleme nt financier des dommages corporels causés par l'amiant e, ce qui sera peut-être le cas si la table rond e tendant à la création d'un fonds d'indemnisation abo utit à un résultat. Le dossier retourn e au Conseil national. On se demande toutefois vraiment si, hormis cette lex asbestosis, la ré- forme proposée se justifie encore, alors que son but était de répondre au problème des dommages tardifs (Spéit- schaden). Une réforme est nécessaire, mais le projet actuel ne répond plus vraiment au so uci initial. À la suite de la décision Howald Moor de la Cour EDH 6 , le Tribunal fédér al devait se prononcer à nouveau su r l'affai re. Après avoir sus pendu la procédure, par ordon- nance du 25 mars 20 15, il a levé la suspension en juillet 2015 suite au retrait de la motion 14.3664 de la Com- mission des affaires juridiques du Conseil nat ional (29 mai 2015). Le 11 novembre 2015, le Tribunal fédéral a admis la révision, renvoyant la cause au Tribunal des prud'hommes de Bad en 7 ; ce dernier a re çu l'injonction de ne pas tenir compte de la prescription afin de se conformer à l'arrêt de la Cour EDH. Le Tribun al fédéral s'est uniquement placé sous l'angle des art. 122 let. c LTF et 49 CEDH ( «satisfaction équ itab le n), sans chercher à expliquer les raisons dogma- tiques de la non-prescription de la créance, considérant qu'il est lié par la décision de la Cour EDH. La signa ture électronique et le cachet é lectronique réglementés. Selon l'art. 14 al. 2bis CO, la signature électro- nique qualifiée au se ns de la SCSE est assimilée à la si- 6 Ar rêt Cour EDH lcfu 11 mars 2 014, Ho wald Moor et outr es c. Sui sse (2' chambre, définitif depuis le 11 juin 2014). 7 TF , 4F _15/ 2014 du 11 novembre 2015 (publication prévue).

Upload: dinhdat

Post on 05-Jan-2017

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations SJZ 112 (2016) Nr. 8 201

Le point sur la partie générale du droit des obligations 1 Entwicklungen im Obligationenrecht, Allgemeiner Teil Prof. Dr Pascal Pichonnaz, professeur à l'Université de Fribourg (Fribourg)'

Comme pour la précédente chronique•, nous relevons ici les nouveautés essentielles intervenues en partie générale du droit des obligations de février 2015 à février 2016, à l'exclusion de la responsabilité civile qui fait l'objet d'une chronique spécifique2.

1. Les textes législatifs et les projets

1 ° La révision du droit de la prescription. Il ne s'ag it pas là d'un long fleuve tranquille. Voilà plusieurs années que nous évoquons le dossier3

• Le Conseil fédéral a proposé de maintenir un double délai de prescription relatif et absolu, portant le délai absolu pour les dommages corporels à 30 ans; le Conseil national l'a ramené à 20 ans (P-CO 60 Ibis et 128a)4

• Le 15 décembre 2015, le Conseil des États s'est pro­noncé sur le projet. Contre l'avis de sa Commission des af­faires juridiques, qui approuvait le délai de 30 ans proposé par le Conseil fédéral, il a privilégié le statu quo, à savoir un délai absolu de 10 ans pour tous les types de dommage. En outre, sur proposition de sa Commission, le Conseil des États a ajouté au projet une (nouvelle) disposition transi­toire spéciale pour les victimes de l'amiante5• Cette lex as­bestosis prévoit que si une action en justice est déjà prescrite, même selon le nouveau droit, ou si elle a défini-

Je remercie M. Quentin Cuendet, sous-assistant à la Faculté, de l'aide qu'il m'a apportée dans la préparation de cette contribution. Une version extensive figure sur le site <www.unifr.ch/ius/pichonnaz>.

' P. Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations, SJZ/RSJ 2015 201 ss. l es sites ont été visités pour la dernière fois le 15.2.2016.

2 M. Kuhn, Entwicklungen im Versicherungs- und Haftpflichtrecht /le point sur le droit des assurances privées et de la responsabilité civile, RSJ/SJZ 2016, 180.

3 P. Pichonnaz, le point sur la partie générale du droit des obligations, SJZ/RSJ 2014 206 s. et SJZ/RSJ 2015 201 s. Voir ég. le Message du Conseil fédéral du 29 novembre 2013, FF 2014 221.

• Consei l National, 25.9.2014, BO CN. 5 BO 2015 E 1300 (Dossier sur <http://www.parlament.ch>: 13.100. CO.

Droit de la prescription).

tivement été rejetée en raison de la prescription, la victime pourra faire valoir des droits pendant un an après l'entrée en vigueur du nouveau texte. Cette disposition transitoire ne concerne toutefois que les victimes directes, et non pas les personnes affectées indirectement (parents, etc.), qui pourraient faire valoir des créances ou une indemnité pour tort moral. Enfin, elle ne s'appliquera pas si, au moment de l'action, il existe un régime spécial approprié de règlement financier des dommages corporels causés par l'amiante, ce qui sera peut-être le cas si la table ronde tendant à la création d'un fonds d'indemnisation aboutit à un résultat. Le dossier retourne au Conseil national. On se demande toutefois vraiment si, hormis cette lex asbestosis, la ré­forme proposée se justifie encore, alors que son but était de répondre au problème des dommages tardifs (Spéit­schaden). Une réforme est nécessaire, mais le projet actuel ne répond plus vraiment au souci initial.

À la suite de la décision Howald Moor de la Cour EDH6,

le Tribunal fédéral devait se prononcer à nouveau sur l'affaire. Après avoir suspendu la procédure, par ordon­nance du 25 mars 2015, il a levé la suspension en juillet 2015 suite au retrait de la motion 14.3664 de la Com­mission des affaires juridiques du Conseil national (29 mai 2015). Le 11 novembre 2015, le Tribunal fédéral a admis la révision, renvoyant la cause au Tribunal des prud'hommes de Baden7

; ce dernier a reçu l'injonction de ne pas tenir compte de la prescription afin de se conformer à l'arrêt de la Cour EDH. Le Tribunal fédéral s'est uniquement placé sous l'angle des art. 122 let. c LTF et 49 CEDH («satisfaction équ itable n), sans chercher à expliquer les raisons dogma­tiques de la non-prescription de la créance, considérant qu'il est lié par la décision de la Cour EDH.

2° La signature électronique et le cachet électronique réglementés. Selon l'art. 14 al. 2bis CO, la signature électro­nique qualifiée au sens de la SCSE est assimilée à la si-

6 Arrêt Cour EDH lcfu 11 mars 2014, Ho wald Moor et outres c. Suisse (2' chambre, définitif depuis le 11 juin 2014).

7 TF, 4F _15/2014 du 11 novembre 2015 (publication prévue).

Page 2: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

'•

202 SJZ 112 (2016) Nr. 8 Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations

gnature manuscrite. Cette signature est réservée aux per­sonnes physiques. Or, la nécessité s'est fait sentir dans les milieux économiques et les administrations de pouvoir utiliser un certificat numérique. Pour les échanges en masse en particulier (p. ex. extraits du casier judiciaire, du ·registre du commerce ou du registre foncier). un tel ce rti­ficat éviterait le recours à une signature avancée se réfé­rant à l'entreprise8• Dans son Message du 15 janvier 2014,

le Conseil fédéral a donc proposé une révision totale de la SCSE, avec une signature électronique réglementée, des­tinée aux personnes physiques mais répondant à des critères moins stricts que la signature électronique quali­fiée, et un cachet électronique réglementé, destiné aux personnes morales et aux autorités9• Ces deux nouvelles applications doivent être distinguées de la signature élec­tronique qualifiée: elles ne sont en effet pas destinées à produire des effets juridiques directs, mais uniquement à prouver la provenance d'un document et garantir l'intégrité de son contenu10

• Le 17 décembre 2015, le Consei l national a adopté tel quel le projet du Conseil fédéra l11

• C'est désor­mais au tour du Conseil des États de se prononcer.

3° La protection du consommateur en cas de démar­chage téléphonique. Malgré d'excellents arguments pour introduire un droit de révocation étendu à tous les con­trats à distance 12

, le Conseil des États et le Consei l national ont approuvé le 18 juin 2015 la proposition de la confé­rence de conciliation limitant le droit de révocation au dé­marchage téléphonique, et prolongeant le délai à 14 jours, y compris en matière de créd it à la consommation (LCC 16 1). Le vendeur a désormais le droit d'être indemnisé en cas d'usage abusif du bien durant la période de révocation 13•

Le 19 juin 2015, la loi a finalement été adoptée par les deux chambres14

• Le texte modifié est entré en vigueur le 1 cr janvier 2016.

4° L'évolution du droit privé européen. Suite à l'abandon du Common European Sales Law (CESL) en décembre 2014

et aux nouveaux objectifs de favoriser l'établissement d'un marché unique numérique européen, la Commission euro-

8 FF 2014 961. 9 FF 2014 962. 1° FF 2014 958. 11 BQ 2015 N 2273; pour le texte final adopté en votation finale le

19 juin 2015, cf. FF 2015 4409. 12 P. Picl!onnaz, le point sur la partie générale du droit des obligations,

RSJ 2015 202. 13 <h ttp ://www.pa ri am ent.ch/e/suche/Pag es/1 eg isla tu rru eck bi ick.

aspx?rb_id=20060441 >. 14 FF 2015 4409.

péenne a proposé le 9 décembre 2015 deux projets de Di­rective du Parlement européen et du Conseil, l'une con­cernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique15

, l'autre certains aspects des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens16

. La première entend définir cc certaines exigences relatives aux contrats de fou rniture de contenu numérique aux consommateurs, notamment les règles concernant la conformité du contenu numérique au contrat. les modes de dédommagement en cas de non-conformité et les mo­dalités d'exercice correspondantes, ainsi que les règles de modification et de rési liation de ces contrats 11 (art. 1 ). La seconde cc fixe certaines exigences concernant les contrats de vente à distance conclus entre le vendeur et le consom­mateur, en particulier des règles concernant la conformité des biens, les modes de dédommagement en cas de non­conformité et les modalités d'exercice correspondantesn (art. 1 para. 1). La directive sur la vente à distance pourra it donc amener le législateur à se demander à nouveau com­ment régler cette question dans le Code des obligations.

Il. La jurisprudence

1° Procuration par tolérance et procuration apparente (CO 32 1; ATF 141 Ill 289). Voilà un arrêt didactique et convaincant ! Renversée par un train appartenant à une société anonyme (B. SA), une femme a succombé à ses blessures en laissant un mari et deux enfants. Agissant au nom de B. SA, un employé D. a une première fois renoncé à la prescription des éventuelles prétentions du père et de ses enfants. Par la suite, la renonciation à la prescription a été prolongée par E., un autre employé agissant aussi au nom de B. SA. Après avoir fa it not ifier sans succès plusieurs commandements de payer à B. SA, le père a ouvert action contre cette dern ière en paiement de dommages-intérêts. B. SA a invoqué la prescription des prétentions du père, estimant que D. et E. n'étaient pas autorisés à renoncer à la prescription en son nom, ce que le père a contesté.

L'octroi des pouvoirs de représentation au sens de l'art. 32 al. 1 CO peut être exprès ou tacite. Dans le second cas, on distingue encore la procuration (interne) par tolé­rance (interne Duldungsvollmacht) et la procuration (in­terne) apparente (interne Anscheinvollmacht)'7. Il y a pro-

15 COM(2015) 634 final , 2015/0287 (COD). 16 COM(2015) 635 final, 2015/0288 (COD). 11 ATF 120 111 97, c. 2a et 3b, JdT 120 111 97.

Page 3: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations SJZ 112 (2016) Nr. 8 203

curation interne par tolérance si le représenté sa it qu'il est représenté contre sa volonté, mais qu'il n'entreprend néanmoins rien contre le pseudo-représentant18• En l'espèce, il n'était pas possible d'affirmer que le directeur de B. SA avait conna issance des actes de D. et E.

Le Tribunal fédéra l a donc examiné s' il y avait procura­tion (interne) apparente, qui est donnée lorsque le repré­senté n'a pas conna issance du fait que quelqu'un se pré­sente comme son représentant, mais qu'en faisant preuve de l'attention que l'on pouvait exiger de lui, il aurait dû s'en apercevoir. En outre, le représentant doit avoir pu penser de bonne foi que le comportement du représenté était assimilable à un octroi des pouvoirs'9• En l'espèce, il est établi que D. et E. disposaient d'un large pouvoir de signature au sein de B. SA; de plus, ils possédaient la si­gnature unique dans de nombreux cas. Dès lors, le directeur de B. SA aurait dû reconnaître la représentation en faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances. Certes, il est éga lement établi que la signature unique n'existait que pour des opérations quotidiennes devant être rapidement rég lées et n'excédant pas une certaine im­portance économique. Toutefois, le Tribunal fédéral sou­ligne d'une part que cette limitation revêt un ca ractère très vague et, d'autre part, que l'on ne sau rai t considérer que la renonciation à prescription a déjà une portée éco­nomique importante. En effet, il ne s'ag it pas encore d'une reconnaissance de dette. Bien au contra ire, la renonciation servait aussi les intérêts de B. SA, car elle évitait au père de devoir interrompre la prescription par une poursuite (CO 135/2). En outre, D. et E., au vu de ce qui précède, pou­vaient de bonne foi penser qu'ils disposaient d'un pouvoir de représentation. Par conséquent, le Tribunal fédéra l juge qu'il existait une procuration apparente (Anscheinvo/1-macht). Partant, l'effet de représentation lors des renoncia­t ions à prescription s'est produit et les prétentions du père et des enfants ne sont pas prescrites.

2" L'exigence d'une représentation commerciale (CO 32 ss ; ATF 141 Ill 15920}. Un particulier et une société ano­nyme étaient liés par un contrat de bail à ferme en vertu duquel la SA exploitait des installations équestres sur plusieurs parcell es du particulier. Lors d'une audience de conciliation portant sur le fait de savoir si le ba il à ferme ava it ou non été résilié, c'est la mère de l'administratrice unique de la SA qui s'est présentée. Au terme de l'audience,

18 Cons. 4.1; déjà TF, SA_S00/2010 du 12.10.2010 c. 6.2.2. 19 Cons. 4.1 et 4.4.2 ; déjà TF, 4C.287/2002 du 15.12.2003, c. 4. 20 Pour un commenta ire, cf. F. Bohnet. DB 2015 43.

la SA a reçu l'autorisation de procéder. Le particulier a contesté la validité de cette autorisation, considéra nt que la mère ne pouvait représenter l'administratrice unique. En effet, les personnes mora les doivent se présenter person­nellement à l'audience de conciliation (CPC 204 1 et 206 1)2 '. Elles doivent donc être représentées par un organe22

ou par un fondé de procuration ou un mandataire com­mercial23. La doctrine n'est pas unanime sur la question de savoir si un organe de fait, ce que la mère était selon les instances précédentes, peut valablement représenter la personne morale dans une audience de conciliation. Le Tri­bunal fédéral l'exclut en raison du besoin de pouvoir éta­blir facilement si la société est valablement représentée (cons. 2.4). En effet, contrairement aux organes, aux fon­dés de procuration, voire aux mandataires commerciaux, qui peuvent démontrer cela par un extrait du Registre du commerce (CO 462), les organes de fait ne peuvent le prouver.

Il restait donc à déterminer si la mère était une ll autre mandataire commercia le n au sens de l'art. 462 al. 1 CO, qui aurait pu alors disposer de pouvoirs exprès (CO 462 Il), ou si elle n'était qu'une représentante u ordina ire n au sens de l'art. 32 CO, ce qui exclurait d'emblée des pouvoirs pour transiger en justice et aurait été donc insuffisant en l'espèce. Or, pour retenir l'existence d'un ll autre n manda­taire commercial, il faut que les pouvoirs s'étendent à tous les actes qu'exigent la gestion d'une entreprise ou des opé­rations déterminées au sein de cette entreprise (CO 462 1) et non à un acte spécifique. Bien que la mère de l'administratrice unique ait déjà reçu une procuration l'autorisant à représenter la SA devant la justice de paix lors d'un précédent litige, le Tribunal fédéral considère qu'il y a un doute s'ag issant de l'existence d'un mandat portant sur tous les actes qu'exige généra lement la gest ion de la SA au sens de l'art. 462 al. 1 in fine CO. Partant , l'affaire est renvoyée à l'instance précédente pour complé­ment.

3• Répétition de l'indu (CO 63 1; ATF 741 IV 71). Dans le cadre de la succession de leur père, deux cohéritiers, un frère et une sœur, ont conclu une convention de partage portant sur le produit de la vente d'actions du défunt. Suite à une erreur, le notaire chargé de la succession a versé la totalité du montant à la sœur. Après s'en être

21 ATF 140 Ill 70 c. 4.3. 22 ATF 141 Ill 80 donne une liste des personnes autorisée à représenter

la personne morale en justice. 23 ATF 141 Ill 80, c. 1.3.

Page 4: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

204 SJZ 112 (2016) Nr. 8 Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations

aperçu, il a invité cette dernière à lui restituer la moitié de la somme versée, ce qu'elle a refusè. Après plusieurs an­nées, le notaire a ouvert action contre l'héritière, qui a été condamnée en dernière instance cantonale au versement de CHF 138 501.60 avec un intérêt à 5%. Celle-ci a estimé que le comportement de l'héritière constituait une utili­sation sans droit de valeurs patrimoniales (CP 141bis). En effet, en refusant la restitution puis en soulevant une ex­ception de prescription, elle aurait u utilisé)) la somme ver­sée au sens de cette disposition. La Cour cantona le a donc jugé qu'une réparation du dommage du notaire sur la base des règles de la responsabilité délictuelle (CO 41 1) était fondée. L'action en dommages-intérêts se prescrivait ainsi par sept ans, par renvoi de l'art. 60 al. 2 CO au délai de prescription de l'action pénale.

Le Tribunal fédéra l relève toutefois que, dans l'inter­prétation de l'art. 141bis CP, il faut s'en tenir au principe de la subsidiarité du droit pénal par rapport au droit ci­vil24. On ne saurait donc considérer qu'il y a eu <<utilisa­tion)) au sens de l'art. 141bis CP du seu l fait que l'héritière a refusé de restituer des valeurs patrimoniales; il faut au contrai re un comportement actif25

• Partant, il n'y avait pas matière à une action délictuelle en concours avec l'action en répétition. Seule la répétition de l'indu (CO 63) entre en ligne de compte. Même si le délai de prescription d'une année à compter de la connaissance du droit de répétition (CO 67 1) est considéré comme excessivement bref par le Consei l fédéral26

, le Tribunal fédéral considère que jusqu'à l'issue des travaux législatifs en cours (cf. supra ad 1.7t il n'a d'autre choix que d'appliquer l'art. 67 al. 1 CO dans sa teneur actuelle. En outre, on ne saurait éluder ce régime en se fondant (à tort) sur les règles de la responsabilité délic­tuelle. Partant, l'action en répétition de l'indu du notaire contre l'héritière est prescrite.

On doit abonder dans le sens du Tribunal fédéral. En effet, si l'art. 141 bis CP s'appliquait à tout refus de restituer des sommes reçues en invoquant (à tort) la prescription, tout le régime des sources des obligations civiles en serait profondément affecté. Notamment, les articles relatifs à l'enrichissement illégitime n'auraient pour ainsi dire plus de portée propre en raison de l'existence d'une action

24 Confirmation d'une jurisprudence établie par l'A TF 141 IV 71 , c. 8 ; ATF 11 5 1V 207, c. 1bl aa.

2' ATF 141 IV 70174 c. 5, ég. pour tous les autres BSK StGB-1-M. Niggli, Art. 141bis CP N 23; PC-Code pénal, art. 141b'• CP N 13.

26 Message relatif à la modifica tion du code des obligations, FF 2074 221.

fondée sur un acte illicite soumise à une prescription net­tement plus longue.

4• Régime des intérêts pour les dettes entre époux (CO 73, 104; ATF 1471/149). Un époux s'est porté caution soli­daire d'une dette de sa femme, avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation de biens. Suite à la faillite de cette dernière, le mari a contracté un emprunt dont le montant a servi à éteindre la dette de son épouse. Dans le jugement prononçant le divorce du couple, la femme a été condamnée à payer la somme de CHF 53 089 avec un inté­rêt à 5% à son ex-époux au titre du remboursement de cette créance. L'épouse a considéré que la somme ne de­vait pas porter intérêts.

Le Tribunal fédéral rappelle dans cet arrêt que le régime matrimonial n'exerce pas d'influence sur l'exigibilité des dettes entre les époux (CC 203 1, 235 1, 250 1), ni sur la naissance des obligations. Le but est en effet d'éviter que des créances qui ne sont pas exigibles en vertu du droit commun le deviennent parce qu'elles appartiennent à un époux contre son conjoint. Il y a donc en principe lieu d'appliquer les règles générales du droit des obligations aux dettes entre époux. Dès qu'une dette est exigible, l'époux créancier peut en réclamer le paiement, au besoin par les moyens de l'exécution forcée, bien que la prescrip­tion soit suspendue pendant le mariage (CO 134 1/3) et que l'époux débiteur puisse so lliciter, en dérogation au droit commun, des délais de paiement lorsque le règlement d'une dette ou la restitution d'une chose l'expose à des difficultés graves qui mettent en péril l'union conjuga le (CC 203 Il, 235 Il, 250 Il). Le Tribunal fédéral souligne en­suite que la loi ne dispose pas expressément que des dettes entre époux découlant d'une obligation de droit commun (contrat, acte illicite, enrich issement illégitime) ne portent jamais intérêts27

• La doctrine majoritaire28 retient toutefois qu'il faut exclure tout intérêt en raison des art. 203, 235 et 250 CC, qui ne prévoient pas expressément l'obligation de payer des intérêts, contrairement à ce qui ressort de l'art. 218 CC. Le Tribunal fédéral retient toutefois que l'art. 218 al. 2 CC n'entend que préciser que les intérêts sur la créance de participation et la part à la plus-value cou-

27 Le Message du Conseil fédéral (FF 7979 11 1179) est également muet sur la question.

28 Cf. not. BSK-ZGB 1-Hausheer/Aebi-Mü//er, Art. 293 CC N 16 ; H. Deschenaux/P.-H. Steinauer/M. Baddeley, Les effets du mariage, 2' éd., Zurich 2009, n• 1094 p. 519; CR-CC 1-Steinauer, art. 203 CC N 12; M. Stettler/F. Wae/ti, Le régime matrimonial, 2' éd., Fribourg 1997, n• 301 161 ; BK 11311-Hausheer/Reusser/Geiser, Art. 203 CC N 52.

Page 5: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

Pichonnaz, Le point sur la partie généra le du droit des obligations SJZ 112 (2016) Nr. 8 205

rent seulement à compter de la liquidation du régime ma­trimonial29. Cette précision sur le début du cours des inté­rêts ne permet pas de retenir que les prétentions entre époux découlant d'obligations de droit commun ne se­raient pas soumises aux règles générales du droit des obli­gations, à tout le moins concernant les époux mariés sous le régime de la séparation de biens. Partant, pour une dette de droit commun entre des époux mariés sous le régime de la séparation de biens, il faut appliquer un intérêt aux conditions du droit ordinaire (CO 73, 104, 313)3°. En ren­voyant aux règles générales du droit3', le législateur a voulu prévoir expressément les exceptions qu'il entendait apporter à ce régime, ce qu'il a notamment fait à l'art. 134 al. 1 ch. 3 CO.

À notre avis, cette solution du Tribunal fédéral se justifie à tout le moins pour la séparation de biens, puisque ce régime entend justement faire en sorte que les époux soient traités, d'un point de vue patrimonial, comme s'ils n'étaient pas mariés. Pour les autres régimes, la question est plus délicate, compte tenu aussi du régime de l'art. 206 CC (créance en plus-value).

s· Résiliation ex tune d'un contrat d'entreprise en cas d'impossibilité subséquente fautive (CO 97, 107 ss; TF, 4A_101/2015 du 21 juillet 2015). Cet arrêt pose de nom­breuses questions; nous n'en abordons ici que quelques aspects32• Par contrat, un entrepreneur s'est engagé à cons­truire une vil la sur une parcelle achetée pour CHF 90000 par les maîtres d'ouvrage. Le paiement devait être effectué de manière échelonnée. La demande d'autorisation de construire présentée par les maîtres d'ouvrage a par la suite été refusée, et leur recours rejeté par le Conseil d'État valaisan. Selon cette dernière autorité, une autorisation de construire sera it néanmoins envisageable dans un délai de cinq à sept ans. Entretemps, l'entrepreneur a réclamé aux maîtres d'ouvrage la somme de CHF 14349, correspondant au coût de la première phase des travaux prévus. Les maîtres d'ouvrage ont fait opposition. Pa r la suite, ils ont revendu la parcelle pour la somme de CHF 100000. L'entrepreneur a finalement ouvert action en reconnais­sance de dette pour une somme de CHF 64304 avec un intérêt à SOfa et obtenu gain de cause auprès du Tribunal

29 TF, 5A_599I2007 du 2 octobre 2008, c. 10.1. 30 Dans le même sens, P. Piotet, Le régime matrimonial suisse de la par­

ticipation aux acquêts, Berne 1986, 26. 3' FF 7979 Il 1292. 32 Pour un commentaire plus détaillé, cf. P. Piclwnnaz, Le droit de ré­

soudre le contrat en cas d'application de l'art. 97 CO : vers un régime de l'inexécution toujours plus unifié, BR/DC 2015 332 ss.

cantonal. Les maîtres d'ouvrage ont recouru au Tribunal fédéral.

Ce dernier constate qu'au moment de la conclusion du contrat, il n'était pas d'emblée exclu d'octroyer une auto­risation de construire, malgré la zone de danger élevé; partant, on ne saurait parler d'impossibilité objective ini­tiale (CO 20). Ce qui surprend toutefois, c'est que l'im­possibilité subséquente est reconnue par le Tribuna l fédé­ral, bien que ni la lég islation ni la situation de fa it ne semblent avoir changé; partant, il aurait peut-être fallu retenir une impossibilité initiale (fautive). Sans le dossier, il est évidemment difficile de trancher.

Vu le déla i de cinq à sept ans avant d'avoir potentielle­ment la possib ilité d'obtenir une autorisation de cons­truire, l'impossibilité de construire a été considérée comme durable33

• Retenant que l'art. 378 CO ne s'applique pas, le Tribunal fédéral juge que l'impossibilité est fautive parce que l'entrepreneur n'a pas averti à temps les maîtres d'ouvrage du risque que le permis de construire ne serait pas accordé. Dès lors, il répond de l'impossibilité34• Quand bien même l'art. 97 CO ne le prévoit pas, le créancier qui n'a plus d'intérêt à la prestation partielle ou accessoire qu'il a reçue avant l'impossibi lité doit pouvoir résoudre le contrat, affirme le Tribuna l fédéra l. Il applique à cet égard les art. 107 al. 2 et 109 CO par analogie et permet donc une résolution avec effet ex tune et l'indemnisation de l'intérêt négatif35

• Cette solution paraît justifiée, puisque si le créancier ne pouvait pas résoudre le contrat, il sera it plus mal traité que le créancier d'un débiteur fautivement en demeure, qui lui peut de toute manière résoudre le contrat (qu'il soit ou non de durée). La résolution du contrat ne doit probablement pas être possible si la prestation par­tielle est utilisable, pu isque le créancier conserve alors un intérêt à la prestation partielle (cp. CO 379 Il). Une résolu­t ion ex nunc demeure possible contre indemnisation de ce qui a été réalisé pour les contrats de durée ou le contrat d'entreprise.

Dans le cas d'espèce, l'exercice du droit formateu r réso­lutoire était délicat, puisque les époux n'avaient pas con-

33 TF, 4A_ 477/2008 du 19 mai 2009, c. 3. 1.2, PJA 2010 106. 34 P. Gauc/1, Der Werkvertrag, Zu rich/Bâ le/Genève 2011 , ch. 2322, 841. 35 Dans ce sens déjà, BSK-OR 1-Wiegand, Art. 97 CON 58; CR-CO-Thé-

venoz, art. 97 CO N 67; P. Gauch/W. Schluep et al., Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 10' éd., vol. 2, Zurich/Bâle/ Genève 2014, ch. 2587, 100; /. Schwenzer. Schweizerisches Obligatio­nenrecht, Allgemeiner Teil, 6' éd., Berne 2012, ch. 64.27, 465; C. Hu­guenin, Obligationenrecht, Allgemeiner und Besonderer Teil, 2' éd., Zurich/Bâle/Genève 2014, ch. 842, 256 s.

Page 6: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

'•

206 SJZ 112 (2016) Nr. 8 Pichonnaz, Le point sur la partie généra le du droit des obligations

naissance de leur droit de résoudre le contrat: Le Tribunal fédéra l estime toutefois que les maîtres d'ouvrage ont exercé leur droit formateur en contestant les demandes de paiement pour les premiers travaux et en considérant le contrat d'entreprise comme nul.

6• Compensation éventuelle dans deux procédures (CO 720; 4A_227/201536). Un contrat d'entreprise générale pour la construction d'un parking et d'une passerelle pour piétons a été conclu et exécuté. L'ouvrage a été livré avec des défauts mineurs et la facture finale a été adressée au maître d'ouvrage. Celui-ci refusa de payer l'une des factu­res qui concernait le parking. Les mêmes parties avaient éga lement en para llèle un autre contrat pour la construc­tion d'un stade, qui lui aussi entraîna un conflit entre les parties sur le montant de la facture. Le maître rejetait la demande en justice et invoquait, pour le cas où celle-ci devait être admise par le Tribunal, l'exception de compen­sation avec une prétention découlant d'avenants du con­trat de construction du stade. Dans l'affaire du parking, la procédure se déroula plus rapidement. Le maître d'ouvrage avait là aussi invoqué en première et deuxième instance à titre éventuel une compensation avec la (même) préten­tion découlant d'avenants du contrat de construction du stade. Devant le Tribunal fédéral, l'une des questions éta it celle de savoir s'il est possible d'invoquer dans deux pro­cédures distinctes, a titre éventuel, la même créance en compensation (cons. 6). Si la doctrine relative à la procé­dure civi le reconnaît qu'une créance invoquée en compen­sation (u créance corn pensante n), de surcroît à titre éven­tuel, n'est pas affectée par l'effet de litispendance (CPC 62), le Tribunal fédéral ret ient que pour des raisons d'économie de procédure et en raison du risque de jugements contra­dictoires, il n'est pas admissible que deux tribunaux se pro­noncent potentiellement sur la même créance (compen­sante). Suivant en cela l'opinion de certains auteurs37, le Tribunal fédéra l retient qu'il faut éviter ce risque en procé­dant à un transfert de procédure {Prozessüberweisung ; CPC 12 7 1) ou à une jonction de ca uses (CPC 125 let. c). On pourrait aussi penser à une suspension de l'une des procé­dures (CPC 126), bien que cette dernière so lution pose des problèmes en lien avec le principe constitutionnel de célé­rité (Cst 29 1; CEDH 6 ch. 1 ). Comme les deux procédures sont pendantes devant le Tribunal de district de Zurich, le Tribunal fédéral renvoie l'affaire à celui-ci pour qu'i l

procède à une jonction de causes (CPC 125 let. c) pour se déterminer sur l'exception de compensation.

On se bornera ici à sou ligner trois points. Premièrement, une compensation faite à condition que la créance princi­pale existe doit être admissible38• Deuxièmement, le juge n'a à se prononcer sur la créance compensante (la créance opposée en compensation) que dans l'hypothèse où la de­mande principale est admise; il n'est donc pas exclu que le juge ne doive se préoccuper de la .compensation dans au­cune des deux procédures. Troisièmement, selon nous39

,

lorsqu'un juge - même incompétent ratione materiae- se prononce sur la créance compensante, sa décision a auto­rité de chose jugée, même s'il retient que la créance corn­pensante n'existe pas. Des mot ifs d'économie de procédure et d'égalité des parties plaident pour cette solution, plutôt que de permettre au juge compétent de se prononcer une nouvelle fois40

. Dès lors, en transposant ce dernier raison­nement à l'invocation d'une même créance, à titre éven­tuel, dans deux procédures distinctes, il faut à notre sens considérer que le premier jugement rendu tranche défini­tivement le so rt de la créance compensante, si le juge en traite au fond (qu'il admette ou rejette la créance corn­pensante). On peut dès lors légitimement se demander s'i l est nécessa ire de procéder à une jonction des causes pour trancher une objection éventuelle; le débiteur qui invoque la compensation peut tout à fait vou lo ir et pouvoir prendre le risque de ne pas décider quelle créance sera finalement compensée et laisser la solution se déterminer (a) en raison du besoin et (b) selon la priorité temporelle. Évidemment, si l'un des juges ne se prononce pas sur la créance corn pen­sante, alors il n'y aura pas d'autorité de chose jugée et le second (temporellement) pourra encore le faire.

7" Interruption de la prescription d'une prétention pour non-versement de cotisations sociales {CO 135 s.; LAVS 52; ATF 141 V 487). La fai llite d'une SA a été prononcée. Plus de cinq ans après l'ouverture de cel le-ci, la caisse de compensation du canton d'Argovie a rendu une décision astreignant son directeur et administrateur unique (or­gane de l'employeur) au paiement de CHF 450373.65, à titre de réparation du dommage causé par le non-verse­ment de diverses cotisations sociales. Le Tribunal des as­surances argovien a jugé que les prétentions de la caisse contre l'organe de l'employeur étaient prescrites. L'Office

38 P. Pichonnaz, La compensation, th. habil. Fribourg, Zurich 2002, 36 TF, 4A_221/2015 du 23 novembre 2015, prévu pour la publication. N 1790. 37 Avant tout BK - Zellweger-Gutknecht, Vorb. zu Art. 120- 126 CC 39 Pichonnaz (n. 38) N 2067 s.

N 177 ss. 40 Pichonnaz (n. 38) N 2067.

Page 7: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations SJZ 11 2 (2016) Nr. 8 207

fédéral des assurances sociales (OFAS) a recouru au Tribu­nal fédéral.

Lorsque l'employeur cause un dommage à l'assurance dans le sens de l'art. 52 al. 1 LAVS, les membres de l'administration répondent subsidiairement de ce dom­mage (LAVS 52 Il). Le délai de prescription fixé par l'art. 52 al. 3 LAVS est de deux ans après que la caisse de compen­sation a eu connaissance du dommage et de cinq ans dès la survenance du dommage, qui se produit en l'espèce à l'ouverture de la faillite. L'examen de motifs propres à in­terrompre la prescription de la créance en réparation du dommage au sens de l'art. 52 LAVS se fonde sur les règles subsidiaires de l'art. 135 CO, en l'absence d'autres règles spéciales41. Le Tribunal fédéral précise néanmoins que pour l'art. 52 LAVS, les actes interruptifs de prescription ne se limitent pas à la liste de l'art. 135 CO, mais comprennent aussi tous les actes par lesquels le créancier fait valoir sa créance en réparation du dommage auprès du débiteur de manière appropriée42

• Certes, la Caisse de compensation a adressé à plusieurs reprises des décisions de paiement d'arriérés et des décisions sur opposition à la SA et a fait valoir des créances contre cette dernière durant la procé­dure de faillite; toutefois, le Tribunal fédéral retient que ces actes concernaient la société en faillite, et non la pré­tention en réparation du dommage contre l'administrateur en tant qu'organe subsidiairement responsable. Or, les créances de cotisation (LAVS 14 1 et OAVS 34 ss) sont dis­tinctes de la créance en réparation du dommage (LAVS 52). En l'absence d'actes juridiques se rapportant à la créance en réparation du dommage, la prescription de celle-ci n'a pas été interrompue. Pour le Tribunal fédéral, le caractère subsidiaire de la responsabilité de l'administrateu r n'en fait pas une caution au sens de l'art. 136 al. 2 CO, ce qui exclut que la prescription de la prétention en réparation du dom­mage puisse être interrompue par un acte contre la société anonyme elle-même (débiteur principal). Il faut approuver cette solution.

s· Les conditions d'admission de l'action en constata­t~on de droit négative et les actes interruptifs de prescrip­tiOn {CO 135 ch. 2; ATF 14111/ 68). Une agence de recou­vrem~n.t a fait ~otifier un commandement de payer contre u.n deb1teur qUI a fait opposition, puis a introduit une ac­t~on en constatation de l'inexistence de la créance (CPC 88). Lagence de recouvrement estime que le débiteur n'a pas

41 ATF 135 V 74, c. 4.2.1; ATF 123 Ill 213, c. Ga, JdT 2000 1208.

42 ATF135V74,c.4.2.1.

d'intérêt suffisant à faire constater l' inexistence de sa créance.

Le Tribunal fédéral se prononce ici sur le sens à donner à la notion d'intérêt digne de protection (CPC 59 11/a) d'une action en constatation de droit négative. Dans un arrêt antérieur à l'entrée en vigueur du CPC, le Tribunal fédéral avait admis que la simple opposition ne suffit pas pour écarter tous les inconvénients que subit le débiteur du fait du commandement de payer43. En particulier, elle n'empêche pas une inscription au registre des poursuites, ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation du pour­suivi, quel que soit par ailleurs le bien-fondé de la créance. Le débiteur a donc en principe un intérêt digne de protec­tion à agir en constatation de l'inexistence de la dette déjà par l'existence d'une poursuite, à moins que le créancier puisse justifier qu'il a un intérêt à ne pas poursuivre la procédure d'exécution avant d'avoir p. ex. tous les moyens de preuve à disposition44. Compte tenu de l'évolution juri­dique (<<intérêt digne de protection 11 à l'art. 59 CPC et non intérêt prépondérant comme dans la jurisprudence précé­dente) et du climat politique (introduction d'un art. 8b LP permettant d'annuler des commandements de payer injus­tifiés45), le Tribunal fédéral assouplit les exigences pour une action en constatation de droit négative, puisque celle-ci est admise dès qu'il y a une poursuite qui n'est pas pour­suivie, sauf si le créancier remplit trois conditions cumu­latives: la poursuite n'a été introduite que pour inter­rompre la prescription (CO 135 ch. 2); le prétendu débiteur a auparavant refusé de renoncer à la prescription et il existe des raisons valables pour lesquelles le prétendu créancier ne peut pas immédiatement faire valoir sa pré­tention devant un tribunal. En l'espèce, le Tribunal fédéral a donc admis l'action en constatation de droit négative.

111. La doctrine

Manuels: T. Koller/F. Krauskopf/1. Schwander, Bundesge­richtsentscheide zum Allgemeinen Teil des OR und zum Kaufrecht, 3• éd., Zurich/St-Gall 2015; T. Sutter-Somm, OR-Obligationenrecht, Zurich 2016 (paraîtra en mars 2016); H. Schulin/N. P. Vogt (éds), Texto OR, Bâle 2015;

43 Cons. 2.4; et déjà le 1" arrêt en la matiére ATF 120 Il 20123, c. 3b, JdT 7995 1 130.

44 Cons. 2.4; et déjà ATF 120 Il 20124, c. 3b, JdT 7995 1 130; TF, 4A_459/2009 du 25 mars 2010, c. 2.1.

45 lv. Pari. 09.530 (Abate), approuvé par le Conseil national le 21.9.201 5, BO CN 20751690.

Page 8: Le point sur la partie générale du droit des obligations 1

'•

208 SJZ 112 (2016) Nr. 8 Pichonnaz, Le point sur la partie générale du droit des obligations

E. Dieth, OR kompakt. Grundlagen, Vertragsrecht (inkl. Arbeitsrecht), Haftpflichtrecht. 3• éd., Bâ le 2015. Ouvrages d'exercices : S. Berchtold, Repetitorium zum Schweize­rischen Obligationenrecht, 1. Teil : Art. 1- 183 (ohne Ar­beitsvertragsrecht), 11 • éd., Berne 2015. Monographies: A. Büscher, Die Einvernehmliche Aufhebung von Schuld­vertragen, thèse Fribourg, Zurich 2015; A. Grebieniow, Rechtsfolgen der Übervorteilung, thèse Fribourg, Zurich 2015; A. Nussbaumer, La cession des droits de garantie, thèse Fribourg, Zurich 2015; F. Mort/, Die Preisgefahr bei Leistungsunmoglichkeit des Unternehmers, thèse St-Gall, Zurich/St-Gall 2015; L. Sieber, Der bereicherungsrechtliche Ausgleich bei Leistungsketten, thèse Berne, Berne 2015; M. Sogo, Zahlungsunfahigkeit im Vertragsverhaltnis, Zu­rich 2015. Commentaires: H. Honseii /N. P. Vogt/W. Wie­gand (éds), Art. 1-529 OR, Basler Kommentar Obligatio­nenrecht 1, 6• éd. Bâ le 2015 ; B. Kratz, Art. 143-150 OR. Solidaritat, Berner Kommentar, 1 •• éd., Berne 2015; F. Krauskopf, Art. 145-150 OR. Die Solidaritat, Zürcher Kommentar, Zurich 2015; P Jiiggi/P Gauch/5. Hartmann, Art. 18 OR, Auslegung, Erganzung und Anpassung der Ver­trage; Simulation, 4• éd., Zurich 2015. Actes de colloque: P. Pichonnaz/F. Werro (éds), La pratique contractuelle 4, symposium en droit des contrats, Zurich 2015. Articles: U. Aepli, Forderungsverpfandung und Verrechnungsaus­sch luss - Untersuchung einer vorformulierten Klausel im Bankgeschaft ZSR 2015 1 169; O. Baumann/P Zysset, Die Einrede des nicht erfül lten Aktionarbindungsvertrags, AJP 2075 151 ss; V. Buz, Rückabwicklung gescheiterter Ver­trage. Kritische Bemerkungen zu Art. 79 ff. OR 2020, SJZ 2015 565 ss; O. Cerutti, CO 2020: un ponte verso il futuro, SZW 2075 301 ss; B. Chappuis, L'enrichissement illégitime dans le CO 2020, RSDA 2075 314 ss; G. Donatiello, Prescrip­tion des droits du travailleur exposé à l'amiante, ZSR 2075 1 281 ; M. Del Fabro, Optionen na ch dem Verbot von cc Third Party Ownerships n, CaS 2015 219 ss; J. De Werra, Droit des contrats: Partie généra le et contrats spéciaux, JdT 2075 Il 179 ss; M. Eggen, Wenn der Postmann zweimal klingelt.

Eine Analyse privatrechtlicher Rechtsfragen bei der posta­lischen Übermittlung von Willenserklarungen, AJP 2075 1559 ss; N. Erk, Vorschlag eines neuen LeistungsstO­rungsrechts im OR 2020, SZW 2015 329 ss; A. Ga bellon, La qualification juridique des clauses d'architecte ou d'entrepreneur: clause d'exclusivité, précontrat ou con­trat?, BR/DC 2075 9 ss; M. Hochstrasser, Aktuelle rechtli ­che Entwicklungen zum Beforderungsvertrag, SVLR-Bulle­tin 147 2075 28 ss; C. Huguenin/B. Meise, OR 2020: Braucht die Schweiz ein neues Vertragsrecht? - Eine Ein­führung, SZW 2075 280 ss ; H. Kuhn, Die Modernisierung des schweizerischen Abtretungsrechts - Bemerkungen zum Zessionsrecht im OR 2020, SZW 2075 351 ss; A. Künz­/er, Verha ltnis der Information Dritter nach Art. 452 ZGB zum Zeitpunkt der Wirkung des Erloschens der Vol lmacht nach Art. 37 OR, ZKE 2075 359 ss; M. Lehmann, Innova­tion durch den OR 2020-Entwurf: Die Vorschriften über die Liqu idation, SZW 2075 337 ss ; B. Maurenbrecher/ F. Eckert, Aktuelle vertragsrechtliche Aspekte von Negativ­zinsen, GesKR 2075 367 ss; A. Nussbaumer, Les effets d'une clause de cession des droits de garantie, BR/DC 2075 256 ss; P Pichonnaz/F. Werro, Les conséquences d'une ré­si liation anticipée du contrat d'entreprise sans fixation d'un délai de grâce, BR/DC 2075 146 s.; P Pichonnaz, Ur­sprung und Begründung der Verjahrung in historischer Sicht, SZ-RA 132 2075 511 ss; P Pichonnaz, Le droit de résoudre le contrat en cas d'application de l'art. 97 CO: vers un régime de l'inexécution toujours plus unifié, BR/DC 2075332 ss; A. Rusch, Scheinkulanz, AJP 20751233 ss; B. Schmidlin, Das Schweizer Obligationenrecht 2020- Eine kritische Stellungnahme, SJZ 2015 25 ss; B. Schmidlin, Der Vertragsabschluss nach Art. 1 OR und die Vertragsauflo­sung nach Art. 31 OR: Selbstverstandliches, Missverstand­liches und neues Verstandnis, ZSR 20751107; N. Schwery, Der uneigennützige Werkvertrag, BR/DC 2075 201 ss; A. Tolou, Le recours interne dans la solidarité imparfaite, REAS 2075 130 ss; M. Walch, Abstraktions- und Kausali ­tatsprinzip bei der Forderungsabtretung , AJP 2075 1006 ss.

l