le mur 2 - celsa

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Grand Portrait Les réfugiés de Calais Reportage Belfast, une ligne de paix en béton Portfolio Derrière le mur, le keffieh palestinien Le Mur 2 Journal école des étudiants en deuxième année de master professionnel de journalisme du Celsa Paris-Sorbonne. Berlin, 1989-2009 Vingt ans après sa chute,le Mur hante encore les esprits à l’Ouest comme à l’Est. Voyage dans la capitale allemande,toujours en mouvement. Berlin, 1989-2009 Vingt ans après sa chute,le Mur hante encore les esprits à l’Ouest comme à l’Est. Voyage dans la capitale allemande,toujours en mouvement.

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Page 1: Le Mur 2 - Celsa

Grand Portrait Les réfugiés de CalaisReportage Belfast, une ligne de paix en bétonPortfolio Derrière le mur, le keffieh palestinien

Le Mur 2 Journal école des étudiants

en deuxième année de masterprofessionnel de journalisme

du Celsa Paris-Sorbonne.

Berlin, 1989-2009Vingt ans après sa chute,le Mur hante encore les espritsàl’Ouest comme à l’Est.Voyage dans la capitale allemande,toujours en mouvement.

Berlin, 1989-2009Vingt ans après sa chute,le Mur hante encore les espritsàl’Ouest comme à l’Est.Voyage dans la capitale allemande,toujours en mouvement.

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Ravalement de façade pour peaux mûresLA ROCHE-POSÉE

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MAI 2009 LE MUR 2 3

Journal école de la promo 2007-2009

Le grand portrait

12 Calais : l’impasseDes centaines de réfugiés se retrouvent dans cette ville du Pas-de-Calais avec un seul rêve en tête:rallier l’Angleterre.Une poignée de bénévoles tentent d’adoucir leur clandestinité.

16 IrlandeBelfast, le ciment de la paix ne prend pasDepuis 1969,des murs séparent catholiques et protestants.Unesolution “provisoire” qui permet le maintien d’une paix fragile.

18 Reportage Ceuta, l’Espagne entre mer et barbelésAu nord du Maroc se trouve une enclave espagnole.Un boutd’Europe qui attire migrants et marchands.

22 Phénomène On ne badine pas avec FacebookLe “wall” du réseau social permet de communiquer.Une interfacequi brouille la frontière entre privé et public.

24 Société Paris desserre la ceintureFaire tomber la barrière du périphérique,c’est peut-être pourdemain.Plusieurs projets politiques sont en cours.

Portfolio

26 Le keffieh au pied du murLe photographe Benoît Faiveley s’est rendu dans la dernière usinefabriquant des keffiehs dans les territoires palestiniens.Unsymbole menacé par la production du « made in China ».

32 MusiqueQuand la musique adoucit les mursEn prison,les sons rappellent l’enfermement.Depuis quelquesannées,la musique s’est introduite derrière les murs.

04 La lettre du Monde 2Courrier des lecteurs

05 Romain Brunet ContrepointMexique:Obama ne tranche pas.

06 Lucie Souliac LivreLes Invités,Pierre Assouline.

07 AgendaInnovations,Expos,Livres,Musique,Théâtre.

09 Gaëlle Darengosse Juste un détailÀ l’ombre des murs.

10 Vinciane Haudebourg GoûtsAbracada Brick.

34 DesignLe béton en talons Milène Guermont réalisedes sculptures à base de béton.

36 ArtÀ Paris, des artistes font le murL’art-mur s’expose dans Paris.Dans le 11e arrondissement,un panneau publicitaire estdédié aux artistes du street-art.

Les archives

39 Berlin,vingt ans aprèsLe 9 novembre 1989,le “mur dela honte” tombe après vingt-huit ans de séparation.

48 Jeux Mots croisés.Affairede logique.Et sudoku.

49 Photos des lecteurs

50 Anne-Claire Letki Déjeuner avecPierre Grange.Paul HervéTrois fois rien

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En couvertureSur le macadam berlinois, une plaque commémorativerappelle la présence du Mur.CREDIT DE COUVERTURE : RENÉ EHRHARDTPOUR LE MUR 2.

SOMMAIRE : ÉLODIE LARGENTON POUR LE MUR 2

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4 LE MUR 2 MAI 2009

courrier des témoins

La lettre du Mur 2

Murs, murs…

Les images ont fait le tour du monde.Des pans de béton qui s’envolent.

Des visages traversés par la stupéfaction,la joie et l’émotion.

Le 9 novembre 1989 tombait le mur deBerlin.Il y a vingt ans,nous étions à peine

nés.Nous avions entre 3 et 8 ans.Pourcertains d’entre nous,c’est le premier

souvenir d’« actu » :liesses embrumées,drapeaux flous,chute.Un monde,notre

monde,est né d’une chute.Mais pour un mur disparu, combien

de nouveaux vingt ans après ? Et combien n’ont pas tremblé ?

Nous sommes allés voir à Berlin ce qu’ilen restait.Mais aussi à Belfast, dans les

quartiers catholiques,et à Ceuta,dansl’enclave espagnole d’Afrique du Nord.

Ceuta l’Espagnole ou Sebta la Marocaine,deux continents,deux peuples,

deux cultures qui se font facesans vraiment se mêler.

Nous sommes allés à Calais,pour rencontrer d’anciens réfugiés de

Sangatte.Nous avons regardé du côté de la Cisjordanie où un nouveau mur de la honte a surgi. Nous avons pisté les murs plus insidieux et rencontré ceux qui se battent pour les abattre.

Nulle prétention à l’exhaustivité dans Le Mur 2,simplement la volonté

d’explorer toujours davantage le fonctionnement de nos sociétés.

Avec à l’esprit le constatde Lao Tseu :« Les plus grands murs sont

souvent ceux qui sont à l’intérieur. »Par Anna Britz et Juliette Charbonneaux

Nous avons cassé le murDes gens voulaient entrer, d’autres sortir. LesTrabant étaient partout. À l’entrée de la ville, ily avait des embouteillages monstres. Berlin,c’était un truc impensable, tout le monde avaitcette image dans la tête. Cela a dessiné unmonde pendant cinquante ans. À un endroit,les gens montaient sur une échelle pour passerde l’autre côté du mur. Je l’ai tenue pendant uneheure pour que les autres aillent voir. Le plusbeau, c’était la parole. Une foule de gens qui

voulaient parler, et qui ne pouvaient plus s’arrêter de parler. Mais la chute du Mur, c’estaussi cet Allemand de l’Est, hébété pendant de longues minutes devant une boutique etle choix qui s’offrait à lui. Nous aussi, nous avons cassé le Mur, nous en avons tousramené un morceau! Michel Pomarède, auteur de documentaires à France Culture

Un voyage initiatiqueNous étions en cours de relations internationales.Notre professeur a reçu un appel surson téléphone portable: la porte de Brandebourg venait de tomber.Nous sommes partistrois jours,sans passeport ni argent.Nous avons traversé l’Allemagne dans un corridor,sous le contrôle de l’armée russe.Tout le monde passait.Ce fut un voyage initiatique,une aventure incroyable pour un mec de 21ans.Les articles que nous avons écritsn’avaient rien d’un vrai travail journalistique.Sur place,nous avons découvert le travaildes équipes de télévision,comment ça fonctionnait:une expérience déterminante pourla suite.Il y avait une candeur à la Tintin,pas de communication,car Honecker etGorbatchev ne la maîtrisaient pas.Faire ce voyage,c’était prendre des risques.Mais nousavions conscience que l’histoire était en marche.L’année 1989 a été l’avènement d’unegénération de journalistes, la génération du Mur et des Balkans.Pascal Doucet-Bon,rédacteur en chef à France 2

Là, ce fut le chocLe téléphone a sonné, j’étais alors en voyage à Bochum, dans la région de la Ruhr. C’étaitStephan, un ami. Il ne prononça d’abord que quelques mots: « Allume ta télé,vite ! » Je medemandais pourquoi je ne l’avais pas fait plus tôt. D’habitude, c’est la première choseque je fais quand je suis dans une chambre d’hôtel. J’ai pressé le bouton,mécaniquement, comme si j’étais un simple soldat qui aurait reçu l’ordre d’allumer unebombe. Là, ce fut le choc. Nous avons regardé ensemble la télévision, toujours autéléphone. Nous avons commenté les « C’est fou ! C’est fou ! » criés par les Berlinois de l’Estqui se faisaient la courte échelle et dansaient sur le mur, les explosions de champagnedans le ciel éclairé par les flashs des appareils photo des journalistes et les larmes quiroulaient sur les visages. Au bout d’un moment, nous avons raccroché. Chacun voulaitrester seul avec ces images et ses pensées. Katja Lange-Müllers, auteure allemande

Le Mur 2 | | 77, rue de Villiers, 92200 Neuilly-sur-Seine, Tél. : 01-46-43-76-76 | Directrice de la publication: Véronique Richard, directrice du CELSA | Directeur de la rédaction: Arnaud Le Gal, professeur associéau CELSA | Directrice artistique: Marie-Madeleine Sabouret, chargée de cours au CELSA | Rédactrices en chef: Anna Britz, Juliette Charbonneaux | Rédaction: Loubna Anaki, Camille Andres, Rym Ben Ameur,Nicolas Chauvin, Pauline Ducamp, Hayat Gazzane, Emiland Guillerme, Élodie Largenton, Anne-Claire Letki, Tangi Loisel, Charles Montmasson, Raphael Moran, Thibault Petithuguenin, Tiphaine Saliou, Mounir Soussi,Gabriel Vedrenne | Chroniqueurs: Romain Brunet, Gaëlle Darengosse, Vinciane Haudebourg, Lucie Souliac | Photo: Laëticia Cheyroux, Aurélie Veyret | Secrétariat de rédaction: Nathalie Avril, chargée de cours auCELSA, Nolwenn Hervé, Sophie Normand | Formule: avec l’aimable autorisation et collaboration du Monde 2 | Remerciements: Hervé Demailly, Martine Leconte, Gérard Loustau et particulièrement RodolphBoutanquoi, maquettiste au Monde 2 | Impression: Advence Paris, Le Mur 2 est édité par l’université de Paris-Sorbonne (Paris IV), CELSA, École des hautes études en sciences de l’information et de la communication.

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Mexique: Obama ne tranche pas

romain brunet contrepoint

Plébiscité par le vote latino, le président américain doit désormais

prendre position sur le mur de sécurité construit au nord

du Rio Grande et mener à bien la réforme de l’immigration.

Tijuana. Une dizaine de mètres séparent le premier mur, mexicain,du second, américain. Ce no man’s land facilite la circulation à la BorderPatrol américaine de circuler.

omment ne pas décevoir lorsque les attentes sont sifortes? Dans tous les domaines, Barack Obama estattendu au tournant. Chaque groupe de pression sou-haite le voir répondre à ses demandes. Et vite. C’est lecas des opposants au mur de sécurité qui borde lafrontière entre le Mexique et les États-Unis.Le 10 février, le 44e président des États-Unis recevaitune lettre de huit représentants démocrates issus duTexas, de l’Arizona et de la Californie. Ils lui deman-daient de mettre fin à la construction de l’édifice. Au-delà du symbole que représente ce « mur de la honte »,comme l’ont surnommé ses détracteurs, les représen-tants démocrates soulignaient les dommages causéspour l’environnement. Ils attendaient sans doute uneannonce dès la prise de fonction de leur nouveau diri-geant. Histoire de marquer le coup et de tirer un traitsur l’administration Bush, à l’origine de sa création.

La nomination de Janet Napolitano à la tête du dépar-tement de la Sécurité intérieure leur avait donnéespoir. Gouverneure de l’Arizona depuis 2002, elle atoujours critiqué l’idée d’ériger un mur au sud desÉtats-Unis. Mais voilà,aucun signe encourageant n’estvenu de Washington depuis l’investiture du 20 janvier.Pire, un porte-parole de la Maison-Blanche a mêmedéclaré que Barack Obama était en faveur du mur « àpartir du moment où il faisait partie d’une stratégie plus vastequi comprenait davantage d’hommes sur le terrain et unemeilleure utilisation des technologies ».

Peut-être faut-il rappeler qu’en 2006, alors sénateurde l’Illinois, il avait voté pour sa construction. À cetteépoque, les débats sur l’immigration illégale font laune de tous les journaux. Une proposition de loi viseà créer le fameux mur de sécurité. Et un autre textepropose une réforme majeure de l’immigration, avecune mesure phare: la possibilité pour les 12 millionsde sans-papiers d’obtenir la nationalité américaine,sous certaines conditions. Sur ce dernier projet, pro etanti se mobilisent alors en organisant des dizaines demanifestations. La coalition pour une réforme de l’im-migration voit le jour, avec en point d’orgue le boycottdu 1er mai.Ce jour-là,plus d’un million de sans-papiersà travers les États-Unis font grève pour montrer leurpoids dans l’économie du pays.

Trois ans plus tard, que reste-t-il? Le mur a bien étéconstruit, mais aucune réforme de l’immigration n’avu le jour. Le candidat Obama, pour s’assurer le votedes Latinos, l’a promis durant la campagne: ce seral’une de ses priorités. Mais les partisans de la réformene sont pas dupes. Ils ont eu beau manifester àWashington au lendemain de son investiture, ilssavent bien que le président a beaucoup d’autres dos-siers sur son bureau. Crise économique, guerre enAfghanistan, retrait d’Irak, réforme de l’assurancesanté… La conjoncture ne joue pas en leur faveur. Uneétude publiée fin janvier par le Pew Research Centermontre que sur la liste des vingt premières préoccupa-tions des Américains, l’immigration ne se classe qu’en17e position. Quant au mur, Barack Obama pourraitêtre amené à poursuivre sa construction. Un récentrapport du Pentagone évoque la possibilité de voir legouvernement mexicain perdre sa guerre face aux nar-cotrafiquants et s’effondrer. La Maison-Blanche nesouhaiterait alors en aucun cas voir la guerre civile quis’ensuivrait franchir le Rio Grande. l

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Excès de sellucie souliac livre

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l y a ceux qui affichent fièrement leur particule et ceuxqui taisent leur nom. Ceux qui ne connaissent pasl’odeur du métro et ceux qui s’y engouffrent chaquejour. Bref, ceux qui vivent rive gauche et les autres. Dudéjà-vu me direz-vous? Peut-être. Sauf que non seu-lement Pierre Assouline s’en moque, mais il en joue.Que se passerait-il si ces deux mondes abattaient lamince cloison qui les sépare? De la curiosité malsaine,de la pitié voire du dégoût. Vous voilà prévenus.

Un soir de dîner mondain dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, un drame se produit: les convivessont treize à table. Malheur. Heureusement, unebonne âme résout rapidement le problème et enjointcelle que leur hôtesse préfère appeler Sonia, la domes-tique de la maison, à s’asseoir à table avec eux pourconjurer le mauvais sort.

Les barrières sociales s’effondrent. C’est l’incursiond’une Française issue de l’immigration maghrébinedans le microcosme parisien. Au fil des plats, on retireune à une les briques, avec l’appréhension de décou-vrir l’autre, celui qui vit de l’autre côté du mur.

Ni Française pure souche ni chrétienne, Oumel-kheir, la jeune Marocaine qui étudie l’histoire de l’art àla Sorbonne, prend place à table. « La Sorbonne, ce n’estplus ce que c’était, trancha Dandieu. Le niveau des profes-seurs est excellent; malheureusement, ils n’ont pas les élèvesqu’ils méritent. » Vous diriez sadique? À l’annonce dumot « Maroc », les convives se mettent à se dandinersur l’air de la chanson de Dalida: « Gâlu-lî wulît mah-bûl… Bambino! Bambino! Mâ zäl tabaz yâ bahlul… ».

Si l’on change de place pour s’asseoir à la chaised’Oumelkheir,qu’aperçoit-on? Une belle poignée d’or-gueilleux, chauvins, conservateurs, animés par la dic-tature du CAC 40 et qui n’apprécient l’art que pour savaleur monétaire… Un monde dont Pierre Assoulinesemble connaître les manières mais les exécrer, aupoint d’en rajouter. Le voilà qui abat cliché sur cliché,au risque d’une indigestion.

L’avocat spécialiste du divorce, Me Adrien Le Châte-lard, qui a la parole facile, délaisse sa femme Christina,surnommée La Présence pour son côté mystique.L’éternel célibataire Stanislas Sévillano comprend quecelle-ci est en fait atteinte d’un cancer. Ce qui échappecomplètement à la pimbêche Marie-Do, qui neremarque même pas que son époux, Son-Excellence-Alexandre, est devenu cocaïnomane. Joséphine, latyrannique productrice de télévision, le soupçonnait…Voyez le tableau. Seul le charismatique George Banontire son épingle du jeu. Mais c’est sûrement parce qu’ilest canadien.

Pierre Assouline, lui,utilise un imposant bélier pourabattre violemment les cloisons entre les convives. Lachute n’en est que plus rude. Ce dîner rue Las Casesse révèle finalement bien long et bavard. Les platsmanquent de nuances. Ils sont tous assaisonnés dela même sauce trop épicée qui masque les petitessingularités de chacun. On en ressort repu et perdu.Perdu de ne savoir démêler le vrai du faux des codesde cette société privilégiée. Alors, cher Pierre Assou-line, si je puis vous apostropher, que diriez-vousd’un déjeuner moins sophistiqué pour me révélerles raisons de cette recette si salée? l

ILes Invités

Pierre AssoulineGallimard, 207 p., 17,90 €

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cultures

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livre Après le mur,l’Europe

Effondrement du blocsoviétique,émergence

d’une Union européenneà vingt-sept états,

élargissement de l’Otan…En vingt ans,les relations

internationales ont étéprofondément

bouleversées.Docteur engéopolitique et fondateur

du site Internetwww.diploweb.com,PierreVerluise dégage les lignes

de force de la sagaeuropéenne.À travers denombreux témoignages

et entretiens,il donne desclés pour comprendre les

enjeux et les perspectivesde l’Europe du XXIE siècle.

SN20 ans après la chute

du mur, Pierre Verluise.Choiseul, 264 p., 20e.

expo Les mursd’Alger à Los AngelesThe Getty ResearchInstitute passe en revuel’histoire d’Alger des XIXe etXXe siècles. À travers desphotos, des cartes postales,des livres illustrés et desdessins, l’exposition Wallsof Algiers : Narratives ofthe City (Murs d’Alger,histoires de la ville)examine l’aspectarchitectural de la capitalealgérienne, marquée parune dualité entre l’héritagemusulman et laconstruction coloniale.SN«Walls of Algiers : Narrativesof the City ». Du 19 mai au 18 octobre2009 au Getty ResearchInstitute à Los Angeles.

musiqueUn anniversaire en concerts

Le 27 juin,la Cité de la musique célèbrel’anniversaire de la chute du mur de

Berlin en rendant hommage à MstislavRostropovitch.Le célèbre violoncelliste

avait interprété les Suites de Bach au pieddu mur.Vingt ans plus tard,c’est la

musicienne allemande Sonia Wieder-Atherton qui rejouera ce répertoire.

Un second concert réunira des artistesparmi les plus représentatifs de la scène

allemande depuis la chute du Mur,durock à l’électro.

SN«1989, Berlin ». Cité de la musique à Paris,samedi 27 juin 2009. Infos et réservations

sur www.cite-musique.fr

innovation Garden and sun,le mur écoloC’est une innovation écolo qui pourrait bien révolutionner l’habitat. Une façaderésolument éco-responsable a été dévoilée fin février au Salon des énergiesrenouvelables de Lyon. À l’origine du projet, deux entreprises lyonnaises leaders dansleur secteur. Tenesol, qui domine le marché français du photovoltaïque depuis vingt-cinqans, et Canevaflor, créatrice d’un premier mur végétal dépolluant installé sur le centre d’échange de Perrache. Leur dernière innovation combine une isolationthermique et phonique au traitement de l’air. Ajoutez à cela des panneaux solaires:les deux partenaires espèrent recouvrir des façades dans le monde entier. LC

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8 LE MUR 2 MAI 2009

cultures

page coordonnée par Laëtitia Cheyroux et Sophie Normand

Tourdu mondedes mursLa compagnie Ainsi de suite s’est mise enroute dès avril pour la Palestine, la Corée,le Mexique, Israël, Chypre et les États-Unis.L’arrivée est prévue à Berlin le 9 novembre.L’idée ? Présenter une pièce itinérante,Duo pour un mur, qui évoluera au fur età mesure des rencontres. Cette création,fondée sur un travail corporel et sonore,fait collaborer deux comédiens françaisavec des artistes locaux. Une histoire d’amourqui conduit au bout de trente minutes le personnage principal à passer de l’autrecôté du mur. À Chypre, des photossatellitaires de la planète seront projetées en continu sur un mur de bidons blancs et de fils de barbelés, comme il en existe dans la capitale Nicosie. Un film présentant ce travail sera diffusé à la fin de l’année dans les autres pays où, selon la compagnie,« se croyant protégé de ces horreurs en béton,on se heurte à un autre type d’architecture,celle des murs virtuels de plus en plus nombreux et non moins honteux ». LC

cinéma Entre les prixPalme d’or2008 au Festival de Cannes, césar de lameilleure adaptation en 2009… Entre fiction etdocumentaire, Entre les murs, le film de LaurentCantet, adapté du livre de François Bégaudeau, meten scène un jeune professeur de français confrontéà des élèves venus d’horizons différents. Difficilede leur inculquer les subtilités de la languefrançaise.SNEntre les murs - Édition collector - Blu-Ray. FranceTélévisions Éditions. Sortie DVD le 24 mars.

livre Le casse-têtedu Grand ParisComprendre les enjeux qui se cachent derrière la création du Grand Parisn’est pas toujoursun exercice évident.Dix équipes d’architectesplanchent actuellement surce projet.Frédéric Gilli,économiste et géographe,etJean-Marc Offner,ingénieururbaniste et politologue,tentent d’éclaircirméthodiquementles polémiques etcontroverses autour de ladéfinition de cet espace.L’ouvrage offre un bilancomplet de la situation.LCParis, métropole hors les murs :aménager et gouverner unGrand Paris, de Jean-MarcOffner et Frédéric Gilli.Les presses de Sciences Po,186 p., 12e

art Tag engagéDes artistes, membres du Forum palestinien Paix et

liberté des jeunes, proposent de peindre le message devotre choix sur le mur de Cisjordanie. La commande se

fait sur Internet. Pour 30 euros, ils tagueront le texte, sousréserve qu’il ne soit ni obscène ni haineux. Puis ils

enverront trois clichés de l’œuvre au commanditaire. Legroupe, lié à une association chrétienne néerlandaise,utilisera les sommes reçues pour soutenir des projets

sociaux, culturels et éducatifs en Cisjordanie. LCLes artistes peuvent être contactés sur ce forum:

www.sendamessage.nl

théâtre

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gaëlle darengosse juste un détail

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achez donc ces oisifs que nous ne saurions voir! Telpourrait être l’adage de notre société. Pas un regard,pas un mot pour ceux qui passent leurs heuresdésœuvrées au bas des immeubles, « ceux qui tiennentles murs ». Tout juste daigne-t-on susurrer cette for-mule maladroite et impersonnelle pour s’acquitter deleur présence. Dans le langage courant, cela revient ànier leur existence. Restent donc des murs.

Et soudain, au détour d’une rue de Pantin, dans labanlieue parisienne, une voix tonne: « Vous les journa-listes, vous nous tirez toujours le portrait de travers! On n’estni des fainéants ni des précaires… Je suis vendeur. Et si je tiensle mur, c’est parce que j’aime ça! »

Allons donc! Voilà que les murs ne seraient pas seu-lement porteurs d’exclusion et de division. Mieux, ilspourraient être… l’obscur objet du « plaisir ». Le motest lâché, la révolution enclenchée! Car, à bien y regar-

der, ces grands parpaings de béton agissent commeun miroir. Et que voit-on dans le reflet? Nous. Pressés,agités, engloutissant frénétiquement du macadam,un iPhone dans une main, un sac d’emplettes dansl’autre. À croire que l’homo citadinus se définit par lamaxime « J’agis donc je suis ». Que voit-on d’autre?Nous. Encore et toujours. En train de déambuler dansles couloirs des aéroports, au cœur des supermarchés,des gares, des stations de métro…

Ces espaces, l’anthropologue Marc Augé les nomme« non-lieux ».À l’ombre de ces murs,des milliers de per-sonnes se croisent en silence sans jamais se rencontrer.Pour le chercheur,cette situation paradoxale est mêmel’un des traits majeurs de notre société. Exit le liensocial, la cité se pense en termes d’efficacité et de rapi-dité. Jetez un coup d’œil à l’aménagement urbain desgrandes villes. Vous y verrez des barres de fer en guisede bancs dans le métro parisien,une place de la Victoireévidée à Bordeaux, des grandes allées lilloises épuréesou une place Arnaud-Bernard offerte aux bourrasquestoulousaines. Le message est clair : « Lâchez les murs etcirculez, siouplait! Y a plus rien à voir! »

Nos édiles ne sont pas en reste en la matière. Avecl’ouverture de la chasse à la mendicité dans plusieursvilles de France, l’apparition de boîtiers anti-jeunes enGrande-Bretagne, l’interdiction de se regrouper à plusde trois pour les mineurs à Montfermeil, les élus ontmontré un certain talent dans l’art de repenser la cité.C’est la loi de la rue! Le citoyen devient suspect, le trot-toir un lieu de crime de lèse-société, ne rien faire… uneprovocation délibérée.

Une provocation? Si une personne est passée maî-tresse dans l’art de briser les codes et de faire tomberles murs, c’est sûrement Bertrand Blier. Qui oseraitaujourd’hui faire déclamer à l’un de ses personnagesla tirade de Gérard Depardieu dans Les Valseuses:« Alors,on n’est pas bien là, à la fraîche, détendu du gland ? » Benoui, mon petit! C’est vrai qu’on est sacrément bien là,à la fraîche, à contempler. À s’émerveiller de cetteétrange jubilation que provoque ce film, trente-cinq ans après sa sortie. Le voyage au bout de l’ennuide nos deux bringuebalants suscite toujours cemélange d’admiration et de rejet, de gêne, et d’envie.

Pas sûr que « ceux qui tiennent les murs » aient vrai-ment voulu faire passer un tel message. Mais leur atti-tude est une invitation au changement. Si nous pre-nions le temps de « tenir le mur », que verrait-on? Unefoule d’anonymes pressés, agités, qui engloutissentgoulûment du macadam, un iPhone dans une main,un sac d’emplettes dans l’autre. Puis, une fois cettefureur dissipée, resteraient des murs. l

Les murs ne seraient pas seulement porteursd’exclusion et de division. Mieux, ils

pourraient être… l’obscur objet du « plaisir ».Le mot est lâché, la révolution enclenchée!

Car, à bien y regarder, ces grands parpaings debéton agissent comme un miroir.

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Abracada Brickvinciane haudebourg goûts

La feuille de brick est une voyageuse qui transcende

les frontières : du Maghreb à l’Europe, de l’assiette populaire

à la table des gourmets… La brick ou l’art du trait d’union.

n peu facile, direz-vous: la feuille de brick, ça sonnecomme brique,et la brique,ça rappelle le mur… L’aven-ture culinaire de la feuille de brick est pourtant seméede fantaisies sémantiques. Car elle est l’exemplemême de l’aliment qui démolit les murs culinaires,passe les frontières pour s’enrichir, abat les diktats dela gastronomie pour mieux cimenter les cultures dugoût. On l’appelle aumônière chez l’un, pastilla chezl’autre. Corolle sur une rive de la Méditerranée, samoussasur l’autre bord. Chaque pays se l’approprie et l’agré-mente à sa manière.

C’est en Tunisie que son histoire commence. AuXVe siècle, les habitants adoptent la pâtisserie turquenommée burak. Ils travaillent sa pâte fine, faite defarine de blé, et l’accommodent avec du sel et del’eau. Ce sera la malsuka, qui signifie « la feuille quicolle ». La feuille de brick est née.

Jetée sur une plaque chaude et ronde, étirée avecles doigts comme un mouchoir de soie, elle est l’ali-

ment traditionnel du ramadan. Salée, elle est à l’ori-gine garnie d’un œuf, puis de thon, et on la trouvedans les échoppes, entre les sandwiches et les bei-gnets au miel, pour une pause gourmande à Tunisou à Kairouan.

Dès les années 1960, elle est promise à un aveniroccidental. Elle part dans les valises des migrants, àl’assaut de l’Europe. Première halte en France où, ilfaut le dire, les crêpes bretonnes sont de solidesconcurrentes. Mais dans les années 1980, l’engoue-ment pour les cuisines du monde et l’industrialisa-tion du produit dans les supermarchés installent lafeuille tunisienne dans les habitudes alimentaires.Traditionnelle, elle se modernise. Simple, elle sesophistique. Salée, elle succombe au sucre. Elles’adapte et se cuisine à toutes les sauces: brick péri-gourdine à la volaille et au foie gras, brick alsacienneau chou et aux dés de saucisse… Entrée, plat, dessert,qu’importe, tant que ça croustille.

Même les grands chefs en raffolent. La maisonLenôtre propose ainsi un cours de cuisine spécialbrick. Au menu : croustillant de langoustine auxchampignons, croquant de crevettes et ris de veau,aumônière de pommes et raisins. Franchement cra-quant! Invitée dans la cuisine moléculaire des chefsnew-yorkais, la brick n’oublie pas ses originesmodestes et s’offre dans de nombreux livres derecettes. Quel esprit démocratique!

Sa grande rivale? La pâte à filo. Une feuille grecquede farine blanche que l’on cuit au four et avec laquelleon peut faire les nems. Encore plus fine que la brick,mais sans sa rondeur et pour cause: elle se présentesouvent sous forme de rectangle. Surtout ne lesconfondez pas. Et préférez la feuille de brick. Avec unbrin d’inventivité, elle bluffera tous vos invités. Elleest une source de créations insoupçonnées et le sym-bole d’un exotisme qui nous est devenu familier. l

extra Les bonnes feuilles de brickDeux titres à signaler : Connaissez-vous les bricks?70 recettes croustillantes, de Laurent Morel. SAEP5,90€. Bricks et papillotes, d’Aude de Galard, LeslieGogois et Delphine Brunet. Collection La popotte despotes, Hachette, 8,50€. LA

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le grand portrait

Ali, 28 ans. Il a fui l’Érythrée en pleine guerre civile.Dix ans d’errance à travers le monde et une force decaractère toujours intacte. Impossible de montrer sonvisage. Comme beaucoup, il préfère rester invisible.Photos Aurélie Veyret

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Ils sont 700 à se presser tous les soirs surles quais de Calais pour recevoir uneportion de repas chaud. Des réfugiésafghans, pakistanais, érythréens, pales-tiniens, égyptiens. Tous réunis danscette petite ville du nord de la France.Tous à errer dans les rues depuis la fer-meture du centre de Sangatte en 2002.Cet ancien hangar désaffecté d’Eurotun-

nel accueillait officiellement 800 personnes, mais en réa-lité plus du double s’entassait à l’intérieur et aux alentoursde cet énorme camp de transit. Depuis, des centainesd’hommes errent dans les environs avec un seul rêve:franchir le mur de la Manche pour atteindre un illusoireEden britannique. À Calais ou dans la « jungle », cette zonesabloneuse près du port où les migrants ont installé leurscampements, des bénévoles et des habitants apportent

Calais:l’impasse

Dans cette ville du Pas-de-Calais,

les migrants n’entendent pas souvent

le mot « Welcome ». Malgré tout,

bénévoles et habitants continuent à

leur tendre main, au risque de tomber

sous le coup de la loi. Portraits.

Hayat Gazzane et Rym Ben Ameur

Après deuxmois à traîner dans lesrues de Calais,Ali est étonnammentélégant.Port altier,barbe en collierbien taillée,cheveux courts soignés,habits propres.Difficile de croire qu’ildort dans un squat avec des centainesd’autres compagnons d’infortune,tous érythréens comme lui,qu’il peineà manger et à se laver.Mais le jeunehomme est un survivant,un coriacequi,à 28ans,est déjà revenu plusieursfois de l’enfer.Il raconte son histoiresans s’apitoyer,sans se plaindre uneseule fois.Les faits,juste les faits,qu’ildébite d’une voix lente,par bribes.« J’ai quitté l’Érythrée il y a dix ans,pendant la guerre contre l’Éthiopie.Mes deux grands

frères sont morts au combat.Quand l’arméea voulu m’enrôler,j’ai pris la fuite.J’ai toutquitté,mon père,ma mère,mes sœurs et lapetite boutique que nous avions à Asmara.»

Ali se lance alors dans dix annéesd’errance.Il traverse le Soudan,puislaLibye.Alors qu’il s’apprête à prendrele bateau pour l’Italie,la police libyennel’attrape.« J’ai passé six ans en prison,sans jugement,comme un chien. »Ildétourne les yeux au momentd’évoquer ce passage.Et incapabledel’exprimer avec des mots,il préfèremimer les coups qu’il a reçus.«J’ai cruplusieurs fois que j’allais mourir! » Libéré etplus déterminé que jamais,Ali reprendson périple vers l’Europe.Ildérive sur la

Méditerranée pendant neufjours,entassé avec 300autres clandestinsdans un minuscule rafiot.Il pose le pied en Italie,rejoint la France,et atterrit à Calais.«La vie ici est très dure,mais au moins j’ai l’espoir »,seconsole-t-il.De toute façon,impossible deretourner en Érythrée où les déserteurssont immédiatement arrêtés.Lucide,il sait qu’il ne reverra pas sa famille.Et maintenant? Plusieurs fois il a tentéde passer l’infranchissable mur de la Manche,mais il sait qu’il le fera de nouveau,« jusqu’au bout ».« Un jour, j’étudierai la biologie de l’autre côté,Inchallah »,murmure-t-il,le regard au loin.

AAllii llee ddéésseerrtteeuurr« Un jour, j’étudierai la biologie de l’autre côté »

confort et réconfort, tout en sachant qu’aider le séjour irré-gulier d’un étranger en France est illégal. Il y a deux mois,Ago, membre de l’association Salam, a ainsi été placée engarde à vue pendant quatre heures. Elle avait emmené desjeunes réfugiés afghans à l’hôpital. l

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Bonnet bleu sur la tête et souriregreffé au visage,Aman Safi est le genred’homme à avoir eu mille vies.À24 ans,ce jeune Afghan en paraît 35.« Ce sont les batailles de la vie qui m’ont faitces rides »,précise-t-il dans un anglaisfluide.Comme ses chaussures et sonpantalon troués en témoignent,celafait cinq mois qu’il erre à Calais.À desannées lumières de sa province deLaghman,à 100 kilomètres à l’est deKaboul.« J’ai fait des études.Je donnais descours d’anglais,j’enseignais l’informatique.Puis je suis devenu comptable auprès d’unbusinessman. » Une situationprivilégiée pour celui qui nourrissaitses six frères et sœurs depuis la mortde son père.

Mais tout bascule le jour où on luiannonce qu’il doit devenir traducteurpour les Américains et la presse.« Monnom apparaissait sur la liste des bilingues.On voulait m’envoyer dans des zonesdangereuses.Personne n’assurait la sécuritéde ma famille.Alors j’ai refusé.On m’a viré etje suis pourchassé aujourd’hui. » Sa fuitel’amène d’abord à Kaboul,puis enIran,en Turquie,en Grèce,en Italie etenfin en France.Aman fait un clind’œil.« Pour ce dernier voyage,j’ai squattéun train.C’était moins fatigant que demarcher. »

Un an et cinq mois de marche quile rapprochent vers l’Angleterre oùl’attendent deux amis.Aux dernièresnouvelles,sa famille est en Iran.Il est

parti sans leur dire au revoir.« Je lesrappellerai quand j’arriverai.J’ai hâte departir.Je serai mieux traité qu’ici ».Amanaime la France.Il y reviendra pourvisiter quand sa situation serarégularisée.« Ce pays est beau,mais pasquand on est migrant. » À Londres,il espère retravailler dansl’informatique.Le retour au pays?« Jamais de la vie.Je n’ai plus aucun espoirpour l’Afghanistan.Ce pays ne changerajamais. » Après deux tentatives ratéesde traversée,Aman Safi retenterasa chance dans un mois,le temps derécolter l’argent pour le passeur.« Cettefois j’y arriverai.Tu verras,je t’enverrai unmail »,lance-t-il dans un éclat de rire.Avant de disparaître dans la nuit.

AAmmaann SSaaffii,, ttrraadduucctteeuurr ttrraaqquuéé« Ce pays est beau, mais pas quand on est migrant »

le grand portrait

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C’est un tout petit bout de femme qui impressionne.Emmitouflée dans son keffieh,cigarette au bec,AgostinaFulghesu est un peu le stéréotype de la fille révoltée par la misère et prête à tout quitter pour s’engager auprès des plus démunis.C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait.Aînée de trois filles,des parents fermiers dans un «bled paumé » deLaconi en Sardaigne,Ago a tout plaqué à 22ans.Après avoirquitté le lycée artistique où elle étudie la céramique,elle estparachutée en Auvergne dans le cadre d’un servicevolontaire européen.«C’était une façon de découvrir le milieuassociatif.Et aussi l’occasion de partir gratos dans un autre pays.»Elle y prend en charge l’accueil des étrangers,monte unatelier d’artisanat et s’occupe de la basse-cour des châteaux.Là-bas,elle fera deux rencontres cruciales.«Celle de mon copain.Et celle de Yoann,un garçon venu travailler avec nous. » Yoann luiparle de Calais et de l’association Salam,créée à la fermeturedu centre de Sangatte en 2002.Et surtout,il lui décrit lasituation de centaine de réfugiés,abandonnés à leur sort.Elle décide de s’y rendre en décembre dernier.«C’est le voyagequi a changé ma vie.Ce que j’ai ressenti,je n’arrive pas à l’expliquer.Voir ces gens dans cette situation affreuse m’a fait comprendre que jene pouvais plus continuer ma vie peinarde.Alors j’ai quitté l’Auvergneet la formation agricole que j’avais commencée,et je suis restée.» À 25ans,Agostina est plus réaliste que rêveuse.«Les décisionssont prises par ceux qui gouvernent.Moi,j’aide. » Respectée par lesmigrants,elle est devenue un nouvel élément perturbateurpour la police aux frontières.Dernièrement,elle a faitquatre heures de garde à vue pour avoir transporté desAfghans à l’hôpital.« De la provocation»,dit-elle avec unsourire.Son projet:« Monter une association d’accueil à Calais,aller en Angleterre voir ceux qui passent,faire des passerelles avec lesautres associations. » Son slogan:« L’union fait la force. »

« Depuis la fermeture de Sangatte,j’ai honte d’être calaisienne! »s’exclame Mireille Lecoustre avec son accent du nord.Cette petite grand-mère ne mâche pas ses mots quand il s’agit de défendre les milliers de réfugiés errantdans les rues de Calais.Elle ne compte pas non plus ses heures pour les aider,depuis qu’elle a décidé de transformer son modeste deux pièces en « maison de convalescence » pour les malades et les blessés.

Son visage,marqué par le temps,se perd sous sesbouclettes rousses.À 55 ans,elle en paraît dix de plus.Lefruit d’une vie consacrée aux autres.Onze enfants à élever,dont le dernier,Kevin,16 ans,vit toujours avec elle,quelques années à trimer à l’usine,puis à vivoter du RMI.Et maintenant les réfugiés,ou plutôt les « enfants depassage»,comme elle aime les appeler.

Eux la surnomment affectueusement «mamy ».En cemoment,Mireille accueille troisjeunes Pakistanais arrivésdepuis quatremois.Ils viennent tous les soirs à partir de20heures pour se laver,dormir,panser leurs plaies,regarderun film,et surtout rire pour soulager un peu leurssouffrances.Mireille leur parle à grand renfort de signes,avec des bribes d’anglais,mais surtout avec le langage ducœur.«Ce ne sont pas des assassins,ni des voleurs,ils sonthumains,ce sont des enfants.Dans ce pays,on aide plus les chiensque ces hommes.Je ne peux pas rester sans rien faire quand je les vois.Je porte leur souffrance en moi »,explique-t-elle,émue.«Parfoisles gens de la ville me dévisagent au supermarché.J’ai perdu certainsamis,mais je marche la tête haute,je suis fière de ce que je fais poureux,jesais que j’ai sauvé des vies »,s’enflamme-t-elle avec unmélange de colère et de fierté.

En six ans,plus de 300 jeunes gens sont déjà venusfrapper à sa fenêtre.La plupart lui ont laissé une photod’identité qu’elle a soigneusement collée dans son album.Certains lui donnent encore des nouvelles,depuisl’Angleterre,dans le meilleur des cas.21 heures:letéléphone sonne.C’est la famille de l’un des réfugiés.Mireille sourit:« Il ne leur a pas parlé depuis des années! Quand jel’entends,là,au téléphone,j’ai les larmes aux yeux et je me dis que tout ça en vaut la peine. »

AAggoossttiinnaa FFuullgghheessuu,, ssoolliiddaaiirree« Je ne pouvais plus continuerma vie peinarde »

MMiirreeiillllee LLeeccoouussttrree,, mmaammyy bboonnhheeuurr« Je sais que j’ai sauvé des vies »

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irlande

Belfast, le ciment de la paix ne prend pasDepuis 1969, les murs entre catholiques et protestants se multiplient en Irlande du Nord.

Si la séparation limite de fait la violence entre les deux communautés, elle freine aussi

le développement économique de Belfast. Dans les quartiers populaires, l’appartenance

identitaire conditionne la vie de tous les jours. Charles Montmasson et Nicolas Chauvin

D eux kilomètres de béton,infranchissables, sépa-rent Falls la catholiquedu quartier protestant

voisin de Shankill. Dix ans après la fin desaffrontements entre séparatistes, opposésau maintien de l’Irlande du Nord dans leRoyaume-Uni, et unionistes, Falls reste unlieu symbolique. Le quartier est marquépar le portrait géant de Bobby Sands,hérosdes républicains catholiques, mort en pri-son en 1981 d’une grève de la faim. Safigure mythique orne le siège du Sinn Féin.Ce parti politique, dont les dirigeants sonttous d’anciens membres de l’armée répu-blicaine irlandaise (IRA, séparatiste), parti-cipe aujourd’hui à un gouvernementd’union avec ses anciens ennemis protes-

tants. Une paix relative, mais à quel prix?En briques, en bois, en fer, en tôle onduléesurmontée de barbelés… plus on s’éloignedu centre-ville de Belfast, où les deux com-munautés cohabitent,plus les murs (peace-lines) se multiplient.

Sur tout le territoire de l’Irlande duNord, les protestants sont majoritaires.Pasà Suffolk, une enclave de 900 habitantsnoyée dans l’océan de quartiers catho-liques de Belfast-Ouest. « Les grilles ? Ellesnous protègent des pierres que l’on nous lancedepuis la route », assure Ewan Suttie, le brasappuyé contre des grands barreaux d’acierflambant neufs. Ce père de sept enfantshabite le quartier depuis vingt-cinq ans. Ilse définit comme protestant. De l’autrecôté de la rue, Lenadoon, avec ses maisons

en brique identiques à celles d’Ewan, oùvivent des catholiques.

Des kilomètres de barrièresDans les quartiers populaires, les habi-

tants cultivent le souvenir des « troubles ».Uneuphémisme pour éviter de parler de guerre.Pourtant, le bilan est lourd: près de3500 morts entre 1969 et 1998. « Au cours desannées 1980, l’IRA a brûlé plusieurs maisons duquartier»,raconte Ewan.Alors que les protes-tants fuyaient Suffolk par dizaines, il s’y estinstallé pour chercher du travail.« Nous avonsprogressivement construit des barrières autour denos maisons»,se rappelle-t-il.Sur une dizainede mètres, les grilles sont toutes neuves.Elles constituent la dernière extension du« mur de la paix », des kilomètres de barrières

Bobby Sands, grande figure de l’IRA, symbolisela lutte pour l’indépendance.

Sur les murs qui séparent les quartiers catholiques et protestants, maissurtout sur les maisons individuelles, les gigantesques fresques muralesapparues il y a plus d’un siècle ne passent pas inaperçues. « On en recense plusd’un millier, explique Jean Guiffan, universitaire spécialiste des Celtes etauteur de nombreux ouvrages sur l’Irlande du Nord. Il suffit de les regarderpour savoir dans quel quartier on se trouve. Des références en gaélique à l’insurrectionde 1916, du vert, du blanc, de l’orange: on est côté catholique. La victoire de 1690, lescouleurs du drapeau britannique: on est côté protestant. »

Multicolores et omniprésentes, ces peintures enracinent les identités res-pectives et font partie du patrimoine. Dans le quartier catholique de Falls, lesourire figé de Bobby Sands accueille le visiteur. Chaque jour, Mary, résidentedu quartier protestant de Shankill, passe devant ces représentations identi-taires. Certaines glorifient l’Ulster, nom que les protestants donnent à l’Ir-lande du Nord,d’autres représentent les martyrs tués pendant les « troubles ».Cette jeune mère avoue « ne plus y faire beaucoup attention, car elles ont toujoursété là ». Les peintures, en revanche, font le bonheur des voyagistes qui orga-nisent en taxi ou en minibus, pour plus de 10 livres, des circuits dans Belfastà la découverte des « murals ». CM et NC

UUnnee gguueerrrree àà ccoouuppss ddee ppiinncceeaauuCatholiques ou protestantes, les fresques murales ancrent chaque quartier de Belfast dans une communauté.

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qui séparent catholiques et protestantsdepuis 1969. À cette date, l’armée britan-nique a introduit la séparation comme solu-tion « provisoire » aux violences. « Ce n’est pasl’idéal, reconnaît Ewan, mais la moindre allu-mette pourrait rallumer le brasier.»

À cheval entre les deux quartiers, unelongue maison abrite le Suffolk LenadoonInterface Group (Slig). L’association orga-nise depuis 1996 une garderie d’enfants etdes rencontres intercommunautaires. « Decette fenêtre, nous voyons les protestants de Suf-folk et, de celle-là, les catholiques de Lenadoon »,expose Cathal Tolan. Ce trentenaire animedepuis plusieurs années des ateliers pourles adolescents. « L’été dernier, nous avonsemmené six catholiques et six protestants à unconcours de pêche en République d’Irlande,explique Cathal en souriant.Il y a eu une his-toire d’amour entre deux jeunes d’origines oppo-sées. » Du jamais vu à Suffolk-Lenadoon.

Chômage, violence et drogueÀ Belfast, les « murs de la paix » atteignent

21 km de long. Il existe aujourd’hui 40 bar-rières, contre 18 en 1990. Depuis quelquesannées, la municipalité les considèrecomme un frein au développement desquartiers périphériques, et soutient desdizaines d’actions de rapprochementcomme celle du Slig. Des espaces partagésse développent peu à peu. On y trouvecommerces, services et initiatives cultu-relles pour les membres des deux commu-

nautés. Des projets encore rares mais quicréent des emplois.

Faire tomber les murs, une urgence, carl’Irlande du Nord reste le territoire le pluspauvre du Royaume-Uni.Les habitants de Belfastsont confrontés au chô-mage de longue durée, à laviolence et à la drogue. Iln’y a qu’à marcher dans lesrues et compter les centresde prévention au suicidepour prendre conscience dela détresse ambiante. Lesassociations misent beau-coup sur les jeunes, maisbutent sur la questionidentitaire (encadré).

Conal a 20ans. Il étudieau Queen’s College, dans lazone mixte du sud de laville. Tous ses amis sontcatholiques, comme lui.« Protestants,catholiques,noussommes faits pareils, explique-t-il, une pinte de Guiness àla main. Les murs sont le résul-tat de l’Histoire. » Pendantdes décennies, les catho-liques ont été marginalisés par le pouvoirprotestant. Une histoire qui a forgé deuxidentités antagonistes,estime Conal.« Je neme sens pas Nord-Irlandais, juste Irlandais,même si ce n’est pas écrit sur mon passeport. » l

Le maillot de football comme drapeau,FC Celtic pour les catholiques (ci-dessus),Glasgow Rangers pour les protestants.Des barrières entre les maisons: les protestants de Suffolk, à Belfast-Ouest,se barricadent (ci-dessous).

repères1921 Partition de l’Irlande :le sud indépendant, le norddans le Royaume-Uni.1967 Création d’uneassociation pour les droitsdes catholiques.14 août 1969 La policeréprime une émeutecatholique à Londonderry.15 août 1969 Renfortde l’armée britannique,qui construit les premiersmurs à Belfast. L’un d’entreeux sépare Shankill de Falls.1969-1998 Les « troubles»font près de 3500 morts.1998 Accords de paix, gouvernement commun.mars 2009 Deux soldatsbritanniques, puis unpolicier local sont tués par des dissidents de l’IRA.

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reportage

Ceuta, l’Espagneentre mer et barbelésL’enclave espagnole de Ceuta est un bout d’Europe dans le nord du Maroc. En 2005, elle

avait fait la une des médias: des migrants avaient péri sous les balles des gardes-frontières

en tentant d’y trouver refuge. Reportage dans une cité où se croisent réfugiés, vacanciers et

contrebandiers. Loubna Anaki et Raphaël Moran

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Files de taxis en pagaille,vendeurs à la sauvette,tas de marchandisesposés à même le sol… la

frontière entre le Maroc et l’enclave espa-gnole de Ceuta a des airs de souk. Côtémarocain, les derniers panneaux routiersindiquent l’entrée vers Sebta. Le royaumedu Maroc se refuse à utiliser, même enfrançais, l’appellation Ceuta, afin de rappe-ler qu’il revendique toujours ce bout deterre de 19 km2, héritage colonial de l’Es-pagne. Les médias officiels, eux, n’hési-tent pas à qualifier l’enclave d’occupée.

En ce mois de février, la traversée de lafrontière est rapide. Rien à voir avec l’été,où les nombreux couloirs grillagés reliantles postes de douanes se remplissent demonde. Pour l’heure, le va-et-vient defemmes marocaines courbées sous lepoids de leurs ballots de marchandisesconstitue l’essentiel des passages.

Ville départ de la contrebandeLessive, yaourts et électroménager – des

produits moins coûteux en Espagne – sontachetés au Polygone industriel, une zonemarchande constituée d’une trentained’entrepôts,collés au poste-frontière espa-gnol. La marchandise est ensuite intro-duite au Maroc sans droit de douanes,puisrevendue un peu plus cher.

Ces femmes, les bragdiates (contreban-dières) prennent au pied de la lettre le slo-gan de l’entité espagnole: Ceuta, la ciudadde las compras (la ville des achats). Une acti-vité illégale aux yeux des autorités maro-caines qui, officiellement, interdisent toutcommerce avec l’enclave. « En général, lesdouaniers marocains ferment les yeux. La plu-part du temps, les femmes passent, mais sontbousculées, traitées avec mépris », raconte enarabe un revendeur habitant à Ceuta. E

Quelque millegardes espagnolspatrouillent le long des 10km de frontière.Quatre-vingt mille personnes habitent à Ceuta, au nord du Maroc.

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reportage

Une fois le passeport tamponné parl’agent espagnol, on troque les dirhamspour les euros. Direction le bus numéro 7qui traverse l’enclave jusqu’au centre-ville. À bord, une majorité de femmesvoilées. Difficile de savoir qui est espa-gnol et qui est marocain. « De toute façon,ici, peu importe la nationalité, tu es chrétien,musulman ou juif. Sans autre nuance », confieHamza El Messari. Ce Marocain qui a faitses études à Ceuta reconnaît la difficultéde nouer des amitiés avec les Espagnols.

Le bus serpente dans le quartier ElPrincipe, appelé ici « quartier musulman ».Des barres d’immeubles semblables à

des HLM trônent au sommet de la col-line. Sur les murs, les inscriptions sonten arabe, tout comme les enseignes desmagasins et des restaurants halal. On secroirait dans un quartier populaire deRabat. Un décor qui contraste avec lecentre-ville.

Shorts moulants et djellabasAvec sa marina, ses immeubles médi-

terranéens et ses magasins de vête-ments de marque, le cœur de Ceuta res-semble à une station balnéaire de la Côted’Azur. La nuit tombe et l’appel du muez-zin retentit depuis la trentaine de mos-

quées que compte la ville. Dans les cafés,des familles dégustent des tapas et deschurros typiquement espagnols. Troislangues se mélangent, on parle castillan,arabe et rifain, le dialecte berbère du norddu Maroc. Un étonnant melting pot quel’on retrouve sur le front de mer. Entre lesfontaines à l’éclairage multicolore, desjoggeuses en short moulant côtoient desfemmes voilées en djellabas. Deux jeunesEspagnols déguisés en samouraïs et ungroupe de filles coiffées de perruque sepromènent en ce soir de carnaval.

« J’aime ma vie ici, mais ça peut deveniroppressant », avoue Ana Ruiz, une Ceuti de

longue date qui travaille aujourd’hui à laCroix-Rouge locale. « Avant 1994, il n’y avaitpas de barrière de sécurité. La forêt seule servaitde frontière », se souvient Ana. Mais le fluxde candidats à l’immigration en Europeaugmentant, l’Espagne a fait installer desgrillages.

En 2005, plusieurs centaines de Subsa-hariens ont tenté de pénétrer à Ceuta età Melilla, l’autre enclave espagnole située

à quelque 300 km plus à l’Est. Bilan desaffrontements avec les gardes-frontièresdépassés par le nombre : au moins 12morts, dont 6 à Ceuta. Ces arrivées mas-sives ont poussé les autorités espagnolesà renforcer les mesures de sécurité. Ceutacomme Melilla, uniques frontières ter-restres entre l’Europe et l’Afrique, sontmaintenant coupées du Maroc par desdoubles clôtures de 6 m de haut, flan-quées de fils barbelés.

Pakistanais, Ivoiriens, PéruviensLes flux de migrants ont décru depuis.

« Chaque année, ils sont tout de même plusieursmilliers à tenter d’atteindre l’Europe via Ceutacar franchir la barrière leur donne le droit dedemander l’asile. Et jusqu’à la décision admi-nistrative, la police n’a pas le droit de les expul-ser », explique Helena Maleno, spécialistedes questions de migration pour l’ONUet pour des ONG. « Récemment, j’ai même vuarriver à Ceuta une Péruvienne et une Domini-caine. Les réseaux de passeurs leur font croire queCeuta, c’est l’Europe. Mais l’enclave ne fait paspartie de l’espace Schengen. Elle a un statut par-ticulier et semi-autonome. »

Ceux qui parviennent à passer à Ceutasont envoyés d’office au Ceti, le centred’attente pour migrants. Actuellement,

« Ici,peu importe la nationalité,tu es chrétien,musulman ou juif.Sans autre nuance.» Hamza El Messari

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« Seuls les plus résistants arrivent à Ceuta. C’est comme une sélection naturelle »,constate un médecin chef de la Croix-Rouge. Ce périple, Ibrahim l’a réussi. Ilraconte son voyage vers l’Europe débuté il y a six ans pour trouver du tra-vail et venir en aide à sa famille. Des années de galère au Maroc et en Algériese succèdent. Les kilomètres aussi. Ibrahim en parcourt 300 à pied pour arri-ver aux portes de l’Europe. « Je ne pouvais pas prendre le train ou le bus. Si les poli-ciers marocains m’avaient vu, ils m’auraient renvoyé chez moi. »

Ce Gambien de 24 ans, qui en paraît dix de plus avec ses quelques cheveuxgris et son air posé, a tenté à plusieurs reprises de pénétrer dans l’enclave.« La première fois, j’ai acheté un gilet de sauvetage et j’ai essayé de passer à Ceuta lanuit, à la nage, depuis Fnideq, la ville marocaine voisine, mais la police m’a attrapé. »Même scénario lors de sa deuxième tentative de passage, mais par voie ter-restre cette fois-ci. « J’ai vécu dans la forêt à la frontière entre Ceuta et le Maroc. Puisun jour, j’ai tenté d’escalader la barrière, mais dès que je m’en suis approché, la Guar-dia Civil (gendarmerie espagnole) m’a tout de suite intercepté et remis à la policemarocaine », se rappelle Ibrahim dans un anglais plutôt fluide.

Le troisième essai fut le bon.Le 6 février dernier,Ibrahim a franchi la doublebarrière en béton surmontée de fils barbelés. « J’avais des gants. Je me suis justeblessé ici », raconte-t-il en montrant une petite cicatrice à son poignet gauche.« Par contre, je suis tombé dans la forêt et je me suis cassé l’épaule. J’ai ensuite marchéjusqu’à la ville et je me suis présenté à la police qui m’a emmené au centre d’attente. »L’attente. Ibrahim devra s’y faire à en croire les délais de décision administra-tive concernant les demandes d’asile. Sur les trois cents personnes actuelle-ment au Ceti, certaines vivent là depuis trois ans. L.A. et R.M.

IIbbrraahhiimm,, nnoouuvveell aarrrriivvaanntt àà CCeeuuttaaAprès deux tentatives infructueuses, par la mer et par la forêt, Ibrahim aréussi à rallier l’enclave espagnole. Il demande l’asile.

Ibrahim. Le 6 février 2009, le jeune Gambien a franchi la frontière de barbelés pour rejoindre Ceuta.

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trois cents personnes y sont hébergées etnourries, Pakistanais ou Indiens, mais sur-tout Ivoiriens ou Maliens. Au Ceti, 80% desdemandeurs d’asile sont d’origine subsa-harienne. « Leur nationalité est parfois floue,certains préfèrent mentir pour éviter l’expulsionlorsque l’Espagne a un accord de rapatriementavec leur pays », souligne Alfredo Campos,un responsable du Ceti.

Dans l’attente d’une décision adminis-trative, les réfugiés ne peuvent pas tra-vailler. Lorsqu’ils ne participent pas auxloisirs du Ceti, ils tuent le temps en errantdans la ville, avec pour seule contrainte de

respecter les horaires. Les allées et venuessont tolérées entre 7 heures et 23 heures.

Ceuta marocaine?D’autres organisations locales, l’Église

catholique, les églises évangélistes, laCroix-Rouge ou des ONG, aident égale-ment les candidats à l’immigration pourprendre des cours de langues et effectuerles démarches administratives néces-saires. Mais tous n’attendent qu’unechose, une régularisation ou une réponsepositive à leur demande d’asile pour pou-voir enfin gagner la « Péninsule », c’est-à-

dire l’Espagne, « la vraie, à 15 km de l’autrecôté du détroit de Gibraltar. « Par tempsclair, on pourrait presque la toucher du doigt,mais les clandestins qui arrivent ici ne veulentpas rester. Pour eux, ils sont encore en Afrique »,témoigne Ana Ruiz, bienplacée pour observer lesespérances des migrants.

L’immigration illégalen’est pas le seul sujet depréoccupation des autori-tés espagnoles. Ceuta, toutcomme Mellila, est unepomme de discorde terri-toriale avec le Maroc, quirevendique ces deux boutsde terre. En 2007, la visitedu roi d’Espagne a provo-qué une crise diploma-tique et des manifesta-tions de part et d’autre dela frontière. Au Maroc, on adénoncé un affront, pendant qu’à Ceuta,la population dans son ensemble scan-dait: « Viva el rey! » « Une fois, j’ai demandé àdes Marocains de la région s’ils voulaient queCeuta passe sous l’égide de Rabat, se rappelleHelena Maleno. L’un d’eux m’a répondu : Aucontraire. Les conditions de vie y sont tel-lement meilleures que l’Espagne devraitaussi annexer Tétouan et Tanger ! » Larégion n’en est plus à un paradoxe près. l

Après leurs achats à Ceuta, lescontrebandiers passent la frontière.

Le front de mer a des airs de Côte d’Azur.

Ceuta est aussi un carrefour entre mondes arabe et européen.

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Dates clésDu XIVe au XIXE SIÈCLE.Domination marocaine,puis portugaiseet espagnole.1994. Construction d’une barrière de barbelésautour de l’enclave.2005. Des centainesde migrants africains sontrefoulés lorqu’ils tententde passer côté espagnol.Bilan : au moins six morts.2006. La barrière passede 3 à 6 m de hauteur.

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Sur le premier réseau social mondial, 200 millions d’utilisateurs affichent leur identité sur

une page d’accueil appelée « wall ». Derrière l’aspect ludique, ce mur devient fossé entre

les internautes qui maîtrisent l’outil et les néophytes qui s’exposent à de vrais risques.

Tiphaine Saliou et Thibault Petithuguenin

Ce matin, Stanislas a pissésur Alex,Lucile fleure bonles patates au vacherin etCharlotte se demande ce

qu’elle va faire de sa facture EDF de392,16 euros.Des messages humoristiquesglanés au hasard sur les walls, murs vir-tuels, de Facebook, réseau social qui aséduit 2,2 millions de Français.Créé en 2004par Mark Zuckerberg, un étudiant améri-cain de Harvard, Facebook n’était au débutqu’un trombinoscope universitaire. Il estdevenu une plate-forme mondiale qui ras-semble, pêle-mêle, amis de trente ans etconnaissances d’un jour. Même les partispolitiques s’y sont mis pour recueillir denouveaux soutiens. Des profils d’ano-nymes côtoient ceux d’Olivier Besancenot,de Ségolène Royal ou de Valérie Pécresse.

Les vedettes comme les marques vendentleur image, les ONG vous invitent à adhé-rer à leur cause.Cour de récréation pour cer-tains,vitrine professionnelle pour d’autres:tous ont investi l’espace.

Le wall, lieu d’exhibitionSur les walls, chaque utilisateur peut

taguer en toute liberté.Mais on est loin desbombes de peinture. Il s’agit là de diffusersur sa page d’accueil une photo, une vidéo,lancer une adhésion au fan-club de JohnnyHallyday… Les messages à caractère person-nel ou officiel s’accumulent sur cette vitrineet entraînent souvent des réactions enchaîne des membres de la communauté.

Dominique Cardon,sociologue et auteurd’une enquête sur les réseaux sociaux, yvoit le reflet d’une « société de curiosité ». « Le

wall permet à l’utilisateur de faire de la commu-nication privée,mais en public. » Cette façon deprocéder relève, selon lui, de « l’exhib’ », dudésir de se mettre en scène. « Il faut afficherun caractère cool,être gai et théâtral,relève le cher-cheur.Pour preuve,les photos qui évoquent la tris-tesse sont très mal notées. » Un petit jeu d’ex-position qui conduit à une surveillanceaccrue entre les individus. On s’espionnegrâce au journal des amis : un condensé del’actualité de ses contacts, réactualisé àchaque connexion. « Sur la page d’accueil, lesannonces de ruptures ou de rencontres amoureusessont toujours fracassantes! »,s’amuse Alix,étu-diante à Paris. Rempart contre le mondeextérieur et la curiosité, le mur devient iciun lieu d’exhibition.

Aurélie, étudiante de 22 ans, utilise sonwall pour envoyer des messages ou prendrerendez-vous, comme elle le ferait par télé-phone ou par SMS. Elle contrôle à peine lecontenu publié par ses interlocuteurs etcensure très peu de photos. D’autres sontbeaucoup plus méfiants. Arthur, jeuneconsultant en audit, fait quotidiennementle ménage pour éviter les mauvaises sur-prises. « Je supprime les commentaires qui n’ontrien à faire sur mon mur, explique-t-il. Je faisaussi disparaître mon nom sur des photos où je nesuis pas à mon avantage, notamment celles engroupe. Plus il y a de monde sur un cliché, plus ladiffusion potentielle de l’image s’accroît. »

Simplification et pédagogieFacebook a aussi une dimension profes-

sionnelle. Un nombre croissant d’inter-nautes l’utilise comme carte de visite. Lesrecruteurs y trouvent leur intérêt poursélectionner des candidats. Dès lors, l’outilimpose quelques précautions. « Ce n’est pas

Il n’a laissé son profil publicque quelques mois.Cela a suffipour qu’un internaute usurpeson identité.Charles Nouÿrit,professionnel de l’internet etbloggeur confirmé,connaîtpourtant les réseaux sociaux.Début septembre,des amis luisignalent l’apparition de fauxprofils à son nom.Photo,adresseprivée:ses données personnellesont été récupérées et réutilisées.Sur Facebook,il découvrel’existence de plusieurs groupes àconnotation raciste qui ledésignent commeadministrateur et comptent près

de cinq cents membres.Uneatteinte à son image qui pourraitlui porter préjudice au niveau tantpersonnel que professionnel.

« Tout a commencé quand uninternaute s’est fait passer pour le président français de Facebook,explique Charles Nouÿrit.Il a escroqué tous les médias français.J’ai alors dénoncé cette mascarade et ce manque de vérification de l’information.» Le groupe de soutien à l’imposteurcommence alors à le harceler.Messages insultants,menacesde mort,faux profils…Le bloggeur décide de dénoncer

ces « fake » auprès de Facebook et écrit au président américain du réseau.Pas de réponse.« Ces comptes existent toujours.Je ne peux pas les supprimer,donc j’enai fait mon deuil,confie CharlesNouÿrit.Je n’ai plus de recours,sauf à porter plainte contre Facebookaux États-Unis.Mais cela coûterait des milliers d’euros.» Aujourd’hui,le bloggeur contrôle étroitementles données qui circulent sur son compte.Mais ne s’est pasdésinscrit pour autant de Facebook.«Les gens qui meconnaissent savent identifier mon vrai profil. »

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MAI 2009 LE MUR 2 23

un lieu virtuel, mais un média, rappelle KarinePapillaud, journaliste et coauteur du livreBienvenue sur Facebook. Il est important de nemettre sur sa page que ce que l’on peut assumerdans la vie réelle. »

Or, le fossé entre les utilisateurs aguer-ris et les non-avertis se révèle au quoti-dien. La plate-forme est simple d’utilisa-

tion et les possibilités infinies. Problème:les options de confidentialité, bien qu’ap-parentes sur le site, sont souvent mécon-nues et peu utilisées du public. L’utilisa-teur occasionnel ignore bien souvent que

l’on peut fermer l’accès à son profil etcréer des cercles restreints d’amis, seulsautorisés à visualiser photos, vidéos ouinformations personnelles.

Se dévoiler, donc… Mais en contrôlantson image. Un équilibre précaire. Malgrétoutes les options de confidentialité, dèsqu’un contenu est partagé par plusieurs

utilisateurs, il devient public. Les informa-tions restent sur Facebook même si onsupprime son compte. « Actuellement, il y aun débat pour savoir quelles sont les données quinous appartiennent vraiment, explique

Patrice Bonfy, traducteur du blog InsideFacebook. De toute façon, une constitutiondevrait voir le jour prochainement avec une défi-nition claire de la propriété de l’information et dudroit de Facebook sur ces données. »

Une clarification qui permettra aux usa-gers de mieux apprendre à préserver leurprofil des voyeurs en tout genre? D’autressolutions plus pédagogiques sont à l’étudepour améliorer la protection des utilisa-teurs. En Grande-Bretagne, le gouverne-ment envisage ainsi de dispenser une for-mation spécifique aux élèves d’écoleprimaire. L’objectif est de familiariser lesenfants avec les blogs, les podcasts, Wiki-pedia et Twitter, concurrent direct de Face-book.Face à un outil trop puissant pour denombreux utilisateurs, l’éducation reste lemeilleur rempart. l

«Ce n’est pas un lieu virtuel,mais un média.Il estimportant de ne mettre sur sa page que ce que l’on peutassumer dans la vie réelle.» Karine Papillaud, journaliste

Le wall de Facebook. Simple espace d’exposition pourles uns, plate-forme d’exhibition pour les autres.

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24 LE MUR 2 MAI 2009

société

Parisdesserre la ceintureLe périphérique, cette bande d’asphalte qui enserre la capitale, est sur le point de sauter.

Du moins symboliquement. Depuis les années 2000, les projets d’extension de la capitale

sortent des cartons un à un. Mounir Soussi et Élodie Largenton

Obtenir d’un Parisienqu’il se déplace en ban-lieue le temps d’une soi-rée rélève souvent de la

mission impossible: « Ah, t’es de l’autre côtédu périph, c’est trop la galère pour venir, une pro-chaine fois peut-être… » Toute une symbo-lique gravite autour de cette ceintureurbaine séparant deux mondes.

Pour casser les préjugés, l’associationDiverses Cités et la photographe Julia Cor-donnier ont eu une idée : envoyer dixjeunes Parisiens photographier la ban-lieue Nord, et dix habitants de Seine-Saint-Denis prendre des clichés de Paris.L’expérience a débouché sur une exposi-

tion où, lors du vernissage, une Pari-sienne avoue « qu’elle se verrait bien vivre enbanlieue ».

À travers différents colloques, articlesdans la presse ou la promotion des

théâtres de Gennevilliers et de Montreuil,élus et habitants cherchent à décloisonnerles territoires. « C’est un véritable processus deconstruction symbolique de l’espace métropoli-tain ouvert sur ses banlieues », analyse Domi-nique Pagès, maître de conférence en

sciences de l’information et de la commu-nication à la Sorbonne. Selon elle, un plande communication est à l’œuvre depuisune dizaine d’années pour présenter lesvilles situées de l’autre côté du périphé-

rique comme faisant partie intégrante dela capitale.

Objectif : faire évoluer les mentalitésavant de changer le visage de la capitale. Lelifting de la ville lumière est sur l’agendapolitique de nombreux candidats. Les

Périphérique. Édifiéentre 1958 et 1973,

le périphérique parisienmesure 35,04 km de

long, comprend156 bretelles,6 échangeurs

et 44 diffuseurs,148 ponts et

105 souterrains,24 écrans phoniques

et 324 panneaux àmessages variables.

Il est surveillé par99 caméras,

199 stations decomptage et

759 capteurs.

« Le périphérique ne correspond en rien à la réalitésociologique et économique de la région » Jean-Paul Chapon

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deux principaux sont Bertrand Delanoë,avec sa plateforme de discussion ParisMétropole, et Nicolas Sarkozy avec sonGrand Paris. Les porteurs de projets s’ac-cordent sur le fond pour créer une capitaleà l’image des grandes métropoles mon-diales. Mais ils s’opposent sur la forme quedoit prendre cet ensemble et surtout surles questions de gouvernance. En clair, larépartition des pouvoirs dans ce nouvelespace fait grincer les dents de certainsédiles franciliens de premier plan. Ce quidonne un discours aussi harmonieuxqu’une classe de 6e qui interprète ses pre-mières notes à la flûte (encadré).

Paris, micromarché d’exceptionLa foire d’empoigne est logique. Celui

qui aura le pouvoir sur l’Ile-de-Francecontrôlera une région au PIB équivalent àcelui des Pays-Bas. Avec environ 500 mil-liards d’euros de richesses produiteschaque année, la zone francilienne repré-sente 30% de la richesse nationale.

Des querelles politiciennes dépasséespour Jean-Paul Chapon. Le rédacteur dublog Paris est sa banlieue est persuadé queles habitants de la région possèdent untemps d’avance : « Dans les faits, noussommes déjà tous des Grands Parisiens, le péri-phérique est une frontière artificielle, elle ne cor-respond en rien à la réalité sociologique et éco-nomique de la région. » Pour ce passionnéd’urbanisme, Paris s’étend bien au-delà deses vingt arrondissements.Il cite l’exempledu quartier d’affaire de la Défense, pou-mon économique à cheval sur Puteaux etCourbevoie (Hauts-de-Seine), situé à 4 kmde la capitale.

Paris va s’ouvrir, ce n’est qu’une ques-tion de temps, mais un fait risque de per-durer: le coût exorbitant des logementsintra-muros. Philippe Anès, agent immobi-lier dans le 17e arrondissement expliqueque « Paris est un micromarché d’exception.Les prix resteront toujours plus élevésqu’ailleurs car, d’une part, la demande estconstante et, d’autre part, il y a trop peu deconstructions pour y répondre, il est doncimpossible que les prix baissent ». Une diffé-rence de taille, un mur qui subsisteraentre les Parisiens et les « anciens banlieu-sards », celui du pouvoir d’achat. l

Grand Paris 2030. Une grande gare, destours, un centre d’affaires et un tramway :

dans le projet de l’Atelier Christian de Portzamparc, Aubervilliers devient

l’un des centres du Grand Paris.

Si à droite comme à gauche,on s’accorde sur la nécessité de repousser les frontières de Paris,un consensus est bien plusdélicat à trouver concernantla réalisation du projet.Lesrapports de force entre lesélus locaux sont exacerbéset créent la confusion.

Nicolas Sarkozy annonceen juin 2007 sa volonté defonder un Grand Paris.Unemanière pour le présidentd’affaiblir le conseil

régional et le maire de Paris(PS) en supprimant lesconseils généraux du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis.Le département desHauts-de-Seine serait aussisacrifié,ce qui a entraînél’opposition de PatrickDevedjian (UMP).RogerKaroutchi,ex-candidat UMPaux élections régionales demai 2010,ne cache pas nonplus ses réticences.

La droite recule,NicolasSarkozy a mis en attente le

rapport rendu le 25 févrierpar Édouard Balladur.La gauche semble ainsiprendre le dessus.BertrandDelanoë et son adjointcommuniste,Pierre Mansat,ont créé en juin 2008 unsyndicat intercommunal,Paris Métropole.Un projetqui rassemble la gauchefrancilienne.

Jusqu’à présent,lescitoyens n’ont jamais étéconsultés.

M.S. et É.L.

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Les frontières successives de Paris

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26 LE MUR 2 MAI 2009

portfolio

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MAI 2009 LE MUR 2 27

Symbole de la lutte palestinienne,

le foulard de Yasser Arafat est

devenu un objet à la mode, au point

qu’il s’est même affiché

sur les podiums des créateurs.

Mondialisation oblige, les keffiehs

« made in China» inondent

le marché et menacent

sérieusement la production

palestinienne. Le photographe

Benoît Faiveley est

passé de l’autre côté du mur érigé

par Israël pour visiter la dernière

usine cisjordanienne

où on le fabrique, à Hébron.

Résigné, Yasser Hirbawi, propriétaired’une usine de keffieh à Hébron, au sudde la Cisjordanie, contemple ses métiersà tisser en quasi-inactivité.

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28 LE MUR 2 MAI 2009

Faute de commandes, les métiers à tisser prennent la poussière. Abdel Aziz al Karaki, l’unique employé de l’usine, s’attache à garder en état ces machines expliquant le code de couleur du keffieh : « Le noir et blanc, c’est le keffieh du Fatah et de Yasser Arafat. Le rouge et le blanc,

celui du Front Populaire de Libération de la Palestine, le vert et le blanc, celui du Hamas, mais on n’a pas tellement de demandes pour ceux-là. »

Yasser Hirbawi, s’allumant une cigarette : « Je suis prêt à répondre à la demande des marchés de Cisjordanie et de Gaza. Il faut juste que l’autoritépalestinienne n’autorise plus les importations chinoises. »À gauche, Imad Thiabeh, plus grand importateur de keffiehs dans les territoires. Il vend sur le marché palestinien des milliers d’écharpes synthétiques.Les Palestiniens ne sont pas les seuls à porter ce foulard. Moshe Harel, dessinateur industriel israélien, est à l’origine du keffieh frappé de l’étoile deDavid. Installé dans la périphérie de Tel Aviv, il a voulu créer un keffieh typiquement israélien, produit aussi en Chine : « Puisque de toute façon, le peuplejuif a historiquement porté les mêmes habits que les Arabes, c’est une sorte de nostalgie de recréer le keffieh… Pour nous, Israéliens, ce n’est pasun article de mode, c’est un article qui va rester dans la tradition de la région. »

portfolio Le keffieh au pied du mur

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MAI 2009 LE MUR 2 29

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30 LE MUR 2 MAI 2009

Remplaçant du drapeau palestinien, le keffieh était interdit par Israël jusqu’au milieu des années 1990.Lors des manifestations contre l’armée israélienne, il permet de se masquer le visage et protège des gaz lacrymogènes, comme ce jeune Palestinienà Bil’in, en Cisjordanie.

portfolio Le keffieh au pied du mur

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Le pas lent et vouté, Yasser Hirbawi passe enrevue les métiers à tisser alignés dans l’ate-lier qu’il dirige depuis quarante-cinq ans surles hauteurs de Hébron, dans le sud de la

Cisjordanie. Des quinze machines qu’il avait importées duJapon au début des années 1960, seules quatre sont enactivité.

Les saccades de la navette dessinent dans un fracasmécanique le damier noir et blanc du keffieh, le foulardtraditionnel palestinien dont le vieil homme est l’ultimeproducteur dans les territoires occupés. Les autresmachines ont été arrêtées voilà cinq ans, faute de com-mandes. « La concurrence des produits textiles chinois a tué moncommerce », soupire Yasser Hirbawi, âgé de 78 ans. À la belleépoque, l’usine de la famille Hirbawi produisait près de150000 pièces par an. Un essor nourri par l’irruption sur lascène politique des fedayins de l’Organisation de libéra-tion de la Palestine (OLP) et du premier d’entre eux,YasserArafat, dont l’inamovible coiffe devint la signature dumouvement national palestinien. « Tous les lanceurs depierres de la première Intifada se devaient d’avoir le visage mas-qué d’un keffieh », raconte Yasser Hirbawi. Dans les années1990, le boom du tourisme en Terre sainte avait égalementpermis d’alimenter le carnet de commandes de l’atelier.La crise commence au tournant des années 2000, avec lamontée en puissance de l’économie chinoise, la dérégu-lation croissante du commerce et le déclenchement de laseconde Intifada. Plus chers que leurs concurrents, les kef-fiehs « made in Palestine » sont aussi pénalisés par les check-points de l’armée israélienne qui entravent les livraisons.

Deux usines de keffieh, à Hébron et Naplouse, cessentleur activité. Celle de la famille Hirbawi ne fonctionne plusqu’au ralenti, avec 15 000 pièces par an et une poignéed’employés.« Même les écharpes à l’effigie d’Arafat et avec l’ins-cription “Jérusalem est à nous”, que le Fatah a distribuées àl’occasion de son anniversaire au début de l’année, venaient deChine », maugrée Izzat Hirbawi, le fils de Yasser.Benjamin Barthe (correspondant du Monde, à Ramallah)

Le photographe• Benoit Faiveley, né en 1978, est diplômé du Centrede formation des journalistes en 2005.• Il travaille ensuite pour France 2 et M6, puis part s’installerentre Jérusalem et les territoires palestiniens, où il estcorrespondant pour Le Télégramme, La Presse etL’Hebdo.• En 2006, il couvre la guerre entre Israël et le Liban pour le compte de la TSR et la RTBF.• Il réalise en 2008 un reportage sur la dernière fabrique de keffiehs en Palestine. Ce documentaire mélangephotos et vidéo. Il a été diffusé en mars sur Al-Jazeera.

Mort annoncée du keffieh «made inPalestine»

Des scouts paradent à Ramallah. Dans une autre rue de Ramallah, une affiche de Yasser Arafat résiste au temps.

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32 LE MUR 2 MAI 2009

musique

Quand la musique adoucit les mursDepuis quelques années, les cours de musique s’infiltrent en prison. Malgré une mise en

place laborieuse, ils sèment quelques notes d’espoir et d’humanité. Tangi Loisel

Bruit de porte qui claque.Clé qui tourne. Des pasqui résonnent.Fermez lesyeux:vous êtes en prison.

Il n’y a pas que les murs et les barreauxpour décrire l’enfermement.Les sons aussirappellent cette condition. La musiquedevient alors un havre de paix. Ou plutôtune oasis, parce qu’elle se fait rare.

Elle ne peut s’écouter que dans les cel-lules. Et impossible de faire venir ses CDpersonnels: il faut les acheter neufs, toutcomme la chaîne hi-fi. C’est donc souventla télévision, branchée en permanence surMTV ou MCM, qui fait office de radio musi-cale. Un problème pour Michael Andrieu,musicologue, auteur d’une thèse sur lamusique en prison1. Selon lui, c’est un rap-

port « passif et subi à la musique », car il estimpossible pour le détenu de choisir sesmorceaux.

Mais pour les prisonniers, ce n’est pasl’amour de la musique qui l’emporte. Onl’écoute pour se sentir moins seul, surtoutla nuit. « C’est le moment où on pète lesplombs », se souvient Paul Denys2, qui apassé 34 mois derrière les barreaux de plu-

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sieurs prisons de l’est de la France.Une his-toire de fraude fiscale. « Les surveillants sontmoins sévères, et certains détenus en profitentpour mettre le volume à fond. » Le poste radiopositionné sur le rebord de la fenêtre pouren faire profiter tout le monde, la musiquedevient alors un moyen de sociabilité. Lesplus malins vont jusqu’à utiliser les lava-bos (avec un unique siphon pour toutl’étage) comme diffuseur acoustique. Pasvraiment la panacée pour se délecter dedouces mélopées…

Des partitions inégalesL’accès à la culture est pourtant une obli-

gation légale,même pour les détenus.C’estla déclaration universelle des droits del’Homme qui le dit. Depuis 1986, les minis-tères de la Culture et de la Justice ont doncsigné un protocole d’accord pour faireentrer la musique en prison. Un plan avecbeaucoup d’ambitions, mais peu d’effetssur le terrain.Et plus de vingt ans après,desinégalités de traitement existent encoreselon les établissements. « C’est souvent lecadet de leurs soucis », déplore Delphine Gou-lian,chargée du développement des actionsculturelles au service pénitentiaire d’inser-tion et de probation (Spip) du Morbihan.

En première ligne,les conseillers d’inser-tion et de probation sont responsables del’organisation des activités musicales. Unetâche parmi tant d’autres pour ces tra-vailleurs sociaux qui doivent déjà compo-ser avec la surpopulation carcérale. D’oùl’appel à des intervenants extérieurs pourcoordonner le tout.Dans le Morbihan,c’estla Ligue de l’enseignement qui s’en occupedepuis 2003.L’une des premières en France

à s’emparer de ce champ d’activité. À sonactif: l’organisation de cours de musiqueet de concerts ainsi que l’aide à la forma-tion musicale des détenus.Le tout encadrépar des professionnels de la musique.

Avec, à la clé, des moments magiques.« Un détenu était bouleversé après un concertde Barbara Luna que nous avions organisé, sesouvient Emmanuelle Le Menach,chargéede mission culturelle pour la Ligue de l’en-seignement. Il m’a dit que je lui avais apportéla lumière. » En prison, la musique revêttout son sens. « Elle procure émotion, évasionet oubli du quotidien, estime Erwann Savina,coordinateur de l’association. La culture,c’estce qui nous rend humain. Elle est nécessaire dansun lieu où l’on se retrouve seul face à soi-même. »

Clara Baudelin est responsable duGenepi Atlantique, l’association étudiantespécialisée dans l’enseignement en prison.Même en tant que « baroudeuse » des mai-sons d’arrêt, elle se souvient avec émotiondu moment où elle a pu introduirequelques notes dans cet univers. « Lorsqueje donnais des cours de piano en 2004, j’ai étéimpressionnée par la soif d’apprendre des déte-nus. » L’élève qu’elle a suivi pendant uneannée ne connaissait pourtant rien à lamusique. Et comme l’accès aux instru-ments est interdit en l’absence d’un inter-venant, Clara a dessiné un clavier sur unbout de papier pour qu’il puisse répéterentre deux séances. « Parfois,il me demandaitjuste de jouer. Et il écoutait religieusement. »

Une barrière invisibleCes actions restent fragiles. Il faut com-

poser avec la direction de la prison, dont labienveillance n’est jamais acquise, et desrègles de sécurité draconiennes.Ainsi de laprison de Plœmeur où, en 2007, un groupede musique exclusivement composé dedétenus a pu être formé.« Le jour du concert,

nous avons dû tout annuler car la sécurité arefusé de faire entrer les instruments », se sou-vient Erwann Savinas. Mais pour lui, pasquestion de parler d’échec. « L’important, cen’est pas le résultat. C’est d’avoir pu les aider àoublier où ils étaient, le temps des répétitions. »

Alors, certes, la musique s’infiltre peu àpeu derrière les barreaux. Mais il reste undernier mur entre les prisonniers et lamusique : eux-mêmes. Emmanuelle

Le Menach l’explique : « C’est récurrent. Àchaque concert, les détenus se mettent toujoursen fond de salle. Comme si une barrière invisibleexistait entre la scène et le public. C’est très par-ticulier comme ambiance. » Les musicienssont souvent surpris par cet accueil assezfroid. Pour Paul Denys, l’explication estsimple: « Ce n’est pas forcément par goût pourla musique que des détenus assistent à cesconcerts. C’est surtout un moyen de passer letemps et de papoter avec des détenus d’autresétages. C’est long la vie en prison. » l

1. Michaël Andrieu, De la musique derrièreles barreaux, l’Harmattan, 2005.2.Paul Denys tient un blog sur sonexpérience en détention :1019joursdedetention.blogs.nouvelobs.com

« La musique provoque émotion,évasion et oubli du quotidien.Elle est nécessaire dans un lieu où l’on se retrouve seul face à soi-même » Erwann Savina

Musicien. Rares sont les établissementspénitentiaires où les détenus peuventprendre part à des ateliers de musique.Mirador d’une prison. Dans le milieucarcéral, l’univers sonore est pesant.

Repères La culture en milieu carcéral25 janvier 1986 Premier protocole entre les ministères dela Justice et de la Culture qui définit les principes de l’actionculturelle en milieu pénitentiaire.15 janvier 1990 Second protocole précisant quatreprincipes de fonctionnement : partenariats avecdes structures culturelles locales, recours àdes professionnels, mise en place d’une programmationannuelle de qualité et évaluation des actions réalisées.14 décembre 1992 Circulaire relative au fonctionnementdes bibliothèques et au développement des pratiquesde lecture dans les établissements pénitentiaires.30 mars 1995 Circulaire des deux ministères ayant pourobjet « la mise en œuvre de programmes culturelsadressés aux personnes placées sous main de justice ».15 décembre 2006 Convention d’objectifs pour unedurée de trois ans entre le ministère de la Culture et l’Écolenationale d’administration pénitentiaire (Enap), destinée àpromouvoir une dimension culturelle du milieu pénitentiairedans un objectif de réinsertion des personnes placéessous main de justice.

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34 LE MUR 2 MAI 2009

design

A vec quelques grammes debéton, on peut partir à la mer,même si on est bloqué au13e étage de sa tour. » Une

conviction au cœur de l’œuvre de MilèneGuermont. Son béton est une invitationau voyage. Ingénieur de formation, elle estaussi diplômée des Arts Déco de Paris.Très tôt, elle étudie le « luxe émotionnel » etcrée des panneaux de béton haute techno-logie qui, sous une caresse, émettent lebruit de la mer grâce au champ magné-tique dégagé par la personne qui lestouche. Robe noire, démarche féline, sau-toir et bracelet en ivoire, Milène Guermontressemble à une de ces étudiantes

choyées du 16e arrondissement. Elle n’apourtant rien d’une starlette. Quand ellecrée, elle troque ses jupes contre une com-binaison de chantier. Volontiers rêveuseet poétique lorsqu’elle évoque ses réfé-rences ou auteurs préférés, la petite bru-nette est avant tout un concentré d’éner-gie, une force créatrice sans cesse enmouvement.

Elle surprend tous les partenaires ren-contrés. « Quand j’ai découvert que cette petitebonne femme haute comme trois pommes bras-sait du béton,lui insufflait cette poésie et lui don-nait une dimension humaine, j’ai été épatée »,reconnaît Christine Pirreda, adjointe à laculture à la mairie du 8e arrondissement.

Enthousiaste, elle lui a ouvert les portes degaleries d’art moderne.

La lune à portée de mainLa référence de l’artiste de 28 ans :

Proust et sa madeleine. À la recherche dutemps perdu est d’ailleurs son livre de che-vet. De la même manière que le biscuitfait ressurgir les saveurs de l’enfance chezl’écrivain, un mur froid évoque un jour àMilène les vagues de sa Normandienatale. « Tout est parti d’une sensation. C’étaità Genève, j’ai touché ce béton et je me suis sen-tie partir à la mer, transportée », confie-t-elleen fermant les yeux. Elle crée alors denouveaux types de béton et révolutionne

Le bétonen talonsMilène Guermont manie le béton comme d’autres la peinture. En quelques œuvres,

elle s’est approprié avec sensibilité un matériau jugé triste et froid. Camille Andres

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la sculpture en associant au regard le tou-cher et l’ouïe.

Grâce à son « béton-cratère », un matériauqui reproduit la surface de la lune dansSecond Moon, l’astre est à portée de toutesles mains. La démarche est soutenue parl’astronaute Patrick Baudry, sous lecharme de ses créations: « Milène réussit àfaire accéder à ce que l’humain sait parfois trou-ver de plus beau dans le monde qui l’entoure,qu’ilsoit proche ou lointain. »

Working girlPourquoi le béton? « Le pouvoir d’émotion

de cette matière omniprésente, qui loge des mil-lions de gens, m’intéresse. » Et si ce matériauvéhicule nombre de préjugés négatifs,« gris, froid, cassant », Milène s’évertue à lesfaire tomber.

Capteurs, fibres optiques, recours aunumérique et à l’interactivité… la « techno-logie hallucinante » qu’elle utilise fascinePierre Cornette de Saint-Cyr, président duPalais de Tokyo: « Avant,on regardait les sculp-tures, là il faut toucher.Elles prennent vie en fonc-tion de chaque individu, c’est une réelle origina-

lité. » Milène en est consciente. �En vraiefemme d’affaires, elle cumule les rendez-vous, conçoit ses communiqués de presseet newsletters… et contrôle son image. Trèsambitieuse, elle mène plusieurs projets defront entre Paris, Miami et New York. Ellea déjà fait breveter quatre types de bétonhaute technologie et s’apprête à commer-cialiser une série de panneaux en béton-cratère avec une grande enseigne de maté-riaux de construction.

Pour édifier ses murs, Milène en adétruit beaucoup d’autres. Son parcoursatypique se moque des querelles de cha-pelles entre les différentes écoles. « Je suis àla croisée de l’art et de la science, j’ai fait les artsdécos et remporté un concours d’architecture »,rappelle-t-elle. Pour l’heure, sa plus grandesatisfaction est « d’avoir réussi à faire venir desspécialistes du béton dans les musées ».

C’était il y a quelques semaines à l’ArtBasel de Miami, la plus grande foire d’artcontemporain actuelle, pour l’inaugura-tion de Mon Amour, un chaos de 120 m2 deparpaings au cœur duquel battent troisplanètes en béton polysensoriel. « Le boss

de Titan America m’a offert un casque de chan-tier, je me suis baladée avec toute la soirée »,rigole-t-elle. Le couvre-chef est d’ailleursdevenu sa signature. Elle en a affublé lepersonnage principal de sa prochaine créa-tion, Renaissance. Il s’agit d’un avatar deRosie la Riveteuse, ce personnage de« munitionette » musclée affiché sur tousles murs des États-Unis pendant lesannées 1940 pour inciter les femmes à tra-vailler dans les usines et contribuer à l’ef-fort de guerre.

L’idée lui est venue avec l’élection deBarack Obama. « Les États-Unis me semblenten pleine reconstruction, balayés par un ventd’optimisme. J’aime leur énergie. Ainsi, j’ai gravéRosie sur 17 dalles de béton avec un procédé quej’ai inventé. » Le travail sera exposé en avrilau New Art Center de New York. Les dallesformeront un U et un S « pour signifier Nous,mais également USA ». À travers le « We cando it » de Rosie, c’est le « Yes we can »d’Obama qui résonne.

Le prochain mur à franchir? « Un projetd’architecture en plein cœur de Paris, conçucomme une œuvre d’art. Vingt-quatre heures sur

Milène Guermont (à gauche) et son casque fétiche, dont elle a affublé le personnage de sa prochaine création (au centre). Elle s’est notamment fait connaître avec Second Moonet ses panneaux en béton-cratère (ci-dessous).

vingt-quatre, on pourra interagir dessus », seréjouit Milène. Rendez-vous sur les bordsde Seine, courant 2009. l

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36 LE MUR 2 MAI 2009

Le mur d’exposition. De la terrasse du café Place verte (Paris 11e), on a une vue d’ensemble sur le travail des artistes. Ci-dessous :détail d’une création de Sixo et Loeilpartoo, exposée en février 2009.

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C’est mieux qu’une affiche depub », approuve un pas-sant.« Trop institutionnelle »pour d’autres,« un peu abs-

traite » ou même « carrément brouillon »,l’ini-tiative ne fait pas l’unanimité.

Depuis trois ans, l’association Le Muroffre quinze jours d’affichage à des artistesqui ont fait leurs armes dans la rue. Unecinquantaine de créateurs, anonymes ougrosses pointures comme Jacques Villeglé,y ont déjà exposé leurs tags, dessins, pein-tures ou collages. Parmi eux, Leilpartoo,artiste de rue de 28 ans. Pour lui, « ça permetde se faire connaître ». Et même s’il se prometde ne jamais « lâcher la rue », son panneaupourrait lui permettre de dénicher un ate-lier. Une aubaine pour lancer sa carrière carson dossier pour le 104, la nouvelle insti-tution culturelle parisienne, a été rejeté.

Associer l’art institutionnel et urbain,c’est l’objectif de Thierry Froger, trésorier

du Mur. En prenant garde de maintenir unlien avec la rue: « C’est la culture urbaine qui afait naître cette forme d’expression », explique-t-il. Dans ce contexte, le panneau publici-taire devient l’intermédiaire idéal entre lemur et la toile.

À l’origine du projet, l’éphémère collec-tif Les Nuits, créé par Jean Faucheur en

2002. L’artiste, considéré comme le pèrespirituel du street-art par Bob Jeudy, prési-dent de l’association, réunit alors unesoixantaine d’artistes. Chacun prépareune affiche et, le jour J, un escadron decolleurs prend d’assaut les panneauxpublicitaires de la ville. « Nous étions tropavant-gardistes pour la mairie », se rappelleThierry Froger. Avec le temps, cette volonté

d’inclure l’art urbain dans la ville a fini parfédérer. La mairie du 11e offre aux colleursun espace permanent. L’association estcréée,un contrat signé et le panneau publi-citaire cédé à un prix avantageux: 112 eurospar trimestre, sous forme d’amende impli-cite puisqu’il appartient toujours àJC Decaux. Pour rémunérer les artistes et

couvrir les frais, la mairie apporte aussi unsoutien financier décisif de 15000 euros paran.« Au lieu de payer pour nettoyer les murs, ellea préféré donner de l’espace au phénomène »,explique Bob Jeudy. Un début de recon-naissance en France, alors qu’à Londres, lafameuse Tate Modern expose déjà le street-art. Mais ils auront toujours le meilleurespace d’exposition: la rue. l

« Au lieu de payer pour nettoyer les murs,la mairie a préféré donner de l’espace au street-art.» Bob Jeudy, président du Mur

Inauguration. Le 25 janvier 2007, l’associationLe Mur donne le départ des expositions en collant uneœuvre de Gérard Zlotykamien.Les créateurs étrangers sont aussi invités.Une peinture de l’artiste de San FransiscoChristopher Lux, présentéeen2008.

À Paris,des artistes font le murRue Oberkampf, dans le 11e arrondissement de Paris, un pan de mur bariolé de 8 m sur 3

attire le regard des passants. Une affiche publicitaire? Pas vraiment…

Émiland Guillerme

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Elle picote pasdu pain dur,

celle-là?

Picotipicota

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Sommaire

• Sur les traces du Mur

• Le graffiti chassé de son jardin d’Eden

• Voyage en Ostalgie

• Entretien: qui sont les Ostalgiques?

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Pour un peuple,

pour une ville et pour un pays, c’est la fin de quarante ans

de division. En 2009, l’Allemagne est bien réunifiée

mais dans les esprits, la fracture n’est pas entièrement résorbée.

Dossier coordonné par Anna Britz, Juliette Charbonneaux,

Pauline Ducamp et Gabriel Vedrenne.

Berlin,une ville pas encore mûre

THOMAS D MØRKEBERG

Reichstag. Après la réunification et la désignation de Berlin comme nouvelle capitale, le Reichstagaccueille à nouveau le Parlement de la République fédérale. Grâce à l’architecte britanniqueSir Norman Foster, le Reichstag retrouve sa coupole, mais sous une forme contemporaine.

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40 LE MUR 2 MAI 2009

les archives Berlin

Il a quasiment disparu.Berlin a mis une dizaine d’années pour venir à bout de son

«mur de la honte». Quiconque s’y promène aujourd’hui peut pourtant constater que la ville

porte encore les séquelles de vingt-huitans de séparation. Visite guidée avec GerdDietrich,

professeur d’histoire à la HumboldtUniversität. Reportage Juliette Charbonneaux.

Le long de la rivière Spree court 1,3 km de béton.Aujourd’hui classée monument historique,l’East Side Gallery, située à quelques dizainesde mètres de la gare de l’Est, est le plus longmorceau du Mur encore debout. Sa vue prend àla gorge. L’histoire contenue dans les pierres

s’offre aux appareils photos des touristes pour qui voir ettoucher le Mur est un passage obligé. D’ailleurs, l’East SideGallery figure dans tous les guides. À cet endroit de Berlinoù la Spree constituait la frontière naturelle entre Est etOuest, les autorités soviétiques n’avaient pas laissé debrèche sur leur rive du fleuve. Aucune possibilité de fuir.

Les clôtures ont disparu, les barbelés aussi, seul demeureun gros serpent de 4 m de haut et de 50 cm d’épaisseur. Unserpent bariolé depuis qu’une centaine d’artistes européensy ont immortalisé leur talent à peine le Mur tombé. « Le gou-vernement et la ville voulaient en conserver un souvenir, mais en grisc’était trop triste, alors ils ont fait appel au monde de l’art », raconteGerd Dietrich. Un slogan « Total Demokratie », un grand curri-culum vitae du Mur tracé en lettres noires… les peintures ont

fixé sur le béton l’atmosphère de l’époque. Difficile pour-tant de durer quand intempéries et tagueurs font desravages. Les artistes devraient venir y remédier dans l’an-née, afin que le Mur soit comme neuf pour fêter les 20 ansde sa chute.

Frontière-fleuveUne fois arrivé à l’extrémité est de l’East Side Gallery, le

promeneur tombe sur l’Oberbaumbrücke. Cette construc-tion néogothique en briques rouges est le plus long desponts historiques de la Spree. Il fut autrefois un point depassage entre les deux Berlin. Passage aussitôt condamnéune fois le Mur construit. Impossible alors d’emprunter lemétro aérien pour traverser le fleuve en direction de l’Est. Laligne 1 du U-Bahn (métro) s’arrêtait à la station SchlesischesTor, juste sur la rive ouest de la Spree, elle-même propriétésoviétique. « Avec ce fleuve-frontière, Kreuzberg et tout Berlin-Ouestnous apparaissaient à nous, citoyens de l’Est, comme un îlot isolé,proche et pourtant inaccessible », se rappelle Gerd Dietrich.

Loin d’être anecdotique, la question de la possession dufleuve a parfois donné lieu à de sinistres événements. En1975, un petit garçon turc âgé de 5 ans tombe dans l’eau alorsqu’il joue sur la berge à Kreuzberg, côté Ouest. Dépêchéssur place, les secours occidentaux ne peuvent lui être d’au-cune aide puisque l’Est leur interdit de plonger dans seseaux territoriales. Les sauveteurs envoyés par la RDA arri-veront trop tard. Il a fallu ce cas extrême pour débouchersur un accord d’assistance mutuelle valable sur les eaux dela ligne de démarcation.

Bienvenue à Checkpoint CharlieEn 2009, le métro aérien jaune roule normalement. On

atteint donc le point de passage le plus célèbre de Berlin enune vingtaine de minutes. Les touristes se pressent pourfaire tamponner leur passeport, un couple se fait photogra-phier en compagnie d’un faux soldat devant un petit postede garde de l’armée américaine… Bienvenue à CheckpointCharlie ! Au-dessus d’eux, un panneau annonce dans lesquatre langues des anciennes puissances occupantes (URSS,États-Unis, Grande-Bretagne et France) : « Attention, vous quit-tez le secteur américain. »

Ici, à la frontière entre Ouest et Est, la guerre froide a bienfailli s’enflammer. En octobre 1961, des chars américains etsoviétiques s’y sont faits face quatre jours durant. La diplo-matie a évité la guerre ouverte, mais Checkpoint Charlie estresté un symbole de la division. Rien d’étonnant à ce que lesBerlinois de l’Est s’y soient pressés en masse le H

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Il était une fois le Mur

Le tracé du mur en 1989.

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Tuer le murassassinDerrière leReichstag,on entend un bruitsourd, répété : descoups de massecontre le mur. Endeux minutes,les genss’agglutinent etencouragentle furieux en riant. Il frappe encore et encore, de plusen plus fort. Les« Ho hisse » vontcrescendo ets’accélèrent, lessourires s’effacentet l’hommefracasse le murpetit à petit.Aucune pitié, ilfaudra l’achever, luicrever la pansesans autre formede procès. « DieMauer muss weg!Die Mauer mussweg! » Le mur doitdisparaître.La phrase rentredans le crâne etsaisit aux tripes.L’homme frappesans faiblir le murqui s’effrite.Descandé,le slogandevienthurlé. Le muragonise. Les éclatsde béton volent,mais personne n’yprend garde. Ca yest la brèche estouverte !Hurlementde joie… Il fautmaintenantdépecer l’ennemi,agrandir la brèche.Le camionde police arrive.La foule s’écarteet continue à hurlersa haine du murmeurtrier :« DieMauer mussweg! »Pascal Doucet-Bon(extrait dujournal école du Celsa spécialBerlin sorti en 1989)

Il fallait y être… (extrait du journal école du Celsa spécial Berlin sorti en 1989)

Éditorial d’Yves Pitette,chef du service étranger au journal La Croix en 1989,chargé de cours derelations internationalesau Celsa.

Celui qui hier,n’a jamais puvenir à Berlin sans se rendre auMur,ne se pardonne pasaujourd’hui d’avoir manquéson ouverture.Être à Berlin,pour le début d’une nouvelleère européenne.L’après-Yalta a commencé,il n’y a pas dedoute.Même si personne ne sait encore exactement

de quoi il sera fait.Unenouvelle Europe se construitsans doute à Budapest,àVarsovie,et timidementencore,jusqu'à Sofia.Enattendant Prague,où l’on peutdiscerner de premiersfrémissements,et Budapest,martyrisée par son tyran.Être jeune à Berlin car c’est une nouvelle génération qui accomplit le miracle.Unegénération allemande libre desblocages hérités de la guerrefroide:quel étonnement pourcet univers ouest-allemand de renom entré lui en RDA avec

son fils à la faveur de la rupturedes digues et qui le voits’accorder tout de suite enquelques phrases avec cesvoisins dont il croyait qu’ilsétaient peu à peu devenus desétrangers. Mais aussi unenouvelle générationsoviétique – même si ce n’estpas tout à fait la même – sansl’assentiment de laquelle riende tout cela ne serait advenu.Mais ne pas rêver non plus àBerlin. Ne pas se laisser aller àcroire dans l’euphorie d’unweek-end historique – pourune fois,l’expression n’est pas

surévaluée – que c’est arrivé.Tout est à faire,pour « qu’unnouvel ordre européen pacifiqueémerge,de l’Atlantique à l’Oural »,comme le disait l’ancienministre des affairesétrangères,Jean-FrançoisPoncet. Mais le chantier estouvert,depuis que le mur deBerlin est tombé.N’avoir puêtre à Berlin ne peut donnerqu’une envie,y aller ou yretourner.Puisque c’est là,dans les mois,les années quiviennent,que se vivra le plusfort les événements qui vontchanger l’Europe.»

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42 LE MUR 2 MAI 2009

les archives Berlin9 novembre 1989. « Ma femme qui est professeur de philo à l’Uni-

versité avait un rendez-vous le 10 novembre à l’Institut de philoso-phie dans la Jägerstrasse, à cinq minutes à pied de Checkpoint Char-lie », se souvient Gerd Dietrich. « Elle n’a jamais pu s’y rendre carelle est restée bloquée dans le trafic qui paralysait les rues alentoursavec, en plus, la foule à pied qui voulait à tout prix passer à l’Ouest. »

Les lumières de Potsdamer PlatzInévitable. En remontant vers l’Ouest à partir de Check-

point Charlie, on est arrêté par un savant mélange de verreet d’acier. Aujourd’hui symbole d’un Berlin ultramoderneavec le Sony Center et les buildings conçus par Renzo Piano,la Potsdamer Platz fut la plus touchée par la construction duMur. « Entre 1961 et 1989, elle a été transformée en no man’s landalors que c’était vraiment le cœur de la ville, explique Gerd Die-trich. C’est une des expériences qui m’a le plus bouleversé à mon arri-vée à Berlin en 1969. Je me souviens d’avoir remonté laLeipziger Strasse en voiture, au loin je voyais Potsda-mer Platz sans jamais pouvoir l’atteindre puisque sou-dain le mur se dressait entre nous. J’ai trouvé cela ter-rifiant de pouvoir diviser une ville par un mur. On voitles bâtiments, les lumières au loin, mais on ne peut lesapprocher, c’est une impression très particulière. »

La reconquête de la place commence seule-ment trois jours après la chute du Mur. Le pre-mier point de passage officiellement ouvert parla RDA est à Potsdamer Platz. Aujourd’hui, on ytrouve des pans de mur conservés en l’état etaccompagnés de panneaux explicatifs. Avec unpetit détail qui fâche : les morceaux n’ayant pasété assemblés dans le bon ordre, la fresque quiles recouvrait se retrouve chamboulée. Plus loin,des pavés dans le sol marquent l’ancien tracé duMur. Sa mémoire est assurée, tout comme l’estcelle de sa prestigieuse voisine.

265 morts, 5 000 évasions réussiesElle trône fièrement sur la Pariser Platz, entre les deux

grandes artères berlinoises, l’avenue Unter den Linden et larue du 17 juin. La porte de Brandenbourg était pourtant bienseule à l’époque du Mur. Elle formait un pan de la frontière

et était pour cela sévèrement surveillée. « Elle était inacces-sible de l’Est comme de l’Ouest, on devait impérativement s’arrêter 200mètres avant », se souvient Gerd Dietrich. Quant à ceux quitentaient quand même de fuir, ils le faisaient au péril deleur vie. « C’était une entreprise aux conséquences mortelles quidemandait un courage extraordinaire ou alors un désespoir absolu. »L’image de cet Allemand de l’Est tentant de sauter les bar-belés avant d’être abattu a fait le tour du monde. « Les poli-ciers de RDA avaient le devoir d’empêcher la fuite. Quand cela ne mar-chait pas avec des méthodes classiques, ils tiraient. »

Deux cent soixante-cinq personnes y ont laissé la vie, dontune centaine à Berlin même. Plus de cinq mille évasionsont réussi, pas à la porte de Brandenbourg, trop bien gar-dée, mais à des endroits divers avec des méthodes tout aussidiverses. « Certains ont fait preuve d’une vraie ingéniosité, en fabri-quant une tyrolienne de fortune avec un fauteuil et une corde. On

raconte aussi l’histoire d’un homme qui aurait tentéde fuir par les eaux en se construisant un sous-marinminiature. »

Des fenêtres condamnéesSituée plus au Nord de Berlin et séparant les

quartiers de Wedding et de Prenzlauer Berg, laBernauer Strasse symbolise toute l’absurditéde la division. Cette rue appartenait à l’Ouestmais les immeubles qui bordaient son côté sud,eux, étaient localisés à l’Est. Les habitantsvivaient ainsi dans deux secteurs différents etavaient le Mur directement sous leurs fenêtres.« Une amie de ma femme louait un appartement justeà côté de la ligne de démarcation, côté Ouest. Elle a vitedéménagé car cela devenait trop pénible de demanderune autorisation pour le moindre déplacement, mêmepour aller faire ses courses. »

Quand la frontière fut fermée le 13 août 1961,les portes furent condamnées mais pas les

fenêtres. De quoi encourager des tentatives d’évasion ori-ginales mais très risquées. Des gens essayèrent de se lancerdans le vide à l’aide de cordes, de sauter par-dessus le Murdans l’espoir d’atterrir à l’Ouest… Bien vite les fenêtresfurent elles aussi condamnées. Les Berlinois de l’Est n’aban-donnèrent pas pour autant. « Il y avait différentes possibilités ;celle du tunnel était la plus exploitée. Certaines maisons n’étaientéloignées que d’une cinquantaine de mètres, de part et d’autre duMur. On construisait alors un tunnel entre une habitation de l’Estet une de l’Ouest et on fuyait ainsi en passant d’une cave à l’autre. Ily eut aussi des cas d’école, des exceptions, comme cet homme qui aconstruit un ballon, a réussi à voler jusqu’à l’Ouest mais qui s’est tuéen s’écrasant à l’atterrissage à Zehlendorf. » Des histoires drama-tiques comme celle-là, les Berlinois en connaissent pléthore.Alors, pour rendre hommage à ces apprentis sorciers de lafuite, la ville a érigé un Mémorial du Mur sur l’ancienne lignede démarcation. Quatre-vingts mètres de béton qui ont étéépargnés. Quatre-vingts mètres dans leur gris d’origine cettefois, à quelques encablures seulement des friperies chics etdes terrasses de cafés du très bobo Prenzlauerberg.

De la Bernauer Strasse on redescend vers le Sud en passantpar Prenzlauer Berg. Un crochet par Unter den Linden per-met de passer devant l’université Humboldt où enseigneGerd Dietrich depuis près de vingt ans. La célèbre faculté aelle aussi été secouée par la chute du Mur. « À la réunificationil y a eu une vraie chasse aux sorcières, relate le professeur d’his-

Certains ont franchile mur en fabriquant unetyrolienne defortune, avec unfauteuil et unecorde. On racontequ’un autre a tenté de fuir par les eaux en se construisantun sous-marinminiature. ”Gerd Dietrich

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Trois petits achats et puis s’en vont…(extrait du journal école du Celsa spécial Berlin sorti en 1989)

Checkpoint Charlie,Berlin-Ouest,principal point de passage vers l’Est de la ville jusqu’à l’ouverture des frontières.Les Allemands de l’Est s’y croisent jour et nuit depuis jeudi soir.Tout autour unefoule qui acclame les nouveaux arrivants,leur offre du champagne,en recouvreleurs voitures.Les rues sont bondéescomme dans un centre commercial la veille de Noël.On fait la queue devant les magasins,les sex-shops aussi… Folle journée de shopping,découverte de la société de consommation.Bonheur,comme l’explique un chef de famille,unnounours en gélatine à la main,tout est à

acheter ici.Trop peut-être au goût de Kay,jeune,des cheveux longs,le crâne rasé surun seul côté.Un punk à l’est-allemande.Àson retour,il explique qu’il n’a rien acheté,qu’il ne savait pas quoi prendre.« Il y avaittrop de choix.» Il semble un peu ébahi,saturé.Il nous parle de ce qu’a pu représenterpour lui cette ouverture.« Nous avons passéle mur ce matin,mais impossible de croire quec’est vrai.» Même attitude chez Jork,membre du SED (Parti socialiste est-allemand).« Il y a vingt ans que nous pensionsà ce moment et maintenant,nous pouvonspasser de l’autre côté.»Sabine Grandjean

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MAI 2009 LE MUR 2 43

1945 juillet-aoûtTraité de Potsdam:l’Allemagne est diviséeen quatre zonesd’occupation, souscontrôle des vainqueursde la Seconde GuerreMondiale (URSS, États-Unis, Royaume-Uni etFrance).

1949 7 octobreCréation de la Républiquedémocratiqueallemande (RDA) par l’URSS.

1953 17 juin Émeutesà Berlin-Est contre lerégime. Répressionviolente par les troupessoviétiques.

196117 avrilDébarquement de laBaie des cochons:l’invasion américainedécidée par Kennedyvisait à renverser lenouveau gouvernementde Fidel Castro.13 août Dans la nuit, desbarrages sont installéspar l’armée populairenationale entre l’Estet l’Ouest de Berlin.19 août Mort de RudolfUrban, qui tentaitde fuir. Première victime du Mur.

23 août La RDA interditl’accès de Berlin-Est aux résidents de l’Ouest. Objectif:empêcher les fuitesmassives de population.

1962 17 août Mort de Peter Fechter, 18 ans,lors de son évasion versl’Ouest: il devient lavictime symbolique du Mur.

1963 26 juin« Ich bin ein Berliner »,déclare le présidentaméricain John F.Kennedy à Berlin.

1972 3 juin Accordsquadripartites prévoyant la simplification des conditions de circulation à Berlin

1987 12 juin Visite du président américainRonald Reagan à Berlinpour le 750e anniversaire de la ville.«Mister Gorbatchev,open this gate,misterGorbatchev,tear down this wall»(«Monsieur Gorbatchev,ouvrezcette porte,abattez ce mur »).

1989 JuilletExplosion du nombre de départs de RDA par la Hongrie et l’Autriche.Septembre Début des« prières pour la paix » à Leipzig.18 octobre Démission de Erich Honecker.7 novembre Démissiondu gouvernement est-allemand.9 novembre Le partisocialiste est-allemand(SED) autorise les voyages privés à l’étranger,sans restriction,pour les citoyens de RDA.À 23h15, tous les pointsde passage vers Berlin-Ouest sont ouverts.22 décembre Ouverturede la Porte deBrandebourg.

1990 3 octobreRéunification: la RDAintègre officiellementla république fédéraleallemande. Berlinretrouve son statut de capitale fédérale,succédant à Bonn.

Checkpoint Charlie. Les anciens gardes-frontièressoviétiques et américains se font face en photos géantes.

Berlin, ville frontière entreblocs de la guerre froide.

Un mur, sa chute, une réunificationtoire, tous les chercheurs soupçonnés d’accointance avec le régimecommuniste ont été virés sans ménagement. Heureusement pour moi,je suis arrivé juste après ! »

Berlin Alexanderplatz, dite AlexL’opéra, l’île aux musées, la majestueuse cathédrale défi-

lent. La Fernsehturm (tour de télévision) apparaît. Voici« Alex », la place mythique, véritable poumon de l’ex-Ber-lin-Est. Gerd Dietrich est loin de Franz Bibenkopf, le hérosdu roman d’Alfred Döblin, mais lui aussi a connu son « Ber-lin Alexanderplatz ». « J’y ai vécu pendant dix ans avec ma femmeet nos deux enfants, entre 1969 et 1979. Nous habitions au 15e étaged’une tour d’immeuble d’où nous avions une vue sur tout Berlin. Unevue très particulière d’ailleurs, on savait que si on regardait à gaucheon voyait l’aéroport de Tempelhof (à l’Ouest). Les avions survolaientAlex pour aller s’y poser. Et le soir, je me souviens qu’on voyait unegrande traînée noire dans la ville, c’était le mur. Là où c’était tout illu-miné c’était l’Ouest, là où cela l’était moins, c’était l’Est. Le gouverne-ment de RDA faisait toujours plus d’économies d’électricité. Ce sontdes expériences très visuelles, inoubliables, même 30 ou 40 ans après ».

Le 9 novembre 1989 Gerd Dietrich habitait dans l’Est duBrandenbourg, à trois quarts d’heure de la métropole.Contrairement à ses enfants, il ne s’est pas précipité à Ber-lin ce soir-là. « Je n’avais pas envie de me retrouver dans la foulealors je suis resté devant ma télévision, j’ai regardé les informationspendant trois jours », raconte-t-il. Il s’est laissé quinze joursavant d’aller voir de ses propres yeux, mû par un intérêt trèsprosaïque : recevoir les 100 marks de bienvenue offerts parla RFA à chaque citoyen de RDA. Cent marks qu’il n’a pas pudépenser tout de suite, trop impressionné et par la sommeet par la prolifération des produits de consommation àl’Ouest. Il conclut, un brin caustique : « Les citoyens de RDAont dû apprendre à acheter, entre autres… » l

L’East Side Gallery : un vestige du Mur long de 1,3 km.Une centaine d’artistes y ont apposé leur signature après la chute.

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44 LE MUR 2 MAI 2009

les archives Berlin

ReportageBerlin-Ouest, ville emmurée, est longtemps restée ouverte à toutes

les cultures émergentes. Pour le plus grand bonheur du graffiti, qui y acquit ses lettres

de noblesse en décorant le Mur. Mais sa chute a sonné la fin d’une ère libertaire,

regrettée par les graffeurs Jumbo, Mesia et Stage. Gabriel Vedrenne

Rouge ardent et chrome argenté. C’était lasignature berlinoise dans le microcosme dugraffiti. Une composition criarde de couleursvives pour trancher avec la pâleur du paysage,couvé par un ciel bas et laiteux. « Ces tons étaientparfaits, tu les voyais de loin, impossible de les rater

dans la rue. Le secret, c’était ce rouge très pigmenté, qui adhérait très bienau mur », raconte Jumbo, qui usa ses premières bombes depeintures à la fin des années 1980.

Ce fameux rouge, le hitzerot, est désormais le symbole d’uneépoque révolue. Interdit en 1994 pour des raisons de santépublique, il a progressivement disparu avec les derniers vestigesdu Mur de la honte. Depuis, la capitale de l’Allemagne réunifiéetente de redevenir une ville normale et considère le graffiticomme un fléau urbain. Alors même que cet art éphémère alongtemps fait la réputation de Berlin-Ouest, dont les façadesbariolées contrastaient avec la grisaille de Berlin-Est.

« Ils avaient construit ce mur pour séparer des gens, couper une villeen deux… c’est dégueulasse. Je ne pense pas que c’était un geste politique,mais nous avons embelli ce rempart », se souvient Jumbo, qui adou-cit sa nostalgie par une bière fraîche. En 1989, il a 14 ans et « com-mence les conneries » avec ses amis du quartier de Kreuzberg enmême temps qu’il découvre le hip-hop et toutes ses compo-santes au contact des soldats américains déployés dans le sec-teur sud. Le Mur qui clôture son quartier devient vite le tableaunoir sur lequel l’apprenti writer s’exerce alors. « Le Mur était unespace ouvert à tous: il était couvert de dessins, de témoignages et, biensûr, de graffitis. »

La mauvaise réputationShek, Dane, Maxim, le collectif Partners of Crime figurent

alors parmi les graffeurs les plus illustres de ce Hall of famedémesuré qui coupe la ville en deux. Ces jeunes de l’Ouestvivent au rythme de la scène new-yorkaise, fascinés par les

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Le graffiti chassé de son jardin d’Eden

Le refuge.Le Yaam, l’un desderniers lieux où

l’on peut graffer surle Mur. Uneexception

menacée par larénovation de

l’East Side Gallery.

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films Beat Street et Wild Style. Ce fut le déclic pour Mesia. Ce qua-dra, qui a depuis fondé le label indépendant Berlin Massive, estl’un des piliers historiques de la scène hip-hop locale: « Ces filmsm’ont impressionné… Ce fut une claque. À peine sorti du cinéma, j’ai euenvie d’essayer. »

Breakdance, rap, et surtout graffiti. « C’est d’abord dans cedomaine que les Berlinois se sont fait connaître. Ce ne fut pas facile: onétait complètement isolés du reste du pays, et la ville avait une réputa-tion sulfureuse. De 1975 à 1984, Berlin a été façonné par le mouvementpunk, Nina Hagen », détaille Mesia. Comme une partie de lagénération oldschool, il préfère alors se tourner vers la Zulunation, une alternative pacifiste aux différents gangs quicontrôlaient la plupart des quartiers défavorisés de New Yorkdans les années 1970.

Mais ce soufflé de bonnes intentions va très vite retomber.Il n’est pas si aisé de changer les mentalités dans cet îlotemmuré, perdu au milieu du bloc soviétique. Les festivals hip-hop se multiplient en RFA et un constat s’impose: quand lesBerlinois débarquent, la fête est gâchée. Provocations,bagarres, bombes de peintures volées: les graffeurs de la capi-tale prussienne laissent un souvenir mitigé. « Les Berlinoisvivaient leurs voyages en RFA comme des vacances à l’étranger, se sou-vient Jumbo. Ils voulaient représenter leur ville et, pour se faire remar-quer, foutaient le bordel. C’est triste, mais c’était l’expression de notrefrustration. »

Le graff, les gangs et les pivertsLa chute de la RDA, si elle libère Berlin de son isolement,

marque aussi la fin de l’insouciance. Le graffiti, déjà polémique,devient un problème avec la multiplication des gangs. Cesbandes de jeunes, souvent d’origine étrangère, s’en emparentpour marquer leur territoire. Dès lors, la peinture devient pré-texte à des règlements de compte violents, qui n’ont plus rienà voir avec le pacifisme du hip-hop originel. Black Panthers,Giants, 36ers, Araber Boys… Ces gangs renforcent l’amalgameentre graffiti et délinquance et vont pousser la municipalité àmettre en place une brigade de police spécialisée, le GIB, dontles effectifs ne cesseront de croître.

La criminalisation du graffiti est en marche, la chute du Murva l’accélérer. Dès la première brèche ouverte, une nuée d’op-portunistes, les piverts (encadré), s’agglutinent le long du Murpour le dépecer en petits morceaux vendus à la sauvette. Cecommerce fit le bonheur des touristes, ravis de repartir avecun fragment de l’Histoire. Ignorant qu’ils emportent avec euxdes confettis de célèbres fresques disparues sous les coups demarteau. Le graffiti est dans la tourmente, relève alors le fan-zine Enterprise.

Le métro, nouvel horizon stylistique« Ok, le Mur est tombé, mais il reste une multitude de rames de

métros. » Graffeur de la deuxième génération, Stage, 27 ans, estpeu nostalgique d’un Mur qu’il a à peine connu. Les writersactuels ont un nouvel eldorado, le whole train. Une rame entièrede métro habillée durant la nuit et qui ne restera qu’une jour-née en circulation. Le soir même, les graffitis sont nettoyés. Lamécanique, implacable, a changé le visage du graffiti actuel. « Laville est passée d’un extrême à l’autre: la bienveillance envers les culturesalternatives a laissé place à la tolérance zéro. Berlin devient une capitalecomme une autre », regrette Stage.

Trente-six agents de la police criminelle font face à11 000 graffeurs actifs sur la capitale allemande. C’est la der-nière estimation en date de Marko Moritz, chef de la brigade

Graffiti in Berlin (GIB), qui doit sur-veiller l’une des plus grosses commu-nautés d’Europe. Le noyau dur de lascène berlinoise, entre 200 et 300per-sonnes, a vu le profil type du graffeurradicalement évoluer.

« C’est parti dans toutes les directions,observe Stage. Beaucoup n’ont rien à voiravec la culture hip-hop, et certains vontmême jusqu’à reprendre des paroles degroupes de rock proches des néonazis. » Lecollectif RBK, originaire de l’Est de laville, a ainsi gratifié le Treptower Parkd’une fresque où il était écrit: « Je suisun bombardier, je vous amène la mort. »

« Le graffiti est devenu un mouvementde masse, et donc un problème », regretteStage. Il n’attend qu’une chose: quecette mode touche à sa fin. « J’aurais beaucoup moins de problèmesavec une petite scène. Je connais des graffeurs d’Oslo ou Helsinski : ilssont dix dans chaque ville, forcément, c’est plus convivial. Si on étaitmoins nombreux, la police aurait moins de travail et nous foutrait lapaix. » Finies les nuits entières où il pouvait peindre en toutetranquillité. « Si j’avais su comment ça allait tourner, j’aurais graffémille fois plus de métros! » Désormais, Stage doit feinter « façonMac Gyver » pour déjouer caméras panoramiques et détecteursinfrarouges. Il faut être passionné et doué en logistique: sonstock de peinture remplit deux caves. « Cette professionnalisationest le prix à payer pour que Berlin reste La Mecque du graffiti allemand. »

L’école berlinoise, passée dans la clandestinité, reste uneplace forte du graffiti européen. Mais la bienveillance des pou-voirs publics a viré à l’incompréhension. Lorsque la mairie aréinstallé des pans du Mur sur Postdamer Platz, elle s’est trom-pée d’ordre, transformant un graffiti d’époque, signé Duter, enpuzzle. l

Relique.Témoin d’un viragehistorique, lefanzine Enterprisedécrit une scènegraffiti en pleinetourmente.

Entretien Les piverts s’attaquent au Mur

« Enterprise » n° 1, juin 1990

Fanzine de la scène undergroundberlinoise, « Enterprise » réalise auprintemps 1990 l’interview de Sakeet Bus 126, deux graffeurs quirejoindront par la suite le légendairecollectif Partners of Crime. Extraits.

La majorité des writers vont-ils sur le Mur pour graffer?

Auparavant,les graffeurs étaientnombreux à saturer le Mur de couleurs,mais aujourd’hui,beaucoup se tournentvers les trains et les façades d’immeuble.

Quels sont les avantages et lesinconvénients à graffer sur le Mur?

L’inconvénient décisif est que sur leMur,les motherfuckers massacrent lesœuvres des graffiti-artistes.

Qui sont les «piverts» du Mur?Les piverts du Mur sont généralement

connus comme les motherfuckers,qui dégradent les fresques auxquellesnous avons consacré beaucoup d’énergieet de travail.

Avec la chute du Mur,les graffeurs n’ont-ils pas tendance à délaisser le Mur pour setourner vers les galeries d’art?

Beaucoup font les galeries d’art pour se faire de l’argent.C’est cool de montreraux « notables » que le graffiti est aussi un art et pas seulement du gribouillage.

Comment voyez-vous l’avenir du graffiti?Nous espérons que,dans quelques

années,Berlin sera rempli de façadesbariolées! l

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les archives Berlin

46 LE MUR 2 MAI 2009

Ce qui a existéen RDA témoignedes possibilitésconcrètes d’unesociété mettanten œuvre les droitsélémentairesde l’Homme,dans la vie et passeulement dansde beaux textes. »Erich Honecker,extrait de son livreNotes de Prison,écrit à la prisonde Berlin-Moabiten 1992-1993.

Big Father.Erich Honecker,dirigeant de la RDAde 1976 à 1989.Figurecharismatiquedu régime, il estresponsable de la mort de200 personnes qui cherchaient àfuir à l’Ouest.

20 ans après sa chute, il reste peu de traces du Mur à Berlin. Mais il demeure

dans toutes les têtes et à chaque coin de rue, où les gadgets made in RDA font un tabac.

Et si les connaissances sur le régime s’effacent, une partie des Allemands a toujours le mal

de l’Est (Ostalgie). Anna Britz

Il est 2h40 à La Havane, 7h40 à Berlin, 9h40 à Moscouet 12h40 à Pékin. Le soleil se lève à l’est de la capitaleallemande mais les quatre horloges accrochées au murmarquent le pouls du reste du monde. Dans cette tourdu quartier gris d’Ostbahnof, le papier peint moutardea connu des jours meilleurs, mais il se marie parfaite-

ment avec la table en formica marron. Sur le plateau verdâtre, lecafé Mocca-Fix accompagne quelques cornichons Spreewald,sous le regard inquisiteur d’Erich Honecker, dirigeant de la RDAde 1976 à 1989. Nous sommes pourtant le 24 février 2009.

Bienvenue dans le bien nommé « Ostel », petit hôtel situé àquelques encablures des derniers pans de Mur (East SideGallery, un tronçon de 1 300 m recouvert de fresques sur laMülhenstrasse). Après un tour dans les friperies de Prenz-lauerberg à la recherche d’une robe fleurie en polyester et

d’épaisses lunettes en plastique, direction Lichtenberg, à l’Estde Berlin, pour un apéro dans une Kneipe (bistrot) enfumée.Sur la porte d’entrée, un slogan, celui de la Stasi, police d’Étatde la RDA: « Viens à nous ou nous viendrons à toi. » Sur les murs,des photos à la gloire du communisme et des uniformes mili-taires. Dans les verres, du Vita-Cola ou des bières à 1,20 €. Ilflotte comme un air de 1979 sur la capitale allemande.

Dans la rue, les Ampelmännchen, feux pour piétons autrefoisemblématiques de l’Est, refleurissent un peu partout. Rouge,le petit bonhomme attend les bras en croix, vert, il avanced’un pas décidé. Un magasin leur est même entièrementconsacré : bonbons, éponges, lampes, bavoirs pour bébés, àson effigie.

Déco, mobilier, mais aussi ketchup, préservatifs ou eau detoilette. Tout est estampillé DDR (Deutsche Demokratische Repu-blik). L’Ostalgie (le mal de l’Est) est un business florissant. Maispour Gerd Dietrich, professeur d’histoire de la RDA à la Hum-boldt Universität de Berlin, « tout cela, ce n’est pas de l’Ostalgie, cen’est que l’industrie du divertissement à replacer dans la tendance desannées 1970. C’est la même chose pour l’industrie cinématographique,ça n’a rien à voir avec l’Histoire. »

Plusieurs réalitésCar cette RDA version Disney dont une partie des Alle-

mands est friande, personne ne l’a vraiment connue. Et le phé-nomène attise les débats. Nombreux sont ceux qui appellentà une vision plus équilibrée de cette époque. Dix-neuf ansaprès la réunification, les connaissances sur le régime com-muniste s’estompent doucement. Pas encore enseigné àl’école, ce pan de l’Histoire devient pour certains un paradisperdu au charme gentiment désuet pendant que ses aspectsles plus sombres sont minimisés. Niée et diabolisée pendantdes années, la RDA est revenue au goût du jour avec le filmGood Bye Lenin (2003), qui a contribué à remettre en évidencel’ambivalence des sentiments des Allemands de l’Est vis-à-visde leur histoire. Mais entre Good Bye Lenin et La Vie des Autres,beaucoup regrettent que la RDA ne soit plus l’objet de discus-sions objectives. Or, pour les ex-Allemands de l’Est, la véritéest encore autre.

L’Ostalgie est une expression qui recouvre plusieurs réali-tés. Il en existe une plus sociale et politique dont ces imagesd’Épinal sont bien éloignées. Et qui est encore différente decelle des manuels d’histoire, qui insistent sur la répression etla dictature. Gerd Dietrich, lui-même ancien habitant de l’Est,explique que la majorité des citoyens de RDA n’ont pas perçule régime de cette façon. « Pour eux, on peut expliquer l’Ostalgie par

Voyage en Ostalgie

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ce qui s’est passé après 1990. Ils se sont sentis laissés pour compte, consi-dérés comme des citoyens de seconde classe ». À cela s’ajoute la décep-tion après les promesses faites lors de la réunification. Les pay-sages en fleurs (blühende Landschaften) évoqués par HelmutKohl dans son discours, sont toujours attendus. Une chute,une explosion, de l’espoir et puis… rien.

La fin d’un univers« Pas de miracle économique à l’Est mais du défrichage industriel et

des taux de chômage pouvant aller jusqu’à 25 % dans certains Länder.Ainsi, on ne peut attendre que les gens soient complètement négatifs

envers la RDA. Personne ne souhaite le retour de la RDA, mais ce senti-ment apparaît en réaction aux expériences faites après 1990, après laréunification. L’Ostalgie est un argument contre les expériences du pré-sent », conclut Gerd Dietrich. Logement et revenu assurés,modestes mais suffisants pour le quotidien, un droit au tra-vail, une certaine égalité entre hommes et femmes. Mais aussiune criminalité faible, un sens de la solidarité accru… Autantd’acquis sociaux perdus à la chute du Mur. Un univers entiers’est brusquement écroulé, du jour au lendemain. Une gueulede bois amère, quelque part à mi-chemin entre déceptiond’une partie du présent et regret d’une partie du passé. l

Dix-huit ans après la réunification del’Allemagne,un bon tiers des Allemandsse déclare ostalgiques.Claire Demesmay,chercheuse au Comité des relationsfranco-allemandes et à l’Institut françaisdes relations internationales (Ifri),revient sur le phénomène. Elle a notam-ment publié en 2006 Qui sont les Alle-mands ? 1

Quisontaujourd’huilesostalgiques?L’Ostalgie touche surtout une petite

frange de la population est-allemande, lafrange des perdants.Ce sont des gens quiavaient un poste et qui n’ont pas pu sereclasser à la chute du Mur. Par exempledes ingénieurs en économie, qui ont desdifficultés à retrouver du travail car ils ontété formés à l’économie soviétique. C’estunsentimentprofond,pasunregretdelavie en RDA, mais de son cadre sûr, convi-vialetrassurant.Êtrerassurémanqueàces

ostalgiques.Lesgensavaientpeu,maisilspossédaient tout ce dont ils avaientbesoin. Les jeunes nés dans les années1980 ne ressentent pas cette seconde réa-lité. Pour eux, c’est une façon de s’amu-ser avec l’Est. Ce sont surtout les per-sonnes âgées de plus de 40 ou 50 ans quisont touchées.Les ex-Allemands de l’Ouest compren-nent-ilscesentiment?

Ilsontbeaucoupdemal.Poureux,c’estun sentiment artificiel. Ils rient quandl’Ostalgie est tournée en dérision. Alle-mands de l’Est et de l’Ouest regardentensemble les shows télé, depuis que l’Os-talgie est devenue un spectacle. Enrevanche, pour tout ce qui concerne laStasi, on demande de fermer les archivespour ne plus en parler, vingt ans après,sous le prétexte: « Nous sommes une démo-cratie, nous devons passer à quelque chose deplus normal. » LesAllemandsdel’Ouestne

comprennent pas pourquoi il faut tou-jours se retourner sur le passé, sur cettesouffrance.Connaît-on un équivalent à l’Ouest,uneformede«Westalgie»?

Pas à Berlin, mais dans un certainnombre de Bundesländer en revanche,toutparaissaitplussimpleavantlaréuni-fication. C’est lié à la situation de l’Alle-magne, qui était alors semi-souveraine,mais ça ne gênait personne. Le mondeétait plus simple, il y avait de l’argent. Lepays n’avait pas de responsabilité sur lascène internationale. Maintenant, avecl’Allemagne de Berlin, les choix sont plusdifficilesàprendreetlesdéfisplusimpor-tants, même si on ne vit plus sous lamenace nucléaire soviétique.1.QuisontlesAllemands?ClaireDemesmayetHansStark,PressesuniversitairesduSeptentrion,coll.Espacespolitiques.

Entretien « Un cadre convivial et rassurant »Propos recueillis par Pauline Ducamp

La Trabant. L’ex-symbolede la RDA revientà la mode. En 1957,sort le premiermodèle de la« Porsche de la Saxe ». Déclinéeen trois couleursseulement, la Trabin’a jamais changéde style. Elle nedépasse pas les100 km/h et sa carrosseriecontient des fibresde coton, pénuried’acier oblige.

L’OstomobileUn ronron digne d’unetondeuse enrhuméeet une odeur d’huilerance précédant son arrivée. La voilà,toute en rondeur, qui promène d’un pasde sénateur sa carrosserie en plastique rutilant :la Trabant ! À la chutedu Mur, elles ont foncédroit vers l’Ouest. Des kilomètres, pare-chocs contre pare-chocs. Cette petitevoiture symbole de la RDA (et surtoutde sa failliteéconomique) ressortdes garages où elleétait remisée depuisvingt ans. Fabriquéede 1957 à 1989,la Trabi est la voiture laplus simple dumonde. Pas de freinmoteur, pas depompe à eau, etencore moinsd’amortisseurs ! Son principe : moinsil y a de pièces, moinsil y a de problème.Plus de 3 millions de véhicules sontsortis des usinesavec des délaisde productionfaramineux : il fallaitjusqu’à dix ans pourobtenir son modèle.Il en resteraitaujourd’hui 50000en circulation, pourle plus grand bonheurdes amateurs desensations fortes. Carles jusqu’au-boutistesde l’Ostalgie peuvents’embarquer dans unTrabi-Safari à Berlin.Un safari? C’est qu’ilfaut savoir dompterla capricieuse bête !Compter une bonnedemi-heure pour la démarrer sanscaler. Et à vous la descente d’Unterden Linden(les Champs-Élyséesberlinois) sousles symphoniesde klaxons !Anna Britz

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48 LE MUR 2 MAI 2009

jeux

Horizontalement 1 Court au nord de la Chine.2 Absente du filet. Conditionne. 3 Secret à Levallois. AuCelsa, on connaît pas ! 4 Les promos pendant le premiercours de télé. 5 Dans le coup. Fait pousser. 6 Avant Sefyu.Ibérique. 7 Nourri aux petits fours. 8 Patella. Poursuivit.9 Pour faire des sons, en radio. On le croisait il y alongtemps. 10 Star Bisounersque. Mois préféré des SR.

Verticalement 1 Notre mère à tous. En électricité.2 Nécessite un lead. Ceinture éloignée. 3 La plage deJuliette. C’est rose et en abrégé. 4 Altermondialiste. Vieuxdégoût. 5 Internet Explorer pour les geeks. Relativise.6 Poil. Exploratrice coiffée comme Mireille. 7 Le bureautout au fond du couloir. 8 Iran Electronics Industries.Infinitif. 9 Phagocyté par la petite cantine. 10 Essence.Plante.

Solution de la grilleHorizontalement 1Muraille.2Arête.Si.3RG.Cuite.4Tétanisées.5In.Cultive.6NTM.El.7Mondain.8Os.Coursa.9KB.Fer.10Wiwi.Avril.Verticalement1Martine.Kw.2Urgent.Obi.3Ré.MMS.4Attac.Fi.5IE.Nuance.6Cil.Dora.7Lousteau.8IEI.-ir.9Stevens.10Diesel.Ail.

Mots croisésNicolas Chauvin

Affaire de logique no 603Tangi Loisel et Charles Montmasson

Sudoku Charles Montmasson

Solutions affaire de logique1 Le même qu’avant la construction du mur,c’est-à-dire environ 6trillionsde tonnes.2 Blanc,parce que vous êtes au pôle nord.

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Pro comme un journaliste en ChineEn reportage en Chine, vous vous retrouvez nez à brique avec la GrandeMuraille. Au IIIe siècle avant notre ère, cette gigantesque constructionservait à contenir les aspirations de ces farceurs de Mongols. À la vuede cette splendeur, votre flair journalistique vous titille les narines.Le scoop est là, devant vous… Et si la muraille était en réalité un scandaleécologique?Comme vous ne parlez pas le chinois, c’est à force de mimes et degrimaces que vous interrogez un vendeur de cartes postales. D’après lui,la muraille est longue de 6700 km et s’élève à 7 m de hauteur,en moyenne. Épais de 5 m, ce beau bébé est composé de briques d’un mètre cube pesant chacune 1 kg. Vous savez tout sur tout, en vraiprofessionnel, notamment que la Terre pèse actuellement à peu près 6 x 1021 tonnes. Mais quel était le poids de la terre avant la constructionde la muraille de Chine?

Il ne faut pas vendre la photo de l’ours…Votre stage chez GEO se passe (trop) bien: vous voilà, appareil photo sur lesgenoux, au volant d’un gros 4 x 4 sur la piste des ours pour le prochainnuméro spécial « plantigrades ».Un seul problème: après trois jours d’exploration, vous n’avez pastoujours pas aperçu le bout d’un museau… Alors que vous commencezà vous demander si vous n’auriez pas dû lancer un reportage sur lesmouettes à tête grise de la mer Rouge, une ombre aperçue au loin vous remet dans la course. C’est un ours qui traverse la route! Très vite,vous descendez de votre voiture pour vous élancer dans les fourrés,à sa poursuite.Vous parcourez ainsi 1 km vers le sud, 1 km vers l’est et un 1 km vers lenord… Mais l’ours semble vous avoir semé. C’est donc un peu découragéque vous remontez dans votre 4x4. Destination: le bar du coin, histoirede noyer votre chagrin dans l’alcool.Au fait, quelle était la couleur de l’ours?

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Paix, amour et mursLaëtitia Cheyroux (Paris)Je suis étudiante. La photographie est pour moi un moyen d'aller à la rencontre des gens oude saisir des moments insolites. Avec ces photos, j'aimerais montrer que Paris a aussi desmurs en son sein, mais qu'ils délivrent des messages positifs.

Mur de la paix, au pied de la Tour Eiffel, juste en face de l’École militaire…

Le mur des « Je t’aime », à Montmartre, un espace où l’amour se conjugue dans toutes les langues.

photo des lecteurs

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paul hervé trois fois rien

Le 2 mars 1969, il l’a vu à la télévision, avec ses copains. Concorde.L’oiseau super-sonique. Ce jour-là, André Turcat pilotait l’avion pour son pre-mier vol, dans le ciel toulousain. Ému, impressionné, excité,Pierre Grange ne se doutait pas qu’il prendrait sa place dans lecockpit de l’appareil, quelques années plus tard, de 1984 à 1989.Mais il était bien conscient de l’exploit accompli:« Quand on passele mur du son, l’équilibre est modifié, les commandes se durcissent.Avant Concorde, beaucoup d’avions ont été accidentés. »

Aujourd’hui, Pierre Grange a pris sa retraite. Concorde aussi.Il ne vole plus depuis 2003.Pourtant,de nostalgie, il n’en est pasquestion.L’ancien pilote,aujourd’hui président de l’Apcos (Asso-ciation des professionnels de Concorde et du Supersonique),ouvre sa boîte à souvenirs sans mélancolie. Rendez-vous estdonc pris au Wepler, grande brasserie parisienne, installée laplace de Clichy. Il est midi, les clients affluent, la salle s’emplit

restaurant Brasserie Wepler, 14 place de Clichy, Paris 18e.Tél. :01452253-24. Menu à 21 ou 27 €. Carte : entre 39 et42 € en moyenne.

livresRevue Icare : Concorde et son histoire, www.revue-icare.comConcorde : essais d’hier, batailles d’aujourd’hui, André Turcat.Le Cherche Midi Editeur, 350 p., 2000, 19,50 €.

Déjeuner avec Pierre Grange

anne-claire letki

Le Concorde fête ses 40 ans. Seul appareil de

l’aviation civile française à franchir le mur du son,

l’oiseau supersonique reste un mythe.

d’un léger brouhaha. Désireux de déjeuner « léger », PierreGrange choisit un filet de rascasse vapeur au citron confit.

« Concorde était un avion magique qui a toujours suscité l’enthou-siasme des foules », observe Pierre Grange. Avec une posture, unecambrure et une finesse uniques, le prestigieux aéronef sédui-sait les esthètes.Mais il constituait avant tout une prouesse tech-nique: il passait Mach 2, une vitesse réservée aux meilleursavions de chasse. À bord, pourtant, aucune sensation ne trahis-sait la performance.« Dans la cabine, les passagers ne subissent pas lemur du son. Au contraire. À cette vitesse, l’avion évolue dans la strato-sphère, à une altitude protégée des perturbations », explique le pilote.

Afin d’éviter les nuisances sonores, le supersonique n’étaitpas autorisé à franchir le mur du son au-dessus des zones habi-tées. Et pour cause. « On pense souvent que le bang est produit aumoment où on atteint la vitesse du son, or le bruit est continu », sou-ligne l’ancien pilote d’Air France. C’est donc lorsqu’il survolaitl’Atlantique que Concorde pouvait enfin lâcher les chevaux, ets’offrir le fameux « bang ».Paris-New York en 3h30.Cette perfor-mance a attiré foule d’hommes d’affaires et de personnalités,malgré l’inconfort de la cabine. Pierre Grange se souvient avoirtransporté François Mitterrand. Il se remémore aussi nombred’anecdotes. « Un jour, Jean-Pierre Haigneré, pilote d’essai à cetteépoque, était à bord. On lui a fait un certificat de passage du mur du son.Six mois plus tard, il était dans l’espace », raconte-t-il.

Coupe glacée, suivie d’un café. La fin est proche. Le 25 juillet2000, l’accident de Gonesse – 113 morts – précipite l’arrêt deConcorde.« L’avion du futur devra consommer moins d’énergie et trans-porter plus de voyageurs »,analyse Pierre Grange.Or Concorde étaitun bijou. Qui passait le mur du son. l

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Master 2 journalisme 2009,la promo qui abat des murs

De gauche à droite en suivant le MUR.M: Pauline Ducamp, Gaëlle Darengosse, Nolwenn Hervé, Lucie Souliac, Camille Andres, Juliette Charbonneaux, Anne-Claire Letki.U:Raphaël Moran, Anna Britz, Émiland Guillerme, Aurélie Veyret, Vinciane Haudebourg, Hayat Gazzane, Laëtitia Cheyroux, Élodie Largenton, Rym Ben Ameur.R: Tiphaine Saliou, Sophie Normand, Gabriel Vedrenne, Loubna Anaki, Nicolas Chauvin, Charles Montmasson, Tangi Loisel, Romain Brunet, ThibaultPetithuguenin, Mounir Soussi.

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École de journalismepromotion 2009

École des hautes études en sciences de l’information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77 rue de villiers 92200 Neuilly-sur-Seine www.celsa.fr