celsa master'mag 2011

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Master Mag’ C E L S A M A S T E R 2 P R O F E S S I O N N E L Les marchés parisiens racontent l’histoire de Paris. Qui ne connaît pas un marché à proximité de son domicile ? Ils animent la vie parisienne et sont un repère pour les habitants des quartiers. Primeurs, bouchers, fromagers, fleuristes, pois- sonniers, tous les artisans vous interpellent dans la joie et la bonne humeur. Huppés, populaires, bio, spécialisés, ces lieux de vie sont le carrefour des échanges, créateurs de lien social où tous les sujets sont abordés. Nos équipes spécialisées se sont rendues sur pla- ce pour vous dresser le portrait des cinq marchés les plus emblématiques de la capitale. Mounia BOUKOUM Envoyée très spéciale IDÉE DE PROMENADE Marchés Paris dans

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Page 1: CELSA Master'Mag 2011

Master Mag’C E L S A – M A S T E R 2 P R O F E S S I O N N E L

Les marchés parisiens racontent l’histoire de Paris. Qui ne connaît pas un marché à proximité de son domicile ? Ils animent la vie parisienne et sont un repère pour les habitants des quartiers. Primeurs, bouchers, fromagers, fleuristes, pois-sonniers, tous les artisans vous interpellent dans la joie et la bonne humeur.Huppés, populaires, bio, spécialisés, ces lieux de vie sont le carrefour des échanges, créateurs de lien social où tous les sujets sont abordés.Nos équipes spécialisées se sont rendues sur pla-ce pour vous dresser le portrait des cinq marchés les plus emblématiques de la capitale.

Mounia BOUKOUMEnvoyée très spéciale

Idée de promenade

Marchés

Parisdans

lucdubos
Note
Je précise à ceux qui ont un Mac qu'il est préférable d'ouvrir ce fichier dans "Acrobat Reader" plutôt que dans "Aperçu" (ceci afin de profiter de la disposition des pages en vis-à-vis).... et je confirme - comme l'a très justement fait remarquer Nathalie - que l'Edito ne se met jamais ainsi en page de couverture.RETROUVEZ LES MASTER MAG' SUR CALAMEO :2008 http://fr.calameo.com/read/0001321003a9bdb7cd0322009 http://fr.calameo.com/read/0001321007d222f34b9ff2010 http://fr.calameo.com/read/0001321000fc030cfd6c7
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2 – 7 janvier 2011 – master mag’

ALIGRE

«Le maire a esquinté le marché. Ils sont en train de casser Aligre. » La remarque lapidaire de M. El Abed, marchand de

fruits et légumes depuis 1974 sur le premier pla-teau(*), résume une inquiétude grandissante :

« J’ai constaté une baisse d’un quart de mon activité pour une chute de la fréquentation de 70 %. Avant, les gens venaient non seulement des 5e, 13e, 12e et d’une partie du 20e arrondis-sement, voire même de banlieue. C’est de moins en moins le cas. Regardez, il est 11 heures et la rue est clairsemée ». Et de désigner la longue série d’étals colorés s’étendant en direction de la place d’Aligre.

Un autre commerçant de l’angle de la rue Cro-zatier, M. Terchoune renchérit : « La mairie parle d’augmenter l’an prochain de 100 % le montant du loyer qui est déjà de 200 euros les six mètres linéaires ! »

Pourquoi cette augmentation drastique ? D’abord, les loyers sont ici parmi les moins chers de Paris. Ensuite, la mairie explique qu’il s’agit d’un rattrapage.

200 ans d’histoireLe marché d’Aligre est le plus ancien et le moins cher de Paris. Il trouve son origine en 1779 avec la construction du marché couvert « Beauvau - St Antoine ». « Aligre » est le nom d’une veuve bienfaitrice de l’hospice des Enfants Trouvés, remplacé aujourd’hui par le square Trousseau. Sur la place d’Aligre, anciennement « La com-mune d’Aligre », se dresse l’hôtel de ville, chef-lieu d’une vingtaine de mètres carrés, dédié au placier et à l’administration. Seuls des forains de fruits et légumes longent les emplacements de la rue de l’Aligre, tradition souhaitée par la bienfaitrice et conservée aujourd’hui. PoPuLaire et conviviaLL’association de la « Commune libre d’Aligre » a été créée en 1955 par M. Jeanson, commerçant du marché Beau-vau. Chacun est le bienvenu dans ce café associatif situé 3 rue d’Aligre, haut lieu fédérateur de convivialité et de solidarité du quartier. L’association propose également des événements culturels, fêtes, vides-greniers, repas et apéros de quartier (liste des événements disponible au 01 43 41 20 55 /[email protected]).

nouveau concessionnaireLes emplacements du marché sont gérés par un concessionnaire, désigné par la mairie. Celui-ci doit attribuer les stands en priorité à des commerçants en fruits et légumes. Le renouvellement de la conces-sion est en cours. Cela risque de bousculer une tradition inscrite depuis de nom-breuses années, en raison notamment de l’augmentation possible des loyers.

En bref

Le plus ancien et le moins cher des marchés de Paris souffre aussi de la crise.

Ce journal a été réalisé dans le cadre du Master 2 professionnel “Information et communication” par les étudiants :François SILvAN, Mounia BOukOuM, Thierry LEMANT, Cyrille ThOMy, Stéphane TIxIER, Elie ChANCROgNE, Anna dA COSTA, véronique SERvE, Emmanuel SARAzIN, Nadège TETAz, Baya SEkhRAOuI, Nathalie NOuETTE-dELORMESoutiens : Eve BETTEz, Amandine BRASEy, Emmanuelle hEuRTEux, Armelle SERMETPublicité (et dons) : Celsa – 77, avenue de villiers 92200 Neuilly sur Seine

Formateurs : Paul dAudIN-CLAvAud et Luc duBOS.

Les commerçants du plus ancien marché de Paris s’inquiètent pour leur avenir. vendeurs de fleurs, de fruits et de légumes, ils ont fait l’histoire d’un lieu auquel ils sont très attachés

Marché d’Aligre : inquiets et victimes de la crise, les forains résistent

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master mag’ – 7 janvier 2011 – 3

ALIGRE

« Du coup, nous devrons le répercuter sur les prix publics », estime Hassan El Haddach, un des deux vendeurs bio du marché, qui déplore une baisse de 40 % de son activité sur les 4-5 dernières années.

Une inflation difficile à justifier, estiment ses voisins, le marché d’Aligre étant connu comme l’une des places les moins chères de Paris pour les primeurs. C’est une tradition.

En remontant la rue, les commentaires des fo-rains reviennent invariablement sur le sujet. Tout comme la politique de stationnement de la ville. Un parking devait être construit rue Crozatier mais le projet n’a pas abouti. Surtout : « Ils ont limité les possibilités de stationnement et la fourrière passe systématiquement entre 11 h 30 et 12 h 30, affirme Hamza, dont le grand-père était déjà là en 1962. Du coup les restaurateurs, notamment, viennent de moins en moins s’approvisionner ici. C’est un préjudice énorme. »

« Non, nous ne partirons pas. »Enfin, la crise économique est aussi passée rue

Aligre. « C’est très dur ! », constate Yolande. Fo-raine depuis 60 ans, elle vend des fleurs au coin des rues d’Aligre et Roussel, au début du « troi-sième plateau » d’Aligre, à côté du marché cou-vert Beauvau. « Nous ressentons plus durement la crise que les marchands de fruits et légumes. »

40 ans que la famille Terchoune vend des fruits et légumes à Aligre. Le fils a repris l’affaire il y a déjà quelques années. Cela lui apparaissait com-me une évidence, tant ce marché parisien intéresse les forains. « Il y a une liste d’attente de 10 ans pour avoir un emplacement ici », claironne M. Terchoune fils.Pour lui, depuis déjà quelque temps, les clients se font moins nombreux, la faute à la crise et aux difficultés de stationnement. Cette baisse de fréquentation l’inquiète. Le possible double-ment du loyer en 2011 aussi.Même s’il tempère : « Le mont-ant n’avait pas bougé depuis de nombreuses années et la mairie a fait pas mal de travaux pour

améliorer le site. » Ses clients sont principalement des riverains, habitués à sa casquette bleue en permanence vissée sur le crâne. En semaine, ce sont les retraités à pouvoir d’achat

limité. Le week-end est plus rémunérateur avec les jeunes actifs au portefeuille mieux garni. Les habitants des ar-rondissements limitrophes, voire de banlieue, se font de plus en plus rares.Malgré ces difficultés, il ne se voit pourtant pas faire autre chose. Quitter sa banlieue tous les jours dès 5 heures ne le rebute pas. Dans tous les cas, il restera fidèle au poste.

Thierry LéMANT

Terchoune, forain de père en fils

Marché d’Aligre : inquiets et victimes de la crise, les forains résistentUne cliente confirme : « Je viens toujours mais je vous achète moins souvent… »

Si la grogne apparaît omniprésente, les forains ne semblent pas découragés pour autant : il n’en est pas un pour évoquer un départ du marché bi-centenaire. L’attachement des forains au quartier semble viscéral.

« Quand je suis venue ici, j’étais enceinte de ma fille, se rappelle Yolande. elle a aujourd’hui 59 ans et travaille avec moi. Je sers désormais les en-fants de mes clients de jadis. et ils sont avec leurs petits-enfants. Non, nous ne partirons pas. »

Ceux qui sont à l’origine du marché continue-ront donc inlassablement à lutter contre le froid mordant de l’automne… et de la crise. « et puis moi, ironise Hassan el Haddach, je n’ai froid que quand il n’y a plus de clients ! »

François SiLvAn

(*) Première partie de la rue d’Aligre, fréquentée par les clients les moins aisés. Le deuxième plateau étant plutôt dévolu aux classes moyennes, et le troisième, contre le marché Beauvau, aux clients les plus aisés, racontent les forains.

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4 – 7 janvier 2011 – master mag’

BAtIGnoLLEs

«iLs sont où les clients ? » Le ton du crémier tranche avec les conversations feutrées ambiantes. En ce jeudi matin, les allées

du marché couvert des Batignolles sont très cal-mes. Emmitouflée dans son manteau épais, une dame très âgée demande doucement un crottin de Chavignol.

Un peu plus loin, Mme Renée trône à la caisse de la boucherie « Pilote ». « 4,28 euros pour le steak haché, mais je vous le fais à 4 ! » La clien-te rosit de plaisir et glisse son petit emballage entre un tube de dentifrice et deux yaourts. ici, les quantités achetées sont plutôt restreintes.

Séverine, la pimpante vendeuse de primeurs, confirme : « La clientèle de semaine est assez modeste. Nous proposons des produits de bonne qualité à des prix très raisonnables. »

Adidi vient ici parce que sa poussette ne fran-chit pas les marches du supermarché voisin : « Dans mon panier, j’ai un filet de colin. Du lait et des oranges pour ma patronne. » Adidi garde des enfants et fait quelques courses pour son employeur. « Mais quand ma patronne a des invités, c’est elle-même qui fait les courses ici. Le week-end. »

Vivement samediWeek-end. A ce mot magique, le visage de

Mme Renée s’éclaire : « Quatre fois le chiffre d’affaires de la semaine ! Les gens font la queue jusque dehors. Il y a cinq bouchers qui servent dans ma boutique. »

Plus elle parle de ses clients du samedi et du dimanche, plus elle se relève derrière sa caisse : « Les familles ont remplacé les grands-mères dans les grands appartements du quartier. et ces fa-milles reviennent à la cuisine ». Pot-au-feu, blan-quette, poule au pot, le week-end, Mme Renée n’arrête pas de conseiller, de donner des temps de cuisson et des petites astuces sur les sauces.

Séverine, la sémillante vendeuse de primeurs, renchérit : « Ces nouveaux clients ne sont pas forcément les plus fortunés du quartier, mais des

Poissonnier depuis 45 ans, Philippe prend plai-sir à satisfaire une nou-velle clientèle, curieuse, exigeante sur la qualité, soucieuse du juste prix.Sur son stand des Batignolles, entre deux coquilles Saint-Jacques ouvertes en un tour de main, Philippe est intarissable sur sa cli-

entèle passionnée de cuisine : « ça a tou-jours existé, mais elle s’est terriblement rajeunie. Ici, les week-ends, y’a toute une bande de trentenaires qui s’essayent à la cuisine : recettes traditionnelles, grosses pièces de poisson à cuisiner… » Il conseille ces nouveaux clients, en fonc-

Philippe, poissonnier : une espèce menacée

marché traditionnel de quartier un peu vieillissant, les Batignolles ont su capter une nouvelle clientèle, plus familiale et plus jeune.

Le marché des Battignoles fait quatre fois plus de chiffre d’affaires le week-end, par rapport au reste de la semaine.

Batignolles, le marché des nouveaux gourmands

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BAtIGnoLLEs

absa Lô, commerçante miLitante« Les Saveurs du Sénégal » n’est pas un traiteur comme les autres. Entre les masques, les assiettes d’accras et le mil qui boue, elle trône en photo avec Bertrand Delanoë. La Mairie de Paris est l’un de ses clients. L’étal du marché des Batignolles est une vitrine de l’association des femmes sénégalaises.

Pas PLus cher que La suPérette

Marché Supérettes

Choux-fleurs 1,50 à 2,50 e pièce 1,95 e pièce

Jambon cru Serrano 28 e/kg 29,50 e/kg

Salade/laitue 70 e pièce 1,95 e (sachet)

infos Pratiques24bis, rue BrochantOuvert du mardi au vendredi de 8h30 à 13h00 et de 14h00 à 20h00Le samedi de 8h30 à 20h00Le dimanche de 8h30 à 14h00

Philippe, poissonnier : une espèce menacée

tion des arrivages et des cours. « Quand ils reviennent la semaine suivante, ils me dis-ent : on s’est régalé, qu’est-ce qu’on peut essayer cette semaine ? Je leur propose autre chose… C’est super ! », Conclut-il, une étincelle dans les yeux.En termes d’approvisionnement, cela lui facilite les choses. Quand Philippe repère un beau produit à un prix raisonnable à Rungis, il le prend. Il sait qu’il pourra le proposer à ses clients, qu’il sera vendu et qu’ils seront contents.Rungis, il connaît. Il va s’y approvisionner tous les jours : « Avant de reprendre cette poissonnerie, j’y étais mandataire et gros-siste au pavillon de la pêche. »Quand il a repris ce commerce il y a 15 ans il y avait à peine une vingtaine de produits d’exposés. Aujourd’hui avec les

coquillages il propose plus de cinquante produits… « Pour vendre presque toujo-urs les dix mêmes produits il faut au moins ça. C’est la loi du genre. » C’est ce que font aussi les supermarchés. Comme eux, il vend du poisson d’élevage : bar, saumon. Il n’y a pas d’autres choix s’il vaut proposer un prix acceptable. « Mais moi je vends le top de l’élevage comme le saumon d’Écosse label rouge ». Ses clients testent, comparent parfois avec ce qu’ils trouvent en supermarché, mais ça ne l’inquiète pas : « Ils en revi-ennent tous ! En plus, je suis moins cher que beaucoup de marchés parisiens ! »Ce qui ne l’empêche pas de privilégier la qualité : « Je lève les filets à la demande. Les Saint Jacques, je les achète fraîches en coquille. Je les ouvre pour mes clients

car dans chaque colis il y en a des mau-vaises. »Sa première patronne lui disait : « Quand on vend du beau c’est impossible de revenir en arrière, on est obligé de toujours faire du beau… » Elle avait raison mais le beau, c’est aussi beaucoup de travail. Les journées de Philippe commencent à 3 heures du matin pour finir à 21 heures : « Mais qui veut en-core faire tout ça aujourd’hui ? Un apprenti ne peut travailler que 25 heures par semaine. Et en plus on est ouvert tous les jours ! » Peut-être la raison pour laquelle, on ne trouve plus les poissonniers que sur les marchés.« La retraite, je pourrais déjà y être. Je ne suis donc pas inquiet ! » : Philippe est philos-ophe mais surtout poissonnier passionné…

STéphane TIxIER

familles d’employés ou de cadres moyens qui se sont remis à la cuisine et qui recherchent des produits de base de qualité. »

Ces nouveaux clients viennent au marché cher-cher du service, du conseil, de l’envie. il est près de midi et en voici justement un. iPhone collé à l’oreille et bébé en poche kangourou, ce papa salue rapidement Séverine et file chez le traiteur japonais.

C’est l’un des trois traiteurs exotiques qui se sont installés ces cinq dernières années. ici, la cuisinière ne propose ni sushis, ni brochettes, mais de la cuisine japonaise originale et authen-tique : « Aujourd’hui, les gens voyagent, lisent, regardent la télévision. Ils sont curieux. » Elle surfe sur cette clientèle ouverte d’esprit, capable d’acheter un tournedos chez Mme Renée et une sauce au soja chez elle.

Et la cuisinière japonaise de poursuivre : « Nous avons voulu garder l’esprit de proximité du mar-ché. Les clients veulent savoir ce qu’ils mangent, comment ça se prépare. » Elle envisage même de proposer des cours de cuisine. De quoi pousser Madame Renée à quitter sa caisse ?

EliE CHAnCRognE

Batignolles, le marché des nouveaux gourmands En bref

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chÂtEAu RouGE

«DoNNez-MoI un kilo de gombo, s’il vous plaît. » Une fois par semaine, Madame n’Diaye vient depuis Bré-

tigny sur orge se ravitailler en produits africains au Marché de Château Rouge.

Coincé entre la rue Poulet et la rue des Poisson-niers, la petite rue Dejean était probablement pré-destinée à accueillir des magasins de bouche.

Mais ici, les volailles, le cabillaud, les courgettes et les poires ont été remplacés par le jakato, le malanga, le manioc, la christophine, la chayote, le gombo, la banane plantin, le vivaneau, le ca-pitaine et le tilapia.

Dans ce temple de l’exotisme, les commerces marchent par trois : trois poissonneries, trois boucheries et trois primeurs… et « Trois patrons qui détiennent l’ensemble de ce marché, ironise Hassan, le patron du bistrot du coin ». installé ici depuis dix ans, Hassan connaît tous les com-merçants. Derrière son comptoir en zinc et dans une grande pièce éclairée de lumière vive, il sert de bonne heure des verres de vins ou des cafés serrés à des vendeurs qui ont commencé leur journée très tôt.

Le marché du Château rouge ne connaît pas la crise. Derrière cette invitation au voyage se

Le marché de Château Rouge : un bout d’Afrique à Paris

cache un commerce florissant : « Les acheteurs viennent de loin, raconte fièrement Hassan, car c’est le seul endroit où l’on trouve ce type de produits. »

Mais rareté rime aussi avec cherté. Les prix éle-vés affichés en gros sur des pancartes fluo, ne se négocient pas toujours.

Même le poisson surgelé venu du Sénégal, reste inaccessible pour Madame n’Diaye. Elle ne remplit son panier qu’au prix d’un long marchandage avec chacun des commerçants. Mais aujourd’hui, les prix sont élevés et les bonnes affaires sont rares.

Seuls les vendeurs à la sauvette de DvD pira-tés proposent des prix battant par nature toute concurrence. Madame n’Diaye troque donc fi-nalement le traditionnel poulet yassa contre trois films dans la besace.

Baya SEkHRAoUi

De magnifiques éventaires et de succulents

produits exotiques mais pas toujours au

meilleur prix

Le plus exotique des marchés parisiens a su s’adapter à une clientèle essentiellement africaine.

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master mag’ – 7 janvier 2011 – 7

chÂtEAu RouGE

moustache haute, verbe fleuri et rire facile, Jacques aurait pu jouer le boucher dans un film de Jeunet et Carro. Son tablier blanc immac-ulé témoigne de son goût du travail bien fait. Lui est breton. D’ailleurs à Château Rouge, les patrons sont bretons ou Normands.A huit heures, Chez Hassan, le bis-trot du marché, Jacques retrouve les autres vendeurs. Pour lui ce sera un ballon de rouge. Pour Ali, le collègue poissonnier, un café bien serré. Les commentaires vont bon train surtout ceux de Jacques : « Le métier est dur, il faut se lever

tôt, travailler dans le froid. C’est la convivialité et l’entre-aide qui nous permet de tenir ! » Jacques incarne l’ancien marché, celui d’avant l’arrivé des Africains dans le quartier.« Avant c’étaient des gaulois ici… mais bon, faut s’adapter, hein ! Y’avait des fromagers, des charcu-tiers mais les Africains y mangent pas de ça. » Comme ses patrons, il s’est adapté : « Faut bien vivre. C’est le client qui décide, hein ! ». Jacques raccompagne Ali. Il regarde, circonspect, l’étal de son ami poissonnier. Il faut dire que le vivaneau, le capitaine et le tilapia se cuisinent peu dans sa Bretagne natale : « Quand je rentre chez moi à Choisy, je préfère manger des plats d’ici, de la charcuterie et du fromage ! » Au marché de Château-Rouge, Jacques vend des tripes de mouton, des ailes et des gésiers de poulet pour des plats africains. Mais, lui, ne les a jamais goûtés…!

nadège TéTAz

Le marché de Château Rouge : un bout d’Afrique à Paris

Couper le poulet en morceaux et le faire macérer pendant 2 heures au moins avec l’huile, le jus et l’écorce des citrons, les oignons émincés, le piment coupé en morceaux, le sel et le poivre. Bien remuer les morceaux de poulet pour qu’ils soient imprégnés de la marinade. Égoutter les

morceaux de poulet et les faire griller de tous les côtés dans une cocotte.Retirer les morceaux de poulet et faire revenir les oignons égouttés avec l’huile d’arachide.Laisser cuire doucement.Rajouter la marinade et les morceaux de poulet grillés et mouiller avec de l’eau.

Les états d’âmes du boucher “gaulois”au marché africain de château-rouge, Jacques – breton de souche ! – s’est adapté, bon gré malgré, à sa nouvelle clientèle.

Recette

Poulet Yassa de Madame n’Diayeingrédients :• 1 poulet• 4 citrons• 4 gros oignons• 4 cuillères à soupe

d’huile d’arachide ou d’huile de palme !

• 250 g de riz• sel/poivre• 1 piment rouge• 1 cube « Maggi » selon

la version

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8 – 7 janvier 2011 – master mag’

nEuILLy

«PARkINg gardé, gratuit la première heure » : une pancarte qui rassure sur-tout quand on est à neuilly ! En plus, il

permet un accès rapide aux commerces. A la sortie de l’ascenseur, l’ambiance des lieux

est saisissante. Les 70 commerces cohabitent dans un mélange des genres, même si les em-placements sont clairement établis et délimités. Un plan à l’entrée permet d’ailleurs de mieux s’y retrouver.

Mais sans doute vaut-il mieux se laisser aller à flâner dans ce joyeux fourre-tout, où se côtoient commerçants, artisans et restaurateurs. Au cœur d’une allée, un artisan rempailleur restaure une chaise pendant que son collègue conçoit une ban-quette pour valentino. Cet atelier grandeur nature est ouvert au public à quelques mètres d’une ta-pissière et d’un poissonnier.

Tous ces commerçants et artisans ont en com-mun leur fidélité à ce marché. Ce dernier était autrefois en extérieur. Le bâtiment qui l’abrite aujourd’hui date de 1974. Christian, le placier du marché depuis plus de 35 ans, connaît bien l’histoire : « C’est devenu plus confortable mais comme il y avait moins de places, il a fallu choisir entre les nombreux candidats. on a retenu les commerçants les plus anciens. »

Les marchands sont locataires de leur empla-cement et doivent s’acquitter d’un loyer auprès d’une société de gestion « le bureau ». Les murs demeurent la propriété de la mairie.

Un placier nostalgiqueLe « bureau » assure la police des lieux. C’est le

travail de Christian, qui doit arbitrer à la fois les conflits entre les clients et les commerçants mais aussi ceux entre commerçants. Et notre placier de se souvenir avec nostalgie : « L’ambiance du

début n’est plus. Avant la semaine se clôturait le samedi par un apéro en cœur du carré. Cette convivialité a disparu ! »

Aux douze coups de midi, l’odorat s’emballe. Le marché change de visage. Les métiers de bou-che s’activent pour accueillir les travailleurs du quartier. Lieu de rencontre ou d’échanges, dont l’affluence fluctue au gré de la météo.

Françoise, une chargée de clientèle d’une qua-rantaine d’années, déguste la tartiflette du jour : « Cela fait quinze ans que je viens ici pour déjeu-ner. C’est très convivial, mais par contre je n’y fais jamais mes courses : c’est inabordable ! »

Sandrine, elle, sert des crêpes à ses clients. C’est la plus jeune patronne du marché. Elle a succédé à Blanche, devenue son employé, le temps de passer le témoin : « Je veux conserver l’activité de départ en y apportant ma touche personnelle. »

Sans aller toutefois jusqu’à concurrencer ses

Couvert, ouvert du lundi

du samedi, il a particularité

d’accueillir à la fois des

commerces de bouches,

des restaurants et des étales

de décorations : bijoux,

vêtements, mobiliers…

Un marché classe à deux pas de Paris : le carreau de Neuilly

Un marché propret devenu de plus en plus confortable au fil des années. Seuls les anciens y ont gardé droit de cité.

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master mag’ – 7 janvier 2011 – 9

nEuILLy

Un marché classe à deux pas de Paris : le carreau de Neuilly

voisins. ici, le commerce va de pair avec le res-pect de la tradition et l’absence des grands bou-leversements.

Le premier souci est de satisfaire une clientèle privilégiée. L’esprit du marché allié au confort d’un bâtiment climatisé y contribue. Et ça mar-che : « Ici, raconte sandrine, on croise réguliè-rement dans les allées Jean Amadou, Véronique Jeannot ou Charles Pasqua. »

Certains employés du Carreau sont même de-venus des célébrités. Le comédien Jean Reno a travaillé ici comme employé de droguerie avant de devenir propriétaire de son stand de photos.

Bref, un marché tellement diversifié et agréable qu’on y passe facilement plus d’une heure. Du coup, le parking n’est plus gratuit : 2 euros la deuxième heure et 4 euros l’heure supplémen-taire : eh oui, on est bien à neuilly !

CyrillE THoMy

Portrait d’une pionnière du Carreau« euréka ma maison », la boutique de nicole est une échoppe où l’on trouve tout : de la droguerie aux arts de la table

Grande, brune, la soixantaine élégante, Nicole accueille sa clientèle dans une véritable caverne d’Ali Baba… Arrivée de Pologne il y a plus de trente ans, elle décide, encouragée par son mari, de reprendre cette droguerie. À l’époque, ce marché de Neuilly était en extérieur. Elle a donc été une des premières commerçantes à s’installer dans ce nouvel espace couvert et à faire évoluer son affaire : « Très vite, j’ai souhaité élargir mon offre. J’ai profité du départ de mon voisin pour agrandir ma surface de vente et élargir la gamme de produits. »Aujourd’hui, sur des étagères alignées du sol du plafond, les produits d’entretien de luxe côtoient les ustensiles de cuisine. Dans un coin, les verres et les couteaux trouvent place à proximité d’assiettes aux tons dégradés. Près de l’entrée, les cocottes, poêles, marmites s’empilent dans un joyeux bric-à-brac. De quoi témoigner de l’engouement actuel pour le « cui-siner vrai » : « Je me dois de satisfaire toutes les demandes de mes clients. Nous sommes un véritable mouton à cinq pattes. Et si je n’ai pas le produit demandé, je vais le dénicher ailleurs ! ». La clientèle, toujours exigeante tant en termes de prix que de qualité, est donc assurée de trouver son bonheur.Aujourd’hui, Nicole est un peu moins présente dans sa boutique. Pas par lassitude mais uniquement pour profiter de son statut de jeune grand-mère. Une re-traite toute provisoire. Nicole n’est pas prête à quitter ses casseroles…

naThalie nOUeTTe-delOrMe

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10 – 7 janvier 2011 – master mag’

LEs EnfAnts RouGEs

C’EST un endroit bien caché au cœur du quartier du Marais. Le nom est étrange. Le portail est discret, coincé entre deux

immeubles. Mais, une fois les portes franchies, on découvre le plus vieux marché de Paris. Ce sont des enfants abandonnés et habillés de rouge d’un orphelinat voisin du Xvie siècle, qui lui auraient donné son nom.

Sous 2 000 m2 de halles classées monument historique, vingt commerçants tiennent boutique dans un environnement préservé. Tout le monde se connaît depuis des années et chacun donne à ce lieu un air de famille, apprécié autant par les habitués que par les clients de passage.

Marché à taille humaine, les étals - à mi-chemin entre boutique et étalage - y sont limités mais ri-ches en parfums, en couleurs, et en personnalités. Chaque commerçant affiche ses spécialités sur

des ardoises, et invite à les goûter sur des tables installées derrière chaque stand.

Ce matin, Michele l’italien a préparé de la mo-zarella farcie de roquette, de tomates séchées et de bresaola, c’est beau et on n’y résiste pas. En face, sur un stand de produits d’agriculture biologique, potimarrons, pâtissons et crônes se partagent la vedette avec les plus « classiques » pommes, figues, noix et noisettes. Des effluves de viande grillée et d’épices se dégagent des stands à l’autre bout de l’allée.

Cuisine du mondePaisible le matin, le marché change de visage à

midi et se transforme en cuisine du monde.Spécialités régionales françaises mais aussi

marocaines, libanaises, japonaises, italiennes ou afro antillaises sont ainsi proposées : du colombo de poulet du « Corossol » au risotto « taleggio i parma » de chez « Michele » en passant par le « bento » de Takeo ou le couscous marocain agré-menté de pâtisseries.

Les allées étroites ne permettent pas de s’éten-dre à l’infini alors chacun colle ses tables à cel-les du voisin. La promiscuité ne gêne personne, au contraire. Les clients partagent, dans ce qui ressemble à une place de village, un mélange de convivialité, d’échanges et de complicité. Plutôt rare dans une grande ville !

VéroniquE sErVE

Dans une ambiance de

village, les habitants du

quartier y font leurs courses

et ceux qui travaillent tout

près y déjeunent

Les Enfants Rouges ne sont pas orphelins de clientèle

Créé en 1615 par deux commis-saires de guerre de Louis Xiii, le petit marché devait approvi-sionner le Marais. installé sous une halle en bois et équipé d’un puits et d’une étable, il rencontrait un succès important. il tient son nom de « Marché des enfants Rouges » d’un orphelinat, établi au Xvie siècle, qui recueillait les enfants perdus et les coiffait d’un bonnet rouge. Lorsque la mission quitte les lieux, en 1777, les Enfants-Rouges devinrent un vrai marché couvert. Le marché des Enfants Rouges sera cédé à la

ville de Paris en 1912.Lorsqu’il est menacé de destruction en 1995, des associations d’habitants se mobilisent pour sa conservation et grâce à leur action, il est rouvert en novembre 2000. inscrit à l’inventaire de Monuments historiques, il est devenu le cœur vibrant de la vie du quartier, « la place du village », comme l’appellent les habitants. Aujourd’hui, ce marché est ouvert tous les jours de la semaine.

anna DA CoSTA

Un peu d’histoire

Un marché à taille humaine qui jouit de quatre siècles d’histoire.

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LEs EnfAnts RouGEs

master mag’ – 7 janvier 2011 – 11

Les Enfants Rouges ne sont pas orphelins de clientèle

Zacharie est serveur au Corossol. Ce res-taurant afro antillais du Marché des Enfants Rouges, dont le nom évoque un fruit exotique, accueille touristes et habitués sur quelques tables aux couleurs vives et motifs « madras ».Jeans slim, veste de cuir ajustée, sourire charmeur et voix douce, ce jeune homme élancé de 20 ans à peine travaille à Paris depuis deux ans. étudiant en alternance en hôtellerie et restauration, il fait ses débuts dans un restaurant gastronomique du VIIIe arrondis-sement : « C’était une bonne école, mais un peu strict ! ». Le jeune homme préfère finale-ment le cadre simple et convivial du restaurant de sa tante, au cœur de ce marché discret du Marais.zacharie apprécie bien le plus ancien marché de Paris, en particulier son esprit familial : « Ici tout le monde se connaît, il n’y a pas de concurrence, chacun a sa spécialité : antillais, japonais, libanais… »Sur un fond de musique afro caribéenne, à un client qui vient de s’attabler, zacharie propose la carte du jour : tarte coco et fruit confits, jus de gingembre ou assortiment d’accras.Un peu plus tard, les travailleurs du quartier fi-nissent de déjeuner. Le soir, ce sera le tour des habitants du quartier ou touristes de passage. Ils viennent pour l’apéritif, partager des saveurs de France et d’ailleurs. Comme les petits plats de la tante de zacharie… !

eMManUel SaraZin

Enfant des îles aux Enfants Rouges

INFOS PRATIQUES39 Rue de Bretagne, 75003 Parisouverture :– Mardi, mercredi, jeudi :

de 8h30 à 13 heures et de 16 heures à 19h30 – Vendredi, samedi :

de 8h30 à 13 heures et de 16 heures à 20 heures Dimanche : de 8h30 à 14 heures

Les stands :• fruits et légumes bio, primeur • poissonnier, caviste, fromager, boulanger, charcutier • traiteurs antillais, libanais, marocains, portugais, italiens • fleuristesmétro : Filles du Calvaire (0.3 km) Saint-Sébastien-Froissart (0.4 km)station vélib’ : Mairie du 3e (0.2 km)

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