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LE MONDE DU SORCIER

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Collection SOURCES ORIENTALES

1 La naissance du monde

2 Les songes et leur interprétation

3 Les pèlerinages

4 Le jugement des morts

5 La Lune, mythes et rites

6 Danses sacrées

7 Le monde du sorcier

8 Génies, anges, démons

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SOURCES ORIENTALES vu

LE MONDE DU SORCIER

ÉGYPTE - BABYLONE - HITTITES - ISRAËL - ISLAM - ASIE CENTRALE - INDE - NEPAL -

CAMBODGE - VIET-NAM - JAPON

ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VIe

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ISBN 2-02-002778-X

@ ÉDITIONS DU SEUIL, 1966

La loi du Il mars 19S7 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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SOURCES ORIENTALES

Entre les monographies particulières que les archéologues ou les his- toriens consacrent à la vie religieuse de l'une ou l'autre des civilisations de l'Orient ou de l'Asie — et qui s'adressent à un large public — et les synthèses que les comparatistes publient, à partir d'une documentation patiemment élaborée, dans des revues ou des collections en général spé- cialisées, il y a place pour un troisième genre d'ouvrage dont nous allons définir le principe.

Sur l'initiative de l'un des signataires de cette préface, Marcel Lei- bovici, s'est constitué en automne 1957 un groupe de jeunes orientalistes comprenant Anne-Marie Esnoul (C.N.R.S., spécialiste des questions indiennes), Yves Hervouet (sinologue au C.N.R.S.), Paul Garelli (assyriologue au C.N.R.S.), Serge Sauneron (égyptologue, Institut français d'Égypte), Jean Yoyotte (égyptologue au C.N.R.S.) bientôt rejoints par Denise Bernot (birmanologue, aux Langues orientales) et par Jean-Paul Roux (islamologue au C.N.R.S.). Préoccupés, chacun dans son domaine, des phénomènes religieux, ils ont décidé de mettre en commun leur expérience et leurs curiosités pour publier une série d'ou- vrages consacrés aux croyances qui eurent cours — ou ont cours aujour- d'hui encore — dans les sociétés traditionnelles de l'Orient et de l'Extrême- Orient.

L'originalité de cette entreprise naît de l'optique nouvelle selon laquelle elle entend examiner ces problèmes religieux : au lieu de juxtaposer des ouvrages consacrés individuellement aux aspects de la vie religieuse d'une civilisation, il s'agit de présenter successivement les divers aspects d'un même phénomène religieux à travers le plus grand nombre possible de civilisations.

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Chaque volume se présentera ainsi sous la forme d'un recueil de contri- butions intéressant l'Orient ancien (Égypte, monde sémitique occidental, Mésopotamie et Anatolie, paganisme de l' Orient hellénistique) et moderne (chrétientés orientales, judaïsme, monde musulman), l'Asie centrale et l'Extrême-Orient (Inde, Chine, Japon, etc.) ; il montrera, en faisant largement appel à des textes originaux, traduits et commentés, mais aussi, chaque fois que possible, à l'observation directe des faits religieux, les aspects que le phénomène considéré a pris dans ces divers domaines.

Ainsi aurons-nous à aborder, après les cosmogonies (La Naissance du Monde), l'oniromancie (Les Songes et leur Interprétation), les Pèlerinages, le Jugement des morts et la Lune, bien d'autres questions :

— Conceptions du monde : cosmographie et physiques sacrées, fin du monde et apocalypse; astrologie; symbolismes divers (lapidaires, bestiaires, symbolique des plantes, des nombres et des lettres; aspects cosmiques de l'architecture sacrée...).

— Problèmes relatifs à la mort et à la survie : nature de la mort ; techniques d'immortalité ; topographie de l'Au-delà.

— Contacts avec l'Au-delà : nécromancie et revenants ; oracles, envoûtements et autres procédés magiques ; extases et ivresses ; masques et danses sacrées...

— Mantiques. — Cultes et rites terrestre : fêtes et saisons ; offrandes et sacrifices ;

hymnes et prières ; rites de passage ; rites de fondation ; images et idoles ; cultes des ancêtres...

Cette collection n'a pas la prétention d'être encyclopédique : le plus grand nombre possible de civilisations orientales sera, certes, représenté dans chaque volume, mais seulement dans la mesure où nous aurons pu nous assurer la collaboration de chercheurs qualifiés ayant accepté de quitter, pour un temps, leurs travaux personnels. Il arrivera d'ailleurs que certaines civilisations n'offrent pas, à propos du phénomène étudié, une documentation suffisante pour mériter de retenir l'attention.

Ne voulant pas contraindre les textes à entrer de force dans un cadre pré-établi, la collection se défend naturellement d'être une œuvre de comparatistes : chaque civilisation sera présentée pour elle-même, sans renvoi inutile dans le corps de l'ouvrage. Nous avons renoncé, en pleine connaissance de cause, à offrir du phénomène étudié une interprétation unanime. La collection n'exprime la doctrine d'aucune école. Chaque spécialiste présentera, avec une entière liberté d'esprit, et en restant seul responsable de ses interprétations, ce qui, dans son domaine propre, semble correspondre au phénomène général qui fait seul l'unité du livre. Toute vue différente serait tendancieuse ; saisir, dans leur diversité même, les

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attitudes religieuses dans leur contexte historique, géographique et social doit être la première entreprise de l'historien et c'est sans doute, pour l'humaniste, la plus féconde. Un des propos de « Sources orientales » est donc de fournir aux spécialistes et à tout curieux des matériaux utili- sables pour l'élaboration d'éventuelles synthèses comparatistes, pour la recherche des structures communes. Un autre propos, plus immédiat est de faire apparaître ce qui, dans les démarches fondamentales de l'esprit humain, a pu rapprocher les sociétés ou au contraire les diffé- rencier. En s'aidant à son gré de l'Index qu'il trouvera à la fin de chaque volume, le lecteur pourra opérer les rapprochements qui lui paraîtront s'imposer et constater les différences. Pour l'aider en cette affaire le présent volume contiendra une contribution initiale qui, sans prétendre constituer une synthèse méthodique, tentera de dégager des lignes direc- trices et lui proposera, comme point de départ de ses propres réflexions, des notes de lectures personnelles.

Le présent ouvrage traite des procédés magiques exercés par des hommes, dans un but maléfique ou bénéfique, sur d'autres êtres humains, leurs per- sonnes ou leurs biens. Un tel sujet pose d'emblée le problème des rapports entre la magie et la religion : n'y a-t-il pas certaines traditions où reli- gion et magie sont si proches qu'elles ne peuvent ni se condamner ni s'exclure mutuellement? Dans ce cas, le charme ne se confond-il pas avec le rite? Le prêtre avec le sorcier? La prière avec l'incantation? Quelle est la force efficace par elle-même de la parole ? La magie n'est-elle pas parfois une théurgie dégradée ?

Cet ensemble de problèmes présuppose l'existence de forces latentes et la possibilité de les utiliser. Les auteurs se sont efforcés de déterminer l'origine de ces forces, leur nature (impersonnelle ou personnalisée), leurs manifestations ; l'influence de certains objets et de certains lieux ; les effets de certaines paroles et de certains gestes.

D'autre part, l'utilisation de ces forces invite à examiner la person- nalité de l'officiant : peut-on établir une distinction entre le sorcier et l'exorciste? Quels sont le statut, la formation et l'importance dans la société de ces personnages? Quelles sont leurs techniques : incantations, charmes, amulettes, talismans, philtres, etc? Utilisent-ils ces techniques à titre défensif (prévention, libération) ou à titre offensif?

Parmi les maléfices, l'envoûtement pose une série de problèmes parti- culiers : opère-t-il par inscription? Par figurines représentant le patient? En quoi celles-ci sont-elles faites : cire, pâte, bois ? Sont-elles simplement

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représentatives, ou utilise-t-on, en outre, des fragments d'ongles, de cheveux, ou toute autre chose émanant de la personne à envoûter? Agit-on simplement sur des objets lui appartenant? Que devient la figurine après l'opération ? Le maléfice, enfin, est-il employé à des fins individuelles ou collectives (ennemis nationaux) ?

Le secrétariat de la collection : DENISE BERNOT, ANNE-MARIE ESNOUL,

PAUL GARELLI, YVES HERVOUET, MARCEL LEIBOVICI, JEAN-PAUL ROUX,

SERGE SAUNERON, JEAN YOYOTTE.

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SOMMAIRE

AVERTISSEMENT 12

NOTES DE LECTURE 13 par GEORGES CONDOMINAS, directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études.

Sorciers et Magiciens, 13.— Notes, 24.

LE MONDE DU MAGICIEN ÉGYPTIEN 27 par SERGE SAUNERON, Institut français d'Archéologie orientale.

Le domaine du magicien, 30. — Les forces adverses, 30. — Le magi- cien, 31. — Le magicien au travail, 34. — Les conditions préalables, 34. — Les techniques ordinaires, 36. — Les formules, 36. — Les rites paral- lèles, 42. — L'animation d'un corps subsidiaire, 44. — L'envoûtement, 45. — Contre-magie, 50. — Le magicien dans le folklore égyptien, 51. — Sigles, 57. — Notes, 58. — Bibliographie, 65.

LA MAGIE BABYLONIENNE 67 par ERICA REINER, Université de Chicago.

L'Exorciste, 71. — La sorcellerie, 72. — Charmes antiques, 74. — Exorcisme et magie, 77. — Sources et manifestations du mal, 78. — Les rites apotropaïques, 81. — La magie médicale, 91. — Amulettes et talismans, 93. — Notes, 97.

LE SORCIER HITTITE 99 par MAURICE VIEYRA, C.N.R.S.

Magie noire, 103. — Le mal, 109. — Le rituel et les procédés de la magie, 110. — Les procédés de la magie, 112. — L'origine de la magie, 115. — Les génies, 116. — Le processus magique, 117. — Magie sympathique, 117. —Substitution, 117. — Annulation, 118. — Concré- tisation, 119. — Notes, 120. — Bibliographie, 124.

LA MAGIE EN ISRAËL 127 par GEORGES VAJDA, directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études.

La période biblique, 130. — La période postbiblique, 133. — Le fait magique, 134. — Les forces latentes, 135. — Personnage et statut

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social de l'opérateur, 138. — Techniques de magie et de contre-magie, 140. — Sorcellerie et sorciers dans le judaïsme d'Europe au moyen âge, 144. — Procédés apotropaïques, 148. — Magie et kabbale, 149. — Notes, 151. — Bibliographie, 153.

LE MONDE DU SORCIER EN ISLAM 155 par TOUFY FAHD, Université de Strasbourg.

Place de la magie et de la sorcellerie dans la classification des sciences, 157. — Classification de Hâjjî Khalifa, 157. — Classification de 'Ibn Khaldûn, 158. — La magie noire, 159. — Magie et divination, 159. — Magie, divination et prophétie selon 'Ibn Khaldûn, 16o. — Caractère astral de la magie, 160. — Définition de la magie d'après le Ps. Majrîti, 160. — Magie théorique, 161. — Magie pratique, 161. — Désignation de la magie chez les Grecs, 161. — La magie et la sphère zodiacale, 161. — Magie, astronomie et astrologie, 162. — L'homme et la sphère céleste, 163. — Les principes de causalité et de relativité au service de la magie, 164. — L'Incantation, 164. — Magie prohibée et magie permise, 165. —Magie et miracle, 167. — Dispositions naturelles propres au magicien, 168. — La nature parfaite, 169. — L'Évocation des esprits, 169. — Comment attirer à soi la spiritualité des planètes, 170. — La théurgie, 172. — Différence entre magie et théurgie, 172. — Objet de l'art talisma- nique, 172. — Connaissances qu'il requiert : les sciences philosophiques, 173. — Les lois physiques, 174. — La surface, 174. — Temps et mouvement, 174. — Le lieu, 175. — Le nombre, 175. — Qualité et causalité, 175. — Les propriétés, 175. — Les pierres, 176. — Les animaux, 177. — Les végétaux, 177. —Survivance de la théurgie anti- que dans la tradition musulmane, 179. — Le pouvoir magique du verbe en Islam, 180. — Les beaux noms de Dieu, 181. — Théurgie et ono- matomantique, 181. — Constituante de la magie naturelle, 183. — La magie blanche ou naturelle, 184. — Principe de la magig naturelle, 184. —Variétés de magie naturelle, 184. — Nîrinjât, 185. — Philtres, 186. — Nîrinjât et invocations, 186. — Le magicien et le faiseur de pluie, 187. — Le mauvais œil, 188. — Conclusion, 189. — Notes, 190. — Bibliographie et abréviations, 201. — Quelques manuscrits présen- tant un intérêt particulier, 203.

LE CHAMAN 205 par JEAN-PAUL Roux, C.N.R.S.

Le milieu, 207. — Chamans et sorciers, 208. — Domaine du chamanisme 209. — Prépondérance du chaman, 210.— D'autres sorciers?, 211. — Le chaman ne chamanise pas seulement, 213. — La divination, 216. — La pierre à pluie, 218. — Valeur bienfaisante du chamanisme, 219. — Les fonctions fondamentales du chaman, 220. — Le medecine-man, 221. — Le voyage au ciel, 221. — La divination chamanique, 222. — Le chaman-prêtre, 222. — Le sacerdoce et l'empire, 224. — Notes, 227. — Bibliographie, 231.

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LE MONDE DU SORCIER EN INDE 233 par CLAUDE JACQUES, Institut d'Indologie, Pondichéry.

La magie dans l'Inde védique, 236. — La civilisation védique, 236. — La magie védique, 241. — Les sorciers à l'époque védique, 252. — La magie dans l'Inde post-védique, 254. — La civilisation post- védique, 254. — Magie et vie spirituelle, 257. — Magie et bénéfices matériels, 264. — Les sorciers?, 272. — Notes, 277. — Bibliographie sommaire, 280.

LE MONDE DU SORCIER AU NÉPAL 281 par A. W. MACDONALD, C.N.R.S.

Le guérisseur dans le monde népalais, 283. — La possession involontaire, 287. — La possession comme institution, 289. — La possession volon- taire, 291. — Comment les hommes viennent aux esprits, 291. — Comment les esprits viennent aux hommes, 299. — Notes, 301. — Bibliographie, 304.

LE MONDE DU SORCIER AU CAMBODGE 305 . par PIERRE BITARD, Consul de France.

Les esprits vitaux, 307. — Catégories d'esprits, 308. — Sorciers et sorcières, 311. — L'invulnérabilité, 313. — Maléfices, 316. — Méde- cine magique et démons, 318. — Invocations aux Neakta, 320. — Appel des esprits vitaux, 322. — La magie et la vie journalière, 325. — Notes, 327. — Bibliographie, 328.

LE MONDE DU SORCIER AU VIETNAM., 329 par MAURICE DURAND, directeur d'études à l'École des Hautes Études.

Les êtres aux pouvoirs surnaturels, 331. — Les métamorphoses, 333. — Le héros sorcier, 336. — Les sorciers, 338. — Charmes et philtres, 343. — Un exemple de grand sorcier au Vietnam, 345. — Bibliographie, 350.

LE MONDE DU SORCIER AU JAPON 353 par RENÉ SIEFFERT, professeur à l'École nationale des Langues orientales vivantes.

Définitions, 355. — Bouddhisme et magie, 359. — Shinto et magie, 372. — La sorcellerie populaire syncrétique, 375. — Hijiri et yamabushi, 376. — Les miko, 382. — Les ommyô-shi, 384. — « Praticiens » divers, 385. — Conclusion, 386. — Notes, 387.

INDEX 391 CARTES

Egypte 28

Chaman 214-215 Inde 234 Cambodge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306

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AVERTISSEMENT

I. — A la demande de l'Éditeur, et par égard pour le public non spécia- lisé, les collaborateurs de la collection Sources orientales ont adopté, pour la transcription des noms propres et vocables orientaux un système convention- nel très simplifié. Dans tous les cas ce système a toutefois été conçu de façon à permettre aux spécialistes de rétablir aisément la forme originale des mots.

2. — Afin de distinguer des paragraphes de présentation et des com- mentaires qui les entourent les longues citations de textes orientaux, ces der- nières ont été composées en retrait, et sont donc signalées très lisiblement par un élargissement de la marge.

3. — Dans les traductions, les passages ou mots incertains sont imprimés en italiques ; les passages lacuneux ou corrompus, lorsqu'ils sont omis, sont remplacés par des points de suspension entre crochets carrés.

4. — Deux séries de notes ont été prévues : a) les notes indispensables à l'intelligence du texte ont été placées en bas

de page et sont appelées par des chiffres mis entre parenthèses ; b) les notes scientifiques (références aux sources, appareil critique, dis-

cussions de détails), sont groupées à la fin de chaque chapitre et sont appelées par des chiffres non placés entre parenthèses.

5. — Chaque chapitre est en principe suivi d'une bibliographie com- portant, s'il y a lieu, la liste des abréviations et sigles employés par l'auteur dans le cours de son travail.

6. — L'index comprend les principaux noms propres et titres cités. Il renvoie en outre aux divers passages où sont étudiés des notions et des symboles fondamentaux pour l'histoire des religions.

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NOTES DE LECTURE SORCIERS ET MAGICIENS

PAR GEORGES CONDOMINAS

« Le monde du sorcier »... Cette expression évoque pour le lecteur occidental le domaine du mystère par excellence; selon qu'il est croyant ou non, s'agitent dans ce domaine, démons et créatures maudites tous voués au service de Satan ou au contraire, névrosés et charlatans tirant profit de superstitions dont ils sont parfois eux-mêmes les victimes. Mais pour le croyant ou l'incroyant, il s'agit d'un monde bien délimité au-delà des frontières du quotidien et, pour le croyant, du religieux.

En fait comme on le verra dans cet ouvrage, ethnologues, philologues et historiens ne s'accordent pas toujours sur le contenu exact du « monde du sorcier ». En effet pour tout ce qui relève de la magie, l'opinion des théoriciens depuis Tylor varie sur les frontières à tracer entre celle-ci et la religion : l'œuvre monumentale d'un Frazer est pour sa plus grande part consacrée à cette question. S'attaquant au même pro- blème, Hubert et Mauss 1 ont ainsi défini les rites magiques, — en s'attachant non plus à leurs formes, mais aux conditions dans lesquelles ils se produisent —, « tout rite qui ne fait pas partie d'un culte organisé, rite privé, secret, mystérieux et ten- dant comme limite vers le rite prohibé 2 ». Cependant, malgré la précision de cette définition, la frontière qui sépare la magie de la religion demeure insaisissable : « Ces deux extrêmes forment, pour ainsi dire, les deux pôles de la magie et de la religion : pôle du sacrifice, pôle de maléfice. Les religions se créent toujours une sorte d'idéal vers lequel montent les hymnes, les vœux, les sacrifices et que protègent les interdictions. Ces régions, la magie les évite. Elle tend vers le maléfice, autour duquel se groupent les rites magiques et qui donne toujours les premières lignes de l'image que l'humanité s'est formée de la magie. Entre ces deux pôles, s'étale une masse confuse de

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faits, dont le caractère spécifique n'est pas immédiatement apparent. Ce sont les pratiques qui ne sont ni interdites, ni prescrites d'une façon spéciale. Il y a des actes religieux qui sont individuels et facultatifs; il y a des actes magiques qui sont licites 3. »

On retrouvera un écho de cette absence de délimitation précise entre magie et religion dans les différents chapitres de ce livre où la majorité des philologues et des historiens souli- gnent que les documents dont ils disposent sont en général simplement allusifs : ceux-ci décrivent surtout les rites de protection contre les effets de la magie et de la sorcellerie et laissent dans l'ombre les rites « de production » proprement dits, que l'on doit déduire des premiers. Quant aux ethno- graphes, ils connaissent pour la plupart, l'embarras à classer certaines de leurs observations qu'ils sont ainsi obligés de regrouper en une masse de faits magico-religieux.

Il nous faut donc admettre que toute une partie du monde magique couvre un domaine flou qu'il se partage avec la reli- gion; mais si maintenant nous abordons le contenu du mot « sorcier » lui-même, nous tombons en pleine ambiguïté. Cer- tains auteurs le tiennent pour un personnage dont le rôle peut être assimilé à celui d'un prêtre; pour d'autres il s'agit d'un magicien doté d'un statut officiel; pour certains ce magicien, reconnu comme tel, reste cependant ignoré des autorités ; pour d'autres enfin le terme « sorcier » dénonce un être malé- fique, dangereux, dont la société cherche à se protéger et à qui elle réserve le châtiment suprême lorsqu'elle le découvre 4.

Que suggère en fait pour un homme du xxe siècle le mot « sorcier » ? D 'une par t le bûcher de l 'Inquisition, les messes noires et les Sabbats, de l 'autre les défenseurs fanatiques des superstitions indigènes que combattent les missionnaires. Cette dernière attitude n'est d'ailleurs pas particulière au Christianisme. Les tenants des grandes religions ont toujours manifesté du mépris pour celle des autres, surtout lorsque ceux-ci sont leurs vaincus. Le brâhmane, rappelle Claude Jacques, traite ainsi les prêtres des peuples « barbares »; d'ail- leurs s'il les méprise, il les craint en même temps, pour les secrets qu 'à ses yeux ils détiennent. Le rapprochement paraît encore plus net dans le Judaïsme biblique où la doctrine et les

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faits rappelés par Georges Vayda semblent faire écho à cette double notion de la sorcellerie et à sa condamnation. D ' u n e

part la formule de l 'Exode (22,16) :

Tu ne laisseras pas en vie la magicienne

a été suivie à la lettre, comme en témoigne le souvenir de la pendaison en un jour, des quatre-vingts sorcières d'Ascalon. D'autre part, le profond dédain qu'affiche le Deutéronome (18,9-15), par exemple, pour les pratiques magico-religieuses des peuples conquis par Israël : le Dieu unique ne peut souffrir qu 'on rende un culte à des divinités étrangères 5.

Il semble qu 'on puisse dégager grosso modo trois types de « sorciers » :

Dans le premier cas, celui-ci représente la seule catégorie, ou la catégorie dominante, de spécialistes ès-affaires magico- religieuses ayant statut officiel reconnu au sein d 'une société donnée. Par exemple le chamane ou encore les prêtres de cultes animistes (dont certains sont parfois assistés de médiums).

Le second type offre la plus grande variété de situations. C'est celui où, tout en ayant lui-même statut officiel, le « sor- cier » cohabite avec d 'autres catégories sacerdotales; celles-ci occupent f réquemment un statut supérieur au sien.

Enfin, troisième type de « sorcier » : celui-ci n 'a qu ' un statut « négatif » : l 'autorité le pourchasse moins comme représentant de religions interdites que comme prêtre de la contre-religion, le serviteur de l 'Esprit du Mal dressé contre le Dieu unique.

Nous ne prétendons pas établir des frontières strictes entre ces trois catégories, les définitions que nous en donnons le montrent par elles-mêmes; sans compter qu 'aujourd 'hui l'ex- pansion de la société industrielle a réduit considérablement le nombre des sociétés isolées repliées sur elles-mêmes; et la plupart des cultures à espace social restreint qui possèdent des magiciens de la première catégorie ont, elles aussi, été absorbées par des ensembles plus vastes et, de ce fait, sont en cours de transformation accélérée. Acculturation du milieu non seule-

ment économique et social mais idéologique au sens large, celui des représentations et qui atteint le « monde du sorcier ».

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Celui-ci d'ailleurs ne se limite pas au seul système des croyances, mais touche à tous les aspects de la vie sociale.

Mais avant d 'examiner de plus près ces trois types de sorciers, qu 'on nous permet te pour la commodité de l'exposé, de préci- ser un point de vocabulaire (en avouant d'ailleurs avoir déjà appliqué dans un travail e thnographique antérieur, la dis- tinction présentée ici).

Nous avons vu que le mot « sorcier » possède par lui-même dans notre tradition, un contenu foncièrement péjoratif, lequel est loin de correspondre au statut réservé dans leur propre société, aux individus ainsi dénommés par nos observateurs. Cependant ces sociétés accusent toute une catégorie d'êtres humains de manipuler des sortilèges ou d'utiliser à mal les pouvoirs magiques dont ils sont doués; et c'est jus tement contre ces « sorciers » qu 'opèrent chamanes et autres magiciens. Or nous voyons f réquemment utiliser le mot « sorcier » pour les deux catégories antagonistes : celle des jeteurs de sorts et mangeurs d 'âmes et celle des panseurs de secret et guérisseurs. Il m 'a semblé plus rationnel de suivre la tendance qui accorde le titre de magicien à l ' individu doté de pouvoirs magiques qu'il utilise dans le bien de la société, en réservant le mot sorcier à l 'être essentiellement malfaisant et nocif que combat le pre- mier 6 et auquel la définition donnée par Jean Bodin dans sa Démonomanie des Sorciers peut être appliquée : « Sorcier est celui qui par moyens diaboliques sciemment s'efforce de par- venir à quelque chose 7. »

Il arrive d'ailleurs que le magicien utilise à mauvaise fin les dons qu'il possède et devienne sorcier. En outre le magicien d'une communauté n'est-il pas fréquemment tenu pour sorcier par les membres de la communauté voisine? Tant il est vrai que l'étranger est souvent l'ennemi. Il n'est pas rare de voir des prêtres pratiquer la magie de guérison; il arrive aussi que certains glissent ensuite à la sorcellerie, ou même, si l'on en croit Pierre de Lancre par exemple, qui en fit brûler plu- sieurs en 1610, passent directement du sacerdoce au service de Satan.

Ce qui a frappé les voyageurs et les missionnaires qui ont observé et décrit les magiciens du premier type, ce sont les tours qu'ils pratiquent et surtout les transes dont ils sont saisis

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au cours de leurs cérémonies. D'où les noms de sorciers, char- latans et autres dont on les voit gratifiés depuis le père Lafitau. Certaines scènes de possession ne peuvent laisser indifférent, — qu'on se reporte par exemple aux minutieuses descriptions qu'en donne ici à propos des jhàkri népalais, A. W. Macdonald — et un prêtre, déjà prévenu contre un système de croyances différent du sien, pourra y voir la marque du démon.

Cela n'a pas cessé d'intriguer ethnologues et psychologues qui, tout naturellement, ont été amenés à rapprocher ces mani- festations des phénomènes de névrose et même à les assimiler à ceux-ci. On a alors appliqué des diagnostics valables pour notre société à des comportements qui n'ont pas la même connotation dans les cultures où on les avait observés et où ils répondaient au contraire à une fonction liée à un ensemble conceptuel cohérent. « Là où la possession apparaît non pas comme une maladie mais comme une condition requise pour l'exercice d'une profession « médicale », cela n'entraîne nul- lement la nécessité d'être malade pour devenir possédé ni que la possession ne rende mentalement malade. » (Where posses- sion does not occur as an illness but as a requisite of the « medi- cal » profession, it neither needs an ill person to become posses- sed nor does it make mentally ill 8.)

Le chamane n'est pas le névrosé que beaucoup d'auteurs ont cru voir autrefois, parce que les rites qu'il effectuait parais- saient aberrants aux étrangers qui les observaient. Un homme comme Ddôi, njau mhà' mnong gar réputé et l'un de mes meil- leurs informateurs, répondait à la description devenue classi- que que W. Sieroszewski a donnée du chamane yakout : « Un véritable chamane doit posséder les vertus qui forment le trésor du cœur humain; il doit être sérieux, avoir du tact, savoir convaincre son entourage. Surtout, il ne doit pas se montrer présomptueux, fier, emporté 9. »

Cependant, toutes les sociétés à chamanes n'offrent pas des personnalités de ce type, bien au contraire; et, très souvent, une maladie mentale est le signe d'une vocation chamanis- tique que l'individu ainsi marqué doit suivre pour recouvrer son équilibre 10. D'autre part, les performances du chamane dans l'exercice de ses fonctions, comme les phénomènes de possession rituelle, présentent des affinités avec certains trou- bles psychopathologiques. Pour S. F. Nadel, « il est possible que le chamanisme à la fois exploite et canalise les prédispo-

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sitions neurotiques, au point qu'elles demeurent relativement stables et confinées à un seul domaine » (« it is possible that shamanism both exploits and canalizes neurotic predispo- sitions, so that they remain relatively stable and confined within one sphere ».) Le même auteur, étudiant les effets du contact de civilisation dans une région où voisinent des sociétés à chamanisme et d'autres qui ne le pratiquent pas, conclut « qu'il serait possible de montrer que psychoses et désordres apparentés sont en accroissement dans les groupes non-chama- nistes, alors que dans ceux qui pratiquent le chamanisme, l'accroissement de celui-ci irait de pair avec une stabilité qui se maintiendrait relativement inchangée sur le plan de la santé mentale » (« it must be possible to show that psychoses and kindred disorders are increasing among the nonshamanistic groups, the increase of shamanism would go hand in hand with a relatively undisturbed mental stability 11 »).

Enfin nous ne nous éloignons pas trop de ce domaine en rappelant comment la cure chamanistique a pu être comparée, avec beaucoup de pertinence, par Claude Lévi-Strauss à la cure psychanalytique 12. On retrouve ainsi en substance dans des techniques thérapeutiques particulièrement modernes, certains procédés apparemment très archaïques du chamane, cet « abréacteur professionnel 13 ».

Quoi qu'il en soit des « fonctions latentes» du chamane, les observateurs sont unanimes pour souligner l'importance de ses « fonctions manifestes » dont J. P. Roux nous donne plus loin un aperçu. Elles lui donnent une place privilégiée, même lorsque les rites publics sont confiés à des prêtres comme chez les Pawnee 14. Cependant il faut remarquer qu'elles jouent pleinement dans des cultures à espace social restreint; et l'exem- ple mongol le démontre assez nettement, lorsque celui-ci s'élargit, d'autres systèmes religieux associés à de vastes ensem- bles supplantent le chamanisme : le chamane entre alors dans un rôle de magicien secondaire.

Au sujet des magiciens de la première catégorie nous avons surtout insisté sur le chamane ; nous ne prétendons pas que tous les magiciens, tous les medicine-men soient des chamanes, loin de là; mais celui-ci nous semble représenter le cas limite, le magicien par excellence. Et même dépassant ce cadre, si nous prenons l'ensemble des spécialistes magico-religieux, on voit que le chamane y occupe une place particulière. Pour reprendre

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la définition de Mircéa Eliade, il « est le spécialiste d'une transe, pendant laquelle son âme est censée quitter le corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infer- nales 15 ».

Les autres exploits relevant du merveilleux et du fantastique que l'on attribue au chamane (voyage dans les airs, ubiquité, métamorphoses, communication avec les êtres de l'Au-delà, etc...), on les voit pratiquer par toutes les autres catégories de magiciens.

De même on retrouvera d'une culture à l'autre tout un arsenal de manipulations que les magiciens partagent souvent avec les sorciers, ne serait-ce que celles qui figurent dans les rites apo- tropaïques pour délier les sorts que ces derniers ont jetés; les magiciens utilisent alors les armes propres de leurs adversaires pour annihiler les effets de maléfices lancés par ceux-ci ou par le magicien opérant pour l'ennemi.

Un moyen cependant semble occuper une place éminente : la puissance du verbe, pouvoir humain par excellence. Le désir exprimé dans les formes requises entraîne sa réalisation ; le nom, le signe du dieu ou de l'esprit le réalise au profit de qui le sait invoquer convenablement. Lorsque la parole acquiert une certaine matérialisation, une permanence grâce à l'écriture, sa puissance devient alors considérable. Le signe écrit qui se renforce de l'image, du signe dessiné, devient efficace par lui-même : il n'est plus besoin de le prononcer pour provoquer son existence; il suffit simplement de garder sur soi ou même chez soi, l'objet sur lequel la formule a été transcrite pour que celle-ci agisse par sa seule présence.

Dans des systèmes religieux à divinités multiples, la société reconnaît aux magiciens une place aux côtés des différents corps sacerdotaux dévoués aux divers cultes. Il arrive qu'un prêtre, par exemple le brahmane d'après Claude Jacques, pratique officiellement la magie. Mais plus souvent la fonction de magicien est exercée par un spécialiste particulier qui occupe un rang inférieur dans la hiérarchie. Ainsi en est-il de la « vieille femme » hittite décrite par Vieyra : elle apparaît comme un personnage officiel certes, mais situé au bas de l'échelle. Notons au passage, comme le souligne le même auteur, que ces fonctions sont exercées par un beaucoup plus grand nombre de femmes que

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d'hommes, fait que l'on retrouve dans la majorité des autres sociétés. Plus souvent ce rôle est dévolu au prêtre animiste d'une

population vaincue par les tenants d'une grande religion : tels ces prêtres non-indiens qui savent parler à des dieux que le brahmane ne peut lui-même circonvenir. Dans les pays qui pratiquent le Bouddhisme theravaddin comme le Cambodge, décrit ici par P. Bitard, le culte des Génies, des neak ta continue de prospérer. L'achar, ou son équivalent, reste un élément essentiel de la vie religieuse des paysans de l'Asie sud-orientale. Les chao cham et les différents mo que j'ai connus au Laos, souvent assistés de dames-médiums, se considéraient — et étaient tenus pour tels par les autres paysans —, comme de bons boud- dhistes : les occasions ne manquent pas de les voir officier sous l'œil complaisant des bonzes, dans la cour même de la pagode.

La symbiose qu'offre le Bouddhisme mahayaniste là où il s'est implanté apparaît encore moins hiérarchisée. Le nouvel univers religieux ne se présente pas sous forme de couches horizontales, mais d'apports verticaux parallèles, fortement soudés comme dans le système syncrétique chinois, dit des Trois Religions. Certes le Taoisme n'y fait pas figure de religion vaincue, il avait en effet considérablement transformé les éléments de la religion chinoise primitive en un corps de doctrine haute- ment élaboré, lorsque le Bouddhisme a pénétré en Chine. Mais sa décadence a fini par donner de ses prêtres une image très dégradée au point qu'on les tient surtout pour des magi- ciens. La décadence du Bouddhisme n'a pas eu les mêmes conséquences, bien que la situation de son clergé ne soit pas supérieure à celle des tao-che. La remarque de Henri Maspéro me semble reposer sur une solide interprétation des faits. Considérant l'ensemble des Trois Religions, il dit : « Nous y voyons des différences de dogme, de panthéon, de rituel; ils (les Chinois) n'y voient que des différences de spécialistes à l'intérieur d'un seul et même système religieux : le bonze est le prêtre qui sait ce qu'il faut faire pour les morts, le tao-che le prêtre qui sait chasser les démons 16. »

Ce que nous décrit Maurice Durand à propos du Vietnam montre le rôle primordial que joue dans ce pays la magie et l'importance de l'apport des cultes populaires. Cette coexistence parallèle de deux systèmes religieux s'influençant mutuellement, apparaît encore plus clairement au Japon avec le Shinto et le

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Bouddhisme, ce dernier introduit par la classe dirigeante qui n'a pas voulu pour autant se défaire de son antique religion dont les prêtres assument un rôle de religion pratique. Cepen- dant comme le montre Sieffert, les moines bouddhistes n'ont pas dédaigné, eux aussi, de recourir à des pratiques contraires à l'esprit même de leur dogme.

L'Islam, religion monothéiste, s'est trouvé aussi associé à des systèmes de synthèse. On en trouve une brillante illus- tration avec l'ouvrage que Clifford Geertz a récemment consacré à la religion de Java17. Pour lui, la société javanaise s'organise autour de trois noyaux socio-économiques; — le village, le marché et la bureaucratie gouvernementale — qui correspondent à autant de subdivisions culturelles et de types d'attitudes reli- gieuses :

abangan, la religion populaire de la masse paysanne; santri, un Islam qui se veut orthodoxe, pratiqué par la

classe commerçante urbaine et les riches paysans; prijaji, mystique élaborée à partir d'éléments hindo-boud-

dhistes, et qui est l'apanage de la classe supérieure. Dans l'abangan, religion populaire animiste semblable à

celle que l'on retrouve ailleurs en Asie du sud-est et à laquelle le P. Cadière a consacré ses plus beaux travaux, le dukun gué- risseur et magicien tient un rôle central dans une société globale qui se veut musulmane.

Par ailleurs on verra plus loin le rôle important que joue la magie dans l'Islam classique. Toufy Fahd rappelle d'ailleurs que celle-ci et la sorcellerie avaient leur place dans une classi- fication des sciences, ce qui ouvre des perspectives particulière- ment intéressantes dans ce domaine nouveau de l'Ethno- science.

Le Dieu unique veut rester seul maître du troupeau et supporte mal la présence d'autres divinités qui, lorsqu'elles ne sont pas converties en Saints 18, apparaissent comme des manifestations ou des assistants de son adversaire, l'Esprit du Mal.

Certes la présence de sorciers est attestée dans toutes les sociétés; quel que soit le groupe ethnique on y trouve toujours menticn de ces êtres maléficients contre lesquels magiciens et prêtres doivent combattre et que l'on voit le plus souvent

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condamnés au châtiment suprême par le pouvoir séculier et l'ensemble de la population 19.

Cependant c'est principalement en Europe occidentale que la sorcellerie et sa répression ont pris, notamment du XIIe au XVIIIe, une telle ampleur qu'on ne peut parler du « monde du sorcier » sans évoquer l'univers chrétien des siècles passés. Mais le monde du sorcier y occupe alors une place toute parti- culière : il apparaît comme une sorte de secte, d'anti-religion (et non pas de non-religion) dressée contre la religion officielle, donc contre la société établie. D'où la violence de la répression.

Cette notion est à ce point intégrée au Christianisme que lorsque le sénateur Mac-Carthy entreprendra l'élimination des ennemis supposés du régime politique américain, son action prendra tout naturellement, par référence historique, le nom de « Chasse aux Sorcières ». De même pour stigmatiser ce nouveau fanatisme, l'écrivain Arthur Miller, portera sur la scène une célèbre affaire de sorcellerie remontant au XVIIIe siècle : Les sorcières de Salem.

Le système de croyances qui soutient les pratiques de ,sor- cellerie subsiste toujours dans nos campagnes, comme en témoignent de temps à autre les articles de presse à sensation, mais également des études ethnographiques menées avec grand soin 20. Il ne reste pas cantonné au monde paysan : on voit des érudits comme Margaret Murray ou Montagu Summers adopter des positions en net retrait sur les rationalisations lyriques et généreuses de Michelet21. Mais on connaît l'attrait qu'exercent, dans une société de plus en plus dépendante de la recherche scientifique, toutes les formes de l'irrationnel. Quel refuge de choix peut alors présenter la nuit trouble où règne le sorcier.

Plutôt que d'entraîner le lecteur dans une longue digression sur l'histoire de la sorcellerie occidentale, nous préférons le renvoyer à la magistrale étude de Julio Caro Baroja récemment parue 22.

Le monde du sorcier, qu'il s'agisse du sorcier ou du magicien, ne peut en aucune façon être détaché du système de croyances magico-religieuses auquel il appartient, ni par conséquent de la société qui en est le support. Comme le rappellent Hubert et Mauss « le magicien est un fonctionnaire de la société, souvent institué par elle, et qui ne trouve jamais en lui-même la source de son propre pouvoir 23 ».

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Le mystère qui s'attache aux pratiques et à la personne même du sorcier n'est rien d'autre que le mystère qui entoure un système de croyances différent, donc étrange, de celui dans lequel a vécu l'observateur ou le lecteur qui en prend connaissance.

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NOTES

1. HENRI HUBERT et MARCEL MAUSS. Esquisse d'une théorie générale de la magie, Année sociologique, 1902-19°3. Reproduit dans Sociologie et Anthro- pologie par MARCEL MAUSS, précédé d'une introduction à l'œuvre de MARCEL MAUSS par CLAUDE LÉVI-STRAUSS. P.U.F., Paris, 1950, p. 1-141.

2. P. 16 (passage souligné par les auteurs). 3. Ibid., p. 14. Dans une note préliminaire (reproduite en appendice

dans Sociologie et Anthropologie) les mêmes auteurs avancent : (c (La magie) n'est qu'à un faible degré une institution; elle est une espèce de total d'actions et de croyances, mal défini, mal organisé, même pour celui qui la pratique et qui y croit. Il en résulte que nous ne connaissons pas a priori ses limites... » (p. 140). C'est au fond à cette conclusion qu'aboutit un homme de terrain comme RAYMOND FIRTH, lorsqu'il entreprend un travail de synthèse. Voir notamment le chapitre VI cc Reason and Unreason in Human Belief », dans Human Types an Introduction to Social Anthropology, Londres, 1963, (ire éd. 1937), notamment le tableau intitulé « Cross-classification in Magic and Religion » (p. 134). Pour une étude d'ensemble récente de cette question, voir l'article (suivi de la discussion qu'il a soulevée) de MURRAY et ROSALIE WAX, « The notion of Magic », Current Anthropology, décembre 1963, vol IV, n° 5, P- 495-518.

4. Sur l'évolution de cette terminologie en français voir la thèse de ROBERT- LÉON WAGNER « Sorcier » et « Magicien ». Contribution à l'histoire du voca- bulaire de la magie, Paris, Librairie E. Droz, 1939.

5. « Qui sacrifie à d'autres dieux sera voué à l'anathème » (Exode 22,18). Il est d'ailleurs significatif de voir que les deux versets cités encadrent :

« Qui s'accouple avec une bête doit être mis à mort » (Exode 22,18). Comme quoi sorcellerie, bestialité et cultes rendus aux dieux étrangers

sortent de l'ordre 1'. naturel » instauré par l'alliance accordée par YAHVÉ. 6. Voir, entre autres, les articles « 1° Magie, charme, enchantement,

conjuration, 2° Sort, sorcellerie, sortilège, maléfice, ensorcellement, fasci- nation » (p. 746) et « Magicien, sorcier, nécromancien » (p. 197 du « Supplé- ment ») dans B. LAFAYE, Dictionnaire des synonymes de la langue française, Paris, Hachette, 1869.

7. JEAN BODIN, De la Démonomanie des Sorciers, Paris, 1580. 8. ERWIN H. ACKERKNECHT, Psychopathology, Primitive Medecine and

Primitive culture, Bulletin of the History of Medicine, vol. XIV, juin, 1943, p. 30-67; citation p. 49.

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9. WENCESLAS SIEROSZEWSKI, Du Chamanisme d'après les croyances des Yakoutes, Revue de l'Histoire des Religions, vol. XLVI, 1902, p. 204-233 et 299-338; citation p. 323.

10. E.H. ACKERKNECHT, op. cit., p. 41 sq. 11. S.F. NADEL, A Study of Shamanism in the Nuba Mountains, Journal

of the Royal Anthropology Institute, LXXVI (1946), p. 25-37. Sur ce sujet voir les pages 14-28 de l' « Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss » par CLAUDE LÉVI-STRAUSS, in Sociologie et Anthropologie, déjà cité.

12. CLAUDE LÉVI-STRAUSS, L'Efficacité symbolique, Revue de l'Histoire des Religions, vol. 135, n° 1, 1949, p. 5-27. Reproduit dans Anthropologie struc- turale, Plon, Paris, 195 f p. 205-226.

13. CLAUDE LÉVI-STRAUSS, Le Sorcier et sa magie, les Temps modernes, 4e année, n° 41, 1949, p. 3-24. Reproduit dans Anthropologie structurale, p. 183-203. p. 199 : « On sait que la psychanalyse appelle abréaction ce moment décisif de la cure où le malade revit intensément la situation initiale qui est à l'origine de son trouble, avant de le surmonter définitivement. En ce sens, le shamane est un abréacteur professionnel. »

14. On en trouvera une synthèse dans ROBERT H. LOWIE, Indians of the Plains, The Natural History Press, New York, 1963, (Ire éd. 1954) p. 175-180. On en aura un autre aspect chez les Mnong Gar (Cf. Nous avons mangé la forêt, Paris, Mercure de France, 1957) en comparant les interventions de haute technicité du chamane (tout le chapitre V de Nous avons mangé la forêt y est consacré) et celles, moins développées, de ces guides rituels que sont « les Hommes sacrés dans la forêt et le village » (se reporter dans le même ouvrage aux références indiquées sous la rubrique qùi porte ce titre, p. 454 de l'index analytique).

15. MIRCÉA ÉLIADE, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, Paris, Payot, 1951, p. 19.

16. HENRI MASPERO, Mélanges posthumes sur les Religions et l'Histoire de la Chine, I, les Religions chinoises, Civilisations du Sud, S.A.E.P., Paris, 1950, p. 113. Voir du même auteur le Taoïsme paru en t. II de la même série. Sur ce même sujet, voir le récent ouvrage de MAX KALTENMARK, Lao-Tseu et le Taoïsme, éd. du Seuil (coll. « Maîtres spirituels »), Paris, 1965.

17. CLIFFORD GEERTZ, The Religion of Java, The Free Press of Glencoe, Illinois, i960.

18. C'est notamment ce qui est arrivé aux vodous et aux orichas transportés en Amérique par les esclaves noirs. Voir à ce sujet : AIFRED MÉTRAUX, Le vaudou haïtien, Paris, Gallimard, 1958, et PIERRE VERGER, Dieux d'Afrique, Paris, Paul Hartmann, 1955 ou, en plus détaillé, du même auteur, Notes sur le culte des Orisa et Vodun à Bahia, la Baie de tous les Saints, au Brésil et à l'ancienne Côte des Esclaves en Afrique, Mémoires de l'Institut français d'Afrique noire, IFAN, Dakar, 1957.

19. La littérature ethnographique est particulièrement abondante sur ce sujet. En dehors des noms déjà cités, qu'il nous suffise d'évoquer ceux de RUTH BENE- DICT, E. E. EVANS-PRITCHARD, R. F. FORTUNE, MONICA WILSON, etc. et le volume publié récemment sous la direction de JOHN MIDDLETON et

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E. H. WINTER Witchcraft and sorcery in east Africa. Préface de E. E. EVANS- PRITCHARD, Londres, Routledge et Kegan Paul, 1963.

20. Cf. notamment MARCELLE BOUTEILLER, Sorciers et jeteurs de sort, préface de CLAUDE LÉVI-STRAUSS, Paris, Plon, 1959.

21. JULES MICHELET, La Sorcière, Paris, 1857, voir notamment le cha- pitre XI intitulé « Communion de révolte. — Sabbats. — Messe noire ».

22. Revista de Occidente, S. A., Madrid, 1961, dont j'ai eu connaissance par sa traduction anglaise parue sous le titre The World of the Witches, Londres, Weindenfeld and Nicolson, 1964.

23. HENRI HUBERT et MARCEL MAUSS, Mélanges d'histoire des religions, Paris, Alcan, 1929, p. XVIII-XIX.

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LE MONDE DU MAGICIEN ÉGYPTIEN

PAR SERGE SAUNERON

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Le diable et les sorcières du moyen âge ont gâté pour nous la notion de magie; nous sommes portés à y voir un art maudit, voué aux ténèbres, secret par essence, et tirant son efficacité d'une inavouable compromission avec les puissances de l'enfer. Or, si nous voulons comprendre un peu ce que fut la magie aux bords du Nil, il faudra nous défaire de ces images trop familières et passablement livresques. Nous y découvrirons en effet un effort rationnel pour comprendre l'origine des • forces qui régissent ce monde, et pour tenter de les maîtriser; nous serons loin, bien entendu, d'une interprétation physique du monde, et de la recherche de lois, ou même de causes; les Éléates n'ont pas encore amorcé ce grand mouvement de pensée qui devait être décisif pour l'avenir humain; là où nous irons quérir la magie égyptienne, nous trouverons un monde où les phénomènes naturels sont noyés dans le mythe, et où la seule « loi » reconnue est celle des retours analogiques. Mais la magie égyptienne, dans son effort pour modifier l'ordre naturel des choses, à partir d'une certaine interprétation des circonstances qui déterminent cet ordre naturel, constitue un premier effort intellectuel pour régir l'univers et y affirmer la transcendance de l'esprit; sous une forme encore confuse et embryonnaire, cette magie peut donc déjà passer pour une « science 1 ».

C'est donc avec une certaine sympathie que nous devrons parcourir ces textes souvent bien étranges — sympathie que l'on doit à tout effort tendant à arracher une humanité encore à ses débuts à son élémentaire passivité devant ce qui échappe à sa régie; sympathie indispensable aussi, si nous voulons pénétrer dans un monde de pensée auquel nous nous senti- rons très étrangers. Pour l'Égyptien d'autrefois, en effet, l'inanimé

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n'existe pas; nous-mêmes, et tout l'univers perceptible qui nous entoure, sommes le support, la manifestation de forces conscientes, agressives parfois, souvent indifférentes, redou- tables toujours; là où nous voyons, en particulier dans les phénomènes physiques, des formes d'énergie en cours de transformation, les Egyptiens voient un jeu complexe de forces souvent personnelles, issues des hommes, issues des dieux, issues des morts ou des génies — un jeu de forces vivantes, donc susceptibles de pensée, accessibles à la prière ou au rai- sonnement, sensibles à la menace, vulnérables, avec lesquelles, de toute façon, on peut essayer de traiter. La magie égyp- tienne, c'est l'effort employé à identifier ces forces, à comprendre le motif de leur action, à les régir ou à les vaincre.

LE DOMAINE DU MAGICIEN

Les forces adverses. Le monde de l'invisible est en effet plein de courants incer-

tains et dangereux : forces obscures jaillies de la nuit, néfaste puissance des dieux et des morts, démons redoutables et merce- naires; derrière la sérénité du sourire par lequel la vieille Égypte nous accueille, il y a tout un monde invisible, trouble et pri- mitif, où s'affrontent des forces incontrôlées :

« Les vivants se mêlent à elles sans le savoir, les heurtent, les repoussent, les appellent, tantôt pour recevoir d'elles des bienfaits, tantôt pour subir des influences mauvaises. Beaucoup sont des demi-divinités ou des génies qui n'ont jamais traversé l'humanité; plus encore sont des âmes désincarnées, des doubles errants ou des ombres mécon- tentes, à qui leur condition d'outre-tombe n'a conservé aucun des avantages dont ils jouissaient pendant leur existence terrestre et que leur misère enrage contre les générations présentes. Ils en veulent à ceux qui tiennent maintenant leur place de les délaisser, comme eux-mêmes ils délaissèrent ceux qui les avaient précédés, et ils cher- chent à se venger de leur négligence en les attaquant à

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leur insu : ils rôdent jour et nuit par les villes et par les campagnes, quêtant patiemment quelque victime, et dès qu'ils l'ont trouvée, ils s'emparent d'elle par l'un des moyens à leur disposition 2. »

La volonté maligne et dangereuse d'un homme, d'un sorcier, d'un mort, d'une divinité hostile, est cause de maladie, de folie ou de mort : c'est ce que les Égyptiens nomment baou ; les possédés sont des hommes « sous l'effet du baou », intention malveillante projetée à distance par la force de l'incantation initiale 3. Car les dieux eux-mêmes peuvent être hostiles : on parle, dans les listes de maux qui menacent les hommes, des maladies envoyées par un dieu ou une déesse, des génies pervers suscités par un dieu; contre les redoutables génies émissaires, aux têtes de cauchemar et aux mains armées de couteaux, on invoque Bès ou Titoës 4, parfois Touéris 5, qui peuvent à volonté déchaîner les maux ou les retenir; enfin les textes évoquent parfois cette force divine, charme ou enchan- tement prononcé par un dieu, qui veille sur les trésors qu'on lui a confiés, et peut intervenir d'une façon instantanée pour donner la mort 6.

Enfin, comme il est juste, le mauvais œil7 lancé par l'ennemi inconnu ou la némésis jalouse, est un danger invisible, sans cesse suspendu sur les vivants, et dont il est essentiel de pou- voir contrarier les effets.

Bref, l'Égyptien d'autrefois, dans son univers de lumière, était menacé à chaque instant de son existence par les innom- brables forces dangereuses surgies de l'ombre : chaque lieu, chaque objet, et même l'air qui l'entoure, étaient peuplés de présences hostiles, traversés d'influences mauvaises et de volontés agressives.

Le magicien. C'est contre ces obscures et dangereuses légions de la nuit

que le magicien exerce son pouvoir; son champ d'action est donc immense, sans nombre sont les adversaires contre lesquels il doit lutter; on recourt à lui pour vaincre les maladies comme pour les prévenir par des amulettes protectrices ou des phylac- tères; il lui faut combattre les revenants, conjurer les reptiles

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et les scorpions, fléchir en faveur de leur amoureux le cœur des belles, comme armer les épouses négligées contre leurs rivales; c'est à son art qu'incombera le soin de protéger les édifices sacrés contre les intrusions impures, celui de défendre Pharaon des attaques des magiciens ennemis, celui, même, de protéger l'Égypte des assauts venus du dehors — quand on n'attendra pas de lui de fendre en deux les eaux d'un étang, de faire tomber la pluie, de converser avec les défunts, ou de recoller la tête d'un décapité...

Cela implique qu'on le croie doté d'un pouvoir pratique- ment sans limite. En quoi consiste ce pouvoir ?

Il a nom héka 8; héka, c'est ce que nous appellerions mainte- nant l'énergie active de l'univers; le corps des dieux en est imprégné, à tel point que les rois des temps primitifs, qui devaient, après leur mort, prendre le ciel d'assaut pour s'y imposer comme dieux, n'avaient d'autre ressource pour se procurer ce héka que de dévorer quelques-uns de ces dieux :

« C'est le roi Ounas qui mange leur héka et dévore leur esprit, Les grands parmi eux sont pour son petit déjeuner, Les moyens d'entre eux sont pour son déjeuner, Les petits pour son repas du soir 9. »

Les hommes ne sont, certes, pas pétris de héka; mais leur créateur leur en a cependant laissé l'usage, précisément pour qu'ils puissent se défendre des innombrables adversités de ce bas-monde :

« Dieu a donné le héka aux hommes, comme une arme apte à contrarier le cours normal des choses 10 . »

C'est une part du pouvoir créateur du démiurge dont l'usage leur est abandonné; et c'est un pouvoir fondé essentiellement sur la vertu du verbe; toute la magie égyptienne n'est que question de mots; rites matériels, mise en scène, n'interviennent que de façon secondaire; tout se réduit, finalement, à connaître les formules toutes-puissantes — ou à savoir où les trouver. C'est dire que cet art présente un certain caractère d'automa- tisme quiconque sait lire et a accès à un texte magique écrit peut l'utiliser à son profit; à en juger par le nombre immense des écrits magiques retrouvés ici ou là, c'était un art fort

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répandu — et dans l'ensemble assez peu secret. Sans doute, mainte formule porte-t-elle une indication expliquant qu'elle est un « authentique secret de la « Maison de Vie », et ne doit être révélée à personne 11 » ; mais c'est une recommandation qu'on répandait en multipliant les copies de cette même for- mule! A la fin, cela constitue plutôt une réclame pour l'effica- cité de la formule en question; il n'y a guère lieu de s'y tromper; telle autre formule, pourtant intégrée à un rituel de temple, ne porte-t-elle pas la subscription suivante : « Quiconque utili- sera à titre personnel la formule empruntée à ce livre s'en trouvera bien auprès du dieu vénérable 121 » Comme on l'a écrit, « les formules magiques étaient polyvalentes, elles pas- saient de la vie courante dans le Livre des Morts, et du temple dans la rue 13 ».

Cela explique qu'il soit si difficile de retrouver le magicien égyptien au milieu des images si abondantes que nous avons de la société égyptienne; certes, il est loin d'être le réprouvé clandestin que le moyen âge et la littérature romantique se sont plus à décrire; il est au contraire si fréquent, si habituel, si intégré au monde quotidien, qu'il ressort mal et qu'il faut quelque recherche pour pouvoir l'identifier; dans la plupart des cas, ce magicien n'est guère plus que le cheikh lettré des villages arabes l'homme instruit, habile à lire, avec l'intona- tion adéquate, les versets du Coran; celui qui, sachant lire, dispose de l'arsenal illimité que la magie égyptienne, fondée sur le mot et l'écrit, met à la disposition des hommes.

On trouve, par exemple, mention dans les textes du hékay, « l'homme qui dispose de la force héka 14 »; ailleurs, nous trou- vons mentionnés les saou, « enchanteurs », ceux qui dispensent sa, la protection magique — en général, si nous en croyons les textes, des charmeurs de serpents, qui accompagnaient les expéditions au désert et aux carrières, afin de protéger les ouvriers des reptiles et des scorpions 15. Mais, dans la plupart des cas, le magicien sera le lettré par excellence, le porteur du rouleau de papyrus, scribe versé dans la connaissance des textes sacrés et des écrits magiques, et apte, par là-même, à user des formules toutes-puissantes 16. C'est dans le personnel annexe des temples qu 'on le trouvera, ou bien il sera l 'un de ces copistes des « Maisons de Vie », scriptoria et officines liés aux grands sanctuaires, et où s'élaborait la littérature reli- gieuse et magique 17 ; lors des cérémonies privées et des enter-

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rements, il apparaîtra encore, muni de son rouleau, pour lire les formules nécessaires au bon accomplissement des rites 18. Ce sont ces « prêtres-lecteurs » qui sont les héros principaux des contes du folklore pharaonique, modèles de ces sorciers de Pharaon dont parle le livre de l'Exode 19 et des magiciens d'Égypte sur lesquels les écrivains grecs puis arabes raconte- ront tant de merveilles.

LE MAGICIEN AU TRAVAIL

Puisque nous avons quelque difficulté à identifier le magi- cien, dans une société où la magie est, peut-on dire, presque entre toutes les mains, essayons du moins de le saisir pendant l'exercice de sa profession. Nous serons déçus, si nous nous attendons à être introduits dans quelque antre de sorcier, grotte sinistre peuplée de chauve-souris et d'oiseaux de nuit, où cuisent à petit feu, dans de noirs chaudrons, des philtres diaboliques. Rien de tout cela n'existe en Égypte, chauves- souris mises à part; mais elles n'ont pas de rapport avec la magie.

Les conditions préalables.

En fait, nous savons peu de chose sur la façon dont les magi- ciens procédaient : les formules ont été retrouvées en grand nombre, mais elles portent le texte même à prononcer, et sont pratiquement muettes sur les circonstances qui doivent entourer cette lecture. C'est un silence si général qu'on en vient à se demander s'il existait des conditions préliminaires à l'usage d'une formule; dans la majeure partie des cas, on pourrait en douter :

« Il tira le livre hors du coffret d'or, et il récita une formule de ce qui y était écrit : il enchanta le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes et les eaux; il comprit tout ce que disaient les oiseaux du ciel, les poissons de l'eau, les quadrupèdes de la montagne; il récita l'autre formule

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de l'écrit, et il vit le soleil qui montait au ciel avec son cycle de dieux, la lune qui se lève, les étoiles en leur forme; il vit les poissons de l'abîme, car une force divine planait sur l'eau au-dessus d'eux 20... »

Point de rite préliminaire, on peut le constater; l'effet de la formule est immédiat, quelle que soit la personne qui la prononce, et quelles que soient les circonstances. En fait, une seule prescription revient, assez généralement pour que nous puissions penser qu'elle était importante : être purifié.

« A réciter par un homme qui est pur, et qui a fait ses ablutions 21. »

Ailleurs, programme un peu plus développé :

« Si un homme prononce cette formule à son propre usage, il doit être enduit d'huile et d'onguents, l'encensoir empli d'encens étant dans sa main; il doit avoir du natron d'une certaine qualité derrière ses oreilles, une qualité différente de natron étant dans sa bouche; il doit être vêtu de deux pièces de vêtements neuves, après s'être lavé dans l'eau de la crue, avoir chaussé des sandales blanches, et avoir peint l'image de la déesse Ma'at à l'encre fraîche, sur sa langue 22. »

Tout pouvait, finalement, se réduire à un geste des plus sommaires : rincer sa bouche avec du natron, afin que les formules qui allaient être prononcées ne perdissent rien de leur efficacité par suite de l'impureté de l'organe qui les pro- nonçait :

« J'ai rincé ma bouche, j'ai avalé le natron, et je me suis mêlé à l'ennéade des dieux 23 »

nous dit un magicien quelque peu hâbleur : le natron, mélange naturel de carbonate et de bi-carbonate de soude, aurait cons- titué, comme le remarque Drioton, un moy n un peu trop péremptoire de purification... Comprenons donc simplement qu'il a rincé sa bouche.

Parfois, les textes ajoutent qu'il faut offrir un sacrifice préa-

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lable 24; sans doute s'agit-il de circonstances tout à fait excep- tionnelles. Peut-on parler du matériel du magicien? Il est, il faut le

reconnaître, des plus réduits, et se ramène à un petit nombre d'éléments; tout consiste, généralement, en formules écrites qui doivent être lues ; il sera donc question de feuilles de papyrus neuves, d'encre fraîche 25; parfois, le texte sera à réciter au- dessus d'un insecte, ou d'un petit animal, ou sur une amulette, un collier, une bande de lin plusieurs fois nouée; dans les rites d'envoûtement, les figurines de cire, naturellement, apparaî- tront; les rituels tardifs évoqueront plumes, cheveux, lampe, mèches..., mais tout cela semble avoir été importé avec des pratiques étrangères à l'Égypte.

Les techniques ordinaires.

Voyons maintenant le magicien au travail; quelque client est venu solliciter son aide; comment va-t-il procéder? A en juger par les divers billets magiques retrouvés, il semble que le sorcier égyptien ait eu généralement recours à trois modes d'actions complémentaires: la prononciation d'une formule; l'exécution parallèle d'un rite matériel ou la consécration d'une amulette; enfin, dans certains cas, l'animation d'un corps intermédiaire, auquel il confère une vie provisoire.

i. Les formules.

C'est à l'analyse des formules que nous consacrerons la part la plus grande de notre attention; elles constituent en effet l'élément le plus riche de notre information, et c'est par elles que nous pouvons le mieux comprendre pourquoi les Égyptiens pouvaient attendre un tel résultat de leur emploi.

Sans doute varient-elles d'un billet à l'autre, d'un formulaire magique au formulaire voisin ; mais les procédés auxquels elles recourent se laissent ramener à un petit nombre de types; on pourra le constater par la lecture des exemples que nous donnons plus bas, l'artifice le plus courant est le recours à l'analogie ; il s'agit de ramener tout cas terrestre à un cas divin analogue, où, naturellement, l'adversaire fut vaincu; on invo-

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quera donc les dieux, le magicien ou celui qui a besoin de l'action magique sera assimilé à un dieu, pour égarer le génie adverse, qui s'estimera vaincu dès qu'il aura compris qu'une fois de plus il s'est attaqué à un être divin « immunisé » contre lui, ou bien par sa seule identité, ou bien par l'effet d'une expé- rience antérieure. C'est un jeu d'intimidation, qui s'adresse à l'ennemi ; si ce jeu échoue, il reste un recours : les dieux, qui sont pétris de héka, restent tout-puissants contre tout génie adverse ; le problème consiste à les intéresser à la cause du magi- cien ; pour cela, il y a toute une gamme de procédés, de violence croissante, dont le plus efficace est une sorte de chantage, fondé, comme dans le premier cas, sur l'intimidation : il faut faire croire aux dieux qu'ils sont malgré eux impliqués, qu'ils ne peuvent rester indifférents au cas qui est en cause; dès lors, agissant pour leur propre sauvegarde, abusés par les paroles du magicien, ils débarrasseront le monde du génie mauvais qu'ils prendront pour leur adversaire — et du même coup l'être humain sera débarrassé de son adversaire. C'est ce que l'on pourrait appeler le jeu de la solidarité forcée.

Donc, deux séries de procédés : abuser le démon; ou bien obtenir l'alliance des dieux contre lui, — au besoin en les abusant eux-mêmes!...

Le magicien peut d'abord, purement et simplement, essayer de tromper le mauvais génie sur l'identité de l'homme auquel il s'est attaqué; ainsi dans ce texte :

« Charme pour chasser la migraine. » « La tête d'un tel fils d'une telle est la tête d'Osiris Onno- phris, sur la tête de qui furent placés trois cent soixante- dix-sept serpents divins, qui crachent des flammes, pour te contraindre à abandonner la tête d'un tel fils d'une telle, de la même façon que la tête d'Osiris 26.»

Il y a eu erreur : le mal s'est fourvoyé, et il va subir les consé- quences cuisantes de cette erreur, s'il ne se hâte de disparaître.

Au même principe se rattachent ces longues listes où chaque partie du corps humain à protéger ou à guérir est identifiée à la partie correspondante du corps d'un dieu; par cette assi- milation, elle échappe totalement aux entreprises du malin 27.

Autre procédé : le magicien va se présenter lui-même à son adversaire comme un ennemi redoutable. S'il s'agit d ' un

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reptile à conjurer, l'enchanteur se proclame « né d'un peuple habile à conjurer les serpents 28 ». Ou bien il expose la façon dont il se trouve maître d'un secret divin, par conséquent tout-puissant :

« J'ai rincé ma bouche, j'ai absorbé le natron, et je me suis mêlé à l'ennéade des dieux; au soir, je me suis couché dans le sein d'Horus, et j'ai ainsi entendu tout ce qu'il disait, cependant qu'il serrait en sa main une vipère d'une coudée, aussi mauvaise qu'une vipère de douze coudées! C'est ainsi que je fus instruit des paroles (en usage) depuis toujours, remontant au temps où Osiris était encore en vie. Aussi j'abats maintenant une vipère à cornes d'une coudée étant Horus instruit de paroles 29. »

Le magicien a pris, dans ce texte, la peine d'expliquer avec patience comment il est devenu maître du secret d'Horus, et donc, en ce cas précis, aussi puissant que lui; mais il lui arrive aussi de prendre beaucoup moins de formes; c'est en parti- culier le cas lorsqu'une légende divine peut être évoquée comme prototype d'une situation terrestre; on sait qu'Horus, étant enfant, et élevé clandestinement dans les marais du Delta, fut piqué par un scorpion, et ne dut son salut qu'à l'interven- tion des dieux. Tout homme qui souffre d'une piqûre d'animal venimeux se trouve donc dans la position où fut Horus; l'ana- logie de la situation doit entraîner une analogie du dénouement. Le magicien rappellera donc simplement la légende divine, et introduira, par une habile substitution son malade dans le corps de la formule, de sorte que le mauvais démon, abusé par ce déluge verbal, ne saura plus trop où il en est :

« Rê a pouvoir sur toi (le venin), Thot te massacre, Nout la grande protège (son) fils Horus — et aussi celui qui souffre, de tout venin de tous les serpents mâles ou femelles, de tous les scorpions, de tous les reptiles, etc... Moi je suis sa mère Isis. Garde-toi de cet homme souffrant, — comme tu te gardes d'Horus fils d'Isis 30 ! »

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Même transposition directe de la légende divine dans cette conjuration du venin :

« Viens! sors! Ainsi parle Oup-sepou, femme d'Horus. Vois, je suis Horus, le médecin qui guérit le dieu ! Enfuis-toi de son corps 31 ! »

Si les tentatives d'intimidation de l'adversaire ne réussissent pas, il faut donc s'adresser plus haut; le magicien va alors tenter de mettre les dieux dans son jeu. La forme la plus courtoise est l'appel à l'aide :

« Viens à moi, ô maître des dieux ! Jette à terre pour moi tout mal, et tout monstre qui est sur le fleuve! Transforme-les pour moi en cailloux sur le gébel, semblables à des tessons de pots (répandus) au long des

[chemins 32 ! »

Cet appel au secours peut trouver un argument dans l'analogie entre un épisode des légendes divines et le cas dont le magicien s'occupe :

« Cet homme qui souffre, Nout (le ciel) s'étend au-dessus de lui, Geb (la terre) le supporte! Mettez-lui son cœur en son corps! Faites-le revivre comme vous avez animé le cœur de Rê,

lors de l'attaque de Nouhiho (génie ennemi de Rê)! Écartez ce venin qui est dans tous les membres de cet homme, comme vous avez écarté le venin d'Apopi qui était dans le

corps du grand dieu! ô cœur de cet homme qui souffre, relève-toi! Voici deux grands dieux qui sont ta protection : Levant les yeux vers le ciel, j'ai vu Rê :

— or il te conjure! Regardant vers le sol, j'ai vu Geb :

— or il te conjure ! Le cœur de cet homme souffrant s'est relevé : Le venin est mor t 33 ! »

On aura noté avec quelle promptitude le magicien passe de l'appel à l'assistance des dieux à l'affirmation de leur pré-

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LE MONDE DU SORCIER

De Jeunes orientalistes chercheurs du C.N.R.S. et de l'école des Hautes Études, ont décidé de mettre en commun leur expérience et leurs curiosités pour publier, à l'intention d'un large public, une série d'ouvrages consacrés aux croyances et aux rites qui eurent cours - ou ont cours, aujourd'hui encore - dans les sociétés traditionnelles de l'Orient et de l'Extrême-Orient.

L'originalité de cette entreprise naît de l'optique nouvelle selon laquelle elle entend examiner ces problèmes religieux : au lieu de juxtaposer des ouvrages consacrés individuellement aux aspects de la vie religieuse d'une civilisation, Il s'agit de présenter successivement les divers aspects d'un même phéno- mène religieux à travers le plus grand nombre possible de civilisations. Chaque volume se présente donc sous forme d'un recueil de contributions Intéressant le Proche-Orient, l'Asie centrale et l'Extrême-Orient.

Il s'agit ici des procédés magiques exercés par des hommes — dans un but maléfique ou bénéfique — sur d'autres êtres humains, leurs personnes ou leurs biens. Le problème pré- suppose l'existence de forces latentes et la possibilité de les utiliser. Quelle est l'origine de ces forces, leur nature, leurs manifestations ? Qui utilise ces forces ? Dans certaines tradi- tions, religion et magie sont si proches qu'elles ne peuvent ni se condamner, ni s'exclure. Le charme ne se confond-il pas alors avec le rite et le prêtre avec le sorcier ? Quelles sont ces techniques ? Incantations, amulettes, talismans, envoûte- ments? La multiplicité des questions reflète bien la complexité du phénomène de l'a "sorcellerie", activité sacrée ou maudite.

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