le monde diplomatique 2015-01-1

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Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algérie : 250 DA, Allemagne : 5,50 €, Antilles-Guyane : 5,50 €, Autriche : 5,50 €, Belgique : 5,40 €, Canada : 7,50 $C, Espagne : 5,50 €, Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 £, Grèce : 5,50 €, Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 €, Italie : 5,50 €, Luxem- bourg : 5,40 €, Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 €, Portugal (cont.) : 5,50 €, Réunion : 5,50 €, Suisse : 7,80 CHF, TOM : 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT. publics, a pu conduire à une surconsom- mation d’antibiotiques, participant ainsi au problème plus vaste du renforcement des résistances bactériennes – un enjeu de santé publique majeur, responsable de sept cent mille décès par an dans le monde (lire l’encadré page 15). Pour comprendre la nature versatile de la marchandise médicale, nous avons suivi la vie de ce médicament ordinaire, depuis les laboratoires de recherche jusqu’aux visiteurs médicaux, en passant par l’usine de production du principe actif (1). A chaque étape, la marchandise change de nom: les biologistes parlent de la bactérie Pristinae Spiralis, les chi- mistes de la pristinamycine fabriquée par la bactérie, les visiteurs médicaux vantent les mérites de « la Pyo » aux praticiens, les ouvriers la surnomment affectueu- sement « la Pristina », voire « la bestiole ». Le long de cette chaîne, l’antagonisme entre les besoins du malade et les profits de l’industriel, entre la valeur d’usage et la valeur d’échange (2), ne cesse de se manifester. H socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Difficile toutefois d’exclure tout à fait la possibilité d’une victoire lors des élections générales qui doivent se tenir le 20 décembre 2015 au plus tard. La création de Podemos naît d’un constat : «A notre avis, le mouvement du 15-Mai s’est enfermé dans une conception mou- vementiste de la politique, nous explique le sociologue Jorge Lago, membre du conseil citoyen de Podemos, sa direction élargie. Or l’idée qu’une accumulation progressive de force allait néces- sairement conduire à une traduction politique des rassemblements s’est révélée fausse. » Des associations de lutte contre les expulsions de locataires ont été créées, des réseaux de résistance contre la casse de la santé sont apparus, mais le mouvement général s’est essoufflé, avant de se désagréger. (Lire la suite page 14.) (Lire la suite page 22.) « J AI compris que j’étais fliquée, qu’on savait exactement ce que je prescrivais, s’indigne une médecin installée à Paris. J’étais naïve, moi, je ne savais pas. [Un jour], une visiteuse médicale m’a dit : “Vous ne prescrivez pas beaucoup !”Je me suis demandé : “Comment peut-elle savoir cela ?” » Cette pratique de sur- veillance, qui choque de nombreux pra- ticiens, est orchestrée par les services commerciaux des laboratoires. Pour aug- menter ou maintenir leurs parts de marché, les grands groupes pharmaceutiques déploient des trésors d’ingéniosité. Ils n’hésitent pas, par exemple, à modifier les indications de leurs médicaments pour gagner de nouveaux clients. Considérée par certains médecins comme « la Rolls Royce de l’antibio dans le cutané », la Pyostacine, fabriquée par Sanofi – l’un des tout premiers groupes pharmaceutiques mondiaux en chiffre d’affaires (33 milliards d’euros en 2013) –, a connu un tel destin. Longtemps dévolu à un usage dermatologique, l’antibiotique a opéré un « tournant respiratoire » : il est désormais massivement utilisé dans les cas d’infections broncho-pulmonaires et oto-rhino-laryngologiques. Cette dernière utilisation, critiquée par de nombreux médecins puis dénoncée par les pouvoirs 5,40 € - Mensuel - 28 pages N° 730 - 62 e année. Janvier 2015 EN ITALIE, LA PSYCHIATRIE AUTREMENT page 16 GESTION DU FLUX À PÔLE EMPLOI UNE NOUVELLE DE MUSTAPHA BELHOCINE Page 11. le modèle cubain qu’il cherchait à contenir a été anéanti. « Il ne marche même plus pour nous», a d’ailleurs concédé M. Fidel Castro en 2010, en guise d’aval aux réformes « libérales » impulsées par son frère Raúl. Après la dislocation du bloc sovié- tique, dont l’île dépendait pour presque tout, le pouvoir d’achat des Cubains s’est en effet effondré. La plupart d’entre eux ne survivent dans une économie déglinguée que grâce à une frugalité de chaque instant et à un sens aigu de la débrouille (2). A Cuba, libéraliser reviendra d’ailleurs surtout à laisser des salariés presque tous fonctionnaires devenir propriétaires des petits commerces qui les emploient. En justifiant sa décision historique, aussitôt saluée par les grandes entreprises de son pays soucieuses de développer leurs affaires dans l’île (American Airlines, Hilton, PepsiCo, etc.), le président Obama a observé que « chercher à provoquer l’effondrement de Cuba ne servirait ni les intérêts américains ni le peuple cubain. Même si cela marchait – et cela a échoué pendant cinquante ans –, nous savons que les pays sont plus susceptibles de se transformer de façon durable quand leurs peuples ne sont pas condamnés au chaos. » Il ne reste plus à Washington, Berlin, Londres et Paris qu’à appliquer cette leçon à la Russie. Sans attendre cinquante ans ? (1) Lire « Peut-on réformer les Etats-Unis ? », Le Monde diplomatique, janvier 2010. (2) Lire Renaud Lambert, «Ainsi vivent les Cubains », Le Monde diplomatique, avril 2011. H SOMMAIRE COMPLET EN PAGE 28 La perspective d’une victoire de la formation de gauche radicale Syriza lors d’élections législatives anticipées en Grèce a suffi à alarmer la Commission européenne. Ailleurs en Europe, la résistance aux politiques d’austérité s’organise loin de structures partisanes soupçonnées de faire partie du problème plutôt que de la solution. Ce fut longtemps le cas en Espagne, jusqu’à la création d’un parti qui semble changer la donne. P AR R ENAUD L AMBERT DOSSIER : À QUOI SERVENT LES FORMATIONS POLITIQUES ? Podemos, le parti qui bouscule l’Espagne * Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique, auteur de La Stratégie de la bactérie. Une enquête au cœur de l’industrie pharma- ceutique, à paraître ce mois-ci au Seuil. (1) Menée dans le cadre d’un doctorat en socio- logie, cette enquête a duré quatre ans, pendant lesquels l’auteur a été embauché à plusieurs postes : stagiaire dans les services commerciaux de Sanofi, ouvrier dans les usines du groupe, etc. (2) Par exemple, le diamant a une haute valeur d’échange et une faible valeur d’usage, par compa- raison avec l’eau, à faible valeur d’échange et haute valeur d’usage. Leçons d’un embargo PAR S ERGE H ALIMI S A DÉFAITE électorale de novembre dernier semble avoir revigoré le président des Etats-Unis. Elu triomphalement à la Maison Blanche en 2008 et disposant pendant ses deux premières années de mandat d’une confortable majorité parle- mentaire, il n’a tiré de tout cela qu’une modeste réforme du système de santé et une litanie d’homélies prêchant le compromis à des parlementaires républicains déterminés à le détruire (1). Depuis que son parti a été écrasé lors des élections de mi- mandat, que sa carrière politique s’achève, M. Barack Obama multiplie en revanche les choix audacieux. Annoncée juste après un important accord climatique avec la Chine et l’amnistie de cinq millions d’immigrés clandestins, sa décision de rétablir les relations diplomatiques avec La Havane en témoigne. La démocratie américaine exigerait-elle qu’un président n’ait plus ni sénateur forcené à satisfaire ni lobby fortuné à ménager pour qu’il puisse prendre une décision raisonnable ? La levée de l’embargo imposé à Cuba en 1962 par John F. Kennedy corrigerait une violation du droit international que presque tous les Etats de la planète condamnaient chaque année. Sans doute avaient-ils perçu que, au-delà des prétextes vertueux avancés par les Etats-Unis (droits de l’homme, liberté de conscience), dont chacun sait combien ils sont respectés chez l’allié saoudien ou à Guantánamo, il s’agissait pour Washington de marquer rageusement son dépit. Car, à quelques encablures de la Floride, un petit pays avait osé tenir tête, longtemps et presque seul, à l’empire américain. Cette bataille de la dignité, de la souveraineté, c’est en définitive David qui l’a remportée. Mais dans quel état... Si l’embargo de Washington n’a pas atteint son objectif de « changement de régime » à La Havane, MADRID, 15 mai 2011. Des milliers, puis des centaines de milliers de manifestants, bientôt rebaptisés « indignés » par la presse, se rassemblent à la Puerta del Sol, au cœur de la capitale espagnole. Ils dénoncent la mainmise des banques sur l’économie et une démocratie qui ne les « représente pas ». Enfiévrées, leurs assemblées interdisent drapeaux, sigles poli- tiques et prises de parole au nom d’organisations ou de col- lectifs. Un slogan émerge bientôt de leurs rangs : « Le peuple, uni, n’a pas besoin de partis. » Trois ans plus tard, la place de la Puerta del Sol est vide. L’ambition que les choses changent n’a pas disparu, elle a muté. De façon inattendue, l’espoir se cristallise désormais sur une nouvelle formation politique, Podemos (« Nous pouvons »). Alors que, dans la plupart des pays européens, les partis se heurtent à un discrédit croissant, elle rencontre au contraire un succès inattendu. « On peine à y croire », sourit l’eurodéputé Pablo Echenique lors d’une rencontre organisée par le « cercle » parisien de Podemos en novembre 2014. «Notre parti a été créé en janvier 2014. Cinq mois plus tard, nous remportions 8 % des voix aux élections européennes. Aujourd’hui, toutes les enquêtes présentent notre formation comme la première force politique d’Espagne ! » Les dirigeants de Podemos savent qu’un sondage n’est pas un scrutin. En décembre 2014, de nouvelles enquêtes relèguent d’ailleurs le parti à la deuxième place, derrière le Parti Les scandales rythment l’information sur l’industrie pharma- ceutique et focalisent l’attention sur ses excès. Suivre le parcours d’un médicament sans histoire, de sa conception à sa prescription, montre pourtant que la frontière est mince entre les dysfonctionnements et les pratiques routinières. U NE ENQUÊTE DE Q UENTIN R AVELLI * I TINÉRAIRE DUN MÉDICAMENT ORDINAIRE Les dessous de l’industrie pharmaceutique MICHEL HERRERIA. – « Bascule », 2014 GALERIE ÉPONYME, BORDEAUX

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Le Monde Diplomatique 2015-01-1

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  • Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 250 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,

    Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-

    bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.

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    mation dantibiotiques, participant ainsi

    au problme plus vaste du renforcement

    des rsistances bactriennes un enjeu

    de sant publiquemajeur, responsable de

    sept centmille dcs par an dans lemonde

    (lire lencadr page 15).

    Pour comprendre la nature versatile de

    la marchandise mdicale, nous avons

    suivi la vie de ce mdicament ordinaire,

    depuis les laboratoires de recherche

    jusquaux visiteursmdicaux, en passant

    par lusine de production du principe

    actif (1).A chaque tape, la marchandise

    change de nom: les biologistes parlent

    de la bactrie Pristinae Spiralis, les chi-

    mistes de la pristinamycine fabrique par

    la bactrie, les visiteursmdicaux vantent

    les mrites de la Pyo aux praticiens,

    les ouvriers la surnomment affectueu-

    sement la Pristina, voire la bestiole.

    Le long de cette chane, lantagonisme

    entre les besoins du malade et les profits

    de lindustriel, entre la valeur dusage

    et la valeur dchange (2), ne cesse de

    se manifester.

    H

    socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Difficile toutefois dexclure

    tout fait la possibilit dune victoire lors des lections gnrales

    qui doivent se tenir le 20 dcembre 2015 au plus tard.

    La cration de Podemos nat dun constat : A notre avis, le

    mouvement du 15-Mai sest enferm dans une conception mou-

    vementiste de la politique, nous explique le sociologue Jorge

    Lago, membre du conseil citoyen de Podemos, sa direction largie.

    Or lide quune accumulation progressive de force allait nces-

    sairement conduire une traduction politique des rassemblements

    sest rvle fausse.Des associations de lutte contre les expulsions

    de locataires ont t cres, des rseaux de rsistance contre la

    casse de la sant sont apparus, mais le mouvement gnral sest

    essouffl, avant de se dsagrger.

    (Lire la suite page 14.)

    (Lire la suite page 22.)

    JAI compris que jtais flique, quon

    savait exactement ce que je prescrivais,

    sindigne une mdecin installe Paris.

    Jtais nave, moi, je ne savais pas. [Un

    jour], une visiteuse mdicale ma dit :

    Vous ne prescrivez pas beaucoup !Je

    me suis demand: Comment peut-elle

    savoir cela ? Cette pratique de sur-

    veillance, qui choque de nombreux pra-

    ticiens, est orchestre par les services

    commerciaux des laboratoires. Pour aug-

    menter oumaintenir leurs parts demarch,

    les grands groupes pharmaceutiques

    dploient des trsors dingniosit. Ils

    nhsitent pas, par exemple, modifier

    les indications de leursmdicaments pour

    gagner de nouveaux clients.

    Considre par certains mdecins

    comme la Rolls Royce de lantibio dans

    le cutan, la Pyostacine, fabrique par

    Sano lun des tout premiers groupes

    pharmaceutiques mondiaux en chiffre

    daffaires (33milliards deuros en2013) ,

    a connu un tel destin. Longtemps dvolu

    un usage dermatologique, lantibiotique

    a opr un tournant respiratoire: il est

    dsormais massivement utilis dans les

    cas dinfections broncho-pulmonaires et

    oto-rhino-laryngologiques. Cette dernire

    utilisation, critique par de nombreux

    mdecins puis dnonce par les pouvoirs

    5,40 - Mensuel - 28 pages N 730 - 62

    e

    anne. Janvier 2015

    EN I TAL I E , LA PSYCH IATR IE AUTREMENT page 16

    GESTION DU FLUX

    PLE EMPLOI

    UNE NOUVELLE

    DE MUSTAPHA BELHOCINE

    Page 11.

    le modle cubain quil cherchait contenir a t ananti. Il ne

    marche mme plus pour nous, a dailleurs concd M. Fidel

    Castro en 2010, en guise daval aux rformes librales

    impulses par son frre Ral. Aprs la dislocation du bloc sovi-

    tique, dont lle dpendait pour presque tout, le pouvoir dachat

    des Cubains sest en effet effondr. La plupart dentre eux ne

    survivent dans une conomie dglingue que grce une

    frugalit de chaque instant et un sens aigu de la dbrouille (2).

    A Cuba, libraliser reviendra dailleurs surtout laisser des

    salaris presque tous fonctionnaires devenir propritaires des

    petits commerces qui les emploient.

    En justiant sa dcision historique, aussitt salue par les

    grandes entreprises de son pays soucieuses de dvelopper

    leurs affaires dans lle (American Airlines, Hilton, PepsiCo, etc.),

    le prsident Obama a observ que chercher provoquer

    leffondrement de Cuba ne servirait ni les intrts amricains

    ni le peuple cubain. Mme si cela marchait et cela a chou

    pendant cinquante ans , nous savons que les pays sont plus

    susceptibles de se transformer de faon durable quand leurs

    peuples ne sont pas condamns au chaos. Il ne reste plus

    Washington, Berlin, Londres et Paris qu appliquer cette leon

    la Russie. Sans attendre cinquante ans?

    (1) Lire Peut-on rformer les Etats-Unis ? , Le Monde diplomatique,

    janvier 2010.

    (2) Lire Renaud Lambert, Ainsi vivent les Cubains, LeMonde diplomatique,

    avril 2011.

    H

    S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8

    La perspective dune victoire de la formation de

    gauche radicale Syriza lors dlections lgislatives

    anticipes en Grce a suffi alarmer la Commission

    europenne. Ailleurs en Europe, la rsistance aux

    politiques daustrit sorganise loin de structures

    partisanes souponnes de faire partie du problme

    plutt que de la solution. Ce fut longtemps le cas

    en Espagne, jusqu la cration dun parti qui

    semble changer la donne.

    PAR RENAUD LAMBERT

    DOSSIER : QUOI SERVENT LES FORMATIONS POLITIQUES ?

    Podemos, le parti

    qui bouscule lEspagne

    * Charg de recherche au Centre national de la

    recherche scientifique, auteur de La Stratgie de la

    bactrie. Une enqute au cur de lindustrie pharma-

    ceutique, paratre ce mois-ci au Seuil.

    (1) Mene dans le cadre dun doctorat en socio-

    logie, cette enqute a dur quatre ans, pendant

    lesquels lauteur a t embauch plusieurs postes :

    stagiaire dans les services commerciaux de Sanofi,

    ouvrier dans les usines du groupe, etc.

    (2) Par exemple, le diamant a une haute valeur

    dchange et une faible valeur dusage, par compa-

    raison avec leau, faible valeur dchange et

    haute valeur dusage.

    Leons dun embargo

    PAR SERGE HALIMI

    S

    A DFAITE lectorale de novembre dernier semble avoir

    revigor le prsident des Etats-Unis. Elu triomphalement

    la Maison Blanche en 2008 et disposant pendant ses deux

    premires annes de mandat dune confortable majorit parle-

    mentaire, il na tir de tout cela quune modeste rforme du

    systmede sant et une litanie dhomlies prchant le compromis

    des parlementaires rpublicains dtermins le dtruire (1).

    Depuis que son parti a t cras lors des lections de mi-

    mandat, que sa carrire politique sachve, M. Barack Obama

    multiplie en revanche les choix audacieux. Annonce juste aprs

    un important accord climatique avec la Chine et lamnistie de

    cinq millions dimmigrs clandestins, sa dcision de rtablir les

    relations diplomatiques avec La Havane en tmoigne. La

    dmocratie amricaine exigerait-elle quun prsident nait plus

    ni snateur forcen satisfaire ni lobby fortun mnager pour

    quil puisse prendre une dcision raisonnable?

    La leve de lembargo impos Cuba en 1962 par John

    F. Kennedy corrigerait une violation du droit international que

    presque tous les Etats de la plante condamnaient chaque anne.

    Sans doute avaient-ils peru que, au-del des prtextes vertueux

    avancs par les Etats-Unis (droits de lhomme, libert de

    conscience), dont chacun sait combien ils sont respects chez

    lalli saoudien ou Guantnamo, il sagissait pour Washington

    demarquer rageusement son dpit. Car, quelques encablures

    de la Floride, un petit pays avait os tenir tte, longtemps et

    presque seul, lempire amricain. Cette bataille de la dignit,

    de la souverainet, cest en dnitive David qui la remporte.

    Mais dans quel tat... Si lembargo de Washington na pas

    atteint son objectif de changement de rgime La Havane,

    MADRID, 15 mai 2011. Des milliers, puis des centaines

    de milliers de manifestants, bientt rebaptiss indigns par

    la presse, se rassemblent la Puerta del Sol, au cur de la

    capitale espagnole. Ils dnoncent la mainmise des banques

    sur lconomie et une dmocratie qui ne les reprsente pas .

    Enfivres, leurs assembles interdisent drapeaux, sigles poli-

    tiques et prises de parole au nom dorganisations ou de col-

    lectifs. Un slogan merge bientt de leurs rangs : Le peuple,

    uni, na pas besoin de partis.

    Trois ans plus tard, la place de la Puerta del Sol est vide.

    Lambition que les choses changent na pas disparu, elle a mut.

    De faon inattendue, lespoir se cristallise dsormais sur une

    nouvelle formation politique, Podemos ( Nous pouvons ).

    Alors que, dans la plupart des pays europens, les partis se

    heurtent un discrdit croissant, elle rencontre au contraire

    un succs inattendu.

    On peine y croire, sourit leurodput Pablo Echenique

    lors dune rencontre organise par le cercle parisien de

    Podemos en novembre 2014. Notre parti a t cr en

    janvier 2014. Cinq mois plus tard, nous remportions 8 % des

    voix aux lections europennes.Aujourdhui, toutes les enqutes

    prsentent notre formation comme la premire force politique

    dEspagne ! Les dirigeants de Podemos savent quun sondage

    nest pas un scrutin. En dcembre 2014, de nouvelles enqutes

    relguent dailleurs le parti la deuxime place, derrire le Parti

    Les scandales rythment linformation sur lindustrie pharma-

    ceutique et focalisent lattention sur ses excs. Suivre le

    parcours dun mdicament sans histoire, de sa conception

    sa prescription, montre pourtant que la frontire est mince

    entre les dysfonctionnements et les pratiques routinires.

    UNE ENQUTE

    DE QUENTIN RAVELLI *

    ITINRAIRE DUN MDICAMENT ORDINAIRE

    Les dessous

    de lindustrie

    pharmaceutique

    MICHEL HERRERIA. Bascule, 2014

    GALERIEPONYME,BORDEAUX

  • JANVIER 2015 LE MONDE diplomatique

    2

    De son ct, M. Edmond Tresserre,

    de Modane, dnonce l incohrence

    des politiques de transport et de

    dveloppement du tout routier :

    Le pire est venir : un deuxime tube est

    en cours de percement au tunnel routier du

    Frjus.Alors que les discussions sur le chan-

    gement climatique sont dans latermoiement,

    voici que des responsables politiques

    approuvent les moyens qui ne peuvent quac-

    clrer la dgradation de la biosphre. Hypo-

    crisie, inconscience, ignorance conduisent

    cette fuite dite en avant, en ralit lchec

    des politiques environnementales.

    Lennemi intrieur

    Louverture de nos colonnes une

    longue rexion de M. Dominique de

    Villepin sur la politique trangre,

    La France gesticule... mais ne dit

    rien (dcembre), a suscit divers

    commentaires, le plus ironique venant

    de M. Pierre Selosse :

    Cher mensuel, tu las compris, les moules

    accroches leur idologie de gauche prou-

    vent de vilaines dmangeaisons la vue de

    la plume du promoteur du contrat premire

    embauche (CPE), du bradeur du bien com-

    mun (vente des autoroutes, entre autres) et

    du sabordeur de lenseignement suprieur et

    de la recherche (pacte pour la recherche).

    Tu dois dailleurs, dans ton subconscient,

    avoir toi-mme peru lambigut de ton

    acte en intitulant lditorial de Serge Halimi,

    juste au-dessous de larticle de Dominique

    de Villepin, Lennemi intrieur.

    M. Bernard Oertel conteste la

    tonalit de cet ditorial :

    Quun manifestant soit mort, oui, mais

    lacide, les vtements des policiers en feu,

    vous nen parlez pas. Ces gens, ce sont aussi

    des hommes qui ont une famille et peut-

    tre des enfants. (...) Moi qui me suis battu

    syndicalement, je ne laisserai pas des hordes

    de barbares prendre le dessus.

    Tandis que M. Grard Lejoint lap-

    prouve :

    Ce que rvlent les mobilisations contre

    les grands projets inutiles comme Sivens et

    Notre-Dame-des-Landes, cest lincompr-

    hension irrconciliable entre lautisme dun

    gouvernement retranch dans sa tour

    divoire et la naissance de nouvelles pra-

    tiques dmocratiques. Un monde nouveau

    sinvente, qui surgit des mouvements

    sociaux. De Paris Athnes en passant par

    Madrid, le peuple surgit sur la scne poli-

    tique. Quelles nouvelles formes institution-

    nelles en dcoulera-t-il ?

    RATIONNEMENT

    Un vaste mouvement social dans

    les ports amricains perturbe les activits

    de McDonalds. Empche dexporter

    ses marchandises vers le Japon depuis

    la Cte ouest, lentreprise se voit

    contrainte dadapter ses menus

    (nbcnews.com, 16 dcembre 2014).

    Cest un signe de lapocalypse.

    McDonalds a t forc de rationner

    les frites au Japon, ne proposant plus

    ses clients que de petites portions.

    La chane de fast-food a fait expdier

    mille tonnes de frites surgeles par avion,

    et mille six cents autres tonnes viennent

    de partir par bateau de la Cte est, mais

    narriveront pas destination avant n

    Vous s

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    Edit par la SA Le Monde diplomatique.

    Actionnaires : Socit ditrice du Monde,

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    Les Amis du Monde diplomatique

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    Tl. : 01-53-94-96-01. Tlcopieur : 01-53-94-96-26

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    Site Internet : www.monde-diplomatique.fr

    Directoire: Serge HALIMI,

    prsident, directeur de la publication

    Autres membres : Vincent CARON, Bruno LOMBARD,

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    Directrice des relations et des ditions internationales :

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    Directeur de la rdaction : Serge HALIMI

    Rdacteur en chef : Philippe DESCAMPS

    Rdacteurs en chef adjoints :

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    Chef ddition : Mona CHOLLET

    Rdaction : Alain GRESH, Evelyne PIEILLER,

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    Conception artistique : Alice BARZILAY,

    Maria IERARDI (avec la collaboration

    de Delphine LACROIX pour liconographie)

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    Mise en pages et photogravure :

    Jrme GRILLIRE, Didier ROY

    Correction : Pascal BEDOS, Xavier MONTHARD

    Directeur de la gestion : Bruno LOMBARD

    Directeur commercial,

    charg de la diffusion numrique : Vincent CARON

    Contrle de gestion : Zaa SAHALI

    Secrtariat : Yuliya DAROUKA (9621),

    Sophie DURAND-NG, attache communication

    et dveloppement (9674), Eleonora FALETTI (9601)

    Courriel : [email protected]

    Fondateur : Hubert BEUVE-MRY. Anciens directeurs :

    Franois HONTI, Claude JULIEN, Ignacio RAMONET

    Publicit : Anne BORROME (01-57-28-39-57)

    Diffusion, mercatique : Brigitte BILLIARD, Jrme PONS,

    Sophie GERBAUD, Marie-Dominique RENAUD

    Relations marchands de journaux (numros verts) :

    Diffuseurs Paris : 0805 050 147

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    Reproduction interdite de tous articles,

    sauf accord avec ladministration

    ADAGP, Paris, 2014,

    pour les uvres de ses adhrents.

    Prix de labonnement annuel ldition imprime :

    France mtropolitaine : 54

    Autres destinations : www.monde-diplomatique.fr/abo

    Concours

    tudiants 2015

    La quatrime dition du concours

    tudiants du Monde diplomatique est

    lance. Plutt quun essai philoso-

    phique, chaque candidat est invit

    rdiger une enqute ou un reportage

    de douze mille signes sur une question

    sociale, conomique, politique ou go-

    politique, en privilgiant une approche

    internationale. La date limite de remise

    des textes est le 15 juin 2015. Moda-

    lits et renseignements sur www.amis.

    monde-diplomatique.fr/concours

    Lyon-Turin

    Larticle Rsistance dans la

    valle, de Serge Quadruppani (Le

    Monde diplomatique, dcembre 2014),

    a suscit plusieurs ractions. M. Louis

    Besson, ancien ministre et prsident de

    la Commission intergouvernementale

    franco-italienne pour la nouvelle

    liaison ferroviaire Lyon-Turin, tient

    prciser:

    Ce sont trois tunnels de base de

    mme nature que celui du Lyon-Turin qui

    voient le jour progressivement pour franchir

    les Alpes suisses et autrichiennes dans le

    sens nord-sud... crant ainsi des communi-

    cations trs performantes et haute capacit

    pour les changes conomiques entre lAl-

    lemagne et son premier partenaire, lItalie :

    deux traverses des Alpes suisses (le

    Loetschberg, en service depuis sept ans, et

    le Gothard, qui sera mis en service dans

    vingt-cinq mois) et une traverse des Alpes

    autrichiennes, avec le Brenner, qui est en

    chantier. Dans un souci dquilibre, on ne

    peut que comprendre la volont de lUnion

    europenne daccompagner des pays comme

    la France et lItalie pour quexiste au moins

    une traverse ferroviaire de nouvelle gn-

    ration dans le sens est-ouest, entre Lman

    et Mditerrane. (...)A ce jour, cest--dire

    sept ans aprs louverture du tunnel de base

    de Loetschberg, la Suisse cone au mode

    ferroviaire 65% des marchandises la traver-

    sant pour rejoindre lItalie ou lAllemagne...

    Alors que la France compte au travers des

    Alpes moins de 10% de son transport de

    marchandises par le rail ! Cette donne suffit

    en elle-mme dmontrer la fois lobso-

    lescence dinfrastructures existantes tout

    fait inefficaces et lurgence dun ouvrage

    ferroviaire de nouvelle gnration pour tra-

    verser les Alpes franco-italiennes.

    Rcompense

    Ldition bulgare duMonde diploma-

    tique et son directeur Venko Kanev ont

    reu le prestigieux prix de la catgorie

    Ethique professionnelle et civique

    lors du concours Mondes et couleurs

    organis par lUnion des journalistes

    bulgares et lAssociation des journa-

    listes hispanophones de Bulgarie.

    COURRIER DES LECTEURSCOURRIER DES LECTEURS

    LLune de nos deux dirune de nos deux directrices artistiques, Alice Barzilayectrices artistiques, Alice Barzilay, est dcde le, est dcde le

    2121 dcembrdcembre dere dernier Paris. Solange Brand, qui laccueillit lors de son arrivenier Paris. Solange Brand, qui laccueillit lors de son arrive

    dans lquipe, rappelle ce quelle a apport au jourdans lquipe, rappelle ce quelle a apport au journal.nal.

    Alice est partie, avec sa chemise en jean et ses Converse. Et les amis qui lont

    accompagne, si nombreux et dles hors du journal comme au journal gardent

    vivantes sa prsence lumineuse, sa chevelure ensoleille et son nergie batailleuse.

    Il y avait aussi les moments de rvolte, de colre, parfois un peu injustes. Il en est

    ainsi des personnalits fortes, sans concessions, qui donnent tant, parfois trop. Alice

    tait une rsistante, une combattante jusquau bout.

    Un beau parcours. Des annes dtudes darchitecture, puis lenvie de basculer

    dans la presse. Elle savait bouger, et ctait si important pour elle... Aprs avoir

    appris le mtier de secrtaire de rdaction Libration, cette amoureuse des textes,

    lectrice et correctrice de grande qualit tant pour la presse que pour ldition et les

    catalogues dart, travaille pour plusieurs autres publications, avant de rejoindre Le

    Monde diplomatique en septembre 1999. Pas lonce dune hsitation pour laccueillir :

    outre sa personnalit vidente, son arrive concide avec la rvolution informatique

    de la mise en pages sur cran ce quelle matrise parfaitement et elle vient, avec

    lgret et patience, la rescousse de quelquun qui avait dj vcu le passage du

    plomb la photocomposition.

    Alice sattend travailler avant tout sur le texte ; elle se retrouve face la mise en

    pages et la direction artistique, de nouveaux espaces. Mais elle porte en elle cette

    disposition naturelle au visuel. Dans ce temps de travail commun et de transmission

    mutuelle, nous nous sommes empoignes souvent, quelquefois violemment, mais

    que de respect et de partage ! Parce que nous liaient une mme conception du

    travail, de la rigueur, un esprit dquipe, un attachement au journal, une envie de

    faire. Nengueule pas ton ordinateur, parle-lui avec amiti, me disait-elle devant

    mes difcults ; Refais la maquette plusieurs fois, on peut toujours lamliorer,

    Et pourquoi telle photo ou tel tableau ?, lui rptais-je trop souvent son gr...

    Elle na cess de retravailler ses maquettes, dacrer son regard.

    Mon dpart de la direction artistique a t une forme de libration pour sa crativit

    et la libert de ce regard. Aprs avoir afn la maquette du Monde diplomatique,

    elle a profondment remani la formule de Manire de voir, exigeante sur la forme

    comme sur le fond, si attentive au travail des photographes et des artistes.

    Fidle jusquau bout ses convictions et ses engagements, Alice a quitt ses

    amis, la vie, lhumour, les livres, le jazz et la salsa, emporte par une maladie quelle

    a affronte comme le reste : avec force et lucidit.

    SOLANGE BRAND.

    janvier. Ces envois sont insuffisants pour

    viter une pnurie. Sans ce rationnement,

    nous prenions le risque de nous retrouver

    court de frites vers le 1

    er

    janvier ,

    explique Kokora Toyama, un des porte-

    parole de McDonalds au Japon.

    Pourquoi cette pnurie ? Depuis octobre,

    des conteneurs sont bloqus dans les ports

    de la Cote ouest des Etats-Unis, cause

    dun conit social opposant [ propos

    du renouvellement de leur convention

    collective] vingt mille dockers la Pacic

    Maritime Association, qui reprsente

    les oprateurs portuaires et les compagnies

    de transport maritime.

    FERM LE DIMANCHE

    Tandis que la ritournelle du travail

    du dimanche reprend en France,

    la Hongrie vient de voter un texte qui va

    dans un sens oppos la loi Macron,

    selon The Daily.HU (18 dcembre 2014).

    Une nouvelle loi vote en dbut

    de semaine devrait conduire la plupart

    des grands magasins fermer le dimanche.

    Prvue pour entrer en vigueur partir

    du 15 mars 2015, elle sapplique au

    commerce de dtail dans les magasins

    dpassant les deux cents mtres carrs.

    Dautres restrictions entrent en jeu lorsque,

    dans la main-duvre du dimanche,

    ne gure ni un propritaire du commerce

    dtenant une part dau moins 20 %,

    ni un membre de sa famille.

    RECTIFICATIFS :

    Larticle Projet pour une presse libre (dcem-

    bre) voquait la n de France-Soir et de La Tri-

    bune. Pour ce dernier, il ne sagissait que de la

    n de ldition quotidienne sur papier : une dition

    numrique reste publie chaque jour, ainsi quune

    dition sur papier chaque semaine.

    En introduction de larticle dAlain Vicky

    LAfrique du Sud dans la bulle de la consom-

    mation crdit (dcembre), nous avons prsent

    ce pays comme la premire puissance cono-

    mique du continent.A la suite dune rvaluation

    majeure du calcul de son produit intrieur brut

    en avril 2014, port 510 milliards selon son

    bureau national des statistiques, le Nigeria appa-

    rat devant lAfrique du Sud.

    Une erreur technique a amput le titre du dernier

    ouvrage de notre collaboratrice Camelia Ente-

    khabifard dans le numro de dcembre. Il sagit

    de Save Yourself by Telling the Truth : A Memoir

    of Iran, Seven Stories Press, NewYork, 2007.

    Alice et la libert du regard

    Q

    UELQUES jours avant Nol, lEtat a dcid que notre journal ne bncierait

    pas du fonds stratgique pour le dveloppement de la presse pour

    lanne 2014. Cette aide, qui avait atteint lanne prcdente le montant

    faramineux de... 18 611 euros, entend favoriser le rayonnement des publications

    franaises linternational. Un tel objet semblait pourtant taill sur mesure pour

    Le Monde diplomatique, qui ralise prs dun cinquime de ses ventes ltranger

    et diffuse travers le monde quarante-sept ditions en vingt-huit langues.

    Il faut croire que le ministre de la culture et de la communication couvre notre

    journal dune tendresse particulire. En 2012, Le Monde diplomatique trnait la

    178

    e

    position des deux cents titres les plus aids. Loin derrire Tlcble Sat Hebdo

    (27

    e

    ), Closer (91

    e

    ) ou Le Journal de Mickey (93

    e

    ), alors que les aides la presse

    prtendent encourager la libre communication des penses et des opinions et

    clairer le citoyen. En 2013, nous avons disparu de la liste, tandis que LOpinion,

    le quotidien semi-ofciel du Mouvement des entreprises de France (Medef), lanc

    avec largent de M. Bernard Arnault, premire fortune nationale, y entrait. En 2014,

    lEtat aura ainsi trouv le moyen damputer le reliquat maigrichon des subsides

    dont protait encore notre publication.

    Parmi eux, les tarifs postaux spciques la presse. L encore, tout semble fait

    pour que nous restions insouponnables dabus daides publiques. En effet, lEtat

    compense avec la plus grande gnrosit lexpdition par courrier des titres dinfor-

    mation politique et gnrale, condition quils soient quotidiens ou tout au plus...

    hebdomadaires. Dommage pour notre mensuel. En dcembre dernier, les abonns

    au Point et aux Echos ont pu apprcier la pertinence de ce critre de priodicit

    en dcouvrant dans leurs botes aux lettres, avec leurs journaux favoris, les lourds

    supplments publicitaires qui prolifrent en priode de ftes. Dans le lm enveloppant

    Les Echos, le cahier gant Srie limite dun peu plus dune livre (525 grammes

    exactement) exhibait ses pages promotionnelles serties de quelques articles, le

    tout convoy par La Poste un tarif sacri mais compens par lEtat. Ct Le

    Point, un supplment papier glac spcial cadeaux, Couleurs de ftes, de

    372 grammes, comportant un ditorial indigent pour 155 pages de publicit,

    parvenait dans les botes aux lettres aux frais du contribuable, toujours au nom de

    la libre communication des penses et des opinions.

    Ce critre de priodicit accentuera ses effets en 2015. Pour Les Echos, Le Point

    et leurs annonceurs, laugmentation des tarifs postaux se limitera 4,9 %. Pour

    Le Monde diplomatique, ce sera 8,8 %.

    Notre journal ne puise sa force qu deux sources : son projet ditorial et ses

    lecteurs. Cest donc vers ces derniers que nous nous tournons. Le don dscalis

    reste leur meilleur moyen dobliger lEtat corriger, contre son gr, liniquit carica-

    turale de son systme daide la presse (http://dons.monde-diplomatique.fr).

    LEtat souhaite une bonne anne

    au Monde diplomatique

  • 3LE MONDE diplomatique JANVIER 2015

    AUX SOURCES DUNE IDE REUE

    Prisonniers de la mobilit

    millefeuille o auraient sdiment plu-

    sieurs strates. Pour penser en termes de

    mobilit, il a fallu dabord concevoir lin-

    dividu dans un espace, formuler que sa

    localisation tait source de problmes ou

    de difficults. Puis fournir cette ide un

    surcrot de sens et daffects communs :

    dune ncessit biophysique, la mobilit

    est devenue une caractristique personnelle

    nouvelle dfinie par des choix rationnels

    en rapport avec la ralisation de soi.

    Comment se sont organiss ces glisse-

    ments, dans des domaines aussi varis que

    les sciences, lart, la politique et ladminis-

    tration ? Pitirim Sorokin les inaugure dans

    les annes 1920 avec la mobilit sociale.

    Pour comprendre lextension de la classe

    moyenne, ce sociologue sintressait la

    fluidit de la socit amricaine, confor-

    mment une conception associant lindi-

    vidualisme volontariste une certaine ide

    du mrite et de la ralisation personnelle.

    Paralllement se dveloppait une perspec-

    tive spatiale des dplacements (pas encore

    nomms mobilit !) dans les sciences

    techniques de gestion de la ville. Lappari-

    tion dans les annes 1930 dingnieurs du

    trafic routier favorise celle des statistiques

    des flux urbains. Il sagit alors de dduire

    les besoins de dplacements une chelle

    gographique prdfinie en mesurant leur

    nombre, leurs horaires, etc.

    Lidologie dominante sappuie sur des notions si commun-

    ment admises quelles finissent par se dispenser de toute mise

    en perspective. Tel est le cas de la mobilit . A premire

    vue, le terme rassemble sous la bannire du bon sens les traits

    saillants dune poque o tout bouge, tout change, tout se

    dplace. Analyser ce quil recouvre comme on pluche un

    oignon rvle pourtant bien des surprises.

    PAR S IMON BORJA , GUILLAUME COURTY

    ET THIERRY RAMADIER *

    LA mobilit serait, selon les Nations

    unies, un moteur du dveloppement

    humain. Ici, elle saffiche sur une publi-

    cit : Hello Bank ! Une banque mobile

    comme vous ; l, elle se dcline en devise

    pour la Socit nationale des chemins de

    fer franais (SNCF) : Libert, galit,

    mobilit. La mobilit sera galement

    dveloppe pour les lves, individuellement

    et collectivement, comme pour les ensei-

    gnants, explique quant elle la loi dorien-

    tation et de refondation de lcole de 2013.

    La mobilit constelle les discours (1).

    Elle voisine avec fluidit, crativit, acces-

    sibilit pour dcrire des projets o il est

    question de libert, dautonomie, dpa-

    nouissement ou de dynamisme. Des cher-

    cheurs y voient un nouveau concept, voire

    un nouveau paradigme. Personnes (tu-

    diants, salaris, immigrs), biens (mar-

    chandises transportes dun bout lautre

    du globe), comptences (agilit, ouverture

    desprit), ides (politiques, scientifiques)

    ou informations (mdias, avoir un mo-

    bile, rseaux), rien ne lui chappe.

    Do vient son vidence ? A peine

    audible dans les annes 1970, de plus en

    plus apprcie dans les annes 1980 et

    1990, loue dans les annes 2000, elle est

    devenue un rfrentiel de lidologie domi-

    nante. Lanalyser revient dcortiquer un

    tel quil devra(it) tre sur les rapports

    socio-spatiaux tels quils sont, en dclinant

    pour cela des chiffres qui donnent lim-

    pression dun phnomne total. Pourtant,

    la majorit de la population vit sans cette

    reprsentation ou hors delle (7). Un pour

    cent des tudiants europens bnficient

    dErasmus (devenu Erasmus Mundus) en

    premier cycle, quand un rapport parlemen-

    taire franais de mars 2014 salue ce pro-

    gramme comme une initiative russie au

    service dun large public . Une discor-

    dance analogue entre le discours et la ra-

    lit sobserve propos de la catgorie dite

    des grands mobiles : Plus de cent

    soixante-dix mille actifs parcourent plus

    de quatre-vingts kilomtres pour se rendre

    leur lieu de travail situ en Ile-de-

    France, explique lInstitut damnage-

    ment et durbanisme de la rgion pari-

    sienne, qui estime quatre millions neuf

    cent mille le nombre des dplacements

    annuels gnrs par ces actifs (8). Pour-

    tant, seuls 4% des actifs sont des grands

    navetteurs.

    Derrire cette pluie de performances

    chiffres, les enjeux mobilitaires restent

    mconnus : ils ont partie lie avec le pou-

    voir sur le corps, forme de domination o

    lindividu, acteur de sa mobilit (puisque

    cest pour son bonheur !), serait respon-

    sable de son devenir autant que garant de

    celui de la socit. Ce dernier glissement

    en date instaure un ordre mobilitaire o le

    capitalisme dveloppe lexploitation des

    immobiles par les mobiles (9) en alimen-

    tant sa capacit rpondre ses propres

    contradictions. Car, dsormais, cette cat-

    gorie russit le tour de force dinscrire lin-

    dividu dans une respatialisation des rap-

    ports sociaux o il est somm de prendre

    les places quon lui dsigne comme tant

    bnfiques. Vous navez pas encore retir

    votre dossier de mobilit ? La semaine

    de mobilit vous aidera raliser le

    projet global de mobilit, car qui peut

    refuser lcomobilit ?Vous tes libres :

    bougez-vous pour vous en sortir !

    en finir avec les ingalits et la dpendance

    conomique. Reste faire entrer ltranger

    dans ce cadre. M. Nicolas Sarkozy sy

    emploie en 2006 avec limmigration

    choisie, une grande politique de cod-

    veloppement qui facilitera la mobilit des

    personnes et la rinstallation volontaire

    en Afrique de migrants.

    Comme dans la clbre maxime de Karl

    Marx o les idologues mettent tout sens

    dessus dessous, lidologie mobilitaire

    ne met en avant, et au-dessus de tout, que

    des vertus. La mobilit doit ainsi tre

    entendue comme ce quelle se dfend

    dtre : une catgorie qui fait croire. Elle

    projette une reprsentation du monde

    conue par les lites.A partir de faits sou-

    vent minoritaires, elle privilgie le monde

    * Respectivement doctorant en science politique au

    Centre dtudes et de recherches administratives,

    politiques et sociales (Ceraps) ; professeur de science

    politique au Ceraps, universit Lille-II ; directeur de

    recherche au Centre national de la recherche scienti-

    fique (CNRS) au laboratoire Socits, acteurs, gouver-

    nement en Europe (SAGE), universit de Strasbourg.

    Un imaginaire nourri par les artistes

    (1) Cet article synthtise les travaux des auteurs

    dans les publications suivantes : Trois mobilits en

    une seule ?, octobre 2014, www.espacestemps.net ;

    La mobilit serait un capital : doutes et interroga-

    tions, dcembre 2012, http://fr.forumviesmobiles.org ;

    Approches critiques de la mobilit, Regards socio-

    logiques, n

    o

    45-46, Paris, 2014.

    (2) Pierre George et FernandVerger (sous la dir. de),

    Dictionnaire de la gographie, Presses universitaires

    de France, Paris, 1970 ; Jacques Lvy etMichel Lussault

    (sous la dir. de), Dictionnaire de la gographie et de

    lespace des socits, Belin, Paris, 2003.

    (3) Cf. Antonio SantElia, Manifeste de larchi-

    tecture futuriste, Lacerba, Florence, 1914, et Kazimir

    Malevitch, Ecrits, Grard Lebovici, Paris, 1986.

    (4) Cf. Laurent Jeanpierre, La place de lexter-

    ritorialit , dans Mark Alizart et Christophe

    Kihm (sous la dir. de), Fresh Thorie, Lo Scheer,

    Paris, 2005.

    (5) Cf. John Urry, Sociologie des mobilits. Une

    nouvelle frontire pour la sociologie ?,Armand Colin,

    Paris, 2005.

    (6) Franois Hollande, discours de clture au congrs

    de Dijon du Parti socialiste, 18 mai 2003.

    (7) Lire Olivier Bailly, Madeleine Guyot, Almos

    Mihaly et Ahmed Ouamara, Avec les jeunes de

    Bruxelles enferms dans leurs quartiers, Le Monde

    diplomatique, aot 2008.

    (8) Rapport Voyages franciliens , Institut

    damnagement et durbanisme de lIle-de-France,

    fvrier 2014.

    (9) Luc Boltanski et Eve Chiapello, Ingaux face

    la mobilit, Projet, n

    o

    271, Saint-Denis, 2002.

    populations ont toujours t en mouve-

    ment, la notion embrasse dunmme point

    de vue lextension gographique laube

    de lhumanit, les invasions, les migrations

    de peuplement, les retours la terre et les

    dplacements de travail pour en conclure

    un fait total de mobilit. Lequel don-

    nerait du sens une remise en cause de la

    socit (5). Largumentaire est dautant plus

    puissant quil coordonne en un mot pro-

    grs, modernit, conomie de march,

    mondialisation, multiplication des trajets,

    kilomtres parcourus...

    Avec ces approches de la mobilit se

    clt une ide de la politique des trans-

    ports. Nous en serions dj au-del ,

    affirment ses thurifraires ; Nous par-

    tageons plus que du transport , affiche

    la SNCF. Lconomie des dplacements

    se redcouvre sous le signe de la mobi-

    lit : tout le monde (est) mobile !Ainsi

    le pass se trouve-t-il relgu une forme

    dimmobilisme, comme si, jadis, avant

    lindustrialisation, les gens se dplaaient

    moins ou pas du tout. Un raisonnement

    paradoxal, puisque le capitalisme a jus-

    tement engendr urbanisation et concen-

    tration de la main-duvre autant din-

    citations la sdentarit !

    La mobilit assoit aussi son emprise

    parce que le monde politique sen saisit

    pour produire un son nouveau ds les

    annes 1960. Le 9 septembre 1965, dans

    une des premires dclarations associant

    mobilit et travailleurs, Charles de Gaulle

    explique qutre mobile cest apprendre

    un mtier . Quarante ans plus tard, la

    mme ide sapplique aux salaris que des

    mobilits (...) peuvent un moment tou-

    cher (6). La mobilit est devenue une

    caractristique de lemploi. Preuve de sa

    russite, elle nest lapanage ni des partis

    ni des seuls dirigeants de droite. Le patronat

    prne une France qui gagne dans un

    monde qui bouge. Selon la Commission

    europenne, la mobilit est une opportu-

    nit autant quune bonne pratique. En

    estampillant 2006, anne europenne de

    la mobilit des travailleurs, elle fixait les

    enjeux de leur adaptabilit (...) aux muta-

    tions structurelles et conomiques. Entre

    se soumettre ou se dmettre, linjonction

    la flexi... mobilit constitue un lment sup-

    plmentaire dans la domination du travail-

    leur. Flexibilit: je naime pas beaucoup

    ce mot. En revanche, la mobilit est tout

    fait vidente, prcise le prsident Jacques

    Chirac la tlvision (10 mars 1997).

    Derrire linjonction, le terme dsigne

    une faon de penser lEtat. Les fonction-

    naires sont touchs selon des modalits

    particulires. En septembre 1969, le pre-

    mier ministre Jacques Chaban-Delmas

    explique que sa nouvelle socit sem-

    ploiera notamment favoriser la mobi-

    lit des chercheurs . Mobilit des

    hommes dans certains discours des pre-

    miers ministres de laprs-1981, la notion

    englobe ensuite les femmes. En avril 1994,

    Franois Mitterrand leur octroie une

    forme de libration (...) dans la mobilit

    du travail et dans la mobilit des

    horaires. Offrir la mobilit la popula-

    tion, cest tenter de faire croire quon va

    AU milieu des annes 1970, cest le

    comportement individuel saisi travers

    le motif du dplacement qui proccupe

    dsormais les ingnieurs. Ces derniers sont

    progressivement pauls par des go-

    graphes, des conomistes et des psycho-

    logues qui se penchent sur les dimensions

    subjectives : comment les individus per-

    oivent-ils le temps, lespace ou les cots

    des dplacements, et comment prennent-

    ils leurs dcisions ? Dans les annes 1980-

    1990, le flux devient une collection de

    comportements que les capacits de calcul

    contribuent progressivement analyser.

    Sopre ensuite un autre glissement : si

    dans les annes 1970 la mobilit se

    dfinissait comme la plus ou moins forte

    tendance au dplacement , dans les

    annes 2000 elle relve dune facilit se

    mouvoir incluant toute la personne et toute

    la socit un ensemble de manifesta-

    tions lies au mouvement des ralits

    sociales dans lespace (2). La sociologie

    la consacre comme un fait nouveau et tho-

    rise le capital de mobilit, centr autour

    de comptences quil suffirait dac-

    qurir pour faciliter les potentiels de

    dplacement. Dplacement gographique

    et volution professionnelle se fondent

    dans la mobilit.

    Cette notion na pu simposer partir

    des seules sciences. Si elle projette autant

    dimages et de reprsentations positives,

    cest aussi parce que les figures du mou-

    vement (dplacement, voyage, exprience,

    progrs, etc.) qui la fondent ont t large-

    mentmises lhonneur dans lunivers artis-

    tique. Au travers des descriptions, voca-

    tions, dambulations et prgrinations dans

    les villes qui se modernisent, peinture, lit-

    trature et posie ont convoqu des figures

    qui glorifient linstabilit, le changement,

    la variation. Depuis la figure du flneur

    exalte par Charles Baudelaire ou celle de

    linsubmersible Nautilus, mobilis in

    mobile, de Jules Verne, jusqu Marcel

    Duchamp et sonNu descendant un escalier

    en passant par les dambulations pari-

    siennes des dadastes, le dplacement lib-

    rateur, crateur et mme contestataire sim-

    pose comme lment central dune socit

    en mutation.

    Aux alentours de la premire guerre

    mondiale, cette vision dumonde trouve un

    renfort dans lengouement pour le progrs

    technique. Lurbanisation nourrit lesp-

    rance de russite quincarnent les phno-

    mnes dexode. Dans un imaginaire ali-

    ment par lautomobile, le dveloppement

    du train et de laronautique, lloge du

    mouvement devient un trait commun o

    fusionnent dplacement et progrs. Je

    peins les trams et les trains de ma jeunesse,

    explique Paul Delvaux, et je crois que de

    la sorte jai pu fixer la fracheur de cette

    poque. Le futurisme se montre fascin

    par la ville semblable un immense

    chantier tumultueux, agile, mobile, dyna-

    mique , quand pour le suprmatisme

    lme est rveille par la nouvelle vie

    mtallique, mcanique, le grondement des

    automobiles, lclat des lampes lectriques,

    les ronflements des hlices (3).

    Aprs la seconde guerre mondiale,

    contre lopposition traditionnelle de la

    fuite et de la lutte, lassimilation de la pre-

    mire une trahison condamne par les

    armes comme par les nations (4), le

    dplacement prend des traits philosophico-

    humanistes. Cela est formalis clairement

    dans lloge du mouvement individuel

    comme critique dun corps prisonnier dun

    capitalisme alinant : Henri Laborit crit

    un Eloge de la fuite, Guy Debord et les

    situationnistes explorent la drive

    urbaine, Gilles Deleuze et Flix Guattari

    fixent la dterritorialisation.

    Limaginaire actuel de la mobilit distille

    une somme de reprsentations constam-

    ment ractualises, et se lgitime en rins-

    crivant tous les dplacements sa mesure.

    Sappuyant sur le principe selon lequel les

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    ALEXANDRE DANILOVITCH GRINBERG. Art du mouvement, essai , 1928

  • 4LES VIOLENCES POLICIRES DISSIPENT

    Pour les Afro-Amricains, amer bilan

    rent traverss par des clivages raciaux.

    Tous les indicateurs le confirment. La

    grande rcession de 2008-2009 a eu pour

    effet de creuser les ingalits raciales. Parce

    quils taient plus viss que les Blancs par

    les vendeurs de crdits subprime, lesAfro-

    Amricains et les Hispaniques ont t plus

    souvent victimes de saisies immobilires.

    Plus prcaires, ils ont galement t plus

    exposs laugmentation du chmage.

    Ainsi, selon les donnes du Bureau of

    Labor Statistics, 5,4 % des Blancs taient

    sans emploi en aot 2014, contre 11,4 %

    des Afro-Amricains. En 2012, le revenu

    moyen des mnages blancs slevait

    57009 dollars, celui des mnages noirs

    33321 dollars.

    La sgrgation rsidentielle na pas non

    plus diminu. Au cours des quarante

    dernires annes, explique le sociologue

    Robert J. Sampson au sujet de Chicago,

    aucun quartier majoritairement noir nest

    devenu majoritairement blanc, contrai-

    rement un tiers des quartiers blancs, qui

    sont devenus majoritairement noirs (1).

    Ce constat se vrifie lchelle du pays.

    Entre 1990 et 2000, des milliers de

    quartiers dominante blanche sont

    devenus des lieux habits principalement

    par desAfro-Amricains. Mais sur environ

    soixante-cinq mille quartiers dominante

    noire, seuls une dizaine sont devenus des

    secteurs population blanche majoritaire.

    Ainsi, dune manire gnrale, la stratifi-

    cation raciale est profondment stable,

    explique le sociologue. Cette stratification

    se rpercute sur les relations sociales,

    puisque la plupart des Amricains blancs

    dclarent navoir aucun ami noir, la diff-

    rence des Afro-Amricains, qui, eux,

    dclarent avoir des amis blancs (2).

    les dfenseurs des droits civiques et leurs

    opposants. Si le premier groupe tait

    surtout compos de dmocrates et le

    second de rpublicains, la frontire tait

    cependant loin dtre hermtique : chaque

    coalition incluait des membres des deux

    partis. Ainsi, limage du snateur de

    Caroline du Sud Strom Thurmond, des

    dmocrates conservateurs, surtout lus

    dans le sud du pays, se retrouvaient allis

    des rpublicains pour dfendre la sgr-

    gation. A linverse, des rpublicains

    progressistes, comme le gouverneur de

    lEtat de NewYork Nelson Rockefeller,

    affrontaient leur propre parti pour

    promouvoir une plus grande galit

    raciale.

    Depuis ladoption des lois sur les droits

    civiques, les lignes de faille de la politique

    amricaine se sont dplaces. La question

    des ingalits raciales fait lobjet de deux

    approches antagonistes, qui recoupent

    exactement les contours des partis. Aux

    yeux des dmocrates, seules des politiques

    volontaristes, qui prennent en compte

    spcif iquement la dimension raciale,

    peuvent combler ces disparits. Cette ide

    est partage par une multitude

    dassociations de dfense des minorits,

    de syndicats, mais aussi de grandes entre-

    prises qui valorisent la mixit de leurs

    salaris.A la Cour suprme, la juge Sonia

    Sotomayor (nomme par M. Obama)

    plaide par exemple pour des politiques

    en matire demploi, dducation, de

    JANVIER 2015 LE MONDE diplomatique

    DEUX vagues de protestations

    violentes ont secou Ferguson, dans le

    Missouri, au cours des cinq derniers mois.

    Une premire en aot, quand la mort de

    Michael Brown, un Afro-Amricain de

    18 ans tu par un policier, blanc comme

    lcrasantemajorit des policiers de la ville,

    a embras cette banlieue majoritairement

    noire. Une seconde en novembre, aprs la

    dcision dun jury populaire de ne pas pour-

    suivre lauteur des coups de feu,M. Darren

    Wilson. Le mouvement sest alors tendu

    lensemble du pays, de San Francisco

    NewYork en passant par Chicago, Seattle,

    Los Angeles et une multitude de petites

    villes. Voitures en flammes, pillages

    nocturnes, policiers blancs monts sur des

    vhicules blinds faisant face des mani-

    festants noirs dsarms : les images de cette

    rvolte urbaine ont fait le tour du monde,

    corchant le mythe de lAmrique

    * Professeur luniversit dOxford. Auteur, avec

    Rogers M. Smith, de Still a House Divided : Race and

    Politics in Obamas America, Princeton University

    Press, 2013.

    postraciale quaurait fait natre larrive

    deM. Barack Obama laMaison Blanche

    en janvier 2009.

    Le meurtre dun jeune Noir par un

    policier blanc na pourtant rien dextraor-

    dinaire aux Etats-Unis. En 2013, selon le

    Federal Bureau of Investigation (FBI), un

    quart des quatre cent soixante et un

    homicides justif is commis par la

    police, soit un tous les trois jours, ont eu

    pour victime un Afro-Amricain. Or les

    Noirs ne reprsentent que 12 % de la

    population totale amricaine. La dispro-

    portion est encore plus flagrante en prison,

    o ils constituent 38 % des deux millions

    deux cent mille dtenus. Ce chiffre traduit

    la fois leur fragilisation socio-conomique

    et la propension des policiers contrler

    prioritairement des Afro-Amricains.

    Lgalit de droits entre les citoyens,

    tablie dans les annes 1960, puis lmer-

    gence dune classe moyenne noire et

    llection dun prsident afro-amricain

    ny ont rien chang : les Etats-Unis demeu-

    PAR DESMOND K ING *

    Le 20 novembre 2014, Akai Gurley a rejoint Michael Brown

    sur la liste des Noirs tus, aux Etats-Unis, par des policiers

    blancs. Les jours suivants, desmilliers de citoyens ont manifest

    contre ces crimes impunis, ravivant le dbat sur lquit de la

    justice. Pour seule rponse,M. BarackObama leur a demand

    dtre persvrants, au prtexte que les choses vont mieux

    quavant. Les Afro-Amricains semblent parfois en douter...

    (1) Robert J. Sampson, Great American City :

    Chicago and the Enduring Neighborhood Effect,

    University of Chicago Press, 2012.

    (2) Robert P. Jones, Self-segregation :Why its so

    hard forWhites to understand Ferguson, TheAtlantic,

    Boston, 21 aot 2014.

    RUPTURE DANS LA STRATGIE

    A Cuba, vers la fin du plus

    LES premires mesures de rtorsion

    conomique la rduction des importa-

    tions de sucre en provenance de lle

    ont t imposes Cuba en 1960 par

    ladministration rpublicaine de Dwight

    D. Eisenhower, officiellement en raison

    du processus de nationalisations entre-

    pris par le gouvernement rvolutionnaire

    de Fidel Castro. En fvrier 1962, John

    F. Kennedy tend les mesures et dcrte

    un embargo.

    Limpact est dramatique. Les Etats-Unis

    ont toujours constitu le march naturel

    de Cuba. En 1959, 73% des exportations

    de lle taient destines au voisin duNord ;

    70% des importations en provenaient. En

    quelques semaines, ces changes sass-

    chent totalement...

    La rhtorique justifiant cet tat de sige

    conomique a volu au fil des annes.

    En 1960, Washington mettait en avant

    lexpropriation dentreprises amricaines.

    A partir de 1961, la Maison Blanche

    justifie sa position par le rapprochement

    de lle avec Moscou. Plus tard, ce seront

    le soutien aux gurillas latino-amricaines

    en lutte contre les dictatures militaires ou

    encore les interventions cubaines en

    Afrique qui fourniront aux Etats-Unis la

    justification de lembargo.

    Le 17 dcembre 2014, La Havane et Washington annon-

    aient le rtablissement de leurs relations diplomatiques.

    Cela ne veut pas dire que le problme principal est rsolu,

    a observ le prsident cubain Ral Castro lors de son allo-

    cution tlvise. Demeure en effet la question de lembargo,

    que seul le Congrs amricain peut lever. Depuis bientt

    cinquante-trois ans, celui-ci trangle lconomie de lle.

    PAR SALIM LAMRANI *

    quelle que soit sa provenance accostant

    dans un port cubain se voit interdire

    lentre aux Etats-Unis pendant six mois.

    Autrement dit, les entreprises maritimes

    oprant dans la rgion doivent choisir de

    commercer ou bien avec Cuba ou bien

    avec les Etats-Unis. En gnral, le dilemme

    est rapidement tranch... Rsultat : lle,

    qui dpend par dfinition du transport

    maritime, doit payer un prix bien suprieur

    celui du march pour convaincre les

    transporteurs internationaux de la livrer.

    La loi Torricelli impose par ailleurs des

    sanctions tout pays apportant une assis-

    tance Cuba : si le Mexique octroie par

    exemple une aide de 100 millions de

    dollars La Havane,Washington diminue

    dautant son aide Mexico.

    En 1996, un avion de sauvetage de

    Cubains qui fuyaient par la mer est abattu

    par La Havane. Ladministration Clinton

    rpond en signant la loi Helms-Burton, qui

    ajoute la rtroactivit lextraterritorialit.

    L encore, le droit international linterdit,

    mais peu importe. Le texte sanctionne toute

    entreprise (y compris non amricaine, donc)

    qui sinstallerait sur des proprits natio-

    nalises aprs 1959. Mais la loi Helms-

    Burton viole galement le droit amricain,

    qui stipule, dune part, que les expropria-

    tions sont condamnables uniquement

    lorsquelles violent le droit international

    et, de lautre, que les poursuites judiciaires

    ne sont possibles aux Etats-Unis que si la

    personne lse disposait dun passeport

    amricain au moment des faits. Le plus

    souvent, ni lune ni lautre de ces conditions

    nest remplie.Mais la loi joue parfaitement

    son rle, dissuadant de nombreux inves-

    tisseurs de sinstaller Cuba par crainte

    de reprsailles.

    *Auteur deCuba. Les mdias face au dfi de limpar-

    tialit, Estrella, Paris, 2013.

    Aumne ou rparation ?

    POURTANT, les annes 1960 avaient

    laiss prsager un scnario diffrent.Aprs

    plusieurs dcennies de protestations, le

    mouvement des droits civiques obtint

    ladoption dune srie de mesures dci-

    sives. La loi sur les droits civiques (Civil

    Rights Act) de 1964 instaura la mixit

    raciale dans tous les lieux publics et permit

    ladoption de mesures dites de discrimi-

    nation positive (affirmative action). En

    1965, la loi sur le droit de vote (Voting

    Rights Act) dota le ministre de la justice

    dun pouvoir de contrle accru sur les

    procdures de vote et dinscription sur les

    listes lectorales dans les cinquante Etats

    du pays.Tout changement devait dsormais

    tre approuv par le gouvernement fdral,

    garant de lgalit. Les lois sur lducation

    (Higher EducationAct et Elementary and

    Secondary EducationAct) de 1965 permi-

    rent loctroi de subventions exceptionnelles

    aux tablissements les plus pauvres, majo-

    ritairement frquents par desAfro-Amri-

    cains, tandis que le systme de transport

    scolaire fut rform pour permettre aux

    enfants noirs dtre scolariss loin de leur

    cole daffectation naturelle et favoriser

    ainsi la mixit raciale. Ces mesures de

    discrimination positive ntaient pas

    conues comme une forme daumne

    lgard des minorits, mais comme un

    systme de rparation pour les injustices

    historiques que celles-ci avaient subies.

    Ces rformes nont pu aboutir quau

    prix dune longue bataille politique entre

    ANGEL DELGADO.Lmite continuo V (Limite perptuelle V), 2009

    Semer le dsordre

    EN 1991, le bloc sovitique sest

    effondr. Au lieu de normaliser les rela-

    tions avec Cuba, les Etats-Unis choisis-

    sent daccrotre les sanctions : il sagit,

    dsormais, dexercer une pression sus-

    ceptible de prcipiter le rtablissement

    de la dmocratie et de favoriser le respect

    des droits de lhomme.

    Dbute alors la plus grave crise cono-

    mique de lhistoire de Cuba, due la dispa-

    rition de lURSS, son principal partenaire

    commercial : entre 1991 et 1994, le produit

    intrieur brut (PIB) de lle plonge de

    35%. Trois ans aprs larrive de

    M. George H. Bush au pouvoir, en 1992,

    le Congrs amricain adopte la loi Torri-

    celli, qui intensifie les sanctions contre la

    population cubaine au prtexte de

    promouvoir les droits humains. Lobjectif,

    selon le reprsentant Robert Torricelli ?

    Semer le dsordre dans lle (The

    Baltimore Sun, 30 aot 1994). La loi

    confre notamment aux sanctions un

    caractre extraterritorial, pourtant interdit

    par le droit international (a priori, la loi

    franaise ne sapplique pas en Alle-

    magne !). Depuis, tout navire tranger

    WWW.ANGELDELGADO.NET

  • 5Si, en 2000, le lobby agricole amricain

    parvient imposer un assouplissement des

    mesures pour pouvoir vendre sa production

    La Havane, celui-ci saccompagne de

    conditions restrictives (paiement comptant,

    lavance, sans possibilit de crdit et dans

    une autre monnaie que le dollar). Quatre

    ans plus tard, ladministration deM.George

    W. Bush cre la Commission dassistance

    un Cuba libre. Mais lassistance est

    dune nature singulire, puisquil sagit

    dimposer de nouvelles sanctions lle.

    A commencer par une limitation des

    voyages vers Cuba.Alors que tout rsident

    des Etats-Unis dorigine trangre est

    autoris se rendre dans son pays dorigine

    quand bon lui semble, partir de 2004 la

    possibilit nest plus offerte sans autori-

    sation du dpartement du Trsor aux

    personnes souhaitant se rendre Cuba.

    Les sjours sont par ailleurs limits

    quatorze jours tous les trois ans, au lieu

    dun voyage par an auparavant. Il faut de

    surcrot pouvoir dmontrer quau moins

    un membre de sa famille vit toujours dans

    lle. Ni un cousin, ni un neveu, ni un oncle:

    redfinie par ladministration Bush, la

    famille se rduit pour les Cubains la

    fratrie, aux parents, aux grands-parents et

    aux poux.A la suite des sollicitations de

    M. Max Baucus, alors snateur du

    Montana, le dpartement du Trsor a

    inform en 2004 avoir ralis, entre 1990

    et 2004, quatre-vingt-treize investigations

    en rapport avec le terrorisme international.

    Dans le mme temps, il en a effectu dix

    mille six cent quatre-vingt-trois pour

    empcher les Nord-Amricains dexercer

    leur droit de voyager Cuba (1).

    du Programme des Nations unies pour

    lenvironnement (PNUE). Or lappareil

    contenait des composants amricains, et

    Nikon ne souhaitait pas donner le sentiment

    de commercer avec La Havane.

    En juillet 2007, la compagnie arienne

    espagnole HolaAirlines, qui disposait dun

    contrat avec le gouvernement cubain pour

    transporter vers lle des patients latino-

    amricains atteints de maladies oculaires

    dans le cadre de lopration Miracle (3),

    a d mettre un terme ses relations avec

    Cuba. En effet, lorsquelle a sollicit le

    fabricant amricain Boeing pour des

    rparations sur un appareil, ce dernier a

    exig que HolaAirlines rompe ses relations

    avec lle. La directive manait de la

    Maison Blanche.

    En mai 2014, la banque franaise BNP

    Paribas se voit infliger une amende record

    de 8,97 milliards de dollars (6,6 milliards

    deuros) pour avoir enfreint les embargos

    imposs Cuba, lIran et au Soudan entre

    2002 et 2009.

    Les sanctions conomiques ont un impact

    dramatique dans le domaine de la sant.

    Prs de 80%des brevets du secteurmdical

    sont dposs par des multinationales

    pharmaceutiques amricaines et leurs

    filiales : Cuba ne peut bnficier de ces

    avances scientifiques. Le Haut-Commis-

    sariat aux droits de lhomme des Nations

    unies souligne dailleurs que les restrictions

    imposes par lembargo ont contribu

    priver Cuba dun accs vital aux mdica-

    ments, aux nouvelles technologiesmdicales

    et scientifiques (4).

    Larrive au pouvoir deM.BarackObama

    marque cependant une inflexion. En 2009,

    celui-ci abroge les limitations des voyages

    et des envois dargent imposes en 2004 (5).

    Les signes douverture culminent le

    10 dcembre 2013, lors dune crmonie

    en hommage Nelson Mandela, lorsque

    MM.Obama et Ral Castro changent une

    poigne demain qualifie dhistorique.

    Les anciens prsidents James Carter et

    William Clinton ont de leur ct exprim

    plusieurs reprises leur opposition la

    politique deWashington. Je nai cess de

    demander la fois publiquement et en priv

    la fin de notre blocus conomique contre

    le peuple cubain, la leve de toutes les

    restrictions financires, commerciales et

    de voyage, a dclar M. Carter aprs son

    second voyage Cuba en mars 2011 (6).

    Pour M. Clinton, la politique absurde

    de sanctions quil avait lui-mme durcies

    en signant la loiHelms-Burton sest solde

    par un chec total (7).

    La Chambre de commerce des Etats-

    Unis, reprsentant le monde des affaires et

    les plus importantes multinationales du

    pays, a galement inform quelle

    souhaitait la fin de lembargo (8). Le

    NewYorkTimes a condamn un anachro-

    nisme de la guerre froide (9). De son ct,

    leWashington Post, pourtant conservateur,

    semontre virulent: La politique des Etats-

    Unis lgard de Cuba est un chec. (...)

    Rien na chang, except le fait que notre

    embargo nous rend plus ridicules et impuis-

    sants que jamais (10).

    En 2013, lors de la runion annuelle de

    lAssemble gnrale des Nations unies,

    cent quatre-vingt-huit pays sur cent quatre-

    vingt-douze ont condamn, pour la vingt-

    deuxime fois daffile, les sanctions cono-

    miques imposes Cuba, rappelant que

    plus de 70% des Cubains sont ns sous cet

    tat de sige conomique.

    SALIM LAMRANI.

    (1) Baucus calls Bush Cuba policy absurd, Snat

    amricain, Washington, DC, 6 mai 2004.

    (2) Condoleezza Rice et Carlos Gutierrez,

    Commission forAssistance to a Free Cuba, juillet 2006.

    (3) Opration humanitaire lance par Cuba et le

    Venezuela, destine oprer gratuitement les populations

    dshrites du tiers-monde atteintes de cataracte et

    autres maladies oculaires.

    (4) Human Rights Council, Situation of human

    rights in Cuba, A/HRC/4/12, janvier 2007.

    (5) Lire Patrick Howlett-Martin, Dgel sous les

    tropiques entreWashington et La Havane, Le Monde

    diplomatique, novembre 2014.

    (6) James Carter, Trip report by former US President

    Jimmy Carter to Cuba, March 28-30, 2011,The Carter

    Center, 1

    er

    avril 2011.

    (7) Christopher Hitchens : Inside Bill Clintons

    Mind , Newsweek, NewYork, 24 septembre 2009.

    (8) Chambre de commerce des Etats-Unis,

    Testimony on examining the status of US trade

    with Cuba and its impact on economic growth,

    Washington, 27 avril 2009.

    (9) Mr Obama, Cuba and the OAS, The NewYork

    Times, 4 juin 2009.

    (10) Michael Kinsley, The Cuba embargo, a proven

    failure, TheWashington Post, 17 avril 2009.

    LE MONDE diplomatique JANVIER 2015

    La ralit au-del de la ction

    ANTICASTRISTE DE WASHINGTON

    long embargo de lhistoire

    logement, etc., qui prennent en compte

    lappartenance raciale.

    Sans nier les discriminations qui

    frappent les Noirs, les rpublicains consi-

    drent que les lois sur les droits civiques

    ont rendu inutile toute intervention spci-

    fique de lEtat en faveur des minorits.

    Lgalit des chances tant assure, il

    sagirait dsormais dun combat

    individuel, et non collectif. Au moment

    de signer, en novembre 1983, une loi

    instaurant un nouveau jour fri en

    hommage Martin Luther King loi quil

    avait prement combattue , le prsident

    Ronald Reagan paraphrasa le clbre

    pasteur : il faut juger un homme sur sa

    personnalit, pas sur sa couleur de peau.

    Ce principe, qui fait de lindividu la source

    de la russite et nie le pesant hritage des

    dcennies de sgrgation, se trouve au

    fondement de la coalition des partisans

    de politiques indiffrentes la couleur

    de peau.

    sement daborder cette question, de peur

    dtre accus par ses dtracteurs davan-

    tager sa propre communaut. Une des

    rares exceptions ce silence fut le

    sommet de la bire qui se tint la

    Maison Blanche en juillet 2009.

    M. Obama invita alors luniversitaire

    afro-amricain Henry Louis Gates et le

    sergent blanc James Crowley pour

    deviser sur les discriminations raciales.

    Souponn de commettre un cambriolage

    alors quil ne faisait que rentrer chez lui,

    le premier avait t arrt sans

    mnagement par le second...

    En fvrier 2012, la mort de Trayvon

    Martin, unAfro-Amricain de 17 ans tu

    par un Latino-Amricain qui organisait

    des rondes de surveillance dans son

    quartier, poussa M. Obama sexprimer

    une nouvelle fois. Quand Trayvon

    Martin a t tu, jai dit quil aurait pu

    tre mon fils. Autrement dit, Trayvon

    Martin, aurait pu tre moi il y a trente-

    cinq ans. (...) Rares sont les Afro-Amri-

    cains qui nont pas fait lexprience dtre

    suivis quand ils font des courses dans un

    grand magasin. Moi aussi, jai connu a.

    (...) Rares sont les Afro-Amricains qui

    nont pas fait lexprience de prendre

    lascenseur et de voir une femme serrer

    son porte-monnaie nerveusement et

    retenir sa respiration jusqu ce quelle

    puisse sortir, expliqua-t-il avec motion.

    Le prsident sest montr nettement

    moins lyrique aprs la mort de Brown en

    aot dernier. Il a refus de se rendre sur

    place, alors que les manifestants ly

    invitaient, et sest content de dclarations

    prudentes, affirmant attendre les conclu-

    sions du ministre de la justice. Aprs la

    dcision du jury populaire, il a mme

    condamn la violence des protestataires.

    Brler des btiments, mettre le feu

    des voitures, dtruire des biens, mettre

    en danger des gens : il ny a aucune

    excuse cela, ce sont des actes criminels.

    Je nai aucune sympathie pour ceux qui

    dtruisent leur propre communaut ,

    dclara-t-il sans proposer de rponse

    politique la crise qui frappait son pays.

    Loin davoir apais les clivages

    raciaux, la prsidence Obama a peut-tre

    mme contribu les exacerber. Le

    politiste Michael Tesler a tudi lvo-

    lution des enqutes dopinion depuis

    2008. Il a montr que, sur de nombreux

    sujets (la rforme de la sant, la

    nomination de M

    me

    Sotomayor la Cour

    suprme, les impts...), lopinion des

    Amricains est dtermine par leur

    perception de M. Obama, elle-mme

    faonne par sa couleur de peau (5).

    Par exemple, en mars 2012, une

    enqute ralise dans le Maryland

    montrait que 56 % des Afro-Amricains

    de lEtat sopposaient ladoption dune

    loi autorisant le mariage homosexuel,

    contre 39 % qui la soutenaient. Le mois

    suivant, le prsident sest prononc en

    faveur de cette loi et, en mai, un nouveau

    sondage a t ralis. Les rsultats

    staient inverss : 55 % desAfro-Amri-

    cains du Maryland dclaraient soutenir

    le mariage homosexuel et 36 % sy

    opposer. Paralllement, le taux dappro-

    bation chez les Blancs avait diminu (6).

    Ainsi, affirme le politiste, llection de

    M. Obama a contribu donner une

    connotation raciale des sujets qui en

    taient jusque-l dpourvus.

    La polarisation des partis politiques et

    de llectorat rend hautement improbable

    le retour un programme ambitieux de

    lutte contre la sgrgation et la discrimi-

    nation raciales. Les avances des annes

    1965-1975 sappuyaient sur une certaine

    collaboration entre les deux grands partis

    politiques et reposaient sur le volontarisme

    de lEtat. Les rpublicains, qui rejettent

    dsormais toute intervention de lEtat,

    occupent la majorit des siges de

    gouverneur (vingt-huit sur cinquante) et

    dominent la plupart des assembles dEtat

    ainsi que les deux Chambres du Congrs

    fdral. Ils peuvent ainsi bloquer toute

    mesure susceptible de favoriser spcifi-

    quement les minorits. Dans ce contexte,

    seules des mesures locales, adoptes au

    coup par coup, semblent aujourdhui

    possibles. A New York, le maire Bill de

    Blasio sest lanc dans la construction de

    logements sociaux dont lattribution

    devrait favoriser la mixit raciale. A

    Minneapolis, un astucieux redcoupage

    des districts scolaires a permis de diminuer

    la sgrgation dans les coles.

    Les manifestations suscites par la mort

    de Brown montrent que ce type de

    mesures ne suffit pas, mais aussi quil

    existe les bases dun mouvement politique

    favorable une rforme radicale de lordre

    racial amricain.

    DESMOND KING.

    L AIDE imagine par lquipe de

    M. Bush encadre galement les envois et

    changes dargent. Une personne rsidant

    sur le sol amricain ayant pu remplir

    toutes les conditions pour se rendre dans

    lle quatorze jours nest pas autorise

    y dpenser quotidiennement plus de

    50 dollars. Alors que les citoyens ou rsi-

    dents amricains peuvent envoyer une

    aide f inancire un membre de leur

    famille ltranger sans limite de

    montant, ceux dorigine cubaine ne

    peuvent lui faire parvenir plus de 100 dol-

    lars par mois. Si la personne secourir

    milite au sein du Parti communiste cubain

    (PCC, qui compte plusieurs centaines de

    milliers de membres), les transferts sont

    interdits.

    En 2006, la Commission dassistance

    dcide dentraver la coopration mdicale

    internationale de Cuba importante

    source de devises pour lle en interdi-

    sant toute exportation dappareils mdi-

    caux lorsquils sont destins tre

    utiliss dans des programmes grande

    chelle [pour] des patients trangers (2).

    La majeure partie de la technologie mdi-

    cale mondiale est pourtant dorigine

    amricaine.

    Peu peu, lapplication extraterritoriale

    des sanctions conomiques sintensifie,

    parfois jusquau ridicule. Un fabricant

    dautomobiles japonais, allemand ou

    coren souhaitant commercialiser ses

    produits sur le march amricain doit au

    pralable dmontrer au dpartement du

    Trsor que ses voitures ne contiennent pas

    de nickel cubain. Un ptissier franais

    dsireux de pntrer le march de la

    premire puissance conomique mondiale

    doit prouver que sa production ne contient

    pas un gramme de sucre cubain.

    Des cas thoriques ? Parfois, la ralit

    dpasse la fiction.

    En 2006, lentreprise japonaise Nikon

    refuse que lon remette son prix un

    appareil photographique de sa gamme

    Raysel Sosa Roja, un jeune Cubain de

    13 ans souffrant dhmophilie. Ce dernier

    venait pourtant de remporter le quinzime

    concours international de dessins denfants

    M. Obama tance les manifestants

    CETTE coalition na cess de gagner

    du terrain depuis trente ans, en particulier

    au sein de la Cour suprme, o elle

    rassemble dsormais cinq des neufs

    juges. Les dcisions rendues ces

    dernires annes sen ressentent. En

    juin 2009, larrt Ricci v. DeStefano

    donna raison aux dix-neuf pompiers (dix-

    sept Blancs et deux Hispaniques) qui se

    plaignaient de ne pas avoir t promus

    cause des mesures de discrimination posi-

    tive en faveur des Noirs. En juin 2013,

    larrt Shelby County v. Holder inva-

    lida larticle 5 de la loi sur le droit de vote

    de 1965 qui obligeait les Etats obtenir

    lapprobation du gouvernement fdral

    avant de modifier leur code lectoral (3).

    La discrimination positive dans les

    universits fait galement lobjet dune

    attaque en rgle. En juin 2013, la Cour

    suprme a tranch dans le sens de

    M

    me

    Abigail Fisher, une tudiante blanche

    qui se plaignait davoir t refuse par

    luniversit du Texas alors que des candi-

    dats moins qualifis quelle, mais appar-

    tenant une minorit, avaient t admis.

    Le dclin de laffirmative action (4) a eu

    un effet ngatif sur la condition desAfro-

    Amricains. En 2010, 74 % des enfants

    noirs taient inscrits dans une cole majo-

    ritairement frquente par des lves

    noirs. Un taux comparable celui de

    1968 (77 %) et largement suprieur

    celui de 1980 (62 %).

    Quand il tait candidat la Maison

    Blanche en 2008, M. Obama sexprima

    plusieurs fois sur les problmes raciaux.

    A Philadelphie, lors dun discours trs

    remarqu, il plaida notamment pour un

    systme de justice pnale quitable .

    Il appela les Noirs fondre leurs reven-

    dications dans les aspirations plus

    larges de tous les Amricains et les

    Blancs prendre en compte lhritage

    de la sgrgation et ses persistances,

    moins manifestes que par le pass, mais

    nanmoins relles . Beaucoup ont alors

    cru que, sil tait lu, M. Obama mettrait

    en uvre des mesures pour amliorer le

    sort des minorits.

    Pourtant, depuis six ans quil occupe le

    bureau Ovale, le prsident vite soigneu-

    (3) Lire Brentin Mock, Retour feutr de la discri-

    mination lectorale , Le Monde diplomatique,

    octobre 2014.

    (4) Lire John D. Skrentny, Laffirmative action

    amricaine en dclin , Le Monde diplomatique,

    mai 2007.

    (5) Michael Tesler, The spillover of racialization

    into health care : How president Obama polarized

    public opinion by racial attitudes and race, American

    Journal of Political Science, vol. 56, n

    o

    3, Malden

    (Massachusetts), 2012.

    (6) Sasha Issenberg, It all comes down to race,

    Slate, 1

    er

    juin 2012, www.slate.com

    LE MYTHE DUNE SOCIT POSTRACIALE AUX ETATS-UNIS

    dune prsidence noire

    Dgel sous les tropiques entre

    Washington et La Havane ,

    par Patrick Howlett-Martin

    (novembre 2014).

    Cuba, le parti et la foi ,

    par Janette Habel (juin 2012).

    Ainsi vivent les Cubains ,

    par Renaud Lambert

    (avril 2011).

    Cinq Cubains la Une ,

    par Maurice Lemoine

    (novembre 2010).

    Miami se lasse de lextrme

    droite cubaine , par Maurice

    Lemoine (avril 2008).

    Une Internationale... de la

    sant , par Hernando

    Calvo Ospina (aot 2006).

    Cuba entre pressions externes

    et blocages internes ,

    par Janette Habel (juin 2004).

    Prisonniers sans droits

    de Guantnamo ,

    par Olivier Audeoud (avril 2002).

    Nos prcdents articles

  • Rveil de la

    MONSIEUR Bahattin Turnali arpente les rues

    dcrpies de son quartier dans un complet noir

    impeccable, la cravate visse autour du cou, le pas

    lent. Jeune cadre doublement diplm de luniversit

    dIstanbul, bientt trentenaire, il jette unil paternel

    sur ces petits immeubles vieillissants qui lont vu

    grandir. Les taxis refusent dentrer ici aprs

    21 heures. A cause des violences et du trac de

    drogue, raconte-t-il.

    Environ six mille Roms vivent Kustepe, un

    quartier pauvre du centre dIstanbul qui compte

    vingt-deuxmille mes au total. M. Turnali sengouffre

    bientt dans un ddale de rues en pente. Sur la

    place principale, un caf sans devanture fait face

    la mosque, do rsonne lappel la prire du soir.

    Le patron, M. Blent Filyas, une gure locale, donne

    le ton : Avant toute chose, il faut dire que notre

    situation est bonne.

    A Kustepe comme ailleurs au sein de limpor-

    tante population rom, on veut croire quune re

    nouvelle a commenc. Depuis cinq ans, lEtat turc

    a multipli les gestes douverture. En 2010,

    M. Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre,

    fait retirer le terme pjoratif Cingene ( Tzigane)

    Longtemps invisible, la plus importante

    communaut rom dEurope a accompli

    une renaissance identitaire la faveur

    dune ouverture du pouvoir islamo-

    conservateur turc. Mais son

    mancipation conomique et sociale

    savre beaucoup plus dlicate.

    PAR NOS ENVOYS

    SPCIAUX MARIE CHAMBRIAL

    ET ERWAN MANAC H *

    6

    UNE POLITIQUE RGIONALE MISE MAL

    Le splendide isolement

    pouvoir de celui-ci, le 3 novembre 2002,

    il est devenu ministre des affaires tran-

    gres en mai 2009. Et, quand M. Erdogan

    a accd la prsidence, M. Davutoglu a

    pris les rnes de lAKP en mme temps

    que la fonction de premier ministre. Bien

    quon entende parfois que les deux

    hommes ne seraient pas toujours daccord,

    M. Davutoglu reste un fidle lieutenant.

    Pas encore us par le pouvoir, il peut

    assurer la continuit du projet de lAKP,

    un moment o de nombreux dputs

    achvent leur troisime et dernier mandat.

    Ce projet de nouvelle Turquie

    sous la conduite dune prsidence ren-

    force, installe dans un palais flambant

    neuf de plus de mille pices, dont la

    construction a t estime 615 millions

    de dollars (2) repose sur une centrali-

    sation et un autoritarisme accrus. Sorti

    renforc des urnes, le pouvoir touffe les

    liberts de parole et de manifestation,

    bride la justice, fait licencier les journa-

    listes, et sest mme distingu en 2014

    par une tentative dinterdire Twitter et

    YouTube. Le 12 dcembre, M. Erdogan

    a annonc quil prsiderait dsormais

    les runions du conseil des ministres.

    Depuis les manifestations du parc Gezi

    de lt 2013, toute remise en question

    de son autorit est perue par lui comme

    une menace directe.

    A Istanbul, les rumeurs et les informa-

    tions de seconde main ont remplac les

    faits. Beaucoup de gens interrogs ne veu-

    lent sexprimer que de manire anonyme.

    Le 14 dcembre dernier, laube, la police

    a effectu une descente au sige du quoti-

    dien Zaman et celui de la chane de tl-

    vision Samanyolu, arrtant principalement

    des journalistes connus pour leurs liens avec

    le dirigeant religieux rfugi aux Etats-Unis

    FethullahGlen. Cesmesures ont provoqu

    de fortes protestations de lUnion euro-

    penne et des Etats-Unis, ainsi que des

    associations de journalistes et dditeurs

    turcs. M. Glen, qui fut un proche alli de

    M. Erdogan, est tomb en disgrce depuis

    que des membres de sa confrrie ont

    divulgu, en dcembre 2013, des faits de

    corruption impliquant des personnalits

    importantes de lAKP, y compris desminis-

    tres et leurs enfants. M. Erdogan a affirm

    quil renverser[ait] ce rseau de trahison

    et lamner[ait] rendre des comptes (3).

    Zro problme avec les voisins, tel tait lobjectif de la

    politique trangre du Parti de la justice et du dveloppe-

    ment (AKP). Mais les printemps arabes ont boulevers

    la donne rgionale, et la Turquie se trouve dsormais en

    froid avec la Syrie, lArabie saoudite, lIran et lEgypte.

    Alors que le rgime connat une drive autoritaire, le choix

    de la solitude dans la dignit constitue-t-il une option ?

    PAR NOTRE ENVOYE SPCIALE

    WENDY KRISTIANASEN *

    JANVIER 2015 LE MONDE diplomatique

    UMUT GZ. Sous une fentre dIstanbul, 2007

    * Journalistes.

    (1) http://ovipot.hypotheses.org

    (2) Unicef, Analysis of the situation of children and young people

    in Turkey 2012, Ankara, 2013.

    (3) Elle est notamment coauteure de Buuk, ralis en 2010.

    a permis de ramener lislam dans lespace public,

    analyse Jean Marcou, chercheur lObservatoire

    de la vie politique turque (1). Ils veulent pouvoir

    afcher le sunnisme hanate, bien quil soit archi-

    majoritaire, comme safchent les Kurdes, les alvis,

    les Armniens ou... les Roms.

    La sgrgation

    reste une ralit

    implacable

    Pendant quatre-vingts ans, les Roms sont

    demeurs invisibles dans lespace politique. Tout

    en conservant leurs coutumes et une vie sociale

    propre, ils se sont fondus dans la rpublique btie

    par Mustafa Kemal Atatrk. Ils effectuent leur

    service militaire, pratiquent la mme religion que

    la majorit, parlent la mme langue et vouent le

    mme culte Atatrk.

    Il ne faut pourtant pas sy mprendre. Comme

    ailleurs sur le continent, les Roms et les minorits

    linguistiques aux racines proches (Doms, Loms)

    font gure de rejets : chmage lev, dcit

    daccs aux soins, logement indigne. La dscola-

    risation des enfants est leve. Beaucoup, lles

    comme garons, sont incits travailler ou se

    marier ds ladolescence (2). La sgrgation reste

    une ralit implacable, mme si les violences cibles

    sont plus rares que dans dautres pays.

    A Kustepe, les jeunes sont happs par le

    bonsa , une drogue de synthse bon march

    apparue en 2010 et qui provoque une forte dpen-

    dance. Avec une petite association de lutte contre

    les discriminations et pour lducation (Egkam)

    cre rcemment, M. Turnali tente de briser la

    spirale de la pauvret en aidant les familles du

    quartier ne pas dscolariser leurs enfants. Depuis

    2010, des petites structures de ce type fourmillent

    et, avec elles, une nouvelle gnration de porte-

    parole, diplms et politiss, merge. Nous

    sommes trs peu avoir t luniversit, raconte-

    t-il. Aujourdhui je suis devenu une sorte de

    modle.

    Ralisatrice de documentaires (3) originaire

    dIstanbul, Elmas Arus, la trentaine, a fond lasso-

    ciation Zro discrimination en 2010. En mars de

    la mme anne, elle a pris publiquement la parole

    lors du meeting organis par M. Erdogan. Mais

    son engagement na pas t compris dans sa

    famille : Ma mre disait que je devrais avoir honte

    de mintresser encore ces questions alors que

    jai une bonne situation. Elle nest pas fire dtre

    rom. Elle a oubli son histoire et sa langue.

    Rveiller lidentit rom fut une opration politi-

    quement indolore pour M. Erdogan. Contrairement

    aux Kurdes, ils nont aucune revendication dauto-

    nomie. Ils nourrissent peu de solidarit avec les

    Roms dEurope, dont ils ne partagent ni la longue

    histoire de perscution, ni la religion, ni certains

    traits de vie culturelle. Erdogan les a traits

    du droit turc. Il supprime lanne suivante une loi

    (inapplique) qui permettait encore au ministre

    de lintrieur dexpulser des Roms sans tat civil

    ou considrs comme non affilis la culture

    turque . Le 14 mars 2010, devant quinze mille

    Roms de tout le pays runis dans un stade

    dIstanbul, il prononce un hommage vibrant et

    demande pardon, au nom de lEtat , pour les

    mauvais traitements et les discriminations subies.

    Mme les Turcs non roms ont commenc utiliser

    un langage plus prudent , observe M. Metin Salih

    Sentrk, prsident de lassociation des vendeurs

    de fleurs et autre figure de Kustepe. Cest une

    rvolution ! , insiste M. Filyas.

    Lopration nest pas dnue darrire-penses

    politiques. Elle a servi de gage pour lUnion euro-

    penne, qui attend des avances sur la question

    desminorits. Elle accompagne un net changement

    de doctrine au sommet de lEtat, depuis larrive au

    pouvoir du Parti de la justice et du dveloppement

    (AKP), conservateur. Recep Tayyip Erdogan et lAKP

    ont toujours fait montre dune certaine ouverture par

    rapport aux identits distinctes en Turquie. Cela leur

    Un ancrage ancien

    L

    A Turquie compte deux millions sept

    cent mille Roms (soit 3,6 % de la

    population), selon une estimation du Conseil

    de lEurope. Cest de loin la plus importante

    communaut rom du continent. Sdentaires

    et urbains pour la plupart, ils vivent essen-

    tiellement dans les grandes villes de louest

    du pays et sont musulmans. Leur installation

    est atteste depuis le XVII

    e

    sicle, mais des

    textes byzantins dcrivent dj au IX

    e

    sicle

    des groupes nomades pratiquant la voyance

    ou la magie, venus dAsie mineure ou

    dEgypte et dsigns comme Egyptiens

    (ce qui donnera langlais Gypsies) ou

    Romiti (ls de ceux qui gouvernent Rome).

    Sous le rgne ottoman, leurs activits de

    marchands, parfois prospres, dartistes ou

    de soldats en rent une communaut certes

    marginalise, mais respecte. Au cours du

    XX

    e

    sicle, ils furent surveills avec plus de

    suspicion. Pousss lassimilation, ils font

    aussi lobjet dune sgrgation urbaine

    organise par lEtat (1).

    M. C. ET E. M.

    (1) Cf. Adrian Marsh, A brief history of Gypsies in

    Turkey, dans We are here! Discriminatory exclusion

    and struggle for rights of Roma in Turkey (collectif),

    Edirne RomanDernegi - EuropeanRomaRights Centre -

    Helsinki CitizensAssembly, Istanbul, avril 2008.

    LA position de laTu