le monde diplomatique 2015-01-1
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Le Monde Diplomatique 2015-01-1TRANSCRIPT
-
Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 250 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,
Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-
bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.
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publics, a pu conduire une surconsom-
mation dantibiotiques, participant ainsi
au problme plus vaste du renforcement
des rsistances bactriennes un enjeu
de sant publiquemajeur, responsable de
sept centmille dcs par an dans lemonde
(lire lencadr page 15).
Pour comprendre la nature versatile de
la marchandise mdicale, nous avons
suivi la vie de ce mdicament ordinaire,
depuis les laboratoires de recherche
jusquaux visiteursmdicaux, en passant
par lusine de production du principe
actif (1).A chaque tape, la marchandise
change de nom: les biologistes parlent
de la bactrie Pristinae Spiralis, les chi-
mistes de la pristinamycine fabrique par
la bactrie, les visiteursmdicaux vantent
les mrites de la Pyo aux praticiens,
les ouvriers la surnomment affectueu-
sement la Pristina, voire la bestiole.
Le long de cette chane, lantagonisme
entre les besoins du malade et les profits
de lindustriel, entre la valeur dusage
et la valeur dchange (2), ne cesse de
se manifester.
H
socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Difficile toutefois dexclure
tout fait la possibilit dune victoire lors des lections gnrales
qui doivent se tenir le 20 dcembre 2015 au plus tard.
La cration de Podemos nat dun constat : A notre avis, le
mouvement du 15-Mai sest enferm dans une conception mou-
vementiste de la politique, nous explique le sociologue Jorge
Lago, membre du conseil citoyen de Podemos, sa direction largie.
Or lide quune accumulation progressive de force allait nces-
sairement conduire une traduction politique des rassemblements
sest rvle fausse.Des associations de lutte contre les expulsions
de locataires ont t cres, des rseaux de rsistance contre la
casse de la sant sont apparus, mais le mouvement gnral sest
essouffl, avant de se dsagrger.
(Lire la suite page 14.)
(Lire la suite page 22.)
JAI compris que jtais flique, quon
savait exactement ce que je prescrivais,
sindigne une mdecin installe Paris.
Jtais nave, moi, je ne savais pas. [Un
jour], une visiteuse mdicale ma dit :
Vous ne prescrivez pas beaucoup !Je
me suis demand: Comment peut-elle
savoir cela ? Cette pratique de sur-
veillance, qui choque de nombreux pra-
ticiens, est orchestre par les services
commerciaux des laboratoires. Pour aug-
menter oumaintenir leurs parts demarch,
les grands groupes pharmaceutiques
dploient des trsors dingniosit. Ils
nhsitent pas, par exemple, modifier
les indications de leursmdicaments pour
gagner de nouveaux clients.
Considre par certains mdecins
comme la Rolls Royce de lantibio dans
le cutan, la Pyostacine, fabrique par
Sano lun des tout premiers groupes
pharmaceutiques mondiaux en chiffre
daffaires (33milliards deuros en2013) ,
a connu un tel destin. Longtemps dvolu
un usage dermatologique, lantibiotique
a opr un tournant respiratoire: il est
dsormais massivement utilis dans les
cas dinfections broncho-pulmonaires et
oto-rhino-laryngologiques. Cette dernire
utilisation, critique par de nombreux
mdecins puis dnonce par les pouvoirs
5,40 - Mensuel - 28 pages N 730 - 62
e
anne. Janvier 2015
EN I TAL I E , LA PSYCH IATR IE AUTREMENT page 16
GESTION DU FLUX
PLE EMPLOI
UNE NOUVELLE
DE MUSTAPHA BELHOCINE
Page 11.
le modle cubain quil cherchait contenir a t ananti. Il ne
marche mme plus pour nous, a dailleurs concd M. Fidel
Castro en 2010, en guise daval aux rformes librales
impulses par son frre Ral. Aprs la dislocation du bloc sovi-
tique, dont lle dpendait pour presque tout, le pouvoir dachat
des Cubains sest en effet effondr. La plupart dentre eux ne
survivent dans une conomie dglingue que grce une
frugalit de chaque instant et un sens aigu de la dbrouille (2).
A Cuba, libraliser reviendra dailleurs surtout laisser des
salaris presque tous fonctionnaires devenir propritaires des
petits commerces qui les emploient.
En justiant sa dcision historique, aussitt salue par les
grandes entreprises de son pays soucieuses de dvelopper
leurs affaires dans lle (American Airlines, Hilton, PepsiCo, etc.),
le prsident Obama a observ que chercher provoquer
leffondrement de Cuba ne servirait ni les intrts amricains
ni le peuple cubain. Mme si cela marchait et cela a chou
pendant cinquante ans , nous savons que les pays sont plus
susceptibles de se transformer de faon durable quand leurs
peuples ne sont pas condamns au chaos. Il ne reste plus
Washington, Berlin, Londres et Paris qu appliquer cette leon
la Russie. Sans attendre cinquante ans?
(1) Lire Peut-on rformer les Etats-Unis ? , Le Monde diplomatique,
janvier 2010.
(2) Lire Renaud Lambert, Ainsi vivent les Cubains, LeMonde diplomatique,
avril 2011.
H
S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8
La perspective dune victoire de la formation de
gauche radicale Syriza lors dlections lgislatives
anticipes en Grce a suffi alarmer la Commission
europenne. Ailleurs en Europe, la rsistance aux
politiques daustrit sorganise loin de structures
partisanes souponnes de faire partie du problme
plutt que de la solution. Ce fut longtemps le cas
en Espagne, jusqu la cration dun parti qui
semble changer la donne.
PAR RENAUD LAMBERT
DOSSIER : QUOI SERVENT LES FORMATIONS POLITIQUES ?
Podemos, le parti
qui bouscule lEspagne
* Charg de recherche au Centre national de la
recherche scientifique, auteur de La Stratgie de la
bactrie. Une enqute au cur de lindustrie pharma-
ceutique, paratre ce mois-ci au Seuil.
(1) Mene dans le cadre dun doctorat en socio-
logie, cette enqute a dur quatre ans, pendant
lesquels lauteur a t embauch plusieurs postes :
stagiaire dans les services commerciaux de Sanofi,
ouvrier dans les usines du groupe, etc.
(2) Par exemple, le diamant a une haute valeur
dchange et une faible valeur dusage, par compa-
raison avec leau, faible valeur dchange et
haute valeur dusage.
Leons dun embargo
PAR SERGE HALIMI
S
A DFAITE lectorale de novembre dernier semble avoir
revigor le prsident des Etats-Unis. Elu triomphalement
la Maison Blanche en 2008 et disposant pendant ses deux
premires annes de mandat dune confortable majorit parle-
mentaire, il na tir de tout cela quune modeste rforme du
systmede sant et une litanie dhomlies prchant le compromis
des parlementaires rpublicains dtermins le dtruire (1).
Depuis que son parti a t cras lors des lections de mi-
mandat, que sa carrire politique sachve, M. Barack Obama
multiplie en revanche les choix audacieux. Annonce juste aprs
un important accord climatique avec la Chine et lamnistie de
cinq millions dimmigrs clandestins, sa dcision de rtablir les
relations diplomatiques avec La Havane en tmoigne. La
dmocratie amricaine exigerait-elle quun prsident nait plus
ni snateur forcen satisfaire ni lobby fortun mnager pour
quil puisse prendre une dcision raisonnable?
La leve de lembargo impos Cuba en 1962 par John
F. Kennedy corrigerait une violation du droit international que
presque tous les Etats de la plante condamnaient chaque anne.
Sans doute avaient-ils peru que, au-del des prtextes vertueux
avancs par les Etats-Unis (droits de lhomme, libert de
conscience), dont chacun sait combien ils sont respects chez
lalli saoudien ou Guantnamo, il sagissait pour Washington
demarquer rageusement son dpit. Car, quelques encablures
de la Floride, un petit pays avait os tenir tte, longtemps et
presque seul, lempire amricain. Cette bataille de la dignit,
de la souverainet, cest en dnitive David qui la remporte.
Mais dans quel tat... Si lembargo de Washington na pas
atteint son objectif de changement de rgime La Havane,
MADRID, 15 mai 2011. Des milliers, puis des centaines
de milliers de manifestants, bientt rebaptiss indigns par
la presse, se rassemblent la Puerta del Sol, au cur de la
capitale espagnole. Ils dnoncent la mainmise des banques
sur lconomie et une dmocratie qui ne les reprsente pas .
Enfivres, leurs assembles interdisent drapeaux, sigles poli-
tiques et prises de parole au nom dorganisations ou de col-
lectifs. Un slogan merge bientt de leurs rangs : Le peuple,
uni, na pas besoin de partis.
Trois ans plus tard, la place de la Puerta del Sol est vide.
Lambition que les choses changent na pas disparu, elle a mut.
De faon inattendue, lespoir se cristallise dsormais sur une
nouvelle formation politique, Podemos ( Nous pouvons ).
Alors que, dans la plupart des pays europens, les partis se
heurtent un discrdit croissant, elle rencontre au contraire
un succs inattendu.
On peine y croire, sourit leurodput Pablo Echenique
lors dune rencontre organise par le cercle parisien de
Podemos en novembre 2014. Notre parti a t cr en
janvier 2014. Cinq mois plus tard, nous remportions 8 % des
voix aux lections europennes.Aujourdhui, toutes les enqutes
prsentent notre formation comme la premire force politique
dEspagne ! Les dirigeants de Podemos savent quun sondage
nest pas un scrutin. En dcembre 2014, de nouvelles enqutes
relguent dailleurs le parti la deuxime place, derrire le Parti
Les scandales rythment linformation sur lindustrie pharma-
ceutique et focalisent lattention sur ses excs. Suivre le
parcours dun mdicament sans histoire, de sa conception
sa prescription, montre pourtant que la frontire est mince
entre les dysfonctionnements et les pratiques routinires.
UNE ENQUTE
DE QUENTIN RAVELLI *
ITINRAIRE DUN MDICAMENT ORDINAIRE
Les dessous
de lindustrie
pharmaceutique
MICHEL HERRERIA. Bascule, 2014
GALERIEPONYME,BORDEAUX
-
JANVIER 2015 LE MONDE diplomatique
2
De son ct, M. Edmond Tresserre,
de Modane, dnonce l incohrence
des politiques de transport et de
dveloppement du tout routier :
Le pire est venir : un deuxime tube est
en cours de percement au tunnel routier du
Frjus.Alors que les discussions sur le chan-
gement climatique sont dans latermoiement,
voici que des responsables politiques
approuvent les moyens qui ne peuvent quac-
clrer la dgradation de la biosphre. Hypo-
crisie, inconscience, ignorance conduisent
cette fuite dite en avant, en ralit lchec
des politiques environnementales.
Lennemi intrieur
Louverture de nos colonnes une
longue rexion de M. Dominique de
Villepin sur la politique trangre,
La France gesticule... mais ne dit
rien (dcembre), a suscit divers
commentaires, le plus ironique venant
de M. Pierre Selosse :
Cher mensuel, tu las compris, les moules
accroches leur idologie de gauche prou-
vent de vilaines dmangeaisons la vue de
la plume du promoteur du contrat premire
embauche (CPE), du bradeur du bien com-
mun (vente des autoroutes, entre autres) et
du sabordeur de lenseignement suprieur et
de la recherche (pacte pour la recherche).
Tu dois dailleurs, dans ton subconscient,
avoir toi-mme peru lambigut de ton
acte en intitulant lditorial de Serge Halimi,
juste au-dessous de larticle de Dominique
de Villepin, Lennemi intrieur.
M. Bernard Oertel conteste la
tonalit de cet ditorial :
Quun manifestant soit mort, oui, mais
lacide, les vtements des policiers en feu,
vous nen parlez pas. Ces gens, ce sont aussi
des hommes qui ont une famille et peut-
tre des enfants. (...) Moi qui me suis battu
syndicalement, je ne laisserai pas des hordes
de barbares prendre le dessus.
Tandis que M. Grard Lejoint lap-
prouve :
Ce que rvlent les mobilisations contre
les grands projets inutiles comme Sivens et
Notre-Dame-des-Landes, cest lincompr-
hension irrconciliable entre lautisme dun
gouvernement retranch dans sa tour
divoire et la naissance de nouvelles pra-
tiques dmocratiques. Un monde nouveau
sinvente, qui surgit des mouvements
sociaux. De Paris Athnes en passant par
Madrid, le peuple surgit sur la scne poli-
tique. Quelles nouvelles formes institution-
nelles en dcoulera-t-il ?
RATIONNEMENT
Un vaste mouvement social dans
les ports amricains perturbe les activits
de McDonalds. Empche dexporter
ses marchandises vers le Japon depuis
la Cte ouest, lentreprise se voit
contrainte dadapter ses menus
(nbcnews.com, 16 dcembre 2014).
Cest un signe de lapocalypse.
McDonalds a t forc de rationner
les frites au Japon, ne proposant plus
ses clients que de petites portions.
La chane de fast-food a fait expdier
mille tonnes de frites surgeles par avion,
et mille six cents autres tonnes viennent
de partir par bateau de la Cte est, mais
narriveront pas destination avant n
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Maria IERARDI (avec la collaboration
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Correction : Pascal BEDOS, Xavier MONTHARD
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Concours
tudiants 2015
La quatrime dition du concours
tudiants du Monde diplomatique est
lance. Plutt quun essai philoso-
phique, chaque candidat est invit
rdiger une enqute ou un reportage
de douze mille signes sur une question
sociale, conomique, politique ou go-
politique, en privilgiant une approche
internationale. La date limite de remise
des textes est le 15 juin 2015. Moda-
lits et renseignements sur www.amis.
monde-diplomatique.fr/concours
Lyon-Turin
Larticle Rsistance dans la
valle, de Serge Quadruppani (Le
Monde diplomatique, dcembre 2014),
a suscit plusieurs ractions. M. Louis
Besson, ancien ministre et prsident de
la Commission intergouvernementale
franco-italienne pour la nouvelle
liaison ferroviaire Lyon-Turin, tient
prciser:
Ce sont trois tunnels de base de
mme nature que celui du Lyon-Turin qui
voient le jour progressivement pour franchir
les Alpes suisses et autrichiennes dans le
sens nord-sud... crant ainsi des communi-
cations trs performantes et haute capacit
pour les changes conomiques entre lAl-
lemagne et son premier partenaire, lItalie :
deux traverses des Alpes suisses (le
Loetschberg, en service depuis sept ans, et
le Gothard, qui sera mis en service dans
vingt-cinq mois) et une traverse des Alpes
autrichiennes, avec le Brenner, qui est en
chantier. Dans un souci dquilibre, on ne
peut que comprendre la volont de lUnion
europenne daccompagner des pays comme
la France et lItalie pour quexiste au moins
une traverse ferroviaire de nouvelle gn-
ration dans le sens est-ouest, entre Lman
et Mditerrane. (...)A ce jour, cest--dire
sept ans aprs louverture du tunnel de base
de Loetschberg, la Suisse cone au mode
ferroviaire 65% des marchandises la traver-
sant pour rejoindre lItalie ou lAllemagne...
Alors que la France compte au travers des
Alpes moins de 10% de son transport de
marchandises par le rail ! Cette donne suffit
en elle-mme dmontrer la fois lobso-
lescence dinfrastructures existantes tout
fait inefficaces et lurgence dun ouvrage
ferroviaire de nouvelle gnration pour tra-
verser les Alpes franco-italiennes.
Rcompense
Ldition bulgare duMonde diploma-
tique et son directeur Venko Kanev ont
reu le prestigieux prix de la catgorie
Ethique professionnelle et civique
lors du concours Mondes et couleurs
organis par lUnion des journalistes
bulgares et lAssociation des journa-
listes hispanophones de Bulgarie.
COURRIER DES LECTEURSCOURRIER DES LECTEURS
LLune de nos deux dirune de nos deux directrices artistiques, Alice Barzilayectrices artistiques, Alice Barzilay, est dcde le, est dcde le
2121 dcembrdcembre dere dernier Paris. Solange Brand, qui laccueillit lors de son arrivenier Paris. Solange Brand, qui laccueillit lors de son arrive
dans lquipe, rappelle ce quelle a apport au jourdans lquipe, rappelle ce quelle a apport au journal.nal.
Alice est partie, avec sa chemise en jean et ses Converse. Et les amis qui lont
accompagne, si nombreux et dles hors du journal comme au journal gardent
vivantes sa prsence lumineuse, sa chevelure ensoleille et son nergie batailleuse.
Il y avait aussi les moments de rvolte, de colre, parfois un peu injustes. Il en est
ainsi des personnalits fortes, sans concessions, qui donnent tant, parfois trop. Alice
tait une rsistante, une combattante jusquau bout.
Un beau parcours. Des annes dtudes darchitecture, puis lenvie de basculer
dans la presse. Elle savait bouger, et ctait si important pour elle... Aprs avoir
appris le mtier de secrtaire de rdaction Libration, cette amoureuse des textes,
lectrice et correctrice de grande qualit tant pour la presse que pour ldition et les
catalogues dart, travaille pour plusieurs autres publications, avant de rejoindre Le
Monde diplomatique en septembre 1999. Pas lonce dune hsitation pour laccueillir :
outre sa personnalit vidente, son arrive concide avec la rvolution informatique
de la mise en pages sur cran ce quelle matrise parfaitement et elle vient, avec
lgret et patience, la rescousse de quelquun qui avait dj vcu le passage du
plomb la photocomposition.
Alice sattend travailler avant tout sur le texte ; elle se retrouve face la mise en
pages et la direction artistique, de nouveaux espaces. Mais elle porte en elle cette
disposition naturelle au visuel. Dans ce temps de travail commun et de transmission
mutuelle, nous nous sommes empoignes souvent, quelquefois violemment, mais
que de respect et de partage ! Parce que nous liaient une mme conception du
travail, de la rigueur, un esprit dquipe, un attachement au journal, une envie de
faire. Nengueule pas ton ordinateur, parle-lui avec amiti, me disait-elle devant
mes difcults ; Refais la maquette plusieurs fois, on peut toujours lamliorer,
Et pourquoi telle photo ou tel tableau ?, lui rptais-je trop souvent son gr...
Elle na cess de retravailler ses maquettes, dacrer son regard.
Mon dpart de la direction artistique a t une forme de libration pour sa crativit
et la libert de ce regard. Aprs avoir afn la maquette du Monde diplomatique,
elle a profondment remani la formule de Manire de voir, exigeante sur la forme
comme sur le fond, si attentive au travail des photographes et des artistes.
Fidle jusquau bout ses convictions et ses engagements, Alice a quitt ses
amis, la vie, lhumour, les livres, le jazz et la salsa, emporte par une maladie quelle
a affronte comme le reste : avec force et lucidit.
SOLANGE BRAND.
janvier. Ces envois sont insuffisants pour
viter une pnurie. Sans ce rationnement,
nous prenions le risque de nous retrouver
court de frites vers le 1
er
janvier ,
explique Kokora Toyama, un des porte-
parole de McDonalds au Japon.
Pourquoi cette pnurie ? Depuis octobre,
des conteneurs sont bloqus dans les ports
de la Cote ouest des Etats-Unis, cause
dun conit social opposant [ propos
du renouvellement de leur convention
collective] vingt mille dockers la Pacic
Maritime Association, qui reprsente
les oprateurs portuaires et les compagnies
de transport maritime.
FERM LE DIMANCHE
Tandis que la ritournelle du travail
du dimanche reprend en France,
la Hongrie vient de voter un texte qui va
dans un sens oppos la loi Macron,
selon The Daily.HU (18 dcembre 2014).
Une nouvelle loi vote en dbut
de semaine devrait conduire la plupart
des grands magasins fermer le dimanche.
Prvue pour entrer en vigueur partir
du 15 mars 2015, elle sapplique au
commerce de dtail dans les magasins
dpassant les deux cents mtres carrs.
Dautres restrictions entrent en jeu lorsque,
dans la main-duvre du dimanche,
ne gure ni un propritaire du commerce
dtenant une part dau moins 20 %,
ni un membre de sa famille.
RECTIFICATIFS :
Larticle Projet pour une presse libre (dcem-
bre) voquait la n de France-Soir et de La Tri-
bune. Pour ce dernier, il ne sagissait que de la
n de ldition quotidienne sur papier : une dition
numrique reste publie chaque jour, ainsi quune
dition sur papier chaque semaine.
En introduction de larticle dAlain Vicky
LAfrique du Sud dans la bulle de la consom-
mation crdit (dcembre), nous avons prsent
ce pays comme la premire puissance cono-
mique du continent.A la suite dune rvaluation
majeure du calcul de son produit intrieur brut
en avril 2014, port 510 milliards selon son
bureau national des statistiques, le Nigeria appa-
rat devant lAfrique du Sud.
Une erreur technique a amput le titre du dernier
ouvrage de notre collaboratrice Camelia Ente-
khabifard dans le numro de dcembre. Il sagit
de Save Yourself by Telling the Truth : A Memoir
of Iran, Seven Stories Press, NewYork, 2007.
Alice et la libert du regard
Q
UELQUES jours avant Nol, lEtat a dcid que notre journal ne bncierait
pas du fonds stratgique pour le dveloppement de la presse pour
lanne 2014. Cette aide, qui avait atteint lanne prcdente le montant
faramineux de... 18 611 euros, entend favoriser le rayonnement des publications
franaises linternational. Un tel objet semblait pourtant taill sur mesure pour
Le Monde diplomatique, qui ralise prs dun cinquime de ses ventes ltranger
et diffuse travers le monde quarante-sept ditions en vingt-huit langues.
Il faut croire que le ministre de la culture et de la communication couvre notre
journal dune tendresse particulire. En 2012, Le Monde diplomatique trnait la
178
e
position des deux cents titres les plus aids. Loin derrire Tlcble Sat Hebdo
(27
e
), Closer (91
e
) ou Le Journal de Mickey (93
e
), alors que les aides la presse
prtendent encourager la libre communication des penses et des opinions et
clairer le citoyen. En 2013, nous avons disparu de la liste, tandis que LOpinion,
le quotidien semi-ofciel du Mouvement des entreprises de France (Medef), lanc
avec largent de M. Bernard Arnault, premire fortune nationale, y entrait. En 2014,
lEtat aura ainsi trouv le moyen damputer le reliquat maigrichon des subsides
dont protait encore notre publication.
Parmi eux, les tarifs postaux spciques la presse. L encore, tout semble fait
pour que nous restions insouponnables dabus daides publiques. En effet, lEtat
compense avec la plus grande gnrosit lexpdition par courrier des titres dinfor-
mation politique et gnrale, condition quils soient quotidiens ou tout au plus...
hebdomadaires. Dommage pour notre mensuel. En dcembre dernier, les abonns
au Point et aux Echos ont pu apprcier la pertinence de ce critre de priodicit
en dcouvrant dans leurs botes aux lettres, avec leurs journaux favoris, les lourds
supplments publicitaires qui prolifrent en priode de ftes. Dans le lm enveloppant
Les Echos, le cahier gant Srie limite dun peu plus dune livre (525 grammes
exactement) exhibait ses pages promotionnelles serties de quelques articles, le
tout convoy par La Poste un tarif sacri mais compens par lEtat. Ct Le
Point, un supplment papier glac spcial cadeaux, Couleurs de ftes, de
372 grammes, comportant un ditorial indigent pour 155 pages de publicit,
parvenait dans les botes aux lettres aux frais du contribuable, toujours au nom de
la libre communication des penses et des opinions.
Ce critre de priodicit accentuera ses effets en 2015. Pour Les Echos, Le Point
et leurs annonceurs, laugmentation des tarifs postaux se limitera 4,9 %. Pour
Le Monde diplomatique, ce sera 8,8 %.
Notre journal ne puise sa force qu deux sources : son projet ditorial et ses
lecteurs. Cest donc vers ces derniers que nous nous tournons. Le don dscalis
reste leur meilleur moyen dobliger lEtat corriger, contre son gr, liniquit carica-
turale de son systme daide la presse (http://dons.monde-diplomatique.fr).
LEtat souhaite une bonne anne
au Monde diplomatique
-
3LE MONDE diplomatique JANVIER 2015
AUX SOURCES DUNE IDE REUE
Prisonniers de la mobilit
millefeuille o auraient sdiment plu-
sieurs strates. Pour penser en termes de
mobilit, il a fallu dabord concevoir lin-
dividu dans un espace, formuler que sa
localisation tait source de problmes ou
de difficults. Puis fournir cette ide un
surcrot de sens et daffects communs :
dune ncessit biophysique, la mobilit
est devenue une caractristique personnelle
nouvelle dfinie par des choix rationnels
en rapport avec la ralisation de soi.
Comment se sont organiss ces glisse-
ments, dans des domaines aussi varis que
les sciences, lart, la politique et ladminis-
tration ? Pitirim Sorokin les inaugure dans
les annes 1920 avec la mobilit sociale.
Pour comprendre lextension de la classe
moyenne, ce sociologue sintressait la
fluidit de la socit amricaine, confor-
mment une conception associant lindi-
vidualisme volontariste une certaine ide
du mrite et de la ralisation personnelle.
Paralllement se dveloppait une perspec-
tive spatiale des dplacements (pas encore
nomms mobilit !) dans les sciences
techniques de gestion de la ville. Lappari-
tion dans les annes 1930 dingnieurs du
trafic routier favorise celle des statistiques
des flux urbains. Il sagit alors de dduire
les besoins de dplacements une chelle
gographique prdfinie en mesurant leur
nombre, leurs horaires, etc.
Lidologie dominante sappuie sur des notions si commun-
ment admises quelles finissent par se dispenser de toute mise
en perspective. Tel est le cas de la mobilit . A premire
vue, le terme rassemble sous la bannire du bon sens les traits
saillants dune poque o tout bouge, tout change, tout se
dplace. Analyser ce quil recouvre comme on pluche un
oignon rvle pourtant bien des surprises.
PAR S IMON BORJA , GUILLAUME COURTY
ET THIERRY RAMADIER *
LA mobilit serait, selon les Nations
unies, un moteur du dveloppement
humain. Ici, elle saffiche sur une publi-
cit : Hello Bank ! Une banque mobile
comme vous ; l, elle se dcline en devise
pour la Socit nationale des chemins de
fer franais (SNCF) : Libert, galit,
mobilit. La mobilit sera galement
dveloppe pour les lves, individuellement
et collectivement, comme pour les ensei-
gnants, explique quant elle la loi dorien-
tation et de refondation de lcole de 2013.
La mobilit constelle les discours (1).
Elle voisine avec fluidit, crativit, acces-
sibilit pour dcrire des projets o il est
question de libert, dautonomie, dpa-
nouissement ou de dynamisme. Des cher-
cheurs y voient un nouveau concept, voire
un nouveau paradigme. Personnes (tu-
diants, salaris, immigrs), biens (mar-
chandises transportes dun bout lautre
du globe), comptences (agilit, ouverture
desprit), ides (politiques, scientifiques)
ou informations (mdias, avoir un mo-
bile, rseaux), rien ne lui chappe.
Do vient son vidence ? A peine
audible dans les annes 1970, de plus en
plus apprcie dans les annes 1980 et
1990, loue dans les annes 2000, elle est
devenue un rfrentiel de lidologie domi-
nante. Lanalyser revient dcortiquer un
tel quil devra(it) tre sur les rapports
socio-spatiaux tels quils sont, en dclinant
pour cela des chiffres qui donnent lim-
pression dun phnomne total. Pourtant,
la majorit de la population vit sans cette
reprsentation ou hors delle (7). Un pour
cent des tudiants europens bnficient
dErasmus (devenu Erasmus Mundus) en
premier cycle, quand un rapport parlemen-
taire franais de mars 2014 salue ce pro-
gramme comme une initiative russie au
service dun large public . Une discor-
dance analogue entre le discours et la ra-
lit sobserve propos de la catgorie dite
des grands mobiles : Plus de cent
soixante-dix mille actifs parcourent plus
de quatre-vingts kilomtres pour se rendre
leur lieu de travail situ en Ile-de-
France, explique lInstitut damnage-
ment et durbanisme de la rgion pari-
sienne, qui estime quatre millions neuf
cent mille le nombre des dplacements
annuels gnrs par ces actifs (8). Pour-
tant, seuls 4% des actifs sont des grands
navetteurs.
Derrire cette pluie de performances
chiffres, les enjeux mobilitaires restent
mconnus : ils ont partie lie avec le pou-
voir sur le corps, forme de domination o
lindividu, acteur de sa mobilit (puisque
cest pour son bonheur !), serait respon-
sable de son devenir autant que garant de
celui de la socit. Ce dernier glissement
en date instaure un ordre mobilitaire o le
capitalisme dveloppe lexploitation des
immobiles par les mobiles (9) en alimen-
tant sa capacit rpondre ses propres
contradictions. Car, dsormais, cette cat-
gorie russit le tour de force dinscrire lin-
dividu dans une respatialisation des rap-
ports sociaux o il est somm de prendre
les places quon lui dsigne comme tant
bnfiques. Vous navez pas encore retir
votre dossier de mobilit ? La semaine
de mobilit vous aidera raliser le
projet global de mobilit, car qui peut
refuser lcomobilit ?Vous tes libres :
bougez-vous pour vous en sortir !
en finir avec les ingalits et la dpendance
conomique. Reste faire entrer ltranger
dans ce cadre. M. Nicolas Sarkozy sy
emploie en 2006 avec limmigration
choisie, une grande politique de cod-
veloppement qui facilitera la mobilit des
personnes et la rinstallation volontaire
en Afrique de migrants.
Comme dans la clbre maxime de Karl
Marx o les idologues mettent tout sens
dessus dessous, lidologie mobilitaire
ne met en avant, et au-dessus de tout, que
des vertus. La mobilit doit ainsi tre
entendue comme ce quelle se dfend
dtre : une catgorie qui fait croire. Elle
projette une reprsentation du monde
conue par les lites.A partir de faits sou-
vent minoritaires, elle privilgie le monde
* Respectivement doctorant en science politique au
Centre dtudes et de recherches administratives,
politiques et sociales (Ceraps) ; professeur de science
politique au Ceraps, universit Lille-II ; directeur de
recherche au Centre national de la recherche scienti-
fique (CNRS) au laboratoire Socits, acteurs, gouver-
nement en Europe (SAGE), universit de Strasbourg.
Un imaginaire nourri par les artistes
(1) Cet article synthtise les travaux des auteurs
dans les publications suivantes : Trois mobilits en
une seule ?, octobre 2014, www.espacestemps.net ;
La mobilit serait un capital : doutes et interroga-
tions, dcembre 2012, http://fr.forumviesmobiles.org ;
Approches critiques de la mobilit, Regards socio-
logiques, n
o
45-46, Paris, 2014.
(2) Pierre George et FernandVerger (sous la dir. de),
Dictionnaire de la gographie, Presses universitaires
de France, Paris, 1970 ; Jacques Lvy etMichel Lussault
(sous la dir. de), Dictionnaire de la gographie et de
lespace des socits, Belin, Paris, 2003.
(3) Cf. Antonio SantElia, Manifeste de larchi-
tecture futuriste, Lacerba, Florence, 1914, et Kazimir
Malevitch, Ecrits, Grard Lebovici, Paris, 1986.
(4) Cf. Laurent Jeanpierre, La place de lexter-
ritorialit , dans Mark Alizart et Christophe
Kihm (sous la dir. de), Fresh Thorie, Lo Scheer,
Paris, 2005.
(5) Cf. John Urry, Sociologie des mobilits. Une
nouvelle frontire pour la sociologie ?,Armand Colin,
Paris, 2005.
(6) Franois Hollande, discours de clture au congrs
de Dijon du Parti socialiste, 18 mai 2003.
(7) Lire Olivier Bailly, Madeleine Guyot, Almos
Mihaly et Ahmed Ouamara, Avec les jeunes de
Bruxelles enferms dans leurs quartiers, Le Monde
diplomatique, aot 2008.
(8) Rapport Voyages franciliens , Institut
damnagement et durbanisme de lIle-de-France,
fvrier 2014.
(9) Luc Boltanski et Eve Chiapello, Ingaux face
la mobilit, Projet, n
o
271, Saint-Denis, 2002.
populations ont toujours t en mouve-
ment, la notion embrasse dunmme point
de vue lextension gographique laube
de lhumanit, les invasions, les migrations
de peuplement, les retours la terre et les
dplacements de travail pour en conclure
un fait total de mobilit. Lequel don-
nerait du sens une remise en cause de la
socit (5). Largumentaire est dautant plus
puissant quil coordonne en un mot pro-
grs, modernit, conomie de march,
mondialisation, multiplication des trajets,
kilomtres parcourus...
Avec ces approches de la mobilit se
clt une ide de la politique des trans-
ports. Nous en serions dj au-del ,
affirment ses thurifraires ; Nous par-
tageons plus que du transport , affiche
la SNCF. Lconomie des dplacements
se redcouvre sous le signe de la mobi-
lit : tout le monde (est) mobile !Ainsi
le pass se trouve-t-il relgu une forme
dimmobilisme, comme si, jadis, avant
lindustrialisation, les gens se dplaaient
moins ou pas du tout. Un raisonnement
paradoxal, puisque le capitalisme a jus-
tement engendr urbanisation et concen-
tration de la main-duvre autant din-
citations la sdentarit !
La mobilit assoit aussi son emprise
parce que le monde politique sen saisit
pour produire un son nouveau ds les
annes 1960. Le 9 septembre 1965, dans
une des premires dclarations associant
mobilit et travailleurs, Charles de Gaulle
explique qutre mobile cest apprendre
un mtier . Quarante ans plus tard, la
mme ide sapplique aux salaris que des
mobilits (...) peuvent un moment tou-
cher (6). La mobilit est devenue une
caractristique de lemploi. Preuve de sa
russite, elle nest lapanage ni des partis
ni des seuls dirigeants de droite. Le patronat
prne une France qui gagne dans un
monde qui bouge. Selon la Commission
europenne, la mobilit est une opportu-
nit autant quune bonne pratique. En
estampillant 2006, anne europenne de
la mobilit des travailleurs, elle fixait les
enjeux de leur adaptabilit (...) aux muta-
tions structurelles et conomiques. Entre
se soumettre ou se dmettre, linjonction
la flexi... mobilit constitue un lment sup-
plmentaire dans la domination du travail-
leur. Flexibilit: je naime pas beaucoup
ce mot. En revanche, la mobilit est tout
fait vidente, prcise le prsident Jacques
Chirac la tlvision (10 mars 1997).
Derrire linjonction, le terme dsigne
une faon de penser lEtat. Les fonction-
naires sont touchs selon des modalits
particulires. En septembre 1969, le pre-
mier ministre Jacques Chaban-Delmas
explique que sa nouvelle socit sem-
ploiera notamment favoriser la mobi-
lit des chercheurs . Mobilit des
hommes dans certains discours des pre-
miers ministres de laprs-1981, la notion
englobe ensuite les femmes. En avril 1994,
Franois Mitterrand leur octroie une
forme de libration (...) dans la mobilit
du travail et dans la mobilit des
horaires. Offrir la mobilit la popula-
tion, cest tenter de faire croire quon va
AU milieu des annes 1970, cest le
comportement individuel saisi travers
le motif du dplacement qui proccupe
dsormais les ingnieurs. Ces derniers sont
progressivement pauls par des go-
graphes, des conomistes et des psycho-
logues qui se penchent sur les dimensions
subjectives : comment les individus per-
oivent-ils le temps, lespace ou les cots
des dplacements, et comment prennent-
ils leurs dcisions ? Dans les annes 1980-
1990, le flux devient une collection de
comportements que les capacits de calcul
contribuent progressivement analyser.
Sopre ensuite un autre glissement : si
dans les annes 1970 la mobilit se
dfinissait comme la plus ou moins forte
tendance au dplacement , dans les
annes 2000 elle relve dune facilit se
mouvoir incluant toute la personne et toute
la socit un ensemble de manifesta-
tions lies au mouvement des ralits
sociales dans lespace (2). La sociologie
la consacre comme un fait nouveau et tho-
rise le capital de mobilit, centr autour
de comptences quil suffirait dac-
qurir pour faciliter les potentiels de
dplacement. Dplacement gographique
et volution professionnelle se fondent
dans la mobilit.
Cette notion na pu simposer partir
des seules sciences. Si elle projette autant
dimages et de reprsentations positives,
cest aussi parce que les figures du mou-
vement (dplacement, voyage, exprience,
progrs, etc.) qui la fondent ont t large-
mentmises lhonneur dans lunivers artis-
tique. Au travers des descriptions, voca-
tions, dambulations et prgrinations dans
les villes qui se modernisent, peinture, lit-
trature et posie ont convoqu des figures
qui glorifient linstabilit, le changement,
la variation. Depuis la figure du flneur
exalte par Charles Baudelaire ou celle de
linsubmersible Nautilus, mobilis in
mobile, de Jules Verne, jusqu Marcel
Duchamp et sonNu descendant un escalier
en passant par les dambulations pari-
siennes des dadastes, le dplacement lib-
rateur, crateur et mme contestataire sim-
pose comme lment central dune socit
en mutation.
Aux alentours de la premire guerre
mondiale, cette vision dumonde trouve un
renfort dans lengouement pour le progrs
technique. Lurbanisation nourrit lesp-
rance de russite quincarnent les phno-
mnes dexode. Dans un imaginaire ali-
ment par lautomobile, le dveloppement
du train et de laronautique, lloge du
mouvement devient un trait commun o
fusionnent dplacement et progrs. Je
peins les trams et les trains de ma jeunesse,
explique Paul Delvaux, et je crois que de
la sorte jai pu fixer la fracheur de cette
poque. Le futurisme se montre fascin
par la ville semblable un immense
chantier tumultueux, agile, mobile, dyna-
mique , quand pour le suprmatisme
lme est rveille par la nouvelle vie
mtallique, mcanique, le grondement des
automobiles, lclat des lampes lectriques,
les ronflements des hlices (3).
Aprs la seconde guerre mondiale,
contre lopposition traditionnelle de la
fuite et de la lutte, lassimilation de la pre-
mire une trahison condamne par les
armes comme par les nations (4), le
dplacement prend des traits philosophico-
humanistes. Cela est formalis clairement
dans lloge du mouvement individuel
comme critique dun corps prisonnier dun
capitalisme alinant : Henri Laborit crit
un Eloge de la fuite, Guy Debord et les
situationnistes explorent la drive
urbaine, Gilles Deleuze et Flix Guattari
fixent la dterritorialisation.
Limaginaire actuel de la mobilit distille
une somme de reprsentations constam-
ment ractualises, et se lgitime en rins-
crivant tous les dplacements sa mesure.
Sappuyant sur le principe selon lequel les
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ALEXANDRE DANILOVITCH GRINBERG. Art du mouvement, essai , 1928
-
4LES VIOLENCES POLICIRES DISSIPENT
Pour les Afro-Amricains, amer bilan
rent traverss par des clivages raciaux.
Tous les indicateurs le confirment. La
grande rcession de 2008-2009 a eu pour
effet de creuser les ingalits raciales. Parce
quils taient plus viss que les Blancs par
les vendeurs de crdits subprime, lesAfro-
Amricains et les Hispaniques ont t plus
souvent victimes de saisies immobilires.
Plus prcaires, ils ont galement t plus
exposs laugmentation du chmage.
Ainsi, selon les donnes du Bureau of
Labor Statistics, 5,4 % des Blancs taient
sans emploi en aot 2014, contre 11,4 %
des Afro-Amricains. En 2012, le revenu
moyen des mnages blancs slevait
57009 dollars, celui des mnages noirs
33321 dollars.
La sgrgation rsidentielle na pas non
plus diminu. Au cours des quarante
dernires annes, explique le sociologue
Robert J. Sampson au sujet de Chicago,
aucun quartier majoritairement noir nest
devenu majoritairement blanc, contrai-
rement un tiers des quartiers blancs, qui
sont devenus majoritairement noirs (1).
Ce constat se vrifie lchelle du pays.
Entre 1990 et 2000, des milliers de
quartiers dominante blanche sont
devenus des lieux habits principalement
par desAfro-Amricains. Mais sur environ
soixante-cinq mille quartiers dominante
noire, seuls une dizaine sont devenus des
secteurs population blanche majoritaire.
Ainsi, dune manire gnrale, la stratifi-
cation raciale est profondment stable,
explique le sociologue. Cette stratification
se rpercute sur les relations sociales,
puisque la plupart des Amricains blancs
dclarent navoir aucun ami noir, la diff-
rence des Afro-Amricains, qui, eux,
dclarent avoir des amis blancs (2).
les dfenseurs des droits civiques et leurs
opposants. Si le premier groupe tait
surtout compos de dmocrates et le
second de rpublicains, la frontire tait
cependant loin dtre hermtique : chaque
coalition incluait des membres des deux
partis. Ainsi, limage du snateur de
Caroline du Sud Strom Thurmond, des
dmocrates conservateurs, surtout lus
dans le sud du pays, se retrouvaient allis
des rpublicains pour dfendre la sgr-
gation. A linverse, des rpublicains
progressistes, comme le gouverneur de
lEtat de NewYork Nelson Rockefeller,
affrontaient leur propre parti pour
promouvoir une plus grande galit
raciale.
Depuis ladoption des lois sur les droits
civiques, les lignes de faille de la politique
amricaine se sont dplaces. La question
des ingalits raciales fait lobjet de deux
approches antagonistes, qui recoupent
exactement les contours des partis. Aux
yeux des dmocrates, seules des politiques
volontaristes, qui prennent en compte
spcif iquement la dimension raciale,
peuvent combler ces disparits. Cette ide
est partage par une multitude
dassociations de dfense des minorits,
de syndicats, mais aussi de grandes entre-
prises qui valorisent la mixit de leurs
salaris.A la Cour suprme, la juge Sonia
Sotomayor (nomme par M. Obama)
plaide par exemple pour des politiques
en matire demploi, dducation, de
JANVIER 2015 LE MONDE diplomatique
DEUX vagues de protestations
violentes ont secou Ferguson, dans le
Missouri, au cours des cinq derniers mois.
Une premire en aot, quand la mort de
Michael Brown, un Afro-Amricain de
18 ans tu par un policier, blanc comme
lcrasantemajorit des policiers de la ville,
a embras cette banlieue majoritairement
noire. Une seconde en novembre, aprs la
dcision dun jury populaire de ne pas pour-
suivre lauteur des coups de feu,M. Darren
Wilson. Le mouvement sest alors tendu
lensemble du pays, de San Francisco
NewYork en passant par Chicago, Seattle,
Los Angeles et une multitude de petites
villes. Voitures en flammes, pillages
nocturnes, policiers blancs monts sur des
vhicules blinds faisant face des mani-
festants noirs dsarms : les images de cette
rvolte urbaine ont fait le tour du monde,
corchant le mythe de lAmrique
* Professeur luniversit dOxford. Auteur, avec
Rogers M. Smith, de Still a House Divided : Race and
Politics in Obamas America, Princeton University
Press, 2013.
postraciale quaurait fait natre larrive
deM. Barack Obama laMaison Blanche
en janvier 2009.
Le meurtre dun jeune Noir par un
policier blanc na pourtant rien dextraor-
dinaire aux Etats-Unis. En 2013, selon le
Federal Bureau of Investigation (FBI), un
quart des quatre cent soixante et un
homicides justif is commis par la
police, soit un tous les trois jours, ont eu
pour victime un Afro-Amricain. Or les
Noirs ne reprsentent que 12 % de la
population totale amricaine. La dispro-
portion est encore plus flagrante en prison,
o ils constituent 38 % des deux millions
deux cent mille dtenus. Ce chiffre traduit
la fois leur fragilisation socio-conomique
et la propension des policiers contrler
prioritairement des Afro-Amricains.
Lgalit de droits entre les citoyens,
tablie dans les annes 1960, puis lmer-
gence dune classe moyenne noire et
llection dun prsident afro-amricain
ny ont rien chang : les Etats-Unis demeu-
PAR DESMOND K ING *
Le 20 novembre 2014, Akai Gurley a rejoint Michael Brown
sur la liste des Noirs tus, aux Etats-Unis, par des policiers
blancs. Les jours suivants, desmilliers de citoyens ont manifest
contre ces crimes impunis, ravivant le dbat sur lquit de la
justice. Pour seule rponse,M. BarackObama leur a demand
dtre persvrants, au prtexte que les choses vont mieux
quavant. Les Afro-Amricains semblent parfois en douter...
(1) Robert J. Sampson, Great American City :
Chicago and the Enduring Neighborhood Effect,
University of Chicago Press, 2012.
(2) Robert P. Jones, Self-segregation :Why its so
hard forWhites to understand Ferguson, TheAtlantic,
Boston, 21 aot 2014.
RUPTURE DANS LA STRATGIE
A Cuba, vers la fin du plus
LES premires mesures de rtorsion
conomique la rduction des importa-
tions de sucre en provenance de lle
ont t imposes Cuba en 1960 par
ladministration rpublicaine de Dwight
D. Eisenhower, officiellement en raison
du processus de nationalisations entre-
pris par le gouvernement rvolutionnaire
de Fidel Castro. En fvrier 1962, John
F. Kennedy tend les mesures et dcrte
un embargo.
Limpact est dramatique. Les Etats-Unis
ont toujours constitu le march naturel
de Cuba. En 1959, 73% des exportations
de lle taient destines au voisin duNord ;
70% des importations en provenaient. En
quelques semaines, ces changes sass-
chent totalement...
La rhtorique justifiant cet tat de sige
conomique a volu au fil des annes.
En 1960, Washington mettait en avant
lexpropriation dentreprises amricaines.
A partir de 1961, la Maison Blanche
justifie sa position par le rapprochement
de lle avec Moscou. Plus tard, ce seront
le soutien aux gurillas latino-amricaines
en lutte contre les dictatures militaires ou
encore les interventions cubaines en
Afrique qui fourniront aux Etats-Unis la
justification de lembargo.
Le 17 dcembre 2014, La Havane et Washington annon-
aient le rtablissement de leurs relations diplomatiques.
Cela ne veut pas dire que le problme principal est rsolu,
a observ le prsident cubain Ral Castro lors de son allo-
cution tlvise. Demeure en effet la question de lembargo,
que seul le Congrs amricain peut lever. Depuis bientt
cinquante-trois ans, celui-ci trangle lconomie de lle.
PAR SALIM LAMRANI *
quelle que soit sa provenance accostant
dans un port cubain se voit interdire
lentre aux Etats-Unis pendant six mois.
Autrement dit, les entreprises maritimes
oprant dans la rgion doivent choisir de
commercer ou bien avec Cuba ou bien
avec les Etats-Unis. En gnral, le dilemme
est rapidement tranch... Rsultat : lle,
qui dpend par dfinition du transport
maritime, doit payer un prix bien suprieur
celui du march pour convaincre les
transporteurs internationaux de la livrer.
La loi Torricelli impose par ailleurs des
sanctions tout pays apportant une assis-
tance Cuba : si le Mexique octroie par
exemple une aide de 100 millions de
dollars La Havane,Washington diminue
dautant son aide Mexico.
En 1996, un avion de sauvetage de
Cubains qui fuyaient par la mer est abattu
par La Havane. Ladministration Clinton
rpond en signant la loi Helms-Burton, qui
ajoute la rtroactivit lextraterritorialit.
L encore, le droit international linterdit,
mais peu importe. Le texte sanctionne toute
entreprise (y compris non amricaine, donc)
qui sinstallerait sur des proprits natio-
nalises aprs 1959. Mais la loi Helms-
Burton viole galement le droit amricain,
qui stipule, dune part, que les expropria-
tions sont condamnables uniquement
lorsquelles violent le droit international
et, de lautre, que les poursuites judiciaires
ne sont possibles aux Etats-Unis que si la
personne lse disposait dun passeport
amricain au moment des faits. Le plus
souvent, ni lune ni lautre de ces conditions
nest remplie.Mais la loi joue parfaitement
son rle, dissuadant de nombreux inves-
tisseurs de sinstaller Cuba par crainte
de reprsailles.
*Auteur deCuba. Les mdias face au dfi de limpar-
tialit, Estrella, Paris, 2013.
Aumne ou rparation ?
POURTANT, les annes 1960 avaient
laiss prsager un scnario diffrent.Aprs
plusieurs dcennies de protestations, le
mouvement des droits civiques obtint
ladoption dune srie de mesures dci-
sives. La loi sur les droits civiques (Civil
Rights Act) de 1964 instaura la mixit
raciale dans tous les lieux publics et permit
ladoption de mesures dites de discrimi-
nation positive (affirmative action). En
1965, la loi sur le droit de vote (Voting
Rights Act) dota le ministre de la justice
dun pouvoir de contrle accru sur les
procdures de vote et dinscription sur les
listes lectorales dans les cinquante Etats
du pays.Tout changement devait dsormais
tre approuv par le gouvernement fdral,
garant de lgalit. Les lois sur lducation
(Higher EducationAct et Elementary and
Secondary EducationAct) de 1965 permi-
rent loctroi de subventions exceptionnelles
aux tablissements les plus pauvres, majo-
ritairement frquents par desAfro-Amri-
cains, tandis que le systme de transport
scolaire fut rform pour permettre aux
enfants noirs dtre scolariss loin de leur
cole daffectation naturelle et favoriser
ainsi la mixit raciale. Ces mesures de
discrimination positive ntaient pas
conues comme une forme daumne
lgard des minorits, mais comme un
systme de rparation pour les injustices
historiques que celles-ci avaient subies.
Ces rformes nont pu aboutir quau
prix dune longue bataille politique entre
ANGEL DELGADO.Lmite continuo V (Limite perptuelle V), 2009
Semer le dsordre
EN 1991, le bloc sovitique sest
effondr. Au lieu de normaliser les rela-
tions avec Cuba, les Etats-Unis choisis-
sent daccrotre les sanctions : il sagit,
dsormais, dexercer une pression sus-
ceptible de prcipiter le rtablissement
de la dmocratie et de favoriser le respect
des droits de lhomme.
Dbute alors la plus grave crise cono-
mique de lhistoire de Cuba, due la dispa-
rition de lURSS, son principal partenaire
commercial : entre 1991 et 1994, le produit
intrieur brut (PIB) de lle plonge de
35%. Trois ans aprs larrive de
M. George H. Bush au pouvoir, en 1992,
le Congrs amricain adopte la loi Torri-
celli, qui intensifie les sanctions contre la
population cubaine au prtexte de
promouvoir les droits humains. Lobjectif,
selon le reprsentant Robert Torricelli ?
Semer le dsordre dans lle (The
Baltimore Sun, 30 aot 1994). La loi
confre notamment aux sanctions un
caractre extraterritorial, pourtant interdit
par le droit international (a priori, la loi
franaise ne sapplique pas en Alle-
magne !). Depuis, tout navire tranger
WWW.ANGELDELGADO.NET
-
5Si, en 2000, le lobby agricole amricain
parvient imposer un assouplissement des
mesures pour pouvoir vendre sa production
La Havane, celui-ci saccompagne de
conditions restrictives (paiement comptant,
lavance, sans possibilit de crdit et dans
une autre monnaie que le dollar). Quatre
ans plus tard, ladministration deM.George
W. Bush cre la Commission dassistance
un Cuba libre. Mais lassistance est
dune nature singulire, puisquil sagit
dimposer de nouvelles sanctions lle.
A commencer par une limitation des
voyages vers Cuba.Alors que tout rsident
des Etats-Unis dorigine trangre est
autoris se rendre dans son pays dorigine
quand bon lui semble, partir de 2004 la
possibilit nest plus offerte sans autori-
sation du dpartement du Trsor aux
personnes souhaitant se rendre Cuba.
Les sjours sont par ailleurs limits
quatorze jours tous les trois ans, au lieu
dun voyage par an auparavant. Il faut de
surcrot pouvoir dmontrer quau moins
un membre de sa famille vit toujours dans
lle. Ni un cousin, ni un neveu, ni un oncle:
redfinie par ladministration Bush, la
famille se rduit pour les Cubains la
fratrie, aux parents, aux grands-parents et
aux poux.A la suite des sollicitations de
M. Max Baucus, alors snateur du
Montana, le dpartement du Trsor a
inform en 2004 avoir ralis, entre 1990
et 2004, quatre-vingt-treize investigations
en rapport avec le terrorisme international.
Dans le mme temps, il en a effectu dix
mille six cent quatre-vingt-trois pour
empcher les Nord-Amricains dexercer
leur droit de voyager Cuba (1).
du Programme des Nations unies pour
lenvironnement (PNUE). Or lappareil
contenait des composants amricains, et
Nikon ne souhaitait pas donner le sentiment
de commercer avec La Havane.
En juillet 2007, la compagnie arienne
espagnole HolaAirlines, qui disposait dun
contrat avec le gouvernement cubain pour
transporter vers lle des patients latino-
amricains atteints de maladies oculaires
dans le cadre de lopration Miracle (3),
a d mettre un terme ses relations avec
Cuba. En effet, lorsquelle a sollicit le
fabricant amricain Boeing pour des
rparations sur un appareil, ce dernier a
exig que HolaAirlines rompe ses relations
avec lle. La directive manait de la
Maison Blanche.
En mai 2014, la banque franaise BNP
Paribas se voit infliger une amende record
de 8,97 milliards de dollars (6,6 milliards
deuros) pour avoir enfreint les embargos
imposs Cuba, lIran et au Soudan entre
2002 et 2009.
Les sanctions conomiques ont un impact
dramatique dans le domaine de la sant.
Prs de 80%des brevets du secteurmdical
sont dposs par des multinationales
pharmaceutiques amricaines et leurs
filiales : Cuba ne peut bnficier de ces
avances scientifiques. Le Haut-Commis-
sariat aux droits de lhomme des Nations
unies souligne dailleurs que les restrictions
imposes par lembargo ont contribu
priver Cuba dun accs vital aux mdica-
ments, aux nouvelles technologiesmdicales
et scientifiques (4).
Larrive au pouvoir deM.BarackObama
marque cependant une inflexion. En 2009,
celui-ci abroge les limitations des voyages
et des envois dargent imposes en 2004 (5).
Les signes douverture culminent le
10 dcembre 2013, lors dune crmonie
en hommage Nelson Mandela, lorsque
MM.Obama et Ral Castro changent une
poigne demain qualifie dhistorique.
Les anciens prsidents James Carter et
William Clinton ont de leur ct exprim
plusieurs reprises leur opposition la
politique deWashington. Je nai cess de
demander la fois publiquement et en priv
la fin de notre blocus conomique contre
le peuple cubain, la leve de toutes les
restrictions financires, commerciales et
de voyage, a dclar M. Carter aprs son
second voyage Cuba en mars 2011 (6).
Pour M. Clinton, la politique absurde
de sanctions quil avait lui-mme durcies
en signant la loiHelms-Burton sest solde
par un chec total (7).
La Chambre de commerce des Etats-
Unis, reprsentant le monde des affaires et
les plus importantes multinationales du
pays, a galement inform quelle
souhaitait la fin de lembargo (8). Le
NewYorkTimes a condamn un anachro-
nisme de la guerre froide (9). De son ct,
leWashington Post, pourtant conservateur,
semontre virulent: La politique des Etats-
Unis lgard de Cuba est un chec. (...)
Rien na chang, except le fait que notre
embargo nous rend plus ridicules et impuis-
sants que jamais (10).
En 2013, lors de la runion annuelle de
lAssemble gnrale des Nations unies,
cent quatre-vingt-huit pays sur cent quatre-
vingt-douze ont condamn, pour la vingt-
deuxime fois daffile, les sanctions cono-
miques imposes Cuba, rappelant que
plus de 70% des Cubains sont ns sous cet
tat de sige conomique.
SALIM LAMRANI.
(1) Baucus calls Bush Cuba policy absurd, Snat
amricain, Washington, DC, 6 mai 2004.
(2) Condoleezza Rice et Carlos Gutierrez,
Commission forAssistance to a Free Cuba, juillet 2006.
(3) Opration humanitaire lance par Cuba et le
Venezuela, destine oprer gratuitement les populations
dshrites du tiers-monde atteintes de cataracte et
autres maladies oculaires.
(4) Human Rights Council, Situation of human
rights in Cuba, A/HRC/4/12, janvier 2007.
(5) Lire Patrick Howlett-Martin, Dgel sous les
tropiques entreWashington et La Havane, Le Monde
diplomatique, novembre 2014.
(6) James Carter, Trip report by former US President
Jimmy Carter to Cuba, March 28-30, 2011,The Carter
Center, 1
er
avril 2011.
(7) Christopher Hitchens : Inside Bill Clintons
Mind , Newsweek, NewYork, 24 septembre 2009.
(8) Chambre de commerce des Etats-Unis,
Testimony on examining the status of US trade
with Cuba and its impact on economic growth,
Washington, 27 avril 2009.
(9) Mr Obama, Cuba and the OAS, The NewYork
Times, 4 juin 2009.
(10) Michael Kinsley, The Cuba embargo, a proven
failure, TheWashington Post, 17 avril 2009.
LE MONDE diplomatique JANVIER 2015
La ralit au-del de la ction
ANTICASTRISTE DE WASHINGTON
long embargo de lhistoire
logement, etc., qui prennent en compte
lappartenance raciale.
Sans nier les discriminations qui
frappent les Noirs, les rpublicains consi-
drent que les lois sur les droits civiques
ont rendu inutile toute intervention spci-
fique de lEtat en faveur des minorits.
Lgalit des chances tant assure, il
sagirait dsormais dun combat
individuel, et non collectif. Au moment
de signer, en novembre 1983, une loi
instaurant un nouveau jour fri en
hommage Martin Luther King loi quil
avait prement combattue , le prsident
Ronald Reagan paraphrasa le clbre
pasteur : il faut juger un homme sur sa
personnalit, pas sur sa couleur de peau.
Ce principe, qui fait de lindividu la source
de la russite et nie le pesant hritage des
dcennies de sgrgation, se trouve au
fondement de la coalition des partisans
de politiques indiffrentes la couleur
de peau.
sement daborder cette question, de peur
dtre accus par ses dtracteurs davan-
tager sa propre communaut. Une des
rares exceptions ce silence fut le
sommet de la bire qui se tint la
Maison Blanche en juillet 2009.
M. Obama invita alors luniversitaire
afro-amricain Henry Louis Gates et le
sergent blanc James Crowley pour
deviser sur les discriminations raciales.
Souponn de commettre un cambriolage
alors quil ne faisait que rentrer chez lui,
le premier avait t arrt sans
mnagement par le second...
En fvrier 2012, la mort de Trayvon
Martin, unAfro-Amricain de 17 ans tu
par un Latino-Amricain qui organisait
des rondes de surveillance dans son
quartier, poussa M. Obama sexprimer
une nouvelle fois. Quand Trayvon
Martin a t tu, jai dit quil aurait pu
tre mon fils. Autrement dit, Trayvon
Martin, aurait pu tre moi il y a trente-
cinq ans. (...) Rares sont les Afro-Amri-
cains qui nont pas fait lexprience dtre
suivis quand ils font des courses dans un
grand magasin. Moi aussi, jai connu a.
(...) Rares sont les Afro-Amricains qui
nont pas fait lexprience de prendre
lascenseur et de voir une femme serrer
son porte-monnaie nerveusement et
retenir sa respiration jusqu ce quelle
puisse sortir, expliqua-t-il avec motion.
Le prsident sest montr nettement
moins lyrique aprs la mort de Brown en
aot dernier. Il a refus de se rendre sur
place, alors que les manifestants ly
invitaient, et sest content de dclarations
prudentes, affirmant attendre les conclu-
sions du ministre de la justice. Aprs la
dcision du jury populaire, il a mme
condamn la violence des protestataires.
Brler des btiments, mettre le feu
des voitures, dtruire des biens, mettre
en danger des gens : il ny a aucune
excuse cela, ce sont des actes criminels.
Je nai aucune sympathie pour ceux qui
dtruisent leur propre communaut ,
dclara-t-il sans proposer de rponse
politique la crise qui frappait son pays.
Loin davoir apais les clivages
raciaux, la prsidence Obama a peut-tre
mme contribu les exacerber. Le
politiste Michael Tesler a tudi lvo-
lution des enqutes dopinion depuis
2008. Il a montr que, sur de nombreux
sujets (la rforme de la sant, la
nomination de M
me
Sotomayor la Cour
suprme, les impts...), lopinion des
Amricains est dtermine par leur
perception de M. Obama, elle-mme
faonne par sa couleur de peau (5).
Par exemple, en mars 2012, une
enqute ralise dans le Maryland
montrait que 56 % des Afro-Amricains
de lEtat sopposaient ladoption dune
loi autorisant le mariage homosexuel,
contre 39 % qui la soutenaient. Le mois
suivant, le prsident sest prononc en
faveur de cette loi et, en mai, un nouveau
sondage a t ralis. Les rsultats
staient inverss : 55 % desAfro-Amri-
cains du Maryland dclaraient soutenir
le mariage homosexuel et 36 % sy
opposer. Paralllement, le taux dappro-
bation chez les Blancs avait diminu (6).
Ainsi, affirme le politiste, llection de
M. Obama a contribu donner une
connotation raciale des sujets qui en
taient jusque-l dpourvus.
La polarisation des partis politiques et
de llectorat rend hautement improbable
le retour un programme ambitieux de
lutte contre la sgrgation et la discrimi-
nation raciales. Les avances des annes
1965-1975 sappuyaient sur une certaine
collaboration entre les deux grands partis
politiques et reposaient sur le volontarisme
de lEtat. Les rpublicains, qui rejettent
dsormais toute intervention de lEtat,
occupent la majorit des siges de
gouverneur (vingt-huit sur cinquante) et
dominent la plupart des assembles dEtat
ainsi que les deux Chambres du Congrs
fdral. Ils peuvent ainsi bloquer toute
mesure susceptible de favoriser spcifi-
quement les minorits. Dans ce contexte,
seules des mesures locales, adoptes au
coup par coup, semblent aujourdhui
possibles. A New York, le maire Bill de
Blasio sest lanc dans la construction de
logements sociaux dont lattribution
devrait favoriser la mixit raciale. A
Minneapolis, un astucieux redcoupage
des districts scolaires a permis de diminuer
la sgrgation dans les coles.
Les manifestations suscites par la mort
de Brown montrent que ce type de
mesures ne suffit pas, mais aussi quil
existe les bases dun mouvement politique
favorable une rforme radicale de lordre
racial amricain.
DESMOND KING.
L AIDE imagine par lquipe de
M. Bush encadre galement les envois et
changes dargent. Une personne rsidant
sur le sol amricain ayant pu remplir
toutes les conditions pour se rendre dans
lle quatorze jours nest pas autorise
y dpenser quotidiennement plus de
50 dollars. Alors que les citoyens ou rsi-
dents amricains peuvent envoyer une
aide f inancire un membre de leur
famille ltranger sans limite de
montant, ceux dorigine cubaine ne
peuvent lui faire parvenir plus de 100 dol-
lars par mois. Si la personne secourir
milite au sein du Parti communiste cubain
(PCC, qui compte plusieurs centaines de
milliers de membres), les transferts sont
interdits.
En 2006, la Commission dassistance
dcide dentraver la coopration mdicale
internationale de Cuba importante
source de devises pour lle en interdi-
sant toute exportation dappareils mdi-
caux lorsquils sont destins tre
utiliss dans des programmes grande
chelle [pour] des patients trangers (2).
La majeure partie de la technologie mdi-
cale mondiale est pourtant dorigine
amricaine.
Peu peu, lapplication extraterritoriale
des sanctions conomiques sintensifie,
parfois jusquau ridicule. Un fabricant
dautomobiles japonais, allemand ou
coren souhaitant commercialiser ses
produits sur le march amricain doit au
pralable dmontrer au dpartement du
Trsor que ses voitures ne contiennent pas
de nickel cubain. Un ptissier franais
dsireux de pntrer le march de la
premire puissance conomique mondiale
doit prouver que sa production ne contient
pas un gramme de sucre cubain.
Des cas thoriques ? Parfois, la ralit
dpasse la fiction.
En 2006, lentreprise japonaise Nikon
refuse que lon remette son prix un
appareil photographique de sa gamme
Raysel Sosa Roja, un jeune Cubain de
13 ans souffrant dhmophilie. Ce dernier
venait pourtant de remporter le quinzime
concours international de dessins denfants
M. Obama tance les manifestants
CETTE coalition na cess de gagner
du terrain depuis trente ans, en particulier
au sein de la Cour suprme, o elle
rassemble dsormais cinq des neufs
juges. Les dcisions rendues ces
dernires annes sen ressentent. En
juin 2009, larrt Ricci v. DeStefano
donna raison aux dix-neuf pompiers (dix-
sept Blancs et deux Hispaniques) qui se
plaignaient de ne pas avoir t promus
cause des mesures de discrimination posi-
tive en faveur des Noirs. En juin 2013,
larrt Shelby County v. Holder inva-
lida larticle 5 de la loi sur le droit de vote
de 1965 qui obligeait les Etats obtenir
lapprobation du gouvernement fdral
avant de modifier leur code lectoral (3).
La discrimination positive dans les
universits fait galement lobjet dune
attaque en rgle. En juin 2013, la Cour
suprme a tranch dans le sens de
M
me
Abigail Fisher, une tudiante blanche
qui se plaignait davoir t refuse par
luniversit du Texas alors que des candi-
dats moins qualifis quelle, mais appar-
tenant une minorit, avaient t admis.
Le dclin de laffirmative action (4) a eu
un effet ngatif sur la condition desAfro-
Amricains. En 2010, 74 % des enfants
noirs taient inscrits dans une cole majo-
ritairement frquente par des lves
noirs. Un taux comparable celui de
1968 (77 %) et largement suprieur
celui de 1980 (62 %).
Quand il tait candidat la Maison
Blanche en 2008, M. Obama sexprima
plusieurs fois sur les problmes raciaux.
A Philadelphie, lors dun discours trs
remarqu, il plaida notamment pour un
systme de justice pnale quitable .
Il appela les Noirs fondre leurs reven-
dications dans les aspirations plus
larges de tous les Amricains et les
Blancs prendre en compte lhritage
de la sgrgation et ses persistances,
moins manifestes que par le pass, mais
nanmoins relles . Beaucoup ont alors
cru que, sil tait lu, M. Obama mettrait
en uvre des mesures pour amliorer le
sort des minorits.
Pourtant, depuis six ans quil occupe le
bureau Ovale, le prsident vite soigneu-
(3) Lire Brentin Mock, Retour feutr de la discri-
mination lectorale , Le Monde diplomatique,
octobre 2014.
(4) Lire John D. Skrentny, Laffirmative action
amricaine en dclin , Le Monde diplomatique,
mai 2007.
(5) Michael Tesler, The spillover of racialization
into health care : How president Obama polarized
public opinion by racial attitudes and race, American
Journal of Political Science, vol. 56, n
o
3, Malden
(Massachusetts), 2012.
(6) Sasha Issenberg, It all comes down to race,
Slate, 1
er
juin 2012, www.slate.com
LE MYTHE DUNE SOCIT POSTRACIALE AUX ETATS-UNIS
dune prsidence noire
Dgel sous les tropiques entre
Washington et La Havane ,
par Patrick Howlett-Martin
(novembre 2014).
Cuba, le parti et la foi ,
par Janette Habel (juin 2012).
Ainsi vivent les Cubains ,
par Renaud Lambert
(avril 2011).
Cinq Cubains la Une ,
par Maurice Lemoine
(novembre 2010).
Miami se lasse de lextrme
droite cubaine , par Maurice
Lemoine (avril 2008).
Une Internationale... de la
sant , par Hernando
Calvo Ospina (aot 2006).
Cuba entre pressions externes
et blocages internes ,
par Janette Habel (juin 2004).
Prisonniers sans droits
de Guantnamo ,
par Olivier Audeoud (avril 2002).
Nos prcdents articles
-
Rveil de la
MONSIEUR Bahattin Turnali arpente les rues
dcrpies de son quartier dans un complet noir
impeccable, la cravate visse autour du cou, le pas
lent. Jeune cadre doublement diplm de luniversit
dIstanbul, bientt trentenaire, il jette unil paternel
sur ces petits immeubles vieillissants qui lont vu
grandir. Les taxis refusent dentrer ici aprs
21 heures. A cause des violences et du trac de
drogue, raconte-t-il.
Environ six mille Roms vivent Kustepe, un
quartier pauvre du centre dIstanbul qui compte
vingt-deuxmille mes au total. M. Turnali sengouffre
bientt dans un ddale de rues en pente. Sur la
place principale, un caf sans devanture fait face
la mosque, do rsonne lappel la prire du soir.
Le patron, M. Blent Filyas, une gure locale, donne
le ton : Avant toute chose, il faut dire que notre
situation est bonne.
A Kustepe comme ailleurs au sein de limpor-
tante population rom, on veut croire quune re
nouvelle a commenc. Depuis cinq ans, lEtat turc
a multipli les gestes douverture. En 2010,
M. Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre,
fait retirer le terme pjoratif Cingene ( Tzigane)
Longtemps invisible, la plus importante
communaut rom dEurope a accompli
une renaissance identitaire la faveur
dune ouverture du pouvoir islamo-
conservateur turc. Mais son
mancipation conomique et sociale
savre beaucoup plus dlicate.
PAR NOS ENVOYS
SPCIAUX MARIE CHAMBRIAL
ET ERWAN MANAC H *
6
UNE POLITIQUE RGIONALE MISE MAL
Le splendide isolement
pouvoir de celui-ci, le 3 novembre 2002,
il est devenu ministre des affaires tran-
gres en mai 2009. Et, quand M. Erdogan
a accd la prsidence, M. Davutoglu a
pris les rnes de lAKP en mme temps
que la fonction de premier ministre. Bien
quon entende parfois que les deux
hommes ne seraient pas toujours daccord,
M. Davutoglu reste un fidle lieutenant.
Pas encore us par le pouvoir, il peut
assurer la continuit du projet de lAKP,
un moment o de nombreux dputs
achvent leur troisime et dernier mandat.
Ce projet de nouvelle Turquie
sous la conduite dune prsidence ren-
force, installe dans un palais flambant
neuf de plus de mille pices, dont la
construction a t estime 615 millions
de dollars (2) repose sur une centrali-
sation et un autoritarisme accrus. Sorti
renforc des urnes, le pouvoir touffe les
liberts de parole et de manifestation,
bride la justice, fait licencier les journa-
listes, et sest mme distingu en 2014
par une tentative dinterdire Twitter et
YouTube. Le 12 dcembre, M. Erdogan
a annonc quil prsiderait dsormais
les runions du conseil des ministres.
Depuis les manifestations du parc Gezi
de lt 2013, toute remise en question
de son autorit est perue par lui comme
une menace directe.
A Istanbul, les rumeurs et les informa-
tions de seconde main ont remplac les
faits. Beaucoup de gens interrogs ne veu-
lent sexprimer que de manire anonyme.
Le 14 dcembre dernier, laube, la police
a effectu une descente au sige du quoti-
dien Zaman et celui de la chane de tl-
vision Samanyolu, arrtant principalement
des journalistes connus pour leurs liens avec
le dirigeant religieux rfugi aux Etats-Unis
FethullahGlen. Cesmesures ont provoqu
de fortes protestations de lUnion euro-
penne et des Etats-Unis, ainsi que des
associations de journalistes et dditeurs
turcs. M. Glen, qui fut un proche alli de
M. Erdogan, est tomb en disgrce depuis
que des membres de sa confrrie ont
divulgu, en dcembre 2013, des faits de
corruption impliquant des personnalits
importantes de lAKP, y compris desminis-
tres et leurs enfants. M. Erdogan a affirm
quil renverser[ait] ce rseau de trahison
et lamner[ait] rendre des comptes (3).
Zro problme avec les voisins, tel tait lobjectif de la
politique trangre du Parti de la justice et du dveloppe-
ment (AKP). Mais les printemps arabes ont boulevers
la donne rgionale, et la Turquie se trouve dsormais en
froid avec la Syrie, lArabie saoudite, lIran et lEgypte.
Alors que le rgime connat une drive autoritaire, le choix
de la solitude dans la dignit constitue-t-il une option ?
PAR NOTRE ENVOYE SPCIALE
WENDY KRISTIANASEN *
JANVIER 2015 LE MONDE diplomatique
UMUT GZ. Sous une fentre dIstanbul, 2007
* Journalistes.
(1) http://ovipot.hypotheses.org
(2) Unicef, Analysis of the situation of children and young people
in Turkey 2012, Ankara, 2013.
(3) Elle est notamment coauteure de Buuk, ralis en 2010.
a permis de ramener lislam dans lespace public,
analyse Jean Marcou, chercheur lObservatoire
de la vie politique turque (1). Ils veulent pouvoir
afcher le sunnisme hanate, bien quil soit archi-
majoritaire, comme safchent les Kurdes, les alvis,
les Armniens ou... les Roms.
La sgrgation
reste une ralit
implacable
Pendant quatre-vingts ans, les Roms sont
demeurs invisibles dans lespace politique. Tout
en conservant leurs coutumes et une vie sociale
propre, ils se sont fondus dans la rpublique btie
par Mustafa Kemal Atatrk. Ils effectuent leur
service militaire, pratiquent la mme religion que
la majorit, parlent la mme langue et vouent le
mme culte Atatrk.
Il ne faut pourtant pas sy mprendre. Comme
ailleurs sur le continent, les Roms et les minorits
linguistiques aux racines proches (Doms, Loms)
font gure de rejets : chmage lev, dcit
daccs aux soins, logement indigne. La dscola-
risation des enfants est leve. Beaucoup, lles
comme garons, sont incits travailler ou se
marier ds ladolescence (2). La sgrgation reste
une ralit implacable, mme si les violences cibles
sont plus rares que dans dautres pays.
A Kustepe, les jeunes sont happs par le
bonsa , une drogue de synthse bon march
apparue en 2010 et qui provoque une forte dpen-
dance. Avec une petite association de lutte contre
les discriminations et pour lducation (Egkam)
cre rcemment, M. Turnali tente de briser la
spirale de la pauvret en aidant les familles du
quartier ne pas dscolariser leurs enfants. Depuis
2010, des petites structures de ce type fourmillent
et, avec elles, une nouvelle gnration de porte-
parole, diplms et politiss, merge. Nous
sommes trs peu avoir t luniversit, raconte-
t-il. Aujourdhui je suis devenu une sorte de
modle.
Ralisatrice de documentaires (3) originaire
dIstanbul, Elmas Arus, la trentaine, a fond lasso-
ciation Zro discrimination en 2010. En mars de
la mme anne, elle a pris publiquement la parole
lors du meeting organis par M. Erdogan. Mais
son engagement na pas t compris dans sa
famille : Ma mre disait que je devrais avoir honte
de mintresser encore ces questions alors que
jai une bonne situation. Elle nest pas fire dtre
rom. Elle a oubli son histoire et sa langue.
Rveiller lidentit rom fut une opration politi-
quement indolore pour M. Erdogan. Contrairement
aux Kurdes, ils nont aucune revendication dauto-
nomie. Ils nourrissent peu de solidarit avec les
Roms dEurope, dont ils ne partagent ni la longue
histoire de perscution, ni la religion, ni certains
traits de vie culturelle. Erdogan les a traits
du droit turc. Il supprime lanne suivante une loi
(inapplique) qui permettait encore au ministre
de lintrieur dexpulser des Roms sans tat civil
ou considrs comme non affilis la culture
turque . Le 14 mars 2010, devant quinze mille
Roms de tout le pays runis dans un stade
dIstanbul, il prononce un hommage vibrant et
demande pardon, au nom de lEtat , pour les
mauvais traitements et les discriminations subies.
Mme les Turcs non roms ont commenc utiliser
un langage plus prudent , observe M. Metin Salih
Sentrk, prsident de lassociation des vendeurs
de fleurs et autre figure de Kustepe. Cest une
rvolution ! , insiste M. Filyas.
Lopration nest pas dnue darrire-penses
politiques. Elle a servi de gage pour lUnion euro-
penne, qui attend des avances sur la question
desminorits. Elle accompagne un net changement
de doctrine au sommet de lEtat, depuis larrive au
pouvoir du Parti de la justice et du dveloppement
(AKP), conservateur. Recep Tayyip Erdogan et lAKP
ont toujours fait montre dune certaine ouverture par
rapport aux identits distinctes en Turquie. Cela leur
Un ancrage ancien
L
A Turquie compte deux millions sept
cent mille Roms (soit 3,6 % de la
population), selon une estimation du Conseil
de lEurope. Cest de loin la plus importante
communaut rom du continent. Sdentaires
et urbains pour la plupart, ils vivent essen-
tiellement dans les grandes villes de louest
du pays et sont musulmans. Leur installation
est atteste depuis le XVII
e
sicle, mais des
textes byzantins dcrivent dj au IX
e
sicle
des groupes nomades pratiquant la voyance
ou la magie, venus dAsie mineure ou
dEgypte et dsigns comme Egyptiens
(ce qui donnera langlais Gypsies) ou
Romiti (ls de ceux qui gouvernent Rome).
Sous le rgne ottoman, leurs activits de
marchands, parfois prospres, dartistes ou
de soldats en rent une communaut certes
marginalise, mais respecte. Au cours du
XX
e
sicle, ils furent surveills avec plus de
suspicion. Pousss lassimilation, ils font
aussi lobjet dune sgrgation urbaine
organise par lEtat (1).
M. C. ET E. M.
(1) Cf. Adrian Marsh, A brief history of Gypsies in
Turkey, dans We are here! Discriminatory exclusion
and struggle for rights of Roma in Turkey (collectif),
Edirne RomanDernegi - EuropeanRomaRights Centre -
Helsinki CitizensAssembly, Istanbul, avril 2008.
LA position de laTu