le monde diplomatique et le conflit israélo-arabe de 2000 à 2006 … · 2006. 11. 21. ·...

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Mémoire de Master 2 recherche en Sociologie du politique Sous la direction de M. Paul Zawadzki __________________________ « Pas si diplomatique que ça » * Le Monde diplomatique et le conflit israélo-arabe de 2000 à 2006 : une tentative d’analyse et d’interprétation Benjamin Weil __________________________ Université la Sorbonne – Paris I Septembre 2006

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Page 1: Le Monde diplomatique et le conflit israélo-arabe de 2000 à 2006 … · 2006. 11. 21. · Considérant que le Monde diplomatique se veut incarner « un journal engagé au service

Mémoire de Master 2 recherche en Sociologie du politique Sous la direction de M. Paul Zawadzki

__________________________

« Pas si diplomatique que ça »*

Le Monde diplomatique et le conflit

israélo-arabe de 2000 à 2006 : une

tentative d’analyse et d’interprétation

Benjamin Weil

__________________________

Université la Sorbonne – Paris I Septembre 2006

Page 2: Le Monde diplomatique et le conflit israélo-arabe de 2000 à 2006 … · 2006. 11. 21. · Considérant que le Monde diplomatique se veut incarner « un journal engagé au service

L'université n'entend donner aucune approbation ou improbation aux

opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées

comme propres à leur auteur.

Résumé/Abstract

« Ne rouler pour personne », naviguer à « contre-courant » ou encore fustiger une

certaine « pensée unique » : le Monde diplomatique veut insuffler dans ses feuillets mensuels

l’éther d’un « journalisme d’irrévérence », « engagé au service d’une information

scrupuleuse ». Le journal incarnerait alors une certaine forme de subversion, particulièrement

volubile sur certains thèmes-phares. Mais c’est peut-être davantage le conflit israélo-arabe,

cette « cause chère au cœur de toutes et tous », selon les mots de Dominique Vidal, qui

semble constituer le fil rouge de la « pensée critique » du « Diplo ». Rivalité opposant deux

légitimités nationales, celle-ci invite alors à la pondération, et apparaît à ce titre comme un

étalon de choix à l’aune duquel la rigueur et l’indépendance proclamées par le mensuel

peuvent être passées au crible. Et de permettre en retour d’accéder à une meilleure

intelligence des catégories de pensée qui imbibent le papier recyclé du Monde diplomatique,

symbole d’une certaine forme d’engagement intellectuel.

Les prolégomènes de ce travail visent à familiariser le lecteur au journal. Les parties

suivantes combinent une analyse de contenu thématique et sémantique de l’ensemble des

documents concernant le conflit proche-oriental et publiés dans le mensuel de novembre 2000

à février 2006. La deuxième scansion permettra de mettre en lumière ce qui s’apparente être

le « cachet » du Monde diplomatique : l’application d’une grille de lecture coloniale au conflit

israélo-arabe. Il s’agit ensuite d’interroger et de déconstruire les catégories de représentation

employées par le mensuel, dans une optique heuristique, avant de tenter de cerner différents

facteurs susceptibles d’éclairer ces positionnements. Enfin, à la lumière de nos analyses, nous

verrons plus largement dans quelle mesure la publication et ses rédacteurs peuvent

s’apparenter ou non à la figure sartrienne de « l’intellectuel engagé ». Celle-ci est en effet

revendiquée par le mensuel contempteur d’une certaine langue de bois. « Pas si diplomatique

que ça », nous met d’ailleurs en garde le slogan marketing du journal.

* Pour paraphraser le slogan marketing du mensuel.

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Remerciements

Je tiens à exprimer ma gratitude envers M. Paul Zawadzki pour avoir

accepté de diriger ce travail, inspiré ma démarche, et su faire preuve de patience,

de disponibilité et de gentillesse. Je sais également gré à ma famille et mon

entourage de m’avoir soutenu tout au long de ces recherches.

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Avant-propos

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Un titre imposant Rarement publication ne laisse si peu indifférent celui qui en déplie le papier rêche.

Ses interventions et articles, souvent chargés de soude caustique, suscitent des réactions

pouvant osciller entre l’enthousiasme approbateur et la franche hostilité, en passant par

l’inimitié désinvolte. Mastodonte de la presse mensuelle, et citadelle d’une certaine forme de

subversion, le Monde diplomatique étend son bras jusqu’au sein d’un milieu universitaire

avec lequel il entretient une relation spécifique, et bénéficie en outre de l’aura contestataire du

« journal de contre-information »1 revendiquant « le devoir d’irrespect »2, et « ne redoutant

pas d’être à contre-courant »3, selon ses propre termes. Il est alors bien malaisé de le glisser

sous le tapis et de l’ignorer.

Pour la grande majorité de ses lecteurs, il demeurerait en outre un organe

d’information et de réflexion insoupçonnable4, capable de « prendre du recul et [de]

considérer sous un autre angle les problématiques contemporaines »5. Se voulant « ne roule[r]

pour personne », il apparaîtrait indépendant vis-à-vis d’une certaine « pensée unique », terme

apparu d’ailleurs pour la première fois dans ses colonnes. Aux dires de ses journalistes, il lutte

pour la défense des peuples opprimés, des pauvres et des laissés-pour-compte, dont il salue la

« résistance »6. Il ambitionne de se donner une image à la fois d’indépendance, de rigueur et

de militantisme7, renforcée en cela par une mise en page laissant la place à un texte abondant

et se voulant relativement austère.

Se positionnant comme « résolument à part dans un paysage médiatique de plus en

plus uniforme, Le Monde diplomatique conjugue[rait] une large ouverture sur les questions 1 Anonyme, « Qu’est ce que le Monde diplomatique ? », page abonnement du site Internet du mensuel : http://www.monde-diplomatique.fr/abo/diplo. 2 Ignacio Ramonet, « Claude Julien, un engagement et une éthique. Le devoir d’irrespect », Le Monde diplomatique, juin 2005. 3 Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », Aarhus, 27 février 2004. Article disponible sur : http://www.djh.dk/StudiePDF/Intvidalfran.pdf. 4 « Il va de soi qu’un nombre non négligeable de nos lecteurs ne partagent pas la ligne éditoriale du journal. Pourquoi continuent-ils à nous lire!? Parce qu’indépendamment de l’orientation politique, ils considèrent les informations et les analyses que nous proposons comme fiables. D’accord ou non avec nous, ils peuvent nous faire confiance ». Dominique Vidal, op. cit. 5 Site Internet du mensuel. 6 Le vocable, nous le verrons infra, est particulièrement apprécié des rédacteurs et contributeurs du mensuel. Voir notamment l’article de Dominique Vidal sur la fête du cinquantenaire du mensuel : Dominique Vidal, « Cinquante voix de la résistance », Le Monde diplomatique, juin 2004, p. 29. 7 Dominique Vidal définit en ces termes la position proclamée par le journal : « loin du matraquage médiatique, le mensuel affirme une ligne éditoriale farouchement indépendante, qui conjugue esprit critique dans l’approche des sujets et rigueur dans le traitement, ne redoutant pas d’être à contre-courant et cultivant le « devoir d’irrespect ». Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit.

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internationales avec une vision critique de ce qui reste le plus souvent dans l’« angle mort »

de la presse »8. Le mensuel incarnerait ainsi un nécessaire contrepoids à des médias

convergeant vers cette « pensée unique » et son corollaire de « désinformation » dont la

dénonciation constitue une image de marque du journal.

Son aura reste peut être inégalée dans certains milieux, où il constitue à la fois un

« mensuel de référence »9 dans une certaine frange du milieu universitaire qui en apprécie le

format, ainsi qu’au sein de structures militantes « altermondialistes » où les débats et les

assemblées générales sont souvent saupoudrées d’allusions aux articles du « Diplo » -terme

traduisant la familiarité émotionnelle vis-à-vis d’un titre cristallisant ainsi des velléités

contestataires.

Nombre d’intellectuels, de journalistes, de chercheurs se réjouiraient pour un article

publié dans le mensuel, gage de notoriété au vu de son tirage flatteur, voire sésame vers la

reconnaissance d’une certaine autorité sur un sujet donné, puisque le mensuel fait notamment

parfois appel à des « spécialistes »10.

Rarement une publication n’aura également joui d’un tel monopole11 dans le champ de

la presse dite « engagée ». En terme de format notamment, le Monde diplomatique n’a en

effet aucun concurrent sérieux et comparable avec qui battre le fer. Cette réalité en revient

ipso facto à engendrer une situation pour le moins cocasse : héraut d’une certaine « pensée

critique »12 et d’un « journalisme irrévérencieux »13, il est le seul acteur à finalement

s’engouffrer dans la mêlée de la « bataille des idées »14 sans risquer d’y laisser des plumes.

Cet état de fait est renforcé par le fait que peu d’études ont été consacrées à

l’élaboration d’une analyse critique sur la « vision du monde » portée par le mensuel. 8 Ainsi que le mensuel se présente sur son site Internet. 9 Selon les termes employés sur le site Internet du Monde diplomatique. 10 Dominique Vidal, op. cit. 11 Maxime Szczepanski-Huillery rappelle ainsi que « le Monde diplomatique n’a aucun concurrent direct, quels que soient les critères choisis : rythme de parution, contenu, format, lectorat visé... ». Voir également plus loin, chapitre 1. Maxime Szczepanski-Huillery, « Les usages militants de la lecture et de l’écriture. L’exemple du Monde diplomatique », Colloque « Les mobilisations altermondialistes » de l’AFPS, 3-5 décembre 2003, disponible sur : http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/germm/collgermm03txt/germm03szczepanski.pdf. 12 Dominique Vidal, op. cit. 13 Ignacio Ramonet, « Claude Julien, un engagement et une éthique. Le devoir d’irrespect », op. cit. 14 Ignacio Ramonet, José Vidal-Beneyto, « Rejoignez les Amis, aux côtés du Diplo, dans le combat des idées », 31 décembre 2004, site Internet des Amis du Monde diplomatique : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article.php3?id_article=325.

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Considérant que le Monde diplomatique se veut incarner « un journal engagé au service d’une

information scrupuleuse »15 contre une certaine « pensée unique », toute analyse visant une

déconstruction des catégories de pensée du Monde diplomatique effectuée dans ce même

esprit peut ainsi s’interpréter comme un hommage au mensuel.

Le conflit israélo-arabe nous fournira notre corps de recherche. Le choix de celui-ci

comme étalon de mesure n’est pas fortuit : cette belligérance se voit attribuer de bonnes

feuilles par le mensuel qui en fait un de ses chevaux de bataille caractéristiques.

« Au cœur de toutes et tous » : la centralité du conflit israélo-arabe dans le « Diplo » C’est d’ailleurs sur cette « cause chère au cœur de toutes et tous »16 que les festivités

célébrant en 2004 les cinquante ans du Monde diplomatique s’achevaient. La place

prépondérante occupée par le conflit israélo-arabe dans les colonnes du mensuel ne s’est

jamais démentie, ni dans les mots ni dans les faits. Le recours au moteur de recherche inclus

dans le cd-rom du « Diplo » ainsi que celui du site Internet semble confirmer dans un sens

quantitatif cette impression : on constate que le nombre d’entrées par critère pays place Israël

et/ou la Palestine en troisième position après les Etats-Unis (1er) et la France (2ème) 17, tandis

que le « conflit israélo-arabe » ou « conflit du Proche-Orient » devance quasi-

systématiquement toutes les autres belligérances interétatiques et infra-étatiques traitées par le

mensuel18. Parmi les ouvrages publiés par le Monde diplomatique ou par des collaborateurs au

mensuel, une portion significative concerne le conflit proche-oriental19 et l’ensemble

15 « Qu’est ce que le Monde diplomatique ? », op. cit. 16 Dominique Vidal, « Cinquante voix de la résistance », op. cit., p. 29. 17 A titre indicatif, l’édition 2004 du Cd-rom couvrant l’ensemble des contributions du mensuel entre 1978 et fin 2004 présentait pour chaque tranche de plusieurs années cette même régularité de traitement, avec un accroissement de la place occupée par le conflit israélo-arabe au fil des années et surtout depuis l’an 2000. Pour rester au sein de notre période étudiée, on constate qu’entre octobre 2000 et fin 2004, 252 contributions concernent les Etats-Unis, 217 la France et 186 l’ensemble Israël/Palestine. L’Amérique latine, pourtant autre sujet de prédilection du « Diplo », ne fait l’objet que de 66 contributions sur cette même période. 18 Quelques comparaisons peuvent en effet illustrer l’importance au moins quantitative accordée au conflit israélo-palestinien dans le mensuel. Ainsi, le conflit tchétchène déclenché en 1999 s’est vu attribuer entre 1999 et fin 2005 17 contributions (trois en 1999 et 14 autres sur les cinq années suivantes) contre plus de 250 contributions concernant Israël et la Palestine sur la même période. Le Rwanda, qui a connut un génocide en 1994 s’est vu attribuer 16 contributions cette même année, contre 19 sur l’ensemble Israël/Palestine. Le Congo (Kinshasa et Brazzaville) n’attire le regard des rédacteurs du « Diplo » qu’à huit reprises en 1999, année où y a pourtant court également un génocide, tandis que 20 contributions sont consacrées à l’ensemble Israël/Palestine. Seul le traitement du conflit en Iraq durant l’année 2003 semble faire exception et voler la vedette au conflit israélo-arabe (peut-être parce qu’il implique les Etats-Unis, inspirateurs de la plupart des articles du « Diplo »), avec 54 contributions sur l’année 2003 pour 44 documents concernant Israël et la Palestine cette même année. 19 Par commodité l’expression de « conflit proche-oriental » désignera uniquement dans le présent travail le conflit israélo-arabe, que nous confondrons par ailleurs avec l’expression de « conflit israélo-palestinien ». Il ne s’agit pas cependant d’occulter l’existence d’autres belligérances « périphériques » (Conflit au Kurdistan, rivalités syro-turque sur les Alexandrettes, etc…).

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Israël/Palestine20. Les évènements au Proche-Orient font également les gorges chaudes des

intervenants lors des conférences des Amis du Monde diplomatique21 qui accordent une place

privilégiée au problème israélo-palestinien22. Le site Internet de l’organisation baptise comme

associations « Amies » de nombreux mouvements et groupements connus pour leur

engagement en faveur des Palestiniens23. L’assemblée générale 2006 des « Amis » dédiée à la

promotion du mensuel a d’ailleurs réservé une place de choix à la Palestine déclinée sur

plusieurs stands proposant différents « produits palestiniens »24. De nombreuses rubriques du

mensuel ou de son site Internet renvoient par ailleurs à des revues ou à d’autres sites dédiés au

conflit israélo-palestinien.

Cette centralité du Proche-Orient est à relier à l’influence exercée par Dominique

Vidal et Alain Gresh –« spécialistes » du conflit israélo-arabe et des affaires proche-orientales

au sein du journal- dans l’épopée du mensuel, tous deux partageant un engagement personnel

vis-à-vis de la question israélo-palestinienne.

Une telle importance du conflit israélo-arabe dans la personnalité du journal laisse

donc se glisser la question de son traitement en termes qualitatifs. Son intelligence pourrait

notamment permettre en retour de tenter de décrire un certain état d’esprit régnant dans les

colonnes du mensuel ainsi que dans les milieux militants vivotant autour du journal, nous

conduisant ainsi à une perception affinée du Monde diplomatique.

Population étudiée L’échantillon étudié inclura l’ensemble des contributions (articles, reportages, notes de

lecture, courrier des lecteurs, encadrés, etc.) publiées dans les exemplaires papiers du Monde

diplomatique de novembre 2000 à février 2006. L’application de cette analyse sur une période

longue et récente permet ainsi de retranscrire un faisceau de tendances que nous poserons

20 Sur les quatre ouvrages publiés directement par le Monde diplomatique, deux concernent le conflit israélo-palestinien. La porte du soleil d’Elias Khoury (Arles, Editions Actes Sud/Le Monde diplomatique, 628 pages) évoque par le biais d’une vision romancée l’exil et l’exode du peuple palestinien. Israël, Palestine d’Alain Gresh (Paris, Editions Fayard, 200 pages) se veut comme un guide explicatif du conflit israélo-palestinien mêlé d’éléments autobiographiques de l’auteur. Les collaborateurs du Monde diplomatique publient également des ouvrages bénéficiant largement de la publicité du mensuel et de son site Internet, le dernier opus concernant directement le conflit israélo-palestinien retranscrit des entretiens cordiaux entre Leïla Shahid, Michel Warschawski et Dominique Vidal sous la plume de la collaboratrice au mensuel Isabelle Avran (Les banlieues, le Proche-Orient et nous, Paris, éditions de l’Atelier, 2006). 21 Concernant les « Amis du Monde diplomatique », voir la partie idoine plus bas. 22 Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 23 Notamment l’AFPS, « Agir pour la Palestine », ou encore « France-Palestine solidarité ». 24 Daniel Junqua, « L’assemblée générale à Saint-Denis », site Internet des Amis du Monde diplomatique, 1er juin 2006 (www.amis.monde-diplomatique.fr/article.php3?id_article=1270).

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comme représentatives des opinions du mensuel. La période étudiée correspond à la séquence

coïncidant avec le déclenchement de la nouvelle Intifada, pour lequel le candidat à la

présidence du Likoud d’alors Ariel Sharon semble tenu responsable par de nombreuses

contributions du mensuel. Notre échantillon s’achève avec le début du coma de celui-ci,

devenu entre temps premier ministre25, marquant la fin de sa vie politique ainsi que plus

symboliquement la fin d’une époque. Incarnant ce que le Monde diplomatique évoque comme

la « provocation » de l’esplanade des Mosquées ou du mont du Temple26, l’ancien premier

ministre d’Israël cristallise ainsi en sa personne la responsabilité souvent attribuée à Israël

(par nombre d’articles du Monde diplomatique) dans les évènements meurtriers des cinq

dernières années. Ces cinq années de contributions correspondent ainsi en quelque sorte à un

« cycle », une boucle, ce qui permet de considérer que l’ensemble des documents étudiés sur

la période inclut un ensemble de points de vue comptables pour être représentatifs d’une

« ligne éditoriale » du mensuel qui reste cependant encore à définir.

Les prolégomènes de ce travail viseront à familiariser le lecteur au journal. Les parties

suivantes combineront une analyse de contenu thématique et sémantique de l’ensemble des

documents concernant le conflit proche-oriental et publiés dans le mensuel de novembre 2000

à février 2006. La deuxième scansion permettra plus précisément de mettre en lumière ce qui

s’apparente être le « cachet » du Monde diplomatique, sa « vision du monde » : l’application

d’une grille de lecture coloniale au conflit israélo-arabe. Cette « manière de voir »27 propre au

mensuel fera ensuite l’objet d’une étude visant à interroger et déconstruire les catégories de

représentation employées celui-ci, dans une optique heuristique.

25 On considère généralement que la deuxième Intifada se déclenche le 28 septembre 2000, suite à la visite d’Ariel Sharon, alors disputant la tête du Likoud à son rival Binyamin Netanyahou. En raison notamment du caractère mensuel du journal, les évènements n’ont commencé à se répercuter dans le Monde diplomatique qu’à partir du numéro de novembre 2000. La même remarque tient lieu pour le coma de l’ex premier-ministre israélien et dont la mesure n’est pleinement prise que dès le numéro de février 2006. 26 Nous voyons déjà ici que le choix des termes est toujours délicat car il comporte bien souvent des indications idéologiques sous-jacentes. Désigner le lieu saint en question uniquement sous le terme d’esplanade des Mosquées (troisième lieu saint de l’islam après la Mecque et Médine) revient à en souligner le caractère islamique, tandis que le désigner sous l’expression de mont du Temple (incluant le mur occidental d’enceinte également appelé « Mur des Lamentations », et premier lieu saint du judaïsme) revient à en préciser son historicité et sa sainteté pour les fidèles du judaïsme. Le fait d’omettre –comme cela est parfois le cas dans certains articles de la presse quotidienne ou même du Monde diplomatique- un de ces deux aspects revient à conférer sur ce lieu en question le monopole de la sainteté à une seule religion exclusive, ce qui ne peut que rendre obscure la situation de rivalité politique (conflit de souveraineté) autour de ce lieu saint. Nous reviendrons plus loin, à l’aide d’un tableau, sur le traitement de cet aspect par le mensuel. 27 C’est d’ailleurs le titre de la publication bi-annuelle du Monde diplomatique, reprenant par thème certaines de ses contributions. Voir également le chapitre 1.

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Enfin nous nous efforcerons de déceler les principaux déterminants de ces

positionnements du journal. Plus fondamentalement, à la lumière de nos travaux, il s’agira

enfin de mener une réflexion sur les rôle et fonction éventuels de « l’intellectuel engagé »,

concept qui semble constituer une référence d’identification des collaborateurs et rédacteurs

du journal.

Un « conflit de légitimités » Enfin, dans une optique de probité intellectuelle, il nous faut signaler que ce travail

part d’un présupposé28 : nous considérons que la rivalité israélo-arabe, qui oppose deux

mouvements nationaux également recevables, s’apparente en ce sens à un « choc de

légitimités » 29 plutôt qu’à une situation devant aboutir à l’écrasement total d’un de ses

acteurs. Nous considérerons donc le droit à l’existence et l’autodétermination des peuples

israéliens et palestiniens par le biais d’une existence étatique respective comme relevant du

bon sens.

Cela impliquera pour nous plus précisément le droit incontestable à l’existence des

Etats30 israéliens et palestiniens au sein de frontières à négocier entre les parties31. En outre,

tout comme la « francité » de la France ainsi que le choix propre de son autodéfinition (usage

de la langue française, prépondérance de la tradition catholique dans le calendrier de ce qui

n’en demeure pas moins un Etat se définissant comme « laïc », etc.) ne sauraient souffrir

d’une remise en cause provenant de l’extérieur, nous appliquerons la même règle à nos

28 Préjugé volontaire qui se distingue du jugement, pour reprendre l’idée de Hannah Arendt dans « Introduction à la politique I » in Qu’est-ce que la politique, Paris, Seuil, 1995, 208 pages, pp. 45-61, p.51. Ce « présupposé » postulant le « conflit de légitimités », intégré dans notre réflexion, constituera d’ailleurs la dimension « relativiste » de notre recherche. Celle-ci se voulant cependant affranchie des écueils du tout « objectiviste » ou du tout « subjectiviste », nous refuseront ainsi d’engager notre esquif dans les eaux troubles de ces deux dogmatismes épistémologiques. Le premier posant de façon absolue l’infaillibilité du chercheur, le second stipulant l’incapacité irrévocable de celui-ci à départir ses travaux de ses propres catégories subjectives. Ainsi, dans une approche mêlant ambition « positiviste » et réalisme « relativiste », il s’agira pour nous de délimiter notre démarche méthodologique dans le cadre d’une certaine objectivité universitaire. Les informations et affirmations contenues dans ce présent travail se veulent à ce titre argumentées et vérifiables, notamment par le recours à des références précises –ce sera le pendant « positiviste » de notre réflexion, venant s’ajouter au caractère « relativiste » limité introduit par notre « présupposé ». 29 L’historien Elie Barnavi parle notamment de « choc des légitimités israéliennes et palestiniennes ». In Marie-Laure Germon & Alexis Lacroix, « Elie Barnavi : « La vérité d’Ariel Sharon est un solide pessimisme » », Le Figaro, 13 janvier 2005. Le philosophe Pierre André-Taguieff évoque lui aussi un « conflit de légitimités » israéliennes et palestiniennes. Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, Paris, Mille et Une Nuits, 2002, 234 pages, p. 220 (note de bas de page). 30 Au cours de ce présent travail, nous choisirons de définir le terme « Etat » en tant qu’« autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire » (Article « sociologie de l’Etat » p.195-196 André Akoun & Pierre Ansart (dir.), Dictionnaire de Sociologie, Paris, Le Robert, Seuil, 590 pages). 31 Sur la base notamment des lignes de cessez le feu ayant prévalues de 1949 à 1967, incluant une partition de Jérusalem à négocier entre les deux entités souveraines, comme le stipulent différents projets de règlement du conflit.

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protagonistes. Ainsi, l’Etat d’Israël doit pouvoir, à l’instar de toute entité souveraine, être libre

de définir son propre caractère comme il l’entend (Etat se voulant « laïc », cadencé par le

calendrier juif, la langue hébraïque, etc.), tout comme l’Etat palestinien à venir (Etat « laïc »

ou « islamique », rythmé par le calendrier musulman, la langue arabe, etc.).

De par son caractère volontiers complexe et malaisément réductible à un schéma

manichéen, le conflit israélo-arabe invite d’ailleurs peut-être plus que tout autre belligérance à

la pondération et à une réflexion critique constante, pour qui souhaite en saisir les tenants et

les aboutissants. Objet de méconnaissance et de fantasmes, notamment de par sa surexposition

médiatique, il apparaît à ce titre comme une jauge de choix à l’aune de laquelle la rigueur

proclamée par le mensuel peut être passée au crible.

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Chapitre 1 : Prolégomènes : genèse et portrait du mensuel, éléments méthodologiques

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1) Le Monde diplomatique en perspective : genèse et portrait d’un mensuel

A) Sorti des côtes du Monde : l’« organe des cercles diplomatiques et des grandes

organisations internationales »

Dans l’orbite du Monde : l’impulsion de la personnalité d’Hubert Beuve-Méry

1954-2004 : le jubilé symbolique était l’occasion pour la rédaction du Monde

diplomatique de célébrer 50 années qui ont métamorphosé le maigre supplément mensuel et

dépendant de son géniteur Le Monde, en un journal revendiquant le caractère « farouchement

indépendant » de sa ligne éditoriale32, et pouvant se prévaloir début 2006 d’un tirage papier

flatteur atteignant près de 300 000 unités rien que pour l’édition en français33.

L’appellation du mensuel laisse supposer une attache historique univoque au quotidien

Le Monde, dont les premiers exemplaires sortent des rotatives le 11 novembre 194434. La

France entrevoit alors l’issue d’un conflit mondial qui a largement entamé son aura sur la

scène internationale. C’est l’époque d’un Charles de Gaulle aux tirades flamboyantes. Le

grisant général souhaite « voir naître un quotidien de qualité, fer de lance du rayonnement

culturel et politique français »35 et contacte alors Hubert Beuve-Méry qui relève le gant. Le

quotidien de la rue des Italiens se veut cependant à la fois austère et indépendant, et destiné

prioritairement aux élites politiques36. Sa pagination limitée –voulue par son fondateur, afin

de permettre au lecteur de le parcourir entièrement- rend de plus en plus difficile le traitement

de l’actualité internationale dans ses colonnes, alors que les années 1950 voient l’émergence

d’une actualité internationale débordante. C’est ainsi qu’en 1954 un mensuel dédié en entier

aux questions de politique extérieure est créé par Le Monde.

Pour la petite histoire, le Monde diplomatique renvoie au vocable de « diplomatie »,

« science et pratique des relations politiques entre les États, et particulièrement de la

32 Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 33 « Qui sommes-nous ? », page du site Internet du Monde diplomatique : http://www.monde-diplomatique.fr/diplo/apropos/. A titre indicatif, et pour être plus précis, le Monde diplomatique du mois de juin 2006 a été tiré à 272 500 exemplaires (source : le Monde diplomatique du mois de juillet 2006, p.28). 34 Ignacio Ramonet, « Cinquante ans », Manière de voir, avril-mai 2004, pp. 6 & 7. 35 Ibidem. 36 Ibidem.

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représentation des intérêts d'un pays à l'étranger »37 et « dont la racine « diplôme » fait

référence aux lettres de créance qui accréditent le représentant d’un Etat auprès des autorités

d’un autre. Ce mot vient du grec « diploma », qui veut dire « plié en deux »...comme un

journal »38.

Le mensuel de huit pages, tiré à 5000 exemplaires et sous-titré « organe des cercles

diplomatiques et des grandes organisations internationales »39, est à l’origine destiné au

personnel des ambassades, et épouse d’abord fidèlement la ligne éditoriale du Monde, lui-

même imprégné dans le domaine international des positions de son directeur nourrissant un

« culte de la francophonie érigée en espace « neutre » face aux blocs américain et

soviétique »40 ainsi qu’un « anticommunisme constant pondéré par un sévère

antiatlantisme... »41. C’est dans ce contexte d’affrontement Est-Ouest que le mensuel cherche

ses marques, et en vient à développer son orientation volontiers « tiers-mondiste »42,

perceptible par sa proximité avec le Mouvement des non-alignés dans le sillage de la

conférence de Bandung, ainsi que par son intérêt pour les problèmes touchant les peuples

d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine43.

Le quotidien et le mensuel : chronique d’un divorce à l’amiable

La mise en coupe du mensuel par le quotidien va se relâcher à partir de 1973, année où

Claude Julien est nominé à la tête de la rédaction du mensuel désormais diffusé à 50 000

exemplaires44. L’ancien collaborateur du Monde quotidien va insuffler au Monde

diplomatique une ligne éditoriale davantage « progressiste »45. Ce virage éditorial

37 Définition proposée pour l’entrée « diplomatie » dans le dictionnaire en ligne gratuit ATILF, disponible sur le site http://atilf.atilf.fr/. 38 Ignacio Ramonet, « Cinquante ans », op. cit. 39 « Qu’est ce que le Monde diplomatique ? », op. cit. Olivier Costemalle définira même le Monde diplomatique de cette époque comme « voix du quai d’Orsay ». Olivier Costemalle, « Le maître d’un monde », Libération, lundi 27 mars 2000, dernière page. 40 Ignacio Ramonet, « Cinquante ans », op. cit. 41 Ibidem. 42 C'est-à-dire se proclamant solidaire du tiers-monde. Le tiers-monde peut désigner l’« ensemble des pays peu développés économiquement, généralement issus de la décolonisation », qui à l’époque de la guerre froide « n’ont rejoint ni le bloc socialiste ni le bloc capitaliste et ont cherché une troisième voie » (Patrice Maubourget (dir.), Le Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse, 1993, 1787 pages). 43 « Qu’est ce que le Monde diplomatique ? », op. cit. 44 Ibidem. 45 Le terme de « progressiste » reste malaisé à définir puisqu’il est en effet difficile de s’opposer à la notion de progrès, impliquant celle d’amélioration ou d’évolution positive d’une situation. Le dictionnaire en ligne ATILF (op. cit.) fournit un aspect historique du terme : « Mouvement politique et religieux (des années 1945) se recrutant parmi les catholiques et cherchant à intégrer au christianisme certaines conceptions du marxisme communiste ». Plus simplement, on considèrera le progressiste comme celui « qui a des idées politiques, sociales

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s’accompagne d’une transformation en profondeur du contenu et de la méthode de travail du

quotidien46. En faisant appel à des collaborateurs extérieurs au quotidien Le Monde et aux

cercles diplomatiques, le mensuel confère aux universitaires une place prépondérante au sein

du journal, tandis que ce dernier accroît son affranchissement vis-à-vis de la tutelle du

quotidien, relation de dépendance mal vécue par le mensuel et qui entraînera même des

tensions en 1980, débouchant sur la division du Monde et du Monde diplomatique en deux

entités éditoriales distinctes –quoique relativement enchevêtrées sur le plan de la gestion.

Ce changement de cap est à l’époque d’abord stratégique : faire appel à des

universitaires permet en effet de conférer un certain prestige et un gage de sérieux pour un

mensuel engagé47. Il s’agit également de recourir davantage à des correspondants étrangers,

afin d’élargir l’approche internationale du journal48. L’objectif était aussi de publier des

articles d’une certaine consistance à un coût réduit. Le fait pour le Monde diplomatique

d’accroître sa légitimité au niveau intellectuel faisait en sorte que des universitaires aient un

intérêt à publier dans le mensuel afin, d’une part, de diffuser leurs travaux et leurs idées et,

d’autre part, d’accéder à une certaine notoriété49.

Concernant les visées sécessionnistes du mensuel, si celles-ci sont relativement

atteintes sur le plan éditorial à partir des années 1980, et notamment suite à la convention

conclue entre les directeurs des deux publications en 198950, le Monde diplomatique reste la

parcelle d’une entreprise : le Monde SARL, duquel il s’affranchit en 1996 par le procédé de la

« filialisation » 51 : Le Monde SA consentit à céder 49 % du capital de la nouvelle société

filialisée - Le Monde diplomatique SA - à deux autres actionnaires, l’association Gunter

Holzmann (qui rassemble les personnels du Diplo) et l’association des Amis du Monde

diplomatique52. Bien que Le Monde reste détenteur des 51% restant, une certaine

avancées » (Le Petit Larousse Illustré, op. cit), par opposition au « conservateur », adhérent à « l’état d’esprit, tendance de ceux qui sont hostiles aux innovations politiques et sociales » (Le Petit Larousse Illustré, op. cit.). 46 C’est d’ailleurs à cette période que le mensuel prend la forme et le contenu idéologique qu’on lui connaît aujourd’hui. Ceci explique d’ailleurs que le Cd-rom d’archive réédité chaque année par le mensuel ne commence qu’à partir de l’année 1978, sorte d’an zéro et date où le changement de cap éditorial ainsi que la modification du format (plus prolixe et d’allure plus austère) des contributions sont répercutés dans les colonnes du mensuel. 47 Nicolas Harvey, « Le Monde diplomatique : Au carrefour des champs journalistique, intellectuel et militant », Groupe de travail sur l’évolution des formes d’engagement public, Université de Rennes 1, 30 avril 2005. L’article est disponible sur http://absp.spri.ucl.ac.be/documents/TexteNicolasHarvey.doc. 48 Ibidem 49 Nicolas Harvey, op. cit. 50 Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 51 « Qu’est ce que le Monde diplomatique ? », op. cit. 52 Ignacio Ramonet, « Cinquante ans », op. cit.

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indépendance juridique du mensuel semble à priori garantie puisque, selon le droit français, il

suffit de détenir 33% des actions d’une société anonyme pour bloquer toute modification de

ses statuts, ces derniers prévoyant la pleine souveraineté du mensuel en termes de ligne

éditoriale53.

Un succès singulier depuis deux décennies

Entretenant un certain culte autour de son fondateur Hubert Beuve-Méry, objet de

toute la gratitude posthume de sa progéniture, le Monde diplomatique s’affiche dans la même

veine sur son site Internet comme « héritier d’une histoire prestigieuse »54. Fort d’un tirage

papier avantageux pour l’édition française, à laquelle viennent s’ajouter près de 1,9 millions

d’exemplaires si l’on inclut ses 30 éditions imprimées en langue étrangère55, le mensuel

voulant jouer le rôle de « journal de référence » afin d’aider à « décrypter les enjeux du

monde »56 peut en effet se gargariser d’une aura certaine. D’autant que l’augmentation

régulière des ventes d’un journal imprimé et « engagé »57 tel que le Monde diplomatique, dont

la diffusion a cru progressivement au fil des deux dernières décennies58, semble aller à

l’encontre des tendances décrites par de nombreuses études sur les médias59. Ainsi, il

semblerait que « l'histoire du journalisme français au XXe siècle [puisse] s'interpréter à

travers le lent déclin de la presse d'opinion au profit de la presse dite d'information (même si

le caractère mutuellement exclusif de ces catégories mériterait sans doute d'être fortement

nuancé) »60. La filialisation du Monde diplomatique, c'est-à-dire sa séparation juridique (et

dans une moindre mesure économique) vis-à-vis du quotidien Le Monde va d’ailleurs à

l’encontre des mouvements de concentration et d’uniformisation observés dans le panorama

médiatique français et mondial.

53 Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 54 « Qui sommes-nous ? », op. cit. 55 Encadré « Nos éditions internationales », Le Monde diplomatique, juillet 2006, page 22. 56 Selon les termes employés sur le site Internet du Monde diplomatique. 57 A l’instar de Maxime Szczepanski-Huillery, nous préférerons l’expression de « presse engagée » à celles, moins unanimes, de « presse d’opinion » ou de « presse d’idée », « la notion d’engagement [ayant] cet avantage d’être reconnue comme pertinente par les acteurs eux-mêmes pour qualifier leur activité ». Maxime Szczepanski-Huillery, « Les usages militants de la lecture et de l’écriture. L’exemple du Monde diplomatique », op. cit. 58 On notera que le format ainsi que la politique éditoriale et paginaire du mensuel n’ont guère sensiblement évolué par la suite, et la nomination d’Ignacio Ramonet comme directeur du mensuel en janvier 1991 va confirmer les choix passés du mensuel. Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 59 Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 60 Cyril Lemieux, « Compte-rendu de Le Canard Enchaîné ou les fortunes de la vertu, de Laurent Martin », Réseaux, vol. 19, n°108, 2001.

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B) Un mensuel au carrefour de trois champs

Un journal ancré dans le champ universitaire et spécifique vis-à-vis du champ

journalistique

Ce succès remarquable peut s’expliquer par la particularité du format du mensuel,

ainsi que de son contenu à la croisée de trois domaines parfois cloisonnés : journalistique,

universitaire et militant. Si le Monde diplomatique est issu des côtes du quotidien Le Monde et

donc du domaine journalistique, il investit par la suite comme nous l’avons évoqué le champ61

« intellectuel » 62 à mesure qu’il se sépare de certaines normes et évolutions en vigueur dans

les médias. Ainsi, pendant que l’image gagnait du terrain autant dans la presse écrite que dans

la presse télévisée, le Monde diplomatique a maintenu dans ses pages une certaine sobriété

impliquant une iconographie relativement austère. Tandis que les articles de la presse

quotidienne tendaient à se réduire, le Monde diplomatique maintenait des articles longs. « Le

mensuel allait donc garder des caractéristiques conservatrices du journalisme pendant que ce

dernier était en pleine mutation. En y ajoutant les références et les notes de lecture, le mensuel

allait se rapprocher de la communication scientifique »63. D’autant que, depuis une vingtaine

d’année, le suivi de l’international aurait connu « un recul général – quantitatif (moins de

temps d’antenne et de colonnes) et qualitatif (moins d’approfondissement). Non seulement

journaux, radios et télévisions traitent moins l’international, mais ils le font de manière

discontinue, sensationnelle et superficielle »64. Le Monde diplomatique arriverait ainsi à

combiner « une approche en profondeur, régulière et vivante des réalités internationales »65,

grâce à son format « généreux » : « une page du Diplo représente 12000 signes (2000 mots),

une double page 27000 signes (4500 mots), et un dossier peut représenter 3, voire 4 pages ».

61 Nous proposerons la définition désormais classique du feu le sociologue Pierre Bourdieu qui définit le champ comme une sphère de la vie sociale devenue progressivement autonome à travers l'histoire, sorte de configurations de relations entre agents individuels ou collectifs. On peut, par exemple, parler de champ économique, artistique, journalistique, religieux etc. Chaque champ se caractérise par un rapport de forces entre dominants et dominés où les agents sociaux s'affrontent pour conserver ou transformer ces rapports de forces. Le sociologue détaille en long et en large sa théorie des champs dans de nombreux opus, et notamment Questions de sociologie, Paris, Les Editions de Minuit, 1984, 272 pages. 62 « L’intellectuel est cet être hybride qui, professionnellement, produit une œuvre artistique ou scientifique, et qui, en tant qu’acteur engagé dans les affaires de la Cité, se voit doter, bon gré mal gré, d’une visibilité publique l’apparentant aux stars, aux hommes politiques, aux hommes des médias. […] Les intellectuels vivent pour les idées, à travers une sorte de vocation ou d’engagement. Tandis que les professions intellectuelles vivent plutôt par les idées, ou des idées. ». Gérard Leclerc, Sociologie des intellectuels, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je?, 2003, 128 pages, pp. 8-9. 63 Nicolas Harvey, op. cit. 64 Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 65 Ibidem.

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La taille des contributions dans le Monde diplomatique offre ainsi une marge

argumentative relativement confortable aux contributeurs du mensuel, ainsi en mesure de

développer des idées plus élaborées et construites (l’existence de cette possibilité

n’impliquant cependant pas son exploitation systématique). Son caractère davantage

« intemporel » vis-à-vis de médias classiques prompts à coller à « l’actualité » est de nature à

renforcer une certaine crédibilité que les lecteurs attribuent au mensuel. Il n’est ainsi pas rare

de lire des contributions concernant des pays, situations ou problématiques largement ignorés

par les médias écrits et audiovisuels, où alors uniquement répercutés le temps d’instants

fugaces par ces derniers. Contrairement aux journalistes des magazines ou quotidiens

classiques, les collaborateurs et permanents du Monde diplomatique sont en mesure de

proposer des textes avec davantage de recul temporel (en traitant d’évènements un ou

plusieurs mois après leur déroulement), bien que le mensuel maintienne un lien, certes

distendu mais toujours présent, avec l’« actualité ».

Une autre image de l’image

Le recours à l’iconographie dans les pages du mensuel se singularise également par

rapport à l’ensemble de la presse écrite. Depuis 1989, date où la couleur fait son entrée dans

les pixels monochromes du mensuel, les contributions publiées embrassent la volonté de

« libérer l’image de sa dépendance par rapport à l’écrit, de briser son statut d’« illustration »,

de « décoration », d’« ornement » en quelque sorte du texte »66. Il s’agit, une fois de plus,

d’aller « là aussi, à contre-courant »67 de la presse écrite traditionnelle, et d’en refuser

l’utilisation redondante d’iconographies-pléonasme dont la seule fonction serait « d’illustrer,

de redoubler iconiquement le récit journalistique »68 « de manière servile »69. En publiant des

œuvres artistiques diverses (photos, peintures, sculptures, etc.) dont l’objet serait d’apporter

un éclairage supplémentaire, le journal tente ainsi de « décloisonner »70 l’art visuel,

« prisonnier des musées, des collections privées et des banques »71. L’ambition, de taille, vise

à « dire autrement, par un regard singulier ; s’efforcer de distancier, faire appel au sensible

66 Ignacio Ramonet, « Lire, voir », Le livre du 50ème anniversaire du Monde diplomatique. Texte disponible sur le site Internet du mensuel : http://www.monde-diplomatique.fr/livre/anniversaire/ramonet. 67 Ibidem. 68 Ibidem. 69 John Berger, « Ce manque à combler », Le livre du 50ème anniversaire du Monde diplomatique. Texte disponible sur le site Internet du mensuel : http://www.monde-diplomatique.fr/livre/anniversaire/berger. 70 Alain Jouffroy, « L’Art comme fenêtre ouverte sur le monde réel », Le livre du 50ème anniversaire du Monde diplomatique. Texte disponible sur le site Internet du mensuel : http://www.monde-diplomatique.fr/livre/anniversaire/jouffroy. 71 Ibidem.

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autant qu’au visible ; privilégier avant tout l’authenticité et l’engagement dans le regard et

l’acte de photographier ou de peindre »72, « loin du spectaculaire et du commercial »73.

Ces principes de « liberté »74 et cette « volonté de résistance à ce qui génère répétition,

banalisation et marchandisation »75 peuvent cependant le cas échéant être mis de côté lorsqu’il

s’agit de renflouer les caisses du mensuel par le biais d’encarts publicitaires controversés. Les

exemplaires de novembre et décembre 2003 –parmi d’autres- réservaient par exemple les

deux pages centrales complètes du mensuel à des annonces aux couleurs éclatantes pour IBM

ou une marque de voiture. Un cas plus cocasse fut l’apparition, dans les éditions de février et

de mars 2004, d’annonces de Microsoft, pourfendeur du logiciel libre, alors même que le

mensuel avait publié des articles favorables aux logiciels libres tout en dénonçant la puissance

de Bill Gates, et tandis que le Monde diplomatique utilise ces mêmes freewares pour son site

Internet et son Cd-rom76.

Toujours concernant la singularité du mensuel dans le paysage médiatique français,

l’équipe du Monde diplomatique se caractérise en outre par une équipe restreinte –l’ours du

Monde diplomatique étant l’un des plus réduits de la presse écrite77. Cette équipe est

d’ailleurs assez homogène puisque les permanents partagent tous « plusieurs caractéristiques

déterminantes : celle d’appartenir à ou d’être proche de l’institution universitaire78; d’être né

ou d’avoir vécu à l’étranger; d’avoir été proche des milieux politiques de gauche ou

d’extrême gauche ou, tout du moins, d’avoir une expérience (au sens large) du

militantisme »79. Le fait pour la majorité des rédacteurs de posséder un doctorat –ce « titre de

noblesse » culturelle selon Bourdieu-, associé à l’étroitesse de l’équipe80, permet ainsi son

fonctionnement de manière collégiale, rendant le fonctionnement de la rédaction du mensuel

analogue à celui des laboratoires et des départements universitaires81. Ce fonctionnement

72 Solange Brand, « Parti pris », Le livre du 50ème anniversaire du Monde diplomatique. Texte disponible sur le site Internet du mensuel : http://www.monde-diplomatique.fr/livre/anniversaire/brand. 73 Ibidem. 74 Ignacio Ramonet, « Lire, voir », op. cit. 75 Solange Brand, « Parti pris », op. cit. 76 Voir notamment l’article de Philippe Rivière, « La toile de SPIP », Le Monde diplomatique, octobre 2003. 77 Maxime Szczepanski-Huillery, « Les usages militants de la lecture et de l’écriture. L’exemple du Monde diplomatique », op. cit. 78 « A. Gresh, I. Ramonet, B. Cassen, (pour ne citer qu’eux) sont tous les trois docteurs, respectivement en sciences sociales, en histoire culturelle, en anglais ». Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 79 Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 80 Composée depuis la fin des années 1980 d’environ une demi-douzaine de rédacteurs, certains étant auparavant des collaborateurs très réguliers. In Nicolas Harvey, op. cit. 81 Nicolas Harvey, op. cit.

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collégial permet ainsi à la rédaction de conserver ses discours et méthodes lorsqu’il s’agit de

coopter de nouveaux collaborateurs voire de nouveaux rédacteurs82. Cette collégialité se

répercute directement dans la ligne idéologique puisqu’un « consensus est quasi-nécessaire

avant la prise d’une décision éditoriale »83.

Ainsi, le mensuel et ses rédacteurs présentent trois facettes dont l’articulation en fait sa

spécificité et en partie son succès : le journal se situe en effet au carrefour du champ

journalistique (le mensuel se structure comme un « journal », et non comme une « revue » et

recourt régulièrement au reportage, tout en gardant cependant une certaine assise dans

« l’actualité »), universitaire (qui lui confère un certain « recul » et une notoriété refusée aux

travaux uniquement « journalistiques ») et militant sur lequel nous reviendrons infra. Paré des

atours de la légitimité universitaire, mais suffisamment diffusé et vulgarisé pour atteindre une

part davantage importante de la population que des publications strictement universitaires

destinées à un cercle restreint d’académiques dans leur tour d’ivoire, le Monde diplomatique a

le mérite de conjuguer une certaine densité dans son contenu, et un format permettant à

certaines de ses analyses de traiter des problématiques en profondeur, là ou les médias

traditionnels ne peuvent qu’effleurer un sujet.

Le « devoir d’irrespect »

L’inscription du Monde diplomatique dans le champ universitaire ainsi que sa

spécificité vis-à-vis des médias en général sont elles-mêmes cultivées par le mensuel se

voulant « résolument à part dans un paysage médiatique de plus en plus uniforme »84, tandis

qu’il décoche régulièrement dans ses colonnes des flèches dardées vers des médias

notamment accusés d’apathie, d’asservissement aux intérêts économiques ou de

« désinformation »85.

82 A l’instar des mécanismes de reproduction observés à l’université notamment dans les jurys de thèse et les conseils facultaires. Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Editions de Minuit, 1984, 304 pages, p. 139. (Voir notamment la sous-partie « Temps et pouvoir », pp. 120-140). 83 Nicolas Harvey, op. cit. 84 Ibidem. 85 Il est d’ailleurs intéressant de noter que de nombreux journalistes du Monde diplomatique refusent de se définir comme journalistes, comme le démontrent les conclusions d’entretiens réalisés par Nicolas Harvey avec les membres de la rédaction du journal. Et de rappeler que « plusieurs journalistes qui ont été enseignants chercheurs avant d’entrer dans la rédaction du Monde diplomatique se définissent avant tout comme des universitaires ou des intellectuels. Plusieurs ont continué à enseigner à l’université tout en travaillant au mensuel ». Nicolas Harvey, op. cit.

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Ainsi c’est au mensuel que l’on doit un certain nombre de néologismes de combat, tel

que celui de « pensée unique » forgé par le journal au début des années 1990, et qui depuis a

fait florès. Sur fond de ce que le mensuel perçoit comme une absence de critique vis-à-vis du

« néo-libéralisme »86, Dominique Vidal fustige ainsi le fait que selon lui « Le Monde,

Libération et Le Figaro, TF1 et France 2, France Inter et Europe 1 ont fini par proposer à leurs

lecteurs, téléspectateurs et auditeurs une approche sinon identique, en tout cas similaire de

l’actualité, nationale bien sûr mais aussi internationale »87.

Le mensuel cultivant « le devoir d’irrespect »88 contre ce qu’il dénonce comme étant le

« journalisme de révérence »89 est ainsi à l’origine de la création de « l’Observatoire

international des médias », de concert avec l’Acrimed (acronyme de « action-critique-

médias »), lui-même observatoire des médias mis sur pied suite au mouvements sociaux de

1995 et proche du Monde diplomatique. Ayant à sa tête Ignacio Ramonet, l’O.I.T. veut être

une sorte de regroupement d’observatoires nationaux. C’est ensuite en France qu’est né le

premier observatoire national et qui allait porter le nom d’Observatoire français des médias.

Dans les membres fondateurs, on peut y retrouver l’Association Gunter Holzmann

(association de la rédaction du Monde diplomatique), l’Association des amis du Monde

diplomatique (sur laquelle nous reviendrons plus bas), Serge Halimi et Ignacio Ramonet -ces

derniers étant membres de la rédaction du Monde diplomatique. Plusieurs autres membres

fondateurs sont aussi des collaborateurs plus ou moins réguliers du journal. L’Observatoire

français des médias est ainsi « né du constat que les médias n’assuraient plus leur rôle de

contre-pouvoir dans la mesure où le système médiatique est à la fois un acteur (par la

concentration croissante qui le caractérise) et un vecteur de la mondialisation néo-libérale »90.

Il se fixe pour but de « protéger la société contre les abus, manipulations, bidonnages,

mensonges et campagnes d’intoxication des grands médias -qui cumulent puissance

économique et hégémonie idéologique-, défendre l’information comme bien public et

revendiquer le droit de savoir des citoyens », sans toutefois dépasser la ligne rouge qui

86 Le terme se généralise au début des années 1980, et sera utilisé dans le mensuel enserré par des guillemets jusqu’en 1981, puis sans guillemets ensuite. Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 87 Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 88 Ignacio Ramonet, « Claude Julien, un engagement et une éthique. Le devoir d’irrespect », op. cit. 89 Ibidem. Il est cependant intéressant de noter que le même Ignacio Ramonet se garde bien de critiquer le « journalisme de révérence » qui sévit à l’étranger. Hispaniste et ne cachant pas ses sympathies pour Fidel Castro, il reste notamment muet sur le manque de liberté de la presse cubaine. Jean-Pierre Tailleur, « Ignacio Ramonet, un rebelle à la Florent Pagny », disponible sur le site de l’auteur Le grain de sable : http://www.legraindesable.com/html/ignacio_ramonet.htm. 90 Selon les termes du site Internet de l’Observatoire français des médias : http://www.observatoire-medias.info/.

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consisterait à mordre la main de ses bienfaiteurs91. Considérant en outre que l’O.F.M. est logé

dans les bureaux du Monde diplomatique, il est difficile en effet de ne pas lier le journal à

l’association92.

L’inscription dans le champ militant : un journal « engagé » pour une « lecture de salut »

A cette uniformisation idéologique dénoncée dans les colonnes du mensuel, le Monde

diplomatique entend se dresser en rédempteur des consciences en brandissant sa « pensée

critique ». Le mensuel a ainsi pour ambition de s’ériger face au « politiquement correct », ce

qui explique, selon Dominique Vidal, l’explosion des ventes liée à la « rencontre » entre « le

Diplo et une partie de la jeunesse radicale »93, phénomène qui « coïncide, depuis le grand

mouvement de grèves de novembre-décembre 1995, avec la naissance et le développement,

en France, du mouvement altermondialiste, et notamment de l’association Attac créée en 1998

à l’appel du Monde diplomatique »94. Porte-étendard des combats « anti-colonialistes »,

« tiers-mondistes », puis aujourd’hui « altermondialistes », le Monde diplomatique fait figure

dans certains milieux militants de « lecture de salut »95. C’est au sein de ce public se voulant

« engagé », « à gauche » et à capital intellectuel élevé96 que le « Diplo » -pour reprendre le

diminutif affectueux et familier- jouit d’un monopole97 lié à sa triple inscription. Son

caractère mêlant intellectualisme universitaire, engagement appuyé pour des causes bien

définies et ancrées « à gauche »98, ainsi que ses positions critiques vis-à-vis notamment des

autres médias lui confèrent au sein d’un « noyau dur »99 de son lectorat une sorte d’auréole de

sainteté le plaçant paradoxalement hors du champ de cette même critique que le mensuel

s’efforce à appliquer sur ses adversaires, tandis que ses rédacteurs n’hésitent pas à le poser en 91 Le Monde diplomatique ne fait notamment pas l’objet de la vigilance et des rappels à l’ordre déontologique de l’Observatoire français des médias. Jean-Pierre Tailleur, « Ignacio Ramonet, un rebelle à la Florent Pagny », op. cit. 92 Nicolas Harvey, op. cit. 93 Ibidem. 94 Ibidem. 95 L’expression est empruntée à Maxime Szczepanski-Huillery, qui explique en évoquant certains militants, et notamment ceux de l’association ATTAC : « On peut postuler que les effets de citation permettent à la personne qui prend la parole de se grandir, en mobilisant des ressources symboliques auxquelles tous les militants n’ont pas forcément accès, en jouant des arguments (« j’ai lu dans le Diplo que... ») ou des contre arguments (« vous avez vu cet article scandaleux du Monde... ») d’autorité ». Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 96 « En France, des lecteurs lettrés, titulaires à plus des trois quarts d’un diplôme universitaire supérieur » (Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit.). Cette proportion d’individus pouvant se prévaloir d’un niveau d’étude dans le supérieur atteindrait 75% chez les abonnés et 87% chez les acheteurs au numéro interrogés à l’époque (voir les résultats du sondage commandé au CSA par le mensuel, et publiés dans le numéro d’octobre 1998). 97 Maxime Szczepanski-Huillery (op. cit.) rappelle ainsi que « le Monde diplomatique n’a aucun concurrent direct, quels que soient les critères choisis : rythme de parution, contenu, format, lectorat visé... ». 98 En insistant notamment sur une critique de l’action des institutions internationales ou de la mise en place de politiques économiques néolibérales. Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 99 Expression utilisée notamment par Ignacio Ramonet dans « Qui sont les lecteurs du « Monde diplomatique » ? Contre le mimétisme », Le Monde diplomatique, Octobre 1998.

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pierre angulaire de toute appréhension des problèmes contemporains100. Son inscription dans

une « lutte contre l’impérialisme » se traduit par une ligne éditoriale qualifiée de

« progressiste » pour ses défenseurs et « d’anticapitaliste et d’antiaméricaine » d’après le

Guide de la presse Alphom101.

Le succès du Monde diplomatique tient également à une certaine diversification de ses

activités puisque le mensuel se décline depuis 1988 en une série de publications. La rédaction

du Monde diplomatique publie ainsi deux fois par an son Manière de voir, reprenant par

thème certaines contributions du mensuel. Le Cd-rom du mensuel est également édité chaque

année depuis 1996, tout comme l’Atlas du journal depuis 2003. Le site Internet du Monde

diplomatique fournit quant à lui gratuitement les archives de ses numéros des deux dernières

années. Parallèlement, le mensuel paraît en 23 langues, dont l'espéranto à travers 57 éditions

internationales dont 32 imprimées, souvent insérées en supplément dans des quotidiens

nationaux étrangers (avec un tirage total de 1,5 million d’exemplaires) et 25 électroniques102.

A noter également la participation financière du Monde diplomatique dans le capital de deux

autres publications à la ligne éditoriale très similaire : Témoignage Chrétien et Politis. Le

journal voulait ainsi venir en aide à deux publications de gauche qui éprouvaient de graves

problèmes financiers. Le Monde diplomatique a donc injecté environ 724 000 euros103 dans

ces deux titres.

C) Autour du « Diplo »

Investir « le champ de bataille des idées »104 : les Amis du Monde diplomatique

L’influence du Monde diplomatique est également accrue par le biais d’une

association destinée à promouvoir le mensuel ainsi que les idées qu’il défend105.

100 Ce qui amène par exemple Dominique Vidal à déclarer que « pour quiconque s’intéresse à la politique internationale, la lecture du Monde diplomatique est devenue presque obligatoire ». Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. Les rédacteurs du mensuel n’hésitent pas en effet à poser les idées du Monde diplomatique en évidences, ce qui pousse nombre de ses contempteurs à en fustiger son « dogmatisme ». 101 Alain Dag’naud (dir.), Guide de la presse Alphom, Paris, Alphom, 1994, 1079 pages, pp. 797-798. 102 Article « Le Monde diplomatique » disponible sur la version en français de l’encyclopédie libre et gratuite en ligne Wikipédia (http://fr.wikipedia.org). 103 Bernard Cassen, « Le Monde diplomatique se porte bien », Le Monde diplomatique, juillet 2003. 104 Ignacio Ramonet, José Vidal-Beneyto, « Rejoignez les Amis, aux côtés du Diplo, dans le combat des idées », op. cit. 105 Françoise Calvez, « Lecteurs, rejoignez les Amis », 16 janvier 2006, site Internet des Amis du Monde diplomatique : http://www.amis.monde-diplomatique.fr/article.php3?id_article=1123.

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L’Association des Amis du Monde diplomatique est créée en 1995, suite à un appel diffusé

dans le mensuel et couronné de succès, enjoignant aux lecteurs à participer financièrement à

« l’indépendance du journal » lors de sa filialisation, afin de permettre au mensuel d’acquérir

la portion congrue des 33% du Monde diplomatique SA (nécessaires à l’exercice du rôle de

minorité de blocage)106. C’est d’ailleurs de la même manière –suite à un éditorial d’Ignacio

Ramonet de décembre 1997107-, qu’est née l’association A.T.T.A.C., ainsi que par la suite le

Forum social mondial108. L’association des « Amis », forte de 5200 adhérents en 2005109,

participe depuis « activement à la diffusion des idées défendues par Le Monde

diplomatique »110, notamment par le biais de « rencontre-débats » où interviennent notamment

des membres de la rédaction autour de thèmes largement traités par le mensuel111.

Ce format de la « conférence-débat » vise notamment à accroître l’audience du

mensuel et de ses schémas de pensée auprès de publics ne le lisant pas ou peu. Sur cet aspect,

Maxime Szczepanski-Huillery évoque en effet la « disjonction flagrante entre destinataires

directs (en France, des lecteurs lettrés, titulaires à plus des trois quarts d’un diplôme

universitaire supérieur) […] [et] destinataires indirects (« les désespérés, ceux qui n’y croient

plus », les « exclus » du Nord et du Sud, « les élèves qui fréquentent des collèges

préfabriqués », « les petits agriculteurs »112...) »113 du mensuel. Ce hiatus révèle le fait que les

caractéristiques sociales des lecteurs « ne correspondent pas, ou peu, à celles de ces

« désespérés » sur le sort desquels le journal entend attirer l’attention »114. Il s’agit en outre de

diffuser les idées du mensuel ailleurs que dans les milieux militants déjà acquis aux thèmes et

valeurs portés au pinacle par les rédacteurs du mensuel115.

106 Voir « Les amis du « Monde diplomatique » », Le Monde diplomatique, septembre 1997, p. 2. Près de 9000 lecteurs ont apporté leur obole et permit l’acquisition de 23% des actions du Monde diplomatique, pour une somme totale de 10 millions de francs, ce qui porte à environ 1100 francs l’apport moyen par contributeur. 107 Ignacio Ramonet, « Désarmer les marchés », Le Monde diplomatique, décembre 1997, p. 1. 108 Comme l’explique le fondateur d’ATTAC, Bernard Cassen, également membre de la rédaction du Monde diplomatique (Bernard Cassen, Tout a commencé à Porto Alegre, Paris, Mille et une nuits, 2003). In Nicolas Harvey, op. cit. 109 Françoise Calvez, op. cit. 110 Françoise Calvez, op. cit. 111 A noter qu’« il y a des sujets qui « marchent » mieux que d’autres : les médias, le conflit israélo-palestinien notamment » (Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit.). 112 Citations extraites d’un article de Claude Julien, « Le combat et l’espoir », Le Monde diplomatique, décembre 1990, pp 1 & 18-19 ; in Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 113 Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 114 Ibidem. 115 Ibidem.

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Se tenant le soir, la « rencontre-débat » suit un schéma récurrent : « courte

présentation du ou des conférenciers par le correspondant, prise de parole (pour une heure

environ) de l’intervenant, puis questions de « la salle ». La gestion du temps et de l’espace de

la conférence appartient, en grande partie, au correspondant ; la distinction entre « le

conférencier » et « le public » est presque systématiquement marquée, par une estrade ou, plus

fréquemment, par un face-à-face avec les personnes présentes »116. L’exposé est généralement

écouté dans un silence religieux rarement interrompu117. Le terme de « conférence-débat »,

impliquant une certaine ouverture et un degré d’incertitude conséquent sur les conclusions

possibles des discussions, ne doit pas cependant masquer la réalité d’un consensus

idéologique entre les participants à ces rencontres, qui abondent sur des points de vue prônés

par le mensuel118, ceci d’une manière plus ou moins explicite119. Le statut du Diplo comme

journal « engagé » et « lecture de salut » de nombre d’associations militantes ainsi que

l’interpénétration entre les Amis du Monde diplomatique et l’association A.T.T.A.C. viennent

d’ailleurs renforcer l’unicité idéologique de ces rencontres.

ATTAC, les Amis et le « Diplo » en crise ouverte

Le couple Diplo-A.T.T.A.C. ne subsiste pas cependant sans quelques bris d’assiettes.

Le mensuel a ainsi subis en 2005 les contrecoups de tensions internes minant l’association

altermondialiste. La direction du groupement serait en effet largement contestée de l’intérieur

pour ses « méthodes, jugées autoritaires, et ses orientations »120. Le soutien « à titre

personnel »121 apporté à l’été 2005 par Ignacio Ramonet –alors directeur du Monde

diplomatique- à Jacques Nikonoff et Bernard Cassen, respectivement président et président

116 Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 117 Maxime Szczepanski-Huillery, op. cit. 118 Le Petit Larousse Illustré (op. cit.) définit le terme « débat » comme « Examen d’un problème entraînant une discussion animée, parfois dirigée, entre personnes d’avis différents ». Il apparaît dès lors que des discussions impliquant systématiquement des intervenants partageant des points de vue similaires, et connus pour professer ces mêmes opinions, s’accordent mal avec l’idée de débat avancé dans cette définition. Les échanges de point de vue avec la salle à l’issue de ces conférences peuvent certes être l’occasion de voir s’exprimer des idées divergentes, mais le temps imparti relativement court pour ces interventions contraste avec la confortable marge de manœuvre des intervenants ayant tout le loisir de répliquer avec notamment une contrainte temporelle et une pression moindres (puisque bénéficiant d’une reconnaissance de leur compétence sur le sujet, ainsi que du soutien d’une part importante de la salle à l’issue de l’exposé), micro en main et installés sur une estrade marquant physiquement leur statut de « savant » vis-à-vis du public « profane ». En outre, l’expérience discursive, l’habitude à prendre la parole, ainsi que le fait de s’être déjà à plusieurs reprises exprimé sur le sujet confèrent aux intervenants une aisance oratoire ainsi qu’un degré de connaissance aisément mobilisables contre d’éventuels discours par trop subversifs émanant du public. 119 Le recours parfois à des questions de type « normatives » (impliquant la réponse) en guise de titre de conférences est révélateur de cet état d’esprit. 120 Olivier Costemalle, « Attac diplomatique à la direction du « Monde diplo » », Libération, 7 janvier 2006. 121 Ibidem.

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d’honneur de l’association122 aurait ainsi enflé la polémique. A cette lame de fond viennent se

greffer d’autres tensions internes qui poussent alors Alain Gresh, rédacteur en chef du

mensuel, et Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint, à rendre leurs galons pour se voir

rétrogradés à la fonction de journaliste de base123 -Maurice Lemoine succédant ainsi à Alain

Gresh. Des désaccords opposaient en effet ces deux représentants d’une « gauche

internationaliste » à Bernard Cassen, Jacques Nikonoff, Ignacio Ramonet et Maurice

Lemoine, supposés quant à eux plus proche d’une mouvance chevènementiste et « nationale-

républicaine »124.

Interrogé sur sa démission, Alain Gresh explique « qu’il y a eu au sein de l’équipe de

rédaction de vives discussions, des divergences, sur les sujets comme l’Islam, la laïcité, le

colonialisme ou encore la relation du Diplo avec Attac sur des questions, non pas de fond,

mais d’organisation et de fonctionnement »125. Il s’agissait pour l’ancien rédacteur en chef du

mensuel de « contribuer[…] à apaiser les tensions qui s’étaient ainsi manifestées »126, sur un

arrière-plan d’une dégradation des ventes en kiosque du mensuel depuis 2003127. Les

dissensions proviendraient également des accointances croissantes entre « tiers-mondistes » et

islam128, les partisans de cette alliance ayant été mis en minorité au Monde diplomatique

comme le laissait entendre un article de Bernard Cassen, critique de cette ligne129.

Les soubresauts internes au mensuel ont cependant laissé place à d’autres analyses

« largement diffusées sur Internet »130 et expliquant ces « démission[s] en raison d’un

changement de ligne du Monde diplomatique sur le conflit israélo-arabe »131 - assertions

cependant balayées d’un revers de main par Alain Gresh132, et qui ont fait l’objet de mises au

122 Bernard Cassen est également le cofondateur d’A.T.T.A.C. avec Ignacio Ramonet, directeur général de la société éditrice du Monde diplomatique, et journaliste au sein du mensuel. 123 Olivier Costemalle, « Tensions aux Amis du « Monde diplo » », Libération, 18-19 février 2006. 124 Olivier Costemalle, « « Attac diplomatique… », op. cit. 125 Daniel Junqua, « Trois questions à… Alain Gresh », Les Amis du Monde diplomatique, 15 juin 2006 (site Internet http://www.amis.monde-diplomatique.fr). 126 Daniel Junqua, « Trois questions… », op. cit. 127 La diffusion payée est ainsi passée d'un pic de 240 000 exemplaires en 2003 (correspondant à la guerre en Iraq) à 205 000 aujourd'hui. Olivier Costemalle, « Attac diplomatique… », op. cit. 128 Gilles Kepel, « La jeune génération est un enjeu », L'Express, 26 janvier 2006. 129 Bernard Cassen, « Ces altermondialistes en perte de repères... », Politis, 20 janvier 2005. D’autres sujets de discordes sont encore évoqués, comme l’ambiguïté d’Ignacio Ramonet vis-à-vis du régime cubain et des FARC en Colombie. Olivier Costemalle, « Attac diplomatique… », op. cit. 130 Daniel Junqua, « Trois questions à… Alain Gresh », op. cit. 131 Ibidem. 132 Ibidem.

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points diverses de la part des intéressés133. Ces supputations autour d’une supposé inflexion

de la ligne éditoriale concernant le traitement du conflit israélo-arabe134 peuvent cependant

s’expliquer par la segmentation thématique au sein de la rédaction du mensuel. Les

journalistes au sein de la rédaction sont en effet spécialisés et travaillent chacun un peu

comme des chefs de service dans leurs compétences respectives. Chaque rédacteur est ainsi

responsable d’au moins une région géographique ainsi que d’une grande question et doit lui-

même solliciter des articles des collaborateurs plus ou moins réguliers et faire, par la suite, le

travail de lecture et de réécriture135, ce qui sur le volet Proche-Orient est justement le cas

d’Alain Gresh et de Dominique Vidal, qui conservent néanmoins leurs fonctions.

La rivalité israélo-arabe a cependant bien réellement gâché la fête du prix 2005 des

Amis du Monde diplomatique, qui récompense chaque année, depuis 2002, un document ou

un essai. Le comité d’organisation a souhaité ainsi marquer son désaccord devant « les

« fortes pressions » de la [nouvelle] direction du Monde diplomatique pour que soit retiré de

la liste l’ouvrage d’Alain Ménargues le Mur de Sharon »136. Le conseil d’administration des

Amis du Monde diplomatique s’est ainsi scindé entre ceux soupçonnant le journal d’adopter

« un positionnement plus bienveillant envers la politique du gouvernement d’Israël »137 et

ceux dénonçant l’ouvrage controversé comme « prêtant le flanc à l’accusation

d’antisémitisme »138.

Quels qu’en soient les fondements, ces différents évènements et soupçons qui

interviennent au coeur des brouilles domestiques du mensuel viennent illustrer la centralité du

conflit proche-oriental dans les colonnes du journal ; une focalisation incarnée précisément

par les deux démissionnaires.

133 Voir notamment la « Mise au point de la rédaction du Monde diplomatique » publiée le 21 mars 2006 sur le site Oumma.com. 134 Considérant en général le conflit israélo-arabe comme inhérent au conflit israélo-palestinien et vice-versa, nous emploierons les deux expressions de « conflit israélo-arabe » et « conflit israélo-palestinien » de manière interchangeable. Si l’on date formellement le début du conflit israélo-arabe en 1948, date où les armées arabes régulières décident de s’affronter à Israël –ce qui a pour effet de tuer dans l’œuf l’Etat arabe de Palestine promis par l’O.N.U. et reconnu par Israël- on constate dès lors que conflit israélo-arabe conflit et israélo-palestinien sont difficilement dissociable, a fortiori dans la mesure où le premier semble ne pouvoir véritablement se résoudre sans la résolution du second. 135 Nicolas Harvey, op. cit. 136 Olivier Costemalle, « Tensions aux Amis du « Monde diplo » », op. cit. 137 Cyril Berneron, membre du conseil des Amis du Monde diplomatique, cité par Olivier Costemalle, « Tensions aux Amis du « Monde diplo » », op. cit. 138 Dominique Franceschetti, secrétaire général des Amis du Monde diplomatique, cité par Olivier Costemalle, « Tensions aux Amis du « Monde diplo » », op. cit.

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2) Considérations méthodologiques

A) Quelle analyse ?

Le « Diplo » et le conflit israélo-arabe : un traitement fluctuant ?

La difficulté de caractériser une position unitaire et strictement délimitée du Monde

diplomatique concernant le conflit israélo-arabe, du fait notamment de l’ouverture de ses

colonnes à des membres extérieurs à la rédaction permanente, a été exposée par Alain Gresh

lui-même, réagissant à la polémique suscitée par les démissions de fin 2005 : « il est stupide

de pratiquer des analyses article par article et de tirer des conclusions à partir d’un texte en

particulier. Nous sommes des journalistes engagés, nous défendons des valeurs, mais le Diplo

n’est pas l’organe d’un parti. Il n’y a pas de « ligne » dont il serait interdit de s’écarter »139. Le

caractère composite des contributions du journal et leurs inscriptions au croisement des

champs universitaires, journalistiques et militants posent ainsi un premier problème à toute

velléité d’en retranscrire une position consensuelle ou « vision du monde » ne souffrant

d’aucune voix discordante.

L’ampleur de notre tâche n’en est donc que plus grande, et d’autant plus passionnante

et pertinente. Une première prise en main du mensuel peut dans certains cas en effet produire

chez le lecteur néophyte des impressions contradictoires selon l’article voire le numéro en

question. Ainsi le Monde diplomatique peut à la fois donner la parole à des personnalités

politiques de la gauche sioniste israélienne comme Amram Mitsna et Yossi Beilin140

présentant une situation où les responsabilités des violences de l’Intifada sont équitablement

partagées par les protagonistes, et sur d’autres pages publier des contributions émanant de

figures du nationalisme palestinien ou traînant sans ménagement l’Etat d’Israël.

L’ancien rédacteur en chef du mensuel n’hésite pas d’ailleurs à en créditer le journal :

« Nous publions des textes qui nous semblent éclairer les situations, y compris des points de

139 Daniel Junqua, « Trois questions… », op. cit. 140 Amram Mitzna, « Voilà pourquoi M. Ariel Sharon a peur », Le Monde diplomatique, décembre 2003 & Yossi Beilin, « Offensive concertée contre les Palestiniens. « Oui, Israël a un partenaire pour la paix » », Le Monde diplomatique, février 2002. Ce type « d’ouverture » demeure cependant très rare, comme nous le verrons par la suite, et se fait en général dans l’optique de cautionner certains aspects de la ligne idéologique du mensuel plutôt que de la questionner.

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vue qui ne sont pas les nôtres. Nous avons publié des articles pour Oslo et contre Oslo. Nous

acceptons la pluralité des points de vue. C’est la richesse du journal. »141.

Ainsi, il s’avèrerait périlleux de retranscrire la vision du conflit israélo-arabe par la

simple lecture intuitive des contributions à étudier. Celles-ci peuvent en effet être démenties

par des articles ayant été publiés dans le mensuel et impliquant un point de vue inverse ou

nuançant le premier. Le recours à une analyse de contenu, et reprenant systématiquement les

principales assertions des contributions étudiées sur une période étalée, peut permettre dans

un premier temps de dégager des récurrences dans la « ligne éditoriale » du « Diplo » et par là

même de la caractériser, sans être bloqué en cela par d’éventuelles contributions entretenant

des visions divergentes et freinant du coup une appauvrissante mais nécessaire généralisation.

B) La mise en place d’un « système catégoriel » : les critères de notre analyse de

contenu

Une méthode forgée ad hoc

C’est en ce sens que nous allons d’abord tenter de systématiser la vision du Monde

diplomatique dans un ensemble de tableaux assertifs, par une méthode largement forgée ad

hoc pour les besoins de notre travail, bien que reprenant notamment le principe de « système

catégoriel » 142. Il s’agit ainsi d’élaborer un ensemble de catégories jugées pertinentes pour

témoigner des jugements de valeurs plus ou moins explicitement établis dans un ensemble de

contributions du Monde diplomatique. Il existe une multitude de techniques d’analyse de

contenu, peut-être autant que d’analyses de contenu, ce qui ne nous empêche pas d’appliquer

certains principes méthodologiques préétablis, tout en les ajustant aux réalités de notre

investigation. L’analyse de contenu peut ainsi se définir comme « une technique de recherche

visant la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste des

communications »143.

141 Daniel Junqua, « Trois questions… », op. cit. 142 Jean de Bonville, L’analyse de contenu des médias : de la problématique au traitement statistique, Bruxelles, De Boeck Université, coll. Culture et Communication, 2000, 452 pages, p. 145. 143 Définition proposée par Bernard Berelson in Bernard Berelson, Content Analysis in Communication Research, New York, Free Press, 1952, p. 18.

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« Objectivité » et « systématisme »

Le critère « d’objectivité » -avec toutes les précautions d’utilisation que ce terme

controversé requiert- impliquera pour nous de « construire l’analyse sur des règles et

processus spécifiques qui permettront la reproduction de la recherche et assureront que les

résultats ne représentent pas simplement les prédispositions subjectives du chercheur »144.

Ainsi, il s’agit pour nous de prendre chaque contribution concernant notre sujet et d’en

traduire chaque message apparent et jugé pertinent dans notre recherche145 dans une sorte de

« feuille de codage »146.

Ce long et patient travail effectué, les messages nous apparaissant comme étant les

plus récurrents sont ensuite inscrits dans des tableaux leurs conférant en général deux formats

(affirmation et négation d’un message147). Une fois toutes les affirmations classées dans les

formats correspondants, une valeur numérique représentant le nombre de contributions

diffusant ce message est assignée à chacun de ces segments, permettant ainsi à une moyenne

de se dégager. Dans le cas cependant ou une idée est suggérée systématiquement ou presque,

et semble faire l’objet d’une évidence dans l’ensemble des contributions du mensuel, elle ne

sera pas incluse dans les tableaux mais signalée dans l’interprétation des résultats de l’analyse

de contenu. A titre d’exemple, le soutien implicite ou explicite de l’ensemble les contributions

du Monde diplomatique à la création d’un Etat palestinien (dans les contributions où la

question est évoquée) n’a pas été retranscrit dans nos tableaux afin d’éviter un superfétatoire

alourdissement.

Ainsi, notre méthode souscrit au critère de « systématisme » suggéré par la définition

supra : il s’agit en effet de recourir à des catégories permettant l’inclusion ou l’exclusion de

contenus. « L’unité de contenu »148 de cette première phase de notre analyse est donc le

thème : nous répercutons l’ensemble des idées incluses dans les contributions et jugées

144 Réjean Landry, « L’analyse de contenu », dans Benoît Gauthier, Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1992, p. 295-315, p. 297. 145 C'est-à-dire en mesure d’éclairer la vision portée par le mensuel sur les protagonistes notamment. 146 Le volume par trop conséquent (près de 120 pages) de ces feuilles de codage nous contraint à ne pas les retranscrire en annexe. 147 Par exemple sur le sionisme deux formats sont établis : « le mouvement national juif fut et demeure une entreprise illégitime » et « le mouvement national juif est un mouvement aux aspirations légitimes ». 148 « L’unité de contenu, ce sont les éléments et les caractéristiques d’une communication précise que le chercheur est intéressé à examiner ». Réjéan Landry, op. cit., p. 304.

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pertinentes pour rendre compte de la vision du conflit israélo-arabe par le mensuel sur la

période concernée en les traduisant en affirmations systématisées dans des tableaux149.

Cette étude thématique sera également renforcée par une analyse prenant en compte

les « unités de contenu » par mot. L’ensemble de ces approches devrait pouvoir nous restituer

un instantané relativement fiable du contenu des contributions publiées dans le Monde

diplomatique sur la période étudiée150.

Précisions supplémentaires

Avant de rentrer dans le vif de notre recherche, il convient, dans un souci de clarté, de

notifier certains guides méthodologiques ayant présidé à l’analyse de contenu thématique par

tableaux. Le format du Monde diplomatique se singularisant vis-à-vis de la presse écrite en

général, certaines règles ont été établies par nos soins afin de permettre à notre travail

d’épouser au mieux le terrain qu’il s’est donnée l’ambition d’étudier. A la croisée des champs

universitaire et militant, le Monde diplomatique renvoie fréquemment dans ses colonnes à des

ouvrages ou des revues, mais notre terrain d’analyse se limitera ici essentiellement au

« contenu manifeste » et directement accessible du mensuel par le lecteur. Ainsi, si le journal

renvoie à un ouvrage ou une œuvre quelconque, seules les informations concernant l’œuvre

contenues dans le mensuel seront prises en compte, et non le contenu de l’œuvre en elle-

même.

Ensuite, dans la mesure où le Monde diplomatique échappe en partie à certaines

conventions de la presse écrite, notamment sur sa mise en page, nous avons évacué le « critère

d’espace »151, c'est-à-dire celui de l’emplacement des contributions à l’intérieur du mensuel,

dont le recours se serait de toute façon avéré fastidieux. Ainsi, un article situé en troisième

149 Ole R. Holsti explique que l’analyse de contenu recourt traditionnellement à cinq « unités de contenu » fondamentales : le mot, le thème, les personnalités, les paragraphes et l’item (article, film, livre..). Ole R. Holsti, Content Analysis for the Social Sciences and Humanities, Reading (Mass.), Addison-Wesley, 1969 (cité dans Réjéan Landry, op. cit.). Dans le cadre de notre présent travail nous nous attacherons donc d’abord à « l’unité de contenu » thématique pour ensuite travailler sur les deux autres « unités de contenu » suivantes: le mot (analyse sémantique) et les personnalités (auteurs des contributions). 150 Il s’avère en outre nécessaire de reconnaître les éventuels biais ou limites pouvant le cas échéant guetter notre démarche. L’analyse de contenu doit en effet compter avec les forces et les faiblesses du jugement humain. La lecture et la systématisation des messages -même perçus par le chercheur le plus honnête- risquent notamment à chaque étape de faire les frais d’une inattention, d’un défaut de compréhension, d’un jugement de valeur inconscient ou même d’être influencées par les opinions et arguments avancés par les auteurs des contributions, à force de les côtoyer. Le volume conséquent de contributions constituant notre échantillon a cependant pour avantage de réduire l’influence d’éventuels oublis ou erreurs dans le total du résultat final. 151 Réjéan Landry, op. cit., p. 306.

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page du mensuel sera traité de la même façon qu’un document posté en couverture arrière ou

trônant en « une ». Pour des raisons également de concision et de clarté, la taille des

contributions n’a pas été prise en compte et chaque texte quel que soit son volume occupé

sera comptabilisé comme ayant la valeur d’un document. Sur cette question du format,

l’iconographie (photos, images, etc.) a été considérée comme porteuse de sens et a fait, le cas

échéant, l’objet d’une traduction en messages retranscrits dans les tableaux. Dans une optique

de transparence, l’accent à été mis sur la « traçabilité » des résultats de cette analyse de

contenu thématique, afin notamment que ceux-ci puissent être réinvestis, voire complétés

dans le cadre d’un travail ultérieur. Ainsi, les affirmations incluses dans les tableaux font

chacune référence au numéro de la contribution concernée. Ces numéros renvoient ensuite en

annexe aux références précises des contributions en question152.

Enfin, un « critère d’exclusivité » est appliqué au présent travail, signifiant que

« chaque unité d’enregistrement ne puisse être classée dans plus d’une catégorie de

classification »153. Ainsi, si un article postule qu’« Israël est responsable » à la fois de

« l’échec de Camp David » et des « violences en cours », il sera pris en compte dans les lignes

correspondantes, mais le comptage des résultats de la rubrique « Israël est responsable » ne

prendra cet article en compte qu’une fois : cela explique la disjonction dans le tableau entre

les affirmations en gras et les sous-catégories à ces affirmations en italiques dont les

récurrences sont parfois plus nombreuses que celles en gras.

152 Voir à cet effet l’annexe 1. 153 Réjéan Landry, op. cit., p. 304.

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Chapitre 2 :

Une « manière de voir » le conflit : le serpent de mer thématique de la « guerre

coloniale »

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1) Construire la réalité : la mise en place d’un arsenal lexicologique

A) La répartition des responsabilités

Responsabilités asymétriques… Attribution des responsabilités aux protagonistes

Effectif % % eff. total154

Israël est entièrement responsable du conflit israélo-arabe et/ou des problèmes actuels 154155 88,5%156 63,1%157

Israël est responsable des violences de l’Intifada, et des émeutes qui l’ont déclenchée, et/ou des violences et/ou des problèmes actuels. Israël est l’agresseur

72a

Les Palestiniens et/ou la direction palestinienne et/ou les Etats arabes veulent et ont toujours voulu la paix, Israël et/ou la direction israélienne la refuse et l’a toujours refusé/Israël bafoue le droit international

47b

Israël est entièrement responsable de l’échec des accords d’Oslo, du sommet de Camp David, des négociations avec la Syrie, ou des négociations en général, et n’applique pas les accords signés contrairement aux Palestiniens qui respectent leurs engagements

34c

Israël est responsable du conflit israélo-arabe depuis les origines, de par les modalités de sa fondation ; et/ou est responsable de la tragédie des réfugiés (thème du péché originel)

28d

Israël, en tant que puissance occupante et/ou par sa négation du peuple palestinien, est responsable du conflit/Israël doit se retirer sans condition des territoires conquis en 1967158

23e

Israël est responsable des actions contestables (attentats, etc.) commises par des Palestiniens ou d’une éventuelle haine anti-israélienne notable chez les Palestiniens

12f

La « provocation » d’Ariel Sharon est responsable du déclenchement de l’Intifada 9g

Même après son retrait du Sud-Liban en 2000 (reconnu par l’ONU), Israël occupe toujours le Liban et est responsable des tensions dans la zone en question

3h

Les Palestiniens portent une responsabilité sur le déclenchement des violences ou sur l’enlisement du processus de paix, mais l’essentiel est de la faute d’Israël

2i

Israël persécute sans raison sa minorité arabe, et est responsable des émeutes judéo-arabes imputables à l’Etat d’Israël et/ou au secteur juif de la société israélienne

2j

Pour que l’armée libanaise puisse se déployer au sud, il faut qu’Israël se retire des territoires palestiniens 2k

Israël est responsable du déclenchement de la guerre du Liban 2l

Israël veut faire disparaître le peuple palestinien 1m

Dont

Israël est responsable de la mort de Y. Arafat, causée sciemment 1n

154 Pourcentage du nombre de contributions sur l’effectif total (244 documents). 155 Le contenu se lira ainsi : 154 documents (publiés dans le Monde diplomatique d’octobre 2000 à février 2006, sur les 244 étudiés) développent l’idée que la partie israélienne est entièrement responsable du conflit israélo-arabe et/ou des problèmes actuels. 156 88,5% des 174 contributions évoquant une responsabilité dans le déclenchement du conflit israélo-arabe et/ou des problèmes actuels attribuent cette responsabilité uniquement à Israël. 157 63,1% des contributions sur l’ensemble des documents étudiés (154 sur un effectif total de 244) attribuent la responsabilité du conflit israélo-arabe et des problèmes actuels à la partie israélienne. 158 Bien que cet argument soit implicite dans la quasi-totalité des contributions, il apparaît parfois de manière plus prégnante et comme seule raison invoquée de la responsabilité israélienne, ce qui nous pousse à le signaler.

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La partie arabe porte une part de responsabilité dans certains aspects du conflit israélo-arabe et/ou des problèmes actuels, bien qu’Israël demeure le principal responsable

12 6,9% 4,9%

La stratégie des attentats-suicides sur laquelle misent certains dirigeants palestiniens est insane 3o

Arafat a sa part de responsabilité dans l’échec des différents pourparlers 2p

Bien qu’Israël soit responsable du conflit, les régimes arabes sont stupides de refuser la normalisation avec Israël, puisque d’une part ce refus n’empêche pas d’atténuer les souffrances des Palestiniens, et d’autre part il est important de reconnaître l’autre

1q

Le Liban est responsable de mesures de discriminations et de la misère imposée aux réfugiés palestiniens au Liban 1r

Israéliens et Palestiniens ont fait des erreurs dans les années post-Oslo 1s

Les fantasmes extrémistes des groupes islamistes qui veulent « rejeter les Juifs à la mer » pèsent de leur poids dans le conflit 1t

Divisions dans les pays arabes entre partisans de la paix avec Israël et opposant d’une telle paix 1u

Les régimes arabes sont complices d’Israël et ne se soucient pas des Palestiniens 1v

Dont

Les attentats-suicides sont autant responsables que les assassinats-ciblés de l’échec des négociations de Taba, bien qu’Israël soit le principal responsable des problèmes en général

1w

Israël et la partie arabe partagent une responsabilité commune dans le conflit israélo arabe et/ou dans les problèmes actuels

7 4% 2,9%

Israéliens et Palestiniens ont chacun leur part de responsabilité dans la seconde Intifada/Il faut prendre en compte les griefs des deux camps

2x

Des responsabilités partagées des deux côtés risquent de provoquer des mini-transferts 1y

Une « culture de mort » traverse la société palestinienne 1z

La stratégie d’Intifada armée est désastreuse pour les Palestiniens/Le Hamas empêche le conflit de se terminer par son refus de reconnaître Israël

1aa

La non-reconnaissance de l’Etat d’Israël par les Etats arabes qui ont déclenché le conflit de 1948, ainsi que la politique israélienne et l’occupation sont responsables du conflit

1bb

Dont

Les pays arabes et la direction palestinienne ont envahit l’Etat juif 1948 et n’ont pas consulté les Palestiniens, et portent une lourde responsabilité dans la tragédie des Palestiniens

1cc

Les puissances mandataires sont responsables des conflits actuels au Proche-Orient 1dd 0,6% 0,4%

Les pays arabes et/ou les Palestiniens sont entièrement ou essentiellement responsables du conflit israélo-arabe et/ou des problèmes actuels

0 0% 0%

TOTAUX 174 100%

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Ce premier tableau permet d’établir ce qui semble apparaître a priori comme une

préférence idéologique et partisane de la part du Monde diplomatique. Reprenant une part

conséquente de notre échantillon de contributions étudiées (174 sur un total de 244), et

présentant une situation singulièrement tranchée (la responsabilité totale ou quasi-totale de

l’acteur israélien) autour d’une interrogation pourtant difficilement abordable sous un prisme

unilatéral (la responsabilité des protagonistes), les entrées disposées dans cette grille peuvent

être donc tenues comme particulièrement éclairantes sur ce que serait une préférence

idéologique clairement déterminée de la part du mensuel.

La récurrence quasi-systématique de l’imputation des problèmes actuels (échec des

négociations, violences diverses, conflit israélo-arabe depuis les origines, etc.) à la partie

israélienne rend celle-ci comptable au yeux du mensuel de l’ensemble des étapes menant au

conflit israélo-arabe actuel, depuis les origines du conflit159, jusqu’à aujourd’hui, en passant

par les échecs successifs des négociations ainsi que les périodes de déflagration régionale.

Si notre propos à ce stade n’est pas de porter une appréciation subjective sur cette

vision ou sur le conflit en lui-même, nous considérerons cependant qu’au vu de la longévité

de la rivalité israélo-arabe ainsi qu’à l’aune de la multiplicité de ses acteurs et de ses enjeux

(religieux, nationaux, géopolitiques, économiques, etc.), le choix d’en clouer au pilori un seul

des protagonistes -en l’occurrence la partie israélienne- apparaît comme un choix délibéré

plutôt que d’une simple retranscription des faits perçus comme tels par les rédacteurs et

collaborateurs du Monde diplomatique. Ainsi, près de 96% des contributions évoquant une

responsabilité quelconque la font porter entièrement ou essentiellement à l’Etat hébreu, 88,5%

lui imputant l’intégralité de la culpabilité sur les « malheurs » de la région.

159 Dont le début est conventionnellement daté par nombre d’historiens et de chercheurs à la proclamation de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948.

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… puisque « guerre coloniale » Colonialisme et guerre coloniale

Effectif %/eff. total

L’Etat d’Israël est un Etat colonialiste qui mène une guerre coloniale 54 22,3% Israël est assimilable, de par sa politique dans les territoires palestiniens, à un Etat colonialiste qui mène une guerre coloniale 48 (19,7%)

La guerre d’Israël dans les territoires palestiniens est comparable à la guerre américaine au Vietnam 2ee

Israël est comparable à la France occupant l’Algérie 5ff

L’armée israélienne est comparable à la Wehrmacht pendant la seconde guerre mondiale 1gg

La politique d’Israël vis-à-vis des Palestiniens est comparable à celle des nazis 1hh

L’occupation israélienne est semblable à un apartheid/est une situation coloniale classique/la lutte des Palestiniens est une lutte anti-coloniale/La politique d’Israël vis-à-vis des Palestiniens est une politique d’Apartheid

35ii

Depuis les accords d’Oslo Israël inflige aux Palestiniens un état d’apartheid 4jj

Israël s’est toujours alliés avec les forces colonialistes et impérialistes (Afrique du Sud ; troupes coloniales françaises, Etats-Unis aujourd’hui) 2kk

Dont

Israël applique une politique de racisme et de haine avec les Palestiniens 5ll

Israël est par essence, un fait colonial 8 (3,3%) Le principe d’Etat juif fait ipso facto de l’Etat d’Israël un Etat d’apartheid 1mm

Les dirigeants sionistes ont mis en place une politique d’apartheid semblable à celle observée en Afrique du Sud 3nn

Israël est un fait colonial par essence puisque la création de l’Etat d’Israël se base sur un nettoyage ethnique et la dépossession du peuple palestinien 2oo

La mise en place d’Israël par les grandes puissances est un fait colonial 1pp

Le sionisme puis la création de l’Etat d’Israël constitue un fait colonial comparable à l’extermination des Amérindiens 1qq

Dont

L’Etat d’Israël et le sionisme sont coloniaux et ségrégationnistes par essence 2rr

La comparaison entre le colonialisme et l’Etat d’Israël est inappropriée 0 0%

Ce choix de représenter la belligérance israélo-arabe sous un regard asymétrique se

traduit dans les faits par le recours à une narration primaire : celle du colonialisme, charriant

la métaphore de « l’opprimé » « résistant » contre « l’oppresseur », comme le laisse suggérer

le tableau suivant. Il semblerait ainsi qu’une certaine tradition tiers-mondiste héritée par le

Monde diplomatique, et orpheline de cause à défendre, recycle mutatis mutandis via le conflit

israélo-arabe la vision du monde qui avait fait son succès à l’époque des combats pour la

libération des peuples soumis au joug colonial –grille de lecture d’ailleurs généralisée par le

mensuel pour interpréter différentes problématiques en France et dans le monde. Il va s’agir

pour nous dans un premier temps non pas d’interroger la pertinence de cette transposition du

prisme colonial sur le conflit israélo-arabe par le mensuel, mais bien d’abord d’essayer d’en

saisir les principaux rouages.

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B) Le choix des mots

« Le langage ne reflète pas tant la réalité qu’il ne la crée »160

La « résistance » à « l’oppression »

David résistant contre Goliath occupant ? Effectif % eff.

total Israël à la supériorité militaire écrasante est l’oppresseur (figure de Goliath) menant une guerre d’occupation contre les Arabes et/ou les Palestiniens qui malgré leur faiblesse lui opposent une résistance (figure de David)

66 27%

L’opposition palestinienne et/ou arabe à Israël s’apparente à de la « résistance ». Il s’agit d’une lutte des « opprimés » palestiniens contre les « oppresseurs » israéliens et la « répression israélienne »

39ss

Martyre de la population palestinienne en résistance contre l’occupation 3tt

Les Palestiniens armés de pierre résistent aux Israéliens armés de fusils, d’hélicoptères, d’avions et de chars d’assaut/Les Israéliens sont tout puissants sur les Palestiniens sans défense et exercent une répression disproportionnée

16uu

Israël est une « surpuissance militaire » 3vv

David palestinien contre Goliath israélien 5ww

L’Intifada est un soulèvement populaire ou une guerre de libération nationale ; et est alimenté par la frustration et l’humiliation ou dirigé contre la puissance coloniale qu’est Israël

14xx

La résistance contre l’occupation israélienne du Sud-Liban –vue comme ignoble- et sa libération a été une victoire populaire éclatante 3yy

Dont

Le retrait d’Israël de territoires est une défaite piteuse pour ce dernier, et une victoire pour la résistance arabe, palestinienne ou islamique 1zz

Israël lutte pour sa survie contre des pays qui n’acceptent pas de reconnaître son droit à l’existence 0 0%

TOTAUX

L’intrusion d’une grille de lecture coloniale dans la représentation du conflit israélo-

arabe par le Monde diplomatique peut se ramener à sa plus simple expression à une vision

dichotomique opposant les figures idéal-typiques de « l’oppresseur » contre « l’opprimé ».

Afin de faire davantage sens, ces catégories sont développées et renforcées par une

permanence de discours confortant systématiquement ou presque les protagonistes dans les

rôles qui leur sont assignés. Dans l’ensemble des contributions étudiées, tout un arsenal

lexicologique est ainsi déployé, suivant ce schéma qui réinvestit le mythe politique de

l’autochtonie posant le « peuple souche » face au « peuple visiteur » 161.

160 Paul Watzlawick, Le langage du changement, Paris, Points Essais, 1980. Cité par Juliette Lichtenstein in « Permanence du discours sur Israël. La presse française : des négociations de Madrid aux accords d’Oslo (1991-1996) », Observatoire du monde juif, Dossiers et documents n°3, p. 5. 161 Mahmoud Darwich, « Hommage à Edward Said. Contrepoint », Le Monde diplomatique, janvier 2005.

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Modalités d’esthétisation des protagonistes

Cette antinomie passe des modalités particulières de représentation visuelle des

protagonistes, celle-ci faisant dans les colonnes du mensuel systématiquement l’objet d’une

esthétisation aux codes récurrents : le combattant palestinien jouissant de la beauté physique

de celui qui défend une cause juste vient s’opposer à l’Israélien fruste et grossier, dont la

laideur dispute à l’injustice qu’il est censé incarner par son existence même. Une article citant

Jean Genet et publié en juillet 1974 dans le Monde diplomatique par Tahar Ben Jelloun,

dépeint fidèlement cette « manière de voir » propre au mensuel : « Si le feda’i était déjà

embelli par son courage, le soldat israélien était […] comme un être terrifiant : lui et son

pistolet mitrailleur devenaient une grande ombre cachant le soleil palestinien, obligeant les

femmes et les enfants à la fuite et qui desséchait les récoltes »162.

Le récit ou « carnet de voyage », très prisé dans les pages du Monde diplomatique,

vient étaler sur des lignes et des paragraphes entiers différentes « tranches de vie » des

Palestiniens, dont une image romantique et attrayante se pose en contraste à une vision

présentant les Israéliens comme n’étant pas à leur place, ou étant quelque chose d’abstrait et

d’intrus dans la région. Construit sur un mode en temps réel (descriptions foisonnantes,

détails, lenteur de l’action), le « carnet de voyage » est un genre littéraire et plastique qui

engendre chez le lecteur l’empathie ainsi qu’une communauté de sentiment vis-à-vis des

protagonistes décrits chaleureusement –ici presque systématiquement palestiniens- en le

plongeant dans le quotidien dépeint sous une beauté picturale produite par les procédés

langagiers employés.

Le mensuel, pourtant caractérisé par une représentation iconographique

volontairement austère163, semble ici trouver une thérapie exutoire dans la reproduction de

longues descriptions imagées, parfois plus à même de susciter l’approbation sentimentale du

lecteur. Comme l’explique par exemple un article, le « carnet de route » montre des

Palestiniens qui « ont des noms et des visages »164. Efficace et marquant, le procédé littéraire

162 Jean Genet, cité par Tahar Ben Jelloun. Tahar Ben Jelloun, « Jean Genet avec les Palestiniens », Le Monde diplomatique, juillet 1974. A noter la naïveté européocentriste de la métaphore de l’ombre de Genet –pourtant prompt à dénoncer ce qu’il considère comme l’application d’un vision européocentriste et donc forcément selon lui coloniale au « monde arabe »-, dans la mesure où la notion d’ombre fait figure, dans les psychés de cultures sémites ancrées dans des contrées frappées par une sécheresse et un soleil de plomb, de refuge, de protection, et de fertilité. Nous sommes loin de l’ombre européenne venant gâcher le « beau temps »… 163 Voir le chapitre 1. 164 Marina Da Silva, « « Voyages en Palestine ». Enfer de l’occupation », Le Monde diplomatique, novembre 2001.

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du « carnet de voyage » l’est d’autant plus qu’il se révèle peu coûteux en argumentation. En

effet, « une des techniques les plus courantes pour créer des effets d’objectivité est de laisser

parler les faits, de se retrancher derrière eux »165. Par leur confection filmique, le « carnet de

voyage » et le reportage dans le Monde diplomatique éveillent ainsi la sensibilité du lecteur,

sans appeler à son esprit critique. En outre, l’usage de la phrase nominale et de la parataxe166,

fréquents dans ce type de récit, créé l’illusion d’une présentation cinématographique.

La terre de Palestine, avec laquelle le Palestinien est figuré comme ne faisait qu’un, se

voit attribuer les mêmes procédés descriptifs. Ainsi, la douceur du paysage palestinien vient

contraster avec la présence israélienne dénaturant et enlaidissant le panorama. L’enracinement

de « l’autochtone palestinien » est illustré par l’assimilation de celui-ci aux « oliveraies aux

arbres vénérables […] remont[ant] à l’époque romaine »167. L’Israélien, étranger à la

sensibilité du paysage, est alors celui qui le gâte en construisant des « murs défensifs », en

arrachant ces mêmes « oliviers millénaires » 168, en tentant de déraciner le Palestinien de sa

terre naturelle. Les « ruines », « barbelés », et le « ciel tailladé »169 sont l’empreinte de

l’oppresseur qui « défigure la ligne d’horizon »170. La pureté du paysage palestinien traduit

l’innocence du colonisé, son caractère immaculé.

La lecture colonialiste du conflit israélo-arabe par le mensuel emprunte d’ailleurs ses

catégories esthétiques à la thématique du Levant fantasmé, présentant les Palestiniens et le

monde arabe sous un Orient sensuel et charnel menacé par un impérialisme occidental

disgracieux incarné par l’Etat hébreu. Certaines contributions du Monde diplomatique

rappellent ainsi cet Orient rêvé mythifié par la poésie romantique et les récits de voyageurs de

Nerval, Chateaubriand, ou Lamartine. L’image d’une virginité perdue par le viol colonial est

alors celle de la Palestine avant Israël. Le récit en « carnet de voyage » dans le Monde

diplomatique se refonde ainsi sur le même principe de description romanesque et exotique.

165 Juliette Lichtenstein, « Permanence du discours sur Israël… », op. cit., p. 16. 166 « Procédé syntaxique consistant à juxtaposer des phrases, sans expliciter par des conjonctions de subordination et de coordination le rapport qui les lie entre elles ». Juliette Lichtenstein, « Permanence du discours sur Israël. La presse française : des négociations de Madrid aux accords d’Oslo (1991-1996) »,, op. cit. p. 28. 167 John Berger, « Choses vues à Ramallah. Telle, l’expression de ses yeux », Le Monde diplomatique, août 2003. 168 Ibidem. 169 Marina Da Silva, « « Voyages en Palestine ». Enfer de l’occupation », Le Monde diplomatique, novembre 2001. 170 Dominique Godrèche, « Un documentaire de Simone Bitton. Les Palestiniens enfermés », Le Monde diplomatique, octobre 2004.

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C) Décrire les protagonistes

Des catégories narratives empruntées au nationalisme171 palestinien

L’esthétisme adopté pour décrire le Palestinien dans le Monde diplomatique reprend

également les catégories de pensée diffusées par le mouvement national palestinien,

notamment dans sa poésie. Les contributions du mensuel publient notamment sous une plume

empathique et lyrique des fragments de poésie nationaliste palestinienne proclamant la

somptuosité du « martyr »172, du « rêve » de l’exilé173 ou encore de la mémoire nationale174.

Le Monde diplomatique constitue d’ailleurs le cas échéant un débouché pour la

diffusion du « mythe national »175 palestinien, sans que celui-ci ne doive forcément subir

quelque altération à la convenance du public hexagonal. Ainsi, le mensuel diffuse de larges

extraits, voire parfois des versions intégrales de poèmes et d’idées issus du corpus nationaliste

palestinien. Le poète Mahmoud Darwish étale notamment longuement dans ses poèmes,

publiés ou cités, des vers nécrophiles magnifiant le martyr palestinien176 et à l’évocation

récurrente du « sang »177. Ainsi, les strophes de l’auteur sont fréquemment mises à profit lors

d’occurrences diverses, comme pour mieux transmettre au lecteur l’univers mental des

Palestiniens. Le poète, peut-être plus que tout autre, incarne en effet l’esprit lyrique de la lutte

nationale des Palestiniens.

171 Afin d’éviter tout malentendu, il s’agit de préciser ce que nous entendons sous le vocable « nationalisme » dans ce présent travail. Nous forgerons d’ailleurs notre propre définition du terme : le nationalisme serait alors pour une collection d’individu la manière de se percevoir et de se définir en tant que collectivité porteuse d’une historicité propre, arrimée à la volonté pour le groupe de partager ces caractéristiques ainsi que d’en assurer la perpétuation. Il s’apparente ainsi au « processus de construction de la nation moderne, ayant pour principe et pour finalité la participation de tous les gouvernés à l’Etat. Dans cette […] acception, en effet, le nationalisme serait identifié –suivant les termes de Ernest Gellner- à « un principe politique qui affirme que l’unité politique et l’unité nationale doivent être congruentes ». Cette longue élaboration d’une communauté des citoyens ne saurait être confondue avec le nationalisme des nationalistes ». Paul Zawadzki, « Nationalisme », in Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXe siècle, Paris, Larousse, 1999, 671 pages, pp. 419-421, p. 419. 172 Mahmoud Darwish, « « Etat de siège ». Un poème inédit de Mahmoud Darwish. Ramallah, Janvier 2002 », Le Monde diplomatique, avril 2002. 173 Rita Sabah, « Bienvenue en Palestine. Chronique d’une saison à Ramallah, Anne Brunswick », Le Monde diplomatique, juillet 2004. 174 Isabelle Avran, « Mémoires d’un village palestinien disparu. Mohamed Al-Assad, commenté par Joseph Algazy et traduit de l’arabe par Sarah Descamps-Wassif », Le Monde diplomatique, juillet 2003. 175 Chaque mouvement national ayant ses mythes propres. 176 Mahmoud Darwish, « « Etat de siège », op. cit. 177 Dans un poème d’hommage à Edward Said, Mahmoud Darwish s’est conformé à son habitude hémophile de répéter le mot sang un certain nombre de fois dans son poème. Mahmoud Darwish, « Hommage à Edward Said. Contrepoint », op. cit.

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Edward Saïd, autre symbole de la cause palestinienne, rappelle d’ailleurs parfois dans

les colonnes du journal la « justesse de la cause arabe »178 ainsi postulée dans chacune de ses

contributions sur la tonalité de l’évidence. Cette attitude univoque peut le cas échéant lui

inspirer un certain rappel à l’ordre à l’encontre des « bons Arabes […] qui viennent dans les

médias décrier sans nuances la culture et la société arabes modernes »179. L’intellectuel

américano-palestinien, quand il ne s’exprime pas directement dans le mensuel, n’en fait pas

moins l’objet de propos élogieux.

Un dispositif langagier complexe et porteur de sens est donc établi dans les colonnes

du mensuel. Postulant que les contributeurs du Monde diplomatique exercent la maîtrise d’un

solide capital culturel et donc linguistique, notamment dû à leur inscription dans le champ

universitaire, nous considérerons que les pratiques sémantiques opérées dans les contributions

du mensuel font bien l’objet d’une manœuvre consciente. Il n’y a donc pas de choix innocent

dans la sélection des vocables employés. « Dire c’est faire »180, affirmait Austin : par l’emploi

de stratégies linguistiques, on oblige ainsi son lecteur à construire, par ses propres moyens, le

message transmis, venant ainsi à « transformer la situation du récepteur et modifier son

système de croyances »181.

C’est par le truchement de ces mêmes procédés linguistiques que les responsables

israéliens et palestiniens sont dépeints : l’un en anti-modèle se voit attribuer une terminologie

porteuse de sens négatif (« boucher », « criminel de guerre » etc.), tandis que l’autre est décrit

sous des mots ou expressions embrassant une valeur axiologique positive (« résistant »,

« courageux », etc). L’antinomie filant la métaphore coloniale passe ainsi également par un

emploi régulé de modalités discursives servant à décrire les leaders israéliens et palestiniens. 178 Edward W. Said, « Le philosophe, Israël et les Arabes. Ma rencontre avec Jean-Paul Sartre », Le Monde diplomatique, septembre 2000. Déplorant le « philo-sionisme » de Sartre, Said s’interroge en se demandant si cette attitude de Sartre ne viendrait pas soit d’une « peur de passer pour antisémite », d’un « sentiment de culpabilité devant l'Holocauste », ou alors d’un « refus de s'autoriser une perception en profondeur des Palestiniens comme victimes en lutte contre l'injustice d'Israël, ou quelque autre raison ». L’anti-sionisme incarnant l’évidence de justice chez Said. 179 Edward Said, « Effervescence au Proche-Orient. « J’espère que quelqu’un m’écoute » », Le Monde diplomatique, juillet 2005. 180 J.L. Austin, Quand dire c’est faire, Paris, Editions du Seuil, 1970, 202 pages. 181 Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1980, p. 185. Il ne s’agira cependant pas ici de tenter d’établir une analyse sémantique exhaustive des contributions du Monde diplomatique concernant le conflit israélo-arabe. Pour une approche allant plus en ce sens, nous renverrons le lecteur à l’étude fournie et instructive sur la presse française et le conflit israélo-palestinien de Juliette Lichtenstein, qui pourrait s’appliquer au Monde diplomatique. Juliette Lichtenstein, « Permanence du discours sur Israël… », op. cit.

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Deux champs lexicaux appliqués à Yasser Arafat et Ariel Sharon viennent personnifier les

deux responsables et servent d’ailleurs, par extension, de synecdoques décrivant les qualités

des deux peuples.

Sharon et Arafat : le « général » face au « résistant »

L’ancien premier ministre Ariel Sharon, en dépit de son statut de chef de

gouvernement attifé du routinier costume-cravate, est ainsi désigné dans une dizaine de

contributions sous l’expression empruntée au vocabulaire martial de « général Ariel

Sharon »182. Bien qu’il s’agisse alors de désigner un premier ministre en exercice et dont la

carrière militaire est achevée, l’emploi de la métonymie militaire est ainsi préféré à la fonction

civile de l’intéressé. Quand le grade militaire de l’ancien chef d’Etat israélien n’est pas

explicitement désigné, Ariel Sharon fait cependant l’objet de comparaisons l’assimilant au

vocabulaire de l’armée183. Au contraire, Yasser Arafat, bien que systématiquement revêtu de

son légendaire treillis « vert-olive » et constamment ceinturé d’un pistolet (chargé), même

lorsqu’il s’agit de signer des traités de paix, se voit invariablement désigné sous son rôle de

« président » de l’Autorité palestinienne, ou plus simplement de « président palestinien »,

président « de la Palestine » ou « des Palestiniens ».

Cette terminologie militarisante de la fonction politique israélienne fait plus largement

l’objet d’une extension au peuple israélien décrit par le truchement de métonymies

empruntant systématiquement ou presque à la thématique -aujourd’hui anachronique- de la

« nation-en-armes »184. L’Israélien est, dans les colonnes du Monde diplomatique,

essentiellement dépeint sous les traits du militaire, passablement cruel ou indifférent,

représentant la population et la société israéliennes sous les traits presque exclusifs d’une

« grande muette ».

182 Par soucis de concision, les références seront ici données sous leur numéro de renvoi en annexe : 2 ; 46 ; 62 ; 95 ; 131 ; 133 ; 164 ; 184 ; 238. 183 Près d’un quart des contributions versent ainsi dans cette représentation de l’ancien premier ministre israélien, affublé de façon récurrente d’expressions aux relents martiaux telles que « logique guerrière de M. Sharon », « esprit guerrier de M. Sharon », « militaire Ariel Sharon », etc. 184 Modèle qui était celui de la France jusqu’au moins la première guerre mondiale ou du Japon durant l’ère Meiji (1868-1912), voire celui de l’Etat hébreu durant ses toutes premières années. Uri Ben-Eliezer, « A nation-in-Arms : State, Nation, and Militarism in Israel’s First Years », Comparative Studies in Society and History 37/2, 1995, pp. 264-285.

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Le pendant inverse de cette militarisation de l’homo israelicus est l’assimilation quasi-

constante du Palestinien185 à la figure du « résistant », civil autochtone enraciné dans son

territoire avec lequel il entretient un rapport charnel, et en lutte contre l’oppressive présence

israélienne dont le début est daté parfois antérieurement à l’année 1967186.

Là encore, la personnification du peuple palestinien par son leader joue à plein187, et

celui-ci s’en voit attribuer les qualités, avec lequel il fait corps pour ne former qu’une seule

entité. Partageant le destin des Palestiniens, le « leader emblématique »188 Yasser Arafat est

ainsi décrit comme traqué de toute part par Israël, retranché dans sa Mouqata189 mais résistant

et « irréductible »190. Le « premier fedayin, le premier combattant »191 mène ainsi une

« guerre de libération »192, au nom de la « paix », de « la justice et la liberté »193, tenant d’une

main le fusil, mais de l’autre le rameau d’olivier. Arafat symbolise ainsi également

l’abnégation et la souplesse prêtées aux Palestiniens, tandis que Sharon métaphorisé en

belliqueux « faucon impénitent194 » incarne l’intransigeance et l’esprit guerrier d’un « peuple

arrogant et sûr de lui » -pour reprendre la phrase assassine d’un autre général- et responsable

de l’absence d’une paix souhaitée ardemment par la partie palestinienne, seule à l’origine des

concessions douloureuses. Une image de tolérance, de sensibilité et d’ouverture du raïs195

185 Également plus généralement de l’autochtone arabe –libanais, syrien, etc.- en lutte contre un Israël décrit sous un vocabulaire métaphorique le présentant comme un corps étranger à la région. 186 Date de la conquête par Israël des territoires de Cisjordanie et de Gaza, revendiqués officiellement par l’OLP et l’Autorité palestinienne comme territoires destinés à accueillir le futur Etat palestinien, et considérés comme occupés par les résolutions de l’O.N.U. Dater « l’occupation israélienne » avant 1967 revient ipso facto aujourd’hui à invoquer l’existence d’Israël reconnu internationalement comme illégitime. 187 John Berger affirme notamment que Yasser « Arafat représente les Palestiniens, plus fidèlement peut-être que tout autre chef d'Etat son peuple, non pas du point de vue démocratique, mais du point de vue tragique. D'où la solennité ». Celui qui fait office de « montagne du pays » symbolise dans ses gestes le rapport au temps du peuple palestinien et la noblesse du chef incontesté dans une description où même les bipèdes ailés se rallient au consensus majestueux : « Il marche lentement, et les poules s'écartent de lui encore plus lentement ». John Berger, « Choses vues à Ramallah. Telle, l’expression de ses yeux », op. cit. 188 Marina Da Silva, « Allers-retours, Ilan Halevi », Le Monde diplomatique, juillet 2005. 189 Jadis quartier général de l’ancien président palestinien, aujourd’hui largement désuet et en ruine. 190 Pour reprendre le titre de l’ouvrage dithyrambique d’Amnon Kapeliouk, Yasser Arafat : l’irréductible, Paris, Fayard, 2004, 519 pages. Le collaborateur au Monde diplomatique abdiquant de tout sens critique lorsqu’il s’agit d’évoquer le feu raïs, pioche allègrement dans la thématique du « résistant qui ne plie pas ». Il affiche notamment dans un encadré destiné à promouvoir son opus au titre révélateur « que cet ouvrage permettra de mieux comprendre l’estime que vouent au président Arafat tous ceux qui sont attachés à la liberté ». Extrait de la préface par Nelson Mandela de l’ouvrage d’Amnon Kapeliouk (Yasser Arafat : l’irréductible, op. cit.), encadré publicitaire page 5 du numéro de mars 2004 du Monde diplomatique. 191 Elias Khoury, « Le parcours du dirigeant palestinien. Le legs », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 192 Amnon Kapeliouk, « Des colons entre rage et résignation », Le Monde diplomatique, janvier 2001. 193 Eric Rouleau, « Vu par un journaliste israélien. Arafat l’irréductible », Le Monde diplomatique, avril 2004. 194 Alain Gresh, « Logiques de guerre au Proche-Orient. Proche-Orient, la paix manquée », Le Monde diplomatique, septembre 2001. 195 Pour preuve le président palestinien fréquente par exemple des Juifs comme l’indiquent nombre de contributions. Eric Rouleau explique notamment que Yasser Arafat a pour amis des « juifs séfarades », tandis que le raïs serait un pacifiste pour qui les « vrais juifs […] sont ceux qui refusent de s’associer à l’entreprise

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vient s’opposer à la description sanguinaire d’un Ariel Sharon enkysté dans une attitude

coloniale et raciste, appliquant froidement sa stratégie de « politicide du peuple

palestinien »196.

Des attitudes similaires de la part des deux dirigeants sont d’ailleurs perçues et

répercutées différemment par le mensuel. Si Yasser Arafat tient tête courageusement à Israël

et aux pressions extérieures, Ariel Sharon aurait une attitude arrogante vis-à-vis des

Palestiniens et du monde. L’opiniâtreté de l’ancien premier ministre israélien se voit assimilée

à de « l’intransigeance », tandis que la persévérance de feu le raïs palestinien lui vaut d’être

considéré notamment comme « attaché aux principes »197. Le « bilan calamiteux de

Sharon »198 contraste en outre avec les « erreurs » d’Arafat que « les Palestiniens lui

pardonnaient »199, bien que le raïs palestinien demeure « habile » à repousser les réformes

venant de l’intérieur200 et fasse preuve de « charisme »201.

Plus généralement, des évènements dramatiques du conflit provoquent le cas échéant

la « colère » des Palestiniens –représentant ainsi la perte de sang froid de la part des

Palestiniens de façon euphémique, limitée, mesurée et compréhensible -, tandis que cette

exaspération se mue en « rage » ou en « hystérie » lorsqu’il s’agit de rendre compte de

réactions israéliennes, représentées ainsi comme excessives et incongrues. Les termes de

« fanatisme », « haine » ou encore la qualification de « zélote », « nervi » ou extrémiste » ne

viennent qu’exclusivement désigner -tout ou partie- le côté israélien.

d’annihilation du peuple palestinien ». L’homme au keffieh est également décrit comme « sensible et épris de paix » ou « les yeux embués de larme » à l’évocation de morts palestiniens. Eric Rouleau, « Le parcours du dirigeant palestinien. Mes rencontres avec Yasser Arafat », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 196 L’expression se généralise à partir de 2003 dans le mensuel et connaît un succès fulgurant. Trois contributions développent plus en détail cette notion de « politicide » du peuple palestinien, c'est-à-dire en substance la volonté prêtée à Israël d’empêcher la création d’un Etat palestinien. Dominique Vidal, « Quand le passé éclaire le présent. Pour comprendre l’Intifada », Le Monde diplomatique, septembre 2003. Meron Rapoport, « Vers l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. A l’ombre du mur, Israël construit des zones industrielles », Le Monde diplomatique, juin 2004. Baruch Kimmerling, « Du « politicide » des Palestiniens. Le grand dessein politico-militaire de M. Ariel Sharon », Le Monde diplomatique, juin 2004. 197 Elias Khoury, « Le parcours du dirigeant palestinien. Le legs », op. cit. 198 Jonathan Cook, « Pourrissement au Proche-Orient. Dans la prison secrète d’Israël », Le Monde diplomatique, novembre 2003. 199 Eric Rouleau, « Le parcours du dirigeant palestinien. Mes rencontres avec Yasser Arafat », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 200 Graham Usher, « Dans l’étau de l’occupation israélienne. Impasse stratégique pour la résistance palestinienne », Le Monde diplomatique, septembre 2003. 201 Marina Da Silva, « Opération « Rempart ». La foi des Palestiniens », Le Monde diplomatique, avril 2003.

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Attribution des responsabilités aux protagonistes a Références : 3 ; 6 ; 20 ; 23 ; 35 ; 45 ; 49 ; 52 ; 54 ; 58 ; 62 ; 65 ; 68 ; 71 ; 82 ; 83 ; 86 ; 88 ; 89 ; 96 ; 103 ; 106 ; 108 ; 110 ; 115 ; 116 ; 119 ; 125 ; 127 ; 130 ; 131 ; 133 ; 136 ; 137 ; 155 ; 161 ; 162 ; 164 ; 165 ; 170 ; 171 ; 172 ; 173 ; 174 ; 176 ; 177 ; 178 ; 179 ; 183 ; 184 ; 186 ; 188 ; 190 ; 191 ; 195 ; 199 ; 201 ; 206 ; 210 ; 215 ; 218 ; 221 ; 223 ; 224 ; 227 ; 229 ; 233 ; 236 ; 237 ; 238 ; 239. b Références : 2 ; 4 ; 11 ; 15 ; 16 ; 33 ; 34 ; 37 ; 48 ; 51 ; 56 ; 59 ; 60 ; 70 ; 72 ; 74 ; 79 ; 80 ; 85 ; 87 ; 88 ; 94 ; 95 ; 96 ; 103 ; 106 ; 107 ; 110 ; 118 ; 121 ; 127 ; 131 ; 136 ; 141 ; 153 ; 173 ; 179 ; 186 ; 187 ; 191 ; 199 ; 212 ; 213 ; 222 ; 227 ; 241 ; 243 ; 244. c Références : 2 ; 4 ; 12 ; 15 ; 16 ; 17 ; 18 ; 19 ; 22 ; 23 ; 25 ; 34 ; 37 ; 52 ; 54 ; 56 ; 68 ; 76 ; 78 ; 79 ; 80 ; 91 ; 94 ; 96 ; 110 ; 119 ; 120 ; 155 ; 186 ; 203 ; 213 ; 215 ; 217 ; 241. d Références : 1 ; 33 ; 37 ; 42 ; 45 ; 51 ; 64 ; 67 ; 71 ; 78 ; 79 ; 85 ; 105 ; 117 ; 124 ; 127 ; 131 ; 132 ; 142 ; 149 ; 173 ; 175 ; 189 ; 192 ; 193 ; 196 ; 202 ; 219. e Références : 7 ;8 ; 9 ; 17 ; 21 ; 23 ; 24 ; 25 ; 35 ; 36 ; 47 ; 56 ; 74 ; 87 ; 94 ; 114 ; 121 ; 150 ; 201 ; 213 ; 226 ; 234 ; 238. ff Références : 32 ; 52 ; 61 ; 62 ; 97 ; 114 ; 132 ; 155 ; 162 ; 203 ; 234 ; 240. g Références : 2 ; 4 ; 11 ; 34 ; 37 ; 52 ; 65 ; 155 ; 203. h Références : 53 ; 204 ; 210. i Références : 17 ; 37. j Références : 6 ; 22. k Références : 53 ; 204. l Références : 85 ; 205. m Référence : 64. n Référence : 188. o Références : 62 ; 125. p Références : 80 ; 103. q Référence : 41. r Référence : 53. s Référence : 54. t Références : 65 ; 97. u Référence : 73. v Référence : 92. w Référence : 115. x Références : 66 ; 158. y Référence : 97. z Référence : 100. aa Référence : 125. bb Référence : 158. cc Référence : 243. dd Référence : 111. Colonialisme et guerre coloniale ee Références : 110 ; 127. ff Références : 7 ; 14 ; 80 ; 202 ; 234. gg Références : 7. hh Références : 132. ii Références : 3 ; 2 ; 19 ; 27 ; 37 ; 45 ; 51 ; 58 ; 60 ; 61 ; 72 ; 79 ; 80 ; 89 ; 94 ; 102 ; 110 ; 119 ; 120 ; 121 ; 126 ; 131 ; 132 ; 148 ; 152 ; 153 ; 155 ; 164 ; 165 ; 176 ; 177 ; 179 ; 183 ; 191 ; 213. jj Références : 9 ; 12 ; 31 ; 78. kk Références : 45 ; 65. ll Références : 45 ; 136 ; 177 ; 179 ; 190. mm Références : 131. nn Références : 5 ; 45 ; 131. oo Références : 64 ; 131. pp Référence : 173. qq Référence : 192. rr Références : 219 ; 227. David résistant contre Goliath occupant ?

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ss Références : 11 ; 14 ; 25 ; 35 ; 45 ; 47 ; 53 ; 58 ; 61 ; 62 ; 65 ; 71 ; 74 ; 96 ; 97 ; 106 ; 109 ; 110 ; 114 ; 120 ; 121 ; 125 ; 126 ; 132 ; 134 ; 148 ; 152 ; 153 ; 155 ; 156 ; 165 ; 174 ; 180 ; 182 ; 188 ; 192 ; 193 ; 219 ; 236. tt Références : 37 ; 74 ; 188. uu Références : 3 ; 9 ; 16 ; 19 ; 22 ; 34 ; 37 ; 47 ; 49 ; 56 ; 62 ; 165 ; 177 ; 184 ; 191 ; 195. vv Références : 2 ; 23 ; 53. ww Références : 13 ; 72 ; 121 ; 187 ; 195. xx Références : 16 ; 19 ; 25 ; 27 ; 45 ; 63 ; 126 ; 136 ; 191 ; 192 ; 193 ; 199 ; 228 ; 233. yy Références : 24 ; 53 ; 203. zz Référence : 52.

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2) Figures du colonisé

A) L’innocence de « l’oppressé »

L’irresponsabilité du colonisé

Une telle dissymétrie peut s’expliquer par le recours à une terminologie empruntée au

lexique d’une certaine idéologie d’influence « tiers-mondiste », qui veut que la fonction

militaire –attribuée à l’acteur israélien quasi-systématiquement dépeint sous le vocabulaire de

la soldatesque-, par essence vecteur d’oppression, soit dépréciée (et donc dépréciant pour

celui qui s’y voit rattaché). Celle de « résistant » « en lutte » qui est accolée aux Palestiniens

et notamment à Yasser Arafat leur confère au contraire une immunité voulant que leur actes à

l’encontre d’Israël ne soient jamais réellement critiqués ou alors condamnés comme étant la

résultante de la politique de l’Etat hébreu. Le mensuel en vient ainsi, au nom de la défense de

la « juste cause » des « opprimés », à exonérer ou largement diluer la responsabilité de ceux-

ci –toute faute politique ou morale de leur part étant considérée comme la conséquence

inévitable de l’unique « oppression » israélienne. Comme l’explique d’ailleurs Paul

Zawadzki, « la nécessité historique mise en évidence par l'explication causale abolit par

conséquent la possibilité même de penser la responsabilité. Plus exactement, on prend le

risque d'une dissolution du devoir être et de la responsabilité dans les causes »202. Le mensuel

est à ce propos en général peu critique de Yasser Arafat (vis-à-vis de son rapport avec

Israël)203. Persécuteur du peuple palestinien, Israël devient ainsi l’archétype du Tiers-monde

exploité et martyrisé, préservant la partie palestinienne de l’embarras de la critique.

Ce cliché du « résistant » opposé à « l’oppresseur », tout droit sorti du champ lexical

des Damnés de la Terre de Fanon, renvoie plus généralement à ce que le philosophe et

historien des idées Pierre-André Taguieff perçoit comme « l’apparition d’un nouveau type de

conflits, par delà les interactions symétriques structurant les classiques conflits de légitimités.

Il s’agit de conflits favorisés par l’affaiblissement des Etats-nations, par le double effet d’une

fragmentation interne croissante et des systèmes de contraintes mis en place dans l’orbite de

la globalisation des échanges : son type pur peut être illustré par l’antagonisme entre un Etat

202 Paul Zawadzki, « Travailler sur des objets détestables : quelques enjeux épistémologiques et moraux », Revue Internationale des Sciences Sociales, n°174, décembre 2002, pages 571-579, p. 575. 203 Mais en revanche davantage critique –bien que cordialement- lorsqu’il s’agit d’évoquer le rôle de l’ancien raïs sur les affaires internes palestiniennes, et notamment la gestion économique controversée de l’ancien président palestinien.

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existant, à la légitimité défaillante (qu’il soit ou non un Etat de droit), et un mouvement

séparatiste, parfois encore dit « de libération », doté d’une légitimité maximale. Une telle

situation conflictuelle se développant autour d’une relation asymétrique (illégitimité

étatique/légitimité du mouvement sécessionniste) peut entrer en syncrétisme avec un classique

conflit de légitimités (dont la matrice est « une seule terre pour deux peuples ») : c’est le cas

du très complexe conflit israélo-palestinien »204 -à l’aune duquel le Monde diplomatique

recourt fréquemment à la terminologie « résistancielle » afin de décrire faits et protagonistes.

Résistance armée et lutte nationale

Le terme de « résistance » s’emploierait depuis le XVIe siècle « avec une valeur

politique s’appliquant au fait de tenir tête à une autorité établie, à une limitation de sa liberté,

et se dit de l’action de faire obstacle aux desseins de quelqu’un. Ce sens politique a donné,

sous la Révolution française, l’expression « Droit de résistance à l’oppression », incluse dans

la Déclaration des Droits de l’homme (1791). C’est dans ce fil que le mot s’applique à l’action

menée par ceux qui s’opposèrent à l’occupation de leur pays durant la seconde guerre

mondiale, et –par métonymie- qu’il s’emploie à l’ensemble des personnes (appelées

résistants), organisations et mouvements participants à cette action »205.

Ainsi, « pour le lecteur français, le mot « résistance » est connoté positivement. Il

évoque l’attitude héroïque d’un certain nombre de Français, « les Résistants » qui ont

combattu secrètement contre l’ennemi allemand et contre leur gouvernement légitime,

pendant la seconde guerre mondiale »206. Porteur d’une vision du monde évidente, et chargé

de sens historico-politique, le terme a fait florès dans la littérature militante tiers-mondiste des

années 1950 à la décennie des années 1970. Il permet, par sa simple évocation, de suggérer au

lecteur une situation asymétrique d’injustice et d’oppression subie par un agent qui décide de

reprendre les rennes de son destin et de refuser, armes à la main, l’asservissement qu’on lui

impose.

204 Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme. Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris, Mille et Une Nuits, 2002, 202 pages, p. 53. 205 Gérard Rabinovitch, « Petit lexique du prêt à penser. Terrorisme=résistance ? », Observatoire du monde juif, bulletin n°3 « Le néo-gauchisme face à Israël », juin 2002, pp. 36-37. 206 Juliette Lichtenstein, « Permanence du discours sur Israël… », op. cit., p. 22.

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Hezbollah et Hamas : organisations de résistance armée ?

Effectif % %/ eff. total

Le Hezbollah et/ou le Hamas sont des organisations de « résistance »/ou au rôle positif207 15 71,4% 6,1%

Le Hezbollah est une organisation de résistance et de libération nationale 10a

Le Hezbollah est un parti politique respectable, tolérant et souple, et une organisation modérée 5b

Le Hezbollah joue un rôle positif au Liban, protège ce pays contre Israël, et son désarmement est illégitime 3c

La lutte armée du Hamas semble être le seul moyen de faire plier Israël 2d

Les attentats suicides permettent d’établir un équilibre face aux meurtres commis par d’Israël 2e

Le Hamas est constitué d’ « islamistes éclairés » 1f

Dont

Le Hamas est une organisation de résistance, de lutte nationale 2g

Le Hezbollah et/ou le Hamas sont des organisations dont les pratiques ne sont pas acceptables 6 28,6% 2,5%

Dont Les attentats-suicides contre des civils sont une stratégie criminelle et/ou sont ignobles/et ou injustifiables 6h

TOTAUX 21 100%

Le statut « d’opprimé » attribué au Palestinien lui confère de larges libertés et le cas

échéant une absolution indulgente, comme le montre le tableau. « On en conclut que les

malheureux, les opprimés ou les victimes, a fortiori s’ils se réfèrent à des fins grandioses ou

sublimes (justice, liberté, etc.), ont tous les droits, y compris celui de tuer des « innocents » ou

des civils, pour manifester leur révolte, leur refus de l’injustice ou leur désir d’un « monde

meilleur » »208. D’autant que ce « causalisme », « sur le plan politique […], débouche

aisément sur la justification de l’inacceptable »209 comme l’explique Paul Zawadzki. Et pour

ce dernier d’évoquer « les ravages du sociologisme en politique, tel qu’il prolonge l’ancienne

complaisance des intellectuels (fascistes ou critiques) à l’égard de la violence, en particulier

celle des « damnés de la terre » »210. Adoptant cette séquence, certaines contributions

viennent fournir ce « noyau rationnel »211 aux attentats-suicides et attaques visant des civils et

207 Bien qu’un certain nombre de contributions condamnent sans équivoque les actions meurtrières orientées contre des civils comme les attentats suicides notamment, aucune contribution ne remet en cause l’existence des organisations qui en sont à l’origine, parfois même dépeintes –nous le voyons ici- en des termes élogieux. Si le mensuel condamne donc à plusieurs reprises les attentats suicides pour leurs conséquences (bouclage, isolement international des Palestiniens, etc…) –et en général après en avoir reporté la responsabilité sur la politique menée par l’Etat hébreu- mais également pour en dénoncer le caractère ignoble (c’est le cas dans six contributions), il se garde cependant de déconsidérer les organisations qui en sont à l’origine. 208 Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 36. 209 Paul Zawadzki, « Travailler sur des objets détestables : quelques enjeux épistémologiques et moraux », op. cit., p. 576. 210 Ibidem. 211 Pour paraphraser l’expression de Nolte qui évoquait l’existence d’un « noyau rationnel » de l’antisémitisme allemand. Ernst Nolte, « Sur le révisionnisme. Lettre du 5 septembre 1996 », traduit de l’allemand par de Launay

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invoquant une cause palestinienne islamisée, alors que ceux-ci ne constituent pas tant un acte

politique (permettre la création de deux Etats vivants côte à côte) qu’un projet irrationnel et

pulsionnel de semer la mort chez un ennemi perçu comme millénaire, homogène, intemporel

et monolithique (le « Juif »), et au nom du divin. Le Hezbollah, et dans une moindre mesure le

Hamas, jouissent ainsi dans certaines contributions du Monde diplomatique du statut flatteur

« d’organisation de résistance » préparant la « libération nationale ». Ainsi, « par association

d’idées, le meurtrier se trouve dans une situation parallèle à celle du résistant français » 212.

Il convient cependant de rappeler que nombre de contributions du « Diplo », à

commencer par celles d’Alain Gresh et de Dominique Vidal, condamnent sans appel le

recours aux attentats-suicides. Cette condamnation univoque des actes s’ajoute cependant à

une attitude équivoque vis-à-vis des acteurs à l’origine de ces actions, ainsi que de leur

idéologie parfois portée à bout de bras par le mensuel. Abdiquant de tout esprit critique vis-à-

vis de l’idéologie du « Parti de Dieu »213, de nombreux articles du Monde diplomatique

reprennent jusqu’à la virgule près les exclamations triomphalistes des tracts de propagande du

Hezbollah. Evoquant le retrait israélien du sud-Liban (2000), le journal en vient ainsi à

célébrer dans un élan lyrique nimbé d’empathie cette « victoire » écrasante de la

« résistance » incarnée par le Hezbollah, « première défaite militaire imposée à Israël »214, qui

a « valeur d’exemplarité pour les peuples arabes » 215. Réinvestissant le glossaire de Hassan

Nasrallah216, le mensuel évoque la « libération du [Liban] sud, arrachée par une longue

résistance armée »217 comme la « débâcle »218 d’une armée israélienne qui « se retire

piteusement »219 -tranchant avec les termes de « concession » ou « d’ouverture » appliqués à

la bonne volonté palestinienne. « Fer de lance de la résistance nationale après l’invasion du

pays par Israël »220, le Hezbollah, parti respectable qui « ne vis[e] que les militaires »221 se

M., in François Furet, Ernst Nolte, Fascisme et communisme, Paris, Hachette, 2000, 145 pages. Cité par Paul Zawadzki, « Travailler sur des objets détestables… », op. cit., p. 576. La rationalité est entendue ici au sens de la « raison hégélienne », « celle qui guide l’histoire de l’humanité et lui confère son intelligibilité » (Paul Zawadzki, op. cit., p. 576). 212 Juliette Lichtenstein, « Permanence du discours sur Israël… », op. cit., p. 22. 213 Traduction de « Hezbollah » (en arabe littéral « hizbu Allah »). 214 Marina Da Silva, « Les ressorts d’une victoire : résistances au Liban-Sud », Le Monde diplomatique, février 2001. 215 Marina Da Silva, « Les ressorts d’une victoire : résistances au Liban-Sud », op. cit. 216 Chef spirituel du Hezbollah. 217 Marina Da Silva, « A l’ombre du conflit israélo-palestinien. L’espoir vacillant du Liban sud après la libération », Le Monde diplomatique, janvier 2002. 218 Ibidem. 219 Dominique Vidal, « Les Palestiniens assiégés. Israël contre Israël », Le Monde diplomatique, janvier 2002. 220 Walid Charara & Frédéric Domont, « Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste », Le Monde diplomatique, décembre 2004.

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serait depuis reconverti en un « mouvement national d’inspiration religieuse »222 qui « illustre

la puissance de la dynamique impulsée par la synthèse opérée entre nationalisme et

islamisme »223. D’ailleurs, le « désarmement du Hezbollah est illégitime »224, puisque ce

dernier a « empêché Israël de commettre d’autres massacres »225. « L’organisation de la

résistance islamique »226 n’est pas non plus épargnée par les propos complaisants du Monde

diplomatique, qui le qualifie dans certaines de ses contributions d’organisation « d’islamistes

éclairés »227, vouée à la résistance et la lutte nationale, et dont la « lutte armée » 228

apparaîtrait « comme la seule chance de faire plier Israël » 229.

Ainsi certaines contributions semblent postuler la formule jadis chère aux milieux

révolutionnaires, à savoir que « la fin justifie les moyens ». L’appréhension du conflit comme

« la dernière guerre coloniale »230 par le mensuel lui permet d’ailleurs de reprendre l’idée du

psychiatre antillais, Frantz Fanon, qui dans Les damnés de la terre explique que la

décolonisation doit être violente pour permettre au colonisé de retrouver son identité231.

La finalité escomptée par ces deux organisations, estampillée sous l’expression

euphémique trompeuse de « libération de la Palestine », ne s’arrête cependant pas au souhait

parfaitement légitime de voir un Etat palestinien « indépendant et viable »232 s’établir aux

côtés d’Israël. Le Hezbollah et le Hamas ne luttent pas nécessairement en effet pour le simple

établissement d’un Etat palestinien indépendant ou pour une quelconque « libération

nationale », mais bien pour une liquidation pure et simple de ce que la vulgate anti-sioniste -

221 Pierre Conesa, « Sri Lanka, Iraq, Tchétchénie, Israël. Aux origines des attentats-suicides », Le Monde diplomatique, juin 2004. 222 Walid Charara & Frédéric Domont, « Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste », op. cit. 223 Ibidem. A noter qu’ici la synthèse entre islam et nationalisme est célébrée comme une « puissante dynamique », tandis que nombre de contributions du même mensuel fustigent la fusion opérée par le sionisme et jugée contre-nature entre la tradition juive et le nationalisme. Voir à ce propos la partie idoine infra. 224 Alain Gresh, « Etrange révolution. Improbable alliance entre Paris et Washington », Le Monde diplomatique, juin 2005. 225 Georges Corm, « La France et les Etats-Unis accentuent leur pression sur Damas. Crise libanaise dans un contexte régional houleux », Le Monde diplomatique, avril 2005. 226 Traduction française de l’acronyme arabe formant le nom « Hamas ». 227 Elias Khoury, « Le parcours du dirigeant palestinien. Le legs », op. cit. 228 Paul-Marie de La Gorce, « La paix manquée. Logiques de guerre au Proche-Orient », Le Monde diplomatique, septembre 2001. 229 Ibidem. 230 Marina Da Silva, « Points de vue sur un conflit. Peur et « sécurité » en Israël », Le Monde diplomatique, novembre 2004. 231 Elle est d’ailleurs selon l’auteur « toujours un phénomène violent ». Franz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspéro, 1970, 233 pages, p. 5. 232 Pour reprendre une formule diplomatique désormais consacrée.

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aujourd’hui islamiste et autrefois panarabe- nomme « l’entité sioniste »233. La charte du

Hamas est d’ailleurs particulièrement explicite puisqu’elle enjoint, citant dans son article 7 un

hadith234, tous les musulmans à combattre et tuer les Juifs partout où ils se trouvent235.

233 Sur ce point, il s’agit en effet de distinguer d’une part les attentats et autres attaques commises à l’encontre des civils en Israël au nom de la cause palestinienne, et d’autre part ceux commis au nom d’autres causes. Le parallèle –au nom d’une guerre contre le « terrorisme mondial » pour les uns, ou contre « l’impérialisme mondial » pour d’autres- avec d’autres « conflits nationaux » tels le conflit tchétchène notamment se révèle inopérant. Les indépendantistes tchétchènes, même les plus aguerris, n’ont par exemple jamais appelé à la disparition du fait russe. 234 Dans l’islam, paroles du prophète Mahomet rapportées après sa mort par des personnalités apocryphes, certains hadith étant reconnus comme plus ou moins authentiques que d’autres. 235 L’article sept de la charte précise en effet : « L'Heure ne viendra pas avant que les musulmans n'aient combattu les Juifs (c'est à dire que les musulmans ne les aient tués), avant que les Juifs ne se fussent cachés derrière les pierres et les arbres et que les pierres et les arbres eussent dit : 'Musulman, serviteur de Dieu ! Un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le. Un seul arbre aura fait exception, le gharqad [Sorte d'épineux] qui est un arbre des Juifs ». D’autres articles sont d’ailleurs explicites vis-à-vis de l’hostilité intrinsèque et irrévocable que porte le Hamas vis-à-vis des Juifs. Morceaux choisis : « Notre combat avec les Juifs est une entreprise grande et dangereuse qui [aboutira] à l'écrasement des ennemis et la victoire de Dieu » ; les « Juifs marchands de guerre » « s’efforcent à corrompre la terre » ; « Israël, par sa judéité et ses Juifs, constitue un défi pour l'islam et les musulmans »… Traduction française de la Charte du Hamas réalisée par Jean-François Legrain, chercheur au CNRS (http://www.mom.fr/Presentation/Equipes/Gremmo/equipegremmo/chercheurs/legrain/voix15.htm).

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Champ lexical de l’horreur

Champ lexical de l’horreur Effectif % %/ eff.

total Israël commet régulièrement et a commis à plusieurs reprises des actes ignobles à l’encontre de populations civiles 81 91% 33,2%

Israël utilise la force de manière brutale, excessive et impitoyable, et viole les droits humains, causant de la souffrance aux Palestiniens 21i

L’armée israélienne massacre consciemment, volontairement et sans motifs des Palestiniens innocents, hommes, femmes, enfants et bébés ; ceci quotidiennement ou presque voire de façon particulièrement ignoble ; et s’attaque gratuitement à des ambulances/les soldats israéliens sont brutaux et mauvais et commettent de nombreuses exactions

39j

L’armée israélienne a un plaisir sadique à torturer et/ou massacrer des Palestiniens innocents (hommes, femmes et enfants) 3k

Tout soldat israélien est un assassin potentiel/Les soldats israéliens sont « insupportables de méchanceté » 2l

Israël commet des « crimes de guerre » 17m

Israël a pratiqué la torture et la terreur au Liban de façon particulièrement cruelle et ignoble (incluant le massacre délibéré et continu d’enfants, de bébés, d’hommes et de femmes innocents)

15n

Israël expulse et affame délibérément le peuple palestinien 2o

Israël torture des enfants 2p

L’occupation israélienne est un enfer/ Israël pratique la « terreur d’Etat » 3q

Israël pratique la torture couramment voire sur la majorité de ses détenus palestiniens 3r

Israël est ou a été responsable de massacres et d’atrocités 19s

Dont

Israël commet des « crimes contre l’humanité » 3t

La partie arabe et/ou palestinienne commet ou a commis des actes ignobles 8 9% 3,3%

Les Israéliens sont victimes d’attentats particulièrement cruels et sanglants de la part des Palestiniens 6u

Yasser Arafat a une responsabilité dans le massacre de Septembre Noir de 1970 1vDont

Les massacres de Palmyre (1980) et de Hama (1982), commis par le régime syrien, sont brièvement nommés 1w

TOTAUX 89 100%

Cette relative indulgence vis-à-vis de la partie « en résistance » se pose en miroir

d’une perception de l’oppresseur israélien revêtu de l’uniforme et à la gâchette facile. Le

« droit à la résistance » reconnu aux Palestiniens -et plus généralement à ceux faisant office

d’ennemis de l’Etat d’Israël- se voit notamment justifié par un appel récurrent aux bons

sentiments du lecteur, offusqué par les horreurs imputées entièrement à la partie israélienne.

Près d’un tiers des contributions évoquent des exactions portant uniquement la marque

d’Israël, certaines n’épargnant pas au lecteur des descriptions généreuses en hémoglobine et

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dignes de films d’épouvante. Spécialisée dans les « meurtres de bébé »236, Tsahal237 laisserait

ainsi derrière elle des « enfants criblés de balles de sniper »238 ; un « enfant amputé des deux

jambes »239 ; un « bébé incrusté dans les chenilles »240 d’un char (israélien) ou encore des

« enfants égorgés ou empalés, ventres de femmes ouverts avec leurs foetus, têtes et membres

coupés à la hache, monceaux de cadavres »241. Les bourreaux de Sabra et Chatila, « entraînés

pendant des mois, en Israël, à tuer et à torturer »242, auraient ainsi été à bonne école.

Là encore, l’allégorie coloniale vient marquer les représentations : l’impitoyable

soldatesque israélienne se donne ainsi les moyens d’exécuter ses desseins sans états d’âmes

par le biais d’exactions dignes de la « guerre totale », contre un peuple palestinien martyr

résistant cependant à l’horreur imposée par son bourreau israélien. A ce titre, le simple fait de

mentionner le nom d’Ariel Sharon dans le Monde diplomatique a valeur performative. Le

personnage est systématiquement identifié comme le « boucher » de Sabra et Chatila243, bien

que d’autres massacres ou actes ignobles associés au nom de Yasser Arafat ne soient jamais

mentionnés244, et tandis que le carnage de Hama, ayant coûté la même année la vie à près de

236 Amnon Kapeliouk, « Qybia, Sabra et Chatila, territoires autonomes. Les antécédents du général Sharon », Le Monde diplomatique, novembre 2001. 237 Acronyme hébreu désignant l’armée israélienne. 238 Muna Hamzeh-Muhaisen, « Jours ordinaires dans le camp de Dheisheh », Le Monde diplomatique, novembre 2000. 239 Dominique Godrèche, « Gaza, l’enfermement. Un film de Ram Loevy. Déshumanisés », Le Monde diplomatique, mars 2002. 240 Pierre Péan, « « Le passé, c’est encore le présent ». Sabra et Chatila, retour sur un massacre », Le Monde diplomatique, septembre 2002. 241 Ibidem. 242 Alain Gresh, « Retour sur Sabra et Chatila », Le Monde diplomatique, octobre 2005. 243 Mais également rendu responsable de la tragédie de Qibya. En 1953, une compagnie de parachutistes, ainsi que l’Unité 101 dirigée par Ariel Sharon, rasent le village cisjordanien de Qibya qui servait de point de départ aux incursions de commandos palestiniens en Israël. Ces infiltrations en Israël, fréquentes depuis l’Armistice pourtant signée en 1949 entre Israël et ses voisins, avaient fait 137 morts israéliens en 1951, 162 morts en 1952, et 160 morts en 1953 –ces pertes étant pour l’essentiel composées de civils. Le 12 octobre 1953, une femme et ses deux enfants sont tués par des combattants jordano-palestiniens infiltrés dans la ville israélienne de Yehud. Si les lourdes pertes civiles subies par Israël lors des infiltrations palestiniennes servent de moteur à l’opération contre le village de Qibya, le tragique développement de Yehud en constitue le déclencheur. Le gouvernement israélien décida alors de raser le village, appelant au préalable sa population à évacuer la zone, ce que firent 2700 personnes, bien qu’une minorité de villageois décida de rester. Soixante-neuf de ces civils trouvèrent alors la mort lors de la destruction du village, pilonné par l’artillerie puis investi par l’armée israélienne. Sources : article « Qybia massacre » sur la version anglophone du site Wikipédia : http://en.wikipedia.org/wiki/Qibya_massacre. Le Monde diplomatique rend également Ariel Sharon de ce qu’il nomme le « massacre » de Jénine (terme employé par les autorités palestiniennes et repris tel quel par le mensuel), bien que l’O.N.U. –peu suspect de sympathies « pro-israéliennes »- ait rejeté la pertinence d’une telle appellation pour désigner les combats de rue ayant opposés en 2002 des soldats israéliens à des miliciens palestiniens armés. Cette opération israélienne à Jénine intervenait à la suite d’un attentat commis par un kamikaze palestinien (du Hamas) dans un hôtel de Netanya, le soir de la Pâques juive, et ayant causé la mort de 30 Israéliens et blessé grièvement 140 autres (sources : Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_l%27h%C3%B4tel_Park_de_Netanya). 244 Un des plus célèbres est celui du village chrétien libanais de Damour. Le 20 janvier 1976, les forces palestiniennes composées (tout ou partie selon les sources) de combattants de l’OLP de Yasser Arafat entrent

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20000 personnes, ne soit mentionné que dans une contribution245. Un nombre conséquent de

documents évoquent des massacres commis par l’Etat hébreu246, avec au centre le carnage

commis dans les deux camps de réfugiés, massacre imputé systématiquement au seul Israël

par le mensuel, bien qu’il fut planifié et exécuté par les milices chrétiennes libanaises, certes

alliées à l’Etat hébreu247.

Il semblerait donc bien que le statut de nouveau « damné de la terre » associé au

Palestinien dans les colonnes du mensuel vienne expliquer ce schéma rigide permettant de

dénoncer à outrance les actes d’horreurs commis par Israël, et retirer toute responsabilité à la

partie palestinienne248. Evoquant la controverse autour de l’étude des liens de causalité

dans le village et en tueraient les 582 civils restant (les sources divergent sur le nombre exact de victimes), alignés devant un mur et arrosés à la mitrailleuse. On trouve parmi les victimes la fiancée et la famille d’Elie Hobeika, responsable phalangiste lié aux massacres de Sabra et Chatila six ans plus tard… (sources : article « Damour massacre » disponible sur le site anglophone de Wikipédia : http://en.wikipedia.org/wiki/Damour_massacre). On pense également au rôle de Yasser Arafat dans le détournement de l’Achille Lauro. Le 7 octobre 1985, un commando palestinien se revendiquant du Front de Libération de la Palestine, mais loyal à Yasser Arafat et l’OLP, détourne le bateau de croisière et jette par-dessus bord un tétraplégique américain, en raison de sa judéité. Mohamed Abbas, (alias Abou Abbas), au cœur de l’opération, sera d’ailleurs nommé plus tard membre du comité exécutif de l’OLP par Yasser Arafat. (article disponible sur site Internet de la BBC : http://www.bbc.co.uk/dna/h2g2/A730900). 245 En février 1982, la ville syrienne de Hama se révolte contre le pouvoir central après l’arrestation de plusieurs imams, fers de lance de l’opposition. Le feu président syrien Hafez el Assad donne alors l’ordre de bombarder la ville à l’artillerie lourde et de l’assiéger. Près de 25000 civils syriens décèdent sous les bombes et les attaques à la mitrailleuse de l’armée. Le massacre est nommé à une reprise dans notre population de 244 contributions, sans les détails hémophiles réservés aux massacres attribués à Israël (Samir Aita, « Effervescence au Proche-Orient. Aux origines de la crise du régime baasiste de Damas » Le Monde diplomatique, juillet 2005). 246 Les références, trop nombreuses pour être citées ici, renvoient au numéro de contribution indiqué en annexe : 3 ; 11, 16, 20, 23, 34, 37, 46, 51, 52, 62, 65, 68, 69, 71, 84, 85, 86, 89, 103, 106, 123, 155, 183, 184, 187, 198, 236, 244. 247 L’attribution du massacre à Israël se fonde en effet « sur la base d’un fait mal établi et volontairement mésinterprété (à Sabra et Chatila, ce sont des chrétiens libanais qui, en réaction aux multiples exactions des Palestiniens sur leur sol, se sont vengés sauvagement) ». Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., pp. 94-95. Le massacre commis dans les deux camps de réfugiés palestiniens au sud de Beyrouth a été ainsi perpétré du 16 au 17 septembre 1982 par les milices phalangistes libanaises. Il y aurait eu près de 700 à 800 victimes, dont 460 corps retrouvés sur les lieux, bien que d’autres sources, palestiniennes pour l’essentiel, évoquent des chiffres plus élevés. Bien qu’il n’y ait eu aucun Israélien sur les lieux pendant le massacre, une commission d’enquête indépendante en Israël (la commission Kahane) a condamné l’Etat hébreu pour son n’avoir pas su empêcher le massacre, alors que celui-ci était prévisible au vu de massacres précédents dont furent victimes les chrétiens libanais. Le responsable direct du massacre, chef de l’unité phalangiste ayant commis de forfait, -et par ailleurs protégé de la Syrie voisine- Elie Hobeika, n’a jamais été inquiété. Le ministre de la Défense israélien, Ariel Sharon, fut condamné par la commission Kahane pour n’avoir pas su empêcher le massacre, puis puni en étant démis de ses fonctions. 248 Ce n’est d’ailleurs pas tant la réalité ou non des exactions relatées ici qui doit retenir notre attention, mais bien plutôt la mention exclusive de crimes attribués -à tort ou à raison- à Israël, omettant une foultitude d’exactions imputables à la partie « adverse », et certainement comparables en intensité, si ce n’est davantage odieuses. Ainsi, ces « vraies images » peuvent travestir une réalité autrement plus complexe et aux responsabilités plus diffuses. Pour reprendre le terme d’un des encadrés du mensuel « même des images « vraies » peuvent mentir ». Anonyme, « Guerre totale contre un péril diffus. De « vraies-fausses » images », Le Monde diplomatique, octobre 2001 (l’encadré en question contestait ainsi la pertinence d’une analyse évoquant

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appliquée aux violences extrêmes, Paul Zawadzki expliquait d’ailleurs comment le processus

intellectuel de dilution de la responsabilité s’opère. Celui-ci pouvant se rapprocher d’une

certaine déresponsabilisation dont jouissent les Palestiniens dans le mensuel, affranchis de

leur responsabilité de par leur statut de « colonisé » : « sur le plan moral, si l’on considère que

les individus sont mus par des forces qui les agissent, ils ne sont pas sujets mais objets. S’ils

sont objets, ils ne sont pas responsables. A un individu déterminé, hétéronome, agi plus

qu’agissant, on ne pourra reprocher d’avoir commis ce qu’il a commis. Autrement dit, si l’on

appréhende les faits subjectifs des hommes dans leur culture comme des choses ou comme

des faits objectifs de la nature, on se désintéresse de la structure intentionnelle de l’action. On

se borne à mettre en évidence des liens de nécessité qui déterminent les actes »249. La situation

des Palestiniens décrite dans les colonnes du mensuel empruntant uniquement au vocabulaire

de l’oppression, celui-ci ne jouirait donc pas de la possibilité de mal agir, puisqu’en effet

« l’acte moral présuppose la liberté »250.

le soutien des Palestiniens aux attentats du 11 septembre 2001 –suite à de nombreuses images montrant des Palestiniens en train de se réjouir de ces attentats).249 Paul Zawadzki, op. cit., p. 575. 250 Ibidem.

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B) Seuls contre tous

Evaluations des soutiens internationaux Effectif % % eff.

total Les Palestiniens sont soutenus par la communauté internationale qui ne manque pas de condamner les agissements d’Israël voire d’agir en conséquence

4 6,3% 1,6%

Les Palestiniens sont soutenus par l’Union Européenne, qui agit contre la politique d’Israël 0

Les Palestiniens sont parfois soutenus par les Etats-Unis, qui agissent contre la politique d’Israël/Les Etats-Unis sont irrités par la politique israélienne envers les Palestiniens

3x

Les Palestiniens sont soutenus par le Monde arabe et/ou musulman, qui agissent contre la politique d’Israël 1y

Dont

Les Palestiniens sont soutenus par l’ONU, qui agit contre la politique d’Israël 0

Les Palestiniens sont injustement abandonnés par la communauté internationale, qui soutient avec partialité les agissements d’Israël, et qui fait des Palestiniens des victimes

59 93,7% 24,2%

Les Palestiniens sont abandonnés par l’Union Européenne, qui soutient de manière partiale Israël 6z

Les Palestiniens sont abandonnés par les Etats-Unis, qui soutiennent de manière partiale et inconditionnelle Israël 40aa

Les Palestiniens sont abandonnés par le Monde arabe et/ou musulman 3bb

Les Palestiniens sont abandonnés par l’ONU, qui n’agit pas contre concrètement contre Israël 1cc

Dont

Les Palestiniens résistent aux pressions du monde et de la communauté internationale acquise à Israël 1dd

Les Palestiniens souffrent d’une tragique solitude et sont abandonnés de la communauté internationale, tandis qu’Israël de l’impunité la plus totale

16ee

La communauté internationale est incapable d’assurer la protection des civils palestiniens 1ff

Les Palestiniens sont victimes des médias internationaux qui sont partiaux et/ou en faveur d’Israël 2gg

TOTAUX 63 100

La construction du Palestinien comme figure victimaire

Cette projection de l’acteur israélien sous un accoutrement sanguinaire a pour parallèle

celle d’une vision tambour battant du « résistant » victorieux face à l’agresseur,

paradoxalement renforcée par une présentation victimisante des Palestiniens. Ceux-ci sont

représentés comme les laissés-pour-compte des nations, abandonnés au sort que leur réserve

Israël. Bien que la cause palestinienne rencontre un écho certain sur la scène internationale, ce

qui permet notamment aux Palestiniens d’être le premier réceptacle par tête au monde de

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l’aide internationale251, les Palestiniens sont ainsi considérés par près d’un quart des

contributions étudiées comme esseulés et subissant « souffrance et abandon »252, ainsi qu’un

« engagement pro-israélien »253 de la part d’une communauté internationale laissant tout un

boulevard aux « impunités » israéliennes (voir le tableau consacré).

La dénonciation d’un axe américano-israélien complotant contre les peuples du Proche

et Moyen-Orient constitue à ce titre une des antiennes parmi les plus gloutonnes en encre sur

le papier du Monde diplomatique. Celle-ci le cas échéant outrepasse le simple procès d’un

engagement partial des Etats-Unis vis-à-vis de la politique israélienne, pour porter sur la

diatribe d’une alliance symbiotique entre deux entités ne faisant plus qu’une. La relation

fusionnelle suggérée entre les deux pays fait que la « croisade » « impérialiste » américaine se

voie « téléguidée par Israël »254, tandis que les relations profondes « d’alliance […] de la

droite chrétienne américaine […] avec Israël »255 permettent à « M. Sharon et ses alliés du

pentagone »256 de converger sur les attitudes à adopter face aux régimes opposés à Israël et

vis-à-vis des Palestiniens.

Ce thème de l’alliance symbiotique israélo-américaine est particulièrement révélateur

de la puissance de la thématique « anti-impérialiste » dans le mensuel. L’obsession vis-à-vis

du « néo-colonialisme » attribué à l’Oncle Sam dans ses pages, ajoutée à une lecture coloniale

du conflit israélo-arabe, tendent à engendrer l’image d’une hydre néo-impérialiste bicéphale

américano-israélienne, projetant ses griffes sur le peuple palestinien dès lors tragiquement

seul.

Une telle vision paternaliste et lacrymale rappelle la faiblesse que l’on attribue au

colonisé, pour mieux le soutenir, et se voit complétée par une sémantique misérabiliste

251 Les Palestiniens reçoivent en effet le plus d’aide internationale par tête d’habitant que tout autre groupe ou pays dans le monde. Rien que pour l’aide européenne, les Palestiniens recevaient déjà en 1998 « 258,7 écus par tête », tandis que les pays inclus dans la convention de Lomé percevaient « 23,2 écus par tête », et le reste de la Méditerranée ainsi que les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) n’avaient plus que « 11,2 écus par tête ». Cette aide européenne a été depuis régulièrement augmentée. Source : « Rôle de l'Union Européenne dans le Processus de Paix et assistance future au Proche-Orient », Communication de la Commission Européenne, janvier 1998, disponible sur http://www.medea.be/index.html?page=2&lang=en&doc=296. 252 Joseph Algazy, « Relance du mouvement pacifiste. Ces soldats israéliens qui disent non », op. cit. 253 Axel Kahn, « Le devoir du plus fort », Le Monde diplomatique, avril 2002. 254 Ibrahim Warde, « Les dynamiques du désordre mondial. « Il ne peut y avoir de paix avant l’avènement du Messie », Le Monde diplomatique, septembre 2002. 255 Ibidem. 256 Geoffrey Aronson, « La Palestine à feu et à sang. Au Proche-Orient, les partis pris de la Maison-Blanche », Le Monde diplomatique, mai 2002.

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rappelant les descriptions tiers-mondistes d’antan257. Certaines contributions mettent ainsi

l’accent sur le contraste entre un Israël riche et verdoyant d’un côté, et la misère au Liban Sud

ou dans les territoires palestiniens de l’autre –sans expliciter cependant les raisons conduisant

à cette situation. Ce type de répertoire appelle ainsi implicitement le lecteur à soutenir celui

présenté comme indigent face à l’opulent, et invite par l’image à rejouer l’opposition entre

prolétaire rachitique et bourgeois ventripotent. De telles descriptions sont donc destinées à

provoquer chez le lecteur de l’apitoiement, de la compassion et de l’indignation mobilisatrice.

Pour mieux marquer le contraste, et tandis que la « souffrance » et « l’enfer » sévissent dans

les territoires palestiniens, le mensuel rappelle que « pendant ce temps, en Israël, la vie

continue normalement »258. Le champ lexical du dolorisme est d’ailleurs récursif pour

évoquer la condition des Palestiniens sous la férule israélienne259.

Victimes de l’indifférence internationale et de l’exaction israélienne, les Palestiniens

se voient infliger le coup de grâce par les médias internationaux, partiaux et « pro-israéliens »,

et enclins à la « déshumanisation »260 des Palestiniens. Ce serait la conséquence de la « guerre

israélienne de l’information »261 dénoncée dans les colonnes du journal. Le thème de la

« désinformation israélienne »262 constitue ainsi un leitmotiv explicatif de cette partialité pro-

israélienne supposée des médias internationaux.

L’érection du Palestinien au statut de victime embrasserait d’ailleurs, selon Edward

Saïd, une généralisation de la haine portée sur l’Arabe, « nouveau Juif » cristallisant les

inimitiés d’autrui, comme si le Juif avait d’ailleurs lui-même disparu. L’universitaire de

Colombia apprécié des colonnes du Monde diplomatique expliquait ainsi comment selon lui

257 Le parallèle implicite avec le Tiers-monde est en effet assez présent, par exemple lorsqu’une contribution décrit comment « deux jeunes enfants palestiniens aux pieds nus s’affairent à récupérer de l’eau sans en perdre une goutte ». John Berger, « Choses vues à Ramallah. Telle, l’expression de ses yeux », op. cit. 258 Muna Hamzeh-Muhaisen, « Jours ordinaires dans le camp de Dheisheh », op. cit. 259 Le terme de « souffrances », souvent adjoint du qualificatif « ordinaires », est récurrent pour désigner la vie quotidienne des Palestiniens. 260 Dominique Godrèche, « Un documentaire d’Azza El-Hassan. Banalisation de la mort en Palestine », Le Monde diplomatique, décembre 2001. 261 Gilbert Achcar, « La guerre israélienne de l’information. Joss Dray et Denis Sieffert », Le Monde diplomatique, novembre 2002. La note de lecture publiée dans le mensuel reprend les idées de l’ouvrage de Joss Dray et Denis Sieffert, dénonçant un complot médiatique israélien destiné notamment à délégitimer la partie palestinienne par le biais de « désinformation et fausses symétries ». La guerre israélienne de l’information. Désinformation et fausse symétrie dans le conflit israélo-palestinien, Paris, La Découverte, 2002, 128 pages. 262 Mohamed El Oifi, « Traduction ou trahison. Désinformation à l’israélienne », Le Monde diplomatique, septembre 2005.

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« l’animosité antisémite populaire est passée en douceur du Juif à l’Arabe, puisque l’image est

presque la même »263.

Une vision paternaliste en raison de l’absence d’Etat ? Nous l’avons vu précédemment, cette lecture coloniale de la dispute israélo-arabe se

traduit également par le statut d’irresponsabilité octroyé avec mansuétude au côté palestinien

par le mensuel. Ainsi, l’évidence supposée de la faiblesse des Palestiniens est supputée par

l’absence de l’exercice d’une pleine souveraineté étatique chez ces derniers –bien que

l’exercice d’une souveraineté étatique par les autres peuples arabes ne leur vaut pas le vitriol

réservé à l’Etat d’Israël.

La virginité étatique et donc morale du colonisé se voit alors opposée à la culpabilité

du colonisateur, sommé de battre sa coulpe pour expier son « péché originel »264. La

responsabilité israélienne systématique dans l’ensemble des problèmes actuels, quels que

soient les comportements des protagonistes, suit ainsi cette grille de lecture coloniale dont le

schéma semble construit d’avance. Jean Genet, présenté élogieusement dans certaines

contributions du Monde diplomatique, interprétait ainsi son propre engagement passionné en

faveur des Palestiniens. L’auteur du Captif amoureux265, épris du monde arabe, en lequel il

voyait la figure de la « résistance » à un « Occident » revêtu de l’accoutrement du

colonisateur, confiait à ce propos : « Le choix que l’on fait d’une communauté privilégiée, en

dehors de la naissance alors que l’appartenance à ce peuple est native, ce choix s’opère par la

grâce d’une adhésion non raisonnée, non que la justice n’y ait sa part, mais cette justice et

toute la défense de cette communauté se font en vertu d’un attrait sentimental, peut-être même

sensible, sensuel : je suis français, mais entièrement, sans jugement, je défends les

Palestiniens. Ils ont le droit pour eux puisque je les aime. Mais les aimerais-je si l’injustice

n’en faisait pas un peuple vagabond ? »266.

Le premier ressort d’une telle attitude est donc bien d’ordre sentimental. Les

perceptions individuelles, l’inconscient ainsi que le parcours biographique de l’auteur sont

une des clefs de compréhension de cette première étape dans l’engagement militant. Il s’agit 263 Edward W. Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident [1978], tr. fr. Catherine Malamoud, Paris, Le Seuil, 1980, p. 319. Cité par Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie…, op. cit., p. 20. 264 C’est d’ailleurs le titre de l’ouvrage publié par Dominique Vidal et Joseph Algazy, Le péché originel d’Israël, Paris, Les Editions de l’Atelier/Les Editions Ouvrières, 1998, 222 pages. 265 Paris, Gallimard, 1985, 503 pages. Le roman de l’écrivain français tiers-mondiste se base d’ailleurs sur son séjour prolongé de plusieurs années auprès de groupes armés palestiniens. 266 Jean Genet, « Quatre heures à Chatila », Revue d’études Palestiniennes, printemps 1997 (hors série), p. 15.

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ensuite pour l’écrivain, et seulement ensuite, une fois sa préférence clairement définie, de

justifier a posteriori de son choix. Il semble en effet que l’invocation d’arguments universels,

comme celui de « justice », vienne renforcer et autoriser en aval ce choix opéré en amont,

plutôt que de le déterminer.

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C) Deux causes, deux conséquences

L’universalité de la cause palestinienne…

L’universalité de la cause palestinienne267

Effectif % eff. total

Le nationalisme arabe palestinien et la cause palestinienne ont un caractère universel 19 7.8%

Le mensuel évoque un nationaliste palestinien comme un « prophète foudroyé » 1hh

La cause palestinienne s’inscrit dans les mouvements de lutte nationaux et de solidarité, et constitue un enjeu universel 10ii

La solution des problèmes mondiaux n’interviendra que quand le problème palestinien sera résolu/le problème palestinien est au centre des problèmes mondiaux

1jj

Le combattant palestinien est décrit comme un être dépassant et traversant les frontières 1kk

Les missions civiles en Palestine inventent une « nouvelle forme d’internationalisme », et/ou sont le fait de participants de tout type et du monde entier

2ll

Les Palestiniens et la cause palestinienne ont un caractère universel, sont universels, et représentent les causes de justice et de tolérance 6mm

Dont

Jérusalem, ville palestinienne, est aussi une ville de l’humanité toute entière 2nn

Le nationalisme arabe palestinien, en tant que nationalisme arabe, est particulariste, exclusif et s’inscrit dans une dynamique ethnique 0 0%

267 Les termes employés ici doivent cependant faire l’objet d’une remarque déconstructive. Il est en effet malaisé de déterminer ce que pourrait être une attitude « pro-quelque-chose », que ce soit envers « Israël » ou « la Palestine » : s’agit-il du soutien au droit à l’existence de l’entité en question, du sentiment que le « camp » que l’on soutien incarne une certaine forme de justice, ou qu’il est injustement malmené, ou encore d’une volonté de servir les intérêts (« intérêts » qui restent à définir, tout comme la façon de les faire avancer…) de l’entité de référence ? Catégories potentiellement polémiques, les « pro-quelquechose » servent également souvent d’« étiquettes de combat » dont l’objet est de jeter l’opprobre sur une collection d’individus identifiés comme appartenant à une idéologie adverse, que l’on désigne ainsi par l’emploi d’un vocable suggérant l’excès et le caractère obsessionnel des protagonistes que l’on cherche à délégitimer. Les « pro-israéliens » le sont d’ailleurs en général dans la bouche de ceux-là qui seraient désignés par les premiers de « pro-palestiniens ». La dimension obsessionnelle est ainsi largement sous-entendue par la réduction des individus à une cause unique, qui seule sert à les placer sur un indigent binôme exclusif où les gammes de tons intermédiaires sont occultées. Si ces termes restent donc difficiles à manipuler, voire même décrédibilisant dans le cadre d’une recherche universitaire qui se donne pour ambition de dépasser les sous-entendus polémiques au profit d’une réflexion claire et argumentée, ces deux catégories conservent cependant une certaine pertinence dans la mesure où elles sont à même d’informer sur les « visions du monde » de ceux qui les emploient.

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…face aux zélotes « inconditionnels d’Israël »

La cause israélienne : « nervis », « zélotes » et « inconditionnels »268

Effectif % % eff. total

Evaluation positive des soutiens à l’Etat d’Israël 1 4,3% 0,4% Les amis d’Israël dénoncent le risque de voir l’Etat d’Israël adopter une logique d’apartheid

1oo

Evaluation négative des soutiens à l’Etat d’Israël 22 95,7% 9% Les soutiens d’Israël dans le monde sont des nervis, et/ou « inconditionnels », et/ou insensibles, et/ou particularistes, zélotes

11pp

Les soutiens d’Israël usent avec excès et de manière totalement farfelue et incontrôlée de l’accusation d’antisémitisme, et agissent ainsi par refus de la paix

13qq

Les soutiens à Israël sont extrémistes, islamophobes et racistes 7rr

Dont

Les soutiens à Israël sont ridicules, et s’inventent en « spécialistes autoproclamés »

1ss

TOTAUX 23 100%

Pour « l’intellectuel anti-colonial » épris de justice, et se voulant mû par la seule quête

des idéaux de solidarité et d’équité, la notion d’universel incarne le fleuron de tous ces

principes, catégorie de jugement par excellence de la valeur axiologique d’une entreprise. Il

s’avère ainsi a contrario difficilement concevable pour celui-ci de prendre position en faveur

d’une cause appréhendée comme particulariste, et défendant une conception restreinte de

l’humanité. A l’inverse, il apparaît alors mal envisageable de proclamer un engagement en

faveur des « opprimés » sans décider de s’enrôler en faveur d’une cause défendant des

concepts universels, reconnus à tout être humain.

Dans une optique idéologique utilitariste, ce syllogisme peut être cependant renversé,

pour donner lieu au phénomène évoqué plus haut par Jean Genet. Il est en effet malaisé de

justifier d’un engagement unilatéral, quel qu’il soit, dans un conflit israélo-arabe opposant des

prétentions nationales similaires et que nous considérons légitimes, sans glisser vers une

évidente et embarrassante partialité. Ainsi, la nécessité pour le Monde diplomatique de

maintenir une grille d’analyse coloniale du conflit israélo-arabe paraît exiger un travail de

268 Il eut été fastidieux et superflu de reproduire un tableau évaluant la vision globale de la cause palestinienne portée par le Monde diplomatique. Après un examen attentif de notre échantillon, il apparaît évident au lecteur que la cause palestinienne semble faire corps avec le mensuel, et bénéficie d’une couverture positive dans la quasi-totalité des documents étudiés. Nous citerons deux réserves émises dans deux documents vis-à-vis des soutiens aux Palestiniens dans le monde, affirmant pour l’une que le boycott des produits israéliens est « douteux » (Benjamin Barthe, « Les ravages d’une guerre arbitraire. A Gaza, un autre front », Le Monde diplomatique, avril 2003), et pour l’autre que certains « amis de la Palestine » manqueraient de « distance avec l’objet de leur solidarité » (Dominique Vidal, « Sociétés en conflit. Israël et Palestine vus d’en bas », Le Monde diplomatique, mars 2005).

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construction de légitimités et d’illégitimités autour des acteurs, prenant pour échelle de

notation l’universalité.

Il semblerait ainsi que toute une œuvre de légitimation de la position du Monde

diplomatique soit donc mis en branle par ce dernier, présentant alors la cause palestinienne

sous son jour le plus universel, et la cause israélienne sous ses oripeaux les plus

particularistes, comme l’illustrent les deux tableaux.

La cause palestinienne vient alors disputer à l’histoire des mouvements de « libération

nationale » les qualités d’héroïsme, d’abnégation, de justice et de générosité. José Bové vient

ainsi affirmer son soutien aux « mouvements qui luttent »269 dans le cadre d’une « solidarité

internationale des sans-terre »270. Le paysan du Larzac symbolise alors par sa personne la

« nouvelle forme d’internationalisme »271 inventée par des « missions civiles en Palestine »

réunissant des participants issus de tous milieux professionnels ou nationaux et de toutes

origines272. L’universalité intrinsèque du combattant palestinien « traversant la frontière »273

est ainsi à rapprocher à un « président Arafat [qui] restera à jamais un symbole d’héroïsme

pour tous les peuples du monde qui luttent pour la justice et la liberté »274. C’est encore aussi

le combat de « poètes et écrivains du monde entier »275 du « parlement international des

écrivains » portant au pinacle une « universalité d’éthique et de résistance »276 et une culture

« arabe, palestinienne, universaliste aussi »277.

Tandis que le soutien au mouvement national palestinien s’inscrit dans la perspective

volontiers universelle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (pour paraphraser la

formule de Wilson) et à développer leur patrimoine culturel propre, le choix d’un appui moral

au mouvement national juif -et aujourd’hui à l’existence de l’Etat d’Israël- s’inscrirait par

contre dans une logique particulariste, voire même raciste. Comme dans le champ lexical du 269 Marina Da Silva, « « Voyages en Palestine ». Enfer de l’occupation », Le Monde diplomatique, novembre 2001. 270 Joseph Algazy, « Relance du mouvement pacifiste. Ces soldats israéliens qui disent non », Le Monde diplomatique, mars 2002. 271 Ibidem. 272 Ibidem. 273 Elias Khoury, « La porte du soleil. Un roman d’Elias Khoury. Le jour où elle n’a pas voulu d’Arak », Le Monde diplomatique, février 2002. 274 Eric Rouleau, « Vu par un journaliste israélien. Arafat l’irréductible », Le Monde diplomatique, avril 2004 275 Marina Da Silva, « Des films écrits et parlés. Voyages en Palestine », Le Monde diplomatique, mars 2004. 276 Ibidem. 277 Isabelle Avran, « Un livre d’Elias Sanbar. Culture et identité palestinienne », Le Monde diplomatique, décembre 2004.

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militantisme anti-colonialiste, ceux étiquetés comme professant un soutien idéologique à la

cause israélienne deviennent dans les contributions du Monde diplomatique des « zélotes »278,

« nervis » colonialistes, ou « soutiens inconditionnels »279 de la politique de l’Etat d’Israël et

de ses gouvernements. Jamais à une « alliance douteuse »280 près, et « traversé[s] par une

haine »281 contre ceux qui ne partageraient pas leur opinion, ils instrumentaliseraient sans

vergogne « l’accusation d’antisémitisme »282 ou de « haine de soi »283, au nom d’une

idéologie qui serait sponsorisée par des relents de « racisme » et « d’islamophobie »284, et non

sans « hystérie ».

A l’inverse, la cause palestinienne cristalliserait en elle la quintessence de l’être

humain : « sorte d’étalon universel de la justice et […] point de ralliement de tous les

combats »285, toute personne est ainsi « contrainte de se déterminer en fonction de « la »

Cause palestinienne »286. Celle-ci a d’ailleurs remplacé la cause prolétarienne de papa dans

une certaine idéologie « néo-gauchiste »287, en inscrivant la figure du Palestinien aliéné

comme nouvelle figure de l’opprimé288.

C’est ainsi dans cette optique que les contributions du Monde diplomatique

s’appliquent à élever la cause palestinienne au rang de standard à l’aune duquel il convient de

278 Maxime Rodinson, « Vivre avec les Arabes », Le Monde diplomatique, juillet 2004. 279 L’expression est d’ailleurs fort prisée par Dominique Vidal et Alain Gresh, qui l’emploient à plusieurs reprises dans le mensuel. Cette accusation d’un « soutien inconditionnel » irraisonné peut apparaître somme toute assez ironique et osée de la part de collaborateurs et de rédacteurs au journal condamnant sous leur plume systématiquement la partie israélienne et exonérant tout aussi systématiquement la partie arabe. On la retrouve nommée telle quelle dans sept contributions (références : 95 ; 110 ; 113 ; 122 ; 156 ; 202 ; 211), et sous-entendue dans une vingtaine d’autres. 280 Dominique Vidal, « Les alliances douteuses des inconditionnels d’Israël. Au nom du combat contre l’antisémitisme », Le Monde diplomatique, décembre 2002. 281 Dominique Vidal, « Retour à la raison ? L’antisémitisme, réalités et manipulations », Le Monde diplomatique, juin 2005. 282 Dominique Vidal, « Les ravages d’une guerre arbitraire. Le talon d’Achille de M. Ariel Sharon », Le Monde diplomatique, avril 2003 & Dayan-Herzbrun Sonia, « Sionisme, antisémitisme, identité… Parler des Juifs au pluriel », Le Monde diplomatique, juin 2003. 283 Dominique Vidal, « Sociétés en conflit. Israël et Palestine vus d’en bas », Le Monde diplomatique, mars 2005. 284 Là encore, pour éviter d’alourdir le texte, nous avons préféré renvoyer le lecteur à l’annexe en indiquant la référence numérique des contributions : 83 ; 95 ; 115 ; 118 ; 156 ; 169 & 225. 285 Itzhak Landau, « La nébuleuse des associations pro-palestiniennes en France », Observatoire du monde juif, bulletin n°3 « Le néo-gauchisme face à Israël », juin 2002, pp. 10-14, p. 14. 286 Ibidem. 287 Expression notamment empruntée au professeur des universités Shmuel Trigano. Shmuel Trigano, « La dissociation de l’« antiracisme » et de la lutte contre l’antisémitisme », Observatoire du monde juif, bulletin n°3 « Le néo-gauchisme face à Israël », juin 2002, pp. 1-2 & « La critique de la Shoa : le transformateur symbolique du gauchisme. Les contours d’une nouvelle idéologie », Observatoire du monde juif, bulletin n°3 « Le néo-gauchisme face à Israël », juin 2002, pp. 20-26. 288 Voir à ce titre l’ouvrage du philosophe Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit.

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juger de la moralité et de la qualité d’un propos, d’un engagement. Comme dans le discours

anti-colonial, la vertu intrinsèque de la cause en faveur de la « liberté des peuples » ne souffre

d’aucune critique face à la défense d’intérêts coloniaux mus au contraire par une vision

partielle du droit humain. La notion universelle de liberté collective ne saurait se voir démise

par la supériorité du peuple colonisateur s’appropriant le droit du colonisé à jouir de son

autodétermination.

Ainsi, la cause israélienne, décrite comme particulariste et raciste, s’opposerait à

l’exigence de justice incarnée par le feda‘i289. Etienne Balibar, évoquant l’engagement du

Monde diplomatique en faveur de la lutte des Palestiniens, explicite ainsi dans ses colonnes

comment « la cause palestinienne [est] à [leurs] yeux l’une de celles qui permettent d’évaluer

la dignité et la responsabilité d’un discours politique »290. Autrement dit, il s’agit de

« défendre l'équité, l'humain et la part partagée des civilisations et des cultures »291, de faire

en sorte que « l'univers converge vers la Palestine en un instant rare »292, ou bien de placer

« la Palestine au coeur du monde et le monde dans le coeur de la Palestine »293. Là encore, la

vision de la guerre israélo-arabe comme d’un conflit colonial s’inscrit en toile de fond,

comme si les dernières lignes des damnés de la terre résonnaient sourdement dans les

colonnes du mensuel : « pour nous-mêmes et pour l’humanité »294.

Le conflit israélo-arabe et le miroir communautaire selon le « Diplo »

Si la cause palestinienne incarne donc ici le parangon de l’universel, la scène du

Palestinien combattant l’Israélien ne doit cependant pas être rejouée urbi et orbi, et

notamment pas sur le sol français entre citoyens de sensibilités respectivement juive et

musulmane. Le consensus de cette séparation des contextes, relevant du bon sens, est ainsi à

première vue partagé par le mensuel. L’intrusion du conflit sur le territoire français fait

cependant l’objet d’une certaine complaisance lorsqu’il s’agit de défendre la seule cause

universelle et juste, a fortiori si les contrevenants s’avèrent être des amis et contributeurs du

mensuel. Dès lors, il est même permis de faire venir la belligérance jusque dans les salles de

classe lors d’une « tournée des villes et des banlieues » de trois ans et ayant impliqué plus de

289 « Combattant » (ici palestinien). 290 Etienne Balibar, « Universalité de la cause palestinienne », Le Monde diplomatique, mai 2004, pp. 26-27. 291 Mahmoud Darwish, « La disparition d’Edward Saïd. Celui dont les Palestiniens sont le plus fiers », Le Monde diplomatique, novembre 2003. 292 Ibidem. 293 Ibidem. 294 Franz Fanon, Les damnés de la terre, op. cit, p. 233.

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18000 personnes295. Un ouvrage est ressorti de ces rencontres, dressant des parallèles entre

« l’oppression » et la « ségrégation » qui seraient subies par les Palestiniens et les injustices

ressenties en France par les jeunes « issus de l’immigration » post-coloniale.

Sur le même registre, tandis que l’identification des Français de sensibilité juive vis-à-

vis d’un soutien à l’Etat d’Israël relèverait de « l’allégeance […] à la droite et l’extrême droite

israéliennes »296 et participerait de ce « mal-être juif »297 décrié par Dominique Vidal, le

soutien aux Palestiniens serait pour les Français de sensibilité musulmane une façon de se

rédimer, de brandir le flambeau de la lutte anti-coloniale comme facteur de revanche voire

« d’intégration ». Ainsi, pour Dominique Vidal, les « combattants palestiniens [sont] sensés

symboliser les exclusions dont eux-mêmes [les « jeunes issus de l’immigration »] s’estiment

victimes »298. Esther Benbassa, collaboratrice régulière au Monde diplomatique, expliquait par

exemple dans la revue Mouvements comment le conflit israélo-palestinien participerait selon

elle pour les Français d’ascendance arabo-musulmane d’un « nationalisme à longue

distance »299 rédempteur : « C’est l’identification aux Palestiniens, ou à tous ceux qui défient

l’Occident, qui leur fait retrouver l’honneur perdu des leurs. Les actions spectaculaires des

héros de la cause palestinienne deviennent des actes de bravoure, objets d’appropriation,

tandis qu’Israël, associé à cet Occident qui les a relégués dans ses marges, incarne l’ennemi

par excellence, persécuteurs des Palestiniens, ces frères de destin »300. Le miroir

communautaire du conflit reprend ainsi dans les colonnes du mensuel, et ici sous la plume des

contributeurs et rédacteur du mensuel, les rôles assignés par une vision du monde assimilant

295 Leila Shahid (déléguée de la Palestine en France), Michel Warschawski (militant s’autodéfinissant lui-même comme « antisioniste » et « pro-Palestinien », et collaborateur occasionnel au mensuel) ainsi que Dominique Vidal ont ainsi eu l’habitude depuis l’année 2005 d’effectuer des tournées visant à « débattre du conflit israélo-palestinien » dans les lycées. Au vu de l’engagement très marqué des intervenants (une fonctionnaire de l’Autorité palestinienne, deux militants actifs de la cause palestinienne, etc.), de telles interventions violent de manière flagrante le principe de neutralité de l’école publique, ce qui a d’ailleurs conduit à l’arrêt récent de ces opérations. Ces visites controversées s’inscrivaient dans un cadre plus général de « tournée des villes et des banlieues » retranscrite dans l’ouvrage paru en collaboration avec le Monde diplomatique : Dominique Vidal, Michel Warschawski & Leila Shahid, Les banlieues, le Proche-Orient et nous, op. cit. 296 Dominique Vidal, « Histoire d’un adjectif. Michèle Manceaux », op. cit. 297 Titre de l’ouvrage où le journaliste du Monde diplomatique décoche notamment ses flèches contre ceux qu’il qualifie d’« ultras-nationalistes » de la communauté juive française. Dominique Vidal, Le mal-être juif. Entre repli, assimilation & manipulations, Marseille, Agone, 2003, 129 pages. 298 Dominique Vidal, « Violences racistes, amalgames et manipulations. Les pompiers pyromanes de l’antisémitisme », Le Monde diplomatique, avril 2004. 299 Pour reprendre la formule de Benedict Anderson sur le sentiment nationaliste en diaspora. Benedict Anderson, « Long-Distance Nationalism », in The Spectre of Comparison, Londres, Verso, 1998, pp. 58-74. 300 Esther Benbassa, « Juifs et musulmans : le modèle républicain renégocié », Mouvements, Dossier : la politique républicaine de l’identité, n°38, mars-avril 2005, pp. 60-67, p. 61.

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le conflit israélo-palestinien à une « guerre coloniale » menée par Israël contre les

Palestiniens.

* Il semble donc bien, à l’aune de ces premières analyses, que la vision du conflit

israélo-arabe dans les colonnes du mensuel emprunte bien à la thématique du colonialisme, et

nous avons pu en observer quelques unes des principales modalités d’application. Nous allons

désormais tenter d’opérer une « déconstruction » de ce concept, en interrogeant la pertinence

d’une telle transposition d’une grille d’analyse « anticolonialiste ». Il s’agit notamment

d’emboîter le pas au philosophe Pierre-André Taguieff invitant à « désacraliser les conflits »,

« démythiser leurs raisons profondes et leurs enjeux », « en un mot : [à] les repolitiser »301.

Mieux comprendre la vision du Monde diplomatique, passe en effet par un examen plus

poussé de ses catégories de représentation. Le champ lexical du colonialisme, labouré par le

mensuel, se doit de faire en outre l’objet d’une analyse critique. Comme le soulignait

d’ailleurs justement Platon, « la connaissance des mots conduit à la connaissance des

choses »302. « Désacraliser » un conflit, reproduit sur les feuillets du Monde diplomatique sous

le prisme sentimental du romantisme anti-colonial, passe en effet par une « repolitisation » de

ses catégories de représentation. Reformulons notre démarche autrement : peut-on parler de

conflit colonial ?

301 Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme, op. cit., p. 64. 302 Citation trouvée notamment dans la courte biographie de Platon disponible sur le site Internet de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), à l’adresse suivante : http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-platon.htm.

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Hezbollah et Hamas : organisations de résistance armée ? a Références : 24 ; 53 ; 162 ; 171 ; 194 ; 203 ; 205 ; 209 ; 233. b Références : 53 ; 162 ; 194 ; 210 ; 225. c Références : 203 ; 209 ; 210. d Références : 35 ; 43. e Références : 53 ; 97. f Référence : 188. g Références : 133 ; 233. h Références : 62 ; 95 ; 100 ; 110 ; 145 ; 147. Champ lexical de l’horreur i Références : 16 ; 19 ; 22 ; 23 ; 25 ; 45 ; 53 ; 72 ; 96 ; 101 ; 110 ; 132 ; 156 ; 162 ; 170 ; 172 ; 184 ; 191 ; 203 ; 229 ; 244. j Références : 3 ; 8 ; 9 ; 13 ; 14 ; 15 ; 37 ; 41 ; 48 ; 49 ; 52 ; 58 ; 61 ; 62 ; 71 ; 72 ; 73 ; 74 ; 79 ; 80 ; 85 ; 86 ; 88 ; 89 ; 97 ; 106 ; 114 ; 121 ; 126 ; 132 ; 148 ; 164 ; 183 ; 190 ; 191 ; 213 ; 239 ; 240. k Références : 85 ; 106 ; 121. l Références : 7 ; 240. m Références : 15 ; 20 ; 24 ; 51 ; 71 ; 84 ; 99 ; 106 ; 120 ; 123 ; 125 ; 148 ; 155 ; 187 ; 191 ; 236 ; 244. n Références : 24 ; 37 ; 46 ; 53 ; 68 ; 71 ; 84 ; 85 ; 86 ; 130 ; 198 ; 203 ; 205 ; 210 ; 236. o Référence : 37 ; 58. p Référence : 37 ; 85. q Références : 47 ; 74 ; 162. r Références : 50 ; 51 ; 130. s Références : 3 ;20 ; 37 ; 46 ; 51 ; 68 ; 71 ; 84 ; 85 ; 86 ; 105 ; 155 ; 160 ; 175 ; 188 ; 189 ; 205 ; 236 ; 244. t Référence : 84 ; 148 ; 210. u Références : 62 ; 95 ; 100 ; 110 ; 145 ; 147. v Référence : 187. w Référence : 217. Evaluation des soutiens internationaux x Références : 35 ; 52 ; 62. y Référence : 4. z Références : 60 ; 65 ; 85 ; 187 ; 222 ; 237. aa Références : 2 ; 11 ; 15 ; 16 ; 20 ; 22 ; 23 ; 37 ; 40 ; 51 ; 56 ; 60 ; 65 ; 68 ; 70 ; 80 ; 83 ; 85 ; 97 ; 115 ; 118 ; 122 ; 125 ; 126 ; 127 ; 130 ; 152 ; 158 ; 165 ; 174 ; 187 ; 203 ; 212 ; 214 ; 217 ; 222 ; 229 ; 233 ; 237. bb Références : 3 ; 165 ; 187. cc Référence : 226. dd Références : 25 ; 225. ee Références : 33 ; 44 ; 47 ; 51 ; 58 ; 74 ; 76 ; 82 ; 94 ; 119 ; 130 ; 137 ; 155 ; 164 ; 165 ; 179. ff Référence : 35. gg Références : 43 ; 55. Le nationalisme palestinien : cause universelle hh Référence : 36. ii Références : 45 ; 47 ; 61 ; 134 ; 148 ; 153 ; 158 ; 192 ; 228 ; 236. jj Référence : 51. kk Référence : 57. ll Références : 58 ; 61. mm Références : 121 ; 134 ; 148 ; 179 ; 192 ; 196. nn Références : 149 ; 197. La cause israélienne : « nervis », « zélotes » et « inconditionnels » oo Référence : 79. pp Références : 95 ; 101 ; 115 ; 156 ; 173 ; 189 ; 200 ; 202 ; 211 ; 225 ; 235. qq Références : 32 ; 51 ; 93 ; 95 ; 110 ; 113 ; 156 ; 189 ; 200 ; 211 ; 212 ; 235 ; 244. rr Références : 83 ; 95 ; 115 ; 118 ; 156 ; 169, 225. ss Référence : 122.

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Chapitre 3 :

Décryptages

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1) Quelles légitimités ?

A) Le « péché originel » d’Israël

« Par cette terre occupée, l’Occident assure sa présence au Proche-Orient »303

« Colonialisme » et « impérialisme » : essais de définition

Le terme de « colonialisme » a été forgé à l’aube du XXe siècle par le poète Charles

Péguy et le journaliste Paul Louis, qui lui insufflèrent déjà une connotation péjorative304. Il

désigne ainsi la doctrine justifiant la colonisation et le système colonial. Le principe colonial

peut se résumer à sa plus simple expression comme la réduction d’un territoire à l’état de

colonie par une métropole « lorsqu’elle a conquis ce territoire, l’a rendu dépendant et lui

impose sa domination politique et son exploitation économique »305. La colonie désigne alors

« tout territoire conquis et contrôlé par des hommes venus d’une métropole »306. « Dans son

sens moderne et le plus courant, elle désigne les implantations territoriales des puissances

européennes au-delà de l’espace territorial qu’elles revendiquent pour leur communauté

nationale [et] suppose généralement la domination effective d’une minorité étrangère sur une

population autochtone culturellement différente »307. On parle notamment de « colonie de

peuplement lorsque les métropolitains viennent massivement s’installer dans les territoires

qu’ils se sont appropriés »308. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, marquant

l’enclenchement du processus de décolonisation, le terme de colonie disparaît du droit

international, et le « colon » devient dans le langage courant péjoratif.

Historiquement, le colonialisme renvoie ainsi à un phénomène précis. Deux types

d’accusations envers Israël semblent être implicitement suggérées par des contributions du

Monde diplomatique : celui d’être une entité colonialiste, en rapport à la conquête des

303 Tahar Ben Jelloun, faisant référence à l’Etat hébreu, in Tahar Ben Jelloun, « Jean Genet avec les Palestiniens », Le Monde diplomatique, juillet 1974. 304 Christian Hocq, Dictionnaire d’histoire politique du XXe siècle, Paris, Ellipses, 2005, 1052 pages, pp. 179-180. 305 Alain Gélédan (dir.), Dictionnaire des idées politiques, Paris, Dalloz, 1998, 410 pages, p. 65. 306 Christian Hocq, Dictionnaire d’histoire politique du XXe siècle, op. cit., p. 180. 307 Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum & Philippe Braud, Dictionnaire de la science politique, 5ème édition, Paris, Dalloz, 2001, 320 pages, pp. 53-54. 308 Alain Gélédan (dir.), Dictionnaire des idées politiques, op. cit., p. 65.

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territoires de Cisjordanie et de Gaza en 1967309, et celui –plus intrinsèque- d’incarner par son

essence même un Etat colonial, de type rhodésien.

Albert Memmi définit notamment le colonisateur comme celui qui impose sa culture -

un mode de vie impliquant gouvernement, éducation, système socio-économique- sur un

autre, en négligence totale de la culture du colonisé310. Ce type de système s’établit dans une

optique d’exploitation du colonisé par le colonisateur : ce dernier institue un système éducatif

pour le premier, et dont l’objectif est notamment d’amener le colonisé à devenir un serviteur

plus productif311. Une telle volonté de maintenir un réseau d’éducation tient notamment du

fait que le colonisateur s’estime « supérieur », ce mythe de la supériorité (civilisation,

« race ») faisant office de justification et de motivation supplémentaire à la mainmise du

colonisateur sur le colonisé et son territoire312. Ainsi, « la colonisation est basée sur la

conviction historique d’être une entreprise profitable »313. L’Etat d’Israël, pourtant, n’a jamais

imposé aucun système d’éducation aux habitants des territoires conquis sur la Jordanie et

l’Egypte en 1967314, et cette conquête n’entre certainement pas dans le cadre d’une

exploitation économique, qui d’ailleurs ne serait pas rentable pour l’Etat hébreu, bien au

contraire315.

« Guerre coloniale » ou conflit géopolitique et national ? La mainmise par Israël sur le territoire de Cisjordanie en 1967, à l’issue de l’assaut

contre l’Etat hébreu de la Jordanie -volant au secours de l’Egypte empêtrée dans un conflit

qu’elle avait elle-même souhaité et initié316-, présente d’ailleurs a priori peu d’analogie avec

309 Nous n’évoquerons cependant pas la bande de Gaza, intégralement évacuée par Israël, ainsi que le Golan conquis sur la Syrie en 1967, et annexé en 1981 par l’Etat hébreu. 310 Albert Memmi, Portrait du colonisé (précédé de) portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1985, 163 pages. Cité par Dickson A. Mungazi, “Application of Memmi's Theory of the Colonizer and the Colonized to the Conflicts in Zimbabwe”, The Journal of Negro Education, Vol. 55, No. 4. (Autumn, 1986), pp. 518-534. 311 Ibidem. 312 Ibidem. 313 Dickson A. Mungazi, “Application of Memmi's Theory of the Colonizer and the Colonized to the Conflicts in Zimbabwe”, op. cit. 314 Jusqu’à l’instauration d’une Autonomie palestinienne dans le sillage des accords d’Oslo de 1993-1994, les élèves de Cisjordanie et de Gaza continuaient par exemple d’étudier sur les manuels scolaires égyptiens et jordaniens. 315 C’est d’ailleurs avec satisfaction que les autorités israéliennes se sont empressées de céder les zones les plus peuplées de Cisjordanie et de Gaza à l’Autorité palestinienne une fois celle-ci mise en place, sans attendre qu’un accord de paix soit signé. Le lourd fardeau économique de l’occupation de la bande de Gaza –loin d’être « rentable »- fut par ailleurs un des motifs principaux du « désengagement » de ce territoire opéré en 2005 par Ariel Sharon, mettant ainsi fin à une présence israélienne de 38 ans. 316 A l’époque, l’Egypte somma aux forces de protection internationale du cessez-le-feu de quitter la péninsule du Sinaï, puis bloqua l’accès maritime du détroit de Tiran aux bateaux israéliens, seul débouché israélien sur la Mer Rouge –ce qui constitue d’ailleurs en droit international un casus belli. La volonté affichée par Nasser de liquider purement et simplement l’Etat d’Israël et sa population, vit la jonction de la parole à l’action puisque les

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la conquête de territoires non-défendus dans le but essentiel de les exploiter économiquement,

voire de les annexer. Peu après l’issue de l’éphémère conflit, Israël proposa d’ailleurs la

restitution de ces territoires en échange d’une paix et d’une « normalisation » diplomatique

avec les pays arabes, impliquant la reconnaissance mutuelle. Cette proposition essuya les

fameux trois « non » du sommet arabe de Khartoum317.

Le territoire conquis, empli de soubassement biblique, ne sera cependant jamais

rattaché à Israël, celui-ci ne souhaitant pas devoir annexer l’importante population

cisjordanienne. Sur ces entrefaites, les Israéliens, après avoir été interdits d’accès aux lieux

saints de Cisjordanie depuis 1948, et notamment à la vieille ville de Jérusalem et au Mur

Occidental318 sous administration jordanienne –à l’encontre du droit international-, foulent

enfin le sol du lieu le plus sacré du judaïsme, et la partie dite « est » de la ville est annexée.

Les Palestiniens, qui n’exerçaient à l’époque aucune revendication sur la Cisjordanie et Gaza

–alors aux mains de l’Egypte et de la Jordanie, vont par la suite inclure ces territoires comme

en tant que partie intégrante du futur Etat. La perspective d’un retour de la Cisjordanie dans le

giron jordanien sera d’ailleurs définitivement abandonnée par le royaume hachémite en 1988,

suite à la première Intifada. L’Etat d’Israël va cependant entre-temps établir ce que l’ONU et

la presse internationale qualifieront de « colonies de peuplement », certaines à vocation

sécuritaire, d’autres motivées par des considérations historiques et religieuses (se rapprocher

du berceau du peuple juif et permettre l’accès des lieux saints aux fidèles).

Celles-ci peuvent à première vue se rapprocher de la colonie de peuplement du

colonialisme classique. En effet, dans ce cas une métropole (l’Etat d’Israël) installe ses

citoyens sur un territoire conquis et dont sa possession est contestée par le droit

international319. Le territoire est cependant aujourd’hui l’objet d’un contentieux visant à la

troupes égyptiennes se massèrent près de la frontière avec Israël. Pour des raisons géopolitiques complexes (vulnérabilité et l’étroitesse du territoire israélien, danger d’anéantissement, etc.), c’est cependant bien l’Etat hébreu qui, acculé devant la perspective d’une catastrophe en cas d’inaction, déclencha les hostilités le 5 juin 1967 en attaquant par voie aérienne les bases de l’armée de l’air égyptienne. 317 « Non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël, non à toute négociation avec Israël ». 318 Egalement connu sous la dénomination de « Mur des Lamentations ». Il représente le premier lieu saint du judaïsme, sorte d’équivalent religieux de la Mecque pour l’islam et de Rome pour le christianisme. La cité représente également le centre historique, culturel et symbolique du peuple juif, dont les prières, les hymnes et les chants traditionnels sont truffés de références à la ville sainte. 319 C’est le sens de la résolution 242 adoptée par l’ONU en novembre 1967, cependant rejetée à l’époque par les Etats arabes puisqu’elle stipule également la reconnaissance du droit à l’existence de tous les « Etats de la région de vivre en paix dans des frontières sures et reconnues » -une reconnaissance implicite du droit à l’existence d’Israël, inacceptable pour les Etats arabes ayant justement mené cette guerre dans l’optique de mettre fin à l’Etat d’Israël.

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délimitation de frontières entre deux entités politiques, Israël et la Palestine. La situation en

présence ne découle pas d’une conquête ex nihilo, mais bien d’un conflit israélo-arabe plus

large, d’autant qu’Israël entend au minimum se séparer de la quasi-totalité de ces territoires.

Enfin, l’issue in fine du présent conflit ne passera ni par la guerre ni par un retrait unilatéral

sur les lignes de cessez-le-feu prévalant avant juin 1967 (comme dans le cas d’un conflit

colonial), mais bien par un processus de négociations entre les parties, dans la mesure où il

s’agit de régler politiquement un ensemble de contentieux plus complexes : statut et modalités

de la partition de Jérusalem ; retrait d’Israël de Cisjordanie accompagné d’échanges

territoriaux destinés à compenser d’éventuelles annexions de blocs de population juives par

Israël320 ; accord sur le sort des réfugiés palestiniens321, etc.

On constate à l’aune de ces quelques précisions que l’analogie entre la situation dans

les territoires palestiniens et le colonialisme classique est difficilement opérante, d’autant que

le sionisme n’a pas été porté par les puissances tutélaires de la Palestine (Empire Ottoman

puis Grande-Bretagne), mais plutôt freiné voire combattu par ces dernières322. Le peuple

israélien ne constitue sinon pas un corps étranger destiné à être envoyé dans une métropole à

l’origine de sa création, mais bien un fait local incontestable, issu de cette région.

L’application d’une grille d’analyse coloniale sur le conflit et la création de l’Etat d’Israël

impliquerait de plus une fin à l’avenant, destinée à tout mouvement colonial : la

décolonisation. Celle-ci est d’ailleurs définie sans ambages par Franz Fanon comme « le

remplacement d’une « espèce » d’hommes par une autre « espèce » d’hommes »323.

320 Ce sont d’ailleurs les principaux paramètres évoqués dans les dernières négociations politiques israélo-palestiniennes officielles, ainsi que dans la médiatique « Initiative de Genève ». 321 Ceux-ci, descendants directs ou par alliance des 700 000 réfugiés –selon une estimation courante- ayant fuis –de gré ou de force- la Palestine lors de la première guerre israélo-arabe sont estimés aujourd’hui à plusieurs millions (plus de 4 millions selon l’UNRWA ; http://www.un.org/unrwa/). Leur installation en Israël, –comme le réclame toujours officiellement l’Autorité Palestinienne notamment- est cependant peu probable, puisque selon les lois arithmétiques de la démographie elle signifierait à terme la disparition de celui-ci et sa mutation en Etat arabe. Il s’agit de noter cependant, que, contrairement aux autres populations de réfugiés dans le monde, la comptabilité des réfugiés palestiniens aujourd’hui inclut également les descendants des réfugiés sur plusieurs générations ainsi que les personnes mariées ou vivant avec des descendants de réfugiés, tandis que la moitié des réfugiés habitant pourtant la Palestine mandataire (Israël ou les territoires palestiniens) sont également considérés comme tels, bien que leur situation s’apparente plutôt au statut –reconnu légalement- de « déplacés ». D’autre part, il importe ici de préciser qu’entre 1947 et 1956, plus de 900 000 Juifs ont été expulsés des pays arabes. Ils n’ont cependant jamais fait l’objet d’une quelconque exigence de « réparation » de la part des autorités légales internationales, à l’inverse des réfugiés palestiniens. 322 En outre, « la spécialisation de cet argument exclusivement utilisé pour caractériser le nationalisme juif […] permet, du même coup, d’occulter l’intégralité du jeu d’alliance engagé par le nationalisme arabe, aux différents moments de sa formation », comme l’explique Georges-Elia Sarfati (Georges-Elia Sarfati, L’antisionisme. Israël/Palestine aux miroirs d’Occident, Paris, Berg International, 2002, 126 pages, p. 55). 323 Franz Fanon, Les damnés de la terre, op. cit., p. 5.

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En d’autres termes, si l’Etat d’Israël est un fait colonial, ses citoyens sont tous des

colons en puissance, qu’il est légitime de chasser par le truchement de la violence, afin de les

contraindre au départ. Une comparaison du conflit israélo-arabe avec la guerre d’Algérie est à

ce titre fort douteuse puisque la question du lieu de départ des Israéliens reste sans réponse :

en tant que natifs (en majorité) de leur propre pays d’ailleurs possédant sa culture et son

historicité propre, majoritairement hébréophones et se rattachant à une tradition juive, les

citoyens israéliens n’ont nulle part ailleurs où poursuivre un existence collective.

L’assimilation d’un conflit aussi complexe que celui opposant Arabes et Israéliens au prisme

du conflit colonial apparaît ainsi inappropriée.

Une telle réalité n’empêche pas certains collaborateurs au mensuel d’assimiler le

mouvement national juif au « racisme » et à « l’impérialisme ». Le célèbre universitaire

américano-palestinien Edward Said affirmait notamment que « le Sionisme et l’impérialisme

se nourrissent l’un de l’autre […]. La lutte contre l’impérialisme et le racisme de l’Europe

moderne est une lutte de civilisation et nous ne pouvons la mener avec succès que si nous

comprenons le système d’idées de l’adversaire et l’origine de ces idées. […] En théorie

comme en pratique, le Sionisme est donc une reproduction dégradée de l’impérialisme

européen »324.

L’écrivain habitué des colonnes du mensuel ne mentionne cependant pas l’inévitable

corollaire d’une politique impérialiste : l’existence d’un Empire et d’une base arrière ou

métropole servant de point de départ à l’extension de l’influence de la dite entité impérialiste,

ainsi que d’une idéologie prétendant la domination du monde ou d’une partie du monde (que

l’on retrouve dans l’expression consacrée de « mission civilisatrice »). L’accusation s’avère

d’ailleurs particulièrement sévère pour un Edward Said qui considère les implications de

l’impérialisme comme plus profondes que celles du colonialisme. Ainsi, tandis que le

colonialisme s’apparenterait à une idéologie d’exploitation économique, « l’impérialisme »

constituerait selon lui un ensemble plus vaste impliquant notamment une « vision postulant la

différence ontologique entre l’homme occidental et l’homme non-occidental, la différence

résidant dans la supériorité de l’Occidental, justifiant sa domination sur le reste du

324 Edward W. Saïd, « Les origines intellectuelles de l’impérialisme et du sionisme », in Sionisme et racisme, Paris, Le Sycomore, 1979, pp. 163-169 (pp. 164, 168). Cité par Pierre-André Taguieff in La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 136.

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monde »325. Pourtant, ces deux caractéristiques majeures –existence d’une réalité géopolitique

minimale et d’une idéologie de supériorité justifiant la mise en place de la politique

impérialiste- sont totalement absentes dans le sionisme, que ce soit sur le plan idéologique

(volonté de créer un empire hébreu au Proche-Orient) ou géopolitique326 -le mouvement

national juif escomptant en effet faire reconnaître un foyer national juif en Palestine, puis par

la suite un Etat sur une partie du territoire de la Palestine mandataire327. D’ailleurs, « le

nationalisme juif n’a jamais théorisé l’idée d’une supériorité ethnique à l’égard des Arabes, il

n’a pas été un mouvement de conquête impérial, ni une révolte dirigée contre l’héritage des

Lumières »328.

Quels rapports aux sionismes329 ?

La lecture par le Monde diplomatique du conflit israélo-arabe sous le prisme

anticolonialiste semble alors provenir de racines plus profondes. Ainsi, ce n’est pas tant la

politique de l’Etat hébreu qui semble fondamentalement mise en cause, mais bien plutôt la

légitimité même de son existence, qui est entachée par un « péché originel » ineffaçable.

C’est le sens de l’opus publié conjointement par Dominique Vidal et Joseph Algazy.

Les auteurs, présentant le complexe débat déclenché par l’émergence de ce que certains

nomment la « nouvelle histoire » israélienne, introduisent ainsi l’essentiel des thèses écornant

sérieusement « l’historiographie officielle » du pays. Cet agrégat composite d’historiens

regroupe notamment des chercheurs mus par une volonté de retranscrire une version des plus

fidèles de l’histoire, quitte à ébrécher le récit de la création de leur Etat, mais dans une

325 Edward W. Said, Culture and Imperialism, Knopf, New York, 1993, p. 240. In Anne-Marie Feenberg, “"Max Havelaar": An Anti-Imperialist Novel”, MLN, Vol. 112, No. 5, Comparative Literature Issue. (Dec., 1997), pp. 817-835. 326 L’Etat d’Israël couvre en effet une surface d’environ 20 000 km2, soit l’équivalent approximatif de deux petits départements français. Si l’on veut réellement alors parler d’Empire, force est de reconnaître que celui-ci est relativement modeste et davantage imaginaire que réel. 327 Voire sur toute la Palestine mandataire dans le cas des objectifs maximaux des tenants les plus radicaux du sionisme politique, ce qui reste loin cependant de la notion d’Empire. 328 Paul Zawadzki, « Aux origines d’Israël : deux regards récents sur le sionisme », Revue française de science politique, Année 1996, Volume 46, Numéro 6, pp. 996-1000, p. 999. 329 Le terme de « sionisme » ici se réfère au concept. Quant au sionisme en tant qu’idéologie politique et mouvement, il peut cependant paraître plus judicieux d’emboîter le pas notamment à Denis Charbit (Sionismes: Textes fondamentaux, Paris, Bibliothèque Albin Michel, Idées, 1998, 988 pages) et de parler de « sionismes » plutôt que de « sionisme ». Le mouvement national juif palestinophile en question constitua en effet plutôt un faisceau pluriel de tendances largement divergentes sur de nombreux points. Si dans les faits le sionisme politique s’est traduit par la constitution d’un Etat juif en Palestine, nous définirons le projet sioniste dans sa version minimale théorique, à savoir la volonté de créer un « foyer national juif en Palestine » (ce qui n’implique pas forcément la mise sur pied d’un Etat) pour reprendre les termes de la Déclaration Balfour de 1917. Il s’agit bien ici de considérer l’approche du sionisme partagée à minima par tous les courants du sionisme politique (d’avant la création de l’Etat d’Israël) comme définition minimale du sionisme.

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perspective de paix et de réconciliation avec la partie palestinienne et le monde arabe330.

D’autres « nouveaux historiens » visent non pas une recherche désintéressée d’une certaine

vérité du conflit, mais bien à exploiter leurs travaux dans une perspective idéologique, celle

de valider une version palestinienne des évènements. Il s’agit alors de saper toute légitimité au

sionisme présenté comme intrinsèquement mauvais, et plus tard à l’émergence de l’Etat et du

peuple israéliens, pour dénier in fine le droit à l’existence d’Israël en tant qu’Etat de culture

hébraïque331.

La thèse centrale palpable à la lecture de l’ouvrage, qui retranscrit les principaux

débats de la « nouvelle histoire » israélienne, est que le sionisme serait, non seulement au vu

des circonstances, mais surtout par essence, une idéologie prônant l’expulsion des habitants

arabes de la Palestine. En d’autres termes une idéologie intrinsèquement raciste. Cette

illégitimité supposée du sionisme, ou plutôt des sionismes, rôde d’ailleurs au dessus des pages

du Monde diplomatique, qui dans un mouvement d’oscillation entre implicite et explicite

laisse suggérer au lecteur que tout serait allé pour le mieux sans l’accès à l’autodétermination

du peuple judéo-hébraïque en Palestine. Un tableau des occurrences systématiques concernant

les sionismes vient confirmer cette intuition.

330 C’est notamment le cas de Benny Morris qui espère notamment que l’historiographie nouvelle « servira, peut-être d’une manière obscure, les objectifs de paix et de réconciliation entre les tribus qui se font la guerre sur ce territoire ». In Benny Morris, “The New Historiography : Israel Confronts Its Past”, Tikkun, New York, n°36, novembre-décembre 1988. Il cherche ainsi à « écrire ce qui est arrivé, ni plus ni moins » (Dominique Vidal, Joseph Algazy, Le péché originel d’Israël, op. cit., p. 191). Sa contribution à l’historiographie nouvelle n’a cependant pas modifié son attitude envers le sionisme : « Le sionisme devait exister. Comme les autres peuples, […] les Juifs ont droit à un Etat » (Ibidem, p. 193). 331 C’est dans cette optique qu’Ilan Papé reconnaît d’ailleurs avoir débuté ces recherches. Il ne fait ainsi « pas mystère d’avoir eu, avant même le commencement de ses travaux, une conception bien arrêtée » (Dominique Vidal, Joseph Algazy, Le péché originel d’Israël, op. cit., p. 195). Celui-ci explique d’ailleurs qu’une fois avoir « appris la version palestinienne des évènements de 1948 », il a « recherché les preuves de leurs griefs dans les archives » (Ibidem). Comme si la quête d’une improbable objectivité consistait à embrasser la subjectivité de l’Autre, retraduite en hypothèse de travail. Pierre-André Taguieff a justement noté, concernant cet ouvrage sur les « nouveaux historiens israéliens », que ceux-ci existent par leurs « engagements politiques pro-palestiniens au moins autant que par des activités historiographiques, lesquelles se réduisent en grande partie à la recherche d’une confirmation, par recours à de nouvelles archives, des thèses palestiniennes sur l’histoire d’Israël » (Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit, p. 99). L’historien israélien, s’il adopte donc à peu de choses près les positions palestiniennes les plus radicales concernant le récit de la création de l’Etat d’Israël, les nuance cependant puisque « contrairement à la conception palestinienne courante, qui considère le sionisme comme un phénomène purement colonial, Pappé reconnaît aussi à ce dernier une dimension nationale » (Dominique Vidal, op. cit.). Pour une analyse fournie et éclairante des débats et controverses en Israël autour des « nouveaux historiens », le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage d’Ilan Greilsammer, La nouvelle histoire d’Israël, Paris, Gallimard, 1998, 584 pages.

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L’illégitimité des sionismes selon le Monde diplomatique

Effectif % % eff. Total

Le mouvement national juif332 fut et demeure une entreprise illégitime 22 78,6% 9%

Le sionisme est une entreprise coloniale et raciste par essence 10a

Les dirigeants sionistes ont appliqué une politique d’apartheid inhérente au projet sioniste ou apparemment intrinsèque à l’idée sioniste, celle-ci étant comparable à celle observée par le passé en Afrique du Sud

4b

Le sionisme impliquait forcément l’injustice et la dépossession des habitants arabes du pays, puisque la terre de Palestine est arabe –thème du péché originel

6c

L’idéologie sioniste des Israéliens empêche l’avènement de la paix 2d

Le sionisme n’est pas le judaïsme, qui lui est légitime 2e

L’Etat d’Israël et le sionisme sont illégitimes car ils ne pouvaient être basés que sur un socle d’oppression 1f

Le sionisme est illégitime, et l’anti-sionisme constitue une forme de résistance 1g

Le sionisme est un nationalisme exclusif et raciste puisqu’il rejette les non-Juifs 3h

Dont

Le sionisme est assimilé à l’idée de nettoyage ethnique qui lui est intrinsèque 2i

Le mouvement national juif fut à l’origine un mouvement aux aspirations légitimes 6 21,4% 2,5%

Le mouvement national juif fut un mouvement aux aspirations légitimes, mais perverti aujourd’hui 4j

Certains « sionistes engagés » sont parmi les pacifistes israéliens les plus actifs, ce qui peut laisser entendre que le sionisme n’est pas par essence une idéologie d’oppression et illégitime

2kDont

L’existence d’Israël et la reconnaissance de sa légitimité comme « Etat du peuple juif » sont nécessaires et positives 1l

TOTAUX 28 100

Ainsi près d’une contribution sur dix de notre échantillon sous-tend que le mouvement

national juif fut et demeurerait une entreprise illégitime, tandis qu’environ six contributions

lui accordent une crédit initial positif, considérant cependant pour l’essentiel (quatre sur les

six) que celui-ci s’est rapidement compromis par les évènements et réalités. Comme si l’idée

pure et abstraite séduisait, mais que son application ne devait pas dépasser le stade de la

sublimation333.

332 Il est cependant bon de rappeler que le sionisme n’a constitué qu’une des modalités parmi d’autres de l’expression collective juive au tournant du XXe siècle, et qu’un certain nombre de mouvements « nationalitaires » s’avérèrent d’une concurrence sérieuse. On pense notamment au Bund, ou parti socialiste autonomiste ouvrier juif de Russie, de Lituanie et de Pologne, opposé au sionismes. Dans la mesure où le sionisme (étatique) incarné par la fondation de l’Etat d’Israël est le seul ayant abouti et fait donc l’objet d’un débat aux prises avec le réel, par l’utilisation de l’occurrence « nationalisme juif » nous ferons systématiquement référence au sionisme. 333 On notera cependant que même les actes les plus ignobles commis au nom des nationalismes arabe et palestinien (massacres, attentats-suicides, gazage des populations kurdes en Iraq, etc.) n’ont pourtant jamais menacé celui-ci dans sa légitimité aux yeux du Monde diplomatique.

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La tache immarcescible du « péché originel » C’est d’ailleurs bien l’état d’esprit véhiculé par la notion de « péché originel ». Celui-

ci poursuit son auteur de génération en génération, lui colle à la peau, et est attaché à son

existence même. L’emploi du terme n’est en effet pas innocent. Ce concept tient à la lecture

de l’épître aux Romains du Nouveau Testament (verset V-12 de Paul de Tarse): « C’est

pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort,

et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché »334. Le texte

évoque la faute d’Adam comme la faute d’un seul. Saint Augustin d’Hippone le qualifiera par

la suite d’originel, mettant l’accent sur son caractère héréditaire335. Appliqué à l’Etat hébreu,

l’idée corrobore les observations du Monde diplomatique recueillies au travers de nos

tableaux thématiques : Israël, de par son existence même, est l’unique responsable du conflit,

et sa faute le poursuit jusqu’à aujourd’hui. Cette dartre se transmettra alors de génération en

génération aux Israéliens, jusqu’à ce qu’ils disparaissent en tant que collectif indépendant.

Une façon pour l’auteur de ne pas intervenir explicitement : « c’est dire sans dire »336.

Aucune contribution du Monde diplomatique n’ose en effet appeler ouvertement au

démantèlement direct, immédiat et explicite de l’Etat hébreu, bien que comme nous l’avons

vu la création de celui-ci ainsi que son maintien se voient systématiquement attribués une

valeur axiologique négative.

Ainsi, Dominique Vidal parle de « droit, indiscutable, des survivants du génocide

hitlérien à vivre en sécurité dans un Etat »337. Il poursuit que ce droit ne devrait pas exclure,

celui « non moins indiscutable, des filles et des fils de la Palestine à vivre, eux aussi, en paix

dans leur Etat »338. Cette phrase, aux premiers abords équilibrée et limpide, s’avère à la

relecture pour le moins ambiguë, et soupesée au mot près. Le collectif juif s’auto-définissant

dans le cadre du sionisme politique comme peuple porteur d’une culture, d’une histoire et

d’une volonté d’organisation collective se retrouve rabougri à sa plus simple expression

d’agrégat humain a-historique : définit sous le seul terme de « fils du génocide », il se voit

ainsi nié tout autre spécificité culturelle, religieuse ou collective. Le sionisme perd d’ailleurs 334 Traduction française de la version grecque du Nouveau Testament in Charles Augrain, Robert Tamisier & François Amiot, Le Nouveau Testament, Paris, Editions Paulines, 1980, 704 pages. 335 Information glanée dans l’article « péché originel » de l’encyclopédie libre et gratuite en ligne Wikipédia (version française) : http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ch%C3%A9_originel. 336 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, Editions Hermann « Savoir », 1972. 337 Dominique Vidal, Joseph Algazy, Le péché originel…, op. cit., pp. 10-11. 338 Dominique Vidal, Joseph Algazy, Le péché originel…, op. cit., p. 11.

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son caractère de mouvement national pour se voir réduire au rang d’entreprise humanitaire

justifiée uniquement par les circonstances, comme si l’expression d’une volonté

d’autodétermination et de perpétuation d’une culture juive n’avait jamais préexistée à la

Shoah339. La suite est d’ailleurs révélatrice. Les « fils du génocide » se voient octroyer le droit

de vivre dans un Etat, mais pas dans leur Etat –privilège reconnu uniquement aux « filles et

fils de la Palestine ». Ces derniers sont d’ailleurs définis non pas négativement, par une

tragédie qui est celle de la Shoah, mais bien positivement, en adéquation avec leur aspiration

nationale, comme engendrés par une terre avec laquelle ils ne font qu’un. Une telle approche

est similaire à la thèse classique de l’OLP, qui pendant longtemps invitait à la création d’un

Etat (monoculturel et mononational) arabe sur toute la Palestine mandataire, dans lequel

pourraient, à titre de citoyens sans droits nationaux, vivre (certains) Juifs.

A une époque où le concept wilsonien de « droit des peuples à disposer d’eux-

mêmes » appartient désormais au rayon des truismes, il n’est pas anodin pour le mensuel de

sembler faire sienne la célèbre phrase de Ferdinand Clermont-Tonnerre : « Tout donner aux

juifs en tant qu’individus et tout leur refuser en tant que nation »340. Le « péché originel »

d’Israël proviendrait du fait d’avoir voulu transgresser cette ligne rouge, et le rapport aux Juifs

et au judaïsme dans le mensuel peut s’interpréter sur une antinomie assez simple : il y a un

avant l’Etat d’Israël et un après l’Etat d’Israël. Cette scansion temporelle se superpose le cas

échéant à une division spatiale : l’Israélien, ou le « Juif sioniste », est opposé à la figure du

Juif (non-sioniste) de diaspora, vierge de toute souillure liée à la faute nationale, bien que

l’Israélien anti-sioniste puisse retrouver ses attributs perdus.

339 Ce type d’interprétation présentant le sionisme comme d’une simple réaction à l’antisémitisme, et notamment à la Shoah, est d’ailleurs fréquent dans le mensuel. Il revient en fait à nier la légitimité per se du mouvement national juif en occultant son caractère historico-culturel et national, pour le présenter comme une conséquence fâcheuse du judéocide. La thèse d’un Etat d’Israël ayant eu intérêt à la réalisation de la solution finale (afin d’engranger un soutien diplomatique) se tapit derrière une telle interprétation, en occultant le fait que le réservoir d’immigration qu’auraient constitué les six millions de Juifs exterminés se serait révélé bien plus décisif pour le futur Etat d’Israël. Le mensuel invite par contre à refuser le « mythe selon lequel la conscience palestinienne serait une simple réaction au mouvement sioniste » (Ali Wick, « L’identité palestinienne. Rashid Khalidi », Le Monde diplomatique, avril 2004). 340 Sachant que ceux-ci n’ont jamais jouit ni de l’un ni l’un ni de l’autre dans le monde arabo-musulman, la proposition phare du mouvement national palestinien d’un « Etat arabe » « laïc » selon certains, « islamique » selon d’autres, couvrant l’ensemble de la Palestine mandataire et englobant tout ou partie de la population juive du pays, s’avère peu sérieuse. Pour une étude complète et informée de la situation historique des non-musulmans dans les pays islamiques, on se réfèrera notamment au monumental ouvrage de l’historienne égypto-britannique Bat Ye’or, Juifs et chrétiens sous l’islam. Face au danger intégriste, Paris, Berg International Editeurs, 2005, 420 pages.

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B) Hors de la Diaspora, point de salut : l’exaltation d’un contre-modèle juif

Une vision paternaliste et chaleureuse de la condition juive à l’extérieur de l’Etat d’Israël

Le rejet de l’Etat d’Israël et des Israéliens s’accompagne ainsi de l’exaltation d’un

contre-modèle juif. De nombreux articles du mensuel portent au pinacle cette « sensibilité

juive laïque résolument diasporique »341, assignant les Juifs à « résidence identitaire » 342 sur

la seule commémoration de la mémoire de la Shoah et des formes folkloriques en voie de

décomposition avancée incarnées par un revivalisme forcé des judéo-langues.

Tandis que le sionisme visait à mettre fin à ce qu’Hannah Arendt qualifia

« d’acosmie » du peuple juif343 d’avant la création de l’Etat d’Israël, le Monde diplomatique

entretient une fascination pour les formes agonisantes ou décédées de l’identité juive,

symboles de cette judéité perdue –comme si seul un judaïsme imaginaire, non réel, était

acceptable à ses yeux. Ainsi, bien que le centre de la culture juive soit incontestablement

aujourd’hui l’Etat d’Israël -dont la langue est parlée par des millions d’individus en Israël

même et à travers le monde-, des articles du mensuel n’évoquent la culture juive

« polyphonique » 344 qu’au travers de ce judaïsme de diaspora perdu, aux accents judéo-

espagnols ou yiddish. En clin d’œil au mouvement anti-sioniste Bund -englouti par ses

apories révélées pendant la Shoah- ce dernier idiome est même présenté comme ayant « des

ramifications universelles »345, dont la patrie serait, selon la définition du linguiste Simon

Doubnov « le monde entier »346. De telles conclusions peuvent apparaître curieuses, pour des

langues uniquement transmises héréditairement et sur un mode ethnique (Juifs d’Europe, Juifs

d’Espagne, etc.) et donc vecteurs d’exclusion. Au contraire, l’hébreu israélien, en tant que

langue officielle347 d’un Etat démocratique au demos composite, est la langue de

communication de l’ensemble des citoyens israéliens de toutes ascendances et religions

confondues. Elle est ainsi enseignée dans le monde au même titre que d’autres idiomes, et

dénuée de la forte prégnance ethnique et confessionnelle associée aux judéo-langues.

341 Rita Sabah, « Bienvenue en Palestine. Chronique d’une saison à Ramallah, Anne Brunswick », Note de lecture, Le Monde diplomatique, juillet 2004. 342 Pour paraphraser l’expression d’Yves Palau d’« assignation à résidence identitaire ». Yves Palau, « La médiation sociale, une construction idéologique », Etudes, n°3856, décembre 1996, p. 622. 343 Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995, 208 pages, p. 19 (préface). 344 Sylvie Braibant, Dominique Vidal, « Entre crispation et assimilation. Juifs de France en quête d’identité », Le Monde diplomatique, août 2002. 345 Dominique Godrèche, « Festival de Douarnenez. Le Yiddishland au cinéma », août 1999, Le Monde diplomatique, août 1999. 346 « La patrie du yiddish, c'est le monde entier ». Ibidem. 347 Au même titre que l’arabe (littéral).

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Une telle attitude rappelle par ailleurs la sympathie d’une certaine intelligentsia anti-

sioniste « bien-pensante », décrite par Shmuel Trigano, vis-à-vis du judaïsme allemand et des

Juifs déportés dans les camps d’extermination que « plus d’un aspect […] rendait

« fréquentable[s] » : les Juifs d’Allemagne avaient renoncé à l’historicité d’un peuple juif

pour rechercher une fusion mythique avec l’Allemagne, au nom d’une éthique éthérée.

L’exaltation d’une telle forme sacrificielle d’identité juive a forgé silencieusement une norme

d’évaluation du judaïsme actuel, trop vivant pour rentrer dans ces habits angéliques et donc

critiquable pour sa brutalité supposée »348. Et d’ajouter que « dans le même esprit, l’exil

diasporique, l’errance, le nomadisme appliqués aux Juifs, ont eu beaucoup de succès dans

l’arène culturelle »349.

Ce refus de considérer le collectif juif comme porteur d’une historicité propre -

symbolisée par l’expression de « peuple juif », et aujourd’hui par la vitalité d’une culture

hébraïque florissante-, semble se retrouver dans le Monde diplomatique par l’emploi

systématique d’une minuscule pour désigner le « juif ». Ainsi, il n’y a pas de « Juifs » -selon

un usage pourtant courant- pour le mensuel, mais bien plutôt des « juifs ». Le dictionnaire

Larousse définit le terme, en premier lieu avec une majuscule, comme la « personne

appartenant à la communauté israélite, au peuple juif », puis ensuite sans majuscule, comme

« personne qui professe la religion judaïque »350. La nuance est révélatrice : en considérant le

collectif juif comme un simple groupe religieux au même titre que les bouddhistes,

catholiques ou encore sunnites, on lui retire implicitement ce qui pourrait lui justifier d’un

droit à l’autonomie culturelle et à l’autogestion –en d’autres termes, de droits dits

« nationaux ».

Cette antipathie du Monde diplomatique vis-à-vis de la notion d’historicité juive,

traduite en hostilité sourde à la création et l’existence de l’Etat d’Israël, pousse le mensuel à

célébrer tout ce qui s’apparente aux formes d’existence juive d’avant le « péché originel ».

Une contribution révélatrice de cet état d’esprit évoque par exemple la « présence millénaire

348 Shmuel Trigano, L’avenir des Juifs de France, Paris, Grasset, 2006, 316 pages, pp. 133-34. Les « nous sommes tous des Juifs allemands » étaient d’ailleurs symptomatiques et prophétiques d’une pensée précisant les contours d’une identité juive acceptable et acceptée dans certains milieux militants se définissant notamment sous l’épithète de « révolutionnaires ». 349 Shmuel Trigano, L’avenir des Juifs de France, op. cit., p. 133. 350 Patrice Maubourget (dir.), Le Petit Larousse Illustré, op. cit.

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du judaïsme en terre algérienne »351 avant d’insister sur « l’attachement viscéral que tout juif

né en Algérie peut et doit ressentir pour cette terre de ses ancêtres »352.

L’allégorie du dhimmi heureux

Le mythe de l’Andalousie heureuse et d’une vie juive d’antan comblée dans le monde

arabo-musulman participe d’ailleurs de cette « symbiose qui a existé entre les communautés

juive et musulmane »353 affichée dans le mensuel. La fable est souvent entonnée ailleurs dans

l’espoir de voir la population juive israélienne retourner à l’état de misère et d’avilissement du

dhimmi354 qui était celui des Juifs en pays d’islam avant la création de l’Etat d’Israël. Elle

tranche pourtant avec la cruelle réalité de l’exode massif –voulu, contraint ou forcé selon les

cas- de la quasi-totalité des populations juives du monde arabo-musulman, et plus précisément

du monde arabe355.

Cette mystification et cette surhumanisation de la vie juive ante 1948 s’opposent alors

à l’existence, supposée fade, de la vie quotidienne déshumanisée dans l’Etat hébreu

351 Ramon Chao, « Aljezar. Albert Bensoussan », Note de lecture, Le Monde diplomatique, février 2004. 352 Ibidem. Cet « attachement viscéral » pour la « terre de ses ancêtres », non seulement justifié mais aussi prescris par l’auteur, ne doit pas cependant s’aventurer à remonter trop loin dans le temps –jusqu’aux ancêtres bibliques- s’il veut conserver son capital de légitimité.353 Ibidem. 354 Le terme de dhimmi désigne le sujet non-musulman, mais appartenant aux « gens du livre » (croyants non-musulmans), dans un Etat régi par la Shari’a, la loi musulmane. Le pacte accorde en théorie un ensemble de libertés limitées et un droit d’exercice du culte en échange d’une soumission et du paiement de lourds impôts. En pratique, les dhimmis, et a fortiori les dhimmis juifs non protégés par les puissances européennes (ce qui pouvait être le cas des sujets chrétiens), subissait l’arbitraire de leurs souverains et de leurs co-sujets musulmans dans la mesure où ils n’avaient notamment pas le droit de témoigner contre un musulman lors d’un procès. Le paiement de la capitation (jazya) imposé au dhimmi lui imposait souvent un fardeau économique financier très lourd, le confinant dans la misère, tandis que le paiement de cet impôt devait se faire dans « l’humiliation » (comme stipulé dans le pacte d’Omar, à l’origine du statut avilissant de la dhimma) impliquant soufflets, coups voire blessures volontaires. Enfin, bien que n’ayant pas emprunté les proportions observées en Europe, l’histoire des Juifs en terre d’islam et dans le monde arabe est jalonnée de massacres, même pendant les période de relative accalmie ou pendant le mythique « âge d’or » andalou. Pour une histoire solidement documentée de la réalité de la condition des Juifs en terre d’Islam, et plus généralement des dhimmis, se reporter aux travaux de l’historienne suisse né en Egypte Bat Ye’or. Voir notamment son Le Dhimmi, profil de l'opprimé en Orient et en Afrique du Nord depuis la conquête arabe, Paris, Anthropos, 1981, et plus récemment une réédition fournie, augmentée et mise à jour : Juifs et chrétiens sous l’islam : face au danger intégriste, op. cit. 355 Ainsi, près d’un million de Juifs vivaient encore dans les pays arabes en 1948. Leur nombre aujourd’hui dépasserait à peine les 4000 individus, la plupart d’entre se répartissant au Maroc (2500) et en Tunisie (1500), essentiellement des personnes âgées. Il subsiste également quelques dizaines de « gardiens du cimetière » dans le reste du monde arabe. Leur départ massif illustre le refus de retourner à une situation de soumission qui prévalait sous le joug de la loi islamique avant l’arrivée des puissances coloniales européennes. Près de 80% d’entre eux trouvèrent refuge en Israël. Les chiffres pour 1948 datent de 2004, et sont tirés du site Internet de l’Organisation mondiale des Juifs originaires des pays arabes (WOJAC) (http://wojac.com/history.html). Les chiffres de la présence actuelle des Juifs dans le monde arabe (datant de 2002) sont basés sur des estimations du Congrès Juif Mondial, disponible à l’adresse Internet de l’organisation : http://www.worldjewishcongress.org.

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contemporain, dont la « dérive ultranationaliste »356 contraste avec « l’immense tristesse des

vieux juifs arabes »357 regrettant le Maghreb et affirmant qu’ « il n’y a pas de joie de vivre en

Israël »358. Tandis que la pluralité des formes disparues du judaïsme est célébrée par le

mensuel, elle est alors opposée à l’esprit de ghetto présumé du sionisme. Pour Rony Brauman

-personnalité ne cachant pas son inimitié vis-à-vis du fait israélien-, il serait ainsi « impossible

de contenir la vérité juive dans un ghetto. Le brassage est inévitable. Et nul ne sait ce qui en

sortira... »359. Dominique Vidal se demande d’ailleurs « comment le judaïsme peut rompre la

polarisation continue entre sa banalisation spirituelle et les formes extrêmement particulières

du nationalisme religieux, du racisme ethnique et du messianisme national »360.

Cette attitude du mensuel est donc révélatrice d’un état d’esprit caractéristique des

rapports qu’entretient le tiers-mondisme vis-à-vis de sa « question juive ». Il s’agit d’appeler

les Juifs à s’identifier soit aux formes diasporiques passées de la condition juive, qui par

l’infériorité et la soumission et de l’oppression des individus tout autant du collectif juif

qu’elle supposaient361 permettaient en somme aux Juifs de garder un capital de sympathie

renforcé par les horreurs de la Shoah ; soit d’abandonner toute spécificité pour défendre l’idée

de l’internationale des travailleurs et d’une « justice universelle »362. En d’autres termes : le

choix pour un collectif des modalités de sa propre dilution. Cette démarche consiste ainsi à

combattre l’idée d’un nationalisme judéo-hébraïque revendiquant les mêmes droits que les

autres peuples constitués en Etat-nation. Les judaïsmes « des arrières grands-parents », celui

d’avant la Shoah, des judéo-langues, du Shtetl ou des maquis d’Afrique du Nord seraient ainsi

ceux du brassage, de la polyphonie, du mélange, de l’ouverture et de l’humanisme. Le

sionisme serait alors son pendant contraire : un « nationalisme religieux », un « racisme

ethnique » ou encore un « messianisme national ». Le judaïsme de diaspora représenterait

ainsi celui de l’intégration aux nations, à l’inverse d’un sionisme ontologiquement

ségrégationniste qui voudrait séparer les Juifs des Gentils.

356 Dominique Vidal, « « Route 181 », un film d’Eyal Sivan et Michel Khleifi. Psychanalyse collective », Le Monde diplomatique, juillet 2004. 357 Ibidem. 358 Ibidem. 359 Sylvie Braibant, Dominique Vidal, « Entre crispation et assimilation. Juifs de France en quête d’identité », Le Monde diplomatique, août 2002. 360 Dominique Vidal, « « L’utopie perdue, de Göran Rosenberg. Quelle identité pour les juifs ? », Note de lecture, Le Monde diplomatique, avril 2002. 361 Zone de résidence forcée et discriminations nombreuses pour le judaïsme d’Europe de l’Est, statut d’inférieur permanent dans le cadre du dhimmi en vigueur dans les pays régis par l’Islam, etc. 362 Qui impliquerait ipso facto de se fondre dans les nations hôtes, d’où un renforcement des Etats-nations déjà existant, ce qui peut relever du paradoxe.

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2) « Etre ou ne pas être ? » : l’Etat d’Israël selon le « Diplo »

A) Eclairages théoriques

Les sionismes en perspective Cette opposition était d’ailleurs déjà bien exprimée par Gershom Scholem, qui lorsque

ses parents lui reprochèrent des convictions sionistes accusées de ramener les Juifs à l’âge du

ghetto, leur rétorqua : « C’est vous qui vivez dans un ghetto. Seulement, vous ne voulez pas

l’admettre. Où sont les Goyim ? Vous n’en avez jamais invité un seul chez vous » 363. Le

sionisme sera dans les yeux de Scholem, ainsi que chez de nombreux membres de la jeune

génération juive, un moyen privilégié pour exprimer « leur révolte contre le mensonge

qu’était alors l’existence juive », pour revendiquer une judéité pleinement réconciliée avec

elle-même364.Ainsi, si le sionisme entendait rompre avec une logique assimilationniste

trompeuse et aporétique, il ne renonçait pas cependant à l’idée même d’assimilation, mais

prétendait le réaliser à l’échelle collective sous les auspices de l’Etat-nation365 -ce qui permet

d’ailleurs aujourd’hui à l’Etat d’Israël d’englober comme citoyens des individus de toutes

religions, origines et horizons, chose que ne peux évidemment pas le judaïsme de diaspora

essentiellement construit sur la confession, l’ethnicité et l’ascendance juives. D’une certaine

façon, les sionistes étaient selon Hannah Arendt « les seuls qui désiraient sincèrement

l’assimilation, à savoir la normalisation du peuple («être un peuple comme les autres ») alors

que les assimilationnistes souhaitaient que les Juifs conservent leur position

exceptionnelle366 ».

Plus fondamentalement, le terme « sionisme » peut désigner dans sa version basique

une idéologie traduite en mouvement politique, dont l’objectif fut l’édification d’un foyer

363 Entretien avec Gershom Scholem in Gershom Scholem : Fidélité et utopie. Essai sur le judaïsme contemporain, Paris, Calmann-Lévy, 1978, 282 pages, p.22. 364 Alain Dieckhoff, « Gershom Scholem en Allemagne (1911-1923) : à la recherche d’un sionisme de l’exigence », Cahier de l’Herne, 1993. 365 Alain Dieckhoff, L’invention d’une nation : Israël et la modernité politique, Paris, Gallimard, 2003, 360 pages, p. 299. 366 Hannah Arendt, « Réexamen du sionisme » in : Auschwitz et Jérusalem, Paris, Deuxtemps Tierce, 1991, 262 pages, p. 113. Par ses projets de « normalisation juive », le sionisme comportait en effet un potentiel d’assimilation puissant. Sur ce point, le sionisme n’entendait en effet pas tourner le dos à l’Europe mais plutôt accomplir ce qu’elle avait eu d’inachevé pour les Juifs. « Créer un Etat-nation était le seul moyen de dépasser l’aporie consubstantielle à l’assimilation de type individuel qui impliquait bien acculturation et intégration sociale, mais nullement effacement total de tout particularisme juif ». Dieckhoff, L’invention d’une nation.., op. cit. p. 298.

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national juif en Palestine367, dessein aujourd’hui largement atteint, voire même dépassé368. Il

apparu pour la première fois sous la plume de Nathan Birnbaum en 1890 pour désigner

l’orientation proprement politique visant à la « restauration » d’une nation judéo-hébraïque en

Palestine. Cette définition a minima du sionisme comme mouvement en faveur d’un « foyer

national juif » en Palestine –et non forcément d’un Etat369-, demeure peut être la seule qui

constitua ce que l’on aurait pu appeler avant l’heure le « consensus sioniste » d’avant la

création de l’Etat d’Israël. Derrière ce vernis unificateur relativement tenu, vivotaient toute

une série de courants dont les objectifs en termes de moyens et de fins divergeaient ensuite

profondément370.

La création d’un foyer national juif en Palestine, à partir d’une communauté juive

numériquement forte déjà existante et multimillénaire, n’impliquait donc nullement la

dépossession de quiconque, ni le refus de droit nationaux aux autres peuples, mais bien

l’accès au droits nationaux les plus élémentaires pour une population destinée à accueillir des

immigrants, persécutés ou non. La solution de l’Etat binational proposée notamment par le

Brith Shalom à partir de 1925 prenait ainsi en compte les réalités humaines de deux

communautés nationales imbriquées et désireuses d’accéder à l’autodétermination.

Le mouvement national juif en Palestine n’était d’ailleurs pas différent des

mouvements nationaux arabes, chacun ayant pour substrat cette « agitation nationaliste » de 367 Nom qu’imposèrent jadis les Romains à cette province après la révolte de Bar Kokhba (135 de notre ère) afin d’en effacer toute trace de présence juive. Le terme « Palestine » désigne sémantiquement le pays des Philistins, à savoir un peuple biblique d’origine indo-européenne qui s’installa essentiellement sur le littoral gazaouite. Ce peuple ennemi légendaire des Israélites fut ensuite soumis par le roi David. Le vocable « Palestine » subsume dans le contexte mandataire britannique le territoire de la Palestine Occidentale de 1923, à savoir l’Etat d’Israël dans ses frontières internationales ainsi que la Bande de Gaza et la Cisjordanie –la Palestine britannique englobant également entre 1920 et 1923 le futur territoire transjordanien. 368 C’est le sens d’un certain « post-sionisme », reconnaissant le rôle du sionisme comme positif mais achevé, l’heure étant alors au « post-nationalisme ». A contrario, « l’anti-sionisme » désignerait alors d’abord une attitude historiquement hostile au sionisme, et aujourd’hui une volonté d’en effacer les réalisations, à savoir l’Etat d’Israël, l’existence d’un peuple israélien ou encore d’une culture hébraïque vivante et quotidienne. 369 L’idée d’Etat est apparue tardivement, et a du son succès notamment au refus arabe de négocier les termes de la création d’un Etat judéo-arabe binational, prôné alors par le Brith Shalom qui sera dissous en 1933. 370 D’un Herzl professant l’édification d’un « Etat des Juifs » sans langue hébraïque à un Ahad Ha’am pour qui le sionisme culturel et la territorialisation en Palestine du centre spirituel du peuple juif qui en est son vecteur comptent plus que l’édification même de l’Etat, en passant par des courants sionistes religieux minoritaires pendant longtemps face aux révolutionnaires sionistes pour lesquels l’internationalisme socialiste s’alliait avec le nationalisme, seule la création d’une « masse critique » juive semblait rassembler (physiquement et idéologiquement) ceux que le discours de l’époque (d’avant 1948) qualifiait de « palestinophiles ». Si pour certains tenants d’un sionisme attentif aux populations arabes la fin escomptée restait l’édification d’un foyer national juif intégré à son environnement proche-oriental, pour d’autres –notamment les représentants officiels-, il s’agissait d’un moyen pour parvenir à la revendication d’un Etat en bonne et due forme. C’est bien entendu l’existence même de cette « muraille de fer » (Jabotinsky) qui allait servir ensuite de substrat aux revendications pour un Etat juif cette fois-ci.

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l’Europe du XIXe siècle. De la même manière, « les nationalismes européens ont

profondément marqué le nationalisme arabe » 371. Sati Husri, principal père de la doctrine

nationaliste arabe, et de sa forme totalisante que constitue le panarabisme, affirmait d’ailleurs

« inévitable et souhaitable la contagion des nationalismes européens dans l’Asie arabe » 372.

« Voie de salut pour un peuple en danger de mort »373, les sionismes quant à eux

entendaient permettre au peuple juif de « prendre son destin en main ». Cette aventure est

devenue aujourd’hui pour Israël celle de l’Etat-nation. En effet, « l’indépendance d’un peuple

passe, plus que jamais, par la création d’un Etat-nation qui lui garantisse souveraineté et

sécurité »374.

Le « Diplo » et l’Etat-nation : du « progressisme » à « l’oppression »

Pourtant, dans le mensuel, le terme de sionisme « claque comme une insulte »375, et se

voit investit systématiquement du rôle de repoussoir. Le mouvement national juif y

ressemblerait presque à ces « objets détestables »376, définis par Paul Zawadzki comme ce qui

« suscite de l'indignation, de la répulsion, de la peur, du dégoût »377. Le Monde diplomatique

fustige notamment les « ultrasionistes »378, tandis que la notion d’« anti-sionisme » ou des

personnalités s’en réclamant se retrouvent associées au terme galvaudé de « pacifisme »379.

Cette stigmatisation est cependant dans de nombreuses contributions implicites, dans la

371 Olivier Carré, Le nationalisme arabe, Paris, Fayard, 1993, 304 pages, p. 12. 372 Ibidem, p. 13. 373 Zeev Sternhell, cité par Paul Zawadzki, « Aux origines d’Israël : deux regards récents sur le sionisme », op cit., p. 999. 374 Dieckhoff, Israël, L’invention d’une nation : Israël et la modernité politique, Paris, Gallimard, 2003, 360 pages (dos de couverture). 375 Nous empruntons cette phrase à l’œuvre colossale et de référence de l’historien Georges Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme 1860-1940, Fayard, Paris, 2002, 1080 pages (dos de couverture). 376 Paul Zawadzki, « Travailler sur des objets détestables : quelques enjeux épistémologiques et moraux », op. cit. 377 Ibidem, p. 571. 378 Dominique Vidal, « Les alliances douteuses des inconditionnels d’Israël. Au nom du combat contre l’antisémitisme », Le Monde diplomatique, décembre 2002. L’exagération vise à pousser à son paroxysme la qualité de celui que l’on rejette et abhorre, ici le « sioniste », dont la figure sert fréquemment d’anti-modèle dans le « Diplo », et notamment sous la plume de Dominique Vidal. 379 A ce titre, nous déplorerons le sombre destin qu’a connut le vocable de « paix », qui à l’instar de nombre de termes dépréciés, se retrouve victime de son propre succès et de sa puissance évocatrice. Réinvesti par une certaine idéologie militante à sens unique, il peut ainsi aujourd’hui en venir jusqu’à –au nom de la « paix »- prôner la guerre à outrance et l’extermination de l’Autre, vu comme obstacle à cette même paix. Les propos d’un président iranien, pronostiquant la paix une fois « l’entité sioniste » liquidée, fournissent une image sans équivoque de que le terme peut venir à signifier. La confusion opérée par une certaine novlangue journaleuse entre manifestation « pacifiste » (« pour la paix ») et « pacifique » (sans violence) ajoute à ce phénomène d’affaiblissement d’un vocable ayant perdu une certaine précision.

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mesure où le recours aux épithètes de « sioniste » et « d’anti-sioniste » s’avère aujourd’hui

largement anachronique380.

Le sionisme se voit ainsi exclu de l’universel et de l’intellectualité par le mensuel,

comme nous l’avons vu dans les précédents tableaux. Nous pouvons alors nous interroger sur

les raisons profondes d’une telle position. Cette attitude, justifiée selon le journal par le passé

de l’Etat hébreu, ne saurait en effet « aller de soi », puisque le « péché originel » n’est pas

étendu à tous les protagonistes. Les accointances fondatrices du nationalisme arabe, et plus

particulièrement du nationalisme palestinien, avec par exemple le régime et les thèses

nazis381, n’en disqualifient pas en effet la légitimité de certaines des revendications passées et

présentes de ces mouvements nationaux.

On notera également que, aux yeux de l’idéologie du mensuel héritée du tiers-

mondisme, la fascination pour les formes éparpillées et communautaires du judaïsme peut se

mettre en relation avec l’attrait pour le Palestinien sans-Etat. La détestation du fait national

israélien, couplée de la défense des droits nationaux palestiniens, peut cependant apparaître de

prime abord troublante. On refuse au premier ce que l’on veut accorder au second, au nom

d’une justice universelle frelatée. Il semblerait que le double standard appliqué dans les pages

du Monde diplomatique verse dans une forme plus subtile d’ubiquité intellectuelle. Une

attitude positive vis-à-vis du nationalisme palestinien proviendrait de sa non concrétisation, 380 Cette attitude de bienveillance vis-à-vis de personnalités ou de mouvements se réclamant de l’anti-sionisme fait preuve cependant d’une certaine circonspection des membres de la rédaction, qui, s’ils n’hésitent pas à fustiger de front le sionisme et tout ce qui s’y apparente, hésitent souvent à se déclarer sous l’adjectif « anti-sioniste ». « A la différence des plupart des institutions de discours qui reposent sur un ancrage doctrinaire à visée constituante (droit, religion, science, etc.) » (Georges-Elia Sarfati, L’antisionisme, op. cit., p. 11), le discours anti-sioniste, relativement archaïque puisque signifiant le rejet d’une réalité humaine et historique établie –l’existence du peuple israélien-, s’articule en effet au contraire à « une visée destituante (au sens de : « destituer quelqu’un ») » (Ibidem). Une autodéfinition en tant « qu’anti-sioniste », pour qui en saisit la portée concrète –ce qui est assurément le cas des collaborateurs et rédacteurs du mensuel-, est donc difficile à articuler à un discours professant au nom de l’universalité le droit d’un autre peuple –le peuple palestinien- à disposer de lui-même. Ce qui n’empêche pas au mensuel d’adopter une tonalité et des discours à relents anti-sionistes, sans s’identifier clairement à une épithète largement anachronique et révisionniste. Ce discours a alors « pour spécialité et pour finalité –pour fonction spécialisée- de démettre le sionisme et l’historicité contemporaine qui en procède (l’Etat d’Israël) de toute sa légitimité » (Ibidem). 381 Ainsi, à partir de 1940, les dirigeants arabes insistent d’ailleurs pour que l’Allemagne et l’Italie fassent leur « le droit des pays arabes de résoudre la question des éléments juifs en Palestine et dans les pays arabes d’une façon conforme aux intérêts nationaux et ethniques des Arabes et à la solution de la question juive en Allemagne et en Italie » (Georges Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme 1860-1940, op. cit., p. 483). L’enthousiasme du Mufti de Jérusalem, Al Hajj Amin Al Husseini -parent biologique de Yasser Arafat et référence idéologique du mouvement national palestinien- vis-à-vis de la solution finale et de l’idéologie nazie, est à ce titre bien connu. Le mufti ira même jusqu’à se rendre en Yougoslavie pour participer à la mise sur pied de la première formation de Waffen SS musulmans (Georges Bensoussan, op. cit., p. 484). L’opposition conjoncturelle vis-à-vis des Britanniques, et viscérale vis-à-vis des Juifs -voués selon le mufti au même sort en Europe qu’en Palestine-, avait de quoi rapprocher le mufti des nazis.

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tandis que la contemption du mouvement national juif viendrait de sa réussite, inespérée et par

trop éclatante au vu de la situation de désespoir qui était celle du fait juif à l’aube du siècle

dernier.

Antonio Negri évoque à ce propos ce qu’il considère comme une « ambiguïté des

fonctions progressistes de la nation »382. Lorsque celle-ci n’est pas effectivement liée à la

souveraineté, et qu’elle reste à l’état de rêve politique, son capital de sympathie au sein de

l’idéologie tiers-mondiste est maximal. Ainsi, « dès que la nation commence à se constituer

en Etat souverain, ses fonctions progressistes disparaissent »383. « Jean Genet, enthousiasmé

par le désir révolutionnaire des Black Panthers et des Palestiniens, reconnaissait [d’ailleurs]

que le fait de devenir une nation souveraine signifierait ipso facto la fin de leurs qualités

révolutionnaires : « Le jour où les Palestiniens seront institutionnalisés, je ne serai plus à leur

côté. Le jour où les Palestiniens deviendront une nation comme les autres nations, je ne serai

plus là384 »385.

Par contre, « avec la « libération » nationale et la construction de l’Etat-nation, toutes

les fonctions oppressives de la souveraineté moderne prospèrent inévitablement dans toute

leur force »386. L’hostilité plus particulière vouée à l’Etat hébreu pourrait alors s’expliquer par

le fait que ce dernier « vient de loin » (passage direct et rapide d’une situation d’a-historisme

et de vulnérabilité à celui d’Etat-nation), et dans la mesure où il fut basé sur un volontarisme

typique du « siècle des nationalismes » (politique d’immigration idéologique des pionniers,

revivalisme culturel et linguistique) plus intense que celui caractérisant peut être d’autres

entités. En ce sens il représente peut être l’Etat le plus conscient de sa nécessité, et le symbole

le plus patent de l’ère de l’Etat-nation, dont l’achèvement –souhaité dans certains milieux dits

« progressistes » proches du « Diplo »- commencerait alors nécessairement par le terme

préalable de l’Etat d’Israël.

382 Antonio Negri, Empire, Paris, Exils, 2000, 560 pages, p. 146. 383 Ibidem. 384 Jean Genet, « Interview avec Wischenbart », in Œuvres complètes, tome 6 : l’ennemi déclaré, Paris, Gallimard, 1991, p. 282. 385 Antonio Negri, op. cit., p. 146. 386 Antonio Negri, op. cit., p. 147.

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B) L’existence de l’Etat d’Israël dans le mensuel

Un droit à l’existence inconditionnel…

Les saillies implicites vis-à-vis de l’existence de l’Etat d’Israël, perceptibles dans les

colonnes du Monde diplomatique, ont fait l’objet pendant des années, et plus particulièrement

cette dernière demi-décennie, de volées de bois vert provenant de courants intellectuels et

politiques divers de la société française ne partageant pas l’analyse du mensuel. La

polémique, amplifiée récemment, n’est donc pas nouvelle.

La rédaction du Monde diplomatique -Dominique Vidal en tête-, n’hésite pas à jeter

son encre caustique dans cette « bataille des idées », et consacre régulièrement de longs

articles destinés à promouvoir les positions du mensuel, exploitant la marge de manœuvre

qu’offre le « Diplo », sans risque de contestation interne387. Dans un article intitulé « Quand

Jean-Christophe Rufin prône le délit d’opinion », Dominique Vidal en profitait ainsi pour

effectuer une mise au point qu’il jugea nécessaire : « Le Monde diplomatique [considère] le

droit à l’existence et à la sécurité d’Israël comme une des conditions sine qua non d’une paix

juste et durable au Proche-Orient »388. L’assertion de l’ancien rédacteur en chef adjoint tient

cependant ici plus du discours défensif de celui qui, acculé dos au mur, se retranche sur ses

dernières positions –se démarquer d’une gênante accusation de faire le lit de l’« anti-sionisme

radical »-, que d’une déclaration affirmative et idéologique. Nombre d’articles, d’encadrés ou

d’éditoriaux du Monde diplomatique viennent en effet compléter la phrase, amputée ici des

conditions censées la rendre opératoire.

387 Dans cet ordre d’idée, le recours au « contre-feu » de la part du mensuel vise à enterrer des sujets gênants, par le biais d’articles assez longs. Le contre-feu est un feu allumé en avant d’un incendie pour en empêcher la propagation : il s’agit donc, avant qu’une polémique n’enfle davantage, de la circonscrire en recourrant à un développement extensif visant à tenter de produire une réalité inverse. 388 Dominique Vidal, « Quand Jean-Christophe Rufin prône le délit d’opinion », dossier du Monde diplomatique, 21 octobre 2004, disponible sur le site Internet du mensuel : http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/rufin/?var_recherche=Jean-Christophe%20Rufin.

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…mais sous conditions Modes de gestion de la citoyenneté et de la nationalité

Effectif % eff. total

Le caractère actuel de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat hébreu et/ou juif est illégitime, et ne doit pas être seulement modifié, mais impérativement et complètement transformé pour qu’Israël ait le droit d’exister

10 4,1%

Le caractère juif de l’Etat d’Israël est à l’origine de discriminations ethniques ou religieuses, et cet Etat est voué à l’apartheid s’il n’abandonne pas entièrement cette conception

5m

Le caractère ethnique de l’Etat d’Israël empêche l’application du droit au retour des Palestiniens et donc la paix 3n

Israël ne doit plus être un Etat à majorité juive, la notion d’Etat juif est illégitime 1o

Dont

Israël doit cesser d’être un Etat juif pour devenir un Etat de type « libéral », « de tous ses citoyens » 3p

Le caractère actuel des Etats arabes et/ou musulmans en tant qu’Etats arabes et/ou musulmans est illégitime, et ne doit pas être seulement modifié, mais impérativement et complètement transformé pour que ces Etats aient le droit d’exister

0 0%

A titre d’exemple, un article d’Etienne Balibar mettait quelques mois plus tôt en

lumière l’axiome de base du mensuel concernant la « légitimité de l’existence d’Israël comme

entité politique « souveraine » »389 ajoutant que cela « ne préjuge en rien ni des bases

territoriales de cette souveraineté ni des cadres locaux ou régionaux dans lesquels les

Israéliens pourraient accepter de la limiter pour assurer les conditions de l’existence

démocratique à venir de leur Etat » 390. Le philosophe précise cependant les limites à ce droit

hypothétique, introduisant « deux faits [qui] fragilisent cette légitimité, voire risquent de la

remettre en question »391. « L’un tient à la définition d’Israël comme « Etat juif » »392,

responsable selon l’auteur de la situation de « seconde zone » des citoyens israéliens arabes.

Nombre d’autres contributions frappent notamment d’anathème le « caractère juif de

l’Etat d’Israël », accusé d’entraîner des « discriminations fondées sur la religion ou d’autres

appartenances »393, tandis que d’autres contributions célèbrent par contre le « savant

mélange » entre islam et nationalisme, opéré notamment par le Hezbollah. Nous l’avons vu,

celui-ci se voit ainsi décrit comme un « mouvement national d’inspiration religieuse […]

389 Etienne Balibar, « Universalité de la cause palestinienne », Le Monde diplomatique, mai 2004. 390 Ibidem. 391 Ibidem. 392 Ibidem. 393 Monique Chemillier-Gendreau, « Les bases juridiques de l’accord de Genève. Israël-Palestine, une paix fondée en droit », Le Monde diplomatique, janvier 2004.

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illustr[ant] la puissance de la dynamique impulsée par la synthèse opérée entre nationalisme et

islamisme »394.

Cette judéité de l’Etat israélien serait par ailleurs également responsable de l’absence

de paix israélo-palestinienne, et expliquerait la « volonté [par Israël] de maintenir un Etat de

nature ethnique recherchant la "pureté" de son peuplement, fondé sur la discrimination des

populations en raison de leur origine »395. Le nationalisme juif est donc pour le mensuel une

idéologie « conduisant au refus de la paix en Palestine »396. Les malheurs du Proche-Orient

ont alors trouvé leur explication et leur solution : « la peur venant de la longue nuit de la

Shoah »397 « a conduit Israël dans l’impasse de l’Etat ethnique »398 et a « ainsi bloqué le droit

au retour »399, « refusé par Israël au nom d'un argument ethnique, celui du caractère juif de cet

Etat »400. « Le problème est désormais conditionné à sa levée »401. La « péjoration naturelle

du sionisme »402 baignant les contributions du mensuel peut ainsi se résumer sous un topos –

lieu commun- perceptible dans les colonnes du Monde diplomatique : « moins d’Israël, plus

de paix »403.

Si un certain nombre de pratiques discriminatoires envers la minorité arabe en Israël

sévissent bien au sein de l’Etat hébreu404 -à l’instar de nombre de pratiques discriminatoires

observées jusque dans des pays démocratiques stables et vivant en paix-, il serait cependant

394 Walid Charara et Frédéric Domont, « Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste », op. cit. 395 Marina Da Silva, « Au cœur du conflit israélo-palestinien. Droit au retour », Le Monde diplomatique, avril 2002. 396 Monique Chemillier-Gendreau, « Pour une organisation de la communauté mondiale », Le Monde diplomatique, septembre 2005. 397 Monique Chemillier-Gendreau, « Les bases juridiques de l’accord de Genève… », op. cit. 398 Ibidem. 399 Ibidem. 400 Monique Chemillier-Gendreau, « Du Vietnam à l’Irak. Dommages de guerre à géométrie variable », Le Monde diplomatique, octobre 2003. 401 Monique Chemillier-Gendreau, « Les bases juridiques de l’accord de Genève… », op. cit. 402 Georges-Elia Sarfati, L’antisionisme…, op. cit., p. 14. 403 Ibidem. 404 J’ai d’ailleurs abondamment traité ce thème de la place symbolique et concrète des citoyens issus de ce qu’il convient de nommer les « minorités nationales » dans l’Etat d’Israël contemporain, ainsi que de certaines pratiques discriminatoires –qui restent hélas à l’heure actuelle le lot de tout mode de gestion national même démocratique, en situation de paix et a fortiori de guerre- subies plus précisément par les Arabes israéliens dans le domaine foncier et le logement en Israël. Il serait cependant malhonnête et abusif d’oblitérer le rôle central du conflit israélo-arabe dans ce phénomène, ainsi que le fait que ces discriminations relativement « limitées » tendent à se réduire, et contrastent avec le plein exercice garanti juridiquement d’autres droits fondamentaux exercés par les citoyens israéliens des « minorités nationales ». Benjamin Weil, Nationalité(s), citoyenneté et minorités nationales en Israël, Mémoire de maîtrise de sciences politiques de l’université Paris VIII, sous la direction de Daniel Lindenberg, soutenu en juin 2005. Ce travail est disponible pour consultation à la bibliothèque de l’Université Paris VIII, à Saint-Denis.

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abusif d’en fustiger la seule volonté pour Israël de demeurer un « Etat juif »405. Quant à

l’épineuse et complexe question des réfugiés, celle-ci ne saurait être réglée sur la base d’un

suicide consenti par l’Etat d’Israël406. La contestation par le Monde diplomatique de « l’endo-

définition » 407 choisie par l’Etat hébreu contraste avec la vision enchantée du nationalisme

arabe et du caractère ethno-religieux des endo-définitions adoptées par les pays limitrophes à

Israël. D’autant que la notion d’« Etat juif », prompte à susciter un véritable acharnement dans

le journal, semble y être faiblement explicitée en profondeur.

Le concept d’« Etat juif »

Le concept de judéité étatique symbolisé par la notion d’« Etat juif » n’a d’ailleurs

jamais été défini de manière exhaustive et définitive et peut ainsi prêter le flanc à plusieurs

interprétations. Cette judéité au sens culturel semble cependant impliquer a minima

l’utilisation de l’hébreu, la prédominance d’une forme de culture juive sécularisée (calendrier

des fêtes nationales, jour de repos le shabbat..) ou encore d’une certaine tradition biblique.

Ainsi, selon le président de la Cour Suprême israélienne, Aharon Barak, « l’Etat juif est un

Etat dont l’histoire est imbriquée dans celle du peuple juif. C’est un Etat dont la langue est

l’hébreu et dont les fêtes reflètent la renaissance nationale […]. L’Etat juif est celui qui

développe la culture juive, l’éducation juive et l’amour du peuple juif […]. L’Etat juif est

celui qui puise ses valeurs dans celles de la tradition religieuse, dont la Bible est le livre le

plus fondamental et les Prophètes la base de sa morale ; l’Etat juif est cet Etat dans lequel le

droit hébraïque joue un rôle important et où ce qui relève des mariages et des divorces des

Juifs est réglé par le droit de la Torah »408. Ainsi, « même lorsqu’il va chercher son

supplément d’âme dans la religion, tout comme le nationalisme français, espagnol, roumain,

405 « Etat juif en terre d’Israël », selon les termes de la déclaration d’indépendance qui poursuit en précisant que « l’Etat d’Israël assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe […] sur la base d’une égalité complète de droits et devoirs et d’une juste représentation dans tous les organismes provisoires et permanents de l’Etat ». Des traductions françaises de la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël sont disponibles dans de nombreux ouvrages traitant de la question. Nous utilisons ici la traduction située pages 421 à 423 en annexe de l’ouvrage de Frédérique Encel et de François Thual: Géopolitique d’Israël : Dictionnaire pour sortir des fantasmes, Paris, Seuil, 2004, 510 pages. 406 Il s’agirait d’organiser l’implantation de millions d’individus, arabophones et pour l’essentiel musulmans sunnites, de surcroît pour la plupart ayant grandis dans l’enseignement de la haine de l’Israélien, dans l’Etat hébreu –et non dans l’Etat palestinien- dont la population deviendrait ipso facto majoritairement palestinienne. Un tel développement concourrait inévitablement à semer les germes d’une sanglante guerre civile. Façon pour certains de régler le conflit en le poussant à son paroxysme, en ne laissant que comme seule porte de sortie l’élimination totale de l’Autre. 407 Les termes d’endo-définition et d’exo-définition sont empruntés à Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, 272 pages, p. 159. 408 Cité par Claude Klein: La démocratie d’Israël, Paris, Seuil, 1997, 336 pages, p. 289.

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polonais…, le sionisme reste indissociable de la modernité, au même titre que d’autres

nationalismes »409.

Cette judéité étatique s’accompagne cependant d’une forte ouverture culturelle410,

puisque contrairement aux Etats dits « républicains » et imposant une culture et une langue

communes à l’ensemble des composantes de la société, l’Etat d’Israël offre à ses « minorités

nationales » une autonomie culturelle particulièrement large. Ainsi, les secteurs druze, arabe

sunnite et chrétien par exemple disposent d’écoles autogérées où l’enseignement s’effectue en

langue arabe, et impliquant des cours dans la « religion d’appartenance » des élèves411.

L’existence de presses, de télévisions et de radios en langue arabe –langue officielle de l’Etat

d’Israël au même titre que l’hébreu412- tranche avec l’autoritarisme culturel observé dans les

autres pays de la région.

Ce libéralisme culturel de la judéité étatique se retrouve dans l’organisation des cultes,

puisque contrairement aux attentes supposées par la notion d’« Etat juif », Israël est un Etat

pluriconfessionnel. Le droit israélien considère ainsi comme étant du devoir de l’Etat

d’assurer l’exercice des différents cultes à ses citoyens413. Toutes les communautés religieuses

reconnues par le gouvernement israélien sont donc aidées financièrement et

administrativement par l’Etat414, qui met ainsi à la disposition des individus les moyens de

pratiquer leur religion. Cette tolérance israélienne vis à vis des minorités religieuses lui a

permis par exemple de mettre en place très tôt un Comité chargé des biens musulmans, celui-

ci disposant de fonds de l’Etat ainsi que d’une large autonomie. Tous les personnels religieux

de chaque culte reconnu sont payés par l’Etat, qui en outre autorise les repos hebdomadaires

ou lors des jours de fête (dimanche pour les chrétiens, vendredi pour les musulmans, etc..), les

jours de repos de chaque citoyen dépendant de son appartenance confessionnelle415. C’est

ainsi que le gouvernement établit des liens formels avec les organes institutionnels de 14

409 Paul Zawadzki, « Aux origines d’Israël : deux regards récents sur le sionisme », op cit., p. 996. 410 La culture étant entendue ici au sens de ses manifestations anthropologiques. 411 L’enseignement de l’histoire des religions (avec une spécialisation sur la « religion d’appartenance » supposée de l’élève) fait partie des matières nécessaires à l’obtention du baccalauréat israélien. 412 Ce qui explique notamment l’obligation légale du bilinguisme hébreu-arabe sur l’ensemble des panneaux routiers du pays. 413 Contrairement par exemple à une certaine conception française de la laïcité dont la tradition est plutôt de cantonner à la sphère privée tout ce qui relève des manifestations religieuses. Voir Henri Pena-Ruiz, « Laïcité et différences : l’intégration républicaine », ch. IX de Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Folio, 2003, p. 167-187. 414 Karine Shebabo, « Vers une nécessaire sécularisation du droit personnel israélien », Les Cahiers du CREMOC, n°30, dossier Proche-Orient, volume II, 2001. 415 Ibidem.

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dénominations religieuses416, jouissant chacune de larges pouvoir sur leurs ouailles. Ainsi,

Israël n’a pas de religion d’Etat à proprement parler, mais plutôt un ensemble de religions

reconnues de jure, le judaïsme orthodoxe n’étant qu’une des religions d’Etat officielles417.

Ainsi, et sur un plan plus philosophique, le concept de judéité étatique embrasse ces

conceptions-phares de la pensée juive enjoignant à « aimer son prochain comme soi-

même »418 et à agir notamment ainsi envers « l’étranger » –c'est-à-dire l’individu porteur

d’une différence vis-à-vis de la majorité, ici le citoyen israélien issu des « minorités

nationales »-, puisque comme le dit le texte biblique hébreu, lu chaque semaine dans les

synagogues, « une seule et même loi régira l'indigène et l'étranger demeurant parmi nous »419,

« tu ne contristeras point l'étranger ni ne le molesteras; car vous-mêmes avez été étrangers en

Egypte »420.

Ces beaux principes n’empêchent cependant pas à l’Etat hébreu de connaître un

certain nombre de discriminations sur la base de l’ethnicité ou de l’appartenance

confessionnelle, sujettes aux aléas de la dégradation du conflit avec les Palestiniens et le

monde arabe, comme nous l’avons vu. Il s’avère pourtant proprement insolite d’invoquer des

pratiques discriminatoires, certes injustifiées et injustifiables, envers certains secteurs de la

population israélienne, pour appeler un Etat à abandonner sa spécificité421. A fortiori, cette

injonction ne s’applique pas aux autres Etats de la région proche-orientale, peu regardant en

matière de droit de l’homme lorsqu’il s’agit de leurs propres citoyens ou sujets. Les

illustrations en la matière foisonnent d’ailleurs de façon regrettable. Le caractère arabe de la

« République arabe syrienne » n’a jamais été invoqué comme cause des lourdes

416 La juridiction rabbinique (judaïsme orthodoxe), musulmane sunnite (shari’a), druze, bahaï, ainsi que les juridictions chrétiennes : orientale (grecque orthodoxe), arméniennes (grégorienne et catholique), syriaque (catholique), grecque catholique (melkite), maronite, orthodoxe syrienne, chaldéenne, évangélique et épiscopale. Martin Edelman, “A Portion of Animosity: The Politics of the Disestablishment of Religion in Israel”, Israel Studies, Spring 2000, Indiana University Press. 417 L’Etat d’Israël s’avère donc être à maints égards un Etat pluriconfessionnel. Cependant, en pratique le judaïsme orthodoxe joue indirectement le rôle de confession majoritaire puisqu’en tant que religion de la majorité il s’approprie la part la plus conséquente du gâteau. En effet, à travers le ministère des Affaires Religieuses, toutes les religions reconnues perçoivent l’aide de l’Etat sur une base démographiquement proportionnelle. Martin Edelman, op.cit. 418 « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique, XIX, 18). Zadoc Kahn (dir.), La Bible, Paris, Colbo, 1994, 1222 pages. 419 Exode XII, 49. Ibidem. 420 Exode XXII, 21. Ibidem. 421 On n’a d’ailleurs jamais exigé de la France d’abandonner sa « francité » -ce qui à l’instar de la judéité d’Israël pourrait se résumer par sa langue, son histoire et certaines valeurs propres- au nom de discriminations quotidiennes subies dans l’attribution des logements ou d’emplois par certains pans de la population française, notamment par les Français « issus de l’immigration » ou encore les individus de nationalité extra-européenne.

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discriminations que subissent les habitants kurdes du pays422 -ceux-ci, non-Arabes, sont en

effet pour une part conséquente d’entre eux exclus du statut même de citoyen. L’endo-

définition de certains Etats de la région comme identifiés à l’islam (l’Egypte évoque

notamment dans sa constitution la valeur législative de la Shari’a423), pourtant comptable de

réelles et patentes privations de droits dits « élémentaires » (c'est-à-dire inclus dans la

déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen) vis-à-vis des minorités religieuses (coptes

en Egypte, etc.) ne leur vaut néanmoins aucune contestation de leur caractère « arabe » ou

« musulman ».

Il n’en reste pas moins que pour des collaborateurs réguliers au Monde diplomatique,

le « sionisme discriminatoire contre les Arabes en Israël » s’avèrerait être une « idéologie […]

d’appui au racisme et aux discriminations » 424. L’Etat hébreu, se voit alors placé par le

Monde diplomatique devant un choix cornélien, puisque « Israël est voué soit à l’apartheid

soit à la perte de son caractère juif » 425 selon une contribution approuvant cette citation

d’Alain Ménargues426. En d’autres termes, Israël devrait cesser d’être un Etat juif pour

devenir un « Etat de tous ses citoyens » 427 -formule creuse et équivoque -, s’accompagnant

d’une « révision fondamentale » de « l’identité juive » dans un sens « individuel » et

« moral »428.

Ainsi, ce qui fait problème in fine n’est pas la simple existence de l’Etat d’Israël, mais

la nature juive de cet Etat. Une fois l’Etat juif rendu à l’état d’abstraction (l’Etat de tous ses

citoyens), « l’identité juive » selon Dominique Vidal devrait ensuite se couper de tout aspect

422 Représentant près de 1,5 millions de personnes, soit un dixième de la population syrienne, les Kurdes de Syrie subissent et ont subit de nombreuses persécutions et massacres, et plusieurs centaines de milliers de Kurdes n’ont tout simplement pas droit à la citoyenneté syrienne. Si les droits politiques de la minorité kurde sont donc inexistants, la négation de leur droit à l’existence culturelle va notamment jusqu’à la promulgation de lois telles celle interdisant les chansons kurdes aux mariages (décembre 1989), ou encore celle rendant hors la loi l’enregistrement de nom kurde dans l’état civil (octobre 1992). Informations recueillies sur le site kurde en langue française www.infokurd.com. 423 Postulant l’infériorité des croyants non-musulmans (dhimmis) interdits d’exercer un certain nombre de professions, et soumis à de nombreuses privations de droits implicites (menaces et agressions impunies contre les non-musulmans) ou explicites (irresponsabilité face à un musulman devant les tribunaux religieux, etc.). 424 Monique Chemillier-Gendreau, « Pour une organisation de la communauté mondiale », Le Monde diplomatique, septembre 2005. 425 Marina Da Silva, « Points de vue sur un conflit. Peur et « sécurité » en Israël », Le Monde diplomatique, novembre 2004. 426 Auteur de l’ouvrage controversé Le mur de Sharon (Paris, Presses de la Renaissance, 2004, 295 pages) dont une thèse sulfureuse est l’interprétation du conflit par le racisme supposé ontologique aux Juifs et au judaïsme. 427 Anonyme, « « Etat juif » ou « Etat de tous ses citoyens » ? Ce qu’ils pensent les uns des autres », Recueil de sondages, Le Monde diplomatique, octobre 2005. 428 Dominique Vidal, « « L’utopie perdue », de Göran Rosenberg. Quelle identité pour les Juifs ? », op. cit.

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collectif ou historique, pour ne laisser subsister qu’un vague corpus philosophique amorphe et

atone d’enseignement moraux. En d’autres termes, la fin de la « question juive » ici et là par

sa dissolution en douceur.

La distinction opérée par le mensuel entre « particularisme » et « universalisme »

s’avère d’ailleurs largement trompeuse et irénique, puisque ne s’appuyant sur aucune réalité

empirique tangible. Seul l’Etat hébreu est ainsi paradoxalement astreint à se muer en entité

abstraite et irréelle pour avoir le droit à l’existence, et atteindre une sorte de perfection idéelle

qui n’est exigée d’aucune autre entité étatique dans le monde. En effet, « est-il possible de

choisir entre universalisme (égalité des droits, démocratie…) et particularisme (identité,

culture…) ? Dans l’histoire des idées peut-être, mais dans le concret du social, les discussions

portent sur les formules politiques susceptibles de faire coexister plus ou moins

harmonieusement ces deux ordres de réalité »429.

Ainsi c’est donc bien le droit à l’endo-définition qui est refusé à l’Etat hébreu. Ce qui

est dénié à l’Etat d’Israël, c’est ainsi la possibilité de définir sa propre culture nationale, c'est-

à-dire la mise en oeuvre d’un « processus d’unification culturelle susceptible de promouvoir

le sens de la communauté entendu ici comme l’expression de l’adhésion à un projet

politique »430, nécessaire à l’émergence du « sentiment intensément vécu et ressenti d’être

partie d’une même aventure »431, préalable à l’existence d’une pleine citoyenneté. Ainsi,

« parce que la culture est le soubassement de la vie sociale, elle remplit dans le façonnage des

identités collectives une fonction essentielle »432.

Le refus d’envisager l’existence de l’Etat d’Israël comme porteur d’une légitimité non

pas seulement provisoire, circonstancielle et humanitaire, mais bien historique et culturelle

propre, c'est-à-dire en tant qu’Etat-nation –ce qui n’empêche pas d’en développer un caractère

« multinational »433- n’est cependant pas seulement caractéristique du rejet plus général de

429 Paul Zawadzki, « Aux origines d’Israël : deux regards récents sur le sionisme », op cit., p. 1000. 430 Pour reprendre une des 7 propositions éclairantes sur l’agencement des concepts de clôture sociale que sont la citoyenneté et la nationalité selon Brubaker (1987). Cité par Fred Constant, La citoyenneté, Paris, Montchrestien, 2000, 160 pages, « La citoyenneté comme idéal », pp. 27-33, p. 28. 431 Fred Constant, La citoyenneté, op. cit., p. 28. 432 Alain Dieckhoff, La nation dans tous ses Etats, les identités nationales en mouvement, coll. Champs, Paris, Flammarion, 2000, 356 pages, p. 41. 433 Au sens donné par Will Kymlicka, c'est-à-dire comportant des minorités nationales juridiquement définies jouissant d’un degré relativement élevé d’autonomie culturelle. Will Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Paris, La découverte, 2001, 362 pages.

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l’Etat-nation propre à l’idéologie d’influences progressiste et alter-mondialiste qui peut être

celle dont se définirait le mensuel. En effet, le nationalisme arabe, pourtant empruntant aux

mêmes références que le nationalisme juif, fait l’objet au contraire d’une présentation

élogieuse et complaisante du mensuel. Une telle attitude se projette dans l’adoption par le

journal des figures esthétiques et imaginées du nationalisme arabe, et plus particulièrement du

récit national palestinien. Il apparaît ainsi inconcevable pour le mensuel de prendre en compte

les similitudes dans l’émergence des nationalismes israéliens et palestiniens, notamment vis-

à-vis de leurs rapports respectifs à la diaspora.

C) Symboliques et mythes nationaux : la formation des « identités nationales » 434 et le mensuel

Territorialisme et nationalisme de diaspora : la similitude des cas israélien et palestinien

Le nationalisme de diaspora peut se traduire par l’idée de (re)territorialisation: un

peuple dispersé dont les membres partagent une histoire de référence et une mémoire

communes, un corpus de mythes et de pratiques conjoints et aspire à se constituer en nation

territorialisée, légitimée et représentée par un Etat reconnu sur l’échiquier international. Ainsi,

il y a glissement d’un nationalisme extra-territorial à un nationalisme d’Etat territorialisé. Si

cette définition s’applique assez bien au peuple juif et au sionisme, elle peut -de manière

différente- se plaquer aussi sur le nationalisme palestinien. L’exil de la majorité des Arabes de

Palestine au cours de la guerre israélo-arabe de 1948 a en effet donné lieu à la naissance d’une

diaspora au sein de laquelle le nationalisme palestinien naissait ensuite. C’est de cette

diaspora, organisée sur la base de liens familiaux et structurée en réseaux, qu’est issu un

nationalisme réélaboré en exil, notamment au sein des pays arabes qui ont « accueilli » la

majorité de ces réfugiés. Comme l’explique Lamia Radi, ce nationalisme se traduit par une

« obsession » de la terre435, parallèle d’ailleurs à celle qui caractérise le sionisme. L’aspiration

la plus urgente de ce nationalisme palestinien se porte donc vers une reterritorialisation

434 La notion même d’identité nationale reste cependant problématique. Elle peut laisser entendre l’existence d’une réalité enracinée et permanente alors que cette identité nationale s’apparente plutôt à une construction idéologique dont le contenu est dynamique et variable dans l’espace et le temps. L’étymologie du mot identitas peut renvoyer à « la qualité de ce qui est le même » (« Identité », Dictionnaire de sociologie, op.cit, p. 264). Nous désignerons ainsi grosso modo comme « identité nationale » l’ensemble des vecteurs et liens anthropologiques, historiques et culturels à un moment donné qui fondent subjectivement un dénominateur commun à un ensemble d’individus se considérant comme une « nation » (en tant que « communauté de destin » selon l’expression d’Otto Bauer). 435 Lamia Radi, « La crise de territorialisation du nationalisme diasporique palestinien », in Alain Dieckhoff (dir.), Nationalismes en mutation en Méditerranée orientale, Paris, CNRS éditions, 2002, 288 pages (pp. 197-225), p.201.

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politique. Tout comme pour le sionisme, la formulation du nationalisme palestinien s’est

d’ailleurs effectuée en exil.

Ce nationalisme, à l’instar du sionisme, entretient une double caractéristique qui le

domine. La première peut se définir comme un certain rapport identitaire à la terre.

Brutalement placés en situation de diaspora, les Palestiniens ont aussitôt développé une vision

sentimentale et obsessionnelle à la terre, au terroir, aux racines. La Palestine d’avant l’exil est

ainsi magnifiée, la vie y serait paradisiaque, le quotidien fait de saveurs multiples. Une telle

description flatteuse et exagérée entretient une certaine nostalgie d’une époque et d’une terre

que la situation souvent difficile en exil ne fait que renforcer (vie dans les camps de réfugiés,

etc.). Cet espoir d’un retour est ainsi entretenu, oubliant parfois que la réalité de l’existence

d’Israël a changé la donne et que les clés jalousement gardées par certains réfugiés ne peuvent

ouvrir que des serrures imaginaires, la plupart de ces villages vidés en 1948 ayant été rasés.

Le même registre d’une terre mythifiée fut utilisé très tôt par les mouvements

sionistes. Reprenant les métaphores lyriques véhiculées par la tradition juive sur la terre

« d’Eretz Israël », le mouvement sioniste a, de la même manière que le mouvement national

palestinien, joué sur le thème émotionnel et poétique d’une terre « où coule le lait et le miel »,

terre biblique des prophètes et des ancêtres vénérés chaque jour dans les prières. Plus

précisément, le même rapport est entretenu avec le paysage national, ce rapport étant placé sur

le registre du sentimental également. Le paysage doit ainsi exprimer une certaine spécificité,

tout en étant représenté comme généreux et accueillant436. A ce titre, les représentations

sioniste et nationale-palestinienne de la terre ne se différencient pas de celles des mouvements

des Etats-nations d’Europe au 19ème siècle.

Une vision romantique du récit national palestinien : exil et mémoire nationale Les contributions du Monde diplomatique étudiées dans notre échantillon choisissent

clairement de placer le romantisme de « l’identité de terroir »437 et la nostalgie de l’exil sous

le regard exclusif du récit national palestinien. Ainsi, tandis que la mythologie nationaliste

fondatrice d’Israël fait l’objet d’une déconstruction et d’une critique systématique –certes la 436 Anne-Marie Thiesse, « Paysages », La création des identités nationales, Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2001, 320 pages, pp. 189-191. 437 Cette « identité de terroir » décrite par Lamia Radi implique le recours aux symboles liées à la terre et à ses fruits dans la construction d’une patrie imagée et diffusée par la poésie nationale, comme lieu où les oranges seraient plus juteuses que les autres, où l’huile d’olive serait meilleure que partout ailleurs ou encore où le miel du pays plus doux que dans n’importe quelle autre contrée. Lamia Radi, « La crise de territorialisation du nationalisme diasporique palestinien », op. cit.

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bienvenue tant qu’elle demeure argumentée et honnête-, le récit mythologique nationaliste

palestinien est cependant régurgité tel quel dans les colonnes du mensuel.

Ainsi, tandis que la condition exilique des Juifs est célébrée comme celle de la liberté

et de la justice, les Palestiniens seraient transpercés par le « mal de l’exil »438. Alors que la

figure du Juif apatride jouait le rôle de symbole des mouvements « internationalistes »,

contre-modèle de l’idée d’Etat-nation associant dans l’imaginaire traditionnel peuple,

territoire et Etat ; la perte de virginité causée par le sionisme a rendu largement invalide

l’accès du Juif (en tant qu’entité collective) au panthéon victimaire néo-tiers-mondiste et

« anti-colonialiste ». Le Juif errant ne l’étant plus nécessairement, il est alors démis de ses

fonctions d’oppressé, et c’est le Palestinien en exil qui vient prendre la place vacante dans les

feuillets du Monde diplomatique. Ainsi, « les Palestiniens ont porté leur pays sur leur dos »439.

Chaque Palestinien est d’ailleurs enjoint selon le mensuel à « construire sa Palestine

intérieure, immuable terre de l’enfance »440.

Le paysage national palestinien est alors décrit dans cet ordre d’idée, tranchant avec la

laideur de la présence de l’Israélien, éternel « visiteur étranger »441. Une telle velléité

d’apporter son obole à la cause palestinienne en en adoptant la mythologie nationale, jusque

dans ses aspects les plus controversés et sans grande prise de distance, rappelle d’ailleurs la

façon dont Herder considérait le préjugé comme une nécessité dans la construction et la

consolidation de l’Etat-nation : « En son temps, le préjugé a du bon : car il rend heureux. Il

rapproche les peuples de leur centre, les rend plus fermes sur leurs pieds, leur permet

d'épanouir leurs propres caractéristiques, plus ardents et plus heureux dans leurs inclinations

et dans leurs buts »442.

« La nation illustrée »443, mécanisme classique de la construction des identités

nationales, se voit ainsi ouvrir un large boulevard au profit du nationalisme palestinien sur le

papier rêche du Monde diplomatique, notamment par le biais du récit en « carnet de voyage »,

traité plus haut. Une « sacralisation des origines ethnonationales implique celles de la « terre » 438 Rita Sabah, « Les rêves d’exil d’Elias Sanbar », Le Monde diplomatique, avril 2001. 439 Elias Khoury, « Le parcours du dirigeant palestinien. Le legs », Le Monde diplomatique, décembre 2004. 440 Rita Sabah, « Les rêves d’exil d’Elias Sanbar », op. cit. 441 Mahmoud Darwich, « Hommage à Edward Saïd. Contrepoint », op. cit. 442 Cité par Burkhard Müller, « Le syndrome de Thomas Mann ou la redécouverte des préjugés », traduit de l’allemand par Marie-Anne Lescourret, Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), disponible sur le site Internet de l’OFAJ : http://www.dfjw.org/paed/texte/thmanfr/thmanfr3.html. 443 Anne-Marie Thiesse, op. cit.

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et de l’identité nationale-populaire (avec ses monuments, ses « lieux de mémoire ») »444. La

ville-symbole de Jérusalem fait alors office pour les protagonistes de point focal dans

l’élaboration du récit territorial national. La plupart des contributions étudiées évoquant la cité

chargée d’histoire la présentent comme une ville pétrie d’influences religieuses et culturelles

diverses, et ayant sa part juive, bien que la ville se voit d’abord reconnaître son statut

palestinien, arabe et musulman par le mensuel. Dans un ensemble de contributions toutefois,

Jérusalem est considérée comme uniquement arabe, musulmane, et/ou palestinienne, sans

aucune mention de son caractère judéo-hébraïque (voir tableau).

L’élaboration du paysage national et la symbolique de Jérusalem

La mention exclusive de Jérusalem comme symbole national/religieux d’une des parties en présence445

Effectif % % eff.

Total Jérusalem est centrale dans la dimension collective israélienne et juive et/ou le judaïsme (sans mention explicite de l’Islam et du monde arabo-musulman)

1 7,1% 0,4%

Dont Jérusalem est centrale dans la culture et la conscience collective juive et/ou israélienne, et en constitue un symbole national et historique 1q

Jérusalem est (uniquement ou essentiellement) centrale dans la dimension collective palestinienne et arabe et/ou l’islam (sans mention du judaïsme et d’Israël, ou avec une mention rappelant le caractère essentiellement arabo-musulman de l’endroit)

13 92,9% 5,3%

L’esplanade des Mosquées abrite le troisième lieu saint de l’islam et/ou est un lieu saint de l’islam 5r

Les deux parties ont droit à une forme de souveraineté sur le Haram al-Sharif/mont du Temple, mais pas de souveraineté formelle pour Israël 1s

Jérusalem est centrale dans la culture et la conscience collective arabe et/ou musulmane et/ou palestinienne, et en constitue un symbole national et historique

6t

Jérusalem est surtout centrale pour les Palestiniens, bien qu’un accès des Israéliens au « mur des Lamentations » puisse être envisagé ou garanti dans le cadre d’une souveraineté palestinienne unique sur la vieille ville

3u

Dont

Jérusalem est légitimement centrale pour les Palestiniens, et même une souveraineté israélienne sur une partie de la ville historique est illégitime puisque Jérusalem n’était pas importante pour Israël avant 1967

1v

TOTAUX 14 100

Comme l’explique d’ailleurs Anne Marie Thiesse, évoquant les phases habituelles

observées dans la construction des « identités nationales » européennes au XIXe siècle et au

444 Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme, op. cit., p. 52. 445 Par volonté de concision nous n’avons pas pris en compte l’ensemble des articles mentionnant le caractère sacré et historique de la cité pour les deux peuples et/ou religions ; cette seule prise en compte de la mention exclusive de Jérusalem comme cité capitale pour l’un ou l’autre des protagonistes nous apparaissant suffisamment éloquente.

102

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XXe siècle, « le travail d’élaboration du paysage national »446 constitue un défi collectif pour

lequel sont mobilisés les écrivains et poètes nationaux notamment. Il n’est ainsi pas étonnant

de retrouver dans le Monde diplomatique des pages entières de vers de poésie palestinienne

signées ou illustrées par des figures du nationalisme palestinien, comme nous l’avons vu plus

haut. La question de l’imaginaire dans la construction et –ici- de la transmission des mythes

politiques est en effet capitale447. Le fait le plus révélateur concerne l’intervention à plusieurs

reprises de Mahmoud Darwish, auquel le mensuel ouvre généreusement ses colonnes,

régulièrement investies également par les collaborations d’Edward Saïd.

L’interprétation du conflit israélo-arabe par le mensuel passe donc tout d’abord,

comme nous l’avons développé précédemment, par le recours à une grille d’analyse

empruntée aux diatribes des plus belles heures de la lutte intellectuelle anti-coloniale.

L’attribution de la responsabilité des problèmes à l’Etat hébreu, coupable d’un « péché

originel » immarcescible, se justifie donc dans le mensuel par la présentation de son destin et

de ses origines comme négativement singulières. Bien que le sionisme s’inscrive dans la toile

de fond des luttes d’émancipation nationale nées du « siècle des nationalismes », et tandis

qu’il emprunte des références communes au nationalisme arabe, et plus précisément

palestinien, le nationalisme juif semble se voir attribuer une illégitimité ontologique plus ou

moins implicite par le mensuel. La raison de ce qui peut sembler davantage relever du choix

idéologique et sentimental a priori que du jugement raisonné a posteriori est alors peut être à

rechercher dans le « facteur humain » inhérent au « Diplo ».

446 Anne-Marie Thiesse, op. cit., p. 191. 447 On pense notamment à « l’imaginaire national » (« imagined communities ») de Benedict Anderson. Benedict Anderson, L'Imaginaire national: Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002, 216 pages.

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3) Cerner les facteurs humains expliquant la position du mensuel

A) Un journal, des journalistes « Aucune « inflexion » ne s’est produite ou ne se produira, d’autant qu’Alain Gresh et

Dominique Vidal demeurent, au sein de notre rédaction, chargés de ce dossier »448.

Le rôle central d’Alain Gresh et de Dominique Vidal Suite à la double démission d’Alain Gresh et de Dominique Vidal, la mise au point de

la rédaction du mensuel semblait en effet être de mise, notamment pour rassurer un lectorat en

quête de radicalité et de combat anti-colonial. Le rôle des deux personnages, même après leur

rétrogradation, demeure en effet essentiel dans le traitement du dossier proche-oriental,

notamment pour des raisons d’organisation interne dans la rédaction du Monde diplomatique.

Comme nous l’avons explicité dans la première scansion de notre travail, les journalistes y

travaillent ainsi chacun comme des chefs de service dans leurs compétences respectives.

Bien que les collaborateurs du mensuel soient ainsi nombreux et aux opinions

variables, chaque contribution doit recevoir l’approbation idéologique de Dominique Vidal et

d’Alain Gresh, gardiens paisibles de la « ligne éditoriale » du mensuel sur le volet israélo-

arabe. Les sensibilités politiques des deux journalistes semblent d’ailleurs s’aventurer bien au-

delà d’un simple et louable soutien à la cause palestinienne, pour signifier parfois un blanc-

seing donné à sa version la plus intransigeante. Nous avons à ce propos déjà abordé la façon

dont Dominique Vidal suppose une illégitimité fondamentale au mouvement national juif,

tout en soutenant avec peu de marge critique le mouvement national palestinien. Une

illustration peu conforme à la ligne supposée « farouchement indépendante » du mensuel se

dessine dès lors que l’on observe la participation active des collaborateurs du mensuel dans

des organisations proche du pouvoir palestinien voire dans les institutions même du

mouvement national palestinien.

Le « Diplo » au carrefour des influences « L'écrivain n'est pas engagé, il est embarqué » reconnaissait Albert Camus, lui-même

ayant fait les frais de ses sorties controversées sur la guerre d’Algérie. Le journaliste ou le

448 Mise au point de la rédaction du Monde diplomatique, publiée sur le site Oumma.com, à la suite de rumeurs évoquant un rééquilibrage des positions du mensuel concernant le conflit israélo-arabe.

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collaborateur au Monde diplomatique écrivant sur le conflit israélo-arabe semble s’inscrire

dans le respect de cet aphorisme. Ainsi, une grande partie des collaborateurs au mensuel

s’avèrent être des personnalités issues des rangs du nationalisme palestinien449, ou militant en

faveur de la cause palestinienne et/ou d’un certain anti-sionisme450. Plus largement, le

mensuel baigne dans un milieu idéologique le conduisant à maintenir une ligne éditoriale très

tranchée et peu pondérée sur le conflit israélo-arabe. Les nombreuses passerelles entre

associations « pro-palestiniennes », figures officielles de l’Autorité palestinienne ou de la lutte

palestinienne, et le Monde diplomatique, s’illustrent notamment par la présence remarquée de

la cause palestinienne à chaque manifestation du mensuel. Les festivités marquant le

cinquantenaire du « Diplo » se sont ainsi achevées sur cette sorte de « mère des causes »,

« chère au cœur de toutes et de tous »451, avec notamment pour point d’orgue l’intervention

d’une « Amie » et proche du mensuel : la déléguée de la Palestine en France Leïla Shahid. Le

mensuel qui pourtant dit ne « rouler pour personne », n’a pas craint non plus d’inviter le

talentueux oudiste et « résistant » Marcel Khalifé, dont le don à délier les sonorités de son luth

oriental tranche pourtant avec une idéologie intransigeante de refus total d’un droit à

l’existence d’Israël…

Le marécage idéologique dans lequel baigne le mensuel est à rapprocher également

d’un certain nombre de maisons d’éditions déversant sur le marché du livre les œuvres de

collaborateurs du Monde diplomatique. Les éditions Sindbad Actes Sud, spécialisées dans les

ouvrages apologétiques sur l’islam et le monde arabe, sont également proches par leurs

auteurs de publications engagées dans la cause palestinienne. De manière plus significative, la

« maison d’édition d’extrême gauche (d’obédience trotskiste) »452 La Fabrique, constitue un

débouché de choix pour de nombreux collaborateurs au mensuel453. Près de la moitié des

ouvrages publiés par la maison d’édition concernent d’ailleurs le conflit israélo-palestinien, et

ces opus consacrent l’essentiel de leur effort à promouvoir une vision d’un Proche-orient où la

disparition de l’Etat hébreu serait souhaitable454. Le credo d’Eric Hazan, directeur de la

449 On pense notamment à Mahmoud Darwish, Edward Said ou encore Fayçal Husseini. 450 Michel Warschawski, Simone Bitton, Rony Brauman, Joseph Algazy, Amnon Kapeliouk ou encore Ilan Pappé, plus ou moins proches du mensuel, partagent notamment un « anti-sionisme » plus ou moins saillant. 451 Dominique Vidal, « Cinquante voix de la résistance », op. cit. 452 Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 99 (note de bas de page). 453 Parmi eux notamment, ceux frottant leur plume sur le conflit israélo-palestinien et engagés dans la défense plus ou moins inconditionnelle des différentes formes jusqu’aux plus radicales de la cause palestinienne: Tanya Reinhart, Edward Said, Michel Warschawski, Amira Hass, Tariq Ali ou encore Ilan Pappé. 454 La liste des ouvrages déjà parus sous le label La Fabrique est disponible sur le site Internet de la maison d’édition : http://www.lafabrique.fr/.

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maison d’édition, de « faire entendre des voix discordantes »455, s’est d’ailleurs vérifié à de

nombreuses reprises, d’une façon cependant bien particulière. La Fabrique est notamment la

seule maison d’édition ayant accepté de traduire et de publier le controversé pamphlet de

Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste456, dont la thèse sulfureuse se limite en

substance à dénoncer un scélérat complot judéo-sioniste vaguement mondial visant à exploiter

les souffrances du judéocide à son avantage457.

La lame de fond doctrinale qui parcourt le Monde diplomatique semble ainsi se poser

en porte-à-faux vis-à-vis du leitmotiv d’une « indépendance farouche » du journal vis-à-vis de

tout groupement d’individus particulier. Plus fondamentalement, nous pouvons nous poser

d’ailleurs la question, autrefois lancée par un Maxime Rodinson ne cachant pas son soutien

indéfectible en faveur des Palestiniens et sur lequel il s’interrogea : « Pourquoi la

Palestine ? »458.

B) Entre « nouvelles radicalités » et islam politique : le mensuel au sein d’une nébuleuse contestataire

« Pourquoi la Palestine ? » Nous l’avons vu, la Palestine incarnerait ainsi pour le mensuel la cause universelle,

l’étalon à l’aune duquel la justesse d’un engagement se jauge. Non sans ubiquité

intellectuelle, Maxime Rodinson s’efforçait d’expliciter une telle exclusivité dans son

engagement politique, en s’empêtrant in fine dans l’aporie majeure de son raisonnement, que

lui-même semblait redouter en début de texte- celle d’un soutien aveugle au nationalisme de

l’un difficilement articulable au rejet du nationalisme de l’autre459. Comprendre la raison du

455 Karine Portrait, « Petites mais costaudes », La 25e ligne. Collectif de journalistes indépendants, article disponible sur le site Internet du collectif : http://www.25lignes.org/article.php3?id_article=79. 456 Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste. Réflexion sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, [2000], traduction française Eric Hazan, préface de Rony Brauman, Paris, La Fabrique, 2001, 157 pages. 457 On notera à ce propos le paradoxe qui veut d’une part que la mémoire du judéocide soit célébrée par les Etats européens, et rendue centrale par eux ; tandis que cette même attitude de la part l’Etat hébreu implique la condamnation systématique d’une « instrumentalisation » de la Shoah par Israël -pays pourtant composé pour l’essentiel de survivants et de descendants de survivants de la Shoah, ainsi que de réfugiés et descendants de réfugiés des pays arabo-musulmans. Ainsi, alors que des Etats européens à faible population juive rivalisent de créativité pour ériger des musées sur l’Holocauste, et tandis que la France notamment aurait le droit d’utiliser le recours à la mémoire de la Shoah pour inscrire une identité communautaire juive mémorielle, l’Etat d’Israël serait par contre coupable d’une « instrumentalisation » perverse. 458 Maxime Rodinson, Margaret Chiari, « Why Palestine ? », Journal of Palestine Studies, Vol. 13, No. 3. (Spring, 1984), pp. 16-26. 459 Maxime Rodinson, se caractérisant lui-même par « une profonde révulsion pour les discours nationalistes » (p. 16), affirme également être conscient du fait que « la cause palestinienne [est] aussi nationaliste que ce qui constitue le ressort principal du mouvement sioniste » (p. 16). Egrenant tout ce qui caractérise à la fois les deux

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soutien aux Palestiniens couplé du rejet de la cause israélienne implique donc d’en rechercher

des fondements plus crédibles que celui d’une évocation incantatoire et galvaudée de la

justice universelle –par essence non sélective.

Une autre tentative d’interprétation de la position du mensuel peut ainsi s’avérer plus

convaincante, ou au moins plus en accord avec les faits. L’engagement à sens unique du

mensuel participerait en effet davantage de son rôle unificateur auprès de mouvements

militants qui se cherchent. Le soutien indéfectible aux Palestiniens interviendrait alors comme

nouvel élément fédérateur à des mouvements « à gauche de la gauche »460, et à l’affût de leur

Kronstadt461 par procuration, en mesure de rédimer ces mouvances dont la force mobilisatrice

semble menacée par cette « fin de l’idéologie »462 annoncée dans les démocraties

occidentales.

Ainsi, le statut de « lecture de salut » du Monde diplomatique au sein de certains

milieux militants, parmi lesquels il jouit d’une forte audience, est dû largement au recourt à

l’image du Palestinien à la capacité mobilisatrice. Celui-ci incarne alors la résistance à

l’oppression de l’Israélien, archétype du colonisateur ; le sionisme devenant l’idéologie

contre-révolutionnaire ou néo-libérale par excellence. Ainsi, une certaine grille de lecture

présentant le Palestinien comme nouveau « damné de la terre » répond « avec une efficacité

symbolique remarquable à la demande de sens et de causes mobilisatrices de tous ceux qui,

orphelins de la « Révolution », continuent de penser et de s’orienter dans l’élément du mythe mouvements nationaux, il en vient à conclure en l’illégitimité du sionisme sur le fait qu’il soit devenu un « nationalisme d’oppression » participant de « l’expulsion de la population indigène » (p. 19), oubliant que les circonstances et non l’essence du sionisme sont responsables du premier conflit israélo-arabe qui jeta sur les chemins de l’exode des centaines de milliers de Palestiniens. Evoquant par contre les exactions du fait de la cause palestinienne, ainsi que les discours de haine qui furent ceux de ses promoteurs, ceux-ci ne remettent pas en cause par contre la légitimité du mouvement national des Palestiniens, puisqu’« il serait surprenant en effet si ils n’idéalisaient pas leur propre groupe ethnique ou national, n’attribuaient pas au second une essence éternelle et entièrement bonne, et, en contraste, ne « diabolisaient » pas l’ennemi, toujours et de toute façon perfide » (p. 16-17). On le voit, la volonté sensible chez Maxime Rodinson de justifier d’une application universelle de ses principes, et l’autre -contradictoire avec ce premier désir-, de déconsidérer un mouvement national pour en favoriser un autre similaire, se traduit par un positionnement idéologique délicat à défendre et pour le moins inconsistant. Maxime Rodinson, Margaret Chiari, « Why Palestine ? », op. cit. (les traductions ont été effectuées par nos soins). 460 C’est d’ailleurs ainsi qu’Ignacio Ramonet, directeur de la rédaction du mensuel, qualifie la position du Monde diplomatique. Voir notamment l’article d’Olivier Costemalle, « Ignacio Ramonet, 57 ans. Le patron du ‘Monde diplo’ défend avec tact une ligne à gauche de la gauche qui agace. Le maître d’un monde », Libération, 27 mars 2000. 461 Ville russe proche de Saint-Pétersbourg où eu lieu en 1921 une révolte dirigée par Léon Trotski contre le pouvoir bolchévique. L’insurrection fut matée par l’Armée Rouge. 462 L’expression, ainsi que l’analyse du phénomène, est ici emprunté à Daniel Bell, qui dans son opus La fin de l’idéologie (Paris, Presses Universitaires de France, 1997, 403 pages) affirmait : « à chaque génération son Kronstadt ».

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révolutionnaire de tradition communiste, considéré dans ses multiples variantes, marxiste

(versions léniniste, trotskiste, tiers-mondiste) ou anarchiste (néo-gauchisme, « nouvelle

radicalités ») »463. Dans sa volonté de rassembler sous son aile les luttes alter-mondialistes ou

de « résistances » –velléité incarnée notamment par la fondation d’ATTAC par le mensuel-, le

« Diplo » peut ainsi faire vibrer à sa guise une corde sensible, par le truchement d’une vision

du monde commode et de surcroît peu subtile ou alambiquée du conflit israélo-arabe. En

effet, « la perspective révolutionnaire étant abandonnée plus ou moins discrètement464, la

contestation anti-mondialisation se fixe sur des figures héroïques « résistancielles »,

construites sur le modèle messianique du Prolétaire (le plus dénué de tout, donc le plus

porteur d’espoir) : le Chômeur, le Sans-papiers, le Sans-logis, le Détenu, le Palestinien »465.

La figure du Palestinien subsumant le cas échéant les quatre autres.

Par un curieux paradoxe, le Monde diplomatique en vient d’ailleurs, par l’image des

Palestiniens qu’il développe, à verser dans le délit d’orientalisme condamné vigoureusement

par l’intellectuel américano-palestinien Edward Said. L’auteur de Orientalism466 fournit en

début d’ouvrage une définition de son concept. L’orientalisme constituerait alors une « façon

de décrire l’Orient basée sur la place spécifique de l’Orient dans l’expérience occidentale

européenne »467. Par le recours à des catégories fantasmées de l’islam et du monde arabe,

ainsi que par le biais de métaphores empruntant au corpus lexical de la « résistance à

l’oppression », le mensuel construit à sa manière la figure du Palestinien comme nouveau

damné de la terre, prolétaire apatride des temps modernes –images au poids symbolique dans

l’imaginaire européen.

463 Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 20. L’historien des idées fournit une définition de l’expression de « nouvelles radicalités », « banalisée depuis 1999-2000 », et qui vient à désigner « les mouvements anti-mondialisation dits radicaux (c'est-à-dire visant no pas la régulation des processus globalisateurs, mais leur transformation de fond en comble ou leur destruction), tels qu’ils sont devenus socialement visibles à travers des manifestations de masse plus ou moins violentes ( Seattle, Nice , Göteborg, Gênes), dans lesquelles convergent la quasi-totalité des groupes néo-gauchistes (des libertaires aux trotskistes) et des associations contestataires (mouvements de « sans… »), minorités actives où les jeunes sont sur-représentés ». Ibidem, p. 75 (note de bas de page). 464 Pierre-André Taguieff cite à ce titre comme « un signe la redéfinition de la révolution, par l’idéologue trotskiste Daniel Bensaïd, comme « horizon régulateur » de l’action politique (Le pari mélancolique, Paris, Fayard, 1997), y voyant de la part du philosophe trotskiste un « ralliement plus ou moins honteux à la perspective réformiste.. ». Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 76. 465 Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 76. 466 Edward W. Said, Orientalism [1978], New York, Vintage Books, 2003, 394 pages. 467 “I shall be calling Orientalism, a way of coming to terms with the Orient that is based on the Orient’s special place in European Western experience”. Edward W. Said, « Introduction », Orientalism, op. cit., p. 1.

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Le Palestinien fonctionne alors comme éponyme ou pseudonyme de la victime

innocente, servant de symbole rassembleur d’une diabolisation indifférenciée du néo-

libéralisme, du néo-colonialisme, des inégalités et de la faim dans le monde, de la guerre, ou

tout simplement de toutes les racines supposées du mal à travers le globe. Comme l’explique

Pierre-André Taguieff, « trotskistes et néo-staliniens […] se réconcilient sur la double base

d’un anti-américanisme globalisant et d’une israélophobie équivoque. Ici encore, la cause

palestinienne, sur fond de démonologie anti-mondialisation, remplace la cause prolétarienne.

La critique de la globalisation techno-marchande s’englue ainsi dans la haine

intellectualisée »468.

Face à un spectre néo-libéral de plus en plus pesant et menaçant, l’heure serait ainsi,

plus que jamais, au rassemblement des forces. Tout est alors bon pour fédérer les

« résistances », et élargir les troupes, même au prix d’acoquinements d’apparence contre-

nature. C’est ainsi que la thématique anti-sioniste, « réinscrite dans l’imaginaire « anti-

impérialiste », constitue un pont entre les milieux néo-révolutionnaires et les multiples

mouvances de l’islamisme « radical » »469. Et de confirmer le vieil adage : « l’ennemi de mon

ennemi est mon ami ». La convergence des idéologies de gauche et des forces de l’islam

politique radical, sur l’autel de l’israélophobie, permet ainsi aux premiers d’élargir leurs

troupes et d’y réinsuffler une ferveur révolutionnaire perdue, rejaillissant dans l’image du

combattant « jihadiste » rebaptisé pour l’occasion « d’anti-impérialiste ».

Une telle attitude, pour édifiante qu’elle puisse paraître, n’est pourtant pas nouvelle.

Pascal Bruckner observait déjà de cette « cécité volontaire » du tiers-mondisme vis-à-vis des

formes radicales de l’islam politique470 lors de la révolution iranienne de 1979. L’auteur du

Sanglot de l’homme blanc471 décrit ainsi cette attitude sur-positivée et indulgente vis-à-vis

d’une certaine « religion des pauvres » fantasmée comme telle : « L’Iran émerveillait parce

qu’il ouvrait une troisième voie et qu’on ne reconnaissait en lui aucun des deux dynamismes

qui sont chez nous les signes distinctifs d’un processus révolutionnaire : la lutte des classes et

la présence d’un parti guide ou d’une avant-garde. Enfin une révolution qui n’obéissait à

468 Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, op. cit., p. 218 (en note de bas de page). 469 Ibidem, p. 21. 470 Pour une définition du terme, le lecteur se reportera plus bas à la note en bas de page idoine. 471 Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc. « Tiers-monde, culpabilité, haine de soi », Paris, Seuil, 1983, 309 pages.

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aucun critère socialiste ou marxisant ! »472. C’est ainsi qu’une une nouvelle révolution

prendrait forme, avec en son sein une « transfusion du « spirituel » dans le « politique »473.Et

de célébrer ainsi alors un étonnant « retour au sacré », réinjecté dans la « religion

séculière »474.

En oubliant d’ailleurs singulièrement le caractère passablement « réactionnaire » de

cet islam politique parfois radical475, et incarné dans les pages du Monde diplomatique par

l’élégance de l’intellectuel « islamiste » de charme Tariq Ramadan476. Cette accointance pour

le moins étrange entre athéisme matérialiste et révolutionnaire d’un côté, et islam politique de

l’autre, est bien perceptible dans les colonnes du « Diplo ». Elle est personnifiée plus

précisément par les liens amicaux et idéologiques tissés entre l’islamiste genevois et Alain

Gresh.

« Islam en questions », israélophobie en réponse Les deux personnages ont d’ailleurs publié un ouvrage en commun, reprenant des

discussions cordiales s’étant déroulées au domicile parisien d’Alain Gresh477. Il en ressort

chez les deux interlocuteurs un désir d’unir leurs forces afin d’établir une nouvelle « théologie

de la libération »478. Et d’ajouter que « cette idée, si elle prenait corps et devenait force

472 Ibidem, p. 59. 473 Ibidem, p. 60. 474 Que constitue une certaine pensée radicale de gauche, au nom de la lutte contre l’impérialisme et le néo-colonialisme. Raymond Aron définissait sous le terme de « religion séculière » « les doctrines qui prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la foi évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous forme d’un ordre social à créer, le salut de l’humanité ». Raymond Aron, « L’avenir des religions séculières » [1944], Commentaire, février 1985, p. 370. Rapprochant d’une façon similaire religions sacrées et profanes, Gérard Leclerc ajoute à ce propos que « les idéologies sont ces discours globaux sur l’homme, la société et le monde, qui, appuyés en principe sur les sciences et les savoirs positifs, prétendent concurrencer, sinon remplacer, les anciennes vérités de la religion. ». Gérard Leclerc, Sociologie des intellectuels, op. cit., p. 98. 475 Nous choisirons de définir l’islam politique, ou « islamisme », comme un terme générique regroupant différents courants idéologiques visant soit à l’établissement d’un Etat fondé sur les principes de l’islam ou s’en revendiquant, soit recherchant plus généralement la subordination (plus ou moins forte) du politique à une idéologie se réclamant de tout ou partie des principes de l’islam. L’islam politique radical caractériserait alors la volonté de voir s’exercer une primauté incontestable et totale des lois de la Shari’a (ou d’une certaine interprétation de celles-ci) sur le pouvoir politique temporel et les droits humains perçus comme élémentaires (Droits de l’Homme et du citoyen). Nous considérerons dans le présent travail la volonté d’occire l’Etat et le peuple israéliens au nom d’une certaine vision de l’islam, comme relevant d’une subordination totale du pouvoir spirituel (annihiler un peuple sur ordre divin, et en soumettre les survivants à un régime d’infériorité) sur le pouvoir temporel (l’existence politique d’un peuple reconnue par la communauté internationale, et l’égalité de tous les hommes), et donc en mesure de qualifier un individu d’islamiste radical. 476 Faut-il le préciser, notre propos concernant l’islam politique, ou encore « islamisme » (terme d’ailleurs ambigu puisqu’il désignait autrefois précisément l’islam comme confession), ne saurait se confondre avec les différentes formes de l’islam en tant que religion de référence de millions d’individus. 477 Alain Gresh, Tariq Ramadan, L'islam en questions, débat animé et présenté par Françoise Germain-Robin, Arles, Sindbad, Actes Sud, 2000, 234 pages. 478 Alain Gresh, Tariq Ramadan, L'islam en questions, op. cit., p. 11.

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matérielle, pourrait être subversive. Car l’un est l’autre combattent la « mondialisation

libérale », au nom d’une valeur commune très forte, la justice »479.

Cette revendication d’un idéal de justice n’empêche pas le professeur d’islamologie,

« se réclam[ant] du réformisme musulman »480, de développer des idées pour le moins

anachroniques vis-à-vis du conflit au Proche-Orient. Selon l’islamiste « modéré », il n’y a

ainsi pas de place pour la nation israélienne, « résultat d’une entreprise coloniale et

représent[ant] une profonde injustice, de principe et de fait »481. Seul le peuple palestinien a

selon lui droit de cité puisqu’« il faudra à terme aboutir à l’édification d’un Etat unique, projet

pour lequel il faut préparer le terrain en critiquant la politique discriminatoire d’Israël envers

les Palestiniens »482. L’intellectuel coqueluche du « Diplo » fraternise d’ailleurs avec l’aile

politique du Hamas qui « défend une position de principe, qui consiste à faire reconnaître le

caractère colonial de l’Etat d’Israël et le droit des Palestiniens sur la Palestine (et donc aussi

leur droit au retour) […]. Elle incarne une résistance que l’on doit analyser à la lumière de la

gestion politique intransigeante du gouvernement israélien »483. En langage moins

diplomatique : le refus israélien de négocier son autodissolution s’apparenterait à de

« l’intransigeance ». Si des désaccords mineurs et de formes peuvent alors encore persister

entre islam politique et tiers-mondisme, ceux-ci sont voués à être aplatis sous le rouleau

compresseur d’une union des forces, à laquelle Israël servira, bon grès mal grès, de victime

expiatoire. En effet, quoiqu’il en soit, « deux subversions valent mieux qu’une, si elles vont

de l’avant »484.

*

La question de l’islam dans le Monde diplomatique semble alors assurément une des

clefs de compréhension susceptible d’éclairer la position du mensuel vis-à-vis du Proche-

Orient. C’est d’ailleurs sur la place de l’islam dans le journal que les tensions de fin 2005

479 Ibidem. 480 Vis-à-vis duquel il serait « tombé dedans quand il était petit [puisque] son père était le disciple préféré de Hassan al-Banna, fondateur du mouvement égyptien des Frères musulmans » Ibidem, pp. 9-10. La complaisance de l’animatrice de ces entretiens vis-à-vis des Frères musulmans, organisation prônant sans ambages la liquidation de l’Etat hébreu ainsi que la soumission des non-musulmans aux lois de la dhimmitude, et face à laquelle Tariq Ramadan adopte une attitude positive voire élogieuse, s’avère frappante et révélatrice d’un état d’esprit vivotant autour du Monde diplomatique. La maison d’édition Actes Sud est en effet étroitement liée au mensuel, tandis qu’Alain Gresh était à l’époque le rédacteur en chef du Monde diplomatique. 481 Alain Gresh, Tariq Ramadan, L'islam en questions, op. cit., p. 69. 482 Ibidem. 483 Alain Gresh, Tariq Ramadan, L'islam en questions, op. cit., p. 78. 484 Alain Gresh, Tariq Ramadan, L'islam en questions, op. cit., p. 11.

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auraient mené à la rétrogradation d’Alain Gresh et de Dominique Vidal485. L’attache puissante

dans le mensuel liant d’un côté une certaine vision romancée de l’islam en général, et islam

politique en particulier, et de l’autre le traitement du conflit israélo-arabe, a été ainsi suggérée

avec éloquence par les rumeurs des mois suivants. Celles-ci laissaient envisager un

rééquilibrage des positions du mensuel dans un sens moins défavorable à Israël à la suite de la

démission de leurs postes (mais non du départ de la rédaction) de Dominique Vidal et Alain

Gresh –des soupçons démontrant rétro-activement la centralité du conflit israélo-arabe dans

ces évènements. Une certaine fascination pour les représentations esthétiques de l’islam en

tant que civilisation, sert à renforcer un imaginaire fantasmé qui pousse d’ailleurs le mensuel

à élargir cette vision à l’islam politique, dans une sorte d’amalgame à rebours : si le mensuel

confond alors islam et islam politique, c’est pour présenter une image acceptable du second,

plutôt qu’une image stéréotypée et négative du premier. Introduisant le professeur

d’islamologie genevois Tariq Ramadan, l’ouvrage L’islam en questions486 le décrit d’ailleurs

comme « parl[ant] d’une voix douce, un peu chantante, rythmée. Comme une récitation du

Coran »487.

485 Le lecteur se réfèrera au premier chapitre de ce présent travail pour davantage de détails sur cette polémique. 486 Op. cit. 487 Ibidem., p. 9. De manière plus révélatrice, de nombreuses contributions du mensuel adoptent cette tonalité élogieuse et fortement teintée d’islamophilie, servant le cas échéant à assimiler toute critique de l’islam politique à de « l’islamophobie » -sans craindre pour le coup un air de « déjà-lu ».

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Illégitimité des sionismes a Références : 45 ; 123 ; 127 ; 131 ; 173 ; 183 ; 192 ; 196 ; 219 ; 227. b Références : 5 ; 38 ; 131 ; 170. c Références : 1 ; 64 ; 76 ; 131 ; 159. d Références : 17 ; 150 ; 227. e Références : 123 ; 170. f Référence : 132. g Référence : 225. h Références : 41 ; 64 ; 227. i Références : 79 ; 227. j Références: 58 ; 149 ; 158 ; 163. k Références : 58 ; 99. l Référence : 140. Modes de gestion de la citoyenneté et de la nationalité m Références : 64 ; 141 ; 183 ; 231 ; 232. n Références : 127 ; 141 ; 227. o Référence : 149. p Références : 67 ; 230 ; 232. La mention exclusive de Jérusalem comme symbole national/religieux d’une des parties en présence q Référence : 140. r Références : 11 ; 16 ; 88 ; 169 ; 203. s Référence : 23. t Références : 4 ; 35 ; 53 ; 85 ; 188 ; 196. u Références : 2 ; 4 ; 16. v Référence : 10.

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Conclusions :

La figure de « l’intellectuel engagé »

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* Incontestablement, le Monde diplomatique constitue, dans le panorama de la presse

française -ainsi que dans le milieu universitaire dont il revendique la filiation-, un titre qu’il

est malaisé de mettre de côté. Son format relativement austère, l’abondance de ses analyses,

sa volonté bien perceptible d’exercer un « journalisme irrévérencieux » au nom d’une certaine

forme de justice, ainsi que la qualité de certaines de ses contributions : tout cela concourt à

créditer le mensuel d’un rôle positif dans l’impitoyable guerre des idées. Son format permet

ainsi à la fois de proposer des analyses percutantes et à la marge démonstrative suffisamment

étayée. L’esprit de détermination « vers un monde meilleur » insuffle au journal une

légitimité, une aura et une utilité publique particulières au sein de milieux militants qu’il

contribue à fédérer. On ne peut donc que saluer l’existence et le succès d’un journal d’opinion

conjuguant dans certains domaines engagement, qualité rédactionnelle, voire probité

intellectuelle.

Nonobstant ces aménités, la question de la vision du Proche-Orient dans les colonnes

du mensuel invite à une réflexion d’ordre plus général. L’attitude du Monde diplomatique vis-

à-vis du conflit israélo-arabe, et l’imbrication de ce dernier dans une vision du monde

empruntant aux valeurs de l’universel et du combat contre le colonialisme –à tort ou à raison-,

posent en effet de manière plus fondamentale la question du statut des « intellectuels » dans la

société. Le mensuel se voulant disputer la « bataille des idées », ses collaborateurs et

rédacteurs peuvent s’apparenter alors à la figure sartrienne de « l’intellectuel engagé ».

« L’intellectuel » face à la certitude La notion « d’intellectuel » elle-même ne relève en soi pas de l’évidence. Celle-ci n’a

en effet pas de sens qui traverserait l’histoire et les contextes488. L’usage de ce concept

participe ici donc plus de la commodité, bien que cette catégorie ne puisse difficilement

trouver une définition sans se heurter à une réalité contradictoire. En effet, « l'intellectuel

existe conjoncturellement ; il n'agit jamais comme tel » 489. Ainsi, « il n'y a pas de couche ou

de groupe « intellectuel »: il y a des situations critiques - singulièrement prérévolutionnaires -

488 Comme le souligne d’ailleurs Gérard Leclerc, « le terme d’intellectuel, avant de devenir un terme générique relativement neutre, a été au départ une insulte, une étiquette infamante, créée par les adversaires de la révision du procès du capitaine Dreyfus. […] Quelques jours plus tard, le terme, d’abord simple néologisme sous la plume de Clémenceau, puis insulte sous celle de Barrès, devient une bannière glorieuse, et un signe de ralliement ». Gérard Leclerc, Sociologie des intellectuels, op. cit, pp. 45 & 47. 489 François Châtelet, « Intellectuel », Encyclopaedia Universalis, disponible sur la version en ligne (payante) : http://www.universalis-edu.com.

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au sein desquelles des individus (ou des formations d'individus), qui sont « surdéterminés »

par ces situations mêmes, interviennent »490.

L’intellectuel moderne serait alors issu de la « Querelle des Anciens et les

Modernes »491 qui voyait s’affronter les tenants de l’intemporalité de la sagesse des Anciens

comme référence nécessaire et primordial, à ceux qui, tournés vers l’avenir et les promesses

d’un affranchissement vis-à-vis des évidences passées, se voulaient déconstruire et

reconstruire sans cesse la pensée. Cet intellectuel moderne serait alors celui capable de libérer

sa réflexion des prégnances idéologiques historiques, des pensées anciennes et des dogmes

pré-établis. Autrement dit : être en mesure de s’extirper d’un certain prêt-à-penser afin de

requestionner ses propres catégories d’analyse.

En mobilisant sans grand recul méthodologique ni parcimonie les concepts sur-

historicisés de « colonialisme » et « d’impérialisme », les contributeurs du Monde

diplomatique écrivant sur le conflit israélo-arabe semblent par contre être incapables de

s’affranchir de la tutelle d’une vision prismatique rigide, déterminée par des catégories

préchoisies et exocontextuelles : celles charriant la métaphore du colonisé face à l’oppresseur.

Le recyclage brut de tels concepts, inopérants sur la réalité du conflit israélo-arabe, révèle à ce

propos une faiblesse argumentaire, que les images saillantes et grisantes d’une « guerre

coloniale » qui n’en est pas une –mais bien un conflit de légitimités nationales- s’efforcent à

masquer. Cette posture traduit également en filigrane une impuissance à s’interroger en

continu sur le conflit : pour le Monde diplomatique, la messe est dite d’avance, puisqu’il

s’agit d’une « guerre coloniale » opposant un agresseur perpétuel et un agressé ontologique.

Il est vrai que « c’est dans l’immense domaine, peu structuré et particulièrement

fugace, qui comprend les phénomènes spirituels, moraux, esthétiques, politiques, que

l’insuffisance des édifices conceptuels réducteurs et simplistes apparaît de la façon la plus

criante. Là, plus encore qu’ailleurs, appliquer sans réfléchir des concepts réducteurs et peu

490 Ibidem. 491 C’est en tout cas la thèse de George Becker qui considère que deux développements intellectuels liés, à savoir la « Querelle des Anciens et des Modernes », ainsi que l’évolution du concept de génie, ont joué un rôle prépondérant dans l’émergence de la figure de « l’intellectuel moderne ». George Becker, “Two Developments in the Rise of the Modern Intellectual”, The School Review, Vol. 87, No. 4. (Aug., 1979), pp. 398-412.

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élaborés ne peut aboutir qu’à des erreurs graves, voire à des effets plus pernicieux »492. En ce

sens, l’attribution des responsabilités innées à un Israël coupable de « péché originel » est

symptomatique d’une pensée vautrée dans d’immuables certitudes. L’attitude du Monde

diplomatique va ainsi à l’encontre du rôle que l’ont peut reconnaître à la figure de

« l’intellectuel » -considérant que celui-ci réponde à une fonction493.

Nous postulerons en effet que « l’intellectuel » est celui qui questionne sans cesse

l’évidence –et notamment ses propres certitudes-, sans prétendre du moins l’incarner. Ralf

Dahrendorf arguait que les intellectuels contemporains « ont le devoir de douter de tout ce qui

est évident, de relativiser toute autorité »494, autorité idéologique s’entend. La tonalité

invoquée par le mensuel lorsqu’il s’agit du conflit proche-oriental se pose par contre en porte-

à-faux de ces principes.

Dans l’ensemble des contributions étudiées, les évidences en effet s’accumulent. Au

fur et à mesure de notre analyse, la démarche du Monde diplomatique se défait de ses atours

pour se dévoiler sans fard : il ne s’agit plus pour ce dernier de tenter de comprendre le conflit,

mais de l’expliquer selon un schéma prédéfini. Et ceci parfois non sans ingénuité. C’est ainsi

par exemple qu’Edward Saïd, évoquant sa rencontre avec Jean-Paul Sartre, semble

sincèrement ne pas comprendre pourquoi ce dernier ne partage pas ses vues sur la question

palestinienne. Il tente alors d’interpréter cette étrange « difficulté du philosophe à prendre

position en faveur des Palestiniens495 » tout en s’interrogeant : l’auteur des Mots était pourtant

à l’origine de « courageuses prises de position politiques », « aux côtés des peuples du tiers-

monde »496… La citation est fort instructive d’une certaine disposition d’esprit.

L’universitaire n’a d’ailleurs pas jugé utile d’inverser les termes de sa question pour se

demander dans quelle mesure lui-même n’en vient pas à partager pas les positions de Sartre

sur le problème palestinien. Cela relèverait pourtant d’une salutaire et humble démarche

492 Roger Hausheer, évoquant le philosophe et historien des idées Isaiah Berlin. Roger Hausheer, « Introduction », in Isaiah Berlin, A contre-courant. Essais sur l’histoire des idées, Paris, Albin Michel, 1988, 404 pages, pp. 23-24. 493 C’est le cas du mensuel qui publie notamment en mai 2006 un article évoquant le « rôle de l’intellectuel ». Anonyme, « Le rôle de l’intellectuel : extraits », Le Monde diplomatique, mai 2006. 494 Ralf Dahrendorf, “The Intellectual and Society: The Social Function of the 'Fool' in the Twentieth Century” In On Intellectuals: Theoretical Studies Case Histories, edited by P. Rieff. Garden City, N.Y.: Doubledayi Anchor Books, 1970, p. 55. 495 Edward Said, « Le philosophe, Israël et les Arabes. Ma rencontre avec Jean-Paul Sartre », op. cit. 496 Ibidem.

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visant à mettre à l’épreuve ses propres catégories de jugement, de « douter de tout ce qui est

évident », pour paraphraser de nouveau Dahrendorf.

L’ancien professeur de Colombia, cité en illustration ici, ainsi que la plupart des

collaborateurs et rédacteurs du mensuel vaquant au conflit proche-oriental, s’apparentent alors

à « l’homme de la réponse » introduit par Paul Lengrand. Ainsi, tandis que « l’homme de la

réponse a besoin de certitude »497, « l’homme de la question n’a pas besoin de la certitude. La

vérité lui suffit et il ne peut s’en passer ». Se barricader derrière une représentation préconçue

d’une belligérance à la complexité et aux légitimités partagées permet certes de faire

l’économie d’une inconfortable et éreintante auto-réévaluation permanente de ses propres

schèmes de pensée. Ainsi, « l’homme de la réponse s’installe dans la sécurité », celle

douillette de l’œuvre parfaite à laquelle on ne veut plus toucher : l’évidence de sa propre

justice, et sa revendication égoïste et exclusive. L’homme de la réponse « cherche des abris et

des refuges »498, pour ne plus devoir s’interroger, être protégé des remises en cause

susceptibles de mettre à mal sa grille de lecture, conçue en amont et sur une base largement

sentimentale. A cet égard, la position du Monde diplomatique vis-à-vis du conflit israélo-

arabe semble relever davantage du « saut dans la foi » tel que décrit par Alexis Philonenko,

c'est-à-dire d’une vision du monde dont la légitimation se fonde largement sur le facteur

irrationnel. « L’homme de la réponse » incarné par le mensuel, s’oppose alors bien à cet

« homme de la question » pour qui au contraire rien n’est « plus étranger que la conception

d'un magasin d'idées, d'impressions, de sensations, dans lequel il lui faudrait puiser. Il sait

qu'une idée, un sentiment, n'est pas un objet, mais que l'une et l'autre n'ont d'existence que

pensée ou sentie à nouveau « ici et maintenant » dans ce contexte-ci, sur la base d'une vision,

d'un contact ou d'une révélation immédiate »499.

Certes, la tâche n’est pas aisée et implique un effort constant. Et « s’il s’avère que la

condition d’être humain ne nous permette pas d’atteindre l’impossible objectivité, c’est

encore à la croisée des subjectivités que l’on en apprendra le plus, en prêtant son oreille aux

497 Paul Lengrand, « L’homme de la réponse et l’homme de la question », International Review of Education, Vol. 40, No. 315, Lifelong Education. (1994), pp. 339-342. 498 Tandis que « l’homme de la question sait qu'il n'existe d'autre sécurité que la capacité et la force d'âme nécessaires pour affronter les situations et les problèmes avec la compétence indispensable. Toute autre sécurité lui parait illusoire ». Paul Lengrand, « L’homme de la réponse et l’homme de la question », op. cit. 499 Ibidem.

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diverses voix parfois discordantes et en aiguisant son intelligence pour éviter tous les écueils

de la pensée confrontée à la complexe réalité »500

L’antinomie d’une conception opposant d’un côté la justesse immaculée d’une cause

palestinienne imbue d’universalité, à l’injustice essentielle personnifiée par la cause

israélienne de l’autre, n’est pourtant peut-être pas si « évidente » 501. Le risque alors pour le

Monde diplomatique, et pour ses journalistes, de se retrouver en contradiction avec leur

déontologie et leurs propres valeurs, s’en fait d’autant plus menaçant. L’attitude du mensuel

peut alors s’expliquer à l’aune de la théorie de la « dissonance cognitive »502 : déclarant à la

fois jouer le rôle de « journal de référence »503, mais tout en souhaitant maintenir un cap

idéologique à l’équilibre plus que chancelant, autour d’un conflit complexe, le « Diplo » en

est ainsi réduit à devoir masquer certaines réalités « que l’on ne saurait voir ».

La vision du conflit israélo-arabe par le mensuel semble donc bien avoir pour substrat

cette certitude rejetée par l’intellectuel « homme de question ». Le Monde diplomatique n’en

demeure pas moins un mensuel se voulant « engagé », à sa manière, d’où le possible recours

au concept de « l’intellectuel engagé » pour définir ses collaborateurs et rédacteurs.

« Prendre parti » La distinction entre « intellectuel » et « intellectuel engagé » est historiquement ténue.

C’est en effet « un lieu commun, chez la plupart des spécialistes, d’affirmer que les

500 Catherine Leuchter, « Préface », in Juliette Lichtenstein, « Permanence du discours sur Israël. La presse française : des négociations de Madrid aux accords d’Oslo (1991-1996) », op. cit. 501 Si une telle tonalité dogmatique imprègne donc bien les pages du mensuel traitant du conflit israélo-arabe, il s’agirait peut-être plus largement d’ailleurs d’un spectre imbibé dans le papier recyclé servant de support au journal, puisque loin de se considérer comme apportant modestement un éclairage sur les problèmes contemporains nationaux et internationaux, le mensuel se place –par la voix de sa rédaction- comme lieu de passage presque inévitable de compréhension. Nous évoquions par exemple en début de propos Dominique Vidal déclarant que « pour quiconque s’intéresse à la politique internationale, la lecture du Monde diplomatique est devenue presque obligatoire ». Dominique Vidal, « Le Monde diplomatique, une expérience de presse originale », op. cit. 502 La dissonance cognitive est un concept élaboré par Leon Festinger au début des années 1950. Pour cette théorie, l'individu en présence de cognitions (« connaissances, opinions ou croyances sur l’environnement, sur soi-même ou sur son propre comportement ». Leon Festinger, A theory of cognitive dissonance, Standford University Press, 1957, 291 pages, p.9) incompatibles entre elles ressent un état de tension désagréable motivant sa réduction (c'est-à-dire l'état de dissonance cognitive). On parle de modes de réduction de la dissonance cognitive pour désigner les stratégies de restauration d'un équilibre cognitif. La dissonance pour le mensuel entre une volonté d’une part d’agir au nom d’une justice universelle, et d’autre part la nécessité voire le confort de maintenir une position présentant le conflit proche-oriental en termes absolus et inégaux (la justice contre l’injustice, droits accordés aux uns et refusés aux autres, etc.), et donc de nier de facto la légitimité d’un des protagonistes, pourrait expliquer la volonté de présenter le conflit sous l’angle de la guerre coloniale, permettant ainsi de systématiser l’attribution des responsabilités du conflit sur la partie israélienne. 503 Selon les termes employés sur le site Internet du Monde diplomatique.

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intellectuels sont apparus à l’occasion de l’affaire Dreyfus »504. Par son autorité et sa

notoriété, le « professionnel de la pensée » serait alors en position d’exercer à la fois ce que

Max Weber a appelé une « éthique de la conviction » ainsi qu’une « éthique de la

responsabilité »505. Ainsi, les « intellectuels –l’affaire Dreyfus l’illustre bien- se présentent

comme des personnages publics responsables, mandatés officieusement pour dire le vrai et le

bien de la société, non pas dans ses contingences les plus quotidiennes, et au niveau de la

gestion des intérêts particuliers ou passagers, mais en tant que la collectivité est supposée

partager des valeurs fondamentales, à prétention universelle et absolue »506. Ce qui caractérise

alors « l’intellectuel actif », « dans sa conscience et dans la connaissance qu'il vise à donner

de lui-même, c'est qu'il prend parti. Et qu'au moment où il s'engage et prend des risques il

refuse d'être d'aucun « parti » -au sens plus strictement politique du terme. Gorgias et

Protagoras, comme Diderot, comme Russell et Sartre participent étroitement à la lutte

politique de leur époque ; ils se sentent politiques hors du politique. Pour eux, tout se passe

comme si l'inféodation à une organisation politique impliquait nécessairement un préjugé, un

pré-jugement restreignant la liberté circonstancielle d'appréciation »507.

Le Monde diplomatique, journal « engagé » ou encore « d’opinion », ne se prive pas à

ce titre de « prendre parti ». Il n’est également pas satellisé à un parti politique spécifique,

bien que sa ligne éditoriale le positionne près de la gauche extrême. La « pensée critique »,

revendiquée par le mensuel, suit cependant un schéma récurrent et prévisible. En manipulant

le prisme de l’anti-colonialisme et de l’anti-impérialisme, le « Diplo » a ainsi ensuite beau jeu

de se positionner du côté des opprimés, et contre ceux qu’il construit comme oppresseurs.

C’est alors que la conscience des contributeurs et rédacteurs du journal s’embastille dans un

système idéologique inébranlable, ce « pré-jugement » corsetant sa marge de jugement,

révélant par la même un manque de courage intellectuel.

Cette réalité ne saurait renforcer la position des personnes concernées comme

« intellectuellement engagées », mais bien au contraire la discréditer. Si le mensuel sait

déployer dans certaines contributions un talent linguistique et dialectique incontestable, il se

compromet vis-à-vis d’un désir d’accéder à une reconnaissance de son « cachet »

universitaire, qui lui sied bien mal à l’aune de son traitement du conflit israélo-arabe. Le 504 Gérard Leclerc, Sociologie des intellectuels, op. cit., p. 3. 505 Max Weber, Le savant et le politique (conférences de 1919), Paris, Editions 10/18, 2002, 221 pages. 506 Gérard Leclerc, op. cit., p. 77. 507 Ralf Dahrendorf, “The Intellectual and Society…”, op. cit.

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Monde diplomatique, au potentiel interrogateur réel, se rabaisse pourtant au niveau de

l’écriture idéologique ceinte de certitudes infrangibles. Le mensuel illustre de lui-même cette

tension constante incrustée chez l’intellectuel entre des discours visant l’universel d’un côté –

au sens d’une universalité idéologique et morale-, et un certain enracinement de l’intelligence

de l’autre –ou pour paraphraser Sartre, son caractère « situé »508. Le dessein du Monde

diplomatique n’est cependant pas, plume en main, de faire triompher les valeurs universelles

de « justice » et de « refus de tout hégémonisme politique »509, mais bien plutôt de favoriser

sciemment un groupe choisi sur un registre sentimental et d’en faire valoir les droits –

légitimes- au dépends de ceux –non moins légitimes- de l’autre partie.

L’écriture idéologique du Monde diplomatique déborde alors de la notion d’écriture

engagée, pour incarner celle d’une « pensée partisane qui appartient à une communauté

limitée. Elle veut faire passer pour universelles des idées qui n’appartiennent qu’à un groupe

[…]. Elle est partiale dans ses affirmations et polémique à l’égard des autres »510.

Un mensuel « à contre-courant » et « farouchement indépendant » ? En ce sens, les contributions du Monde diplomatique ne sauraient se voir être

considérées comme naviguant à « contre-courant », au sens qu’en incarnait Isaiah Berlin. Les

essais du philosophe et historien des idées en effet « n’ont pas été écrits à partir d’un point de

vue déterminé. Ils ne visent pas à illustrer ou à appuyer une théorie, une doctrine, ou une

idéologie quelconque, historique ou politique (pas plus d’ailleurs qu’ils ne cherchent à

pourfendre la théorie adverse) […]. Loin de tout dogmatisme, ils sont entièrement consacrés à

l’exploration. Ils soulèvent plus de questions, d’ordre expérimental, et souvent profondément

troublantes, qu’ils n’apportent de réponses. Surtout, ils représentent le résultat d’une quête

passionnée de la vérité, poursuivie avec une totale indépendance et une ouverture d’esprit

poussée jusqu’au scrupule. On aurait sans doute du mal à trouver un penseur moins persuadé

que Berlin de détenir une vérité simple, à la lumière de laquelle il pourrait interpréter et

réarranger le monde »511.

508 L’intellectuel est en effet selon Sartre prisonnier d’une contradiction qui veut que son discours tende vers l’universel mais se retrouve situé dans le conjoncturel. Patrick Wagner, « La notion d’intellectuel engagé chez Sartre », Le Portique, Cahier 1 2003 (http://leportique.revues.org/document381.html). 509 Ignacio Ramonet, « Claude Julien, un engagement et une éthique. Le devoir d’irrespect », op. cit. 510 Idées développées par Olivier Reboul sur l’idéologie et l’écriture idéologique dans Langage et idéologie (Presses Universitaires de France, 1980). Cité dans Juliette Lichtenstein, op. cit. 511 Roger Hausheer, « Introduction », op. cit., pp. 15-16.

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Au lieu de représenter alors un espace de débat et de collision des idées, le 1 avenue

Stephen Pichon demeure au contraire le lieu de la collusion et du consensus. En investissant à

satiété le la thématique de la « résistance », le mensuel marque certes des points auprès de

franges militantes « à gauche de la gauche », mais s’affranchit à ce prix d’encombrantes

complexités. Il choisit alors la voie de la complaisance : écrire ce que les tenants d’une

certaine radicalité veulent lire, confortant ainsi leur vision manichéenne et infantilisée d’un

conflit israélo-arabe dépeint sous le prisme trompeur de la « guerre coloniale ». L’imposture

d’une telle dénonciation à sens unique est tout d’abord moralement et déontologiquement

contestable. Elle revient, au nom des légitimes droits palestiniens, à nier ces mêmes droits à

un peuple israélien dépeint sous des traits empruntés aux aspects les plus polémiques du

nationalisme palestinien512 : ceux présentant une entité coloniale vouée à l’extinction et dont

les membres ne seraient que des abstractions sans trace d’humanité.

L’affirmation d’une hypothétique « farouche indépendance » idéologique frayant son

chemin à « contre-courant » se voit alors encore infliger un coup sérieux. Quant il s’agit

d’évoquer le conflit israélo-arabe, le mensuel surfe au contraire sur le dogmatique et indigent

champ lexical « résistanciel » –discours galvanisant et rabaissant les facultés intellectuelles et

de jugement du lecteur au niveau de ses tripes. Le mensuel est de plus inféodé à certains

courants militants, et plus précisément représente un terrain d’expression libre de figures du

nationalisme palestinien qui y retrouvent un support complaisant à leurs idées.

Et c’est précisément là que le bât blesse. La crédibilité du mensuel -pourtant

relativement avérée sur des sujets tels que le rôle des médias dans la société ou encore dans la

dénonciation d’une certaine économie « libérale », se voit largement corrompue à l’aune d’un

traitement du conflit israélo-arabe où les valeurs de justice et de droit universel deviennent

étrangement sélectives.

La retranscription du conflit israélo-palestinien dans les colonnes du journal sonne

ainsi le glas d’une démission du Monde diplomatique vis-à-vis de sa propre déontologie.

Inapte à « prendre parti » sans s’envaser dans les méandres de la certitude et du « prêt-à-

penser », il se révèle en effet incapable de calibrer son analyse des faits à la manière de

512 Comme l’expliquait d’ailleurs à juste titre Maxime Rodinson -pour justifier de son soutien aux Palestiniens-, chaque nationalisme et chaque cause, même la plus juste, a ses propres parts d’ombre. Maxime Rodinson, Margaret Chiari, « Why Palestine ? », op. cit..

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« l’intellectuel engagé » ou de « l’homme de la question ». Le mensuel passe alors

cruellement à côté de ce qui aurait pu être sa vocation : incarner une critique acerbe et sans

compromission des phénomènes contemporains, entrelaçant les valeurs d’équité et de probité

intellectuelle.

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ANNEXE 1

Corpus des documents traités

Octobre 2000 1) Note de lecture, « C’était en Palestine au temps des coquelicots. Tom Segev », Rita Sabah

Novembre 2000 2) Editorial, « Spirale », Ignacio Ramonet 3) Article « Jours ordinaires dans le camp de Dheisheh », Muna Hamzeh-Muhaisen 4) Article « Al Qods, ciment du monde arabe », Mohamed Sid-Ahmed 5) Encadré, « Apartheid », Alain Gresh 6) Article, « Mon Etat tue mon peuple », Joseph Algazy 7) Encadré « Nous n’irons pas la faire », Dominique Vidal 8) Article « Des enfants au front », Eyad Sarraj 9) Article « Il n’est pire sourd… », Amira Hass 10) Article « Jérusalem, mythe et réalités », Marius Schattner 11) Article « L’espoir meurtri des Palestiniens », Eric Rouleau

Décembre 2000 12) Article, « Cartographie des concessions israéliennes », Anonyme 13) Article, « Huit clos », Antoine d’Agata 14) Article, « Intifada pour une vraie paix : images en boucles », Edgar Roskis 15) Article, « Les colonies au cœur de l’affrontement : Intifada pour une vraie paix », Alain Gresh 16) Article, « Le compromis manqué de Camp David », Fayçal Husseini 17) Analyse d’œuvre, « Une nouvelle livraison de « Manière de voir » : Proche-Orient, rebâtir la paix », Alain Dieckhoff 18) Cartes, « Propositions israéliennes présentées à Camp David en juillet 2001 », Anonyme

Janvier 2001 19) Article, « Des colons entre rage et résignation », Amnon Kapeliouk 20) Encadré, « En Israël aussi », Monique Chemillier-Gendreau 21) Note de lecture « Jours ordinaires à Dheisheh, Muna Hamzeh », Marina Da Silva 22) Article, « Premiers acquis de l’Intifada : La gauche israélienne retrouve la parole », Michel Warschawski

Février 2001 23) Article, « Bouleverser les règles de la négociation : Le retrait israélien, préalable à la paix », Henry Siegman : 24) Analyse d’œuvre, « Les ressorts d’une victoire : résistances au Liban-Sud », Marina Da Silva

Mars 2001 25) Article, « Entre libération nationale et construction de l’Etat. D’une Intifada à l’autre, la société palestinienne en mouvement », Nadine Picaudou 26) Note de lecture, « Dans la Palestine des années 1930. L’énergie glacée du mensonge », Rita Sabah 27) Encadré, « Islamisation du langage », Nadine Picaudou

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Avril 2001 28) Analyse d’œuvre, « L’industrie de l’Holocauste de Norman Finkelstein ; Ambiguïtés », Dominique Vidal 29) Analyse d’œuvre, « Les rêves d’exil d’Elias Sanbar », Rita Sabah 30) Article, « En 1961, le tournant du procès Eichmann », Tom Segev 31) Article, « Dans l’héritage des accords d’Oslo. Fastes années pour l’économie israélienne », Marwan Bishara 32) Article, « Dans l’héritage des accords d’Oslo. Les manuels palestiniens sont-ils antisémites ? », Elisa Morena

Mai 2001 33) Note de lecture, « Une parole en direct. Dessine moi le mot paix », Marina Da Silva 34) Article, « Ni paix, ni sécurité. La stratégie israélienne empêtrée », Amnon Kapeliouk

Septembre 2001 35) Article, « La paix manquée. Logiques de guerre au Proche-Orient », Paul-Marie de La Gorce 36) Note de lecture, « Naïm Khader, prophète foudroyé du peuple palestinien. Robert Verdussen », Marina Da Silva 37) Article, « Logiques de guerre au Proche-Orient. Proche-Orient, la paix manquée », Alain Gresh 38) Analyse d’œuvre, « Staline, Israël et les Juifs. Quand l’URSS soutenait l’Etat hébreu », Henry Laurens 39) Note de lecture, « The Breakdown of the State in Lebanon 1967-1976. Farid El Khazen », Gilbert Achcar

Octobre 2001 40) Editorial octobre 2001, « Guerre totale contre un péril diffus. L’adversaire », Ignacio Ramonet 41) Article, « Peut-on admirer la musique préférée du compositeur préféré de Hitler ? Barenboïm brise le tabou Wagner », Edward W. Said 42) Note de lecture, « Le vagin du scorpion, ou le parcours d’un résistant palestinien. Abu Ali et Rodrigo de Zayas », Marina Da Silva 43) Encadré, « Guerre totale contre un péril diffus. De « vraies-fausses » images », Anonyme 44) Encadré, « Trouble jugement à Londres », Anonyme 45) Article, « A Durban déjà, deux visions du monde face à face. L’avenir du passé », Christian de Brie

Novembre 2001 46) Article, « Qybia, Sabra et Chatila, territoires autonomes. Les antécédents du général Sharon », Amnon Kapeliouk 47) Analyse d’œuvre, « « Voyages en Palestine ». Enfer de l’occupation », Marina Da Silva

Décembre 2001 48) Note de lecture, « Un documentaire d’Azza El-Hassan. Banalisation de la mort en Palestine », Dominique Godrèche 49) Article, « Priorité palestinienne pour les opinions arabes. Répression quotidienne en Cisjordanie et à Gaza », Amira Hass

Janvier 2002 50) Editorial, « Adieu libertés », Ignacio Ramonet

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51) Article, « Les Palestiniens assiégés. Face à la force, le droit international », Monique Chemillier-Gendreau 52) Article, « Les Palestiniens assiégés. Israël contre Israël », Dominique Vidal 53) Reportage, « A l’ombre du conflit israélo-palestinien. L’espoir vacillant du Liban sud après la libération », Marina Da Silva

Février 2002 54) Article, « Offensive concertée contre les Palestiniens. « Oui, Israël a un partenaire pour la paix » », Yossi Beilin 55) Note de lecture, « Israël/Palestine. Des femmes contre la guerre », Marina Da Silva 56) Article, « Offensive concertée contre les Palestiniens. Retour sur les raisons de l’échec de Camp David », Amnon Kapeliouk 57) Extrait d’œuvre, « La porte du soleil. Un roman d’Elias Khoury. Le jour où elle n’a pas voulu d’Arak », Elias Khoury

Mars 2002 58) Article, « Relance du mouvement pacifiste. Ces soldats israéliens qui disent non », Joseph Algazy 59) Encadré, « Gaza, l’enfermement. Un film de Ram Loevy. Déshumanisés », Dominique Godrèche 60) Note de lecture, « La méditérranée, espace de conflit, espace de rêve. Georges Corm », Marina Da Silva 61) Article, « Relance du mouvement pacifiste. Les nouveaux internationalistes », Isabelle Avran

Avril 2002 62) Editorial avril 2002, « La paix maintenant », Ignacio Ramonet 63) Extrait littéraire, « « Etat de siège ». Un poème inédit de Mahmoud Darwish. Ramallah, Janvier 2002 », Mahmoud Darwish 64) Analyse d’œuvre, « Au cœur du conflit israélo-palestinien. Droit au retour », Marina Da Silva 65) Article, « Le devoir du plus fort », Axel Kahn 66) Article, « Le proche-orient entre escalade et négociation. Pour apprendre à vivre ensemble », Yossi Beilin & Yasser Abed Rabbo 67) Analyse d’œuvre, « « L’utopie perdue », de Göran Rosenberg. Quelle identité pour les Juifs ? », Dominique Vidal

Mai 2002 68) Article, « La Palestine à feu et à sang. Au Proche-Orient, les partis pris de la Maison-Blanche », Geoffrey Aronson 69) Courrier des lecteurs, « Le devoir du plus fort » 70) Article, « Arabie Saoudite. Coup de froid sur les relations avec Washington », Alain Gresh 71) Article, « La Palestine à feu et à sang. Jénine, enquête sur un crime de guerre », Amnon Kapeliouk 72) Article, « La Palestine à feu et à sang. L’abolition du territoire », Christian Salmon 73) Article, « La Palestine à feu et à sang. Le monde arabe en ébullition », Wissam Sadé 74) Chapeau, « La Palestine à feu et à sang. Sanctions », Anonyme 75) Analyse d’œuvre, « « A contre-voie », d’Edward Said. Un homme à part », Gilles Perrault

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Juin 2002 76) Note de lecture, « Aux origines du conflit israélo-arabe, Bruno Guigue », Marina Da Silva 77) Article, « Quand Le Journal dénonce l’antisémitisme », Dominique Vidal 78) Note de lecture, « Détruire la Palestine. Ou comment terminer la guerre de 1948. Tanya Reinhart », Jean Bricmont 79) Article, « Obstacle principal à tout accord de paix. Le cancer des colonies israéliennes », Marwan Bishara

Juillet 2002 80) Article, « « Le rêve brisé », par Charles Enderlin. Le « véritable visage » de M. Ehoud Barak », Alain Gresh

Septembre 2002 81) Chronologie, « « Le passé, c’est encore le présent ». En trois mois… », Anonyme 82) Editorial, « Objectif Bagdad », Alain Gresh 83) Article, « Les dynamiques du désordre mondial. « Il ne peut y avoir de paix avant l’avènement du Messie » », Ibrahim Warde 84) Encadré, « « Le passé, c’est encore le présent ». La bataille de Bruxelles », Pierre Péan 85) Reportage, « « Le passé, c’est encore le présent ». Sabra et Chatila, retour sur un massacre », Pierre Péan 86) Encadré, « « Le passé, c’est encore le présent ». Une troisième équipe », Pierre Péan

Octobre 2002 87) Editorial octobre 2002, « Vassalité », Ignacio Ramonet 88) Article, « Logique de guerre. Comment l’armée israélienne a « préparé » l’Intifada », Marius Schattner 89) Encadré, « Handicapés à vie », Michel Revel

Novembre 2002 90) Editorial, « Guerre sociale », Ignacio Ramonet 91) Analyse d’œuvre, « « Le rêve brisé », un documentaire de Charles Enderlin. Descente aux enfers », Dominique Vidal 92) Note de lecture, « La guerre de Palestine. Derrière le mythe », Dominique Vidal 93) Note de lecture, « La guerre israélienne de l’information. Joss Dray et Denis Sieffert », Gilbert Achcar 94) Article, « De l’antiterrorisme à la guerre. Le mur de la honte », Matthew Brubacher

Décembre 2002 95) Article, « Les alliances douteuses des inconditionnels d’Israël. Au nom du combat contre l’antisémitisme », Dominique Vidal

Janvier 2003 : 96) Article, « Paradoxes d’un scrutin. Le camp de la paix israélien à l’épreuve », Amnon Kapeliouk

Février 2003 97) Article, « Dans l’engrenage de la guerre. Ces Israéliens qui rêvent de « transfert » », Amira Hass

Mars 2003 98) Editorial, « De la guerre perpétuelle », Ignacio Ramonet

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99) Note de lecture, « Chronique d’un pacifiste israélien pendant « l’Intifada » (octobre 2000-septembre 2002). Uri Avnery », Isabelle Avran 100) Analyse d’oeuvre, « « Kamikaze 47 ». un film de Patrick Chauvel. Du secourisme au terrorisme », Dominique Godrèche 101) Note de lecture, « Histoire d’un adjectif. Michèle Manceaux », Dominique Vidal 102) Note de lecture, « Land Grab. Israel’s Settlement Policy in the West Bank », Isabelle Avran 103) Reportage, « Crise mondiale autour de l’Irak. Peur à Ramallah, inquiétude à Tel Aviv », Eric Rouleau 104) Encadré, « Insolence. Surréalisme à l’israélienne », Rita Sabah

Avril 2003 105) Note de lecture, « 1948 à Jérusalem. Jacques de Reynier », Emmanuelle Pauly 106) Reportage, « Les ravages d’une guerre arbitraire. A Gaza, un autre front », Benjamin Barthe 107) Analyse d’œuvre, « Deux livres pour comprendre. Aux sources des guerres du Proche-Orient », Alain Dieckhoff 108) Encadré, « Les ravages d’une guerre arbitraire. Chiffon de papier », Anonyme 109) Analyse d’œuvre, « Opération « Rempart ». La foi des Palestiniens », Marina Da Silva 110) Article, « Les ravages d’une guerre arbitraire. Le talon d’Achille de M. Ariel Sharon », Dominique Vidal 111) Article, « Les ravages d’une guerre arbitraire. Comment l’Empire ottoman fut dépecé », Henry Laurens

Juin 2003 112) Note de lecture, « Le parfum de notre terre. Voix de Palestine et d’Israël. Kénizé Mourad », Rita Sabah 113) Analyse d’œuvre, « Sionisme, antisémitisme, identité… Parler des Juifs au pluriel », Dayan-Herzbrun Sonia 114) Analyse d’œuvre, « Regards croisés sur l’occupation. Au jour le jour, la Palestine », Gilles Perrault 115) Article, « Washington et le Proche-Orient. Aux Etats-Unis, M. Ariel Sharon n’a que des amis », Serge Halimi 116) Note de lecture, « Israël, j’ai fais un rêve. Philippe Haddad », Dominique Vidal 117) Note de lecture, « Mémoires d’un village palestinien disparu. Mohamed Al-Assad, commenté par Joseph Algazy et traduit de l’arabe par Sarah Descamps-Wassif », Isabelle Avran 118) Article, « Washington et le Proche-Orient. Un « think-tank » au service du Likoud », Joël Benin 119) Article, « La vraie « feuille de route » du gouvernement israélien. Un mur pour enfermer les Palestiniens », Gadi Algazi

Août 2003 120) Note de lecture, « A contre chœur. Les voix dissidentes en Israël. Michel Warschawsky et Michèle Sibony », Isabelle Avran 121) Reportage, « Choses vues à Ramallah. Telle, l’expression de ses yeux », John Berger

Septembre 2003

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122) Editorial, « L’onde du chaos », Alain Gresh 123) Analyse d’œuvre, « Quand le passé éclaire le présent. Pour comprendre l’Intifada », Dominique Vidal 124) Note de lecture, « Histoire d’un Palestinien. Didier Destremeau », Marina Da Silva 125) Article, « Dans l’étau de l’occupation israélienne. Impasse stratégique pour la résistance palestinienne », Graham Usher

Octobre 2003 126) Courrier des lecteurs, « Impasse pour la Palestine » 127) Article, « Du Vietnam à l’Irak. Dommages de guerre à géométrie variable », Monique Chemillier-Gendreau 128) Note de lecture, « La question de Palestine. Une mission sacrée de la civilisation. Henry Laurens », Nadine Picaudou 129) Note de lecture, « Palestine et Palestiniens. Guide de voyage. Sabri Giroud », Marina Da Silva 130) Article, « Pourrissement au Proche-Orient. Dans la prison secrète d’Israël », Jonathan Cook 131) Article, « De l’Afrique du Sud à la Palestine », Leila Farsakh 132) Article, « Pourrissement au Proche-Orient. Enfants qui meurent, enfants qui tuent », Léah Tsemel 133) Note de lecture, « Tuer l’espoir. Introduction au conflit israélo-palestinien. Norman G. Finkelstein, préface de Jean Bricmont », Dominique Vidal 134) Courrier des lecteurs, « La disparition d’Edward Saïd. Celui dont les Palestiniens sont le plus fiers », Mahmoud Darwish

Décembre 2003 135) Châpeau, « Pour briser l’engrenage de la violence au Proche-Orient. Dynamique », Anonyme 136) Article, « Pour briser l’engrenage de la violence au Proche-Orient. L’accord de Genève, une fenêtre ouverte sur l’espoir », Qadoura Farès 137) Note de lecture, « L’exode palestinien. Mathieu Bouchard », Judith Cahen 138) Encadré, « Israël vu d’en bas. L’illusion de la force », Rita Sabah 139) Encadré, « Un Etat palestinien indépendant aux côtés d’Israël », Anonyme 140) Article, « Voilà pourquoi M. Ariel Sharon a peur », Amram Mitzna

Janvier 2004 141) Article, « Les bases juridiques de l’accord de Genève. Israël-Palestine, une paix fondée en droit », Monique Chemillier-Gendreau 142) Note de lecture, « L’exode palestinien », Marina Da Silva 143) Note de lecture, « Littératures d’Israël. Biographie et bibliographie d’auteurs traduits en français entre 1948 et 2002 », Mickaël Pariente

Février 2004 144) Sommaire, Anonyme : 145) Article « Priorité absolue à la sécurité. Les libertés menacées des citoyens d’Israël », Meron Rapoport 146) Article, « Amour, guerre, démographie », Méron Rapoport

Mars 2004 147) Editorial de mars 2004, « Antiterrorisme », Ignaciot Ramonet 148) Analyse d’œuvre, « Des films écrits et parlés. Voyages en Palestine », Marina Da Silva

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149) Article, « Une pensée prémonitoire. Israël, Marcuse et les Juifs », Herbert Marcuse 150) Article « Une pensée prémonitoire. Une injustice ne peut réparer une injustice », Peter Erwin Jansen & Rafaelle Laudani 151) Note de lecture, « Israël-Palestine. La paix est possible », Dominique Vidal

Avril 2004 152) Article, « Démocratie, droits de la personne et libre échange. Le nouveau masque de la politique américaine au Proche-Orient », Gilbert Achcar 153) Analyse d’œuvre, « Vu par un journaliste israélien. Arafat l’irréductible », Eric Rouleau 154) Note de lecture, « L’identité palestinienne. Rashid Khalidi », Ali Wick 155) Article, « Proche-Orient, le choix du chaos », Alain Gresh 156) Article, « Violences racistes, amalgames et manipulations. Les pompiers pyromanes de l’antisémitisme », Dominique Vidal 157) Article, « Régression dans le monde arabe », Dominique Vidal

Mai 2004 158) Article, « Universalité de la cause palestinienne », Etienne Balibar 159) Note de lecture, « Les Palestiniens dans l’histoire », Dominique Vidal 160) Note de lecture, “The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited – Benny Morris”, Dominique Vidal 161) Cinéma, « Les écrans du croissant fertile », Marina Da Silva

Juin 2004 162) Article, « Sri Lanka, Iraq, Tchétchénie, Israël. Aux origines des attentats-suicides », Pierre Conesa 163) Encadré, « La promesse inachevée d’Israël. Daniel Barenboïm », Anonyme 164) Article, « Vers l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. A l’ombre du mur, Israël construit des zones industrielles », Meron Rapoport 165) Article, « Du « politicide » des Palestiniens. Le grand dessein politico-militaire de M. Ariel Sharon », Baruch Kimmerling 166) Article, « C’était le 8 mai 2004. Cinquante voix de la résistance », Dominique Vidal 167) Note de lecture, « L’histoire de l’autre », Rita Sabah 168) Article, « Bacon, un maître sans pitié », John Berger 169) Article, « Wallons et Flamands, Arabes et Juifs. En Belgique, un conflit communautaire peut en cacher un autre », Serge Govaert

Juillet 2004 170) Article, « « Route 181 », un film d’Eyal Sivan et Michel Khleifi. Psychanalyse collective », Dominique Vidal 171) Article, « Comment préserver le socle du régime. La Syrie sous pression », Paul-Marie de La Gorge 172) Note de lecture, « Bienvenue en Palestine. Chronique d’une saison à Ramallah, Anne Brunswick », Rita Sabah 173) Article, « Vivre avec les Arabes », Maxime Rodinson

Septembre 2004 174) Editorial, « La guerre de mille ans », Alain Gresh 175) Note de lecture, « Les démons de la Nakbah, Ilan Pappé », Guenaël Visentini 176) Note de lecture, « Une occupation civile. Eyal Weizman et Rafi Segal », Isabelle Vittori

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177) Analyse d’œuvre, « Un documentaire de Simone Bitton. Les Palestiniens enfermés », Dominique Godrèche 178) Note de lecture, « Cappuccino à Ramallah, Souad Amiry, traduit de l’anglais par Pascal Loubet », Abdourahman A. Waberi

Novembre 2004 179) Article, « La condamnation de la Cour Internationale de Justice. Détruire ce mur illégal en Cisjordanie », Willy Jackson 180) Article, « Entre nostalgie du rêve et violence du réel. La vision corrosive des artistes israéliens », Itzhak Goldberg 181) Analyse d’œuvre, « Dans une double marge. La Palestine fragmentée », Rita Sabah 182) Note de lecture, « Etre jeune en Palestine, Pénélope Larzillière » 183) Analyse d’œuvre, « Points de vue sur un conflit. Peur et « sécurité » en Israël », Marina Da Silva

Décembre 2004 184) Editorial, « Bush II », Ignacio Ramonet 185) Courrier des lecteurs 186) Sommaire, Anonyme : 187) Article, « Le parcours du dirigeant palestinien. Mes rencontres avec Yasser Arafat », Eric Rouleau 188) Article, « Le parcours du dirigeant palestinien. Le legs », Elias Khoury 189) Article, « Obstacle », Alain Gresh 190) Article, « Une guerre si lointaine et si proche. Juifs et Arabes, de Tel-Aviv à Jaffa », Sélim Nassib 191) Article, « Plan d’évacuation de Gaza. Les dessous du désengagement israélien », Amnon Kapeliouk 192) Note de lecture, « Un livre d’Elias Sanbar. Culture et identité palestinienne », Isabelle Avran 193) Note de lecture, « Une nouvelle livraison de « Manière de voir », « Sous le sceau des croisades » », Monique Chemillier-Gendreau 194) Note de lecture, « Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste », Walid Charara et Frédéric Domont

Janvier 2005 195) Article, « Après Bagdad, Téhéran », Walid Charara 196) Hommage à Edward Saïd, « Contrepoint », Mahmoud Darwich 197) Note de lecture, « Jérusalem, ciel et terre », par Dominique Vidal 198) Note de lecture, « Les secrets de la guerre du Liban. Du coup d’Etat de Bachir Gemayel aux massacres des camps palestiniens. Alain Ménargues », Rudolf El-Kareh

Février 2005 : 199) Article, « Marge étroite pour le nouveau président. Abou Mazen, le dernier Palestinien », Hussein Agha 200) Note de lecture, « Une analyse engagée et nuancée. Israël et la Shoah »

Mars 2005 201) Editorial, « Poudrière libanaise », Ignaciot Ramonet 202) Note de lecture, « Sociétés en conflit. Israël et Palestine vus d’en bas », Dominique Vidal

Avril 2005

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203) Article, « La France et les Etats-Unis accentuent leur pression sur Damas. Crise libanaise dans un contexte régional houleux », Georges Corm 204) Article, « La France et les Etats-Unis accentuent leur pression sur Damas. Occupation et démocratie », Alain Gresh 205) Chronologie, « La France et les Etats-Unis accentuent leur pression sur Damas. Trente ans durant… », Anonyme 206) Note de lecture, « Dominer le monde ou sauver la planète ? L’Amérique en quête d’hégémonie mondiale. Noam Chomsky », Jean Bricmont 207) Note de lecture, « Par delà les murs. Un réfugié palestinien et un Israélien revisitent leur histoire. Mohamed Al-Asaad, Joseph Algazy, Françoise Germain Robin », Dominique Vidal

Mai 2005 208) Note de lecture, « Israéliens et Palestiniens : que peut le cinéma ? Janine Halbreich-Euvrard », Dominique Vidal

Juin 2005 209) Article, « Etrange révolution. Improbable alliance entre Paris et Washington », Alain Gresh 210) Article, « Etrange révolution. Les vieux parrains du nouveau Liban », Alain Gresh 211) Note de lecture, « Retour à la raison ? L’antisémitisme, réalités et manipulations », Dominique Vidal 212) Note de lecture, « Stratégies transatlantiques. Limites de la puissance », Pierre Conesa 213) Note de lecture, « Une histoire des colons de Cisjordanie. Saigneurs de l’occupation », Joseph Algazy

Juillet 2005 214) Article, « Effervescence au Proche-Orient. Instabilité constructive », Walid Charara 215) Article, « Effervescence au Proche-Orient. Chances et aléas du printemps arabe », Gilbert Achcar 216) Article, « Effervescence au Proche-Orient. « J’espère que quelqu’un m’écoute » », Edward Said 217) Article, « Effervescence au Proche-Orient. Aux origines de la crise du régime baasiste de Damas », Samir Aita 218) Article, « Effervescence au Proche-Orient. Dans Naplouse, laboratoire de la troisième Intifada », Benjamin Barthe 219) Note de lecture, « Allers-retours, Ilan Halevi », Marina Da Silva 220) Note de lecture, « Le mur de Sharon. Alain Ménargues », Dominique Vidal

Août 2005 221) Article, « L’opération en trompe l’œil engagée par Israël. Quitter Gaza pour mieux gardes la Cisjordanie », Méron Rapoport 222) Note de lecture, « Stratégie du secret. Le « flou nucléaire israélien » », Joseph Algazy

Septembre 2005 223) Carte, « Gaza détruite et isolée », Philippe Rekacewitz 224) Carte, « Un champ de ruines sur la frontière », Philippe Rekacewitz 225) Article, « Traduction ou trahison. Désinformation à l’israélienne », Mohamed El Oifi 226) Article, « La sécurité collective, un rêve contrarié », Olivier Corten

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227) Article, « Pour une organisation de la communauté mondiale », Monique Chemillier-Gendreau 228) Article, « Une tribune pour les pays du Sud », Hugo Ruiz-Diaz 229) Note de lecture, « D’Oslo à l’Iraq. Edward Said », Olivier Pironet

Octobre 2005 230) Recueil de sondages, « « Etat juif » ou « Etat de tous ses citoyens » ? Ce qu’ils pensent les uns des autres », Anonyme 231) Article, « Discriminations », Joseph Algazy 232) Article, « « Etat juif » ou « Etat de tous ses citoyens » ? Le traumatisme persistant des Arabes israéliens, Joseph Algazy 233) Article, « Pour une démocratie autochtone. Crise et réforme du monde arabe », Hicham Ben Abdallah El Alaoui 234) Article, « De l’antisémitisme au terrorisme », Dominique Vidal 235) Article, « Edgar Morin, juste d’Israël ? », Esther Benbassa 236) Note de lecture, « Retour sur Sabra et Chatila », Alain Gresh

Novembre 2005 237) Article, « Les risques d’un monde plus instable, plus dangereux. Et l’Europe s’aligna sur les Etats-Unis », Caroline Pailhe 238) Article, « Quand les médias israéliens s’interrogent. Yasser Arafat a-t-il été assassiné ? », Amnon Kapeliouk

Décembre 2005 239) Article, « Haifa au miroir de son festival. Créativité du cinéma palestinien d’Israël », Kenneth Brown 240) Article, « Pour un seul de mes deux yeux, un film d’Avi Mograbi. Du suicide et de la vengeance », Dominique Vidal

Janvier 2006 241) Article, « Des élections à haut risque au Proche-Orient. Un pouvoir palestinien à bout de souffle », Hussein Agha & Robert Malley 242) Article, « Des élections à haut risque au Proche-Orient. Séisme politique en Israël », Uri Avnery 243) Note de lecture, « 1948-1967. Les guerres d’Israël », Joseph Algazy

Février 2006 244) Article, « Saint-Sharon », Dominique Vidal

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Eléments bibliographiques et sources

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Table des matières Avant-propos........................................................................................4

Un titre imposant............................................................................................................ 5 « Au cœur de toutes et tous » : la centralité du conflit israélo-arabe dans le « Diplo »7 Population étudiée.......................................................................................................... 8 Un « conflit de légitimités » ......................................................................................... 10

Prolégomènes : genèse et portrait du mensuel, éléments méthodologiques ................................................................................12

1) Le Monde diplomatique en perspective : genèse et portrait d’un mensuel............................................................................................................ 13

A) Sorti des côtes du Monde : l’« organe des cercles diplomatiques et des grandes organisations internationales » ..................................................................................... 13

Dans l’orbite du Monde : l’impulsion de la personnalité d’Hubert Beuve-Méry ....... 13 Le quotidien et le mensuel : chronique d’un divorce à l’amiable................................ 14 Un succès singulier depuis deux décennies.................................................................. 16

B) Un mensuel au carrefour de trois champs .............................................................. 17 Un journal ancré dans le champ universitaire et spécifique vis-à-vis du champ journalistique ............................................................................................................... 17 Une autre image de l’image ......................................................................................... 18 Le « devoir d’irrespect » .............................................................................................. 20 L’inscription dans le champ militant : un journal « engagé » pour une « lecture de salut » ........................................................................................................................... 22

C) Autour du « Diplo »................................................................................................... 23 Investir « le champ de bataille des idées » : les Amis du Monde diplomatique .......... 23 ATTAC, les Amis et le « Diplo » en crise ouverte ........................................................ 25

2) Considérations méthodologiques ............................................................. 28

A) Quelle analyse ?......................................................................................................... 28 Le « Diplo » et le conflit israélo-arabe : un traitement fluctuant ? ............................. 28

B) La mise en place d’un « système catégoriel » : les critères de notre analyse de contenu ............................................................................................................................ 29

Une méthode forgée ad hoc.......................................................................................... 29 « Objectivité » et « systématisme » .............................................................................. 30 Précisions supplémentaires.......................................................................................... 31

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Une « manière de voir » le conflit : le serpent de mer thématique de la « guerre coloniale » .......................................................................33

1) Construire la réalité : la mise en place d’un arsenal lexicologique ...... 34

A) La répartition des responsabilités ........................................................................... 34 Responsabilités asymétriques… ................................................................................... 34 … puisque « guerre coloniale » ................................................................................... 37

B) Le choix des mots....................................................................................................... 38 La « résistance » à « l’oppression » ............................................................................ 38 Modalités d’esthétisation des protagonistes ................................................................ 39

C) Décrire les protagonistes .......................................................................................... 41 Des catégories narratives empruntées au nationalisme palestinien ............................ 41 Sharon et Arafat : le « général » face au « résistant » ................................................ 43

2) Figures du colonisé .................................................................................... 48

A) L’innocence de « l’oppressé » .................................................................................. 48 L’irresponsabilité du colonisé...................................................................................... 48 Résistance armée et lutte nationale.............................................................................. 49 Champ lexical de l’horreur .......................................................................................... 54

B) Seuls contre tous ........................................................................................................ 58 La construction du Palestinien comme figure victimaire............................................. 58 Une vision paternaliste en raison de l’absence d’Etat ? ............................................. 61

C) Deux causes, deux conséquences.............................................................................. 63 L’universalité de la cause palestinienne…................................................................... 63 …face aux zélotes « inconditionnels d’Israël »............................................................ 64 Le conflit israélo-arabe et le miroir communautaire selon le « Diplo » ..................... 67

Décryptages........................................................................................71

1) Quelles légitimités ? ................................................................................... 72

A) Le « péché originel » d’Israël ................................................................................... 72 « Colonialisme » et « impérialisme » : essais de définition......................................... 72 « Guerre coloniale » ou conflit géopolitique et national ? .......................................... 73 Quels rapports aux sionismes ? ................................................................................... 77 La tache immarcescible du « péché originel »............................................................. 80

B) Hors de la Diaspora, point de salut : l’exaltation d’un contre-modèle juif.......... 82 Une vision paternaliste et chaleureuse de la condition juive à l’extérieur de l’Etat d’Israël ......................................................................................................................... 82 L’allégorie du dhimmi heureux.................................................................................... 84

2) « Etre ou ne pas être ? » : l’Etat d’Israël selon le « Diplo » .................. 86

A) Eclairages théoriques................................................................................................ 86 Les sionismes en perspective........................................................................................ 86 Le « Diplo » et l’Etat-nation : du « progressisme » à « l’oppression »....................... 88

B) L’existence de l’Etat d’Israël dans le mensuel........................................................ 91 Un droit à l’existence inconditionnel… ....................................................................... 91 …mais sous conditions ................................................................................................. 92 Le concept d’« Etat juif » ............................................................................................. 94

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Page 146: Le Monde diplomatique et le conflit israélo-arabe de 2000 à 2006 … · 2006. 11. 21. · Considérant que le Monde diplomatique se veut incarner « un journal engagé au service

C) Symboliques et mythes nationaux : la formation des « identités nationales » et le mensuel............................................................................................................................ 99

Territorialisme et nationalisme de diaspora : la similitude des cas israélien et palestinien .................................................................................................................... 99 Une vision romantique du récit national palestinien : exil et mémoire nationale ..... 100 L’élaboration du paysage national et la symbolique de Jérusalem........................... 102

3) Cerner les facteurs humains expliquant la position du mensuel ........ 104

A) Un journal, des journalistes ................................................................................... 104 Le rôle central d’Alain Gresh et de Dominique Vidal ............................................... 104 Le « Diplo » au carrefour des influences ................................................................... 104

B) Entre « nouvelles radicalités » et islam politique : le mensuel au sein d’une nébuleuse contestataire ................................................................................................ 106

« Pourquoi la Palestine ? »........................................................................................ 106 « Islam en questions », israélophobie en réponse...................................................... 110

Conclusions : la figure de « l’intellectuel engagé » .......................114

« L’intellectuel » face à la certitude........................................................................... 115 « Prendre parti » ........................................................................................................ 119 Un mensuel « à contre-courant » et « farouchement indépendant » ? ...................... 121

Corpus des documents traités........................................................124 Eléments bibliographiques et sources...........................................134 Table des matières ..........................................................................144

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