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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 2

 Notre combat

 L’éditorial de Serge Halimi « Notrecombat », publié dans le numéro d’oc-tobre, a suscité un courrier abondant,

 signe de l’intérêt porté à la question par nos lecteurs. M. Morin nous écrit (courrier électronique) :

Lecteur assidu de « votre » journal,d’abord ponctuellement (numéro par numéro) en tant qu’étudiant, puis abonné, jesouhaite en premier lieu vous remercier 

  pour les inormations précises que voustransmettez sur l’activité du Monde diplo-matique, notamment sur la répartition enchifre d’afaires (CA) par origine : abon-nements, kiosques et publicité. La plupartdes médias réservent ce genre d’exercice àleurs... actionnaires. (...)

Etant abonné et désirant le rester aussilongtemps que possible, j’accepteraisvolontiers une hausse du prix que j’ac-quitte, pour peu que cela puisse pallier les

 problèmes du  Monde diplomatique . Mais je pense que ce type de réponse risque d’être peu viable à terme si elle ne s’appuie passur une stratégie de développement etqu’elle risque aussi de laisser un certainnombre de lecteurs sur les quais de l’aug-mentation des taris. (...)

Concernant Internet, j’ai apprécié votreassimilation des internautes du site du

 Monde diplomatique à des « passagersclandestins » d’un média qui serait financé

 par d’autres (passagers « avec billet »). Le  passager « déclaré » que je suis ne s’enofusque pas, tant que son journal arrivedans sa boîte aux lettres, mais il comprendqu’une proportion exagérée de passagersclandestins risque de aire couler la

 barque. (...)

Concernant cette version en ligne, je pro- poserais qu’une partie reste accessible sansinscription ni paiement, afin de permettre àtous d’accéder à une inormation de qua-lité. (...) Ensuite, je proposerais que tous lesarticles en ligne soient aussitôt disponibles

 pour les abonnés «papier » : d’une part pour les inciter à aller voir ce qui figure sur le site (ce qu’ils ne ont pas orcément),d’autre part pour mesurer la valeur de leur solidarité quand ils acceptent que les pas-sagers clandestins (qui ont accès gratuite-ment à une partie du contenu) puissent aussise joindre à eux. Enfin, pour la partie la

  plus « délicate », je proposerais que ces passagers clandestins acceptent de s’ins-

crire (c’est-à-dire de se connecter, avecidentifiant et mot de passe), afin d’accéder aux contenus en ligne. Cela permettrait au

 Monde diplomatique de recenser ses lec-teurs sur Internet, non pas pour les « ven-dre » aux annonceurs, mais pour leur  transmettre, régulièrement, des ofresd’abonnement. (...)

Certaines expériences de partage de res-sources en ligne prouvent que ce type deonctionnement peut être viable. Ainsi, dessites Internet de musiques équitables enligne existent (www.airtrade-music.com).Le principe est simple : ceux qui téléchar-gent les morceaux contribuent, selon leursmoyens, en décidant du montant qu’ils ver-seront pour chaque morceau téléchargé. (...)

  Le Monde diplomatique verrait ainsi sesrevenus augmenter et se diversifier, tout engarantissant un accès équitable à la totalitéde l’inormation en ligne et en préser-vant (voire en valorisant) sa politiqued’abonnement « papier». (...)

  M. Dijon, lui, nous adresse unreproche (courrier électronique) :

Fidèle depuis plus de quinze ans à votre

  journal, que j’achète (et que j’achèteraiencore), je viens de lire avec attention votrearticle relati à la baisse de vos ventes enkiosques. Il me semble que vous avez oubliéquelque chose d’essentiel dans cette ana-lyse. Depuis le 11 septembre 2001 le mondeà changé. (...) J’attends que vous soyez à la

 pointe de l’inormation dans ce dossier. Or vous avez reusé, pour je ne sais quellesraisons, l’évidence d’un complot. (...) Au

 plaisir de vous lire enfin sur cet événementmajeur qui va continuer à réduire nos liber-tés, dans un silence assourdissant – et avecvotre complicité.

 Pour sa part, M. Couret (courrierélectronique) nous écrit :

Je ais partie de vos soutiens sans lesavoir puisque je lis votre journal unique-ment en l’achetant dans les gares, lorsque jevoyage en train. Je vous ai entendu diredans l’émission « Là-bas si j’y suis » qu’onvous reprochait de aire des articles troplongs. C’est justement ce que j’apprécie

chez vous. Je préère également un style plus littéraire qui donne au moins l’impres-sion que le rédacteur a pris la peine destructurer ses idées avant de nous les livrer.Bien sûr l’efort de lecture est plus grand etil n’est pas question de lire le « Diplo » envingt minutes dans le métro. C’est pourquoila réquence mensuelle est susante dans la

 Edité par la SA Le Monde diplomatiqueSociété anonyme avec directoire

et conseil de surveillanceActionnaires : SA Le Monde,

Association Gunter Holzmann,Association Les Amis du Monde diplomatique

DirectoireSerge HALIMI, président,directeur de la publication

(secrétariat : 01-53-94-96-78),Alain GRESH, directeur adjoint(secrétariat : 01-53-94-96-01),

Bruno LOMBARD, directeur de la gestion(secrétariat : 01-53-94-96-07)

Responsable des éditions internationaleset du développement :

Dominique VIDAL(01-53-94 -96-21)Rédaction

1, avenue Stephen-Pichon, 75013 ParisTél. : 01-53-94-96-01

Télécopieur : 01-53-94-96-26Courriel : [email protected] 

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Directeur de la rédaction :Serge HALIMI (9678)

Rédacteur en che : Maurice LEMOINE (9612)Rédacteurs en che adjoints :Martine BULARD (9604),

Philippe RIVIÈRE (Internet, 9618),Anne-Cécile ROBERT (9624)

Rédaction : Laurent BONELLI (9609)Mona CHOLLET(Internet, 9679)

Alain GRESH (9608),Evelyne PIEILLER (9628)Pierre RIMBERT (9671),Dominique VIDAL (9621)

Cartographie: Philippe REKACEWICZ (9619)

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Rédacteur documentaliste :Olivier PIRONET (9615)Mise en pages et photogravure :

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Diusion numérique : Vincent CARON(9629)

Contrôle de gestion : Zaïa SAHALI (9682)

Secrétariat général (9601, 9607) :Anne CALLAIT-CHAVANEL( 9678)

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Fondateur : Hubert BEUVE-MÉRYAnciens directeurs : François HONTI

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Récemment publié sur le sitedu MONDE DIPLOMATIQUE

 – Union européenne : un président pour quoi faire ?,par Anne-Cécile Robert

 – Vers une assurance médicale pour chaque Amé-ricain ?, par Serge Halimi

 – « Angolagate », ce qu’on ne dit pasassez, par Augusta Conchiglia

 – Guerre idéologique au Venezuela, par Jean Ortiz

BLOGS

 – Guinée-Equatoriale : l’étrange impunité d’un fils de président, par

 Jean-Christophe Servant (« Echos d’Afrique »)

 – Barack Obama en Chine : des droits humains (un peu)à l’économie (beaucoup), par Martine Bulard (« Planète Asie »)

 – Néoconservateurs, de Washington à Paris,par Laurent Ballouhey (« Planète Asie »)

 – Le chaudron de M. Netanyahou, parAlain Gresh

(« Nouvelles d’Orient »)

 – « Air Sarko One », par Philippe Leymarie (« Défense en ligne »)

Colloques et rencontres

LA VALISE DIPLOMATIQUE

3 décembre, à 17 h 30, à l’université de Lau-sanne (salle 263 du bâtiment Internet).(Contact:

 [email protected])

AMÉRIQUE LATINE. – Le 9 décembre, à18 h 30, à la Maison de l’Amérique latine(217, boulevard Saint-Germain, Paris 7e), IgnacioRamonet, Hernando Calvo Ospina et MauriceLemoine interviendront sur le thème « L’Amé-rique latine et les Caraïbes ace aux bases mili-taires américaines en Colombie » ; avec Mémoiredes luttes. (Tél.: 01-49-54-75-00.)

MÉDIAS. – Le 10décembre, à 19 heures, dans lecadre des « Jeudis d’Acrimed », conérence-débatavec Mona Chollet, Sébastien Fontenelle etMathias Reymond autour du thème: « Les édito-crates ou comment parler de tout en disant n’im-  porte quoi » ; à la Bourse du travail, 3, rue duChâteau-d’Eau, Paris 10e. (Renseignements : 06-21-21-36-13.)

Avec Le Monde diplomatique

PROCHE-ORIENT. – Les Trois Luxembourg orga-nisent pour la quatrième année le estival « Proche-Orient : que peut le cinéma ? » et proposent des projections de longs et courts-métrages suivies dedébats avec Leila Shahid, Michel Warschawski,Christian Chesnot, Jean-PaulCh agnollaud, AhmadSalamatian, Dominique Vidal, etc. Au centre desdiscussions : la question israélo-palestinienne. Tousles soirs du 2 au 13 décembre, 67, rue Monsieur-le-Prince, Paris 6e. (Renseignements : 01-46-33-97-77.) L’association Palestine 45 organise, le16 décembre à 20h 30, salle Eifel, rue de la Tour-neuve à Orléans, une conérence-débat avec Domi-nique Vidal sur la mainmise israélienne à Jérusa-lem-Est. (Contact : [email protected])

ÉTATS-UNIS. – A l’initiative du groupe Regardscritiques, conérence avec Serge Halimi :« Obama, un an plus tard ». A Lausanne, le

mesure où la lecture du journal demande bien une dizaine d’heures. Continuez doncà aire des articles longs et exhaustis.

 M lle Cardot (courrier électronique)met l’accent sur la gratuité du site :

Merci de conserver un large contenu gra-tuitement accessible sur Internet. Je n’ap-

 précierais pas de devoir payer pour vouslire, et les sites de presse qui pratiquent cesméthodes n’ont pas ma réquentation. Enrevanche, pouvant librement lire ce quim’intéresse, et tant que ça m’intéresse, jeserais prête à consentir un don régulier.Pour cela il audrait un mécanisme en ligne,type Paypal ou autre.

  M. Lambrechts (courrier électro-nique) nous demande :

Pourquoi ne pas prévoir une possibilité de paiement par carte de crédit ? Conscients del’importance de maintenir une presse d’ana-lyse indépendante des grands groupes, lesabonnés n’habitant pas en France aimeraient

  pouvoir répondre à l’appel lancé dans lenuméro d’octobre.

Pour le moment, seul le règlement par chèque pour des lecteurs domiciliés en Franceest autorisé. Bizarre pour un journal comptantautant d’éditions internationales et plus delecteurs dans le monde qu’en France...

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Et je libelle mon chèque à l’ordre de :Presse et pluralisme/ Opération Le Monde diplomatique

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MONDE

diplomatiquediplomatique

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Beaucoup d’autres se sont abonnés au journal ou ont offert des abonnements à leursparents et amis. A l’heure où des difficultés économiques affectent une grande partie de lapresse écrite, vous pouvez à votre tour participer à ce mouvement de soutien. Vous confor-terez ainsi l’indépendance du Monde diplomatique et vous garantirez son développement.

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Ainsi, lorsque vous faites un don de 100 euros, vous déduisez 66 euros de votre impôt : ilne vous en coûte donc que 34 euros.

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DANS les milieux économiques, unerumeur revient cycliquement, dégui-sée le plus souvent sous les habits

d’une analyse roide et scientifiquementéprouvée: l’Arique ne servirait à rien ; elleserait un ardeau pour le reste de la communauté humaine. C’est ce ponci quemet en pièces, argument par argument, cenuméro de  Manière de voir intitulé juste-ment « Indispensable Arique » (1).

S’agissant de ce continent, deux écueilsguettent en permanence le lecteur occiden-tal : la déploration (le ameux «cœur desténèbres » conradien) ou le réenchantementà tous crins (le tout aussi ameux « sangneu »). A distance de ces extrêmes, lesauteurs de Manière de voir montrent que lecontinent occupe une place essentielle dansle jeu mondial, tant du point de vue écono-mique que géopolitique.

Jean-Christophe Servant pointe commentWashington a cyniquement enrôlé deshommes d’afaires américains d’origine ari-caine pour conquérir des marchés en Arique,sous couvert de panaricanisme et d’empa-thie raciale. Les « amis chinois du Congo»(Colette Braeckman) sont eux aussi dans lacourse aux richesses minières du continent,également convoitées par les Russes (JulienBrygo). Ce n’est pas par goût pour le saariet la musique dombolo que le président HuJintao multiplie depuis 2003 les visites sur le

continent, aisant de son pays le troisième  partenaire commercial de l’Arique. Les

menées chinoises confinent à une « nouvelle  forme de néocolonialisme drapée des illusions d’un développement Sud-Sud ».

L’assujettissement des emmes et deshommes du continent ne prend pas toujoursles voies anciennes de la ruée vers l’or ou le

 bois d’ébène. Il existe « des armes tout aussiredoutables pour orienter le cours deschoses » (Anne-Cécile Robert). Les institu-tions financières internationales et les bail-leurs de onds (la France, l’Union euro-

 péenne) utilisent tantôt le levier de l’argent(aide, reus d’annuler une dette aussiasphyxiante qu’inique), tantôt celui du droit(définition des normes juridiques au traversde traités et d’institutions comme l’Organi-sation mondiale du commerce, OMC) pour arriver à leurs fins. Parois, il n’est même

 pas nécessaire d’agiter le bâton tant les éliteslocales baignent dans l’idéologie néolibé-rale. C’est l’un des obstacles à l’armationdu continent, abordée dans la troisième par-tie de ce numéro.

Les populations locales ne sont jamaisrestées inertes ace aux défis. En avance sur leurs élites, elles ne regardent plus Paris ouWashington avec les yeux de Chimène. Ellesrésistent, inventent des ruses et des remèdes,à l’instar des paysans burkinabés rejetantles organismes génétiquement modifiés

(OGM) (Françoise Gérard). Ra Custersanalyse quant à lui la lutte pour la révisiondes contrats miniers outrageusement avan-tageux pour les multinationales.

En phase avec ces initiatives populaires,on trouve une myriade d’économistes, de

 penseurs, de militants et d’artistes qui rejet-tent les discours paresseux et redessinentles contours de l’Arique de demain. Pro-

 posant d’utiles portraits de ces acteurs, sou-vent méconnus,   Manière de voir trancheavec la pensée unique plaquée sur l’Arique.Ici, les journalistes – dont les analyses sontillustrées par une cartographie ournie etdes chronologies – empruntent des cheminsde traverse où l’Aricain n’est pas quel’« obscur objet du désir » de l’Autre, maisle sujet plénier de son destin.

ABDOURAHMAN A. WABERI,écrivain et enseignant au Claremont McKenna

College (Caliornie), auteur de Passage deslarmes, Jean-Claude Lattès, Paris, 2009.

(1)   Manière de voir, no 108, « Indispensable

Arique », décembre 2009- janvier 2010, 7 euros, envente chez votre marchand de journaux.

COURRIER DES LECTEURS COURRIER DES LECTEURS

UNE NOUVELLE LIVRAISON DE « MANIÈRE DE VOIR »

Un enjeu mondial

Un mécanisme de donsen ligne est en cours d’installation

à l’adresse suivante :www.monde-diplomatique.fr/dons

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 20093R ÉPARER D’UNE MAIN CE QU’ON DÉTRUIT DE L’AUTRE

Les multiples visages d’Ernest RenanAu XIXe siècle, l’aristocratisme élitaire d’Ernest Renan a joué un

rôle essentiel dans la laïcisation de la culture française et

européenne. Plusieurs des œuvres de ce grand écrivain, moraliste

ironique et controversé, se lisent encore avec plaisir, et certaines,

comme les textes que Shlomo Sand vient de rééditer sous le titre« De la nation et du “peuple juif” chez Renan », restent

essentielles – sous réserve de les replacer dans le contexte de

leur époque – pour le débat contemporain.

PA R H E N R Y L A U R E N S *

ERNEST R ENAN a connu uneimmense gloire au XIXe siècle, principalement pour sa critique« historique » du christia-nisme ; mais ce sont des com-

 bats et des débats qui semblent oubliés,même si le transert de ses cendres auPanthéon a dû régulièrement être repousséen raison des protestations des milieuxcatholiques, où se lisent des condamna-

tions définitives : « L’entrée au Panthéonqu’on veut lui décerner, à titre de renégat et de blasphémateur, ne lui sera pas d’un  grand secours devant le Dieu qu’il atrahi (1). » Quant aux libres-penseurs, ilss’en sont toujours un peu méfiés car, si sacritique de la religion a bien é té radicale,il n’en a pas moins toujours insisté sur sonrôle social et sur les mérites de l’espritreligieux, dont il pensait être l’un desreprésentants. Il est alors aisé de croireque, pour citer George Sand, « Renan s’acharne à réparer d’une main ce qu’il détruit de l’autre ».

Aujourd’hui, c’est avant tout de racismeet de colonialisme que Renan se trouveaccusé. C’est en accompagnant la genèseet l’interrogation de ce qu’il nommera la« religionification » qu’on peut compren-dre et mesurer les enjeux de sa définitionde la nation, de la race et du judaïsme (2).

 Né en 1823, dans un milieu modeste, lasolidarité de sa amille et son statut de  boursier lui permettent de aire desétudes, qui le conduisent au grand sémi-naire de Saint-Sulpice. Destiné à la prê-trise, il connaît des tourments intérieursqui le mènent à se détacher progressive-ment du catholicisme. Il préère la vérité,telle que la science l’établit, à la religion,qui est d’abord le produit de l’afectivitéhumaine. Il quitte le séminaire pour l’Université, dans des conditions maté-rielles diciles.

Sa rélexion le conduit à airmer quela question religieuse doit être abordée

* Proesseur au Collège de France, auteur, notam-ment, de LaQuestion de Palestine, Fayard, Paris (troistomes, 1999, 2003, 2007).

non seulement par la philosophie, maisaussi par l’histoire, par l’étude de la« religioniication », c’est-à-dire le pro-cessus de abrication de la religion,comme il l’écrit à son ami Marcellin Ber-thelot le 28 août 1847 (3). Il observeainsi chez les républicains de son tempsun processus de sacralisation de la Révo-lution rançaise : celui « qui la blas- phème passe pour un insensé » . Il en est

de même pour le socialisme, mais il aune certaine sympathie à son égard, lorsde la révolution de 1848 (4) : « Organi-  ser scientiiquement l’humanité, tel est donc le dernier mot de la sciencemoderne, telle est son audacieuse maislégitime prétention. »

Les soubresauts de la IIe République leconduisent à se détacher de ce progres-sisme. Il craint bientôt une dictature clé-ricale soutenue par les masses ignorantes – c’est ainsi qu’il interprète l’avènementdu Second Empire –, et devient un libéralqui déend la thèse du rôle indispensabled’une étroite élite intellectuelle, seule atta-chée à la liberté de penser et persécutée par tous les anatismes religieux.

Dès cette époque, son système intel-lectuel est pratiquement achevé. Il veutaire de la philologie une science des produits de l’esprit humain : « La philo-logie est la science exacte des choses del’esprit. Elle est aux sciences de l’hu-manité ce que la physique et la chimie  sont à la science philosophique descorps. » Selon lui, toute langue est uneappréhension globale de l’univers. Dèslors, un système linguistique contientvirtuellement tous les développementsintellectuels des peuples qui l’ont adopté.C’est ainsi que, pour lui, les peuplesaryens ou indo-européens portent en euxl’esprit de la science et de la philoso- phie, et les peuples sémitiques l’idéed’un Dieu unique. La rencontre des deux par le biais du christianisme va permet-tre de onder l’universel.

PIERRE-HENRY. – « Le Déménageur d’idée» (1980)

nation comme le contraire de la race, à laois produit de l’histoire et acte volon-taire de tous les jours. Le processus decivilisation détruit inexorablement lesraces originelles, et les peuples ne sontque des ormations historiques sans aucunsoubassement physiologique.

Le petit recueil de Shlomo Sand  s’intéresse à ce Renan-là, celui qui nous  parle encore. La célèbre conérence du11 mars 1882 – « Qu’est-ce qu’unenation ? » – comprend un double rejet :celui de la conusion entre la race et lanation, et celui de la conusion entre les« groupes ethnographiques ou plutôt lin-

 guistiques» et les « peuples réellement existants ». Il reprend l’histoire des grandesormes de regroupement politique pour montrer que la nation moderne est un« résultat historique amené par une sériede aits convergeant dans le même sens ».Plus la usion des races s’opère, plus lanation est achevée. Il utilise presque lesmêmes mots que dans sa lettre à Gobi-neau, trente-cinq ans plus tôt : « Le ait dela race, capital à l’origine, va donc tou- jours perdant de son importance. »

Il en ressort sa magnifique définition dela nation : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vraidire, n’en ont qu’une, constituent cetteâme, ce principe spirituel. L’une est dansle passé, l’autre dans le présent. L’uneest la possession en commun d’un richelegs de souvenirs ; l’autre est le consen-tement actuel, le désir de vivre ensemble,la volonté de continuer à aire valoir l’hé-ritage qu’on a reçu indivis. »

Du ait de son immense popularité, c’està Renan que l’on doit la difusion du terme« race sémitique», qui avant lui n’étaitconnu et utilisé que par une petite poignéede savants. Au moment où l’antisémitismes’étend, il était de son devoir de aire de saconérence du 27 janvier 1883 sur « Le judaïsme comme race et comme religion »un rappel à l’ordre. Il part de la distinctionentre religion universelle (hindouisme- bouddhisme, christianisme et islamisme),  par définition ouverte à tous, et religionlocale, limitée à un groupe humain déter-miné. Or le ait majeur de l’histoire estque les religions universelles ont ait dis- paraître les religions locales. Il est hors dedoute que le judaïsme était à l’origine unereligion locale, peu diférente de celle des  peuples voisins, mais dès le VIIIe siècleavant notre ère les prophètes ont été les pre-miers à concevoir une autre orme de reli-gion, celle d’un Dieu créateur de l’univers,qui aime le bien et punit le mal : « Quand 

on proclame une telle religion, on n’est  plus dans les limites d’une nationalité, onest en pleine conscience humaine, au sensle plus large.» C’est en ce sens que les pro- phètes annoncent Jésus de Nazareth et lechristianisme. Le messianisme jui s’inté-resse au sort de l’ensemble de l’humanité.

Dès lors, l’universalité du message du  judaïsme ne peut plus en aire une reli-gion nationale. De ce ait, le prosélytisme jui a été très acti dans les derniers sièclesde l’Antiquité et, dès l’époque gréco-romaine, le judaïsme a cessé d’avoir une signification ethnographique. Si le judaïsme est une religion ermée, très réti-

cente à la conversion, il a été pendant delongs siècles ouvert à tous. Ce qui unit lesJuis, c’est une éducation commune et l’op- pression sociale qu’ils subissent. Cela n’arien d’ethnographique, de racial. Pour Renan, le judaïsme de son temps ait par-tie des grandes orces libérales : « L’œuvredu XIX e siècle est d’abattre tous les ghettos,et je ne ais pas mon compliment à ceux quiailleurs cherchent à les relever. La raceisraélite a rendu au monde les plus grands services. Assimilée aux diférentes nations,en harmonie avec les diverses unités natio-nales, elle continuera à aire dans l’avenirce qu’elle a ait dans le passé. Par sa col-laboration avec toutes les orces libéralesde l’Europe, elle contribuera éminemment au progrès social de l’humanité. »

Si certaines de ses airmationsabruptes peuvent scandaliser le lecteur d’aujourd’hui, il aut néanmoins distin-guer ce qui dans l’œuvre relève de l’esprit du temps, et ce qui est riche de virtualités. C’est ainsi que, lorsqu’ildécouvre que le peuple, sous laIIIe République, est devenu anticlérical etle protège de toutes les menaces del’Eglise, il estime que, pour la premièreois, se dessine une convergence entrel’étroite élite de la liberté de penser et lesmasses populaires civilisées par l’ins-truction. Il devient républicain quand,après 1870-1871, il était plutôt réaction-naire ; son théâtre philosophique, com- posé au tournant des années 1880, secharge de représenter cette réalité nou-velle. Reprenant La Tempête de Shakes- peare, il raconte le ralliement de Caliban(le peuple) à Prospero (la liberté de pen-

ser)(8) : « Les races inérieures, commele nègre émancipé, montrent d’abord unemonstrueuse ingratitude envers leurscivilisateurs. Quand elles réussissent à  secouer leur joug, elles les traitent detyrans, d’exploiteurs, d’imposteurs. Les

conservateurs étroits rêvent de tentatives  pour ressaisir le pouvoir qui leur aéchappé. Les hommes éclairés acceptent le nouveau régime, sans se réserver autrechose que le droit de quelques plaisan-teries sans conséquence. » Caliban n’est  pas seulement le peuple-prolétariat européen, il est aussi explicitement le colonisé, de même que Prospero estle colonisateur. Aimé Césaire a su s’enrendre compte et jouer dessus.

Celui qui représentait, pour Edward Said, l’orientaliste par excellence étaitdéjà considéré par ses pairs au moment desa mort, en 1892, comme un homme du

 passé (à l’exception de ses travaux pure-ment philologiques), et son œuvre histo-rique est complètement périmée. Maisson évolution politique permet de com- prendre le ralliement du libéralisme phi-losophique à la République, élémentessentiel de la grande synthèse de laIIIe République.

« Une nation est une âme, un principe spirituel »

IL CONSACRERA l’essentiel de son œuvreà la description des langues sémitiques

et de leurs déclinaisons intellectuelles, cequi débouchera sur une histoire générale

des origines du christianisme, puis sur l’histoire du peuple jui conduisant àl’émergence du christianisme. Quand, en1862, lors de sa leçon inaugurale au Col-lège de France, il traite Jésus d’hommeincomparable, il provoque un tel scandalequ’il est suspendu puis révoqué de son poste, ce qui n’empêchera pas sa Vie de Jésus, un an plus tard, de devenir un best-seller considérable.

En revanche, on note peu à l’époque sacondamnation sans appel de l’islam :« L’islam est la plus complète négationde l’Europe, l’islam est le anatisme,comme l’Espagne de Philippe II et l’Ita-lie de Pie V l’ont à peine connu ; l’islamest le dédain de la science, la suppres-  sion de la société civile ; c’est l’épou-vantable simplicité de la pensée sémi-tique, rétrécissant le cerveau humain, le ermant à toute idée délicate, à tout sen-timent in, à toute recherche rationnelle,  pour le mettre en ace d’une éternelle

tautologie : Dieu est Dieu. »

L’ethnologie « philologique » qu’ildéend l’amène à onder un système centrésur l’opposition Aryens-Sémites. Pour lesautres groupes humains, il n’aura que descommentaires dépréciatis, ce qui tient à saquête exclusive des origines du mono-théisme. Ce qui est contraire à son sys-tème ne peut qu’être rejeté... Il ait alorscouramment usage de la notion de race,mais dans un sens proche de notre notionactuelle de culture. D’ailleurs, lui qui est

 proondément imprégné de culture alle-mande s’inquiète très tôt du risque de lavoir adopter un racialisme agressi. Il s’enexplique à Arthur de Gobineau, qui vient,

en 1856, de publier le premier volume deson   Essai sur l’inégalité des raceshumaines : « Le ait de la race est immenseà l’origine ; mais il va toujours perdant de son importance, et quelqueois, comme en France, il arrive à s’efacer complètement.  Est-ce là absolument parlant une déca-dence ? (...) La France, nation si complè-tement tombée en roture, joue en réalitédans le monde le rôle d’un gentilhomme. En mettant à part les races tout à ait  inérieures, dont l’immixtion aux grandesraces ne erait qu’empoisonner l’espècehumaine, je conçois pour l’avenir unehumanité homogène, où tous les grandsruisseaux originaires se ondront en un grand fleuve, et où tout souvenir des pro-venances diverses sera perdu (5). »

La guerre de 1870-1871 lui cause unterrible choc moral. Il réagit en rejetantl’évolution démocratique de la société ran-çaise (comme le era Vichy en 1940), cequi ait de lui incontestablement l’une des

grandes réérences de la tradition conser-vatrice, voire réactionnaire, l’une dessources du maurrassisme (6), avec AugusteComte. Ses méditations annoncent un som- bre XXe siècle avec « des guerres d’exter-mination (...) analogues à celles que lesdiverses espèces de rongeurs ou de car-nassiers se livrent pour la vie. Ce serait la fin de ce mélange écond, composé d’élé-ments nombreux et tous nécessaires, qui s’appelle l’humanité (7) ».

La question de l’Alsace-Lorraine accé-lère son évolution intellectuelle. Les Alsa-ciens sont de race germanique, mais ilsveulent être rançais. Il conçoit dès lors la

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(1) www.inobretagne.com/renan-ernest.htm

(2) Dans  De la nation et du « peuple jui» chez Renan (Les liens qui libèrent, Paris, 2009), ouvragedont est tiré cet extrait, Shlomo Sand publie une pré-sentation de deux des grandes conérences de Renan,« Qu’est-ce qu’une nation ? » et « Le judaïsme commerace et comme religion », précédées d’une solideintroduction. Ces deux conérences rejoignent l’œuvrede Sand sur la nature de la nation et sur la notion de peuple jui, notamment son Comment le peuple jui ut inventé (Fayard, Paris, 2008).

(3) Ernest Renan, Correspondance générale,tome II, Honoré Champion, Paris, 1998, p. 437.

(4) Les citations suivantes sont tirées de L’Avenir dela science, rédigé en 1848-1849 mais publié en 1890.

(5) Ernest Renan, Correspondance, tome I, Cal-mann-Lévy, Paris, 1926, p. 119 et suivantes.

(6) Charles Maurras : idéologue rançais d’extrêmedroite, antisémite (1868-1952).

(7) « Lettre à Strauss», dans Qu’est-ce qu’unenation ?, Presses Pocket, Paris, 1992.

(8) Caliban, dans Œuvres complètes, tome III, Calmann-Lévy, Paris, 1949, p. 413.

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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(1) Quatre cents postes étaient visés: deux cents àParis, dont le personnel de la Fnac Bastille, cent cin-quante en province, cinquante au siège d’Ivry, soit3,4 % des efectis globaux.

(2) Ces annonces firent leur spectaculaire efet sur le cours de l’action PPR : + 7 % dans un marché au

  plus bas ! Après avoir touché le ond en novem- bre 2008, à moins de 30 euros, l’action PPR est au-dessus des 80 euros en novembre 2009.

(3) En 2007, quatrième année successive de crois-sance à 15 %, l’enseigne génère un chifre d’afairesde plus de 4,6 milliards d’euros, pour 186 millionsd’euros de résultat opérationnel courant. En 2008, lesrésultats sont stables.

(4) André Essel,   Je voulais changer le monde,Stock, Paris, 1985.

(5) Et comme d’« autres sel made men qui seuls peuvent assurer la réussite d’une entreprise », ibid., p. 399, dont M. Jacques Borel et Gilbert Trigano...

(6) Grande chaîne de distribution à bas coût améri-caine. Lire Serge Halimi, «Wal-Mart à l’assaut dumonde», Le Monde diplomatique, janvier 2006.

(7) Charlotte Dudignac et François Mauger, La Musique assiégée, L’Echappée, Montre uil, 2008.

(8) En 1977, les Coop deviennent le principalactionnaire; en 1985, la société d’assurance GMFrachète l’enseigne, qui passe aux mains de la Compa-gnie générale des eaux en 1993, puis du groupe PPR en 1994.

(9) Outre quelque quatre-vingts magasins en France,la Fnac est présente dans sept pays : Belgique, Brésil,Espagne, Grèce, Italie, Portugal et Suisse.

DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 4FORGER UN GOÛT MOYEN EN

La Fnac ou les avatars

Le commerce des produits

culturels repose

sur un paradoxe : il organiseune consommation de masse

en flattant les distinctions

individuelles. Concilier ainsi 

les aspirations contradictoires

des classes moyennes

en ascension, telle ut l’idée

développée par les dirigeants

de la Fnac au cours des

années 1960. Quatre décennies

plus tard, l’enseigne

des connaisseurs branchés

s’est métamorphosée

en supermarché

du divertissement.

Pris en tenaille entreles exigences de son propriétaire

et les bouleversements

du marché des loisirs,

le modèle bat de l’aile.

PARIS, salle Pleyel, 7 mai 2009 ;l’assemblée générale des action-naires du g roupe Pinault-Prin-temps-Redoute (PPR) s’attribue418 millions d’euros de divi-

dendes pour l’exercice 2008. Dehors, unecentaine de salariés de la Fnac orment un

comité d’accueil. « Pinault, escroc, lacrise, elle a bon dos ! » PPR, propriétairede l’enseigne, a annoncé, le 18 évrier, un plan d’économie de 35 millions d’euros, puis, le 4 mars, un « plan de sauvegarde del’emploi » – doux euphémisme – destinéau personnel parisien (1). Quelques jours plus tard, en efet, la direction décide laermeture d’un « petit » magasin spécia-lisé dans le disque, la Fnac Bastille. « En2009, nous resterons concentrés sur trois  grands objectis : l’impact client, labaisse des coûts et la génération de cash- flow », insiste M. François-Henri Pinault,aux commandes de PPR. « Ce quiimporte, c’est que le groupe se renorce et   puisse assurer une politique de divi-dendes sérieuse et équilibrée à l’ensem-ble de ses actionnaires (2). »

Si le magasin de Bastille n’est pas, l oins’en aut, le plus important comptoir de la

* Journaliste.

Fnac, sa ermeture porte au jour la ragili-sation de tout un système. Modèle uniqueau monde de distribution associant la bil-letterie des spectacles, la vente des œuvresculturelles et les équipements de hautetechnologie, l’entreprise se retrouve désor-mais prise entre le marteau sociologique etl’enclume économique. D’un côté, les jeunes consommateurs migrant sur Inter-net ne lui reconnaissent plus le mono- pole de la prescription culturelle ; de l’au-tre, les discounters et vendeurs en ligneassèchent son marché des appareils élec-

troniques. D’ailleurs, loin d’être un épi- phénomène, la chute de la Bastille s’ins-crit dans une suite logique. L’ancien  patron de l’enseigne, M. Denis Oli-vennes, n’ambitionnait-il pas de sacrifier le disque compact (CD), ex-produit phare, sur l’autel de la profitabilité ?

« L’activité disque est un bon indica-teur de la politique de la Fnac », estimele journaliste Gildas Leeuvre, vingt ansd’expertise dans cette filière. Dominant le« segment disque » des grandes enseignesspécialisées (40 % du marché), la Fnacréalise selon cet analyste « certes moinsde marges qu’avant, mais en ait encore.  Mais voilà, chez PPR, ce n’est pas lecentre le plus proitable ». Avec plus detrois millions d’adhérents et près devingt mille salariés dans le monde, laFnac est une multinationale qui compte,dans tous les sens du terme (3). Il estloin le temps du premier magasin,quelques mètres carrés nichés boulevard 

actionnaire majoritaire : M. FrançoisPinault. Là où la Garantie mutuelle desonctionnaires (GMF) avait échoué àimplanter l’enseigne au-delà de son péri-mètre naturel, notamment à Berlin en1991, PPR va multiplier les ouvertures de

magasins à l’étranger (9), structurantl’entreprise amiliale en une multinatio-nale où précarisation rime avec moderni-sation. Bas les masques et les mythiques principes ondateurs ! Place aux règles dumarché: centralisation des achats, recen-trage autour des seuls « produits » à ort potentiel de vente, gestion des stocks enflux tendu, politique dégradante à l’égard des petits labels et éditeurs, l’entreprise  phare de l’économie mutualiste degauche achève sa mue au tournant dumillénaire, devenant un modèle abouti deconcentration capitalistique.

« L’entrée de PPR a accru la baisse del’ofre. La direction des ressourceshumaines veut en finir avec le côté ven-deur “expert”, au profit du vendeur100 % “clients”. C’est tout un langage dumanagement qui traduit une prise enmain du pouvoir central et touche aussiles cadres de l’enseigne. La plupart descadres historiques sont remplacés par

des jeunes sortis d’écoles de commerce,dont le modèle dominant est la grande  surace de distribution alimentaire »,analyse Chabault.

Le phénomène s’amplifie lors de l’ar-rivée aux commandes de M. Olivennes,en 2003. Avec cet ancien conseiller dePierre Bérégovoy passé à la directiongénérale de Canal+ (qu’il quitte avec un parachute doré de 3,2 millions d’euros) puis à celle de PPR, les techniques com-merciales se ont de plus en plus préda-trices à l’égard des petits éditeurs demusique. « Le discours de açade est tou- jours celui de la diversité et du soutienaux indépendants. Mais, concrètement,les méthodes et outils qu’ils ont mis en place pour nous aider ont pour but dedéresponsabiliser les ches de rayon, nos soutiens. En 2005, le projet “ECO”, quivisait à “élargir le cœur de l’ofre”, est emblématique de cette ambiguïté : il  s’agissait de mettre l’accent sur des réé-rences préconisées. Leurs ventes ont aug-menté, mais le reste du catalogue deve-nait invisible, c’est-à-dire voué àdisparaître. Le projet a été abandonné,mais le pli a été pris », révèle un distri- buteur de disques qui préère taire sonnom, tout en constatant : « La Fnac a ledroit de retourner 100 % d’un produit, undroit qu’elle utilise à 100 %. »

FRANCIS COMBES, éditeur du Temps descerises et président de l’association

L’Autre livre, qui regroupe plus de centéditeurs indépendants pour la déense de la

 bibliodiversité, ne masque pas quant à luisa colère : « La Fnac impose des condi-tions diciles : il aut d’emblée 40 % deremise [contre 33 % en moyenne]. Ce n’est   pas écrit, mais c’est la pratique. Je l’aivécu il y a quinze ans lors de la création dela maison d’édition. »

« La Fnac tente d’éliminer les mai- sons les moins rentables, reprend JacquesLe Scanf, ondateur voici dix ans deséditions Le Préau des collines. Il s’agit deconcentrer les ventes et de maximiser les  profits. Les livres dits diciles, ils lescachent. » Existe-t-il un traitement dedéaveur par rapport aux grosses mai-sons? « Oui, surtout en province. Et, de ait, je travaille moins avec la Fnac. »

Il en va de même du côté des produitstechniques, secteur certes en orte baisse, mais qui représente tout de mêmeles deux tiers du chire d’aaires de

BIEN AVANT les caisses, à la Fnac, tout ou presque estpayant... pour les éditeurs : points écoute qui per-mettent au client de découvrir un morceau de

musique, têtes de gondole que l’on surnomme dans lescouloirs « dégueuloirs », place des catalogues de Noël...Pas un cadeau. Le sujet est tabou. Comment rompre laloi du silence au risque de se voir marginaliser par l’en-treprise numéro un sur un secteur qui plus est ragilisé ?« Faire partie de la sélection Fnac coûte trop cher ! Franche-ment, ce système est inadapté à la création, contrairement àce qu’elle afche », ose l’éditeur Jacques Le Scanf . En1981, il ut avorable à la loi Lang instaurant le prixunique du livre, contrairement à la grande distribution,qui prétendait déendre le porte-monnaie du chaland.« La Fnac avait tout intérêt à détruire le réseau des librairesindépendants. »

Ce que soulignait, dès 1978, Jérôme Lindon dansson essai intitulé La Fnac et les livres (Editions de Minuit).« La Fnac prétend avoriser le développement de la lecture.(...)   Je dis qu’en réalité ce système de rabais aboutit aurésultat contraire : il restreint le choix des livres oerts aupublic ; il entraîne une augmentation de leur prix de vente.»

Trente et un ans plus tard, les aits lui donnent raison.Pour s’en convaincre, il sut de prendre l’exemple desdisquaires, un secteur où le prix ut libéré. « Près de dix mille en 1980, un millier en 2001, quatre cents de moins troisans plus tard (1) », les disquaires indépendants ne contrô-leraient que 1,4 % du marché. « La Fnac a ait le vide autour 

d’elle, en débauchant tous les bons disquaires. Et pas po ur lemeilleur. Aujourd’hui on liquide et il n’y a plus personne »,résume M. Jean Rochard, producteur de disques indé-pendant, et ce « même s’il reste quelques excellents dis-quaires. Seulement, plus ils sont bons, plus “on les pres-sure” ! ».

Par son parcours (2), M. Daniel Richard a été letémoin privilégié de cette désertification qui, au prétextede servir les intérêts du client, a desservi la prétenduediversité culturelle. « Sans le prix unique, les disquairesspécialisés étaient condamnés. Le disque n’était qu’un produit d’appel pour vendre du “brun” [du matériel technique], avec un gros carnet d’adresses et un vrai sens du slogan. Le coupde grâce, cela a été le prix vert, qui nous obligeait à vendreà prix coûtant et permettait à la Fnac d’étendre son mono-pole. Et ce ut la porte ouverte aux gros volumes à orte rota-

tion. » A partir des années 1990, M. Richard rejoindraPolygram Jazz, dont il prendra la direction lorsque l’en-treprise sera absorbée par Universal. A l’autre bout dela chaîne, le constat est aussi efarant : « Publicité sur le lieude vente, marges arrière, centralisation d’un produit , afches,catalogues... J’ai tout connu, tout payé ! »

 J. D.

(1) Charlotte Dudignac et François Mauger,   La Musique assiégée,L’Echappée, Montr euil, 2008.

(2) Disquaire au Lido de 1971 à 1981, puis aux Mondes du jazz, il rejointla Fnac Wagram en 1985, puis l’enseigne Virgin Megastore en 1989.

de Sébastopol, où Max Théret et AndréEssel posèrent en 1954 les bases du utur empire.

Au matin des « trente glorieuses », lesystème échaaudé par l’enseigne repo-sait sur les changements de la sociétérançaise : montée en puissance des ser-vices, émergence des cadres et allonge-ment de la scolarité impliquaient de nou-velles pratiques culturelles. La Fédérationnationale d’achats des cadres (Fnac) erale pari d’une massification des loisirs cul-

tivés par le biais de la distribution coo- pérative.   Je voulais changer le monde,tel sera le titre de la biographie écrite àl’heure de la retraite par Essel, autopro-clamé « patron révolutionnaire ». « Lesconsommateurs doivent se déendre eux-mêmes, au moyen de leur propre organi- sation », assure-t-il dans un élan consu-mériste, non sans flatter quelques pages plus tôt les nouvelles élites du tertiaire, la« clientèle idéale».

« Les cadres disposent d’un pouvoird’achat plus élevé que celui des autres salariés. En général plus cultivés, ilscomprennent mieux un raisonnement économique (4). » Il ne manque au ond à ce consommateur socialement sélec-tionné que les conseils d’un « média-teur culturel » – un vendeur. C’est sur laoi d’un tel pragmatisme que l’empa-thie pour la Fnac a perduré au il desgénérations, alimentant une croissanceexponentielle du chire d’aaires. A

 bien lire cette autocélébration hagiogra- phique, on ne peut manquer de déceler entre les lignes les germes des crises àvenir, la construction du mythe qui ser-vira de socle à l’édiication du quasi-monopole sur la diusion des biens

 culturels. Comme M. Edouard Leclerc,qui développait pareil modèle écono-mique dans la grande surace alimen-taire (5), Essel s’y révèle un parangon de patron « paternel » à la Marcel Bous-sac, se targuant sur plusieurs pagesd’avoir oert des vacances de sport d’hi-ver à ses employés !

SELON le sociologue Vincent Cha-  bault, dont la thèse à l’Ecole des

hautes études en sciences sociales traitede l’histoire de la Fnac à travers plu-sieurs générations d’employés du rayon

livres, « la Fnac a joué un rôle massi dans la distribution et abriqué un goût moyen, un peu comme Wal-Mart aux Etats-Unis (6). D’un côté, cela a déve-loppé l’accès à la culture et, de l’autre,cela a réduit l’ore ; 70 % de son chi-  re d’aaires repose sur les produitstechniques. Le reste, c’est de la vitrine,un vernis culturel. Tout comme lesespaces non marchands demeurent pourmaintenir cette image. » Celle d’un« agitateur culturel » depuis 1954,comme l’a longtemps prétendu l’entre-  prise, abusivement baptisée « certiiéenon conorme » jusqu’en 2008 et désor-mais « agitateur de curiosité ». L’ambi-tion initiale des deux pères ondateurs,ormés dans les rangs de la mouvancetrotskiste, n’était-elle pas que « l’action pour le consommateur complète l’ac-tion politique » ? Un demi-siècle plustard, l’action culturelle s’est métamor- phosée en culture du proit.

A la Fnac, les clients sont des « adhé-

rents » ; on y diuse de la « culture» plus qu’on ne vend des produits. L’en-seigne a le sens du slogan – et celui desaaires. L’important n’est pas d’agiter mais de montrer que l’on agite. Revuedédiée aux adhérents (Contact), exposi-tions photographiques, concerts promo-tionnels d’artistes, concours de lycéens, prix de bande dessinée, part enariat avecle site de critique littéraire Noniction.r,l’enseigne multiplie aujourd’hui commehier les hameçons à destination desclasses moyennes désireuses de mani-ester cette « bonne volonté culturelle »décrite par Pierre Bourdieu dans  La  Distinction.

Cet investissement ne va pas sansretour, comme le souligne l’auteur-com- positeur David Carrol (7). « Parmi lesexemples de pratiques hyper odieuses, il  y a Indétendances... Ce sont à la ois descompilations et un estival, celui de Paris Plage. Pour participer au dispositi, la

 Fnac demande aux labels indépendants – y compris aux autoproduits – une par-ticipation aux rais de production. Ce sont les producteurs qui paient ! Et avecça la Fnac se ait sa promo : “Regardezcomment on déend les indépendants !” »Pour aire partie de ce type de sélection,le ticket d’entrée n’a cessé d’augmenter.« L’agitation culturelle, les artistesestampillés Fnac, c’est la grande miseen scène. Dans les aits, tu paies pourvendre ton disque moins cher... », s’insurge Jean Rochard, producteur indé-  pendant depuis bientôt trente ans (lirel’encadré).

Si la conversion de la coopérative engrande surace culturelle spécialisées’opère progressivement, rythmée à laois par l’entrée en Bourse de la Fnac en1980 et les changements de proprié-taires (8), le phénomène s’est nettementaccéléré avec l’arrivée d’un nouvel

Payer pour vendre moins cher

Après l’action

 politique,

le consumérisme

« Il s’agit de concentrer 

les ventes. Les livres

diciles, il les cachent »

U N E E N Q U Ê T E

D E J A C Q U E S D E N I S *

CARLOS AIRES. – «Love Is in the Air» (2009)   A   E   R   O   P   L   A   S   T   I   C   S ,   B   R   U   X   E   L   L   E   S   (   W   W   W .   A

   E   R   O   P   L   A   S   T   I   C   S .   N   E   T   )

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 20095

à la Fnac, mais vont désormais acheterà Conorama ou à Surcou. » Deuxenseignes de PPR, elles aussi soumises àrude épreuve : licenciements à répétition pour la première, vente pour l’autre.

LES CLIENTS se ruent aussi sur Internet,où des sites comme Pixmania, Rue

du commerce, Amazon aichent des  prix très bas. « Ce sont leurs plus grosconcurrents sur la diusion de masse. Mais là encore Fnac.com est très bien placé », pondère M. Chabault. D’autres,  plus prosaïques, interprètent la restruc-turation comme le prélude à une uturecession de l’enseigne (14). « La criseest un alibi, analyse M. Guedjdal. La  Fnac est en bonne santé, comme l’aconirmé un rapport d’experts destinéaux membres du comité central d’entre- prise. Les arguments et la stratégie de ladirection y sont contestés. Il y a surtout une envie du ils Pinault d’augmenter ses proits, de rassurer les actionnaireset de rendre la promise la plus désirableau mieux-disant. »

« Il est navrant que cet actionnaire uti-lise la Fnac comme une vitrine. Commeune enseigne éthique et morale. C’est un paravent, avec derrière une clique d’a- airistes », ajoute M. Guedjdal. Toutcomme avec le rachat de Christie’s etl’installation de ses œuvres à Venise,M. François Pinault a profité de l’aura de

Suppression du service paie adossé àchaque magasin, externalisation du ser-vice inormatique... La politique dedébauche est continue, avec un recourssystématique à la sous-traitance (12).

En 2008, peu avant de prendre la direc-tion du  Nouvel Observateur, un hebdo-madaire classé à gauche, M. Olivennesannoncera simultanément des résultats« brillantissimes » et la suppression detrois cents postes administratis imputableaux changements dans l’environnementde la Fnac  – comme la chute des ventessur le marché du disque, la disparitiondes travaux photographiques et l’émer-gence d’Internet. « En 1982, on était sixcent cinquante aux Halles, aujourd’huiquatre cent trente, temps partiels inclus. Avec un volume d’activité identique, mal- gré un léger recul début 2009. Je ne sais pas si l’on ressent les efets de la crise,mais c’est sûr qu’on ressent le manque de personnel », ironise M. Christian Lecanu,élu CGT, un « historique » de la boutique.

Les syndicats parlent de huit centsemplois disparus sur les sites parisiensdepuis trois ans. La province n’est pasépargnée, comme à Nice, où vingt-sept  postes en contrat à durée indéterminéen’ont pas été remplacés entre 2004 et2007. « A la Fnac, les salariés sont deve-nus la variable d’ajustement », résumeM. Hachémi Guedjdal, qui, en 2008, a porté plainte pour licenciements raudu-leux. Deux jours après notre entretien, cedélégué central FO Paris « passait » aux prud’hommes pour discrimination syndi-cale après dix-neu ans sans augmentationde salaire! Il n’est pas le seul dans ce cas :M. Maclos, arrivé quelques mois aprèsl’ouverture du magasin du Forum desHalles, gagne 1 500 euros net, après trenteans de service (13) !

Pour certains, l’actuelle crise de laFnac est à mettre en parallèle avec ledéclin du modèle mutualiste, qui a vu laCami, autre entreprise symbole, déposer le bilan. « Dans le cas de la Fnac, il  s’agit plutôt d’un réajustement : il y a unereconversion vers la technologie. Lenumérique et les produits liés à la téléphonie ont remplacé la photographie

et les produits éditoriaux [livres etdisques] », note M. Chabault. « La Fnaca abandonné le modèle discount dès lesannées 1980. D’ailleurs, les vendeurs ledisent : les clients viennent se renseigner

CÉLÉBRANT LE NON-CONFORMISME

du marketing culturel

l’enseigne. La mise en place du systèmeGlobalNetXchange (GNX), qui permetde regrouper les achats lointains (à com-mencer par ceux eectués en Chine)avec d’autres enseignes et de pratiquer des enchères inversées ain de aire bais-ser les coûts, a une conséquence : impo-ser de placer à tout prix ces produits, peuchers mais non retournables.

Dès lors, avec de tels stocks imposés,

l’enseigne ne peut plus se payer le luxede tests comparatis, dont l’impartialitéétait louée comme un gage de qualité.« Tout cela ait que la Fnac trahit l’une de ses valeurs ondatrices : l’indépendancevis-à-vis des ournisseurs », constate,amer, M. Eric Maclos, élu de la Coné-dération générale du travail (CGT), dontle rayon poésie, à la Fnac Forum (Paris,1er arrondissement), est considéré commetrès complet. Responsable depuis quinzeans du meilleur rayon jazz de l’enseigne,à Montparnasse, M. Olivier Gasnier,représentant du personnel pour le syndi-cat SUD, ait de la résistance : « En dépit du discours de açade qui consiste à direqu’il n’y a pas de déréérencement et àairmer par voie de presse qu’il aut  préserver la diversité, la perte est visibleà l’œil nu : quinze mille réérences enmoins à Montparnasse, tout comme uneréduction continue du linéaire. Avecnotre espace d’autonomie, on était un peu comme le village gaulois. »

Dans cette mascarade, l’indépendantest la dupe et les clients sont les dindons.« Ils sont réduits au stade de la volaille,s’insurge M. Maclos. On leur vend des packs inormatiques avec des extensionsde garantie et des assurances inutiles. Il  s’agit surtout de aire payer un serviceaprès-vente qui n’existe plus. » La miseen place depuis deux ans de la « variableindividuelle magasin », une prime per-sonnalisée et indexée à la vente de pro-duits financiers, a sans aucun doute dis-sipé les dernières illusions des salariés.Désormais mis en concurrence entre eux,

les voilà sommés de placer des exten-sions de garantie, des crédits à la consom-mation aux taux élevés...

Sans oublier les accessoires et gadgets,qui n’ont d’autre intérêt que d’augmenter les marges bénéficiaires (10).En revanche,l’autonomie de chaque vendeur sur sonrayon a sévèrement baissé. « Je place deschoses que je n’ai pas commandées »,concède M. Xavier Pillu, au rayon des

disques variétés de la Fnac Ternes (Paris,8e arrondissement) depuis vingt-trois ans.Mandaté par Force ouvrière (FO) aucomité d’hygiène, de sécurité et des condi-tions de travail (CHSCT), ce vendeur sedéfinit comme « simple rangeur de bacs ».« On assiste à une déqualification géné-ralisée, avec une exigence de mobilité et de polyvalence », ajoute M. Maclos, poin-tant, entre autres, le projet « Métiers » qui,entre 2004 et 2008, visait à une redéfini-tion des proessions et missions de l’en-seigne. Celle qui pousse les vendeurs dumagasin de Bastille à se reconvertir.

A NNONCÉ en évrier 2009, amendé enseptembre par l’intersyndicale pari-

sienne, qui avait saisi le tribunal degrande instance, le « plan de sauvegardede l’emploi » s’inscrit dans une longueérosion des conditions de travail. Depuisquinze ans, les conflits avec les syndi-cats se multiplient, ces derniers stigmati-sant une militarisation de la vie de l’en-treprise, à la suite de la mise en placed’un règlement intérieur  « ultrarépres- si », d’une dévalorisation de l’enseigneet d’une précarisation galopante (11).

la Fnac pour conorter son image demécène éclairé.

D’ailleurs, conscient du bénéfice idéo-logique, l’actionnaire n’a pas remisé levernis qui a ait tout le lustre de la Fnac.

Ainsi, sur le site de PPR, on peut lireencore que « l’enseigne se distingue de saconcurrence par un positionnement demarque unique ondé sur l’exaltation du plaisir de découvrir la diversité des cul-tures et des technologies. La singularité del’ofre de la Fnac consiste à mettre à dis- position un assortiment inégalé de livres,disques, DVD, jeux vidéo et produits tech-niques. Cette ofre s’appuie sur un conseil impartial et innovant. » Ce qui ne manque pas d’agacer les premiers concernés. « Il ya encore toute une espèce de clientèle quiest persuadée d’être dans le top du boboen lisant  Télérama et en achetant sesdisques à la Fnac, et qui ensuite se gar-  garise pendant trois heures sur la mal-boufe ! », lance M. Grégoire Rameaux,disquaire indépendant à Toulouse (15).

Ce à quoi la amille Pinault rétorquera par des aits concrets : à la pointe des com- bats et soucieux de son prochain, le groupePPR a financé à hauteur de 10 millionsd’euros (pour un total de 12 millions) lefilm-événement Home, « documentaire en  aveur de la cause environnementale »,selon le site de la Fnac, qui en a obtenu ladistribution exclusive. Sauver la planète, si  possible en aisant quelques bénéficesgrâce à la vente de palettes de DVD spon-sorisés, vaut bien quelques sacrifices – àcondition qu’ils ne s’éternisent pas. Le24 novembre, M. François-Henri Pinault aannoncé au Wall Street Journal son inten-tion de céder la Fnac (et Conorama) pour se recentrer dans le luxe, beaucoup plusrentable que la distribution.

 JACQUES DENIS.

(10) Lire Que choisir, « La culture du profit maxi-mal », Paris, juin 2009, où l’on apprend que l’employémodèle, baptisé « lauréat», peut se voir ofrir unchèque cadeau de 500 euros pour avoir placé les pro-duits ad hoc...

(11) Par exemple, les temps partiels ont été multi- pliés par deux depuis 2001 (30 % en 2008), selon lessyndicats.

(12) De nombreuses grèves ont rythmé lesannées 2000, dont celle qui, en 2002, visait à unecohérence des statuts des magasins parisiens. La direc-tion pliera, mais ne tardera pas implanter des Fnac« vertes » en périphérie, où s’applique le pilotageautomatique par centrales d’achat et où les vendeurs

 bénéficient d’une convention collective adaptée, c’est-à-dire a minima, par branche.

(13) Lire les deux articles parus dans Siné Hebdo (10 juin et 5 août 2009) qui détaillent par lemenu les pratiques de harcèlement et les pressions sur les syndicalistes.

(14) « Nous sommes dans la liste des actis à céder.On est en train de devenir un super-Darty, plus ren-table, et tout est ait pour améliorer notre bilan afinque PPR en tire le meilleur prix», expliquaitMme Gaëlle Créach, déléguée SUD en 2006 ( Le Nou-vel Observateur, Paris, 5 octobre 2006).

(15) Charlotte Dudignac et François Mauger,op. cit.

Recourssystématique

à la sous-traitance

Pour M. François Pinault,un billet d’entrée

en grande bourgeoisie

CARLOS AIRES. – « Garden of Delights»(2009)

   A   E   R   O   P   L   A   S   T   I   C   S ,   B   R   U   X   E   L   L   E   S   (   W   W

   W .   A

   E   R   O   P   L   A   S   T   I   C   S .   N   E   T   )

Tous les dix ans environ depuis 1973, la sta-

tistique publique décrypte sous un anglesociologique le rapport des résidants rançaisà la culture. Reposant sur cinq mille entretiensapproondis, la livraison 2008 met l’accentsur l’essor de l’univers numérique et sesconséquences. L’ouvrage examine successi-vement l’évolution de l’équipement audiovi-suel et inormatique des ménages, l’usage desmédias audiovisuels et du cinéma, la réquen-tation des livres, des journaux, des équipe-ments culturels et, enin, détaille les pratiquesen amateur. Une comparaison avec la précé-dente enquête menée en 1997 – l’Internetgrand public balbutiait alors – met en pers- pective l’émergence chez les 15-34 ans d’une« culture de l’écran » qui se substitue partiel-lement à la « culture de l’imprimé ».

Pourtant, ni l’âge, ni Internet, ni la disposition

manieste de l’auteur à réléguer au second planles déterminismes sociaux n’atténuent l’emprisede ces derniers. L’origine de classe, la proessionet le niveau éducati surdéterminent toujours lerapport à l’art et à la culture : un ouvrier a dix-sept ois moins de chances qu’un cadre d’aller authéâtre trois ois par an, un sans-diplôme a dixois moins de chances d’être internaute qu’undiplômé du supérieur, un universitaire passe plusde temps devant les « nouveaux écrans» quedevant son téléviseur, contrairement à la cais-sière. Dès lors, « les pratiques culturelles tradi-tionnelles ont tendance à augmenter avec les

 pratiques numériques ». Ici comme ailleurs, lalogique des inégalités est cumulative.

PIERRE RIMBERT

LES PRATIQUES CULTURELLES DES FRANÇAISÀ L’ÈRE NUMÉRIQUE. Enquête 2008. – Olivier Donnat.

 La Découverte - Ministère de la cultureet de la communication, Paris, 2009, 282 pages, 20euros.

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 20097E NTRE DOMINATION SUD-AFRICAINE ET CONCURRENCE MONDIALE

Convoitises autour du MozambiqueDix-sept ans après une guerre civile longue et dévastatrice (1975-

1992), le Mozambique est considéré comme l’exemple d’une

reconstruction réussie. Cependant, le pays doit faire face aux

carences d’une économie conçue, depuis la colonisation portugaise,

pour satisfaire d’abord les besoins des pays voisins, notammentl’Afrique du Sud. L’arrivée de nouveaux partenaires (Australie, Brésil,

Inde, etc.) pourrait changer la donne dans les secteurs-clés de

l’énergie, des infrastructures et des mines.

P A R N O T R E E N V O Y É E S P É C I A L E

A U G U S T A C O N C H I G L I A *

ACAIA, dans la province deSoala, au cœur du Mozam- bique, le président ArmandoGuebuza a inauguré engrande pompe un pont sur le

Zambèze, le quatrième plus long fleuved’Arique, le 1er  août dernier. Cette céré-monie revêtait une importance politique particulière. La Zambézie, où débouchel’ouvrage d’art, est en efet l’une desrégions ayant le plus soufert de la guerrecivile qui, de 1977 à 1992, a opposé leFront de libération du Mozambique (Fre-limo), alors d’obédience marxiste(1), à laRésistance nationale du Mozambique(Renamo), soutenue par le régime d’apar-theid sud-aricain. Depuis des décennies,ses autorités, mais également l’ensemble decelles de la moitié nord du pays, récla-maient la construction d’un pont qui lesrelierait au sud, plus riche, et siège du pou-voir politique.

La satisaction du président Guebuza estcomplète : lors des élections générales du28 octobre, la Zambézie, comme les autresrégions rondeuses de Soala et Nampula,a, pour la première ois, voté en majorité pour le Frelimo au pouvoir. Le « pont del’union» y a certainement contribué.

Le Mozambique est l’exemple d’unereconstruction postconflit réussie. Dansleur rapport annuel 2009 sur l’Arique, laBanque aricaine de développement (BAD)

et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) soulignent ainsi la « stabilité macroécono-mique et politique » du pays, une « impres-  sionnante croissance moyenne de 8 %,entre2000 et2006 » (2). En outre, cet Etatconsacre une part élevée de son budget àl’éducation (22 %). Touteois, avec unrevenu moyen par tête de 230 euros, leMozambique demeure parmi les pays les plus pauvres du monde, avec des inégalitéscroissantes entre les régions, dont certainessont de surcroît réquemment rappées par des catastrophes naturelles – inondations et

* Journaliste.

vagues de sécheresse. Maputo est ainsi undes premiers bénéficiaires de l’aide publique au développement en Ariquesubsaharienne (3).

Depuis la dernière période de la coloni-sation portugaise (1895-1975), le Mozam- bique est solidement connecté aux zonesdynamiques de l’ancienne Rhodésie(actuels Zimbabwe et Zambie) et del’Arique du Sud, dont il est le débouchénaturel. Les revenus des « couloirs » (erréet routier) de Maputo et de Beira, au centredu pays, desservant ces Etats – auxquelss’est ajouté le chemin de er de Nacala, aunord, destiné à désenclaver le Malawi – ontlongtemps constitué une des principalesressources du Mozambique (avec les trans-erts de onds des migrants travaillant dansles mines sud-aricaines). Ces revenus ontdécliné pendant la guerre civile car Preto-ria avait réduit ses investissements et privi-légié la liaison avec le port de Durban.

Le conflit étant terminé, Maputo tente dediversifier son économie. A cette fin, il nemanque pas d’atouts : l’énergie (gaz,hydroélectricité et probablement pétroleen ofshore), les mines (charbon, titane, or, pierres précieuses), le tourisme – en aug-mentation sensible –, et bien sûr l’agricul-ture et la pêche, qui constituent toujours27 % du produit intérieur brut (PIB).

Une série de « mégaprojets » ont vu le

 jour au cours des années 2000 dans le sec-teur de l’industrie lourde extractive. Ilsillustrent les contradictions dans lesquellesse débat l’économie mozambicaine. Parmiceux-ci, mobilisant des milliards de dollarsd’investissements, se trouvent le dévelop- pement de l’extraction du gaz – dont 95 %est transporté par gazoduc jusqu’enArique du Sud –, dans la province d’In-hambane, par la sud-aricaine Sasol, et laonderie d’aluminium Mozal. Créée par un consortium que dirige le géant anglo-australien BHP Billiton (4), celle-ci a vuses capacités doubler entre 2000 et 2002.

de HCB, à un consortium de banques qui,dirigé par le rançais Calyon, a avancé lasomme. En novembre 2007, le Mozam-  bique s’assura enfin 85 % des parts deHCB, véritable joyau de la couronne : « Ce fut pour nous comparable à une deuxième

indépendance », confie ainsi le directeur duministère de l’énergie, M. Pascoal Bacela.Sur sa table, sept nouveaux projets visentà générer plus de 6 000 mégawatts d’élec-tricité et à transormer le pays en un expor-tateur régional majeur.

Les capitaux sud-aricains constituent35 % des investissements directs étrangersau Mozambique. Deux cent cinquantesociétés sud-aricaines y sont installées.Les exportations sud-aricaines vers ce pays excèdent de vingt ois les exportationsmozambicaines en Arique du Sud.

Considérée comme un pays à revenuintermédiaire comparable au Brésil,l’Arique du Sud, dont la puissance éco-nomique a été en partie construite grâce àla domination qu’elle a longtemps exercésur la région australe – avec le consente-ment des colonisateurs portugais et bri-tannique –, joue un rôle crucial dans ledéveloppement local, où son expansion aconnu une ulgurante progression après la

fin de l’apartheid. Cependant, l’irruptiond’autres acteurs mondiaux mus par lesrichesses du sous-sol l’a quelque peuéclipsée au Mozambique. Depuis 2007, letotal des investissements du Brésil et del’Australie dépasse celui de l’Arique duSud. Le charbon – et, dans une moindremesure, le titane – se trouve au cœur decet engouement.

Longtemps perçu comme une ressourcemineure, le charbon a soudain attiré lesgéants miniers. D’abord la brésilienneVale (ancienne Vale do Rio Doce,deuxième entreprise mondiale) a remportéle premier appel d’ofres pour le site deMoatize. Puis, l’australienne Riversdale,associée à l’indienne Tata Steel, a obtenuune deuxième concession sur un sitecontigu à celui de Vale. Et, surprise, les premières explorations ont révélé l’exis-tence d’un des plus grands gisements decharbon à coke du monde. Les deux com- pagnies prévoient d’atteindre en quelquesannées une production – considérable – de

20 à 25 millions de tonnes par an chacune.Depuis, d’autres géants de l’acier, telArcelorMittal, sont sur les rangs.

Le problème du transport n’est cepen-dant pas résolu, les inrastructures étantsous-développées ou mal orientées. La

ligne de chemin de er dite « de Sena »(650 km reliant Moatize au port de Beira),et celle dite « de Beira» (de l’océan Indienau Zimbabwe et, plus loin, au port angolaisde Lobito, sur la côte atlantique), datent dudébut du siècle dernier. La ligne de Senan’aura pas les capacités requises, malgré laréection lancée en 2002. Les travaux, quiseront terminés début 2010, ont été confiésau consortium Rites & Ircon, filiale de lacompagnie nationale des chemins de er del’Inde (Indian Railways), qui assurera lagestion de la ligne et era sa première per-cée en terre aricaine. Riversdale songe,quant à lui, à transporter une partie ducharbon sur des barges, le long du fleuve, jusqu’au delta du Zambèze, des centainesde kilomètres plus à l’est.

Les deux compagnies ont chacune   programmé l’édification d’une centralethermique sur leurs sites respectis(1 800 mégawatts) pour alimenter en éner-gie les mines et le réseau national. Vale etRiversdale rivalisent en promesses quant

à l’utilisation de procédés propres ultra-modernes – les écologistes mozambicainssurveillant l’ensemble de ces projets.

Entre dépendance vis-à-vis de l’Ariquedu Sud, partenaire incontournable mais pas toujours très commode, et dépendanceà l’aide internationale, le chemin duMozambique est étroit. Mais peut-être pas pour longtemps.

(1) Le Frelimo s’est, depuis, converti à l’économiede marché.

(2) « Perspectives économiques en Arique», 2009,www.oecd.org/bookshop

(3) L’aide nette totale a été de 873 millions d’eurosen 2008, dont un tiers destiné à combler le déficit budgétaire.

(4) Avec la japonaise Mitsubishi, l’Industrial Deve-

lopment Corporation o South Arica et le gouverne-ment du Mozambique, qui détient 3,9 % du capital.

(5) Les contrats signés par Eskom avec Mozal etd’autres multinationales, à des prix en dessous deceux du marché, sont en partie responsables de lagrave crise inancière que connaît la compagniesud-aricaine, dont le directeur vient de démissionner.

MaputoXai-Xai

Mapai

Lichinga

Nampula

Nacala

Mozambique

AltoMolócuè

Quelimane

NammaroiTeteMoatize

Beira

Caia

Inhambane

Ancuabe

Matola

Pemba

ChibutohibutoChibuto

Moma

TANZANIE

ZAMBIE

AFRIQUEDU SUD

MALAWI

SWAZILAND

ZIMBABWE

LacMalawi

Lac deCahora Bassa

  R o  v u m

 a

    L   u  g   e

  n d a

C A B OAB O

D E L G A D OE LGADO

C A B OD E L G A D O

N I A S S A

N A M P U L A

Z A M B É Z I E

SOO F AL ALAS O F A L A

M A N I C A

T E T E

G A Z A

I N H A M B A N E

 M e s s a  l o

L ú r i o

L  i     g  o   n   h   a    

 L    i         c        

o      n      

  g    o   

 Z    a   m b  è  z  e   

B   ú    z  i   

 S a v e

C     h    a     

n       

   g      

 a n e

OCÉANINDIEN

  C a n a l d uM o z a m b i q u e

0 150 300 km

Barrage deMassingir 

Barragede Mapai

Fonderied’aluminiumMozal

Extraction de gaz naturel

Complexe pétrochimique

Projet debarrage

de Manica

Barrage deCahora Bassa

Projet debarrage de

Mpanda-Uncua

Barrages et centraleshydroélectriques

existants en projet

Grands projets dedéveloppement industriel

Voies ferrées

existantes en projet

Ressources minières

Graphite

Titane et zircon

TantaliteOr

Pierres précieuses

Charbon

Sources : International Rivers ; United States Geological Survey (USGS) ;ministère des ressources minières du Mozambique Reuters ; AssociatedPress ; Mining Review Africa ; Mozambique News Agency.

Minéraux et sables lourds

PHILIPPE REKACEWICZ 

Casamance

Exportateur et... importateur d’électricité

CEPENDANT, la plupart de ces opérationsont été mises en place dans le cadre de

« zones ranches » encouragées par les ins-titutions financières internationales et nerapportant que très peu à l’Etat. Il n’est

donc pas étonnant que, malgré l’augmen-tation exponentielle des exportations, ledéficit global de la balance des paiementsait été, en 2008, de 800millions de dollars.Le manque à gagner fiscal équivaudrait  presque au déficit du budget de l’Etat,actuellement financé par les donateurs.

Pour l’économiste Carlos Nuno CastelBranco, l’installation de Mozal au Mozam- bique n’est pas vraiment le résultat des exo-nérations fiscales qu’on lui a accordées.Elle tient surtout au mode d’expansion éco-nomique de l’Arique du Sud, première puissance régionale et à double titre partie prenante de ce projet : en tant qu’action-naire du consortium et en tant que pour-voyeuse d’électricité. En efet, l’investisse-ment de BHP Billiton a été associé aucontrat signé avec les sociétés d’électricitédu Mozambique (EDM), du Swaziland (SEB) et de l’Arique du Sud (Eskom), quiont créé l’opérateur de transport indépen-dant Mozambique Transmission Com-

 pany (Motraco) afin d’approvisionner laonderie. « Eskom avait conditionné soncontrat à long terme avec Mozal à la loca-lisation de la fonderie au Mozambique,explique M. Castel Branco, afin de viabili- ser son réseau électrique régional. »

Largement déficitaire en énergie etconrontée depuis quelques années à unegrave pénurie d’électricité, l’Arique duSud accorde plus que jamais une impor-tance stratégique à la mise en valeur du potentiel hydroélectrique de son voisinmozambicain (5). La compagnie natio-nale sud-aricaine, qui ournit 95 % de

l’électricité d’une « nation arc-en-ciel »en pleine croissance, est le premier ache-teur de l’énergie produite par le barrage deCahora Bassa (Hidroelectrica de CahoraBassa, HCB).

Construit en 1974 dans la province sep-tentrionale de Tete par un consortium por-tugais, HCB avait été conçu pour approvi-sionner en priorité l’Arique du Sud, leMozambique ne disposant pas à l’époqued’un parc industriel permettant de rentabi-liser un tel investissement. La ligne à hautetension qui émane du barrage traverse larontière avec le Zimbabwe toute proche etse prolonge jusqu’en Arique du Sud, tou- jours en dehors du territoire mozambicain.

Maputo rachète à Eskom l’électricitédont il a besoin, particulièrement pour lazone sud, la plus développée du pays, à des prix âprement négociés. En l’absence d’unraccordement nord-sud à l’intérieur mêmedu Mozambique – dont le coût est évaluéà 2,3 milliards de dollars –, cette dépen-dance demeurera. Sur les 2 000 mégawattsde capacité de production de HCB, 400seulement sont destinés au Mozambique,200 au Zimbabwe voisin – qui a accumulé

de nombreux impayés ! – et 1 400 àl’Arique du Sud, conormément aucontrat qui expire en 2029 !

Cherchant à conquérir son indépendanceénergétique, le gouvernement mozambi-cain s’était donc fixé comme objecti la prise de contrôle de HCB, détenu à 82 % par le Portugal. Longtemps paralysé par lessabotages de la Renamo, HCB avait accu-mulé près de 2 milliards d’euros de dettes.

Finalement, la dette ut ramenée à700 millions de dollars (470millions d’eu-ros). Le ministère de l’énergie s’engagea àla rembourser en douze ans, sur les recettes

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 8

PA R N O T R E E N V O Y É

S P É C I A L J E A N S A B A T É *

TORTURÉE! Vladivostok est uneville torturée ! D’abord, par sasituation géographique. Qu’onimagine une agglomération de plus de six cent mille habitants,

au bout d’une presqu’île de trente kilomè-tres de long, et qui n’aurait que deux routesd’accès. L’une sinueuse, à deux voies pleines de nids-de-poule – à voir les nids,ce sont des poules du crétacé, avec desdents de tyrannosaure –, et l’autre, certes àquatre voies, mais sur laquelle les bou-chons sont proverbiaux – pis qu’à Moscou,ce qui n’est pas peu dire.

Bien sûr, il y a le mythe: tout y renvoie,dans cette configuration dentelée qui ofredes sites portuaires magnifiquement mor-celés. La «Corne d’or» d’ici – c’est sonnom en russe –, partagée entre les portscommerciaux et militaire, ouvre sur le Bos-  phore oriental, et les petites baies qui ydébouchent ont des noms de légende : Dio-mède, Ulysse, Ajax, Patrocle... Le site estantastique, mais très contraignant. Enville, pratiquement toutes les berges sontoccupées par des installations portuairesinterdites d’accès, avec pour résultat qu’iln’y a au centre qu’une plage de troiscents mètres de long et quelques accès publics défiant l’imagination, dignes d’unezone industrielle napolitaine.

Torturée par la civilisation de l’automo- bile, ensuite. On dit qu’il y a plus de voi-tures que d’habitants, et on est tenté de lecroire. On a rarement vu un tel chaos, et leait que 99,9 % des véhicules aient un

volant à droite tout en roulant à droite n’yest même pas pour grand-chose. Commedans beaucoup de villes russes, les urba-nistes n’avaient pas prévu l’«automobili-sation» de masse, et ils n’ont pas vraimentcherché à s’y adapter.

Torturée par la voracité des hommes,aussi. La ville et la région Littoral (enrusse Primorskii Kraï ) sont réputées pour être parmi les plus mafieuses et corrom- pues de Russie. Sur place, on a l’impres-sion que les édiles étaient plus occupés,ces dernières années, à se partager tout cequi pouvait présenter un intérêt immobi-lier spéculati qu’à reaire les trottoirs,moderniser les réseaux d’eau ou de tout-à-l’égout, etc.

Le résultat est sidérant: état lamentabledes immeubles, des inrastructures, de lavoirie – à première vue, on a du mal àimaginer qu’il soit possible de aire rou-ler des tramways sur des rails et des

aiguillages aussi tordus. Tout un quartier XIXe -début XXe, au centre, mériteraitd’être restauré. Il aut lire le petit livre oùJoseph Kessel raconte son passage à Vla-divostok comme ocier pilote sans avion,en 1919 : une plongée envoûtante dans unmonde en perdition (1)... Du vieux quar-tier chinois, dont on voit de magnifiques photographies dans les livres du début dusiècle dernier, il ne reste qu’un ensemblede maisons en brique à un ou deux étages,actuellement sur la sellette car certainsvoudraient l’abattre (il est très bien placé,en plein centre-ville).

largement tournée vers le commerce exté-rieur. Mesures contre l’exportation de er-railles puis de bois brut, contrôle renorcésur les prises de pêche dans les ports : toutcela a encore afaibli une activité écono-mique ragilisée par l’éloignement des principaux centres du pays et renorcé ausein de la population l’opinion selonlaquelle Moscou se désintéresse de l’Ex-trême-Orient russe. La population réagitd’ailleurs «avec les pieds», comme l’on ditici : les taux d’émigration vers d’autresrégions du pays ont atteint des niveauxrecord, et la ville de Vladivostok elle-mêmene cesse de perdre des habitants.

Dans ce contexte déjà tendu, l’adoption par le gouvernement, en décembre 2008,d’un décret augmentant de açon signifi-cative les taxes à l’importation de voituresd’occasion, à compter du 11 janvier 2009,

a été la goutte qui a ait déborder le vase, provoquant des maniestations sans précé-dent récent. Une association inormelle, baptisée TIGR («Camaraderie des citoyensactis de Russie»), et le Parti communisterusse ont pris la tête de ce mouvement,mais celui-ci les dépassait largement. Le14 décembre, plus de dix mille manies-tants bloquaient complètement le centre,alors que d’autres tentaient sans succèsd’envahir l’aéroport. Débordés, la milice etles OMON – sorte de Compagnie républi-caine de sécurité (CRS) russe – n’ont rien

* Chercheur.

La crise

vue de Russie

Recul de la production industrielle

et du produit intérieur brut,

baisse des salaires et montée du chômage :

la Russie est rappée par la récession.

 Mais la crise afecte de açons

très diférentes les villes et les régions.

Le pouvoir russe essaie

de contenir le mécontement.

KAZAKHSTAN

MONGOLIE

CHINE

UKRAINE

BIÉLORUSSIE

FINLANDE

CHINE

OCÉAN ARCTIQUE

Mer Caspienne

Mer d’Aral

Mer Baltique

Mer d’Azov 

Mer d’Okhotsk 

JAPON

Pikalevo

Saint-Pétersbourg

Moscou

Vladivostok

P l a t e a u d eS i b é r i e c e n t r a l e

PAYS BALTES

0 1 000km

(1) Joseph Kessel, Les Temps sauvages, Gallimard,coll. «Folio», Paris, 1978.

(2) Ville portuaire où les éléments naturels restrei-gnent l’espace disponible pour l’urbanisation, Van-couver ne s’en est pas moins considérablement déve-loppée ces dernières années. Elle est la troisièmeagglomération en importance du Canada.

(3) Kommersant , Moscou, 5 juin 2009.

(4) « Les gouverneurs se sont privés de tout»,  Novaïa Gazeta, Moscou, 1er  juillet 2009.

Le syndrome

PRIVANT d’eau chaude vingt et un mille habitants, la centralethermique de Pikalevo, petite ville de la région de Saint-Pétersbourg, criblée de dettes, cessa de onctionner le15 mai 2009. Après des mois de tension, ce ut l’étincelle.

Le lundi suivant, l’un des syndicats locaux distribuait des tractsappelant à couper la route édérale Vologda- Saint-Pétersbourgqui passe à l’orée de la ville. Le mardi, trois cents ouvriers del’usine Bazel, appartenant à l’oligarque Oleg Deripaska – le maî-tre de l’aluminium russe –, bloquaient la A 114 en chantant L’In-ternationale. Ils urent bientôt rejoints par les emmes et lesenants des ouvriers des trois usines de la ville, deux cimente-ries et une usine chimique (néphéline). Toutes avaient ermé audébut de l’année, mettant au chômage quatre mille habitants dela ville (1).

En quelques heures, ce ut le chaos : 438 kilomètres de bou-

chons ! Le gouverneur de la région tenta bien de calmer lesmaniestants en leur disant qu’il y avait des emplois dans d’autres villes de la région; rien n’y fit. De son côté, la milicen’essaya pas de les disperser. Les uns afrment que c’étaitpour ne pas risquer de blesser des enants ; d’autres ontremarquer qu’on parlait déjà, ce mardi, de la venue sur placedu premier ministre Vladimir Poutine, et qu’il valait donc mieuxéviter l’arontement.

La crise de Pikalevo est typique de la situation dans ce queles Russes appellent les «villes mono-industrie» (en russe :monogorod ), catégorie désignant en général des cités petites oumoyennes – de vingt mille à cinquante mille habitants –, maisdans laquelle on trouve aussi des grandes villes de la métallurgie où une seule entreprise est l’employeur principal,voire unique.

Pikalevo s’est ormée autour d’un seul conglomérat, cimen-terie et chimie, possédant sa propre centrale thermique. Dansle cadre de la privatisation, cet ensemble a été divisé en troislots. Mais la crise financière, la hausse des taris des chemins deer et de l’énergie, et l’incapacité des trois dirigeants à reconsti-tuer un ensemble cohérent ont acculé les trois usines à la ail-lite. En quelques semaines, début 2009, elles ermaient leursportes, accumulant les dettes et les salaires impayés. La tensionsociale monta, mais, comme souvent en Russie, c’est l’arrêtd’un service vital – ici, la distribution d’eau chaude – qui déclen-cha l’action spectaculaire des habitants. En attendant, on survi-vait d’entraide et de petits boulots annexes, sans oublier l’ap-port des jardins, toujours essentiels dans ces petites villes oùchacun ou presque entretient son potager, «au cas où».

AINSI, le mercredi, le gouverneur régional débloquait un ondsspécial pour payer une partie des salaires et les dettes de lacentrale. Le jeudi, M. Poutine débarquait sur place, accompa-gné, outre les chaînes de télévision édérales, par plusieursministres, le gouverneur régional, le directeur des chemins deer et les trois (!) présidents-directeurs généraux des trois hol-dings propriétaires des usines. De la crise locale, on versaitdans une leçon de politique active, savamment mise en scène.Du grand spectacle, selon le rituel du «bon tsar aux mauvaisboyards (2) ». Visitant au pas de course la cimenterie déserte, lepremier ministre lançait à l’adresse du gouverneur : « Personnene me persuadera que les dirigeants de la région ont tout ait pour aider ces gens.»

(1) Kommersant , Moscou, 3 juin 2009.

(2) Kommersant Vlast , Moscou, 8 juin 2009.

avait été limogé par M. Poutine, mais pour être immédiatement nommé minis-tre... de la pêche. Quant au gouverneur actuel, à la suite de l’obligation aite par M. Medvedev à tous les dirigeants régio-naux de publier leurs revenus et ceux deleurs conjoints, le quotidien moscovite Novaïa Gazeta l’a épinglé en détaillanttous ceux qu’il tentait, selon le journal, demasquer sous divers noms et comptesofshore (4). Les batailles politiques pren-nent souvent ici la voie détournée deskompromat, les rumeurs et les accusa-tions impossibles à vérifier.

Dans le même temps, plusieurs mesures  protectionnistes, adoptées par le gouver-nement pour venir en aide à divers secteursde l’économie russe en crise, ont eu desefets contre-productis pour cette région,

Ces ambitions immobilières croisent la  politique migratoire. Depuis ce tempsqu’évoque Kessel, les Chinois ont étéexpulsés en 1938 (après la bataille du lacKhanka) et les Coréens déportés en 1939(avant la «grande guerre patriotique») ; si bien qu’en dépit des débats sur le «péril jaune», largement entretenus par la presseet les responsables locaux qui en ont aitun argument électoral, il y a moins d’Asia-tiques ici en 2009 qu’au début du XXe siè-cle ou qu’à Moscou aujourd’hui. Il autdire que la ville, interdite aux étrangers jusqu’en 1992, était bien gardée. Cer tainsn’hésitent pas à évoquer avec nostalgie cetemps béni où elle était ermée, propre etfleurie... Ils oublient de signaler qu’à cetteépoque ce type de ville bénéficiait denormes spéciales d’approvisionnement quien aisaient un lieu relativement privilégié.

E NFIN, Vladivostok est torturée par lesambitions politiques. En 2012, Vladi-

vostok accueillera le sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique(APEC). L’événement est d’importancecar la Russie soviétique ut longtempsécartée de ce orum. Le Kremlin compte  bien aire de cette réunion une étapemajeure de sa nouvelle stratégie asiatique.Le gouverneur actuel, M. Sergueï Dar-kine, a saisi la balle au bond et proposé unénorme chantier d’inrastructures desti-

nées, selon les dirigeants régionaux, à airede leur ville la Vancouver locale (2).

Résultat : des années de projets chimé-riques plus coûteux les uns que les autres.Des hôtels six étoiles, des installations decongrès somptuaires et, surtout, un tunnelet deux ponts géants en construction: l’unsur la Corne et l’autre reliant le continentà la grande île Rousskii, plus au sud, del’autre côté du Bosphore oriental. Sau que, sur cette île, il n’y a pratiquement pasd’habitants : quelques installations mili-taires délabrées, quelques datchas, et les plages avorites des résidents car situéessur la mer du Japon (mer de l’Est pour les Coréens), au-delà des courants pol-luants du port. Mais quel terrain pour les spéculateurs...

La presse russe se déchaîne sur ce pontvers nikouda   – le vide. Pour sauver leur coûteux bébé, les dirigeants proposent dedonner les bâtiments construits pour cesommet à la uture Université édérale

d’Extrême-Orient. L’idée suscite l’inquié-tude des universitaires : combien de tempsaudra-t-il pour se rendre sur l’île par lesdeux ponts? Car, en raison de ce pro-gramme qui pompe toutes les subventions,rien n’a été ait en ville pour tenter de ladésengorger des embouteillages et résou-dre les problèmes quotidiens des citadins.Et qui va vouloir, des étudiants et des ensei-gnants qui logent tous dans la partie cen-trale et nord de l’agglomération, aller sui-vre ou donner des cours sur ce campusinsulaire, loin de tout?

Déjà on entend des pronostics unèbres :les étudiants vont changer d’université et

s’inscrire dans celles (car, bien sûr, c’est laconcurrence) qui resteront en ville – les-quelles s’en élicitent déjà. Le présidentrusse Dmitri Medvedev doit avoir conscience du problème. Dans un entretienrécent, il dit de Vladivostok : «C’est uneville magnifique, très belle, mais assassi-née; il n’y a même pas de canalisationsnormales; tout y est vieux et branlant...»Selon lui, cependant, le sommet est unechance pour la ville, «un bon prétexte» pour commencer des travaux sérieux (3).Pour la ville ou pour ses dirigeants?

Certains annonçaient un changementde gouverneur, mais M. Vladimir Poutineest venu le soutenir en septembre der-nier. Le précédent, personnage-symboledes années Boris Eltsine, décrit commeun gros bonnet de la mafia de la pêche,

Vladivostok gagnée par la fièvre sociale

Une étapedans la stratégie

asiatique de Moscou

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 20099

Moscou a vite réagi à ces premiersdébordements. Dûment tancés, les diri-geants locaux ont dû revenir sur leur pre-mière réaction et expliquer la sagessedes décisions gouvernementales, redou- blant le mécontentement de leurs conci-toyens. La nouvelle maniestation desTIGR, annoncée pour le 21 décembre, acette ois été dispersée violemment par les OMON. Les chaînes nationales gar-daient le silence sur cette révolte, secontentant de vanter les quelques conces-sions proposées par le Kremlin: une aideau transport des voitures de abrication

russe en Extrême-Orient pour égaliser les prix, et la promesse d’abaisser le prixdes billets d’avion vers la partie euro- péenne pour les étudiants et les retraités.Cela n’a pas empêché d’autres manies-tations début janvier, lors de la mise enœuvre du ameux décret; mais, le roid etles OMON aidant, les autorités ont réussià éviter une extension de la ronde.

Pourtant, sur le ond, rien n’est réglé.  Nombre d’experts russes critiquent lesmesures protectionnistes prises par legouvernement pour tenter de sauver lesconstructeurs automobiles nationaux dela aillite : accompagnées de nouvellesaides financières massives, elles n’ont jusqu’ici rien donné. Personne n’a réussià casser le cercle vicieux de la corruption,du laisser-aire et de l’économie admi-nistrée qui explique que ces entreprisescontinuent de produire des véhicules dontles usagers ne veulent pas.

En ces premiers jours de mai, le beautemps est enfin revenu. Mais, entre lesmaniestations sous contrôle du 1er Mai etla célébration de la victoire du 9 Mai,l’ambiance demeure maussade. Le porttourne au ralenti : le volume de ret subitde plein ouet les efets de la réduction desactivités. On ait le gros dos en attendantla fin de la crise et en vivant sur les

réserves. Il y a ceux qui espèrent que legouvernement finira par supprimer ouatténuer ce décret et que les afaires pour-ront enfin reprendre. Mais la plupart sont pessimistes et prévoient déjà le pire : cetépisode va encore afaiblir une économieragile, que ne sauvera pas l’organisationdu sommet de l’APEC. On assistera seloneux à une nouvelle vague de départs deRusses vers la partie européenne, et cesont les éléments les plus jeunes et dyna-miques qui partiront les premiers.

E N MÊMETEMPS, la crise a pris un tour-nant plus politique. Dès janvier 2009,

une commission de la Douma édérale (leParlement russe) émettait un rapport accu-sant les organisateurs des maniestationsd’être des agents manipulés de l’étranger :«On peut considérer les manifestations demasse contre la hausse des tarifs doua-niers comme une action organisée dedéstabilisation de la situation sociale dans plusieurs régions de Russie (...)  , actionconduite selon un scénario unique rappe-lant celui des révolutions orange.» Et deconclure que ces actions, manipulées par 

des «technologues étrangers», ont «pourbut principal de tenter de détacher l’Ex-trême-Orient de la Russie (6)».

En dépit, il est vrai, de quelques anionsorange brandis par certains maniestants, ila été amplement démontré que cette pré-tendue menace de sécession de la part desRusses d’Extrême-Orient n’était qu’unépouvantail mis en avant à l’époque del’ancien gouverneur par une partie desélites locales pour mobiliser les citoyens enleur aveur. Mais, à Moscou, on préèresans doute ne pas réellement discuter del’état de l’opinion régionale telle qu’elle estrévélée par un rapport de Viktor Larine, ledirecteur de l’Institut d’histoire de Vladi-vostok. A la question «D’où viennent les principales menaces contre les intérêts dela Russie et de ses territoires d’Extrême-Orient?», les habitants de la région ontrépondu lors d’un sondage de açon assezclaire : pour 47% d’entre eux, la premièremenace est la «mauvaise politique de Mos-cou». Seuls 37 % évoquent la «puissancemilitaire chinoise» et 36 % l’«hégémo-nisme américain (7)»...

 JEAN SABATÉ.

 pu aire, sinon minimiser l’importance dela maniestation, d’autant que nombre dedéputés locaux participaient au mouve-ment. Les 15 et 17 décembre, signe del’importance du malaise, l’assembléerégionale puis la Douma (assemblée) de laville demandaient ociellement au prési-dent Medvedev et au premier ministre Pou-tine de revenir sur cette décision (5).

L’ampleur de ce mouvement d’humeur s’explique par l’importance de ces impor-tations pour la région. Les automobilistesrusses préèrent de loin les voitures

importées aux productions nationales,réputées de qualité médiocre et dont lesélites elles-mêmes, qui ne roulent qu’enBMW, Mercedes ou Porsche Cayenne, sedétournent. En Extrême-Orient et danstoute la Sibérie orientale, où il n’existeaucune usine automobile, le problème sedouble du ait qu’il aut aire venir lesvoitures russes de la partie européenne,ce qui accroît leur prix. Plus de 90 % desvoitures utilisées ici sont donc japonaises(c’est-à-dire avec un volant à droite) oucoréennes, d’occasion le plus souvent. Etun secteur économique à part entière s’estdéveloppé, qui approvisionne toute laRussie d’Asie.

AU-DELÀ DES MARINS, des dockers etdes personnels commerciaux qui

achètent en Asie puis gèrent ce flux de plu-sieurs dizaines de milliers de véhicules par an, il s’agit en ait d’une véritable industrie.Certains, pour contourner des règlementsde plus en plus contraignants, vont jusqu’àdémonter et scier en deux les châssis desJeep japonaises pour les importer «en kit»et les remonter sur place, en proposanttoutes sortes d’adaptations des véhiculesaux besoins de l’utilisateur final. On parlede près de cent mille emplois dans la régionLittoral, avec la particularité qu’il s’agit  pour l’essentiel de petites et moyennesentreprises indépendantes. La tentation demettre au pas ce secteur, échappant aucontrôle des autorités tant édérales quelocales, n’est d’ailleurs pas tout à ait étran-gère à cette bataille.

Pikalevo

Aucune menacede sécession, malgré lesdéclarations ocielles

Des Jeep japonaisescoupées en deux

et remontées

Les photographiesqui accompagnent ces pagessont de Vitaliy Ankov.Page 8 : interventiondes OMONlors de la maniestationdu 21 décembre 2008.Page 9, en haut : le port de Vladivostok ; en bas :maniestation d’automobilistescontre la hausse des taxesà l’importation des voituresd’occasion.

 AGENCE RIA NOVOSTI , 2008 ET 2009.

En espérant des jours meilleurs

DANS L’UNE DES MEILLEURES ÉTUDES des efets de la crise sur les régions russes (1),Natalia Zoubarevitch souligne à quel point les situations sont diverses.

Globalement, la crise est moins sensible dans les grandes villes multionctionnelles.Les salaires ont baissé, mais la population ait le gros dos, réduisant ses dépenses,réactivant des réflexes de survie (jardins ouvriers...) en espérant des jours meilleurs.La situation n’est pas brillante dans des secteurs traditionnels comme la métallurgie

ou l’énergie, mais la reprise y est déjà amorcée, ce qui n’est pas le cas dans lessecteurs de construction mécanique (automobile, machines-outils, etc.), qui ontsouvent dû ermer temporairement, mettant l’ensemble de leur personnel enchômage technique. La situation devient catastrophique dans les quelques centainesde villes «mono-industrielles» comme Pikalevo, surtout quand le domaine d’activitéait lui même partie des secteurs ragiles. Par ailleurs, l’étude montre que, si la criseindustrielle s’atténue, elle risque d’être prolongée par une crise «budgétaire». Lesrégions ne disposent pas des réserves du gouvernement édéral (onds pétrolier,réserve monétaire); or ce sont elles qui sont chargées d’assurer une bonne partie desservices vitaux pour la population : santé, écoles, services sociaux et urbains. Dansces conditions, et en dépit de la reprise, le début 2010 est attendu avec appréhension.

 J. S.(1) http://atlas.socpol.ru/overviews/social_sphere/kris.shtml (en russe).

Lors d’une réunion rassemblant les acteurs de la crise, ilannonça un certain nombre de décisions : renégociation desliens entre les trois usines, déblocage de crédits, diminution desprix de livraison par chemin de er. Et il conclut : « Vous avez ait de milliers de gens les otages de vos ambitions, de votre manque deproessionnalisme ou de votre avidité. Où est donc la responsabilitésociale du business dont on parle en permanence? Les prémices decette situation sont antérieures à la crise. Il aut reconstituer cet ensemble producti. Je vous donne trois mois. Si vous ne vous mettezpas d’accord, ce sera ait sans vous [allusion à une procédure denationalisation lancée à la Douma] (3). »

Mais le téléspectateur aura retenu un autre échange, qui a aitle tour des sites Internet. Saisissant le texte de l’accord proposé,M. Poutine s’adresse à M. Deripaska, qui tente de justifier les di-cultés techniques de son usine : « Oleg Vladimirovitch, vous avez signé

cet accord? Je ne vois pas votre signature; venez ici et signez. » Et l’oli-garque de se lever et de signer la euille, sous l’œil courroucé dupremier ministre...

On peut retenir bien des leçons de cette crise. Il y a l’imageque le pouvoir a voulu donner de l’ecacité de son action : «Enquelques heures, titre le quotidien moscovite Kommersant, Vladimir Poutine a résolu le destin de Pikalevo.» L’image de celui qui met auxpas les oligarques, montrés du doigt à la ois pour l’étalage de leurortune et pour leur rôle dans la crise financière récente – sansoublier ce que les médias russes ont souvent souligné : la plupartd’entre eux sont juis. Sur les photographies des maniestations,on voit d’ailleurs plusieurs slogans, du banal « Deripaska, vends ton

 yacht » jusqu’à cette banderole d’une tout autre nature : « Pour Deripaska, le brouet de Buchenwald (4) »... Novaïa Gazeta esquissaitaussi une autre lecture : derrière cette mise au pas télévisée, il y

a la réalité, c’est-à-dire les milliards de roubles d’aide apportés parle budget de l’Etat, sans grande contrepartie, aux oligarques endiculté financière.

On voit là confirmée l’emprise, déterminante, des adminis-trations publiques sur la vie économique : ce sont les ministres,et souvent le premier d’entre eux, qui s’occupent du détail de cequi serait en France du seul ressort des relations d’entreprise.Cette singularité dénote tout un état d’esprit de contrôle de lasociété par le pouvoir, et est un des acteurs de la lenteur desmodernisations, du blocage des petites et moyennes entreprises,de la corruption généralisée.

Elle met aussi en évidence la montée des mouvementssociaux. Sans doute aut-il tenir compte, dans le cas de Pikalevo,d’une ocalisation utilisée par le Kremlin. Le message est mul-tiple. Au-delà de la critique des «mauvais» gestionnaires desentreprises comme des régions, alors que le gouvernementmaintient ses programmes sociaux, c’est une mise en garde aiteaux personnels politiques et policiers ace aux maniestations demécontentement : pas question de laisser se multiplier ce genred’action. Dans plusieurs régions du pays, les autorités ont réagitrès vite ace à des menaces identiques, maniant qui le bâton, quiles promesses pour enrayer au plus vite les risques de débor-dement. On compte sur la reprise économique qui s’annoncepour éviter de nouveaux blocages ; mais le syndrome Pikalevoest dans tous les esprits, avec déjà plusieurs récidives de moin-dre importance.

 J. S.

(3) Kommersant , 5 juin 2009.

(4)  Novaïa Gazeta, Moscou, 22 avril 2009.

(5) Interax et Kasparov.ru, 18 décembre 2008.

(6) « Et c’est parti», Nezavisimaïa Gazeta, Moscou,16 janvier 2009.

(7) Andreï Kalatchinski, «L’Orient rougeoie»,Ogoniek , Moscou, 18 mai 2009.

Vladivostok Population :605000 personnes en 2009;634000 en 1989.

Taux de natalité :9,9 pour mille.

Taux de mortalité :11,6 pour mille.

Croissance naturelle : – 1,7 pour mille.

Chômage ofciel :4851 personnes au 1er juillet 2009 ;+ 120 % en un an.

Salaire mensuel moyen :21245 roubles en janvier 2009(500 euros).

La Russie

en chifresPopulation :140,874 millions en 2008.

Taux de natalité :12,1 pour mille.

Taux de mortalité :14,7 pour mille.

Croissance naturelle : – 2,6 pour mille.

Espérance de vie : 65,7 ansen 2008 ; 69,7 ans en 1989.

Produit intérieur brut :1364,7 milliards de dollars en 2008.

Taux de chômage ofciel :6,2 % en 2008.

Salaire mensuel moyen :19247 roubles en janvier 2009(450 euros).

Indice de développementhumain: en 2007, 0,817 (71e rang);en 2003, 0,795 (62e rang).

Sources : site ofciel de la ville de Vladivostok,www.vlc.ru/digits/index.htm, Ofce statistique

russe, Programme des Nations uniespour le développement, Banque mondiale,

CIA World Factbook.

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 10

La Conérence des Nations unies sur le climat, qui se tiendra àCopenhague, du 7 au 18 décembre, a pour objecti de déinirdes règles contraignantes pour lutter contre le réchauementplanétaire. « Réunion de la dernière chance » pour certains, elle

suscite cependant moins d’espoirs que d’inquiétudes, toutnouvel accord n’ayant de sens que s’il est signé, puis ratiié, parles deux principaux pays émetteurs de gaz à e et de serre quesont les Etats-Unis et la Chine.

P A R R I C C A R D O P E T R E L L A *

YAURA-T-IL un traité de Copen-hague en prolongation du  protocole de Kyoto, le plusimportant des instrumentsvisant à lutter contre le

 changement climatique (1) ? On a prisconscience des difcultés à la lumière desdernières rencontres-clés () qui ont pavéla route de ce sommet organisé du 7 au18 décembre. La non-approbation à temps par le Sénat américain de la loi sur le cli-mat, les résultats ambigus du Conseil euro- péen spécial sur ce thème des 30 et 31 octo- bre, et les déclarations émises à l’issue duG Chine - Etats-Unis des 16 et 17 novem- bre, ont donné le coup de grâce. Les chesdes deux Etats les plus pollueurs de la pla-nète ont bien convenu d’œuvrer au succèsde la conérence, souhaité qu’elle aboutisseà un accord avec « eet immédiat » ; maisils n’ont ourni aucune précision sur lesmoyens d’y parvenir (3). D’un éventuel« traité» contraignant, devra-t-on reparler seulement... en 01 ?

Cette situation serait d’autant plusabsurde que la conscience d’une « criseglobale» de l’environnement perce à pré-sent les consciences les plus obtuses. Et

* Journaliste.

que les voix n’ont jamais été aussi nom- breuses pour réclamer la limitation, voire,à terme, l’élimination de deux blocagesmajeurs: la marchandisation de la planèteet l’indisponibilité «historique » des Etats-Unis à tout traité international restreignantleur liberté et leurs intérêts.

Les classes dirigeantes ont réduit laquestion de l’avenir de l’humanité à un problème de gestion « économiquementeicace » des ressources naturelles, en particulier énergétiques. Elles ont coniéaux mécanismes du marché la mise enœuvre et l’évaluation de cette gestion – celle d’un monde ondé sur la conron-tation d’intérêts marchands où les plusorts l’emportent. Il est dès lors impos-sible de parvenir à un véritable accord  politique mondial sur le devenir de l’hu-manité et la vie sur la planète.

L’énergie et les marchés sont au cœur desnégociations en cours – à tel point que l’on peut considérer les autres enjeux commesecondaires ou instrumentaux. Le proto-cole de Kyoto (1997) a marqué l’envol dela « vampirisation» des négociations sur leclimat par l’énergie et la marchandisationde l’air. Tout repose sur la subdivision dumonde en « droits de quota d’émissionsde gaz à eet de serre (GES) » attribués àchaque pays, et, par conséquent, sur la or-

système, en échange de quelques billets :« Nous avons appris qu’un clan de l’ouest avendu de la orêt aux Javanais, relate Menti.

  Apparemment, ils comptent en aire deschamps de palmiers. » Une déclaration quisuscite la colère des chasseurs et la stu-péaction de leurs visiteurs : comment, aucœur d’un parc national supposé « pro-tégé », des Orangs-Rimbas peuvent-ils« vendre» des terres – qu’ils ne possè-dent pas, mais dont ils ont l’usage – à desplanteurs n’ayant nul droit de les acheter ?A l’aune de cet exemple, les promesses duministre de l’environnement indonésien,M. Rachmat Witoelar, sonnent creux. Ne

 jurait-il pas, le 23 mars 2007, à Jakarta, lorsde la présentation du rapport Stern sur

l’économie du changement climatique,que « les millions d’hectares de palmiers àhuile ne sacrifieront pas les orêts » ?

A quelques kilomètres de Menti etdes siens, Kardeo, 54 ans, nous reçoitdans le patio de sa vaste demeure auxcolonnes de stuc peintes en rose. « C’est là que j’habitais auparavant , ait-il en dési-gnant une maisonnette de planches situéeà proximité. Le palmier à huile a ait mon

bonheur . » Kardeo est ce qu’on dénommeici un transmigrasi . Entre 1950 et 2002,pour soulager Java, surpeuplée (1), Jakartaa incité plus de 6 millions de Javanais pau-vres à tenter leur chance sur les îles péri-phériques. Une politique causant des ten-sions récurrentes avec les autochtones,qui perçoivent les transmigrants au mieuxcomme des intrus privilégiés, au piscomme des colonisateurs consolidantl’historique domination de Java sur l’ar-chipel. En 2001, à Bornéo, des centainesde Javanais – emmes et enants compris – ont été massacrés par des guerriersdayaks, qui ont alors renoué avec leurréputation de coupeurs de têtes.

« J’  AI QUITTÉ  J AVA fin 1984, explique Kar-deo. Le gouvernement m’a donné une mai-son en bois, 3 hectares et une aide maté-rielle pendant un an. » Des débuts trèsdifciles avant que ne survienne le lucra-ti palmier à huile. « J’en cultive aujourd’hui 16 hectares. Chacun produit 1,6 tonne par mois, et 1 kilo de graines se vend entre700 et 1 700 roupies, suivant le cours,résume-t-il. Ma plantation me rapporte45 millions de roupies par mois »  – soit

3 500 euros mensuels. « Parti de rien» ,Kardeo vit conortablement et a mêmeinscrit ses fils à l’université. Le palmier àhuile nécessitant peu d’entretien, sondomaine de 16 hectares n’emploie quesix personnes : autant de salaires enmoins à payer. Les planteurs rencontrésavouent que l’allégement de la massesalariale les a motivés pour reconvertiren champs de palmiers leurs plantationsd’hévéas (davantage respectueux de l’environnement). « Et, avec les engrais et les pesticides de Monsanto, le rendement est encore meilleur », se élicite Kardeo.A-t-il jamais entendu parler des nui-sances du palmier à huile sur l’environ-nement ? Sa réponse a le mérite de la

ranchise : « Mon niveau de vie et l’écono-mie de mon pays dépendent du palmier àhuile. Alors l’environnement...»

Si Kardeo a tiré son épingle du jeu, lapetite paysannerie de Sumatra partagerarement son enthousiasme. A traverstout l’archipel, déçus par les promesses,paupérisés par un produit censé les enri-chir, ayant vu leurs terres volées, leursrivières polluées, des centaines de villages

résistent physiquement aux entrepriseset aux orces de l’ordre. L’associationWalhi répertorie 224 conflits opposantdes communautés villageoises à des com-pagnies d’huile de palme à Sumatra, etenviron 500 à travers l’archipel.

En théorie, la concession d’un terrainà un investisseur suppose le respect decertaines obligations légales, dont uneétude d’impact environnemental. MaisM. Serge Marti, directeur de l’associationsuisse LieMosaïc et auteur d’un rapportsur les conséquences de la monoculturede palmier à huile (2), calcule qu’« un des-sous-de-table de 50 millions de roupies[3 900euros] suft pour autoriser une plan-

tation de 20 000 hectares» . Partout dansl’archipel, « les entreprises débarquent dansles villages accompagnées de onctionnaireset de policiers pour intimider les habitants.

 J’ai vu des cas de villageois accusés de “com-munisme”, comme au temps de Suharto, s’ilsreusaient de céder leurs terres au “projet dedéveloppement national” qu’est censé consti-tuer le palmier à huile (3) ». Le droit depropriété est en Indonésie des plus ambi-gus : des colons néerlandais à aujourd’hui,l’Etat s’est toujours réservé la possibilitéd’exproprier au nom du « développe-ment» ou de l’«intérêt public».

VIVANT de leurs rizières et de leurshévéas jusqu’en 1999, une époqueregrettée, les 2 500 habitants de KarangMendao étaient alors autosufsants.Le che du village, Mohammed Rusdi,raconte : « Une entreprise du groupeSinar Mas [un des conglomérats indo-nésiens] est venue couper la orêt, avecl’aide de policiers et de soldats. SinarMas a saisi 600 hectares et les a conver-tis en plantations de palmiers à huile.Nous n’avons plus de terres. Et il n’y aplus de orêt. Sept villages voisinsconnaissent exactement le même pro-blème. » M. Rusdi est allé plaider le cas

DÉBORAH CHOCK. – «Terre mère brouillon des hommes » (1996)

mation des marchés d’émissions (4). Uneréduction globale desdites émissions grâceà ce type de mécanisme reste largement à prouver.

En l’état, le devenir de l’humanité et salibération de la dépendance vis-à-vis desénergies ossiles passent par les « mar-chands de GES » (notamment le CO2).Ainsi, les discussions – et, surtout, lesdivergences – portent sur le volume desréductions des émissions de chaque pays,sur le calcul de leur valeur marchande etde leur coût pour l’économie « natio-nale », les diérents secteurs et les grands

« champions nationaux » exposés à laconcurrence internationale. L’estimationchirée prévaut sur les considérations politiques. Mieux : ces dernières, théori-quement arrêtées par les pouvoirs publics,découlent en réalité de l’évaluation mar-chande établie par les grands groupesfinanciers, commerciaux et industriels.

Cette mise en marché de l’air et du cli-mat a donné naissance à une pléthore denouveaux instruments financiers regrou- pés sous deux grandes catégories : celle,d’une part, de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements clima-

En Indonésie, palmiers à huile

LES CHASSEURS-CUEILLEURS sont rassem-blés en demi-cercle dans la clairièreque baigne l’aube naissante. Les

hommes, en pagne, observent les visi-teurs. Derrière eux, les emmes allaitentles nourrissons et rassurent les jeunesenants intimidés par les intrus. Solide gail-lard d’une soixantaine d’années, Menti,doyen et che de ce groupe de cinq

amilles, interpelle l’anthropologue indo-nésien qui nous accompagne: les Orangs-Rimbas veulent bien répondre aux ques-tions. Mais il audra aire vite : il serabientôt temps de partir chasser. Le gibierse ait rare du ait de la disparition de sonhabitat.

Car elle se réduit, la orêt de l’île deSumatra... Principal prédateur : la mono-culture de palmiers à huile. Utilisée dansl’alimentation et les cosmétiques, l’huilede palme a trouvé un nouveau débou-ché : l’ester méthylique d’huile végétale(EMHV), un agrocarburant. Entre 1998et 2007, l’Indonésie a ofciellementétendu de 3 millions à 7 millions d’hec-tares ses plantations, devenant le premierproducteur mondial de cet oléagineux,devant la Malaisie. Pour répondre à l’ex-plosion de la demande d’huile de palme(40 millions de tonnes prévues en 2020,contre 22,5 millions aujourd’hui), Jakarta

nourrit de pharaoniques projets : 20 mil-lions d’hectares devraient être consacrésau palmier à huile en 2020. Soit200 000 km2 – l’équivalent d’un tiers dela superficie de la France. A Sumatra, oùla orêt est passée de 2,2 millions d’hec-tares à 400 000 hectares entre 1999 etaujourd’hui, 850 000 hectares s’ajoute-raient aux 450 000 hectares actuellementcultivés.

L’estomac creusé par la pénurie degibier, certains Orangs-Rimbas collabo-rent à la disparition de leur propre éco-

(1) Cent vingt-sept des 0 millions d’Indonésiensvivent à Java (138 800 km, moins de 10% du territoireindonésien).

() LieMosaic (Suisse), Sawit Watch (Indonésie) etFriends o the Earth (Royaume-Uni), « Losingground », évrier 008.

(3) Entre 500 000 et 1 million de communistes ontété massacrés en 1965-1966 par le régime d’« ordrenouveau» de Suharto.

P A R N O T R E

E N V O Y É S P É C I A L

C É D R I C G O U V E R N E U R *

DERRIÈRE la ruée sur le palmier à huile se trouvent desconglomérats indonésiens réputés pour leur collusionavec la dictature du général Suharto (1965-1998). Le

groupe Raja Garuda Mas appartient ainsi à M. Sukanto Tanoto,l’homme le plus riche du pays. Sa filiale Asian Agri est accuséepar Greenpeace de déboiser l’habitat des orangs-outangs àBornéo. Son concurrent Sinar Mas est dirigé par un autreproche de eu Suharto, M. Eka Tjipta Widjaja, troisième

 ortune du pays. La mise à l’index de sa filiale Asia Pulp & Paper(APP), pour son déboisement sauvage en Indonésie, en Chineet au Cambodge, a convaincu les chaînes de papeterie améri-caines Ofce Depot et Staples de changer de ournisseur.

Filiale du conglomérat Bakrie & Brothers, Lapindo Brantasa perpétré le orage qui a déclenché en mai 2006, à Porong(Java), un volcan crachant 125 000 m3 de boue pestilentiellepar jour, noyant des centaines d’hectares. Des milliers de vil-lageois ont tout perdu. Bakrie a réagi en revendant sa ilialeà une compagnie oshore. Sans explication, Lapindo Bran-tas a cessé son aide aux sinistrés. Un détail : M. AburizalBakrie, patron du conglomérat, est ministre des aairessociales ! Autres pontes de l’huile de palme : le Malaisien

William Kuok Khoon Hong et l’Indonésien Martua Sitorus,ondateurs du groupe Wilmar. Pour étendre à peu de raisses domaines, Wilmar est accusé d’avoir recouru à uneméthode radicale : l’incendie de orêt.

Afin de verdir leur image, tous ces conglomérats siègent àla « table ronde de l’huile de palme durable » (Roundtable onSustainable Palm Oil, RSPO) : créée en 2004, orte de troiscents membres, la RSPO associe producteurs, banques,clients, certaines organisations non gouvernementales(ONG), et promeut, comme son nom l’indique, le... « déve-loppement durable ». Unilever, Nestlé, Cargill ou les pro-ducteurs d’agrocarburants Greenergy (Royaume-Uni) et BioXGroup BV (Pays-Bas) se justifient en assurant qu’ils ne se our-nissent qu’auprès de cette RSPO. BNP Paribas, DeutscheBank et Royal Bank o Scotland expliquent que leurs clientsindonésiens « respectent l’environnement ». Le Crédit suisse « sereuse à tout commentaire ». Les banques néerlandaises RaboBank et ABN Amro ont reusé de répondre à nos questions.HSBC confie touteois qu’elle entend exclure en 2009, aprèsenquête, certains de ses clients indonésiens.

C. G.

Massacre à la tronçonneuse

* Proesseur d’écologie humaine à l’Académie d’ar-chitecture de Mendrisio (Suisse) et proesseur éméritede globalisation à l’Université catholique de Louvain(Belgique).

(1) Il contient l’engagement pris par la plupart des pays industrialisés de réduire leurs émissions de gaz àeet de serre, responsables du réchauement plané-taire, de 5, % en moyenne.

() Sommet spécial des Nations unies à New York du septembre, G0 de Pittsburgh des 4 et 5 septem-  bre, semaines «techniques » de Bangkok du au9 octobre et de Barcelone du au 7 novembre 009.

(3) Par ailleurs, le 15 novembre, les dirigeants desvingt et un pays de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), parmi lesquels la Chine et les Etats-Unis, ont, en clôturant le sommet de Singapour – etdans la perspective de Copenhague –, reusé de se fixer des objectis contraignants en matière de réduction desgaz à eet de serre.

(4) Un pays qui aurait émis moins d’émissions que levolume autorisé d’après le quota national peut vendre ce« surplus» à ceux qui auraient été incapables, pour diverses raisons, de rester en dessous du quota permis.

 NÉGOCIATIONS SERRÉES POUR 

Deux obstacles sur tiques (CCNUCC) et du protocole deKyoto, et celle, d’autre part, de la Banquemondiale (lire l’encadré ci-contre).

Les Etats se bornent à aciliter la pro-motion et le bon onctionnement de ces

instruments en y apportant de l’argent  public, lequel se mêle alors aux ondsissus des entreprises privées selon lalogique du partenariat public-privé (lirenotre dossier pages 19 à 23). Un teltransert de décision politique posede graves problèmes d’eicacité enmatière de gestion des ressources – sans parler d’éthique, de justice sociale oude démocratie...

Tout – à commencer par l’eondrementrécent de la finance – montre en eet quela stratégie du market first  (« le marchéd’abord ») a échoué. Pour substituer à cemot d’ordre celui de life first  (« la vied’abord ») et espérer que Copenhagueaboutisse à un pacte mondial accompagnéd’un programme d’action, deux mesures  préalables s’imposent. La premièreconsiste à remodeler les règles du droit de propriété intellectuelle, notamment sur levivant. Tant que celui-ci (dans lequel oninclura, pour la acilité de l’analyse, lesénergies renouvelables) peut aire l’objet

d’une appropriation privée, il ne pourra yavoir de véritable accord mondial sur lechangement climatique.   A

   D   A   G   P ,   B   A

   N   Q   U   E   D   ’   I   M   A   G   E   S

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200911

Pourquoi la Chine, l’Inde, le Brésil, les pays aricains, s’ils veulent modifier leurs processus de production et leurs produits,dans le but de réduire les émissions deGES, devraient-ils payer les pays du Nordqui possèdent la quasi-totalité des droits de

 propriété intellectuelle dans ces domaines ?Comment accepteraient-ils de financer lanouvelle « croissance verte » du Nord ? Ilne s’agit pas de transérer « gratuitement »connaissances et technologies dans lemonde entier, mais de réormer les règlesexistantes qui entravent toute coopérationinternationale réelle. Atteindre les objectisdits de l’« atténuation » (de l’augmenta-tion de la température moyenne de l’atmosphère) et de l’« adaptation » (auréchaufement climatique) est à ce prix.

La deuxième mesure porte sur le rem-  placement de la machine financière miseen place autour des « marchés carbone » par un « plan financier public mondial ».

Tant qu’on n’arrêtera pas le transert du pouvoir de décision politique aux marchés,la lutte contre le changement climatiquesera inadéquate, partielle et déaillante.S’ils le veulent, les dirigeants du mondeoccidental peuvent réorienter les énormes

ressources – 8 000 milliards d’euros – mises à la disposition du capital privé pour « sauver le capitalisme » du désastre finan-cier. Selon les dernières estimations, unmontant annuel de 66,7 milliards d’euros pendant dix ans (soit 667milliards au total)surait à concrétiser les objectis à moyenterme de la lutte contre le réchaufement del’atmosphère. C’est douze ois moins queles sommes mobilisées pour le sauvetagedes banques et pour rétablir la valeur finan-cière des capitaux privés ; deux tiers desdépenses militaires mondiales annuelles(988 milliards d’euros en 2008) ; juste ledouble des dépenses mondiales pour la publicité (363 milliards d’euros en 2007) !Il surait de le décider...

les négociations dans le sens du prolonge-ment/remplacement du protocole de Kyoto par le traité de Copenhague même sans lesEtats-Unis. L’actuelle convergence d’in-térêts entre Washington et Pékin com- plique lourdement une telle initiative. Mais

on ne doit pas nécessairement arrêter untrain en marche au moti que certainsvoyageurs ne souhaitent pas y monter.

Les membres du Parlement européeneraient preuve de responsabilité histo-rique et d’innovation politique s’ils pous-saient leurs Etats à travailler à la signatured’un traité de Copenhague, même en l’ab-sence des Etats-Unis. M. Barack Obamaa créé l’événement, le 25 novembre, enannonçant sa présence au sommet et savolonté que celui-ci débouche sur unaccord robuste donnant lieu à des mesuresconcrètes immédiates. En mettant sur latable un objecti de 17 % de réductiondes émissions américaines de GES d’ici à2020, il est loin des 25 à 40 % préconisés  par les scientifiques. Etant entendu par ailleurs qu’une nouvelle législation devraêtre approuvée par le Congrès des Etats-Unis – ce qui n’est pas gagné.

RICCARDO PETRELLA.

     M     A     I     F  -     S

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    s    s   u   r    a    n    c    e    s .

contre forêtde son village à la conférence de Bali, endécembre 2007 (4). Sans succès.

Dédommagement, participation auxbénéfices de la plantation, travail salarié,construction de routes et d’une école...Sinar Mas, fulminent les villageois, a fait« beaucoup de promesses ». Ils attendenttoujours les investissements annoncés,et la plupart ont vu fondre leurs revenus,parfois divisés par cinq. Sayuti, 42 ans,marié et père de trois enfants,témoigne : « Avant 1999, j’avais 1,5 hectared’hévéas, dont le caoutchouc me rapportait 1 200000 roupies par mois [près de100 euros]. » Aujourd’hui, petit action-naire de la plantation, Sayuti ne gagne

que 225 000 roupies (17 euros)... Le quo-tidien s’est monétisé : les villageois doi-vent désormais acheter les fruits et leslégumes que jadis ils faisaient pousser.Les rivières sont devenues stériles :engrais et pesticides ont décimé les pois-sons. Et, si la polyculture et la jungleretiennent l’eau, la monoculture lessive lesol : les inondations emportent le maca-dam des routes. Ecœurés, les villageoisoptent pour l’action directe : plusieursfois par semaine, des dizaines d’entre eux,armés d’intimidants  goloks (machettelocale), investissent la plantation et seservent allégrement en fruits du palmierqu’ils vont revendre au marché.

Plus au nord, le village de Logu Man-desa et ses 2 000 foyers. En 2006, le

groupe Sinar Mas a obtenu du gouverne-ment une concession pour transformer enplantations les terres des villageois. « Lesautorités se fichent totalement que ces terresnous appartiennent , explique Sugino, chef d’un des hameaux du village. La compagniea ainsi pris 500 hectares, et nous attendonstoujours les compensations promises. » About de nerfs, les villageois ont riposté :le 28 décembre 2007, des centainesd’hommes ont attaqué les installations dela compagnie, brûlé onze bulldozers etun 4 4. Les médias ont relaté la fronde

 – filmée avec des téléphones portables – et l’opinion publique a pris le parti desrebelles. La police a arrêté vingt-deux per-sonnes, dont neuf ont été condamnées à

un an de prison. « La compagnie ne pensequ’au profit, pas à la gestion de la nature sur plusieurs générations, constate Sugino.

  Aucun parti politique ne nous soutient. LaCommission indonésienne des droits del’homme ne fait rien pour nous. »

ENVIRON 3 500 Orangs-Rimbas viventencore de la chasse et de la cueillettedans ce qui subsiste des jungles du centrede Sumatra. En 1966, la forêt tropicaleindonésienne couvrait 144 millions d’hec-tares, soit 77 % de la surface du pays.Aujourd’hui, les quatre cinquièmes ontdisparu (5). A Sumatra comme au Kali-mantan (partie méridionale de l’île de Bor-néo) et en Papouasie indonésienne, lerythme du déboisement est estimé à400 terrains de football par jour – unrecord mondial. Selon les Nations unies,dès 2012, la forêt indonésienne – suppo-sée « protégée » – sera « sévèrement dégradée (6) ».

« Nous n’avons rien à perdre,enrage un  jeune de Logu Mandesa. Nous brûleronsd’autres bulldozers. »

CÉDRIC GOUVERNEUR.

Faire pression sur les Etats rétifs

MIEUX RÉPARTIR LES EFFORTS ÉCOLOGIQUES

le chemin de Copenhague

PARMI les mécanismes et fonds relevant de la Convention-cadre des Nationsunies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée en 1992 et rati-

fiée en 1994 par cent quatre-vingt-douze pays, figurent :

 – les marchés des émissions, mentionnés dans le texte ci-contre ;

 – les mécanismes de développement propre (MDP), grâce auxquels les paysindustrialisés financent des projets qui réduisent ou évitent des émissions dansdes nations moins riches et sont récompensés par des crédits pouvant être utilisés pour respecter leurs propres objectifs d’émissions ;

 – les fonds pour l’environnement mondial (FEM), qui apportent un soutienfinancier à des projets dans les pays en développement (PED), dans lesdomaines de la biodiversité, du changement de climat, des eaux i nternationales,de la dégradation des sols, de la couche d’ozone et des polluants organiquespersistants.

Parmi les mécanismes et fonds gérés par la Banque mondiale, on citera :

 – les fonds d’investissement climatique (FIC), destinés à accroître la capacitéde résistance des PED au changement climatique grâce à de nouvelles techno-logies dites « propres » à faible teneur en carbone ;

 – le fonds de partenariat carbone (FPC), qui vise à soutenir les PED dans ledéveloppement de systèmes à faible teneur en carbone ;

 – le fonds de partenariat pour le carbone forestier (FPCF), lancé à la confé-rence de Bali en 2008 ; ses ressources pourront être utilisées après 2012, àl’expiration du protocole de Kyoto, pour inciter les PED à réduire leur défo-restation et la dégradation de leurs forêts.

Enfin, il faut mentionner l’existence de transactions libres sur les marchés decarbone volontaires (MCV) qui se développent en dehors des deux cadres ci-dessus cités.

R. P.

Calendrier des fêtes nationales

1er - 31 décembre 2009

1er  CENTRAFRIQUE Fête nationaleROUMANIE Fête nationale

2 ÉMIRATSARABES UNIS Fête nationaleLAOS Fête nationale

5 THAÏLANDE Fête nationale6 FINLANDE Fête de l’indépend.

11 BURKINA FASO Fête de l’indépend.12 KENYA Fête de l’indépend.16 BAHREÏN Fête nationale

KAZAKHSTAN Fête de l’indépend.17 BHOUTAN Fête nationale18 NIGER Fête nationale23 JAPON Fête nationale

(4) Rassemblant 180 pays sous l’égide de l’Orga-nisation des Nations unies, du 3 au 14décembre 2007,cette conérence sur le changement climatique s’estcaractérisée par l’absence d’engagements.

(5) Cf . www.agrocarb.r, animé entre autres par leComité catholique contre la aim et pour le développe-ment (CCFD), Les Amis de la Terre, Oxam.

(6) « The last stand o the orangutan», rapport duProgramme des Nations unies pour l’environnement(PNUE), évrier 2007.

Fonds, marchés, partenariats

MAIS CE « il surait » se brise sur lemur érigé, avant tout, par l’attitude de

Washington : les Etats-Unis n’ont toujours  pas ratifié le protocole de Kyoto. On envient au deuxième blocage majeur. A sup- poser même qu’il en ait l’intention, le gou-vernement américain sera-t-il en mesurede déendre à Copenhague des positionsraisonnables et équitables qui inciteraientles autres grands pays – l’Union euro- péenne, les BRIC (Brésil, Russie, Inde,Chine), le Japon... – à négocier les engage-ments nécessaires pour que, au minimum,soient prolongés ceux pris à Kyoto ?

Ce ne serait pas la première ois que, aunom de la prétendue « supériorité» de leur modèle de société et de la « sécurité » deleur pays (souvent identifiée avec la« sécurité mondiale »), les Etats-Unis pra-tiquent la politique de l’unilatéralismeimpérial en appliquant le principe de lanon-négociabilité de leurs choix politiqueset de leur mode de vie. Ils préèrent de loin

la soft law, en particulier l’autorégulationet l’autoresponsabilité de chaque Etat. Laameuse phrase du président George Bush père – « Le mode de vie américain n’est  pas négociable» –, prononcée pour justi-fier son reus de participer au premier sommet mondial sur le développement etl’environnement, à Rio de Janeiro, en1992, est éclairante à cet égard.

De acto,   America first est un acteur encore plus bloquant, dans l’immédiat, quemarket first. Dès lors, les Etats disposés àsortir les négociations du cadre exclusive-ment marchand et des intérêts strictementnationaux sont peu nombreux.

Touteois, certains pays d’Europe occi-dentale et d’Amérique latine, voired’Arique, commencent à maniester leur irritation. Quelques-uns des groupes poli-tiques progressistes et la société civile deces pays envisagent de aire pression sur les Etats rétis pour les inciter à poursuivre

A voir sur notre site Internet

Un dossier cartographique« Changement climatique »

http://blog.mondediplo.net/-Visions-cartographiques

www.monde-diplomatique.fr/cartes/indonesie-plantations

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 12E NRICHISSEMENT DE L’URANIUM ET ARRIÈRE-PENSÉES

Les dessous des négociations avec l’IranLes négociations entre les puissances occidentales et l’Iran sur le

dossier nucléaire sont bloquées. Les espoirs nés des rencontres

du mois d’octobre se sont estompés et laissent craindre une

escalade d’autant plus dangereuse qu’elle se produit dans un

Proche-Orient miné par les guerres et par l’impasse israélo-palestinienne. L’élection du président Barack Obama et les

pourparlers entre Washington et Téhéran avaient pourtant créé

un espoir de percée diplomatique.

PA R GA R E T H PO R T E R *

ALORS que les négociationsentre Téhéran et les Occi-dentaux butaient depuis desmois sur la question de l’enrichissement de l’ura-

nium – auquel l’Iran a droit selon le traitéde non-proliération nucléaire (TNP),mais que diverses résolutions du Conseilde sécurité de l’Organisation des Nationsunies (ONU) lui ont interdit –, l’idée

d’une solution est venue de là où per-sonne ne l’attendait. Il y a plus de qua-rante ans, les Etats-Unis avaient construità Téhéran un réacteur nucléaire destiné àla recherche médicale. Après la révolu-tion de 1979 et la rupture des relationsdiplomatiques avec Washington, l’Iranavait dû chercher ailleurs l’uranium enri-chi à 20 % nécessaire à son onctionne-ment. Grâce à un accord avec l’Argen-tine, signé en 1988, le pays s’était procuré vingt-trois kilos de ce combus-tible, quantité suisante pour alimenter le réacteur jusqu’à la in 2010.

L’approche de cette éc héance a amenéle ministre des afaires étrangères Manou-

* Journaliste et historien, auteur notamment de Perils of Dominance : Imbalance of Power and the Road to War in Vietnam, University o CaliorniaPress, Berkeley, 2006.

chehr Mottaki à écrire en juin dernier àl’Agence internationale de l’énergie ato-mique (AIEA) pour qu’elle aide son paysà se procurer le combustible nécessaire,ce qui était conorme aux spécificationsdu TNP, mais revenait à une levée dessanctions internationales contre le pro-gramme nucléaire iranien.

Dès qu’elle ut inormée de cette lettre,

l’administration du président Barack Obama s’en saisit pour tenter une nou-velle stratégie qui orcerait Téhéran à sedéaire de son stock d’uranium aible-ment enrichi, estimé alors à mille cinq cents kilos. Durant une visite à Moscou,au mois de juillet, M. Gary Samore,conseiller du président Obama sur le dos-sier iranien, avança une proposition qu’ilavait déjà ormulée dans un article écritavec Bruce Riedel pour la Brookings Ins-titution, en décembre 2008 (1) : l’Iranenverrait en Russie l’essentiel de sesstocks d’uranium pour qu’ils y soientenrichis à 20 %, ce qui permettrait dereiner pendant au moins un an le pro-gramme nucléaire de Téhéran.

un an de ses réserves d’uranium, ce quiretarderait ainsi une éventuelle percéetechnologique. Un tel accord aurait puêtre présenté par M. Obama comme unevictoire diplomatique.

Washington a avancé que ce délai per-mettrait aux deux parties de gagner dutemps pour aboutir à un accord global éli-minant la possibilité d’une arme nucléaireiranienne. Mais la logique même de cetteofre est boiteuse : les Etats-Unis conti-nuent à reuser l’enrichissement de l’ura-nium par l’Iran – cela per mettrait au paysde se doter de l’arme nucléaire –, alorsque ce point n’est pas négociable pour Téhéran. Et, dans un an, le problème se poserait une ois encore car l’Iran auraitaccumulé à nouveau une grande quantitéd’uranium aiblement enrichi.

  Néanmoins, cette proposition ne ut pas rejetée de but en blanc par les négo-ciateurs iraniens : ils avaient pour ins-tructions de se montrer coopératis etd’éviter une rupture qui déboucherait sur de nouvelles sanctions. Le sous-secré-taire d’Etat américain présent à Genève,M. William Burns, déclara même à la presse que M. Saïd Jalili, le secrétaire duConseil de sécurité nationale iranien,avait accepté l’envoi à l’étranger de milledeux cents kilos d’uranium appauvri.

Vaine illusion... Comme l’expliquait,sous couvert d’anonymat, un négociateur iranien à l’agence Reuters le 16 octobre,non seulement son pays n’avait consentià aucun plan occidental – ni même à ses  prémices –, mais ses représentantsn’étaient pas non plus habilités à enaccepter un, lors du deuxième cycle des pourparlers prévu du 19 au 21 octobre àVienne, dans le cadre d’une réunion del’AIEA.

Cette discussion a tourné autour du  projet d’accord élaboré par M. Moha-med El-Baradei, son directeur général en  partance, prévoyant l’exportation del’uranium iranien en Russie pour y êtreenrichi. Un diplomate rançais coniaau Washington Post  que cette ore« n’était pas loin » de la solution idéale pour les Occidentaux. Le dernier jour 

des négociations, le 21 octobre, lesagences de presse prétendirent que Téhé-ran avait acquiescé à ce plan. Le repré-sentant iranien à l’AIEA, M. Ali Asghar Soltanieh, avait certes indiqué que l’onétait « sur la bonne voie », mais il avaitnuancé son propos en expliquant queson pays devait « étudier le texte atten-tivement ». Et M. El-Baradei reconnutlui-même que l’on devait attendre uneréponse de Téhéran où, très vite, s’en-gagea un débat public.

M. Ali Larijani, actuel président du Par-lement et ancien négociateur sur le dos-sier nucléaire, et M. Allaeddin Boroud-  jerdi, le président de la commission desécurité nationale et de politique étran-gère du Parlement, insistèrent tous deux:il valait mieux acheter de l’uranium enri-chi à l’étranger ; cela coûterait bien moinscher. Ils expliquèrent d’autre part que, pour produire les cent seize kilos néces-saires au réacteur médical, il susait de

traiter sept cent cinquante kilos d’ura-nium appauvri – et non les mille cinq cents prévus par le texte.

D’autres objections plus ondamen-tales s’exprimèrent. M. Mir HosseinMoussavi, rival du président MahmoudAhmadinejad lors de l’élection prési-dentielle de juin et l’un de ses princi-  paux opposants depuis, a estimé que

« tous les efforts de milliers de scienti- fiques partiraient en fumée » si les condi-tions imposées par le plan El-Baradeiétaient acceptées. Pour le député conser-vateur Hesmatollah Falahatpisheh, unéventuel accord devrait dépendre de lalevée des sanctions économiques et, en particulier, de celles relatives à l’impor-tation d’uranium brut. Pour sa part, lesecrétaire du Conseil de discerne-ment (2), M. Mohsen Rezai, a déclaréque son pays devait conserver mille centdes mille cinq cents kilogrammes d’uranium.

Ainsi, au-delà des antagonismes sou-vent violents qui les dressent les unescontre les autres, les diférentes actions

iraniennes s’opposent au projet occiden-tal. Pour toutes, la proposition de M. El-Baradei priverait leur pays des outils denégociation et des moyens de pressionqu’il a accumulés ces dernières années.

De hauts responsables de la sécuriténationale sous les présidences succes-sives de MM. Hachémi Rasand-  jani (1989-1997), Mohammad Kha-tami (1997-2005) et Ahmadinejad lereconnaissent ranchement : le but del’enrichissement de l’uranium a toujoursété de orcer les Etats-Unis à négocier sérieusement et de manière globale sur tous les sujets d’intérêt commun. Ils ontremarquer que Washington ne maniestaitaucun penchant pour des pourparlersavant le démarrage de ce programme.Grâce à l’accumulation d’uranium ai- blement enrichi, l’Iran se trouve donc enmeilleure position pour discuter. Pour-quoi alors renoncer à cette carte sanscontreparties sérieuses ?

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Bien que la contre-proposition d’une

livraison par étapes eface tout ce quirend le projet El-Baradei attracti auxyeux de l’administration Obama et de sesalliés occidentaux, les négociateurs ira-niens se sont gardé de rejeter en bloc le projet de l’AIEA. Ils ont maniesté une« attitude positive » et une volonté de  poursuivre les discussions. Pour éviter une rupture, le président Ahmadinejad aormulé une ofre supplémentaire : mettresous scellés et sous contrôle de l’AIEAun quart de l’uranium iranien, en atten-dant que le combustible enrichi lui soitretourné. Les déclarations du présidentObama du 15 novembre armant que« nous n’avons plus beaucoup de temps »laissent touteois présager la fin des négo-ciations et un nouveau cycle de sanctions.

L’échec, s’il se confirme, sera dû à lalogique même des propositions des Etats-Unis, certes appuyées, mais de manièreambiguë, par Moscou et Pékin. Comme lesuggérait M. Samore dans son article,

Washington souhaite un accord qui puisseêtre décrit comme une victoire diploma-tique sur l’Iran. M. Samore lui-même préconisait plutôt de tenter un dialogueglobal prenant en compte les intérêts éco-nomiques et politiques de l’Iran. En définitive, l’administration Obama sem- ble avoir privilégié une proposition quiempêche tout accord acceptable par  Téhéran, ouvrant la voie à un règlementd’ensemble. Si c’est bien le cas, le prési-dent des Etats-Unis aurait alors ouvert la  porte d’un corridor sombre qui a pour nom conrontation.

(1) « Managing nuclear prolieration in the MiddleEast », Brookings Institution, Washington.

(2) Créé en 1988, le Conseil de discernement desintérêts supérieurs du régime (trente-quatre membres)est chargé de résoudre les conflits entre le Parlementet le Conseil des gardiens de la Constitution(qui doitveiller à la conormité des lois avec l’islam) ; il est pré-sidé actuellement par M. Hachémi Rasandjani. Dési-gné par le Guide, il a une compétence législativeextraordinaire – il peut même, à titre exceptionnel,

 proposer des mesures non conormes à la charia.

(3) Allusion aux dicultés avec les Etats-Unis, quiont arrêté leurs ournitures à la centrale de Téhéran, etavec la France (afaire Eurodi).

Menaces de bombardement

Consensus à Téhéran

PARALLÈLEMENT, et une semaine aprèsavoir accepté de participer à une ren-

contre avec le groupe dit G5 + 1 – lesEtats-Unis, la France, le Royaume-Uni, laRussie et la Chine, auquel s’est ajoutéel’Allemagne –, l’Iran inormait l’AIEAqu’il édifiait un deuxième site d’enri-chissement d’uranium à Qom, après celuide Natanz. Washington, Londres et Parisdénoncèrent cette construction, préten-dant que la République islamique en avait  prévenu l’AIEA uniquement parcequ’elle avait appris que les services derenseignement occidentaux s’apprêtaientà en dévoiler l’existence.

Airmant avoir respecté les délais  prévus par le TNP pour inormer l’AIEA, Téhéran insistait sur un point :ce site sécurisé visait à contrer lesmenaces de bombardements israélienscontre le site de Natanz, menaces régu-lièrement agitées par Tel-Aviv et dontWashington se sert comme moyen de

 pression (M. Samore a préconisé à plu-sieurs reprises l’utilisation des avertis-

sements israéliens dans son bras de er avec l’Iran). Et le 6 juillet2009, dans unentretien à la chaîne ABC, le vice-prési-dent Joseph Biden déclarait : « Israël   peut décider lui-même – c’est un pays souverain – ce qui est dans son intérêt et ce qu’il faut faire concernant l’Iran. »Cette petite phrase ut perçue à l’époque  par nombre de commentateurs commeun eu vert...

Quoi qu’il en soit, les révélations sur lesite de Qom – dont l’Iran a permis lavisite par les inspecteurs de l’AIEA – ontencouragé l’administration Obama àadopter une ligne dure lors des pourpar-lers, à Genève, du G5 + 1 avec l’Iran, le1er  octobre dernier. D’où la propositionaite à la République islamique d’envoyer 80 % de son stock d’uranium aiblementenrichi en Russie, puis en France, pour letransormer en barres de combustiblesdestinées à son réacteur de recherche deTéhéran. Vendue comme une « mesure

destinée à bâtir la confiance », cette ofrevisait, dans une première étape, à priver l’Iran immédiatement et pendant e nviron

LES POSITIONS de MM. Larijani et

Boroudjerdi ont été perçues, à tort,comme un signe de racture au sein du pouvoir. Le  New York Times expliquamême que l’administration Obama avaitobtenu une percée en divisant proondé-ment la classe politique iranienne. Cetteanalyse repose sur l’idée que le prési-dent Ahmadinejad avait, un moment,accepté le plan El-Baradei, alors qu’ilcherchait surtout à prévenir une rupturedes négociations.

En ait, en coulisse, un nouveauconsensus se dessine entre le présidentet l’opposition. La dénonciation par M. Moussavi du plan El-Baradei a étéormulée le 29 octobre, le jour même oùl’Iran exposait publiquement sa contre- proposition : l’uranium devait être expé-dié à l’étranger en plusieurs lots, lesecond n’étant envoyé qu’après le retour du premier, enrichi à 20 %. L’agence de  presse oicielle IRNA a qualiié le  point relati à l’« échange simultané »

de « ligne rouge »   – le pays craignantque l’uranium exporté ne lui soit jamais restitué –, ce qui était conormeaux déclarations du 26 octobre deM. Boroudjerdi : celui-ci voulait quel’uranium aiblement enr ichi soit envoyéen Russie en plusieurs étapes et exigeaitdes « garanties »   pour pouvoir les récupérer.

M. Soltanieh conirmait le 18 novem- bre, à la chaîne Presse TV, que son paysvoulait des « garanties à 100 % » qu’ilrécupérerait l’uranium enrichi, rappelantque l’Iran avait payé pour un tel com- bustible. Or, après la révolution de 1979,« nous n’avons reçu ni le combustible nil’argent » (3). D’autre part, la Répu- blique islamique exigeait qu’une partiede l’uranium destiné au réacteur médicalsoit acquis par le biais d’accords commerciaux directs. Homme ort etopposant à M. Ahmadinejad, M. Ra-sandjani avance que l’Iran pourrait lui-

même procéder à un enrichissement del’uranium à 20 %, au cas où on reuseraitde le lui livrer.

Page 13: [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

http://slidepdf.com/reader/full/fr-le-monde-diplomatique-decembrie-2009 13/28

LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200913DES GUERRES ASIATIQUES AUX MIGRANTS CLANDESTINS

Drones, la mort qui vient du cielTandis que l’armée pakistanaise poursuit son ofensive dans le

Waziristan (lire pages 14 et 15), les combats s’intensifient à la

rontière avec l’Aghanistan. Dans leur traque aux talibans et aux

cadres d’Al-Qaida, les Etats-Unis multiplient l’usage de drones, des

avions sans pilotes. « Armes du utur », dirigés à partir d’une basedans le Nevada, ces engins provoquent de nombreuses pertes

civiles. Pourtant, leur usage déborde les champs de bataille pour

servir à des fins sécuritaires jusque dans les banlieues européennes.

PA R L A U R E N T C H E C O L A

E T E DOUA RD P F L I M L I N *

LE 5 AOÛT 2009, vers 1 h 30 dumatin, deux missiles Hellfire(« eu de l’ener ») tirés par undrone américain s’abattent àLaddah, un village reculé du

Waziristan sud(Pakistan). La maison viséeappartient à un responsable religieux quisoutient les talibans, le maulana Ikram-ud-Din. Parmi les douze victimes de l’as-

saut figure Baitullah Mehsud, le charis-matique che des talibans pakistanais.

Le 22 juillet 2009, la mort d’un des filsde M. Oussama Ben Laden, Saad, a étéannoncée par des responsables américains,sans être confirmée depuis. Le 1er  janvier,celle d’Osama Al-Kini, che des opéra-tions extérieures d’Al-Qaida, et recherché pour sa responsabilité dans les attentatscontre les ambassades américaines auKenya et en Tanzanie en 1998, avait éga-lement suscité la satisaction des autoritésaméricaines. « Les drones ont un impact important sur Al-Qaida, éliminant ses per- sonnages-clés, poussant ses membres horsdes zones tribales et compromettant leurscapacités opérationnelles », souligneMme Christine Fair, de la Rand Corporationet spécialiste de la région.

Les attaques par des avions sans pilote (UAV en anglais, pour unmanned 

* Journalistes.

aerial vehicle) se sont intensiiées cesderniers mois dans les zones tribales duPakistan. Militants d’Al-Qaida, talibansaghans ou pakistanais... les dronesmènent, à moindre coût, une guerre per-manente à tous les insurgés. Et la disparition de l’ennemi numéro un paki-stanais serait l’exemple le plus lagrantde la réussite de cette stratégie, qui a

aussi atteint plusieurs cibles de « hautevaleur ».

Touteois, le relati succès de cesattaques ciblées, qui ont commencé en2004 au Pakistan, s’est accompagné denombreux dommages collatéraux. L’in-tensité accrue des raids – une attaque par semaine –, depuis le début de l’an-née, aurait ait quatre cent trente-deuxmorts (bilan au 30 septembre 2009)incluant civils, insurgés et responsablesde la nébuleuse terroriste. Rien qu’en  juin-juillet 2009 – période la plus san-glante –, cent cinquante-cinq personnesont été tuées, alors qu’en 2008 trente-sixattaques avaient ait trois cent dix-septmorts. Première visée par les drones, larégion montagneuse du Waziristan sud,dans l’ouest du Pakistan, dominée par lemollah Nazir, Mehsud et le réseau Haqqani, du nom d’un ancien comman-dant aghan.

altitude longue endurance) construits par la irme General Atomics. Un droneMQ-1 Predator A peut rester plus devingt-quatre heures en l’air, beaucoup  plus qu’un avion de combat, et suivreainsi les déplacements de l’ennemi. Il

est progressivement épaulé par son suc-cesseur, le MQ-9 Reaper (« la aucheuse,la mort »), deux ois plus gros, quatreois plus lourd (4,7 tonnes), et avec unecapacité d’emport d’armements multi-  pliée par dix. A 8 millions de dollarsl’unité, il reste beaucoup moins cher qu’un avion de combat. Grâce à son réac-teur, le dernier-né, le Predator C Avenger (« le vengeur »), aiche, lui, une vitessede 740 km/h, contre 400 km/h pour leReaper.

En quelques années, les autorités amé-ricaines sont ainsi devenues boulimiquesd’avions sans pilotes. Entre 2002 et2008, leur lotte de drones est passée decent soixante-sept appareils à plus desix mille. Si cette inlation s’expliqued’abord par l’explosion du nombre demodèles légers, servant à la reconnais-sance, les lanceurs de missiles ont éga-lement augmenté. En 2008, on comptecent neu Predator, contre vingt-deux en

2002, auxquels s’ajoutent vingt-six Rea-  per. Selon un état des lieux dressé en janvier 2009, le nombre d’heures de voleectuées par tous les appareils atteintquatre cent mille en 2008, plus du dou- ble de 2007.

Les Etats-Unis y consacrent de plus en  plus de moyens. Pour l’année iscale2010, l’administration de M. Barack Obama a prévu 3,8 milliards de dollars pour le développement et l’acquisition dedrones, notamment l’achat de vingt-qua-tre Reaper pour l’US Air Force et celuide cinq Global Hawk. Cette montée en puissance s’inscrit dans un contexte deorte hausse du budget militaire : il a progressé de 74 % entre 2002 et 2008,atteignant 515 milliards de dollars. Etsurtout, chaque année depuis 2001, lessommes allouées aux robots militairesont presque doublé, permettant l’émer-gence d’une industrie robotique militaireimportante (lire l’encadré).

Les Predator sont déployés sur l’énorme base de Kandahar, dans le sudde l’Aghanistan. On suspecte aussiWashington d’opérer à partir de bases pakistanaises, depuis un accord tacite passé entre M. George W. Bush et M. Per-vez Moucharra, l’ancien président paki-stanais. « Avec la mort de Mehsud, lestalibans sont plus discrédités, et il existeune coopération entre les Etats-Unis et le Pakistan », commente M. Imtiaz Gul, res-  ponsable du Center or Research andSecurity Studies d’Islamabad. « L’armée pakistanaise a demandé des drones et la  possibilité d’appuyer sur la détente,ajoute Mme Fair . Les Pakistanais ne   s’opposent plus, sur le principe, auxattaques de drones, comme ils le aisaient dans le passé. »

Trois jours seulement après son inves-titure, le 23 janvier 2009, le tout récentPrix Nobel de la paix a ordonné desattaques dans les zones tribales du Paki-

stan (4). Huit personnes sont mortes lorsd’un premier raid, dans le Waziristan nord, puis sept, quelques heures plus tard, dansle Waziristan sud. Au 30 septembre,trente-neu attaques avaient rappé lePakistan, contre trente-six pour toute l’an-née 2008. « Bush était prudent concer-

nant le Pakistan. Pour Obama et sonéquipe, le problème est plus global. Il y aune orme de radicalisation en termes de puissance de eu : on ait du “rechercheret détruire” et on recherche une espèce de“droit de poursuites”», souligne le spé-

cialiste Joseph Henrotin (5).A partir de 2008, le pouvoir américain

a tenté de justiier l’utilisation générali-sée des drones par l’impossibilité d’inter -venir directement sur le territoire paki-stanais. Excédé par le manque de volontéou l’incapacité des autorités du pays àmaîtriser les zones tribales, le présidentBush avait autorisé les orces spéciales àopérer au Pakistan. En septembre 2008,une équipe des Navy Seals, basée enAghanistan, passait la rontière et tuaitune vingtaine de personnes, emmes etenants compris. Les responsables   pakistanais ont ermement condamné

(1) Martin Crag, « Le nouveau jeu de la guerre»,dans Science & Vie, hors-série « Spécial aviation »,Paris, 2009.

(2) Frédéric Lert, « Recherche pilotes désespéré-ment», ibid .

(3) « CIA said to use outsiders to put bombs ondrones », The New York Times, 20 août 2009.

(4) Tim Reid, « President Obama “orders Pakistandrone attacks”», Timesonline, 23 janvier 2009.

(5) Jospeh Henrotin,   La Technologie militaire enquestion. Le cas américain, Economica, Paris, 2009.

(6) Nathan Hodge, « Unleash the nuclear-armedrobo-bombers », Wired , San Francisco, 3 juin 2009.

(7) C., à ce sujet, « Dans l’attente desdrones civils », Air & Cosmos, no 2187, Paris, 25 sep-tembre 2009.

(8) Lire Najam Sethi, «Le Pakistan se retournecontre les talibans »,   Le Monde diplomatique,

 juin2009.

l’attaque, laissant entendre qu’une autreintrusion ne serait plus tolérée. Et le  président Obama y aurait eectivementrenoncé.

Le drone s’intègre donc pleinement

dans les plans uturs de l’armée améri-caine. Il devient un « auxiliaire du sol-dat », indique Henrotin, mais « il ne se substitue pas à lui ». Selon un rapport del’US Air Force (USAF) présenté le23 juillet 2009, les orces aériennes« doi-vent être positionnées pour exploiter des systèmes de drones de plus en plus auto-nomes, modulaires et viables qui rendent les orces plus adaptables et mieux dimen- sionnées, permettant de maximiser l’ef-cacité des orces aériennes au XXI e  siè-cle ». Le rapport précise que « les drones sont considérés comme une alternative àune série de missions traditionnellement menées par l’homme ».

AVEC 4,4 MILLIARDS de dollars en 2009, le marché mondialdes drones est dominé à environ 70 % par des sociétésaméricaines comme Northrop Grumman et General

Atomics. Elles abriquent respectivement le Global Hawk (undrone de longue endurance qui peut voler trente-six heurespour des missions de surveillance) et les Predator.

Les sociétés européennes comme Thales, European Aero-nautics Deence and Space (EADS), Dassault, Finmeccanica,Sagem, BAE Systems... sont des nains avec seulement 4 % du

marché. Les sociétés israéliennes en représentent 2 %, mais, enréalité, leur poids est bien plus important car elles coopèrentlargement avec les entreprises européennes. Ainsi Israel Aero-space Industries (IAI) a produit le Hunter (dont la France aacheté quatre exemplaires) et le Heron ou Eagle, qui a consti-tué le support du programme Système intérimaire de droneMALE (SIDM) Harang. L’autre société israélienne, Elbit, a quantà elle produit le drone Hermes, utilisé au Royaume-Uni. Restentenviron 24%, partagés entre moins de 5 % pour les autres socié-tés (en Russie, Inde, Iran, Chine...) et près de 20 % pour descontrats masqués en raison du secret militaire.

Les Etats-Unis sont donc très bien placés pour bénéficier dudéveloppement exponentiel du marché des drones, qui devrait

ateindre 62 milliards de dollars de dépenses dans les dix prochainesannées. L’étude 2009 du cabinet Teal Group confirme que lemarché annuel passera de 4,4 à 8,7 milliards de dollars en unedécennie, pour un total de vingt-cinq mi lle appareils de tous types.En 2010, il devrait représenter de 4 à 5 milliards de dollars, dontun tiers en dehors des Etats-Unis estiment les spécialistes (1).

Pour les très grands drones HALE (high-altitude long-endu-rance), la domination américaine est totale avec le Global Hawk,qui doit équiper l’Organisation du traité de l’Atlantique nord

(OTAN). Là, le combat est perdu pour l’Europe. C’est sur lemarché utur des drones MALE que la compétition sera éroce.Deux sociétés s’afrontent : EADS avec l’advanced UAV ; Das-sault Aviation-Thales et Indra en Espagne avec le SDM. C’est unprogramme où 2,8 milliards d’euros sont en jeu : 1 milliard pourle développement, et 1,8 milliard pour la ourniture de quinzesystèmes de trois appareils. Il reste aussi le domaine des UCAV,les drones aériens de combat. Mais le projet Neuron de Das-sault soufre de deux absents de poids dans la perspectived’une Europe de la déense : les Britanniques et les Allemands.

L. C. ET E. P.

(1) « La guerre des drones aura bien lieu », www.armees.com, 29 juin 2009.

Transformer la CIA en force aérienne

Un quasi-monopole américain

Même pour protéger... Benoît XVI

IRA-T-ON jusqu’à remplacer les pilotes dechasse ? C’est possible. Le document

de l’USAF souligne que « les dronesremodèleront le champ de bataille dedemain ». Avec plusieurs conséquencesenvisageables qui dépassent très large-ment le conflit aghan car, dans l’avenir,ces drones pourraient emporter descharges nucléaires (6).

Plusieurs pays ont également lancédes programmes de drones de combatou UCAV (unmanned combat aerial vehicle), conçus spécialement pour desrappes au sol et le bombardement, voirel’arontement aérien. Là encore, lesEtats-Unis sont en avance, notammentavec le projet de bombardier X-47 B de  Northrop Grumman.

L’extension de l’utilisation des dronesà d’autres onctions « sécuritaires »,comme la lutte contre le tra ic de drogue,ou les immigrants clandestins, est eninenvisagée très sérieusement. En France,des drones ont déjà été utilisés pour desopérations de surveillance : par exemple pour assurer la sécurité du voyage oi-ciel du pape Benoît XVI à Lourdes, les13 et 14 septembre 2008. Plus récem-ment, un petit drone Elsa a survolé Stras- bourg lors du sommet de l’Organisationdu traité de l’Atlantique nord (OTAN).En attendant le développement desdrones civils (7).

Pour l’heure, le bilan de ces appareilsmérite réflexion, aussi bien d’un point devue opérationnel que stratégique. Lesattaques ciblées sont-elles vraiment ef-caces ? Chez les insurgés, au Pakistan eten Aghanistan, elles ne ont que renor-

cer le sentiment de fierté, ace à unennemi incapable d’envoyer des soldats

verser leur sang. Et, après la mort deMehsud, l’inrastructure terroriste toutcomme les conditions économiques etsociales de la radicalisation demeurenten place dans les vingt-sept mille kilo-mètres carrés des zones tribales (8).D’autre part, ces attaques nourrissent leressentiment de la population pakista-naise. Accusant déjà les gouvernants decorruption, l’opinion y voit une atteinte àla légitimité du pouvoir national. Et, alorsque la grande majorité des pays du mondeaccorde un plus large crédit aux Etats-Unis de M. Obama, au Pakistan, l’opi-nion avorable au nouveau présidentdépasse à peine les scores extrêmement bas de M. Bush. « Les drones sont unexpédient mais ne règlent pas les causes proondes, qui prendront du temps à êtreréglées », conclut le politogue Zenko.

APLUSIEURS MILLIERS de kilomètres delà, depuis la base de Creech, dans le

  Nevada (Etats-Unis), la Central Intelli-gence Agency(CIA) contrôle les drones.Un espace clos rempli d’écrans avec cha-cun un clavier et un joystick (manette de jeux vidéo)... C’est dans un univers asep-tisé et sans risque pour les pilotes quesont conduits ces engins. Avec leur longet fin uselage bombé à l’avant pour accueillir une antenne satellite, leurs ailesétroites et leurs dérives arrière inclinées,ces appareils ressemblent à d’inquiétantsinsectes.

Cette guerre à distance pose problème.« Elle change radicalement l’“acte final”du combattant, à savoir donner la mort (...). La guerre avec le drone est-elle deve-nue une banale activité de bureau, voire

un jeu vidéo ? Afin d’éviter tout risque decréer des comportements irresponsables,le Pentagone envoie régulièrement les pilotes sur le terrain, durant quatre à six semaines (1). » Mais ce risque d’irres-

 ponsabilité passe au second plan, derrièreles enjeux économiques : la ormationd’un pilote de chasse américain coûte2,6 millions de dollars, celle d’un pilotede drone est estimée à seulement135 000 dollars (2). Mais ce n’est pas leseul problème.

« A partir de l’été 2008, l’adminis-tration Bush avait pris la décision detransormer la CIA en orce aérienne decontre-insurrection en aveur du gouver-nement du Pakistan », souligne le polito-logue Micah Zenko, du Council onForeign Relations. « Les attaques de laCIA sont secrètes, excluant la possibilitéd’un vrai débat public sur leur efca-cité », poursuit-il. Il semblerait d’ailleursque la société militaire privée américaineBlackwater, impliquée dans plusieurs

scandales en Irak, et depuis rebaptiséeXe, assure certaines tâches liées auxdrones, en paraite opacité et illégalité (3).

L’avantage des drones tient à leur auto-nomie. Les plus utilisés sont des Preda-tor dits MALE (en rançais, moyenne

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Page 14: [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

http://slidepdf.com/reader/full/fr-le-monde-diplomatique-decembrie-2009 14/28

ALA mi-septembre 2009, dès mon arrivée

à Peshawar, j’ai entendu en provenancede Hayatabad, la banlieue ouest de laville, neuf déflagrations précédées desifflements. La cible de ces tirs deroquettes ? Un poste de gardes-fron-

tières chargés de surveiller la barrière par laquelle onpénètre dans le territoire tribal de Khyber.

Encouragé par les Américains, le gouvernement duPakistan a déclaré en 2002 une guerre aux talibans quile conduit à multiplier les opérations militaires dans lesTerritoires tribaux fédéraux (Federally AdministeredTribal Areas, FATA). Ces zones, situées le long de lafrontière avec l’Afghanistan dans le nord-ouest dupays, sont divisés en sept territoires (ou agences) etsix régions (voir la carte), avec trois millions d’habitantsau total (2 % de la population pakistanaise). Les tali-bans afghans s’y étaient réfugiés après leur défaite :dans le Waziristan nord, sous la conduite du chef deguerre antisoviétique Jalaluddin Haqqani ; et, dans leBajaur, sous celle du parti Hezb-e-Islami de M. Gul-buddin Hekmatyar. L’armée de l’Etat fédéral, qui avait

 jusque-là hésité à att aquer ces Afghans favorables au

Pakistan – les considérant comme un atout contre l’in-fluence croissante de l’Inde en Afghanistan –, a finale-ment pénétré dans le Waziristan sud pour appréhen-der les « étrangers » (1).

Le refus par les tribus de livrer leurs hôtes aentraîné à leur encontre une répression qui les aincitées à se liguer contre le pouvoir central. Diversgroupes militants ont rallié les talibans pakistanais, engénéral moins disciplinés que leurs homologuesafghans, et des vétérans jugés inef ficaces ont été mar-ginalisés ou assassinés. Le pouvoir local est, quant àlui, passé aux mains d’hommes tels que le charisma-tique Nek Mohammad, âgé de 27 ans à peine, maisex-combattant en Afghanistan, et farouche adver-saire de la présence américaine dans ce pays.

Durant le conflit contre les Soviétiques dans lesannées 1980, tant les rebelles afghans que l ’armementont transité par les zones tribales, sans que leursstructures politiques s’en trouvent modifiées. Il n’y apas eu alors d’insurrection, estime M. Rustam ShahMohmand, fin analyste politique pakistanais, parceque « la politique gouvernementale et les aspirations du

peuple convergeaient ». Contrairement à aujourd’hui,et cela pour trois raisons majeures, selon lui : la déci-sion prise en 2001 par le président Pervez Mouchar-raf de participer à la « guerre contre le terrorisme »que mènent les Etats-Unis ; l’usage immodéré de laforce dans le soutien à cette guerre perçue commepurement américaine ; la disparition ou la livraison àces derniers de suspects parmi lesquels figurent beau-coup d’innocents. De là le fossé qui s’est creuséentre la population et le gouvernement.

En 2002, dans la Province de la frontière du Nord-Ouest, un vote sanction a porté au pouvoir le Conseil

uni pour l’action (Muttahidda Majlis-e-Amal, MMA),une coalition de partis religieux opposés à la « guerrecontre le terrorisme » (2). Les institutions en place sesont effondrées – notamment le bureau de l’agentpolitique qui, depuis le Raj britannique au milieu duXIXe siècle, fait le li en entre le gouvernement fédéralet les maliks, les chefs de tribu. Les infrastructures tri-bales traditionnelles et le concept même d’autonomie

régionale en ont également pâti, avec pour consé-quence une aggravation de l’insécurité.

En 2004, après deux attentats manqués contreM. Moucharraf, le gouvernement envoya dans leWaziristan sud cinq mille soldats soutenus par deshélicoptères de combat. Mais cette armée subit delourdes pertes, et le pouvoir fut contraint de signerun traité de paix avec Nek Mohammad. Le cessez- le-feu fut cependant rompu le 18 juin, date à laquelle ce

 jeune émir fut assassiné lors d’une « frappe » aérienneaméricaine dont l’Etat fédéral revendiqua la respon-sabilité – comme souvent – pour ne pas avoir àadmettre que sa souveraineté avait été violée parWashington.

Deux autres accords de paix furent conclus aucours des années suivantes. Mais, en août 2007, lesforces armées pakistanaises prirent d’assaut la Mos-quée rouge qu’occupaient des militants protalibans àIslamabad ; cette intervention, en entraînant la mortde nombreux innocents, déclencha une vague de ter-rorisme jusque dans les autres grandes villes. Enréponse, l’armée élargit le théâtre de ses opérations

aux territoires de Bajaur, Mohmand et Khyber. Lescombats y furent violents sans que nul ne l’emporte,mais des millions de personnes furent déplacées et lacolère contre le gouvernement s’amplifia.

Les tensions qui couvaient depuis deux ans dansla vallée de Swat ont atteint un point culminant en2009, lorsque les forces armées pakistanaises y ontfait irruption, après l’échec de l’« ordre judiciaire isla-mique » (Nizam-e-Adl) – le nouvel accord de paix quel’Etat fédéral avait signé avec le Mouvement pourl’application de la charia islamique (Tehrik Nifaz Sha-riat-e-Mohammadi, TNSM), parti local prônant lerétablissement de la législation régionale.

 JUSQU’EN 1969, en effet, les districts du Malakandque constituent Chitral, Dir et Swat étaient desEtats princiers indépendants, avec leurs propres

codes juridiques – une variante de la charia dans lavallée de Swat. Leur rattachement au Pakistanentraîna le remplacement de ces codes par la législa-tion nationale, mais sans que les procédures judi-ciaires existantes soient modifiées en conséquence.Dans les tribunaux de district, les dossiers restèrentdonc en souffrance et les affaires furent sans cessereportées. Situation qui provoqua, dès la fin desannées 1970, une mobilisation pour le retour au sys-

tème précédent à laquelle M. Sufi Mohammed contri-bua en fondant le TNSM en 1989.

Au cours des années suivantes, ce mouvementprit les armes à deux reprises, ce qui amena le gou-vernement de Benazir Bhutto, en 1994, et celui deM. Nawaz Sharif, en 1999, à des concessions pourobtenir l’arrêt des violences. En vain : le TNSM ne

cessa de se développer. M. Mohammed partit combattre les forces américaines en Afghanistan, à latête de dix mille hommes. La plupart d’entre euxayant été tués ou capturés, il perdit beaucoup de soncrédit. De plus, à son retour, il fut emprisonné àDera Ismail Khan.

En 2005 toutefois, son gendre, le mollah Fazlullah,réactiva le TNSM, qui se radicalisa et se renforçagrâce à l’afflux de militants ayant fui devant lesattaques de drones américains dans les régions tri-bales. Après avoir été rebaptisé Mouvement talibandu Pakistan (Tehrik-e-Taliban Pakistan, TTP) parM. Fazlullah en décembre 2007, ce parti gagna enpopularité chez les plus démunis ; la rhétorique popu-liste de son leader, Baitullah Mehsud, sa façon derendre promptement justice et ses critiques à l’égardde la vieille élite féodale attirèrent également à lui denombreux jeunes mécontents. Asif Ezdi, autre ana-lyste politique, explique que « l’Etat a ortement déçu »les jeunes, et il ajoute : « L’islamisme militant au Paki-stan s’est nourri du comportement des élites, qui se sont servies de l’Etat pour préserver et accroître leurs privilèges,et qui ont précipité les gens ordinaires dans une pauvreté

de plus en plus grande et dans le désespoir. »

Confrontés au chômage, les jeunes rejoignirentmassivement les rangs des talibans parce qu’ils pou-vaient y obtenir des armes et un entraînement mili-taire, et que les médias privés, particulièrement dyna-miques, poussaient à un engagement politique – maisaussi parce que la guerre menée par les talibans étaitperçue comme un combat contre ces élites. « Danscertaines régions, des paysans sans terre se sont dresséscontre les riches propriétaires terriens », raconte M. Ezdi.Et cela, « dans un pays où les gens ordinaires ont peu dechances de ranchir les barrières sociales, le gouvernement,le système politique et les élites semblant ligués contreeux. C’est ce mélange de erveur révolutionnaire et d’en-thousiasme religieux qui a ait le succès des talibans (3) ».

Les petits délinquants intégrèrent pour leur partle TTP à mesure que l’influence de celui-ci grandissait,afin d’échapper à la justice expéditive des talibans,mais également pour bénéficier à la fois d’un arme-ment et d’un réseau de relations puissant dont ils usè-rent pour terroriser leurs concurrents aussi bien quela population. Cependant, conformément à leur inter-prétation obscurantiste de l’islam, les talibans locauxinterdirent l’instruction des filles, et plus d’une cen-taine d’écoles furent détruites ; il en découla poureux une rapide baisse de popularité – même le TTP,par la voix de son porte-parole le maulvi Omar, for-mula des réserves concernant pareille décision.

Désireux de contrer l’impact du TTP, le gouver-nement pachtoune de la Province de la frontière duNord-Ouest libéra M. Mohammed en 2008. Il avaitofficiellement renoncé à la violence et des négocia-tions aboutirent, en février 2009, à cet ordre judiciaireislamique, sur la base d’un compromis : la fin des hos-tilités et le dépôt des armes contre l’acceptation parl’Etat fédéral des tribunaux islamiques, dans lesquels

la loi s’appuie sur la charia. L’accord ne fut ratifié parle pouvoir que... le 14 avril 2009 et, après un semblantde normalité, la paix civile ne revint pas dans la val-lée de Swat ; aucune des parties en présence n’avaitrespecté ses engagements.

CERTAINS commentateurs occidentaux et leursalliés locaux se hâtèrent de dénoncer la nou-velle législation : ils affirmèrent que le Pakistan

était au bord du gouffre et que son arsenal nucléairene tarderait pas à tomber aux mains des talibansarrivés à cent kilomètres de la capitale. La pressionsur Islamabad s’intensifia. En mai, lorsqu’un groupe demilitants du TTP organisa un raid provocateur à motodans la vallée voisine de Buner, les médias présentè-rent l’incident comme le prélude à une marche sur lacapitale, et les chars se mirent en mouvement.

L’armée réussit à déloger ces militants, mais prèsde trois millions de civils furent déplacés à la suite de

son intervention. Parmi ceux qui restèrent, beau-coup furent tués lors des bombardements. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfu-giés (UNHCR) dénonça de tels actes, et avertit qu’ilpourrait à peine fournir le tiers des secours néces-saires. La plupart des réfugiés furent logés dans desfamilles, chez des amis ou par des bénévoles. Le gou-vernement ne proposa aucune mesure d’assistance, etles aides étrangères atterrirent en majorité dans lapoche de politiciens corrompus. Les dirigeants duSind et du Pendjab, dans l ’est du Pakistan, imposèrentdes restrictions à l’entrée de réfugiés dans leu rs pro-vinces – ce qui mit en relief la dimension ethnique duconflit, les Pachtounes se considérant comme la pre-mière communauté visée par une telle mesure.

Néanmoins, contrairement aux interventionsmilitaires dans les zones tribales, cette opérationfut approuvée par la population pakistanaise (à 41 %,selon plusieurs sondages réalisés durant l’été [4]) etsaluée comme un succès par les dirigeants politiques,l’armée et les médias. Tous estimèrent qu’il étaitimpératif de combattre les militants et les délin-quants dans le Malakand, sans forcément approuverle recours à la force. « Je pense que [la guerre] était évitable, déclare Rahimullah Yusufzai, journaliste etanalyste réputé, mais le Pakistan n’est pas un acteur libre et indépendant. Les Etats-Unis et d’autres pays ont exercé des pressions, et, pour diverses raisons, le gou-vernement n’a pu résister. » A ses yeux, les militantsn’ont jamais constitué une menace pour le pays oupour son arsenal nucléaire. « Le gouvernement dit lui-même qu’il n’y avait pas plus de cinq mille talibans ; ilscontrôlaient la vallée de Swat, ils sont entrés dans leBuner – de combien d’hommes auraient-ils disposé pour marcher sur la capitale ? »

Le Pakistan compte cent soixante-treize millionsd’habitants, dont un million d’hommes dans l’armée,

et l 

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique

P A R N O T R E E N V O Y É S P É C I A L

M U H A M M A D I D R E E S A H M A D *

Quand l’islamisme

 politique se nourrit

du comportement des élites

Plus de trois millions

de réugiés,

laissés à l’abandon

* Journaliste, coondateur du site Pulsemedia.org

Bajaur ajaurBajaur 

Mohmand

Khyber 

Orazkai Kurram

Waziristannord

WaziristanaziristanSudud

Waziristan sud

Pecechawar awarPeshawar

PechawechawPeshaw

Khan

Tank 

Lakki akkiMarwat arwat

Bannu

Karak arak

Hanguangu Kohat ohat

Lakki Marwat 

Karak 

Hangu Kohat 

ChaAFGHANISTAN

BALOUTCHISTAN

FATA

PEND

Sources :et des re(NTI), 20Institute

alimentai

Territoires tribaux fédéraux (FATA)

Province de la frontièredu Nord-Ouest (NWFP)

Territoire fédéral d’Islamabad

Zones de conflits

Présence importante de personnesdéplacées (en dehors des camps)

Camps de réfugiés

PAKISTAN

AFGHANISTAN

IRAN

TURKM�NISTAN CHINE

INDE

C    A  C    H   

E    M   I         R    

E      

Peshawar

Quetta

Karachi

BALOUTCHISTAN

SIND

PENDJAB

FATA2

NWFP 1

TERRITOIRES DU NORD

Minede cuivredÕAynak

Gwadar

Col deSalang

Mine de ferde Hajigak

New Delhi

Islamabad

Kaboul

Khusab

D�sert deKharan

Pokharan

Lahore

Violences politiques et actes de guerre

Territoires contest�s

Ligne de cessez-le-feu de 1949

Sites dÕessaisnucl�aires

Installations nucl�aires : unit�s d'assemblagede la bombe, extraction et enrichissementdÕuranium, r�acteur de recherche

Exploitations de p�trole ou de gaz

Ol�oducs et gazoducs

Missiles balistiques

en projet

Autoroute du Karakoram

1. Province de la fronti�re du Nord-Ouest. 2. Territoires tribaux f�d�raux.

0 300 km

existants

Baloutches

Pendjabis

Pachtounes

Sindhis

Distribution ethnique

Autres

Protégé par les puissances occidentales,

 M. Hamid Karzaï a été investi à Kaboul,

le 19 novembre 2009. Après huit ans

d’interventions étrangères, l’Aghanistans’enonce dans le chaos, entraînant 

dans la tourmente son voisin pakistanais.

Singulièrement dans les zones tribales

rontalières où les « dégâts collatéraux »

des bombardements américains

et le retrait de la puissance publique

avorisent les extrémismes.

Le président Asi Ali Zardari essaie

de reprendre pied, en lançant une vaste

ofensive militaire au Waziristan.

Quelques mois plus tôt, il avait mené

le même type d’opération dans la vallée

de Swat. Sans résultat tangible,

comme en témoigne notre envoyé spécial.

OFFENSIVE MILITAIRE DANS LES ZONES TRIBALES

Le Pakistan fabrique ses propres enn

14

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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ossède des forces aériennes bien équipées. « Lesans n’avaient ni la capacité ni l’intention d’entrer danspitale, affirme Yusufzai. Ils visaient uniquement lekand ; et, même là-bas, ils n’étaient inluents quetrois districts sur sept. » Quant à l’ordre judiciaireique, s’il ouvrait la porte à la charia – comme lesrds signés par les deux gouvernements laïquesédents –, il comportait des concessions de part

’autre. Enfin, certains sont convaincus queohammed aurait pu, par son aura, désamorcer leit et marginaliser les extrémistes.

’ex-ministre et commentateur pakistanais Roe-Khan se demande si toutes les options politiquesbien été envisagées : « Nous n’avons jamais vu dee plus inutile, plus diicile à justiier et à gagner. Faceméthodes non conventionnelles des insurgés, le

urs à la orce seule a peu de chances de réussir : le

LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200915ral

Haut-Dir 

Bas-Dir as-DirBas-Dir 

Swat watSwat 

Buner unerBuner 

ShanglahanglaShangla

Islamabad

Swabi 

Kohistanohistan

Batagram

Mansehra

 Abbottabad

akand Pa

Mardanda

Kohistan

Haripur 

Nowshera

PHILIPPE REKACEWICZ 

NWFPWF PNWFP 

PAKISTAN

ogical Survey of Pakistan (GSP) ; ministère du pétroleces naturelles du Pakistan ; Nuclear Threat Initiative

Center for Nonproliferation Studies (CNS), Montereyternational Studies ; Unocha ; UNHCR ; Programme

ondial (PAM).

0 50 100 km

PAR SARAH DAVISON *

DANS le « grand jeu » qui sedéroule en Aghanistan, la Chineest en train de gagner. Pas l’Inde.Bien que New Delhi ait apporté

ne contribution de plus de 1 milliard deollars à Kaboul cette année, que les deuxays partagent une histoire communeeille de plus de cinq cents ans, Pékin, lui,arque des points politiques plus impor-nts en Aghanistan et dans la r égion.

Au lieu de ournir de l’aide, la Chineet l’accent sur le commerce et les inves-ssements directs étrangers, qui ont battuus les records. En avril 2009, l’entre-ise d’Etat China Metallurgical Construc-on Corporation a payé 3,5 milliards deollars – plus du double de la sommecomptée – pour acquérir la mine de cui-e d’Aynak, à cinquante kilomètres au

ud de Kaboul, dans la province du Logar ontrôlée par les talibans.

« Autant la présence de la Chine s’af-rme comme une série de succès diplo-atiques et politiques, autant celle deInde est une chronique d’échecs reten-ssants », estime l’ancien diplomatedien M. K. Bhadrakumar. Selon lui, lahine gagne car elle est concentrée sur s objectis. Pendant ce temps, l’Inde

emeure obnubilée par son opposition auakistan, ce qui l’empêche de nouer des

liens plus étroits avec Kaboul dans lacrainte que ceux-ci tournent au seul béné-fice d’Islamabad.

L’exemple le plus flagrant est celui dugazoduc entre l’Iran, le Pakistan et l’Inde,que New Delhi néglige malgré sesénormes besoins. Ce projet très importantaurait pu lui permettre de réduire sa pénu-rie énergétique et de stabiliser les relationsrégionales. Traversant l’Aghanistan de part en part, il aurait généré des milliersd’emplois pour la main-d’œuvre aghane,tout en développant les capacités tech-niques qui ont cruellement déaut au pays.Mais New Delhi a peur de devenir dépen-dant de son voisin, ce gazoduc ranchissantle territoire pakistanais.

Tandis que les autorités indiennesconçoivent l’Aghanistan comme un lieuoù se joue leur opposition avec Islama- bad, Pékin le considère comme un our-nisseur de richesses pétrolières, gazièresou minérales, et un utur partenaire com-mercial. Une stratégie pragmatique quiapparaît plus solide et plus cohérente.

Combinée avec un arsenal financier mus-clé, elle contribue à établir une confiancerégionale.

LE CONTENU des projets soutenus révèle paraitement la diférence entre les gou-vernements chinois et indien – plus quel’ampleur même des programmes. Pékina investi dans Aynak, qui constitue ladeuxième réserve de cuivre du monde (plusde onze millions de tonnes). Outre les huitmille emplois directs attendus, la Chines’est engagée à construire sur place unecentrale électrique de quatre cents méga-watts, une onderie, une ligne de chemin de

er jusqu’au Tadjikistan, et à aire de subs-tantiels investissements dans l’enseigne-ment, le logement et la santé.

Ces investissements sont typiques de saaçon de concevoir le développement, tanten Asie centrale qu’en Arique. La Chineutilise en efet la création d’emplois et ledéveloppement économique pour pro-mouvoir la stabilité, tout en veillant àsatisaire ses propres besoins en res-sources naturelles. Ces engagements,expliquent les sources diplomatiques chi-noises à Kaboul, prouvent que Pékin croiten la uture stabilisation de l’Aghanistan.Au-delà, le soutien de la Chine aux paysvoisins en diculté vise également, seloneux, à assurer l’avenir, et singulièrementles échanges commerciaux au bénéfice dechacun des pays.

« Il faut placer ces choix dans lecontexte du programme chinois de déve-loppement du “Grand Ouest”, qui a donnélieu à des investissements massifs dans lesrégions occidentales de la Chine, ainsiqu’au-delà de ses frontières, en Asie cen-

trale, Asie du Sud et Iran », expliqueM. Niklas Norling, expert pour la Chine etl’Asie centrale auprès de l’Institute or Security and Development Policy deStockholm (1). Il donne quelques exem- ples de ces investissements chinois : l’au-toroute du Karakoram au Pakistan, le portde Gwadar, le gazoduc reliant le Turkmé-nistan au Xinjiang, et un contrat énergé-tique de 100 millions de dollars sur vingt-cinq ans avec l’Iran.

En revanche, c’est l’Inde qui aconstruit le réseau apportant de l’électri-cité sept heures par jour à Kaboul et qui,ainsi, met in aux constantes coupures

de courant – ce qui est évidemment très populaire auprès des Aghans. L’électri-cité vient directement d’Ouzbékistan

grâce à de nouvelles lignes à haute ten-sion qui ont coûté cher car elles ran-chissent le col de Salang, à plus de qua-tre mille mètres d’altitude. New Delhi aaussi créé une série de petits projets dedéveloppement majoritairement situésdans la région ort instable de la rontièrenord entre l’Aghanistan et le Pakistan. Ilinvestit également de ortes sommes dansdes programmes sanitaires et alimen-taires qui orent des services de qualité bien supérieure à ceux dont bénéicientses propres citoyens.

TOUS CES EFFORTS n’ont cependant rienchangé. Le 8 octobre 2009, une bombedissimulée à bord d’une voiture a explosédevant l’ambassade indienne à Kaboul  – le second attentat en moins d’un an.Ces deux explosions, mises au compte duréseau Haqqani, lié à Al-Qaida, ont tué  plus de cent cinquante personnes et  blessé des centaines d’autres. Elles sont

considérées comme une réaction à lamontée de la présence indienne dans un  pays que le Pakistan voit comme sachasse gardée.

Tandis que l’Inde arme sa présencediplomatique avec une ambassade impo-sante dans la capitale, et quatre consulatsdans l’ensemble du pays, la Chine a choisila voie opposée : une ambassade modeste, peu ournie en personnel et bien dissimu-lée derrière une porte rouge rarementouverte. Volontairement, à l’image de sonaide, elle ait profil bas. Son projet le plusimportant se chifre à 25 millions de dol-lars, au bénéfice de l’Hôpital de la répu-

  blique à Kaboul, doté de trois cent cin-quante lits ; inauguré en août, il se révèlemaintenant le mieux équipé de tout le pays.

Mais la priorité est donnée aux investis-sements sur des projets qui apportent unretour immédiat pour Pékin, tout en stimulant le développement économiquelocal.

Désormais, les sociétés indiennes tententde rivaliser. De nouveaux gisements vien-nent d’être découverts, dont deux de cuivre, plusieurs autres contenant cuivre et or. Sansoublier le gisement de er de Hajigak, àcent trente kilomètres à l’ouest de Kaboul,avec un milliard huit cents millions detonnes de réserves, dont l’exploitation aitl’objet d’un appel d’ofres. Cinq compa-gnies indiennes sont en concurrence avecune société d’Etat chinoise. Kabouldemande en échange une aciérie, une ligneerroviaire et une usine de ertilisants pour l’agriculture – autant de projets quidevraient permettre de multiplier lesemplois. Selon des sources aghanes, lesChinois seraient avoris en raison de leur expérience avec la mine d’Aynak. Compte

tenu du nombre de travailleurs qui pour-raient être recrutés, celui qui gagnera verrason aura s’accroître, dans un pays où sontencore basés plus de cent mille soldatsvenant de pays occidentaux.

Savoir en fin de compte qui de la Chineou de l’Inde tirera profit de ses relationsavec l’Aghanistan dépend en grande par-tie de l’évolution politique sur le terrain.Mais la Chine semble être en mesure d’ob-tenir d’ores et déjà un meilleur retour sur investissement.

(1) Interview à Eurasianet.org, l’organisme ondé par le milliardaire George Soros.

* Journaliste à Kaboul. Ce texte est extrait d’un arti-e publié par   Far Eastern Economic Review, Hong-ng, novembre 2009.

Inde et Chine se disputent l’Afghanistan

(1) Lire Graham Usher, « Liaisons dangereuses en Asie du Sud », Le Monde diplomatique, janvier 2009.

(2) Le MMA s’est efondré lors des législatives de évrier 2008. LireJean-Luc Racine, « Pakistan : le plus dur reste à aire », www.monde-diplomatique.r, 27 évrier 2008.

(3) Asi Ezdi, « Thank you, Sufi Muhammad », The News, Islamabad,29 avril 2009.

(4) Sondages Gallup Pakistan, Islamabad, des 26-27 juillet 2009, etGallup- Al-Jazira du 13 août 2009.

(5) « 60 drone hits kill 14 al-Qaeda men, 687 civilians », The News,Islamabad, 10 avril 2009.

(6) L’exercice valant ce qu’il vaut, d’après un sondage Gallup, enaoût 2009, 59 % des Pakistanais pensaient que la principale menace venaitdes Etats-Unis, alors que 18 % désignaient le rival traditionnel indien et11 % (même si ce pourcentage avait augmenté) les talibans. Si le mêmesondage révélait que 41 % des personnes interrogées soutenaient l’in-tervention militaire dans le Swat, 43 % déclaraient lui préérer une solu-tion politique.

(7) Julian Barnes et Greg Miller, «US aiding Pakistani military ofen-sive », Los Angeles Times, 23 octobre 2009.

(8) Syed Saleem Shahzad, «A new battle begins in Pakistan », AsiaTimes, Hongkong, 19 octobre 2009.

mis

militant n’a pas besoin de gagner, mais seulement decontinuer à se battre.» Et M. Rustam Shah Mohmand,

un autre commentateur, s’interroge : « Si le but de l’in-tervention était de combattre des éléments hostiles àl’Etat, il aurait allu ne s’attaquer qu’à eux. Pourquoi le

 gouvernement a-t-il jugé nécessaire d’envahir tout le ter-ritoire ? En utilisant les orces aériennes et en bombar-dant sans discernement, il était certain que la populationsourirait. » Le pouvoir l’a certes emporté dans la val-lée de Swat, mais, selon M. Mohmand, cela pourraitdevenir une victoire à la Pyrrhus si « les causessociales, économiques et politiques qui ont provoquél’émergence des talibans ne sont pas traitées et si unevaste reconstruction n’est pas entreprise ».

Autres marques d’aveuglement politique, pourYusufzai : l’arrestation des membres de la choura, lecomité consultatif taliban, que les autorités pakista-naises avaient conviés en septembre 2009 à desnégociations. Ou la tactique consistant à armer desmilices contre les talibans (à l’instar des milices sun-nites irakiennes dites du « réveil ») dans une régionoù les vendettas courent parfois sur des généra-tions. Ou encore la démolition des habitations qu’aordonnée le régime dans la vallée de Swat, car, lesmaisons étant partagées par des familles très élargies,leur destruction décrétée en représailles contre unde leurs fils en fuite ne peut que susciter le ralliementà l’insurrection de nouvelles recrues.

Si l’on constate dans cette région le retour à unepaix fragile, plus de deux cents suspects et sympa-thisants n’en ont pas moins été exécutés depuis la findes combats, dans une totale impunité, par les forcesde sécurité ou des milices locales ; et la populationest habitée par une crainte permanente. « Si, aupa-ravant, les gens étaient terrorisés par les talibans, ilsvivent aujourd’hui dans la peur de l’armée, affirmeYusufzai. N’importe qui peut être taxé de talib. » Il suf-fit, pour régler ses comptes avec quelqu’un, de l’ac-cuser de sympathie talibane. « Votre maison est démo-lie, vous êtes emprisonné, et demain votre corps est jetédans un champ. Les gens sont erayés, ils craignent des’exprimer. »

En octobre dernier, à la veille de l’incursion mil i-taire dans le Waziristan sud, les opérations des tali-bans s’étaient multipliées. Sous la direction deM. Hakimullah Mehsud, âgé de 28 ans, elles avaient

visé Hangu, Kohat, Shangla et Peshawar, tuant enmajorité des civils. Quand le pouvoir central a inten-sifié les bombardements aériens pour préparer l’of-fensive terrestre, les actions des talibans se sontfaites plus spectaculaires. Des sympathisants venusdu Pendjab ont même osé s’en prendre aux quartiersgénéraux de l’armée à Rawalpindi.

Dans le même temps, les attaques de dronesaméricains (lire l’article page 13) se sont poursuivies

dans les zones tribales. Selon une enquête publiéepar The News (5), sur sept cent un civils décédés au

cours de soixante bombardements entre le 29 jan-vier 2008 et le 8 avril 2009, seules quatorze per-sonnes étaient suspectées d’être des militants. Aussil’opinion publique est-elle indignée (6).

AVEC SON ARMÉE de terre mal équipée et l’aideaméricaine, le Pakistan tente d’accomplir ceque les Etats-Unis et l’Organisation du traité

de l’Atlantique nord (OTAN) n’ont pas été capablesde réaliser en Afghanistan. Mais plus l’interventionmilitaire dure et plus les provinces frontalières ris-quent d’échapper à son contrôle ; avec l’accroisse-

ment du nombre de victimes et de l’insécurité, l’in-surrection a déjà gagné certains districts du Pendjab.Pourtant, cette réalité n’empêche ni les élites paki-stanaises ni les commentateurs occidentaux d’espé-rer éliminer tous les talibans, et les voix qui s’élèventcontre la guerre sont aussitôt suspectées de sympa-thie envers eux.

La récente incursion de vingt-huit mille soldatsdans le Waziristan sud a provoqué un nouvel exodemassif : un tiers de la population a été déplacé. Alorsque les talibans perdaient de plus en plus de sympa-thisants, l’agence Associated Press a noté que desréfugiés exprimaient leur colère contre le gouver-nement en criant : « Vivent les talibans ! » Au lieu degagner les cœurs et les esprits, le pouvoir les livre àl’ennemi ; et si les talibans ne sont pas aimés, lui l’estencore moins. La conviction que le Pakistan se batpour les Etats-Unis persiste – les attaques au Wazi-ristan ne se font-elles pas sous la surveillance dedrones américains (7) ?

D’après le journaliste Syed Saleem Shahzad, les

événements de ces sept dernières années ont prouvéque les talibans pakistanais sortent toujours renfor-cés des opérations qui sont menées contre eux. Ilsse regroupent déjà dans la vallée de Swat, qu’ilsavaient quittée lors de l’offensive, constate-t-il.« Lorsque la neige commencera à recouvrir les principalesvoies d’approvisionnement, il est probable que les talibansauront reconquis tout le territoire perdu (8) . » Lesmédias comme les commentateurs occidentaux n’enconservent pas moins leur optimisme.

En 2002, Hayatabad abritait de nombreux réfugiés afghans. Les plus pauvres s’étaient installés

dans les bidonvilles de Kacha Garhi, sur la route de Jamrud qui mène à la passe de Khyber. Mais pas mal d’autres avaient ouvert des boutiques en ville et,dans plusieurs quartiers, les transports et les commerces étaient entre les mains de ces réfugiés

 – dont certains migraient, l’été, vers l’Afghanistan, oùles températures sont plus clémentes.

Aujourd’hui, beaucoup d’Afghans quittent Haya-tabad pour des raisons de sécurité : on y voit partoutdes points de contrôle, les enlèvements y sont nom-breux – et, rien qu’entre la mi-septembre et la mi-octobre, au moins trois attentats-suicides et quatreattaques à la roquette y ont eu lieu.

Le jour où j’ai entendu des roquettes tomber surHayatabad, le reportage de Foreign Policy , sur AfPak Channel, était intitulé « Everything’s coming up rosesin Pakistan » (« Le meilleur des scénarios se dérouleau Pakistan »). L’attentat était attribué à M. MangalBagh Afridi, dirigeant du mouvement interdit Lash-kar-e-Islam et ex-allié du gouvernement, qui avaitnaguère été accusé de faire sortir du Khyber des fugi-tifs et des délinquants, puis de fournir une protection

aux convois de l’OTAN. Les alliances fluctuent faci-lement, on le voit – une raison supplémentaire pourne pas armer des milices.

Le lendemain de ces frappes sur Hayatabad, lagalette coûtait 15 roupies sur le marché, contre 2 rou-pies la veille – tandis que les salaires stagnent, que l’inflation et le chômage grimpent. Dans les rues, personne ne parlait des dangers menaçant la popula-tion : tout le monde se plaignait du coût de la vie.

MUHAMMAD IDREES AHMAD.

Principale préoccupation

des habitants,

le prix de la galette

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(1) http://theses.ulb.ac.be/ETD-db/collection/avai-lable/ULBetd-11282007-102000/

(2) Hernán Millas, La Familia militar, Planeta, San-tiago, 1999, p. 23-28.

(3) Francisco Herreros, «Prensa canalla y violaciónde los derechos humanos »,   El Siglo, Santiago,4 novembre 2005 ; www.purochile.org/27.html

(4) A l’exception de treize dirigeants démocrates-chrétiens qui, réunis autour de Bernardo Leighton,condamnèrent le coup d’Etat. Leighton sera griève-

ment blessé à Rome, en 1975, dans un attentat orga-nisé par la police secrète de la dictature.

(5) Son fils aîné Eduardo Frei sera également pré-sident de 1994 à 2000.

(6) Luis Alvarez, Francisco Castillo et AbrahamSantibáñez, Septiembre. Martes 11. Auge y caída de

 Allende, Triuno, Santiago, 1973.

(7) Ernesto Carmona, « El inorme Valech tambiénsentó a los periodistas chilenos en el banquillo»,

 Rocinante,Santiago, janvier 2005.

Chaque jeudi, le meilleur

de la presse internationale

chez votre marchand de journaux

DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 16« SALVADOR ALLENDE PRÉPARAIT UN AUTO-COUP

Ce plan Z qui a épouvantéAu Chili, une campagne médiatique mensongère, menée en

particulier par le quotidien « El Mercurio », a préparé puis justifié

le coup d’Etat du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende.

Actuellement, la presse, y compris internationale, se déchaîne

contre les transormations sociales en cours en Bolivie, enEquateur, au Venezuela, et choie la politique « responsable »

menée à Santiago. Laquelle risque de provoquer un retour de la

droite au pouvoir, le 13 décembre prochain.

PA R J O R G E M AG A S I C H *

SEPT JOURS après le coup d’Etatdu 11 septembre 1973, le quoti-dien chilien   El Mercurio titresur huit colonnes : « L’ex-gou-vernement marxiste préparait

un auto-coup d’Etat ». Une inormationterrifiante! L’administration de Salvador Allende aurait omenté un plan d’assas-sinat massi de militaires, de dirigeants politiques et de journalistes d’opposition,sans oublier leurs amilles. Nom de code : planZ. « Des milliers de personnes sont impliquées dans cette sinistre opéra-tion» , relate l’article signé Julio ArroyoKuhn, un journaliste très proche des ser-

* Historien, chargé de cours à l’Institut des hautesétudes des communications sociales de Bruxelles,auteur de Los que dijeron « No ». Historia del movi-miento de los marinos antigolpistas de 1973, LOM,Santiago (Chili), 2008.

vices de renseignement de la marine. Unmois plus tôt, il avait difusé de aussesinormations diabolisant des marins quis’étaient réunis avec les dirigeants des partis de gauche pour dénoncer le putschimminent (1).

Fraîchement désigné secrétaire de la  junte, le colonel Pedro Ewing convoqueune conérence de presse, le 22 septem- bre. Devant ce qui reste de la presse natio-nale et des journalistes étrangers, ilexplique que, le 19 septembre, jour del’armée, Allende projetait d’inviter àdéjeuner le haut commandement au palais  présidentiel de la Moneda. Par surprise,ses gardes du corps, déguisés en serveurs,cribleraient les ociers de balles, tandisque, dans le parc O’Higgins de Santiago,les militaires en train de défiler et les diri-geants de l’opposition seraient massacrés.

Des carnages similaires surviendraientdans les provinces. Le lendemain, la« République populaire démocratique duChili » serait instaurée. Ainsi l’établissent  – conclut le colonel – les documentsdécouverts dans le cofre-ort du vice-

ministre de l’intérieur d’Allende, DanielVergara, et leur copie trouvée à la Banq uecentrale.

A mesure que les services de rensei-gnement déchifrent les pièces – du moinsle prétendent-ils –, le colonel multiplieles révélations lors de nouvelles coné-rences de presse. Au cours de l’uned’elles, il annonce qu’une seconde phasedu plan envisageait l’assassinat d’Allende.Bien qu’aucune question ne puisse êtreormulée, les journalistes étrangerss’étonnent qu’Allende soit l’auteur d’un plan incluant… son assassinat (2).

Qu’importe, les médias pilonnent l’opi-nion. Chaque scoop se révèle plus sensa-tionnel que le précédent : « Une autreécole de guérilla découverte à NuevaImperial » ; « Les marxistes encoura-geaient de sinistres plans dans la zone dusalpêtre» ; « Le PS [Parti socialiste] et leMIR [Mouvement de la gauche révolution-

naire] planifiaient l’assassinat de six cents

amilles » ; « Les marxistes projetaient ladestruction de Limache » (3). Dans unarticle du même Kuhn, le 23 octobre, La Estrella (Valparaíso) rendra compte, à samanière, des exécutions de militants del’Unité populaire (UP) : « Quatre chesdu plan Z passés par les armes ».

La junte mobilise tous les moyens pour accréditer l’existence du plan. Il sera évo-

qué lors de la XXVIIIe Assemblée géné-rale de l’Organisation des Nations unies(ONU), le 8 octobre 1973, par le ministredes afaires étrangères, l’amiral IsmaelHuerta, devant une salle presque vide. Etil figure dans le Manuel de l’histoire du

Chili, de Frías Valenzuela (1974), adopté par un grand nombre d’écoles.

La véracité de la conspiration est cau-tionnée par la quasi-totalité des intellec-tuels du bloc d’opposition au gouverne-ment de l’Unité populaire (UP) qui unitla droite et les démocrates-chrétiens (4).Le plan Z n’est au ond que le prolonge-

ment des virulentes campagnes média-tiques qui ont précédé le putsch, menées,en tout premier lieu, par   El Mercurio.Quotidien de réérence extrêmementconservateur, lancé en 1827 à Valparaísoet en 1900 à Santiago, propriété d’Agus-

tín Edwards, une des grandes ortunes duChili, le journal a été ondamental dansla préparation du coup d’Etat. Selon lerapport du Sénat des Etats-Unis – « Covertaction in Chile 1963-1973 » (1975) –, El Mercurio et d’autres médias ont reçu1,5 million de dollars de la Central Intel-ligence Agency (CIA) pour déstabiliser Allende.

« JE S UI S femme, socialiste, séparée et agnostique. Je réunis quatre péchéscapitaux. Mais nous allons faire dubon travail. » C’est ainsi que

Mme Michelle Bachelet a salué les chesmilitaires lorsqu’elle a pris ses onctions

de ministre de la déense, début 2002.Un poste jusque-là jamais confié à uneemme et qu’aucun socialiste n’avaitoccupé depuis le gouvernement de Sal-vador Allende. En mars 2006, c’est dansle même état d’esprit qu’elle arrivera aupouvoir, portée par la Concertation despartis pour la démocratie (la Concerta-ción). Cette coalition réunissant desdémocrates-chrétiens, des libéraux, dessociaux-démocrates et des socialistesgouverne le pays depuis la « transitiondémocratique », en 1989. Les présidentsantérieurs Patricio Aylwin, Eduardo Freiet Ricardo Lagos en étaient issus.

Pendant son mandat, « la Michelle »,comme l’appellent nombre de Chiliens, amis en place une série de programmes etde réormes destinés à améliorer la qua-lité de vie de la population en atténuantles eets du modèle économique néo-libéral introduit sous la dictature du

général Augusto Pinochet (1973-1989) :élargissement de la couverture santé ;« pension solidaire » attribuée à plus d’unmillion de personnes ; création d’unréseau national de crèches (trois millecinq cents à l’horizon 2010) qui a eupour efet de stimuler la participationdes emmes au marché du travail...

Pour autant, à l’occasion du bicente-naire de l’indépendance, en septem-bre 2010, le Chili ne sera pas le pays« développé » qu’avait promis l’ex-prési-dent Lagos. La prophétie reposait en

efet sur les indicateurs économiques desannées 1990, et en particulier sur lacroissance moyenne du produit intérieurbrut (PIB), qui était alors de 7,6 %. Or lacrise asiatique de 1997-1998 a brusque-ment reiné cette expansion économiqueet, pendant les six années du mandat deM. Lagos, le PIB ne s’est accru enmoyenne que de 4,3 %.

C’est de cette situation qu’a héritéMme Bachelet à son arrivée au palais de laMoneda. Au cours des trois premièresannées de sa présidence, la croissance duPIB a chuté à 4,2 %, et la tendance semaintient à la baisse : la crise économiquemondiale s’est répercutée sur la demandeet sur les prix du cuivre, principal produitchilien sur les marchés internationaux

 – environ 50 % de ses exportations.

Heureusement, le gouvernementavait pris des mesures préventives. Alorsque les prix du cuivre atteignaient, à l’ex-portation, des valeurs maximales iné-dites – principalement du ait de lademande chinoise –, il a destiné ces reve-nus à l’épargne et a accumulé plus de25,5 milliards de dollars. De son côté, laBanque centrale enregistrait des réservesde 24,2 milliards de dollars. Au début2008, alors que les premiers signes de ai-blesse économique se aisaient sentir, laprésidente a ouvert les caisses. C’est

l’une des raisons de sa grande popularité.

UNE FOIS la crise globale installée,Mme Bachelet a annoncé, début 2009,un plan d’encouragement de l’emploi(le chômage dépasse les 10 %), unpaquet de nouvelles subventions, unprogramme renorcé d’investissementsdestinés aux inrastructures, ainsi que lacapitalisation de l’entreprise étatiquedu cuivre – la Corporation nationale ducuivre (Codelco) –, à hauteur de 4 mil-liards de dollars. Les mesures prisespour limiter les dégâts se sont succédéau fil des mois : adoption de nouvelles

Une

Guérilleros, sexe, alcool et marxisme

DURANT les premiers mois, le Partidémocrate-chrétien appuie la dicta-

ture. Dans le numéro d’ El Mercurio qui, le18 septembre, dénonce le plan Z, son pré-sident, M. Patricio Aylwin (premier che d’Etat de la transition, de 1990 à 1994), luidonne un aval complet : « Le gouverne-ment d’Allende (...) s’apprêtait à réaliserun auto-coup d’Etat pour instaurer par la  force la dictature communiste. [Celui-ci]aurait été terriblement sanglant, et les

 forces armées se sont bornées à devancerce risque imminent. » L’ex-pré sidentEduardo Frei (1964-1970) (5) armequant à lui ( ABC , 10 octobre 1973) que« des masses de guérilleros étaient déjà prêtes et que l’extermination des chefs del’armée était bien préparée ».

Ces déclarations contribuent sans douteà dissiper tout scrupule chez les journa-listes « démo-chrétiens » travaillant dansles médias autorisés. Ainsi Emilio Filippiet Hernán Millas, l’un directeur de l’heb-domadaire  Ercilla et l’autre reporter,  publient en janvier 1974 Chili 70-73.

Chronique d’une expérience – un livrequi surenchérit sur les épouvantes du plan Z et se répand en invectives contre lesdirigeants de gauche, qui n’ont aucunmoyen de se déendre.

De même Abraham Santibáñez, direc-teur adjoint d’ Ercilla, et Luis Alvarez, sonrédacteur en che, publient Mardi 11 sep-tembre. Apogée et chute d’Allende. Seloneux, la résidence présidentielle d’El

Arrayán était la « scène de sordides his-toires. Il s’y mêla, dans une combinaisonexplosive, l’entraînement guérillero et le  sexe, l’alcool et la leçon marxiste (6) ».Leurs versions du plan Z, impliquant leministre de la déense, le directeur du ser-vice national de santé et le président lui-même, entraîneront des persécutions contreles journalistes de la télévision nationale etdu Canal 13 de l’Université catholique(7).

Fin octobre 1973, le gouvernement mili-taire ait publier un Livre blanc du chan-gement de gouvernement au Chili, réédité plusieurs ois en espagnol et en anglais,

PA R L I B I O P É R E Z *

* Journaliste.

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200917

  pour expliquer pourquoi « les forcesarmées et le corps des carabiniers de la  République du Chili (...) renversèrent le  président Salvador Allende ». Ce Livre blanc concentre pratiquement toutes lesdiatribes lancées contre l’UP, mais sa pièce

 principale est sans aucun doute le plan Z, présenté en appendice documentaire.

Le plan Z engendra rapidement descréatures régionales et locales : de nom-  breux ches militaires de provinces« découvrent » le leur ; dans des quar-tiers, les voisins « de droite » prétendentsavoir de bonne source que des listes de personnes à exécuter ont été découvertesdans le plan Z local, et l’on se disputeâprement les premières places. Durant les premières années de la dictature, ceux quioseront maniester un certain désaccord avec les brutalités du régime recevrontinvariablement la réponse abriquée : le plan Z aurait été pire ! L’armée nous a sau-vés et ses excès sont excusables.

Selon Millas – à cette époque avora-  ble au coup d’Etat –, des partisans du

régime, ou des personnes désireusesd’être perçues comme telles, exerçaientd’énormes pressions sur la presse ainque leurs noms igurent sur les listes du plan Z ; elles pouvaient alors prononcer la phrase : « J’ai appris que moi aussi

  j’allais être tué... » Un agriculteur quientreprenait des démarches pour récu-  pérer son hacienda expropriée orit100 000 escudos (25 000 dollars) pour que son nom apparaisse sur les listesimaginaires (8).

La portée du plan Z va au-delà d’unmontage pour justiier le putsch. Il aconstitué une pièce essentielle dans leconditionnement des militaires lancéscontre l’« ennemi intérieur ». Pour queles soldats répriment sans pitié, il allaitqu’ils perçoivent les persécutés noncomme des citoyens, éventuellement auxidées diérentes, mais comme des assas-sins qui projetaient de les éliminer, eux etleurs amilles. Déshumanisant l’adver-saire, le plan Z inculqua aux militaires lahaine indispensable pour torturer etassassiner.

chet ; en 1990, le gouvernement Aylwin ledésigna... commissaire de la Commissionvérité et réconciliation ; en 1999, sous la présidence de M. Frei, il sera nommé mem- bre de la Table de dialogue.

En 2002, Vial Correa (décédé en octo-  bre 2009) expliquera qu’après le coupd’Etat son équipe (la rédaction de Qué Pasa) était en contact avec la junte via unofcier de la marine. Celui-ci lui remitdivers documents « découverts lors de perquisitions », parmi lesquels « le plan ». Têtu, Vial Correa était une des

rares personnes à continuer à en déendreencore l’existence. Pour lui « une tête brû-

lée de l’Unité populaire, parmi les nom-breuses que comptait le gouvernement d’Allende, a écrit ce document, en a fait des copies et les a distribuées à ses amis.(...) Cela dit, qu’il y ait eu un début d’exé-cution et qu’ils aient été nombreux ounon à y participer, c’est une autre his-toire. Lorsqu’on parle d’une invention,c’est un mensonge. Personne ne l’ainventé, il a été trouvé. Et nous avons dûbatailler pour pouvoir le publier (15) ».

Même si l’on concède que, trente ansauparavant, l’historien pensait que les

euillets remis par la marine étaient l’œu-vre d’une «tête brûlée » non identiiée,

ce qu’il publie dans le Livre blanc estradicalement diérent. Il y assure que« l’Unité populaire et Salvador Allende(...)   s’apprêtaient à faire un auto-coupd’Etat pour conquérir un pouvoir absolubasé sur la force et le crime (16) ». Sa

responsabilité, comme celle de ses col-laborateurs, parmi lesquels se trouvaitCristián Zegers, l’actuel directeur d’ El  Mercurio, est immense : ce sont eux qui promurent quelques euilles très proba- blement abriquées par des agents de lamarine au rang de plan du gouvernementd’Allende. Les résultats sont connus (lire page 24).

Paradoxalement, aucun des quatre gou-vernements élus depuis 1990 n’a oséenquêter sur le rôle des organisateurs du  putsch, et notamment des intellectuels,dans la diusion planifiée de aussesinormations. A Valparaíso, après le réta- blissement de la démocratie, la marine aélevé un monument à l’amiral José Tori- bio Merino, celui qui, en 1973, prit la têtedu soulèvement. Ses Mémoires(17), véri-table exhortation à aire des coups d’Etat,contiennent une description baroque du  plan Z. Leur lecture est aujourd’huiconseillée à l’Ecole navale, où Merino

ait toujours figure de modèle pour lesuturs ofciers.

 JORGE MAGASICH.

D’ETAT SANGLANT »

le Chili

SANDRA VÁSQUEZ DE LA HORRA. – « Pinocchio » (2006)

allocations, plans d’encouragement à laconstruction, programmes ocalisés surl’embauche des jeunes.

L’ensemble n’a entamé que 20 % desréserves accumulées du temps de lahausse des prix du cuivre. AinsiMme Bachelet a-t-elle pu poursuivre lesprojets de protection sociale – destinésaux 40 % de la population les plus vulné-rables – et de réduction de la pauvreté(38,6 % en 1989, moins de 13 %aujourd’hui [1]). Les eforts ont égale-ment été poursuivis dans le domaine del’éducation préscolaire, le t aux de scola-risation étant passé de 16 % à 36 %.

EN TANT que présidente, « la Michelle »  jouit d’une popularité exceptionnelle  – pour le moins dans les secteursurbains (2). Observant ce soutien qui nese dément pas, elle souligne : « Etre pro-

  gressiste, cela veut dire assurer des droitssociaux permanents afin que la correctiondes inégalités soit efective dans le temps. Il ne s’agit pas de donner de l’assistanceaujourd’hui pour la reprendre demain (3). »

Rien n’aura été acile pour cetteemme entrée au Parti socialiste au débutdes années 1970 et qui a accompagnéavec enthousiasme l’Unité populaire d’Al-lende. Ses études de médecine sont interrompues par le coup d’Etat du11 septembre 1973. Son père, le généralde l’armée de l’air Alberto Bachelet,emprisonné, meurt quelques mois plustard des suites des tortures endurées.Elle-même – en compagnie de sa mèreAngela Jeria – est enlevée par les servicesde sécurité et conduite dans une prisonclandestine où elle subit des violencesphysiques. Après avoir participé active-ment à la résistance clandestine, elleconnaît l’exil en République démocratiqueallemande (RDA).

A son retour au Chili, dans lesannées 1980, elle rejoint la lutte en

aveur de la restauration de la démo-cratie et entre en relation avec desorganismes de déense des droitshumains. Mais le « phénomène Bache-let » naîtra à l’hiver 2002, alors qu’elleest ministre de la déense. De ortespluies inondent alors des quartiers de lacapitale. Mettant les militaires au ser-vice des sinistrés, elle supervise elle-même les travaux, juchée sur un char

d’assaut. L’image rappe les esprits.Candidate à la présidence du bloc de

la Concertation, lors de l’élection dedécembre 2005, elle afronte deux can-didats de droite, l’homme d’afairesconservateur Sebastián Piñera et le pino-chétiste Joaquín Lavín, ainsi que le repré-sentant de la gauche extraparlementaireTomás Hirsch, soutenu par les membresdu Parti humaniste et les communistes.Elle gagne au second tour avec 53,5 %des votes, tandis que M. Piñera obtient46,5 % des sufrages.

Pourtant, Mme Bachelet n’a jamais étéla avorite des élites politiques de laConcertation ; sa candidature a d’abordété portée par le soutien populaire.Consciente de ce ait, elle a proposé degouverner en accordant une plus grandeplace à la participation et aux consulta-tions en matière de politiques publiques ;elle a mis en place une équipe ministérielle

respectueuse de la parité hommes-emmes et promu de nouveaux visagesdans ses équipes – un efort pour renou-veler les cadres dirigeants.

CETTE APPROCHE a soulevé scepticismeet résistances. Même au sein de laConcertation, des doutes se sontexprimés quant à sa capacité à gouver-ner – doutes réitérés au quotidien parl’opposition de droite. Plusieurs ac-teurs ont contribué à cette perception.

En début de mandat, et selon lescritères de la classe politique, la dési-

gnation de son gouvernement a pristrop de temps. Deux mois plus tardéclate un violent conlit : plus d’un mil-lion d’élèves du secondaire déerlentdans les rues pour protester contre leaible niveau de l’éducation publique.Des étudiants, des proesseurs et desparents d’élèves les rejoignent. Pendantun mois, ils tiennent le gouvernementen échec. Mme Bachelet accepte l’essen-

tiel des revendications d’un conlit quine aisait pas partie de son agenda et quiprovoque les premiers remaniementsministériels : les titulaires de l’intérieuret de l’éducation sont remplacés.

PLUS problématique encore se révèle leplan de transports publics de la capi-tale. Conçu par le gouvernement deM. Lagos, baptisé Transantiago et entréen vigueur le 9 évrier 2007, ce nouveausystème modifie les trajectoires desbus, leur réquence, les entrepriseschargées du service, et impose un billetélectronique (4). Durant des mois, desmilliers de personnes doivent patienterde longues heures avant de pouvoirmonter dans des bus bondés, dont lenombre est très insusant en regarddes flux de passagers. Dans les quar-tiers périphériques, et en particulierdans les bidonvilles, ils cessent de pas-ser, obligeant les habitants à de longstrajets à pied pour gagner le premierarrêt. Au-delà du mécontentement géné-ral, des maniestations et des afronte-ments parois violents avec la police,les investissements (en inrastructures,machines, nouveau personnel et subven-tions) nécessaires pour résorber cechaos constitueront une dépense supplé-mentaire de plus de 1 milliard de dollarspour l’Etat chilien.

Les revendications territoriales desIndiens Mapuches, en Araucanie, dans lesud du pays, n’ont pas été davantage prisesen considération. Dans cette régionappauvrie, l’essor des projets d’exploita-

tion orestière et de pêche a transorméles autochtones, petits propriétaires agri-coles, en ouvriers salariés précaires, aug-mentant la conflictualité sociale. Outreles nombreuses arrestations arbitraires,deux jeunes militants indigènes (comune-ros) sont morts dans les mobilisationsmenées sous l’actuel gouvernement, quin’a pas hésité à utiliser la législation anti-terroriste de l’époque de Pinochet.

Enfin, malgré les progrès accomplis,le Chili continue d’enregistrer desrecords en matière d’inégalités. Un rap-port du Programme des Nations uniespour le développement (PNUD) daté de2005 (5) et incluant le coecient de Gini

 – qui mesure le degré de disparité dansla distribution des revenus – a classé leChili à la cent dixième place sur un totalde cent vingt-quatre pays. Le même rap-port indique que les revenus des 10 % deChiliens les plus riches sont 31,3 oissupérieurs aux revenus des 10 % les pluspauvres. L’enquête sur le budget desménages de l’Institut national des statis-tiques (INE) réalisée entre octobre 2006et novembre 2007 révèle quant à elleque, dans 80 % des oyers de Santiago etde sa banlieue, les revenus ne sont passusants pour couvrir les dépenses, d’oùle recours au crédit ormel ou inormel.Dans les secteurs les plus démunis, lerevenu per capita est à peine supérieur à

3 dollars par jour – dont la moitié estdestinée aux transports.

LES PROBLÈMES sociaux auxquelsMme Bachelet a dû aire ace n’étaientpas le simple héritage des administra-tions antérieures. Structurels, ils trou-vent leur origine dans la Constitutionhéritée de la dictature, qui a consacréle profit comme moteur du système.Ainsi, la réorme de l’éducation deman-dée par les étudiants butait sur uneadministration des écoles aux mains dumarché et sur un secteur public pré-caire et dépourvu de onds.

Néanmoins, la popularité person-nelle de la présidente, enant chérie desmédias étrangers – au même titre que leche de l’Etat brésilien Luiz Inácio Lulada Silva – dès qu’il s’agit d’évaluer lagauche latino-américaine, ne sauvera pasorcément la Concertation. Celle-ci aconnu sa première déaite électoralelors des scrutins municipaux du26 octobre 2008. Son candidat à l’élec-

tion présidentielle du 13 décembre2009, M. Frei – ancien che de l’Etat(1994-2000) et démocrate-chrétien – semble incapable de capitaliser le sou-tien que lui apportent Mme Bachelet et leParti socialiste (PS). Il se voit contestésur sa gauche par MM. Jorge Arrate(Ensemble nous pouvons plus) et MarcoEnríquez-Ominami (indépendant) (6),qui ont tous deux quitté le PS.

Il est vraisemblable que le conserva-teur Piñera obtiendra le plus grand nom-bre de voix le 13 décembre – sans pourautant atteindre la majorité. Longtempsconsidéré comme son adversaire cer-tain, M. Frei pourrait être évincé dusecond tour du 13 janvier par M. Enrí-quez-Ominami, qui, au nom d’un « centregauche indépendant », a ait une percéespectaculaire ces derniers mois. Le résul-tat final demeure très incertain.

LIBIO PÉREZ.

présidente ne ait pas le printemps

(1) En valeurs moyennes, d’après la Banque cen-trale du Chili.

(2) Cf. l’enquête du Centro de estudios públi-cos(CEP), « Evolución de aprobación de gobiernos dePatricio Aylwin, Eduardo Frei, Ricardo Lagos yMichelle Bachelet», Santiago, août 2009.

(3) Cf. les rapports du ministère de la planification,www.mideplan.cl

(4) Les centaines de microentreprises de transportqui assuraient le service public et couvraient toute la

 périphérie ont été remplacées par dix concessions.

(5) PNUD, Human Development Report 2005, NewYork, 2005.

(6) Fils de Miguel Enríquez, ondateur du Mouve-ment de la gauche révolutionnaire (MIR), assassiné en1974 par les militaires.

« Le plus oublié des contes militaires »

(8) Hernán Millas, op. cit., p. 25-26.

(9) « Hinchey report » (en anglais), http://oia.state.gov/ ; « Inorme Hinchey sobre las actividades dela CIA en Chile» (en espagnol).

(10) Hernán Millas, op. cit., p. 23-30.

(11) « Abraham Santibáñez Martinez, periodista y  pensador del periodismo en Chile», Pensamentocomunicacional latino-americano (PCLA), São Paulo,23 juin1998.

(12) Corporación de promoción y deensa de losderechos del pueblo, La Gran Mentira. El caso de las“Listas de los 119”. Aproximaciones a la guerra psi-cológica de la dictadura chilena. 1973-1990, San-tiago, 2002.

(13) Wilried Huismann et Raúl Sohr,  Pinochet  Plan Z (documentaire), Arte GEIE /WDR/Huismann,2003.

(14) « Las razones del quiebre institucional de1973, segun Gonzalo Vial » ; www.educarchile.cl

(15) La Tercera , Santiago, 24 mars 2002.

(16) Libro Blanco, 1973.

(17) José Toribio Merino, Bitácora de un almirante,Andrés Bello, Santiago, 1998.

I NVARIABLEMENT, les indices sur l’originedu plan Z désignent les services secrets

de la marine, qui sont aussi à l’origine du putsch. La première annonce en est d’ail-leurs aite par Kuhn, journaliste qui leur estétroitement lié. Le rapport Hinchey sur lesactivités de la CIA au Chili, rédigé à lademande de la Chambre des représentants,en 2002, impute la paternité du Livre blancà « des Chiliens qui avaient collaboré avecla CIA mais n’agissaient pas sous sa direc-tion (9) ».

Presque deux décennies plus tard, cer-tains reconnaîtront leur méprise. Millasexpliquera en 1999 que le plan Z n’a  jamais existé et qu’il est « le plus oubliédes contes militaires », sans jamais men-tionner son livre malheureux de 1974(10).Santibáñez déclarera, en 1999 également :« Je dois avouer qu’il y eut une grandeerreur : croire au plan Z (11). » Le direc-teur d’ El Mercurio, Arturo Fontaine Aldu-

nate, qui, en 1973, organisa un véritablematraquage médiatique sur ce thème,

répond à la journaliste Mónica Gonzá-lez : « Je n’ai aucune preuve de l’exis-tence du plan Z. A cette époque on le don-nait pour certain. Pour moi, aujourd’hui,ça reste un mystère (12). » FedericoWilloughby, le premier conseiller en com-munication de la junte, reconnaît, en2003, que le plan Z ut monté par les ser-vices secrets de la dictature comme unoutil de la guerre psychologique destiné à justifier le coup d’Etat (13).

Les auteurs du plan demeurent inconnus,mais ceux du Livre blanc ont commencéà parler. Presque trente ans plus tard,l’historien Gonzalo Vial Correa recon-naît être l’un de ses rédacteurs : « Nousl’avons écrit à plusieurs, moi principa-lement (14). » Vial Correa est l’auteur d’une Histoire du Chili bien diusée, maisil est également un homme politique d’ex-trême droite, proche de l’Opus Dei. Sous legouvernement d’Allende il dirigea la revue

Qué Pasa, liée au putsch ; en 1979, ildevint ministre de l’éducation de Pino-

   G   A   L   E   R   I   E   R   U   P   E   R   T   P   F   A   B ,

   D    Ü   S   S   E   L   D   O   R   F

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 18R ECOMPOSITION MONDIALE DE L’ÉCONOMIE ET DU SAVOIR 

Internet enfante les géants de l’après-crise

(Suite de la première page.) mailles de la société et de la culture. Inter-net constitue le moyen le plus vigoureuxdont dispose le capitalisme pour difuser ses modes de relations sociales. C’est pourquoi le contrôle du Web est si ardem-ment disputé.

Les Etats-Unis occupent une place  prépondérante dans ce tableau. Certes,l’administration de M. Barack Obama aconcédé récemment la création d’uncomité de surveillance international, quidétiendrait un droit de regard sur l’Inter-net Corporation or Assigned Names and Numbers (Icann), l’organisme américaingestionnaire d’Internet et des noms dedomaine (8). Mais il serait naï d’enconclure que Washington a renoncé à son pouvoir sur cet instrument crucial. Lesdernières décisions américaines enmatière de gestion des noms de domaineont été prises par un curieux aréopageréunissant l’armée, des agences édérales,une organisation non gouvernementale etdes entreprises privées.

Il est vrai que l’autorité de ces der-nières n’a rien de symbolique : Ciscoournit le monde entier en routeurs deréseau (appareils d’interconnexion desréseaux inormatiques) ; Google règnesur les moteurs de recherche et la vidéoen ligne ; Facebook revendique troiscents millions de membres actis ; Apple produit les logiciels les plus prisés par 

les élites. Sans parler de Microsot,l’empereur des systèmes d’exploitation,ou d’Intel, le leader mondial des semi-conducteurs.

Sur les vingt-cinq entreprises quidominaient le marché du logiciel et d’In-ternet en 2005, dix-neu étaient améri-caines (9). Quand il s’agit d’accaparer lesarmes de la cyberguerre, la première puissance mondiale ne lésine pas sur lesmoyens : plus de la moitié des satellitesen activité portent les couleurs des Etats-Unis (10). Mais les compagnies améri-caines ne se contentent pas de régir  l’ore : elles encadrent aussi le marchéde la demande. Des poids lourds comme Wal-Mart ou General Electric sontd’énormes consommateurs de systèmeset d’applications Internet : leurs besoinssont des ordres et déterminent les stan-dards qui s’appliqueront ensuite au restedu monde.

Il y a donc peu de chances que les Etats-Unis relâchent leur mainmise sur un sec-teur aussi vital pour leur puissance écono-mique. Touteois, le mouvement vers uneéconomie politique plus multipolairetouche également l’industrie des commu-nications. La domination américaine doitdésormais compter avec des rivaux plussignificatis. Si l’on observe par exemplela liste des deux cent cinquante entreprisesles mieux cotées sur le marché mondialdes TIC, on constate que « les compagniesaméricaines sont moins nombreuses en2006 que quelques années auparavant »,tandis que la Chine, l’Inde, Taïwan, laCorée du Sud et Singapour, mais aussi le

Les autorités américaines ne s’avouenttouteois pas vaincues. Loin de décroî-tre, l’inluence de l’industrie des com-munications pèse toujours plus lourde-ment sur la politique des Etats-Unis. Cen’est pas un hasard si M. Obama, le

« président Silicon », comme l’appellele sociologue Mike Davis (12), a obtenu,avant même son élection, le soutien sansaille des dirigeants de Google, d’IBM etdu Conseil de l’industrie des technolo-gies de l’inormation (Inormation Tech-nology Industry Council, ITIC), l’orga-nisation patronale qui rassemble toutesles grosses pointures du secteur. Lesrecommandations de ce lobby ont large-ment inspiré le plan de relance écono-mique du nouveau gouvernement : sub-ventions massives au développement duhaut débit, inormatisation des pro-grammes de santé, prér ogatives étendues  pour les industriels de la communica-tion... Après l’adoption de ce plan enévrier 2009, M. Dean Garield, le pré-sident d’ITIC, avait du mal à cacher sasatisaction : « C’est bon de se faireentendre (13). »

Il n’est cependant pas certain quecela suise à rassasier les mécènes de

M. Obama. « Quel sera le prochainmoteur de la croissance mondiale ? »,s’interrogeait M. Dominique Strauss-Kahn, le président du Fonds monétaireinternational (FMI), en septembre 2009,avant d’admettre que la réponse à cettequestion n’était « pas facile ». L’inor-matique et la communication rener-ment-elles toujours le même potentiel deréactivation du capitalisme qu’il y atrente ans ?

En dépit des roulements de tambour annonçant la reprise pour demain, unegrande partie des établissements finan-ciers vivent toujours aux rais de la prin-cesse étatique. Le gouvernement améri-cain détient une minorité de blocage dansles deux tiers de l’industrie automobile,tandis que l’emploi et la consommationdépérissent. La crise ronge l’économie en proondeur, quoique de manière inégale.Si les profits des multinationales sontrepartis à la hausse (14), les secteurs del’automobile, de la finance, de l’agricul-ture, de la métallurgie et de l’électroniquedemeurent afaiblis.

Brésil, l’Arique du Sud, la Russie oul’Egypte, y occupent une place de plus en plus importante (11). Des volumes consi-dérables de capitaux non américains sesont accumulés ces dernières années enEurope, en Asie et ailleurs : Samsung, Nokia, Nintendo, Huawei, Tata, SAP, Tele-ónica, DoCoMo, América Móvil, Voda-one ou China Mobile. Dans le mêmetemps, le flot d’investissements qui sedéverse sur la Toile émane de plus en plussouvent de pays émergents comme l’Inde,la Chine ou le Mexique.

En même temps qu’inormation et com-munication devenaient les deux mamellesde la croissance capitaliste, certaines tech-nologies ont presque réussi à aire dispa-raître des pans entiers d’activité. Skype, unlogiciel qui permet des échanges télépho-niques gratuits via Internet, revendique pas moins de quatre cents millions d’uti-lisateurs pour 2009 (5). En cinq ans à peine, ce nouveau venu s’est imposé à latable des grands comme le plus importantournisseur mondial de communicationtransrontalière. Tout comme d’autres opé-rateurs de VOIP (« voix sur Internet »),Skype exerce une pression concurrentiellequi modiie les pratiques des usagers – lesquels ne voient plus guère l’intérêt detéléphoner depuis leur poste fixe. Sonemprise a accéléré l’explosion des accès àhaut débit et de la téléphonie mobile, touten amplifiant l’ofre de services Internet àdestination des entreprises.

Les connexions à bas prix provoquentune recentralisation partielle de l’inor-

matique et des logiciels. Prédominantdepuis les années 1980, le modèle de l’or-dinateur personnel, tout équipé et onc-tionnant de manière autonome, hors ligne,est désormais dépassé. Les données (cour-rier électronique, photographies person-nelles, données d’entreprises, etc.) sontde plus en plus souvent stockées dans desermes de serveurs appartenant à degrands opérateurs : c’est l’« inormatiqueen nuages (6)» .

La téléphonie mobile elle-mêmemenace les marchés de l’ordinateur et dela télévision. La planète compte environquatre milliards et demi de téléphones portables, dont les dernières générationscommencent à onctionner comme desécrans multimédias. Dans les neu moisqui ont suivi la commercialisation du pre-mier téléphone d’Apple, quelque vingt-cinq mille logiciels avaient déjà été déve-loppés pour cet appareil (cent mille à ce jour, le nouveau produit phare d’Appleayant conquis la Chine et la Corée duSud), entraînant huit cents millions detéléchargements.

Un contrôle du Web ardemment disputé

Source de profits, mode de domination

DANS LE MÊME TEMPS, Amazon, Appleet Google ont balayé les barrières qui

 protégeaient les cartels de la musique, dulivre, du jeu vidéo et du cinéma (7). Textesdigitalisés, services audiovisuels à lademande et nouveautés technologiques jalonnent ce champ de bataille. Alors quele marché du disque compact (CD) s’e-ondre (lire notre enquête sur la Fnac, pages 4 et 5), les quatre majors qui se partageaient la part du lion de l’industriedu disque se voient contraintes de céder une partie de leurs profits à Apple. Mêmechose avec la demi-douzaine de multina-tionales du cinéma qui perdent du terrainace à YouTube, l’entonnoir à vidéos deGoogle. Quant à la télévision, malmenée par la baisse de ses recettes publicitaires,elle se ragmente en centaines de chaînescâblées et satellitaires, en programmes pour téléphones mobiles et en portails dedifusion sur Internet, açon Hulu, BBCiPlayer ou YouTube.

Cela paraît chaotique ? Ça l’est. Unemutation de grande échelle se déroulesous nos yeux. Que ce soit par ses conte-nus ou par sa orce de rappe, une nou-velle industrie émergera de ce tumulte,dans des conditions qui n’auront guère àvoir avec le vieux schéma du renouvelle-ment culturel sous les audaces d’uneavant-garde. Au cours des révolutions de1789, 1917 et 1949, des orces sociales puissantes agissaient pour transormer lesmodalités de la culture. Désormais, c’estsous l’égide du capital, et de lui seul, queles pratiques culturelles se définissent, àune échelle mondiale. Les tentatives decontrecarrer cette hégémonie sont à ce jour restées politiquement insignifiantes.

Cependant que les technologies de lacommunication semblent concentrer sur elles toutes les attentes de changement, letravail salarial et la loi du marché pénè-trent toujours plus en proondeur dans les

QU’ENEST-IL des technologies de l’in-ormation et de la communication ?

En devenant un pivot central du systèmecapitaliste, le secteur s’est rendu vulné-rable à la crise. Durant la première moitié de l’année 2009, les dépenses  publicitaires mondiales – environ500 milliards de dollars – ont baissé de  plus de 10 % dans de nombreux paysdéveloppés (15). Durant les semainesd’octobre à décembre 2008, l’eondre-ment des marchés n’a pas épargné lesTIC, même si l’impact de la crise a ététrès diversement ressenti. Certainessociétés sont restées insolemment pros-  pères, comme Cisco, dont les réservesatteignaient 20 milliards de dollars début

2009, ou encore Microsot (19 mil-liards), Google (16 milliards), Intel(10 milliards), Dell (6 milliards) et sur-tout Apple (26 milliards).

Ces entreprises figurent dans le pelotonde tête des multinationales américainesles plus riches, même s’il est vrai qu’àl’heure actuelle le seul opérateur de télé- phonie mobile à engranger des ortunes – avec un bénéfice de 18 milliards de dol-lars début 2009 – s’appelle China Mobile.Des liquidités aussi abondantes requièrentdes marges de manœuvre auxquelles n’ont pas accès les capitaux placés sur des mar-chés moins rentables ou dans des secteursd’activité moins convoités. Fin 2009, lesgéants des technologies de communica-tion se portaient ort bien. Les prévisionsselon lesquelles « une partie de leurs gainsva servir à racheter des concurrents (16) »se confirment dès à présent.

Car le secteur est encore loin d’avoir épuisé son potentiel d’investissements etde profits. Durant l’année 2008, pourtantmillésime de la crise, les dépenses en mul-timédia ont augmenté de 2,3 % aux Etats-Unis (à 882,6 milliards de dollars). Seloncertains observateurs, l’industrie des TICdevrait aire partie des trois secteurs éco-nomiques bénéficiant de la plus ortecroissance dans les cinq années qui vien-nent (17).

La récession n’a pas non plus douchél’ardeur des internautes. Peut-être mêmeles a-t-elle galvanisés, sachant que le tra-fic sur la Toile ne cesse de grimper enflèche : 55 % d’augmentation en 2008, et

encore 74 % en 2009, selon les dernièresestimations (18). Les innovations enmatière de logiciels et de systèmes d’ex- ploitation ofrent aux multinationales la possibilité de conorter leur emprise sur un large éventail de pratiques sociocultu-relles (de l’éducation aux biotechnologiesagricoles) et d’impulser une nouvellecourse aux profits dans d’autres secteurs,comme la médecine ou l’énergie.

Faut-il se réjouir de ce que les techno-logies de l’inormation et de la communi-cation demeurent un pôle de croissance ?Au ond, le capitalisme numérique sedéveloppe – comme ses prédécesseurs – àtravers ses périodes de crise. Lesquellesengendrent tout à la ois un ardeau socialinégalement réparti, de nouveaux modesde domination et, ort heureusement, denouvelles possibilité de résistance et dereconstruction.

DAN SCHILLER.

Nos précédents articles• « Le livre dans le tourbillon numérique », par Cédric Biagini et Guillaume Carnino,(septembre 2009).

• « La bibliothèque universelle, de Voltaire à Google », par Robert Darnton (mars 2009).

• « Mouvements tectoniques sur la Toile », par Hervé Le Crosnier (mars 2008).

• « Les bénéficiaires inattendus du miracle Internet », par Eric Klinenberg (janvier 2007).

• « Le monde selon Google », par Pierre Lazuly (octobre 2003).

• « Inormer, communiquer, vendre, tout contrôler », par Dan Schiller (mai 2002).

• « Quand les marchés s’efacent devant les réseaux », par  Jeremy Rifkin (juillet 2001).

(5) The Wall Street Journal , 23 mars 2009.(6) Lire Hervé Le Crosnier, «A l’ère de l’“inorma-tique en nuages” », Le Monde diplomatique, août2008.

(7) Lire Robert Darnton, « La bibliothèque univer-selle, de Voltaire à Google », Le Monde diplomatique,mars2009.

(8) Lire Bobbie Johnson, «US relinquishes controlo the Internet », www.guardian.co.uk, 1er octobre 2009,et Ignacio Ramonet, « Contrôler Internet », Le Mondediplomatique,novembre 2005.

(9) Cf. Catherine L. Mann et Jacob Funk  Kirkegaard,   Accelerating the Globalization of   America: The Role for Information Technology, Ins-titute or International Economics, Washington, DC,2006.

(10) Demetri Sevastopulo et Charles Clover,« Satellite collision raises ears over debris », Finan-cial Times, Londres, 13évrier 2009.

(11) « Perspectives des technologies de l’inormationde l’OCDE 2008», www.sourceoecd.org

(12) Mike Davis, « Obama at Manassas », New Left  Review, n° 56, Londres, mars-avril 2009.

(13) Charlie Savage et David D.Kirkpatrick, « Tech-nology’s fingerprints on the stimulus package », The New York Times, 11 évrier 2009.

(14) Hal Weitzman, Jonathan Birchall et MichaelMackenzie, «Upbeat start to earnings season», Finan-cial Times, 21 octobre 2009.

(15) The New York Times, 2 septembre 2009.

(16) Steve Lohr, «The tech sector trumpets signs o a real rebound», The New York Times, 16 octobre 2009.

(17) The New York Times, 4 août 2009.

(18) « What recession ? Internet traic surgesin 2009 », TeleGeography Feed, Washington, DC,15 septembre 2009.

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200919

De l’Etat-providence à l’Etat manager 

Comment vendreà la découpe le service public

« NOUS V IVONS  une drôled’époque... On a l’im-  pression d’une espècede vague qui nous sur-  plombe, nous écrase et 

qui est en train de déferler. » Le politisteBernard Lacroix pourrait ainsi résumer le désarroi de syndicalistes, d’intellec-tuels, d’élus ou de citoyens conrontésaux restructurations de l’Etat (1).

Les réormes se succèdent apparem-ment en ordre dispersé; la technicité lesrend opaques; leurs efets ne sont perçusqu’après coup, lorsque, les décrets d’ap- plication adoptés, arrive leur mise en pra-tique. Et pourtant, derrière ce brouillard,une mobilisation sans précédent est àl’œuvre pour abriquer un Etat réduit danssa surace et renorcé dans ses structuresde commandement.

La compression du ormat de ce dernier s’exprime de manière particuliè-rement radicale dans la révision généraledes politiques publiques (RGPP). Lancéeen conseil des ministres, le 20 juin2007,celle-ci accélère (et met en cohérence)les entreprises antérieures enserrant l’ac-tivité publique dans des impératis bud-gétaires, fixés a priori. Six mois plus tardseulement, quatre-vingt-seize mesures programment usions, regroupements etsuppressions de services d’Etat. Dèsoctobre 2007, les hauts onctionnaires dela chancellerie, nonobstant leurs réti-cences, modernisent à marche orcée la

carte judiciaire et projettent que, au1er   janvier 2011, cent soixante-dix-huittribunaux d’instance et vingt-trois tribu-naux de grande instance seront suppri-més, au nom de l’«ecacité». L’éduca-tion nationale erme les collèges de moinsde deux cents élèves, jugés trop coûteux.Conormément aux souhaits de sonancien ministre, M. Claude Allègre, elle«dégraisse le mammouth» et élimine plus de quinze mille postes d’enseignant par an (2).

AUCUN MINISTÈRE, d’ailleurs, ne prend

le risque de demeurer hors jeu. Cha-cun cherche au contraire à disposer d’uncoup d’avance en matière de «rendud’emplois», nouvel impérati catégoriqued’un Etat proclamé «en faillite»  par le premier ministre François Fillon en sep-tembre 2007. Au ministère de l’intérieur, préectures et sous-préectures subissentune cure d’amaigrissement. Les concoursde police nationale prévus en septem-  bre 2009 ont été annulés, et huit mille

* Respectivement auteur de La France a peur. Unehistoire sociale de l ’«insécurité», La Découverte, Paris,2008 ; et sociologue, coordinateur général de la Fon-dation Copernic.

 postes budgétaires seront supprimés d’icià 2012 (3). Ministère voisin mais rival, ladéense avait précédé le mouvement: er-

metures de casernes et liquidation de qua-rante-cinq mille emplois avant 2014. Leministère de la santé condamne les mater-nités des hôpitaux publics, considéréescomme trop onéreuses à moins de troiscents accouchements par an, et imposeun seuil de mille cinq cents actes annuels,  pour les services de chirurgie. Desdizaines de consulats disparaissent auministère des afaires étrangères, et celuide la culture restructure les archives natio-nales. Les finances «rationalisent» à tousniveaux leurs services.

La compression de l’Etat s’accompagnede transerts d’activités publiques vers le  privé, sorte de vente à la découpe desentreprises publiques. Ces privatisationss’opèrent dans la dénégation, par étapesou par contournement. Elles épousent lesanticipations de rentabilité financière desacquéreurs, mais aussi l’histoire de cessecteurs, avec leurs luttes passées et lestatut spécifique de leurs salariés. Les

tempos diférents des réormes de FranceTélécom et de La Poste l’illustrent. Desmécanismes proches déterminent les tra-  jectoires de Gaz de France (GDF) etd’Electricité de France (EDF), ou de laSociété nationale des chemins de er ran-çais (SNCF).

Le retrait de l’Etat débute à chaque ois par la séparation structurelle des branchesde l’entreprise publique. Ainsi, la dissociation des «postes» et des «télé-communications», en 1990, démarque lesegment d’activité à «ouvrir à la concur-rence». Déjà, les télécoms apparaissaient,en efet, comme une activité à haute ren-

tabilité, à l’inverse du secteur postal, quinécessite une importante main-d’œu-vre (4), connue de surcroît pour sa com-

  bativité syndicale. Le transert vers le privé s’opère rarement de ront, plutôt par glissement. Ce qui concourt à son eca-cité, chaque étape étant vécue comme un  prolongement normal de la précédente.La première ouverture du capital deFrance Télécom a ainsi lieu en 1997, ladeuxième en 2000. Et, malgré l’investis-sement de 78 milliards d’euros pour  renflouer le déficit de l’entreprise (dû àl’éclatement de la bulle spéculative autour d’Internet et des téléphones mobiles),l’Etat passe en 2004 sous le seuil des50 % du capital, puis sous la barre dutiers – qui constitue la minorité de  blocage – en 2005.

La grève massive des personnels en1994 avait ormellement permis le main-tien de leur statut de onctionnaire. Iln’empêche : graduellement, mais encontinu, l’entreprise publique devientfirme privée dans son organisation : mobi-lité obligée, management par objectis et

harcèlements qui vont avec d’incessantesrestructurations des services, des com- pressions de personnel (vingt-deux milleemplois en moins de 2005 à 2008), l’in-tensification du travail, etc. Les techni-ciens de l’électronique doivent se recon-vertir en vendeurs de services. Mise enconcurrence avec Bouygues, SFR, Cege-tel ou Free, l’entreprise, qui avait hier mission d’équiper le pays en réseaux detélécommunications et d’aménager ainsile territoire, ne retient plus qu’impératisde profits et retours sur investissement.

A La Poste ou à la SNCF, la découpe duservice public prend une orme diférente.

Le transert d’activité vers le privé, pluslent, plus insensible, est réalisé par mor-cellement (filialisation et délégation au

  privé) suivant les types de missions.Mme Hélène Adam, du syndicat SUD-PTT,restitue la mécanique : «L’ouverture à laconcurrence se fait d’abord en fonction du poids des objets à distribuer. Le colis est le premier à être ouvert à la concurrence,et FedEx ou DHL pénètrent les marchésdomestiques en imprimant leur style pure-ment commercial. La garantie, la vitesse,tout se paye comptant. La Poste crée sa  filiale Geopost pour s’aligner et gérer  selon les mêmes critères de rentabilité pure. La forme juridique choisie est celled’une holding dirigée par l’un des direc-teurs de La Poste [le directeur de la branche colis et logistique].  La holding “chapeaute” plusieurs filiales, dont Chro-nopost; dix-neuf mille agents sont employés des filiales de la holding Geo- post, tandis que sept mille sont restés à lamaison mère dans la branche correspon-dante. Le deuxième secteur “rentable”,les services financiers, est lui aussi déjà filialisé par l’intermédiaire de la création

d’une holding, La Banque postale, qui  s’aligne sur les activités de n’importequelle banque.»

A Pôle emploi, le mode opératoire est  proche. Faute d’embauche d’agents publics, le suivi de trois cent vingt milledemandeurs d’emploi a été délégué à descabinets de recrutement (Sodie) ou à desagences d’intérim (Manpower). C’estaussi par l’organisation d’un mélangeentre salariés de statuts divers (publics et privés) qu’imperceptiblement s’eec-tuent les privatisations. « Le personnel de La Poste, rappelle Mme Adam, est de plus en plus précarisé et divisé entre

agents publics et salariés sous contrats privés des multiples filiales très cloison-nées par l’intermédiaire des holdings. Le recrutement de fonctionnaires a cesséen 2002. Pas celui de salariés de droit  privé [en contrat à durée indéterminée oudéterminée]. L’effet ciseau, avec le vieil-lissement des fonctionnaires et leurretraite, joue à plein. En 2003, La Postecomptait 315364 agents : 200852 fonc-tionnaires, 114512 agents de droit privé.  En 2008, sur 295742 employés, ellecompte 152 287 fonctionnaires et 143 455 salariés privés. Cette année lesdeux statuts feront jeu égal.» La privati-sation de La Poste est déjà engagée. Elle précède, de beaucoup, la loi qui ouvrirason capital – et qui, par élargissementssuccessis, inira par la transormer oi-ciellement en société anonyme.

E NFIN, il ne audrait pas oublier le trans-ert de charges vers les collectivités

territoriales. La décentralisation de 1982,et son acte II, impulsé dès 2002 par le pre-mier ministre Jean-Pierre Rafarin – quila qualifiait de «mère de toutes lesréformes»  –, ont donné aux élus locauxnombre de compétences nouvelles : or-mation proessionnelle, transports, ges-tion des locaux et des personnels tech-niques, ouvriers et de service (TOS) deslycées et collèges, action sociale relèventdésormais largement des conseils géné-raux et régionaux. Sans, bien souvent, queles moyens alloués par l’Etat couvrent

D O S S l E R

(1) Cet article reprend les grandes lignes d’un colloque intitulé «L’Etat démantelé», organisé par  Le

  Monde diplomatique et la Fondation Copernic à l’Assemblée nationale en juin 2009. Les interven-tions auxquelles il est ait réérence seront publiéesdans un ouvrage à paraître aux éditions de La Décou-verte au printemps 2010.

(2) Avec, conjointement, l’allégement du nombred’heures de cours dispensées aux élèves, l’accroisse-ment de la taille des classes, le non-remplacementdes proesseurs absents et l’incitation à ne pas inscrireles enants en maternelle avant 3 ans.

(3) Le Figaro, Paris, 17 août 2009.

(4) La Poste comptait trois cent mille agents, qua-siment tous onctionnaires en 1991.

« Obèse» et « inefficace » pour les libéraux, l’Etat nécessiterait de

nouvelles saignées. « Oppressif » et «libertic ide » aux yeux de bien des

progressistes, il devrait s’effacer af in que l’individu s’épanouisse. Enfin,

ceux qui regrettent sa mission «sociale » et «protectrice » estiment qu’il 

serait déjà mort, tombé sous les assauts de l’« ultralibéralisme». Aux 

Etats-Unis, dans l’Union européenne comme en Russie, l’Etat n’a pas

disparu : il se réagence en permanence. La vision égalitariste d’après

 guerre a subi de violentes attaques au nom de l’« efficacité » ou de

l’« équité » (lire l’article de Jérôme Tournadre-Plancq page 21). Des

réformes suppriment des fonctionnaires, transfèrent des compétences

aux collectivités locales ou au secteur privé, privatisent des pans entiers

des transports (lire l’article d’Olivier Cyran pages 22 et 23) et des

télécommunications ; d’autres calquent la gestion des administrations

sur le modèle des entreprises. Pour autant, ce mouvement général 

apparaît difficilement lisible. La « modernisation » est technique,

sectorielle, rarement uniforme. De ce brouillage découlent tant sa force

(lire l’article ci-dessous) que la faiblesse des résistances qu’on lui oppose.

Dans le sillage de la crise f inancière, les puissances publiques ont servi 

de pompier de dernier recours. Elles ont nationalisé de fait General 

 Motors, perfusé Wall Street, secouru l’industrie lourde, subventionné

l’innovation. Cette mobilisation, qui semble marquer le retour de l’Etat 

au centre de l’économie, n’annonce-t-elle pas plutôt l’accélération des

mutations vers un Etat manager, aux domaines d’action plus restreints,

mais aussi plus autoritaire ? 

Dans la dénégation, par étapes

ou par contournement

Les moyens allouésne couvrent pas

les charges transérées

Les œuvresqui accompagnent ce dossier sont de Georges Rousse :

 – La Roche-sur-Yon 1983(page19);

 – Berlin 1984(page 20);

 – Orléans 1984(page 21);

 – Berlin 1984(page 22) ;

 – Orléans 1984(page 23).

www.georgesrousse.com

(Lire la suite page 20.)

   ©   G   E   O   R   G   E   S   R   O   U   S   S   E   /   A   D   A   G   P

PA R L A U R E N T B O N E L L I

E T W I L L Y P E L L E T I E R *

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 20

De l’Etat-providence

(5) C . notamment Vincent Dubois, La Vie au gui-chet. Relation administrative et traitement de lamisère, Economica, Paris, 2003.

(6) Sur les politiques volontaristes d’assèchementdes recettes de l’Etat comme levier de réorme,c . Sébastien Guex, «La politique des caisses vides.Etat, finances publiques et mondialisation», Actes dela recherche en sciences sociales, no 146-147, Paris,mars2003.

(7) Loi no 2008-126 du 13 évrier 2008 relative à laréorme de l’organisation du service public de l’em-

 ploi. Le conseil comporte également un représentantdes collectivités territoriales.

(8)C . Philippe Bezes, Réinventer l’Etat. Les réormesde l’administration rançaise (1962-2008), Presses uni-versitaires de France, Paris, 2009, p. 451-455.

(9) L’ensemble des PAP est accessible sur www.per-ormance-publique.gouv.r/arandole/2010/pap.html

l’ensemble de ces missions. Comme l’in-dique M. Gilles Garnier, président dugroupe communiste du conseil général de

Seine-Saint-Denis, «on a considéré que, sur un certain nombre de droits, comme lerevenu minimum d’insertion [RMI], lescompteurs s’arrêtent le jour du transert. Le 1er janvier 2004, tous les allocatairesdu RMI devaient être payés par la collec-tivité territoriale, avec bien sûr les sommes aférentes, mais tout nouvel allo-cataire devient un allocataire départe-mental, qu’il aut financer».

La vice-présidente Verte du conseilrégional d’Ile-de-France, Mme FrancineBavay, ait la même observation pour laormation sanitaire et sociale : «Dix mil-lions d’euros sur un budget de 160 mil-lions n’ont pas été couverts. Et nous en sommes là après trois années de discus- sion pied à pied, de réévaluation desmasses transérées et de quatre recours. De acto, nous n’avons obtenu que lemaintien de l’existant.» Et l’élue deconclure que la motivation de la réorme« n’est pas d’essayer de rendre les insti-tutions plus innovantes ou plus prochesdes ayants droit. Il s’agit de limiter l’en- gagement public d’Etat».

CE RÉTRÉCISSEMENT multiorme de lasurace de l’Etat s’accompagne d’un

mouvement moins visible de « caporalisa-tion » de l’action publique : renorcementdes hiérarchies et du contrôle pesant sur lesagents du service public, et resserrementdes chaînes de commandement. Imposer   politiquement de nouvelles priorités auxinstitutions n’a rien de acile. On peut nom-mer des hommes de confiance à la tête desadministrations – les gouvernements ne

s’en privent pas – mais sans garantie del’efectivité des mesures prises. Car lesagents chargés de les mettre en œuvre lesretraduisent, les aménagent, les adaptentaux routines proessionnelles (5). Certainesélites sectorielles ont même de la résis-tance. Médecins, universitaires, magistratsou ingénieurs arguent ainsi qu’ils connais-sent peut-être mieux que leur ministre les priorités de leur champ d’activité. Il en vade même pour une partie des inspecteursgénéraux. Issus des administrations dans latourmente et, par onction, avocats desréormes, ils y introduisent néanmoins desnuances, des médiations qui atténuent laradicalité des projets initiaux.

Une situation inadmissible pour les res- ponsables politiques qui sont à leur ori-gine. Mais aussi pour les hauts onction-naires du ministère des finances qui,depuis des années, tentent d’imposer unenouvelle définition de l’intérêt généralréduite au maintien des «équilibres finan-ciers», ace aux revendications de ceuxqu’ils nomment avec mépris les minis-tères «dépensiers» (6). Jusqu’alors, leur zèle était partiellement contrarié par lesrègles de onctionnement de l’adminis-tration qui protégeaient certaines plagesd’autonomie. Ils ont donc accueilli avecenthousiasme les projets politiques quimettent au pas les anciennes structurescollégiales de décision, et nomment àcette fin des gestionnaires dotés de pou-voirs élargis.

C’est le cas à l’hôpital. A la tête desnouvelles Agences régionales de santé

(ARS), se trouve maintenant un véritable« préet sanitaire », désigné en conseildes ministres, responsable de toute lachaîne de soins au niveau de la région.Dans la première version de la loi« Hôpital, patients, santé et territoires »,votée en juillet 2009, il pouvait mêmechoisir les directeurs d’hôpitaux et lesrévoquer à tout moment. Ces derniers sesont mobilisés avec succès pour aireamender le texte sur ce point. Tout en prenant bien soin de renorcer leur pro- pre autorité au sein des établissements...La loi élargit ainsi leur pouvoir pour ixer des objectis et gérer les personnels,conormément aux vœux de M. NicolasSarkozy qui souhaitait donner  « un patron et un seul à l'hôpital». Ce qui neacilite pas le dialogue. Comme l’indiquele proesseur André Grimaldi, che duservice de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière : « Avant, on était dans unelogique de cogestion. Le directeur devait associer les médecins à ses décisions.

 Là, c’est ini, ils n’auront rien à dire ».

DANS l’enseignement supérieur, lemouvement est étonnamment sem-

 blable. La loi relative aux libertés et res-  ponsabilités des universités (LRU), quiinstaure l’«autonomie», afaiblit tout pou-voir collégial. « Avec les réormes – celleavortée de 2003 et celle de 2007 –, on est dans le cadre d’une gestion managérialeautoritaire », explique le sociologue Fré-déric Neyrat. La loi donne aux présidents,qui y sont pour l’essentiel avorables, des pouvoirs considérables ace à leurs pairs

universitaires. Ils peuvent notammentrecruter des onctionnaires ou des contractuels, ou casser les décisions col-lectives des commissions et des conseilsde l’université.

Une même dynamique est à l’œuvredans la justice. Au parquet, d’abord, avecla loi du 9 mars 2004 qui place les procu-reurs sous l’autorité hiérarchique de leur ministre, conérant à ce dernier un pou-voir d’intervention et d’orientation de la procédure dans chaque afaire. Chez les juges du siège ensuite, dont il s’agit delimiter l’indépendance par la « mobilité».S’ils ne peuvent être mutés géographi-quement, ils peuvent se voir afectés à desonctions diverses en onction des impé-ratis de gestion du tribunal. Comme lerappelle le magistrat Gilles Sainati : «Un juge de la liberté et de la détention dont la  jurisprudence apparaîtrait trop “laxiste”

en regard des normes préectorales dereconduite à la rontière des étrangers  pourra sans dicultés être renvoyé auxafaires amiliales ou aux tutelles»... Pour couronner l’édifice, depuis 2009, lesmagistrats sont minoritaires au sein duConseil supérieur de la magistrature(CSM), chargé de leur nomination et deleur discipline, ace à des personnalitésextérieures, désignées par l’Elysée et par les présidents de l’Assemblée nationale etdu Sénat.

Ce renorcement du contrôle passe éga-lement par la reprise en main de secteursqui jouissaient d’une relative autonomie.Ce que relève M. Noël Daucé, secrétairegénéral du Syndicat national unitaire dePôle emploi, qui parle d’«étatisation»  pour décrire la usion entre l’Agencenationale pour l’emploi (ANPE) et desAssociations pour l’emploi dans l’indus-trie et le commerce (Assédic) dans le nouvel ensemble Pôle emploi, en jan-

vier 2009. L’ANPE était un établissement public à caractère administrati, l’Unedic – qui chapeaute les Assédic – une asso-ciation de droit privé, gérée paritairement par les organisations patronales et syndi-cales. Le regroupement au niveau localdes deux structures renorce largement le poids des acteurs étatiques.

Le conseil d’administration de Pôleemploi comprend cinq représentants del’Etat et deux personnalités qualifiéeschoisies par le ministre, aux côtés des cinq membres représentant les employeurs etdes cinq délégués des salariés (7). Quantau délégué général – actuellementM. Christian Charpy, membre du cabinetdu premier ministre de 2003 à 2005, puisdirecteur de l’ANPE –, il est nommé direc-tement par le gouvernement, l’avis duconseil restant consultati. On pourraitégalement citer le cas de la gestion desonds du 1 % logement – dont on pouvaitcertes critiquer l’opacité –, mais quiéchappe aujourd’hui largement aux parte-naires sociaux, pour passer sous tutelle del’administration.

Les candidats à ces nouveaux postesde manager public ne manquent pas. Pour 

y accéder, sont déterminants les liens per-sonnels avec le prince ou ses conseillers – qui par là se constituent une clientèled’obligés. Ces nominations ne sont passeulement rétributions symboliques : primes, salaires indexés sur les «objec-tis» viennent compléter ou remplacer lesgrilles indiciaires de la onction publique.

Sous des ormes et des temporalitésvariables, ce double mouvement deréorme de l’Etat (compression, privati-sation, délégation et transert de compé-tences d’une part; étatisation et renorce-ment du contrôle de l’autre) afecte à untitre ou un autre l’ensemble des services  publics. Au nom de la «perormance»,érigée en nouveau étiche de l’action publique.

U NE TELLE VOLONTÉ de contrôler lesadministrations n’est pas nouvelle.

Le Parlement, la Cour des comptes, l’ins- pection des finances s’y emploient depuislongtemps. Mais ce n’est que récemmentque des «indicateurs de perormance»ont pris le pas sur toute autre considéra-tion. En l’espèce, la loi organique relativeaux lois de finances (LOLF), votée en2001, signe plus que toute autre letriomphe des conceptions des hauts onc-tionnaires du ministère des finances,convertis aux idées managériales (8). LaLOLF impose un pilotage stratégique desadministrations, avec des objectis àatteindre et des indicateurs à renseigner.

Les onctionnaires chargés de l’action  publique doivent présenter un projetannuel de perormance (PAP) dont ils sontresponsables (9).

Dans les aits, toute activité est réduiteà une logique comptable, proche des bilans financiers des entreprises. Ce querésume le proesseur Grimaldi pour l’hô- pital : «On a créé artificiellement l’idéequ’il existe des patients rentables et nonrentables. Qu’est-ce qui est rentable? Au ond, ce qui est acilement quantifiable,numérisable, vendable. Ce sont les pro-cédures techniques, de gravité moyenne,  programmables, chez des gens qui n’ont   pas de problèmes psychologiques et  sociaux. La cataracte simple, aite en série. Et qu’est-ce ce qui n’est pas renta-ble? Tout ce qui est dans la complexité :la pathologie chronique, le sujet âgé, les acteurs psychologiques et sociaux. (...)On a simplement oublié que l’hôpital soi- gnait les pauvres et les cas graves...»

Les accommodements de cet idéal ges-tionnaire sont connus. Si les personnelsd’encadrement consomment beaucoup deleur temps et de leur énergie pour remplir les indicateurs, ils apprennent aussi à les

D O S S I E R

David D. Friedman, économiste

«Tout ce que ont les gouvernements se divise en deux catégories : destâches que nous pouvons dèsaujourd’hui leur enlever, et des tâchesque nous espérons leur enleverdemain.»

The Machinery o Freedom : Guide toa Radical Capitalism, Open CourtPublishing Company, Chicago, 1989.

Philippe Manière, directeur de l’Ins-titut Montaigne, Paris«Les Etats sont comme des pompiersqui doivent éteindre les incendies puisrentrer dans leurs casernes. »Cité par Eric Dupin dans  Le Mondediplomatique, évrier 2009.

Milton Friedman, économiste«Rares sont les règles permettant derenverser cette tyrannie de l’immobi-lisme. Il en est une, claire, à tout lemoins : s’il aut privatiser ou élaguerune activité publique, aites-le com- plètement. Ne recherchez pas un com- promis grâce à une privatisation par-tielle ou à une réduction partielle ducontrôle étatique. Semblable stratégierevient tout simplement à laisser dansla place un quarteron d’adversairesdéterminés qui travailleront avec dili- gence (et souvent avec succès) à ren-verser la vapeur.» Le Monde, 20 juillet 1999.

James Carter,   président des Etats-Unis«Il y a des limites à ce que l’Etat peut  aire. Il ne peut pas résoudre nos pro-blèmes. Il ne peut pas fixer nos objec-tis. Il ne peut pas définir notre vision. Il ne peut pas éliminer la pauvreté ouassurer l’abondance ou réduire l’in-  flation. Il ne peut pas sauver nosvilles, lutter contre l’analphabétismeou nous procurer de l’énergie.»Discours sur l’état de l’Union, 19jan-

vier 1978.Roger Douglas, premier ministre dela Nouvelle-Zélande«N’essayez pas d’avancer pas à pas. Définissez clairement vos objectis et rapprochez-vous-en par grands bondsqualitatis. (...) Une ois que le pro- gramme de réormes commence à êtremis en œuvre, ne vous arrêtezqu’après l’avoir mené à terme : le eude vos adversaires est moins précisquand il doit viser une cible qui necesse de bouger.»Cité par Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière, Fayard, Paris, 2006.

(Suite de la page précédente.)

Une reprise en maindes secteurs jouissant

d’une relative autonomie

Resserrer les chaînes

de commandement

«On a oubliéque l’hôpital soignait

les pauvres»

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200921

domestiquer. Comme le signalait ce hautresponsable policier lors du 32e congrèsdu Syndicat des commissaires et hautsonctionnaires de la police nationale(SCHFPN), à Montluçon en 2003 : «Lerisque évident est de présenter une copie

“propre”. On ne triche pas avec les chi- res, mais on devient malin.» Ainsi, pour aire baisser la délinquance enregistrée etaugmenter les taux d’élucidation, quiconstituent les priorités du PAP de la police nationale, l’imagination des agentsest débordante : reus de prendre les plaintes, renvoi du plaignant d’un com-missariat à l’autre, regroupement ourequalification des aits constatés, concen-tration de l’activité des services sur lesdélits les plus «rentables» statistique-ment (les stupéfiants ou les étran-gers) (10). La contrainte de la productionde « bons» chifres dépasse la police. Elles’est imposée à tous les niveaux de la hié-rarchie du service public.

R EVENIR  à l’histoire ait saisir l’am- pleur de cette modernisation mana-

gériale. En Europe occidentale, le déve-loppement de l’administration a été lacondition de la naissance d’une raisond’Etat distincte de celle du monarque. Onest ainsi passé d’une gestion privée et per-sonnelle des afaires publiques (la Maisondu roi) à celle, collective et imperson-nelle, des administrations. La constructionde l’Etat moderne s’appuya sur l’émer-gence d’une vision du service publiccomme activité «désintéressée», orien-tée vers des fins universelles(11). Or c’est précisément cette représentation des onc-tions de l’Etat qui est au centre des tirs.

d’Etat une orme de dévouement hier constituti de la «mission de service  public». Ce qui pousse, cas parmi tantd’autres, Marie-Jo, du Pôle emploi de Nice, à sauvegarder ses fichiers proes-sionnels sur sa clé USB personnelle, pour 

les regarder à la maison. Survivent encoreles açons auparavant apprises d’accom- plir son devoir, «lorsqu’on avait des gens, pas des dossiers», commente Françoise,du Pôle emploi de Grasse (14).

E N MATIÈRE de démantèlement del’Etat, l’ecacité tient à ce paradoxe :

la situation antérieure d’accomplissementdu service public – la relation au métier,les dispositions sociales (de dévouement,d’implication) constitutives de celle-ci –  permet l’application des réormes quidétruisent les ormes habituelles de son

exercice et les raisons de s’y impliquer.Cette transormation ne peut donc être

réduite à la mobilisation des noblessesd’Etat qui la promeuvent et s’en ontgloire, de plaquettes d’instructions en  bilans satisaits. Bien sûr, les compéti-tions «pour plaire » – au ministre, auche de cabinet, au président de la Répu-  blique – et les rivalités qui les traver-sent, de même que leur incessante circu-lation du public au privé et inversement,y contribuent.

Mais l’avènement d’un Etat manager résulte aussi, chaque jour, de l’activitéincessante et cumulée des milliersd’agents publics, qui peut-être n’en veulent pas, mais qui, réalisant leur métier, quoi qu’il en coûte, «ont avec»,

et l’intègrent comme ils peuvent aux«choses à aire».

Certes, les protestations abondent.Magistrats, avocats, greers se sontmobilisés contre la carte judiciaire. Près

de quarante-six mille salariés de Pôleemploi étaient en grève en octobre 2009.Les enseignants du supérieur ont longue-ment reusé la réorme de leur métier. Lesmédecins hospitaliers défilaient au prin-temps pour sauver l’hôpital public. Les proesseurs du primaire et du secondairemultiplient les journées d’action. Mais,dans leurs soucis proessionnels, dansleurs patrimoines (économiques et cultu-rels), dans leurs origines sociales et leursaçons d’agir (même pour se mobiliser),les proesseurs de médecine ne sont pasdes postiers, des conseillers pour l’em- ploi, des greers ou des policiers. Com-ment les uns se soucieraient-ils des autres,spontanément, et a ortiori pratiquement?

Personne ne semble alors pouvoir sou-tenir personne, ce qui alimente le senti-ment général d’écrasement. Or c’est pré-cisément des conrontations nouvellesqu’elle installe (entre usagers et agents publics, et entre agents publics de difé-rents niveaux et de diférents services) quecette vague de transormation tire sa orce.Et de leur dissimulation. En restituer lesmécanismes dans leur ensemble, c’est déjàles contrarier et signifier qu’est en jeu ladéense d’un modèle de civilisation.

LAURENT BONELLI

ET WILLY PELLETIER.

D O S S I E R

à l’Etat manager 

A

MAIGRIR L’ETAT, réduire les interventionspubliques, combattre la pesanteur desonctionnements bureaucratiques, telle estla vocation du New Public Management

(NPM), un mouvement qui imprègne la plupart des«réormes » entreprises dans les pays occidentauxdepuis le début des années 1980. Son corps de doc-trine reste un véritable «puzzle» (1) dans lequels’entrecroisent théories de l’individu – acteurrationnel ne cherchant qu’à maximiser son intérêt–,expertises managériales et «bonnes pratiques»recensées à travers le monde par l’Organisation decoopération et de développement économiques(OCDE) ou la Banque mondiale. Le NPM a certai-nement trouvé ses hérauts les plus zélés dans leRoyaume-Uni de Mme Margaret Thatcher. Portée parcertains hommes politiques, dont M. Keith Joseph,ministre de l’industrie du premier gouvernement dela «Dame de er », et par une poignée d’institutionsde recherche privées (think tanks) comme l’Instituteo Economic Afairs et le Centre or Policy Studies

  – dont certains chercheurs investiront des ins-tances ministérielles après la victoire conservatricede 1979 –, cette «nouvelle gestion publique» y a enefet connu quelques-unes de ses réalisations lesplus abouties (2).

Contractualisation et évaluation dans l ’Etat, ins-

tillation de la concurrence et des outils de la gestiond’entreprise dans les services publics (3), «rationali-sation» des dépenses, ou encore revalorisation dupouvoir politique central au détriment d’une onctionpublique réduite au rôle de simple exécutante... Sespréconisations ont proondément guidé les réormeset expérimentations administratives conduites durantles gouvernements de Mme Thatcher (1979-1990) etde M. John Major (1990-1997).

Rappelons notamment la création du NationalAudit Oice, chargé de s’assurer que toute dépense

publique engagée l’est en vertu dusacro-saint rapport coût/eica-cité; le lancement de la FinancialManagement Initiative, visant àgénéraliser les indicateurs de per-ormance dans les services publics;ou le programme Next Steps, quiorganisa le remplacement de pansentiers de l’administration par descentaines d’agences relativementautonomes et lexibles, battant

ainsi en brèche le pouvoir d‘unehaute onction publique accusée d’archaïsme etd’incompétence par les porte-drapeaux du that-chérisme (4).

Cette remise en cause de la puissance publique etde ses rontières s’est, dans le même temps, accom-pagnée d’un renorcement du pouvoir central, prin-cipalement destiné à laminer les corps intermédiaires(les syndicats essentiellement) et les pouvoirs locaux,bastions des travaillistes.

L’arrivée au pouvoir des dirigeants néotravail-listes n’a, à première vue, pas modifié cette vision dela chose publique. En atteste la quasi-étichisation del’audit, du contrôle de perormance et de la sanctiondes «mauvais élèves » dans la pratique et les dis-cours gouvernementaux après mai 1997. Longtempscampé en «sociologue prééré» de M. Anthony Blair,Anthony Giddens reconnaissait d’ailleurs en 2003que « les idées de la “troisième voie” relatives à la réformede l’Etat avaient été fortement influencées par le New Public Management (5) ».

Certes, sous les mandats néotravaillistes, l’évalua-tion a endossé des habits plus démocratiques via lamultiplication des boards, ces instances permettantd’associer les citoyens au contrôle de la «qualitépublique». Celle-ci s’est vu attribuer d’autres critères(sociaux, environnementaux, qualitatis) que la seuleocalisation sur le coût du service. La croyance blairisteen la toute-puissance du marché – «Si vous vous oppo-sez au marché, il vous sanctionne» – est par ailleurs loind’avoir toujours ait l’unanimité au sein même desrangs «modernisateurs». Elle a été l’objet de nom-breux contournements, comme en témoigne le sau-vetage étatique (pour ne pas dire la renationalisation)en 2002 d’installations erroviaires jusqu’alors entre lesmains d’une initiative privée plus que déaillante.

Pour autant, les postulats mêmes du NPM n’ontpas disparu avec la déroute électorale des conserva-teurs. Leur difusion généralisée dans la société bri-tannique du début des années 2000 a, au contraire,contribué un peu plus à leur banalisation. Il n’est, parexemple, pas anodin que les termes «dirigeants »(leaders), « stratèges» (strategists), «entrepreneurs»(contractors), «directeurs commerciaux» (businessmanagers) ou «acheteurs» (purchasers) se soient,dans le discours travailliste le plus courant, substituésà ceux de «servi teurs de l’Etat» (public servants),«administrateurs» (administrators) et «praticiens»(practitioners)pour désigner les agents publics (6). Plusencore, les principaux porte-parole de la « gauche degouvernement», largement inspirés par les enseigne-ments proessés dans les business schools, ont sembléaccentuer cette philosophie du classement, de latransparence et du contrôle.

Cette démarche a, par exemple, conduit à pla-cer les agents des administrations locales et natio-nales dans une situation de justiication quasi per-manente de leurs activités et résultats. Aussi, lamultiplication des indices et objectis de peror-mance et leur application à la moindre décisionont-elles, ironie du sort, nourri un gonlement del’activité bureaucratique que l’application du NPMest pourtant censée éradiquer.

Les gouvernements Blair ont même parois sem-blé vouloir aller plus loin dans la logique du NPMque leurs prédécesseurs, dépassant ainsi les espoirsde l’OCDE. Au-delà de l’autonomie de gestion pro-mise aux meilleurs hôpitaux ou établissements sco-laires, ils ont ainsi largement insisté sur la place du«choix» dans les services publics. Les citoyens agis-sant désormais en « consommateurs» – pourreprendre le terme employé par le Bureau de la

réorme du service public rattaché aupremier ministre –, et les onctionnairesétant censés privilégier traditionnelle-ment le «paternalisme » et une oremonolithique de services pour mieuxservir leurs intérêts, la survie de l’Etatsocial passerait désormais par une diver-siication des prestations et des presta-taires (publics et privés).

M. Blair ne disait pas autre chose

lorsque, présentant les réormes à veniren 2002, il armait que les ser vices publics devaientêtre recentrés sur « les besoins des patients, des élèves,des passagers et du public en général plutôt que sur ceux qui fournissent les services ». Déployé dans les secteursde la santé ou de l’éducation, le choix doit ainsi per-mettre, si l’on en croit ses partisans, de responsabi-liser des usagers désormais habilités à choisir l’écolede leurs enants ou la structure dans laquelle ils sou-haitent être soignés (quand ce n’est pas la nature dutraitement qui est également soumise à leur déci-sion!). Il devrait également susciter l’émulation ausein d’une administration placée en situation deconcurrence interne mais également de rivalité avecl’ofre privée.

Plus sûrement, sous couvert d’une améliorationde la qualité du service, on peut se demander si cen’est pas à une individualisation du rapport Etat-citoyen et à un transert croissant de la gestion durisque du premier vers le second que travaille un telmouvement.

Avec les redéfinitions des métiers – que cesoit aux impôts, avec les conseillers desagences pour l’emploi, parmi les ensei-gnants ou ailleurs – se déait le rapport àdes proessions hier vécues comme «ser-vice rendu». Bien des onctionnaires

vivent désormais leur onction doulou-reusement, dans une situation de porte-à-aux qui enveloppe toute leur activité pro-essionnelle. Le sens de sa tâche (et desoi-même l’accomplissant) entre encontradiction avec les nouveaux critèresd’évaluation. Quotidiennement, le métier devient mission impossible dans les rela-tions aux usagers. L’épuisement proes-sionnel qui s’ensuit est incompatible avecles diverses ormes de «management par objectis».

Reste la uite : suicides, tentatives desuicide, arrêt-maladie, psychotropes chezles agents soumis à la «culpabilité duchifre». «On vient au boulot chaquematin à reculons. Les discussions entrecollègues tournent autour de la retraite,combien de temps te reste-t-il à tirer?»,confie M. Pierre Le Goas, du service desimpôts des particuliers de Lannion (12).Reste l’efondrement. «Les ambiances sont tellement tendues, avec l’augmenta-

tion de la charge de travail, que les agents pleurent sur les sites», témoigne Mme Del-  phine Cara, responsable vendéenne duSNU-Pôle emploi (13).

Mais la «modernisation» de l’Etatentre dans les aits, car elle s’immiscedans les actes les plus anodins desemployés du secteur public. Parce qu’in-dépendamment des sacrifices, des sou-rances, du déboussolement et des ten-sions, les salariés qui la subissent n’ontd’autre choix que d’y participer et de lamettre en œuvre à tout instant. En l’habi-tant à leur manière. En s’en accommo-dant. Mieux : ils trouvent d’eux-mêmesles meilleures açons de aire, afin quetiennent des situations intenables, malgréla surcharge de travail. Entre autres, parceque subsiste de l’état antérieur des métiers

Olivier Mazerolle, directeur de l’in-ormation de RTL, à propos des mau-vais résultats des athlètes rançais lorsdes Jeux olympiques

«Les Français ne sont pas sportis parce que nous avons l’habitude del’Etat-providence.»France 2, 26 évrier 1994.

Denis Kessler, vice-président duMouvement des entreprises de France(Mede)«Le modèle social rançais est le pur  produit du Conseil national de la Résistance. (...) Il est grand temps dele réormer, et le gouvernement s’yemploie. Les annonces successivesdes diférentes réormes par le gou-vernement peuvent donner uneimpression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance iné- gale et de portées diverses : statut dela onction publique, régimes spéciauxde retraite, reonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarderde plus près, on constate qu’il y a une proonde unité à ce programme ambi-

tieux. La liste des réormes? C’est  simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et1952, sans excep-tion. Elle est là. Il s’agit aujourd’huide sortir de 1945, et de déaire métho-diquement le programme du Conseil national de la Résistance! »Challenge, 4 octobre 2007.

Henri Dorgères, député d’Ille-et-Vilaine de 1956 à 1958, ondateur dumouvement asciste des Chemisesvertes«Le onctionnaire, voilà l’ennemi! »

 Révolution paysanne, éditions Jean-Renard, Paris, 1943.

Vincent Bénard, président de l’Insti-tut Hayek, Bruxelles«En voulant accélérer artificiellement ce que l’économie libre accomplis- sait à son rythme, c’est l’Etat, tantôt régulateur, tantôt législateur, qui a

 poussé à l’irresponsabilité les acteursde la chaîne du crédit, provoqué unecrise financière grave, et acculé à la aillite nombre de amilles qu’il pré-tendait aider.»

 Le Figaro, 9 septembre 2008.

Au quotidien,le métier devient

impossible

Plaire au ministre,au che de cabinet,

au président

La auteaux Britanniques...

(10) On trouvera une liste étofée de ces pratiquesdans l’ouvrage de Jean-Hugues Matelly et ChristianMouhanna, Police. Des chifres et des doutes, Micha-lon, Paris, 2007.

(11) Pierre Bourdieu, La Noblesse d’Etat . Grandesécoles et esprit de corps, Editions de Minuit, Paris,1989, p. 544.

(12) L’Humanité, Paris, 21 octobre 2009.

(13) Le Monde, 22 octobre 2009.

(14) L’Humanité, 20 octobre 2009.

PA R J É R Ô M E

TO U R N A D R E - P L A N C Q *

* Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique(CNRS) ; a notamment publié Au-delà de la gauche et de la droite, unetroisième voie britannique?, Dalloz, Paris, 2006.

(1) Philippe Bezes,   Réinventer l’Etat. Les réormes de l’adminis-tration rançaise (1962-2008), Presses universitaires de France, Paris,2009, p. 3.

(2) On en trouve des signes avant-coureurs. Ainsi, dès 1968, un rap- port commandé par un gouvernement travailliste déplorait déjà la«aible productivité» des services publics.

(3) C . Denis Saint-Martin, Building the New Managerialist State ,Oxord University Press, 2000.

(4) Certains hauts onctionnaires n’ont cependant pas été en restedans la conduite de ces réormes. C. Jack Hayward et Rudol Klein,«Grande-Bretagne : de la gestion publique à la gestion privée dudéclin économique», dans Bruno Jobert (sous la dir. de), Le Tournant néo-libéral en Europe, L’Harmattan, Paris, 1994.

(5) «Neoprogressivim», dans Anthony Giddens (sous la dir. de),The Progressive Maniesto, Polity Press, Cambridge, 2003, p. 14.

(6) John Clarke et Janet Newman, The Managerial State, Sage,Londres, 1997, p. 92.

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 22 D O S S l E R

Les usagers financent l’entrée

P A R N O T R E

E N V O Y É S P É C I A L

O L I V I E R C Y R A N *

(1) Cité par le Financial Times Deutschland,Ham- bourg, 9 septembre 2009.

(2) Cité par le site Internet du Spiegel, www.spie-gel.de, 10 septembre 2009.

(3) Günter Wallraf,  Aus der schönen neuen Welt,Kiepenheuer & Witsch, Cologne, 2009.

* Journaliste.

nance. Le ministre édéral des transports,M. Achim Großmann, hanté par la visiond’une capitale allemande métamorpho-sée en radeau de la Méduse, s’aole :« Quand Berlin va-t-il enin renouer avecdes conditions de transport dignes d’unecivilisation occidentale (1) ?» «On vavoir si la direction de la DB se montrecapable de nettoyer cette porcherie ! »,s’exclame pour sa part le porte-parolede la mairie de Berlin, M. Richard Meng (2).

La «porcherie » découle pourtant d’un processus politique mûrement prémédité.«Tout a commencé en 1994, quand le gou-vernement édéral a transormé la DB en société de droit privé», rappelle M. CarlWaßmuth, le porte-parole berlinois de laédération associative Un rail pour tous.«A l’époque, les dirigeants juraient qu’il n’était pas question de privatiser la com- pagnie, mais seulement de la rendre plus perormante.» En 1999, le chancelier Gerhard Schröder installe son ami Hart-mut Mehdorn à la tête de la DB. Cetancien ingénieur d’Airbus doit propulser le rail allemand sur la voie express de laréorme. En une dizaine d’années, il sup- prime la moitié des efectis, qui passentde trois cent quatre-vingt mille à cent qua-tre-vingt mille salariés, et encadre ceuxqui restent avec un management urieu-sement moderne.

DA NS U N C HA PI TR E de son dernier livre, le journaliste allemand Günter 

Wallra (3) rapporte plusieurs témoi-gnages de cadres harcelés, mis au placard ou poussés à la démission au moti deleur manque d’enthousiasme pour les projets de leur patron. Une iliale auraitspécialement servi à éjecter les récalci-trants : DB JobService Gmbh, appelée eninterne « le bureau des apatrides et des sans-droits» . Simultanément, les salairesde l’équipe dirigeante grimpent enlèche. Un cadre évincé raconte à Wall-ra que, à l’issue de chaque réunionimportante avec sa garde prétorienne decols blancs, M. Mehdorn leur aisaitsigner au eutre une grande aiche por-tant cette inscription : «Nous approu-vons les objectis de l’entreprise.»

Ainsi recalibrée, l’entreprise se met enordre de marche pour son introduction enBourse. Le pouvoir politique s’en réjouit.En 2005, l’Union chrétienne-démo-crate (CDU) et le Parti social-démo-crate (SPD) ormalisent le projet de pri-vatisation du rail dans leur accord decoalition gouvernementale. C’est M. Otto

POUR la oule des visiteurs et jour-nalistes étrangers qui se pres-saient à Berlin pour le vingtièmeanniversaire de la chute du Mur,le miracle est passé inaperçu : la

S-Bahn, le métro à grande vitesse, équiva-lent allemand du réseau express régio-nal (RER), n’est pas tombée en panne. Nombre de Berlinois s’attendaient – nonsans un brin de mauvais esprit – à ce que lasérie noire des quatre mois précédentsreprenne de plus belle à l’occasion de lacommémoration. «On a eu chaud, soupireune serveuse du Caé Liebling, dans lequartier branché de Prenzlauer Berg. Vousvous rendez compte? A quelques semaines près, les réjouissances se déroulaient dansune ville au bord de la crise de ners, avecdes quais de S-Bahn noirs de monde et destouristes bloqués à l’aéroport. Les Alliés  peuvent remercier les Berlinois de l’Est d’avoir abattu le Mur un 9 novembre et non un 9 septembre...»

Il s’en est allu de peu en efet que le jubilé de l’efondrement du communismecoïncide avec une édifiante leçon de chosessur le triomphe du capitalisme. De mi-juinà début octobre, la S-Bahn a été partielle-ment ou totalement bloquée par des pannesà rebondissements, déclenchant la pirecrise des transports publics jamais connueà Berlin depuis la guerre. En cause : lacompression des coûts de maintenance des-tinée à embellir le compte de résultats quela Deutsche Bahn (DB), propriétaire de laS-Bahn, présentera à ses uturs action-naires. La compagnie erroviaire prépareainsi sa privatisation...

Le 1er  mai dernier, c’est d’abord uneroue qui lâche et provoque un déraillementà l’entrée de la gare berlinoise de Kauls-dor. L’accident, qui ne ait pas de blessés,aurait tourné à la catastrophe si la déail-lance avait eu lieu en tête du train et si leconvoi n’avait pas roulé à aible allure. La

direction de la S-Bahn invoque une mala-çon. Mais le Bureau édéral du rail(EBA)n’est pas convaincu. Début juin, cetteagence ministérielle de contrôle ordonnel’immobilisation de la plupart des trains et

leur envoi au garage pour vérification.Apparaissent alors des violations flagrantesdes règles de maintenance et de sécurité.

« Il n’y avait pas d’instructions écrites,mais les agents chargés de l’entretien ont été clairement contraints de bâcler leurtravail», confirme M. Hans-JoachimKernchen, le responsable du Syndicat desconducteurs de trains (GDL) pour le secteur Berlin-Saxe-Brandebourg. «Un nouveau directeur de la production amême été spécialement recruté dans cebut. Sous sa houlette, la direction de laS-Bahn a supprimé un quart des efectisen quatre ans, ermé un atelier à Lich-tenberg, réduit le parc des trains, jeté à la  erraille les rames de réserve, limité lematériel et le personnel au strict mini-mum. En quelques années, ils ont réussià bousiller notre outil. »

D’abord totalement arrêté, le trafic resteortement perturbé durant tout l’été. Le

7 septembre, alors que la situation paraîtenfin s’améliorer, c’est la rechute : uneinspection de routine sur une voiture révèleque quatre cylindres de reins sur huit sontdéectueux. A nouveau les trains partent augarage, le temps pour les techniciens sur-menés d’ausculter les reins et de rempla-cer les pièces abîmées. Le trafic reprend aucompte-gouttes durant un mois et demi.Seul un train sur quatre circule.

SI LES BERLINOIS du centre-ville peuventtoujours se reporter sur les transports

municipaux (tramway, métro, bus), la pagaille touche rudement les habitants de banlieue qui n’ont souvent que la S-Bahncomme moyen de transport. «Pendant unebonne partie de l’été, il allait que je parteau travail une heure et demie plus tôt et que je m’organise pour aire garder les enantsen fin de journée, témoigne une vendeusedu grand magasin KaDeWe. Ça m’a coûtébeaucoup d’argent, sans compter le stress,la atigue et les récriminations de monemployeur.»

Pour calmer les usagers en colère, ladirection de la S-Bahn envoie dans lesgares bondées les conducteurs de trains auchômage technique, priés d’improviser unecommunication de crise. «Il y a eu des

insultes, des “pétages de plombs”; c’était vraiment honteux, se souvient M. Kern-chen. Si on m’avait dit qu’un tel ratage sur-viendrait un jour, j’aurais éclaté de rire. Depuis les années 1920, la S-Bahn de Ber-lin était le moyen de transport le plus sûrde la ville et peut-être du pays. Alors,quand du jour au lendemain les troisquarts des trains se retrouvent à l’arrêt, ça ait un choc.»

Le iasco est si dévastateur que lesdirigeants politiques perdent leur conte-

Vers une civilisation planétaire ?

CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

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AVEC

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qui ont façonné les réalités humaines et géopolitiques contemporaines.

Un ouvrage de référence pour comprendre sous l’angle des civilisations

les grands enjeux du XXIe siècle.

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Nos précédentsarticles

• «Comment l’entreprise usurpe lesvaleurs du service public», par DanièleLinhart (septembre 2009).

• «Traitement de choc pour tuer l’hôpital public», par  André Grimaldi,Thomas Papo et Jean-Paul Vernant (février 2008).

• «L’école britannique livrée au patro-nat», par Richard Hatcher (avril 2005).

• «Grande braderie de l’électricité àtravers l’Europe», par Ernest Antoine(juin 2004).

• «A La Poste aussi, les agents doiventpenser en termes de marché», parGilles Balbastre (octobre 2002).

« Quand les trois quarts

des trains s’arrêtent,

ça ait un choc»

Un ministre se recase

à la direction

de la Deutsche Bahn

Alain Juppé, premier ministre

«Je préère une onction publiquemoins nombreuse, plus ecace et mieux à l’aise dans ses missions,qu’une onction publique qui ait de lamauvaise graisse.»

Assemblée nationale, 14 mai 1996.

Jean-Louis Caccomo, économiste

«Les Etats totalitaires détruisent laliberté individuelle en la supprimant  purement et simplement, l’Etat se pro- posant d’administrer toute l’écono-mie du pays. Les Etats-providenceagissent plus sournoisement, ofrant au peuple une “sécurité sociale” enéchange de sa liberté, substituant laresponsabilité collective à la respon- sabilité individuelle. Dans le premiercas, les individus ne peuvent plusagir; dans le second cas, les individusne savent plus agir.»

 La Troisième Voie, Les Presses litté-raires, Paris, 2007.

Ronald Reagan, président des Etats-Unis

«J’ai toujours trouvé que les mots les plus terrifiants de la langue anglaiseétaient:“Je suis du gouvernement et  je suis ici pour vous aider.”»Conérence de presse, 12 août 1986.

Nicolas Sarkozy, ministre de l’inté-rieur 

«Combien de ois on nous a dit, sur leterrain : “Comment se ait-il que cemonsieur, là, qui n’a jamais travailléde sa vie, qui est toujours au chômageou qui a le RMI, peut se payer unevoiture que son voisin qui, lui, se lèvetôt le matin pour travailler ne peut  pas se payer? »«100 minutes pour convaincre »,France 2, 9 décembre 2002.

Laurent Jofrin, actuel directeur duquotidien Libération

«Ils avaient dit : un seul sauveur,l’Etat; le service public est un prin-cipe absolu, grâce à lui, tout ira

mieux. On découvre maintenant quecet Etat boursouflé étoufe et pressurela société civile. Le service publicindispose de plus en plus le public.»

  La Gauche en voie de disparition,Seuil, Paris, 1984.

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200923D O S S l E R

en Bourse des transports berlinois

RÉGIONS

ANGERS. Le 11 décembre, à 20h30,salle du Doyenné, boulevard duDoyenné: « Pour en finir avec le miraclechinois», avec Philippe Masonnet. (Jack 

 Proult. [email protected])

AVIGNON. Le 11 décembre, à 20h30,salle Benoît-XII, rue des Teinturiers :«Espoir de paix en Israël-Palestine? »,avec Hind Khoury, ambassadrice del’Autorité palestinienne en France, EricRouleau et Pierre Stambul. En partenariatavec Artisans du monde, la Cimade,l’AFPS, l’ACAT, la LDH, Sabîl France,l’UJFP, MAS, Attac, le Secours catho-lique. (José Ruiz. Tél.: 04-90-29-63-58 ;[email protected])

BOUCHES-DU-RHÔNE. Le 3 décem- bre, à 19 heures, au cinéma Jean-Renoir,montée Malek-Oussekine, à La Penne-sur-Huveaune, projection de  L’AfaireClearstream racontée à un employé de

 Daewoo, de Denis Robert et PascalLorent, suivie d’un débat. En soutien àDenis Robert. Avec Attac pays d’Au-

 bagne et la MASC. (Gérald Ollivier. Tél. :06-76-31-35-47; [email protected])

CAEN. Le 8 décembre, à 19heures, et le12 décembre, à 13 h10, retransmissionsur TSF98 (98.00) de l’émission «T’esautour du “Diplo” ». (Renseignements :06-08-27-97-85.)

CARCASSONNE. Au théâtre Na Lobade Pennautier. Le 1er décembre, à 20h 45,

 projection-débat du Silence des nanos,

en présence du réalisateur Julien Colin;en partenariat avec les Amis de la Terre.Le 15 décembre, à 20h45, rencontre-débat avec Isabelle Stengers, autour deson ouvrage   Au temps des catas-trophes (La Découverte). Le 7 décem-

  bre, à 20h 30, Hall des arts, mairie dePennautier, réunion du groupe local desAMD. (Bernard Dauphiné. Tél. : 04-68-47-69-22; [email protected])

DIJON. Le 13 décembre, à 15 heures,sur Radio Campus (92.2), émission men-suelle «Vu du Monde». Le 17décembre,à 18h 30, à la Maison des associations,rue des Corroyeurs : permanence desAMD. (Roland Didier. Tél. : 03-80-47-51-24; [email protected])

DORDOGNE. Le 1er  décembre, à20h 30, au Foyer municipal de Montpon-Ménestérol, rue Henri-Laborde : débatautour d’un article du  Monde diploma-tique. (Henri Compain. Tél. : 05-53-82-08-03; [email protected])

DOUBS. Le 1er  décembre, à 19h30,aculté des lettres, amphi Lévêque, 32,rue Mégevand, Besançon : «Pour une

 paix juste au Proche-Orient, comprendre

 pour mieux agir », avec Dominique Vidalet Omar Somi. Organisé par GénérationPalestine et un collecti d’associa-tions. (Philippe Rousselot. philippe.rous-

  [email protected]; www.amd-besan-con.org) Le 17 décembre, à 20h15, à laMJC de Valentigney, 10, rue Carnot :

  projection du film   Putain d’usine,suivie d’un débat avec Jean-Pierre Leva-ray, auteur de l’ouvrage du mêmetitre(Agone).(Odile Mangeot. Tél. : 03-84-30-35-73; [email protected])

GIRONDE. Le 16 décembre, à19 heures, au Poulailler, place du 14-Juil-let, à Bègles: débat autour d’un article du

 Monde diplomatique du mois. Le même jour, à 20h 30, au Caé de l’Orient, espla-

nade François-Mitterrand à Libourne : larésistance au changement, à partir dulivre   Le Petit-Bourgeois gentilhomme

(Agone), d’Alain Accardo. (Jean-Domi-nique Peyrebrune. Tél.: 06-85-74-96-62;[email protected])

GRENOBLE. Au Tonneau de Diogène,6, place Notre-Dame, à 20h 30. Le2 décembre: « Guide des activités de lob-

 bying à Paris», à partir de l’ouvrage Lobby Planet Paris (L’Age d’homme) ;avec Gildas Jossec. Le 4 décembre : «Lacréation a-t-elle un sexe? », avec ThierryDelcourt. Le 8 décembre : «Nano et cul-ture scientifique», avec Jean Caune. Aumême endroit, à 18 h15. Le 9 décembre:«Les agendas 21 locaux et les projetsterritoriaux de développement durable enFrance», avec Charlotte Renard. Le16 décembre : «Les parcs naturels régio-naux», avec Jean-Luc Mathieu. A laTable ronde, 7, place Saint-André , le16 décembre, à 20h 30 : «L’état des étudesaméricaines dans les institutions ran-çaises» et/ou « La situation des Etats-Unis,un an après l’arrivée d’Obama au pou-voir», avec Francis Feeley. (Jacques Tolé-dano. Tél.: 04-76-88-82-83 ; [email protected])

LILLE. Le 9 décembre, à 20h 30, à laMRES, 23, rue Gosselet, à Lille: « Quelavenir pour la presse écrite en général et

 Le Monde diplomatique en particulier?».(Philippe Cecille. Tél. : 06-24-85-22-71;[email protected])

LYON. Le 16 décembre, à 19 heures,amphithéâtre du lycée Diderot, 41, coursdu Général-Giraud : « Droite et gauche:quelles diférences?», avec Jérôme Mau-courant. (Cédric Mulet-Marquis. Tél. :04-77-83-42-64; [email protected])

METZ. Le 10 décembre, à 18h 30, auCaé Jehanne d’Arc, place Jeanne-d’Arc,« caé-Diplo » : «Le Japon dans la criseéconomique et après la déaite électoralede la droite », avec Makoto Katsumata.Le 17 décembre, à 20 heures, salle des

Coquelicots, à Metz-Pontifroy : «Lesélites, l’administration et le citoyen : l’or-ganisation de la défiance populaire»,

avec Christopher Pollmann. Dans le cadrede l’université populaire d’Attac. (Chris-topher Pollmann. Tél. : 03-87-76-05-33;

 [email protected])

MONTPELLIER. Le 2 décembre, à20 heures, salon du Belvédère : «LeGIEC, des rapports tronqués pour or-mer une croyance», avec MartineTabeaud. (Daniel Berneron. Tél. : 04-67-96-10-97.)

ORLÉANS. Le 3 décembre, à 20h30, àla Maison des associations: réunion men-suelle du groupe local. Dans le cadre duForum des droits humains, le 11 décem-

  bre, à 20h 30, à la médiathèque : «La prison comme réponse sociale à la pau-vreté et/ou comme réponse économiqueà la maladie mentale? »; avec Christianede Beaurepaire, médecin psychiatre deshôpitaux, et Philippe Combessie, socio-logue. (André Chassaing. Tél. : 02-38-75-43-40; [email protected])

PAU. Le 13 décembre, à 16 heures, auSalon Asphodèle, Parc des expositionsde Pau : «Capitalisme vert et dérives du

 bio», avec Gérard Deneux. (Pierre Arra-bie-Aubiès. Tél. : 05-59-04-22-61;

 [email protected])PERPIGNAN.Le 8décembre, à 19h 10,au cinéma Le Rive gauche : projection-débat d’ Aliker, de Guy Deslauriers. Le17 décembre, à 19heures, 1, rue Michel-Doutres : réunion des AMD Pyrénées-Orientales.(Jérôme Massonnet. Tél. : 06-68-48-40-65; [email protected])

TOULOUSE.Le 14décembre, à 20h30,au restaurant Rincón Chileno, 24, rueRéclusane : table ronde avec Jacques Ber-thelot, autour de son article « Pour unmodèle agricole dans les pays du Sud »(novembre 2009). (Jean-Pierre Cremoux.Tél.: 05-34-52-24-02 ; [email protected])

TOURS. Le 1er décembre, à 20h30, à lamairie de Tours : «Un an après Gaza,

quel espoir pour la Palestine?», avec Stéphane Hessel. Le 9 décembre, à13 heures, sur Radio Béton (93.6) : pré-

sentation du « Diplo » du mois. Le10 décembre, à 20 heures, au cinémaLes Studios, rue des Ursulines, ciné-débat : «L’eau, objet de gain, objet deguerre?». Le 11 décembre, à 20h 30, àl’association Jeunesse et Habitat, 16, rueBernard-Palissy: « Le Chili après la dic-tature». (Philippe Arnaud. Tél. : 02-47-27-67-25.)

BANLIEUE

VAL-DE-MARNE. A la Maison ducitoyen et de la vie associative, 16, rue duRévérend-Père-Aubry, à Fontenay-sous-Bois. Le 3 décembre, à 20h 30 : «Crisealimentaire mondiale, challenge majeur du XXIe siècle», avec Jean-Denis Crolad’Oxam. Le 10 décembre, à 20h 30, ren-contre avec Shlomo Sand, autour de sonouvrage Comment le peuple jui ut inventé (Fayard); en partenariat avecl’Union juive rançaise pour la paix,représentée par sa coprésidente MichèleSyboni, et le soutien du groupe local del’association France-Palestine solidarité.Le 8 décembre, à 20 heures, soirée orga-nisée dans le cadre de la Fondation Henri-

Pézérat : «Stress et risques sociaux autravail », avec Annie Thébaud Mony.(Anne-Marie Termat. Tél. : 06-23-97-71-05 ; [email protected])

YVELINES.Le 5 décembre, à 17 heures,à la mairie de Versailles, salle Clément-Ader : rencontre avec Catherine Coquery-Vidrovitch autour de son ouvrage

  Enjeux politiques de l’histoire colo-niale (Agone). (Evelyne Lévêque. Tél. : 06-07-54-77-35; [email protected])

HORS DE FRANCE

ABIDJAN. Le 19 décembre, à 9 heures,

à l’Edhec, Cocody Cité des Arts, à Abid- jan : «La pratique de la terreur au nomde la démocratie en Arique. Que reste-t-il de l’autorité? »; avec Kadio FodjoAbo. (Etien Nda Amon. Tél. : 00-225-05-77-87-31.)

BURKINA FASO. Le 5 décembre, à16h 30, à la Bourse du travail de BoboDioulasso : «Le sommet de Copenhaguesur le réchaufement climatique : quelsenjeux pour les pays comme le BurkinaFaso?». ([email protected])

GENÈVE. Le 8 décembre, à 19 heures,au caé Gervaise, 4 bis, boulevard James-Fazy, « caé-Diplo» : «Anatomied’un eondrement» ; débat autour del’article de François Chesnais (novem-

 bre 2009). ([email protected])

LUXEMBOURG. Le 14 décembre, à20 heures, au centre culturel de rencon-tre - abbaye de Neumünster : «Quelavenir pour le Proche-Orient? », avecAlain Gresh. Le 15 décembre, à19 heures, au cercle Curiel, 107, routed’Esch: « caé-Diplo». (Sylvie Hérold.

Tél.: [+352]-25-20-26 ; [email protected])

MONTRÉAL. Le 8 décembre, à19 heures, salle DR-200 du pavillon degestion de l’UQAM, 315 Sainte-Cathe-rine - Est: « Géopolitique du sionisme»,avec Yakov Rabkin et Fabienne Présen-tey, animation Marie-Christine Ladou-ceur-Girard, du PAJU. (André Thibault.Tél. : 514-273-00-71 ; [email protected])

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Des lecteurs

associés

Wiesheu, le ministre bavarois de l’écono-mie et des transports, qui a négocié cetteétape cruciale pour le compte de M. Meh-dorn. Son dévouement lui vaudra d’ail-leurs une juste récompense. A peine l’encre de l’accord a-t-elle séché que

M. Wiesheu quitte son auteuil de minis-tre pour rallier la direction de la Deut-sche Bahn, au poste ultrasensible de direc-teur des «relations politiques».

Au sein du «contre -pouvoir » syndi-cal, les deux principales organisationsde cheminots, Transnet et DGBA, sou-tiennent la privatisation de l’entreprise.Le secrétaire général de Transnet,M. Norbert Jansen, répète à l’envi que« l’opposition entre gentil Etat et méchant capital n’a pas lieu d’être (4) ».L’équipe de M. Mehdorn lui ore unereconversion sur mesure : en mai 2008,M. Jansen démissionne de son syndicat pour intégrer l’état-major de la DB, au poste de... directeur du personnel. Salaireannuel : 1,4 million d’euros. « Diriger un grand syndicat ou participer à la gestiond’une grande entreprise, c’est à peu prèsle même travail », conie-t-il à la  Bild Zeitung  (16 mai 2008). Une tâche quiconsiste par exemple à persuader le

conducteur de train qu’il ne doit pas seu-lement eectuer son boulot, « mais aireaussi un peu de rangement dans les voi-tures et mettre la main à la pâte dans les  petites gares. C’est ce à quoi nous sommes en train de réléchir».

TOUT va donc pour le mieux. A quoi  bon inquiéter la population par un

débat public sur l’avenir du chemin deer? «Jusqu’en 2005, seuls les politiques  proessionnels étaient au courant de cequi se tramait, observe M. Waßmuth. Même en 2006, quand les plans du gou-vernement édéral ne pouvaient plus êtreignorés, aucune discussion n’a eu lieu,ni dans les médias ni ailleurs.» Au seinmême du SPD, ce n’est qu’en octo- bre 2007, à l’occasion du congrès du parti,que les militants obtiennent voix au cha- pitre. Au cours d’un scrutin houleux, 70 %d’entre eux rejettent la privatisation. Ladirection du parti ne s’en soucie guère. Le30 mai 2008, les députés SPD du Bun-destag votent comme un seul homme la

transormation de la Deutsche Bahn enholding. Le transport des voyageurs estconfié à une nouvelle structure, DB Mobi-lity Logistics, une appellation anglophonecensée appâter les investisseurs. Rendez-vous est pris pour l’introduction en

Bourse, fixée au 27 octobre 2008.

Las ! Le champagne est déjà au raisquand la aillite de Lehman Brothers vientgâcher la ête. Deux semaines avant le jour J, alors que les marchés hurlent à lamort, le gouvernement décide en catas-trophe d’ajourner l’opération. Dans unedéclaration commune, le ministre SPD desfinances, M. Peer Steinbrück, et le patronde la DB, M. Mehdorn, s’en remettent àdes jours meilleurs : «Dès que la conjonc-ture permettra une introduction en Bourseréussie, nous passerons à l’acte. Les voies sont posées.»

En attendant, les voies se révèlent demoins en moins sûres pour les voyageurs.En juillet 2008, un train Inter-CityExpress (ICE, équivalent allemand duTGV) déraille en gare de Cologne. Dû à lacassure d’un essieu mal entretenu, l’acci-dent provoque la mise à l’arrêt de tous lesICE. Exaspéré, l’EBA ordonne à la Deut-sche Bahn de prendre des mesures pour éviter les négligences. M. Mehdorn sevexe et accuse : les onctionnaires troptatillons de l’EBA ne chercheraient qu’à«aire les gros titres dans la presse (5)».Le conflit s’envenime et aboutit devantles tribunaux, qui donnent raison à l’or-

ganisme de contrôle et contraignent laDB à raccourcir les délais entre chaqueinspection des ICE.

Mais l’EBA, qui dépend du ministèreédéral des transports, n’a pas les moyens

de stopper le train d’ener de la DB. Ni ladégradation rapide de ses filiales, donttémoigne le délabrement de la S-Bahn ber-linoise. «Depuis déjà deux ou trois ans, onconstatait une nette baisse de la qualité du service, remarque M. Hanz-Werner Franz,le directeur général du Réseau des trans-  ports urbains de Berlin-Brandebourg(VBB). Cet organisme municipal, chargéd’organiser le transport public et de veil-ler à la ponctualité des trains et à la sécu-rité des voyageurs, mesure à cette occasionl’ampleur de son impuissance. «On a vules retards s’accumuler, des trains suppri-més sans raison alors qu’ils étaient pro-  grammés, des rames longues auxquelleson avait discrètement enlevé une ou deuxvoitures. Au printemps 2007, un incident de reinage a ailli aire dérailler un trainà la gare d’Anhalten : le distributeur de sable n’avait pas onctionné. Du coup, laS-Bahn a réduit la vitesse des trains de 100à 80 km/h. Mais elle a systématiquement reusé de nous communiquer ses pro-

blèmes techniques, alors qu’elle en avait l’obligation.»

Il est vrai que, dans le même temps, les profits de la S-Bahn sont passés de 9 mil-lions d’euros en 2004 à 56 millions en2008. M. Franz hausse les yeux au ciel,

consterné. « Cet argent, dit-il, la S-Bahnne l’a évidemment pas investi pour amé-liorer la qualité du service, ou à tout lemoins pour en atténuer la dégradation :elle a ait remonter chaque centime dansles caisses de la maison mère, qui en

 voulait toujours plus. Pour 2010, la direction de la DB prévoyait de rançon-ner la S-Bahn à hauteur de 126 millionsd’euros !» On s’étonne : la ville de Ber-lin ne verse-t-elle pas chaque année250 millions d’euros à la S-Bahn au titrede l’aide au transport régional? «En efet.Cela mérite d’être souligné : d’une cer-taine manière, les Berlinois se sont retrouvés malgré eux à subventionnerl’introduction en Bourse de la Deutsche Bahn... »

E

T MAINTENANT? «On va renégocier

le contrat qui nous lie à la S-Bahn,veut croire le che de la VBB.  Bien sûr,elle nous jure qu’elle va régler tous les problèmes et qu’il n’y a pas lieu de chan- ger une virgule à notre contrat, qui n’ar-rive malheureusement à échéance qu’endécembre 2017. Afaire à suivre... » Pour l’instant, le gouvernement édéral s’est bien gardé de fixer une nouvelle échéanceà la privatisation de la DB, que le chaos berlinois n’a pas contribué à rendre popu-laire. M. Mehdorn n’en a cure : parti enmars dernier avec un chèque d’adieu de4,9 millions d’euros, le modernisateur dela DB travaille désormais pour la banqueMorgan Stanley. Son successeur,M. Rüdiger Grube, a signé en juillet der-nier un accord avec la Compagnie deschemins de er russes, portant sur unéchange de participations croisées qui  préfigure peut-être des lendemains quichantent.

Quant à la direction de la S-Bahn, ellen’a pas souhaité commenter ses exploits.«Nous sommes trop occupés en cemoment à vérifier l’état des trains», s’ex-cuse un responsable du service de com-munication. Un attaché de presse quirépare les trains? Les Berlinois ne sont pas au bout de leurs soucis...

OLIVIER CYRAN.

Aucune discussion,

ni dans les médias

ni ailleurs

« On va renégocier 

le contrat qui nous

lie à l’entreprise»

L E S A M I S D U M O N D E D I P L O M A T I Q U E

(4) Die Zeit , Hambourg, 18 septembre 2008.

(5)  Die Süddeutsche Zeitung,Munich, 15 août 2008.

Ezra Suleiman, proesseur de science politique à l’université de Princeton

« L’évaluation est inacceptable dansde nombreuses institutions, parce

qu’elle est susceptible de mettre endanger les acquis. Or la démocratieet la modernité imposent les prin-cipes (...) de l’évaluation objectivedes compétence et des résultats. Ondénonce tant et plus les pouvoirs ten-taculaires de l’Etat – et son ineica-cité. Mais personne ne songe àlui reprocher d’avoir conservé et même encouragé des mœurs et des comportements aujourd’hui totale-ment inadaptés à une société démo-cratique. C’est là, bel et bien, une“exception rançaise”, dont la France a impérativement besoin de se débarrasser… »Schizophrénies rançaises, Grasset,Paris, 2008.

Alain Minc, essayiste

«Il se trouve que les marchés détes-tent le keynésianisme. Dès qu’un Etat  y a recours, ils le sanctionnent. Lesmarchés n’aiment pas Keynes, je n’y

 peux rien.»Capital, novembre 1997.

Patrick Artus, membre du Conseild’analyse économique (CAE), présidé par le premier ministre François Fillon

« Les choix du premier ministre enmatière de gestion des eectis  publics sont trop prudents. (...) Cequ’il audrait aujourd’hui, c’est unerupture, un choc. Cela passerait parla remise en cause globale du statut de la onction publique et la dispari-tion des corps de métier par minis-tère : on créerait, par exemple, lemétier d’inormaticien de l’Etat, ces personnels pouvant être employés làoù les besoins se ont sentir. Sur lemodèle suédois, des agences auto-nomes, libres de leur politique derecrutement, seraient chargées de gérer les diérents services publics. »Challenges.r, 3 novembre 2005.

François de Closets, essayiste

« Que de braves gens aillent dans larue pour déendre le droit des chemi-nots roulants de partir à la retraite à50 ans et pas à 53 ans, c’est inexpli-cable. (...) Cela traduit le désarroid’une population à qui l’on a tou- jours dit et répété qu’on pouvait s’en sortir sans aire d’efort. »

 Le Point , 16 mai 1998.

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 24

L’I NDE que décrit Selina Sen dans ce premier roman très abouti est celle des aubourgs de New Delhi et des émigrés du Bengale qui ont ui leur pays lors de la partition entre l’Indeet le Pakistan. Trois générations vivent sous un même toit. Les grands-parents – Dadu,

le grand-père médecin perdu dans le souvenir de son pays abandonné, et Dida, la lumineuseet malicieuse grand-mère –, leur fille Ma, veuve d’un militaire en poste dans l’Himalaya, etles deux petites-filles, Chhobi, l’intellectuelle, et Sonali, la belle. Ensemble, ils tentent de sub-sister dans l’Inde incertaine que vient de bouleverser l’assassinat d’Indira Gandhi.

Dans cette amille chahutée par l’histoire, meurtrie par le deuil, les emmes sont cellesqui semblent s’adapter le mieux. Il aut survivre, se battre, avancer. Surtout lorsque deux fillesau seuil de leur vie d’adulte doivent se aire une place dans cette société aux codes com-

 plexes. Dida l’aïeule veille. Elle est fière de la beauté de Sonali, de sa légèreté, de cetteaisance qui ait d’elle la jeune fille la plus remarquée et remarquable du voisinage. Sonali est

son soleil. Mais Sonny, un fils de amille, beau parleur et rimeur, vient brouiller les cartes.

Sonali l’aime d’amour. Lui est séduit par la jeune fille, mais il obéit aux siens, qui luiont choisi une épouse dans leur milieu d’afaires. Le mariage de Sonny est un investissementfinancier. Blessée par l’abandon de son amoureux, Sonali épouse un cousin pauvre de Sonnyqui travaille dans la marine, au service de la riche et mafieuse amille de ce dernier. Mais le

 jeune époux disparaît en mer avec son navire dans d’étranges conditions...

Au-delà du récit d’un amour rustré, d’une banale tragédie amiliale et sous des dehorsd’une troublante douceur, Après la mousson raconte les histoires les plus terribles qui soient.Le déchirement de l’exil, la pauvreté, le mépris des castes dominantes, les trafics d’armes, lesmalversations financières, les violences politiques, tout est là dans les pages de cette histoired’amour et de vengeance. En se ocalisant sur le destin particulier d’une amille ordinaire, laromancière nous donne à voir le monde dans sa dureté.

L’un des charmes, et non des moindres, de ce roman tient à l’écriture fluide, sensible,de son auteure. Sen nous guide au cœur de cette cellule amiliale et nous convie à sa table,dans son jardin, dans ses rêves et son quotidien.  Après la mousson déborde de couleurs, de

 parums, de sensations tactiles. Soie des saris aux teintes chatoyantes, odeurs épicées des cui-sines, la sensualité s’exprime à toutes les pages. Tout est dit, écrit, peint avec une extrême pré-cision et une infinie délicatesse. Mais la fluidité policée du style, l’apparente sérénité du ton,le parti pris esthétique d’un récit qui exalte l’harmonie des paysages, des jardins, des plats,des habits, n’éloignent jamais vraiment la réelle violence des situations. La défloration deSonali, par exemple, célèbre la beauté, la plénitude de l’échange amoureux sans pour autantaire oublier le doute, le menaçant mensonge, la subornation.

C’est aussi le courage des emmes dans ce pays en voie de modernisation qu’exalte leroman de Sen. Chhobi, entre tradition et ouverture, et Sonali, tournant le dos au passé, sontdeux visages de l’Inde d’aujourd’hui.

MICHÈLE GAZIER.

L’enversdu préjugé

BLACK BAZARd’Alain Mabanckou

(Seuil, Paris, 2009, 252 pages, 18 euros)

FESSOLOGUE est un sapeur, adepte de la Société des« ambianceurs » et des personnes élégantes, laSAPE, une coutume importée de Brazzaville dans le

monde de la « négraille parisienne». Dans les quartiersaricains de la capitale, Fessologue vit, observe, écoute, écrit un monde en noir et blanc tout encouleurs. Château Rouge et le marché Dejean, où les Nigérianes, spécialistes des produits à déné-grifier, s’afrontent au pilon, à la ourchette ou à la soude caustique. Château d’Eau, le temple dela coifure et des cosmétiques nègres et ses VIP à la petite semaine. Un univers codifié où le nar-rateur lit le caractère des Aricains à la açon de nouer la cravate. Fessologue, comme son noml’indique, puise aussi sa science comportementale dans le mouvement de l’arrière-train, laace B, des gazelles sauvages « bien grasses et raîchement débarquées ». D’ailleurs sa compagne, « couleur d’origine», au teint « goudronné»  bien que née à Nancy, en possède un« àvitesses automatiques ». Elle lui préère un troubadour congolais« plus petit que son propre tam-tam». La rupture provoquera chez le narrateur un élan vers l’écriture : Black Bazarest en œuvre.

Prix Renaudot 2006 avec  Mémoires de porc-épic (Seuil), Alain Mabanckou poursuitavec   Black Bazar sa quête des identités noires. Les lieux sont connus et les personnagesreconnaissables. Fiction et réalité s’imbriquent dans un méli-mélo incessant. Passé-présent,ici et là-bas vont et viennent au gré d’une réflexion sur l’histoire, celle du Congo-Brazzavilleet de son voisin « le grand Congo ». Croisement des regards et des propos sur la colonisationet le communautarisme. Le paysage aricain de Mabanckou suit un relie accidenté. Chaque

 personnage est un morceau d’Arique. Vladimir le Camerounais y rencontre Paul du grand Congo, dit aussi l’esprit sein « parce qu’il n’y a pas que les fesses dans la vie », et Bosco, lePaul Valéry noir, peau noire mais masque blanc, « Tchadien à la recherche du temps

 perdu (...), un nègre en papier qu’on n’a pas fini de coloniser ». Roger le Franco-Ivoirien prétend avoir lu tous les livres, ce qui lui vaut d’être pris à partie par Yves l’Ivoirien toutcourt, obsédé par la dette coloniale qu’il entend aire payer aux Françaises : « Ce type necomprendra jamais notre lutte parce que lui, c’est un vendu comme tous les autres métis. »

Dans la surenchère aux préjugés racistes, les Blancs sont loin d’être les plus vindica-tis. L’Antillais, Monsieur Hippocrate, « un personnage bizarre qui croit qu’il n’est pasnoir », persécute le narrateur jusque dans le local aux poubelles de son immeuble, clamantun discours procolonial sur la barbarie des Aricains et les bienaits de la colonisation. Des

 propos tempérés par « l’Arabe du coin », le philosophe du quartier, admirateur de Mouam-mar Kadhafi, qui parle de « respect» et conclut que tout « est la faute de l’Occident».

Dans ce   Black Bazaroù les clichés s’additionnent pour mieux être combattus, leslettres sont belles et sans rontières. Un roman insolent, acétieux et métissé à la croisée desrythmes de Papa Wemba et des paroles de Georges Brassens et Claude Nougaro.

MARIE-JOËLLE RUPP.

      L      E      C

      T

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LES PLAIES ENCORE OUVERTES DU CHILI

Procès d’une dictature

E NVERTUd’un mandat international lancé par le juge espagnol Bal-tasar Garzón, le général Augusto Pinochet est arrêté à Londresle 16 octobre 1998. Il doit répondre des crimes commis pendant

les années de la dictature (1973-1989). Evénement impensable pour celui qui croyait avoir organisé son impunité dans les moindres détailset qui, quelques mois auparavant, était encore le che d’état-major del’armée chilienne. Evénement également impensable pour les victimesde la répression orchestrée par ce général parvenu au pouvoir grâce aucoup d’Etat qui renversa le président Salvador Allende, le 11septem-

 bre 1973. Evénement à l’origine de trois livres de Jac Forton, Xavier Montanyà et Martha Helena Montoya Vélez.

Auteur de plusieurs ouvrages sur la dictature chilienne, Fortonretrace le processus qui aurait pu conduire le général Pinochet et qua-

torze autres militaires chiliens à rendre des comptes devant la justicerançaise pour la disparition, durant la dictature, de quatre militantsde gauche de cette nationalité (1). Ouverte dès les jours suivant l’ar-restation de Pinochet à Londres, l’instruction ne sera close qu’en 2007

  par une ordonnance de renvoi devant la cour d’assises. Décédéquelques semaines auparavant, le dictateur ne sera donc jugé ni enFrance ni au Chili. Mais ses complices encore vivants pourraient l’êtreà Paris. Le procès devait se tenir en mai 2008. Il a été reporté sine die.Les lenteurs de la justice rançaise et les méandres des procéduresinternationales ont, pour l’heure, eu raison de l’œuvre de justiceréclamée par les amilles des victimes.

Pour certains, la violence de la dictature ne pouvait être combattueque par la lutte armée. En 1986, le Front patriotique Manuel Rodríguez,

 bras armé du Parti communiste chilien, décida d’éliminer le généralPinochet. Le journaliste catalan Montanyà retrace le parcours de cer-tains des auteurs de cette tentative d’attentat de laquelle Pinochet

réchappa miraculeusement(2). Arrêtés, torturés et condamnés à mort,détenus dans une prison de haute sécurité, ils sont parvenus à s’évader en janvier 1990, quelques jours avant que le général ne transmette le

 pouvoir à M. Patricio Aylwin, le nouveau président démocratiquementélu. Mais le Chili de la « transition démocratique » a reusé de lesamnistier. La plupart d’entre eux ont dû quitter le pays – certains sontencore sous le coup de poursuites judiciaires.

Montoya Vélez, elle, était une jeune étudiante colombiennelorsqu’elle est arrivée au Chili pour vivre l’utopie de la révolution paci-fique d’Allende. A peine arrivée, elle est happée par le golpe (3). Arrê-tée en septembre 1973, elle est détenue pendant un mois au Stade natio-nal de Santiago, transormé en centre de torture. Libérée grâce à laténacité de l’ambassadeur de Colombie, elle rentre brisée dans son pays.

Sommée par sa mère de aire silence sur ces semaines de cauchemar,il lui audra près de vingt ans pour « aire sortir ces blessures cachées sous des déguisements divers (4) ». Son récit, construit sous orme dechroniques courtes et puissantes, conduit le lecteur dans ce « labyrinthede la douleur » où les emmes étaient entassées, humiliées, violentées

 par des tortionnaires, obligées à assister à la destruction de leurs mariset compagnons. Un récit de l’ener, sans amertume et plein d’humanité.

NIRA REYES MORALES.

(1) Jac Forton, Pinochet. Le procès de la dictature en France , Toute Latitude, Paris,2009, 189 pages, 17,80 euros.

(2) Xavier Montanyà, Les Derniers Exilés de Pinochet. Des luttes clandestines àla transition démocratique, Agone, Marseille, 2009, 220 pages, 18 euros.

(3) Coup d’Etat.

(4) Martha Helena Montoya Vélez,  Rompre le silence. Je t’accuse Pinochet ,Elytis, Bordeaux, 2009, 208 pages, 19 euros.

P R O C H E - O R I E N T

A F R I Q U E

A M É R I Q U E L A T I N E

Un destin

indien APRÈS LA MOUSSONde Selina Sen(traduit de l’anglais [Inde]par Dominique Goy-Blanquet,Sabine Wespieser, Paris, 2009,478 pages, 26 euros)

L I T T É R A T U R E D U M O N D E

LA PROMESSE. Ecrits de prison 2002-2009. – Marwan Barghouti

 Arcane 17, Paris, 2009,288 pages, 17 euros.

Après avoir échappé à deux missiles israélienstirés contre sa voiture en août 2001, M.MarwanBarghouti, député palestinien et l’un des princi- paux dirigeants du Fatah, apprécié pour sa pro-

 bité, sa déense de la démocratie et son engage-ment dans la résistance comme pour une paixavec Israël ondée sur le droit, est enlevé àRamallah en avril 2002 par l’armée israélienne.Ces textes écrits du ond de sa prison, dont seslettres au président Mahmoud Abbas ou au mou-vement israélien Shalom Arshav (La Paix main-tenant), se veulent à la ois un réquisitoire impla-cable contre l’occupation et un appel à l’uniténationale palestinienne. Son ouvrage s’ouvre par le « procès de l’Etat d’Israël» qu’il a prononcédevant la Cour centrale de ce pays, reusant dereconnaître la légitimité du tribunal.

Ce livre propose également le « Document des  prisonniers » de mai 2006 pour une ententenationale entre le Hamas et le Fatah. Il se conclut par un message au sixième congrès du Fatah, enaoût 2009, à Bethléem, qui l’a élu au comitécentral.

ISABELLE AVRAN

LE PACIFISME À L’ÉPREUVE. Le Japon etson armée. – Eric Seizelet et Régine Serra

 Les Belles Lettres, Paris, 2009,209 pages, 27euros.

Voici un livre utile pour suivre les évolutions dela politique de déense du Japon, et aire le pointsur les options des partis politiques, de la popu-lation, du monde des afaires,etc. On y découvreun très large consensus pour inscrire dans laConstitution japonaise le droit à une orce armée

d’« autodéense». Mais la guerre en Irak, àlaquelle Tokyo a participé, peut-elle s’inscriredans un tel cadre ? En outre, le champ d’action del’armée ait débat, que ce soit dans le cadre demissions des Nations unies ou en dehors. LeJapon est l’allié des Etats-Unis. Il ne lui sera passi acile de se déaire de cette tutelle. Le nouveau premier ministre japonais, élu fin août2009, avait,quand il était candidat, aché sa volonté de rom-  pre avec le suivisme et les « guerres améri-caines ». Maintiendra-t-il sa position ?

ÉMILIE GUYONNET

L’ASSEMBLÉE DES PEUPLES CAMEROU-NAIS. Le Cameroun que nous voulons. –Marie-Louise Eteki Otabela

 L’Harmattan, Paris, 2009, 282 pages, 25 euros.

Ce livre permet de mesurer le ossé qui sépare laréalité et les légitimes aspirations aux libertés enArique. Le Cameroun, colonie allemande, utconfié après 1918 à la France par la Société desnations, qui renouvela ce mandat en 1945. L’ac-cession à l’indépendance en 1960 se fit donc par un vote des Nations unies. La France, soucieusede préserver ses intérêts, s’appuya sur les orcesles plus conservatrices. Depuis, « la populationest surexploitée, afamée, exsangue et la jeunesse

 sans espoir ».

Pour « sortir de l’état totalitaire », Marie-LouiseEteki Otabela s’est présentée à l’élection prési-dentielle de 2004. Sa candidature a été reuséesous des prétextes administratis. Elle demandequ’une Constitution démocratique soit élaborée  par une Assemblée des peuples camerounais.Cette Constituante devrait, selon l’auteure, êtrecomposée d’une majorité de emmes, car celles-ci ne viennent pas au pouvoir par intérêt person-nel, mais pour « humaniser le monde».

GILBERT LEGAY

A LEGACY OF LIBERATION. Thabo Mbekiand the Future o the South Arican Dream. –

Mark Gevisser Palgrave Macmillan, Hants (Royaume-Uni),

2009, 400 pages, 18,99 livres.

Mark Gevisser a mis neu ans pour écrire cette bio-graphie de l’ancien président sud-aricain,empreinte de ascination et d’empathie. Le destinde M. Thabo Mbeki n’est pas sans ressemblanceavec celui de M. Coriolan, le héros de Shakes- peare adulé puis rejeté par les siens. Une person-nalité secrète et déroutante, meurtrie par desdrames personnels : sa vie est étroitement liée àl’histoire de son pays. Fils de militants commu-nistes, éduqué à la prestigieuse école de Lovedale,M. Mbeki est à la ois le «gentleman noir» etl’«Aricain ». Son père Govan Mbeki, une grandefigure du Congrès national aricain(ANC), écrivaiten 1939 : « Je suis d’abord un indigène et puis uncommuniste... Je suis né aricain, que cela me

 plaise ou non, je ne peux pas échapper au ait que je suis noir. Mais je suis devenu communiste parconviction.» Gevisser voit dans cette phrase lemoule de la carrière politique de M. Mbeki. Ayantétudié à Moscou, il rejette le communisme dans lesannées 1990 et devient l’idéologue de la renais-sance aricaine. Le livre éclaire également l’étrangeattitude de M. Mbeki sur le sida ou le Zimbabwe.

JACQUELINE DÉRENS

CUBA. Ce que les médias ne vous diront jamais. – Salim Lamrani, prologue de Nelson Mandela

 Estrella, Paris, 2009,300pages, 18 euros.

Cuba n’a pas la prétention d’être un paradis sur terre. « Les diicultés, les vicissitudes – les aber-rations parois – et les contradictions y sont nombreuses, avertit d’entrée Salim Lamrani.

 Mais est-ce pour autant l’ener décrit quoti-diennement dans la presse occidentale? »« Démocratie », « droits de l’homme», « émi-gration», « embargo », « Internet », « dissi-dents » – « aucune opposition latino-américaine

n’est autant choyée par les transnationales del’inormation » (hormis peut-être son homo-logue vénézuélienne) – sont traités, replacésdans leur contexte national et international.L’exercice ne manque pas d’intérêt, même si,sympathie de l’auteur pour Cuba oblige, celui-ci orce parois le trait. Il permet en tout cas decomprendre pourquoi l’île jouit d’un prestigehors normes – M. Fidel Castro n’a-t-il pas été élu président du mouvement des pays non alignés en2006 ? – et pourquoi un che d’Etat latino-amé-ricain peut déclarer : « Chaque peuple doit déci-der de son régime politique [et] nous allons lais-

 ser les Cubains décider de ce qu’ils veulent aire. Ils disposent de la maturité pour résoudre leurs problèmes.» Le Vénézuélien Hugo Chávez ?  Non, le « très raisonnable » président brésilienLuiz Inácio Lula da Silva.

MAURICE LEMOINEL.A.BYRINTHE. Enquête sur les meurtres deTupac Shakur - Notorious B.I.G. et sur la policede Los Angeles – Randall Sullivan

 Rivages, Paris, 2009,326 pages, 20 euros.

Le titre de cet ouvrage est trompeur. On s’attendà en savoir plus sur les meurtres de deux rappeurs

emblématiques (Tupac Shakur et NotoriousB.I.G, alias Biggie Small), et on plonge dans leslabyrinthes très sombres de la police de LosAngeles.

Enquêtant sur une usillade entre policiers encivil en 1997, l’inspecteur Russell Poole décou-vre les liens qui unissent l’un des agents abattusau label gangsta rap Death Row Records appar-tenant à Marion « Suge » Knight, qui sera arrêtél’année suivante. Ce livre, écrit par le journa-liste Randall Sullivan, montre surtout commentcertains policiers, pour la plupart des Noirs flir-tant avec le redoutable gang des Bloods, avaient partie liée avec la pègre. Mais aussi comment la police de Los Angeles était, à l’époque, gangre-née par la corruption et le racisme. Au total, unrécit captivant sur le crime et les liens incestueuxentre la police et le  gangsta rap de la ville cali-ornienne.

SANSAN KAMBIRÉ

LE MONDE DU TRAVAIL AUX ÉTATS-UNIS. Les temps difciles (1980-2005). –Marianne Debouzy

 L’Harmattan, Paris, 2009, 292 pages, 26 euros.

Voilà un tableau édifiant de l’évolution du salariataux Etats-Unis. Les politiques néolibérales, lancées par Ronald Reagan et poursuivies par ses succes-seurs, ont en efet mis à bas les conquêtes socialesdes années 1930. En vingt-cinq ans, les conditionsde travail se sont proondément dégradées ; paral-lèlement, le travail précaire a explosé, sans qu’encompensation les travailleurs pauvres (working 

 poor)  puissent bénéficier de filets de protectionsociale crédibles. Face à cela, le syndicalisme del’AFL-CIO a montré ses limites. Bureaucratisé,éloigné du terrain, miné par le racisme, guère dis- posé à organiser les travailleurs peu qualifiés, prêtà tous les compromis, il a perdu presque toutes les batailles dans lesquelles il s’était engagé.

Cependant, des travailleurs continuent à se battre:emmes soumises au travail précaire, immigrés,employés des services, ouvriers d’industrie,cadres... Marianne Debouzy parle de leurs luttes, parois victorieuses, de leur souci de nouer desrelations avec d’autres acteurs du mouvementsocial, et ce malgré les risques de répression.

CHRISTOPHE PATILLON

LE RÉGIME POLITIQUE DE L’UNION

EUROPÉENNE. – Paul Magnette Presses de Sciences Po, Paris, 2009,

320 pages, 15 euros.

Cette troisième édition de l’ouvrage de PaulMagnette, considérablement revue, donne unevision complète du processus d’intégration com-munautaire. L’analyse de la « démocratie ano-nyme» développe une vision plus complexe dela place du citoyen que celle généralement don-née par le sens commun. Avec Magnette, on peutestimer qu’« il aut se débarrasser plus brutale-ment d’une mythologie qui ut utile aux com-mencements, mais qui ne l’est plus ». L’air-mation selon laquelle « l’Union n’a pas, n’a

  jamais eu, pour vocation de se substituer auxnations»   permet ainsi de redéinir les débatssous un angle novateur.

On notera aussi cette interrogation : la montée en puissance du Parlement européen préfigure-t-elleune « parlementarisation de l’Union», ce dont onest en droit de douter, ou, de manière plus com- plexe, une orme de parlementarisme transnatio-nal de compromis ? Peut-on – et comment ? – uti-liser les institutions pour aire ace à la crise ? Sur ce dernier point, la discussion est largementouverte...

GAËL BRUSTIER 

É T A T S - U N I S

E U R O P E

THE LEASING OF GUANTÁNAMO BAY. – Michael J.Strauss

 Praeger Security International, Londres, 2009,316 pages, 51,95 livres.

Occupée depuis plus d’un siècle en vertu d’un bailà durée illimitée signé en 1903, la base de Guan-tánamo a un statut d’exception : elle est « sous la

  juridiction et le contrôle total » des Etats-Unis, bien que la « souveraineté ultime » de Cuba sur cette ancienne base navale soit reconnue. Pour autant, aucun des attributs de cette souverainetéultime ne peut s’y exercer. Cette spoliation territo-riale qui ne dit pas son nom présente l’avantage,depuis le 11 septembre 2001, de permettre la déten-tion des «ennemis combattants», des « terro-ristes » capturés outre-mer. Dénués de tout recours,ils sont victimes de sévices et de tortures sans quela justice américaine puisse être saisie puisqu’il nes’agit pas d’un territoire américain mais cubain.L’analyse exhaustive de Michael Strauss est la pre-mière qui permette de comprendre comment lestatut de Guantánamo, « négocié» il y a un siècledans le cadre de rapports de orces déavorables àCuba, a ait de ce territoire un centre de détentionhors normes auquel seul Washington peut juridi-quement mettre un terme. Une excellente illustra-tion des limites arbitraires du droit international ence XXIe siècle.

JANETTE HABEL

A S I E

Page 25: [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200925

FACE AU MONSTRE MÉCANIQUE. – François Jarrige

 IMHO,Paris, 2009, 168 pages, 15 euros.

Universitaire et historien, François Jarrige nouslivre un essai passionnant, clair et très docu-menté au moment où le mouvement antiproduc-tiviste connaît un nouvel essor. Les objecteurs decroissance, anti-OGM, antinucléaires ou oppo-sants à la déshumanisation de leur cadre de viesaisiront à sa lecture que, loin d’être « nés en1968», les mouvements de résistance à l’indus-trialisme et au scientisme ont une très longue his-toire. Un exemple parmi tant d’autres : l’auteur nous rapporte qu’au XIXe siècle, au Portugal,« chez les ouvriers chapeliers on détecte unehaine proonde des nouvelles machines accu-

 sées de supprimer la traditionnelle autonomie,de avoriser la mauvaise qualité et par là deheurter le sentiment de ierté attaché à l’exerciced’un métier ».

Toutes ces ormes de résistances populaires ouintellectuelles à l’industrialisme ont été dénigrées aussi bien par les déenseurs du capi-talisme que par les adeptes du socialisme pro-ductiviste. Jarrige observe : « L’accusation ré-quente d’obscurantisme ou de résistance aveugleau changement n’est bien souvent que l’illus-tration de la propre ignorance de ceux quil’énoncent. »

VINCENT CHEYNET

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F I L M S E T D O C U M E N TA I R E S

É D U C A T I O N

I D É E S

S C I E N C E S

L’UNIVERSITÉ ET LA RECHERCHE ENCOLÈRE. – Sous la direction de Claire-AkikoBrisset

 Editions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges,2009, 367 pages, 22 euros.

En prenant le risque de réunir des textes de por-tée et de statut diférents, Claire-Akiko Brisset

 propose une image fidèle du mouvement des uni-versitaires et des chercheurs de l’hiver 2009. Lacolère, que l’on imagine bien présente sous la

 plume des contributeurs, n’épuise ni la lucidité nila capacité à expliquer le démantèlement pro-grammé du service public de l’enseignement et dela recherche. Plusieurs dossiers sont remarqua-

 blement présentés et étayés: les inégalités socialesdans l’enseignement supérieur, la réorme descentres régionaux des œuvres universitaires etscolaires (Crous), la modulation des services, lamise au pas de l’intelligence par l’évaluation,etc.Regrettons néanmoins que les luttes de représen-

tation entre les diférents acteurs collectis (dessyndicats aux coordinations ou associations) neassent pas l’objet d’une analyse plus précise. Il ya cependant dans ce livre assez de aits et d’ar-guments pour détourner de sa croisade morale le

 plus acharné des réormateurs.

CHRISTOPHE VOILLIOT

TRAVAILLER À EN MOURIR. Quand lemonde de l’entreprise mène au suicide. – PaulMoreira et Hubert Prolongeau

 Flammarion, coll. « Enquête », Paris, 2009, 244pages, 20 euros.

La couverture évoque l’inscription sur les paquetsde cigarettes : le travail tue. Au moment où les sui-cides de salariés percent le mur du silence média-tique, les auteurs en cherchent les raisons au cœur 

du monde de l’entreprise; un univers réti àreconnaître la soufrance qu’il engendre : « Parexcellence le domaine de l’investigation impossi-ble. » Leur méthode sera donc l’entretien (avec lesamilles, les collègues, les gestionnaires) et l’ana-lyse d’enquêtes judiciaires ou diligentées par lescaisses de Sécurité sociale.

Au fil des témoignages apparaissent les acteurssusceptibles d’expliquer ces gestes atals : uneorganisation du travail sous la pression des mar-chés financiers qui pressure à son tour les sala-riés ; l’efacement des rontières entre travail et vie

 privée; le management « par objectis», quis’avèrent impossibles à réaliser ; les séancesd’évaluation-sanction. La menace du chômage,enfin, qui interdit la démission et entrave la révolte

 – la riposte syndicale est presque absente du livre.Une enquête plus approondie permettrait peut-être de comprendre pourquoi ces travailleurs quifinissent par se donner la mort livrent batailledans un si grand isolement.

GABRIELLE BALAZS

RETOUR À REIMS. – Didier Eribon

 Fayard, Paris, 2009, 248 pages, 18 euros.

Voici une trajectoire où s’entremêlent deux échap-

 pées : celle d’un jeune gay quittant l’étoufoir pro-vincial pour Paris; celle d’un fils d’ouvriers pauvres propulsé par les études dans le monde intellectuel.« Pourtant, quand il s’est agi d’écrire, c’est la pre-mière que je décidai d’analyser, celle qui a trait àl’oppression sexuelle, et non la seconde, celle qui atrait à la domination sociale. » L’armation de sonhomosexualité coïncida avec la dénégation de sesorigines de classe ; revenant sur son parcours,Didier Eribon s’interroge sur la constitution dessubjectivités. Etait-il atal que l’une se orgeât contrel’autre, que l’émancipation sexuelle impliquât une« trahison » sociale, que la simple évocation de saamille gagnée par le racisme empourprât le rontde l’étudiant, qu’une raction du monde ouvrier selaissât conquérir par la rhétorique la plus réaction-naire? Question personnelle, questions politiques:« Pourquoi et comment les classes populaires  peuvent penser leurs conditions de vie tantôt commeles ancrant nécessairement à gauche, tantôt commeles inscrivant évidemment à droite? » La respon-sabilité des partis de gauche et des intellectuelsn’est pas mince dans la position actuelle du balan-cier. Car, rappelle Eribon, « ce sont les discoursorganisés qui produisent les catégories de per-ception, les manières de se penser comme sujet 

 politique et qui définissent la conception que l’on se ait de ses propres “intérêts”».

P. R.

LE DROIT À LA VILLE. – Henri Leebvre

 Economica - Anthropos, Paris, 2009, 136 pages, 14 euros.

La réédition du  Droit à la ville inaugure unrenouveau des études leebvriennes en France.Dans ce livre écrit en 1968, Henri Leebvre mon-tre qu’il aut « percevoir dans l’urbanisation le

  sens, le but, la inalité de l’industrialisation ».Par urbanisation, il entend le processus deconcentration des capitaux et du peuplement quiétend à son comble, au nom de l’économismelibéral et planiicateur, le « monde de la mar-chandise » et l’exploitation des travailleurs.« Le

triomphe de l’urbain et la mort de la ville »,selon l’expression de Françoise Choay, sont une« dépossession », dont Leebvre n’explicite pas

 précisément les mécanismes. Aux stratégies desdominants qui consistent à « dévaloriser, dégra-der, détruire la société urbaine » s’opposentcelles des dominés qui ont œuvre de revalori-sation et de liberté créatrice.

Dans cette « nouvelle Athènes», cette villeexclusive dont seule « une minorité de librescitoyens sont possesseurs des lieux sociaux et en

 jouissent », la classe ouvrière doit conquérir son« droit à la ville » – non pas seulement le droitau logement ou aux aménités urbaines, mais ledroit à participer à l’œuvre de la ville – dans et

 par la lutte des classes.

ALLAN POPELARD

L’ANTISÉMITISME À GAUCHE. Histoired’un paradoxe, de 1830 à nos jours. – MichelDreyus

 La Découverte, Paris, 2009,342 pages, 23 euros.

« Le Jui est l’ennemi du genre humain. Il aut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer... »Cette harangue, digne d’Adol Hitler, est signée...Pierre Joseph Proudhon. Ce n’est pas un casunique : nombre de penseurs du mouvementsocialiste naissant teintèrent – plus ou moins – d’antijudaïsme leur anticapitalisme. Vaincu avecles antidreyusards, l’antisémitisme revient dansl’entre-deux-guerres. Assommé par la décou-verte du génocide, il s’insinuera de nouveau sousla orme du négationnisme après la secondeguerre mondiale. Historien du mouvementouvrier, Michel Dreyus nous ofre cette pre-mière synthèse, à la ois documentée et nuancée,

de l’antisémitisme à gauche.Au terme de ce parcours, deux leçons se déga-gent : d’une part, la gauche n’a pas toujours étéimperméable aux sentiments antijuis, mais infi-niment moins que la droite; d’autre part, leur 

 présence chez l’une et l’autre est devenue avec letemps de plus en plus marginale. C’est notammentle cas depuis la seconde guer re mondiale. QuandAlain Finkielkraut dénonce « l’antisémitisme quivient», il conond l’écume et la vague.

D. V.

« Disquiet Days. Jours intranquilles »

ATTENTION : ce livre n’est pas un livre de photographies comme les autres (1). Ilrésulte d’une de ces rencontres exceptionnelles entre l’histoire d’un homme et

l’histoire tout court.

En 1993, Bruno Boudjelal se rend pour la première ois en Algérie, à la recherche dela amille de son père, qui, prénommé Lemaouche, se ait appeler Jean-Claude – unpère qui ne l’a pas reconnu et ne s’est pas occupé de lui. Il retrouvera cette amille,mais y perdra toute estime pour son géniteur.

Avec cette quête intime, joyeuse et douloureuse à la ois, Boudjelal plongera dans la

tragédie de la guerre civile algérienne, avec ses massacres, ses disparus, sa misère,entre tueurs islamistes et tueurs militaires... Comme si la barbarie qui s’était abattuesur le pays, trois décennies plus tôt, resurgissait soudain. Voilà ce dont Boudjelaltémoigne par la plume et par l’image.

Drame d’un homme, drame d’un peuple : ce télescopage donne tout son sens austyle si particulier évoquant Bernard Plossu. Son flou caractéristique n’a rien de gratuit. La réalité se révèle trop dure pour que Boudjelal la saisisse dans toute sa netteté. Et cette pudeur décuple l’empathie du lecteur, jamais voyeur...

DOMINIQUE VIDAL.

(1) Bruno Boudjelal, Disquiet Days .  Jours intranquilles,Autograph ABP, Paris, 2009, 232 pages, 30 euros.

The Last Poets. Made in Amerikkkade Claude Santiago

« Les Nègres ont peur de la révolution. » Quarante ans après,le slogan ondamental des Last Poets ait encore débat. Le

groupe new-yorkais n’a rien perdu de ses convictions,porte-parole d’une génération bien décidée à ne plus bais-ser la tête : celle des émeutes de Chicago, du Black Panther

Party, de la lutte des classes... Tambours de bouche et espritrappeur qui accoucheront bientôt du flot des rappeurs. Les Last

Poets, tout comme les Watts Prophets sur la Côte ouest, sont les pères ondateurs decette contre-culture, devenue culture globale. D’où la nécessité de les écouter revenirsur cette histoire aro-américaine, lors d’un concert qui célébrait leur reormation.

La Huit - DG Difusion, Paris, 2009, 52 minutes, 16 euros.

La Politique étrangère américaine

de Hubert Védrine

Dans le cadre de sa série « comprendre le monde », Devive voix donne la parole à l’ancien ministre des afairesétrangères rançais (1997-2002), qui remonte aux sourcesde la politique étrangère américaine. Ce qui permet de

comprendre la période contemporaine. M. Védrine souligneles ruptures de M.Barack Obama, dans le ton mais aussi sur le

ond, avec le manichéisme de la précédente administration et mêmeavec les dirigeants démocrates de ces dernières décennies. Il passe en revue sa politiquevis-à-vis de la Russie, du Proche-Orient, de l’Aghanistan, de l’Europe, de la Chine...

De vive voix, Paris, 2009, 78 minutes, 9,90 euros.

M É D I A S

H I S T O I R E

L  E   C

 U

E   S  

I M A G E S

LA LANGUE DU CAPITAL MISE À NUPAR SES LOCUTEURS MÊMES. Décodeurdu sabir politico-médiatique. – Raoul Vilette

 Les Nuits rouges, Paris, 2009,

298 pages, 15 euros.Quel langage désespérément commun – un lan-gage désormais unifié, sans aspérités – pratiquentquotidiennement politiciens, journalistes et syn-dicalistes ? Quel idiome souvent ridicule, tou-

 jours odieux, utilisent ad nauseam universitairesayant pignon sur rue, communicants, experts aussi

 bien que sondeurs et marchands ?

Raoul Vilette dresse un lexique étoé (près desix cent trente entrées et neu cents citations) destermes et expressions les plus usités d’un jargon

  pratiqué par tous, même s’il est orgé par lesclasses dirigeantes et économiquement possé-dantes. On y trouve « gérer », « se restructu-rer » ou « déicit » utilisés à toutes les sauces.

 Notons que ce sabir politico-médiatique mis au jour en France n’est, pour autant, porteur d’au-cune singularité nationale. Il ne constitue jamaisque « la section rançaise de la langue mon-diale du Capital ».

S’abreuvant aux sources les plus autorisées de la parole médiatique (quotidiens et hebdomadairesdits de « réérence »), ce répertoire ne se contente

 pas de définir synthétiquement les mots du poli-tico-médiatique, il clarifie les modalités d’em-

 ploi d’une langue dès lors mise à nu par ses locu-teurs mêmes.

THOMAS FEIXA

LE MEILLEUR DES NANOMONDES. –Dorothée Benoît-Browaeys

 Buchet-Chastel, Paris, 2009,264 pages, 20 euros.

Ce à quoi l’auteure engage, c’est à ne pas laisser aux seuls experts le soin d’organiser notre ave-nir commun. On serait pourtant tenté de le aire

 parce que les nanotechnologies mettent en œuvreune rupture radicale, très technique, qui donne lesentiment d’être peu compétent. Mais cet essai,clair et détaillé, et qui s’appuie sur une mise enscène romancée, permet de comprendre et demesurer l’ensemble des risques induits par 

l’usage des « nanos » : pour la santé, l’environ-nement, les libertés, mais aussi pour la concep-tion même du vivant et de l’humain, désormais

 bousculée par la biologie synthétique. Le marchéest colossal, l’opacité est reine, les groupes de

 pression sont en pleine orme et les enjeux ver-tigineux : laissera-t-on s’installer un monde où lecitoyen se réduirait à une banque de données etoù une partie de la recherche se consacrerait à« paraire l’évolution », déinie selon des cri-tères «mécanistes » redoutablement sots ?

Autant prévenir d’emblée, il est dicile de lire cetessai sans d’abord glisser vers une paranoïa teintée de dépression : ce qui, maniestement,constitue aujourd’hui la première étape versla lucidité.

E. P.

DEMAIN LES POSTHUMAINS. – Jean-Michel Besnier

 Hachette Littératures, Paris, 2009,208 pages, 18 euros.

En 1953 paraissait Demain les chiens, de ClifordD.Simak, qui rencontra un grand succès: la Terre,abandonnée par les hommes, partis sur Jupiter, esthabitée par les chiens, rendus capables de parler 

 par des manipulations génétiques, et seuls dépo-sitaires de la mémoire d’une humanité disparue.Depuis la parution du livre, cité par Jean-MichelBesnier, le développement des biotechnologies etdes neurosciences – qui, selon certaines utopies,

 permettraient de « reprogrammer» notre cerveau

(lire p. 28) –, la possibilité oferte par les nano-technologies de bâtir atome par atome des nano-robots capables de réparer notre ADN ont donnénaissance à l’imaginaire du « posthumain », dontl’auteur rappelle les déclinaisons.

Présentée au siècle des Lumières comme l’instru-ment de l’autonomie des hommes, la maîtrise dela nature ne se transorme-t-elle pas en assujettis-sement volontaire à une technique qui nous impo-serait sa propre logique ? Pour Besnier, il ne autni céder au pessimisme, ni renoncer à la « pratiqued’une éthique qui pourrait organiser le vivreensemble d’êtres inaccessibles à la morale », mais« afronter la question de savoir comment nous

 pourrions vivre au sein d’une humanité élargie,telle qu’elle inclurait les animaux et les robots ».

JEAN-LOUP MOTCHANE

PROVINCIALISER L’EUROPE. La penséepostcoloniale et la diférence historique. –Dipesh Chakrabarty

 Amsterdam, Paris, 2009, 381 pages, 24 euros.

Qu’on ne s’y trompe pas. Malgré son titre, cetouvrage ne nie en aucune açon l’apport de la

 pensée européenne, qui, comme l’écrit l’auteur dans sa conclusion, « nous a été laissée encadeau. Nous ne pouvons parler de la  provincialiser que dans un esprit de gratitudeanticoloniale» .

Dipesh Chakrabarty, proesseur d’histoire à l’uni-versité de Chicago, part du constat que, si l’Europen’est plus au centre du monde, sa manière de pen-ser continue de régir les sciences sociales, alorsmême qu’elles demeurent inadéquates, comme lemontrent les dicultés à expliquer les rapportssociaux en Inde à partir de catégories issues desrévolutions de 1789, de 1848 ou de 1917.

L’auteur engage à partir de ces constats unerélexion stimulante sur l’universalisme et s’in-terroge : la pensée peut-elle transcender ses lieuxd’origine ? Comment penser à la ois la mon-dialisation qu’eectue le capital et les ormes

diverses de résistance et de vie des être humainsà travers la planète ? Diicile d’accès, ce travailmajeur, qui s’inscrit dans ce que l’on appelle lesétudes postcoloniales et les études subalternes(lerôle des classes dominées dans l’histoire),s’éclaire par l’étude de cas concrets, liés au Ben-gale et à l’Inde.

ALAIN GRESH

VULGARISATEURS, ESSAYISTES, ANI-MATEURS. Interventions et engagementsmédiatiques en France depuis les années 1980.  – Sous la direction de David Buxton etFrancis James

 L’Harmattan, Paris, 2009, 238 pages, 22 euros.

« Certains journalistes et essayistes de renom,vulgarisateurs multicartes, animateurs et autrescélébrités (...) ont gagné le droit d’intervenir

médiatiquement en nom propre. » Ils ne l’ont pourtant conquis ni en intellectuels ni en experts.Si le « je » a toujours la première place, il peutêtre celui de l’opportunisme de Christine Ockrent,qui repense le bon journaliste au gré de sa car-rière, ou le «je » prudhommesque d’Alain Duha-mel. « Le monde change, que cela plaise ou non,et il change vite » : cette loi naturelle acceptée, ilva de soi que les Français sont rétis à la mon-dialisation, que l’« exception rançaise» n’est

 plus supportable.

Sans le savoir, les auteurs écrivent à plusieursmains un dictionnaire des idées reçues. Argent :gaspillé lorsqu’il est public ; Etat: gros ; Europe:il aut être idiot pour être hostile; impôts : per-vers; changement : nécessaire ; onctionnaires :trop nombreux ; lois : pléthoriques et stupides. Ilest dicile de qualifier de «pensée » ce credoconservateur. C’est le «bon sens » d’un milieusocial aisé dont nos essayistes sont issus.

ALAIN GARRIGOU

LA FRANCE DE 1848 À NOS JOURS. –Maurice Agulhon, André Nouschi, Antoine Oli-vesi et Ralph Schor

 Armand Colin, Paris, 2008,984 pages, 29 euros.

En moins de mille pages, ce manuel ofre unaperçu des plus complets de la France depuis larévolution de 1848 jusqu’à nos jours. Cettesomme réunit trois classiques que les quatreauteurs ont revus afin de tenir comptedes apports de l’historiographie récente et de tenter d’« apporter aux lecteurs le meilleurdes travaux parus, surtout en France ». Les

 périodes ne bénéficient pas toutes d’un traitementégal ; ainsi la partie consacrée aux cinquante der-nières années ait-t-elle l’objet de plus longs développements.

Reste que, pour ce siècle et demi d’histoire deFrance, tous les aspects sont abordés : politiqueintérieure et extérieure, économie, débats desociété... Cartes, graphiques, extraits de discoursou textes divers, tableaux illustrent en nombre le

 propos d’auteurs soucieux de dépasser les que-relles d’école. La bibliographie générale, abon-dante, des notices biographiques ainsi que l’in-dex, contribuent à la clarté de l’ouvrage – clartéqui n’est pas la moindre des qualités de ce quiconstitue un excellent outil de compréhension dela France contemporaine.

SAMUËL TOMEI

U R B A N I S M E

S O C I A L

Page 26: [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

http://slidepdf.com/reader/full/fr-le-monde-diplomatique-decembrie-2009 26/28

DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 26

JNEW LEFT REVIEW. La Chine n’est pas surle point de remplacer les Etats-Unis comme super-puissance économique car elle dépend de sesexportations vers le marché américain et de lavaleur de ses actis en dollars. Et comme les éliteschinoises en profitent... (N° 60, novembre-décembre, bimestriel, 10 euros. – Meard Street,Londres, WIF OEG, Royaume-Uni.)

JWORLD POLICY JOURNAL. Un numérocentré sur la question nucléaire. Amitai Etzioniplaide contre l’idée d’une liquidation totale del’arme atomique, tandis que Kayhan Barzegarexplique le consensus iranien sur le programme

nucléaire. D’autres articles sont consacrés à Israël,au Japon, etc. (N° 3, automne, trimestriel,10 dollars. – MIT Press Journals, 238 MainStreet, Suite 500, Cambridge, MA 02142-9902, Etats-Unis.)

JEXTRA! Deux articles soulignent à quel pointles grands médias américains épousent les prio-rités diplomatiques les plus droitières de Washing-ton : l’entraînement en Colombie de soldats or-més à la lutte antiguérilla avant d’être envoyés enAghanistan est salué sans le moindre esprit cri-tique par la chaîne CBS News ; le magazine Timeait écho à la thèse des colons juis en Cisjorda-nie...(Vol. 22, no 10, octobre, mensuel, 3,95 dol-lars. – 104 West 27th Street, New York,NY 10001-6210, Etats-Unis.)

JHARPER’S. Un article à la ois élégiaque etsévère revient sur l ’histoire des grands journauxlocaux américains, en voie de disparition. Et il s’in-terroge sur ce que cette disparition nous dit desrapports entre les citoyens et leur ville, à l’heureoù nombre d’entre eux « communiquent » avecla planète sans jamais parler à leurs voisins depalier. (Vol. 319, no 1914, novembre, mensuel,6,95 dollars. – 666 Broadway, New York,NY 10 012, Etats-Unis.)

JLA REVUE DE L’IRES. Un retour sur la nais-sance du syndicat Ver.di, en Allemagne ; lesaccords européens et mondiaux dans l’ automobile,dans le cadre de la négociation transnationale ; unegenèse d’une doxa ort prégnante entre 2005 et2007 et qui reprend du service : « Le modèle socialrançais est à bout de soufe ». (N° 61, 2009/2, tri-mestriel, 24,50 euros. – 16, boulevard du Mont-d’Est, 93192 Noisy-le-Grand Cedex.)

JREGARDS. Le mensuel a édité un supplémentconsacré aux « Lendemains de la chute » qui aentre autres mérites celui de rompre avec la pen-sée unique sur la disparition du mur de Ber-lin. (Numéro spécial, novembre, 8 euros. – 5, villades Pyrénées, 75020 Paris.)

JTRANSFORM ! La dernière livraison de l’édi-tion en rançais de cette « revue européenne pour une

O NLE SAIT, tout changement ofciel dans la définitiondu rôle de l’école, dans les programmes, dans la péda-gogie a tendance à susciter l’émotion, à tous les sens

du terme – rappelons qu’émeute et émotion sont des dou-  blons, et que l’émotion désigna longtemps une agitation populaire. Et c’est logique, et c’est même heureux, puisquel’instruction publique a partie liée avec la République et ques’y joue, toujours, une conception de la ormation du citoyen.C’est dire si l’introduction, en cette rentrée 2009, du tout nou-veau « socle commun de connaissances et de compétences »mérite qu’on s’y attarde. Sans compter qu’il est censé porter l’« ambition de la République pour son école », pour citer leministre de l’éducation nationale Luc Chatel (1).

Ce socle commun se déinit par un contenu, et par unobjecti : il désigne les savoirs que les élèves devront maî-triser à l’issue de la scolarité obligatoire, et vise ainsi àtransmettre une culture... commune. Comme le préciseM. Chatel, en s’emmêlant quelque peu dans les images,ledit socle est une « c lé »  pour la réussite et une « ancre »

 pour « le projet éducati national au cœur du pacte républi-cain ». C’est quasiment aussi troublant que la rencontre du

 parapluie et de la machine à coudre sur la table de dissectionchère à Lautréamont, mais assez engageant. Il reste à exa-miner de plus près la clé, l’ancre et le cœur.

La nouveauté, oserait-on dire la... modernité de cette orien-tation, ce n’est certainement pas la transversalité revendiquée,qui n’a pas besoin d’être programmée pour être mise enœuvre. Ce n’est pas davantage un certain abandon de l’étudede la littérature, particulièrement en « langue vivante étran-gère », dont il est d’ailleurs précisé que ce qui, dans cedomaine, importe, c’est la « pratique », afin de pouvoir « communiquer de manière simple mais efcace ». C’est uneévolution paraitement désolante, mais qui paraît avoir déjàété lancée...

 Non, ce qui surprend, c’est la dilution de l’enseignementde l’histoire et de la géographie dans un ensemble baptisé« culture humaniste », c’est l’insistance sur la préparation

au partage d’une « culture européenne» qui, à ce qu’ilsemble, reste quand même à déinir, c’est le ait étrange quele seul texte cité deux ois comme devant être connu, c’est

la Bible (aucun écrivain ou artiste n’a par ailleurs les hon-neurs d’une mention), c’est encore la précision minutieusequi souligne que l’approche du « ait religieux» doit se aire« dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions », comme si le rôle de l’enseignement, quiest de aire la distinction entre croire et savoir pour ne trai-ter que du savoir, n’était pas assez déini...

Ce qui, enfin, laisse songeur, ce sont les deux sectionsconsacrées aux « compétences sociales et civiques » et àl’« autonomie et initiative » où tout se mélange : la nécessitéde « développer le sentiment d’appartenance à son pays, àl’Union européenne » – ce qui est déjà assez saisissant – etl’obligation de connaître les gestes de premier secours, l’ana-

lyse de l’autonomie comme autoévaluation doublée de l’ap-titude à nager, la célébration de la motivation, du désir deréussir, de l’initiative comme « attitudes ondamentales ».

SOURDEMENT hantée par la question de l’« intégration »,soucieuse de contribuer à orger un « ressortissant euro-

 péen » sporti et prêt à la lexibilité du marché, mais dési-reuse de conjuguer les « valeurs universelles » et la « diver-

 sité culturelle », cette « mise en cohérence » du parcoursscolaire semble bien relever davantage d’une entreprised’adaptation à la modernité libérale que du vieux projetd’émancipation, longtemps ondateur des ambitions del’école publique. D’ailleurs, ce curieux inléchissement seremarque dès le programme de l’école maternelle (2), où ilest airmé intrépidement que les enants devront apprendreles « ondements moraux » de la civilité, c’est-à-dire notam-ment « le respect de la personne et des biens d’autrui, l’obligation de se conormer aux règles édictées par lesadultes» . Allons bon...

EVELYNE PIEILLER.

(1) Ministère de l’éducation nationale, Ecole et collège: tout ce que nosenants doivent savoir. Le socle commun de connaissances et de compé-tences 2009-2010, préace de Luc Chatel, Centre national de documenta-tion pédagogique (CNDP), Paris, 2009, 58 pages, 3,90 euros.

(2) Ministère de l’éducation nationale, Qu’apprend-on à l’école mater-nelle ? Les programmes ofciels, préace de Luc Chatel, CNDP, 58 pages,3,90 euros.

ARRIVANT au milieu de la crise mondiale, ledixième anniversaire de l’euro (1) a aitl’objet de commentaires beaucoup moins

triomphalistes que le déluge de prophéties auquelson avènement avait donné lieu en 1999. La mon-naie unique était alors conçue comme le couron-nement de la construction économique de l’Europe, un vecteur d’intégration politique, unmoyen de aire converger les économies versun modèle de croissance dans la stabilité, enfinl’instrument de la compétitivité ace aux Etats-Unis et aux pays émergents.

Président du Centre d’études financières àl’université de Francort après avoir été membredu conseil de la Bundesbank, puis membre dudirectoire de la Banque centrale européenne(BCE), l’économiste Otmar Issing, père de ladoctrine de la BCE, ne ménage pas ses eorts

 pour justifier les choix eectués lors du lance-ment de l’euro et dans le pilotage de la BCE : cri-tères de convergence, obsession anti-inflation-niste ondée par un mandat statutaire strict, reusde la publicité des minutes du conseil des gou-verneurs, politique de change peu attentive aux

conséquences de l’euro ort, etc. (2). Mais, si onlaisse de côté l’autosatisaction, quels indica-teurs justifient le diagnostic de « réussite » ?Essentiellement la stabilité des prix et l’élargis-sement de la zone euro, qui auraient donné tortaux cassandres, tel Milton Friedman, qui en pré-disaient l’eondrement rapide.

Ouvrage collecti publié sous la direction deKenneth Dyson, proesseur à Cardi, The Euroat 10 (3) ore un diagnostic plus nuancé. Fondésur une approche d’économie politique interna-tionale, il intègre la diversité des secteurs, desenjeux, et les spécificités des économies natio-nales impliquées. Un bilan macroéconomiqueglobal ait certes apparaître une conjonction deaible croissance, de aible taux d’emploi, etl’augmentation de plus en plus limitée du revenudisponible des ménages contrastant avec lahausse des profits, en particulier financiers. MaisDyson insiste sur la persistance de la diversitédes économies nationales et sur les nombreusesconséquences inattendues de l’euro. L’ouvrageconfirme que les questions non résolues restenttrès nombreuses.

Egalement codirecteur, avec le Danois MartinMarcussen, d’un livre (4) centré cette ois sur les

 banques centrales, Dyson souligne le paradoxe

de la BCE : institution radicalement supranatio-nale, dotée d’une doctrine, elle soure structu-rellement de l’absence d’autorité politique derang comparable. L’européanisation qu’elleexprime est avant tout le triomphe de la doctrinemonétaire et économique allemande, « ordo-libérale », sous la orme d’un pouvoir « mou »qui s’incarne également dans le pacte de stabilitéet de croissance. L’unification réalisée par l’euroest pourtant loin d’avoir eacé les particularitésdes banques centrales nationales, y compris enmatière de « transparence ». En outre, ses eetsdépendent de la capacité des Etats à impulser des

  politiques budgétaires et fiscales relativementautonomes. Chaque chapitre confirme la néces-sité de prendre en compte les contextes nationauxsi l’on veut mieux comprendre les enjeux decette construction supranationale.

Enin, Les banques centrales sont-elles légi-times ? (5) reste habité par la science écono-mique dominante qui, comme le soulignait déjàle sociologue François Simiand, ne recule devantaucune abstraction, voire un certain ésotérisme.On y lit par exemple qu’« en prenant en compteles non-linéarités qui interviennent, la politiqueoptimale de second rang consistera probable-ment à essayer d’éviter que la ragilité inan-cière ne se constitue plutôt que de se lancerdans un engagement coûteux à ne pas intervenirlorsque le risque d’un eondrement inancier se

 présente» . Ce que l’on peut traduire par : mêmesi les marchés restent inaillibles en théo-rie (pure), la banque centrale doit parois, en

 pratique, les sauver.

FRÉDÉRIC LEBARON.

(1) La zone euro compte seize pays: Allemagne, Autriche,Belgique, Chypre, Espagne, Finlande, France, Grèce,Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slo-vaquie, Slovénie.

(2) Otmar Issing, The Birth o the Euro, Cambridge Uni-versity Press, 2008, 296 pages, 15,99 livres.

(3) Kenneth Dyson, The Euro at 10. Europeanization, Power, and Convergence, Oxord University Press, 2008,472 pages, 50 livres.

(4) Kenneth Dyson et Martin Marcussen(sous la dir. de),Central Banks in the Age o the Euro : Europeanization,Convergence, & Power, Oxord University Press, 2009,384 pages, 55 livres.

(5) Jean-Philippe Touut (sous la dir. de),  Les banquescentrales sont-elles légitimes ?, Albin Michel, Paris, 2008,308 pages, 22 euros.

DA N S L E S R E V U E S

Retrouvez, sur notre site Internet,une sélection plus étoée de revues

w w w . m o n d e - d i p l o m a t i q u e . f r / r e v u e s

      L      E      C

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      R      E      S

pensée alternative et un dialogue politique » estconsacrée aux résistances à la crise globale et auxstratégies et propositions pour en sortir. Plus d’unevingtaine de contributions ont une place à des situa-tions peu traitées par les médias (Finlande, Grèce,Hongrie, Portugal, Roumanie, Serbie). Un entretienavec Lothar Bisky, président du Parti de la gaucheeuropéenne, sur les résultats ambivalents desélections au Parlement de Strasbourg. (No 5,novembre, biannuel, 10 euros. – Espaces Marx, 6,avenue Mathurin-Moreau, 75167 Paris Cedex 19.)

JAUTREPART. A signaler, une enquête socio-logique sur les quartiers pauvres d’Antanana-

rivo (Madagascar). Les chercheurs montrentcomment s’organisent les populations concernéeset surtout comment, malgré leurs diciles condi-tions de vie, elles demeurent attachées à leur quar-tier. Celui-ci constitue un véritable vecteur deconstruction des identités sociales. (No 51,automne, périodicité irrégulière, 25 euros.

 – Presses de Sciences Po, 117, boulevard Saint-Ger-main, 75006 Paris.)

J PROBLÈMES D’AMÉRIQUE LATINE.Alors que l’attention se concentrait sur les paysoù les changements paraissaient les plus polé-miques ou les plus spectaculaires, d’autres visagesde la gauche latino-américaine ont été beaucoupmoins pris en compte. Ce numéro comble cettelacune en étant très largement consacré à l’Uru-guay. (No 74, automne, trimestriel, 20 euros. – LaDocumentation rançaise, 29, quai Voltaire,75344 Paris Cedex 07.)

JPERSPECTIVES CHINOISES. La revue seconsacre presque totalement à ce qu’elle nommel’« impasse du Tibet» , avec un retour sur l ’histoiretrès politique de cette province, sur l’aide éco-nomique, le traitement des Tibétains par le pou-voir central, etc. A noter également les articlessur la réorme du système de santé. (N° 2009/3,trimestriel, 16 euros. – Centre d’études rançais

sur la Chine contemporaine, 20/F Wanchai Cen-tral Building, 89 Lockhart Road, Wanchai, Hong-kong, Chine.)

J LES AUTRES VOIX DE LA PLANÈTE. Undossier «Crise écologique: l’impasse capitaliste»constate que les déclarations ambitieuses, les solu-tions proposées par les gouvernements, les ins-titutions internationales et les grandes entreprises,en restant inscrites dans un modèle capitaliste etproductiviste, ne constituent en rien une alter-native. Egalement au sommaire, «Quand le FMIentonne un air de pipeau » et « Les trois autesde Barack Obama en Arique». (N° 44, octobre,trimestriel, 3 euros. – Avenue de l’Observa-toire 345, B 4000 Liège, Belgique.)

JADEN. « Anticolonialistes des années 1930 etleurs héritages », c’est à des « marginaux oubliés» que

la revue a voulu donner la parole, rappelant la « dif-culté de l’émergence de l’anticolonialisme ». Introduitepar Anne Mathieu et Benjamin Stora, cette livrai-son publie des articles sur l’exposition coloniale de1931, sur la personnalité de Daniel Guérin, ainsi qued’émouvants témoignages de l’époque par des figuresoubliées.(No 8, octobre, annuel, 25 euros. – 11, ruedes Trois-Rois, 44000 Nantes.)

J PLEIN DROIT. La revue du Groupe d’inor-mation et de soutien des immigrés (Gisti) présenteun second numéro portant sur « La police et lesétrangers ». Elle mobilise des sociologues et des

 juristes pour expliquer comment les migrants sont

constitués en groupe cible de l’action de l’insti-tution.(No 82, octobre, trimestriel, 9 euros. – 3,villa Marcès, 75011 Paris.)

JCQFD. Dans cette livraison, un supplément« pages ouvertes » confié au journal L’Envoléedonne largement la parole aux prisonniers de la« douce France ». Egalement, l’implantation à Sèted’Agrexco, un exportateur israélien de ruits etlégumes provenant des colonies en territoire palestinien. (No 72, novembre, mensuel, 3 euros.

 – BP 70054, 13192 Marseille Cedex 20.)

J FAKIR. Un dossier complet sur la Répu-blique des héritiers : « fils et filles de», ils sont par-tout, dans les ministères, à la tête de l’opposition,des entreprises, mais aussi dans le monde de la cul-ture. Egalement au sommaire, une enquête sur leForum mondial du développement durable signalela place qu’y occupaient... les industries pétrolièreet nucléaire. (No 43, décembre-janvier, bimestriel,3 euros. – 21, rue Eloi-Morel, 80000 Amiens.)

J LE MONDE LIBERTAIRE. Le journal de laFédération anarchiste revient sur le traitementréservé à Jean-Marc Rouillan, que l’on change deprison, mais dont les soins se ont toujours atten-dre. Puis une intéressante réflexion autour del’« identité nationale», de la nation et de l’Etat.Pour finir, un article sur la grogne des étudiants

autrichiens. (No 1573, 19 au 25 novembre, hebdomadaire, 2 euros. – 145, rue Amelot,75011 Paris.)

J LA RAISON. Le mensuel de la Libre Penséeconsacre un long article au révisionnisme histo-rique qui commence à imprégner les programmesscolaires en France. Ainsi, au nom de l’enseigne-ment du « ait religieux », on conond allègrementhistoire et oi au mépris de la réalité et de la péda-gogie. L’auteur s’appuie sur des extraits de textesociels du ministère de l’éducation nationale etdes récits d’enseignants. (No 545, novembre, men-suel, 2,50 euros. – 10-12, rue des Fossés-Saint-

 Jacques, 75005 Paris.)

J POLITIQUE. Un dossier sur l’« intrusiontechnologique » : en marquant tous les objets

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nous nous transormons en rouages de lamachine économique. (No 61, octobre, mensuel,7 euros. – Rue Coenraets 68, 1060 Bruxelles, Belgique.)

J BASTILLE, RÉPUBLIQUE, NATIONS.Le journal consacre un dossier exclusi à l’aaireKononov. Cet ancien militant communiste lettona été emprisonné par son gouvernement pouravoir combattu les troupes d’Hitler dans l’Arméerouge. Riga considère l’URSS comme criminelleen raison de son comportement en 1939. Sou-haitant déendre l’honneur de ses camarades anti-nazis au-delà du sien propre, Kononov a saisi la

Cour européenne des droits de l’homme, qui luia donné raison. La Lettonie ait appel. (No 45, octo-bre, mensuel, 6,60 euros. – 8, rue du Faubourg-Poissonnière, 75010 Paris.)

JANNALES. « L’Atlantique rançais », la ques-tion de la citoyenneté et de la rancité dans lescolonies de la Nouvelle-France et en Louisiane auXVIIIe siècle. (N° 5, septembre-octobre, bimes-triel, 17 euros. – 54, boulevard Raspail,75006 Paris.)

JMORTIBUS.La revue consacrée aux « aspectsmortières de la société techno-capitaliste avan-cée » tire le rideau et publie un dernier numérointitulé « Masses & moi », mêlant contributions ori-ginales et textes d’Herbert Marcuse, GüntherAnders ou Erich Fromm. (N° 10-11, automne,périodicité irrégulière, 28 euros. – 5, placePublique, 60420 Dompierre.)

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pique» publient un excellent dossier sur la « vio-lence aite au travail », avec des analyses, des entre-tiens, ainsi que des témoignages de médecins dutravail, de salariés en burn out (« grillés »)... et demédecins du travail dans le même état. (No 47,octobre, trimestriel, 16,50 euros. – 52, rue Gal-lieni, 92240 Malako.)

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cès public dans l’ensemble des sociétés occidentales. Sa grande plasticité lui a permis dedevenir un enjeu tant dans le monde de l’entre-prise, de la compétition politique, de la construc-tion européenne que dans les politiquesurbaines. (N° 35, août, trimestriel, 17,50 euros.

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J LE TIGRE. Ce dernier numéro avant un chan-gement de ormat et de périodicité délaisse l’ha-bituel dossier pour deux reportages acides – auSalon du trading et au Quai-Branly – et repro-duit un excellent papier de la revue Geste : unboucher y décrit méticuleusement sonmétier. (N° 34, novembre-décembre, bimestriel,6,80 euros. – 122, rue Danielle-Casanova,93300 Aubervilliers.)

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BAPTISTA ANTUNES.– « Le Savoir » (1999)

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Page 27: [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

http://slidepdf.com/reader/full/fr-le-monde-diplomatique-decembrie-2009 27/28

LE MONDE diplomatique – DÉCEMBRE 200927M

 U S  I     Q

 UE  

VENUE DU GHETTO

Quand la musiqueillumine ChicagoLes quartiers pauvres du sud de Chicago

ont resurgi sur le devant de la scène

avec l’élection de M. Barack Obama,

qui y avait travaillé et résidait 

non loin de là. Malgré la misère

qui les caractérise et l’isolement 

des populations , presque exclusivement 

noires, qui y vivent, des ormes

de socialisation alternatives

s'y développent depuis longtemps.La musique leur sert parois

de point de ralliement.

P A R N O T R E E N V O Y É S P É C I A L

A L E X A N D R E P I E R R E P O N T *

ENDIMANCHÉS, quelques fidèles s’attardentdevant la açade triangulaire de la St. PaulChurch o God in Christ, sur WabashAvenue, près de la 45e Rue du South Sidede Chicago. La camionnette du marchand

de glaces difuse sa ritournelle tandis que des écu-reuils dévalent branches et câbles électriques.Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleurdes mondes urbains d’Amérique du Nord, si lepaysage n’était à ce point lunaire (1).

Les habitants des autres parties de la villen’ont aucune raison de se rendre dans le SouthSide, sau à emprunter les voies express qui le cin-glent. S’ils tentaient l’aventure, ils découvriraientpourtant que le ghetto n’est pas, essentiellement,un lieu mal amé : c’est un espace semi-public, sansépiceries ni pharmacies, sans hôpitaux ni banques,sans transports en commun ou presque, hanté pardes centaines de milliers d’hommes et de emmes,stigmatisés et sans emploi pour la plupart, maisqui – étrangement – ne sont pas sans vie...

De l’autre côté de Wabash Avenue, cedimanche de mai 2009, le nouveau bureau exécuti de l’Association or the Advancement o CreativeMusicians (AACM) s’est réuni dans un immeublede briques rouges à deux étages. La flûtiste NicoleMitchell, le batteur Mike Reed, le chanteur Saalik Ziyad et la violoncelliste Tomeka Reid, de mêmeque la directrice de l’école de l’association, la per-cussionniste Coco Elysses, appartiennent à unenouvelle génération, qui vient de se voir confierles rênes de l’AACM. Leur première initiative sera

d’étendre à tous les quartiers de la ville lesconcerts et ateliers que cette organisation demusiciens et de militants propose depuis presqueun demi-siècle. De ne plus attendre que les

amilles se présentent à la porte de leur école demusique, mais d’aller à leur rencontre.

Quelques heures plus tard, ils ont rejoint leursaînés sur la scène du Velvet Lounge, le club et«salle de réunion» tenu par le saxophoniste FredAnderson, l’un des premiers membres de l’AACM,qui y programme tout ce que la ville compte d’es-prits rappeurs et rondeurs. Ce soir-là, pour laquinzaine de musiciens du Great Black MusicEnsemble, pratiquement rien n’est écrit, on joue àtout éclaircir, tout embrouiller, tout illuminer, às’immerger dans une musique qui en improvisantmultiplie les structures. Le clarinettiste Mwata

Bowden guide les échanges des poètes, rappeurs,chanteurs et instrumentistes, jusqu’à l’apothéose.

Comme le raconte George Lewis, trombonisteet ethnomusicologue (2), ceux qui ondèrentl’AACM en 1965 étaient presque tous issus deamilles pauvres de la classe ouvrière noire, établiesdans le Midwest depuis la «grande migration» despremières décennies du XXe siècle (3). Pour cesamilles, la musique, dans ses ormes proanes ousacrées, populaires ou expérimentales, avait valeurd’institution : tout le monde en écoutait ou en  jouait, dans les maisons, les rues, les bars et leséglises. Dans le ghetto communautaire, la musiquereprésentait à la ois un débouché socioproes-sionnel et un mode de socialisation alternati.

Au cours des années 1960, avec le démem-brement de ce ghetto, les musiciens du SouthSide de Chicago urent conrontés à une terriblepaupérisation doublée, d’une standardisation deleur art – que Lewis attribue à la production demasse capitaliste, afectant jusqu’à cette sous-

branche de l’industrie du spectacle. Il déplore l’ac-centuation de la division du travail, notammententre leaders et sidemen, ainsi que les surenchèresde vaines virtuosités au cours des jam-sessions,censément inormelles mais en réalité théâtre decompétitions de plus en plus modélisées.

Par la création de l’AACM en 1965, certainsmusiciens décidèrent de réagir en approondissant,au contraire, les rapports coopératis caractéris-tiques de leurs pratiques sociomusicales. Ils multi-plièrent les tentatives pour prendre le contrôle desmoyens de production et de difusion – tel Ander-son au Velvet Lounge –, en créant des musiquesoriginales destinées à exprimer autant qu’à trans-ormer. L’une des stratégies mises au point par lesdéavorisés et les sans-grade de l’AACM, qui reu-sèrent longtemps toute orme de subvention, utainsi de répartir leurs eforts sur plusieurs ronts :local (Chicago et le Midwest, puis New York, avecl’ouverture d’un second site de l’AACM en 1977),continental (les Etats-Unis et le Canada) et inter-national (le monde occidental et au-delà). « Nous

avons été amenés à développer des perceptions trans-culturelles, rapporte le percussionniste Kahil El’Za-bar, à nous projeter dans plusieurs mondes à la ois, ànous connecter à d’autres réalités. » Le saxophonisteErnest Khabeer Dawkins ajoute : « Tout est afairede contrôle. Ce pourquoi il aut multiplier les contactset les alliances, pour substituer une activité artistique

et économique difuse à l’hégémonie des marchésfinanciers et des pouvoirs politiques nationaux . »

Aujourd’hui que M. Barack Obama préside auxdestinées du pays, qu’en est-il de ces stratégies? Lesaxophoniste Douglas Ewart ait preuve d’autantde pragmatisme que de erveur : « Nous avonsconscience des limites du programme de BarackObama, mais aussi du ait que l’idée de liberté, pour lemoment, passe par lui. Et nous erons tout ce qui est ennotre pouvoir pour qu’elle continue d’avancer vers saplus complète réalisation possible, comme nous l’avonstoujours ait depuis l’époque des plantations, si besoinest avec les spasmes des holy rollers (4) et les racinesdu hoodoo (5) ! »

Pour les musiciens, si M. Obama est passé parChicago, s’installant dans le quartier sécurisé deHyde Park et inscrivant ses enants à la presti-gieuse University o Chicago Laboratory Schools,tout en se aisant travailleur social, ce ut aussipour lancer sa carrière politique dans l’une desvilles les plus ségréguées des Etats-Unis (6), etacquérir ainsi un équivalent de la street credibi-lity  (crédibilité née de la rue) des rappeurs. Lesaxophoniste David Boykin estime : « Les temps

n’ont pas changé pour le peuple noir, et particulière-ment pour les musiciens créateurs noirs : nous sommesau ond du trou. Nous traversons une crise sociale et économique depuis que les Européens ont commencéla traite esclavagiste – et notre culture est celle d’unpeuple opprimé, tantôt captivé, tantôt captivant . »Pour subvenir aux besoins de leur amille, la plu-part des musiciens sont dans l’obligation de pren-dre un second travail, ou de maintenir plus qu’ilsne le souhaiteraient une présence harassante surles scènes européennes, quand ils y ont accès.

ADEMEURE, dans ses activités, l’AACM conçoità la ois des œuvres et leur contexte : lamusique comme mode d’échange et valeur

d’usage. La ormule n’a pas varié depuis l’époqueoù John Shenoy Jackson estimait que les membresde l’association se consacraient pour moitié à lamusique créative et pour moitié à l’éveil social.C’est ainsi que Dawkins a ormé une partie desmusiciens de la nouvelle génération, notammentdans le quartier d’Englewood, tout en initiant plu-sieurs programmes d’échanges avec un lycée deClichy-sous-Bois, en banlieue parisienne, ou avec laerme-phalanstère du saxophoniste Zim Ngqa-wana, dans la banlieue de Johannesburg.

Il assiste également El’Zabar pour les projetsque celui-ci mène dans les écoles et les conserva-toires de Bordeaux et de la région Aquitaine.« C’est grâce à des initiatives d’animation de quartier,indique celui-ci, que nous avons réussi à aire d’un groupe de musiciens inconnus du South Side de Chi-cago un phénomène international. Nous représentonsune tradition de créativité, de partage et de responsa-

bilité. Imaginez un système politique ait à l’image dutrès sérieux plaisir que nous propageons... »

En attendant de relancer prochainement leurpropre école, de nombreux membres de l’AACMinterviennent en milieu scolaire. Telle Nicole Mit-chell à la James N. Thorp Elementary School,située dans un quartier où se mélangent popula-tions aro et latino-américaines. Juste après le halld’entrée et son détecteur de métaux, une longuebannière bleue montre le portrait de M. Obama,en médaillon, entouré d’instruments de musique,avec la mention : «Change has come !»  – le chan-gement est arrivé. Voilà quelques années, le direc-teur de l’établissement a décidé de mettre un

terme à la séparation des élèves aro-américainset des élèves mexicains, considérés comme desprimo-arrivants auxquels il allait enseigner enespagnol. Craignant que cette mesure ne pénaliseleurs enants, mais aussi que ceux-ci aient à sou-rir de la réquentation de Noirs souvent issus deoyers déchirés, la plupart des amilles mexicainesont alors retiré leur progéniture.

Face à une classe essentiellement composéed’Aro-Américains d’une dizaine d’années, Mit-chell bat le rappel sur son tambourin et, àmesure qu’elle entonne et enchaîne les chansonsdésormais amilières aux enants, distribue lespercussions : « Si vous prêtez attention à ce qui sepasse, et si vous trouvez le moyen d’intervenir deaçon appropriée dans ce qui se passe, alors vousaurez un instrument.» Les paroles des chansonsinsistent sur la responsabilisation, mais c’est dansla musique elle-même que se trouve la leçon : parle système des appels et des réponses, par l’al-ternance d’unissons, d’hétérophonies et de poly-phonies, d’accélérations et de ralentissements,on travaille l’écoute et la réflexion, la participa-tion et le partage.

Les mêmes procédures sont à l’œuvre quandles musiciens passent en studio, tels Mitchell oule batteur Hamid Drake, lesquels, à quelques  jours d’intervalle, se sont rendus dans les quar-tiers nettement mieux amés du North Side aind’enregistrer deux disques pour le label RogueArt. La lûtiste, avec son nouveau quartetteSonic Projections, et le batteur, avec le troisièmevolet de son projet Bindu, créent des milieuxouverts. Drake peut régler et caler une struc-ture mélodico-rythmique avant de l’orir à lacapacité de chaque membre de son groupe à nonseulement interpréter mais aussi transormer lesinormations qu’elle contient. Il peut conier ledéploiement d’une composition aux improvisa-tions individuelles, duelles ou collectives, et réa-irmer la direction collégiale de la musique.Pareillement, dans le quartette de Mitchell,chaque composition est conçue comme un envi-ronnement auquel chaque musicien doit contri-buer, en suivant la logique interne des ormesproposées et en demeurant libre de s’en éloi-gner, de leur préérer d’autres ormes, ou même

l’inorme. Cette créativité et cette responsabi-lité partagées, des ormes et des structures, ontde l’expérimentation musicale une expérimen-tation sociale.

Michel Dorbon, le producteur de Rogue Art,revient ainsi sur le nom de son label, détourné dela désignation par laquelle M. George W. Bushadmonestait les «Etats voyous» (rogue states), etsur sa philosophie : «Il existe aujourd’hui desormes d’art marginalisées, “dégénérées” au sens oùla censure économique peut être aussi ecace quela censure politique. Ce qui se vend bien ou cher est orcement “admirable”, tandis que ce qui se vend mal ou pas du tout est perçu comme “douteux”. Lamusique de jazz, qui ne s’est jamais intégrée à aucunsystème, a été l’une des révolutions artistiquesmajeures du siècle dernier. Les disques produits sur Rogue Art déendent ce qui est vivant dans le jazzaujourd’hui, et qui n’a pas sa place dans les milieux ermés, conservateurs, où l’art est utilisé commeimage valorisante de la mansuétude du pouvoir . »

BERNARD RANCILLAC.– « Section rythmique» (1974)

      A      D      A      G      P

Se consacrer pour moitié

à la création et pour moitié

à l’éveil social

(1) Lire Douglas Massey, «Regards sur l’apartheid américain», etSudhir Venkatesh, «Fin des “villes chocolat, banl ieues vanille’’ amé-ricaines», Le Monde diplomatique, février 1995 et novembre 2003respectivement.

(2) George Lewis, A Power Stronger Than Itself. The AACM and  American Experimental Music, University of Chicago Press, 2008.

(3) Cf.  Nicholas Lemann,The Promised Land : The Great Black  Migration and How It Changed America, Vintage Books, New York,1992.

(4) Fidèles de l’Eglise pentecôtiste qui hurlaient en se roulant par terre dans les lieux de culte.

(5) Ensemble de croyances, de coutumes et de pratiques importéesd’Afrique, mêlées à des éléments d’origine européenne etcubaine (influence de la santeria) et intégrant des savoir-faire indiens.

(6) Lire à ce sujet Serge Halimi, «L’université de Chicago, un petit coin de paradis bien protégé»,   Le Monde diplomatique,avril 1994.

* Ethnologue, auteur de l’ouvrage Le Champ jazzistique, Paren-thèses, coll. «Eupalinos», Marseille, 2002.

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7/9/2019 [FR] Le Monde Diplomatique - decembrie 2009

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DÉCEMBRE 2009 – LE MONDE diplomatique 28

« Je ne veux pas atteindre l’immortalité grâce à mon œuvre. Je veux atteindre

l’immortalité en ne mourant pas. »

Woody Allen.

SÉLECTIONNÉS  parmi mille deux cents can-didats, quarante étudiants ont inauguré àl’été 2009 un séminaire peu commun : laSingularity University (« université de lasingularité »). Neu semaines de coné-

rences et d’ateliers animés par des personnalitésaussi recherchées que Vinton Cer (« père » d’In-ternet), Robert Metcale (inventeur du protocole deréseau Ethernet), George Smoot (Prix Nobel de physique 2006), l’astronaute Daniel Barry, et une pléiade de spécialistes de mathématiques, de méde-cine ou de la recherche spatiale.

Leurs démarches reposent sur la loi de Moore, dunom du ondateur de la société de microproces-seurs Intel. D’après cette loi, le nombre de transis-tors que l’on sait placer sur une carte électroniquedouble régulièrement tous les deux ans, à coûtconstant. Ce phénomène, soulignent-ils, neconcerne pas exclusivement l’électronique : tous lesdomaines scientiiques semblent posséder le même

rythme d’accélération, de manière parallèle, chacunnourrissant d’ailleurs les autres (1). La progressiontechnologique est exponentielle : il suit de dessi-ner, sur une rise, l’histoire du langage, de la méca-nique, ou même de retracer les grandes phases del’évolution biologique, pour le constater.

Pour l’ingénieur Ray Kurzweil, qui ait figure deche de file de ce mouvement de pensée, la conclusions’impose d’elle-même : les cent années qui viennentcorrespondront non pas à « un siècle d’avancées tech-nologiques », mais à l’équivalent de « vingt mille ansde progrès, calculés avec le niveau de progressiond’aujourd’hui ». De l’accélération permanente naî-tront « des ordinateurs (...) capables de passer le test de Turing, indiquant une intelligence indiscernable decelle des humains biologiques, d’ici à la fin desannées 2020 (2) ». Dès lors « nous – les humains  –deviendrons beaucoup plus intelligents lorsque nous fusionnerons avec notre technologie ».

Dans cette perspective transhumaniste, l’avenir nous promet une corne d’abondance de capacitésinexplorées. Lesquelles donneront lieu à leur tour àune nouvelle accélération de la technologie, jusqu’àatteindre un point – la ameuse Singularité, majus-cule – qui « baignera l’univers d’une intelligencedétachée de ses origines biologiques et du cerveauhumain [et]  saturera la matière et l’énergie dans

MONDE

diplomatiquediplomatique

L’UTOPIE DES « EXTROPIENS »

PAGE 2 :

L’Afrique, un enjeu mondial, par ABDOURAHMAN A. WABERI. – Courrier des lecteurs.

PAGE 3 :

Les multiples visages d’Ernest Renan, par HENRY LAURENS.

PAGES 4 ET 5 :

La Fnac ou les avatars du marketing culturel, par JACQUES DENIS.

SOMMAIRE Décembre 2009

Pour le ondateur de la Singularity University, Peter Diamandis, la technologie pourra non seulement abo-lir la aim, mais aussi régler à terme tous les maux del’humanité (6). Tel est le credo de nombre de ceshommes baignés dans le creuset de la Silicon Valley,et que l’on trouve aux commandes d’entreprises oud’instituts de recherche à la pointe de la technologie.

Les plus vieux, enants du baby-boom, jugent l’ur-gence d’autant plus grande qu’il leur aut « tenir » physiquement jusqu’au moment où l’on saura pro-duire ces nanorobots injectables... capables d’empê-cher nos cellules de mourir. D’où l’attention extrême portée à l’alimentation et à la condition physique.Dans son livre, Kurzweil avoue ainsi prendre « deuxcent cinquante comprimés de compléments alimen-taires par jour et  [recevoir] une demi-douzaine d’intraveineuses chaque semaine ». L’extension de ladurée de la vie figure en bonne place au programmede la Singularity University, qui ofre une coné-rence sur « La fin du vieillissement » avec, en pointde mire, l’« immortalité biologique ».

LORS d’un atelier au centre de recherche d’IBMà Almaden (Caliornie), les étudiants débattentde diverses possibilités pour résoudre la crise de

l’énergie : détruire des montagnes pour extraire l’éner-gie de la matière ; construire en orbite des panneauxsolaires nanotechnologiques ; ou, plus prosaïquement,mettre en place un système par lequel les ournis-seurs d’électricité pourraient à distance arrêter les cli-matisations des bureaux d’entreprise quand ils ont besoin d’un surplus d’énergie...

Ils visitent des usines où l’on cultive algues et bactéries pour produire du bio-kérosène. Ils pren-

 Nous serons tous

immortels... en 2100

cette brume d’intelligence ». Plus rien ne ressem- blera à ce que l’on a connu jusqu’ici. Comme l’écri-vait l’un des papes de la singularité, le mathémati-

cien et écrivain de science-iction Vernor Vinge :« Nous entrons dans un régime aussi différent denotre passé humain, que nous autres humains le sommes des animaux (3). »

« Du délire ? Peut-être, commente Jean-Louisde Montesquiou sur le blog du magazine  Books. Mais ceux qui ont rencontré le sage lui-même selaissent facilement convaincre. Surtout ceux quil’ont, comme moi, rencontré virtuellement : car Ray Kurzweil aime à se faire “téléporter” dansdes réunions où l’on voit son hologramme par- faitement trompeur se promener autour d’une salle à Singapour, en répondant aux questions et en gesticulant, alors que son corps physique est, lui,toujours en Californie. Un pronostic, de surcroît si positif, et délivré de façon aussi remarquable, endevient facilement crédible (4). »

Doté d’une nébuleuse de sites Internet, ce mou-vement a su édérer depuis vingt ans ses tendancesles plus extrêmes – les extropiens, dont l’objecti estd’améliorer l’homme en combattant l’entropie(l’inéluctable dégradation de toute matière organi-

sée) par un accroissement permanent de l’inorma-tion – et les  geeks ordinaires, amateurs de gadgetset de science. Désormais, « le mouvement trans-humaniste constitue un vrai lobby », peut se élici-ter le sociologue James Hughes, qui dirige l’Insti-tut pour l’éthique et les technologies émergentes(5).Fin 2009, pas moins de quatre ilms documentairesétaient en cours de production autour de ces dis-cours uturistes.

Pour se mettre dans l’état d’esprit qui convient àun étudiant de la Singularity University – sansdevoir adhérer aux « principes extropiens » –, ilsuit d’une petite astuce rhétorique. Pourquoi,comme le ont les Nations unies, clamer sur un tongeignard qu’il aut réduire de moitié, d’ici à 2015,la proportion de la population vivant avec moins de1 dollar par jour (premier des Objectis du millé-naire pour le développement) ? Mieux vaut, pour la journée d’accueil des étudiants, se donner le sujetde rélexion suivant : « Vous devez nourrir un mil-liard de personnes sur la planète. Comment vous y prenez-vous ? » Voilà ! Une pensée positive,constructive, pragmatique. Réléchissons, en eet :qu’est-ce que la nourriture, sinon de la matièreorganique présentée sous une orme que l’on estcapable de digérer ? Il suit d’inventer la machinequi, à l’aide de nanorobots, la produira à partir de boue ou d’algues. Problème classé, sujet suivant !

nent le petit déjeuner avec des capital-ris-queurs. Ils jouent, en avant-première, avec lanouvelle génération de briques Lego pro-

grammables par ordinateur. Mais ils rélé-chissent aussi – une journée – aux scéna-rios du pire : les robots intelligents prennent la décision d’anéantir l’huma-

nité ; une expérimentation biologiqueéchappe à tout contrôle et contamine

la planète...

Parois umeuses, toujours  piquantes, allant du utileaux questions les plus essen-tielles, le catalogue d’idées

 brassées dans ces sessions ade quoi aire tourner la tête de

cette élite – qui n’est pas celle deDavos. La réunit la conscience d’être à

l’avant-garde de toutes les technologies. Aucun pos-tulat n’a plus d’importance à ses yeux. L’ingénieur bri-tannique Simon Daniel, qui a participé comme étu-diant à la Singularity University 2009, en rend comptedans une série d’articles du  Financial Times : « Unthème sous-jacent de cette formation, écrit-il,est quetout est possible: si vous pouvez le concevoir, un capi-tal-risqueur peut le financer, et l’accélération de la

technologie fait que cela pourra se produire bienavant ce qui vous semble plausible. »

Il audra peut-être vivre encore une centaine d’an-nées pour voir dans quelle mesure ce programme,visionnaire et antasque, se réalisera. Mais ses auteursne sont pas seulement de doux rêveurs en surdose descience-fiction. C’est dans les locaux de la NationalAeronautics and Space Administration (NASA) quese tenait cette première session d’été de la Singula-rity University. Laquelle compte au nombre de sesanges gardiens Larry Page qui, il y a onze ans, s’estdonné pour objecti d’« organiser toute l’informationdu monde » et a ondé... Google.

(1) Lire Mateo Cueva, « Bits, atomes, neurones et gènes ontBANG », Le Monde diplomatique, octobre 2009.

(2) Les citations de Ray Kurzweil sont extraites de son livre  Humanité 2.0. La bible du changement, M21 Editions, Paris,2007.

(3) Vernor Vinge, « What is the singularity ? », communication àla NASA, mars 1993, cité par Ray Kurzweil : http://mindstalk.net/vinge/vinge-sing.html

(4) Jean-Louis de Montesquiou, « Ray Kurzweil : serons-nous tous

 bientôt immortels ? », 27 octobre 2009, www.booksmag.r (5) Elena Sender, «Vivre 1000 ans, le transhumanisme y croit »,Sciences et avenir, Paris, juin 2006.

(6) Lire le reportage de David Gelles, « A crash course in emer-ging technologies », Financial Times, Londres, 24 avril 2009.

P A R P H I L I P P E R I V I È R E BENOÎT ALCOUFFE. – « Vitruvien» (2009)(www.malagit.com)

PAGE 6 :

Traitement sécuritaire de la folie, par PATRICK COUPECHOUX.

PAGE 7 :

Convoitises autour du Mozambique, par AUGUSTA CONCHIGLIA.

PAGES 8 ET 9 :

Vladivostok gagnée par la fièvre sociale, par  JEAN SABATÉ.  – Lesyndrome Pikalevo (J. S.). – En espérant des jours meilleurs (J. S.).

PAGES 10 ET 11 :

Deux obstacles sur le chemin de Copenhague, par RICCARDO

PETRELLA. – En Indonésie, palmiers à huile contre forêt, par CÉDRIC

GOUVERNEUR.PAGE 12 :

Les dessous des négociations avec l’Iran, par GARETH PORTER.

PAGE 13 :

Drones, la mort qui vient du ciel, par LAURENT CHECOLA ET

EDOUARD PFLIMLIN. – Un quasi-monopole américain (L. C. ET E. P.).

PAGES 14 ET 15 :

PAGE 18 :

Internet enfante les géants de l’après-crise, suite de l’article de DAN

SCHILLER.

PAGES 19 À 23 :

COMMENT VENDRE À LA DÉCOUPE LE SERVICE PUBLIC :De l’Etat-providence à l’Etat manager, par LAURENT BONELLI ET

WILLY PELLETIER.   – La faute aux Britanniques..., par  JÉRÔME

TOURNADRE-PLANCQ. – Les usagers financent l’entrée en Bourse destransports berlinois, par OLIVIER CYRAN.

PAGES 24 ET 25 :

LES LIVRES DU MOIS : « Après la mousson », de Selina Sen, parMICHÈLE GAZIER. – « Black Bazar », d’Alain Mabanckou, par MARIE- JOËLLE RUPP. – Procès d’une dictature, par NIRA REYES MORALES.

PAGE 26 :

Ce que nos enfants doivent savoir, par EVELYNE PIEILLER.   – Quelbilan pour l’euro, dix ans après ?, par FRÉDÉRIC LEBARON.

PAGE 27 :

7 €100 pages

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