le monde diplomatique juillet 2014

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  • Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 200 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,

    Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-

    bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.

    les services secrets de quatre pays (lItalie, la France, les Etats-

    Unis et la Libye). Une partie extnuante, lenjeu inavouable :

    occulter la vrit sur lexplosion en plein vol dun avion de ligne

    et la mort de ses quatre-vingt-un passagers. Cest l le secret

    de ce quon appelle en Italie le massacre dUstica.

    En 2013, deux jugements en responsabilit civile de la

    Cour de cassation italienne ont attribu lexplosion unmissile

    air-air, sans identier la nationalit de lavion de chasse qui

    laurait lanc. LEtat italien a t condamn verser 100millions

    deuros dindemnits aux familles des victimes pour ne pas

    avoir correctement dfendu son espace arien. Selon les

    magistrats, le missile tait trs probablement destin au

    dirigeant libyen Mouammar Kadha, et ses empreintes

    conduisent maintenant un seul suspect : la France.

    Des traces, des indices, desmensonges et des tmoins de

    poids pointent dans cette direction. Ainsi, le 25 juin 2007, trois

    ans avant samort, lancien prsident de la Rpublique italienne

    Francesco Cossiga fait une dclaration retentissante la radio

    publique et la chane de tlvision Sky : Les Franais

    savaient que lavion de Kadha devait passer [sur cette route].

    (Lire la suite page 12 et notre dossier pages 9 12.)

    (Lire la suite page 14.)

    LA rcente monte en puissance dune force djihadiste sunnite dans

    le nord-ouest de lIrak est spectaculaire, au sens propre du terme. Elle

    relve du mauvais vaudeville : il y a dans le pays, pour ainsi dire, un

    terroriste dans le placard. Lorsquil fait irruption sur la scne, le premier

    ministre chiite Nouri Al-Maliki joue la surprise, crie lassassin et

    appelle ses amis la rescousse pour le chasser de la maison. Pourtant,

    ce djihadiste, cest lui-mme qui lui a ouvert la porte et qui la nourri.

    Ses amis, notamment iraniens, le savent, mais trouvent un intrt se

    prter au jeu. Car le terroriste est lexcuse toute trouve pour clipser

    les errements de celui qui, aprs tout, reste leur homme.

    En juin 2014, donc, des djihadistes sunnites oprant sous le nom

    dEtat islamique en Irak et au Levant (EIIL, galement connu sous son

    acronyme arabe, Daash) semparent presque sans combattre deMossoul,

    deuxime ou troisime ville du pays selon les chiffres auxquels on se

    rfre. Dautres localits, dans cette zone dominante arabe sunnite,

    tombent rapidement, mesure que lappareil de scurit se dsintgre.

    LEtat irakien abandonne ses quipements militaires, dont des vhicules

    fournis par les Etats-Unis, laisse derrire lui ses nombreux prisonniers

    gnralement dtenus de faon arbitraire et livre ladversaire des

    prises de choix : prs dun demi-milliard de dollars entreposs dans une

    succursale de la banque centrale, notamment. Des groupes arms moins

    radicaux se joignent au mouvement, sattribuant une part vraisembla-

    blement exagre de ces victoires. Parmi les habitants qui ne fuient pas,

    certains clbrent ce quils appellent une libration, un soulvement,

    ou mme une rvolution.

    TERNEL AL IB I DE L EXCEPT ION CULTURELLE pages 20 et 21

    LE THTRE,

    LE PUBLIC

    ET LE POUVOIR

    PAR BRUNO BOUSSAGOL

    Page 27.

    dpense sitt quil leur faut dtruire lennemi du jour en

    invoquant contre lui les grands principes humanitaires. Ceux-

    l mmes quelles nappliquent jamais leurs protgs

    rgionaux : ni Isral, ni au Qatar, ni lArabie saoudite (2).

    Le 13 juin, le prsident Obama a imput au pays dvast

    par les Etats-Unis la responsabilit de la tragdie quil vit :

    Au cours de la dcennie coule, les troupes amricaines

    ont consenti de grands sacrifices pour donner aux Irakiens

    une chance de construire leur propre avenir. En travestissant

    ainsi lhistoire, il a encourag les noconservateurs, pour qui

    chaque dsengagement de Washington prcipite le dclin

    amricain et le chaos universel.

    La guerre dIrak tait gagne avant que lactuel prsident

    nentre la Maison Blanche, rpte dsormais le snateur

    rpublicain John McCain. Selon lui, toute crise internationale

    se rsout par lenvoi de marines. Le 15 mars dernier, il a donc

    rclam des troupes amricaines pour lUkraine. Et, le 13 mai,

    une intervention militaire au Nigeria. En 2002, M. Obama ne

    voulait pas attiser les flammes au Proche-Orient. Saura-t-il

    se montrer aussi perspicace dans les mois qui viennent?

    (1) Dick et Liz Cheney, The collapsing Obama doctrine, The Wall Street

    Journal, NewYork, 18 juin 2014.

    (2) Lire Impunit saoudienne, Le Monde diplomatique, mars 2012. Au

    Qatar, des dizaines de milliers douvriers trangers travaillent dans des conditions

    proches de lesclavage sur les chantiers de la Coupe du monde de football

    de 2022.

    S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8

    Le nouveau prsident du conseil italien,

    M. Matteo Renzi, a dcid douvrir les

    archives des annes 1970 et 1980, deux

    dcennies riches en violences et en intrigues.

    Les familles des quatre-vingt-une victimes

    du crash dUstica, tues sans mobile apparent,

    attendaient depuis longtemps laccs aux

    documents condentiels.Au premier rang des

    suspects, la France se dcide aussi colla-

    borer avec la justice italienne pour dnouer

    un mystre aux dimensions gopolitiques.

    TRAGDIE ARIENNE OU BAVURE MILITAIRE ?

    Les mystres

    du crash dUstica

    UNE ENQUTE

    D ANDREA PURGATORI *

    * Ancien grand reporter au Corriere della Sera, actuellement collaborateur du

    Huffington Post. Il a suivi ds la premire heure le crash du DC-9.Auteur deUstica.

    Storia di unindagine, Plus, Pise, 2006.* Conseiller spcial de lInternational Crisis Group pour le Proche-Orient.

    La faute Obama ?

    PAR SERGE HALIMI

    E

    TAIT-IL imprvoyant, cet lu de lIllinois qui estimait ds

    octobre 2002 quune invasion de lIrak ne ferait quattiser

    les ammes au Proche-Orient, encourager dans le monde

    arabe les pires impulsions et renforcer le bras recruteur dAl-

    Qaida? Fut-il plus visionnaire que lui, le vice-prsident des

    Etats-Unis qui promit alors que les armes amricaines seraient

    accueillies en libratrices ? Cest pourtant le second,

    M. Richard (Dick) Cheney, qui accuse aujourdhui le premier,

    M. Barack Obama, davoir agi en Irak comme un tratre doubl

    dun bent. Et qui conclut avec un culot singulier : Rarement

    un prsident des Etats-Unis se sera autant tromp propos

    dautant de choses au dtriment dautant de gens (1).

    M. Obama exclut pour le moment lenvoi de bataillons amri-

    cains contre les forces djihadistes qui contrlent une partie

    de lIrak (lire notre dossier page 9). Mais il a accept de dpcher

    trois cents conseillers militaires auprs du rgime de Bagdad,

    tout en faisant savoir que le premier ministre Nouri Al-Maliki

    devait tre remplac. Il y a prs de soixante ans, les Etats-

    Unis avaient dj fourni des conseillers militaires un rgime

    autocratique et corrompu : celui, vietnamien, de Ngo Dinh

    Diem. Un jour, excds par lingratitude de leur protg, ils le

    laissrent (ou le firent) tuer. La suite explique peut-tre la

    rticence du peuple amricain emboter cette fois le pas aux

    va-t-en-guerre : lescalade militaire, lembrasement de toute

    lIndochine, plusieurs millions de morts.

    Le bilan de lintervention des puissances occidentales est

    galement catastrophique pour les peuples du monde arabe.

    Pingres quand elles pourraient contribuer au dveloppement

    conomique et social de la Tunisie ou de lEgypte en renonant

    par exemple leurs crances, elles ne regardent plus la

    IL EST 20h08, le 27 juin 1980, lorsque le DC-9 de la compagnie

    Itavia (1) quitte Bologne avec cent treize minutes de retard. A

    son bord, les quatre membres dquipage et soixante-dix-sept

    passagers, dont treize enfants. Une fois dpasse la chane des

    Apennins, il emprunte le couloir arien Ambra 13, qui, en survolant

    la mer Tyrrhnienne, mne Palerme, sa destination nale.

    Visibilit parfaite et communications de routine. Mais, 20h59,

    sur lenregistrement vocal, on entend le commandant sadresser

    subitement son second. Ce nest en fait quun demi-mot :

    Gua... Peut-tre : Guarda! (Regarde! ) . Personne ne le

    saura. La voix sinterrompt brusquement; le signal radar disparat

    au-dessus de la petite le dUstica, situe soixante kilomtres

    de la Sicile. Le DC-9 se brise en trois morceaux et senfonce

    dans la mer, trois mille sept cents mtres de profondeur.

    Sengage alors une partie de poker dont les cartes sont

    manipules par les gouvernements, les autorits militaires et

    Loffensive de lEtat islamique en Irak et au Levant (EIIL)

    na surpris que ceux qui se dsintressaient de lvolution

    du pays depuis le retrait des troupes amricaines. Lincom-

    ptence du pouvoir central et sa politique favorable aux

    chiites ont cr les conditions dune insurrection sunnite.

    PAR PETER HARLING *

    ETATS FANTMES AU PROCHE-ORIENT

    Ce quannonce

    lclatement

    irakien

    CHRISTIAN BOLTANSKI. A propos dUstica, installation, 2007

    (1) Compagnie arienne prive qui fit faillite en 1981, aprs le crash.

    MUSEPOURLAMMOIREDUSTICA,BOLOGNE.PHOTOSANDROCAPATI

    5,40 - Mensuel - 28 pages N 724 - 61

    e

    anne. Juillet 2014

  • JUILLET 2014 LE MONDE diplomatique

    2

    Universalisme

    La lecture de larticle de Vivek Chibber

    Luniversalisme, une arme pour la gauche

    (Le Monde diplomatique, mai 2014)

    inspire M. Christian Darceaux la raction

    suivante :

    Je pensais quon tait en droit, sans tre

    mis lindex, dprouver de la mfiance

    lencontre des tenants de l universalisme

    des Lumires , celui qui sest trs bien

    accommod de lesclavage, puis du colo-

    nialisme, au nom des valeurs civilisatrices,

    et qui aujourdhui sert de prtexte des

    guerres impriales qualifies de guerres

    humanitaires, pour la dfense des droits.

    Cet universalisme est aussi celui qui

    voit lhistoire comme une marche vers le

    progrs, croyance qui a malheureusement

    rendu myope vis--vis du productivisme et

    du consumrisme qui dvastent la plante.

    Paradoxalement, on peut constater que

    tous les systmes historiques connus ont

    prtendu tre fonds sur des valeurs uni-

    verselles, et quil ny a rien de plus ethno-

    centrique, daussi particulariste que la

    revendication de luniversalisme. Prendre

    conscience de cela nest pas se transformer

    en adversaire du marxisme, ni rfuter

    lexistence des classes sociales.

    Sant

    Larticle de Bruno Falissard Soigner

    le malade ou la maladie ? (juin 2014) a

    suscit plusieurs ractions. M. Marc

    Girard, conseil en pharmacovigilance et

    pharmaco-pidmiologie, nous crit :

    Dans la rhtorique promotionnelle de la

    mdicalisation triomphante, la dramatisa-

    tion de lessai contre placebo est une figure

    classique : elle introduit limage du thra-

    peute tout-puissant qui peut sarroger le

    droit exorbitant de priver certains indi-

    vidus malades dun produit qui pourrait

    les gurir . Bmol : lorsquon envisage un

    essai contre placebo, cest avec des mdi-

    caments nouveaux dont on ne connat pas

    les bnfices (et dont on ne saurait donc

    soutenir srieusement quils pourraient

    gurir ) ou avec des mdicaments anciens

    dont on souponne que les bnfices ont

    t exagrs (devinez par qui et au profit

    de qui...).

    Pour sa part, le D

    r

    Jean-Sbastien

    Borde, vice-prsident du Formindep, asso-

    ciation pour une formation et une infor-

    mation mdicales indpendantes de tout

    autre intrt que celui de la sant des per-

    sonnes , estime :

    Larticle me semble particulirement

    loign de la problmatique de la mdecine

    aujourdhui. La majorit des traitements

    se retrouvant sur les ordonnances ne trai-

    tent ni le malade ni une maladie mais des

    facteurs de risque. Les traitements de lhy-

    pertension artrielle, de lhypercholestro-

    lmie, les antiagrgants plaquettaires ne

    servent qu rduire le risque statistique

    dvnements cardio-vasculaires lchelle

    dune population, mais avec des gagnants

    ceux qui repoussent un vnement

    cardio-vasculaire et des perdants, ceux

    qui souffrent des effets indsirables, parfois

    graves, des traitements.

    La place du patient, et mme celle des

    mdecins, est marginale, tant la promotion

    pharmaceutique a ancr des slogans

    angoissants et largement faux, comme

    lhypercholestrolmie tue , ce qui

    MARCHEARRIRE

    Lapparition de bactries rsistantes

    un nombre de plus en plus important

    dantibiotiques constituerait lune

    des principales menaces sanitaires

    pour lhumanit (The Economist, 3 mai).

    Lorsquil accepta son prix Nobel,

    [Alexander] Fleming [qui dcouvrit

    la pnicilline en 1928] avertit que

    les bactries pourraient muter et nir

    par rsister aux antibiotiques. (...)

    Ses craintes semblent tre devenues ralit.

    (...) La rsistance des bactries aux

    traitements pourrait faire reculer

    la mdecine dun sicle, la ramenant

    une poque o les infections conduisaient

    frquemment des amputations. (...)

    Des procdures telles que la chirurgie

    cardiaque, les transplantations dorganes

    ou le traitement de certains cancers

    pourraient savrer beaucoup plus risques

    sans antibiotiques efficaces. (...) Aucune

    nouvelle catgorie de molcules na t

    dcouverte depuis 1987, ce qui sexplique

    en partie par labsence de perce majeure

    dans le domaine de la recherche, mais

    galement par le fait que rien ne pousse

    les socits pharmaceutiques trouver

    de nouveaux traitements tant que

    les anciens fonctionnent.

    GRAND HUIT

    Rsistance lEmpire, luge et barbe

    papa: voil, en substance, le cocktail

    avec lequel le chef suprme nord-

    coren Kim Jong-un espre asseoir son

    pouvoir, dans un contexte conomique

    difficile (Asahi Shimbun, 6 juin).

    La Core du Nord se prsente comme

    le paradis des travailleurs et cest

    effectivement limage que souhaite

    promouvoir son jeune dirigeant, M. Kim

    Jong-un. Il a ordonn la construction-clair

    de plusieurs complexes de sport

    et de divertissement. Ces infrastructures

    apportent une touche de couleur au

    camaeu gristre du pays. (...) Lan dernier,

    une station de ski a ouvert dans la banlieue

    deWonsan, une ville ctire bordant la mer

    du Japon. Un forfait de quatre heures (...)

    revient 62000 wons pour les Nord-

    Corens [le salaire moyen est denviron

    3000 wons par mois]. (...) Le parc pour la

    jeunesse Kaeson, Pyongyang, est rput

    pour ses attractions impressionnantes.

    Certaines entreprises distribuent des tickets

    dentre aux salaris ayant atteint leurs

    quotas. Le prix du hamburger servi

    dans le parc est de 500 wons.

    IMAGE

    Pour dnoncer lesclavagisme

    pratiqu bord dun navire russe, les

    dockers ont refus de le dcharger, ce qui

    a conduit des menaces de la compagnie

    envers un dlgu syndical. En raction,

    trois mille membres du Syndicat des

    travailleurs des transports (AKT) ont pris

    part une grve lgale dune journe

    dans tous les ports de Finlande. Le

    mouvement a t dnonc par M

    me

    Tiina

    Haapasalo, conseillre politique en chef

    de la Confdration des industries

    nlandaises (Helsinki Times, 11 juin).

    Tiina Haapasalo souligne que la grve

    peut avoir un impact long terme sur les

    relations avec la clientle des entreprises.

    Si on nous considre comme un pays

    sujet aux grves ce que nous sommes ,

    les entreprises trangres ne verront pas

    les entreprises nlandaises comme

    des partenaires ables, car il y a une

    possibilit que la cargaison ne soit jamais

    dlivre, explique-t-elle.

    PIPHANIE

    Alors queWashington et Bruxelles

    poursuivent leurs ngociations autour

    du grand march transatlantique (GMT),

    le gouverneur de la banque centrale

    britannique sinterroge sur les vertus du

    tout march (The Guardian, 28 mai).

    Le capitalisme court le risque de

    sautodtruire si les banquiers ne prennent

    pas conscience de la ncessit de travailler

    ldication dune socit plus juste,

    a averti le gouverneur de la Banque

    dAngleterre. Mark Carney a expliqu

    quils avaient mis au point un systme du

    type pile, je gagne ; face, tu perds. (...)

    Les idologies tendent naturellement vers

    les extrmes. Le capitalisme perd le sens

    de la modration lorsque le crdit dont

    jouit le march se transforme en croyance

    religieuse.

    Vous souhaitez ragir

    lun de nos articles :

    Courrier des lecteurs,

    1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris

    ou [email protected]

    Q

    UICONQUE rsumerait la ligne ditoriale de lhebdomadaire Le Point par un

    slogan lapidaire du type Mon patron est un gnie, les grvistes sont des

    bandits se perdrait dans loutrance, car les choses sont toujours plus complexes.

    Enn, presque toujours.

    Interrog par Le Figaro (2 juin 2014) sur le propritaire de son magazine, le jeune

    directeur de la rdaction Etienne Gernelle entonne lhymne la joie : La politique

    de la famille Pinault est de garantir et de respecter lindpendance du journal. Il

    ny a pas de meilleur actionnaire possible sur la place de Paris. Je souhaite tous

    les journaux et tous les mdias davoir un actionnaire comme le ntre. Nous

    sommes heureux et nous souhaitons que cela continue. Hier exceptionnelle, car

    un peu embarrassante, cette expression de dfrence pourrait se banaliser

    mesure que le trombinoscope des matres de la presse parisienne dcalque de

    plus en plus troitement le classement des milliardaires franais : Les Echos de

    M. Bernard Arnault (1

    re

    fortune franaise selon Forbes), Le Point de M. Franois

    Pinault (3

    e

    ), Le Figaro de M. Serge Dassault (4

    e

    ), Libration de M. Patrick Drahi (6

    e

    ),

    Le Monde et Le Nouvel Observateur de M. Xavier Niel (7

    e

    ), Direct Matin de M.

    Vincent Bollor (10

    e

    )...

    Deux semaines aprs lode gernellienne, Le Point (19 juin) consacre un dossier

    aux naufrageurs : Corporatistes intouchables, tueurs de rformes, lepno-

    cgtistes. Lditorialiste Nicolas Baverez, porte-plume des notables atterrs,

    explique : Les grves des cheminots, des taxis et des intermittents du spectacle,

    sur fond de contestation endmique dans les universits et de jacquerie scale,

    sont la face sociale du populisme dont le Front national est lexpression politique.

    Sensuivent dix pages cumantes contre la France conte de btise et de navet

    qui dla en dcembre 1995, les derniers intouchables de la CGT, le chantage

    permanent des intermittents et les syndicats qui saccagent lducation, conclues

    par lirrfutable preuve de l idologie lepno-cgtiste : le dirigeant de la Conf-

    dration gnrale du travail (CGT) et la patronne du Front national (FN) ont tous

    deux critiqu dans les mmes termes le pacte de responsabilit. Si un point

    daccord suft dnir une ligne commune, la succession des couvertures Burqa,

    ce quon ne dit pas (21 janvier 2011), Le spectre islamiste (3 fvrier 2011),

    Cet islam sans gne (31 octobre 2012), Nos anctres les Gaulois

    (21 fvrier 2013) fait incontestablement du Point un journal lepniste.

    Une pudeur subitement retrouve a incit les dirigeants de lhebdomadaire ne

    pas se compter au nombre des corporatistes qui plombent les nances publiques.

    Selon les chiffres publis par le ministre de la culture en avril dernier, Le Point

    gurait en 2013 en 14

    e

    position des publications les plus aides par lEtat (Le

    Monde diplomatique, en 178

    e

    position lanne prcdente, a tout bonnement

    disparu de la liste) : 4 658 889 euros ont donc t offerts par le contribuable aux

    thurifraires de M. Pinault, essentiellement sous forme daide au transport postal,

    pour convoyer dans les botes aux lettres une fulmination hebdomadaire contre la

    pleutrerie bonasse de lEtat dpensier.

    PIERRE RIMBERT.

    La joie de servir

    Edit par la SA Le Monde diplomatique.

    Actionnaires : Socit ditrice du Monde,

    Association Gunter Holzmann,

    Les Amis du Monde diplomatique

    1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris

    Tl. : 01-53-94-96-01. Tlcopieur : 01-53-94-96-26

    Courriel : [email protected]

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    Directoire: Serge HALIMI,

    prsident, directeur de la publication

    Autres membres : Vincent CARON, Bruno LOMBARD,

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    Directrice des relations et des ditions internationales :

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    Anne CALLAIT-CHAVANEL

    Directeur de la rdaction : Serge HALIMI

    Rdacteur en chef : Pierre RIMBERT

    Rdacteurs en chef adjoints :

    Benot BRVILLE, Martine BULARD, Renaud LAMBERT

    Chef ddition : Mona CHOLLET

    Rdaction : Philippe DESCAMPS, Alain GRESH,

    Evelyne PIEILLER,

    Philippe REKACEWICZ (cartographie),

    Anne-Ccile ROBERT

    Site Internet : Guillaume BAROU

    Conception artistique : Alice BARZILAY,

    Maria IERARDI (avec la collaboration

    de Delphine LACROIX pour liconographie)

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    Mise en pages et photogravure :

    Jrme GRILLIRE, Didier ROY

    Correction : Pascal BEDOS, Xavier MONTHARD

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    )

    RECTIFICATIFS

    Les premires lignes de larticle de Guillaume

    Beaulande En Espagne, la droite double sur sa

    droite (juin 2014) voquaient incorrectement

    le chef de lEtat espagnol Mariano Rajoy.

    M. Rajoy est premier ministre ou chef du gou-

    vernement, le chef de lEtat tant, au moment de

    la publication, le roi Juan Carlos I

    er

    .

    Contrairement ce quindiquait larticle dAlain

    Gresh Pourquoi les ngociations au Proche-

    Orient chouent toujours (juin), la dcision de

    la chancelire allemande Angela Merkel de ne

    pas subventionner lachat par Isral de matriel

    militaire allemand portait non pas sur des sous-

    marins nuclaires, mais sur des frgates lance-

    missiles de classe Meko. Si Isral dispose actuel-

    lement de sous-marins allemands (classe

    Dolphin), il sagit de submersibles dattaque

    conventionnels. LAllemagne nemploie ni ne

    construit de sous-marins nuclaires, type de bti-

    ment trs particulier qui ne sexporte pas.

    Le crdit de luvre de Zhang Xiaogang illustrant

    larticle A lassaut du sommeil (juin, page 3)

    revient Bridgeman Images. Celui de luvre

    de KimTschangYeul illustrant le texte de Hwang

    Sok-yong Un kimchijeon pleurer (juin,

    page 19), la galerie Baudoin Lebon.

    COURRICOURRIER DES LER DES LECTECTEURSEURS

    amne considrer comme presque cri-

    minelle labsence de prescription de sta-

    tines en cas dhypercholestrolmie, bien

    que, dans la majorit des cas, le bnfice

    soit au mieux minime. Lindustrie phar-

    maceutique est omnipotente : elle impose

    le contrle de plus en plus strict de ces

    facteurs de risque, contrle la recherche,

    cre de nouvelles maladies , comme

    lostoporose ou la carence en vitamine D,

    inonde le march de mdicaments sans

    intrt grce un marketing aussi agressif

    quefficace dont le cot est valu 5 mil-

    liards deuros par linspection gnrale des

    affaires sociales, soit peu prs le dficit

    de lassurance-maladie. Le cot financier,

    celui du marketing, se retrouve dans le

    prix des mdicaments, et le cot humain

    faut-il rappeler les scandales sanitaires

    qui se succdent ? va croissant, avec la

    complaisance coupable des agences dites

    rgulatrices. Non, dcidment, lenjeu

    nest pas lintrt gnral face lintrt

    particulier, mais lintrt de lindustrie

    pharmaceutique face lintrt gnral et

    lintrt particulier.

  • 3LE MONDE diplomatique JUILLET 2014

    UNE MME TIQUETTE POUR TOUS LES OPPOSANTS AUX POLITIQUES DE BRUXELLES

    Populisme , itinraire dun mot voyageur

    PAR GRARD MAUGER *

    Les lections europennes de mai dernier ont vu la monte en

    puissance de partis hostiles aux politiques menes au sein de

    lUnion. Au-del de cette opposition, rien ne rapproche ces forma-

    tions : les unes actualisent lidologie nationaliste et conservatrice

    de lextrme droite, tandis que les autres se revendiquent de la

    gauche radicale. Une distinction que les commentateurs ngli-

    gent. Comment une telle confusion a-t-elle pu simposer ?

    la fois peu et beaucoup: sil est vrai que le

    premier parti des couches populaires reste

    celui de labstention (11), une partie dentre

    elles votent lextrme droite, convaincues

    que lon ne fait rien pour elles et que les

    eux den haut et les eux den bas

    prosprent leurs dpens (12). Dans ce

    cas, le succs de loffre du FN illustre la

    capacit de ce parti entretenir la confusion

    entre peuple-ethnos et peuple-dmos. Et

    former entre des fractions de classes

    moyennes et de classes populaires une

    alliance dirige la fois contre les trs

    pauvres et les trs riches une stratgie

    galement dploye en Russie par

    M. Poutine.

    la loyaut, labsence de calcul, la

    gnrosit, la haine des privilges. Cest

    partir de ces dispositions quils

    dveloppent leur vision de la socit future,

    ce qui explique que lide dgalit soit au

    cur du socialisme des proltaires (10).

    On ne saurait pourtant prtendre que les

    discours scuritaires et xnophobes du FN

    sont sans cho auprs des classes populaires.

    Lors des dernires lections europennes, si

    65% des ouvriers se sont abstenus (comme

    68% des employs et 69% des chmeurs),

    plus de 40% de ceux qui ont vot auraient

    choisi ce parti, soit environ15%decegroupe

    dans son entier (selon linstitut Ipsos). Cest

    * Sociologue.

    Deux visions du peuple

    (1) Philippe Roger, Le roman du populisme, dans

    Populismes, Critique, n

    o

    776-777, Paris, janvier-

    fvrier 2012.

    (2) Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le

    Savant et le Populaire, Gallimard-Seuil, Paris, 1989.

    (3) LudwigWittgenstein, Le Cahier bleu et le Cahier

    brun, Gallimard, Paris, 2004 (1

    re

    d. : 1965).

    (4) Pierre-Andr Taguieff, LIllusion populiste.

    De larchaque au mdiatique, Berg International,

    Paris, 2002.

    (5) Lire Serge Halimi, Le populisme, voil

    lennemi !, Le Monde diplomatique, avril 1996.

    (6) Nonna Mayer, Le populisme est-il fatal ? ,

    Populismes, Critique, op. cit.

    (7) Cest ce que propose Jacques Rancire avec

    Lintrouvable populisme, dansQuest-ce quunpeuple?,

    LaFabrique, Paris, 2013.Quant aux Vingt-quatre notes

    sur les usages dumot peuple proposes dans lemme

    ouvrage parAlainBadiou, on peut sans trop de difficults

    les rduire trois: national, ouvrier, racial.

    (8) Cf. Robert Castel, Pourquoi la classe ouvrire

    a perdu la partie , dans La Monte des incertitudes.

    Travail, protections, statut des individus, Seuil, 2009.

    (9) Sur cette distinction entre established et outsiders,

    cf. Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de

    lexclusion. Enqute sociologique au cur des

    problmes dune communaut, Fayard, Paris, 1997

    (1

    re

    d. : 1965).

    (10) The New EnglishWeekly, Londres, 16 juin 1938.

    Cit par Jean-ClaudeMicha,Orwell, anarchiste tory,

    Climats, Castelnau-le-Lez, 2000.

    (11) Lire Cline Braconnier et Jean-Yves Dormagen,

    Ce que sabstenir veut dire, LeMonde diplomatique,

    mai 2014.

    (12) Robert Castel, Pourquoi la classe ouvrire a

    perdu la partie, op. cit.

    (13) Le beauf est un personnage de bande dessine

    invent par Cabu dans les annes 1970. Il incarne un

    idal-type raciste, sexiste et homophobe. A la mme

    poque, la bande dessine de Binet Les Bidochonmet

    en scne des personnages du mme genre.

    latent entre tablis et marginaux (9) en

    jouant sur la peur du dclassement.

    Laffiliation revendique des milieux

    populaires aux classes moyennes, losten-

    tation de lhonntet et la stigmatisation

    morale des dlinquants et des tire-au-

    flanc permettent de se dmarquer de la

    reprsentation dominante qui assimile

    classes laborieuses et classes dangereuses.

    Cest pourquoi la droite propose des

    mesures comme la limitation de limmi-

    gration dite de travail , ou affiche sa

    volont de plafonner les revenus des bnfi-

    ciaires de minima sociaux et de les

    astreindre des travaux dintrt gnral.

    Elle prserve ainsi la spcificit de celui

    qui travaille dur et favorise lalliance

    entre une fraction dclinante des classes

    dominantes (le petit patronat) et la fraction

    tablie des classes populaires.

    Dans la version de gauche, au contraire,

    le peuple dsigne le peuple ouvrier, le petit

    peuple clbr par JulesMichelet, le peuple-

    plbe, ceux den bas ; et, sur un plan

    politique, le peuple mobilis, oppos

    ceux den haut , la bourgeoisie, aux

    classes dominantes, lestablishment, aux

    privilgis, aux dtenteurs des pouvoirs

    conomique, politique, mdiatique, etc.

    Quant aux contours de ce peuple

    populaire , si la classe ouvrire en a

    longtemps t le centre, lavant-garde (le

    populisme devenant alors ouvririsme), ils

    incluent galement les employs des

    femmes, dans leur crasante majorit et,

    au-del, une fraction plus oumoins tendue

    de la paysannerie et de la petite bourgeoisie

    (enseignants, personnels de sant, techni-

    ciens, ingnieurs, etc.). Soit, dans le cas

    franais, plus des trois quarts des actifs,

    dont les seuls ouvriers et employs

    reprsentent la moiti. Nous sommes le

    parti du peuple, disait le dirigeant commu-

    nisteMauriceThorez le 15 mai 1936 (avant

    que ce parti ne devienne, plusieurs

    dcennies plus tard, celui des gens, selon

    M.Robert Hue). Dinspiration plus ou

    moins marxiste, ce genre de populisme,

    dfenseur des classes populaires en tant

    quexploites, opprimes, en lutte contre

    les classes dominantes, se prsente souvent

    comme socialiste.

    Les reprsentations qui sous-tendent les

    appels au peuple-ethnos (populisme

    national) et celles qui invoquent au contraire

    le peuple-plbe (populisme socialiste)

    sopposent comme la droite soppose la

    gauche. Mais les avocats dun populisme

    populaire cultivent volontiers tant par

    conviction que par ncessit une vision

    enchante, parfois esthtisante, dun peuple

    idalis. Ils prtent lhomme ordinaire,

    travailleur exploit et domin, une reven-

    dication spontane dgalit. Ils postulent

    un ensemble de vertus indissociables de

    lethos populaire traditionnel : solidarit,

    authenticit, naturel, simplicit, honntet,

    bon sens, lucidit, sinon sagesse. Ces

    qualits sont cristallises dans la notion de

    dcence commune (common decency)

    chre lcrivain britannique George

    Orwell : Les travailleurs manuels, dans

    une civilisation industrielle, possdent un

    certain nombre de traits qui leur sont

    imposs par leurs conditions dexistence:

    EN circulant ainsi dun champ lautre,

    dun sicle lautre, dun continent

    lautre, le label semble avoir perdu toute

    consistance. De sorte que ceux qui sem-

    ploient en expliquer le sens commettent,

    selon le mot du philosophe Ludwig Witt-

    genstein, une erreur classique : essayer,

    derrire le substantif, de trouver la subs-

    tance (3). Car prtendre dfinir le popu-

    lisme, comme le propose le politiste Pierre-

    Andr Taguieff (4), par lappel direct au

    peuple nexclut videmment personne au

    sein des socits occidentales : une telle

    dmarche est inhrente la dmocratie,

    gouvernement du peuple, par le peuple et

    pour le peuple. Et, mme si lon rserve

    le label populiste un style dappel privi-

    lgiant la proximit et cultivant le charisme

    du chef grand renfort de propagande tl-

    vise, on voit mal quel dirigeant actuel

    pourrait y chapper (5). De mme, dfinir

    le populisme comme un encouragement

    la rvolte contre les lites (conomiques,

    politiques, mdiatiques) conduirait inclure

    au nombre des suspects M. Franois

    Hollande, lorsque, la tribune du Bourget,

    le 22 janvier 2012, il dnonait son vri-

    table adversaire: le monde de la finance,

    qui na pas de nom, pas de visage, ou

    M. Nicolas Sarkozy annonant Toulon

    la fin dun capitalisme financier qui

    avait impos sa logique toute lcono-

    mie et avait contribu la pervertir

    (25 septembre 2008).

    La politologue NonnaMayer estime que

    la caractristique la mieux partage des

    mouvements europens qualifis de

    populistes dans les analystes postlectorales

    serait la xnophobie (6): dans la mosaque

    europhobe compose par Le Monde

    (28 mai 2014), quatorze des seize partis

    mentionns sont anti-immigrs. Mais des

    ditorialistes, assimilant la contestation

    des institutions europennes une forme

    dhostilit aux trangers, accolent

    galement ltiquette populiste la gauche

    radicale grecque, espagnole ou franaise

    (Syriza, Podemos, Front de gauche),

    pourtant peu suspecte de racisme. Il faut

    alors sinterroger sur leurs reprsentations

    du peuple et questionner la substitution

    dun label par lautre.

    Schmatiquement, on peut distinguer

    trois figures du peuple (7). Populisme

    drive du latin populus, et dmocratie

    se forme sur la racine grecque dmos, les

    deux mots signifiant peuple. Le peuple

    auquel fait rfrence la dmocratie est le

    corps civique dans son ensemble, le peuple-

    nation. Do une drive toujours possible

    vers le nationalisme dont une forme

    contemporaine, moins fustige que lautre,

    exalte la comptitivit de la France dans

    un monde globalis . Quant au peuple

    auquel sadressent les populistes, il

    correspond deux dfinitions distinctes.

    Dans la version de droite, il est ethnos

    plutt que dmos : peuple envahi ou

    menac denvahissement, il soppose

    ltranger et limmigr. Plus ou moins

    ouvertement xnophobe et, dans la France

    contemporaine, antiarabe ou islamophobe,

    il dfend lidentit du peuple-ethnos,

    suppos culturellement intact et homogne,

    contre des populations issues de limmi-

    gration et supposes inassimilables. Il se

    prsente comme national. A cet gard,

    bien quopposes sur lEurope et la

    mondialisation, les stratgies lectorales

    de lUnion pour un mouvement populaire

    (UMP) et du FN sont identiques. Pour

    nouer une alliance a priori improbable,

    mais lectoralement ncessaire, avec les

    classes populaires, il sagit, dans cette

    version de droite, de substituer leur vision

    du monde, eux (ceux den haut) /nous

    (ceux den bas), une approche opposant

    un nous (ceux den bas) ceux

    qui ne travaillent pas et ne veulent

    pas travailler (chmeurs, immigrs,

    bnficiaires de laide sociale) ; bref de

    mobiliser contre un eux au-dessous du

    nous (8). On ractive ainsi le conflit

    GRARD FROMANGER. La Vie et la Mort du peuple , de la srie Hommage Franois Topino-Lebrun , 1975-1977

    BRIDGEMANIMAGES

    Une plbe mal votante livre ses pulsions

    CE genre de projet politique profite du

    racisme de classe que manifestent sans

    mme sen apercevoir ceux qui font

    profession de le commenter. Sous leurs

    plumes, ce peuple mal votant, implicite-

    ment rduit ltat de populace, ptirait

    dune propension inne la fermeture, au

    repli sur soi, dun ressentiment acquis de

    mauvais lve vis--vis des lites (quat-

    testerait son bas niveau de diplme) et

    dune inculture politique : ses pulsions,

    sa crdulit, son irrationalit supposes

    le porteraient vers les propositions

    simplistes et en feraient une proie facile

    pour les dmagogues. A contrario, ce

    discours rserve auxdites lites les vertus

    douverture, dintelligence, de subtilit et

    de supriorit morale. La dnonciation du

    peuple populaire incarn par la figure du

    beauf (13), machiste, homophobe,

    raciste, islamophobe, etc., renoue ainsi

    avec la philosophie conservatrice de la fin

    du XIX

    e

    sicle et sa mfiance envers les

    foules et la dmocratie celle dHippolyte

    Taine et de Gustave Le Bon. Elle dduit

    ces turpitudes par simple inversion des

    vertus dont elle crdite les lites ,

    lesquelles, par construction, sont suppo-

    ses rigoureusement impermables ce

    type de dvoiements.

    De sorte que, aujourdhui comme hier,

    deux reprsentations diamtralement

    opposes du populaire saffrontent : le

    racisme de classe des uns sert dnoncer

    le populisme des autres.

    candidat du Front de gauche llection

    prsidentielle de 2012, le bras lev, arborant

    lune et lautre un brassard rouge et lisant

    le mme discours : Tous pourris !

    Dans le champ littraire, le mot

    populisme fait son apparition en

    franais en 1929 : parti pris dcriture

    insurg contre le roman bourgeois mais

    apolitique, oppos aux crivains commu-

    nistes et leurs images dEpinal prolta-

    riennes, ce mouvement littraire se propose

    de dcrire simplement la vie despetites

    gens (1).

    Dans lunivers des sciences sociales,

    port par une intention politique de

    rhabilitation du populaire, il applique

    le relativisme culturel ltude des

    cultures domines (Volkskunde ou

    Proletkult). Ignorant ou minorant les

    rapports objectifs de domination, il crdite

    les cultures populaires dune forme

    dautonomie et clbre leur rsistance,

    jusqu inverser la hirarchie des valeurs

    et proclamer l excellence du

    vulgaire . Mais il prend aussi le contre-

    pied dune forme courante de mpris qui

    renvoie les classes domines linculture,

    la nature, sinon la barbarie. Caract-

    ristique de la bourgeoisie et de la petite

    bourgeoisie cultive, ce racisme social

    se fonde sur la certitude propre une

    classe de monopoliser la dfinition cultu-

    relle de ltre humain, et donc des

    hommes qui mritent pleinement dtre

    reconnus comme tels (2) .

    A LAVANT-VEILLE du scrutin euro-

    pen du 25 mai dernier, lors de son

    dernier meeting de campagne, Villeur-

    banne, le premier ministre Manuel Valls

    lanait solennellement un appel

    l insurrection dmocratique contre les

    populismes . Populisme : qui na pas

    entendu cent fois dans la bouche des

    sondeurs, des journalistes ou des socio-

    logues ce mot o lon enferme ple-mle

    les opposants de droite ou de gauche,

    votants ou abstentionnistes aux

    politiques mises en uvre par les insti-

    tutions europennes ?

    Linconsistance du substantif tient pour

    partie la diversit de ses usages. Dans le

    monde politique, lhistoire du label rvle

    ltendue du spectre quil recouvre : de la

    vision enchante des paysans que charrie

    le populisme russe (narodniki) la rvolte

    des fermiers du Peoples Party aux Etats-

    Unis la fin duXIX

    e

    sicle, des populismes

    latino-amricains (GetlioVargas au Brsil,

    Juan Pern enArgentine) aumaccarthysme,

    du poujadisme au lepnisme au XX

    e

    sicle,

    de M.Vladimir Poutine Hugo Chvez

    lre de la mondialisation, du United

    Kingdom Independence Party (UKIP)

    Aube dore dans lEurope du XXI

    e

    sicle,

    ou de M

    me

    Marine Le Pen M. Jean-Luc

    Mlenchon dans lHexagone daujourdhui.

    Cette dernire confusion, banalise, a t

    illustre (au sens propre) par le dessinateur

    Plantu dans lhebdomadaire LExpress

    (19 janvier 2011), lorsquil reprsenta la

    dirigeante du Front national (FN) et le

    Extrmes

    droites :

    le dcryptage

    DE LA HAINE RACIALE

    LA RECHERCHE DE LA RESPECTABILIT

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  • 4AIDE RUSSE OU PLAN DU FMI, KIEV ACCUL PAR SES BIENFAITEURS

    Aux racines conomiques du conflit ukrainien

    nomie ukrainienne sur le long terme. Celle-

    ci est enferme de longue date dans des

    productions faible valeur ajoute.Dabord

    ses matires premires et ses produits

    semi-finis que le pays exporte vers

    lEurope et lAsie, mais galement ses

    produits transforms destination de la

    Russie. A la fin des annes 2000, deux

    projets dintgration rgionale prennent

    forme et conduisent le pays un dilemme:

    association avec lUnion europenne ou

    Union douanire avec la Russie? Les termes

    de ce choix contraint ignorent la cohsion

    conomique et sociale de lUkraine, tiers

    exclu de cette logique binaire.

    Depuis mai 2009, lUnion europenne

    propose un partenariat lUkraine, la Bilo-

    russie, laMoldavie, lArmnie, la Gorgie

    et lAzerbadjan. Loffre ne stend pas la

    Russie, avec laquelle les ngociations de

    partenariat stratgique sont enlises depuis

    la guerre du gaz de 2006. Pour lUkraine,

    le rapprochement passe par la signature

    dun accord de libre-change complet et

    approfondi (Aleca).

    M. Poutine ragit en ressuscitant un projet

    dintgration des pays de la Communaut

    des Etats indpendants (CEI) qui regroupe

    danciennes rpubliques sovitiques , avec

    en point de mire une Union conomique

    eurasiatique (3). Son plan progresse vite :

    ds 2010, la Russie, le Kazakhstan et la

    Bilorussie proclament lentre en vigueur

    duneUnion douanire. Du fait de limpor-

    tance de la Russie dans ses changes

    extrieurs (prs de 30%), lUkraine ne peut

    faire la sourde oreille. En octobre 2011,

    M. Ianoukovitch signe le trait de libre-

    change intra-CEI. Il propose ensuite une

    configuration 3+1 aux pays de lUnion

    douanire, mais continue de donner la

    priorit lAleca. Cette valse-hsitation

    irrite les dirigeants russes, qui rejettent sa

    contre-proposition (4).

    En 2013, la pressionmonte de toute part.

    La Russie dveloppe une rhtorique anti-

    Aleca. SelonM. Sergue Glaziev, conseiller

    du prsident Poutine, la signature de laccord

    avec lUnion europenne serait un acte

    suicidaire qui reviendrait tuer la

    balance commerciale ukrainienne (5).

    Une raction protectionniste de lUnion

    douanire devenant invitable, les expor-

    tations vers la Russie de produits agroali-

    mentaires et de biens dquipement (soit

    50% du total) plongeraient. M. Glaziev

    laffirme: La premire option [lUnion

    douanire] assurera les conditions nces-

    saires au dveloppement durable de lco-

    nomie ukrainienne et amliorera ses struc-

    tures; la seconde [lAleca] provoquera sa

    dgradation et sa banqueroute (6).

    Les arguments de cet oracle sont aussi

    fragiles que leur cho est puissant enRussie.

    Le Kremlin joint le geste la parole : des

    confiseries ukrainiennes (celles de lentre-

    prise Roshen, qui appartient M. Petro

    Porochenko, devenu prsident du pays en

    mai 2014), puis dautres produits sont

    dclars dangereux pour la sant desRusses.

    JUILLET 2014 LE MONDE diplomatique

    PAR JULIEN VERCUEIL *

    Elu le 25 mai la prsidence de lUkraine, loligarque

    Petro Porochenko devra rpondre aux tentations sces-

    sionnistes des rgions russophones, tout en assumant les

    consquences sociales du programme concoct par le Fonds

    montaire international. La prise en compte des dimensions

    conomiques de la crise, souvent ignores, permet de mieux

    comprendre pourquoi le pays a sombr dans la violence.

    Pied de nez et volte-face

    ON peut voir dans la crise politique

    ukrainienne le dnouement dramatique

    dune trajectoire financire devenue insou-

    tenable au cours des derniers mois de 2013.

    En juillet 2010, le gouvernement signait un

    accord avec le Fonds montaire interna-

    tional (FMI). En change dun prt de

    15,5 milliards de dollars, il sengageait

    notamment faire passer lge de la retraite

    de 55 60 ans alors que lesprance de

    vie reste infrieure de dix ans la moyenne

    europenne et doubler les prix intrieurs

    de lnergie. Six mois plus tard, laccord

    tait gel : le gouvernement rechignait

    augmenter les tarifs du gaz.

    Le pays sest alors lanc dans une fuite

    en avant. Lactivit ntait plus soutenue

    que par la consommation des mnages,

    alimente par lendettement priv et par

    une hausse des dpenses sociales destine

    calmer les mcontentements (+16% en

    2012). En dpit des alternances politiques,

    lconomie ukrainienne ptit de labsence

    de consolidation institutionnelle depuis

    la fin de lURSS. Lvasion fiscale, la

    corruption et la prdation prvalent jusque

    dans les plus hautes sphres de lEtat. Le

    secteur informel pserait entre 25 et 55%

    Le risque dun effet domino

    (1) Fonds montaire international, communiqu de

    presse n

    o

    13-419, Washington, DC, 31 octobre 2013.

    (2) Lire Sbastien Gobert, LUkraine se drobe

    lorbite europenne , Le Monde diplomatique,

    dcembre 2013.

    (3) Lire Jean Radvanyi, Moscou entre jeux

    dinfluence et dmonstration de force, LeMonde diplo-

    matique, mai 2014.

    (4) Convergences et divergences dans lespace

    eurasiatique. Panorama conomique, dans Jean-Pierre

    Pag (sous la dir. de), Tableau de bord des pays

    dEurope centrale et orientale et dEurasie, Les Etudes

    du CERI, n

    o

    202, Paris, dcembre 2013.

    (5) Russia weighing tougher Ukraine sanctions,

    Ukrainian Journal, Kiev, 18 aot 2013.

    (6) Sergue Glaziev, Who stands to win? Political

    and economic factors in regional integration, Russia

    in Global Affairs, Moscou, 27 dcembre 2013.

    (7) Trade sustainability impact assessment of the free

    trade area in the framework of the enhanced agreement

    between the EU and Ukraine, Rotterdam, 5 avril 2007.

    (8)A savoir : tous les agents ont la mme rationalit ;

    tous les marchs sont parfaitement concurrentiels ;

    toutes les entreprises fonctionnent pleine capacit

    de production ; les facteurs de production sont parfai-

    tement substituables ; les dsquilibres extrieurs sont

    immdiatement corrigs.

    (9) Piotr Koscinski et Ievgen Vorobiov, Do

    oligarchs in Ukraine gain or lose with an EU

    association agreement ? , PISM Bulletin, n

    o

    86 (539),

    Varsovie, 19 aot 2013.

    (10) Address by H. E. Carl Bildt, the Swedish

    foreign minister, after receiving the inaugural Bela

    Foundation award , The Bela Foundation, Bruxelles,

    9 dcembre 2009, www.bela-foundation.eu

    (11) Lire notre dossier sur le grand march trans-

    atlantique, www.monde-diplomatique.fr/GMT

    (12) Ukraine , IMF Country Report, n

    o

    14-106,

    FMI, mai 2014.

    (13) Lire Jean-Arnault Drens et Laurent Geslin,

    Ukraine, dune oligarchie lautre , Le Monde

    diplomatique, avril 2014.

    *Matre de confrences en conomie, Institut national

    des langues et civilisations orientales (Inalco).

    FIN octobre 2013, unemission du FMI se

    rend Kiev. Elle pose ses conditions: soit

    le gouvernement laisse flotter la hryvnia,

    rduit ses dpenses, augmente immdia-

    tement et significativement les prix du gaz

    et du chauffage pour les mnages et adopte

    un calendrier pour des hausses supplmen-

    taires jusqu ce que les cots soient

    couverts (1) ; soit le programme dassis-

    tance nest pas sign, privant lUkraine de

    10 15 milliards de dollars de devises. La

    Commission europenne annonce quelle

    apportera 840 millions de dollars suppl-

    mentaires en cas daccord avec le FMI.

    Les consquences potentielles dun

    relvement brutal des prix de lnergie, tant

    pour la population que pour lindustrie de

    la rgion orientale du Donbass, peuvent

    faire hsiter le prsident ukrainien. Lamme

    semaine, il rencontre le prsident russe

    Vladimir Poutine Sotchi. Sans doute

    discutent-ils dj dune solution alternative

    celle du FMI. Le 21 novembre 2013,

    M.Viktor Ianoukovitch suspend la signature

    de laccord dassociation avec lUnion

    europenne (2). Cette volte-face dclenche

    des rassemblements Madan, la place de

    lIndpendance de Kiev.

    Les grandes lignes de la proposition

    russe ne sont dvoiles que le 17 dcembre,

    dans unmouvement tactique deM. Poutine

    pour reprendre la main. Son plan prvoit

    un prt de 15 milliards de dollars, une

    baisse dun tiers du prix du gaz vendu

    son voisin et des assouplissements

    concernant la dette de Naftogaz envers

    Gazprom, le tout sans condition affiche.

    Cest un pied de nez au FMI et lUnion

    europenne. Mais, aprs le renversement

    du pouvoir et le dpart deM. Ianoukovitch,

    le 22 fvrier, les nouveaux dirigeants ukrai-

    niens reviennent vers le FMI...

    Ce retour ne peut tre compris quen

    observant linsertion internationale de lco-

    Les blocages douaniers qui sensuivent

    asphyxient les exportateurs ukrainiens.

    De leur ct, les responsables de lUnion

    europenne chantent rgulirement les

    louanges du libre-change et de lAleca.

    Ds 2007, un rapport command par la

    Commission europenne concluait oppor-

    tunment que louverture du march

    combine lamlioration de la gouver-

    nance intrieure pourrait conduire

    lUkraine une croissance deux

    chiffres (7). M. Stefan Fle, commissaire

    europen pour la politique de voisinage,

    promet aux Ukrainiens six points annuels

    de croissance supplmentaires en cas

    dassociation avec lUnion europenne.

    Mais ces estimations reposent sur des

    modles dont les hypothses (8), jamais

    questionnes, nont quun lien trs lointain

    avec les conditions de fonctionnement de

    lconomie du pays.

    du produit intrieur brut (PIB), selon les

    sources. Le pays na toujours pas retrouv

    le niveau de production quavait atteint

    lUkraine sovitique (voir graphiques ci-

    dessous). Les deux dsquilibres rcurrents

    de lconomie, le dficit budgtaire et

    celui des comptes extrieurs, ne cessent

    de se creuser, sur fond dendettement en

    devises.

    A lautomne 2013, le gouvernement sait

    dj que 3milliards de dollars devront tre

    trouvs pour faire face aux chances de

    2014, quoi sajoutent 1 milliard dobli-

    gations en euros remboursables dans lanne.

    En outre, Naftogaz, oprateur public gazier

    du pays, accumule plus de 3 milliards de

    dollars dimpays auprs de son fournisseur

    russe Gazprom. Jusque-l, linflation est

    reste faible, en raison de latonie de la

    croissance, dune politique montaire

    restrictive et de bonnes rcoltes. Mais le

    systme financier demeure fragile, et les

    pressions sintensifient sur la monnaie

    nationale, la hryvnia, dont le taux de change

    est survalu depuis plusieursmois. Comme

    en Russie en 1998 avant le krach, un mur

    de largent est en train de se dresser devant

    lUkraine.

    Q

    UEN pensent les entrepreneurs

    influents en Ukraine ? Comme la popu-

    lation, ils sont partags. Ds 2013, les

    travaux de lInstitut polonais des affaires

    internationales prvoient que les princi-

    paux bnficiaires de lAleca seront...

    M. Porochenko, M. Andri Verevskiy

    dont le groupe Kernel exporte vers

    lUnion europenne et M. Youri

    Kosiouk, gant de la volaille avec Miro-

    nivsky Hliboprodukt. Les perdants

    seraient les oligarques les plus proches de

    M. Ianoukovitch. Son fils, M. Alexandre

    Ianoukovitch, M. Rinat Akhmetov et

    M. Dmytro Firtach remportent alors 40%

    des appels doffres du rgime. Leur rente

    politique serait menace par les rgles de

    lAleca (9).

    Diff icile de ne pas voir, derrire la

    pauvret des arguments dploys de part

    et dautre, lenjeu normatif de ces projets

    dintgration. En 2009, lun de ses plus

    zls promoteurs, le ministre des affaires

    trangres sudois Carl Bildt, soulignait

    lintrt de lAleca, bien au-del dun

    simple accord de libre-change : Nous

    tendons toute la lgislation sur lnergie,

    toute la lgislation sur la concurrence en

    Ukraine, en Moldavie, en Serbie, et cela

    provoque des transformations tout fait

    fondamentales sur la longue dure (10).

    En exportant ses institutions, lUnion

    europenne prend place dans la concur-

    rence par et pour les normes, enjeu majeur

    de la mondialisation (11). De son ct, la

    Russie a hrit dun systme issu de

    lURSS, qui, bien que lacunaire, vieil-

    lissant et pesant, encadre encore les

    relations conomiques entre les pays de

    la CEI. Compte tenu de la contagion que

    provoque leur diffusion, une pntration

    des normes europennes en Ukraine

    risquerait demporter lensemble post-

    sovitique par effet domino. La raction

    de la Russie relve donc aussi de la lutte

    pour la survie dun systme sur lequel son

    complexe militaro-industriel repose

    toujours largement.

    Les affrontements ont aggrav la crise

    conomique en 2014. En mobilisant

    27 milliards de dollars de prts, dont

    17 milliards avancs pour deux ans par le

    FMI, laccord sign enmai place lconomie

    sous assistance respiratoire. Bien que lajus-

    tement soit plus progressif (12) que celui

    ngoci en octobre 2013, il provoquera ds

    2014 une hausse denviron 50% des prix

    de lnergie et un regain dinflation, tandis

    que les relations avec la Russie resteront

    sous la menace dune nouvelle escalade

    protectionniste. A dfaut dune impulsion

    budgtaire et en dpit de la dprciation de

    la hryvnia, qui limite la pression concur-

    rentielle, la chute du PIB devrait atteindre

    5%.Onpeut prvoir unemonte desmouve-

    ments sociaux, particulirement dans le Sud

    et lEst industriels, o ils se mleront aux

    conflits sparatistes en cours.

    Vainqueur au premier tour de llection

    prsidentielle,M. Porochenko a acquis une

    lgitimit institutionnelle qui manquait au

    gouvernement provisoire.Mais son quipe

    doit relever des dfis redoutables. A court

    terme, il faut reconstruire le crdit de lEtat

    pour aider lconomie sortir de la logique

    de prdation (13), tout en contrlant la

    viabilit des comptes extrieurs. A long

    terme, il est ncessaire de restructurer le

    systme financier. Il faut aussi convertir

    lune des conomies les plus dispendieuses

    du monde (dix fois plus dnergie

    consomme par unit de PIB que les pays

    avancs) un mode de dveloppement qui

    place lefficacit nergtique et la monte

    en gamme des productions au cur de

    linvestissement.

    LUkraine doit disposer du temps

    ncessaire la ralisation de ses objectifs

    mais galement revitaliser ses relations avec

    la Russie. Son inspiration institutionnelle

    sera dsormais europenne, avec laccord

    dassociation sign le 27 juin 2014. Son

    orientation conomique gagnera cependant

    rester multipolaire, car les changes avec

    la Russie peuvent aider le pays sortir de

    lornire.

  • 5LE MONDE diplomatique JUILLET 2014

    LE PRSIDENT DU CONSEIL ITALIEN INTRONIS SAUVEUR DE LEUROPE

    Matteo Renzi, un certain got pour la casse

    son pays en enjambant les fractures idolo-

    giques, en rconciliant lentreprise et lEtat,

    en mariant lEurope et la fiert

    nationale (5). Le 31 mai, M. Renzi, assis

    sur le bord dun fauteuil, en jean, la

    chemise largement dboutonne, faisait

    simultanment la une du quotidien

    franais, du Guardian, de La Stampa, de

    la Sddeutsche Zeitung et dEl Pas.

    Matteo Renzi est-il lhomme qui pourra

    sauver lme de lEurope?, interrogeait

    le journal britannique.

    Le triomphe est pourtant moins clatant

    quil ny parat. Si le PD a atteint des

    sommets, cest quil a profit de la dislo-

    cation de la coalition centriste, jadis dirige

    par M. Mario Monti, pour absorber ses

    voix. Le poids de lalliance de centre-

    gauche qui gouverne actuellement lItalie

    a donc peu vari. De plus, leffritement du

    parti Forza Italia de M. Silvio Berlusconi

    et du Mouvement 5 toiles (M5S) de

    M. Giuseppe ( Beppe) Grillo sexplique

    moins par le pouvoir dattraction du PD

    que par labstention (41 %, en hausse de

    six points depuis 2009), ainsi que par la

    progression de la Ligue du Nord (proche

    du Front national) et de la liste de gauche

    LAutre Europe avecTsipras (6), toutes

    deux qualifies deurosceptiques. Le

    rsultat deM. Renzi tmoigne donc surtout

    dun rquilibrage des forces et dune

    simplification interne la coalition gouver-

    nementale.

    PAR RAFFAELE LAUDANI *

    Lhomme providentiel dhier a du ? Un autre apparat,

    porteur de tous les espoirs. Dernier exemple en date : lIta-

    lien Matteo Renzi, qui a fait des envieux quand son parti

    est arriv largement en tte dans la Pninsule lors des lec-

    tions europennes du 25 mai dernier. Jeune et charisma-

    tique, lhomme dtiendrait la cl du salut pour une social-

    dmocratie europenne bout de souffle.

    AU SOIR du 25 mai, lors de lan-

    nonce des derniers rsultats des lections

    europennes, un score enchanta les

    mdias : celui enregistr par M. Matteo

    Renzi. Le prsident du conseil italien

    pouvait en effet se vanter dtre lun des

    rares dirigeants du continent sortir

    renforc du scrutin. En obtenant 41 %

    des suffrages, le Parti dmocrate (PD) ne

    se contentait pas de battre le record tabli

    gauche par le Parti communiste italien

    (PCI) dEnrico Berlinguer aux lections

    lgislatives de 1976 (34 %) : il obtenait

    aussi quinze points de plus que lors du

    scrutin national de 2013.

    En mars 2014, dj, le banquier

    daffaires franais Matthieu Pigasse le

    citait comme une source dinspiration (1)

    le magazine Les Inrockuptibles, dont

    M. Pigasse est propritaire, prsentait

    lancien maire de Florence comme un

    dirigeant jeune, hyperactif, radical et

    ambitieux, susceptible de ressusciter

    lItalie (2). Mais, ce soir-l, M. Renzi se

    hissait au rang de meilleur espoir de

    lEurope rformiste pour Les Echos (3),

    et celui de leader indiscutable de

    lEurope pour El Pas (4). Un nouveau

    modle venait dapparatre, en mesure

    de rhabiliter lide europenne tout en

    contrant la monte de lextrme droite.

    LeMonde ne dguisa pas son admiration

    pour un dirigeant capable de rveiller

    des retraites approuve par le gouver-

    nement Monti, lquipe actuelle semble

    navoir nullement lintention de lamodifier.

    Le ministre de lconomie Pier Carlo

    Padoan sest dailleurs dclar favorable

    une augmentation progressive de lge

    de la retraite, car, selon lui, il est faux

    de dire que les seniors volent le travail des

    jeunes (11).

    M. Renzi bnficie dun crdit certain,

    quil compte utiliser pour imposer les

    rformes que ses prdcesseurs ne sont

    pas parvenus mettre en uvre. Il jouit

    dune couverture mdiatique importante,

    tant dans la presse italienne quinterna-

    tionale ; il a le soutien de personnalits de

    renom, tels M. Diego Della Valle, le

    propritaire de la marque Tods, ou les

    hommes daffaires Flavio Briatore et Carlo

    De Benedetti. Son dernier supporteur en

    date nest autre que ladministrateur

    dlgu de la Fiat, M. SergioMarchionne :

    Le programme Renzi est le seul possible.

    Jespre quils lcouteront (12).

    Une fois parvenu au gouvernement,

    M. Renzi na dailleurs pas manqu de

    manifester sa reconnaissance ses riches

    soutiens, en soulageant de 23 millions

    deuros dimpts le groupe Sorgenia,

    proprit de la famille De Benedetti. Celle-

    ci contrle entre autres le groupe ditorial

    LEspresso, dont fait partie le quotidien

    La Repubblica ce qui explique peut-tre

    le traitement particulirement favorable

    que lui rserve le journal.

    Limage de la casse si chre au

    prsident du conseil est parfaitement

    adapte au renouveau quil propose : de

    mme que les primes offertes pour les

    voitures ou les appareils lectromnagers

    dtruits ne font quaccorder une bouffe

    doxygne aux entreprises, le renouveau

    promis est ncessairement usage unique,

    destin une rapide rosion. M. Renzi

    devra mettre en musique une difficile

    partition politique : apporter des amlio-

    rations concrtes au sort des classes les

    moins favorises, tout en garantissant les

    intrts composites des actionnaires majori-

    taires de son leadership la classe politique

    de droite et de gauche, qui ne veut pas

    renoncer ses privilges, les groupes finan-

    ciers, le barreau italien... Le tout en vitant

    de trop scarter de lvangile nolibral

    et des exigences de la troka europenne.

    Et il devra y parvenir rapidement. Car la

    mise au rebut npargne pas forcment ses

    meilleurs promoteurs...

    Le bonus de 80 euros mensuels accord

    jusqu la fin de lanne aux dix millions

    de travailleurs gagnant moins de

    1500 euros apparat surtout comme une

    initiative symbolique qui dissimule mal

    la continuit entre M. Renzi et ses prd-

    cesseurs. La mesure nest pas ruineuse,

    et elle a permis au prsident du conseil

    dapparatre comme un contempteur de

    laustrit prne par Bruxelles, ce dont

    il a pu se targuer pendant la campagne

    europenne.

    Pourtant, derrire les apparences, le

    rottamatore se fait le promoteur dun

    blairisme vintage tranger la tradition

    sociale-dmocrate.Ainsi, le rcent dcret

    sur le travail quil a rebaptis Jobs

    Act accentue la prcarisation en allon-

    geant de douze trente-six mois la dure

    des contrats dure dtermine sans

    motivation, et en autorisant leur renouvel-

    lement jusqu huit fois. De mme, en

    dpit de son hostilit de faade la rforme

    * Professeur dhistoire de la pense politique luni-

    versit de Bologne.

    Un langage empreint de fanfaronnades

    (1) Christine Lejoux, Aucune conomie na jamais

    renou avec la croissance par des politiques daus-

    trit, La Tribune, Paris, 29 mars 2014. M.Pigasse

    est par ailleurs actionnaire du Monde.

    (2) Olivia Mller, Mais qui es-tu Matteo Renzi?,

    Les Inrockuptibles, Paris, 6 avril 2014.

    (3) Matteo Renzi et le syndrome du matador en

    Europe, Les Echos, Paris, 4 juin 2014.

    (4) Si hacemos reformas crebles, el popu-

    lismo ya no tendr futuro, El Pas, Madrid,

    30 mai 2014.

    (5) Franoise Fressoz et Philippe Ridet, Manuel

    Valls en rve, Matteo Renzi la fait , Le Monde,

    11 juin 2014.

    (6) M. Alexis Tsipras, dirigeant du parti de gauche

    grec Syriza et candidat du Parti de la gauche europenne

    aux lections europennes de mai dernier.

    (7) Maurizio Tropeano, Abbiamo i potenti pi

    vecchi dEuropa. Politici e manager sfiorano i 60 anni,

    La Stampa, Turin, 17 mai 2012.

    (8) Francesco Bei, Renzi-Berlusconi adArcore. Il

    Cavaliere : Tu mi somigli, La Repubblica, Rome,

    7 dcembre 2010.

    (9) Lire Encore un homme providentiel pour

    lItalie, Le Monde diplomatique, septembre 2012.

    (10) Zagrebelsky : Renzismo? Maquillage della

    Casta. E il Colle favorisce la conservazione, Il Fatto

    Quotidiano, Rome, 9 mars 2014.

    (11) Pensioni, Pier Carlo Padoan : Sonofavorevole

    a un graduale aumento dellet pensionabile, LHuf-

    fington Post, 31 mai 2014, www.huffingtonpost.it

    (12) Marchionne : Lagenda Renzi lunica

    possibile, spero lo ascoltino, La Stampa,

    1

    er

    juin 2014.

    M. Grillo gre les parlementaires du

    M5S, promus ou excommunis selon

    lhumeur du chef charismatique. Dans

    les deux cas, les lus apparaissent inter-

    changeables, avec en toile de fond lide

    que le Parlement ne sert rien.

    Ds les premiers mois de son mandat,

    M. Renzi sest f ix deux priorits,

    sur lesquelles se concentre la communi-

    cation gouvernementale : les rformes

    lectorales et institutionnelles et la

    rduction des privilges de la classe

    politique. Pour linstant, les rsultats

    obtenus sont mdiocres. Loffensive contre

    le train de vie des dirigeants du pays sest

    simplement traduite par la vente aux

    enchres de voitures de fonction (Alfa

    Romeo, Maserati, etc.). Largement

    couverte par les mdias, cette opration

    a remport un succs symbolique : les

    automobiles sont parties comme des

    petits pains car, si les Italiens se mfient

    des hommes de pouvoir, ils aiment

    leur ressembler...

    Quant aux rformes du systme lectoral

    et du Snat, elles constituent, selon le

    prsident du Snat, M. Pietro Grasso, un

    risque pour la dmocratie. Le juriste

    italien Gustavo Zegrebelsky nest pas seul

    estimer que la prime au parti majoritaire

    37 % des voix suffiraient pour occuper

    trois cent quarante des six cent trente siges

    de la Chambre combine laffaiblis-

    sement du rle du Snat frlerait lincons-

    titutionnalit (10).

    Sur les plans conomique et social,

    en revanche, le gouvernement sest bien

    moins agit.

    LE portrait de M. Renzi en rnova-

    teur mrite lui aussi dtre nuanc.

    Certes, lItalie est un pays notoirement

    grontocratique, o les principaux postes

    sont aux mains de sexagnaires. Daprs

    une tude publie en 2012 par luniversit

    de Calabre, lge moyen de la classe diri-

    geante y tait alors le plus lev dEurope :

    59 ans, avec des pointes 63 ans pour les

    professeurs duniversit, 64 ans pour les

    ministres et 67 ans pour les dirigeants de

    banque (7). Dans ce contexte, le profil du

    jeune loup peine quarantenaire a toutes

    les chances de sduire un lectorat lass

    par des dirigeants largement dlgitims.

    Mais le renouveau propos parM. Renzi

    a peu voir avec la gauche et son histoire.

    Le prsident du conseil est dailleurs

    totalement tranger la tradition de gauche.

    Il nest jamais pass par le PCI, ni par son

    successeur, le Parti dmocratique de la

    gauche (PDS). Fils dun homme politique

    dmocrate-chrtien de Toscane, il a

    commenc sa carrire dans une formation

    dinspiration catholique et modre, la

    Marguerite.

    Cest presque fortuitement, en 2007,

    quand le PDS et la Marguerite fusionnent

    pour donner naissance au PD, quil fait son

    entre dans la famille de la gauche italienne.

    Sa participation aux primaires dmocrates

    pour la mairie de Florence, contre le

    candidat du secrtariat national du parti,

    peut ainsi sinterprter comme une sorte

    dOPA sur une formation laquelle il sest

    toujours senti tranger et qui la longtemps

    peru comme tel. Lopration se concrtise

    en fvrier 2014 : il sempare du gouver-

    nement la faveur dun coup de force au

    sein de son parti qui lui permet de destituer

    son camarade, M. Enrico Letta. Contre-

    disant ainsi ses nombreuses dclarations

    dans lesquelles il affirmait son refus

    daccder au pouvoir sans passer par

    llection et la lgitimation populaire...

    Le renouveau tant vant ne se situe donc

    pas dans la capacit de M. Renzi tenir

    parole, mais repose presque entirement

    sur limage et la communication politique.

    Il passe par un langage direct, empreint

    de fanfaronnades, par un usage immodr

    de la tlvision et des nouveaux mdias

    en particulier Twitter , et par un got

    irrvrencieux pour la rupture du protocole

    institutionnel. Lancien publicitaire renou-

    velle ainsi la politique italienne... en

    portant des jeans.

    De ce point de vue, il est un hritier de

    M. Berlusconi, qui savait parfaitement

    manipuler les mdias pour apparatre

    comme lhomme des rves et des espoirs.

    Depuis leur premire rencontre, en 2010,

    le Cavaliere ne cache dailleurs pas

    son estime pour son jeune successeur : il

    le trouve diffrent des vieilles barbes

    de la gauche et lui reconnat une capacit

    sortir des sentiers battus , au point

    davoir voulu en faire son dauphin la

    tte de la coalition italienne de centre-

    droite (8).

    Le talent de M. Renzi rside dans sa

    facult combiner linfluence berlusco-

    nienne et les enseignements de M. Grillo

    et de son M5S (9) : les promesses se

    vendent dautant mieux quelles saccom-

    pagnent dune rhtorique antisystme.

    Ainsi, le prsident du conseil se prsente

    volontiers comme le rottamatore,

    lhomme qui envoie la casse , qui

    dfie une classe dirigeante commencer

    par celle du PD avant tout proccupe

    de ses propres intrts.

    La preuve? Son gouvernement compte

    autant de femmes que dhommes, pour

    lessentiel des personnalits sans poids

    ni exprience politiques. Sur lexigence

    du secrtaire national, chacune des listes

    prsentes par le PD aux europennes

    tait dirige par une femme, parfois

    inconnue du grand public. Cette mthode

    rappelle la manire autoritaire dont

    MICHEL HERRERIA. La Parole palliative , 2010-2011

    GALERIEEVAMEYER,PARIS

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  • (1) Michael Barbaro et Michael M. Grynbaum,

    Republicans cast de Blasio as a leading liberal foe,

    The NewYork Times, 14 mai 2014.

    (2)Cf.Nathaniel P. Morris, De Blasios tale of two

    cities hits home, TheWashington Post, 7 mars 2014.

    La formule conte de deux villes reprend le titre

    dun ouvrage de Charles Dickens.

    (3) Lire Renaud Lambert, Une lection selon

    Michael Bloomberg , Le Monde diplomatique,

    juin 2010.

    (4) Jennifer Gould Keil et Frank Rosario, De Blasio

    getting back at us by not plowing : UES residents,

    The NewYork Post, 21 janvier 2014.

    6

    PROCCUP DE LA MONTE DES INGALITS,

    Une timide brise de gauche

    Quelques jours plus tard, le procs en

    communisme prend un tour burlesque.

    New York vient dtre frappe par une

    spectaculaire tempte de neige ; les routes

    sont bloques. Les tablods se prcipitent

    la rencontre de citadins irrits par les

    problmes de dneigement dans le trs

    chic Upper East Side deManhattan. M. de

    Blasio leur tourne le dos, sinsurge une

    riveraine dans le New York Post. En

    refusant de dneiger lUpper East Side, il

    dit : Je ne suis pas lun des leurs (4).

    La phrase circule sur Internet et passe en

    boucle dans les mdias locaux et nationaux

    en particulier ceux de M. Bloomberg.

    Mais M. de Blasio reste fidle au discours

    qui a fait son succs lectoral.

    JUILLET 2014 LE MONDE diplomatique

    ainsi quune attention constante aux

    ingalits de revenus (1).

    Ds les primaires dmocrates pour la

    mairie de New York, M. de Blasio a en

    effet plac les ingalits au centre de son

    discours, rptant inlassablement que lhis-

    toire de NewYork tait devenue le conte

    de deux villes (2) : celle des ultrariches

    et celle de tous les autres. Son programme

    rsolument social lui a permis de remporter

    linvestiture de son parti en devanant

    notamment la candidate favorite des

    mdias, soutenue par le trs puissant maire

    sortant (3) , puis de battre haut la main

    (avec 72% des voix) son adversaire

    rpublicain, M. Joseph (Joe) Lhota.

    PAR ERIC ALTERMAN *

    Bien que diriges par des dmocrates, la plupart des grandes

    villes amricaines laissent la sgrgation sociale se dve-

    lopper et se durcir. A New York, le tout pour les riches

    semble toutefois connatre un coup darrt depuis llection,

    en novembre dernier, du maire Bill de Blasio. A en juger par

    la violence des rsistances qu'il affronte, pour lui le change-

    ment nest pas un vain mot.

    (1) Sbastien Pommier, Ils veulent sauver le soldat

    BNP Paribas, LExpress, Paris, 4 juin 2014.

    (2) Susan Strange, States and Markets, Pinter,

    Londres, 1988.

    (3) Richard McGregor et Aaron Stanley, Banks

    pay out $100bn in US fines,FinancialTimes,Londres,

    25 mars 2014.

    Les Etats-Unis mettent les

    EN publiant le 29 mai une infor-

    mation selon laquelle lamende inflige

    BNP Paribas pourrait slever

    10 milliards de dollars, le Wall Street

    Journal a produit un choc. La banque est

    accuse davoir, entre 2002 et 2009,

    enfreint travers sa f iliale suisse les

    embargos imposs par les Etats-Unis

    Cuba, lIran et au Soudan. Laffaire

    au lendemain du 11-Septembre que le

    pouvoir amricain face aux banques inter-

    nationales sest renforc, dans le cadre de

    la guerre financire contre le terrorisme.

    La surveillance des flux financiers est

    alors devenue plantaire. Nouvel aspect

    du privilge exorbitant dont parlait

    autrefois le gnral de Gaulle, toutes les

    transactions en dollars, mme lorsquelles

    nintervenaient pas sur le territoire des

    Etats-Unis, tombaient dsormais sous le

    coup du droit amricain. Enfin, les

    pouvoirs du Bureau de contrle des avoirs

    trangers (Office of Foreign Assets

    Control, OFAC), charg, au sein du dpar-

    tement duTrsor, de la bonne application

    des sanctions, nont cess de crotre.

    cratives , il a exig que des ttes

    tombent .

    Cest chose faite depuis queM. Georges

    Chodron de Courcel, qui prsidait le

    conseil dadministration de BNP Paribas

    Genve, ainsi que dautres dirigeant ont

    annonc leur dpart. Mais M. Lawsky a

    brandi une autre menace : celle dune

    interdiction temporaire des oprations de

    compensation en dollars des clients de

    BNP Paribas, voire le retrait pur et simple

    de leur licence.

    Laffaire illustre le grand retour des

    agences de rglementation financire. En

    mars dernier, le quotidien britannique

    Financial Times estimait que le montant

    des amendes verses aux Etats-Unis par

    les banques amricaines et trangres au

    cours des cinq dernires annes avait

    atteint 100 milliards de dollars. Pour la

    seule anne 2013, il sest lev

    52 milliards (3). Parmi les amricaines,

    JP Morgan Chase, la premire du pays,

    dtient le record, avec 13 milliards pays

    au titre de sa responsabilit dans la crise

    immobilire. Elle sera sans doute talonne

    par Bank of America, qui, engage dans

    la phase finale des ngociations avec lEtat

    illustre de manire spectaculaire lvolu-

    tion de la jurisprudence et des pratiques

    judiciaires en matire de finance inter-

    nationale. Depuis plusieurs mois, deux

    autres tablissements franais, la Socit

    gnrale et le Crdit agricole, se trouvent

    galement en dlicatesse avec les auto-

    rits amricaines.

    Avant mme cette annonce, le prsident

    Franois Hollande avait crit son

    homologue amricain pour lalerter du

    caractre disproportionn des sanctions

    envisages contre BNP Paribas. Quant

    M. Christian Noyer, gouverneur de la

    Banque de France, il a exprim son

    tonnement de voir le droit amricain

    sappliquer des transactions conformes

    aux rgles, lois, rglementations, aux

    niveaux europen et franais, ainsi quaux

    rgles dictes par les Nations unies (1).

    Peut-tre ne serait-il pas aussi surpris

    sil avait mieux observ les volutions

    politiques des dernires dcennies. Ds la

    fin des annes 1980, alors que le dbat sur

    le dclin amricain face la monte du

    Japon, en particulier faisait rage, la polito-

    logue britannique Susan Strange insistait

    sur le pouvoir structurel des Etats-Unis,

    ce pouvoir de dterminer les cadres de

    lconomie mondiale qui a permis de

    choisir et de modeler les structures au sein

    desquelles les autres pays, leurs institutions

    politiques, leurs entreprises et leurs profes-

    sionnels doivent oprer (2).

    Au cours des annes 1990, larsenal de

    sanctions mis en place durant la guerre

    froide lencontre de pays et dindividus

    ennemis des Etats-Unis sest consid-

    rablement dvelopp. Lextraterritorialit

    a franchi un pas, en 1996, avec lIran-Libya

    Sanctions Act (ILSA), qui permettait

    Washington dimposer des sanctions des

    entreprises de pays tiers en affaires avec

    lIran et la Libye. Toutefois, cest surtout

    PAR IBRAHIM WARDE *

    * Professeur associ la Fletcher School of Law and

    Diplomacy (Medford,Massachusetts).Auteur dePropa-

    gande impriale& guerre financire contre le terrorisme,

    Agone - LeMonde diplomatique,Marseille-Paris, 2007.

    * Journaliste.

    Que des ttes tombent

    Lnine, Mao, Ho Chi Minh...

    DANS son discours dinvestiture, le

    1

    er

    janvier 2014, il confirma le cap de son

    mandat : Nous avons t lus pour mettre

    fin aux ingalits conomiques et sociales

    qui menacent de dfaire la ville que nous

    aimons.ANewYork, o le pouvoir cono-

    mique est omniprsent, un tel programme

    promet une srieuse course dobstacles.

    Sitt la phrase prononce, un ditorialiste

    dumagazine en ligne Slate,MatthewYgle-

    sias, se fendit dun tweet tout en nuances :

    Pour son investiture, de Blasio monte sur

    scne en compagnie des corps embaums

    de Lnine, Mao et Ho Chi Minh.

    Pour remporter la mairie dune ville

    aussi multiculturelle, ce fils dimmigrants

    a pu compter sur ses origines familiales

    (allemandes par son pre, italiennes par

    sa mre), ainsi que sur sa situation

    conjugale : il est mari uneAfro-Amri-

    caine. Sa critique svre des fouilles

    policires injustifies (le stop-and-frisk)

    que subissent les personnes de couleur a

    sduit une partie de llectorat. Mais ce

    qui semble avoir assur sa victoire, cest

    bel et bien son message conomique,

    ciment de son programme.

    NewYork est la troisime ville la plus

    ingalitaire des Etats-Unis, qui sont eux-

    mmes lun des pays riches les plus inga-

    litaires dumonde. Dans le quartier deWall

    Street, les bonus verss aux traders

    164 530 dollars par tte en moyenne en

    2013 et les salaires dpassant les

    Aprs BNP Paribas, la Deutsche

    Bank et le Crdit agricole ? Lan-

    nonce dune sanction amricaine

    contre la banque franaise alarme

    un secteur peu accoutum aux

    remontrances.

    NEW YORK va-t-elle devenir New

    Havana (la nouvelle Havane) ? Depuis

    que le dmocrate Bill de Blasio a t lu

    la mairie de la principale ville amri-

    caine, le 5 novembre 2013, cette crainte

    tarraude le Parti rpublicain, qui a

    dsign le successeur de M. Michael

    Bloomberg comme son principal

    ennemi progressiste . Selon le NewYork

    Times, les dirigeants rpublicains

    voient dans la jeune administration de

    M. de Blasio lincarnation de leurs peurs

    devant la monte dune nouvelle

    gauche . Laquelle se caractriserait

    notamment par un ddain populiste

    envers les riches, une sympathie affiche

    envers les organisations de travailleurs

    MAIS les grandes banques interna-

    tionales ont nglig ces transformations.

    BNP Paribas, mal conseille, a par

    ailleurs multipli les maladresses. Elle a

    ignor les avertissements, comme la

    visite en 2006, son sige parisien, de

    M. Stuart Levey, lpoque sous-secr-

    taire au Trsor pour le terrorisme et le

    renseignement financier, venu mettre en

    garde ses dirigeants contre leurs relations

    avec lIran. Elle a continu faire des

    affaires avec des pays sous embargo, en

    particulier le Soudan. Au total, la justice

    amricaine a estim 30 milliards de

    dollars le montant de ces transactions illi-

    cites. La banque a tard le reconnatre,

    alors que, dans de tels cas, il est dusage

    aux Etats-Unis de courber lchine et de

    faire acte de contrition. Elle a donc t

    considre comme non cooprative .

    Les autorits amricaines auraient brandi

    le chiffre de 16 milliards de dollars

    damende (environ 10 milliards deuros),

    voire celui de 60 milliards de dollars

    (puisque les amendes peuvent atteindre

    le double du montant des transactions illi-

    cites), alors que la banque na provisionn

    que 1,1 milliard de dollars.

    Directeur du dpartement des services

    f inanciers de lEtat de New York, qui

    mne le jeu dans cette affaire, M. Benja-

    min Lawsky a fait monter les enchres.

    Se voulant le chantre de sanctions plus

  • 720millions de dollars par an, comme celui

    deM. Lloyd Blankfein, prsident-directeur

    gnral de Goldman Sachs, en 2013, ne

    suscitent aucun moi. Ladministration

    Bloomberg tait entirement dvoue au

    bien-tre et au confort de cette minorit

    dultrariches, au prtexte quils contribuent

    le plus aux recettes fiscales de la ville : 5%

    des foyers se partagent 38% des revenus

    globaux.

    Avec des appartements rgulirement

    vendus pour plusieurs dizaines demillions

    de dollars une lite mondialise, lle de

    Manhattan brille plus que jamais. Mais,

    quelques encablures de l, une partie non

    ngligeable de la classe moyenne new-

    yorkaise bascule lentement dans la pauvret.

    Entre 2008 et 2011, daprs les donnes du

    Bureau amricain du recensement, le revenu

    mdian par foyer a fondu de 6%. Fin 2011,

    la moiti des foyer de la ville gagnaient

    moins dune fois et demi le revenu dter-

    minant le seuil de pauvret ; 17% de celles

    dont un membre travaille temps plein, et

    5,2% desmnages dont les deuxmembres

    occupent un emploi, vivent en dessous de

    ce seuil. Au mme moment, les loyers ont

    explos. Entre 2005 et 2012, ajust

    linflation, le loyer mdian a augment de

    11%, alors que le revenu des locataires ne

    croissait que de 2%. Selon le centre Furman,

    plus de lamoiti des locataires deNewYork

    dpensent aumoins un tiers de leur revenu

    pour leur logement (5).

    La mesure-phare de la campagne de

    M. de Blasio, combattue par tous ses

    rivaux, est la cration dun fonds spcial

    pour lducation universelle ds le plus

    jeune ge, financ par une taxe de 0,05%

    sur les revenus dpassant 500000 dollars.

    La proposition revt surtout un caractre

    symbolique : le maire de New York ne

    peut dcider seul dune telle ponction

    fiscale. Il doit obtenir