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LE MESSAGE DU P. TEILHARD DE CHARDIN Toute œuvre qui, au moment qu'elle paraît, connaît un grand succès a, indépendamment de sa valeur propre, une valeur de message. La postérité dira sa valeur propre ; les contemporains sont sensibles au message. On lit toujours le Génie du Christianisme et on y découvre encore des beautés, mais l'accueil extraordinaire que lui firent les Français de l'époque impériale s'explique par le besoin qu'ils avaient de retrouver l'émotion chrétienne dont les avaient sevrés le ratio- nalisme du x vni e siècle et la fureur anticléricale de la Révolution. Ce que Chateaubriand fut pour son temps, ce que, sur un autre plan, Bergson fut pour le sien, Pierre Teilhard de Chardin l'est pour le nôtre — sur un plan encore différent. Le premier eut accès à la société des esprits par la littérature, le second par la philosophie, le dernier par la science ; mais dans les trois cas il y a « message », c'est-à-dire réponse à un besoin, réponse à une attente. L'œuvre est sur la longueur d'onde exacte qui atteint la sensibilité du moment. Laissant ici de côté l'œuvre elle-même, nous voudrions tenter d'analyser le message, c'est-à-dire, en fin de compte, d'expliquer les raisons de la prodigieuse audience que trouve auprès d'un public très divers et qui va croissant le Père Teilhard de Chardin. Nous examinerons successivement les raisons de son audience générale. Puis nous examinerons les raisons de cette audience, d'une part dans les milieux catholiques, d'autre part dans les milieux incroyants. Nous nous interrogerons, pour terminer, sur la valeur du message

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LE MESSAGE DU P. TEILHARD DE CHARDIN

Toute œuvre qui, au moment qu'elle paraît, connaît un grand succès a, indépendamment de sa valeur propre, une valeur de message. La postérité dira sa valeur propre ; les contemporains sont sensibles au message.

On lit toujours le Génie du Christianisme et on y découvre encore des beautés, mais l'accueil extraordinaire que lui firent les Français de l'époque impériale s'explique par le besoin qu'ils avaient de retrouver l'émotion chrétienne dont les avaient sevrés le ratio­nalisme du x v n i e siècle et la fureur anticléricale de la Révolution.

Ce que Chateaubriand fut pour son temps, ce que, sur un autre plan, Bergson fut pour le sien, Pierre Teilhard de Chardin l'est pour le nôtre — sur un plan encore différent. Le premier eut accès à la société des esprits par la littérature, le second par la philosophie, le dernier par la science ; mais dans les trois cas i l y a « message », c'est-à-dire réponse à un besoin, réponse à une attente. L'œuvre est sur la longueur d'onde exacte qui atteint la sensibilité du moment.

Laissant ici de côté l'œuvre elle-même, nous voudrions tenter d'analyser le message, c'est-à-dire, en fin de compte, d'expliquer les raisons de la prodigieuse audience que trouve auprès d'un public très divers et qui va croissant le Père Teilhard de Chardin.

Nous examinerons successivement les raisons de son audience générale. Puis nous examinerons les raisons de cette audience, d'une part dans les milieux catholiques, d'autre part dans les milieux incroyants. Nous nous interrogerons, pour terminer, sur la valeur du message

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* *

Né le 1 e r mai 1881 à Sarcenat, près de Clermont-Ferrand, mort le 10 avril 1955, le jour de Pâques, à New York, Pierre Teilhard de Chardin fut ordonné prêtre le 24 août 1911 et prononça ses vœux solennels dans la Compagnie de Jésus le 26 mai 1918.

Toute sa vie fut celle d'un prêtre-savant. Attiré très tôt par la paléontologie, il soutint, le 22 mars 1922,

une thèse sur « les mammifères de I'Eocène inférieur français et leurs gisements », qui obtint la mention très honorable. On ne compte pas, par la suite, les mémoires qu'il publia sur la géologie et la paléontologie, concernant notamment la Chine où i l fit des séjours prolongés. On lui doit — ou du moins à l'équipe dont i l faisait partie — la découverte, en 1929, du Sinanthropus. (1)

U n savant, donc. Et ce caractère explique en premier lieu son audience.

L a science domine le monde moderne. Sa primauté n'est pas d'orgueil ; elle est de fait. Un petit nombre d'hommes mettent l'univers en équation, créent des astres nouveaux, domestiquent l'atome pour le meilleur ou pour le pire. Que vont-ils faire de notre planète ?

L'inquiétude contemporaine naît de la puissance du savant. Le savant seul peut la dissiper. Le P. Teilhard de Chardin s'y emploie. Il n'est ni physicien, ni chimiste, ni biologiste. Mais aucune science particulière n'a qualité pour répondre au problème que pose la Science. Le nécessaire et le suffisant, c'est d'être homme de science. Teilhard l'est. Peu importe sa spécialité. L'important est que son témoignage soit celui d'un savant. Il apporte le sien, en élargissant démesurément sa « vision du passé » (c'est le titre d'un de ses livres), et en la renversant pour en faire une vision de l'avenir. Le paléon­tologue devient anthropologue ; l'antropologue se fait prophète. Il dit le futur.

Mais i l ne dit pas le futur en devin. Il le dit en savant. Simple hypothèse scientifique, bien sûr, mais à laquelle sa persévérance, sa conviction, son enthousiasme donnent les vertus d'une proba-

(1) Nous empruntons ces précisions au livre de Pierre Cuënot : Pierre Teilhard. de Chardin (Pion, 1958). M. Cuénot a, pour Teilhard de Chardin, une admiration et une vénération qu'on peut ne pas partager. Mais son livre, d'une probité intellectuelle rigoureuse, est actuellement la somme la plus complète sur la vie et l'œuvre du Père.

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bilité que cautionne sa carrière de chercheur. A qui consulte le catalogue de tant et tant de rapports et d'études, qu'accueillent les plus savantes revues d'Europe et d'Amérique, vient naturellement à l'esprit l'idée que celui qui a fait la preuve, reconnue par ses pairs, de ses qualités, voire de son génie, dans l'exploration du passé a quelque chance de les conserver dans l'exploration de l'avenir.

Très vite Teilhard s'est placé à une hauteur de vues qui sup­prime les possibilités de contestation de détail. L'Homme et le Cosmos sont les deux pôles d'une réflexion synthétique fondée sur l'évolution — sur la « Sainte Evolution », comme i l aime à dire. Toutes les sciences particulières, y compris les sciences politique, économique et sociale, sont rassemblées dans une coopération qui dessine un Futur où finalement l'Humanité triomphe, non par une absolue nécessité, car notre liberté peut faire échec à ce succès, mais par une convergence de lignes de forces qui est certaine et à laquelle i l nous suffit en quelque sorte de donner notre accord et notre concours pour qu'elle se réalise. Foi dans l'Evolution, foi dans une Matière qui devient de plus en plus Esprit, foi dans le Monde, foi dans l'Homme — voilà ce que propose le P. Teilhard de Chardin dans toute son œuvre et dans toute sa vie. Mais, répé­tons-le, ce n'est pas la proposition d'un prédicateur, c'est celle d'un homme de science qui, inlassablement, dit à ses interlocuteurs : « Voici ce que la Science nous révèle, voici ce qu'elle nous enseigne. Il suffit de lire correctement l'Evolution pour en tirer les conclusions qu'elle impose ». C'était déjà le procédé, ou plutôt la conviction de Marx, qui annonçait la fin du capitalisme, la société sans classe, le dépérissement de l'Etat et finalement l'âge d'or, non pas pour exprimer son vœu et son espoir, mais parce que le socialisme scientifique démontrait irréfutablement ce processus encourageant. L'homme a toujours eu besoin de prophètes, mais i l ne les accepte aujourd'hui que s'ils se nient eux-mêmes comme prophètes. Ils ne prédisent plus ; ils disent. Ils disent ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera. Ils le disent en hommes de science, non en hommes de foi — même s'ils prononcent ce mot (comme fait constamment Teilhard) ; mais c'est alors la foi qui est devenue scientifique. Telle est la loi moderne. Fontanes, à propos du Génie du Christianisme, disait que, désormais, i l faut défendre la religion « avec des raisons tirées des passions mêmes, et avec tous les enchantements des Beaux-Arts ». Les raisons tirées des passions subsistent, ignorées ou niées, mais c'est avec les enchantements de la Science que le prophète se fait

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entendre de nos jours. Ce n'est plus la cathédrale gothique, c'est le cyclotron qui touche l'âme avide d'émotions. (1)

Le P. Teilhard de Chardin parle aux hommes de son temps le seul langage qu'ils comprennent. Il leur annonce la seule Parousie que leur imagination peut concevoir. Il les assure que la route sur laquelle ils sont condamnés d'avancer est la bonne. Il leur rend compte des maux passagers qui les troublent et leur montre l'Unité à laquelle tend invinciblement la dispersion douloureuse des dis­ciplines et des esprits. Bref i l apaise leur anxiété latente devant les démons que leur pouvoir déchaîne ; i l leur explique que la muta­tion qu'ils vivent n'est qu'un moment de la lente et bienveillante Evolution. Il les confirme dans leur credo faustien. « Il me semble évident, écrit-il, que le moment est venu où l'humanité va se par­tager (ou va avoir à opter) sur la foi ou la non-foi à un progrès collectif spirituel de la Terre... Voilà pourquoi je me sens puissam­ment décidé à me poser, par tous les moyens possibles, en défenseur de l'idée et de la réalité d'un Progrès (collectif et personnalisant) contre tous les pessimismes laïcs et religieux » (Nouvelles lettres de voyage, pp. 60-61).

Et voilà pourquoi son audience est générale. Il est l'homme qui croit au Progrès, et qui y croit parce que l'Evolution le prouve et en annonce le succès final. •

Les milieux catholiques reçoivent avec joie ce message, mais pour des raisons qui les concernent plus particulièrement.

Quand nous disons « les milieux catholiques », nous n'entendons pas la totalité des fidèles. Outre que le P. Teilhard de Chardin demeure encore ignoré du plus grand nombre, l'opposition à son oeuvre, parmi ceux qui l'ont lue, est importante. Mais la minorité

(1) On connaît la méditation fameuse du P. Teilhard sur le cyclotron de l'université de Berkeley qu'il visite le 23 juillet 1952 : «. . . à mesure que je pénétrais ainsi plus avant à l'intérieur du monstre, c'est, comme par une sorte de graduel changement de plan, un autre groupe d'images qui s'est peu à peu substitué mentalement à la figure de l'accélérateur atomique que j'avais sous les yeux... Je ne pouvais m'empêcher de sentir et de percevoir, au-delà et autour de ce tourbillon électro-magnétique, l'afflux concentrique d'un autre et non moins formidable rayonnement : celui de l'Humain aspiré sur moi en trombe des quatre coins de l'espace... 1

« Devant mes yeux distraits le cyclotron de Berkeley avait définitivement disparu. Et à sa place, pour mon imagination, c'était la Noosphère tout entière, qui, tordue sur soi par le souffle de la Recherche, ne formait plus qu'un seul et énorme cyclone, dont l'effet propre était de produire, en place et lieu d'Energie nucléaire, de l'Energie psychique à un état de plus en plus réfléchi, c'est-à-dire, identiquement, de l'Ultra-humain.

« Or, fait remarquable, mis en présence de cette réalité colossale, qui eût dù me donner le vertige, je n'éprouvais au contraire que du calme et de la joie, un calme et une joie de fond... • (Cité par Cuénot, op. cit. pp. 417-419).

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qui i'admire est enthousiaste, pour ne pas dire, en certains cas, fanatique. Cette minorité peut être classée en deux groupes : d'une part, ceux que nous appellerons globalement les clercs (prêtres, séminaristes, intellectuels) et, d'autre part, ceux que nous appel­lerons les scientifiques (savants, industriels, ingénieurs). Les rai­sons de leur admiration ne sont pas tout à fait les mêmes.

Pour les clercs, i l y a d'abord le sentiment d'une immense libé­ration. -Depuis la Réforme, l'intelligence catholique a l'impression de recevoir un enseignement théologique, philosophique, et moral qui l'enferme dans une prison ou du moins la met à la traîne, avec cinquante ans de retard, de toutes les idées qui secouent et renou­vellent la société moderne. La notion d'évolution est, à cet égard, caractéristique. Avec quelle prudence, avec quelle lenteur l'Eglise l'a admise ! Le jeune clerc arrive à penser que puisque tout ce qui est condamné comme erreur aujourd'hui sera proclamé demain comme vérité, autant se placer tout de suite du côté de la vérité de demain. Et comme i l appert, assez curieusement, que c'est la Gauche, parti du « mouvement », qui préfigure l'avenir, en face de la Droite qui conserve le passé, les « idées de gauche » finissent par symboliser à ses yeux la vérité en marche. Le seul mot de Pro­grès — qui postule l'Evolution — résume assez bien ces idées.

On imagine, dans ces conditions, le retentissement que peut avoir dans de jeunes cervelles catholiques une œuvre qui, bien loin d'accepter les idées d'Evolution et de Progrès, les revendique et les proclame comme la substance même de la vérité chrétienne. Ce n'est pas un nouvel évangile que leur apporte le P. Teilhard de Chardin, mais, Y Evangile retrouvé — sous la double caution de Saint-Paul, annonciateur du Christ cosmique, et de Saint-Jean, chantre du Dieu-Amour. Fini le divorce entre la Science et la Foi, entre la Matière et l'Esprit, entre le Profane et le Sacré, entre le Monde et le Corps mystique ! Tout cela ne fait qu'un. Tout cela roule et « converge » dans la Sainte Evolution jusqu'à la « récapitulation » finale dans le Christ enfin achevé, en ce point d'éclatement et d'embrasement qu'est le « Point Oméga », Foyer personnel et trans­cendant de l'Amour divin.

En termes à la mode, on pourrait dire que le P. Teilhard dyna­mise un christianisme cristallisé dans le statisme de deux millé­naires d'élaboration conceptuelle. « Teilhard, écrit Pierre Cuénot, c'est le catholicisme traditionnel plus l'évolution,... c'est Saint-Paul après Lamârck, Darwin et Karl Marx, c'est simplement un effort LA R E V U E N » 9 2

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heureux pour récupérer la substance même de la pensée moderne, pour replacer le christianisme à la flèche du progrès » (Op. cit., p. 330). N'en doutons pas, c'est bien dans cette perspective que les clercs reçoivent son message.

Mais ils y voient aussi l'Incarnation, telle qu'ils la conçoivent pour la prolonger dans leur vocation et en faire une incarnation personnelle, un engagement absolu dans le terrestre. A cet égard, l'aventure du prêtre-savant que fut Teilhard de Chardin est ana­logue à celle du prêtre-ouvrier. De même que celui-ci veut s'en­fouir dans la masse humaine, celui-là pénètre au cœur de la Matière, de la Science et du Monde. Teilhard fut d'ailleurs « chaudement partisan du prêtre-ouvrier » (Cuénot, op. cit., p. 277). Dès la pre­mière guerre, il regrettait d'être simplement brancardier et aumô­nier. Il écrivait à sa cousine en 1917 : « Je t'assure que j'aimerais cent fois mieux lancer des grenades ou servir une mitrailleuse que d'être ainsi en surnombre. Ce n'est peut-être pas très orthodoxe, ce que je vais te dire, — et pourtant je crois qu'il y a là une âme de vérité : il me semble que je serais plus prêtre ainsi. Le prêtre n'est-il pas celui qui doit porter intégralement le poids de la vie, et montrer en soi comment peuvent s'allier le travail humain et l'amour de Dieu ? » (Genèse d'une pensée, p. 237-38).

Prêtre-soldat, prêtre-savant, prêtre-ouvrier, l'engagement peut être différent, mais i l doit être total. Ne pas assister les autres dans leur vie, mais partager leur vie. Le jeune prêtre d'aujourd'hui vibre profondément à cette idée.

Enfin Teilhard offre aux clercs la chance d'un dépassement du marxisme. Il en a conscience. « ... le seul moyen, écrit-il, de vaincre le Communisme est de présenter le Christ tel qu'il doit être : non pas opium (ou dérivatif) mais Moteur essentiel d'une Hominisation qui ne peut s'achever énergétiquement que dans un monde ouvert au sommet et « amorisé »... — « ce qui fait la force contagieuse du marxisme, c'est la monopolisation (illégitime) par lui du Sens de VEvolutif (sens humain de l'Espèce)... » — « Comme j'aime à dire, la synthèse du « Dieu » (chrétien) de l'en-haut et du « Dieu » (mar­xiste) de l'en-avant, voilà le seul Dieu que nous puissions désormais adorer « en esprit et en vérité » (Lettres diverses de 1952 et 1954 citées par Cuénot, op. cit., pp. 448-449).

Si l'on réfléchit à quel point le christianisme français est, cons­ciemment ou inconsciemment, imprégné de marxisme, on conçoit la résonance que peut avoir la pensée de Teilhard sur des esprits

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que Marx investit de toutes parts. E n voulant construire « un évolutionnisme spiritualiste plus probable et plus séduisant que l'évolutionnisme matérialiste » (La vision du passé, p. 220), Tei-lhard libère-t-il les clercs du marxisme, ou les y conduit-il ? C'est une question qu'on peut se poser, mais la réponse ne trouve pas sa place ici. Nous expliquons seulement les raisons de son audience dans certains milieux catholiques.

Ceux que nous appelons les « scientifiques » sont sensibles à tous ces aspects du message de Teilhard, mais ils sont aussi, et plus particulièrement, touchés par quelques thèmes qui les concernent directement.

Le premier de ces thèmes (qui résume tous les autres) est celui de la « recherche ».

Qu'il soit savant, chef d'entreprise ou ingénieur, qu'il travaille en laboratoire, dans un bureau ou à l'atelier, le « scientifique » est d'abord, et est de plus en plus, l'homme de la recherche. Or le P. Teilhard de Chardin lui annonce que la Recherche est une « fonc­tion vitale et sacrée — la source de toute vie supérieure, humaine et mystique » (Lettre du 13 juillet 1924, dans Cuénot, p. 78), que, dans le « graduel éveil de conscience qu'est le monde », elle est précisément « la frange de cette conscience universelle » (lettre du 10 décembre 1933, id. p. 269), que « le vrai nom de l'adoration... est « la Recherche » (lettre du 25 avril 1931, id. p. 167).

Ainsi, dans le vieux débat sur l'action et la contemplation, le scientifique ne voit pas seulement la réhabilitation de sa carrière active, il la sent promue à un caractère sacré d'ordre contemplatif. Ce n'est pas sa vanité qui est satisfaite, c'est sa vie entière qui prend une signification religieuse. L'unité de la science et de la foi n'est plus seulement objective ; elle devient subjective. Il n'a pas à compenser par la prière ou les « bonnes œuvres » une activité pro­fane extérieure au royaume de Dieu, il est dans le royaume de Dieu et collabore à son achèvement.

M. Jacques Perret, devenu plus tard professeur à la Sorbonne, raconte qu'en 1925 le P. Teilhard prêcha une retraite sur le Milieu divin. « ... l'effet sur nous tous, écrit-il, fut énorme ; nous trouvions là un type de pensée religieuse qui convenait tout particulièrement à des chrétiens qui auraient professionnellement à vivre dans le monde, et à y travailler. Loin d'être une province périphérique de l'activité chrétienne, loin d'avoir à se justifier comme une conces-

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sion accordée par l'Eglise à notre faiblesse, l'activité sur le plan humain, l'œuvre du monde nous était présentée comme l'actuali­sation la plus directe, le prolongement des volontés les plus cen­trales de Dieu sur le monde. Le rapport de tout ceci avec la vie intérieure la plus exigeante, avec l'amour le plus personnel porté à Jésus-Christ, a été pour plusieurs de nous, pour moi, une révélation définitive » (Dans Cuénot, p. 83).

Cette confession de Jacques Perret, beaucoup la signeraient chez les scientifiques (et ailleurs). Mais le P. Teilhard de Chardin, en réintroduisant la religion au cœur même de l'activité laborieuse (notamment sous la forme de la « Recherche »), et en faisant de la transformation du monde une contemplation (pour reprendre les termes de Marx), réintroduit du même coup le chrétien dans la communion humaine. « ... quand un catholique, fait-il dire à un adversaire supposé, travaille avec nous, nous avons toujours l'im­pression qu'il le fait sans sincérité, par condescendance. Il paraît s'intéresser. Mais au fond, de par sa religion, i l ne croit pas à l'effort humain. Son cœur n'est plus avec nous. Le Christianisme fait des déserteurs et des faux frères : voilà ce que nous ne pouvons pas lui pardonner ». Cette objection, dit Teilhard, « mortelle si elle était vraie, nous l'avons placée dans la bouche d'un incrédule. Mais ne retentit-elle pas ici ou là, dans les âmes les plus fidèles ? A quel chrétien n'est-il pas arrivé, en sentant l'espèce d'isolant ou de glace qui le séparait de ses compagnons incroyants, de se demander avec inquiétude s'il ne faisait pas fausse route, s'il n'avait pas effec­tivement perdu le fil du grand courant humain ? » (Le Milieu divin, pp. 59-60).

C'est à cette objection intime que répond Teilhard, c'est ce « complexe » dont i l libère son lecteur. C'est le message qu'on reçoit de lui.

* *

Mais quel message peuvent recevoir les milieux incroyants ? A certains égards, le même. Nous voulons dire qu'incroyants et

croyants sont également sensibles à l'éruption de la matière qui se manifeste aujourd'hui et que leur inquiétude est bien souvent identique quant à la fin de l'aventure où notre univers est engagé. Les uns et les autres s'interrogent sur le sens spirituel de cette aventure. Aux uns et aux autres Teilhard de Chardin apporte une

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réponse qui peut se nommer indifféremment le Christ, Dieu ou l'Homme.

Tel incroyant pourra trouver dans Teilhard une introduction au christianisme ; tel autre une confirmation de son humanisme. Il voit, de toute manière, en lui un « interlocuteur valable » et lui est reconnaissant de rendre possible un dialogue qui se poursuit dans une langue commune. Certains matérialistes convaincus peuvent même penser que l'œuvre du savant jésuite se retourne finalement contre la religion et qu'ils n'ont, en conséquence, aucune raison de bouder au plaisir qu'ils y prennent.

Sur le message du P. Teilhard de Chardin, c'est-à-dire sur les raisons d'actualité qui favorisent le succès de son œuvre, admira­teurs et adversaires peuvent tomber d'accord. Mais sur la valeur de ce message les divergences s'accusent aussitôt. Examiner la valeur du message, ce n'est pas juger Vœuvre elle-même, mais c'est du moins chercher à savoir de quel poids le présent pèsera sur l'ave­nir dans l'interaction de l'œuvre et de son public. Le retentisse­ment du message de Teilhard nous assure dès maintenant qu'il y aura un teilhardisme. Quel sera le teilhardisme ? Y aura-t-il des teilhardismes divers, ou successifs ? Les querelles qui s'élèvent autour de tous les « ismes » — par exemple, le malthusiasnisme par rapport à Malthus, le marxisme par rapport à Marx — nous per­mettent de poser dès maintenant la question.

Cette question revient fondamentalement à savoir si le teilhar­disme sera catholique ou non, c'est-à-dire si, dans Teilhard, c'est ce qui est catholique qui l'emportera — ou le reste. Teilhard arra-che-t-il simplement quelques croûtes qui masquaient le vrai visage du catholicisme à certains ? Aide-t-il à la croissance et à l'épanouis­sement du catholicisme par la découverte d'un trésor d'images et de pensées qu'il apporte en don magnifique au trésor accumulé de la théologie et de la philosophie traditionnelle ? Fonde-t-il une religion nouvelle, un christianisme personnel qui se révélerait inassimilable au dogme ? L'avenir tranchera.

De son vivant, le Père ne connut que l'accueil le plus réservé de la part des autorités religieuses. On peut dire, sans exagérer, qu'une condamnation virtuelle planait sur toute son œuvre. Seule personnalité notable, Mgr Bruno de Solages le soutenait vigoureu-

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sèment. Aujourd'hui, la tendance semble se renverser. A u congrès de « Pax Romana », dans la dernière semaine de juillet 1961, le cardinal Kœnig, archevêque de Vienne, consacra tout un passage de son discours à la nécessité d'arriver « à un accord entre la concep-

. tion scientifique du monde, de l'homme et de la religion ». Il souli­gna particulièrement la tentative du P. Teilhard de Chardin. Quelque temps plus tard, le 8 novembre, le cardinal Feltin, ouvrant la « Semaine des intellectuels catholiques », déclarait : « Dans le milieu intellectuel d'aujourd'hui, i l me semble très significatif de constater l'attrait qu'exerce sur beaucoup d'esprits tout effort de vision synthétique des choses. On sait ce que signifie, à cet égard, pour beaucoup, l'œuvre du P. Teilhard de Chardin : sans doute plusieurs de ses affirmations sont contestables, sans doute ses conclusions ne satisfont pleinement ni le savant, ni le philosophe, ni le théologien, mais ce qui séduit dans ses travaux, c'est le projet merveilleux de tenter une vision globale de l'univers où matière et esprit, corps et âme, nature et surnaturel, science et foi, trouvent leur unité dans le Christ. » Beaucoup de nuances, on le voit, mais tout. le contraire d'une condamnation. Enfin i l faut mentionner l'important article du P. Daniélou dans le numéro de février d'Etudes : « Signification de Teilhard de Chardin ». Certes i l ne s'agit là que d'un point de vue personnel. Mais l'autorité exceptionnelle de l'auteur, son rayonnement dans les milieux intellectuels et le fait que les Jésuites publient son article en tête de leur revue la plus largement diffusée constituent une véritable prise de position. Or le P. Daniélou donne, comme on dit, le « feu vert » à Teilhard de Chardin. Il note bien que son œuvre présente « des problèmes qui devront être progressivement élucidés », qu'elle comporte « de sérieuses lacunes », que, du fait d'un langage non dépourvu de « dangereuses ambiguïtés », elle « peut troubler des chrétiens dans leur foi et n'attirer des non-chrétiens qu'à un vague christisme », mais i l constate sa « fécondité » et qu'elle « paraît aller dans le sens des plus grandes chances du monde de demain ». C'est pourquoi, en une quinzaine de pages très denses, i l en présente l'exégèse la plus favorable. Les dernières lignes valent d'être citées, car elles résument parfaitement l'essentiel de sa pensée, en même temps qu'elles explicitent, semble-t-il, le sentiment encore confus qui anime beaucoup d'évêques et de théologiens français.

La valeur du message de Teilhard, écrit le P. Daniélou, c'est qu'il est intégral. « Il rassemble la triple dimension biblique de

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l'homme : la maîtrise du cosmos par la technique, la communauté des personnes par l'amour, l'ouverture à Dieu par l'adoration : technique, amour, adoration sont les trois dimensions de l'univers. Si l'une manque, l'univers est plat. E t le message d'espérance que Teilhard nous donne est que ces trois dimensions, loin de s'opposer l'une à l'autre, convergent, conspirent ensemble en sorte que nous ayons le droit d'attendre, de l'accroissement de la technique et de l'unité, un accroissement de l'adoration. C'est un superbe défi ! Mais i l est magnifique qu'il soit lancé. »

En somme, l'Eglise de France prend un pari sur le P. Teilhard de Chardin — dans la pleine connaissance des risques courus. Ces risques sont gros. Les énumérer serait analyser l'œuvre elle-même, ce qui n'est pas l'objet de cet article. Disons, pour faire court, qu'on peut se demander si la pensée de Teilhard n'aboutit pas, dans la logique interne de son développement, à évacuer la subs­tance même du christianisme. Certes i l y a la caution de sa vie personnelle, vie d'une dignité parfaite dans la profession la plus sincère et la plus constante du credo catholique ; mais son système, au fur et à mesure qu'il prend consistance, s'éloigne de toute phi­losophie quelle qu'elle soit qui pourrait s'adapter au catholicisme. Le seul point certain de sa pensée qui le rattache (philosophique­ment)» au christianisme, c'est sa conception d'un Dieu personnel, dont l'affirmation, essentielle chez lui, permet de sauver une trans­cendance à l'abri de laquelle on peut considérer comme de simples audaces mille cheminements qui composent l'itinéraire le plus moniste qu'on puisse rêver. Au fond, le « péché « capital de Tei­lhard, celui d'où procèdent tous les autres, c'est le concordisme, non pas le concordisme contingent des apologétiques traditionnelles (qui existe chez lui, mais qui n'a pas plus d'importance que chez les autres) mais le concordisme absolu de la Science et du Chris­tianisme. Quand M . Cuénot écrit que les trois « composantes de la pensée teilhardienne », le Cosmique, l'Humain et le Christique, « sont pour ainsi dire réductibles l'une à l'autre, ou déductibles l'une de l'autre » (op. cit., p. 457), i l marque bien cette identité qui n'est plus que confusion.

Une formule célèbre de Saint Ignace de Loyola à la fois claire et mystérieuse dit : Sic Deo fide, quasi rerum successus omnis a te, nihil a Deo penderet; ita tamen Us operam omnem admove, quasi tu nihil, Deus omnia soins sit facturus — Fie-toi à Dieu, comme si le succès des choses dépendait de toi seul et nullement de Dieu ;

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pourtant donne tes soins aux choses comme si ce n'était pas toi mais Dieu seul qui devait tout faire —. Ce renversement des rapports logiques autour d'une intuition centrale simple tend à exprimer dans toute sa violence la tension de la condition humaine dans sa relation à Dieu. De la grâce à la nature, de la foi aux oeuvres, de la nécessité à la liberté, les chemins de l'unité sont multiples. Ignace de Loyola pose cette unité dans l'écartèlement crucial qui donnera à l'action des jésuites — nul ne l'ignore ! — la figure la plus hu­maine qui soit. Il semble que Teilhard de Chardin, par une transpo­sition qui ne fut peut-être pas inconsciente, ait étendu à la pensée la sentence ignatienne. On se rappelle l'avertissement qu'il met en tête du Phénomène Humain : « Pour être correctement compris, le livre que je présente ici demande à être lu, non pas comme un ouvrage métaphysique, encore moins comme une sorte d'essai théologique, mais uniquement et exclusivement comme un mémoire scientifique. Le choix même du titre l'indique. Rien que le Phéno­mène. Mais aussi tout le Phénomène » (p. 21). Or s'il est vrai, comme le dit un philosophe, que la Physique est ce qui remet per­pétuellement en cause la Métaphysique, elle ne la remet pas en cause dans sa nature, mais dans ses formules et sa structure. Elle ne la rejoint pas, ni ne se confond avec elle. Dans les domaines les plus « nourris » par la science, i l y aura toujours un angle de vue philosophique différent du scientifique. Par exemple, l'Evolution, qui n'appartient qu'à la science pour ce qui est de l'observation, peut donner lieu à des hypothèses scientifiques qui constituent déjà une approche philosophique ; l'interprétation générale des faits et celle des hypothèses qui la concernent sont d'ordre strictement phi­losophique. Bien entendu le savant peut être lui-même philosophe, et réciproquement. Mais la Science a son domaine propre, qui n'est pas celui de la philosophie, encore moins celui de la théologie. La Science ne peut imposer ni un « pan-psychisme », ni à plus forte raison un « pan-christisme ». L a continuité phénoménologique qu'on voudrait établir de bas en haut, même à partir d'une intuition ou d'une révélation d'en haut, aboutit moins à l'Unité qu'à son explo­sion, par la confusion de toutes les choses, de tous les genres et de tous les ordres. Un « panisme » universel, si on peut s'expri­mer ainsi, dissout tout ce qu'il touche, et d'abord l'Etre, tant au plan philosophique qu'au plan théologique.

Cet aspect de la pensée de Teilhard — qui est, à dire vrai, l'essence même de sa pensée, — cet « unitarisme » intrépide à partir

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du « phénomène » n'aurait peut-être pas une importance extrême, tant i l résiste mal à la réflexion, s'il n'était autre chose que le sup­port d'une véritable prophétisme. Que resterait-il d'un Marx qui n'eût été prophète ? Pense-t-on que tant d'agrégés de philosophie et de mathématiques scruteraient encore les théories.de la plus-value, de la paupérisation et des crises si le Manifeste ne soutenait toujours le Capital ? Et la dialectique de l'Histoire ou de la Matière aurait-elle détrôné celle de la Pensée si elle 'n'avait annoncé le bonheur de la société sans classes et le paradis terrestre ? Teilhard est d'abord, et avant tout, prophète. Nous l'avons déjà dit, mais il faut le redire pour chercher à savoir ce que deviendra son message. Le passé ne l'intéresse que parce qu'il lui révèle l'avenir. C'est une « vision » qui le porte,et le mot revient constamment sous sa plume. Cette vision l'envahit au point qu'il se considère chargé d'une véri­table mission. «... plus les années passent, écrit-il en 1940, plus je commence à croire que ma fonction aura simplement été d'être, à l'image bien réduite du Baptiste, celui qui annonçait et appelait ce qui devait venir » (lettre du 13 avril 1940, dans Cuénot, p. 301). Cette conviction intime est si profonde qu'elle explique, croyons-nous, son attachement sincère au catholicisme et à la Compagnie de Jésus. « Je croirais trahir le « Monde » en m'évadant de la place qui m'a été assignée,... l'idée même d'une démarche pour quitter l'Ordre ne m'a jamais traversé l'esprit » (lettre du 15 juillet 1929, dans Cuénot, p. 149). L'Eglise lui apparaît comme « phyilétquement essentielle à l'achèvement de l'Humain » (lettre du 16 août 1951, dans Cuénot, p. 446). Rome même, d'où lui viennent tous ses ennuis et toutes ses souffrances, l'émeut comme l'axe de l'Evolution et le moment du Devenir qu'il prophétise : « ... Je ne vois que dans la tige romaine, prise dans son intégrité, le support biologique assez vaste et assez différencié pour opérer et supporter la transforma­tion attendue » (lettre du 4 octobre 1950, dans Cuénot, p. 331). Bref i l ne se veut pas fondateur d'une religion nouvelle, mais point de réflexion et d'action au sein du christianisme appelé à une muta­tion brusque en cet instant de l'Histoire. Le christianisme peut-il changer ? Teilhard le croit. Tout le problème, pour les théologiens, sera de savoir si les changements entrevus sont de la nature du développement du dogme, au sens où l'entendait, par exemple, un Ncwman, ou une transformation substantielle mettant en cause la Foi dont l'Eglise a le dépôt. Y a-t-il identité entre la « Révéla­tion » divine et la « révélation » du cosmos ? Y a-t-il rencontre

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nécessaire entre la « catastrophe » de l'Incarnation du Verbe et 1' « anastrophe » d'un Univers en route vers le Point Oméga ? Autant de questions qui se posent.

Teilhard de Chardin met en tête de son Milieu divin cette dédicace universelle : « Pour ceux qui aiment le monde » et il la place sous la parole de Saint-Jean, inscrite en lettres capitales : SIC DEUS D I L E X I T M U N D U M .

SIC... de quelle manière ? L'Histoire n'a-t-elle pas répondu et Saint-Jean lui-même ?

On peut en discuter jusqu'à la fin des temps.

LOUIS S A L L E R O N .