le durcissement de la déductibilité des charges financières
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Revue Master 2 OFIS Novembre 2012
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Le durcissement de la déductibilité des charges financières :
Une optimisation fiscale toujours plus difficile pour les entreprises
Matière par essence sujette aux modifications régulières, la fiscalité souffre aujourd’hui de
profonds bouleversements liés au contexte économique actuel. Les nombreuses perturbations
qu’elle subit créent un environnement particulièrement mouvant et instable, altérant
notamment les perspectives d’optimisation fiscale des entreprises. En témoignent d’une part
l’intensité de l’activité législative en 2011, avec l’adoption de – pas moins de – cinq lois de
finances, et d’autre part, le lot d’aggravations apportées à des dispositifs visant les entreprises
par le projet de loi de finances pour 2013. Les règles relatives à la limitation de la déduction des
charges financières1 offre une illustration particulièrement saisissante de ce phénomène.
Le principe en France est celui de la libre déductibilité des charges financières supportées par
les entreprises. Celles-ci sont en effet intégralement déductibles du résultat fiscal. Afin de
prévenir les abus, certaines limitations à cette liberté ont toutefois été prévues par le
législateur :
- Lorsque le taux d’intérêt est trop élevé dans le cas d’un prêt accordé par des associés ou
des entreprises liées (CGI, art. 39-1-3° et 212-I) ;
- En cas de sous-capitalisation de la société emprunteuse lorsque le prêt est accordé ou
garanti par une entreprise liée (CGI, art. 212) ;
- En cas d’entrée dans le groupe intégré auquel appartient la société acquéreuse d’une
filiale acquise auprès d’une entreprise liée (CGI, art. 223 B, dit « Amendement
Charasse ») ;
- En cas d’acquisition de titres de participation lorsque la société acquéreuse, bien que
juridiquement propriétaire des titres, n’exerce pas sur la société acquise un pouvoir de
décision ou un contrôle effectif (CGI, art. 209 IX, dit « Amendement Carrez »).
Le dernier mécanisme anti-abus, instauré en 2011, retiendra particulièrement notre attention à
l’aune de l’actualité fiscale.
1 Par déduction des charges financières, il est question de la déductibilité des intérêts d’emprunts. Il peut s’agir non seulement d’emprunts contractés pour l’acquisition d’un fonds de commerce ou d’éléments d’actifs mais également d’emprunts liés à l’acquisition de titres de participation dans des sociétés. On rappellera que pour qu’un intérêt soit déductible, la dette afférente doit avoir été contractée pour les besoins ou dans l’intérêt de l’entreprise et doit être inscrite au bilan (voir sur ce point « Droit fiscal des affaires » de Daniel Gutmann éd. Montchrestien, 2ème édition p. 294).
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D’une mesure déjà conséquente adoptée en 2011…
La loi de finances pour 2012 a mis en place un dispositif codifié à l’article 209-XI du Code général
des impôts2 altérant très largement les perspectives d’optimisation concernant les prises de
participation dans des sociétés. Ce dispositif a été grandement inspiré par l’amendement
Charasse. En effet, il exclut toute possibilité de déduction des charges financières liées à
l’acquisition de titres de participation (de sociétés françaises ou étrangères) par la société
acquéreuse si celle-ci ne démontre pas qu’elle dispose d’un pouvoir de décision ou de contrôle
effectif dans la société dont elle détient les titres. L’exclusion de la déductibilité se traduit par
une réintégration dans le résultat fiscal imposable d’une quote-part forfaitaire des frais engagés
pour ladite acquisition au titre de l’exercice concerné.
Trois situations permettent de ne pas faire application de ce dispositif :
- Lorsque la valeur des titres de participation détenus n’excède pas un million d’euros ;
- Lorsque l’acquisition des titres de participation n’est pas financée par un emprunt ;
- Lorsque la société cessionnaire des titres apporte la preuve que le ratio d'endettement
du groupe auquel elle appartient est supérieur ou égal à son propre ratio d'endettement.
Outre l’existence de ces exceptions, une clause de sauvegarde prévoit la possibilité de déduire la
totalité des frais engagés pour l’acquisition des titres de participation. Pour cela, il appartient à
la société cessionnaire de démontrer que les décisions relatives aux titres acquis sont
effectivement prises par elle ou par la société établie en France qui la contrôle ou par une société
établie en France directement contrôlée par cette dernière. Autrement dit, la société acquéreuse
doit démontrer qu’elle dispose d’un réel pouvoir de décision ou un contrôle effectif,
conformément à la notion de contrôle de l’article L.233-3 I du Code de commerce. En outre, la
société acquéreuse rapporte cette preuve si elle a le pouvoir de décision ou le contrôle est exercé
par une société appartenant au même groupe économique qu’elle, soit une société mère ou une
société sœur, à la condition que ces sociétés soient établies en France.
Le but avoué de la mesure est la lutte contre la diminution de la base taxable à l’impôt des
sociétés en France, c’est-à-dire – plus précisément – de la localisation en France de structures
d’acquisition et de leur endettement ayant pour objet de réduire l’assiette imposable. Autrement
2 CGI, art. 209-IX. 1. : « Les charges financières afférentes à l'acquisition des titres de participation mentionnés au troisième alinéa du a quinquies du I de l'article 219 sont rapportées au bénéfice de l'exercice lorsque l'entreprise n'est pas en mesure de démontrer par tous moyens, au titre de l'exercice ou des exercices couvrant une période de douze mois à compter de la date d'acquisition des titres ou, pour les titres acquis au cours d'un exercice ouvert avant le 1er janvier 2012, du premier exercice ouvert après cette date, que les décisions relatives à ces titres sont effectivement prises par elle ou par une société établie en France la contrôlant au sens du I de l'article L 233-3 du code de commerce ou par une société établie en France directement contrôlée par cette dernière au sens du même article L 233-3 et, lorsque le contrôle ou une influence est exercé sur la société dont les titres sont détenus, que ce contrôle ou cette influence est effectivement exercé par la société détenant les titres ou par une société établie en France la contrôlant au sens du I dudit article L 233-3 ou par une société établie en France directement contrôlée par cette dernière au sens de ce même article. »
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dit, sont visées les situations dans lesquelles une société étrangère (ex. Américaine) prend le
contrôle d’une autre société (ex. Tchèque) grâce à une structure d’acquisition française qui n’a
aucun pouvoir de décision mais grâce à laquelle les intérêts sont totalement déductibles. Tel a
été l’exemple formulé par M. Gilles Carrez, rapporteur général auprès de la commission des
finances lors de la présentation de son amendement.
Si le dispositif anti-abus apparait efficace pour sanctionner des schémas internationaux un peu
« trop optimisant3», il s’avère potentiellement délétère pour l’accueil des investissements en
France. En effet, les investisseurs étrangers doivent désormais contrôler la holding de reprise
par une société implantée en France. Ces derniers doivent donc songer à localiser une première
société holding en France avant de racheter la cible par le biais de cette holding. Les schémas
d’investissement et de reprise tendent à se compliquer…
En outre, la question de la compatibilité du dispositif avec la liberté de circulation des capitaux
au sein de l’Union européenne se pose parmi les professionnels. Comment justifier en effet la
différence de traitement entre des « LBO » dont le centre de décision se situe en France et ceux
dont le centre de décision se situe hors de France…
… à la limitation générale de la déduction fiscale des charges financières envisagées par le
projet de loi de finances pour 2013
Le projet de loi de finances pour 2013 prévoit une aggravation des conséquences fiscales de
dispositifs adoptés l’année dernière. La déductibilité des charges financières n’échappe pas à
cette dynamique avec l’introduction d’un mécanisme de portée générale. En effet, la limitation
de la déductibilité des charges financières ne sera plus, à compter du 31 décembre 2012,
circonscrite à des hypothèses précises4, mais s’appliquera à toutes les charges financières nettes
de la société qu’elle que soit leur origine ou destination.
Précisément, la déductibilité des charges financières serait limitée à hauteur de :
- 85 % de leur montant net pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2012 ;
- 75 % de leur montant net pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2014.
Cette limitation aurait vocation à ne s’appliquer qu’aux charges financières nettes excédant trois
millions d’euros, avec une application du dispositif (dit « rabot ») dès le premier euro à compter
du franchissement de ce seuil. Outre les difficultés créées par ce dispositif en termes
d’investissement et de montages fiscaux, il est d’ores et déjà possible de prévoir un effet de seuil
tout à fait néfaste que subiront les entreprises.
3 Des « LBO » décidés et contrôlés depuis l’étranger. 4 Voir supra (introduction) : les quatre cas de limitation de la déductibilité des charges
financières.
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Deux modalités du dispositif méritent d’être soulignées. D’une part, le plafonnement des charges
financières nettes s'effectuerait après l'application des autres mesures visant à limiter la
déduction des frais financiers. Ainsi, le montant des charges financières dont la déduction serait
plafonnée sera diminué des frais financiers non déductibles conformément aux dispositions des
articles 212 du CGI (sous-capitalisation) et 209 IX (amendement Carrez). D’autre part, concernant
les groupes intégrés, la limitation n’aurait vocation à s’appliquer qu’aux charges financières
résultant d'opérations réalisées avec des sociétés hors du groupe fiscal, solution à tout le moins
souhaitable et respectueuse du mécanisme d’intégration fiscale.
Ce frein à la déductibilité des charges financières laisse entrevoir de sérieuses difficultés pour
les entreprises notamment parce qu’elle est envisagée parallèlement à d’autres mesures
d’aggravation. Au premier chef de celle-ci figure une nouvelle diminution du plafond du report
déficitaire des entreprises. En effet, en 2011, le report en avant des déficits avait été limité dans
son montant à un million d’euros majoré de 60 % du bénéfice imposable de l’exercice excédant
cette limite (le report demeurant toutefois illimité dans le temps). Le projet de loi de finances
pour 2013 prévoit d’abaisser ce plafond à un million d’euros majoré de 50 % du bénéfice
imposable de l’exercice excédant ce montant.
Grâce à cette nouvelle mesure affectant la déductibilité des charges financières est envisagé un
gain budgétaire – non négligeable – de 4 milliards d'euros en 2013, 2,7 milliards en 2014, 4,1
milliards en 2015 puis 3,4 milliards par an à compter de 2016. Espérons simplement que le gain
espéré n’occulte pas une désaffection véritable des investisseurs étrangers pour la France…
Alison POLLET