le demi- siècle · présentation des nouveaux membres ... jan carlstrÖm lors de nos acitivités...

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le demi-siècle janv. 2006

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le demi-sièclejanv.

2006

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le demi-siècle janvier2006

sommaire

le demi-siècle

« Eloge des voleurs de feu », Dominique de Villepin« Les palmiers sauvages », William Flaulkner

« Production de Globules rouges humains et laboratoire: perspectives », Professeur Luc Douay

« La famille du troisième millénaire », Jean-Claude Roehrig

« Le Général De Gaulle ou la France éternelle », Kerstin Dahlström

Comité de lecture

sommaire

« L’association S.O.S. Amitié Ile de France », Gérard Féraudet

« Chacun peut avoir ses propres mouches », par Milan Lukác, 2003 (technique mixte) exposition : gravures et sculptures de notre ami, avec des peintures de Victor Hulík,du 9 au 22 février, à la Mairie du VIe arrondissement de Paris

« Le consensus », René Dars

couverture :

Le mot du Président 5Editorial 5

7

Contact 7

Les activités à venir 9Agenda 9

Présentation des nouveaux membres 11Bienvenue ! 11

Cracovie, au mois d’octobre 2005 13Voyage 13

« L’Ukraine et l’Europe », Nathalie Pravedna 25

Conférences 15

« Des musulmans peuvent-ils devenir français ? », Père Charles de Foucauld 45

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Documents

15« Les clés du langage du corps », Frédérique Hourtoulle Rollet 23

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« Panne de ‘Lumières’ », Albert Merlin 49

Les Cercles du Demi-Siècle

45

515152

37« L’Europe puissance », Olivier Védrine 35

Allocution de M. Karl Hofmann, Ministre de l’Ambassade des Etats-Unis d’AmériqueDîner Diplomatique 41

41

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sommaire

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le demi-siècle janvier2006

éditorial

Pierre LELONG

le mot du président

Chers jubilaires,

Rappelons-nous que le Demi-Siècle à son origine s’est fixé de maintenir et de promouvoir les traditions d’honnête homme d’autrefois.

Nous avons à intégrer le futur, donc à recruter parmi nos vrais amis : Ils seront toujours les bienvenus parmi nous.

Le développement passe aussi par la création de nouveaux cercles du Demi-Siècle à Bruxelles (Belgique) et à Vienne (Autriche), merci d’y contribuer en mobilisant vos relations et connaissances pour en créer le noyau.

Par le prolongement du Demi-Siècle à l’internationnal, nous contribuons à l’épanouissement de la culture et des valeurs de la France comme référence.

Saisissez toutes les opportunités de visiter nos cercles existants, tout comme nous les accueillons.

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éditorial

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contact

• Le Cercle de Paris

Le Cercle de Tours

Le Cercle de Nice

Le Cercle de Londres

Le Cercle de Stockholm

Présidence : Pierre LELONG - 79, avenue Raymond Poincaré - 75116 PARISTél 01.47.55.72.00 Fax 01.47.55.92.50 Portable 06.89.86.82.26 Email [email protected]

Déjeuner-conférence le 2e jeudi du mois, à midi à l’Hôtel Bedford - 17, rue de l’Arcade - 75008 PARIS

Secrétariat : Anna Maria FLORQUIN - Tél 01.47.55.72.78 Email [email protected]

Présidence : Alain BARBIER

Déjeuner le 4e vendredi du mois, à midi au Restaurant l’Univers - 5, Bd. Heurteloup - TOURS

Secrétariat : Elodie DAVONNEAU - Tél 02.47.47.20.57 Email [email protected]

Présidence : René DARS

Déjeuner le 2e mardi du mois, à midi à l’Hôtel Sofitel - 4, Esplanade du Parvis de l’Europe - NICE

Secrétariat : Ange AMADEI - Tél 04.93.84.04.46

Présidence : Christian DE JUNIAC - 23 Craven Hill - LONDON W2 3ENTél +44 (0)20.7479.2850

Présidence : Kerstin DAHLSTRÖM - Aklejavägen 4 - 14143 HUDDINGETél +46 (0)8.746.76.99 Fax +46 (0)8.689.88.10 Email [email protected]

Secrétariat : Marie-Pierre LABADIE - Email [email protected]

les cercles du demi-siècle

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contact

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agenda

les activités à venir

Cette exposition, est la première manifestation d’une suite d’échanges culturels, entre Paris et Bratislava, décidés à la suite de l’entrée de la Slovaquie dans l’Union Européenne en 2004.Organisée par notre ami Bertrand Jardel pour le Rotary Club Paris Académies, elle est placée sous le patronage du Maire du VIe arrondissement, M. Jean Pierre Le Coq, et de Son Excellence L’Ambassadeur de Slovaquie à Paris, Madame Krasnohorska. Les jubilaires du Demi-Siècle sont invités au vernissage qui aura lieu le jeudi 9 février à 18h30 à la Mairie du VIe arrondissement de Paris (demander simplement un carton d’invitation au secrétariat du Cercle Demi-Siècle de Paris)

Vernissage de l’exposition : Le peintre Viktor Hulík et le sculpteur Milan Lukác (Slovaquie) jeudi 9 février à Paris

Lieu de la conférence : à 12h00 à l’Hôtel Bedford - 17, rue Arcade - 75008 PARISConférencier : Pierre Potier, invité par Thierry Kuntz

Déjeuner conférence : Données récentes sur le rôle des micro-organismes jeudi 9 mars à Paris

Lieu de la conférence : à 12h00 à l’Hôtel Sofitel - 4, Esplanade du Parvis de l’Europe - NiceConférencier : professeur Tony TSCHAEGLE

Déjeuner conférence : Vocabulaire et économie mardi 11 avril à Nice

Lieu de la conférence : à 12h00 à l’Hôtel Sofitel - 4, Esplanade du Parvis de l’Europe - NiceConférencier : Gilbert LUCATINI

Déjeuner conférence : Musique et ordinateurs mardi 9 mai à Nice

Notre Président M. Pierre LELONG et son épouse Karin LELONG auront le plaisir d’accueillir les jubilaires du Demi-Siècle à 19h00 pour le traditionnel cocktail de la nouvelle année à leur domicile du 79, avenue Raymond Poincaré - 75016 PARIS.

Cocktail de la nouvelle année 2006

Lieu de la conférence : à 12h00 au restaurant l’Univers - 5, Bd. Heurteloup - ToursConférencier : Roland WEYTANT, expert comptable, commissaire aux comptes, membre du Demi-Siècle à Tours

mercredi 18 janvier à Paris

Déjeuner conférence : Le Patrimoine vendredi 27 janvier à Tours

Lieu de la conférence : à 12h00 au restaurant Naglo - Gustav Adolfs Torg 20Conférencier : Stig RAMEL, auteur, ancien directeur de la fondation Nobel, ancien diplomate à Paris

Déjeuner conférence : Les relations franco-suédoises au XVIIIe s. lundi 30 janvier à Stockholm

Lieu de la conférence : à 12h00 à l’Hôtel Sofitel - 4, Esplanade du Parvis de l’Europe - NiceThème : FRICERO, peintre officiel à la cour du tzar de Russie, par son petit-neveu

Déjeuner conférence : Fricero, peintre officiel à la cour du Tsar de Russie mardi 14 février à Nice

Lieu de la conférence : à 12h00 au restaurant l’Univers - 5, Bd. Heurteloup - ToursDéjeuner conférence : L’Observatoire Economique de Touraine vendredi 24 février à Tours

Lieu de la conférence : à 12h00 à l’Hôtel Sofitel - 4, Esplanade du Parvis de l’Europe - NiceConférencier : Raoul MILLE, écrivain

Déjeuner conférence : Célébrités qui ont vécu sur la Côte d’Azur mardi 14 mars à Nice

Lieu de la conférence : à 12h00 à l’Hôtel Sofitel - 4, Esplanade du Parvis de l’Europe - NiceConférencier : José MARIA

Déjeuner conférence : Projections sur le Nice d’antan mardi 13 juin à Nice

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agenda

Licenciée ès LettresFonctionnaire au Ministère des Affaires EtrangèresCollectionneuse de poupées anciennesChevalier de l’Ordre des Palmes AcadémiquesMembre de l’AMOPA et de l’Alliance Française de Stockholm

présentation des nouveaux membres

« Notre comité directeur du Cercle Demi-Siècle de Stockholm sera encore plus important dès l´année prochaine. En accord avec Pierre LELONG, j´ai demandé à Jan CARLSTRÖM de rejoindre notre comité directeur, ce qu´il a aimablement accepté. Ceux d´entre vous qui le connaissent déjà apprécient bien ses qualités. Nous aurons tous l´occasion de rencontrer et connaître Jan CARLSTRÖM lors de nos acitivités de l´année prochaine. Je lui souhaite la bienvenue, en attendant le paisir de vous recontrer tous au début de l´an 2006. »

Kerstin Dahlström (déc. 2005)

Jan CALRLSTRÖM rejoint le comité directeur du Cercle Demi-Siècle de Stockholm

Britt-Marie HALLSTRÖM - Journaliste, EcrivainStorskärsv 6, 4tr. 115029 Stockholm

admissions au Cercle de Stockholm

Ancien PDG de KraftinstitutAncien PDG de WCO, Bruxelles (World Container Organisation)Membre du CA de AIK, Stockholm (Allmänna Idrottsklubben)Chevalier de l’Ordre du Lion de la FInlande

Assistante de Direction chez L’Oréal SuèdeAssesseur de la Commission Electorale du Consulat de FranceSecrétaire de l’Association Française de l’Etranger.

Marie-Pierre LABADIE - CosmétiqueSandfjärdsg. 109, 12tr. 12056 Arsta

Ancienne conservatrice au Musée National à Stockholm, au département des Arts sur papier.

Gilberte MARTINSSON - ArtsErstag; 22, 3tr. 116023 Stockholm

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bienvenue!

Licenciée ès lettresProfesseur de lycéeDirectrice de formation professionnelle chez Lancôme (France Beauté AB).

Birgitta PRAG - EnseignementKlotmurklev. 2 181057 Lidingö

Ancien Secrétaire Général Adjoint du CCI Suède (Comité National Suédois de la Chambre de Commerce Internationale).

Ingalill NYMAN - Commerce Internationnalemail : [email protected]

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bienvenue!

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voyages

Voyagescracovie, au mois d’octobre 2005OLIVIER DE FOUCAULD

Le nom de cette ville polonaise résonne longuement dans mon inconscient comme le miroir d’images d’un autre temps; du temps ou les bruits de bottes nazis asservissaient l’Europe. La réponse à cette interrogation tient peut-être à ses 70.000 habitants juifs engloutis, rayés de la vie à cause des idées barbares qui n’avaient d’égal que la folie cruelle et gratuite de leurs auteurs.

C’est ce ressentiment que je garde de notre visite du quartier Kazimierz où règne une certaine tristesse empreinte de nostalgie, où plane l’ombre de ces âmes mélancoliques, où le rire ne peut plus être comme avant, où la mémoire doit s’armer contre l’usure du temps pour que jamais ne soit oublié le martyr de tant d’individus.

A l’analyse de mes souvenirs, je me remémore d’avoir respiré cette atmosphère dans un petit village du Limousin où, enfant, mes parents m’avaient entraîné: Oradour-sur-Glane, vous connaissez ? Le spleen de cette impression, qui désormais appartient à l’histoire, me fait oublier ce pourquoi nous étions à Krakow : Visiter cette ancienne capitale de la Pologne.

Oui, c’est une belle ville ! C’est même, peut-être à cause de ces pauvres hères disparus que les affres de la seconde guerre mondiale et des années de plomb qui l’ont suivi ont été épargnés à cette cité.

La veille ville est très certainement l’un des chefs-d’œuvre du patrimoine européen, tant d’harmonie des apports des générations y est respectée sans bousculer la hiérarchie de ses monuments.

Imaginez une rivière au cours tranquille, bordant une colline - Wawel - dominant une plaine. Les romains en font une place forte qui devient, quelques siècles plus tard, au milieu du VIIIe siècle, le fief d’un domaine puissant, l’Etat de Vislanes, lequel érige une imposante forteresse.

A l’aube du Xe millénaire cette cité passe sous la tutelle de la Grande Moravie, puis de la Bohème. En 965 le mariage d’une princesse de Bohème avec le Duc Miecislas, chef des Polanes, fut un acte déterminant pour les relations entre cette ville et la future Pologne.

Le fils de Miecislas, Boleslas dit le Vaillant, unifia les territoires polonais au nord de son royaume et devenait ainsi le premier souverain polonais. En 1076 Cracovie fut consacrée capitale du nouvel Etat lors du couronnement du premier roi de Pologne, Boleslas II fils du précité.

Le XIIe siècle vit la construction de la ville gothique dont les restes sont encore nettement visibles et donnent son aspect médiéval à la ville. En 1333, Casimir III impulse à la ville son épanouissement qui se manifestera pendant 230 ans. On doit à ce monarque l’Université fondée en 1364

ainsi que les nouveaux quartiers au delà de la Vistule, qui ont pour nom Kaziemerz.

L’une des nièces lui succède, avec son mari le luthérien Jagellon. Commence alors l’apogée politique, militaire et économique de la Pologne. Cette dynaste libéra l’Etat de la domination de l’ordre Teutonique; l’influence de la Pologne s’étend de la mer Baltique à la mer Noire; sa renommée attire une foule d’étudiants parmi lesquels se distingue l’illustre Copernic.

La reconstruction du Château de Wawel dans le style Renaissance à partir de 1626 marque le déclin du royaume. La

capitale est transférée à Varsovie, la succession des guerres avec la Suède met le pays à la dérive et à la merci de ces voisins. La Pologne est occupée par les russes et les autrichiens dès la fin du XVIIIe siècle. Les guerres napoléoniennes épargnent Cracovie qui bénéfice du privilège de s’ériger en République Autonome lors du Congrès de Vienne.

Jusqu’à la première guerre mondiale, Cracovie devient le centre de la résistance intellectuelle et politique de l’âme polonaise. Le court répit de l’entre deux guerres ne permet pas d’apaiser l’appétit de son voisin germanique qui successeur de l’ordre Teutonique, réclame ses droits sur Dantzig et la Prusse Orientale. Le Grand Maître de l’Ordre des Chevaliers Teutoniques, Albert de Hohenzollern fut le premier Duc de Prusse et vassal du Roi polonais Sigismond 1er, dit le vieux, à qui il rend hommage, en 1626.

La vielle ville, compte environ 200.000 habitants pour une population totale de 800.000 Cracoviens. Elle s’étale autour de la colline et du Château Wawel. Ses remparts étaient en forme de luth. Démolis au XVIe siècle, ils ont fait place à d’élégants jardins publics dits les Planty dont l’allée

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voyages

principale est jalonnée de plaques de bronze qui marquent l’emplacement des bastions protecteurs de la ville. Il subsiste de cette époque les portes Florian et de la Barbacane, ainsi que la place du marché où se dresse la tour de l’Hôtel de Ville.

Les immeubles cernant cette place datent des XIVe et XVe siècle et furent rénovés au XIXe siècle. Parmi ceux-ci: L’Eglise d’origine romane est dédiée à Saint Adalbert, premier saint polonais et aussi premier saint patron de la Pologne; La Halle aux Draps dont la construction remonte à 1358 (photo ci-dessus); Le monument d’Adam Mickiewicz, le plus grand poète polonais de l’époque romantique.

Deux églises ont aiguisé notre intérêt :

l’église Sainte Mare, sur la place du marché, date du début du XIIIe siècle. Achevée en 1397, elle abrite le célèbre retable de Wit Stwosz, réalisé en bois de tilleul à la fin du XVe siècle.

l’église Sainte Croix, érigée à partir de l’an 1300, est fortifiée et située sur les anciens remparts. Sa sévérité extérieure fait place à une décoration intérieure raffinée. L’édifice compte de nombreuses œuvres rares tels les fonds baptismaux en bronze, datant de 1423, ainsi que de riches peintures.

Le Collegium Maius compte aussi parmi les édifices majeurs de cette ville. Il est l’un des plus anciens bâtiments universitaires du monde, sa création remontant à 1364. C’est aujourd’hui un splendide musée aux étonnantes et riches collections. De célèbres

étudiants étudièrent ici: Copernic, Goethe et Karol Wojtyla, le futur pape Jean-Paul II.

L’inévitable de cette ville est le Wawel, sa colline, ses jardins, son château et sa cathédrale. L’ensemble est un musée national avec d’intéressantes collections de meubles et de peintures. Les tapisseries royales méritent à elles seules le déplacement.

La cathédrale du Wawel abrite les gisants royaux de Pologne. Cette nécropole est riche de mausolées ;la décoration dominante est de style baroque alors que son origine est très ancienne. De très beaux tableaux ainsi que de belles tapisseries complètent l’embellissement des lieux.

L’un des musées les plus fameux de la ville est sans conteste celui des princes Czartyryski. Cette famille a accumulé depuis le XVIIIe siècle des collections immenses d’œuvres d’art très diverses; peintures, sculptures, livres, documents, poteries…

Parmi les œuvres les plus emblématiques figurent l’étude pour un portrait de Raphaël, perdue au cours de la seconde guerre mondiale, la Dame à l’hermine de Léonard de Vinci et le paysage avec le bon samaritain de Rembrandt Van Rijn… Ces très riches collections sont devenues musée national en 1950.

Que peut-on faire de plus en trois jours: visiter la plus ancienne mine de sel (photo ci-dessous) à Wielicz, non loin de Cracovie, à moins de déguster une ou plusieurs vodka; de faire quelques flâneries dans les rues piétonnes entre deux visites de musées...

Comme à son habitude notre ami Pierre a bien organisé ce déplacement, certes trop court pour la richesse du sujet, mais combien confortable et tellement instructif!

L’Europe est un grand village, mais quel beau village! Cracovie n’est qu’à deux heures de Paris, c’est à côté et ça méritait vraiment le déplacement. Pierre, encore un grand merci de notre part à tous.

Olivier de FOUCAULD

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conférences

JEAN CLAUDE ROEHRIG

la famille du troisième millénaire

Monsieur le Président, Chers Amis Jubilaires, Je tiens à vous remercier de votre accueil et à vous dire tout le plaisir que j’ai eu à me retrouver parmi vous pour évoquer cette famille du troisième millénaire pour laquelle

l’intérêt ne faiblit pas, à en juger par les scores d’audience records de l’émission «Questions de famille» animée par Laurence Ferrari tous les samedis à 9h15 sur R.T.L.

Permettez-moi tout d’abord de vous conter deux histoires qui me viennent à l’esprit... Deux histoires apparemment sans relation l’une avec l’autre mais qui se répondent et qui sont révélatrices des évolutions de la famille d’aujourd’hui face à un droit de la filiation se dérobant devant des évidences pourtant flagrantes...

La première relève du théatre de boulevard cher à Feydeau ou a Courteline. Elle met en scène une femme mariée qui, après avoir quitté son mari, s’est retrouvée enceinte des oeuvres de son amant. Prudent, ce dernier avait reconnu l’enfant à naître. Pourtant, au moment de la naissance la mère, s’étant ravisée, retournait vivre auprès de son époux sans plus donner suite à sa liaison.

Un litige est alors né entre le mari et l’amant: Le premier excipant de sa présomption de paternité qui induit que l’acte de naissance est intangible; Le second invoquant sa reconnaissance prénatale. Le tribunal a bien entendu rendu une décision prévisible en donnant raison au mari contre l’amant.

Est-ce pour autant la meilleure façon de respecter les droits respectifs des parents et des enfants? Une paternité attestée biologiquement peut-elle être niée juridiquement et resister à la vérité dévastatrice de l’éprouvette au travers des tests d’A.D.N.?

La seconde est celle d’un couple non marié qui attendait un enfant. A quelques jours de la naissance, la jeune femme enceinte voit son compagnon se suicider. Après l’accouchement, elle rencontre un autre homme qui reconnaît l’enfant et qui l’épouse.

Une action est alors intentée par la mère de l’homme qui s’est sucidé pour faire

rétablir le lien de filiation à l’égard de son fils et donner vie à ses droits de grand-mère. Avec une rectitude parfaite, le tribunal a répondu que cette femme n’avait aucun titre pour attaquer la filiation de l’enfant.

On voit là combien notre droit n’est plus en phase avec ces situations douloureuses qui sont de plus en plus nombreuses aujourd’hui.

Ainsi, par exemple, très peu de jeune couples se rendent compte que s’ils ne sont pas mariés, leur enfant est placé dans une situation juridique très fragile. Si la mère décède lors de l’accouchement, sans avoir reconnu l’enfant, celui-ci n’a pas de filiation maternelle établie.

Rapellons qu’en effet, la simple indication du nom de la mère dans l’acte de naissance ne permet pas à elle seule d’établir le lien de filiation. Il faut, au surplus, une manifestation de volonté sous la forme d’une reconnaissance écrite dûment consignée en mairie.

Certains grands-parents sont alors obligés de réclamer, avec de grandes difficultés, des enfants confiés à l’Aide Sociale en raison du décès de la mère, cet organisme soutenant avec quelque raison que les parents de cette dernière n’ont aucun titre juridique à réclamer l’enfant, faute d’un quelconque lien de droit.

Entrons, si vous le voulez bien, dans le vif du sujet en vous rappelant deux chiffres :

Chaque année naissent en France environ 800.000 enfants alors que bon an mal an, 280.000 unions sont célèbrées. Deux chiffres certes encourageants mais qui masquent pourtant d’autres réalités d’évidence. Ainsi, par exemple, le nombre de mariages en l’an 2000 est inférieur à celui de l’année 1900, alors que la population a

doublé. Quant aux 110.000 divorces qui sont en moyenne chaque année prononcés, leur nombre semble stagner. Mais ils ne prennent pas en compte les jugements de séparation de corps et de biens, pas plus d’ailleurs que les très nombreuses séparations de fait impossibles à recencer. Et puis 250 à 300.000 avortements sont chaque année réalisés sur notre territoire...

Dès lors qu’ils se penchent sur la famille certains de nos contemporains semble vouloir privilégier ce qui la déchire ou la subvertit , en la plaçant au centre d’une problématique essentiellement politique orchestrée, à droite comme à gauche, par la plupart de nos grands écrivains. Chacun veut ainsi contester cette fragile cellule au nom de la liberté individuelle, de l’authenticité personnelle, ou de la quête du bonheur, en affichant une même ambition de modernité et d’adaptation au monde qui nous entoure.

De son côté le législateur, depuis 1972, ne s’est pas privé, par de multiples textes, de tenter de canaliser cette sève née d’un formidable élan dont la source ne semble pas devoir se tarir. Il y a quelques années, deux rapports, celui de la sociologue Irène Thery et de la juriste Françoise Dekeuwer - Defossez, avaient vu le jour. Salués par tous les politiques et quelques mesures d’”affichages” sans grande portée prises, toutes les réformes proposées étaient enterrées...

Pourtant la famille mériterait mieux que cela. Pas la famille d’hier ou d’avant-hier bien sûr, celle-là nous intéresse assez peu, mais celle d’aujourd’hui, précaire et vivace, inventive et mouvante, chargée d’attentes contradictoires, donc passionnante, au sein de cet extraordinaire enchevêtrement de tendresses que sont devenues les tribus familiales, dont les contours ont profondément changé.

Jeudi 10 Mars 2005, Hôtel de Bedford, Paris

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conférences

Comment nous libérer de pareilles alternatives qui, trop souvent, attribuent la désorganisation des familles aux désordres de la société?

Tout d’abord en refusant l’image idyllique d’un monde familial que nous aurions perdu et qui est sans cesse évoqué pour dénoncer celui d’aujourd’hui.

Des familles plus stables, par exemple ?

En réalité, la mortalité de jadis faisait éclater les cellules conjugales avec autant d’efficacité que les divorces ou les simples séparations d’aujourd’hui.

Dans la France des 17e et 18e siècles, le quart des mariages correspondait à des remariages encouragés par lEglise qui interdisait le divorce et incitait les veufs et les veuves, pour des raisons à la fois morales et sociales, à se remarier au plus vite. Comme ces remariages renforçaient les écarts d’âge entre conjoints, il n’était pas rare qu’après les décès et remariages de ses géniteurs, un enfant se retrouve avec des parents auxquels aucun lien biologique ne le rattachait.

L’instabilité démographique d’hier fabri-quait donc autant de familles recomposées que l’instabilité sentimentale aujourd’hui et dans ces conditions souvent beaucoup plus mutilantes pour l’enfant.

Des familles plus chaleureuses ?

On peut en douter à la consultation des sources notariales qui laissent souvent apparaître dans les contrats de mariage des clauses d’”insupport” organisant la cohabitation entre les parents et les enfants.

Par ailleurs, le haut niveau de la criminalité famililale relevé dans les archives judiciaires de la France méridionale au 18e et 19e siècles montre bien que la famille, loin d’être le havre de paix tant vanté par certains sociologues était, tout au contraire, un foyer de haines révélées entre enfants héritiers et cadets mais surtout entre parents et enfants cohabitant.

Ensuite, en prenant conscience que notre paysage familial s’est, tout au long de ces 30 dernières années, considérablement modifié et que la famille, référence ou modèle, fondée jusqu’alors sur la monogamie et l’indissolubilité du mariage n’est plus qu’une “exception historique” dont témoignent ces

trois chiffres:- près de 5 millions de personnes vivent

aujoud’hui en France en union libre;- plus de 46% des enfants qui naissent

sur le territoire métropolitain sont issus de couples non mariés;

- 1.500.000 adultes et près de 2 millions d’enfants de moins de 25 ans vivent en familles monoparentales.

Pour la clarté de l’exposé et l’évidence de la démonstration, je voudrais vous rapeller très schématiquement les trois périodes qui se sont succédées dans l’histoire de la famille pour tenter ensuite de tracer les grandes lignes des évolutions familiales qui se dessinent peu à peu dans le temps.

Les trois âges de la famille:

1 - Jusqu’à la fin du 19e siècle et sans aucun doute bien au delà, la société française était restée rurale à 80%. Les déchristianisations successives du 18e et du 19e siècles n’avaient guère modifié les comportements de la masse paysanne. Elle demeurait chrétienne, respectueuse de l’autorité établie, fidèle à des institutions rarement remises en cause et le socle judéo-chrétien badigeonné par la Révolution restait la base des comportements collectifs.

Quand, vers 1840, une classe ouvrière, fille de l’industrialisation était apparue, elle s’était inventée une culture spécifique largement imprégnée du socialisme naissant. Néamoins, et comme le soulignait alors Peguy, l’instituteur et le curé enseignaient des morales analogues et communément acceptées. L’ordre familial transcendait alors le lien social et la famille avait pour fonction d’assurer l’ordre entre les générations. Le mariage était donc une chose trop sérieuse pour être réglée par l’amour. Seul comptait la stabilité de l’institution garante de la transmission sans heurt des patrimoines de génération en génération.

L’Etat voulait être aux premières loges lors de la création d’une nouvelle famille, décision d’engagement vis-à-vis de la société comme l’atteste la publication des bans ou le fait que la porte de la salle de mariage restait ouverte durant la cérémonie civile, ou bien encore la concurrence entre les mairies au XIXe siècle à qui aurait la plus belle salle de mariage.

Le mariage restait un sacrement unissant pour la vie et devant Dieu un homme et une femme en vue de créer une famille, ce qui explique d’ailleurs que le divorce ait été si difficile à accepter par l’Eglise (il a fallu

« La famille », Egon Schiele, 1918

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conférences

attendre la loi Naquet de 1804 pour que le divorce soit autorisé aux mêmes conditions qu’en 1804).

Si de nouveaux besoins affectifs et sexuels naissaient, ils étaient le plus souvent assouvis hors des relations conjugales. Les femmes rêvaient d’amour comme Madame Bovary, l’héroîne de Flaubert, alors que les hommes préfèraient choisir des maîtresses au sein des corps de ballets ou parmi de grandes courtisanes tarifées et entretenues. En une formule lapidaire, on a pu dire que c’était alors le temps des oies blanches et des maisons closes, des anges et des garces. A l’époque, l’adultère du mari, à moins d’être consommé à domicile, ne pouvait guère être poursuivi alors que celui de l’épouse était un délit punissable en théorie jusqu’à deux années de prison qui ne sera dépénalisé qu’en 1975.

2 - Après la première guerre mondiale et jusqu’au milieu des années 60, la jonction entre le mariage et l’amour conjugal va progressivement s’opérer.

On se persuade, peu à peu, que le bonheur individuel et le bonheur du groupe familial doivent se renforcer et se confondre pour durer éternellement. Le mariage change de rôle et de place dans le cycle conjugal. il n’est plus cet évènement fondateur, très structuré radicalement, mais le marqueur symbolique d’un engagement volontaire et mûrement réfléchi après le plus souvent une première phase d’expérimentation plus légère.

Cette relation entre amour et institution est la grande nouveauté : c’est le début d’une revendication commune au bonheur, l’homme demandant davantage à la femme et réciproquement. La sexualité commence à être l’objet de discussions. Elle n’est plus une activité dont le seul objectif serait la reproduction.

Toutefois, les relations conjugales doivent être avant tout au service du bien-être des enfants qui ont besoin de leur deux parents: le père assurant les revenus de la famille et l’autorité, la mère l’éducation. Division des tâches et des responsabilités qui va durer jusqu’après la seconde guerre mondiale avec peu de modifications, sauf sur un point:

La baisse des naissances, continue depuis les années 30, s’arrête avec le “baby boom”, provoquant la mise en place d’une véritable politique familiale par les Pouvoirs

Publics; Les femmes entrent en force sur le marché du travail; La qualité de chef de famille disparaît et la puissance paternelle est remplacée par une autorité parentale conjointe que consacrent les lois du 4 juin 1970 et du 11 juillet 1975; C’est à partir de 1965, la diffusion de la revue Pomme d’Api qui raconte des histoires s’éloignant du modèle moral ou familial traditionnel; C’est encore Ménie Grégoire qui, dès avant 1968, sur R.T.L., ose parler et faire parler les femmes de leur vie intime; C’est enfin Françoise Dolto qui, dans les années 1970, vulgarise avec talent la psychanalyse au profit des familles.

3 - Dès le milieu des années 1960, le monde familial change avec la société toute entière :

Paysans et ouvriers se marginalisent tandis qu’émerge une classe moyenne désormais largement majoritaire, composée d’employés, de fonctionnaires, de personnel d’encadrement, beaucoup plus homogène que ne l’étaient la classe ouvrière et la classe bourgeoise car la proximité des niveaux de revenus individuels et les habitudes de consommation atténuent les différences de religion, d’origine ethnique et d’âge.

Le capitalisme moderne et la prospérité relative qu’il induit permettent également d’offrir des plaisirs autrefois réservés à une petite minorité de privilégiés; Notre société voit peu à peu changer la donne, s’effacer les repères que donnait la religion des pères ou la tradition des anciens; Brusquement, au cours de la même décennie, 1965-1975, les courbes mesurant le nombre des mariages, des divorces, des naissances, se retournent toutes, affichant une même chutte dans tous les Etats de l’Europe du Nord, suivie quelques années plus tard par les Etats du Sud.

Le mariage perd son évidence : il n’est plus un passage obligé, une transition solennelle permettant aux fiancés d’accèder légitimement et simultanément à la sexualité, à la vie sous un même toit, et à la procréation. Son recul apparaît dès le milieu des années 1970 comme un phénomène d’autant plus spectaculaire qu’il succède presque sans transition à une apogée du mariage. Jusqu’en 1970 il se célébrait encore tous les ans plus de 400.000 mariages, et seuls 7% des membres d’une génération ne se mariaient pas. En une décennie, le nombre des mariages va baisser de plus d’un tiers, se stabilisant entre 250 et 280.000 mariages par an, alors que parmi les femmes nées

après 1965, 26% d’entre elles ne se marieront jamais.

Pourtant l’aspiration à vivre en couple n’est nullement remise en cause dans les jeunes générations. Simplement le mariage se trouve confronté au développement fulgurant d’une forme concurrente : la cohabitation ou union libre qui, jusqu’à l’ammendement de Courson supprimant l’avantage fiscal dont bénéficiaient les couples non mariés avec enfants, atteint toutes les couches de la société.

Il est vrai que les Pouvoirs Publics semblent vouloir donner des droit juridiques équivalents aux couples mariés et étendre aux concubins les conditions sociales, fiscales et économiques du mariage. A titre d’exemple, la loi du 02 janvier 1978 visant à généraliser la sécurité sociale fait du cohabitant un ayant droit équivalent à l’homme marié. De même, les différentes lois sur le logement, qu’elles soient le fait de la droite (Méhaignerie en 1986) ou de la gauche (Quillot en 1982 et Mermaz en 1989) font une place égale au mariage et au concubinage.

Entre temps, le 29 novembre 1974, l’Assemblée Nationale a adopté après trois jours d’âpres débats, le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse présenté par Simone Veil alors Ministre de la Santé. Après la loi Neuwirth qui légalisait la contraception en 1967 et au nom du droit des femmes de disposer de leurs corps, le slogan “un enfant si je veux quand je veux” trouve sa traduction gravée dans les tables de la loi. Loi fragile au demeurant, puisque soumise à une période probatoire de 5 années, elle ne sera définitivement reconduite qu’en 1979. Avec la légalisation de l’avortement et alors qu’avant 1975, entre 1 et 10 femmes mouraient quotidiennement des complications d’un avortement, elles arrachent à la domination masculine la maîtrise presque complète de la procréation.

Les Femmes ont désormais la possibilité de devenir mères en se passant de la volonté des hommes, soit en adoptant, soit en recourant à l’insémination artificielle par ailleurs interdite en France aux personnes célibataires ou homosexuelles, soit en taisant au père leur maternité. A l’inverse, elles sont en mesure de contraindre un homme à être père en recourant aux tests génétiques : elles peuvent tantôt le désigner, tantôt l’exclure, c’est dire leur toute puissance dans une société démocratique.

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Pareil retournement est lié à trois grandes transformations de la société :

L’allongement de la jeunesse par l’augmentation du temps passé par chacun à l’école ou à l’Université, et par la transition des études au travail devenue plus difficile: de nombreux jeunes passent ainsi par des périodes de chômage ou de précarité professionnelles avant de décrocher un emploi stable, ce qui les maintient en situation de dépendance à l’égard de leurs parents et les dissuadent de se lancer précocement dans l’aventure du couple.

La transformation de la situation sociale des femmes qui ont rattrapé et même dépassé le niveau de scolarité masculin pour tendre à des trajectoires professionnelles autonomes.

La volonté des partenaires de ne plus être enfermés dans des rôles qui ne respecteraient pas suffisemment les identités et les aspirations de chacun.

L’appartenance à un “collectif conjugal” n’est pas rejetée, mais elle n’est plus pensée en termes de sacrifice personnel.

Ajoutons enfin que la structure démographique de la parenté s’est aussi transformée pour s’étendre sur 3 ou 4 générations augmentant d’autant les risques de frictions, de ruptures mais aussi de nouvelles rencontres.

Les nouvelles évolutions familiales

Rappelons tout d’abord qu’aujourd’hui, la famille du troisième millénaire, qu’elle soit unie, divorcée, recomposée ou pacsée est d’abord un fait de nature plutôt que de culture et qu’au travers de ses multiples expressions ou configurations, elle devrait continuer de remplir 3 fonctions essentielles:

- Structurer la société et la régénérer en transmettant la vie- Eduquer les enfants en leur apportant un système cohérent de normes, de repères, de références, de valeurs;- Croiser différents types de liens humains qui sont:

- le lien de couple, - le lien de filiation,- le lien intergénérationnel;

qui se recouvrent et qui s’inscrivent dans l’institution choisie.

C’est le croisement de ces trois liens qui nous servira de fil conducteur pour mieux

comprendre comment la famille du troisième millénaire peut être imaginée.

1 - Le lien de couple

Nous en avons tous conscience. Ce lien se trouve aujourd’hui radicalement redéfini, car il veut correspondre à une histoire et à un dialogue qui se poursuivent au sein de la famille. Le couple n’est plus une fin en soi. A chacun de choisir la formule qui lui convient le mieux, puisque l’institution du mariage consacre moins la formation du couple que sa transformation. Ainsi, les unions sont-elles de moins en moins institutionnelles et de plus en plus contractuelles.

J’en veux pour preuve cette décision rendue récemment par le Tribunal de Grande Instance de Lille qui a validé une convention temporaire de divorce dans laquelle les époux se dispensent mutuellement du devoir de fidélité alors que celui-ci s’impose normalement jusqu’au jugement définitif du divorce. Le Tribunal lillois a ainsi traité le mariage comme un vulgaire contrat civil rabaissant la fidélité à une clause de non-concurrence du droit du travail... Dans le même esprit, par deux fois en 1999, la Cour de Cassasion a considéré qu’un legs consenti à une maîtresse n’était pas contraire aux bonnes moeurs et qu’il était donc licite.

Désormais, 280.000 unions, le plus souvent précédées par une période de cohabitation, sont célébrées chaque année, ce qui représente à peine 5 mariages pour 1.000 habitants. Lors de leur premier passage en Mairie, la mariée est agée de 28 ans en moyenne et le marié de 30 ans. Plus de la moitié des femmes qui se marient pour la première fois ont fêté la Sainte Catherine auparavant.

Autre remarque intéressante: 16% des nouveaux mariés sont des divorcés. Notons enfin que cette augmentation est proportionnelle à celle des séparations puisqu’il y avait 81.000 divorces prononcés en 1980 alors que, depuis 1985, 110.000 sont institutionnalisés. Ceux-ci vont-ils augmenter à nouveau en nombre?

La loi du 26 mai 2004 qui entrera en vigueur en janvier 2005 devrait pacifier ces procédures en facilitant le divorce par consentement mutuel (60% des cas) réglé en une seule audience et en limitant le divorce pour faute aux situations les plus graves (décret d’application du 29 octobre 2004).

Le PACS, qui est moins un pacte de solidarité que de sexualité, inauguré fin 1999, et pour lequel l’engouement de nos concitoyens semble grandir depuis son introduction dans notre paysage juridique, puisque 131.651 conventions ont été à ce jour signées (et seulement 15.641 dissous), révèle des faiblesses structurelles qu’il faudra bien à tout le moins rectifier et corriger dans un proche avenir.

Monsieur Perben, Garde des Sceaux, a promis le 30 novembre 2004 de présenter dans les trois mois à venir un texte global le rénovant puisque l’on ne peut se contenter d’un écrit minimaliste - le plus souvent une simple formule standard - et d’une publicité artisanale et incertaine pour garantir les droits des parties et plus encore ceux des tiers appelés à traiter avec eux.

Regrettons simplement que le Parlement Français n’ait pas voulu créer un statut du concubinage comme les belges ont su le faire par la loi du 23 novembre 1998 qui a instauré la cohabitation légale.

2 - Le lien de filitation

Il a lui aussi connu en deux siècles une profonde évolution. Ce lien ne doit pas être l’enjeu de conflits et il doit être fondé sur une filiation à la fois vraie et stable. A la lecture de récentes décisions judiciaires, il est évident que ce but n’est pas toujours facile à atteindre et que le modèle généalogique fondateur de la famille suppose d’être réévalué.

Retenons que la loi du 3 janvier 1972 a, heureusement, souhaité réduire l’une des principales fractures de notre droit qui, traditionnellement, opposait la famille légitime fondée sur le mariage à la famille naturelle reposant sur le non mariage.

Elle a en effet affirmé le principe d’égalité des filiations légitimes et naturelles en maintenant néamoins un statut discriminatoire à l’encontre des enfants incestueux et des enfants adultérins, les premiers ne pouvant faire établir leur filiation qu’à l’égard de l’un des deux parents, les seconds voyant leurs droits réduits de moitié s’ils se trouvent en concours avec la famille légitime de leurs auteurs.

De telles inégalités “à la marge” que l’on doit qualifier de résiduelles n’avaient plus leur place dans une société affirmant que la filiation doit prendre le pas sur le mariage et que l’enfant fait la famille.

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Il a pourtant fallu, sous la pression de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, attendre la loi du 3 décembre 2001, relative aux droits du conjoint suvivant et des enfants adultérins pour mettre fin à cette dernière discrimination et donner sans distinction aux enfants légitimes, naturels ou adultérins les mêmes droits dans les successions de leurs auteurs.

Pour autant, en matière de filiation biologique aucun changement législatif ou règlementaire n’est intervenu, alors que la notion de filiation elle-même est remise en cause par les progrès de la biologie et les nouvelles techniques de reproduction. Nous demeurons toujours sous l’emprise d’un droit qui accuse un décalage de plus en plus grand par rapport à des situations douloureuses souvent mal perçues, obligeant les parents non mariés à des reconnaissances prénatales de précaution.

Il reste, par ailleurs, deux autres discriminations dont l’importance est considérable et qui renvoient l’enfant sans mère à une humiliation désemparée face à une filiation qui se dérobe.

Je veux parler des naissances sous “X” puisque la France est, en effet, le seul pays avec le Luxembourg permettant à une femme d’accoucher et d’abandonner son enfant sans fournir d’identité. 600 à 700 d’entre elles font chaque année pareil choix évitant peut-être autant d’avortements dont l’augemtation est aujourd’hui préoccupante puisqu’elle culmine aux alentours de 250 à 300.000 chaque année. Une telle violence ne provoque pas de dégats matériels visibles mais des blessures intérieures profondes qui ne cicatrisent jamais vraiment, alors que ces enfants revendiquent vainement encore aujourd’hui le droit de connaître leur histoire.

La loi du 22 janvier 2002 a mis en place un organisme de régulation : le Conseil National pour l’accès aux origines personnelles (C.N.A.O.P.) dont les objectifs déclarés seront difficiles à atteindre puisque la loi a maintenu la possibilité d’accoucher dans le secret et maintenu le principe selon lequel en présence d’un refus de la mère il n’existe pas de droit à la levée du secret.

Quant aux trois lois sur la bioéthique du 29 juillet 1994 qui règlementent la procréation médicalement assistée de nature exogène, elles ont notamment rendu obligatoires la gratuité et l’anonymat des dons d’ovocytes (cellules reproductrices femelles qui ne sont

pas arrivées à maturité) privant pareillement l’enfant ainsi né de tout droit à connaître ses origines génétiques. Le législateur s’est ainsi fait l’allié objectif de la rupture de la filiation et du secret des origines : par une sémantique discutable, certains valorisent l’abandon et n’en retiennent que le mot “don”, alors que d’autres, victimes de pareille situation, y entendent le “ban” comme la mise au ban, comme la marginalisation...

La révision de ses trois lois en juin 2004 a conservé cet anonymat du donneur qui est érigé au rang des grands principes d’ordre public alors que ce texte est en contradiction avec l’affirmation par la convention internationale de La Haye, du droit des enfants à connaître leurs origines.

Est-il nécessaire de retrouver son géniteur? Il est, en tout cas, indispensable d’écouter ce qui s’est passé pour établir les liens entre passé et présent sans vouloir cacher la vérité au nom de la protection des autres.

Pourquoi, dès lors, ne pas se tourner vers des modèles étrangers qui peuvent servir de référence et de garantie? C’est ainsi que, dans la plupart des pays anglo-saxons, il existe un système dit d’adoption ouverte dans lequel les parents par le sang et les parents adoptifs se transmettent toutes les informations identifiantes utiles, les premiers abandonnant leurs droits légaux au profit des seconds.

Mais aujourd’hui est venu le temps d’une autre expression de la famille : je veux parler de la famille homoparentale dont la naissance n’a été possible que par le biais d’une autre institution détournée de sa finalité initiale : l’adoption simple. Un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris a, en effet, permis à une femme d’adopter les trois enfants mineurs de sa compagne.

L’affaire s’est faite en deux temps :

1 - La mère biologique des trois fillettes conçues par insémination artificielle avec donneur anonyme en Belgique, après les avoir reconnues, a renoncé à l’autorité parentale tout en conservant la filiation, ce qui a alors permis à sa compagne de les adopter.

2 - Ensuite, en 2004, la mère adoptive a obtenu de partager cette autorité parentale avec sa compagne la mère biologique considérée comme “tiers digne de confiance”.

Le bon sens et la réalité l’ont ainsi emporté sur ce qui semblait inconcevable : donner deux filliations maternelles à trois fillettes élevées par deux femmes.

Il faut dire que la loi du 4 mars 2002 utilisée en pareille matière a profondément réformé l’autorité parentale tant dans sa définition que dans les règles applicables en cas de défaillance de celles-ci. Le nouvel article 371-1 du Code Civil évoque un ensemble de droits et de devoirs qui ont l’intérêt de l’enfant pour finalité.

L’autorité parentale appartient désormais au père et à la mère pour assurer l’éducation de l’enfant et permettre son développement, les parents devant même associer l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité. C’est donc plus une autorité de fonction inspirée par la convention internationale des droits de l’enfant, qu’un droit véritable des parents.

Et puis, surtout, cette loi consacre la notion de co-parentalité si l’enfant a été reconnu dans sa première année. Désormais les pères non mariés exercent de plein droit l’autorité parentale, ce qui est là une petite révolution dont on a pas encore mesuré tous les effets lorsque l’on se souvient que plus de cinq millions de personnes vivent en France en union libre.

Retenons enfin que cette même loi intègre l’obligation d’entretien par les parents envers les jeunes majeurs et que la délégation de l’autorité parentale qui n’est plus forcément privative de droits peut être déléguée aux grands-parents élevant leurs petits-enfants: avec la valorisation de l’enfant, l’attention parentale se renforce

3 - La réforme en matière d’évolution du nom de famille:

Le décret complétant la loi du 4 mars 2002 modifiant la dévolution du nom de famiille a été publié le 31 octobre 2004. Il autorise les parents, à partir du 1er janvier 2005, à donner à leurs enfants le nom du père, de la mère ou des deux dans l’ordre choisi par eux. S’il ne parviennent pas à se mettre d’accord seul le nom du père sera transmis de facto. Ce choix sera définitif et vaudra pour toute la fratrie.

Même si l’espace de liberté offert aux parents est désormais très large, il n’y a donc aucun réel progrès en matière d’égalité par rapport à l’objectif affiché qui était de permettre aux femmes de transmettre aussi leur nom.

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L’affaire se compliquera à la deuxième génération quand ces enfants auront eux-mêmes une descendance annulant potentiellement les effets du premier choix fait par leur parents. Le nom n’aura plus de signification généalogique et surtout ne permettra plus d’établir la preuve d’une paternité par possession d’état dont il était l’élément principal.

De l’usage le plus strict, la France est soudainement passée à la législation la plus libérale en la matière et... la moins praticable.

4 - Le lien intergénérationnnel :

Les rapports entre générations se redéploient alors que l’espérance de vie s’est allongée au cours du siècle de plus de 30 années atteignant désormais 82 ans pour les femmes contre 75 ans pour les hommes. Nous comptons aujourd’hui en France 2 millions d’habitants âgés de plus de 80 ans et les projections statistiques permettant d’affirmer qu’en 2030 les plus de 60 ans constitueront près d’un tiers de la population.

Une formidable contrainte va désormais peser sur les actifs : l’entretien des inactifs: c’est-à-dire les jeunes comme les vieux. Si l’entretien des enfants est une vieille habitude plus ou moins bien acceptée mais toujours mieux assumée, l’aide à apporter aux parents apparaît comme moins légitime et gratifiante et fait l’objet d’une obligation édictée par divers codes : autant dire qu’elle n’est pas tout à fait naturelle.

A cet égard, deux sujets ne manqueront pas de soulever de nombreuses difficultés pour l’avenir.

a - L’obligation alimentaire

Cette obligation se définit comme “un rapport d’obligation que la loi attache de plein droit à certains rapports de famille, et d’où résulte, pour une personne l’obligation d’assurer la subsistance d’une autre personne qui est dans le besoin”. Il existe donc un lien indissociable entre le principe même de l’obligation alimentaire et la notion de famille.

Elle n’existe qu’entre époux d’une part, entre parents (ascendants et descendants) et alliés en ligne directe d’autre part (gendres et belles-mères). Pour les familles recomposées, il n’y a pas d’obligation alimentaire entre les enfants d’un premier

lit et le deuxième conjoint, même s’il y a eu vie commune. A fortriori, il n’existe pas d’obligation alimentaire entre l’enfant d’une précédente union et les ascendants du deuxième conjoint de son père ou de sa mère.

Les concubins ne se doivent, en droit, ni assistance, ni secours matériels; il ne peut exister juridiquement d’obligation alimentaire entre eux; les mêmes règles semblent devoir s’imposer en matière d’obligation alimentaire; et il ne semble pas possible d’envisager valablement une extension de l’obligation alimentaire des enfants issus d’une première union au bénéfice du concubin et réciproquement.

Il faut donc définir un nouveau concept pour cette obligation alimentaire; mais il faut être très prudent sous peine d’aboutir à une situation parfaitement paradoxale : suivant que l’on est marié ou que l’on vit en concubinage, les droits et obligations diffèrent. Il ne s’agit pourtant que d’un choix de mode de vie qui ne devrait entraîner aucune conséquence juridique au niveau de la solidarité familiale.

Quelle solution faut-il adopter? La jurisprudence a souvent motivé les décisions par la reconnaissance d’une “obligation naturelle”. Ne serait-ce pas là une piste de réflexion menant à la notion générale d’obligation civile d’entretien?

b - La prise en compte du quatrième âge et le régime des tutelles

Il nous faut prendre garde à cette image qui voudrait nous faire croire au déclin de la famille et à l’émergence de l’individu roi. Ce serait là pointer une tendance à la marge qui ne peut et qui ne doit pas annuler l’évolution dominante à base de solidarité agissante.

Attention donc à la dimension trop matérialiste et trop étroite du modèle familial ainsi qu’à l’enfermement qu’il pourrait produire. Les jeunes enfants grandissant, les grands-parents vieillissant risquent d’être ces grands oubliés alors qu’ils ont un rôle fondamental à assurer : celui d’incarner le passé et d’offrir la sécurité de l’identité familiale en inscrivant par leur filiation les enfants dans leur généalogie et non dans un étrange et quelconque continuum indifférencié.

Aujourd’hui, près de 600.000 personnes se trouvent placées sous un régime de protection juridique, de tutelle ou de

curatelle, chiffre auquel il faut ajouter quelques dizaines de milliers de personnes placées sous tutelles aux prestations sociales. Si d’ici à 2010 rien ne change, elles seront un milion. Un français sur 100 est donc concerné, proportion qui n’a pas d’équivalent en Europe. En 2009, ce chiffre aura doublé...

Pour la collectivité, cela représente près de 368 millions d’euros par an de coût de gestion, ce chiffre grimpant chaque année de 15%, dont 55% relève du budget d’Etat et 45% des organismes sociaux.

La dernière réforme date de la loi du 3 janvier 1968 et la machine s’est aujourd’hui emballée. Le Garde des Sceaux a présenté à Lyon le 9 décembre dernier un ambitieux projet de réforme exigeant une enquête médico-sociale avant placement et prévoyant par ailleurs la création d’un mandat de protection. Il est encore trop tôt pour pouvoir en tirer des conclusions.

Voilà l’inventaire des situations de fait et de droit où l’on trouve les matériaux d’un ordre futur qui n’est sans doute pas l’expression d’une vérité absolue mais qui peut nous permettre d’imaginer les grandes évolutions du futur des familles de nos sociétés occidentales. Celles-ci connaissent aujourd’hui trois grandes mutations :

1. L’accroissement des divorces qui entraîne la multiplication des familles recomposées ou monoparentales :

Quand beau-père, belle-mère et enfant vivent ensemble, la parenté devient de plus en plus sociale et de moins en moins génétique, la puissance paternelle cédant la place à l’autorité parentale.

En bref, le couple n’est plus toujours la famille. Plus exactement, le couple conjugal est de plus en plus séparé du couple parental, la conjugalité étant considérée comme temporaire alors que la parentalité est perçue comme une responsabilité indéfinie.

2. Avec les progrès de la science, la sexualité n’est plus indispensable à la reproduction :

Il existe un tabou encore infranchissable : celui de la relation sexuelle fondatrice duale entre un homme et une femme. Dans une approche traditionnelle, l’accent est mis sur l’axe de la filiation et sur le

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transgénérationnel. Chaque sujet, chaque héritier est réduit à une production de ses ancêtres. On oublie d’ailleurs, au passage, les interactions qui lient les individus ou bien encore la logique amicale dans l’enfance et dans l’adolescence qui est un élément constitutif très fort de l’identité.

Une place est faite à la volonté individuelle dans la création de la parenté. Le processus de procréation, autrefois réalisé dans le corps de la femme, peut se diviser en plusieurs étapes et faire intervenir plusieurs acteurs, dont la manifestation la plus connue est celle des mères porteuses qui, interdites en France, sont autorisées dans certains états américains moyennant contrat ou, comme en Californie, sous la forme de “don de gestation”. En la matière, le fantasme absolu est celui du clonage reproductif.

3. C’est dans ce contexte qu’émerge une troisième évolution: La demande des couples homosexuels d’élever des enfants.

Ceux-ci revendiquent un statut légal et, pour certains, le droit d’avoir des enfants par adoption ou par insémination, bousculant par là même les concepts usuels du couple et de la parenté. Plusieurs sociétés occidentales y ont déjà accédé tels les Pays-Bas et la Belgique, qui ont introduit dans leur code civil pour deux personnes du même sexe la possibilité de se marier (loi néerlandaise du 21 décembre 2001 et loi belge du 13 février 2003).

Nous ne pourrons pas rester longtemps en marge de ce mouvement alors que la communauté gay et lesbienne est estimée à 4,8 % de la population française et que

leur désir d’enfant, historiquement nouveau, se détache en partie de la sexualité. La question de la validité en France du mariage homosexuel est aujourd’hui posée et l’avenir en pareille matière, convenons-en, n’est pas écrit...

Même redéfinis par la législation, les liens de couple, de filiation ainsi que les rapports intergénérationnels laissent encore place à bien des incertitudes. Le généalogiste successoral se verra sans nul doute de plus en plus sollicité car il est bien souvent à l’occasion de ses recherches, le dépositaire de vies inachevées, de destins à peine balbutiés ou oubliés, qu’il peut mesurer ou réduire dans le cadre de sa profession de sollicitude.

Quand il sait être ambitieux, notre droit est porteur d’un message, d’une culture, voire même, d’une civilisation.

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous satisfaire d’un droit de la famille qui, loin d’avoir pris la mesure de l’évolution de notre société, se contente trop souvent d’entériner des situations qui la fige dans des modèles familiaux désormais obsolètes où chaque individu est mis en perspective par rapport à un seul homme ou à une seule femme.

Dans le modèle généalogique fondateur de la famille, chaque individu est issu de deux autres individus : ses père et mère,

- d’une génération ascendante- et de sexe différent

qui l’auraient, en principe, conjointement engendré. Ce modèle véhicule l’idée que la filiation est un fait de nature. Il s’accompagne d’une norme : celle de l’exclusivité de la filiation, chaque individu étant mis en

perspective par rapport à un seul homme et à une seule femme.

Que faire alors des parents, en plus, qui coexistent parfois, pour un même enfant? Sans parler de l’homoparentalité, il faut bien prendre conscience qu’à l’ère des procréations médicalement assistées, il existe encore des enfants nés de père inconnu et de très nombreuses familles monoparentales ou pluriparentales que le principe de la coparentalité fige dans le “tout biologique”.

En acceptant de constater la diversité des modèles familiaux, nous pourrions en tirer loyalement les conséquences à en déduire quant à la manière d’être en couple et en famille. Parentés biologique, légale ou sociale doivent désormais être examinées, sans à priori de préjugés, en sachant qu’elles peuvent être assumées par des personnes différentes. Ainsi, l’homme et la femme qui s’unissent ne sont plus nécessairement perçus comme des géniteurs et ils n’ont plus obligatoirement la charge de soigner, d’élever et d’éduquer les enfants.

Face à de pareils enjeux de sociétés, souhaitons que le législateur accorde plus d’attention à notre droit de filiation pour nous dire clairement et sans équivoque quels seront les parents des enfants de demain et pour nous proposer une vision plus ambitieuse des nouveaux liens familiaux qui devront toujours se construire dans la tolérance et le respect des attentes des uns et des autres.

Jean Claude ROEHRIGGénéalogiste,

Expert près la Cour d’Appel de Paris

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FREDERIQUE HOURTOULLE ROLLET

les clés du langage du corps

E n septembre dernier, je vous ai présenté, en tant qu’expert et formateur en analyse et morphopsychologie d’entreprise et à l’occasion de la sortie

de mon dernier ouvrage «les clés du langage du corps», les recherches les plus avancées sur les nouvelles techniques d’investigation de la personnalité.

Vous avez eu la primeur de la présentaton des plus importants résultats scientifiques et cliniques dans ce domaine.

Les paramètres pulsionnels et situa-tionnels relevant :

- d’une dimension clinique (criminalité, déviances sexuelles, violences, abus)- d’une dimension scientifique moderne (4 degrés d’investigation) très intéressantes par rapport à la morphopsychologie classique,

permettent de percevoir sur trois degrés d’épaisseur maintenant au-delà des formes et en s’appuyant sur elles pour déceler l’intention, l’action, le passage à l’acte, la vérité, le degré de mensonge, les différents décalages, entre la parole et le vécu physique ou les actes potentiels, la nature de la personnalité en vis-à-vis qui souvent nous trouble, nous dérange ou nous ravit, sans que l’on sache l’expliquer et sans que l’on puisse s’en défaire.

Il va donc s’agir à travers cet apprentissage de lecture de gagner en objectivité, pour tout simplement ne pas être “sous l’influence de quelqu’un ou une situation qui pose problème et aussi pour avoir les éléments d’analyse, pour expliciter clairement les mécanismes à l’oeuvre. Ce n’est qu’en touchant du doigt ces mécanismes que l’on peut s’en extraire. Savoir faire le tri entre l’inutile, le superflu et le faux, pour accéder à la personnalité réelle d’un individu et aux informations recherchées, est un atout relationnel indéniable sur le plan personnel autant que professionnel.

D’où l’importance à être formé, avec un expert qui va corriger les “interprétations”, les idées toutes faites, et faire l’expérience concrète et de terrain de la découverte des véritables signifiants et porteurs d’informations. Ces nouvelles techniques s’acquièrent en formation et de façon

interactive, c’est-à-dire que c’est en apprenant à reconnaître les véritables paramètres significatifs soit personnels, soit situationnels, que l’on s’entraîne à affiner ses propres perceptions corporelles. Tous les contours participent à la lecture sensorielle. En bref, International Body Language forme à la lecture par anticipation de toute situation, avec le montage de formations de 4 jours permettant de mettre le “pied à l’étrier”.

Etre cadré et recadré dans ses à priori, les traverser pour voir plus et mieux, permet d’accéder à d’autres capacités personnelles dans un monde non verbal souvent le gardien de son propre inconscient. Les mécanismes d’accès sont à découvrir avec le plus grand soin, les pathologies ayant aussi leur langage. Etre capable de les dépister rapidement sauve souvent la vie ou permet le geste juste, le mot qu’il faut quand il faut. Cette “différence” ne se trouve qu’à cet endroit des connaissances.

Tous les métiers relationnels, ou à portée humaine, c’est à dire visant un art de vivre ou un savoir vivre sont bien entendu les premiers concernés.

Gagner en perspicacité, en vivacité d’esprit, en pédagogie, en moyens réels de compréhension, mieux se connaître, savoir mieux partager certains bons moments avec ceux que l’on apprécie, savoir reconnaître à temps les moins bons et les éviter ou les écourter véritablement, mieux gérer toute situation dont le corps est l’enjeu, mieux savoir transmettre, donner du relief à ce qui n’avait que deux dimensions, sont quelques-uns des acquis incontestables de la formation aux techniques d’investigation de la personnalité.

Frédérique HOURTOULLE ROLLETPsychothérapeute, Formateur en analyse et

morphopsychologie d’entreprise

LES CLES DU LANGUAGE DU CORPSFrédérique Hourtoulle RolletÉditions Médicis, 2005.

« Le corps parle selon un langage qu’il convient de connaître et de comprendre..

Plus de vingt disciplines participent maintenant à l’explication des méca-nismes du langage du corps. Il s’est élaboré au fil du temps et des prises de conscience autour d’énigmes qui se sont posées à l’être humain sur sa nature et ses moyens.

On découvre aussi que les articulations physiques et psychiques y sont intimement liées, comme d’ailleurs la part individuelle et la part universelle, la nature formelle et celle pulsionnelle, mais qu’elles répondent à des mécanismes différents qu’il est nécessaire d’identifier.

Sur le terrain des mœurs, de l’évaluation clinique et de l’expertise criminelle, les clés du langage corporel sont des outils indispensables à l’élaboration d’un diagnostic et à l’identification d’un profil psychologique ou physique. De même, ils se révèlent très utiles pour mieux déployer des capacités personnelles et gérer toute situation.

Un apport précieux pour tous les nouveaux métiers de la communication, du contact, de l’image et de la représentation, de la sécurité et de la formation pédagogique. »

Jeudi 8 Septembre 2005, Hôtel de Bedford, Paris

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NATHALIE PRAVEDNA

l’Ukraine et l’Europe

L’ émergence et l’évolution de l’idée européenne en Ukraine à travers l’histoire des intellectuels ukrainiens : Un élément explicatif de l’actuel discours européen en Ukraine. Une conférence préparée dans le cadre des

déjeuners-débats du Cercle Demi-Siècle de Paris, à l’Hôtel Bedford.

Introduction : Présentation de l’Ukraine

Géographie

L’Ukraine, située en Europe de l’Est, est le second plus grand pays d’Europe après la Russie, avec une superficie de 603.700 km2

Frontières :

Belarus 591 kmHongrie 103 kmMoldavie 939 kmPologne 526 kmRoumanie (sud) 169 kmRoumanie (ouest) 362 kmRussie 1576 kmSlovaquie 97 kmMer Noire et mer d’Azov

Revendications territoriales et maritimes

Avec la Roumanie:

L’Ukraine et la Roumanie doivent résoudre des revendications sur la zone de Zmiyinyy (le Serpent) administrée par l’Ukraine.

La délimitation de la Mer Noire n’a pas trouvé de solution malgré le traité bilatéral de 1997 engageant les deux parties ? trouver une solution dans les deux ans.

Avec la Russie :

La Russie et l’Ukraine ont délimité leur frontière terrestre avec succès en 2001, mais ne sont pas d’accord sur la délimitation des frontières maritimes en Mer d’Azov et en Mer Noire.

Par exemple, dernièrement les difficulté avec l’île Touzla en Crimée : malgré la reconnaissance de l’appartenance du territoire à l’Ukraine, la Russie exige une présence sur ce territoire en le revendiquant.

Avec la Moldavie :

Les difficultés avec la région en dissidence de Transnistrie interdisent l’établissement d’un régime douanier commun avec l’Ukraine pour éviter la contrebande, les trafics d’armes et d’autres activités illégales.

Population

L’Ukraine a 48 milions d’habitants, dont la majorité (avoisinant 80%) représente une population d’origine ukrainienne.

Autres ethnies présentes:

Russes : environ 5 milions (10 à 12%)Polonais : 170.000 personnes.Juifs : grande émigration après la chute du communisme, vers l’Amérique du Nord, Israël et l’Allemagne.

La présence importante de la population russophone en Ukraine a plusieurs sources:

1. Avec le développement industriel, l’est de l’Ukraine a attiré la population frontalière russe qui a habité cette région industrielle et urbaine à partir du début du 20ème siècle.

2. La déportation de la population au cours de la période communiste :

Au cours des années trente, au nom de la nécessité de peupler ces régions industrielles, les dirigeants bolcheviques ont expulsé la population ukrainienne vers la Sibérie amenant à leur place des familles russes : cela leur permettait ainsi d’affaiblir la présence ukrainienne dans cette zone du bloc communiste.

Jeudi 13 Octobre 2005, Hôtel de Bedford, Paris

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L’idée de l’appartenance de l’Ukraine au monde européen ne date pas de l’effondrement de l’URSS. Dès la fin du 19ème et tout au long du 20ème siècle, elle a marqué le discours intellectuel ukrainien. Ce débat ukrainien sur l’Europe a toujours tourné autour de deux thèmes principaux: les particularités politiques et culturelles du monde européen et la place de l’Ukraine dans ce monde européen.

Pour les intellectuels ukrainiens, l’appartenance de l’Ukraine à l’Europe, sa modernisation et son indépendance sont liées et découlent l’une de l’autre. Selon la plupart d’entre eux, l’appartenance de l’Ukraine à l’Europe et l’influence de l’Europe sur l’Ukraine légitiment l’existence d’un Etat ukrainien. Il faut noter que l’Europe signifie pour les Ukrainiens, en particulier pour l’intelligentia, une légitimation de leur indépendance.

Le passé au sein du Royaume polono-lithuanien, et surtout dans l’empire austro-hongrois a permis un développement de l’Ukraine sur le plan politique et culturel: Dans ces périodes, l’Ukraine faisant partie d’un empire, n’était pas obligée de prouver sa différence et de revendiquer l’existence de sa nation; ce qui n’était plus le cas dans la période russo-ukrainienne.

L’influence de l’Europe sur la formation de l’intelligentia ukrainienne a fait naitre des débats ukrainiens sur l’Europe. Au cours du 20ème siècle, dans les débats intellectuels ukrainiens, on peut distinguer deux directions d’influence européenne en Ukraine: l’une à travers l’Europe centrale et orientale (les nationaux démocrates) et l’autre à travers la Russie (les libéraux démocrates).

L’Europe, source de modernisation et de renaissance nationale ukrainienne

Le mouvement moderniste en Ukraine, né à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, a concerné toutes les sphères de la vie politique et culturelle ukrainienne et a inauguré le débat intellectuel sur l’Europe.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, les intellectuels ukrainiens, les nationaux démocrates et les libéraux démocrates, ont recherché en Europe les sources de la modernisation de l’Etat ukrainien (historiens et hommes politiques) et de la nouvelle esthétique (écrivains, artistes…). Suite aux répressions politiques des années 30, ce débat a continué mais désormais au sein de la diaspora ukrainienne.

L’Europe, source des valeurs morales et esthétiques

Après la mort de Staline, on peut distinguer au sein des courants nationaux démocrates (l’Europe par l’Europe centrale et orientale) et libéraux démocrates (l’Europe par la Russie) deux groupes d’intellectuels: les intellectuels dissidents et les intellectuels non-conformistes. Tous les deux critiquaient le système soviétique et qui recherchaient en Europe les mêmes choses (des valeurs morales et esthétiques). Certains, tout en étant partisans de l’idée communiste, ont remis en cause le système soviétique incapable de se moderniser à l’occidental.

A la même époque en Occident, l’émigration intellectuelle ukrainienne a souligné le rôle historique de l’Europe centrale et orientale dans la formation étatique et culturelle ukrainienne. Selon eux, l’Ukraine était une nation européenne qui devait devenir indépendante.

Par ailleurs, les mouvements protestataires en Europe de l’Est (en Hongrie, Tchécoslovaquie et en Pologne) ont favorisé la formation d’une opposition ukrainienne qui sera à l’origine de l’indépendance de 1991.

Aussi bien au sein de l’émigration ukrainienne qu’au sein de l’opposition, on retrouve donc l’idée de l’appartenance de l’Ukraine à l’Europe, donc de son indépendance vis-à-vis de la Russie.

L’Europe vue par l’intelligentia de l’Ukraine indépendante

Les non-conformistes et les dissidents ont formé l’élite intellectuelle de l’Ukraine indépendante. Le discours caractéristique de cette ancienne génération avait deux buts principaux: prouver l’indépendance bien réelle de l’Ukraine et son appartenance à l’Europe. Ils ont pour cela cherché des arguments dans l’histoire ukrainienne en soulignant les relations historiques qui existaient depuis toujours avec l’Europe centrale et orientale. L’établissement d’un dialogue entre les intellectuels ukrainiens et les intellectuels centre-est européens a favorisé l’idée d’une unité et d’une spécificité centre-est européenne.

La nouvelle génération des intellectuels ukrainiens, moins marquées par la période soviétique, est profondément convaincue que l’Ukraine est indépendante et européenne. Ils essayent de comprendre l’Europe actuelle et de définir la place de l’Ukraine dans le projet politique et culturel européen. Leurs discours sont différents des débats intellectuels des premières années de l’indépendance ukrainienne. La nouvelle génération reste devant le choix d’une Ukraine indépendante: vers l’Est ou vers l’Ouest.

La question du bon choix et de sa transformation en réalité est une nécessité vitale pour l’Ukraine. il définira la nature et la structure de la société ukrainienne, des valeurs morales, des institutions politiques, du système économique, des relations sociales, du rôle de l’individu dans la société aussi bien que l’efficacité de l’économie et de la justice sociale. Ce choix peut définir l’existence elle même de l’Ukraine comme Etat libre, indépendant et originel..

1 . L’émergence de l’idée européenne en Ukraine au 20e siècle

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L’Europe a soutenu l’Ukraine, ce qui pour des Ukrainiens signifiait une internationnalisation du conflit, une reconnaissance de leurs droits, et une protection contre la menace russe. La présence internationale à Kiev durant la révolution orange jouait avant tout le rôle de la légitimation de lutte ukrainienne vers la démocratie et pour défendre sa position légitime.

Sur la Place de l’Indépendance à Kiev des manifestants retrouvaient le sens de leur position grâce au soutien international. Parmi des Polonais qui sont venu à Kiev il y avait plutôt des étudiants et des jeunes personnes qui ne se souvient pas de Solidarnosc, mais qui cherchaient de retrouver avec des Ukrainiens l’énergie, l’optimisme et le sens de démocratie, d’Europe, de droit de l’homme.

Les tables rondes, un modèle proposé pour sortir de la crise: crédible où symbolique?

Les tables rondes organisées à Kiev signifiaient avant tout l’internalisation du conflit politique en Ukraine. En Ukraine, au contraire de la Pologne, les tables rondes ne signifiaient plus qu’un des moyens de sortir de crise. Les symboles de victoire en Ukraine restent deux: la Place de l’Indépendance et la Cour Suprême.

En Pologne le mouvement des ouvriers Solidarnosc a organisé la table ronde pour établir un dialogue avec le pouvoir et sortir du système communiste. C’était une affaire nationale et pour toute la société polonaise la table ronde est devenu un symbole du changement du système, car le pouvoir a accepté un dialogue avec le peuple.

En Ukraine, les tables rondes ont été proposées par l’Occident (Kwasniewski) et Yanukovytch s’y est toujours opposé. Pendant les tables rondes il était assez passif et les négociations se sont développées entre Yushchenko et le pouvoir (Koutchma, Kravvtchouk, Lytvyn) avec la présence internationale.

Les résolutions n’ont pas étaient trouvées pendant les tables rondes, mais dans les couloirs du Parlement, sous la pression de la population rassemblée Place de l’indépendance, et dans la Cour Suprême.

L’Europe choisie par la jeunesse et inconnue par la société

La révolution orange a surtout été menée et motivée par la jeunesse ukrainienne très active durant la campagne présidentielle. Yushchenko s’est avant tout adressé à elle et l’a fortement soutenue. Les persécutions massives du pouvoir en place envers les étudiants a eu pour conséquence de les mobiliser contre lui.

Les étudiants se sont également opposé à la présence russe, car ayant vécu dans une Ukraine indépendante, ils la considéraient comme une ingérence brutale. De plus ils ne connaissaient pas le sentiment de peur dans lequel leurs parents avaient vécu.

Ouverts à d’autres cultures, parlant d’autres langues, ils s’étaient formé dans une autre réalité, et se sont donc engagé dans le soutien et dans des manifestations contre les persécutions des médias ukrainiens. Cette jeunesse était soutenue par les intellectuels, qui l’a formée dans les universités, par des revues, des discussions.

2. L’Ukraine et l’Europe après “la révolution orange”

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DEUX UKRAINES

- La révolution orange s’est produite à Kiev russophone et par des russophones :

- Le partage était artificiel et aujourd’hui, après un laps de temps, il ne divise pas les ukrainiens;

- L’Ukraine est un Etat unique dont la langue russe est massivement utilisée;

- La ligne du partage est devenu l’un des arguments dans la politique interne et dans les relations avec la Russie

L’histoire de ce “partage”

Il est assez courant de rappeler que l’Ukraine occidentale (Galicie, Volynie et Podolie) a fait partie de la République de Pologne, comme de l’empire austro-hongrois.

L’Ukraine centrale et occidentale a formé un gouvernement indépendant (Rada centrale avec un président) en 1917 pendant la révolution bolchevique.

Cette région a été marquée par une forte influence européenne au niveau politique, intellectuel et culturel. L’intelligentsia ukrainienne a trouvé dans cette région un climat propice à son développement.

C’est aussi dans cette région que l’Ukraine a pu préserver ses symboles nationaux et sa langue. Le mouvement national d’opposition Roukh est né en Ukraine occidentale et est à l’origine de l’indépendance ukrainienne.

L’Ukraine orientale, elle, s’est retrouvée au 17ème siècle sous la protection de la Russie tsariste. Après la suppression du gouvernement cosaque (18ème siècle), la

région orientale a été repeuplée par des Russes assez éloignés de la vie culturelle ukrainienne .

En 1917, cette Ukraine orientale s’est constituée en République Donestk-Krivoï-rog. Elle a adopté le système bolchevique, qu’elle a par la suite exporté en Ukraine du centre-ouest. Le système soviétique a empêché l’apparition d’un sens critique au sein de la population et a favorisé la langue et la culture russe.

Depuis l’indépendance de l’Ukraine, les habitants de cette région ont eu une attitude plutôt passive dans la vie politique, et leur manque d’intérêt pour la vie politique a permis aux différents gouverneurs d’imposer leurs positions: des liens politiques et économiques étroits avec la Russie.

Malgré la présence en Ukraine d’un grand nombre de Russes (11 millions), ceux-ci n’ont pas construit une force politique sérieuse leur permettant de mettre directement en jeu une conscience nationale russe. Les Russes d’Ukraine ont d’ailleurs le sentiment d’appartenir à la nation ukrainienne.

L’histoire politique et culturelle de ces régions a provoqué dans les années 90 une discussion vive sur l’existence de deux Ukraine.

Au début des années 90, Huntington décrivait l’Ukraine comme une réalité hybride traversée par la frontière de deux civilisations. Selon lui le partage était lié au fait que chacune de ces civilisations aurait sa source propre: l’une étant occidentale donc romaine, l’autre étant orientale donc byzantine. Deux perspectives s’offrent alors

à ce pays: soit il s’aligne entièrement sur l’une des deux positions, soit il est voué à un éclatement.

Cette idée de deux Ukraine a été reprise dans le titre de l’ouvrage de Mykola Riabtchouk “Deux Ukraine”. Il y mettait en évidence la présence de deux cultures et de deux consciences nationales en Ukraine: l’une, pro-européenne et démocratique, l’autre, pro-russe et post-communiste. Mais il lui fallut refaire un autre ouvrage pour expliquer qu’il ne s’agissait pas d’un partage géographique du pays.

A la fin des années 90 et au début du 21ème siècle, l’idée d’une Ukraine partagée en deux, n’était plus d’actualité. Des différences régionales existaient bien, mais c’était l’idée d’une Ukraine unie qui était mise en avant. Puis, durant les récentes élections, on a à nouveau joué la carte du partage géographique de l’Ukraine.

“Le partage” une idée du gouvernement contre l’opposition

Cette idée de la division de l’Ukraine a été reprise et renforcée par le pouvoir en place. L’idée de celui-ci était d’accentuer la confrontation de l’ouest avec l’est, afin de donner une image négative de l’opposition, le même pouvoir se présentant ensuite comme garant de l’unité étatique de l’Ukraine.

Pendant la campagne présidentielle, l’opposition a été présentée dans les médias comme une force politique nationaliste, voire fasciste; une vision qui fut surtout diffusée à l’Est et dans le sud de l’Ukraine.

Complément . Le partage de l’Ukraine en deux parties

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Aussi, lors du premier tour des élections, des bus et des trains remplis de jeunes hommes venant de l’Est ont été envoyés à l’ouest - officiellement pour observer les votes, mais en réalité venus provoquer les électeurs avec des slogans contre les “nationalistes et fascistes occidentaux”.

Le pouvoir a ainsi propagé une information sur le vote faisant état de problèmes uniquement à l’Ouest de l’Ukraine, alors que les élections s’étaient déroulées sans aucun problème, à l’Est de l’Ukraine. Entre les deux tours, cette tension entre les deux parties de l’Ukraine a été ravivée par le pouvoir.

Enfin, après le second tour, le gouver-nement a organisé le voyage de personnes de l’Est pour les confronter directement aux manifestants de l’opposition réunis sur la place de l’Indépendance. Cette tentative du pouvoir a échoué, car les manifestants de l’opposition ont très chaleureusement accueilli les personnes venues de l’Est et il n’y eût aucune agressivité entre les manifestants des deux camps.

C’est à ce moment-là que l’idée d’une séparation de l’Est de l’Ukraine est apparue, évoquée par quelques dirigeants régionaux, par Yanukowytch, et activement soutenue par quelques hommes politiques russes, tels Luzkov et Zirinowski . En meme temps, le pouvoir rendait l’opposition responsable de cette menace séparatiste. Lors de sa rencontre du 2 décembre avec le président russe Vladimir Poutine, Léonid Koutchma a implicitement accusé l’opposition d’être responsable de “l’éclatement du pays”.

Les démocrates russes critiquèrent vivement l’intervention du Kremlin en Ukraine et l’accusèrent de vouloir renforcer l’idée de séparatisme à l’Est de l’Ukraine. Par conséquent cela pouvait provoquer un écho dans la fédéralisation russe, qui avait, quant à elle, plus de difficultés sur le plan ethno-nationale que l’Ukraine. C’est pourquoi le conseil du mouvement russe pour les Droits de l’Homme (Evgenii Ikhlov) déclarait le 30 novembre:

«Chaque tentative de diviser l’Ukraine provoquera la division de la Russie car la Russie est encore moins stable au plan culturel, confessionnel et civilisé... la Russie ne pourra jamais intégrer l’Ukraine orientale dans son territoire et elle ne pourra pas non plus la soutenir sur le plan économique».

Ce discours sur un partage géographique de l’Ukraine en deux

régions ne reflète pas la réalité, car il ne s’agit pas d’un partage géographique; La véritable division qui existe est entre le pouvoir en place et ceux qui le soutiennent d’une part, et d’autre part les citoyens qui visent à le renverser pour construire un Etat démocratique.

Le partage lors du second tour des élections présidentielles

Ainsi donc, si la diversification ukrainienne existe, elle ne correspond pas à un partage géographique. Je ne pense pas que l’on puisse parler de deux Ukraine. Lors des dernières élections on a pu constater que les Ukrainiens se sont unis pour faire le choix de s’opposer à l’oligarchie qui la gouverne, à un régime autoritaire. Cette réunification de la société couvre l’ensemble du pays.

« C’est un processus de réunification et

d’auto identification des Ukrainiens dans leur Etat en tant que citoyens. Il existait quatre Ukraines: occidentale, orientale, centrale et la Crimée. L’Ukraine occidentale s’est liée avec l’Ukraine centrale; et aujourd’hui on observe un processus de progression de cette réunification vers l’est et vers le sud. C’est un processus de formation nationale, de formation d’une Nation, et non pas d’une ethnie». - Andrey Kourkov (26.11 à DW)

Dans la capitale ukrainienne, on assiste plus à une réunification du peuple qu’à son éclatement, exemple qui s’est étendu à tout le pays. Kiev était une ville russophone et il y a quelques années le taux de participation aux élections y était d’environ 50%. Lors de la dernière élection ce taux de participation s’y est élevé à 75% et 80% des votes furent en faveur de Yushchenko, qui obtint aussi le soutien du centre et du nord du pays. A l’est, à Kharkiv, il aurait obtenu 30% d’après les résultats officiels (pas forcément réels).

Durant la campagne présidentielle, les Ukrainiens de l’est, à commencer par les étudiants, se sont opposés et n’ont pas suivi l’ordre donné par les universités de voter pour le candidat du pouvoir. Certains hommes d’affaires ont refusé de soutenir le candidat du pouvoir en place pour préserver leurs relations commerciales avec l’Europe.

Après le deuxième tour des élections, à Kharkiv (ville orientale, russophone, proche du business russe) environ 50.000 personnes (80.000 selon la BBC) ont manifesté en faveur de l’opposition. A Dniepropetrvsk (ville de l’est, d’où vient le

président Koutchma) 10.000 personnes ont manifesté. Comme 5.000 personnes Zaporojie et 30 000 à Sumy. Des manifestations ont eu lieu aussi à Odessa , et en Crimée, à Simféropol et à Sébastopol. Sans parler des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de 17 régions au centre et à l’ouest de l’Ukraine.

Le 2 décembre 2004, le mouvement des étudiants ukrainiens “Il est temps”, inaugura une action, “Le pont d’amitié Kiev-Donetsk” en déclarant: «Le pouvoir a artificiellement divisé notre pays, mais nous sommes une nation unie: nous vivons nos joies et nos tristesses ensemble. il faut donc prouver au pouvoir que rien ne peut nous diviser».

L’action consistait à téléphoner aux amis et aux familles à l’Est pour démontrer une unité; pour diffuser des informations vraies et expliquer leur prise de position : se prononcer pour l’opposition à l’Ouest comme à l’Est. Aujourd’hui à Dniepropetrvsk, les gens enregistrent les émissions des chaînes indépendantes et les diffusent dans la région, comme dans les régions de Lougansk et Donetsk. C’est une initiative des habitants de Dniepropetrvsk, que l’on découvre.

Cette renaissance nationale et la naissance de la société civile ne permettent plus d’imputer à la société ukrainienne l’idée qu’une partie du pays penchera vers l’Europe tandis qu’une autre partie ira vers la Russie. Cette thèse est celle d’un pouvoir manipulateur qui falsifie la position de la société selon ses propres intérêts. La société ukrainienne a fait le choix de la démocratie. L’Europe ne doit pas confondre la position du pouvoir actuel avec le choix de la société.

“Le combat qui est mené aujourd’hui n’est pas un combat entre l’Est russophone et l’Ouest occidental, contrairement à ce que présente le Kremlin, mais entre les piliers d’un pouvoir corrompu et les partisans du Droit.” - Julia Mostova, Le Figaro, samedi 4 et dimanche 5 décembre.

Nathalie PRAVEDNAEtudiante,

en Philosophie et en Sciences Politiques,Boursière du Demi-Siècle de Paris

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GERARD C FERAUDET

l’association sos amitié île de france

Depuis 1960, S.O.S. Amitié Ile-de-France se consacre à l’écoute amicale, chaleureuse, désintéressée, de tous ceux qui ne vont pas bien. Parce qu’ils se sentent seuls, isolés, déprimés, fatigués. Parce qu’ils n’ont

plus envie d’avancer. Parce qu’ils ont peur...Notre objectif ? Par une écoute attentive, mais non directive, permettre à tous ceux qui nous appellent de desserrer leur angoisse, de voir plus clairement leurs difficultés, pour retrouver, en eux-mêmes, le fil d’une pensée plus positive. Dans le respect absolu de leur rythme et de leur anonymat.L’association se bat ainsi pour plus d’écoute et de solidarité, pour une meilleure prise en compte de la souffrance psychique comme pour la prévention du sucide.

La nuit n’est jamais complète,Il y a toujours,

Puisque je le dis, puisque je l’affi rme,Au bout du chagrin une fenêtre ouverte

Une fenêtre éclairée...Il y a toujours un rêve qui veille,

Désir à combler, faim à satisfaire,Un coeur généreux,Une main tendue,

Une main ouverte...

Ce message d’espérance de Paul Eluard que j’ai choisi comme introduction pour vous présenter SOS AMITIE est, je l’espère, l’image qu’ont de nous celles et ceux qui nous appellent.

Le 2 novembre 1953, tous les grands quotidiens de Londres publient en bonne place une annonce ainsi rédigée : avant de vous sucider, appelez MAN 9000. Ce numéro de téléphone correspondait au presbytère du Pasteur Chad Varah qui ému par le nombre grandissant de sucides en Grande Bretagne eut l’idée de dialoguer par téléphone avec celles et ceux qui voulaient mettre fi n à leurs jours. Les “Samaritains”, nom imaginé par un journaliste du Daily Mirror, étaient nés.

En France, c’est en octobre 1960 que s’ouvrit le premier poste d’écoute d’SOS AMITIE à Boulogne Billancourt sous l’impulsion du Pasteur Jean Cassalis, aidé fi nancièrement par le PDG du BHV, Monsieur Lillaz. En Province les premiers postes furent crées à Nice en 1961, Marseille en 1962, Strasbourg en 1964 et dans la région parisienne à Bagnolet en 1977, Evry et Paris Centre en 1978 et Paris Saint Lazare en 1984.

L’ambiguïté du recrutement où, dans un premier temps le directeur du poste venait au domicile du candidat pour le rencontrer dans son cadre familial pour ensuite lui demander d’observer un silence total même vis à vis de ses proches sur son appartenance à l’association.

Les exigences sur les qualités de base requises pour devenir écoutant, l’équilibre, une maturité affective, une disponibilité à l’écoute, la capacité de travailler en équipe et surtout une ouverture de coeur. Le sérieux de la formation, durant six à huit mois, les inpératifs de ponctualité, d’une présence assidue et sans faille aux

partages. Enfi n la rigueur des contrôles pratiqués ponctuellement auprès des nouveaux écoutants pour s’assurer de l’authenticité de leurs écoutes.

En contrepartie nous avions à notre disposition lors de nos plages d’écoute, la présence rassurante d’un permanent prêt à nous aider en cas de diffi culté, et parallèlement, certains bénévoles non écoutants devenaient “correspondants de quartiers”, leur rôle étant d’aider les appelants en diffi culté à effectuer certaines démarches administratives ou médicales.

Pendant une certaine période, des intervenants non écoutants se rendaient auprès des suicidants qui acceptaient, lors de leurs appels, d’être secourus, ces bénévoles pour la plupart d’entre eux issus du milieu médical recevaient une formation particulière et durant leur semaine de permanence devaient pouvoir être joints à tout moment du jour où de la nuit, et à cette époque, les portables n’existaient pas...

Heureusement nous avions et avons toujours la protection de la Chartre, garde-fou permanent contre les dangers de l’écoute; une chartre vivante, une référence dans d’éventuels confl its d’opinion, un lien entre les écoutants, porteuse de l’avenir même de l’association.

Aujourd’hui, SOS AMITIE est présente 24/24h, 365 jours par an dans une majorité de ses points d’écoute : 8 pour la région parisienne, 43 pour la province et a reçu en 2004 tous postes confondus son 15 milionnième appel. Depuis quelques années nous avons également un site internet

Jeudi 10 Novembre 2005, Hôtel de Bedford, Paris

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permettant à ceux pour qui parler avec quelqu’un en direct pose problème, jeunes ou malentendants, par exemple.

Par ailleurs SOS AMITIE a rejoint en 1967 la Fédération Internationale des Services de Secours par téléphone, l’IFOTES, qui a son siège à Genève et dont la langue officielle est le français (fait si rare aujourd’hui qu’il est bon de le souligner...). Les valeurs qui fondent cette institution internationale, qui ne relève d’aucune obédience politique ou confessionnelle, sont définies dans une Chartre éthique adoptée en 1994.

La sélection de nouveaux écoutants est très rigoureuseet en général seulement 10% des candidatures sont retenues car l’écoute exige une compétence d’où une formation jamais achevée!

Laisser à l’autre son espace de parole, être non directif, accepter ses différences, sa violence parfois, ne pas succomber à la tentation de lui donner un conseil que de toute façon il ne suivrait pas, contrôler sa propre anxiété lorsque certains appels nous remémorent des évènements douloureux de notre propre vie... Enfin lors d’un appel de sucidant, trouver les mots qui pourront l’apaiser et peut-être le faire renoncer à mettre fin à ses jours, autant de difficultés à surmonter au quotidien.

Une autre difficulté et non des moindres est notre solitude lors de nos permanences d’écoute. En effet il est de plus en plus difficile de trouver des bénévoles compte tenu d’une part du nombre croissant d’associations d’écoute (La Porte Ouverte, Sos Phenix, Sos Prières, Sos Sida, Sos Croix Rouge...) et d’autre part des soucis liés aujourd’hui au

monde du travail : aller à son bureau après une écoute de nuit n’est pas évident, venir un dimanche après -midi alors que l’on est pour une fois en famille n’est pas forcément bien compris par le conjoint ou les enfants et se retrouver seul durant les 4 heures d’une premanence avec des appels parfois lourds à gérer peut en faire renoncer plus d’un et nous le comprenons parfaitement.

C’est pourquoi les équipes de direction des postes ont un rôle important pour maintenir le moral des troupes et souder les écoutants entre eux. L’aménagement des locaux, l’organisation d’activités conviviales sont necessaires à l’esprit associatif, puisque nous sommes heureusement comme tout le monde, avec nos qualités, nos défauts, nos difficultés, nos états d’âme, des jours avec et des jours sans... Mais c’est sans doute là le miracle de l’écoute, une fois franchie la porte de notre poste, durant les 4 heures de notre permanence, nous mettons tout naturellement de côté les soucis qui peuvent nous préoccuper et comme par miracle, nous nous retrouvons disponibles, prêts à acceuillir ces inconnus qui vont nous appeler.

Bien sûr nous n’avons jamais eu la prétention de nous substituer à des médecins, des juristes, des psychologues quand bien même notre formation pourrait faire croire que nous en serions capables. Nous ne pouvons apporter aucune aide matérielle, prendre aucun rendez-vous, accepter quelconque démarche administrative ou autre...

Certes nous sommes tous bénévoles mais nous avons des frais incompressibles. Pour vous donner un ordre de grandeur de

nos besoins, pour faire vivre nos quatres postes parisiens, il nous faut aujoud’hui aux environs de 27.000 Euros par mois, soit 324.000 Euros par an. Les charges sont réparties ainsi : 27% pour la communication, 13% à la formation des écoutants, 2% pour l’entretien de nos locaux et le solde (58%) pour nos frais de fonctionnement.

Pour nous permettre de vivre, nous bénéficions de quelques subventions mais bien insuffisantes pour assumer ces frais de fonctionnement, et les mailings nous permettant de recueillir des dons n’ont plus le même impact auprès de nos donateurs les plus fidèles car trop sollicités par ailleurs.

Nous sommes également en manque d’écoutantes et d’écoutants. Je ne vous ai pas caché les difficultés de l’écoute et le sérieux de l’engagement demandé, mais en contrepartie, il y a tant de bonheur à recevoir que je ne peux que vous inciter, si vous disposez d’un peu de temps libre, à venir nous rejoindre... En étant membres du Club du Demi-Siècle et rotariens pour certains, vous avez déjà cette ouverture de coeur sans laquelle on ne peut pas vraimant être à l’écoute de plus malheureux que soi...

Entre une voix qui s’abstient et un regard qui se tait, il y a toujours l’homme, la femme qui écoute et qui regarde... L’amitié c’est cela aussi et comme disait Paul Valéry : L’amitié, c’est pouvoir être faible ensemble. En conclusion j’ai choisi de vous lire les quelques vers que j’ai écrit (sous forme d’acrostiche) il y a une trentaine d’années pour témoigner de mon engagement d’écoutant .

Soulager par un mot, un silence, une écoute,Offrant à chaque appel notre “moi” tout entierSoutenir ce prochain dont le coeur en déroute

Au plus profond de lui se sent abandonné,Marcher près de celui dont s’achève la routeIgnorant la chaleur d’une seule amitié...Trouver des mots plus forts que tout ce qu’il redouteImaginant pour lui des raisons d’’espérerEt semant la confiance à la place du doute...

Poursuivre le combat qui n’est jamais gagnéAvec cet inconnu qui n’a jamais sans douteReçu spontanément sans avoir à donner...Ivre d’un chagrin qu’il distille goutte à goutteSans l’espoir d’être un jour... tout simplement aimé...

Gérard C. FERAUDET

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PROFESSEUR LUC DOUAY

Production de Globules rouges humains et laboratoire: perspectives

P ersonnalité médicale de premier plan, le professeur Luc DOUAY, hématologue chef de service à l’hôpital Armand Trousseau à Paris, spécialiste de l’autogreffe, a rendu public en décembre 2004, par l’intermédiaire de la revue

«Nature Biotechnology», le résultat des recherches d’une équipe d’hématologues qui constitue une première mondiale dans l’histoire des sciences du sang, de la transfusion sanguine et, sans doute, de la thérapie génique.

Il s’agit de la mise au point d’une technique de production de globules rouges par la transformation in vitro de cellules souches prélevées dans le sang du patient à qui ces globules ainsi obtenus seront re transfusés ensuite, découverte particulièrement importante pour les patients multitransfusés, ceux qui n’acceptent pas le sang des donneurs ou ceux qui ont un groupe sanguin rare. On s’orienterait ainsi vers la réduction des risques liés à l’actuel système de collecte du sang responsable entre autres des affaires de sang contaminé.

D’autres pistes importantes seront ouvertes par l’équipe du professeur Douay qui, sur l’initiative de Bertrand Jardel, fut convié pour présenter ces nouvelles aux jubilaires du Demi-Siècle de Paris lors de leur déjeuner-conférence.

Historique

Cela commence dans les années 50 avec la création du concept de greffe de moelle par Mathé chez les irradiés yougoslaves: quelques millilitres de moelle ossseuse. Ce fut un échec, mais l’idée était née. Les premières vraies greffes de moelle osseuse réalisées par Donald Thomas à Seattle au début des années 60 lui valurent le Prix Nobel trente ans plus tard.

On fait des greffes, qui marchent, sans toutefois en comprendre le mécanisme : On imagine alors l’existance de cellules sanguines qui donnent naissance à l’ensemble des cellules du sang : globules rouges, globules blancs, plaquettes. Ce n’est qu’une vingtaine plus tard que l’on arrive à les identifier, puis à les caractériser, à les repérer et enfin à les sélectionner et en comprendre les grands mécanismes de régulation.

On les soupçonnait dans la moelle osseuse depuis les années 60, on parvient à les faire passer dans le sang grâce à des FC dans les années 80, on les découvre aussi dans le sang du cordon ombilical dans les années 90. On peut ainsi réaliser aujourd’hui des greffes de moelle osseuse, des greffes de sang ou des greffes de sang de cordon, à partir d’un donneur (allogreffe) ou à partir des propres cellules du malade (autogreffes).

Assez récemment, on découvre un nouveau type de cellule souche: les cellules souches mères qui donnent naissance à ce qui constitue la partie solide de l’os (le microenvironnement de la moelle osseuse), mais aussi à beaucoup d’autres cellules comme celles des tendons, du cartilage, etc...

C’est alors le point de départ d’une révolution conceptuelle en matière de médecine: en s’inspirant de toutes ces avancées dans le donmaine de l’hémqtologie et plus spécialement des greffes de moelle osseuse, on identifie des cellules sanguines dans la plupart des organes. Le concept de thérapie cellulaire ou de médecine régénérative est né. Les dix prochaines années, nous dirons ce que l’on peut réellement en attendre en matière de traitement des IDM, les maladies neurologiques, du diabète, des problèmes osseux.

Le concept que notre équipe a créé, celui du globules rouges de culture.

Plusieurs milliards de globules rouges sont fabriqués chaque jour à partir de cellules sanguines de la moelle osseuse. Nous travaillons depuis plusieurs années sur la possibilité d’augmenter le nombre de cellules sanguines du sang, notamment dans le sang du cordon pour pouvoir greffer un adulte QS...

De la maîtrise acquise dans ce domaine, nous avons tiré la possibilité de contrôler ces cellules sanguines du sang, de les faire proliférer jusqu’à épuisement et de les contraindre à s’engager uniquement vers la voie de globules rouges, alors que naturellement elles sont capables d’aller soit vers les globules blancs soit vers les plaquettes, soit vers les globules rouges selon les besoins physiologiques de l’organisme. Ce fût le point le moins difficile compte tenu de nos connaissances.

Mais un problème était insurmontable, problème inhérent à la nature même du globules rouges qui est la seule cellule du corps humain à expulser son noyau. Hors de l’organisme, ce fichu globule rouge ne voulait pas expulser son noyau: on avait tout essayé, y compris la pince à épiler!

En fait la solution était sous nos yeux, comme souvent, et on ne la voyait pas. un globule rouge accepte d’expulser son noyau quand il est dans son nid, c’est-à-dire dans le microenvironnement de la moelle osseuse dont je viens de parler.

Qu’à cela ne tienne, nous lui avons reconstitué une niche dans nos flacons de laboratoire, en cultivant ces cellules du microenvironnement, pompeusement appelées cellules souches mésenchymaeuses. Et là, Monsieur a accepté d’expulser son noyau.

Jeudi 8 Décembre 2005, Hôtel de Bedford, Paris

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Article de presse : «Nous sommes en mesure de pallier certaines carences du système transfusionnel»

Comment êtes vous parvenus, en collaboration avec cinq laboratoires d’hématologie de l’Assistance Pulique - Hôpitaux de Paris, à obtenir un résultat aussi spectaculaire?

Cela fait plusieurs années que nous cherchons à produire des globules rouges humains en laboratoire. Il y a deux ans, nous étions parvenus à produire in vitro des quantités massives de cellules précurseurs de globules rouges ou “érythroblastes”. Pour autant, nous ne réussissions pas à provoquer ce phénomène naturel qu’est l’énucléation qui correspond à l’éjection du noyau et assure le caractère fonctionnel de cette cellule, dont le rôle est , via la molécule d’hémoglobine, d’assurer le transport de l’oxygène depuis les poumons jusqu’à l’ensemble des tissus de l’organisme. Nous avions, d’autre part, réalisé l’énucléation et l’obtention de globules rouges parfaitement nourmaux après injecton d’érythroblastes humains chez certaines souris de laboratoire. Nous en avons conclu qu’il existait, dans l’organisme de la souris, les éléments du micro-environement de la moelle osseuse qui permet, naturellement, la production continue de la lignée rouge sanguine humaine. Aujourd’hui, nous expliquons comment nous avons, en définitive, reconstitué ce micro-environnement moléculaire et cellulaire.

En quoi vos résultats peuvent-ils concerner l’usage qui est fait des

globules rouges en thérapeutique humaine?

Les spécialistes de transfusion sanguine utilisent, à des fins thérapeutiques, des culots de globules rouges qui contiennent chacun environ deux mille milliards de cellules. En pratique, ils font appel, le plus souvent, à deux culots. Les chiffres de production in vitro auxquels nous parvenons nous laissent d’ores et déjà penser que nous sommes en mesure de pallier certains des obstacles ou des carences du système transfusionnel tel qu’il existe aujourd’hui.

Votre travail s’inscrit-il dans le nouveau domaine, en pleine expansion, des recherches sur les cellules souches humaines?

Oui, mais avec une différence de taille. Il se distingue des travaux qui, comme dans le cas des cellules souches de peau, veulent amplifier le nombre des cellules sans épuiser les cellules souches, de manière à obtenir un renouvellement durable. Pour notre part, nous souhaitons précisément faire travailler au maximum ces cellules souches, comme des esclaves; les épuiser pour obtenir la plus grande prolifération possible. J’ajoute que, à la différence de la biologie moléculaire, la biologie cellulaire n’imagine pas le résultat à l’avance : on ne reproduit pas un résultat imaginé. notre travail, de ce point de vue, est pour beaucoup le fruit d’observations concernant le comportement des cellules en culture.

Et s’il repose, bien évidemment, sur de solides bases théoriques et fondamentales, c’est aussi un travail nourri d’une forme d’empirisme.

Quelles sont les prochaines étapes?Nous travaillons à l’industrialisation de

ce proédé. nous souhaitons, en outre, identifier avec précision la nature exacte du signal qui, dans le micro-environnement que nous avons reconstitué, déclenche le phénomène de l’énucléation du globule rouge. nous souhaitons, enfin, pouvoir au plus vite, dans le cadre de la récente loi de bioéthique, travailler sur des cellules souvhes embryonnaires pour les contraindre à se diversifier massivement en lignées sanguines, rouge, blanche et plaquetaire.

Dans quels délais estimez-vous pouvoir lancer vos premiers essais chez l’homme?

Raisonnablement, dans deux ou trois ans. Mais d’ores et déjà, un message essentiel doit être lancé. Ce résultat ne doit nullement décourager les donneurs de sang. Nous avons et aurons longtemps besoin d’eux, et notre communauté médicale les bénit.

Professeur Luc DOUAY,Hématologue

(Hôpital Armand - Trousseau, Paris)

Propos recueillis par J.-Y. N.journal LE MONDE (28 déc 2004)

Le tour était joué. La preuve du concept était apportée : on générait au laboratoire des globules rouges humains parfaitement fonctionnnels, en tout point identiques à ceux produits naturellement in vivo. Ainsi, en partant d’une cellule sanguine de sang, on génère jusqu’à 2 millions de globules rouges. Compte tenu des quantités de cellules sanguines du sang présentes dans l’organisme, on peut théoriquement produire l’équivalent de 4 à 6 poches de sang classiques. Les chiffres donnent le vertige si l’on sait que dans 1 poche de sang il y a 2.000 milliards de globules rouges!

Nous en somme là. Il reste maintenant à développer les outils de bioingénierie pour passer à la production industrielle et passer à l’acte, c’est-à-dire transfuser les patients. C’est bien beau, me direz-vous, mais quel est l’intérêt de tout ce travail quand on peut disposer de la transfusion classique?

Les applications :

- Auto transfusions- Banques de sangs rares- Efficacité transfusionnelle Allo immunisation Impasses transfusionnelles Surcharge en fer- Le globules rouges universel

Les retombées annexes :

Il est passionnant pour un médecin de constater que ce sur quoi il a travaillé débouche sur des aplications à l’origine imprévisible:

- Le paludisme- Le transporteur de médicaments- Le globule rouge mémoire

L’avenir

Maintenant que l’on sait faire des globules rouges à partir de cellules sanguines du sang (même s’il reste encore pas mal de choses à faire), il serait intéressant de pouvoir disposer d’une source quasi illimitée de ces cellules sanguines. C’est la prochaine étape, celle des cellules sanguines embryonnaires qui va commencer bientôt.

Conclusion

J’ai la faiblesse de penser que ce nouveau concept de globules rouges de culture ouvre des perspectives majeures dans de multiples domaines de la santé.

L’avenir nous le dira.

Professeur Luc DOUAY,Hématologue

(Hôpital Armand - Trousseau, Paris)

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OLIVIER VEDRINE

l’europe puissance

Les conflits et la reconstruction des Balkans sont un excellent exemple des défis pour une Europe puissance. Les Balkans représentent en effet un laboratoire d’Europe où plusieurs peuples, religions et cultures sont représentés

sur un territoire de quelques milliers de kilomètres carré. Cet espace nous a permis de voir les conséquences désastreuses de l’utilisation de ces différences par certains politiques nationalistes en vue d’une prise de pouvoir. Il est temps d’accepter notre diversité et de la défendre afin de trouver un modèle pour que nous puissions vivre ensemble et qui soit le fruit des valeurs que nous partageons.

I. Nous, les peuples d’Europe

Il ne faut pas oublier et il faut rester convaincu que nos différences sont la source d’une richesse de réflexion pour l’Europe. Aussi, l’expérience des Balkans nous montre qu’il est primordial de se prémunir des attaques à cet égard, qu’il est primordial de préserver notre diversité culturelle et de faire en sorte qu’elle ne soit plus utilisée par certains politiques nationalistes à des fins de pouvoir. C’est pourquoi nous devons dès à présent instituer cette diversité et la mettre en avant dans la Constitution européenne. On entend souvent «Nous, le peuple etc…». Dans le cas de l’Europe, nous devrions dire maintenant «Nous, les peuples d’Europe...» L’expression «les peuples d’Europe» ne signifie pas qu’elle abandonne son unité, loin de là. L’Europe construit son unité autour de sa diversité, dans une réflexion dynamique. Mais nous reviendrons ensuite sur les principes de cette unité.

L’autre écueil à éviter est celle d’une Europe unie ponctuellement, solidaire autour d’une crise mais incapable de se souder dans la durée. L’Europe doit s’unir pour elle-même et non pas uniquement pour résoudre un problème. L’Histoire nous permet de prendre garde : les Grecs s’unissaient ponctuellement face à l’attaque des Perses, mais restaient incapables de s’unir au-delà. « Nous, les peuples d’Europe » sommes justement unis autour de l’Europe pour garantir sa particularité et son unité autour d’un certain nombre de principes que nous allons tenter de définir maintenant.

II. Les moteurs de l’Europe puissance: les 3DS

Je parle toujours des 3DS, vous avez

déjà certainement dû le lire: Démocratie, Dialogue, Droits de l’Homme et Solidarité. Selon moi, être citoyen européen, c’est se référer à ces 3DS qui sont un des moteurs de la puissance européenne.

Pour devenir une Europe puissance, il faut être le premier dans quatre domaines: militaire, économique, technologique et culturel. Nous observons actuellement, que pour devenir une puissance globale comme les Etats-Unis, nous ne pouvons en faire l’économie. Ils ont la première armée du monde, Hollywood est une puissance culturelle, une machine de guerre, et ils ont la technologie ainsi que la puissance industrielle.

De plus, nous devons faire attention à la fuite des cerveaux. C’est pourquoi nous devons maintenant mettre en place une politique de protection de notre matière grise et quand je vois que la recherche est un peu l’enfant malade en France et en Europe, je trouve cela assez grave. En outre, je félicite l’option proposée par Tony Blair pour la recherche en Europe.

Le coté « culture » est important, c’est également une définition de ce que nous sommes. Et nous ne sommes pas seulement de l’économique.

Culturel, militaire, économique, technologique, ces quatre domaines peuvent faire de nous une puissance globale mais pour devenir une puissance globale, il faut encore avoir un chef donc une union politique. J’appelle l’Europe : quel numéro de téléphone dois-je composer ? Qui dois-je appeler ? Dois-je appeler les 25 ? Certes nous pouvons nous arranger en appelant peut-être Solana, mais il faut aussi appeler

les grands représentants des pays tant qu’il n’y a pas un représentant et là-dessus le projet de traité constitutionnel nous offre la possibilité d’avoir un ministre des Affaires étrangères. Tant que nous n’avons pas de représentant à l’échelle du monde, nous ne pouvons pas parler d’une dynamique de puissance.

Enfin, ce qui fait aussi une grande puissance, c’est une société : c’est l’envie d’adhérer à un modèle. On parle de l’American way of life : il faudrait un jour parler de l’European way of life, essayer de trouver dans notre culture, chez nos philosophes ou dans ce qui nous définit les idées pour créer un nouveau modèle de société. On revient aux 3DS (démocratie, droits de l’homme, dialogue, et solidarité). Le dialogue induit la solidarité, l’un n’allant pas sans l’autre. Il est nécessaire de créer un rêve de l’European way of life. Il faut essayer de bâtir le rêve européen et nous ne pouvons créer une défense si nous n’avons pas au départ une envie de vivre ensemble dans une même société. Et cette société, il faut la construire et je pense qu’il y a encore là un déficit de débat.

Qu’est ce qui a permis à l’Empire romain de subsister pendant plusieurs siècles ? C’est le fait d’être fier d’être citoyen romain. Qu’est ce qui a fait également l’expansion de l’empire romain ? Ce n’est pas seulement le légionnaire, c’est le fait qu’on donnait la citoyenneté romaine et que le nouveau citoyen romain avait une puissance pour pouvoir faire adhérer au modèle de société proposé par l’empire romain et le faire perdurer à travers le temps. Cette constitution est donc nécessaire. Nous ne pouvons pas parler d’une Europe puissance, si nous n’avons pas de constitution. De plus,

Jeudi 12 Janvier 2005, Hôtel de Bedford, Paris

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nous devons en faire ressortir les 3DS: Démocratie, Droit de l’Homme, Dialogue, et Solidarité. Nous devons, donc, surtout aller vers cette union politique. Notre économie doit être la plus performante au niveau mondial et il en est de même pour le militaire, le politique et le culturel.

Nous ne serons puissants que si nous bâtissons un véritable rêve européen: la constitution en est la première marche. Je pense maintenant qu’il faut rentrer dans un véritable débat. Je crois aussi que l’Europe doit prendre en charge son destin. Nous devons nous bâtir d’abord pour nousmêmes et par nous mêmes.

III. Les freins de l’Europe puissance

L’Europe puissance connaît cependant certains freins qui s’inscrivent dans notre mémoire collective, voir notre inconscient collectif – mais que nous pouvons aujourd’hui largement dépassé. «Il est temps de se libérer des libérateurs»: vous avez certainement déjà lu cette fameuse phrase. En effet, comme l’Europe de l’Est s’est libérée de l’Union soviétique, nous devons, nous aussi, nous affranchir du modèle américain, modèle culturel, puissance militaire, technologique et économique. Donc, «il est temps de se libérer des libérateurs» et de sortir de ce complexe d’inferiorité. Au lieu de renoncer à notre destin, nous devons le prendre en main. Cette reprise en main de notre propre destin passe, je dirais, par une redéfinition de notre relation avec le grand frère américain.

Le deuxième obstacle est le retour du nationalisme et des régionalismes. Le premier retour du nationalisme que nous avons pu voir, est celui des Balkans où il a coûté quelques centaines de milliers de morts. Mais nous avons également observé à un moment donné une vague de nationalisme lors des élections en Roumanie et en Autriche par exemple, ou encore Le Pen au second tour des élections présidentielles en France.

Il y a réellement une peur à cause d’un manque de débat, une peur des citoyens européens qui se traduit par un retour à ce que l’on connaît, c’est-à-dire un retour vers sa région, sa nation. Et en raison de ce déficit de débat, nous observons un retour à de vieilles idées parce que nous ne connaissons que celles-ci.

Malgré les freins à l’Europe puissance,

il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de projets ont réussi à se mettre en place grâce à l’Europe, grâce notamment aux fonds structurels de l’Europe. Des pays comme l’Espagne ou le Portugal ont connu un véritable développement économique et sociétal grâce à ces fonds.

On peut dresser un bilan positif de cette Europe de projets économiques, d’autant qu’elle a donné envie à 10 pays de nous rejoindre pour participer au projet d’union économique. Un certain nombre de projets reste à effectuer non pas dans le domaine économique mais dans le domaine politique et sociale. Pour le social, le fond social européen a apporté des moyens au niveau de l’éducation, de la formation. Mais il reste beaucoup à faire.

Et, c’est pourquoi, aujourd’hui nous avons besoin de constituer des groupes de penseurs européens pour faire évoluer les projets politiques de l’Europe pour l’Europe.

IV. Les groupes de penseurs européens et le Club Atlantique-Oural

Il y a un manque réel de think-tank en Europe. Un think-tank pour être efficace doit être transversale, non élitiste pour véhiculer des courants d’idées. Ainsi, il n’y a pas une idée qui s’impose mais des idées qui se discutent.

Les think-tank doivent exister en Europe pour être de véritables sources de propositions, alimentées par la transversalité même de sa composition. Par transversalité, j’entends une transversalité dans les âges, les générations, les provenance socio-professionnelles, les opinions politiques, les domaines d’activités (monde économique, associatif, militaire, universitaire etc..) Comme les think tank anglo-saxons, nous devons englober tout type de personnes, de l’artiste au chef d’entreprise en passant par des universitaires ou militaires.

Pour cela l’IHEDN est un excellent vivier puisqu’il a des auditeurs de toute provenance et qu’il nourrit sa réflexion de diversités et d’ouvertures, en reprenant l’ordonnance de 59 sur la défense globale dont chaque citoyen est un élément actif. C’est ainsi qu’en octobre 2004, sous l’égide de l’Association des Auditeurs des sessions Européennes de l’IHEDN (AAE IHEDN), un club de réflexion sur l’Europe a été mis en place afin de faire valoir l’idée d’une Europe capable d’agir dans le monde. Si ce club a pris le nom de Club Atlantique-Oural,

c’est qu’il a d’ores et déjà voulu se montrer ouverte, large, et fonder le cœur de sa réflexion dans l’échange.

En effet, le Club Atlantique-Oural a pour vocation d’examiner les questions liées à la sécurité et à la défense européenne par le biais de débats et de travaux communs réunissant toute la richesse humaine de l’Europe. 36 nationalités y sont ainsi rassemblées et partagent la volonté de trouver une voie commune à travers l’expérience de chaque nation européenne et des nations liée à l’Europe, et la volonté de faire interagir les diverses perspectives culturelles en présence.

Richesse humaine aussi parce que le Club rassemble différentes personnalités: civils, militaires, diplomates, universitaires… Tous participent à élargir le projet d’une défense commune fondée sur le principe « 3DS » (Démocratie, Droit de l’homme, Dialogue, Solidarité) et tous travaillent à mieux cerner les enjeux, les défis, les attentes et les possibilités de cette vision.

Mais, cette année, le Club vise aussi à diversifier ses activités et à les rendre plus récurrentes. Aussi, il travaille actuellement à la mise en place d’un site Internet comprenant un espace réservé à ses membres dans lequel ils pourront communiquer via un forum. Grâce à ce système, le Club espère pouvoir rapidement mettre en place de nouvelles activités entre ses membres afin d’enrichir davantage leurs réflexions. Le site Internet du Club Atlantique-Oural permettra aussi d’être une véritable vitrine de l’Europe. Il compte ainsi permettre un accès à une Europe qui se pense, qui confronte la diversité de ses points de vue afin de construire une vision commune.

Le Club Atlantique-Oural a ainsi la perspective de se développer vers un véritable « think-tank » européen, non pour imposer ses vues mais au contraire pour en penser la complexité et pour établir des propositions valables pour l’Europe de demain.

Olivier VEDRINE Enseignant - Chercheur

Institut Catholique de Paris(Centre de Recherche sur la Paix)

Institut Supérieur de Commerce(Centre de Recherche)

Membre de l’I.H.E.D.N.(Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale)

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Nombre de peurs de notre temps naissent d’opinions qui obtiennent, plus ou moins rapidement, l’accord de tous, leur consensus.

RENE DARS

le consensus

La notion de consensus est utilisée depuis le 19ème siècle (première apparition en 1824). Le mot latin consensus, accord, est dérivé de consentere, être d’un même sentiment, être d’accord. Le 16ème siècle utilisait le mot censens. Ce latinisme est employé en physiologie pour désigner l’interdépendance d’organes dans l’accom-plissement de fonctions vitales; il remplace, ici, le mot sympathie.

Auguste Comte et Emile Durkheim ont parlé de «consensus social» pour désigner l’intégration et l’interprétation de tous les aspects des réalités sociales. Depuis 1970, consensus est employé par les politiques pour marquer un accord social conforme aux vœux de la majorité. On trouve même l’expression : «Cette idée a reçu un large consensus» ou encore «un consensus mou»! Il semble que le terme ne désigne plus, alors, un accord général, mais simplement l’expression d’une idée majoritaire. On peut le regretter.

André Jouette (1993) distingue :consensus, accord, consentementconsensus omnium, consentement universel.

Quoi qu’il en soit, nombre de peurs de notre temps résultent de l’acceptation, par consensus, d’opinions douteuses, non scientifiques.

Un écrivain américain, non scientifique mais ancien élève en médecine de Harvard, Michaël Crichton, a prononcé, el 17 janvier 2003, une conférence intitulée «Des extraterrestres à l’origine du réchauffement climatique». Il décrit bien, avec des formules heureuses, ce qu’est devenu la Science sous la pression médiatique d’une nouvelle dictature qui tient à l’écologie. Il s’élève contre ce que certains appellent «la science du consensus».

Nous allons évoquer quelques exemples d’erreurs qui, par consensus quasi omnium, ont été longtemps « Paroles d’Evangile ».

Le destin de Giordano Bruno

Philippe Bruno, né à Nola, près du Vésuve, en 1565, prit le nom de Giordano Bruno à son entrée au couvent des Dominicains de Naples. Reçu docteur en théologie en 1572, il quitte définitivement son ordre en 1576 à la suite de deux procès. En 1579 il se convertit au calvinisme. Professeur à la Sorbonne, il engage une violente querelle avec les péripatéticiens. Il quitte la France en 1587 et erre pendant plusieurs années en Allemagne. C’est en 1591 qu’il vient à Venise, à l’invitation d’un riche patricien, Zuano Monecigo, pour enseigner la mémoire et la géométrie.

En 1592, le 23 mai, son protecteur le livre à l’Inquisition romaine qui le torture et le condamne à mort le 8 février 1600, en tant «qu’hérétique, impénitent, opiniâtre et obstiné». Le 17 février suivant, après qu’on lui eut arraché la langue «pour les affreuses paroles qu’il avait proférées», il est conduit au Campo dei Fiori et y est brûlé vif. Cette année-là, le 17 février était le lendemain des Cendres.

Pourquoi Giordano Bruno a-t-il subi un tel supplice ?

C’était un philosophe et un poète. Il avait été séduit par les écrits d’un chanoine polonais, médecin et astronome, nommé Nicolas Copernic, qui rejetait la théorie cosmologique de Ptolémée pour qui, suivant l’enseignement d’Aristote, la Terre, rigoureusement immobile, siégeait au centre du Monde et était l’unique centre des mouvements célestes. Il existait une dichotomie entre le monde terrestre qui s’étendait jusqu’à la Lune et le cosmos, immuable, non-physique, domaine de l’éther.

Pour Copernic, la Terre n’était plus le centre du Monde. C’était autour du Soleil que tournaient les planètes. Dans le système héliocentrique, que l’on appelle le système

de Copernic, l’homme n’est plus au centre de l’Univers. Prudent, Copernic ne livre pas totalement au public ses idées opposées au consensus qui règne alors. C’est son disciple unique Rheticus qui lui apporte sur son lit d’agonisant le premier exemplaire du De revolutionibus, en juin 1542.

Giordano Bruno dépasse les conceptions de Copernic qui maintenait fixes les étoiles sur une grande sphère extérieure concentrique au Soleil. Pour lui il n’y a plus de sphères cristallines emboîtées. L’Univers est infini et il y a une infinité d’étoiles. Et surtout il considère que le Dieu infiniment bon et tout puissant de la théologie chrétienne ne peut que peupler l’espace infini d’une pluralité infinie de mondes. C’est ce principe de plénitude, qu’il enseigne publiquement et qui, l’opposant au consensus de l’époque, est à l’origine de son destin tragique.

Après Giordano Bruno, Galilée, qui s’est lui aussi opposé au consensus de son époque, et que l’on a voulu faire taire, est condamné en 1632. Il abjure, et son destin est moins immédiatement tragique.

La dérive des continents : les raisons d’un échec.

Les contours complémentaires de l’Amérique et de l’Afrique, qui furent une révélation pour A. Wegener en 1910, avaient déjà été remarqués dans le passe. Francis Bacon, philosophe et Chancelier d’Angleterre, Francis Drake, le corsaire de la reine Elisabeth la première, le comte de Buffon, le philosophe Emmanuel Kant, l’explorateur Alexander von Humboldt, Antonia Snider, le géographe français anarchiste Elisée Reclus entre autres avaient noté la forme surprenante de l’océan Atlantique.

F. B. Taylor, un Américain, s’intéressa également à cette question au début du vingtième siècle, si bien qu’on a quelquefois parlé de l’hypothèse de Taylor-Wegener ; mais il est évident que Wegener est le seul à avoir échafaudé une théorie générale logique et applicable au globe tout entier.

Vendredi 14 Octobre 2005, Centre Universitaire Méditerranéen, Nice

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Avant que Wegener n’expose ses idées révolutionnaires, on pensait couramment que les continents étaient restés quasiment fixes depuis leur formation.

Pour expliquer la présence, de part et d’autre de l’océan Atlantique de flores et de faunes identiques (et en particulier d’un petit reptile fossile du genre Mesoraurus), H. von Ihering imaginait un pont continental (Archhelenis) qui aurait permis les déplacements nécessaires. Malheureusement, Wegener pensait pouvoir démontrer la réalité des déplacements continentaux en mesurant quelle avait été la variation de longitude du Groenland depuis 1822. La précision des mesures était alors insuffisante et il dut abandonner.

Entre 1910 et 1928, de nouvelles preuves géologiques et paléontologiques furent cependant versées au dossier :

-La similitude des flores dans les régions maintenant éloignées (Amérique du Sud, Afrique du Sud, Inde, Antarctique, Australie);

-La présence de sédiments d’origine glaciaire dans ces mêmes endroits.

Ces faits ne pouvaient s’expliquer logiquement que si tous ces territoires étaient réunis en un seul ensemble continental : le Gondwana, disloqué par la suite. D’un point de vue strictement géologique la cause était entendue.

Cependant Wegener, géophysicien, souhaitait convaincre ses collègues géophysiciens. Le point faible de son argumentation était la nature du moteur possible de la dérive. Il l’attribue à des effets de marées terrestres. La migration de l’Amérique vers l’ouest aboutissant à la formation des Montagnes Rocheuses, le déplacement de l’Inde vers le nord produisant l’Himalaya, étaient pour lui le résultat de l’action de forces de marées continentales.

Dans son traité intitulé « La Terre », en 1928, Harold Jeffreys, géophysicien anglais, montra par des calculs simples que, si de telles forces avaient existé, elles auraient arrêté rapidement la rotation de la Terre. La même année, les participants du symposium de l’American Association of Petroleum Ceologists furent quasi unanimes à condamner la théorie. Ce fut, pour A. Wegener, le début d’une descente aux enfers. Il fallut attendre les années 1960 pour que, transfigurées, ses idées retrouvent force et vigueur.

On peut penser qu’A. Wegener eut raison trop tôt mais aussi qu’il n’avait pas à sa disposition tous les résultats des sondages, effectués après 1960, qui démontraient que les fonds marins étaient en expansion. Sa réussite posthume est celle d’un grand savant qui a su trouver une explication rationnelle à de nombreuses questions laissées en suspens ou mal résolues par la pensée officielle qui, en 1912, supposait

les continents quasiment fixes et qui l’a cru encore longtemps après. Alfred Wegener est mort en 1930, à cinquante ans, au cours d’une expédition météorologique au Groenland.

On pourrait citer d’autres exemples, souvent navrants, d’erreurs par consensus. Retenons qu’un esprit novateur est le plus souvent minoritaire. Une des qualités d’un bon chercheur est l’acharnement à défendre ses idées contre vents et marées. Cependant il doit être capable - ce n’est pas facile - de reconnaître ses erreurs.

Et souvenons-nous, avec C. J. Allègre que « Le consensus n’a jamais fait avancer la science » (In le Dictionnaire amoureux de la science, Fayard édit., p. 532).

René DARSPrésident du Cercle Demi-Siècle de Nice

Nice, 14 octobre 2005

Colloque sur Les Peurs de notre temps,au Centre Universitaire Méditerranéen.

Note : L’ensemble des travaux de cette journée constituera le tome 6 des Actes de la section Nice - Côte d’Azur de l’Académie européenne interdisciplinaire des Sciences.

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KERSTIN DAHLSTRÖM

le général de gaulle ou la france éternelle

Le Demi-Siècle de Stockholm vient d’essayer, pour la première fois, la formule de déjeuner-conférence. Ce premier déjeuner,

bien qu´avec très peu de participants, a été un succès! Nous étions six autour de la table dont deux dames et quatre messieurs:

- Mme Christina Bratt, secrétaire du conseiller de culture et sciences de l´ambassade, et secrétaire générale de l´Alliance Francaise de Stockholm.- Le baron Stig Ramel, ancien diplomate à Paris, ancien directeur de la fondation Nobel, auteur de plusieurs livres.- M. Jan Carlström.- Mon ami M. Neri Voghera, ingénieur, inventeur, musicologue. Petit-fils du compositeur suédois Tor Aulin, fondateur de Konserthuset, et fils de Tullio Voghera, qui suivait Toscanini autour du monde, directeur d´orchestre de l´opéra de Stockholm et professeur de Jussi Björling.- M. Christophe Luciani, d´origine corse, fondateur et responsable Europaspråk, société spécialisée de l´enseignement du francais aux adultes, travaillant entre autre avec le parlement.- Moi-même, de très bonne humeur.

Le thème était: “Le Général de Gaulle ou la France Eternelle”. Monsieur Luciani a parlé de ce grand homme d´état qui a tant influencé notre histoire contemporaine, bien au delà des frontières francaises. Il a fait son exposé avec beaucoup de clarté et concentration bien que souvent interrompu par les participants. Comme nous n´étions pas nombreux il est resté assis à table. Nous avons eu la salle pour nous seuls, heureusement, parce que cela a été très animé! La conférence a été illustrée par des enregistrements de discours du général de Gaulle.

Plusieurs parmi les participants ont pu témoigner de leurs propres expériences à cette époque. M. Voghera a raconté, avec beaucoup d´émotion, comment à l´age de 16 ans, en Suède, sur une poste de radio à ondes courtes construite par lui-même, il avait réussi à écouter le discours du général de Gaulle, émissionné depuis Brazzaville. M. Ramel, lui, nous a parlé de parades militaires magnifiques, auxquelles il avait assísté lors de ses années à Paris.

À un certain moment nous nous sommes tous écrié : - Vive le Général de Gaulle! - Vive la France! Telle était l´ambiance... Cela inspire à préparer d´autres déjeuners-conférences.

Un autre évènement bien apprécié a été la visite au Musée d´August Strinberg, installé dans sa dernière demeure. Une

pièce de théatre, sur Strindberg, avait été donnée, introduite en francais par son auteur, Madame Britt-Marie Edberg. Le grand écrivain suédois August Strindberg écrivait certains de ses livres en francais!

Kerstin DahlströmPrésidente du Cercle Demi-Siècle de Stockholm

Vendredi 14 Novembre 2005, Restaurant Naglo, Stockholm

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KARL HOFMANN

les relations entre les états-unis d’amérique et la france

Lorsque mon ami Michel Besson m’a demandé de me joindre à lui, pour prendre la parole devant l’association Le Demi-Siècle, je lui ai répondu que je ne me sentais pas à la hauteur...que je n’avais pas encore atteint le

stade de sagesse qu’évoque le nom de votre association. Mais dans sa grande bonté, il m’a accordé une dispense.

L’association Le Demi-Siècle elle-même, a évidemment une histoire beaucoup plus longue que ne le dit son nom. Pour mieux la connaître, j’ai parcouru votre dernière revue, qui donne des nouvelles de vos membres, mais qui propose aussi des articles savants sur de nombreux sujets : les tsunamis, la possibilité qu’une grosse météorite vienne un jour heurter la Terre, l’histoire des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem... votre association a les intérêts les plus variés et un bel appétit de savoir, et je vous en félicite.

Mardi 13 Décembre 2005, Hôtel de Bedford, Paris

En ce moment, aucun Américain ne devrait s’adresser à un Français sans lui exprimer avant toute chose ses remerciements et sa reconnaissance pour tous les efforts déployés par nos amis de France en faveur des victimes des cyclones Katrina et Rita.

Tous, nous avons été bouleversés par ces événements, et je sais que de nombreux Français ont été particulièrement touchés par le sort de la Nouvelle-Orléans, une ville dont l’histoire - si singulière, fragile et complexe - s’inscrit au cœur même des relations historiques tissées depuis plus de deux siècles entre la France et l’Amérique.

La Nouvelle-Orléans sera reconstruite grâce au travail énergique de nombreux Américains et à l’aide du gouvernement et du secteur privé, mais nous sommes bien conscients du gigantesque élan de soutien que la France elle-même nous a manifesté.

Les ravages causés par Katrina et

l’incapacité évidente dans laquelle s’est trouvé le gouvernement américain de répondre suffisamment vite aux besoins, de même que les événements récents qui se sont produits en France, ont, me semble-t-il, remis en question certaines des idées reçues sur nos pays respectifs.

Nous sommes à une époque riche de possibilités mais également assaillie par les problèmes de société. La manière dont nous triompherons de ces épreuves sera une indication quant aux chances de réussite des sociétés de l’avenir.

Ce soir, j’aimerais pourtant me concentrer sur les défis que le monde extérieur lance à nos sociétés. Et j’aimerais aussi parler de la responsabilité particulière, qui incombe aux Etats-Unis et à la France, de travailler ensemble dans le monde.

Nous entendons et nous lisons beaucoup de choses sur l’état des relations entre l’Amérique et la France ; sur la bonne santé des relations transatlantiques ; ou plus souvent encore sur leur mauvaise santé. Des deux côtés de l’Atlantique, on ne cesse de s’interroger sur la nature des liens qui nous unissent. Sont-ils solides? Ou bien faibles? Vont-ils mieux? Vont-ils plus mal...?

L’idée la plus importante que je voudrais vous communiquer ce soir est la suivante :

Ce qui compte ce n’est pas la nature de notre alliance, la bonne santé de notre relation. Ce qui compte – et c’est ainsi que notre relation devra être jugée au XXIe siècle - c’est l’usage que nous en faisons dans le monde.

Je vous le dis : les relations franco-américaines sont profondes ; elles sont solides. La France a participé à la naissance de l’Amérique. Et les Etats-Unis ont participé a la survie de la France. Nous connaissons tous les sacrifices faits par nos troupes respectives.

Nous avons combattu côte à côte, comme le font les troupes françaises et américaines aujourd’hui en Afghanistan pour garantir et affermir la démocratie émergente dans ce pays, parce que nous avons les mêmes spéculations stratégiques et parce que nous sommes unis par des valeurs communes.

Mais le monde de 2005 lance de vrais défis à nos valeurs et à nos intérêts communs, des défis qui ne se posaient pas il y a dix ans quand la guerre froide a pris fin. Laissez-moi vous citer quelques domaines où notre partenariat est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.

En premier lieu : la démocratie. Nos deux pays -et c’est peut-être un cas unique-

Le 29 novembre 1884, Victor Hugo visite l’atelier du sculpteur Bartholdi qui vient d’achever la statue de la Liberté éclairant le monde, cadeau de la France aux États-Unis. Le poète prononce alors ces paroles : “Oui, cette belle œuvre tend à ce que j’ai toujours aimé, appelé LA PAIX. Entre l’Amérique et la France - la France qui est l’Europe - ce gage de paix permanent. Il était bon que cela fût fait. “

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ont pour principe fondateur l’universalisme de nos grands idéaux, dont la promotion de la liberté a toujours eté au coeur.

Durant les années de la guerre froide, pour des raisons que, de part et d’autre, nos gouvernement successifs estimaient justes et raisonnables, la promotion de la démocratie n’a pas été au premier plan de notre agenda international. Les menaces de la guerre froide exigeaient de mettre l’accent sur la stabilité. Nous nous sommes retrouvé en compagnie de certains despotes, plus ou moins fréquentables, simplement parce qu’ils étaient considérés comme étant de notre bord.

A la fin de la guerre froide, cette logique n’avait plus lieu d’être. C’est pourquoi on a pu finalement résoudre plusieurs conflits menés par procuration, et qui s’éternisaient, en Afrique, en Amérique centrale et en Asie. Promotion de la démocratie, défense des droits de l’homme, ces thèmes sont revenus au centre de la diplomatie internationale.

Pourtant, l’application de ces principes a été au mieux sporadique, et je suis sûr que vous pourriez me citer toute une liste d’exceptions à cet idéal, en particulier au Moyen-Orient.

Or, le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont douloureusement pris conscience que notre politique en faveur de la stabilité dans le monde, et pour la promotion de la démocratie seulement là où nos intérêts la permettait, s’étaient retournées contre nous.

Nous nous sommes trouvés confrontés à un ennemi qui cherche à nous détruire, et qui avait prospéré sur le terreau fertile des Etats autoritaires du monde arabe. Si le meurtre était l’idéologie de ceux qui nous ont attaqués le 11 septembre, on peut dire que leur bras a été armé par l’injustice et la répression chez eux.

Le président Bush a énoncé tout cela très clairement dans son second discours d’investiture, en janvier 2005. Les Etats-Unis, a-t-il dit – ont désormais compris que nos intérêts et nos valeurs sont identiques. Promouvoir la démocratie n’est pas un luxe, c’est une nécessité. De toute évidence, en faisant passer la démocratie après la stabilité au Moyen-Orient, nous avons diminué – et non accru – notre sécurité.

Cette menace n’est pas dirigée seulement contre les Etats-Unis. Londres

nous l’a prouvé récemment. Avant cela il y a eu Madrid, et Charm el-sheikh, et Bali, et Istanbul, et même Paris. Nous ne sommes pas naïfs : ce n’est pas parce que nous contribuerons à une plus large démocratisation au Moyen-Orient qu’Al-Qaïda mettra un terme à ses activités meurtrières, et que la violence extrémiste sera éliminée.

Mais la multiplication des structures démocratiques dans cette partie du monde contribuera à faire disparaître le prétexte de l’autoritarisme des régimes soutenus par l’Occident pour justifier le recrutement des candidats à l’attentat-suicide. A long terme, plus de démocratie conduira à plus de stabilité, et non l’inverse.

Comment peut-on soutenir les voix qui s’élèvent en faveur des réformes et des libertés au Moyen-Orient ? Sachant que la démocratie ne s’impose pas, il faut que chaque pays puisse la développer de l’intérieur, en fonction de toutes ses dimensions nationales.

En collaboration avec 22 pays du Moyen-Orient et l’Union européenne, les Etats-Unis ont lancé l’initiative du Grand Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à la fin de 2004.

Dans le cadre de cette initiative, le Maroc a accueilli le premier Forum pour l’Avenir, réunissant des responsables des gouvernements et du monde des affaires, ainsi que des personnalités de la société civile, afin de discuter de questions telles que la démocratie, la participation, les réformes et les libertés. C’est au Bahrein que s’est tenu la 2e édition de ce Forum.

L’Europe n’a pas ignoré cette réalité et ce défi à relever. Bien avant que les Etats-Unis ne lancent l’initiative du Grand Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, l’Europe avait mis en route le Processus de Barcelone, ou Dialogue euro-méditerranéen, fondé sur le postulat que les réformes politiques et économiques sur l’autre rive de la Méditerranée iraient dans le sens de l’intérêt collectif.

Le Processus de Barcelone n’a pas été conçu comme un moyen de promouvoir la démocratie dans les pays partenaires car la promotion de la démocratie n’était pas considérée, en 1995, comme l’impératif de sécurité nationale qu’elle est devenue aujourd’hui. Mais le Processus de Barcelone et l’Initiative du Grand Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord peuvent être considérés,

à juste titre, comme complémentaires. Nous espérons que l’Europe jouera un rôle encore plus grand dans cet effort.

Comme l’a dit le président Bush, la promotion de la démocratie, particulièrement au Moyen-Orient, sera probablement la tâche de plusieurs générations. Mais nous ne devons pas tarder plus longtemps et nous avons besoin que la voix énergique de la France au sein de l’Europe soutienne cet objectif si nous voulons insuffler l’oxygène nécessaire aux réformateurs de ces pays, qui doivent parfois affronter de vives résistances. De toute évidence, il s’agit d’un domaine où l’alliance franco-américaine peut et doit servir.

Un autre domaine où notre alliance doit se montrer forte et efficace est celui de la non-prolifération et de la contre-prolifération.

Si l’Irak de Saddam n’a pas été le cas typique d’armes de destruction massive aux mains d’un Etat qui soutient le terrorisme, bien que tous les services de renseignement des pays occidentaux l’aient cru, ne signifie pas qu’un tel cas ne risque pas de se présenter.

En collaboration avec nos partenaires internationaux, nous avons rencontré cette possibilité en Iran et en Corée du Nord, et auparavant en Libye. Ces trois cas sont autant d’exemples intéressants :

Pour la Libye, on voit que son gouvernement a pris la décision stratégique d’abandonner ses programmes d’armement et de chercher à rejoindre la communauté des nations, malgré son passé terroriste avoué.

Pour la Corée du Nord, nous avons eu une récente avancée, mais il faudra un certain temps pour voir si le régime de Pyongyang tient ses engagements et s’il permettra un démantèlement vérifiable de ses capacités nucléaires offensives.

Enfin, dans le cas de l’Iran, nous avons entendu la réponse du Président iranien à la communauté internationale, laquelle demandait que l’Iran dise la vérité sur son programme nucléaire secret et qu’il assume ses obligations internationales.

Certes, dans le cas de l’Iran, le trio France, Allemagne, Royaume-Uni s’efforce d’arriver à une solution négociée, avec le soutien sans réserve des Etats-Unis. Nous espérons tous le succès de cette

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négociation, bien que les indices ne soient pas très positifs pour le moment. Mais il faut être prêts à envisager un échec ; et, là, le président Chirac a été très clair en disant que notre seul recours serait peut-être de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. Et nous sommes de son avis.

Cette activité diplomatique complexe est difficile et pourtant nous avons à faire à des instances gouvernementales. Imaginez les menaces posées par des acteurs non étatiques, des organisations terroristes, qui auraient accès aux armes de destruction massive. Impossible de considérer cela comme une pure hypothèse.

En matière d’armes de destruction massive, il est de plus en plus facile de détourner la technologie, les matériaux et le savoir-faire à des fins malfaisantes. Il est évident que nous devons coopérer étroitement pour faire face à cette menace commune. Et c’est bien ce que nous faisons.

La France a été un des premiers partenaires des Etats-Unis dans leur Initiative de sécurité contre la prolifération, destinée à faciliter le travail des pays qui coopèrent pour empêcher que des équipements et matériels hyper-dangereux ne tombent dans les mains de gens hyper-dangereux.

En outre, nous travaillons avec la France et l’Union européenne à l’Initiative sur la sécurité des conteneurs, destinée à contrôler les vastes mouvements de notre commerce maritime. Nous ne devons pas permettre que l’autoroute mondiale du commerce, qui a réussi à tirer de la pauvreté des millions de gens de part le monde, soit utilisée par nos ennemis communs pour saper le système commercial global qui leur inspire une crainte irrationnelle.

Sachons continuer à utiliser notre alliance pour stopper la diffusion de ces armes et de ces technologies que nos ennemis utiliseront contre nous. Nous aurions grand tort de croire que le temps joue en notre faveur.

Il est un autre domaine lié à la contre-prolifération, mais où l’alliance de la France et des Etats-Unis doit être aussi forte et efficace que jamais : c’est la lutte contre le terrorisme.

Nous avons vu en France et aux Etats-Unis ce que le terrorisme peut faire dans nos villes, au sein de notre population. Il constitue la grande menace de notre époque, qui exige de notre part une coopération étendue et flexible.

Je suis heureux de dire qu’en ce domaine notre alliance ne pourrait mieux fonctionner. La France et les Etats-Unis sont parmi les partenaires internationaux les plus efficaces dans la lutte contre la violence extrémiste et le terrorisme sous toutes ses formes.

Nous savons que les infrastructures terroristes existent en Europe, en France et aux Etats-Unis. Les démanteler avant qu’un nouvel événement ne se produise est un travail difficile, minutieux et de longue haleine. C’est le travail de la police, mais aussi des services de renseignements, des analystes, des militaires, des diplomates, des banquiers, des hommes d’affaires et des fonctionnaires à tous les niveaux.

Le ton est donné par la nature même des informations sensibles et secrètes que nous partageons, en nous efforçant de nous protéger autant les uns que les autres. Parce que nous savons que nos adversaires nous considèrent comme une seule et même cible. Notre coopération en ce domaine est forte, elle est payante, et elle est fermement soutenue par nos pouvoirs publics au plus haut niveau.

Vous remarquerez que j’ai essayé d’aborder ces domaines où la coopération de l’alliance est majeure, sous l’angle de ce que la France et les Etats-Unis peuvent, et doivent, faire en commun. Mais bien sûr, le destin de la France est avant toute chose celui de chef de file d’une Europe forte et unie.

Les Etats-Unis n’ont pas de schéma tout fait sur ce que doit être l’organisation de

l’Europe. Nous avons nos idées sur certains points spécifiques, et parfois nous les faisons connaître - parfois même quand on ne nous les demande pas. Mais fondamentalement, bien sûr, la façon dont l’Europe s’organise est une question qui ne regarde que les Européens.

Ce que nous voulons, et ce que le président Bush a exprimé clairement lors de sa visite en Europe au début de son second mandat, c’est un partenaire européen solide. Tout ce que nous cherchons à accomplir dans le monde - qu’il s’agisse de promouvoir la démocratie; de maîtriser la prolifération; de lutter contre le terrorisme; sans oublier la montée en puissance de la Chine; la menace d’une nouvelle pandémie; les ravages du virus VIH et du sida, surtout dans le monde en développement; la nécessité de trouver des réponses concrètes au changement du climat - tout cela demande, si nous voulons y arriver, un partenariat fort avec une Europe forte.

Nous espérons que la France continuera à jouer un rôle de leader dans cette définition de l’Europe.

Revenons à l’alliance franco-américaine. Elle est importante en raison de toutes les grandes causes qu’elle a défendues depuis plus de 200 ans. Mais nous la jugerons aussi au regard de ce qu’elle accomplira dans les années à venir. Face aux défis que nous lance le XXIe siècle, nous nous devons moins de réfléchir à la bonne santé de nos relations bilatérales, ou des relations transatlantiques en général, qu’à l’usage que nous allons en faire.

Une fois encore, merci pour l’honneur que vous m’avez fait de m’inviter à m’adresser à vous. Je serais heureux maintenant de répondre aux questions que vous auront peut-être inspiré mes propos. Merci.

Karl HofmannMinistre de l’Ambassade

des Etats-Unis d’Amérique

www.amb-usa.fr

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UNE LETTRE DU PÈRE DE FOUCAULD À RENÉ BAZIN

des musulmans peuvent-ils devenir français ?

A la veille de la béatification du Père Charles de Foucauld, Décryptage publie un document peu connu, une lettre écrite par le saint ermite à

l’académicien René Bazin, qui sera l’auteur de sa première et indépassable biographie. Oui, quoi qu’on ait dit, Foucauld voulait évangéliser les Touaregs. Sa méthode : inspirer confiance par l’exemple d’une vie droite et généreuse, “ préparer la voie “. Relire Foucauld n’est pas anachronique : l’homme fut un mystique, mais un mystique incarné, un intellectuel précis. Quand l’intégration des musulmans à la société française ne cesse de créer des situations de plus en plus dramatiques, il est bon de retenir le message du “frère universel” qui, déjà, appelait les Français à être davantage chrétiens.

JESUS CARITAS,Tamanrasset, par Insalah, via Biskra, Algérie, 29 juillet 1916.

“ Monsieur, Je vous remercie infiniment d’avoir bien voulu répondre à ma lettre, au milieu de tant de travaux, et si fraternellement. Je pourrais, m’écrivez-vous, vous dire utilement la vie du missionnaire parmi les populations musulmanes, mon sentiment sur ce qu’on peut attendre d’une politique qui ne cherche pas à convertir les musulmans par l’exemple et par l’éducation et qui par conséquent maintient le mahométisme, enfin des conversations avec des personnages du désert sur les affaires d’Europe et sur la guerre.

I. Vie du missionnaire parmi les populations musulmanes

Habituellement chaque mission comprend plusieurs prêtres, au moins deux ou trois; ils se partagent le travail qui consiste surtout en relations avec les indigènes (les visiter et recevoir leurs visites); œuvres de bienfaisance (aumônes, dispensaires); œuvres d’éducation (écoles d’enfants, écoles du soir pour les adultes, ateliers pour les adolescents); ministère paroissial (pour les convertis et ceux qui veulent s’instruire dans la religion chrétienne).

Je ne suis pas en état de vous décrire cette vie qui, dans ma solitude au milieu de populations très disséminées et encore très éloignées d’esprit et de cœur, n’est

pas la mienne... Les missionnaires isolés comme moi sont fort rares. Leur rôle est de préparer la voie, en sorte que les missions qui les remplaceront trouvent une population amie et confiante, des âmes quelque peu préparées au christianisme, et, si faire se peut, quelques chrétiens.

Vous avez en partie décrit leurs devoirs dans votre article: “Le plus grand service” (Écho de Paris, 22 janvier 1916). Il faut nous faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami sûr, à qui on va quand on est dans le doute ou la peine, sur l’affection, la sagesse et la justice duquel on compte absolument. Ce n’est que quand on est arrivé là qu’on peut arriver à faire du bien à leurs âmes.

Inspirer une confiance absolue en notre véracité, en la droiture de notre caractère, et en notre instruction supérieure, donner une idée de notre religion par notre bonté et nos vertus, être en relations affectueuses avec autant d’âmes qu’on le peut, musulmanes ou chrétiennes, indigènes ou françaises, c’est notre premier devoir : ce n’est qu’après l’avoir bien rempli, assez longtemps, qu’on peut faire du bien.

Ma vie consiste donc à être le plus possible en relation avec ce qui m’entoure et à rendre tous les services que je peux.

À mesure que l’intimité s’établit, je parle, toujours ou presque toujours en tête à tête, du bon Dieu, brièvement, donnant à chacun ce qu’il peut porter, fuite du péché, acte

d’amour parfait, acte de contrition parfaite, les deux grands commandements de l’amour de Dieu et du prochain, examen de conscience, méditation des fins dernières, à la vue de la créature penser à Dieu, etc., donnant à chacun selon ses forces et avançant lentement, prudemment.

Il y à fort peu de missionnaires isolés faisant cet office de défricheur ; je voudrais qu’il y en eût beaucoup : tout curé d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc, tout aumônier militaire, tout pieux catholique laïc (à l’exemple de Priscille et d’Aquila), pourrait l’être.

Le gouvernement interdit au clergé séculier de faire de la propagande anti-musulmane ; mais il s’agit de propagande ouverte et plus ou moins bruyante: les relations amicales avec beaucoup d’indigènes, tendant à amener lentement, doucement, silencieusement, les musulmans à se rapprocher des chrétiens devenus leurs amis, ne peuvent être interdites par personne.

Tout curé de nos colonies, pourrait s’efforcer de former beaucoup de ses paroissiens et paroissiennes à être des Priscille et des Aquila. Il y a toute une propagande tendre et discrète à faire auprès des indigènes infidèles, propagande qui veut avant tout de la bonté, de l’amour et de la prudence, comme quand nous voulons ramener à Dieu un parent qui a perdu la foi...

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Espérons qu’après la victoire nos colonies prendront un nouvel essor. Quelle belle mission pour nos cadets de France, d’aller coloniser dans les territoires africains de la mère patrie, non pour s’y enrichir, mais pour y faire aimer la France, y rendre les âmes françaises et surtout leur procurer le salut éternel, étant avant tout des Priscille et des Aquila !

II. Comment franciser les peuples de notre empire africain

Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du nord de l’Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste analogue à celui de la Turquie:

Une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l’esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l’étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses; d’autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu’elle a avec les Français (représentants de l’autorité, colons, commerçants), contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous faire aimer d’elle.

Le sentiment national ou barbaresque s’exaltera dans l’élite instruite : quand elle en trouvera l’occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l’islam comme d’un levier pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant.

L’empire Nord-Ouest-Africain de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale française, etc., a 30 millions d’habitants; il en aura, grâce à la paix, le double dans cinquante ans. Il sera alors en plein progrès matériel, riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d’habitants rompus au maniement de nos armes, dont l’élite aura reçu l’instruction dans nos écoles. Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens.

Il ne s’agit pas de les convertir en un jour ni par force mais tendrement, discrètement, par persuasion, bon exemple, bonne

éducation, instruction, grâce à une prise de contact étroite et affectueuse, œuvre surtout de laïcs français qui peuvent être bien plus nombreux que les prêtres et prendre un contact plus intime.

Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? Exceptionnellement, oui. D’une manière générale, non. Plusieurs dogmes fondamentaux musulmans s’y opposent; avec certains il y a des accommodements; avec l’un, celui du medhi, il n’y en a pas: tout musulman, (je ne parle pas des libres-penseurs qui ont perdu la foi), croit qu’à l’approche du jugement dernier le medhi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l’islam par toute la terre, après avoir exterminé ou subjugué tous les non musulmans.

Dans cette foi, le musulman regarde l’islam comme sa vraie patrie et les peuples non musulmans comme destinés à être tôt ou tard subjugués par lui musulman ou ses descendants; s’il est soumis à une nation non musulmane, c’est une épreuve passagère; sa foi l’assure qu’il en sortira et triomphera à son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti; la sagesse l’engage à subir avec calme son épreuve; “ l’oiseau pris au piège qui se débat perd ses plumes et se casse les ailes ; s’il se tient tranquille, il se trouve intact le jour de la libération“, disent-ils ;

ils peuvent préférer telle nation à une autre, aimer mieux être soumis aux Français qu’aux Allemands, parce qu’ils savent les premiers plus doux ; ils peuvent être attachés à tel ou tel Français, comme on est attaché à un ami étranger; ils peuvent se battre avec un grand courage pour la France, par sentiment d’honneur, caractère guerrier, esprit de corps, fidélité à la parole, comme les militaires de fortune des XVIe et XVIIe siècle mais, d’une façon générale, sauf exception, tant qu’ils seront musulmans, ils ne seront pas Français, ils attendront plus ou moins patiemment le jour du medhi, en lequel ils soumettront la France.

De là vient que nos Algériens musulmans sont si peu empressés à demander la nationalité française : comment demander à faire partie d’un peuple étranger qu’on sait devoir être infailliblement vaincu et subjugué par le peuple auquel on appartient soi-même ? Ce changement de nationalité implique vraiment une sorte d’apostasie, un renoncement à la foi du medhi...

III. Conversation avec des personnages du désert sur les affaires de l’Europe et sur la guerre

Je n’en ai pas. Je n’ai jamais cessé de dire aux indigènes que cette guerre est chose sans gravité : deux gros pays ont voulu en manger deux petits ; les autres gros pays, tel que les Anglais, les Russes et nous, leur font la guerre non seulement pour empêcher cette injustice, mais pour ôter à ces deux voleurs la force de recommencer ; quand ils seront bien corrigés et affaiblis on leur accordera la paix ; cela durera ce que cela durera, le résultat ne présente aucun doute, et nous avons l’habitude d’aller lentement mais sûrement... Les gens de ce pays reculé sont d’une telle ignorance que tout détail supplémentaire les induirait en erreur : ils ne comprendraient pas, et se feraient des idées fausses.

La main-d’œuvre polonaise

Votre article sur la main-d’œuvre étrangère (L’Écho de Paris du 28 mai 1916), et ce que vous y dites avec tant de vérité des Polonais me porte à vous parler d’un ami... qui a consacré sa vie à l’étude et au relèvement de la Pologne, sa patrie ; il travaille à la relever surtout par la pureté des mœurs, l’austérité de la vie et le renoncement à l’alcool.

Voyant avec douleur beaucoup de Polonais partir annuellement pour l’Amérique où ils perdent leurs âmes, il cherche à détourner ce mouvement d’émigration vers la France et les colonies françaises du Nord de l’Afrique, Algérie, Maroc, Tunisie. Depuis trois ou quatre ans il a fait parvenir des propositions à ce sujet aux autorités françaises d’Algérie et du Maroc, offrant de diriger sur ces pays des familles choisies de Polonais. Rien de ce qu il a proposé n’a été exécuté jusqu’a présent. L’heure viendra peut-être bientôt de reprendre son idée et de l’appliquer non seulement à l’Algérie, à la Tunisie et au Maroc, mais aussi à la France...

Les Kabyles

Comme vous, je désire ardemment que la France reste aux Français, et que notre race reste pure. Pourtant je me réjouis de voir beaucoup de Kabyles travailler en France; cela semble peu dangereux pour notre race, car la presque totalité des Kabyles, amoureux de leur pays, ne veulent que faire un pécule et regagner leurs montagnes.

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Si le contact de bons chrétiens établis en Kabylie est propre à convertir et à franciser les Kabyles, combien plus la vie prolongée au milieu des chrétiens de France est-elle capable de produire cet effet.

Les Berbères marocains, frères des Kabyles, sont encore par trop rudes ; ils seront pareils aux Kabyles, quand, comme eux, ils auront soixante ans de domination française. Saint Augustin aimait la langue punique, parce que, disait-il, c’était la langue de sa mère : qu’était la race de sainte Monique dont la langue était la punique ?

La race berbère ? Si la race berbère nous a donné sainte Monique et en partie saint Augustin, voilà qui est bien rassurant. N’empêche que les Kabyles ne sont pas aujourd’hui ce qu’étaient leurs ancêtres du IVe siècle : leurs hommes ne sont pas ce que nous voulons pour nos filles ; leurs filles ne sont pas capables de faire les bonnes mères de famille que nous voulons.

Pour que les Kabyles deviennent français, il faudra pourtant que des mariages deviennent possibles entre eux et nous: le christianisme seul, en donnant même éducation, mêmes

principes, en cherchant à inspirer mêmes sentiments, arrivera, avec le temps, à combler en partie l’abîme qui existe maintenant.

En me recommandant fraternellement à vos prières, ainsi que nos Touaregs, et en vous remerciant encore de votre lettre, je vous prie d’agréer l’expression de mon religieux et respectueux dévouement.

Votre humble serviteur dans le Cœur de Jésus. “

Père Charles de FOUCAULDDECRYPTAGE (www.libertepolitique.com)

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ALBERT MERLIN

panne de « lumières »Y aurait-il, dans l’opinion, quelques signes de

retour à la raison ? Les Français cultivaient naguère une solide tradition: celle de ne jamais regarder (ou si peu) les exemples étrangers... de peur de se laisser contaminer ! Eh bien, cette regrettable prévention semble battre de l’aile.

Si le système américain est toujours aussi abhorré, on rechigne de moins en moins à observer les expériences de l’Europe du Nord : avec, bien sûr, un intérêt plus vif pour le Danemark et ses voisins, à cause de leur culture social-démocrate; mais, parallèlement, on ne se pince plus le nez avant de consentir à respirer l’air britannique. Le « modèle » d’Outre-Manche est certes considéré comme trop libéral (donc pècheur), mais on reconnaît que ses résultats ne sont pas contestables.

Dont acte. S’il en est ainsi, cela doit nous inciter à reconsidérer la liste de nos blocages. La question qu’il faut se poser maintenant n’est plus « Pourquoi refuse-t-on d’admettre que nos voisins font mieux que nous ? » La question est : « Pourquoi, ayant observé ces réussites et la philosophie qui les inspire, ne parvenons-nous pas à passer à l’« acte ? »

La réponse, il faut sans doute la chercher chez Freud : dans sa célèbre distinction entre l’erreur et l’illusion. L’erreur, chez nous, venait du refus des faits: rappelons-nous comment, il y a quelque dix ans, une large partie de l’opinion française niait l’extraordinaire essor de l’emploi aux Etats-Unis, au motif qu’il s’agissait de « petits boulots » (zeste de mépris à la clé). Même mépris, dans les années qui suivirent, à l’égard des performances britanniques, auxquelles on opposait mille arguties statistiques. Nous en sommes enfin sortis.

Une fois surmonté ce premier handicap – le fait de se figer dans l’erreur, lié au refus des réalités – reste le second obstacle, beaucoup plus redoutable. Pour reprendre le vocabulaire freudien, il s’agit de quelque chose de profond, de tenace, de largement subconscient : il s’agit de notre attachement à l’illusion. On spécule sur l’idée d’un « autre monde » ; un monde que les Français seraient les seuls capables de bâtir (arrogance pas morte !) et qu’ils donneraient en exemple aux autres pays.

La conclusion est immanquable : nos voisins ont de meilleures performances que nous, c’est vrai, mais nous allons trouver encore mieux.

D’où vient cette croyance profonde ? De la routine des hommes politiques qui se croient obligés – y compris à droite – de toujours brandir l’étendard du « social » ? Sans doute, en partie. D’autant que le chef de l’Etat lui-même ne manque pas une occasion, à Paris, en Corrèze ou à Bruxelles, d’en rajouter une couche.

Mais le fond de l’affaire n’est pas là. Il s’agit de croyances très ancrées qui ne relèvent pas (ou pas seulement) des mouvements de menton de l’élu local. Qui donc, au bout du compte, forme l’opinion publique ? On pense aux enseignants, aux médias, aux chercheurs, aux écrivains: en bref, aux intellectuels.

Or, en France, il se trouve que les intellectuels, dans leur grande majorité (il y a, bien sûr, des exceptions, telle la lignée des héritiers de Raymond Aron) n’ont pas vraiment intégré la dimension économique dans leurs neurones. Ou plutôt si : ils voient l’économie comme quelque chose d’impur. Beaucoup de nos intellectuels classent les choix de société d’une manière qui n’est pas sans rappeler le célèbre Mani : d’un côté le Bien (l’Etat), de l’autre le Mal (le marché, le profit). Soyons juste : il arrive assez souvent que l’on admette le marché comme un moindre mal. Mais pas plus.

D’où le succès des présentations caricaturales. Faites un test, à partir d’une courte citation. Un auteur célèbre, énumérant les devoirs de l’Etat, passe rapidement sur les deux premiers (défendre la société contre la violence, protéger chaque membre de la société contre l’injustice), et explique ensuite: « Le troisième et dernier devoir… est celui d’élever et d’entretenir les ouvrages et les établissements publics dont une grande

société retire d’immenses avantages, mais qui sont néanmoins de nature à ne pouvoir être entrepris ou entretenus par un ou par quelques particuliers… ».

De qui est-ce ? La plupart des lecteurs attribueront ce texte, a priori, à un économiste «interventionniste». Or, il s’agit d’Adam Smith, le père du libéralisme. Sur cette philosophie, ce que les Français ont en tête, c’est tout autre chose: c’est un système qui réduit l’Etat à la portion congrue et entretient l’exploitation de l’homme par l’homme.

Et voici le code qui en résulte: il y a des chocs convenables, des mots acceptables, et, en regard, des choses et des expressions qui ne le sont pas. Risquons une analogie : dans un milieu bourgeois traditionnel on peut rire de Coluche, mais à condition de ne pas être vu. Mutatis mutandis, un politique peut adopter ou suggérer des mesures libérales, mais ne peut pas prononcer le mot. Et dans les cercles intellectuels, quiconque n’est pas de gauche, doit nécessairement s’expliquer, se justifier : ce n’est pas normal.

Cet « a priori » ne facilite évidemment pas la réflexion. Nous aurions besoin, aujourd’hui, de débats qui se situent au niveau des « Lumières ». Or, en fait de Lumières, c’est plutôt le brouillard, ou, dans le meilleur des cas, le lancinant recours à des théories périmées. « Dieu est mort, Marx est mort, et moi-même je ne me sens pas très bien », nous dit Woody Allen. Visiblement, la Poste n’a pas bien fonctionné, une large part de nos élites n’a pas été informée de la disparition de Karl.

En attendant, nos partenaires nous distancent. Parce qu’ils ont compris qu’on ne pouvait pas faire du social (ou pas longtemps) sans stimuler la création de richesses : le dosage variant évidemment selon la sensibilité politique. Retour à Adam Smith: « C’est sous l’état progressif de la

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société [l’expansion]… que véritablement la condition des pauvres qui travaillent, celle de la grande masse du peuple, est plus heureuse et plus confortable : elle est dure dans l’état stationnaire ; elle est misérable dans l’état de déclin ».

Mais, dira-t-on, comptez-vous sur les seules lois du marché pour résoudre le problème de la pauvreté ? Bien sûr que non. Sur ce point, c’est Stuart Mill (pratiquement inconnu des Français) qu’il nous faut appeler à la rescousse. Il faut, nous dit Mill, «donner la plus grande quantité d’aide possible tout en

créant, le moins possible, une dépendance par rapport à cette aide».

En peu de mots, tout est dit. C’est l’éternel problème de la recherche du compromis (le «trade off» des Anglo-Saxons) entre économie et justice, assistance et respon-sabilité. Sur ce terrain, il n’y a pas foule. Il y a quelque trente ans, le philosophe américain John Rawls a joué le rôle d’un puissant projecteur en définissant les inégalités «légitimes» : celles qui servent – via l’incitation à la croissance – à améliorer le sort des plus mal lotis.

Voilà qui aurait dû alimenter mille débats intelligents. Mais non. On nous parle toujours de l’espoir d’un « autre monde ». C’est la panne : panne de lumière, panne de Lumières.

Albert MERLIN,Vice-Président de l’institut PRESAJE

(prospective, recherches et études sociétales appliquées à la justice et à l’économie)

article publié dans « Le Figaro »( 2 sept. 05 )

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«L’écart grandit entre les fracas de la modernité et la source fragile du poème».

A partir de ce constat, l’auteur tente une réconciliation de la poésie avec le monde temporel du XXIe siècle. En un temps où l’humanité se déchire, où gagnent le matérialisme et l’individualisme, il entreprend avec une masse de matériaux impressionnante une réhabilitation nouvelle, unique et exemplaire de la poésie et de ses spectateurs. Il rappelle qu’elle est investie de la mission d’éclairer les hommes, car les mots du langage quotidien ne suffi sent pas. La poésie agrandit l’homme. Le poème élargit la pensée, donne une autre dimension à la perception du monde.

Admettant implicitement l’accessibilité du lecteur à sa pensée mouvante et allusive, il propose un infi ni cheminement dans les

sentiers de la création. A sa voix, les poètes accourent de tous les temps, de tous les points de l’horizon pour former sous sa houlette une communauté fraternelle et universelle.

Tous ont à dire, mais il faut déchiffrer les messages, les rendre limpides. C’est à quoi M. de Villepin s’exerce. Imprégné des textes depuis son enfance, il en analyse par de fi nes intuitions les traits fulgurants et leur impact sur les sensibilités. A travers cette vision se détache une véritable physiologie de la poésie, non sans quelques analogies avec les Voix du silence, précédemment intitulées Psychologies de l’Art. Mais, alors que Malraux s’est si souvent montré allusif à l’extrême, décourageant les lecteurs les plus assidus par un amas de raccourcis obscurs, Dominique de Villepin tient beaucoup à l’intelligibilité, même en dépit d’agencements de mots rares et d’accouplements d’idées insolites.

Par une prodigieuse succession de citations, de raisonnement et de démonstrations, il en-traîne le lecteur dans son sillage et lui ouvre les portes du sublime. Avec plus de mille citations rigoureusement référencées il illumine la poésie partout où elle existe, d’ Hésiode (contemporain d’Homère) aux surréalistes – et même encore après.

Les fragments choisis et les commentaires déversent des torrents de formules sobres ou étincelantes- mais hors des normes du langage courant qui magnifi ent les réalités les plus banales. Il tient en réserve une inépuisable source d’observations. Au terme de chaque chapitre on croit qu’il en est venu à bout, qu’il a fait le tour du sujet, qu’il ne pourra que se répéter, développer quelque point déjà traité. Erreur ! Il traque les sources, les visées, les effets du poème dans ses replis les plus secrets et se renouvelle incessamment sur plus de huit cent pages.

Dans ce foisonnement d’images et de métaphores il chemine avec aisance en terres familières, avec ceux qui proches ou lointains ressemblent étonnement à des alter ego. Il montre même de façon irréfragable que, s’ils sont jongleurs, acrobates ou devins, les poètes

sont aussi prophètes, historiens, précurseurs, témoins, juges…

Toutes les sources, toutes les voies sont minutieusement explorées, les intentions et les messages interrogés et explicités avec une rare perspicacité. A tel point que, parfois, les paraphrases surpassent en éloquence les textes cités et l’on pourrait croire qu’il prête aux «voleurs de feu» plus qu’ils n’ont donné. Mais la magie de son verbe et son aptitude à sublimer compensent les possible insuffi sances des exemples. A la lumière de sa torche, tous se transforment en héros en même temps qu’en hérauts. Et le lecteur l’accepte alors avec soumission comme venant d’un nouvel et indiscutable maître ès-arts.

Dans cet incessant surgissement d’images il ne faut voir ni jonglerie ni superfl uité. C’était le moyen éprouvé pour amener le lecteur au cœur même de la création. Il en sort rassuré, renseigné, persuadé d’être passé lui même par le creuset ou l’œuvre se forge.

Quant à l’auteur, pour être aussi visiblement de connivence avec les mystères de la création, il doit être assurément plus qu’un simple suppôt de la poésie. La profusion des mots et des images engendre inévitablement la composition de phrases riches et pleines, un style volontiers baroque mais naturel. Cependant, par moment, l’information s’estompe pour laisser place à l’incantation. Et l’ouvrage en principe didactique devient œuvre d’art.

M. de Villepin dispose d’une vocabulaire extraordinairement approprié pour traduire avec justesse les nuances infi nies d’une pensée rayonnante, sans jamais la moindre répétition. Des mots parfois de rare émergence exigent de la part du lecteur concentration, décortication et même quelques recours aux dictionnaires. De même que les séquences d’images et de métaphores imposent une attention ininterrompue. Mais un lecteur tant soit peu amateur de poésie se prend au jeu de ce pourchas singulier au point de redouter l’approche de la page fi nale.

L’impression de richesse du livre, que le

Au début de chacune de nos réunion à l’Hôtel Bedford, à Paris, l’un de nos amis présente en quelques minutes un livre qui lui paraît intéressant pour les membres. Afin de les partager avec le plus grand nombre d’entre vous,

quelques chroniques sont régulièrement présentés dans cette rubrique. Bertrand JARDEL regroupe volontiers vos propositions d’intervention quelques jours avant chaque réunion.

Dominique DE VILLEPINELOGE DES VOLEURS DE FEU

Ed. Gallimard, Coll. Blanche, 15 mai 2003

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L’ouragan Katrina qui vient de ravager la Louisianne et de provoquer l’inondation de la Nouvelle Orléans par le Mississipi à la suite de la rupture des digues qui protégeaient mal cette ville chère à nos coeurs de Français nous a profondément émus.

Images de désolation de l’eau qui, comme d’un linceul, recouvre la ville, les maisons, les routes, les voies ferrées, les réseaux électriques, les stations d’épuration... et les corps fl ottant au fi l de la boue sur la ville engloutie...

Pour mieux saisir les moments dramatiques d’une telle catastrophe, il faut lire ou relire un roman du grand William Faulkner, mort en 1962, roman partiellement inspiré par l’inondation de 1927 : “Les Palmiers sauvages”.

La fureur de l’eau est décrite par Faulkner avec une telle puissance qu’on pourrait croire qu’il tire ses descriptions de sa seule imagination. La force des images récentes montrées par les médias prouve qu’il n’a rien exagéré. Mais la magie de son style rend plus suggestif encore le déchaînement des forces de la nature.

Faulkner nous raconte entre autres l’aventure d’un vieux Noir que l’inondation a sorti de la prison où il purgeait une longue peine et qui est emporté sur un frêle esquif par le courant déchaîné. Dans ce chaos, il sauve une femme blanche prête à accoucher et qui attend la mort accrochée à des arbres à moitié déracinés. C’est poignant et magnifi que.

Tout le monde connaît Faulkner, ce monument littéraire du XXe siècle, ses 25 romans, ses 160 nouvelles qui sont la chronique des comportements humains extrèmes, et la célébration du “Sud” dont il fait un véritable mythe.

Relisez ce roman, même si ce n’est pas le plus connu du grand Américain. Vous entrerez dans un monde romanesque comme ceux de Balzac, Dickens, Hardy... c’est le verbe porté à sa plus haute puissance !

C’est un romancier doublé d’un poète qui, recevant le Prix Nobel, déclara ; “Je refuse d’accepter la fi n de l’Homme”.

par Bertrand JARDEL

William FAULKNERLES PALMIERS SAUVAGES

Ed. Gallimard, Coll. L’Imaginaire, 5 mai 1977

lecteur perçoit tout naturellement comme un enrichissement qui lui est soumis, tient au fait que M. de Villepin, soutenu par sa passion et sans jamais s’écarter de son dessein, se montre tour à tour dans ses démonstrations linguiste, psychologue, historien, sociologue, philosophe, moraliste… Et sans doute est-il tout cela à la fois répondant alors - intentionnellement ou non - à un vœu exprimé par Joseph Joubert dans les Pensées : «Les poètes doivent être la grande étude du philosophe qui veut connaître

l’Homme». Incidemment, l’on pourrait ex-traire de l’ouvrage un recueil, de remarques et de maximes morales dont l’auteur avec un apparent détachement a jalonné ses commentaires.

A l’instar de la glorieuse galerie à laquelle il a donné vie, l’auteur lui-même, en inspiré à repoussé toujours plus loin les limites de son monde et composé une œuvre de haute portée, un long poème épique apportant une

contribution capitale à l’odyssée de la poésie.

En résumé, il semble juste de reconnaître que la valeur de l’ouvrage repose sur la vaste culture de l’auteur, la connaissance intime qu’il a de son sujet et sur sa sensibilité littéraire, mais peut-être et avant tout sur un type très particulier d’imagination qui l’habite: LA DEFERLANTE IMAGINATION DE L’AMOUR !

par Christian GALANTARIS

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