le conseil de préfecture de charente-inférieure

28
Jean-Marie AUGUSTIN 122 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 15 10 25 63 64 77 2 1,5 5 11 7 7 Sources : Le personnel de l’administration préfectorale, CARAN, 1998 et 2001, 2 vol. 1800 1814 1830 1848 1870 1880 1914 % des conseillers de préfecture ayant occupé au moins deux postes dans des départements différents ou (et) qui sont devenus sous-préfets ou secrétaires généraux % des conseillers de préfecture qui sont devenus préfets 10

Upload: david-gilles

Post on 29-Jun-2015

93 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Jean-Marie AUGUSTIN 122

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

15 10

25

6364

77

2 1,55

117 7

Sources : Le personnel de l’administration préfectorale, CARAN, 1998 et 2001, 2 vol.

1800 1814 1830 1848 1870 1880 1914

% des conseillers de préfecture ayant occupé au moins deux postes

dans des départements différents ou (et) qui sont devenus sous-préfets ou secrétaires généraux

% des conseillers de préfecture qui sont devenus préfets

10

Page 2: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

LE CONSEIL DE PREFECTURE DE CHARENTE -INFERIEURE AU DIX -NEUVIEME SIECLE : JUSTIFICATION OU DENEGATION

PRATIQUE DES CRITIQUES DOCTRINALES VISANT LES CONSEILS DE PREFECTURE

David GILLES A.T.E.R à la Faculté de droit de Poitiers

Tout au long du dix-neuvième siècle, les conseils de préfecture, à l’exemple du Conseil d’Etat, subirent d’incessantes charges, visant pour certaines à leur suppression pure et simple, pour d’autres à une refonte complète de leur mode de fonctionnement, de leurs attributions, du recrutement de ses membres. Mais si le Conseil d’Etat s’impose comme la juridiction administrative par excellence, il n’en est pas de même pour les conseils de préfecture. En 1897, selon L. Michoud, alors que le Conseil d’État offre aux plaideurs, « une juridiction qui ne diffère plus des tribunaux de droit commun que par l’absence d’inamovibilité et la participation de ses membres aux affaires administratives »1, les conseils de préfecture voient encore largement leur existence en tant que juridiction contestée.

Au moment où les critiques contre le Conseil d’État prennent fin en grande partie, les critiques contre les conseils de préfecture se multiplient à la fin du dix-neuvième siècle. Si le Conseil d’État a pu élaborer une juridiction savante qui a été la véritable créatrice du droit administratif moderne, L. Michoud n’a pas de mots assez durs pour dénier aux conseils toute participation à cette œuvre créatrice2. Il faut reconnaître qu’il n’est pas seul dans cette charge contre 1 L. MICHOUD, « Les conseils de préfecture et la justice administrative », Revue Politique et Parlementaire, 1897, T. XII, pp. 267-294, p. 270. 2 Comme le remarque Léon Michoud en 1897, c’est essentiellement sur les conseils de préfecture

que se concentrent les attaques à cette date, et cela malgré le fait qu’on les ait dotés « en 1862, de

Page 3: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 124

les conseils de préfecture, malgré l’importance que prend la juridiction à la suite de la loi de pluviôse an VIII3. Macarel, Serrigny, Aucoc, Laferrière, Jèze4 et surtout l’opinion publique5 avaient contribué à tisser une légende noire des conseils, même si les auteurs ne condamnaient pas le plus souvent l’institution en elle-même mais son fonctionnement. Laferrière écrit, par exemple, dans son Traité de la juridiction administrative :

« […] l’opinion libérale formulait des griefs nombreux contre ces conseils : contre leur personnel qui ne présentait pas des garanties suffisantes d’expérience juridique; contre leurs jugements rendus à huis clos et sans débat oral ; contre la présidence du préfet ayant voix prépondérante en cas de partage ; enfin contre l’absence de formes régulières dans la procédure et dans le jugement. […] les conseils de préfecture étaient compromis dans l’opinion ; le parti libéral réclamait leur suppression »6.

Constitués d’un personnel administratif proche de l’incompétence, les conseils ne seraient, en grossissant le trait, qu’une parodie de juridiction où les tâches de juridiction volontaire et de juridiction contentieuse seraient constamment confondues. Peu compétent, les conseillers, petits notables locaux la publicité des débats, en 1865 d’un vice-président et de certaines garanties quant au recrutement, en 1889 d’un Code de procédure, […] on a conservé dans leur organisation certains défauts […] qui ont pour conséquence de diriger plus particulièrement sur eux la critique » ; Ibid., p. 271. 3 Maurice Block remarque dans son dictionnaire de l’administration française que pendant que

« les attributions s’accroissaient, l’organisation même des conseils de préfecture restait insuffisante et réclamait une réforme qui fut entreprise à différentes époques sans aboutir à aucun résultat. Enfin, ces travaux successifs amenèrent une loi du 21 juin 1865 qui réorganisa les conseils, établit les principales règles de la procédure, et confia au gouvernement le soin de les compléter par un règlement d’administration publique » ; M. BLOCK, « art. Conseil de préfecture », Dictionnaire de l’administration française, Paris, Berger Levrault, 1877, T. 1., pp. 585-605. 4 L. AUCOC, La juridiction administrative et les préjugés, Paris, Panckoucke et Cie, 1864 ;

E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, LGDG, 1989, 2 T., rééd. 1888 ; D. SERRIGNY, « De la nécessité d’une loi nouvelle sur les conseils de préfecture », Revue de droit français et étranger, 1846, pp. 697-703 ; G. JEZE, « La réforme des conseils de préfecture », Bulletin de la Société d’études législatives, 1910, pp. 25-44. 5 A partir de 1886, de nombreux projets de lois visent à la suppression définitive des conseils de préfecture, et sont déposés de décembre à janvier 1887 par l’extrême gauche républicaine radicale au nom, notamment, de la supériorité des juridictions judiciaires de droit commun en matière de protection des droits individuels. Le relais est alors pris de la critique exposée auparavant par la droite. Sur ces projets voir J.J. CLERE, « Des conseils de préfecture aux tribunaux administratifs », op. cit., pp. 335-336. 6 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, op. cit., pp. 227-228.

Page 4: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 125

ou agents administratifs subalternes, ne devraient alors leur place qu’à la bienveillance de leur jugement envers une administration toute puissante. Cette critique doctrinale est largement relayée par le monde politique qui initie de nombreux projets de réformes visant soit à une réorganisation de l’institution, soit à la fin pure et simple de ce type de juridiction7. L’absence quasi totale d’une procédure cohérente et homogène8 amènerait, selon les contempteurs des conseils, à une dissonance dans l’exercice de la juridiction administrative à travers la France. Le jugement paraît sévère, même si un certain nombre de critiques trouvent un réel fondement dans la pratique des conseils déjà mis en évidence, et cela d’autant plus que les attributions confiées aux conseils de préfecture ne cessent, de par la volonté du législateur, de s’accroître9.

Il semble alors important de mettre en relation les critiques doctrinales et parlementaires avec la pratique réelle et locale des conseils. Des travaux de Mme Brun-Jansen10, de J.-J. Clère11 et un certain nombre d’analyses locales12

7 Voir notamment G. BELLENGER, La réforme du conseil de préfecture, Thèse droit, Nancy, 1911. 8 Touchant la procédure et les réformes qui ont touché le fonctionnement des conseils, voir Ch. MEJEAN, La procédure devant le Conseil de préfecture, Paris, Dalloz, 1949. 9 Maurice Block distingue en 1877 les attributions des conseils en cinq domaines, les attributions contentieuses, répressives, consultatives, les attributions de tutelle administrative et enfin les attributions individuelles des conseillers. Les attributions contentieuses, si elles ont été « un sujet de controverse » au sein de la doctrine, sont de loin les plus nombreuses. Elles se déclinent entre celles qui sont relatives à « l’administration des départements, des communes et des établissements publics », des « chemins vicinaux », de « la comptabilité publique », des « contributions directes », du « culte », des « domaines nationaux », des « élections aux conseils d’arrondissement et aux conseils municipaux », de la « grande voirie », de « la salubrité publique » et enfin le contentieux relatif aux « servitudes militaires ou défensives » ; voir M. BLOCK, « art. Conseil de préfecture », Dictionnaire de l’administration française, op. cit., pp. 596-600. 10

M.-F. BRUN-JANSEM, Le conseil de préfecture de l’Isère, AnVIII-1926, C.R.H.E.S.I., Grenoble, 1981. 11

J.-J. CLERE, « Le Conseil de Préfecture de la Haute-Marne », Les Cahiers Haut-Marnais, pp. 53-66 (n°121, 1975) et pp. 143-159 (n°122, 1975). 12

O. MEYER, Le Conseil de préfecture du Bas-Rhin, Paris, 1963 ; J.-J. BIENVENU, « l’organisation du conflit administratif. Recherches sur la pratique contentieuse des conseils de préfecture (An VIII-An XII) », Revue historique de droit français et étranger, 1974, pp. 568-593. On dispose également d’un certain nombre de mémoires de troisième cycle qui étendent localement les connaissances sur les conseils : J. CARBAJO, Le Conseil de Préfecture d’Indre-et-Loire, 1816-1830, Poitiers, 1979 ; A.-M. CAVALLIER -CARBAJO, Le conseil de préfecture d’Indre-et-Loire 1830-1848, Poitiers, 1979 ; J.M. SPAMPANI, Les demandes en autorisation de plaider et le contentieux des travaux publics devant le conseil de préfecture des Bouches-du-Rhône de 1830 à 1865, Aix-en-Provence, 1990 ; A. GAUDIN , Le Conseil de Préfecture de la Vienne au XIXème siècle, Poitiers, sept. 1995.

Page 5: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 126

apportent une certaine perspective comparatiste. A la suite de ces études, l’analyse du fonctionnement et de l’activité du conseil de Charente-Inférieure permet d’étalonner ce conseil face aux critiques qui ont jalonné l’histoire des Conseils et à l’activité des autres juridictions administratives locales.

Le département de Charente-Inférieure est un département en quelque sorte témoin. C’est une préfecture importante, même si son activité est bien loin de celle des préfectures de région parisienne comme la Seine et Oise ou la Seine Inférieure. C’est un département qui connaît, durant le dix-neuvième siècle, une activité économique propre à contribuer largement à la constitution d’un contentieux administratif d’importance. Enfin, par son activité maritime notamment, ce département permet à la juridiction administrative de connaître un rendement relativement soutenu.

La préfecture de Charente-Inférieure connaît à son origine une migration qui fera couler beaucoup d’encre13. C’est le déplacement du chef-lieu du département de la ville de Saintes à la ville de La Rochelle. Implantée à Saintes14 depuis 1790, situation que la loi de pluviôse An VIII ne changea pas, la préfecture de la Charente Inférieure sera déplacée, par volonté expresse de Napoléon Bonaparte, à La Rochelle en 181015. Cette dernière, ancienne capitale de la généralité sous l’Ancien Régime, constituait le poumon économique de la région et parviendra à conserver la préfecture dans la capitale de l’Aunis définitivement. La motivation apportée par le Conseil d’Etat dans son avis du 16 février 1832 pour le maintien de la préfecture à La Rochelle portait d’ailleurs essentiellement sur la forte activité économique et commerciale, une plus forte population ainsi que la proximité des départements des Deux-Sèvres et de Vendée16. Désormais solidement installé à La Rochelle, le conseil de préfecture va être témoin à la fois de l’évolution politique de temps riches en bouleversements, mais aussi le miroir des réformes administratives visant les conseils qui vont jalonner le dix-neuvième siècle. Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure est caractérisé par la dualité qui sera constamment reprochée à cette juridiction : marqué par l’arbitraire politique et la volonté

13

De 1801 à 1807, le conseil général de Charente Inférieure rejette les pétitions demandant le déplacement à La Rochelle. GUERIN E.-J. « La préfecture à Saintes (1790-1810) », Pub. De la société des archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, La Rochelle, 1913, (première éd.) par Revue de la Saintonge et de l’Aunis, numéro de juin et août 1913, 33ème volume, p. 11. 14 L’Assemblée nationale décide par un décret du 16 septembre 1790 que la ville de Saintes serait définitivement le siège de l’administration de la Charente –Inférieure, Ibid., p. 11. 15 L’appui du Comte Régnaud, conseiller d’Etat et l’activité du maire de La Rochelle, M. Garreau, obtinrent de l’empereur le décret du 19 mai 1810 transportant le siège de l’administration de la Charente Inférieure de Saintes à La Rochelle, Ibid., P. 12. 16 Avis du CE du 16 février 1832.

Page 6: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 127

administrative, le conseil n’en possède pas moins un véritable rôle juridictionnel.

Afin de retracer l’histoire de l’activité administrative du Conseil de Charente-Inférieure qui n’a jamais fait l’objet d’une étude, on dispose de 48 références formant le fonds de la série K17 retraçant l’activité du conseil, ce qui constitue malheureusement un fonds très disparate ne permettant que difficilement une étude continue de l’activité de la juridiction18. Les actes de la préfecture ainsi que les dossiers conservés aux archives nationales permettent néanmoins de combler certaines des lacunes laissées par le fonds K.

Le conseil de Préfecture de Charente-Inférieure, alors analysé sous le prisme des critiques doctrinales du dix-neuvième siècle, donne une image tout en contraste de cette juridiction. Diverses, les critiques doctrinales portent essentiellement sur les compétences et l’indépendance des conseillers vis-à-vis du pouvoir administratif mais également sur l’activité ou l’absence d’activité effective des conseils.

I.– Les conseillers de Charente-Inférieure

Un seul carton conservé aux archives départementales de Charente Maritime nous renseigne sur le personnel du conseil de préfecture19. La lecture de ces archives est utilement complétée par les dossiers constitués par le

17

Soit : les arrêtés et circulaires du Préfet et des Sous-Préfets 27 K 1, Correspondance générale : 3 K 1 (1807 1810), 3K2 (1808 18013), 3K3 (1810 1818), 3K4 (1814 1819) ; Circulaires ministérielles 11 K 3 an VIII 1903. Touchant directement à l’activité du Conseil de préfecture : Registres des séances : 30 K 1 (1848-1856), 30K2 (1850-1859), 30 K 3 (1860-1867) ; Inscription des affaires déférées : 31 K 1 (1829 1856), 31K2 (1840-1848), 31K3 (1857 1864), 31K4 (1864 1866), 31 K 6 (1866-1868) ; Arrêtés en matière de contributions directes (33 K 1 à 33 K 6), Contentieux (34 K 1 à 34 K 4), Pétitions dégrèvements (37 K 1 à 37 K 9), Voirie et domaines Nationaux (36 K 1 à 36 K 3), Domaines nationaux (36 K1 à 36 K 3), Arrêtés en matière de grande Voirie (38 K 1 à 38 K 14), Arrêtés sujets à l’enregistrement (39K 1). 18 Qu’il nous soit permis de remercier ici le personnel des Archives départementales de Charente-Maritime pour leur aide dans la consultation de la Série M et K d’un fonds très épars. Ce dernier, s’il comprend davantage de registres que de cartons complets, permet toutefois d’établir une vision globale de l’activité de ce conseil. 19 Concernant le personnel du conseil de préfecture, la consultation du carton AD 17, 1M4-1 est la source essentielle conservée aux archives départementales touchant au personnel préfectoral, voir AN F1-23, Archives Nationales, Le personnel de l’administration préfectorale 1800-1880, Paris, CHAN, 1998 et Archives Nationales, Le personnel de l’administration préfectorale 1881-1926, Paris, CHAN, 2001.

Page 7: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 128

Ministère de l’Intérieur et relatifs aux fonctionnaires départementaux conservés aux archives nationales.

Soixante et un conseillers se sont succédés au Conseil de Préfecture de Charente-Inférieure entre le 1er avril 1800 et le 23 juillet 1898. Le nombre de conseillers en Charente-Inférieure varie selon le gré de la législation. Il est de cinq jusqu’en 1817, puis l’ordonnance du 6 novembre 1817 fixe la composition du conseil à trois membres jusqu’à l’ordonnance du 1er août 1820 qui porte le nombre de conseillers à cinq jusqu’au décret du 28 mars 1852 portant fixation du nombre de Conseillers de préfecture de Charente Inférieure à 4 membres (chiffre confirmé par la loi relative aux conseils de préfecture du 21 juin 1865). En moyenne, ce sont des fonctionnaires relativement jeunes, la moyenne d’âge est de 39 ½ ans. Avant la Troisième République, la moyenne est de 41,5 ans et après 1871 de 35 ans. Toutefois, la moyenne d’âge sous l’Empire et la Restauration est de 47 ans, ce qui va de pair avec un recrutement fondé davantage sur la notabilité et l’expérience durant cette période.

Les cinq premiers conseillers nommés le 1er avril 1800 et siégeant à Saintes ne disposent pas de notices individuelles20. Lors du transfert du chef-lieu du département de Saintes à La Rochelle le 19 mai 181021 sont en poste MM. Billiotte, Vinet, Lavialle, trois conseillers en poste depuis le 1er avril 1800 et deux conseillers, Cabaud Desnosbles et Eschasseriaux le jeune, nommés en 1805.

Une grande diversité de carrières, de positions, d’engagements politiques apparaît à la lecture des différents documents retraçant la vie des conseillers de préfecture de Charente-Inférieure. Si certaines continuités semblent se dégager tout au long du siècle, des évolutions importantes existent pourtant dans le recrutement des conseillers. Ces évolutions sont accompagnées ou initiées par de nombreuses critiques qui égratignent le statut de conseiller de préfecture. Aucune critique locale ne nous étant malheureusement parvenue, c’est donc au prisme critique national qu’il convient d’envisager les conseillers de Charente-Inférieure.

En 1897, L. Michoud stigmatise l’impasse dans laquelle se trouvent encore à la fin du siècle les conseillers de préfecture. Selon lui, si le conseiller d’Etat, vis-à-vis de l’administration, « est défendu non seulement par la disposition légale qui exige pour sa révocation une délibération du Conseil des Ministres

20 Ce sont les conseillers Billiotte, Boichot, Leriget, Vinet, Lavialle. 21 « Au nom du département, le Baron Richard, après le transfert du chef-lieu du département de Saintes à La Rochelle, acquiert l’hôtel Poupet et l’hôtel Lanusse pour la somme de 45000 et 100.000 francs auxquels va s’ajouter un 3ème hôtel en 1903 qui serviront de locaux à la préfecture de Charente-Inférieure ; M. DELAFOSSE, Les préfectures françaises par les archivistes en chef des départements, éd. L’association des amis des archives de France, Soulisse et Cassegrain, Niort, 1953, p. 65.

Page 8: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 129

mais plus encore par sa haute situation personnelle »22, il n’en est pas de même, et de loin, pour le conseiller de préfecture. D’une part, le poste de conseiller de préfecture est entièrement amovible, il ne peut satisfaire une ambition légitime et n’est qu’un premier pas dans une carrière administrative. D’autre part la dépendance et la collaboration du conseiller avec le préfet met le premier dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de l’exécutif départemental. Enfin le conseiller, en étant amené à exercer à la fois les activités d’administrateur puis de juge sur les mêmes questions, ne peut que difficilement apparaître comme un juge impartial.

Plus largement, les différentes critiques portent essentiellement sur la dépendance dans laquelle se trouve le conseiller de préfecture vis-à-vis de l’administration mais aussi sur leur compétence.

- Des juges administratifs dans les mains du pouvoir

C’est le premier défaut que Macarel stigmatise dans l’institution des conseils de préfecture. Pour lui « les conseillers de préfecture sont des juges et ils ne sont pas indépendants »23 ce qui met en évidence l’ambiguïté de leur position. Cette absence d’indépendance peut s’exprimer à deux niveaux : une allégeance marquée à la ligne politique du gouvernement en place et une subordination au supérieur direct du conseiller, le préfet. S’agissant des conseillers de Charente-Inférieure, il faut noter tout d’abord que les bouleversements politiques à l’échelle nationale n’ont que peu touché les cadres du conseil de préfecture de Charente-Inférieure, contrairement aux conseillers du département voisin des Deux-Sèvres24. Cela peut s’expliquer par le fait que le département en lui-même fut peu touché par l’agitation politique, la fameuse conjuration des « quatre sergents » de La Rochelle en mars 1822 reste le seul événement politique marquant du dix-neuvième siècle.

Que ce soit en 1815, en 1830, en 1851 ou en 1871, peu de modifications substantielles sont apportées par le pouvoir à la composition du conseil. En 1815, si les préfets de Charente-Inférieure connaissent une valse hésitation concomitante aux cent-jours, seul un conseiller est nommé le 11 octobre 1815, Gilbert de Gourville, qui restera en poste 20 ans. Celui-ci doit sa nomination à son orientation politique puisqu’il avait émigré durant la révolution et est « très

22 L. MICHOUD, « Les conseils de préfecture et la justice administrative », Revue Politique et Parlementaire, 1897, T. XII, pp. 267-294, p. 282. 23 MACAREL, Des Tribunaux Administratifs, Paris, J.P. Roret, 1828, pp. 48-49. 24 Voir l’article d’Anne PELCRAN dans les actes de ce même colloque.

Page 9: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 130

attaché au roi » selon le préfet25. Les autres conseillers, soit par ordre de nomination : M. Cabaud Desnobles, M. de St Estève, Louis Elie Vivier, M. Vincens, ont tous été nommés par Napoléon Bonaparte. Pourtant, ils conviennent aussi bien à Louis XVIII qu’à Charles X, la composition restant la même jusqu’en 1827. La stabilité semble ainsi primer sur l’engagement politique affirmé. Le conservatisme semble la seule couleur politique indispensable au recrutement des conseillers. De la même façon, une seule intervention du pouvoir est à compter lors de l’installation de la Monarchie de Juillet. Louis-Philippe nomme M. Pellier le 28 septembre 1830. Un certain renouvellement va alors succéder à la très grande stabilité du régime précédent dans le recrutement. Quatre conseillers vont être nommés durant cette période. On ne trouve pourtant pas davantage de bouleversements au sein du conseil à la suite de la prise de pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte26 ou de la chute de l’Empire27.

Seule la Révolution de 1848 est parvenue à semer le trouble dans le rythme bien réglé des nominations de conseillers de préfecture. Le 4 septembre 1848 sont nommés trois nouveaux conseillers : MM. Barrault de St André, Le Provost de Launay et Michel, les deux premiers remplaçant les conseillers Callot et Julien Laferrière. Le 17 septembre est nommé M. Darthez qui refuse sa nomination. Enfin le 23 janvier 1849 est nommé M. Dumont-Coutant. Mais le trouble est de courte durée puisque Barrault de St André n’est en poste que 10 jours et Le Provost de Launay trois mois. Ils sont remplacés, quasi « naturellement », par ceux que leur nomination avait évincés c’est-à-dire les conseillers Callot et Laferrière qui seront, nonobstant cette interruption, en poste respectivement 22 ans pour le premier et 11 ans pour le second. Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure semble donc être peu soumis aux aléas des bouleversements politiques. Le cycle des nominations au conseil est alors un rythme long et ne présente pas des magistrats dans une dépendance totale vis-à-vis du pouvoir.

Il ne faudrait toutefois pas conclure hâtivement à une indépendance de fait des conseillers de préfecture. Si la composition du conseil n’est que peu troublée par la succession des régimes politiques, elle le doit davantage aux ralliements successifs des conseillers qu’à la neutralité du pouvoir en matière

25

Nommé par Louis XVIII le 11 octobre 1815, ce dernier sera secrétaire général de la préfecture ; Dossier Jean Gilbert de Gourville, AN F/1bI/161/11. 26

Aucun conseiller n’est nommé à la suite de la prise de pouvoir du 4 décembre 1851. Il faut attendre le 26 novembre 1853 pour voir la nomination de M G.H. Normand, première nomination opérée par Napoléon III et premier conseiller à jurer « fidélité à la constitution et fidélité à l’empereur ». Voir AD 17 1M4-1 ainsi que AN F/1bI /168/4. 27 Seul M. A. Demonsay est nommé le 21 janvier 1871, AN F/1bI/327 2ème série.

Page 10: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 131

de recrutement. Ainsi Auguste Le Provost de Launay est loué en 1848 par le préfet comme « n’ayant pris part dans aucune élection politique, et par conséquent peu compromis dans la monarchie »28. Les conseillers, politiquement du moins, se rangent donc du côté du pouvoir, quelle que soit sa couleur politique, pourvu qu’ils ne se soient pas trop compromis avec le régime précédent. C’est le cas pour Louis-Antoine Vivier qui, dans une note individuelle du 19 mars 1873 est jugé par le préfet comme « Impérialiste sous l’empire et [qui] actuellement a des tendances républicaines comme chez la plupart des protestants de ce département »29. Les convictions politiques élastiques sont donc de mise et la fidélité au gouvernement en place est un gage de maintien dans ses fonctions

Le recrutement se fonde d’ailleurs bien souvent sur l’orientation politique des candidats, l’absence de fibre contestataire étant garantie par la connotation de brevet de notabilité que prend parfois la nomination au conseil de préfecture. Pour le conseiller Beltrémieux, en 1856, ancien des campagnes de 1813 et 1814, s’il est noté « Conservateur avant 1848 ». Le préfet remarque qu’il est « très sincèrement dévoué et sincèrement attaché à la personne de l’empereur »30. Cet attachement lui vaudra en 1858 la promotion au grade de conseiller honoraire31. Un exemple a contrario est donné par la demande de recrutement faite par Paulin Nicolas Pastureau. Cet avocat sollicite en 1867 une place de conseiller auprès des autorités. La notice individuelle destinée à étudier sa candidature et rédigée par le sous-préfet de St Jean d’Angély ne laisse pas de doute sur la nature politique du recrutement du magistrat administratif. Le sous-préfet, après une analyse neutre concluant aux qualités banales du candidat, tant du point de vue de l’influence que des connaissances juridiques et humaines32, conclut ainsi sa notice :

28

Le préfet ajoute que le candidat appartient « d’ailleurs par son père et par son oncle, l’un ancien préfet, l’autre ancien député républicain très prononcé, à une famille qui m’est connue et dont les idées ont toujours été favorables à la forme actuelle de Gouvernement », « Proposition de candidat du 12 août 1848 », Dossier Le Provost de Launay Auguste, AN F/1bI/166/27, fol. 146 et 146 vs. 29 Dossier de Louis-Antoine Vivier, AN F/1bI/176/16. 30 « Fiche confidentielle par le préfet 13 avril 1856 », Dossier J.-P.F. Beltrémieux, F/1bI/156/15. 31

En 1852, M Beltrémieux est jugé comme « un excellent fonctionnaire qui mérite estime et considération, décoré en 53 pour ses honorables services, zélé, dévoué, exact, toujours prêt à aider l’administration […] ; président de la commission administrative des hospices de la rochelle où il a introduit un ordre parfait et de notables améliorations », Dossier J.-P.F. Beltrémieux, F/1bI/156/15. 32 « Propriétaire, soignant médiocrement son bien ; conseiller municipal de la commune de Lozay dont il aurait voulu être maire. Il n’est pas considéré comme étant sympathique au gouvernement. Il est à la tête de l’opposition communale. Il voit très peu de monde et ne jouit

Page 11: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 132

« On serait surpris de voir confier des fonctions administratives à un homme qui est considéré comme un adversaire du gouvernement. D’autre part, il n’a pas assez d’influence ni de valeur personnelle pour que l’on souhaite se l’attacher. »33

Le conseiller Bruna est, quant à lui, remplacé en 1832 car, selon le préfet, « ce conseiller a conservé des relations avec un homme dont les opinions contraires au gouvernement actuel ne sont pas équivoques, et quelques personnes ont pu voir dans l’imprudence de cette conduite quelque chose de répréhensible »34. Cela même s’il est considéré comme un « vieillard inoffensif » et qu’à « l’époque des journées de juillet [il] exerçait les fonctions de préfet intérimaire » et s’est « réuni sans hésitation à la commission municipale formée dans cette ville avant que le résultat de ces grands moments fut connu »35. La subordination au préfet est un autre élément qui souligne la dépendance du conseiller vis-à-vis de l’administration. Dans une lettre du 21 août 1860 adressée au ministre de l’Intérieur, le préfet de Charente-Inférieure décline la candidature de M. Beaussant, fils du maire de La Rochelle démissionnaire et pressenti à la succession du conseiller Callot. Le préfet écrit alors :

« Je crois que cette nomination serait inopportune : en effet, l’attitude du père depuis huit à dix mois, l’absence de sympathie pour ce dernier que la population vient de manifester si nettement me paraissent des causes sérieuses que votre excellence appréciera »36.

Souhaitant promouvoir Ferdinand Cothereau, il ajoute : « M. Cothereau serait un élément d’autant plus utile que son caractère calme, sérieux, droit et réservé m’inspirerait la plus grande confiance dans les circonstances où je serai empêché »37. Ainsi chaque préfet, par l’envoi des notices individuelles touchant chaque conseiller, peut influer considérablement sur l’évolution de la carrière de chacun des conseillers. De manière générale, les conseillers en Charente-Inférieure montrent une assez bonne collaboration avec l’exécutif du

d’aucune influence ; il est peu aimé dans sa commune. On le représente comme ayant un caractère assez faible et parfois violent, s’est brouillé avec une partie de la famille », Notice individuelle concernant la candidature de M. Paulin Nicolas Pastureau, AD 17 1M4-1. 33

Ibid. 34 « Lettre du préfet au ministre de l’intérieur suite à la circulaire du 22 mai 1832 », Dossier Bruna Pierre A. H. M. ; AN F/1bI/156/48. 35 Ibid. 36 « Lettre du préfet de Charente-Inférieure au ministre de l’Intérieur du 21 août 1860 », Dossier de Cothereau Ferdinand, AD17 1M4-1. 37 Ibid.

Page 12: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 133

département, et chacun des préfets peut s’appuyer, notamment durant ses absences, sur l’un ou l’autre fidèle conseiller de sa propre politique, détaché des luttes locales. C’est ainsi que s’exprime le préfet de Charente-Inférieure dans une lettre en 1848 :

« Enfin Monsieur le Ministre, j’ajoute qu’il importe au sein du Conseil, où certaines discussions peuvent s’engager, où certaines délibérations peuvent être prises, en l’absence du préfet, il y ait toujours au moins un membre étranger aux liaisons et aux affections de la localité, et dont le dévouement soit assez assuré au préfet pour que celui-ci soit certain que les intérêts de l’administration et les idées que le gouvernement veut faire prévaloir trouveront toujours, dans le conseil, un défenseur actif et éclairé. »38

L’absence de statut protecteur constitue donc objectivement une forte difficulté pour la carrière des magistrats des conseils. Les conseillers de Charente-Inférieure se trouvent donc dans une totale dépendance, dans leur positionnement politique et dans leur participation à l’exécutif départemental. Les craintes de Frégier, dans son ouvrage Des moyens d’améliorer l’institution des conseils de préfecture, semblent confirmées :

« La position d’un conseiller indépendant et consciencieux est bien délicate en pareille circonstance […] et la solidarité morale qui unit un préfet aux autorités placées sous ses ordres […] peut gêner ainsi la liberté des suffrages »39.

Qui plus est, une situation financière souvent précaire s’ajoute à cette dépendance hiérarchique. Pour Macarel, si l’institution du conseil de préfecture est « une heureuse et salutaire création », les conseillers de préfecture souffrent d’un traitement trop faible. Celui-ci équivaut à 1/10 de la rémunération d’un préfet40. Or, si dans certains cas les conseillers sont des notables solidement installés41 et largement assis financièrement, la plupart des conseillers sont, si ce n’est impécunieux, du moins dans des situations

38

« Proposition de candidat du 12 août 1848 », Dossier Le Provost de Launay Auguste, AN F/1bI/166/27, fol. 147 vs. 39

H. FREGIER, Des moyens d’améliorer l’institution des conseils de préfectures, Paris, Alexandre Mesnier, 1830, p. 12. 40

Soit 1200 francs environs, J.-J. CLERE, « Le Conseil de Préfecture de la Haute-Marne », Les Cahiers Haut-Marnais, pp. 53-66 (n°121, 1975) et p. 143-159 (n°122, 1975). 41

Gilbert de Gourville est, par exemple, Conseiller au présidial, ancien président et trésorier de France, 1er échevin, administrateur de l’hospice civil, assesseur au tribunal de Douane ; Dossier Jean Gilbert de Gourville, AN F/1bI/161/11.

Page 13: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 134

financières « honorables quoique modestes »42, comme l’écrit le préfet de Charente-Inférieure en 1852. Si, au début du siècle, nombreux sont les propriétaires siégeant au conseil43, la tendance est vers un certain affaiblissement financier des conseillers en Charente-Inférieure44.

Si certains conseillers exercent, tout comme en Haute-Marne45, des professions lucratives (médecins, avocats…), le recrutement de jeunes fonctionnaires, au milieu du siècle, accentue la précarité financière des conseillers. Certains d’entre eux ne jouissent que d’un revenu alloué par leurs parents46. La faible rémunération du poste ne devait pas faciliter la capacité de contestation de ces jeunes conseillers. Cela oblige même l’un d’entre eux à faire une demande d’une indemnité exceptionnelle de 500 francs à raison des dépenses qu’il a eu à supporter l’année précédente47. Tous n’ont pas la chance d’épouser une dot comme le Conseiller Le Provost de Launay qui est propulsé de 4000 francs de revenus en 1848 à la position enviable de notable de Charente-Inférieure disposant de 50000 francs de rente en épousant la fille du receveur général du département48. Le problème créé par la faible rémunération, stigmatisé par Macarel, s’accentue donc à mesure que la fonction de conseiller se professionnalise et que le recrutement ne se fait plus parmi des notables installés et vieillis sous le harnais mais parmi de jeunes fonctionnaires appelés à des carrières plus ou moins prometteuses. C’est même une raison

42

« Fiche confidentielle 13 avril 1856 », Dossier Beltrémieux J.P.F., AN F/1bI/156/15. 43

Si Gilbert de Gourville dispose de 15.000 frs de rente, Vivier Louis-Elie dispose de 1800 francs seulement. 44

C’est le cas par exemple pour les conseillers Beltrémieux J.P.F. (6000 frs), Michel P.J. (4000 frs), de St Estève (1200 frs), Laferrière J.J. (4000 frs), Le Tellier de Blanchard R. (2000 frs), Bruna P. (3200 frs), Le Provost de Launay A. (4000 frs) ou Curé (3000 frs). 45

J.-J. Clère remarque qu’en Haute-Marne, « les conseillers de préfecture sont à la tête de fortunes moyennes certes, mais néanmoins confortables ». Ce sont des fortunes modestes, en moyenne de 2000 à 5000 francs de revenus avant 1850. C’est le cas du conseiller Jean Nicolas Laloy qui jouit d’un revenu de 2400 francs en propriétés foncières et un capital de 30000 francs. Après 1850, les revenus sont compris entre 5000 et 12000 francs. Les conseillers ont, en Haute-Marne, des professions relativement lucratives comme médecins ou avocats ; Voir J.-J. CLERE, « Le Conseil de Préfecture de la Haute-Marne », Les Cahiers Haut-Marnais, n°122, 1975, p. 147. 46

C’est le cas pour le conseiller Normand qui ne dispose que de 2000 francs donnés par ses parents ; Dossier Normand AD17 1M4-1 et du conseiller Curé, fils du président du tribunal civil de Provins qui dispose d’une pension versée par son père de 5500 francs (en 1866 alors qu’en poste à La Rochelle celle-ci se limitait à 3000 francs) qui constitue, selon le préfet de l’Aveyron « une fortune encore médiocre », « Notice individuelle 1866 », Dossier Curé, AN F/1bI/157/38. 47 Dossier Normand AD17 1M4-1. 48 Le conseiller Bargignac, aux dires du préfet ne dispose, quant à lui, d’aucune fortune personnelle ; Dossier Bargignac Louis Achille, F/1bI/156/5.

Page 14: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 135

d’un recrutement a minima de certains conseillers puisque lors du remplacement du poste de Gilbert de Gourville en juillet 1835, le préfet propose trois candidats et remarque que l’un d’entre eux, M. Vincent Bernard, « que sa capacité administrative et son expérience des affaires aurait fait porter le premier sur la liste de présentation, n’est pas décidé à accepter ces fonctions à cause de la modicité du traitement qui y est affecté […] »49. On lui préfère alors Bargignac qui est, si ce n’est un candidat aussi compétent, du moins un petit notable « qui appartient à ce département [et] a une connaissance parfaite » de celui-ci, sans « être attaché à aucun intérêt »50. Cela nous amène à envisager les conseillers de Charente-Inférieure, juges administratifs, comme des notables du département mais aussi comme des fonctionnaires.

- De la notabilité à la carrière administrative

Le recrutement au sein des notables du département est une constante dans les conseils de préfecture. Le passage au sein de ces juridictions d’une administration de « petits notables »51 selon les mots de J.J. Clère, au recrutement de fonctionnaires ayant vocation à poursuivre leur carrière dans d’autres départements transforme la juridiction. Toutefois, si la césure s’opère aux alentours de 1850 pour le conseil de préfecture de la Haute-Marne52, la césure semble plus tardive ou moins marquée pour la Charente-Inférieure. Sous le Second Empire, on conserve une proportion de notables53 et le passage définitif à des fonctionnaires étrangers au département ne se fait que sous les auspices de la Troisième République. A l’inverse, contrairement à la Haute-Marne54, on trouve des conseillers extérieurs au département avant 185055. La

49 « Rapport du 20 juillet 1835 suite à la démission de Gilbert de Gourville », Dossier Bargignac Louis Achille, AN F/1bI/156/5. 50 « Lettre du 2 août 1837 », Dossier Bargignac Louis Achille, AN F/1bI/156/5. 51

J.-J. CLERE, « Le Conseil de Préfecture de la Haute-Marne », Les Cahiers Haut-Marnais, op. cit., p. 65. 52

Ibid. 53

C’est le cas du conseiller Beltrémieux par exemple, voir Dossier Beltrémieux J.P., F/1bI/156/15 54

Avant 1850, les conseillers sont dans leur immense majorité des haut marnais. Pendant 50 ans, il n’y a pas d’extérieurs à la région (nés ou attachés). J.-J. Clère parle d’administration des petits notables avant 1850, J.J. CLERE, « Le Conseil de Préfecture de la Haute-Marne », op. cit., (n°122, 1975), p. 147. 55 P.-J. Michel et Auguste Le Provost de Launay par exemple ; Voir AN F/1bI/167/22 et F/1bI/166/27.

Page 15: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 136

taille du département et son caractère maritime peuvent expliquer ces différences dans une certaine mesure. Avant la Troisième République, nombreux sont les conseillers qui occupent une place au conseil général de Charente-Inférieure, à la mairie de La Rochelle56, dans les mairies circonvoisines ou dans les institutions municipales, comme les hospices57. Cette caractéristique est d’ailleurs entérinée par la loi du 21 juin 1865 qui prévoit comme conditions pour accéder au poste de conseiller l’exercice pendant dix ans des fonctions rétribuées dans l’ordre administratif ou judiciaire ou le fait d’avoir été membre d’un conseil général ou maire.

La qualité de notable revêtue par la plupart des conseillers est un critère jouant dans le recrutement. Le conseiller Michel, par exemple, est loué par son préfet en 1852 car, de sa fonction de président de la Chambre de commerce, ne découlent « que des avantages par son crédit sur l’esprit et l’opinion de beaucoup de négociants »58. L’influence dans le petit monde du département est essentielle, et certains candidats, par le déluge de missives et de recommandations diverses qu’ils parviennent à diriger sur l’exécutif du département, voire sur le ministère de l’intérieur, font montre d’un entregent certain. Si « l’influence limitée dans le monde » dont dispose le conseiller Beltrémieux est un handicap surmonté, la préférence des préfets va vers des hommes, comme le conseiller Louis-Antoine Vivier, qui ont « beaucoup de relations dans la région »59. La recherche de notabilité et l’ancrage local entraîne d’ailleurs un certain népotisme au sein des conseillers de préfecture, même si celui-ci est moindre que dans d’autres départements. Louis-Antoine Vivier, nommé le 30 mai 1873 est en effet le petit-fils de Louis-Elie Vivier nommé le 25 juillet 1811. De même pour les conseillers Beltrémieux qui installent la présence de leur famille durant 28 ans au sein du conseil. On en revient presque à la résignation d’office dans le cas de la nomination de Dumorisson fils, nommé à la place de son père Pierre-Jules Dumorisson en accord avec le préfet. Celui-ci écrit le 8 octobre 1865 :

56

Bruna Pierre est membre du conseil d’arrondissement de La Rochelle et du conseil municipal de cette ville pendant 18 ans, Dossier Bruna Pierre AN F/1bI/156/48. C’est encore le cas après la chute de l’empire où Beltrémieux, Maire de La Rochelle depuis 1870, est nommé conseiller de préfecture le 12 avril 1879 ; Dossier Beltrémieux, AD17 1M4/1. 57 M. de St Estève est membre de la commission administrative des hospices civils comme Gilbert de Gourville. Voir Dossier de St Estève AN F/1bI/173/2 et Dossier Gilbert de Gourville AN F/1bI/161/11. 58 « Notice Individuelle de 1852 », Dossier Michel Pierre-Joseph, AN F/1bI/167/22. 59 Dossier Vivier Louis-Antoine, AN F/1bI/176/16.

Page 16: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 137

« […] je considérerais donc la nomination de son fils comme un acte de justice, et comme la récompense méritée de tous les services qu’il a loyalement rendus et qu’il rend encore à mon administration »60.

Il faut remarquer toutefois que ce fort népotisme durant le Second Empire n’est que temporaire, alors que cela semble pratiqué durant tout le siècle dans le département de la Vienne61. Toutefois, la forte notabilité des conseillers de préfecture ne doit pas apparaître comme une tare viciant définitivement la juridiction administrative. On peut envisager la notabilité comme une réponse à une trop forte dépendance des conseillers. En effet, si les critiques doctrinales rejettent la trop forte dépendance des conseillers vis-à-vis du pouvoir administratif, la notabilité peut se présenter comme une garantie d’une certaine indépendance. Si un jeune fonctionnaire, nommé durant le Second Empire ou la Troisième République, ne dépendait que de la bonne volonté de son préfet et des relations de sa famille, un notable solidement implanté, comme le maire de La Rochelle Beltrémieux, ne s’en laisse pas conter par un préfet parfois de passage dans la région. La notabilité de la juridiction, malgré ses défauts certains et les doutes sur la compétence qu’elle peut engendrer, revêt deux qualités : d’une part le conseiller-notable, moins dépendant du préfet et de l’administration, est moins enclin à protéger les intérêts d’une administration réputée toute puissante que ceux des administrés, voire de ses électeurs s’il occupait une charge élective. D’autre part, dans un souci de bonne administration, il est préférable que les conseillers connaissent les sensibilités du département et soient aptes à pacifier par leur entregent toute contestation provoquée par une décision de la juridiction administrative, surtout au vu des activités non contentieuses assurées par les conseillers. En effet, parmi les critiques qui fusent contre les conseillers, on oublie souvent que les défauts des conseillers considérés en tant que magistrats sont parfois les qualités des conseillers envisagés comme administrateurs et représentants locaux du pouvoir.

L’évolution du recrutement des conseillers de Charente-Inférieure tout au long du 19ème siècle amène pourtant à envisager ces conseillers dans une carrière administrative plus globale. Le poste de conseiller en Charente-Inférieure, s’il est une marque de reconnaissance à l’échelle locale, n’est pas forcément un tremplin vers une carrière administrative. L’âge de nomination des conseillers, surtout sous la Restauration et la Monarchie de juillet, fait de la

60 « Lettre du préfet au ministre de l’intérieur du 8 octobre 1865 », Dossier Dumorisson, AD17 1M4/1. 61 Voir l’article de J.-M. AUGUSTIN, « Les conseillers de préfecture au XIXème siècle : l’exemple du département de la Vienne », dans les actes du même colloque.

Page 17: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 138

fonction de conseiller de préfecture dans ce département une place honorifique afin de couronner une vie de notable. Mais certains, par leur compétence ou l’influence dont ils jouissent parviennent à insérer leur passage à ce poste dans une carrière brillante. Cela est d’autant plus possible que la fonction de conseiller se professionnalise. On trouve le conseiller Le Provost de Launay qui après un passage au conseil de préfecture de Charente-Inférieure en 1848 devient préfet le 9 mai 185262.

De même Jolivet de Riencourt-Masson de Longpré après avoir été auxiliaire au Ministère de l’Intérieur attaché au cabinet du ministre (1861), devient conseiller de préfecture en Vendée (1865), en Charente-Inférieure (1867), secrétaire général du département de Charente-Inférieure (1871), de Haute-Garonne puis du département du Nord en 1873 et enfin préfet des Ardennes en 1875, du Var puis d’Eure-et-Loir en 1876, et préfet de Mayenne en 187763. Emile Ténot enfin, conseiller de préfecture de Charente-Inférieure en 1889 après avoir débuté dans ces fonctions dans le département de l’Indre en 1887 grimpe les échelons de l’exécutif départemental dans divers départements de France jusqu’à devenir préfet de Haute Savoie en 1902.

Mais ces carrières brillantes ne sont pas la règle. La plupart des conseillers qui passent par le Conseil de Préfecture de Charente-Inférieure restent d’obscures fonctionnaires, l’obtention d’une sous-préfecture constituant alors une sorte de couronnement de carrière. C’est le cas pour le conseiller Curé. Celui-ci passe, après une note très élogieuse lors de son passage au conseil de Charente-Inférieure, au même poste en Haute-Marne où il est l’objet d’une appréciation plus critique en 1863. Il devient cependant sous-préfet de Saint-Affrique en 1866, où l’appréciation de ses supérieurs semble confirmer l’appréciation critique du préfet de Haute-Marne64. La nomination au conseil de Charente-Inférieure peut même apparaître comme une sinécure pour un fonctionnaire subalterne comme c’est le cas pour le conseiller Salles qui termine sa carrière en Charente-Inférieure en 189865 après 9 mutations en 12 ans. La place de conseiller en Charente-Inférieure ne semble donc pas avoir été un tremplin exceptionnel pour de riches carrières administratives et ceux qui s’en contentent semblent ne demander rien d’autre que de ne pas perdre

62 Dossier Le Provost de Launay Auguste, AN F/1bI/166/27. 63

Voir Dossier Jolivet de Riencourt-Masson de Longpré, AN F/1bI/172/9 et F/1bI/278/2. 64

Dossier Curé, AN F/1bI/157/38. 65 Le Conseiller M. L.G. Salles est successivement conseiller du conseil de préfecture duJura (1885), du Pas de Calais (1886), de l’Isère (1887), secrétaire général de l’Aude (1889), de l’Yonne (1890), sous préfet de Pithiviers (1891), secrétaire général de l’Indre (1893), conseiller du conseil de préfecture de Loire Inférieure (1895), et enfin conseiller du conseil de préfecture de Charente-Inférieure (1898). Voir Dossier M.-L.-G. Salles, AN F/1bI /522.

Page 18: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 139

leur place. L’absence de perspective de carrière est d’ailleurs l’objet de critiques par les conseillers de Charente-Inférieure. Parmi les réformes évoquées par ces derniers, ils remarquent qu’il « faudrait que la classe fut attachée à la personne et non à la résidence, le nombre et l’importance des affaires d’un département devant influer sur le nombre des conseillers et non sur leur traitement, qui doit en général et à quelques exceptions près, relatives aux grandes villes où la vie est plus dispendieuse, être proportionnée à la durée et à la qualité des services » 66. Les conseillers souhaitent également que « les règles établies pour l’avancement permissent à un juge administratif de voir sa position s’améliorer tous les quatre ou cinq ans, par exemple, sans subir un déplacement onéreux qui peut lui enlever pour un an ou deux tous les bénéfices de son avancement »67. Mais afin de justifier un tel avancement, encore faut-il que la compétence accompagne la carrière.

Sur ce point les craintes et doléances élevées par la doctrine et l’opinion publique sur la piètre qualité des conseillers semblent quelque peu fondées. Une distinction est à faire entre les conseillers nommés en Charente-Inférieure dans la première moitié du siècle et ceux nommés après la révolution de 1848 et surtout ceux nommés par l’Empire et la Troisième République. On trouve assez peu de juristes avant le phénomène de professionnalisation de la fonction et la loi du 21 juin 1865. On ne connaît malheureusement pas la formation de l’ensemble des soixante et un conseillers. Sur un échantillon de vingt et un conseillers, douze seulement ont eu une formation juridique ou ont exercé une profession juridique68. Pour les autres, on trouve des médecins, des propriétaires, des négociants et même un archiviste départemental. Nombreux sont ceux qui, sous les périodes impériales doivent, quelles que soient leurs professions, leur nomination à leurs passages dans l’armée69. Pour certaines nominations, aucun des trois candidats ne semble compétent en matière juridique. Pour la nomination de Vincens l’aîné, propriétaire, on trouve en 1814 en compétition un lieutenant de vaisseaux et un officier de marine retiré pour

66 P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », Revue générale d’Administration, T. X, pp. 284-301, pp. 291-292. 67 Ibid. 68 Sur ce point, il faut noter que Frégier fustige l’exercice par des avocats de la fonction de conseiller de préfecture : « Est-il convenable, en effet, de confier des fonctions judiciaires à des avocats, des avoués, des notaires en exercice ? N’est-il pas à craindre que la conscience de tels juges ne soit quelquefois sollicitée par leur intérêt personnel, et que l’espoir d’attirer à eux, par un peu d’indulgence, un client riche ou intéressé dans un grand nombre d’affaires, ne l’emporte sur l’austère rigueur du devoir ? », FREGIER, Des moyens d’améliorer l’institution des conseils de préfectures, op. cit., p. 23. 69 C’est vraisemblablement le cas pour Beltrémieux, AN F/1bI/156/15.

Page 19: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 140

blessures70. Bruna, ancien percepteur, est préféré en 1827 à un contre-amiral honoraire et à un négociant71.

Peut-on rétorquer alors que nonobstant leurs professions antérieures, les conseillers exercent avec compétence leurs fonctions ? Ce serait trop s’avancer. En effet, même après la loi de 1865 qui entend garantir un certain nombre de compétences lors du recrutement des conseillers, on trouve des lacunes inquiétantes : l’instruction de Louis-Antoine Vivier est jugée « fort ordinaire ». Celui-ci dispose « d’une instruction administrative incomplète »72. Heureusement pour la juridiction administrative, ce conseiller, après un exercice de deux ans, est nommé au tribunal civil de La Rochelle. Plus grave, le conseiller Curé, s’il est licencié en droit et parvient à accéder à la sous-préfecture de Saint Affrique puis en 1870 à celle de Nogent-sur-Seine, n’en est pas pour autant un parangon de compétence. Si son instruction générale est jugée suffisante, le préfet, note en 1866 qu’il a toutefois besoin « d‘étudier le droit administratif »73.

Il ne faut toutefois pas calomnier les conseillers. Jolivet de Riencourt, qui deviendra préfet, « connaît bien l’administration, il est très au courant des circulaires, des instructions et de la jurisprudence »74. Cothereau-Ferdinand « s’attache avec plaisir à toutes les questions politiques et morales qui intéressent l’administration »75. Enfin Pierre-Jules Dumorisson en 1860 est décrit comme « fouillant sans cesse les éléments de la science administrative et générale ». Seul bémol, celui-ci « est jugé par goût et par nature plus apte à conseiller qu’à agir » et n’accepterait, à titre de promotion « qu’une préfecture ou les fonctions de maître des requêtes au conseil d’Etat »76. La compétence des conseillers semble donc en demi-teinte et souffre des manques de garanties posées par leur recrutement. La qualité des décisions rendues par la juridiction dépendait alors étroitement des personnes même des conseillers. Le conseil de préfecture s’en plaint d’ailleurs à demi-mot. Dans le rapport annuel envoyé au ministère pour l’année 1879, le vice-président du conseil écrit :

70 Dossier Vincens Charles (l’ainé), AN F/1bI/156/9. 71

« Proposition du 15 janvier 1827 », Dossier Bruna AN F/1bI/156/48. 72

« Notice 19 mars 73 », Vivier Louis-Antoine, AN F/1bI/176/16. 73

Dossier Curé, AN F/1bI/157/38. 74 « Notice de 1873 », Jolivet de Riencourt Masson de Longpré Henri Alphonse, AN F/1bI/172/9. 75 « Notice 13 septembre 61 », Dossier Cothereau Ferdinand, AD17 1M4/1. 76 « Renseignement 1860 », Dossier Dumorrisson Pierre Jules, AN F/1bI/158/36.

Page 20: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 141

« Nous demanderions que nul ne fut nommé conseiller titulaire sans avoir au préalable, et indépendamment des conditions exigées par l’article 2 de la loi de 1865 fait auprès d’un tribunal administratif et comme conseiller suppléant, un stage de deux ans au moins pendant lequel il pourrait, comme les auditeurs au conseil d’Etat, être chargé des fonctions du ministère public »77.

Toutefois ces quelques difficultés dans le recrutement des conseillers et dans leur connaissance de la science administrative ne semblent pas avoir eu de conséquences pratiques dans la qualité des jugements, les conseillers faisant preuve d’une bonne connaissance de la législation et de la jurisprudence du Conseil d’État78. Il faut souligner que la plupart des affaires soumises au conseil ne nécessitaient pas une connaissance juridique très approfondie, et cela d’autant plus que la solution juridique de nombreuses affaires était apportée en amont du jugement par les fonctionnaires de la préfecture. L’activité du conseil, si elle est relativement importante en volume, est en effet constituée essentiellement par un contentieux juridiquement peu complexe.

II.– Activités et réformes du Conseil

L’activité du conseil de Charente-Inférieure est conforme à celle des conseils de préfecture qui ont été l’objet d’études par le passé. Le conseil, dans ses rapports envoyés au Ministère de l’Intérieur, montre que la plupart des réformes intervenues depuis 1862 ont touché leur but et ont permis une amélioration du fonctionnement de la juridiction administrative.

77 P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », Revue générale d’Administration, T. X, janv. 1881, pp. 284-301, p. 298. 78 C’est le cas, par exemple, dans une décision du 16 décembre 1850. Suite à une demande de devis pour une réparation de l’église paroissiale par la fabrique de St Denis Oléron auquel la fabrique n’a pas donné suite, Espaillac, un entrepreneur, demande le prix de son travail devant le tribunal civil. Le conseil, faisant suite aux arrêts du conseil d’Etat relatifs aux travaux communaux (notamment ceux du 19 décembre 1848 et 9 janvier 1849), « Considérant qu’il s’agit en l’espèce d’un plan et d’un devis commandés par la fabrique de St Denis, […] considérant dès lors que la contestation qui s’élève à ce sujet est, aux termes de la loi et de la jurisprudence, de la compétence administrative et non de celle des tribunaux ordinaires, par ces motifs, le conseil donne l’autorisation pour la commune par la représentation de son maire à plaider devant le tribunal civil, mais uniquement afin de décliner la compétence » ; 38K13 4 oct. 1848-1er juillet 1853, p. 52.

Page 21: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 142

- Un contentieux prépondérant

Le volume des affaires traitées par le conseil de Charente-Inférieure est singulier. A travers le rapport remis en 1879 par le vice-président de Charente-Inférieure on peut mesurer l’activité particulière de ce Conseil. Si à cette date les conseils de préfecture des départements tiennent généralement une séance publique par semaine, soit cinquante séances par an, le conseil de Charente-Inférieure a assuré quant à lui 86 séances publiques. Seuls les conseils de Seine, de Seine-Inférieure, de Seine-et-Marne et de Haute-Garonne dépassent ce rythme79. Si selon L. Michoud, « l’opinion incline bien plutôt à croire les conseillers de préfecture insuffisamment occupés »80 à raison d’une audience de travail par semaine, ce n’est pas le cas du conseil de Charente-Inférieure qui justifie ainsi son importance. En 1887, l’activité et l’importance du Conseil de Charente-Inférieure se confirment. Alors que 8 conseils seulement dépassent les 10.000 affaires jugées81, le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure totalise 10.073 affaires jugées82. Concernant le type d’affaires traitées, la répartition des affaires en Charente-Inférieure est comparable à celle des autres département à l’exception notable du nombre d’affaires non contentieuses qui est particulièrement faible en Charente-Inférieure. Celles-ci ne représentent que 2,5% du volume des affaires, alors que dans les Deux-Sèvres celles-ci représentent 6,5% et en Charente 4,89%83. Faisant suite aux compétences très larges accordées au conseil, le contentieux du conseil de Charente-Inférieure est extrêmement hétérogène et va du contentieux relatif à la vente de biens nationaux84 aux contraventions de voirie85, aux achats publics86 ou aux autorisations de plaider87.

79

Seuls six conseils dépassent la moyenne d’une séance publique par an (exception faite du conseil de Seine) Haute Garonne (2 par semaine), Seine Inférieure (126), Seine et Marne (90), Charente-Inférieure (86), Maine et Loire (53), Savoie (57) ; P. DAUVERT, op. cit., T.IX, nov. 1880, pp. 257-283, p. 263. 80 L. MICHOUD, « Les conseils de préfecture et la justice administrative », op. cit., p. 289. 81

Aisne 10395 Gironde 10264 Nord 11293 Pas de Calais 10269 Seine 27045 Seine et Oise 11307 Seine Inférieure 10685 ; Voir « Etat statistique des affaires jugées par les conseils de préfecture pour 1887 », Revue générale d’Administration, 1888, vol. 32, pp. 472-473. 82 Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure est donc le deuxième conseil au sud de la Loire pour le nombre d’affaires traitées. A titre de comparaison locale, le conseil des Deux Sèvres traite 3489 affaires, celui de la Vienne 4730, et celui de la Charente 8056 affaires, Ibid., p. 472. 83 Soit 229 pour 3489 affaires pour les Deux-Sèvres et 394 pour 8056 affaires, voir Ibid., p. 472. 84 Le conseil de préfecture se doit également de trancher entre les intérêts des acquéreurs et l’intérêt public dans les litiges nés de la vente de biens nationaux. C’est le cas par exemple, le 30 messidor an XII suite à la pétition de Jacques Justin Gout, propriétaire, « tendant à être

Page 22: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 143

Touchant le contentieux, le rapport du vice-président du Conseil de Charente-Inférieure remarque, seul trait marquant, un retard imputable au service des domaines et se plaint du retard dû à la passivité des maires dans les

maintenu dans la nue propriété du fonds qui fait partie du domaine de Château Renaud qu’il a acquis de la nation et sur lequel les habitants de la commune de Bougnaud réclament un droit de passage qu’il prétend ne point leur devoir » Jacques Justin Gout a déclaré « que dorénavant il refusera une ancienne tolérance que ces habitants ont voulu changer en titre de servitude, tandis que le vrai usage pour l’exploitation de leur prairie était autrefois au-dessous du Moulin dans un endroit appelé le pont Dufoux, que cependant pour leur faciliter les moyens de se ménager un autre passage, il leur accorderait un délai de deux ans à la charge de payer pour chaque charrette chargée soixante quinze centimes de droits ». Le conseil municipal autorise alors le maire à détruire la barrière posée par ce propriétaire sur le passage réclamé par les habitants. Les commissaires nommés par le préfet estiment que le droit de passage réclamé par les habitants qui « est établi sur une possession ancienne et immémoriale sur le chemin sur lequel ce passage s’exerce, pouvait particulièrement avoir été destiné pour l’usage du moulin de la prairie, mais que cette servitude est d’une nature si onéreuse qu’elle exclut toute idée d’exaction de la part du ci-devant propriétaire quant au droit de cinq sols par charrette, rétribution qui paraît plutôt un droit légitime qu’un droit féodal, qu’enfin lesdits commissaires n’ont pu découvrir ni constater l’époque où le prétendu passage du pont Dufoux a été supprimé. La demande de plaider et la demande relative au droit de passage sont connexes selon le conseil ». « Considérant qu’il y a une connexité évidente entre les deux demandes principales posées devant le conseil puisque toutes deux tendent également à faire décider la question à savoir si les habitants de Bougnaud ont, ou non, le droit de passer avec des bœufs et charrette sur le pont du moulin et Château Renaud. Considérant que cette connexité résulte également du rapport des commissaires […] qui ont cru devoir tourner toute leur attention sur les titres et autorités qui pouvaient fonder ou détruire la prétention qu’ont lesdits habitants de Bougnaud au susdit passage […] mais considérant qu’il n’appartient nullement à l’autorité administrative de décider d’une question de servitude de propriété particulière […] le conseil autorise en conséquence le maire de Bougnaud à traduire devant les tribunaux compétents Jacques Justin Gout aux fins d’y faire prononcer sur la question du droit de passage dont il s’agit » ; AD 17/ 36 K2, p. 189. 85 Voir notamment AD 17/ 38 K1 Arrêtés de grande Voirie du 2 mai 1836 au 28 mars 1838. Le contentieux relatif à la circulation de véhicule sans plaque d’identification ou ferré à l’aide de clous dit à tête de diamant engorge la juridiction administrative qui se contente dans l’immense majorité des cas d’appliquer la législation en vigueur visant la protection des routes nationales, soit l’application d’une amende de 25 francs pour défaut de plaque et de 15 francs pour la présence de clous à tête de diamant. 86

C’est le cas le 28 ventôse an XII, suite à la pétition du 26e régiment d’infanterie de ligne cantonné à Saintes et demandant qu’un maître tailleur de Bordeaux, D’Amfloux, chargé de fournir seize cents capotes de draps et autant de pantalons, soit condamné à reprendre sa marchandise défectueuse, à restituer le prix qu’il en a touché en acompte, et que le conseil d’administration soit autorisé « à s’en procurer à la folle enchère dusdits D’Amfloux ». Le Conseil décide de commissionner des experts « pour déterminer la qualité, la nature et le confectionnement de la fourniture faite par le sieur d’Amfloux » ; AD 17/ 36 K2, p. 164. 87

Voir par exemple le jugement du 22 mai 1846 commission syndicale de la forêt de Benon où le conseil autorise la commission syndicale de Benon à agir en justice contre un particulier qui viole un droit d’usage (de coupage de bois) dont l’existence est attesté depuis 1301 ; AD 17/ 34 K2 26 septembre 1845-septembre 1848.

Page 23: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 144

affaires communales. Il se plaint également des retards engendrés par les experts désignés par les parties conformément aux articles 56 de la loi du 16 septembre 1807 et 17 de la loi du 21 mai 183688, retards dont on trouve des exemples tout au long du siècle89. Le contentieux relatif aux travaux publics est relativement important en comparaison d’autres conseils, comme celui des Bouches-du-Rhône. En ces matières, le conseil n’hésite d’ailleurs pas à condamner l’État, comme c’est le cas le 20 janvier 1845 où le Conseil condamne l’État à verser une indemnité et le paiement des frais suite à la construction de la rampe d’accès du port de La Rochelle. Mais il est toutefois vigilant dans la protection des intérêts de l’administration vis-à-vis des entrepreneurs indélicats, notamment lors de la construction de la prison Monlieu en 184690. L’entretien des voies de circulation apporte également un fort contentieux devant le conseil. Celui-ci veille à la préservation des intérêts particuliers face aux entrepreneurs indélicats ou aux agents de la voirie trop entreprenants91.

Il est difficile d’expliquer l’importance du contentieux administratif en Charente-Inférieure. Deux aspects peuvent amener des éléments de réponse

88

P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », op. cit., T.IX, nov. 1880, pp. 257-283, p. 275. 89

Voir par exemple 19 novembre 1845 : Saint Martin, entrepreneur, contre Conseil municipal de Mous, ou 7 février 1845 : Réclamation d’un entrepreneur de travaux publics concernant la route Paris Bayonne, AD 17/ 31 K2, Affaires déférées du 30 février 1840 au 28 octobre 1848. 90 2 février 1846 : Poursuite contre les entrepreneurs et architectes de la prison de Monlieu, AD 17/ 31 K2, Affaires déférées du 30 février 1840 au 28 octobre 1848. C’est également le cas le 23 mai 1846 où le conseil statue sur l’engagement de la responsabilité entre un entrepreneur de travaux publics et l’administration consécutifs à des travaux en milieu carcéral ; AD 17/ 34 K2 26 septembre 1845-septembre 1848. 91

Le quatorze messidor an XII, le conseil condamne l’entrepreneur des réparations sur le route de Paris en Espagne à indemniser les propriétaires des terrains adjacents à cette route sur la commune de Nouillac. Les agents de l’entrepreneur ayant dégradé et utilisé des matériaux sur ces terrains afin de réparer la route, le Conseil estime qu’ils ont violé le droit de propriété et contreviennent ainsi à la loi du 6 octobre 1791. Le conseil nomme alors des experts afin d’estimer les dommages et impose les frais d’expertises à l’entrepreneur ; AD 17/ 36 K2, p. 183. Le 17 messidor an XII, le conseil statue suite à une pétition de Jean Audebert, cultivateur, tendant à obtenir une indemnité proportionnée à la valeur de quantité de pierre extraite par le sieur Ravet neveu, entrepreneur, dans son champ sis sur la commune de Vénéran. Le Conseil rappelle que les « agents de l’administration ne pourront fouiller dans les champs pour chercher des pierres de la terre ou du sable nécessaire à l’entretien des grandes routes ou autres ouvrages publics qu’au préalable ils n’aient averti le propriétaire et qu’il ne soit préalablement indemnisé à l’amiable ou à dire d’experts » (art. 1er Section 6 de la loi du 6 octobre 1791). Le conseil conclu qu’il « est fait défense de faire dorénavant aucune fouille ou extraction de matériaux avant d’avoir fixé à l’amiable ou à dire d’experts l’indemnité due au propriétaire conformément à la loi » ; AD 17/ 36K2, p. 186.

Page 24: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 145

quant à l’importance de l’activité. Premier élément, la Charente-Inférieure connaît au dix-neuvième siècle une activité florissante, qui s’organise autour notamment des activités maritimes mais aussi de la construction de lignes de chemins de fer92. Et c’est cette orientation atlantique du département qui peut expliquer une forte activité du conseil93. En 1879 par exemple, le conseil de préfecture a eu à connaître d’une affaire exceptionnelle : le dévasement du port de la Rochelle où l’Etat et le département étaient engagés94, ce qui a entraîné un fort contentieux. Il faut relativiser néanmoins ce volume à l’aune des critiques de Jèze. Celui-ci souligne que si le contentieux qui est afférent aux conseils de préfecture est vaste, la plupart des tâches que la loi assigne aux conseillers ne sont pas assurées par les conseillers eux-mêmes ce qui relativise largement l’activité effective des conseillers95.

Tout au long du siècle le conseil intervient notamment en matière de navigation et de voirie maritime96, les nombreux canaux jalonnant la région fournissant un fort contentieux lié aux contraventions sanctionnant leur dégradation97. Ce domaine de compétence offre d’ailleurs l’occasion d’une critique de la législation sous la plume du conseil :

« Le Conseil de préfecture de la Charente-Inférieure n’ayant pu condamner qu’aux frais du procès verbal deux patrons de chaloupe qui avaient coupé l’amarre d’un trois-mâts exprime le regret de ne pas

92 Voir AD 17/ 34 K4. 93 En 1851, le sieur Hochet, entrepreneur du dévasement des ports du département, attaque l’État pour demander une indemnité proportionnée au préjudice que lui a occasionné le retard pris par l’administration à renouveler l’adjudication des travaux de dévasement. Celle-ci, échue le 21 novembre 1850, n’a été passée que le 12 mars suivant au profit du sieur Delhomme, qui n’a pas voulu exécuter son marché. L’adjudication a alors été de nouveau passée à la folle enchère de cet entrepreneur. Le conseil statue alors « qu’ainsi, par le fait de l’État d’abord et du sieur Delhomme ensuite, il y a préjudice causé à l’exposant ». Le conseil décide que le préjudice existe, que l’administration, en décidant que l’adjudication faite à la folle enchère devait être considérée comme une adjudication ordinaire sans recours, a, par cela seul, mis le fol enchérisseur hors de cause et s’est rendu passible des suites de cette adjudication, le conseil condamne l’État à payer à Hochet 2680 francs de dommages et intérêts, auxquels s’ajoutent les dépens et les intérêts ; AD 17/ 38K13, 4 oct 1848-1er juillet 1853, p. 92. 94

P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », op. cit. T. IX, nov. 1880, p. 423. 95

G. JEZE, « La réforme des conseils de préfecture », op. cit., p. 41. 96

C’est le cas en 1879 mais aussi pour les années 1850-1851. Voir P. DAUVERT, op. cit. T. IX, nov. 1880. En 1851, le conseil sanctionne notamment des contraventions au règlement du port de La Rochelle ou le 18 avril 1851 le jet de matériaux dans le canal de Brouage. AD 17/ 30K2 Registres des affaires d’octobre 50 à octobre 59. 97 AD 17 31 K1 registre de toutes les affaires renvoyées devant le Conseil, de janvier 1829 à décembre 1836.

Page 25: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 146

trouver dans la législation sur la voirie maritime une sanction pénale pour des faits de nature à entraîner des conséquences très graves »98.

On ne compte d’ailleurs plus les contraventions liées aux constructions de claies illégales, de dépôts de coquillages ou d’huîtres sur les grèves charentaises. La forte activité du conseil de Charente-Inférieure semble bien le trait marquant de cette juridiction, et les conseillers semblent conscients des problèmes posés par les dysfonctionnements qui découlent à la fois du niveau soutenu d’activité mais aussi de leurs possibles absences. Le vice-président de Charente Inférieure souhaite ainsi instituer auprès des conseils de préfecture des conseillers suppléants ou auditeurs qui remplaceraient les conseillers de préfecture absents ou empêchés, suppléeraient à l’insuffisance de leur nombre. Cette réforme les déchargerait d’une partie des délégations qui les accablent et aiderait le secrétaire général dans ses fonctions de commissaire du Gouvernement99.

- Une juridiction administrative en évolution

On a beaucoup glosé sur les difficultés pour les parties de faire valoir leurs opinions devant le conseil et on a fustigé l’absence de publicité des débats. Ferrières et Macarel100 notamment demandaient un accès direct des parties au conseil. L’opinion du conseil de Charente-Inférieure sur les réformes qui suivent ces critiques doctrinales est positive. Dans son rapport pour l’année 1879, le conseil remarque que les parties font présenter des observations orales, soit elles-mêmes, soit par mandataires – lorsqu’il s’agit de marchés de travaux publics ou de dommages causés par des travaux publics – alors que pour les contributions il semble que les parties participent directement au jugement101. Touchant les questions de faits, l’intervention des parties est louée en Charente-Inférieure :

« Dans les questions de contraventions et de contributions, où l’instruction est plus sommaire, la défense orale, généralement présentée par les parties elles-mêmes, c’est-à-dire dépouillée de tout artifice est

98 P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », op. cit., T. XI, Avril 1881, p. 41. 99 P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », op. cit., T. X, janv. 1881, pp. 284-301, pp. 296-297. 100 MACAREL, Des Tribunaux Administratifs, Paris, J.P. Roret, 1828, p. 48-49. 101 P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », Revue générale d’Administration, T. X, janv. 1881, pp. 409-429, p. 416.

Page 26: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 147

peut-être plus utile que les mandataires plus éclairés, « en ce sens qu’elle permet plus facilement d’arriver à la connaissance exacte de la vérité »102.

Le plus souvent, le mandataire est en Charente-Inférieure un avocat ou un avoué. Dans ce département, le caractère essentiel de la procédure contentieuse est l’instruction écrite, et les parties ne peuvent que développer des moyens de défense déjà exposés dans les mémoires adressées aux juges qui ont dû préparer avant l’audience un projet de décision. La plaidoirie perd ainsi beaucoup de son importance et de son utilité103. Touchant les règles de procédures - qui constituent l’un des points sur lesquels se portent bon nombre de critiques doctrinales comme celles de Denis Serrigny104 ou Gustave de Gérando - ce dernier constatait déjà, au début du siècle, qu’il existait « très peu de règles écrites sur la manière de procéder devant les conseils de préfecture. A défaut on a emprunté par analogie celles qui sont tracées pour le conseil d’État, en tant qu’elles sont applicables ; et la jurisprudence a successivement formé un ensemble de règles que le Conseil d’État a tracées et maintenues dans ses décisions spéciales »105. Le vice-président du conseil de Charente-Inférieure, conscient de cet état de fait, écrit encore en 1879 que « les règles de la procédure suivies par les conseils de préfecture ne sont pas uniformes » et que chaque tribunal administratif se conforme « à cet égard, aux errements qu’il trouve établis »106. Toutefois, contrairement à d’autres conseils comme celui des Deux-Sèvres107, le Conseil de Charente-Inférieure ne propose pas

102

Ibid. 103

Ibid. 104 Denis Serrigny écrivait, dans son article portant sur les conseils en 1846 : « Une seconde garantie qu’il faut introduire en cette matière, c’est un règlement légal sur la procédure à suivre devant ces juridictions […]. Croirait-on qu’il n’existe point de loi ou de règlement qui détermine les formes à observer, instruire et juger les intérêts considérables en jeu devant les conseils », [croirait-on] que le délai n’est écrit nulle part, que tout repose sur la JP du CE et sur quelques lambeaux de règlement ; D. SERRIGNY, « De la nécessité d’une loi nouvelle sur les conseils de préfecture », Revue de droit Français et Étranger, 1846, pp. 697-703, p. 700. 105 G. de GERANDO, Institutes du droit administratif français, 2ème éd., 5 vol., Paris, éd. Nève, 1842, T. V, p. 543. 106 P. DAUVERT, « Les Conseils de Préfecture (Procédure-Travaux-Législation) », Revue générale d’Administration, T. X, janv. 1881, pp. 409-429, p. 410. 107 Celui-ci remarque, outre l’utilité d’une codification de la procédure, « que les recherches sont impossibles pour les justiciables et quelquefois même très difficiles pour les conseillers. », Ibid., T. XI, Avril 1881, pp. 32-54 p. 33. Cela va contre les remarques de Serrigny qui rejetait l’idée d’un code administratif et demandait l’application du règlement touchant à la procédure du CE en reprenant dans un texte législatif les règles de Jurisprudence ; D. SERRIGNY, « De la nécessité d’une loi nouvelle sur les conseils de préfecture », op. cit., p. 700.

Page 27: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

David GILLES 148

l’établissement d’un code de procédure. L’organisation interne de la juridiction laisse de nombreuses failles montrant une certaine absence de rigueur. Ainsi, il faut attendre 1850 pour que l’établissement d’un registre reprenant les différentes affaires jugées par le conseil soit imposé par un arrêté en date du 10 octobre 1850108.

Touchant la présidence du préfet, grand sujet de polémique sur la confusion entre juridiction et administration présidant au fonctionnement des conseils, le conseil de Charente-Inférieure se range à l’opinion commune demandant la suppression de la présidence par le préfet, même s’il faut bien constater que celui-ci est très peu présent lors des réunions du conseil109. Sur ce point comme souvent, la diversité règne dans les conseils de préfecture puisque dans le conseil de Haute-Marne, le préfet préside au contraire plus de 75% du temps110.

* * *

En définitive, l’activité du Conseil de Préfecture envisagée sous l’angle des

critiques doctrinales montre une assez forte concordance entre les défauts de la pratique et les demandes de réformes. Si, individuellement, certains conseillers semblent sujets à caution quant à leur compétence, l’opinion des préfets quant à leurs subordonnés est plutôt bonne. Pour bon nombre de litiges soumis au conseil, il faut convenir que du bon sens et un vernis administratif et juridique suffisaient à contenter les administrés, même si la diversité du contentieux obligeait à des connaissances juridiques diversifiées111. Les conseillers remarqués pour leur compétence connaissent quasiment tous une promotion d’importance. Le préfet, peu présent, ne semble pas jouer le rôle que la critique

108

Arrêté du 10 octobre 1850. Cet arrêté prévoit de plus, dans son article 2 : « Que toute affaire, de quelque nature qu’elle soit, avant d’être soumise au conseil, devra être, de notre part, l’objet d’un renvoi spécial, signé par nous ou par notre délégué indiquant très sommairement la nature de la décision à prendre » ; AD17/ 30K2, Registre des affaires d’octobre 50 à octobre 59. 109

La même situation semble se présenter au Conseil du département de la Seine, puisque Frégier, secrétaire du conseil de préfecture, note que selon les renseignements recueillis, les inconvénients de la présidence du préfet « seraient au fond sans conséquence, puisque les préfets n’useraient que très rarement du droit de présider le conseil de préfecture », FREGIER, Des moyens d’améliorer l’institution des conseils de préfecture, op. cit., pp. 11-12. 110 Le préfet siège régulièrement du 12 oct. 1849 au 31 mai 1867. De 1850 à 1852, le préfet préside 27 séances sur 41 ; J.J. CLERE, « Le Conseil de Préfecture de la Haute-Marne », op. cit., p. 65. 111

J.-J. Clère remarque à juste titre que « les conseillers doivent manier aussi bien le droit électoral que le droit des travaux publics, du domaine privé, de la voirie » sans oublier les finances publiques ou le droit privé touchant les autorisations de plaider ; J.J. CLERE, « Des conseils de préfecture aux tribunaux administratifs », op. cit., p. 338.

Page 28: Le conseil de préfecture de Charente-Inférieure

Le Conseil de préfecture de Charente-Inférieure au dix-neuvième siècle… 149

veut bien lui prêter. Enfin, les réformes qui ont touché le conseil durant le 19ème siècle, bien appliquées, ont permis de pallier les défauts les plus criants de l’institution.

A l’orée du 20ème siècle, le conseil de Charente-Inférieure est composé de fonctionnaires capables, ayant acquis de l’expérience dans différents postes même s’ils se trouvent dans une juridiction de faible envergure. On ressent toutefois, de manière quasi imperceptible, une certaine sclérose des carrières et de l’activité. Les grandes promotions prennent fin dès les années 1890. Les chiffres d’activités, en grande partie en trompe-l’œil, justifient assez largement les volontés de suppression des conseils comme c’est encore le cas dans la proposition du député Morlot en 1903112. Si les conseils sont en grande majorité trop peu occupés en matière contentieuse pour justifier l’emploi de plus de trois fonctionnaires spécialisés par département113, les conseillers de Charente-Inférieure semblent justifier leur emploi. A l’heure des projets de réforme Fallières114 ou Barthou115 visant à une réforme des conseils sur une base inter-départementale, on pouvait légitimement imaginer, au vu des activités des Conseils de préfecture de Charente-Inférieure, des Deux-Sèvres, de la Charente et de la Vienne, un regroupement des activités de ces conseils autour du conseil de Charente-Inférieure dans le cadre d’une réforme territoriale devenue nécessaire.

112 Voir A. LAVALLEE , « De la proposition de suppression des conseils de préfecture de M. le député Morlot », Revue Générale d’Administration, 1901, p. 5 et svt., p. 142 et svt., p. 279 et svt. 113 J.-J. CLERE, « Des conseils de préfecture aux tribunaux administratifs », op. cit., p. 340. 114 Projet publié dans la Revue générale d’Administration, 1887, II, p. 293 et svt. 115 Sur la lecture du projet Barthou, voir l’article de L. MICHOUD, « Les conseils de préfecture et la justice administrative », op. cit., p. 287 et svt.