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1 Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens ANESTHÉSIE GÉNÉRALE EN PÉDIATRIE Considérations générales Dr. B. Dalens I. INTRODUCTION: SPÉCIFICITÉ DU TERRAIN PÉDIATRIQUE 2 II. CROISSANCE STATURO-PONDÉRALE 2 III. APPAREIL RESPIRATOIRE 3.1. Données anatomophysiologiques 3.2. Implications anesthésiques 5 5 7 IV. SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE ET HÉMODYNAMIQUE 4.1. Circulation fœtale 4.2. Le myocarde 4.3. Fréquence et rythme cardiaques 4.4. Interprétation de l'ECG de l'enfant 4.5. Souffles cardiaques et cardiopathies congénitales 13 13 14 14 17 17 V. RÉGULATION DU MILIEU INTÉRIEUR ET BESOINS HYDRO- ÉLECTROLYTIQUES 5.1. Compartiments hydriques de l'organisme 5.2. Besoins en eau et en sodium 5.3. Fonction rénale 5.4. Métabolisme de base et besoins métaboliques 18 18 19 21 24 VI. HÉMATOLOGIE ET HÉMOSTASE 26 VII. THERMORÉGULATION 29 VIII. FONCTIONS HÉPATIQUES 34 IX. SYSTÈME NERVEUX 34 X. PARTICULARITÉS PSYCHOLOGIQUES 36

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1Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

ANESTHÉSIE GÉNÉRALE EN PÉDIATRIE

Considérations générales

Dr. B. Dalens

I. INTRODUCTION: SPÉCIFICITÉ DU TERRAIN PÉDIATRIQUE 2 II. CROISSANCE STATURO-PONDÉRALE 2 III. APPAREIL RESPIRATOIRE 3.1. Données anatomophysiologiques 3.2. Implications anesthésiques

5 5 7

IV. SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE ET HÉMODYNAMIQUE 4.1. Circulation fœtale 4.2. Le myocarde 4.3. Fréquence et rythme cardiaques 4.4. Interprétation de l'ECG de l'enfant 4.5. Souffles cardiaques et cardiopathies congénitales

13 13 14 14 17 17

V. RÉGULATION DU MILIEU INTÉRIEUR ET BESOINS HYDRO- ÉLECTROLYTIQUES 5.1. Compartiments hydriques de l'organisme 5.2. Besoins en eau et en sodium 5.3. Fonction rénale 5.4. Métabolisme de base et besoins métaboliques

18 18 19 21 24

VI. HÉMATOLOGIE ET HÉMOSTASE 26 VII. THERMORÉGULATION 29 VIII. FONCTIONS HÉPATIQUES 34 IX. SYSTÈME NERVEUX 34 X. PARTICULARITÉS PSYCHOLOGIQUES 36

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I. INTRODUCTION: SPÉCIFICITÉ DU TERRAIN PÉDIATRIQUE La spécificité de l'anesthésie pédiatrique résulte de particularités anatomiques, physiologiques et pharmacologiques. L'enfant n'est pas seulement un adulte en miniature: c'est un organisme en croissance, qui a une pathologie mais aussi une psychologie propre. Avant d'atteindre l'âge adulte, l'enfant subit des modifications anatomiques, physiologiques, fonctionnelles et psycho-intellectuelles qui s'effectuent progressivement, mais que l'on regroupe en quatre périodes:

− la période néonatale (naissance - 1 mois), qui se caractérise par l'adaptation à la vie extra-utérine et l'autonomisation des grandes fonctions;

− la période "nourrisson" (1 mois-2 ans), qui correspond à l'infans "celui qui ne parle pas"; elle se caractérise par une croissance rapide, des besoins caloriques élevés (120 à 140 kcal/kg/j), un turn-over hydroélectrolytique élevé (les échanges quotidiens portent sur la moitié des liquides extracellulaires de l'organisme), une carence immunitaire (déficit en IgG de 3 à 7 mois), une anémie hypochrome hyposidérémique (réduisant les transferts d'oxygène et aggravant les risques infectieux); le nourrisson, à l'inverse du nouveau-né, a des fonctions de détoxification et d'épuration complètes, mais ses moyens de communication avec le monde environnant restent limités;

− l'enfance proprement dite (3 ans-période pubertaire) voit les particularités s'estomper, les moyens de communication s'améliorer, mais la psychologie et le comportement rester encore très éloignés de ceux de l'âge adulte;

− l'adolescence, caractérisée par la puberté; l'adolescent se rapproche de l'adulte par sa morphologie, sa maturation intellectuelle et psychologique, mais il reste très proche de l'enfance pour ce qui concerne la stabilité émotionnelle et le contrôle de soi.

II. CROISSANCE STATURO-PONDÉRALE Les principaux évènements sont la croissance staturo-pondérale (cf tableau ci-dessous), l'ossification du squelette, la myélinisation du système nerveux, central et périphérique, la maturation des voies de la douleur, le développement psychomoteur, la maturation des jonctions neuromusculaires et la puberté.

Age Poids (kg)

Taille (cm)

Périmètre crânien (cm)

Surface corporelle (m2)

Naissance 3,5 50 35 0,2 3 mois 5,5 59 40 6 mois 7 65 43 9 mois 8,5 70 45 0,4 12 mois 9,5 74 46 2 ans 12 85 48 0,5 3 ans 14 93 50 5 ans 17,5 105 50 0,7 10 ans 30 135 51 1,0

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3Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Croissance staturo-pondérale moyenne de la naissance à 10 ans

Évolution de la courbe pondérale des garçons et filles de la naissance à l'âge adulte

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4Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Évaluation de la surface de brûlure en fonction de l'âge (règles des "9" de Wallace)

Calcul de la surface corporelle SC: SC (m²) = Poids(kg)0,425 x Taille(cm)0,725 x 71,84

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5Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Formule simplifiée: SC (m²) =3600

)()( kgxPoidscmTaille

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6Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

III. L'APPAREIL RESPIRATOIRE 3.1. Données anatomophysiologiques La biomécanique de la cage thoracique et du poumon change au cours de la croissance. Chez le nourrisson, le thorax est petit et les pièces osseuses (sternum, côtes) sont molles. Les mouvements respiratoires dépendent essentiellement du diaphragme (rôle accessoire des muscles intercostaux) et sont très gênés par toute forme d'hyperpression abdominale, tumorale ou fonctionnelle. La chondrification des cartilages trachéo-bronchiques est incomplète et les risques de trachéo- et bronchomalacie, spontanée ou après intubation prolongée, ne sont pas négligeables. Parmi les particularités anatomiques susceptibles de gêner le bon déroulement de l'anesthésie (et de rendre l'intubation difficile), il faut signaler tout particulièrement:

− la disproportion relative entre la tête (volumineuse) et le corps (grêle), réunis par un cou court et peu mobile chez le tout-petit;

− l'étroitesse des voies nasales, saignant facilement, fréquemment obstruées par des sécrétions (rhinite) et/ou de l'œdème (l'obstruction nasale peut être létale chez le nouveau-né qui ne sait pas respirer spontanément par la bouche);

− l'épiglotte en forme de "U" et la position proximale (C4) et antérieure du larynx, avec un grand axe oblique en bas et en avant ce qui rend nécessaire l'utilisation de lames de laryngoscope droites chez le tout-petit);

Variations de morphologie et de position du larynx

− le point étroit du défilé laryngé représenté non par les cordes vocales mais par l'anneau cricoïdien (non extensible) dont l'épithélium cilié est très sensible à l'irritation (source d'œdème puis de sténose);

− la trachée courte, exposant au double risque de l'extubation intempestive et de l'intubation sélective, en particulier au cours des mouvements de rotation de la tête; de plus, cette brièveté rend dangereuses les sondes à ballonnet (risque de déplacement et, surtout, de compression de la muqueuse à l'origine d'une nécrose ischémique due à la faible surface de contact du ballonnet si la pression de gonflage n'est pas contrôlée);

− la compliance pulmonaire du nouveau-né, légèrement plus faible que celle de l'adulte alors que la compliance thoracique est très élevée: les muscles intercostaux jouent un rôle d'équilibre important vis-à-vis du diaphragme; lorsqu'ils sont inhibés (sommeil paradoxal, anesthésie), la seule motricité diaphragmatique entraîne une respiration paradoxale avec balancement thoracoabdominal à l'origine d'une hypoventilation;

− les résistances pulmonaires totales élevées (prématuré surtout), ce qui nécessite des pressions de ventilation relativement élevées;

− le volume courant faible avec un espace mort important (1/3 du volume courant), imposant l'utilisation d'un matériel de ventilation adapté;

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7Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

− l'importance de la ventilation alvéolaire (100 à 150 ml/kg/min) comparée à celle de l'adulte (60 ml/kg/min) contrastant avec la faible valeur de la capacité résiduelle fonctionnelle (le rapport VA/CRF passe de 5 chez le nouveau-né à 1,4 chez l'adulte); le rôle tampon de la CRF est diminué ce qui explique la rapidité de survenue de l'hypoxémie en cas d'hypoventilation;

− le volume de fermeture, élevé chez le nouveau-né, pouvant dépasser la CRF (décubitus dorsal, distension abdominale, épanchement thoracique); l'anesthésie générale a tendance à l'augmenter fortement, en particulier si le volume courant diminue: le rapport ventilation/perfusion diminue alors, augmentant l'effet shunt intrapulmonaire.

PARAMETRE RESPIRATOIRE NOUVEAU-NE ADULTE FACTEUR DE

CROISSANCEFréquence respiratoire 30-60/min 12-16/min 0,3 Volume pulmonaire total 20 ml (5-7ml/kg) 450 ml (6ml/kg) 22 Volume courant (ml/kg) 6-8 7 1 Ventilation alvéolaire (ml/min) 400 4200 10 Ventilation alvéolaire (ml/m2/min) 2,3 2,3 1 Espace mort anatomique 7 ml (2,5ml/kg) 150 ml (2ml/kg) 20 (1) Espace mort physiologique 0,3% 0,3% 1 Consommation d'O2 (ml/min) 18 250 14 Consommation d'O2 (ml/kg/min) 60-67 35 0,5 Élimination de CO2 6 ml/kg/min 3 ml/kg/min 0,5 Capacité résiduelle fonctionnelle (ml)

90 (30 ml/kg) 2400 (34 ml/kg) 1

Compliance pulmonaire (ml/cm H2O)

5-6 200 40

Compliance pulmonaire (ml/cm H2O/kg)

1 2,5-3 2,5-3

Compliance spécifique (compliance/CRF)

0,04-0,06 0,04-0,07 1

Résistance pulmonaire (cm H2O/l/sec)

25-30 1,6 0,05

Travail respiratoire (g/cm/l) 2000-4000 2000-7000 1-2 Capacité de diffusion (ml CO/kPa/min)

6-22,5 112-188 10-20

Consommation d'O2 au repos (ml/kg/min)

6,8 3,3 0,5

Poids pulmonaire 50 g 200-300 g 4-6 Surface alvéolaire (m2) 2,8 (1 m2/kg) 64-75 (1 m2/kg) 30 (1) Diamètre alvéolaire 50 Å 200-300 Å 4-6 Nombre de voies aériennes 1,5 x 106 14 x 106 10

Variation des principaux paramètres respiratoires de la naissance à l'âge adulte

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8Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Le travail ventilatoire du nouveau-né pour assurer une ventilation alvéolaire correcte est très élevé. Du fait des contraintes mécaniques limitant le volume courant, le nouveau-né respire à une fréquence élevée. Son diaphragme est principalement constitué de fibres musculaires de type II, peu résistantes, ce qui entraîne une fatigabilité importante et rapide. En outre, la réponse ventilatoire à l'hypercapnie est diminuée; chez le nouveau-né hypoxique, on observe une hyperventilation initiale fugace bientôt suivie d'une dépression respiratoire sévère. La stimulation pharyngée déclenche une apnée d'abord obstructive puis centrale prolongée (à l'inverse d'un accès de toux chez l'enfant plus grand et l'adulte). Le prématuré présente fréquemment une respiration périodique entrecoupée d'apnées durant parfois plus de 20 secondes; ces apnées peuvent être centrales (immaturité neurologique et des récepteurs) ou obstructive (origine rhino-laryngo-pharyngée). Leur risque de survenue est majoré fortement par l'anesthésie générale, en particulier chez le nourrisson ancien prématuré. 3.2. Implications anesthésiques La ventilation au masque est difficile chez le nouveau-né et le nourrisson: même les praticiens expérimentés dépassent rarement le tiers du volume courant qu'ils voudraient assurer à l'enfant et dont les valeurs normales en fonction de l'âge sont indiquées dans le tableau ci-dessous. Cette ventilation ne peut être assurée dans de bonnes condition qu'en plaçant la tête en position neutre; une flexion postérieure excessive de la tête engendre constamment une obstruction des voies aériennes. L'utilisation d'une lame de laryngoscope droite (Miller) donne souvent une meilleure vision de la glotte qu'une lame courbe (type Macintosh) chez l'enfant de moins de 3 ans. Chez l'enfant de moins d'un an, on utilisera systématiquement une lame droite, en évitant de charger l'épiglotte si possible.

AGE ESPACE MORT (ml)

VOLUME COURANT (ml)

FREQUENCE RESPIRATOIRE (/min)

Nouveau-né 6 20 50 3 mois 9 30 40 6 mois 12 45 30 1 an 20 65 25 2-3 ans 27 90 23 4 ans 40 130 20 6 ans 55 185 18 10 ans 70 240 17 15 ans 85 275 15

Variation de l'espace mort, du volume courant et de la fréquence respiratoire au cours de la croissance

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9Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

0

50

100

150

200

250

300

NNé 3mois

6mois

1 an 2-3ans

4 ans 6 ans 10 ans 15 ans

Espace mort (ml)Volume courant (ml)Fréquence respiratoire (/min)

Variations de l'espace mort, du volume courant et de la fréquence respiratoire au cours de la croissance

Comme signalé précédemment, le point le plus étroit du larynx de l'enfant est représenté par l'anneau cricoïdien (inextensible), de section transversale circulaire, et non le défilé laryngé comme chez l'adulte. Jusque vers 1995, on recommandait habituellement d'utiliser des sondes sans ballonnet jusqu'à la période pré-pubertaire (8-10 ans). Avec l'amélioration de la qualité des sondes et le développement du circuit fermé, l'usage de sondes à ballonnet (que l'on peut ne pas gonfler) se généralise en pédiatrie. Pour chaque enfant, il faut choisir une sonde de taille appropriée, c'est-à-dire autorisant un échappement gazeux en cas de surpression (> 20-30 cm d'eau), qu'il y ait ou non ballonnet (dont la pression de gonflage doit rester inférieure à 30 cm d'eau). Il faut éviter d'intuber avec une sonde trop grosse car la survenue d'un oedème, même modeste, de la muqueuse trachéale gêne gravement la ventilation des nouveau-nés et des nourrissons: un œdème de 1 mm de la muqueuse divise par deux le diamètre de la trachée du nouveau-né (le faisant passer de 4 à 2 mm) et la surface de la section transversale (c'est-à-dire le calibre) est réduite de 75%. Cette particularité anatomique représentée par l'étroitesse des voies aériennes rend compte du fait que les laryngites sous-glottique (faux croup) ne surviennent pratiquement que chez l'enfant de moins de 3 ans, pour "disparaître" ensuite au cours de la croissance. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à changer la sonde d'intubation pour une sonde de calibre immédiatement inférieur, surtout si l'on utilise une sonde à ballonnet. La survenue d'un laryngospasme est favorisée par une anesthésie superficielle: on n'en rencontre guère lorsque l'extubation est réalisée sous anesthésie profonde ou chez les patients fortement sédatés en service de réanimation ! Sa physiopathologie est mal connue. La fermeture de la glotte évite normalement la pénétration de matériel étranger dans le larynx. Chez le patient en état d'anesthésie superficielle, "ce réflexe de protection" peut engager le pronostic vital s'il se prolonge trop (en fait, il est exceptionnel qu'un laryngospasme conduise à une issue fatale). La prophylaxie du laryngospasme passe par les recommandations suivantes:

− éviter toute manipulation de la région (telle que l'introduction d'une canule de Guedel) lorsque le plan d'anesthésie est superficiel

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− utiliser l'halothane ou le sévoflurane pour effectuer l'induction (et récuser l'enflurane, l'isoflurane ou, a fortiori, le desflurane).

− à la fin de l'anesthésie, laisser l'enfant se réveiller complètement (sans aucune stimulation), puis l'aspirer et l'extuber. D'autres écoles extubent avec succès leurs patients sous anesthésie profonde et les laissent ensuite se réveiller calmement après les avoir positionnés en décubitus latéral.

− les enfants enrhumés présentent un risque accru et devront, si possible, être temporairement récusés pour un acte de chirurgie réglée. Toutefois, il faut se rappeler que les enfants sont très souvent enrhumés et que repousser l'intervention est souvent difficile. Les enfants porteurs de végétations adénoïdes hyperplasiques ou ceux présentant des fentes palatines ont continuellement le nez qui coule: dans ces cas, il est illusoire d'espérer obtenir une quelconque amélioration en différant la date de l'intervention.

− On récusera également, dans le cadre de la chirurgie réglée, les enfants qui présentent, en sus d'un rhume, une altération de l'état général, de la fièvre ou une atteinte des voies aériennes inférieures. Il est recommandé d'attendre 4 à 6 semaines après une infection respiratoire avant de reprogrammer l'enfant car l'hyper-réactivité des voies aériennes expose sérieusement au risque de bronchospasme et de laryngospasme.

La première mesure thérapeutique à prendre en cas de laryngospasme est la ventilation au masque en oxygène pur, suivie au besoin (en fait rarement) d'une curarisation (succinylcholine ou mivacurium) et d'une intubation: la conclusion de l'épisode ne sera jamais dramatique si la prise en charge est rapide et correcte .

Prise en charge d'un laryngospasme 1. Ventilation au masque en oxygène pur (pression positive + luxation mandibule 2. En l'absence d'amélioration (éventualité rare):

- curarisation par succinylcholine (1 mg/kg) ou mivacurium (0,2 mg/kg) - intubation trachéale et assistance respiratoire

La trachée du nouveau-né mesure 4 cm de long. L'extrémité distale de la sonde d'intubation doit être placée à mi distance entre la glotte et la carène:

Age Distance carène - extrémité de la sonde Nouveau-né 2 cm Enfant de 5 ans 3 cm Adulte 4 cm

La qualité de la fixation de la sonde d'intubation est particulièrement importante chez le nouveau-né pour éviter les deux risques opposés que sont l'extubation accidentelle et l'intubation sélective (notamment lors de mobilisations, intempestives ou voulues, de la tête de l'enfant). Lorsque la sonde d'intubation est trop enfoncée, il est fréquent qu'elle passe dans la bronche principale gauche, bien que, comme chez l'adulte, la bronche principale droite suive davantage l'axe de la trachée.

Mise en garde: l'intubation sélective n'est pas toujours dépistée par l'auscultation, même soigneuse, chez le nouveau-né

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11Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Nouveau-nés et nourrissons ont un abdomen volumineux et des poumons comparativement "petits". la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) est réduite, ne représentant que 30 ml/kg environ. Il en résulte que les réserves en oxygène sont insignifiantes pendant une apnée. Chez le nouveau-né, le volume de fermeture est plus important que la CRF, ce qui entraîne des perturbations sévères de la répartition des volumes gazeux s'accompagnant de valeurs de pO2 basses et favorisant la survenue d'atélectasies. Le tissu fibroélastique qui empêche, par les forces de rétraction qu'il exerce, le collapsus des voies aériennes n'est complètement développé qu'à l'âge de 18 ans.

Le volume courant (Vt) est égal à 6 ml/kg quel que soit l'âge Le volume courant effectif est de l'ordre de 20 ml chez le nouveau-né. Sous respirateur, il faut cependant l'ajuster davantage (et l'augmenter) pour tenir compte du volume de compression. L'espace mort est lui aussi assez constant quel que soit l'âge (2 ml/kg). La ventilation alvéolaire (100-150 ml/kg/min) est double de celle de l'adulte, ce qui est assuré, puisque le volume courant reste constant, par une augmentation de la fréquence respiratoire.

Age Fréquence respiratoire Nouveau-né 40-50 1 an 30 10 ans 20

Les pressions d'insufflation que l'on applique au nouveau-né sont similaires à celles de l'adulte. L'enfant, comme l'adulte à poumons sains, sont habituellement ventilés à une pression de plateau voisine de 15 cm d'eau (en tenant compte de l'espace mort et de la fréquence respiratoire caractéristiques de l'âge). Les valeurs habituelles de PEEP sont du même ordre de grandeur que chez l'adulte (2,5 ± 15 cm H2O). Pour les drains thoraciques également, on applique des dépressions de -10 à -20 cm H2O. L'importance de la mécanique ventilatoire ne doit pas être sous-estimée. Les nouveau-nés et nourrissons respirent principalement grâce à leur diaphragme. Le squelette thoracique présente des caractéristiques élastiques médiocres. La répétition d'efforts respiratoires conduit à des déformations en rétraction. A l'état basal, le travail ventilatoire est déjà relativement élevé chez le nouveau-né. Sous anesthésie, il faut prendre en considération l'augmentation de l'espace mort et celle des résistances du circuit. En règle générale, les nourrissons de moins de 3 mois doivent être intubés et ventilés. L'intubation a cependant des effets négatifs qu'ils faut prendre en considération : elle entraîne une augmentation assez forte des résistances des voies aériennes et supprime le "frein expiratoire" physiologique réalisé par les cordes vocales. Les nouveau-nés intubés doivent toujours être ventilés, même s'ils paraissent capables de réagir assez vigoureusement. Ceux qui restent intubés en postopératoire doivent être ventilés avec une PEEP de 3 à 5 cm d'eau, ou, au moins, avec une CPAP de même niveau. Les muscles respiratoires sont en cours de développement. Le pourcentage de fibres musculaires du type I (à forte consommation d'O2) dans le diaphragme (le muscle le plus important de la respiration chez l'enfant) est de l'ordre de 10% chez le prématuré, 25% chez le nouveau-né à terme et 55% chez le nourrisson âgé de 8 mois. La ventilation spontanée d'un patient intubé n'est pas physiologique. Elle exige une grande dépense énergétique et expose presque inévitablement à l'hypercapnie. Elle présente certains avantages: elle évite la curarisation, retentit peu sur les rapports ventilation/perfusion

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12Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

et l'espace mort, respecte la fréquence respiratoire de l'enfant et conserve sa ventilation spontanée (la déconnexion accidentelle est moins dangereuse, sans risque d'apnée secondaire à une éventuelle hyperventilation). Certaines équipes refusent par principe d'y recourir malgré ses avantages importants dans certaines techniques particulières (correction de sténose trachéale, bronchographie, éventuellement bronchoscopie pour suspicion de corps étranger intrabronchique). Pendant l'anesthésie, le maintien d'une ventilation spontanée n'est envisageable chez le nourrisson ou le jeune enfant que si les résistances des voies aériennes sont faibles (masque facial/masque laryngé) et si les doses d'anesthésiques administrées sont réduites (assurant seulement la perte de conscience, l'analgésie étant par ailleurs assurée par une locorégionale). La consommation d'oxygène (6ml/kg/min) et la production de CO2 sont deux fois plus importantes que chez l'adulte et le nouveau-né doit faire face à des difficultés particulières: - consommation d'oxygène élevée - ventilation alvéolaire importante - faible CRF - grand volume de fermeture - étroitesse des voies aériennes - instabilité du thorax - musculature respiratoire en cours de développement Les réserves d'oxygène sont faibles alors que la consommation d'oxygène est importante et la CRF très limitée. Le nourrisson ne peut tolérer qu'une apnée de (très) courte durée. À retenir:

- la baisse (très) rapide de la saturation après une apnée même brève - l'absence "d'efficacité" de la préoxygénation (par ailleurs non dénuée d'inconvénients

chez le nouveau-né) Les nouveau-nés présentent souvent des anomalies de ventilation et de perfusion à l'origine de valeurs de pO2 plus basses chez eux. A 100% d'oxygène (test d'hyperoxie) toutefois, la pO2 monte facilement à des valeurs de 300 et même 600 mmHg. Une pO2 de 50-80 mmHg est normale chez le nouveau-né. Ces valeurs qui semblent être basses doivent être comparées aux valeurs intra-utérines (la pO2 est d'environ 25 mmHg dans l'artère carotide): elles paraissent alors singulièrement plus élevées. In utero, le fœtus est très désaturé par comparaison avec les valeurs extra-utérines. La normalisation de la pCO2 est, elle aussi, tardive. L'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène est plus importante chez le nouveau-né ("déplacement vers la gauche" de la courbe de dissociation de l'oxygène. Avec 80% d'hémoglobine fœtale, la saturation "normale" du nouveau-né est de 50%. Avec le remplacement de l'HbF par l'HbA, la P50 s'abaisse aux environs de 28 mmHg.

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13Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Courbe de dissociation de l'hémoglobine

L'oxygène a une toxicité pulmonaire et extrapulmonaire. La rétinopathie du prématuré, spécifique de cette tranche d'âge, conduit à la fibroplasie rétrolentale. Lorsque l'âge du terme est atteint, le risque que les pressions partielles élevées d'oxygène produisent des lésions rétiniennes devient faible. Il est par contre (très) important lorsque l'enfant a un âge gestationnel inférieur à 44 semaines et qu'il est exposé à une pO2 ≥ 80 mmHg pendant plus de 3 heures ou à une pO2≥ 150 mmHg pendant plus de 2 heures.

À retenir: - éviter les ventilations à FiO2 élevée chez l'enfant normal - chez l'enfant de moins de 44 semaines d'âge gestationnel, il

faut contrôler les valeurs peropératoires de pO2.

Avec l'oxymètre de pouls, on cherche à maintenir la saturation entre 93 et 95% (mais cet intervalle ne permet pas de garantir de manière absolue le risque d'hyperoxémie). Il faut

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14Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

toutefois ne pas tomber dans l'excès en exposant l'enfant au risque bien réel d'une hypoxie dans le but de prévenir le risque potentiel d'une hyperoxie. L'administration nasale d'O2 chez le nourrisson peut conduire à des FiO2 élevée (la délivrance de 150 ml/kg d'O2 fait monter la FiO2 à 0,5 ou davantage). L'utilisation de sondes nasales ne doit s'envisager que de manière temporaire et dans le cadre de l'urgence. Il faut également prendre garde à ne pas introduire ces sondes trop profondément, en intra-œsophagien, car l'insufflation de l'estomac pourrait rapidement avoir des conséquences catastrophiques. IV. SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE HÉMODYNAMIQUE 4.1. La circulation fœtale Au moment du terme, le placenta reçoit 40% du débit cardiaque combiné des deux ventricules. Les résistances artérielles pulmonaires sont élevées. Seulement 10% du volume d'éjection systolique du ventricule droit traverse les poumons. Les 90% restants passent par le canal artériel qui unit l'artère pulmonaire à l'aorte. En outre, le sang riche en oxygène apporté par la veine cave inférieure passe de l'oreillette droite à l'oreillette gauche en traversant le foramen ovale. De cette manière, le cerveau et le cœur reçoivent de manière préférentielle du sang riche en oxygène.

Circulation fœtale (valeurs de la saturation exprimées en %)

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15Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

La première inspiration et l'expansion pulmonaire font chuter les résistances artérielles pulmonaires, fermant ainsi les shunts droite-gauche. Durant la vie intra-utérine, le ventricule droit effectue un travail équivalent à celui du cœur gauche: il en résulte une "hypertrophie droite physiologique" qui diminue au cours des premières années de vie. Avec la première inspiration les résistances artérielles pulmonaires diminuent brutalement et la circulation pulmonaire devient pleinement fonctionnelle. Les valeurs croissantes de pO2 inhibent la synthèse des prostaglandines ce qui entraîne une vasoconstriction du canal artériel, qui devient non fonctionnel au bout de 10 à 15 heures et qui se ferme anatomiquement entre la 4ème et la 6ème semaine. L'existence d'un petit shunt (droite-gauche durant la première heure, puis gauche-droite) est donc normale durant les premières heures de vie. Les fibres musculaires lisses des parois du canal artériel sont peu développées chez le prématuré et la persistance d'un canal artériel fonctionnel (à l'origine d'un shunt gauche-droite responsable d'une augmentation du débit pulmonaire et de perturbation des échanges gazeux) est relativement fréquente. L'adaptation de la circulation à la vie extra-utérine n'est pas encore stabilisée de manière définitive durant les premiers jours de vie. L'augmentation des résistances artérielles pulmonaires consécutive à une affection pulmonaire, une hypoxie ou une acidose peut entraîner une réouverture du canal artériel avec shunt droite-gauche dont les conséquences peuvent être catastrophiques (circulation fœtale persistante). Le canal artériel peut être maintenu perméable par la perfusion des prostaglandines. La chute du retour veineux provenant du placenta conduit à une baisse de la pression de l'oreillette droite. La pression auriculaire gauche s'élève du fait de l'augmentation de la circulation pulmonaire ce qui entraîne la fermeture fonctionnelle du foramen ovale. La fermeture anatomique n'interviendra qu'entre 3 mois et 1 an (le foramen reste encore perméable au sondage chez 20% des adultes). 4.2. Le myocarde Le myocarde du nouveau-né contient moins d'éléments contractiles (30% contre 60%) que chez l'adulte. La compliance des ventricules est plus faible. Il s'ensuit que le volume d'éjection ne peut être augmenté que de manière minime par l'augmentation de la pression de remplissage ventriculaire. Le débit cardiaque est fortement dépendant de la fréquence cardiaque; la bradycardie est mal supportée à l'inverse de la tachycardie (des fréquences de 240/min sont tolérées sans baisse du débit cardiaque). L'effet inotrope positif de la dopamine est peu marqué. On peut presque toujours présumer que le myocarde de l'enfant est sain, même en cas de cardiopathie congénitale. La survenue d'une fibrillation ventriculaire est exceptionnelle; le rythme cardiaque terminal est habituellement l'asystole. Si la cause du trouble du rythme (dans la plupart des cas, il s'agit d'une hypoxémie) est supprimée, une réanimation cardiaque rapide et appropriée est presque toujours couronnée de succès. 4.3. Fréquence et rythme cardiaques La fréquence cardiaque normale du nouveau-né se situe entre 120 et 160/min. Les termes de bradycardie et tachycardie ne sont pas nettement définis chez l'enfant (une fréquence supérieure à 200 est certainement une tachycardie chez un nouveau-né, celle inférieure à 90 une bradycardie). Le débit cardiaque du nourrisson (180-240 ml/kg) est deux à trois fois supérieur à celui de l'adulte, ce qui a une importante incidence pharmacologique. Avec la croissance, la

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16Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

fréquence cardiaque tend à se ralentir alors que la tension artérielle s'élève progressivement. La pression veineuse centrale (en cm H2O) croît progressivement avec l'âge: 3 cmH20 à 1 an, 4 cmH20 à 3 ans, 5 cmH20 à 5 ans, 6 cmH20 à 8 ans. Age Fréquence

cardiaque mmHg (SD)

Pression systolique

mmHg (SD)

Pression diastolique mmHg (SD)

Index cardiaque

(SD)

Consommation d'O2 ml/kg

(SD) Prématuré 150 (20) 50 (3) 30 (3) 8 (1,4) NNé 130 (20) 73 (18) 50 (8) 2,5 (0,6) 6 (1) 6 mois 120 (20) 90 (25) 60 (10) 2,0 (0,5) 5 (0,9) 1 an 115 (20) 96 (30) 66 (25) 2,5 (0,6) 5,2 (0,1) 2 ans 105 (25) 100 (35) 65 (25) 3,1 (0,7) 6,4 (1,2) 5 ans 90 (10) 95 (15) 55 (10) 3,7 (0,9) 6,0 (1,1) 12 ans 70 (15) 110 (15) 58 (10) 4,3 (1,1) 3,3 (0,6) Adulte

75 (5) 122 (30) 75 (20) 3,7 (0,3) 3,4 (0,6)

Le débit cardiaque est bien corrélé à la fréquence cardiaque chez le nouveau-né et le nourrisson, et la pression artérielle systolique est un bon reflet de la volémie en période néonatale. La pression artérielle est plus basse que chez l'adulte. Les valeurs normales varient avec l'âge: 50/30 chez le prématuré, 70/50 chez le nouveau-né, 95/65 à l'âge d'1 an. Les valeurs adultes sont atteintes à la puberté. Pour évaluer précisément les valeurs tensionnelles il est recommandé de se référer à des nomogrammes. La mesure de la pression artérielle peut s'effectuer, chez l'enfant âgé de plus d'un an, à l'aide d'un brassard et d'un stéthoscope comme chez l'adulte. Pour donner des chiffres interprétables, le brassard utilisé doit couvrir les deux tiers du bras.

La taille de brassard idéale est celle qui couvre les 2/3 du bras

La mesure de la pression artérielle de l'enfant de moins d'un an s'effectue de manière plus fiable avec un appareil à effet Doppler (arteriosonde®) ou un appareil oscillométrique (Dinamap®). Il existe toujours une valeur de pression artérielle chez le nouveau-né et le nourrisson. Si au cours d'une anesthésie, la pression artérielle ne peut, tout à coup, plus être mesurée, avant d'envisager un problème technique, il faut considérer, jusqu'à preuve du contraire, que l'on a affaire à une hypotension. Il faut alors en chercher les causes possibles, comme par exemple un surdosage en halothane ou une hypovolémie. Les techniques oscillométriques comme le Dinamap® ont fait leurs preuves; toutefois tous les appareils disponibles sur le marché ne conviennent pas pour les nouveau-nés. Les hypertensions artérielles vraies sont rares chez l'enfant. Les causes les plus fréquentes en chirurgie pédiatrique sont les tumeurs de Wilms (néphroblastomes), les neuroblastomes et les brûlures (en général chez le garçon de moins de 10 ans, 2 à 10 semaines après l'accident). En l'absence de contexte étiologique, il faut d'abord évoquer une cause rénale. L'hypertension artérielle essentielle est exceptionnelle chez l'enfant.

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17Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Pour apprécier les chiffres de pression artérielle chez le prématuré, on peut considérer, schématiquement, que la pression artérielle moyenne (MAP) augmente de 1 mmHg par semaine de grossesse. Les valeurs normales de la pression veineuse centrale varient peu et sont comprises entre 4 et 12 cm d'eau, quel que soit l'âge. La mesure s'effectue à l'aide d'un capteur de pression chez l'enfant de moins de 6 kg; la répétition des mesures effectuées sur une colonne d'eau conduit à une perfusion excessive de liquides. Chez le nourrisson, c'est la mise en place d'un cathéter qui pose problème. Le détermination exacte du zéro n'a pas une grande importance car ce sont essentiellement les variations de pression veineuse qui sont importantes à connaître. Lorsque le cathéter est ombilical, on prend habituellement comme zéro le niveau de l'ombilic. Le débit cardiaque de l'enfant est augmenté, comme l'est sa surface corporelle, ce qui fait que l'index cardiaque est du même ordre de grandeur que chez l'adulte (voir tableau ci-dessus). Comme le débit cardiaque dépend fortement de la fréquence, une "petite" tachycardie est souvent recherchée en anesthésie pédiatrique. Pendant très longtemps, les anesthésistes pédiatriques ont systématiquement administré de l'atropine avant l'induction anesthésique. L'hypoxémie conduit très rapidement à une bradycardie.

En cas de survenue d'une bradycardie chez l'enfant, la première étiologie à envisager est l'HYPOXÉMIE

Ce n'est qu'après avoir éliminé l'hypothèse d'une hypoxémie que l'on cherche d'autres causes possibles de la bradycardie: halothane (effet direct sur le nœud sinusal), succinylcholine, injection rapide de fentanyl ou alfentanil, réflexe oculocardiaque. Les troubles du rythme cardiaque ne sont pas rares chez les enfants. Pendant l'induction, surtout au cours de la laryngoscopie et de l'intubation, il arrive fréquemment qu'apparaissent des extrasystoles ventriculaires (ESV) en cas d'anesthésie trop superficielle. Ces épisodes restent généralement sans conséquences s'il n'y a pas de bradycardie et si une hypoxémie ou une hypercapnie ne viennent pas se surajouter. Il suffit d'approfondir l'anesthésie pour faire disparaître ces ESV. La survenue d'un fibrillation ventriculaire est rare chez l'enfant (sauf en cas de myocardite ou d'hyperkaliémie).

La fibrillation ventriculaire est exceptionnelle chez l'enfant

1 à 2% des nouveau-nés présentent des troubles du rythme cardiaque (surtout à type d'EVS). Ces troubles du rythme sont souvent déjà reconnus in utero et traités si nécessaire. La plupart des troubles rythmiques périnataux disparaissent dans les premiers jours de vie. On manque à l'heure actuelle d'études à long terme qui permettent de prédire le devenir de ces enfants. Les cathéters veineux trop longs déclenchent pratiquement toujours des EVS chez l'enfant. Malgré le caractère souvent banal des EVS durant l'induction de l'anesthésie, les paramètres vitaux doivent toujours être soigneusement contrôlés. La survenue d'une arythmie ventriculaire peut également être un signe précoce d'hyperthermie maligne.

Une arythmie ventriculaire inopinée peut annoncer une hyperthermie maligne

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18Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

4.4. Interprétation de l'ECG de l'enfant Au moment de la naissance se produit un changement fondamental dans l'économie du système cardiovasculaire. In utero, les deux ventricules, droit et gauche, accomplissent le même travail. Avec l'instauration de la circulation pulmonaire (régime à basse pression), le travail du ventricule droit est considérablement réduit. L'ECG du nouveau-né se caractérise par "la prédominance du ventricule droit".

Age Axe de QRS Axe de T 1 semaine – 1 mois 125° 45° 1 mois – 3 mois 75° 45° 3 mois – 3 ans 60° 40° > 3 ans 60° 40° Adulte 50° 40°

A mesure que l'enfant grandit, la prédominance du ventricule gauche devient plus évidente. Lorsque l'on est peu familier de ces modifications, il est indispensable de consulter des tableaux de valeurs normales pour l'âge. 2.5. Souffles cardiaques et cardiopathies congénitales Chez 50 à 80% des enfants, un examen retrouve un jour ou l'autre l'existence d'un souffle cardiaque, mais ce symptôme n'est lié à une cardiopathie que dans 1 à 2% des cas. Dans près de 40% des cas, la cardiopathie comporte une communication interventriculaire (CIV), soit isolée soit associée à d'autres anomalies. Il faut s'attendre à la survenue de problèmes importants s'il existe une cyanose ou une insuffisance cardiaque. Il faut également savoir qu'une cardiopathie asymptomatique peut se démasquer soudainement au cours d'une anesthésie (sous la forme, par exemple, d'un sous-décalage important de ST sous halothane chez un enfant présentant une sténose aortique jusque là asymptomatique). Le tableau suivant liste les souffles cardiaques qui sont probablement en rapport avec une cardiopathie à prendre en considération:

Souffles cardiaques requerrant un examen cardiologique approfondi − tous les souffles cardiaques du nouveau-né − tous les souffles d'intensité ≥ 3/6 − tous les souffles diastoliques − la plupart des souffles systolo-diastoliques − tous les souffles pansystoliques − tous les souffles systoliques tardifs − - tous les souffles irradiant dans le dos

Si le souffle est faible (<3/6), circonscrit précisément, sans aucune irradiation, variable en fonction de la respiration et de la position ou s'il est mésosystolique, il s'agit probablement d'un souffle cardiaque "bénin". Une "anesthésie classique" sera bien supportée et aucun traitement prophylactique d'endocardite n'est à envisager. Il n'est pas nécessaire de suivre un protocole particulier pour l'entretien de l'anesthésie. Pour la plupart des interventions mineures, une anesthésie à la kétamine sera bien tolérée dans la plupart des cas. La kétamine toutefois ne doit pas être utilisée chez les enfants présentant une myocardite à cause du risque de survenue d'une fibrillation ventriculaire.

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19Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Le tableau suivant indique la fréquence des cardiopathies congénitales dans une consultation de cardiologie pédiatrique.

Cardiopathie Fréquence Communication interventriculaire 22,7 % Tétralogie de Fallot 14,6 % Communication interauriculaire de type ostium secundum 10,4 % Sténose pulmonaire 9,7 % Transposition des gros vaisseaux 7,0 % Sténose aortique 6,7 % Canal artériel persistant 5,5 % Communication interauriculaire de type ostium primum Canal atrioventriculaire commun

4,3 %

Sténose de l'isthme aortique 3,6 % V. RÉGULATION DU MILIEU INTÉRIEUR ET BESOINS HYDRO- ÉLECTROLYTIQUES 5.1. Compartiments hydriques de l'organisme L'eau totale représente 78% du poids corporel à la naissance et 60% à 1 an (analogue à l'adulte). On peut déterminer précisément sa valeur à l'aide de l'une des deux formules suivantes:

Eau totale (l) = 0,72 x masse maigre (kg)

Eau totale (l) = 0,251 + [0,611 x Poids (kg)]

L'eau totale se répartit en deux secteurs principaux, le secteur intracellulaire (ICF) et le secteur extracellulaire (ECF) qui comporte lui-même trois compartiments: plasmatique, interstitiel et trans-cellulaire (LCR; liquides oculaire, pleural, péritonéal, synovial; sécrétions exocrines).

SECTEUR LIQUIDIEN Prématuré Nouveau-né Nourrisson Adulte Eau totale 80% 75% 65% 55-60% Eau extracellulaire 60% 40% 35% 30% Eau intracellulaire 20% 35% 30% 30%

Répartition de l'eau corporelle en fonction de l'âge

Le nourrisson est totalement dépendant de son entourage pour les apports hydriques. De ce fait, la soif ne constitue pas pour lui, de fait, un facteur de régulation des apports hydriques.

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20Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

%

P r é m a t u r é N o u v e a u - n é N o u r r i s s o n A d u l t e

E a u t o t a l e E a u e x t r a c e l l u l a i r e

0

1 0

2 0

3 0

4 0

5 0

6 0

7 0

8 0

E a u i n t r a c e l l u l a i r e

Variation des secteurs liquidiens en fonction de l'âge

L'importance du secteur extra-cellulaire peut être à l'origine de pertes hydriques rapides, à l'origine de déshydratations sévères. Les pertes insensibles sont d'autant plus importantes que l'enfant est plus petit (rôle favorisant de la photothérapie, des tables radiantes, de la températures des incubateurs, des lampes à infra-rouges). Les valeurs normales de natrémie sont identiques à celles de l'adulte. La kaliémie est légèrement augmentée au cours de la première année (la technique de prélèvement est peut-être en cause). La protidémie et la pression oncotique sont plus basses chez le nouveau-né (la protidémie est souvent à peine supérieure à 40 g/l, la pression oncotique initialement autour de 16-19 mmHg, puis, plus tard, 25mmHg). 5.2. Besoin en eau et en sodium Plus l'enfant est petit, plus ses besoins en eau sont importants. Le nourrisson absorbe quotidiennement 1/6 de son poids corporel en eau contre moins de 1/20 pour l'adulte. On utilise les règles de prescription suivantes pour les apports liquidiens parentéraux en dehors de la période périopératoire:

Poids Besoins horaires Besoins journaliers Nouveau-né* 4 à 6 ml/kg 100 à 150 ml/kg < 10 kg 4 ml/kg 100 ml/kg 10-20 kg 40 ml + 2 ml/kg par kg > 10 kg 1000 ml + 50 ml/kg par kg > 10 kg > 20 kg 60 ml + 1 ml/kg par kg > 20 kg 1500 ml + 20 ml/kg par kg > 20 kg

*60 et 80 ml/kg seulement pendant les premiers jours de vie respectivement

Besoin liquidiens de l'organisme

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21Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Chez l'enfant de moins d'un an, le calcul des besoins hydriques est plus facile lorsqu'on utilise la surface corporelle:

Besoins hydriques journaliers: 1800 ml/m2

Les besoins augmentent de 10% environ par degré de température au-dessus de 37°C. Les pertes hydriques quotidiennes varient avec l'âge. Chez le nourrisson, la répartition est la suivante: pertes urinaires 70 ml/kg, pertes insensibles 45ml/kg (peau 30 ml/kg, voies respiratoires 15 ml/kg). Lorsque les conditions sont défavorables, les pertes insensibles peuvent être très élevées chez le nouveau-né A thorax ouvert et en atmosphère humide, ces pertes peuvent atteindre 60 ml/h (c'est-à-dire 2 à 3% du contenu en eau de l'organisme). L'existence de pertes hydriques anormales (vomissement, diarrhée) et un manque d'apports liquidiens conduisent très rapidement l'enfant à un état de déshydratation préoccupant. L'importance de cette déshydratation peut être appréciée par les signes cliniques figurant dans le tableau suivant.

Perte pondérale 5% 10% 15% Muqueuses sèches ridées Couleur de la peau pâle grise grise et marbrée Pli cutané persistant très persistant Yeux cernés enfoncés dans les

orbites fortement enfoncés dans les

orbites Conscience normale comateux Diurèse réduite oligurie franche Pression artérielle normale normale ou basse

Signes de déshydratation

Le traitement d'un état de choc par déshydratation grave débute par la perfusion d'un soluté cristalloïde isotonique (Ringer-lactate ou NaCl 0,9%) sur la base de 10 à 20 ml/kg. La poursuite de la réhydratation prendra en compte d'une part les besoins quotidiens normaux, d'autre part le déficit évalué et les pertes qui se poursuivent. On remplace le premier tiers durant les 6 premières heures, le reste pendant les 24 à 36 heures suivantes. L'acidose qui accompagne le désordre se corrige souvent spontanément à mesure que l'état d'hydratation s'améliore. Si tel n'est pas le cas, on calcule le déficit en bicarbonate (déficit = Base Excess x Poids en kg x 0,3) et l'on perfuse la première moitié de la dose en 3 à 6 heures. En cas de déshydratation hypertonique (natrémie >156 mmol/l), il faut veiller à ne pas faire baisser trop brutalement la natrémie (ne pas faire baisser de plus de 2 à 4 mmol/l/h). A l'inverse des besoins hydriques, les besoins en sodium (exprimés en mmol/kg/j) sont relativement constants. Les solutés permettant de couvrir les besoins quotidiens en eau et en sodium doivent être adaptés à l'âge.

Besoins quotidiens en sodium

2-4 mmol/kg Besoin quotidiens en potassium 2-3 mmol/kg

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22Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Les solutés multi-ioniques glucosés sont très bien adaptés aux perfusions pédiatriques et permettent de couvrir les besoins quotidiens en eau et en sodium (mais pas en calcium).. Troubles électrolytiques aigus: l'hyperkaliémie aiguë est la conséquence d'un traumatisme tissulaire grave (crush syndrome) ou d'une insuffisance rénale. Le traitement d'urgence consiste à perfuser du chlorure de calcium (bolus IV lent de 25 mg/kg), du bicarbonate de sodium (1 mmol/kg), de l'insuline et du glucose. L'injection d'une unité d'insuline avec 3 g de glucose déplace 1 mmol de potassium du milieu extracellulaire vers le milieu intracellulaire (exemple de l'enfant de 20 kg, dont le secteur extracellulaire [20% du poids] représente 4 l, et qui a une kaliémie à 8 mmol/l que l'on veut ramener à 5,5 mmol/l; cet enfant a un excès de 4 x 25 = 10 mmol de potassium à faire rentrer dans les cellules; il faudra pour cela lui administrer 10 unités d'insuline avec 30 g de glucose que l'on perfusera en 30 à 60 minutes en contrôlant régulièrement la glycémie et la kaliémie). Une hypokaliémie grave (<2,5 mmol/l) sera traitée par une perfusion de potassium de courte durée (0,5 mmol/kg en 60 minutes) sous contrôle électrocardiographique continu. 5.3. Fonction rénale In utero, le rein ne joue pas de rôle physiologique, toutes les fonctions d'excrétion étant assurées par le placenta à la manière d'un rein artificiel. A la naissance, les fonctions rénales ne sont pas complètement développées. Le développement des néphrons est pratiquement achevé à la naissance. Les glomérules sont plus petits et les tubules beaucoup plus courts que chez l'adulte. Le cortex rénal est relativement volumineux chez le nouveau-né. Les pores de la membrane basale sont plus petits si bien que les molécules dont le poids moléculaire dépasse 15.000 Da ne sont pratiquement pas filtrées (chez l'adulte, la limite est à 50.000 Da). Les dextrans de haut poids moléculaire (Rheomacrodex®) ont un clairance pratiquement nulle chez le nouveau-né et ils persistent très longtemps dans l'organisme. La formation de l'urine débute entre la 9ème et la 12ème semaine de grossesse. Au moment du terme, les reins du fœtus produisent 28 ml d'urine par heure. Cette urine fournit une partie importante du liquide amniotique. La perfusion rénale augmente rapidement après la naissance (du fait de l'augmentation de la pression artérielle et de la baisse des résistances vasculaires). La filtration glomérulaire dépend essentiellement des apports liquidiens, surtout dans les premiers jours. La filtration glomérulaire du nouveau-né est faible, de l'ordre de 20 (15-25) ml/min/1,73m2. Elle double durant les premières 24h comme double également le flux sanguin rénal. Le clampage tardif du cordon et l'augmentation de volémie qui en résulte augmentent la filtration glomérulaire. Les valeurs adultes (par rapport à la surface corporelle) sont atteintes vers l'âge de 1 an. Ces faibles valeurs de filtration glomérulaire ne conduisent pas à modifier de manière significative les posologies de médicaments dans la pratique quotidienne. Des médicaments tels que les aminoglycosides qui ne subissent qu'une filtration rénale peuvent administrés sur la bas du poids en kg de l'enfant dès la première semaine de vie, comme chez l'adulte. D'autres facteurs, comme le volume de distribution ou les propriétés pharmacodynamiques, jouent une rôle beaucoup plus important dans le choix des doses à utiliser.

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23Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

020406080

100120140

Naissa

nce

1 mois

2 mois

4 mois

6 mois

8 mois

10 m

ois

12 m

ois

ml/min/m²

Variation de la filtration glomérulaire (ml/min/m2) durant la première année de vie La créatininémie est élevée en période néonatale, probablement en raison des faibles valeurs de la filtration glomérulaire à cette période. Chez le nourrisson, la créatininémie est de l'ordre de 35 µmol/l, en rapport avec la masse musculaire réduite et la filtration glomérulaire faible.

0102030405060708090

Naissa

nce

2 mois

2 ans

6 ans

10 an

s

+ 2DSMoyenne- 2 DS

Variations de la créatininémie au cours de l'enfance

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24Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Fonction Âge de l'enfant Prématuré Nouveau-né 2 semaines 8 semaines 1 an

Filtration glomérulaire (ml/min/1,73m2)

12 20 50 75 110

Pouvoir de concentration (mOsm/l)

600 800 900 1200 1400

Diurèse 1-3 ml/kg/h 15-60 ml/kg/h 250-400 ml/24h

250-400 ml/24h

500-600 ml/24h

Valeurs physiologiques de la fonction rénale chez le nouveau-né et le nourrisson

L'immaturité tubulaire est plus importante que l'immaturité glomérulaire. Le pouvoir de concentration des urines n'est que de 600 mOsm/l chez le nouveau-né alors que le pouvoir de dilution atteint, lui, déjà, 50 mOsm/l environ. Au cours d'une anesthésie, il faut maintenir une diurèse minimale d'au moins 1 ml/kg/h (mesurée sur poche à urines). Le seuil rénal de réabsorption des bicarbonates est de 21,5 à 22,5 mmol/l, c'est-à-dire qu'il est nettement inférieur à celui de l'adulte (26mmol/l). Le pouvoir maximal d'excrétion des ions H+ est réduit. Après quelques semaines de vie, l'enfant peut, comme l'adulte, créer un gradient de concentration d'ions H+. Toutefois, du fait de l'insuffisance de substances tampon, la capacité normale de production d'ammoniaque n'est développée complètement que vers l'âge d'1 an. Chez 16 à 21% des prématurés on peu mettre en évidence une faible protéinurie. Le seuil de réabsorption maximale de glucose (par rapport à la surface corporelle) est significativement abaissé par comparaison avec celui de l'adulte. Si on compare ce seuil aux chiffres de filtration glomérulaire, il apparaît que la réabsorption est plus retardée que diminuée. Toutefois, chez 13% des prématurés âgés de moins de 34 semaines, il existe une glycosurie pour des valeurs de glycémie ne dépassant pas 5,5 mmol/l. Le taux de renouvellement des secteurs liquidiens de l'organisme est très élevé. L'eau corporelle totale diminue rapidement si les apports hydriques du nourrisson sont restreints. Un jour de diète hydrique complète peut faire perdre au nourrisson jusqu'à 10% de son poids corporel (contre seulement 2 à 4% chez l'adulte). Les mécanismes responsables de cette capacité limitée à retenir l'eau sont similaires à ceux en cause dans les phénomènes de polydipsie psychogène. La fonction de réabsorption rénale du sodium est déjà mature chez le nouveau-né à terme: comme l'adulte, ce dernier ne sécrète que 1% environ du sodium filtré. Le prématuré, par contre, présente une perte rénale du sel pouvant atteindre 6% du sodium filtré; celle-ci s'explique par son immaturité tubulaire et par une certaine résistance à l'aldostérone. Les prématurés de 30 semaines ou moins peuvent nécessiter l'administration quotidienne d'apports sodés qui peuvent atteindre 7,5 mmol/kg/24h. Il faut cependant prendre garde à éviter des apports sodés excessifs qui ne pourraient pas être excrétés. La grande natriurèse du prématuré est peut-être une des conséquences physiologiques de la diminution du secteur extracellulaire qui passe d'une valeur de 52% à 40% au voisinage du terme. L'immaturité tubulaire a également pour conséquence de diminuer la néphrotoxicité de certains antibiotiques, comme les aminoglycosides, chez le nouveau-né: comme moins de molécules toxiques traversent les cellules tubulaires, les risques lésionnels sont réduits.

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25Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

5.4. Métabolisme de base et besoins métaboliques La dépense calorique journalière dépend de l'activité physique de l'enfant. Elle peut s'exprimer en fonction du poids. POIDS ACTIVITE

NORMALE METABOLISME DE

BASE ANESTHESIE A L'HALOTHANE

3 kg 400 200 275 5 kg 600 350 350 10 kg 1105 510 475 15 kg 1450 615 600 20 kg 1750 765 750 25 kg 2000 980 970 30 kg 2500 1200 1225

Dépense calorique selon le poids et l'activité de l'enfant

0

5 0 0

1 0 0 0

1 5 0 0

2 0 0 0

2 5 0 0

3 0 0 0

3 k g 5 k g 1 0 k g 1 5 k g 2 0 k g 2 5 k g 3 0 k g

K c a l

A c tiv ité n o rm a leM é ta b o lis m e b a s a lA n e s th é s ie à l'h a lo th a n e

Dépense calorique selon le poids et l'activité de l'enfant Le nouveau-né et plus encore le prématuré présentent une forte tendance à l'hypoglycémie du fait de leurs réserves glucidiques basses et de leur capacité diminuée à mettre en jeu les réaction de néoglucogenèse. Il en résulte une très mauvaise tolérance au jeune, en particulier en situation de stress (et a fortiori en cas d'hypoxie: le métabolisme anaérobie du glucose libère 39 fois moins d'énergie que son métabolisme aérobie). Les besoins énergétiques de l'enfant, exprimés en kcal, sont aussi importants que les besoins en eau exprimés en ml. Comme chez l`adulte les apports sont constitués de solutions d'acides aminés, de lipides et de glucose auxquels sont ajoutés des oligo-éléments et des vitamines. Chez le nouveau-né, il est probablement intéressant d'utiliser des solutions d'acides aminés spécifiquement adaptées à leurs besoins.

Poids corporel Apports caloriques

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26Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

0 à 10 kg 100 kcal/kg/24h 11 à 20 kg 50 kcal/kg/24h > 20 kg 20 kcal/kg/24h

Besoins énergétiques de l'enfant au repos

Exemple de protocole type de nutrition parentérale en période néonatale:

- apports liquidiens: 100-150 ml/kg/j (1er jour de vie: 60-80 ml/kg, 2ème jour: 60-100 ml/kg). Ces apports seront réduit en période postopératoire, en cas de ventilation artificielle, de maladie des membranes hyalines ou de canal artériel persistants. - apports protidiques: débuter avec 1,5 g/kg/j, puis augmenter progressivement à 2,5-3 g/kg/j - apports glucidiques: débuter par 10-12 g/kg/j de glucose, puis augmenter progressivement à 15-18 g/kg/j - apports lipidiques (Intralipid 10%®): débuter avec 0,5 g/kg/j, puis augmenter de 1g/kg/j jusqu'à un maximum de 3 g/kg/kg (sans dépasser une vitesse maximale de perfusion égale à 0,15 g/kg/h).

Les besoins en vitamines sont couverts par une supplémentation de 0,5 ml/kg Soluvit® et de 1 ml/kg de Vitalipid®. Une fois par semaine, il faut apporter de la vitamine E (20 mg d'Ephynal®) par voie intramusculaire; on complète également par des apports d'oligoéléments (Ped-El®, Oligoéléments pédiatriques Aguettant®). Besoins quotidiens Composition pour 100 ml de soluté de perfusion (par kg de poids) Glucose

10% Glucose 15%

Vamine 7%

Intralipide 10%

Lait maternel

Lait maternel enrichi

Glucose g 8-18 10 15 10 - 7 8,1 Protides g 2,5 - - 7 - 1,1 2,1 Lipides g 2,5-3,5 - - - 10 3,8 3,8 Kcal 90-120 40 60 65* 110 67 85 Kj 370-500 170 250 270* 460 280 355 Na mmol 2-4 - - 5 - 0,6 0,7 K mmol 2-3 - - 2 - 1,1 1,2 Cl mmol 2-4 - - 5,5 - 1,2 1,3 Ca mmol 0,15 - - 0,25 - 8,5 12,5 P mmol 0,4-0,8 - - - - 0,5 0,6 Mg mmol 0,15 - - 0,15 - - 0,25 * les calories provenant des acides aminés sont souvent pas prises en compte (mieux vaux tabler sur 40 Kcal/170 J

Nutrition parentérale: besoins quotidiens et composition des solutés de perfusion VI. HÉMATOLOGIE ET HÉMOSTASE

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27Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Le nouveau-né a des taux particulièrement bas de facteurs de coagulation. L'abaissement des facteurs vitamine K-dépendants justifie la prescription systématique de cette vitamine à la naissance. Le fibrinogène est présent à un taux normal mais il présente des anomalies de polymérisation qui rendent compte de l'allongement du temps de thrombine. Les plaquettes sont en nombre normal mais qualitativement défectueuses (thrombasthénie transitoire) (la prise d'aspirine par la mère peut entraîner des risques hémorragiques importants chez lui). Malgré ces déficits apparents, le nouveau-né a une tendance nette à l'hypercoagulabilité.

Facteur de coagulation

Prématuré Nouveau-né Vitamine K dépendant

Demi-vie normale

I 180-300 mg/l 180-300 mg/l non 4 j II 20-80% 25-65% oui 4 j V 50% 80% non 6-12 h

VII 20-45% 20-70% oui 2-5 h VIII 50% 80% non 16 h IX 10-25% 20-60% oui 24 h X 10-45% 20-55% oui 48 h

Facteurs de coagulation en période néonatale

L'hémoglobine majoritaire à la naissance est l'hémoglobine F dont l'affinité pour l'oxygène est différente de l'hémoglobine A (adulte). Il existe en outre une augmentation du volume érythrocytaire (macrocytose) qui modifie les sites antigéniques des groupes sanguins et rend la distinction entre les sous-groupes de A impossible durant les premiers mois de vie. Les anticorps immuns (IgG) anti A ou Anti B se lient mal à ces sites antigéniques: il n'en irait pas de même après transfusion sanguine (sang "adulte") si l'on ne prenait garde aux règles spécifiques de transfusion dans les 3 premiers mois de vie. La masse sanguine de l'enfant (rapportée au poids) est plus importante que celle de l'adulte. On l'estime à 80 ml/kg chez le nourrisson et l'enfant jeune.

Tranche d'âge Masse sanguine Prématuré 95 ( 90-100) ml/kg Nouveau-né 85 ( 80-90) ml/kg Nourrisson et jeune enfant 80ml/kg Adulte 70 ( 65-75) ml/kg

La concentration en hémoglobine est élevée: 200 (160-240) g/l. In utero, cette teneur élevée d'hémoglobine est indispensable pour que des quantités suffisantes d'oxygène soient délivrées aux tissus malgré une saturation basse en oxygène (65% dans l'artère carotide). Le taux d'hémoglobine décroît rapidement durant les premières semaines de vie. Les valeurs les plus basses sont atteintes vers l'âge de 3 mois: le taux d'hémoglobine est alors de l'ordre de 100g/l. Du fait de ces valeurs basses, le nourrisson n'a que des possibilités limitées de délivrance d'O2 en périphérie alors que sa consommation en O2 est élevée: les réserves en O2 sont donc réduites.

Age Hémoglobine (g/l) Hématocrite Nouveau-né (1ère semaine) 150-250 0,45-0,65

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28Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Nourrisson 100-150 0,30-0,45 Enfant 100-150 0,35-0,45 Femme 120-160 0,35-0,45 Homme 140-180 0,40-0,50

Variation de l'hémoglobine et de l'hématocrite en fonction de l'âge

0

5

10

15

20

25

0 j 2 j 5 j 10 j 15 j 3 mois 6 mois 1 an 2 ans 4 ans 6 ans 10 ans

g/dl

Variation du taux d'hémoglobine en fonction de l'âge Chez le prématuré la baisse du taux d'hémoglobine est plus rapide et plus importante. Il est fréquent de devoir envisager une transfusion sanguine entre 4 et 12 semaines devant la constitution d'une anémie importante. On peut calculer la perte sanguine acceptable sans transfusion en se fondant sur:

− l'hémoglobinémie mesurée − la valeur minimum acceptable d'hémoglobinémie (qui dépend de l'âge et de l'état de

santé de l'enfant). Un nourrisson bien portant dont l'hémoglobinémie de base est de 115g/l supportera sans aucun danger des chiffres de 80 à 100g/l. Inversement, un nouveau-né gravement malade dont le taux initial d'hémoglobine est égal à 180g/l ne devra pas tomber au-dessous de 120 à 150 g/l.

− la masse sanguine (80 ml/kg chez le nourrisson et le jeune enfant) On peut prendre, à titre d'exemple, le cas d'un nouveau-né de 3000 g porteur d'une atrésie de l'œsophage qui doit subir une thoracotomie et dont le taux initial d'hémoglobine est égal à 190g/l. On effectuera les calculs suivants en préopératoire:

1. Calcul de la masse sanguine (80ml/kg): 3x80 = 240 ml 2. Taux minimum acceptable d'hémoglobine (appréciation variable): 150 g/l 3. Perte acceptable d'hémoglobine (à masse sanguine constante):

0,24l x (190-150) g/l = 9,6 g d'hémoglobine pure 4. Perte sanguine acceptable (c'est-à-dire celle correspondant à 9,6 g d'hémoglobine):

9,6g : 190g/l = 0,050l = 50 ml Dans le cas de cet enfant, la transfusion d'un concentré érythrocytaire sera réalisée à partir d'une perte sanguine de 50 ml. La règle classique stipulant qu'au-delà de 10% de pertes sanguines il faut passer des globules rouges est trop imprécise. La quantité à transfuser doit

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29Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

être calculée. En attendant que ce calcul soit finalisé, on peut mettre en route une transfusion sur la base de 10 ml/kg. Chez le tout-petit, la transfusion peut s'effectuer à la seringue, soit montée sur un pousse-seringue, soit à la main. La vitesse d'injection doit être lente, par bolus successifs de 5 ml chez le nouveau-né, de 10 ml chez le nourrisson). L'émergence du syndrome de déficience humaine (SIDA) a modifié toute la politique transfusionnelle en anesthésie pédiatrique. Est-il possible de tolérer des chiffres d'anémie plus bas que ceux admis jusque là ? Les programmes préopératoires d'autotransfusion différée et la préparation de plasma frais congelé par plasmaphérèse sont couramment réalisés chez les grands enfants avant une intervention correctrice de scoliose ou de thorax en entonnoir. L'hémodilution peropératoire permet souvent d'éviter la transfusion de sang homologue. Lors d'interventions très hémorragiques, il est recommandé d'installer un système de récupération sanguine (Cell Saver) de manière à permettre la retransfusion d'une partie des érythrocytes répandu dans la plaie opératoire. Quel type de sang faut-il transfuser au nouveau-né? Le sang total n'est pas recommandé parce que sa teneur en hémoglobine est trop faible: en normovolémie, les enfants seraient anémiques. Le produit le plus intéressant est le concentré érythrocytaire le plus frais possible (prélevé depuis moins de 100 heures). Dans le choix du groupe sanguin du culot à transfuser, il faut se rappeler que le sang du nouveau-né contient pratiquement tous les anticorps immuns présents dans le sang maternel. Les érythrocytes transfusés doivent être compatibles avec les anticorps du groupe sanguin maternel (ainsi, pour un enfant A + né d'une mère O +, il faut utiliser des érythrocytes O +). Ces considérations pratiques priment avant tout chez le nouveau-né, en particulier le risque de survenue d'un ictère hémolytique. Groupe Maternel Groupe de l'enfant Érythrocytes à

transfuser Plasma à transfuser

A ou B A, B, AB, O Groupe de l'enfant Groupe de l'enfant O A O A O B O B O O O O

Règles de transfusion du nouveau-né (jusqu'à 3 mois)

Les concentrés érythrocytaires destinés au nouveau-né ou au nourrisson de moins de 6 mois doivent être débarrassés de leurs leucocytes par filtration (ce qui est devenu le standard en France) et il faut n'utiliser que du sang CMV négatif. En cas de transfusion massive, il faut aussi apporter des facteurs de coagulation et des plaquettes.

Produit sanguin Dose administrée Plasma frais congelé 10ml/kg pour débuter Concentré plaquettaire 1 unité/10kg

(augmente le chiffre de plaquettes de 50000/mm3 environ)

Prescription de produits sanguins

Il n'est pas habituel de donner du calcium même lors de transfusions massives (comme une exsanguino-transfusion chez le nouveau-né). Cela n'est envisagé que lors de transfusions à haut débit (> 1,5-2 ml/kg/min pour un culot globulaire ou 1 ml/kg/min pour du plasma frais congelé).

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30Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Il y a polyglobulie lorsque l'hématocrite dépasse la valeur de 0,65. L'augmentation de la viscosité sanguine qui en résulte provoque des perturbations de la microcirculation avec signes cérébraux, une hypoglycémie et une hypocalcémie. L'hématocrite mesuré sur le sang veineux est légèrement plus faible que celui du sang capillaire. L'anesthésiste doit en tenir compte, chez le nouveau-né hypotrophique, malformé ou porteur d'une trisomie 21. Le traitement, effectué en collaboration avec le néonatologiste, consiste en une "exsanguino-transfusion partielle": une partie du sang de l'enfant est remplacée par de l'albumine sur la base du calcul suivant:

Volume d'échange = Masse sanguine x (Hématocrite mesuré - Hématocrite souhaitée) Hématocrite mesuré

Lorsque les pertes sanguines sont modérées, la compensation s'effectue au moyen de substituts plasmatiques, sans administration d'érythrocytes. On utilise surtout le Ringer-lactate et l'albumine à 4% (l'albumine à 5%, isotonique, n'est pas commercialisée en France). Les substituts colloïdaux, gélatines ou hydroxyéthylamidons, sont plus rarement utilisés chez le petit enfant. Leur demi-vie prolongée dans l'organisme en fait déconseiller l'utilisation chez le nouveau-né et le nourrisson. Les hydroxyéthylamidons s'utilisent à la posologie de 20 ml/kg (ne pas dépasser 30 ml/kg); les gélatines n'ont pas de limitation vraie de dose; les deux produits s'utilisent pour compenser les pertes sanguines plus importantes chez les enfants de 2 ans et plus. Au sein de la communauté anesthésique pédiatrique, il existe une controverse entre les partisans des cristalloïdes et ceux des colloïdes. La compensation rapide d'une perte sanguine importante est plus simple avec les colloïdes qui assurent probablement une meilleure perfusion tissulaire et réduisent le risque de formation d'œdèmes (ce qui, en soi, n'est pas réellement nuisible mais est inutile). Chez l'enfant en état de choc, on débute habituellement la réanimation par une perfusion de 10 à 20 ml/kg d'albumine à 4% jusqu'à ce que le bilan des pertes soit établi. L'albumine à 20% a été occasionnellement utilisée chez le nouveau-né à la place de l'albumine à 4%, à des posologies 4 fois moindres, mais cette attitude a été récemment critiquée car il probable que les modifications rapides de pression oncotique ne sont pas souhaitables. L'autorégulation de la circulation cérébrale est perturbée chez le nouveau-né hypoxique. L'hypervolémie induite par l'injection rapide d'albumine ou de culots globulaires favorise la survenue d'hémorragies cérébrales. VII. THERMORÉGULATION Dès la naissance, l'enfant dispose de moyens de thermorégulation pour tenter de conserver constante sa température corporelle. Il se heurte cependant à des difficultés supérieures à celles rencontrées par l'enfant plus grand. Les pertes caloriques, relativement importantes, sont favorisées par les facteurs suivants:

- surface corporelle élevée en comparaison du poids (les nourrissons dont la surface corporelle est inférieure à 0,5 m² sont très exposés à l'hypothermie)

- faible épaisseur du derme et de la couche graisseuse sous-cutanée. - déperditions par évaporation (imbibition d'urine, solutions désinfectantes); un degré

élevé d'hygrométrie atmosphérique est souhaitable pour réduire les pertes par évaporation.

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31Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

- vasodilatation d'origine médicamenteuse (déperdition thermique per-anesthésique plus importante avec l'administration d'halothane qu'avec celle de kétamine)

La baisse de la température centrale peut se poursuivre après l'arrêt de l'exposition au froid. La production de chaleur par l'organisme du nouveau-né est essentiellement d'origine métabolique, au niveau de la graisse brune ("thermogenèse non frissonnante"). Les mécanismes de la thermogenèse sont opérationnels dès la naissance; ils requièrent une consommation d'O2 considérable et entraînent une chute du quotient respiratoire (qui passe de 1 à la naissance à 0,7 au troisième jour de vie). Cette production de chaleur métabolique est importante et peut suffire à faire remonter la température centrale des nourrissons à des valeurs normales au cours d'interventions chirurgicales de longue durée. Le frissonnement musculaire n'apparaît que vers 6 ans.

Répartition de la graisse brune chez le nouveau-né (A: plans superficiels,

B: plans profonds, C: représentation schématique du drainage veineux profond)

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32Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

33,5

34

34,5

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1min

2min

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4min

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7min

8min

9min

10min

11min

12min

°C

Chute de la température des nouveau-nés (non vêtus) dans les minutes suivant la naissance Au cours d'une anesthésie, une baisse modérée de la température centrale n'a que peu de conséquences. Les problèmes se produisent pendant la période postopératoire, à l'occasion du réchauffement.

33,5

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0 40 80 120 160 200 240Temps (min) écoulé

Température(°C)

NourissonEnfantAdulte

Variations thermiques au cours de l'anesthésie

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33Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

Les principales conséquences de l'état d'hypothermie sont les suivantes: - pendant l'anesthésie, la consommation d'oxygène diminue parallèlement à celle de la

température centrale (à 14°C, les jeunes enfants peuvent supporter sans conséquences délétères une interruption totale de la circulation systémique durant 45 minutes);

- la consommation d'oxygène augmente considérablement durant la période postopératoire chez l'enfant réveillé (jusqu'à 300% chez les plus grands). Ces besoins sont encore augmentés si la température ambiante est basse;

- une baisse de la paO2 est possible; on incrimine souvent les taux circulants élevés de noradrénaline qui entraîneraient une augmentation des résistances pulmonaires. La survenue de shunts droite-gauche est possible si le foramen ovale est encore ouvert ou si le canal artériel est perméable;

- la fixation d'O2 sur l'hémoglobine est plus forte. Le déplacement de la courbe d'O2 vers la gauche rend plus difficile la délivrance d'O2 aux tissus. De plus, l'augmentation de la viscosité sanguine joue un rôle défavorable en cas de température basse;

- l'oxygène se dissout mieux dans le sang aux températures basses. La mesure des pO2 élevées chez le patient hyperthermique est faussée par rapport au patient normothermique. Il en va de même pour le CO2. Cependant, il n'est pas certain qu'une valeur de pCO2 égale à 40 soit optimale lorsque la température centrale est basse;

- la fréquence respiratoire décroît progressivement avec risque d'arrêt respiratoire vers 24°C;

- la contractilité myocardique, la fréquence et le débit cardiaques diminuent. Le volume d'éjection systolique est peu modifié et le débit sanguin coronaire reste correct. Parallèlement à l'abaissement de la température centrale se produit une bradycardie sinusale (arrêt cardiaque vers 10-15ºC). Au-dessous de 30ºC, les troubles du rythme sont fréquents et le risque de fibrillation ventriculaire devient majeur au-dessous de 28ºC (ce risque est déjà élevé à partir de 30°C);

- le tracé ECG met en évidence un élargissement de QRS, un allongement de PQ, un sus-décalage de ST et une inversion-T. Lorsque la température descend au-dessous de 31°C, apparaît une onde J caractéristique de l'hypothermie (également décrite sous le terme d'onde d'Osborn ["Osborn-wave"] ou de signe du dos de chameau ["camel hump sign"] sur la branche descendante de l'onde R du tracé ECG;

Onde J caractéristique de l'hypothermie pour des températures centrales inférieures à 31°C

- le métabolisme décroît de 6-7% par degré de température centrale perdue. Le

métabolisme des citrates est réduit, ce qui peut poser de graves problèmes lors de transfusions massives. Le métabolisme du glucose est également perturbé lors d'une

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34Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

hypothermie exposant au risque d'hyperglycémie. En période postopératoire, à l'inverse, le risque est celui de la survenue d'une hypoglycémie;

- la fonction rénale est altérée. La diurèse chute et le pouvoir de concentration des urines diminue;

- la MAC des halogénés diminue (pour l'halothane et l'isoflurane, la MAC à 27 °C n'est plus que de 50% par rapport à sa valeur à 37°C). Le réveil post-anesthésique précoce des enfants hypothermiques s'explique en partie de cette manière;

- La durée d'action des curares est prolongée à cause de leur élimination réduite. On met facilement en évidence la difficulté que les nouveau-nés ont à maintenir leur température centrale en comparant la température de neutralité thermique (température ambiante pour laquelle leur consommation d'oxygène est la moindre) et la température critique (température ambiante au-dessous de laquelle il ne parviennent plus à maintenir leur température centrale) avec les valeurs observée chez l'adulte:

Âge du patient Température de neutralité thermique Température critique Adulte 28 °C 1 °C Nouveau-né 32 °C 23 °C Prématuré 34 °C 28 °C

Température de neutralité thermique et température critique Un nouveau-né placé nu dans une pièce chauffée à 24°C se trouve donc dans la même situation qu'un adulte à qui l'on demanderait de se déshabiller dans une chambre froide à 1°C. L'hypothermie est un des problèmes majeurs de l'anesthésie pédiatrique. Toutes les précautions doivent être prises pour l'éviter:

- ne pas déshabiller les enfants sans nécessité - recouvrir immédiatement les territoires cutanés désinfectés avec des champs stériles - élever la température ambiante pour réduire la déperdition thermique. La température

de neutralité thermique du nouveau-né est de 32 à 34°C, ce qui n'est pas raisonnablement envisageable comme température ambiante dans une salle d'opération. On préconise une température de compromis moins élevée, mais qui ne doit jamais être inférieure à 24°C, pour la prise en charge des nouveau-nés

- utiliser un dispositif efficace de réchauffement:

- systématiquement pour tous les enfants de moins d'1 an - lorsque la l'intervention dure plus de 30 minutes de l'âge de 1 an à la

période scolaire - pour les interventions longues chez l'enfant de plus de 8 ans

- la température des matelas chauffants doit être contrôlée régulièrement pour éviter les

risques de brûlure (qui engagerait la responsabilité de l'anesthésiste). Les couvertures électriques ne doivent pas être utilisées en salle d'opération car les infiltrations d'humidité peuvent être à l'origine de brûlures graves.

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35Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

- l'utilisation de lampes chauffantes est possible pendant l'installation mais il faut faire attention au risque de brûlure tant du patient que du personnel (cheveux)

- le recours à des systèmes de réchauffement par convection (Bair-Hugger® par exemple) donne d'excellents bons résultats

- le réchauffement et surtout l'humidification de gaz inhalés - le recouvrement des membres inférieurs par des matériaux isolants sur le plan

thermique - la mesure de la température doit être systématique; elle doit refléter la température

centrale et doit donc s'effectuer au moyen d'une sonde rectale ou œsophagienne en prenant garde au risque de lésion (perforations rectales notamment). La méthode qui évalue le mieux la température centrale réelle (c'est-à-dire la température cérébrale) est la mesure de la température tympanique. La température œsophagienne diffère souvent beaucoup de la température rectale qui est la plus couramment mesurée. La mesure de la température cutanée n'a pas d'intérêt au cours d'une anesthésie.

VIII. FONCTIONS HÉPATIQUES Le foie du nouveau-né est volumineux: il représente 4% du poids corporel contre seulement 2% à peine chez l'adulte. Différentes fonctions hépatiques ne sont pas entièrement mâtures au moment de la naissance. Les mécanismes de glycuroconjugaison ne sont pleinement fonctionnels que vers 2 à 3 mois (l'une des conséquence en est l'hyperbilirubinémie de l'ictère dit "physiologique" du nouveau-né). Les mécanismes d'acétylation, de même, ne sont complètement opérationnels qu'après l'âge de 21 mois. Dans la pratique clinique quotidienne, l'immaturité fonctionnelle hépatique n'interfère pas de manière significative avec l'anesthésie pour des interventions de courte durée. Les particularités pharmacocinétiques de certains médicaments ont cependant une incidence clinique qu'il faut bien connaître:

- le diazépam a une demi-vie très augmentée chez le prématuré et le nouveau-né (75 et 31 heures respectivement) contre 18 heures seulement chez le nourrisson plus âgé;

- l'importance relative des voies métaboliques peut différer significativement selon l'âge: seul le nouveau-né et le nourrisson sont capables de produire de la caféine à partir de la théophylline. La demi-vie d'élimination de la caféine comme celle de la théophylline sont beaucoup plus longues en période néonatale (37 à 231 h pour la caféine et 9 h pour la théophylline).

Enfin, il faut se rappeler que, chez le nouveau-né, le foie est encore un organe hématopoïétique. IX. LE SYSTÈME NERVEUX Le cerveau est encore en plein développement au moment de la naissance (multiplication des neurones de la 15ème à la 30ème semaine de gestation, prolifération gliale de la 25ème semaine gestationnelle jusqu'à l'âge de 1 an, myélinisation depuis la naissance jusqu'à la 10ème année).

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La vitesse de conduction nerveuse augmente proportionnellement à la myélinisation.

Age Nerf ulnaire Moyenne (SD)

Nerf médian Moyenne (SD)

Nerf fibulaire Moyenne (SD)

Nouveau-né 32 (4) 29 (8) 29 (4) 1-4 mois 43 (8) 34 (9) 37 (7) 4-12 mois 50 (7) 40 (5) 48 (8) 1-3 ans 60 (8) 50 (6) 54 (8) 3-8 ans 65 (8) 58 (5) 58 (7) 8-16 ans 68 (6) 64 (6) 58 (7) Adulte 63 (6) 63 (6) 56 (5)

Maturation de la vitesse de conduction nerveuse (vélocité motrice) en m/s

(d'après Gamstrop I. Normal conduction velocity of ulnar, median and peroneal nerves in infancy, childhood and adolescence. Acta Paediatr Scand (Suppl) 146-168; 1963)

La barrière hématoméningée est encore incomplète et sensible à de nombreux facteurs perturbateurs. Ce n'est que dans la période néonatale, par exemple, que la bilirubine présente une neurotoxicité potentielle telle qu'elle peut conduire à l'ictère nucléaire. Le baroréflexe cardiovasculaire est peu fonctionnel chez le prématuré. Une hypovolémie ne provoque que peu ou pas de tachycardie. La régulation de la respiration est encore immature chez le nouveau-né. Le prématuré a souvent (30-95%) une respiration périodique, parfois entrecoupée de longues apnées. Le nouveau-né peut encore présenter des périodes de respiration périodique intermittentes, dont les liens avec le syndrome de mort subite du nourrisson (MSN) semblent

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37Anesthésie Pédiatrique : Considérations générales – Bernard Dalens

importants. Passée la période néonatale, la MSN représente la première cause de décès durant la première année de vie (le pic de fréquence maximale se situant entre 2 et 4 mois). De 1 à 3 nourrissons sur 1000 décèdent sans qu'aucune cause organique ne puisse être retrouvée. Les décès surviennent le plus souvent la nuit, entre minuit et 6 heures (et l'on parlait souvent d'enfant morts "étouffés dans leur lit). L'étiologie de ce syndrome n'est pas claire et il n'est pas exclus que ces enfants ne présentent des particularités méconnues avant l'accident: respiration périodique fréquente, réactivité anormale à l'hypoxie, anomalie de la courbe de réponse au CO2, trouble de la coordination des muscles respiratoires (?). Des nombreux facteurs de risque sont discutés: sommeil en décubitus ventral, antécédents de prématurité ou de problèmes néonataux graves, contexte familial (cas de MSN dans la fratrie), antécédents de mort subite "récupérée" ("near miss SIDS"), tabagisme ou toxicomanie maternelle. Actuellement, les efforts portent sur les moyens de dépistage des enfants à risque de MSN et la prévention des accidents par l'administration préventive de théophylline et le monitorage à domicile de longue durée. Les anciens prématurés sont exposés au risque d'apnées graves survenant au décours d'interventions chirurgicales sous anesthésie générale [effet résiduel des anesthésiques (?), libération importante d'endorphine consécutive à l'intervention (?)]. Le risque est particulièrement grand lorsque l'âge post-conceptionnel est inférieur à 44 semaines (la fréquence des apnées postopératoires est toutefois nettement augmentée jusqu'à un âge post-conceptionnel de 60 semaines). Du fait de ce risque, les anciens prématurés nécessitent une surveillance postopératoire continue (avec moniteur d'apnée). Les potentiels évoqués peuvent être utilisés pour évaluer l'état fonctionnel du CNS sous anesthésie:

- la mesure des potentiels évoqués somesthésiques permet le monitoring des fonctions médullaires pendant les interventions de scoliose. A mesure que l'enfant grandit, les phases de latence deviennent plus courtes (conséquence de la myélinisation) et les valeurs adultes sont atteintes vers 8 ans.

- les potentiels évoqués auditifs sont surtout utilisés pour l'évaluation objective de la fonction auditive des nourrissons.

- les potentiels évoqués visuels et l'ERG (électrorétinogramme) servent surtout à évaluer précocement les fonctions visuelles.

X. Particularités psychologiques Les nourrissons de moins de 6 mois sont relativement indifférents à l'environnement; même la séparation d'avec la mère sera tolérée pendant une période brève, à condition que quelqu'un joue le rôle de "mère de substitution". Ce sont les enfants âgés de 6 mois à 4 ans qui présentent les manifestations émotionnelles les plus importantes. Ces enfants sont suffisamment matures pour appréhender le caractère inquiétant de certaines situations, mais non pour comprendre les explications qu'on peut leur fournir. Ils peuvent présenter des modifications importantes de leur comportement en période postopératoire (cauchemars, peur injustifiée envers le personnel soignant, angoisse d'une nouvelle séparation d'avec les parents etc.). Le respect des recommandations suivantes permet de réduire ces effets néfastes:

- éviter, quand c'est possible, les indications d'actes de chirurgie réglée dans la tranche d'âge "difficile", c'est-à-dire entre 6 mois et 4 ans

- privilégier la chirurgie ambulatoire ou, au moins, limiter la durée d'hospitalisation - libéraliser largement les horaires de visite - veiller à assurer une excellente analgésie postopératoire - recommandation particulières pour "l'enfant vigoureusement opposant"

o ne pas tenter "d'en venir à bout par le masque"

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o privilégier l'induction intraveineuse par thiopental ou kétamine o en cas de difficulté d'abord veineux, administrer 3 mg/kg de kétamine par voie

IM dans le deltoïde o en l'absence d'urgence, réaliser une prémédication rectale avec 1 mg/kg de

midazolam ou même une induction rectale avec 0,5 mg/kg de midazolam et 10 mg/kg de kétamine

X. PARTICULARITÉS PHARMACOLOGIQUES Les modifications de répartition des secteurs liquidiens en fonction de l'âge sont responsables chez le nourrisson d'une forte augmentation du volume de distribution (double de l'adulte) de tous les agents pharmacologiques: pour une posologie donnée (par kg de poids), le pic de concentration sanguine est moindre chez le tout-petit et il faut augmenter les doses pour obtenir le même effet thérapeutique. En contrepartie, la demi-vie d'élimination est très nettement retardée et il existe une forte accumulation lors des réinjections qui peut se révéler extrêmement dangereuse. L'effet "favorable" d'un pic plasmatique moindre, à dose unique égale, est contrebalancé par une liaison protéique moindre, en particulier à l'orosomucoïde, principale protéine de liaison du plasma. Cette alpha1-globuline a une concentration plasmatique basse jusqu'à l'âge de 9 mois: ainsi la fraction non liée de tout anesthésique local est-elle proportionnellement plus importante chez le petit nourrisson. Cet accroissement de la fraction libre peut engendrer des effets toxiques.

0

2

4

6

8

10

12

1 mo 2 mo 3 mo 4 mo 5 mo 6 mo

Orosomucoïde

Fraction libre debupivacaïne

Variations du taux plasmatique (en µM/l) d'alpha1-glycoprotéine acide (orosomucoïde) et de la fraction libre de bupivacaïne après administration caudale (3 mg/kg) en fonction de l'âge