l’allongement de la vie professionnelle...6 reste à savoir surtout comment réussir à travailler...

60
LE TRAVAIL DEMAIN LA SANTÉ D’ABORD ! CES SENIORS QUI BOOSTENT LES ENTREPRISES UNE VIE PLURIELLE QUATRE GÉNÉRATIONS AU TRAVAIL N o 3 L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE pour

Upload: others

Post on 09-Sep-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

LE TRAVAIL

DEMAIN

LA SANTÉD’ABORD !

CES SENIORSQUI BOOSTENT LES

ENTREPRISES

UNE VIEPLURIELLE

QUATRE GÉNÉRATIONS

AU TRAVAIL

No 3

L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE

pour

Page 2: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

WWW.LECOMPTOIRMM.COM

Page 3: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE : UN ENJEU POUR DEMAIN

P. 04 UNE VIE PLURIELLE

P. 10 DEMAIN, UN INDIVIDU SERA D’ABORD UNE SOMME DE COMPÉTENCES

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

P. 14 ANTICIPER MOT-CLÉ DES RH

P. 18 EMPLOI DES SENIORS : UNE RÉGLEMENTATION MAL APPLIQUÉE

P. 20 LA SANTÉ D’ABORD !

P. 26 UNE FIN DE CARRIÈRE, ÇA SE PRÉPARE !

P. 28 UNE ENTREPRISE INTERGÉNÉRATIONNELLE

P. 30 APPRENDRE TOUT AU LONG DE SA VIE

LE SENIOR : UN COLLABORATEUR CLÉ

P. 34 EMPLOI DES « ANCIENS »,UN CHANGEMENT DE MENTALITÉS’IMPOSE

P. 38 BLUES EN GRIS-BLANC

P. 40 CES SENIORS QUI BOOSTENT LES ENTREPRISES

P. 44 ZOHRA ZENAIDI : REVENANTEET FIÈRE DE L’ÊTRE !

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

P. 46 RADIOSCOPIE DU TRAVAILLEUR POST-MODERNE

P. 50 TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS, OUI MAIS COMMENT ?

P. 54 PETIT VADE MECUM POUR PRÉPARER DEMAIN

P. 56 RETRAITE : L’OCCASION D’UN NOUVEAU DÉPART

MOT D’INTRODUCTION

UNE SOCIÉTÉ DE LA LONGÉVITÉ

Allongement de l’espérance de vie, report envisagé par certains de l’âge de la retraite, demain, c’est une certitude, nous travaillerons plus longtemps.

Suscitant, comme le montre notre enquête*, questionnements, incompréhensions voire inquiétudes de la part des salariés comme de leurs managers, l’allongement de la vie professionnelle et ses multiples implications économiques et sociétales représentent un enjeu primordial pour les entreprises.

Comment aider les actifs à garder employabilité et engagement tout au long de leur itinéraire professionnel ? Les stéréotypes sur l’âge sont-ils en train d’évoluer ? Quels accompagnements proposer aux collaborateurs confrontés à une vie professionnelle – et privée – devenue plurielle ? L’intergénérationnalité est-elle un levier d’innovation ? Autant de questions auxquelles ce cahier tente de répondre au travers d’enquêtes, de reportages, de témoignages et d’analyses d’experts.

Édité en partenariat avec la revue We Demain et le Comptoir de la Nouvelle Entreprise par Malakoff Médéric Humanis pour décrypter les enjeux d’un monde du travail en mutation, ce numéro 3 du Travail Demain apporte éléments de réflexion et pistes de bonnes pratiques pour relever le challenge d’une société de la longévité.

Cré

dits

pho

tos

couv

ertu

re :

Isto

ck. «

Le

nouv

eau

stag

iaire

», W

arne

r B

ros.

Shu

tter

stoc

k. T

hom

as L

ecle

rc. S

ipa.

Man

oman

o.

SOM

MA

IRE

* Etude de perception auprès des dirigeants d’entreprise et des salariés sur l’allongement de la vie professionnelle. Réalisée en 2019 par Harris Interactive pour Malakoff Médéric Humanis.

Page 4: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

44

L’ALLONGEMENT DE LA VIE

PROFESSIONNELLE : UN ENJEU POUR

DEMAIN

Page 5: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

5

© S

hutt

erst

ock

/ O

llyy.

UNE VIE

PLURIELLEArmelle Oger

ALLONGEMENT DE LA VIE ET REPORT DE L’ÂGE DE LA RETRAITE INDUISENT DES ITINÉRAIRES PROFESSIONNELS

PLUS LONGS. ET ASSURÉMENT MOINS LINÉAIRES POUR CAUSE DE

MUTATIONS DU MONDE DU TRAVAIL MAIS AUSSI DE NOUVELLES ASPIRATIONS INDIVIDUELLES. LE PLAN DE CARRIÈRE,

COMME LE PLAN DE VIE, SE CONJUGUE DE PLUS EN PLUS

EN VERSION PLURIELLE.

ravailler plus longtemps : l’idée, si elle ne réjouit pas vraiment nos concitoyens (54 % sont résolument contre cette éventualité*) paraît incontournable. Financement des retraites et de la dépendance oblige. Reste à savoir quand projeter son pot de départ à la retraite: à 70 ans comme certains le prônent en Allemagne, 80 comme 6 % des seniors américains ? Voire jamais comme ces 37 % de Japonais qui ne prévoient pas de mettre le mot fi n à leur carrière ?

CUMULER PLUSIEURS EMPLOIS AVEC DES FONCTIONS ET

STATUTS DIFFÉRENTS : LE QUOTIDIEN DU SLASHEUR, MÊLANT

TRAVAIL ET PLAISIR, EST PEUT-ÊTRE UN SCÉNARIO DE DEMAIN.

Page 6: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

6

Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait Romain Gary, n’est (trop souvent) plus valable », sauter de la case emploi à celle de la retraite sans faire de halte, voire être immobilisé, sur la case chômage est déjà une gageure, alors rajouter une décennie à son parcours semble relever du défi impossible ! Même si, assurent certains, les choses changent : « On est passé de l’anti-aging au pro-âge », affirme l’étude du bureau Peclers dans son décryptage des tendances socioculturelles 2018. Exit le jeunisme, vive le glam grey !

Directeur général de Sociovision, cabinet d’études spécialisé dans les tendances et la prospective, le sociologue Remy Oudghiri est plus nuancé.

« Dans les années à venir, les individus nés après Mai 68 vont être de plus en plus nombreux à devoir assumer leur identité de jeune senior. Première génération à avoir vécu sous le règne du jeunisme, il lui faudra se préoccuper de problèmes de retraite, réfléchir à son avenir dans la dernière ligne droite, se positionner par rapport aux nouvelles générations qui arrivent, bref, se poser des questions de seniors ! Cette génération aura le plus grand mal à se projeter dans le vieillissement et la maturité. Au travail, il est probable qu’elle luttera encore davantage que les générations précédentes pour rester jeune le plus longtemps possible. Ses attitudes, ses codes vestimentaires, son apparence en feront le contraire de l’image traditionnelle des seniors. Cela devrait changer le regard que l’on porte sur les “seniors”. Et favoriser le dialogue avec les générations précédentes. »

RUPTURES ET REBONDSAvènement de l’IA, automatisation,

économie collaborative… Dans un monde du travail en mouvement perpétuel, travailler plus longtemps va surtout impliquer d’intégrer l’idée d’une carrière non plus linéaire et sécurisée, mais faite de ruptures et rebonds : périodes d’activité alternant avec chômage et temps libéré choisi. En changeant de métiers, voire en multipliant ces derniers, mais aussi de statuts : salariat, missions, entreprenariat, temps partiel, micro-jobs… En clair, travailler autrement en adaptant son activité professionnelle aux mutations économiques et technologiques mais aussi aux évolutions et impromptus d’une vie privée faite d’une succession de phases : vie de couple, solo, monoparentale, recomposition familiale… Une vie professionnelle comme privée devenue plurielle avec des périodes dévolues au travail et d’autres à la vie familiale ou à des projets personnels. Avec, pourquoi pas, des timings interchangeables : un tour du monde à 40 ans et une activité intense de 50 à 70 ans, la création d’une entreprise à 20 ans et un bébé

à 50 ! Ou encore plus disruptive, à l’instar de ces millennials adeptes du mouvement FIRE (Financial independance, retire early : indépendance économique, retraite précoce). Leur objectif : bosser comme un damné pendant vingt ans en

économisant au maximum pour arrêter de travailler à la quarantaine !

Exit CDI, mobilité limitée, bureau fixe : voici venir le temps du travail fragmenté, celui de nouveaux métiers. Celui des « entreprises sans travailleurs fixes et des travailleurs sans entreprises fixes », explique le spécialiste du marché du travail et DG de la World Employment Confederation, Denis Pennel.

L’AVP : UN ENJEU POUR DEMAIN

DES TRAVAILLEURS SANS ENTREPRISE

FIXE

Page 7: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

7

loisirs). Plus de 16 % des Français seraient déjà des slasheurs, selon Alain Bosetti, cofondateur du Salon des micro-entreprises.

« L’idéal de la pluriactivité ou du slasheur est encore minoritaire. Seulement un tiers des Français juge souhaitable l’idée qu’à l’avenir, les gens cumulent plusieurs emplois ou activités professionnelles, tempère le DG de Sociovision. La priorité sera surtout d’équilibrer sa vie professionnelle et sa vie personnelle. La dernière

prenant de plus en plus d’importance. En 2018, 55 % des Français déclaraient être prêts à sacrifier leur travail pour privilégier leur vie privée. Leur proportion était de 47 % en 2013. C’est un changement complet de paradigme. »

Privilégier sa vie privée pour le bonheur en plus : selon une autre enquête**, 32 % des Français ont en effet déjà préféré gagner moins en acceptant un job qui les rendait plus heureux.

Devenue une activité parallèle et intermittente, la valeur travail sera vécue différemment. Avec des attentes de plus en plus fortes en matière de sens et d’épanouissement.

Maître mot de cette révolution à venir : l’adaptation. Pour saisir les opportunités et ne pas les subir. Comment ? En demeurant un éternel étudiant à l’image de ces seniors intégrant la cinquantaine passée l’école 42, must de l’enseignement du codage, ou en découvrant (ou redécouvrant) les bancs de la fac. Quadras et quinquas y sont de plus en plus nombreux : près de 100 000 diplômes ont été délivrés en 2016 en formation continue par les universités ; 15 000 de plus qu’en 2013. Une tendance prévue à la hausse grâce aux opportunités créées par la loi Avenir professionnel adoptée en 2018. Malgré quelques réticences : 52 % des Européens sont

Des travailleurs passant d’un emploi fixe à celui de freelance sur une plate-forme de micro-jobs comme Malt ou Crème de la crème ou, ciblant des micro-jobs plus précaires comme Amazon Turk ou Foule Factory.

Pour Denis Pennel qui s’exprimait en avril dernier lors d’un colloque sur l’économie collaborative organisé à Londres, « les différentes formes de travail sont déjà de plus en plus imbriquées. »

L’ÈRE DES SLASHEURS« La majeure partie des

actifs sait que le monde du travail va se transformer considérablement au cours de la prochaine décennie. Dans les esprits, l’idée qu’il faudra changer plusieurs fois de métier au cours de sa vie est aujourd’hui acquise », acquiesce Remy Oudghiri.

Changer de métier certes (selon une étude du ministère du travail américain, un étudiant aura occupé entre 10 et 14 boulots avant ses 40 ans), mais aussi avoir plusieurs métiers en même temps ! « Mon père a eu un travail dans sa vie. J’en aurai sept tout au long de la mienne et mon fils sept… en même temps ! », lance en préambule de ses conférences Seth Godin, ancien responsable marketing de Yahoo. En clair, le cadre dynamique des années à venir aura plus souvent un portefeuille de missions qu’un emploi en tant que tel, assurant, avec des titres différents, plusieurs projets pour divers employeurs.

Des poly-actifs que l’on nomme slasheurs, pratiquant le self-emploi via le mix de différentes activités rémunérées ou non – traductrice, coach et créatrice de bijoux – avec une porosité entre vie privée et vie professionnelle, travail et plaisir, l’important étant tout autant de travailler que de s’épanouir : ce que dans la Silicon Valley, on nomme le weisure (work et leisure : travail et

14 JOBS AVANT SES 40 ANS !

Page 8: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

L’AVP : UN ENJEU POUR DEMAIN

8

en effet anxieux à l’idée de devoir apprendre de nouvelles compétences rapidement pour changer régulièrement de fonction, contre 33 % aux États-Unis et seulement 19 % en Asie…

CARRIÈRE DURABLED’où l’importance des dispositifs

d’accompagnement à la transition professionnelle et l’intégration du concept, récent, de carrière durable pour aider les collaborateurs à développer à long terme leur employabilité dans un environnement imprévisible et en mutation.

« Pour rester en phase avec les tendances de la société, les entreprises devront répondre aux attentes de sens et d’intérêt qui se manifestent de plus en plus, poursuit Remy Oudghiri. Une carrière durable aujourd’hui, c’est une carrière qui a intégré l’idée de changement régulier de poste, de fonction, de secteur, etc. Certaines entreprises le font déjà. Leurs salariés sont invités à changer de fonction tous les trois ou quatre ans. Il faut que la vie professionnelle devienne une suite de projets, une aventure plutôt qu’un itinéraire tracé à l’avance. Il faut passer du mode carrière au mode projet. »

Une carrière durable avec pour pierre angulaire la formation tout au long de sa vie via une entreprise apprenante, mais aussi une ville devenue « apprenante ». « Les villes devront élaborer des stratégies innovantes qui permettent aux citoyens de tous âges, de tous profils, d’acquérir de nouvelles qualifications et compétences tout au long de leur vie. »

Cette recommandation de l’Institut pour l’apprentissage tout au long de la vie, créé par l’Unesco, connaît depuis quelques années un vif intérêt. En Asie particulièrement, l’Europe apparaissant quelque peu à la traîne…

Anxiogène comme l’est tout changement, la fin annoncée de la linéarité peut faire la part belle aux reconversions, aux parcours atypiques,

aux chemins de traverse. Avec un regard, positivé comme il l’est aux USA, sur l’échec.

« Ces évolutions contribuent à rendre socialement acceptable l’idée que l’on peut changer régulièrement de trajectoire personnelle ou professionnelle », commente Remy Oudghiri. « La conséquence positive, c’est que les individus auront devant eux plus

Page 9: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

9

© S

ébas

tien

MIC

KE

/ PA

RIS

MAT

CH

/SC

OO

P.

d’opportunités pour changer de voie. Ils pourront plus facilement prétendre bifurquer, acquérir de nouvelles compétences, explorer des champs nouveaux. La conséquence négative, c’est qu’il sera très difficile de promouvoir une vision à long terme. Dans une société de ruptures et de changements permanents, les individus ont tendance à vivre

au présent. Or toute organisation a besoin de compter sur un minimum de stabilité et de permanence pour ne pas s’affaiblir en perdant régulièrement des compétences. L’enjeu de la fidélité des salariés est un enjeu majeur. » u

ÉGÉRIE DU GLAM GREY, CARMEN DELL’ OREFICE

CONTINUE À 87 ANS D’ENRICHIR SON BOOK DE

MANNEQUIN VEDETTE : PROFIL FACEBOOK POUR PREUVE !

* IFOP, avril 2018. ** Enquête Wrike, mai 2019.

Page 10: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

10

Page 11: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

DEMAIN, UN INDIVIDU SERA D’ABORD

UNE SOMME DE COMPÉTENCESPropos recueillis par Armelle Oger

•EMPLOYABILITÉ, ENGAGEMENT, FORMATION : L’ENQUÊTE MENÉE

AVEC LE COMPTOIR DE LA NOUVELLE ENTREPRISE* SUR LES CONSÉQUENCES DE L’AVP FAIT ÉTAT DES CRAINTES MAIS AUSSI DES ATTENTES DES SALARIÉS ET DES ENTREPRISES. DÉCRYPTAGE PAR ANNE-SOPHIE GODON, DIRECTRICE

INNOVATION DE MALAKOFF MÉDÉRIC HUMANIS.

MENER UNE ÉTUDE SUR L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE MET EN EXERGUE LE FAIBLE EMPLOI DES SENIORS : UNE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE ?

Nous avons en effet en France un problème avec l’emploi des plus de 50 ans.

Les cadres, tout particulièrement, qui ont un taux d’activité extrêmement bas : au moment du départ à la retraite, ils sont pour une majorité d’entre eux au chômage depuis deux à trois ans. Il faut améliorer l’emploi des seniors. Nous n’avons pas le choix. Les implications sont économiques – si on travaille plus longtemps, on va gagner des points de PIB –, sociales et sociétales avec des conséquences en matière de santé, de qualité de vie pour les salariés. Les Français adorent quantifier, qualifier, mettre des barrières : déjà, arrêtons de dire qu’on est senior à 45 ans !

CONVAINCRE LES SALARIÉS DE TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS NE VA PAS ÊTRE SIMPLE : L’ÉTUDE MONTRE QUE DEUX TIERS D’ENTRE EUX PORTENT UN REGARD NÉGATIF SUR UN ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE. CÔTÉ DIRIGEANTS, SIX SUR DIX SE DISENT PRÉOCCUPÉS PAR UN AVP SYNONYME D’AUGMENTATION DES ACCIDENTS

11

© X

avie

r La

mbo

urs

DU TRAVAIL, MALADIES PROFESSIONNELLES OU ENCORE ARRÊTS DE TRAVAIL.

La question est déjà de savoir si l’on va vraiment travailler plus longtemps. L’âge du premier job est plus tardif : travailler à 16 ans, ça n’existe plus. Choisies ou subies, les parenthèses « inactives » risquent d’être plus nombreuses. Un salarié va peut-être travailler plus tard mais pas obligatoirement sur une plus longue durée. La question centrale est celle de susciter, de développer et de pérenniser son engagement et donc sa capacité à tenir physiquement et psychiquement.

L’institut Gallup a appliqué au monde professionnel la célèbre pyramide de Maslow qui fait état des besoins essentiels de l’individu (besoins de base, travail en équipe, support du management, progression). La démarche me semble pertinente. Les collaborateurs seront engagés si on parvient à satisfaire ces besoins. Comprendre ce qu’on attend de soi, avoir un matériel permettant de faire du bon travail, savoir que son supérieur se préoccupe de vous en tant que personne boostent l’engagement. Il faut qu’un collaborateur puisse exprimer son potentiel, obtenir de la reconnaissance, développer ses connaissances, progresser.

Page 12: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

12

Et parvenir à donner, ou redonner, du plaisir aux collaborateurs.

LA FAMEUX CONCEPT DE BONHEUR AU TRAVAIL ?Pas de bonheur, qui est un concept

philosophique, mais de plaisir, qui a un ressenti beaucoup plus concret ! Le plaisir de faire et d’être qui représente une forte aspiration nouvelle. Le problème est de savoir comment cette quête de plaisir est compatible avec l’entreprise : une TPE, une PME, une grande entreprise n’ont pas les mêmes contraintes. Peut-être faut-il encourager des formes d’engagement plurielles mêlant travail et implications sociales, caritatives. La bonne nouvelle lorsqu’on évoque les seniors, c’est que lorsqu’on croise nos données avec les courbes du bien-être et des âges, on se rend compte que c’est à partir de 50 ans qu’on se sent le plus heureux !

SENTIMENT D’EXCLUSION, CRAINTE DU LICENCIEMENT : SELON L’ÉTUDE, LES ACTIFS SENIORS RESSENTANT LEUR ÂGE COMME UNE DISCRIMINATION N’EXPRIMENT PAS VRAIMENT CE SENTIMENT DE BONHEUR AU SEIN DE L’ENTREPRISE !

Ce qui m’a étonnée c’est le regard, beaucoup plus positif que je ne l’imaginais, que les dirigeants posent sur ces seniors. Crainte du désengagement, d’une fracture digitale, du manque de dynamisme ou difficultés à manager les plus de 50 ans sont faiblement exprimées. Compétence, expérience, souci de la réussite de l’entreprise : les managers perçoivent les seniors comme fortement investis. Les plus négatifs sont en fait les salariés eux-mêmes.

Dans un monde en profonde mutation avec des métiers évolutifs, je pense que demain, un individu sera davantage décrit comme une somme de compétences plutôt qu’en termes de

L’AVP : UN ENJEU POUR DEMAIN

profil, âgé ou pas. L’OCDE est en train de faire évoluer les nouveaux référentiels de compétence et cela peut faciliter l’emploi des seniors. Lorsqu’on définit des actifs comme une somme de compétences, cela donne plus de chances aux individus. Il faut donc s’intéresser en priorité au développement des compétences, qu’il faut faire évoluer tout au long de la vie pour maintenir l’employabilité le plus longtemps possible.

LA FORMATION PROFESSIONNELLE REPRÉSENTE DONC UNE DES PIERRES D’ANGLE DE L’AVP ?

Il faut privilégier les compétences dites molles ; les soft skills. L’humain va, comme toujours, s’adapter à la technologie. Ce dont

on va avoir de plus en plus besoin, ce sont des compétences en créativité, en empathie, en travail collectif. Il faut investir massivement sur ces sujets. Or, savoir-faire et savoir-être, c’est ce que l’on développe en vieillissant. Il faudra aussi évoquer le sujet des salaires. Pour un chef d’entreprise, un

des problèmes du senior, c’est son coût financier. Le modèle japonais est intéressant : l’entreprise diminue le temps de travail et l’État compense en partie l’écart. En tout état de cause, les approches doivent être personnalisées : chaque collaborateur est en effet différent.

UN CINQUIÈME SEULEMENT DES DIRIGEANTS A MIS EN PLACE DES ACTIONS SPÉCIFIQUES POUR L’AVP. UN CINQUIÈME DES SALARIÉS EN CONNAÎT L’EXISTENCE. LE SENTIMENT DE CES DERNIERS EST CELUI D’UNE CERTAINE « IMPRÉPARATION » DE LA PART DE LEUR ENTREPRISE : CES DERNIÈRES ONT-ELLES PRIS LA MESURE DES ENJEUX DE L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE ?

Depuis plusieurs années, le dossier est sur le

LES SENIORS SONT PERÇUS COMME

FORTEMENT INVESTIS

Page 13: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

13

bureau des DRH, mais… en arrière-plan, tant il faut gérer le court terme. Surtout pour les petites entreprises. D’autant que les dispositifs législatifs, ceux de l’âge entre autres, évoluent constamment. Cela génère des problèmes de prédictivité, de transmission des savoirs avec des situations très différentes d’un collaborateur à l’autre. L’AVP, on l’a dit, est un enjeu primordial pour l’entreprise, la société tout entière. Son importance n’est peut-être pas suffisamment perçue. Ou plutôt perçue comme une contrainte. L’enjeu est que les entreprises comprennent que, comme la qualité de vie au travail, le plein emploi des seniors est un sujet qu’ils doivent s’approprier spontanément. Parce qu’ils y ont des intérêts. Social : l’entreprise a tout à gagner à montrer qu’elle est intégrante, inclusive et capable de bien traiter l’ensemble de ses collaborateurs. Financier : des seniors en arrêt maladie coûtent cher. Stratégique : l’étude montre bien leurs craintes en termes de pertes de compétence, de transmissions des savoirs.

L’ENQUÊTE MONTRE QU’IL EXISTE UN DÉFICIT D’INFORMATION EN MATIÈRE D’AVP.

Ce n’est pas que les entreprises ne font rien mais elles ne savent pas parler de ce qu’elles font ! Il existe là un vrai problème de communication sociale réduite à sa plus simple expression. Avant, il y avait des assistantes sociales qui servaient ce lien. Les actions, par exemple celles relevant de la formation, sont peu visibles ou non perçues comme des actions relevant du champ de l’employabilité des seniors.

ANTICIPATION, INFORMATION : COMMENT LES ENTREPRISES PEUVENT-ELLES ANTICIPER LES RISQUES D’EMPLOYABILITÉ, ET DONC DE SANTÉ, DE LEURS COLLABORATEURS ?

Pour les DRH, il y a deux problématiques « seniors ». Celle de l’implication et celle de la maladie et de l’absentéisme.

Pour ce qui est de l’engagement, la confiance

est une notion centrale. Confiance du collaborateur en lui, en sa capacité à s’adapter au changement, à travailler avec les autres. Confiance envers ses collègues. Confiance en la direction pour bien traiter ses seniors. Selon moi, ces questions doivent être traitées au plus haut niveau.

CHANGER DE POSTE OU D’ENTREPRISE REPRÉSENTE UNE DIFFICULTÉ POUR LES SALARIÉS. LA MOBILITÉ, PHYSIQUE ET PSYCHIQUE : LES ACTIFS DOIVENT-ILS DÈS AUJOURD’HUI INTÉGRER LA PERSPECTIVE DU CHANGEMENT ?

Les TPE qui n’ont pas les moyens d’avoir un DRH ou un directeur marketing à temps plein prennent déjà des dirigeants à temps partagé. La séniorité est recherchée. Les Français sont très attachés aux statuts sécurisés des contrats de travail mais, demain, il leur faudra développer les cumuls, accepter l’idée d’être, par exemple, salarié trois jours par semaine et entrepreneur le reste du temps. Il faudra alors organiser l’offre et la demande, tout le monde n’ayant pas forcément de réseaux pour trouver des missions : des plates-formes vont se développer pour mettre en relation actifs et entreprises.

EXIT JEUNISME, EXIT ÂGISME : L’AVP SIGNE L’ÉLOGE DE L’INTERGÉNÉRATIONNEL ?

Quatre générations pourront se côtoyer au sein d’une entreprise : ces dernières vont devoir miser sur la richesse des échanges intergénérationnels. En développant l’intelligence collective et les pratiques collaboratives, afin que tous les collaborateurs puissent s’exprimer. En facilitant la transversalité. Des entreprises se sont déjà lancées dans le reverse mentoring : chaque collaborateur étant connu et reconnu pour ses compétences. Les dirigeants doivent donner l’exemple. u

* Etude de perception auprès des dirigeants d’entreprise et des salariés sur l’allongement de la vie professionnelle. Réalisée en 2019 par Harris Interactive pour Malakoff Médéric Humanis.

Page 14: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE

PRIORITÉ

Page 15: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

15

© Is

tock

/ o

nein

chpu

nch.

ANTICIPER MOT-CLÉ DES RH

Alexandre Anquard

L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE INDUIT DE

REPENSER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES AU SEIN DES ENTREPRISES.

AMÉNAGEMENT DES TEMPS DE TRAVAIL, FORMATION, TUTORAT,

MÉCÉNAT DE COMPÉTENCES… AUTANT DE DISPOSITIFS AU SERVICE D’UNE

SALVATRICE ANTICIPATION.

i, depuis une dizaine d’années, on constate une hausse du taux d’emploi des 50-64 ans (53,3 % en 2007 contre 61,5 % en 2017 selon l’Insee), les seniors demeurent parmi

les populations les plus exposées à la perte d’emploi, au chômage de longue durée et aux difficultés de recrutement. Construire un environnement inclusif et attractif où les seniors pourront s’épanouir et évoluer, tel est le défi des DRH.

Page 16: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

16

Râleurs, incapables de tenir le rythme... les travailleurs seniors sont victimes de nombreux clichés : pour Alain Cordesse, rapporteur de l’Avis sur l’emploi des seniors (avril 2018) pour le Conseil économique, social et environnemental (CESE), ces stéréotypes impactent la culture d’entreprise. « De nombreux recruteurs ont une vision très hiérarchique du fonctionnement de l’entreprise et ne peuvent concevoir qu’un senior soit dirigé par quelqu’un de plus jeune que lui, estime Solène Lazare, cofondatrice de la société Try me Up, qui favorise le recrutement des plus de 45 ans à travers des missions de conseil, de formation, de coaching à destination des entreprises et des candidats à l’embauche. Il est indispensable de créer les conditions propices pour que ces personnes puissent être recrutées. »

FACILITER LA RECONVERSIONC’est précisément à cette tâche que s’est

attelé, il y a une vingtaine d’années, Philippe de Gibon, cofondateur et PDG de Convers, société niçoise de télémarketing. Turnover

important, manque d’expérience, management taylorien, prestation de faible niveau... « Nous avons pris le contre-pied total du modèle dominant des centres d’appel », explique le niçois. Son idée : miser sur des profils de salariés plus matures en proposant « un contrat de travail permettant à nos collaborateurs de choisir eux-mêmes leurs horaires de travail, de 8 h à 20 h, avec la possibilité de changer leur nombre d’heures contractuelles deux fois dans l’année ». Le dispositif a permis à l’entreprise d’attirer et de fidéliser des profils nouveaux, des plus de 50 ans, cherchant à concilier travail et vie personnelle. Les dirigeants de Convers ont alors poursuivi en mettant en place responsabilisation des collaborateurs, mobilités internes, qualité de vie au travail... « que du bon sens », dit Philippe de Gibon.

La gestion des ressources humaines dépasse évidement la seule question du recrutement. Parmi les recommandations du CESE, la promotion d’une culture de la formation tout au long de la carrière, via notamment le compte personnel de formation (CPF). L’objectif : faciliter les reconversions et les mobilités des travailleurs, en interne comme en externe, tout en les protégeant du risque de rupture de parcours professionnel. Solène Lazare va plus loin, conseillant d’adapter l’offre de formation selon les profils et les âges, à l’image de ce que proposent certaines entreprises new-yorkaises. « Il existe des méthodes d’apprentissage plus ou moins adaptées selon les générations, il faut pouvoir donner des options : en groupe, individuel, e-learning, etc. » Alain Cordesse rappelle, lui, que les

PHILIPPE DE GIBON,

PDG DE LA SOCIÉTÉ CONVERS

(À DROITE) ET SA TEAM.

SOLÈNE LAZARE,

COFONDATRICE DE TRY ME UP. © T

ry M

e U

p.

Page 17: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

17

problématiques de maintien dans l’emploi des seniors se posent aussi dans la fonction publique où, contrairement à ce que l’on pourrait croire, « la carrière ne se déroule pas toujours de façon sécurisée et linéaire ». Il cite l’exemple de la SNCF, qui a mis en place des dispositifs internes permettant à des agents confrontés à des emplois pénibles de se reconvertir, avant que ne pointent les premiers signes d’usure voire d’incapacité, et d’intégrer d’autres postes par le biais de la formation professionnelle.

MOBILITÉ D’ABORDSuite logique de la formation continue

des salariés, la mobilité interne est un moyen de valoriser l’expérience des salariés et de les prémunir de l’usure professionnelle. Elle favorise aussi l’intergénérationnalité grâce à laquelle peut s’opérer la transmission des compétences d’une génération à une autre : un atout majeur pour les entreprises autant qu’une source de valorisation pour les salariés

en fin de carrière. Chez Convers, c’est surtout en interne que l’on favorise la transmission des compétences, via un tutorat à double sens. Les seniors transmettent acquis et expériences aux plus jeunes qui apportent leur dynamisme et des connaissances nouvelles. « On assiste à des échanges très stimulants qui contribuent à installer une vraie stabilité dans l’emploi », analyse Philippe de Gibon, convaincu que « la performance sociale entraîne la performance économique. »

Interne, horizontale, verticale, via une promotion... la mobilité, source de motivation, et donc de performance, est un dispositif essentiel pour optimiser les talents, accompagner les transitions de carrière et favoriser les rebonds. Selon un sondage IFOP de 2017, un tiers des salariés avaient vécu une mobilité interne les cinq dernières années. Même si 45 % d’entre eux l’appréhendent comme un risque, la mobilité au sein de l’entreprise est vécue par une grande majorité comme incontournable. u

© C

onve

rs.

Page 18: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

18

EMPLOI DES SENIORS : UNE RÉGLEMENTATION MAL APPLIQUÉE

Alexandre Anquard

MISE EN PLACE EN 2000, LA STRATÉGIE DE LISBONNE FIXAIT L’OBJECTIF DE PORTER LE TAUX D’EMPLOI DES 55-64 ANS À 50 % EN 2010. OBJECTIF DÉPASSÉ

MAIS L’ISLANDE, LA SUÈDE, L’ALLEMAGNE ET LA NORVÈGE FONT MIEUX QUE LA FRANCE QUI COMPTABILISAIT EN 2017 61,5 % DE POST-QUINQUA EN EMPLOI.

INCITATIONS À L’EMBAUCHE > Le contrat unique d’insertion (CUI :

258 000 salariés concernés en 2017 / 70 000 en 2018) : en CDD ou CDI, ce contrat associe formation et/ou accompagnement professionnel pour le salarié et aide fi nancière pour l’employeur. Il vise à favoriser l’embauche des personnes rencontrant des diffi cultés à trouver un emploi. Pour les personnes âgées de 50 ans et plus, la durée maximale d’un CUI en CDD peut être portée à 5 ans au lieu de 24 mois.

> Le CDD seniors : introduit par l’Accord national interprofessionnel (ANI) de 2015, il vise à faciliter le retour à l’emploi des salariés de plus de 57 ans et demandeurs d’emploi depuis plus de 3 mois. S’il n’est pas associé à une aide ou une exonération spécifi ques, il permet toutefois l’embauche en CDD sans justifi cation d’un motif autre que l’âge du salarié.

> Le contrat de professionnalisation (222 000 en 2018) : dispositif d’insertion en alternance, il permet d’acquérir une qualifi cation professionnelle ou de compléter une formation initiale. Il prévoit pour l’employeur une exonération de cotisations patronales ainsi qu’une aide fi nancière d’État (jusqu’à 2 000 €) en cas d’embauche d’un demandeur d’emploi âgé de 45 ans ou plus. Depuis 2015, une sous-catégorie a été mise en place pour les chômeurs de longue durée de 50 ans et plus, le contrat « nouvelle carrière », avec un volet formation plus court.

MAINTIEN DANS L’EMPLOI > Les accords d’entreprise sur la gestion des

emplois et des parcours professionnels (GPEC) : obligatoires au moins tous les trois ans pour les entreprises de 300 salariés et plus, ces accords doivent permettre aux entreprises ©

Shu

tter

stoc

k /

Ihor

Zig

or.

Page 19: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

19

d’anticiper les évolutions socio-économiques, technologiques ou organisationnelles et d’adapter les compétences des salariés. Les négociations peuvent notamment porter sur l’emploi des seniors, la transmission des savoirs et des compétences ainsi que l’amélioration des conditions de travail des salariés âgés (art. L. 2242-21 du Code du travail).

> Le tutorat et la transmission de compétences : le tuteur accueille et accompagne au sein de l’entreprise un salarié en contrat de professionnalisation ou d’apprentissage. C’est pour lui l’opportunité de transmettre ses compétences et pour l’entreprise de pérenniser des savoir-faire stratégiques tout en aménageant la fi n de carrière du salarié senior. Des aides fi nancières sont accordées à l’employeur avec une majoration possible pour les contrats de professionnalisation de certains publics (minima sociaux, anciens CUI, etc.) ou lorsque le tuteur est âgé de 45 ans ou plus.

LA PROLONGATION D’ACTIVITÉ> La suppression de la limite d’âge et de la

mise à la retraite d’offi ce : depuis le 1er janvier 2010, la mise à la retraite d’offi ce par l’employeur est repoussée à l’âge de 70 ans. Avant cela, le salarié seul est en droit de décider de son départ à la retraite, l’employeur ne

pouvant s’opposer à ce qu’il poursuive son activité au-delà de l’âge du taux plein (art. L. 1237-5 du Code du travail).

> Le cumul emploi-retraite (500 000 en 2018) : il est permis sans restriction pour les retraités ayant une carrière complète et pour les retraités de 65 ans et plus. Ils peuvent cumuler leur pension et le revenu d’une activité professionnelle sous réserve d’avoir liquidé l’ensemble de leurs pensions des régimes de retraites obligatoires, de base

comme complémentaires. C’est aussi un atout pour l’entreprise afi n de

conserver ou d’attirer des expertises nécessaires sur

des projets spécifi ques et développer une gestion prévisionnelle des ressources humaines.

> La retraite progressive (20,6 % des 50-64 ans

en 2017) : elle donne la possibilité à un salarié

de toucher une partie de sa retraite tout en

poursuivant une activité à temps partiel et tout en générant

de nouveaux droits du début de la retraite progressive jusqu’à la cessation défi nitive de son activité. En outre, ce dispositif permet d’aménager des fi ns de carrière pour des salariés ayant des emplois ou tâches pénibles tout en favorisant le transfert de compétence entre générations. ◆

© E

mile

Lui

der/

RE

A.

Sources : Dares ( Travail-emploi 2018 ) et Insee ( Statistiques 2018 ).

Page 20: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

LA SANTÉ D’ABORD !Alexandre Anquard

INSTAURER UNE DYNAMIQUE DE PRÉVENTION EN MATIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL SERAIT SYNONYME

DE LONGÉVITÉ PROFESSIONNELLE POUR LES TRAVAILLEURS ET DE PRODUCTIVITÉ POUR LES

ENTREPRISES. SI LA THÉORIE PARAÎT ÉVIDENTE, SON APPLICATION CONCRÈTE S’AVÈRE PLUS COMPLEXE.

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

20

ans un contexte de réforme du système des retraites, l’allongement de la vie professionnelle s’invite à nouveau au cœur du débat. Inévitablement, surgissent les questions de santé au travail et d’usure professionnelle. « Dans quelle mesure les incitations à prolonger la durée d’activité doivent-elles tenir compte des difficultés à rester en emploi en fin de carrière ou des inégalités en matière d’état de santé ? Jusqu’où peut-on décaler l’âge de sortie de l’emploi au regard des enjeux de soutenabilité du travail et de qualité de l’emploi ? », s’interrogent Emmanuelle Prouet et Julien Rousselon dans leur rapport « Les seniors, l’emploi et la retraite » (France Stratégie, oct. 2018). Car plus la vie professionnelle s’allonge, plus les risques sanitaires sont grands.Réalisée dans le cadre de la médecine du travail auprès de 11 200 salariés de 50 ans et plus, l’enquête « Santé et vie professionnelle après 50 ans » a révélé que près des deux tiers ©

Tho

mas

Lec

lerc

.

Page 21: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

21

DANS CHACUN DES LIEUX PARTAGÉS

DE MORNING CO-WORKING PARIS

(MONCEAU EN HAUT, NEUILLY EN BAS)

DES AIRES DE REPOS PERMETTENT AUX

COLLABORATEURS DES START-UP OU TPE

DE FAIRE UNE PAUSE ANTI-STRESS.

Page 22: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

22

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

des femmes et 57 % des hommes actifs déclaraient travailler en ressentant des douleurs. C’était en 2003. Si, depuis, plusieurs études ont été conduites sur le sujet, il reste à ce jour difficile de quantifier l’impact des conditions de travail sur la santé des actifs et de fait le maintien en emploi des seniors.

« Cela nécessite de pouvoir analyser les conditions de travail pendant l’ensemble de leur carrière », précise Emmanuelle Prouet. Les enquêtes « Santé et itinéraire professionnel » (SIP), menées par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), permettent cette analyse.

PRÉVENTION PRIMAIREContributeur au tout récent rapport Lecocq

de la mission Santé au travail (août 2018), Bruno Dupuis, senior advisor en management chez Alixio, estime que si le système actuel de santé au travail a permis d’indéniables progrès ces soixante dernières années, avec un recul évident des accidents du travail, « nous sommes arrivés à un palier, notamment concernant les risques émergents et complexes liés aux organisations du travail, comme les risques psychosociaux » (RPS : stress, harcèlement, épuisement professionnel, violences verbales au travail, etc.). D’un système de santé au travail essentiellement basé sur la réparation des accidents ou maladies professionnels et sur l’idée du contrôle-sanction, il en appelle à la mise en place d’une politique de prévention primaire. « Il faut créer les conditions permettant de faciliter le repérage des personnes fragilisées, exposées à la pénibilité et aux risques d’usure, détaille Bruno Dupuis. Il est trop tard si l’on agit lorsque des travailleurs se retrouvent avec le dos en compote à 55 ans. » S’intéresser à la santé des travailleurs seniors, ce serait donc s’intéresser à celle de tous les salariés, quel que soit leur âge. Le nouveau Compte professionnel de prévention qui, en cas de pénibilité, donne au salarié des points lui permettant de suivre une

formation afin de changer de poste, de passer au temps partiel ou d’obtenir un départ anticipé à la retraite représente une avancée.

LE TEMPS C’EST LA SANTÉComment construire des parcours pour des

salariés qui seront inévitablement, à un moment de leur carrière, confrontés à des situations pénibles et difficiles, à l’usure professionnelle ou des risques psychosociaux pouvant entraîner des maux et pathologies graves (troubles du sommeil, dépression, troubles musculo-squelettiques, maladies psychosomatiques, etc.) ? À la CFDT, on considère qu’avoir plus de temps peut être un facteur de bonne santé. Deux enquêtes conduites par le syndicat, « Parlons travail » en 2016 et « Parlons retraites » en 2018, ont mis en lumière l’importance des demandes de salariés quant à l’aménagement du temps, du poste et de la charge de travail en fin de carrière.

Dans la continuité de la réflexion sur les 35 heures portée dans les années 2000, le syndicat planche ainsi sur la « banque des temps » : « L’idée, explique Catherine Pinchaut, secrétaire nationale CFDT et responsable du dossier Santé au travail, est de faire en sorte qu’un travailleur puisse, tout au long de sa carrière, avoir des marges de manœuvre dans la gestion de ses temps et donc de sa charge de travail, qu’il puisse équilibrer sa vie professionnelle, personnelle, familiale, sociale, et mieux s’épanouir en utilisant cette réserve de temps s’il souhaite se reconvertir, s’occuper de ses enfants ou de parents malades, faire du bénévolat, etc. » Si l’on considère qu’une santé altérée – potentiellement causée par des conditions de travail pénibles – est associée à un moindre maintien dans l’emploi, aménager ses temps de travail et se donner la possibilité de mieux envisager et construire son parcours professionnel, pourrait avoir une incidence sur la santé des travailleurs et se révéler un levier

Page 23: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

23

intéressant pour favoriser, à terme, le maintien dans l’emploi des seniors.

BABY-FOOT EN SALLE DE REPOSSi l’aménagement des temps de travail est

aussi à l’étude côté CGT, c’est avant tout de prévention qu’il est question, au plus près des travailleurs, de leurs conditions de travail et de son organisation. « De nombreuses entreprises pensent traiter la pénibilité à laquelle sont exposés certains de leurs salariés. Or il s’agit souvent d’une action de répartition entre les

différents postes de travail. La pénibilité ne disparaît pas, elle est seulement mutualisée et peut venir s’ajouter à d’autres. C’est en visant sa disparition que l’on pourra vraiment parler de progrès dans l’organisation du travail », estime Jérôme Vivenza, membre de la Commission exécutive confédérale de la CGT. En réponse, la confédération milite pour la création d’un outil de santé au travail qui pourrait rassembler l’ensemble des acteurs du monde travail, fruit d’un grand débat qui prendrait en compte les réalités du terrain, celles des territoires et leurs

© S

hutt

erst

ock

/ je

sada

phor

n.

Page 24: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

24

évolutions, les mutations du travail et de l’emploi, le vieillissement de la population, etc.

Jérôme Vivenza pointe ainsi le manque de moyens affectés à la prévention des risques sanitaires. « Dans beaucoup d’entreprises aujourd’hui, lorsqu’on parle de qualité du travail, cela se traduit par des baby-foot en salle de repos », tranche le syndicaliste qui aimerait voir les acteurs de la prévention aller observer les organisations et les conditions de travail au cœur des entreprises et en amont d’éventuels problèmes sanitaires. « Actuellement, les quelques centaines de contrôleurs Carsat qu’il nous reste (Caisse d’assurance retraite et de la

santé au travail) vont là où les conditions de travail sont déjà extrêmement sinistrées. Mais là où elles ne le sont que moyennement ou qu’un sinistre n’est pas encore survenu, personne ne s’y rend. C’est très problématique. »

Parmi les principales recommandations formulées par les auteurs du rapport de la mission Santé au travail, figure en bonne place la création d’une maison commune, rassemblant sous le même toit les principales structures agissant déjà dans le domaine de la santé au travail (Carsat, Anact-Aract, OPPBTP, etc.) afin de favoriser la transversalité et la

communication, supprimer les redondances, accélérer les démarches. L’objectif serait d’offrir aux entreprises une palette complète de services : une approche médicale, un volet conseil (prévention, conditions et organisation du travail, etc.), une partie formation, une activité de veille sanitaire à l’instar de certains organismes comme Malakoff Médéric Humanis. « Nous proposons de créer des structures régionales, avec un maillage territorial fin pour être au plus près des entreprises, détaille Bruno Dupuis. Pourquoi pas aussi instaurer des permanences de médecins du travail dans certaines maisons de santé (ce qui n’existe quasiment pas aujourd’hui) afin d’améliorer le suivi des patients et des travailleurs et favoriser la communication entre médecins de vie et médecin du travail. »

CAP AU NORDAnalysant les résultats de la

sixième enquête européenne sur les conditions de travail 2015

LES SALARIÉS EXPLIQUENT SOUFFRIR

DAVANTAGE DU STRESS QUE DE LA

PÉNIBILITÉ PHYSIQUE DE LEUR TRAVAIL.

© L

ewis

Hin

e/N

atio

nal A

rchi

ves

and

Rec

ords

Adm

inis

trat

ion.

Page 25: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

25

(EWCS), l’Anact résume ainsi la situation de la France, classée parmi les mauvais élèves du continent : « Faible qualité de l’environnement physique et de l’environnement social, forte intensité du travail, résultats moyens sur l’utilisation des compétences et l’autonomie ainsi que sur la qualité du temps de travail : malgré toutes les précautions d’interprétation nécessaires dans ce type de comparaison internationale, la France apparaît en situation de décrochage [...]. Au final, la France est l’un des rares pays européens à combiner ainsi dans les dernières années une dégradation conjointe en matière de conditions du travail et de performance du marché du travail. » (Les Cahiers de la capitalisation n° 2, mars 2017)

Associée aux faibles taux d’emploi des 50-64 ans, cette analyse force à regarder vers les premiers du classement, les pays d’Europe du Nord, champions en matière d’emploi des seniors, de santé au travail et de prévention des risques. « Les pays nordiques ont une vraie culture à la fois du travail des seniors comme du travail des femmes, et un rapport au maintien dans l’emploi très différent du nôtre, avec notamment beaucoup de recours au temps partiel », commente Catherine Pinchaut (CFDT). Même constat pour Bruno Dupuis, pour qui ces résultats des pays nordiques s’expliquent aussi par une allocation mieux ciblée des moyens de prévention ainsi qu’une approche volontariste et très précoce des questions de santé au travail.

UNE APPROCHE PAR LE GENREL’âge n’est pas le seul indicateur prédictif

de l’état de santé ni de la manière dont un travailleur va pouvoir continuer à faire son travail. De multiples facteurs entrent en jeu dont l’exposition à certaines formes de pénibilité ou

encore le genre. « Il existe une disparité dans la répartition des populations d’hommes et de femmes selon les grandes familles de métiers, explique Fabienne Caser, chargée de mission à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Sur le terrain, nous nous sommes aperçus que, dans un même atelier, il pouvait aussi exister une répartition sexuée des hommes et des femmes. Enfin, nous avons observé que les femmes restaient à leur poste parfois toute leur carrière alors que les hommes évoluaient. » Si les femmes sont globalement moins exposées aux critères de pénibilité les plus courants (reconnus en 2010 par la loi pour le compte pénibilité puis le C3P), elles le sont à d’autres, souvent moins visibles : sollicitations répétées et urgentes, contraintes de temps, harcèlements, postures pénibles, etc.

En parallèle, Fabienne Caser et son équipe ont aussi mis en évidence le fait que les femmes, plus que les hommes, sont positionnées dans des parcours pénibles et précaires. « Car ces parcours et ces pénibilités ont des impacts sur la santé, les personnes qui y sont confrontées ont plus

de chance d’avoir des limitations d’activité en fin de carrière », précise Fabienne Caser. Parmi les leviers d’actions suggérés : la diminution des contraintes de travail, l’amélioration des marges de manœuvre, l’accès facilité à la formation continue, la stimulation entre salariés, la lutte contre les discriminations et, toujours, une prévention

ciblée et primaire des risques sanitaires. « Malheureusement, déplore la chargée de mission, ce n’est souvent que lorsque le fonctionnement de l’entreprise est entravé (inaptitude, absentéisme, maladies professionnelles, difficultés de recrutement, démissions, etc.) que ses responsables prennent conscience de l’importance des questions de santé au travail. » u

LES PAYS NORDIQUES ONT UNE CULTURE DU TRAVAIL SENIOR

Page 26: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

UNE FIN DE CARRIÈRE, ÇA SE PRÉPARE !

Christelle Granja

SOUHAITÉE OU REDOUTÉE, LA RETRAITE REPRÉSENTE TOUJOURS UNE PHASE

DÉSTABILISANTE DE NOTRE EXISTENCE. RETRAITE PROGRESSIVE, MÉCÉNAT

DE COMPÉTENCES, PERMETTENT DE SE PRÉPARER EN DOUCEUR À CETTE

TRANSITION.

’est parfois un micro-événement qui indique que l’âge de la retraite approche. Pour Christian, secrétaire du comité d’établissement de la Banque

de France Midi-Pyrénées, c’est un relevé de carrière qui a servi de déclencheur : « Il manquait quelques trimestres, du temps où, étudiant, j’avais travaillé à la SNCF…Heureusement, ma mère avait gardé les justificatifs ! » sourit-il. Depuis, ce père de trois millennials vérifie régulièrement ses droits sur le site de simulation en ligne et s’informe des différents dispositifs possibles.

En attendant son pot de départ, Christian gère, en tant que responsable hiérarchique, le départ de deux de ses collègues. « Comme souvent désormais dans la fonction publique, les départs en retraite n’ont pas été remplacés. Nous sommes passés de huit personnes à quatre et ces effectifs réduits ne m’ont pas permis de mettre en place le tuilage que je souhaitais organiser »,

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

regrette Christian. Au-delà de l’impossibilité de maintenir un même niveau de service, c’est aussi la synergie de groupe qui est mise à mal : « Au sein d’une petite équipe, un ou deux départs suffisent à rompre l’équilibre, il faut essayer de le reconstruire ! »

Pour l’entreprise comme pour le collaborateur, un départ à la retraite représente toujours une transition délicate. « Libéré des contraintes horaires et du stress, le futur retraité se félicite de ce temps qui désormais lui appartiendra. Mais l’euphorie retombe parfois violemment. Que répondre, par exemple, à la question “Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?” Retraité ? Ce n’est pas un métier. Ne plus travailler oblige à se redéfinir, à trouver une nouvelle identité sociale et une nouvelle image de soi. Se sentir inutile, ne plus avoir de repères, ça fait peur », explique Danièle Laufer, auteure de L’Année du phénix (Les Liens qui libèrent) et animatrice de stages d’accompagnement à la première année de la retraite. « Les jeunes retraités traversent ainsi

26

Page 27: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

27

souvent une véritable crise existentielle et intime. Pour douloureux qu’il soit, ce grand chamboulement porte pourtant la possibilité d’une renaissance. Accepter le vertige et le remaniement identitaire de la première année permet en effet de reprendre confiance en soi pour construire le reste de sa vie. »

Avant même que la retraite ne se profile, les salariés, grâce au bilan de compétences senior peuvent faire le point sur leurs attentes à venir et bénéficier d’un reclassement, voire d’une véritable réorientation au sein de leur entreprise.

Pour Christian, c’est décidé : jusqu’à la fin 2021, il s’engagera dans le cadre d’un mécénat de compétences au Secours populaire pour lutter contre l’exclusion numérique. Le dispositif a été mis en place récemment à la Banque de France, grâce à des négociations syndicales. « C’est une bonne transition : cela permet de conserver un lien social et d’être utile aux autres, peut-être davantage que je ne le suis aujourd’hui. Et une fois à la retraite, je pourrai

éventuellement poursuivre mes missions au sein du Secours populaire à titre bénévole », détaille Christian. Ce choix de fin de carrière atypique

offre aussi davantage de temps libre sans pour autant diminuer les droits futurs à la retraite. Ainsi, à la Banque de France, le salarié qui travaille au titre du mécénat à mi-temps est payé 80 %, tandis que l’employeur cotise lui à 100 %. « Je me suis demandé si j’arriverais à

rebondir », confie Thérèse, l’une des collègues de Christian, gérante du

restaurant d’entreprise de la Banque de France, récemment retraitée. Pour elle, le choix était radical : partir à 51 ans, en bénéficiant en tant que mère de

famille nombreuse d’un départ anticipé mais avec une baisse conséquente de sa

pension, ou attendre 2032 et partir à taux plein. Après calcul, et de longues discussions avec son mari, Thérèse décide de prendre sa retraite anticipée. À une condition : transformer cette dernière en un nouveau départ. « Depuis plusieurs années, je brasse ma propre bière et j’ai décidé de développer cette activité », explique la quinquagénaire.

RETRAITE PROGRESSIVELa retraite progressive peut en effet

représenter une solution intéressante. Annie Jolivet, économiste au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), pointe cependant la lourdeur de ce dispositif. Encore peu connu, il nécessite souvent, pour le salarié, de convaincre un employeur récalcitrant. « La plupart de ceux qui aimeraient partir en retraite progressive abandonnent devant les difficultés de mise en place », observe-t-elle. Par ailleurs, le temps partiel induit par la retraite progressive entraîne souvent une mise à l’écart du salarié, qui risque de passer à côté d’éventuelles promotions ou missions. « C’est un dispositif intéressant, mais il faut savoir à quoi on s’expose », conclut Annie Jolivet. u©

Shu

tter

stoc

k /

Ale

utie

.

Page 28: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

UNE ENTREPRISE INTERGÉNÉRATIONNELLE

Benjamin Leclerc

VALORISATIONS DE L’EXPÉRIENCE, INTÉGRATION DES ASPIRATIONS

DES JEUNES : LA COHABITATION DES DIFFÉRENTES GÉNÉRATIONS

AU SEIN DE L’ENTREPRISE EST UN DÉFI POUR LES RH.

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

28

our l’entreprise d’aujourd’hui et encore plus de demain, c’est une nouvelle équation complexe, et pour les managers, le nouveau grand casse-tête : comment faire cohabiter, dans

l’harmonie, le geek tout juste sorti d’école et le sexagénaire né quatre décennies avant Internet ? Le quinqua heureux en équipe et le trentenaire avide d’indépendance ?

Avec l’allongement des carrières, jusqu’à

quatre générations sont amenées à s’ébattre dans les open spaces : les baby-boomers et leurs successeurs, la génération X, la génération Y, aussi appelés les « millennials » et les petits derniers de la génération Z (nés après 1999). « Chaque génération a une culture propre », souligne Marc Reynaud, président-fondateur de l’Observatoire du management intergénérationnel (OMIG), qui identifie trois points de friction. Premièrement, les attentes vis-à-vis du management. « Les générations Y et Z veulent un manager qui leur donne des ressources, pas d’un chef qui fixe les objectifs seul et contrôle de trop près leur réalisation. » Deuxièmement : le rapport au temps. « Lors de nos ateliers, on entend des seniors catastrophés de voir les jeunes préparer un séminaire prévu depuis des mois une semaine seulement avant l’échéance. In fine, ils tombent des nues : les jeunes s’en sortent parfaitement ! » Enfin, le dernier écueil est celui de la reconnaissance. « La jeune génération veut plus de responsabilités, plus vite, tandis que les seniors déplorent que l’entreprise ne valorise pas leur expérience. »

Si les entreprises ont conscience du challenge à relever, le passage à l’acte prend du temps. Dans son baromètre 2018, l’OMIG a interrogé

Page 29: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

29

106 entreprises. Les résultats sont édifiants. 87 % répondent n’accorder qu’un peu ou pas du tout de temps aux anciens pour qu’ils passent le témoin dans de bonnes conditions. Et 83 % affirment n’avoir qu’un peu ou pas du tout remis en cause leur management pour s’adapter aux nouvelles générations. Nombre de bonnes pratiques sont malgré tout déjà de mise au sein des entreprises. Parmi elles figure entre autres le mentoring. Le principe ? Un senior forme un plus jeune sur une compétence spécifique. Une transmission générationnelle qui, depuis quelques années, fonctionne aussi… en sens inverse. Appliquée aux outils numériques, elle fait même fureur ! Ou quand un jeune geek prend sous son aile un baby-boomer pour le roder aux lois du nouveau monde. « Le reverse mentoring fonctionne très bien s’il est fait avec méthode », souligne Marc Reynaud. Engie a expérimenté le processus avec succès dès 2015. Vingt-cinq dirigeants y furent coachés par de jeunes collègues, pour peaufiner la stratégie numérique de l’entreprise. Même chose chez l’assureur Axa : depuis 2016, près de  1 000 managers se sont formés auprès de jeunes mentors. BNP a de son côté intégré cette pratique à son programme WeGenerations. Lancé en 2017, celui-ci promeut « l’intelligence intergénérationnelle » en interne, via quatre initiatives : le reverse mentoring, donc, mais aussi

le networking multi-âges, des conférences de partage d’expériences, et le knowledge sharing, ou ateliers de coworking axés sur le développement personnel.

L’attelage senior-jeune fonctionne aussi au plan opérationnel. Comme dans la gestion de projet en binôme intergénérationnel : soit deux chefs de projet plutôt qu’un, chacun apportant ses forces et sa vision. « La prise de décision peut être plus difficile car deux cultures différentes se mêlent, mais ensuite tout va beaucoup plus vite », témoigne Marc Reynaud.

Rien n’interdit cependant de rapprocher les générations en dehors des sentiers battus. Comme CNP Assurances, et son « club des 30 » : les collaborateurs âgés de 30 ans et ceux fêtant leur 30 ans… d’ancienneté, se retrouvent quatre fois par an pour des discussions thématiques. Même dynamique avec le programme Octave, mis sur pied par L’Oréal, Engie ou Danone. Ce séminaire réunit, une fois l’an, les quatre générations de salariés des grands groupes lors d’une formation « Culture & Change » pour plancher sur la transformation des entreprises et le numérique.

Convaincus qu’on n’apprend jamais mieux qu’en s’amusant, certains parient sur… le jeu.

Le CNAM Pays de la Loire a ainsi conçu en 2014, avec huit partenaires – parmi lesquels Bouygues Énergies et EDF –, un serious game SecretCAM pour lutter contre les stéréotypes liés à l’âge. u

DANS LE FILM « LE NOUVEAU STAGIAIRE »,

LE RETRAITÉ ROBERT DE NIRO EST

EMBAUCHÉ COMME STAGIAIRE SUR

UN SITE INTERNET DE MODE.© «

Le

nouv

eau

stag

iaire

», W

arne

r B

ros.

Page 30: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

APPRENDRE

TOUT AU LONG DE SA VIE

Christelle Granja

MAL ADAPTÉE AUX BESOINS DES SENIORS, LA FORMATION PROFESSIONNELLE

A UN RÔLE PRIMORDIAL DANS LE MAINTIEN DE CES DERNIERS DANS LA VIE ACTIVE ET

LEUR CAPACITÉ À REBONDIR.

nstabilité et évolution à venir du marché du travail oblige, une formation professionnelle efficace semble plus que jamais nécessaire pour permettre aux travailleurs plus âgés qu’hier de préserver leur employabilité. C’est d’ailleurs une obligation légale : l’employeur doit favoriser l’adaptation

permanente du salarié à son poste, ainsi que le développement de ses compétences, via entre autres un plan de formation. Celui-ci est soumis chaque année, à partir de onze salariés, au comité social et économique (CSE) qui regroupe les délégués du personnel (DP), le comité d’entreprise (CE) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L’objectif est louable : formé tout au long de sa vie, un salarié senior sera plus à même d’être mieux intégré au monde professionnel qu’avec quelques sessions de « rattrapage » en fin de carrière. Mais il y a un hic : malgré cette obligation légale, (du fait du manque d’accès aux formations), le chômage des seniors s’accroît, et notamment celui de longue durée. Si, aujourd’hui, davantage de Français de 55 à 64 ans travaillent (alors qu’une partie en était dispensée auparavant par des régimes de retraite plus favorables), ils sont aussi plus nombreux qu’hier à chercher un emploi.

La formation professionnelle serait-elle inadaptée, insuffisante

30

© S

ophi

e D

upre

ssoi

r/H

ans

Luca

s.

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

Page 31: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

31

GRÂCE AU PARTENARIAT ENTRE POLE EMPLOI ET

L’ÉCOLE 42, VÉRONIQUE A FAIT SES DÉBUTS,

À 54 ANS DANS LA PRESTIGIEUSE ÉCOLE

DE CODAGE CRÉÉE PAR XAVIER NIEL.

Page 32: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

GESTION DES ÂGES : NOUVELLE PRIORITÉ

32

professionnelle peut-elle faire sa révolution ? Améliorer l’accès des travailleurs seniors à la formation pourrait être une première piste. En effet, les taux d’accès sont de seulement 40 % et 34 % pour les 55-59 et 60-64 ans, alors qu’ils s’élèvent de 50 % à 60 % pour les tranches d’âge de 25 à 49 ans(1). Une tendance très « franco-française » de moindre recours à la formation. « Les pays où les seniors se forment davantage qu’en France sont souvent des pays où les autres tranches d’âge se forment également davantage », indique le rapport gouvernemental 2018 « Les seniors, l’emploi et la retraite ».

Par ailleurs, ce moindre accès à la formation, qui s’observe chez tous les salariés de plus de 50 ans, est plus prégnant chez les employés et ouvriers. Davantage au sein des PME que dans les entreprises de plus grande taille. « Le système est inégalitaire : il bénéficie plus à ceux qui sont déjà mieux formés », confirme Coralie Perez. Là, un des premiers leviers d’action

pourrait être une information moins discriminante : aujourd’hui, 89 % des cadres mais seulement 38 % des ouvriers sont informés de l’existence de bilans de compétences(2). Dans un contexte de vieillissement de la population active, améliorer cet accès pourrait être une première piste pour maintenir l’employabilité des seniors, favoriser leur mobilité, notamment en permettant l’adaptation de cette classe d’âge aux évolutions technologiques.

L’inadéquation entre l’offre de formation et les besoins des seniors fait également obstacle à la formation des aînés, comme l’observe l’OCDE. « Aujourd’hui, l’offre de formation est très vaste. Mais est-elle en prise avec la réalité du travail ? », questionne Annie Jolivet, chercheuse au sein du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). « Une personne de 55 ou 60 ans a

RH : FORMER DES SALARIÉS

DURANT TOUTE LEUR CARRIÈRE

pour maintenir leur employabilité ? Car la tendance est nette, a contrario de ce qui s’observe chez les plus jeunes : selon une étude de la DARES depuis 2008, le nombre de chômeurs de plus de 55 ans a progressé de 179 %, alors que les chômeurs de moins de 55 ans n’augmentaient dans le même temps que de 21 %... Par ailleurs, la situation des seniors en emploi n’est pas toujours facile : la moitié d’entre eux indiquent avoir déjà subi une discrimination liée à l’âge, souvent dans l’accès à un poste ou à une promotion selon l’étude récente réalisée par Malakoff Médéric Humanis.

Le bon sens, dès lors, interroge : à quoi bon augmenter l’âge de la retraite si les « seniors » sont peu demandés sur le marché de l’emploi, et peinent à s’y maintenir ? « Penser que la formation professionnelle suffise à contrer le chômage est illusoire », met en garde Coralie Perez, ingénieure de recherche au Centre d’économie de la Sorbonne.

UNE ARME CONTRE LE CHÔMAGESésame pour l’emploi la formation, peut-être

pas. Facilitateur, assurément ! « Il faut comprendre qu’une personne de 55 ans a encore dix ans à vivre dans l’entreprise : il est inconcevable de ne pas la former ! L’objectif affirmé des responsables des ressources humaines, même s’il n’est pas toujours concrétisé, ( selon l’étude récente de Malakoff Médéric Humanis, pour 48% des salariés de 55 ans et plus la dernière formation remonte à plus de 5 ans ) est de former les salariés tout au long de leur vie professionnelle, pour qu’ils puissent s’adapter à l’évolution de l’entreprise », observe Françoise Kleinbauer, PDG de France Retraite, cabinet d’expertise et de conseil retraite.

Pour permettre de mieux accompagner les travailleurs, comment la formation

Page 33: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

33

plus de difficultés à trouver une formation qui va combler ses besoins spécifiques et les compétences qui lui manquent », détaille Annie Jolivet. « De plus, on n’apprend pas de la même façon selon son âge et son expérience. Les contenus, les rythmes d’apprentissage, les supports doivent être adaptés aux participants. Les formations doivent en particulier permettre des allers-retours entre ce qui s’apprend sur table et ce qui se passe au travail », rappelle l’économiste du CEET.

Enfin, le refus des employeurs, fréquent, freine aussi l’accès aux formations des salariés, surtout les plus âgés. « Aujourd’hui, les employeurs n’ont pas vraiment intérêt à former leurs salariés sur des compétences transverses, car celles-ci pourraient être utilisées par des concurrents », pointe Coralie Perez. Par ailleurs, certains employeurs privilégient, au moment des plans de formation, les salariés plus jeunes qui vont pouvoir, en théorie du moins, faire bénéficier à leur entreprise de leurs nouveaux savoirs plus longtemps.

UN PARCOURS INDIVIDUALISÉDès lors, pour contrer ces écueils, le service

public a un rôle crucial à jouer dans l’orientation des formations professionnelles. La réforme de l’apprentissage, l’assurance chômage et la formation professionnelle mise en application depuis le 1er janvier 2019 de l’actuel gouvernement n’est pas le big bang annoncé, mais confirme en partie la tendance de ces dernières années, juge Coralie Perez. Son ambition affichée : créer un système davantage tourné vers l’usager et plus simple d’accès. « Avant la création du compte personnel de formation (CPF), la formation était financée par l’employeur, et le congé individuel de formation ne concernait qu’une très petite fraction des salariés. De cette situation frustrante est née l’idée de créer le

CPF », retrace la chercheuse. Le CPF a depuis été ouvert aux indépendants et aux demandeurs d’emploi, et il a aussi été rendu transférable,

en cas de changement d’entreprise ou en cas de chômage, à travers une dotation en heures. « La réforme actuelle pousse cette logique d’individualisation de la formation jusqu’au bout : d’une part, elle monétise le CPF, à hauteur de 15 € par heure, et d’autre part, elle crée un CPF désintermédié : le salarié peut

choisir sa formation en ligne, et la payer d’un simple clic, analyse Coralie Perez. C’est une rupture dans le rôle accordé jusqu’ici aux corps intermédiaires tels que les syndicats et les OPCA dans la formation professionnelle. »

Pour l’économiste, cette nouvelle mouture du CPF ne parviendra pas à peser sur la réduction des inégalités face à la formation. Autre piste, qui pourrait y remédier en partie : celle d’un travail formateur. Cette idée a été développée avec l’expérimentation Afest (Action de formation en situation de travail), menée entre autres par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP)(3). « Cela permettrait à ceux qui n’ont pas la possibilité de partir en formation de se former en situation de travail, et ainsi d’ouvrir la formation continue à des schémas professionnels moins classiques », précise Carole Perez. « Les employeurs prennent conscience que la formation peut être une des réponses au maintien dans l’emploi, plus particulièrement pour les seniors. Mais d’importantes marches restent encore à gravir… », conclut Françoise Kleinbauer. u

(1) Les seniors, l’emploi et la retraite, étude France Stratégie 2018.(2) Demailly D. (2016), « Formation professionnelle : quels facteurs limitent l’accès des salariés seniors ? », Dares Analyses, n° 31, juin.(3) Expérimentation lancée officiellement fin 2015 par la DGEFP et pilotée avec le Copanef, le FPSPP et le Cnefop.

LE TRAVAIL LUI-MÊME PEUT ÊTRE

FORMATEUR

Page 34: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

LE SENIOR, UN COLLABORATEUR

CLÉ

Page 35: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

© S

ipa.

EMPLOI DES « ANCIENS »

UN CHANGEMENT DE MENTALITÉ

S’IMPOSESandra Franrenet

LES ACTIFS DE PLUS DE 50 ANS SONT ET SERONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUX. LE MONDE DU TRAVAIL

DEVRA LEUR FAIRE UNE PLACE.

35

’en déplaise aux fringants quadragénaires, dans le monde du travail, cheveux blancs ou pas, on devient un senior à partir de 45 ans, même si aucune définition 

juridique ne fixe ce seuil ! Une étiquette pas forcément valorisante qui colle à la peau de ces actifs décrits par le rapport « Les seniors, l’emploi et la retraite » publié en 2018 par France Stratégie comme « globalement mieux payés, plus souvent en CDI et moins soumis au sous-emploi que leurs cadets ». Mais ayant aussi beaucoup de mal à retrouver un emploi lorsqu’ils le perdent et à garder une activité la soixantaine venue : le taux d’activité des plus âgés accusant une très forte baisse après 61 ans avec plus de cinq points en dessous de la moyenne de l’Union européenne. Les champions de l’intégration des seniors ? L’Allemagne et la Suède avec un taux d’emploi qui dépasse 70 %.

Le constat d’Emmanuelle Prouet et Julien Rousselon, rapporteurs de l’étude de France

Page 36: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

LE SENIOR : UN COLLABORATEUR CLÉ

36

durée : selon une étude du ministère du Travail publiée en mars 2019, 60,2 % des plus de 55 ans étaient au chômage depuis plus d’un an. Une peur du chômage qui freine leur mobilité et leurs aspirations à évoluer.

« Il n’y a rien d’étonnant à ce que la majorité de seniors français s’accrochent à leur emploi, même quand ils ne s’y épanouissent plus », commente Anne-Marie Guillemard, professeur en sociologie à l’université Paris-Descartes. « Comment pourrait-il en être autrement dans un pays où les pouvoirs publics assimilent la vieillesse à une catastrophe dont il faut minimiser

Stratégie, nous interpelle : sur 10 Français de 60 ans, quatre sont en emploi, trois en retraite et trois au chômage. Et ce n’est pas la réforme de la retraite, visant à retarder l’âge du départ bien au-delà de 62 ans, qui fera évoluer la donne : « L’augmentation de l’âge minimum de la retraite à laquelle on assiste depuis 2010 n’a pas eu pour effet d’augmenter la durée des carrières de tous les seniors », affirme l’enseignant chercheur Michaël Zemmour.

Mal-aimés du marché du travail, les seniors font face à de plus grandes difficultés de retour à l’emploi et à un chômage de longue

Page 37: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

37

les coûts ? » Et la sociologue, qui a publié en 2017 Allongement de la vie. Quels défis ? Quelles politiques ? (La Découverte), de rappeler que, non contents d’avoir ignoré la question du parcours professionnel des collaborateurs âgés, les différents gouvernements se sont défaussés sur les entreprises.

Exhortées à élaborer des plans d’action, ces dernières depuis le 1er janvier 2010 risquent en effet des pénalités en cas d’inaction. C’est donc souvent contraintes et forcées qu’elles maintiennent leurs salariés âgés en poste, voire en embauchent.

Pourquoi cette désaffection pour les seniors ? « Le regard social dans l’entreprise reste encore très anti-âge, constate le sociologue Serge Guérin. On considère souvent les seniors comme des collaborateurs pas très efficaces voire carrément dépassés. » Une ineptie pour certains de nos voisins !

« La Finlande a réussi à rendre ses seniors attractifs en misant sur un ensemble de mesures très concrètes comme l’amélioration des conditions de travail. Cette disposition a permis à cette classe d’âge d’augmenter sa productivité et aux dirigeants de doubler leurs retours sur investissement par ricochet, commente Anne-Marie Guillemard. Ce pays a également choisi d’investir

dans la formation tout au long de la carrière afin que les salariés qui arrivent vers 50-60 ans restent utiles à l’entreprise. » En Suède, les services de l’emploi croisent les besoins de PME à la recherche de salariés très expérimentés avec ceux de grands groupes qui souhaitent se défaire de salariés jugés trop âgés. CQFD ! Au Japon, huit millions de plus de 65 ans - âge légal de la retraite - travaillent. Une activité primordiale dans une société souffrant d’un problème de natalité où les anciens sont donc très demandés. Une majorité de ces derniers souhaitent d’ailleurs poursuivre leur activité au-delà de 70 voire 80 ans. En France, les entreprises vont devoir faire preuve d’inventivité.

UN ENJEU CRUCIAL« À condition toutefois d’opérer un

changement de mentalité, insiste Serge Guérin. Pour que cela fonctionne, il faudra trouver un compromis gagnant-gagnant. » C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il croit beaucoup à la valorisation des avantages non salariaux. « Une personne qui a déjà effectué ses 25 meilleures années n’a pas forcément besoin de hausses de salaire coûteuses pour l’entreprise, mais peut-être davantage d’un accompagnement sur des problématiques plus spécifiques. Elle pourrait ainsi être intéressée par des aménagements d’horaires, par un soutien concret lui permettant de s’occuper de parents dépendants ou par une mutuelle élargie pour gérer des problèmes de santé ou encore bénéficier de chèques-cadeaux pour cofinancer ses vacances ou aider à financer les études d’enfants », propose-t-il. « L’emploi des seniors est un enjeu crucial tant au niveau de l’avenir collectif de notre système que des trajectoires individuelles des futurs retraités. Le recul de l’âge ne devant pas impliquer chômage ou inactivité subie », expliquent Emmanuelle Prouet et Julien Rousselon. u

DANS CE STARBUCK DE MEXICO,

LE PERSONNEL EST EXCLUSIVEMENT

SENIOR. FIN 2019, LA CHAÎNE PRÉVOIT

D’EN ENGAGER 120 SUPPLÉMENTAIRES

DANS SES ÉTABLISSEMENTS MEXICAINS.© A

nton

ia M

ärzh

äuse

r/dp

a/pi

ctur

e al

lianc

e/G

etty

Imag

es.

Page 38: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

38

BLUES EN GRIS - BLANCSandra Franrenet

DÉVALORISÉS, PLACARDISÉS, EXCLUS DES FORMATIONS PROFESSIONNELLES... RÉELLES OU FANTASMÉES, CES SITUATIONS ANGOISSENT LES ACTIFS AYANT

DÉPASSÉ LA QUARANTAINE. FOCUS SUR CE BLUES DES SENIORS QUI S’AMPLIFIE AVEC LA PERSPECTIVE DU TRAVAIL À PLUS LONG TERME.

émotivation, sentiment de discrimination, angoisse à l’idée de ne plus être à la hauteur, peur du licenciement... Quel que soit leur âge, la perspective de travailler plus

longtemps éveille craintes nommées et angoisses plus ténues chez les salariés, comme le révèlent les résultats de l’enquête Harris Interactive réalisée pour Malakoff Médéric Humanis en mars 2019. Les dirigeants d’entreprise affichent également leur préoccupation à compter de plus en plus de salariés dit seniors dans leur entreprise : 63 % d’entre eux craignent une augmentation des risques d’accidents et de maladies professionnelles et 53 % redoutent la hausse des arrêts maladie s’ils doivent prolonger les contrats au-delà de 62 ans. Un ressenti expliquant, en partie au moins, pourquoi en France les actifs de plus de 55 ans comptent parmi les moins épanouis d’Europe. Selon le baromètre Edenred-IPSOS 2015, seuls 39 % de ces actifs de plus de 50 ans se disent en effet « souvent » heureux au travail

contre 59 % en Autriche, 54 % en Suède et même 71 % aux Pays-Bas.

Commercial pour une grosse entreprise informatique, Éric confirme : ses supérieurs lui

rappellent chaque jour ou presque que la cible de recrutement se circonscrit aux actifs de 25 à 30 ans…

maximum ! « À 52 ans, je fais maintenant partie des collaborateurs à dégager », ironise-t-il. En réaction, il déploie des trésors d’énergie pour retarder cette

échéance jugée inéluctable. « Je m’efforce de faire avancer mes dossiers en anticipant les situations et bien sûr en faisant jouer mon expérience auprès des clients. J’ai remarqué qu’ils sont plus enclins à faire confiance à des collaborateurs qui ont de la bouteille qu’à des chiens fous qui débarquent ! J’ai un côté plus rassurant et

je comprends et analyse leurs besoins plus rapidement », se rassure t-il. Évelyne, elle, a adopté une autre stratégie.

LE SENIOR : UN COLLABORATEUR CLÉ

© S

hutt

erst

ock

/ Le

rem

y. S

hutt

erst

ock

/ O

lexa

nder

Zah

ozhy

y.

LES ACTIFS DE PLUS DE 55 ANS SONT LES MOINS

ÉPANOUIS

Page 39: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

39

© S

hutt

erst

ock

/ O

llyy.

À 54 ans, cette commerciale dans la formation professionnelle a décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

« Les quelques rares entretiens que j’ai décrochés lorsque j’ai envisagé de partir n’ont pas abouti, et les recruteurs m’ont fait comprendre que si j’étais embauchée, ce serait à un salaire inférieur. Cela m’a permis de réaliser que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. Et puis, j’ai passé l’âge de faire mes preuves. Je suis bien payée, je travaille près de chez moi et j’apprécie mes collègues. Tout cela participe à ma qualité de vie. À mon âge, c’est très important », confie-t-elle, illustrant ce statu quo professionnel qui est celui de nombre de seniors. Pour autant, Évelyne est persuadée que d’ici quelques années, d’autres opportunités seront possibles, mais cette fois en tant que micro-entrepreneuse. « Je repousse ce moment mais jusqu’à quand ? », s’interroge-t-elle.

L’entreprenariat est une aventure dans laquelle Muriel s’est lancée quelques années avant la retraite. Pas franchement par choix. Après le départ de son supérieur, cette event manager à la communication Europe d’un équipementier automobile a vu ses missions se réduire comme peau de chagrin. « De N-1,

je suis devenue N-2, puis on m’a carrément mise au placard. À la fin, j’étais chargée des goodies de la boutique ! », se souvient cette femme qui avait alors 52 ans. Plutôt que de finir sous antidépresseurs, Muriel a décidé de négocier son départ, conseillée par Nathalie Badaire, experte en retraite et gestion de fin de carrière. Des seniors placardisés dont les entreprises veulent se débarrasser, cette spécialiste, fondatrice du cabinet conseil NB, en rencontre tous les jours. « Quand ils viennent nous voir, nous proposons d’abord à leur hiérarchie d’instaurer une retraite progressive », explique-t-elle. « Au final, tout le monde est gagnant : l’entreprise réduit ses charges sociales puisque le salaire du senior diminue. Ce dernier reste en poste tout en gagnant du temps libre, pour un revenu quasi équivalent », conclut cette spécialiste. Certes ! Reste que le dispositif, d’ailleurs souvent méconnu des managers, ne répond pas forcément au désir des seniors d’un maintien, ou d’une intégration valorisée, dans le monde du travail… u

Page 40: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

LE SENIOR : UN COLLABORATEUR CLÉ

40

LE PDG DE MANOMANO

RECHERCHAIT UNE TRENTENAIRE

START-UPEUSE : C’EST UN SENIOR

DE 59 ANS QUI A FINALEMENT

ÉTÉ ENGAGÉ POUR DIRIGER LES

RH DE L’ENTREPRISE DE VENTE

EN LIGNE DE MATÉRIEL DE

BRICOLAGE. ANCIEN OFFICIER,

DIDIER DE STABENRATH FAIT

PARTIE DE CES « SENIORS QUI

RASSURENT » QUE LES START-UP

N’HÉSITENT PAS À RECRUTER.

Page 41: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

CES SENIORS QUI BOOSTENT LES ENTREPRISES

Benjamin Leclerc

LOIN DES CLICHÉS VÉHICULÉS SUR LA FAIBLE PRODUCTIVITÉ ET LE MANQUE DE DYNAMISME DES TRAVAILLEURS LES PLUS ÂGÉS, LES SENIORS,

LORSQU’ILS SONT VALORISÉS, SONT UNE VRAIE PLUS-VALUE POUR LES ENTREPRISES. CERTAINES, AGE-FRIENDLY, L’ONT BIEN COMPRIS.

Être vieux, c’est être jeune depuis plus longtemps que les autres. » Cette cocasse formule professée par le chat, le célèbre personnage du dessinateur Philippe Geluck, en dit

bien plus qu’elle n’en a l’air… A fortiori, au cœur d’une époque où l’âge, plutôt que d’être positivé, tend au contraire à rebuter. L’entreprise, la première, cède souvent à un jeunisme de bon ton. Et si, comme le sous-entend le chat, les « vieux » n’étaient autres que des « jeunes » en mieux ? La question en fera ricaner beaucoup, et pourtant… Force est de constater que les seniors ont beaucoup à apporter, en particulier au travail.

Commençons par les clichés. Le senior, fatigué par des décennies de labeur, perdrait en productivité, devenant un boulet pour l’entreprise. L’argument ne résiste pourtant guère à l’épreuve des faits. Le Munich Center for the Economics of Aging (MEA), un département du prestigieux institut de recherche allemand Max-Planck, s’y est ainsi intéressé, déconstruisant ce mythe. Dans une étude basée sur 4 000 travailleurs et publiée en 2016 dans le Journal of the Economics of Ageing, il montre que la performance des seniors est largement sous-estimée. Les résultats sont sans

41

ambiguïté : non, la productivité ne baisse pas avec l’âge, au contraire ! Celle-ci ne cesse en effet d’augmenter au fil de la vie, et ce jusqu’à la retraite (65 ans, dans le cas étudié). Et le professeur Axel Börsch-Supan, économiste et grand spécialiste du vieillissement en Europe, de conclure : « La productivité et la fiabilité des seniors sont même supérieures à celles des jeunes. » En effet, « les seniors actifs sont capables de mieux gérer le stress grâce à leur plus longue expérience. Ils font aussi beaucoup plus rarement que les jeunes des erreurs graves, dont la réparation est coûteuse ».

Second cliché, celui de la désirabilité. Le senior serait moins aimé des managers, rétifs à encadrer ces travailleurs jugés rigides et hostiles au changement. Là encore, il n’en est rien. Les résultats de l’enquête Malakoff Médéric Humanis sur l’allongement de la vie professionnelle et ses conséquences pour les salariés et les entreprises le prouvent. Plus des deux tiers des managers interrogés (68 %) affirment que compter dans leurs troupes des salariés de 45 ans et plus est « une chose positive ». Parmi les atouts cités, les seniors seraient, plus que les jeunes, très partageurs en matière de compétences et d’expérience, soucieux de la réussite de l’entreprise, mais ©

Man

oman

o.

Page 42: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

42

LE SENIOR : UN COLLABORATEUR CLÉ

aussi plus proactifs dans leur parcours professionnel. Une autre étude vient compléter cette perception positive, menée en 2017 par OasYs Consultants et Syndex auprès de DRH, dirigeants et instances représentatives du personnel (IRP). On y découvre que 90 % des sondés estiment que les seniors « détiennent la mémoire de l’entreprise », et 80 % les jugent « plus fiables et plus autonomes » que leurs successeurs.

Certains employeurs ont d’ailleurs bien compris que leurs salariés seniors pouvaient, non pas ralentir, mais booster leur entreprise. La preuve, en trois illustrations, du changement de mentalité en cours…

DES ENTREPRISES AGE-FRIENDLY C’est une tendance croissante chez les

Anglo-Saxons, et qui gagne progressivement la France. Conscientes d’avoir trop longtemps stigmatisé et dénigré les plus âgés, de plus en plus d’entreprises font le choix inverse, pour s’affirmer fièrement age-friendly, soit plus ouvertes et bienveillantes vis-à-vis des seniors. Dans les secteurs des services ou de la vente en particulier, les RH se sont rendu compte qu’avec le vieillissement global de la population, leur clientèle prenait, elle aussi, de l’âge. Résultat : pour entretenir des relations clients qualitatives, intégrer des seniors dans les équipes est devenu indispensable.  Car les clients sont plus réceptifs à un interlocuteur du même âge, et attribuent spontanément à un senior des qualités d’expertise. Les grands groupes de distribution ont, parmi les premiers, pris conscience de cette réalité, comme Carrefour, qui a signé en 2009 un accord d’entreprise en faveur de l’emploi des seniors, complété d’un contrat de génération en 2013. Désormais, l’enseigne peut revendiquer

plus de 8,5 % de salariés de 55 ans et plus dans ses rangs. Autre exemple avec la société française d’ingénierie Assystem (5 000 employés). Pour potentialiser les atouts de ses collaborateurs seniors, l’entreprise a inventé une branche dédiée, baptisée « Filière d’expertises ». Plus question de placardiser les seniors, donc, mais bien d’exploiter leur savoir-faire et leur expérience en leur attribuant le statut privilégié de référents pour le reste des collaborateurs.

LES SENIORS SAUVETEURSQuand certains boostent les entreprises 

de l’intérieur, d’autres optent pour une contribution plus radicale… : ils les sauvent. Une pratique qui se développe et prend de l’ampleur en France. L’idée ? Des experts retraités volent au secours de boîtes en perdition, offrant bénévolement leurs services 

pour les sortir de l’ornière. C’est le cas du GPA 18, le groupement de prévention agréé du Cher, fondé en 2018 et actif depuis cette année. Constitué de professionnels chevronnés (experts comptables, directeurs financiers, 

ingénieurs, etc.), dont la carrière est achevée, il s’est donné pour mission de relever les entreprises en risque de faillite. Claude Leblanc, 69 ans et vice-président du GPA, est ainsi sorti avec plaisir de sa retraite d’ingénieur pour reprendre du service : « Nous transmettons notre expérience à des petites entreprises en détresse, aussi bien sur des sujets techniques que de gestion, explique-t-il. L’entreprise est une machine complexe, qui peut rapidement s’enrayer quand certaines compétences viennent à manquer : logistique, compta, qualité ou cahier des charges, ce sont des thèmes que nous maîtrisons et sur lesquels nous pouvons être utiles aux entrepreneurs des générations suivantes. » Depuis janvier,

UN STATUT PRIVILÉGIÉ DE

RÉFÉRENT

Page 43: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

43

le GPA 18 a déjà pris en charge 17 dossiers. « Nos contributions sont multiples. Il peut s’agir de négocier avec les banques des échelonnements de dettes, mobiliser notre réseau pour propulser une start-up, briefer sur les subtilités de telle ou telle réglementation, ou fluidifier les relations avec les services de l’État, que nous pratiquons depuis de longues années. » Preuve que la recette est efficace, ces clubs de seniors volontaires font le plein. L’association EGEE (Entente des générations pour l’emploi et l’entreprise), pionnière en la matière et associée au GPA 18, compte plus de 2 000 bénévoles ; en 2017, elle avait conseillé quelque 21 000 chefs d’entreprise.

LES SENIORS EN PRÊTPreuve que les seniors peuvent constituer

pour les entreprises une denrée rare et précieuse, certaines, et les start-up ne sont pas en reste, vont jusqu’à… s’en faire prêter. Des sites (Mobiliwork, Flexojob, Géris Consultants (filiale de Thalès) et Cameo (start-up incubée par Malakoff Médéric Humanis)) permettent en effet d’échanger des salariés entre entreprises. Un « prêt » qui se développe. Existant légalement depuis 2011, le dispositif nécessite la signature d’une convention entre les deux entreprises. Une démarche qui répond à une problématique précise à laquelle sont

confrontées TPE et PME : les seniors boostent leur croissance, mais ils coûtent cher, leur salaire étant indexé sur leur expérience. Depuis une dizaine d’années, les entreprises qui ne peuvent pas se le permettre sollicitent donc des grands groupes, qui acceptent d’y détacher leurs cadres, le temps d’une mission, et moyennant participation. « Il s’agit le plus souvent d’apporter des compétences de stratégie commerciale et marketing, de conduite de projets, de RH et finance », explique Jean-François Houée, directeur général de Géris Consultants. Exemple avec cette senior du service RH de Thalès « prêtée » à une PME lyonnaise de cosmétique. Cette dernière, sous la pression des commandes, n’arrivait plus à recruter, faute de service spécialisé. Ou de ce commercial d’Alcatel-Lucent, 55 ans, prêté à une jeune PME parisienne spécialisée dans la fibre optique et le data center. « L’objectif final est bien de stimuler leur croissance et ainsi créer des emplois », souligne Jean-François Houée. Depuis 2012, Géris a permis à une cinquantaine de salariés de grands groupes, comme Air France, Sanofi ou Schneider Electric, d’aller poser leurs valises au sein de start-up, PME et TPE, pour leur y apporter savoir-faire et expérience. Certains ont été si bien accueillis… qu’ils ne sont plus jamais repartis, embauchés par leurs hôtes. On n’abandonne pas comme ça un senior qui vaut de l’or… u

© S

hutt

erst

ock

/ S

tokk

ete.

Page 44: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

ZOHRA ZENAIDI : REVENANTE

ET FIÈRE DE L’ÊTRE !Sandra Franrenet

ON LES APPELLE LES REVENANTES ! TRADUCTION DU TERME ANGLAIS « THE RETURNERS », LE VOCABLE

DÉSIGNE LES FEMMES QUI, LA CINQUANTAINE PASSÉE, REPRENNENT

UNE VIE PROFESSIONNELLE VOIRE CRÉENT LEUR ENTREPRISE.

ux USA elles sont de plus en plus nombreuses ! Selon une enquête Barclays Business, le nombre de revenantes américaines a augmenté de 67 % entre 2006 et

2016. Un mouvement accompagné par des entreprises comme Goldman Sachs qui, en 2008, lança le dispositif « the Returnship » suivi par JP Morgan Chase ou Morgane Stanley, afin de favoriser le retour à l’emploi des quinquas et plus. En France, où près de 3 % des créateurs d’entreprise sont des femmes de plus de 50 ans, l’association Force Femmes, convaincue que ces dernières sont trop souvent victimes de discrimination, a coaché plus de 25 000 d’entre elles. Avec, en 2018, 46 % de retour à l’emploi pour ces dernières.

À l’âge où certaines commencent à faire le décompte de leurs points retraite, Zohra Zenaidi, elle, peaufine ses business plans. À 56 ans, cette maman de jumeaux de 16 ans a monté sa boîte. Un rêve qui se réalise enfin

LE SENIOR : UN COLLABORATEUR CLÉ

44

pour cette ancienne responsable en communication avant d’être consultante freelance pour des agences de relations publiques et, en parallèle, coach certifiée en hypnose ericksonienne : « J’ai bien essayé de retourner dans le monde du salariat mais j’ai réalisé que c’était peine perdue ! Je coûtais très cher mais surtout j’étais perçue comme trop vieille par les recruteurs qui me recevaient », raconte-t-elle. Aujourd’hui, Zohra Zenaidi a passé un cap supplémentaire. « Jusqu’alors, j’évitais soigneusement d’écouter mes désirs. J’entrais dans ceux des autres et mettais toute mon énergie à les aider à les réaliser. » Depuis novembre 2018, elle est présidente de la SAS Frenchifamili. Un titre sur lequel elle a longtemps fantasmé mais dont elle se moque désormais comme de son dernier chemisier ! « J’ai fini par comprendre 

Page 45: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

45

© E

rick

Col

in.

que l’important, ce n’est pas ce qui est écrit sur la carte de visite mais le sens que l’on donne à son projet », affirme cette médaillée d’argent du concours Lépine 2018. Une récompense dont l’obtention la sidère encore : « J’ai toujours eu envie d’inventer quelque chose mais je me l’interdisais car, dans mon esprit, ce domaine était réservé aux hommes », confie-t-elle. Tenace, cette croyance a fini par disparaître dans le TGV, après la lecture d’un article sur Joy Mangano, l’inventrice de la serpillière qui s’essore sans se mouiller les mains. « J’ai réalisé que même une mère de famille divorcée pouvait devenir inventeur, alors pourquoi pas moi ? », sourit-elle. Une demi-heure plus tard, elle tient son idée : un « pilulier vestimentaire » qu’elle baptisera IZZIpak©. « Je voulais créer quelque chose d’utile. IZZIpak© répond à mon cahier des

charges puisqu’il permet d’organiser les vêtements dans une valise à raison d’une tenue par jour sur une semaine », explique Zohra avant de préciser qu’elle a particulièrement pensé aux personnes en manque d’autonomie qui effectuent des allers-retours en institut médico-éducatif, ainsi qu’aux enfants de familles recomposées qui naviguent d’un parent à l’autre.

TROUVER SON IKIGAIContrairement à l’occasion, l’idée – aussi

bonne soit-elle – ne fait pas automatiquement le larron. Il faut ensuite la confronter à la réalité. Pour se tester, Zohra Zenaidi participe en 2017 au concours « La start-up est dans le pré » à Saint-Dizier, dont elle remporte la deuxième place. Cela lui permet d’intégrer dans la foulée une pépinière d’entreprises, de bénéficier d’une assurance en responsabilité professionnelle et d’être accompagnée sur l’aspect prévisionnel par un expert-comptable. « Lorsque je suis passée à la phase opérationnelle, j’ai interrogé un spécialiste pour monter ma structure. Je ne voulais surtout pas me tromper sur la forme juridique car tout ça fait quand même un peu peur », concède-t-elle. L’aspect numérique du projet (la vente de son produit via un site de e-commerce) présentait heureusement un caractère sécurisant – profiter de fonds garantis – pour cette quinquagénaire qui n’avait pas envie d’hypothéquer sa maison. Trois mois après avoir immatriculé sa SAS au greffe, Zohra a appris qu’elle avait été sélectionnée pour participer à l’émission « Mon invention vaut de l’or » diffusée sur M6. Si d’aventure, elle fait partie des trois finalistes, IZZIpak© sera commercialisé par la grande distribution. Réponse en septembre prochain. « Je me consacre à 100 % à ce projet qui ne génère pas encore de revenu mais je suis confiante », témoigne Zohra qui, dans sa tête, a déjà gagné puisqu’elle a trouvé son Ikigai (sa raison de se lever chaque matin en japonais). u

ZOHRA ZENAIDI ESPÈRE QUE SON PILULIER VESTIMENTAIRE

SERA COMMERCIALISÉ À LA RENTRÉE.

Page 46: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ

(OU PRESQUE !)

Page 47: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

47

© N

ick

Veas

ey.

IL SERA PLURIACTIF « C’est la fin du temps plein unique. Le mot “emploi” pourrait d’ailleurs bien disparaître, remplacé par celui d’“activité” », prévient Thierry Picq, professeur de management et directeur de l’innovation à l’EM Lyon. Le CDI de 8 heures par jour et 5 jours par semaine est donc en péril… « Le travailleur allouera ses ressources à différents projets, pros et persos, dans des temps plus ou moins courts. » Autrement dit, chacun bricolera selon ses aspirations et le moment de sa vie : un mi-temps salarié et un autre de start-uppeur ; un temps partiel pour développer une activité de freelance ou s’engager dans un projet personnel. La retraite n’échappera pas à cette mutation : missions, micro-entreprise… une enquête du ministère du Travail montre qu’en 2018, déjà près de 10 % des actifs de plus de 55 ans cumulaient emploi et retraite. Un chiffre qui ne devrait cesser d’augmenter.

RADIOSCOPIE DU TRAVAILLEUR POST-MODERNE

Benjamin Leclerc

POUR QUI SE LANCE DANS LA VIE ACTIVE ET VOIT SE PROFILER L’ALLONGEMENT DE LA VIE

PROFESSIONNELLE, LE PLAN DE CARRIÈRE À VENIR EST, TOUS ÂGES CONFONDUS, POUR LE MOINS

HASARDEUX. CE QUI EST CERTAIN, C’EST QUE LE TRAVAILLEUR DU FUTUR DEVRA SOUSCRIRE À

QUELQUES IMPÉRATIFS.

Page 48: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

L’ÉPOQUE REND LES COMPÉTENCES

RAPIDEMENT OBSOLÈTES

48

IL SERA ENTREPRENANTLe statut d’indépendant va se généraliser. La tendance est déjà très marquée aux États-Unis où l’on estime que, d’ici 2027, près de la moitié de la population active pourrait être freelance. Autre tendance qui prouve que le futur appartiendra aux entreprenants : l’intrapreneuriat. Cette option, en plein boom, permet de cumuler salariat et entreprenariat, en développant, en interne, sa propre idée de l’innovation. L’entrepreneuriat

est aussi voué à animer la seconde moitié de carrière. De plus en plus de seniors s’y lancent. Dans son rapport 2016, le Global

Entrepreneurship Monitor (GEM) notait d’ailleurs que « la proportion d’entrepreneurs chez les adultes de 50 à 64 ans (18 %) est plus élevée que chez les jeunes de 18 à 29 ans (11 %). » Selon l’Insee, plus de 66 000 seniors ont créé leur entreprise individuelle en 2018, soit 17 % du total des créations. Preuve que l’état

d’esprit start-up n’a pas d’âge…

IL PRENDRA SOIN DE LUIDemain, la carrière pourra durer jusqu’à cinq décennies. Pour tenir le coup, le travailleur post-moderne saura donc lever le pied en travaillant moins mais autrement. De fait, montre Malakoff Médéric Humanis dans son baromètre Santé et qualité de vie au travail (2018), l’inquiétude est déjà là : 28 % seulement des salariés de plus de 50 ans disent se sentir

IL SERA AGILE« L’emploi à vie n’existe plus. Le travailleur de demain construira sa carrière autour de projets, passant de l’un à l’autre, s’adaptant en permanence », estime Thierry Picq. Maître mot de ces nouveaux parcours ? L’agilité. La compétence recherchée ne sera plus le savoir, mais le « savoir apprendre ». « Les recruteurs nous le disent déjà : ils ne cherchent pas des collaborateurs qui savent, mais des collaborateurs qui savent découvrir ce qu’ils ne savent pas encore. » Pour bien vivre l’allongement de la vie pro, se former en continu sera incontournable, car l’époque rend les compétences très rapidement obsolètes. Jugez plutôt : selon les spécialistes, la connaissance mondiale doublerait tous les sept à neuf ans ; dans certains secteurs du digital (marketing, par exemple), les pratiques bougent si vite qu’il faut les actualiser tous les 6 à 12 mois… ©

Nic

k Ve

asey

.

Page 49: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

49

capables de travailler au même rythme dans dix ans. L’aménagement de la fin de carrière sera donc un enjeu majeur. L’avenir pour les seniors ? Le télétravail mais aussi le temps partiel pour les dernières années, comme déjà pratiqué dans certaines entreprises françaises (Safran offre par exemple à ses salariés la possibilité de réduire le temps de travail 30 mois avant le départ à la retraite ; Carrefour l’autorise à partir de 54 ans).

IL SERA TECHNOPHILEL’IA va profondément transformer la donne. Le collaborateur de demain devra donc s’adapter à des métiers en mutation. D’où l’importance d’opter ou se réorienter vers les filières porteuses. Dans une étude publiée en 2016, le McKinsey Global Institute estime que si moins de 5 % des emplois sont réellement menacés de disparition, quasiment 50 % d’entre eux seront concernés par une automatisation partielle grâce à l’IA d’ici deux décennies. Or qui dit automatisation dit nouvelles compétences

techniques à acquérir. Parmi les exemples les plus cités : l’expertise comptable ou le marketing, profondément bouleversés par l’amoncellement quantitatif et qualitatif des données, qu’il faudra apprendre à gérer.

IL SERA NOMADEAprès la disparition de la pièce bureau individuelle, c’est désormais le bureau fixe qui est en sursis. Le nomadisme gagne à grande vitesse les entreprises. Il prend plusieurs formes. La plus récente est celle du flex-office où le collaborateur change de bureau comme  de chemise. Plus de place attitrée, mais différentes atmosphères de travail selon les activités de la journée (au calme, en réunion, au téléphone, en briefing, etc.). Autre nomadisme, plébiscité cette fois par les travailleurs : l’alternance bureau/maison, ou bureau/tiers lieu (espace de coworking, café, etc.). Le télétravail ne cesse en effet de progresser et pourrait devenir l’allié des actifs de plus de 50 ans. u

Page 50: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

50

TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS

OUI MAIS COMMENT ?Propos recueillis par Armelle Oger

ENTRETIEN CROISÉ AVEC SOUKEY NDOYE, DIRECTRICE DU CABINET D’ÉTUDES ET DE CONSEIL COGÉNÉRATIONS LAB ET LE SOCIOLOGUE SERGE GUÉRIN,

SPÉCIALISTE DE LA SÉNIORISATION DE LA SOCIÉTÉ ET AUTEUR DES QUINQUADOS*.

TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS EST VÉCU PAR NOS CONCITOYENS COMME CONTRAIGNANT ET ANXIOGÈNE. POURQUOI CE RESSENTI SINGULIER ?SOUKEY NDOYE : Les salariés ont compris qu’il leur faudra travailler plus longtemps pour toucher un niveau de retraite acceptable. Mais un travail considérable reste à faire sur le sens immédiat à donner à leur travail, sur une projection à plus ou moins long terme de la valeur de ce dernier. L’entreprise doit trouver de nouveaux moyens de valoriser le travail et de préserver l’engagement et la motivation des salariés. Pour certains profils, on peut envisager une forme d’évolution plus horizontale, par exemple vers des postes d’expertise pouvant inclure des missions de tutorat selon les capacités du salarié en la matière et les besoins de l’entreprise. Les entreprises disposent d’un certain nombre d’outils comme les bilans de compétences, les entretiens « cap » 45, 50, etc. Ces outils ont le mérite d’exister mais ils n’ont réellement de valeur que s’ils contribuent à un objectif stratégique plus global.

SERGE GUÉRIN : Il y a un décalage entre la volonté de la société institutionnelle et la société elle-même avec ce ressenti, négatif, quel que soit

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

leur âge d’ailleurs, des Français sur le fait de travailler plus longtemps. Cela nous interroge sur un échec majeur : celui de ne pas avoir su donner du sens, d’intérêt au travail. Il y a là quelque chose qui doit interpeller directement les entreprises. Les Français ne sont pas feignants mais à 25 comme à 50 ans, il n’y a pas « d’envie » de travail alors même que ce dernier reste le mode premier de définition sociale des individus. La notion de lien social mais aussi de sentiment de l’œuvre accomplie, de la fierté de son travail, y compris pour des métiers qui peuvent apparaître comme peu valorisants ont disparu. On a survalorisé certaines activités au détriment d’autres. Et puis il y a quelque chose de très lourd dans le discours dominant selon lequel le travail est une charge pour l’entreprise. Un coût et pas une ressource.

COMMENT L’EMPLOYABILITÉ DES SENIORS PEUT-ELLE ÉVOLUER ET SE DÉVELOPPER ?S. N. : Lorsque les entreprises devaient, dispositif du contrat de génération oblige, embaucher et maintenir les seniors en emploi le plus tard possible, certaines ont procédé, avec l’aval des syndicats et des salariés seniors, à des préretraites maison massives, signifiant un retrait définitif du marché du travail. Ces mesures sont aujourd’hui conçues pour déployer

Page 51: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

51

© M

iche

l Stb

oun.

les compétences des seniors hors les murs de l’entreprise, mais dans son bassin d’emploi via des dispositifs de délégation de compétences ou de mécénat et de bénévolats de compétences. Ces mesures résultent d’une évolution quant à la manière de concevoir la place des seniors dans le système productif et dans la société de manière globale. Certes, on peut voir dans ces dispositifs une manœuvre habile pour les grands groupes de pousser encore leurs seniors vers la sortie. Mais aussi comme une opportunité nouvelle de laisser les seniors en activité, qui valorise leurs compétences et leur contribution économique.

S. G. : « Attention, les préretraites, c’est fini ! Motiver, former, retenir » : c’est le titre du livre sur le management des seniors que j’ai publié en… 2004. Quinze ans plus tard, avec l’avènement des quinquados*, l’évolution du monde du travail, de la valeur travail, concerne l’ensemble des collaborateurs. Il existe une sorte de dichotomie entre la notion de travail et la notion d’activité : je suis à la retraite, je suis au chômage, je suis étudiant et je peux avoir des activités. J’évoquais déjà il y a quelques années ces différentes identités : privées et maintenant professionnelles. Il existe une sorte de parallélisme entre les jeunes et les moins jeunes : entre ceux qui ont des difficultés à intégrer le marché du travail et ceux qui ont du mal à garder leur job. Ceux qui cumulent les activités – parce qu’ils ont du temps, des centres d’intérêt forts – ou par manque de revenus. Il y a et il y aura autant de grey slashers que de millennials parmi ceux qui, par choix ou par contrainte, cumulent les activités.

LES MANAGERS, LES RESPONSABLES RH, SONT-ILS PRÉPARÉS AUX IMPLICATIONS DE L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE ? S. G. : Le jeunisme n’est pas passé de mode et le sentiment que les seniors sont technophobes et coûtent cher demeure. Un ressenti partagé par nombre de dirigeants qui, pour la plupart, font pourtant eux-mêmes partie des seniors ! Tant qu’on ne valorisera pas la notion d’expérience, on dévalorisera les plus âgés. Heureusement, il y a des entreprises qui ont compris qu’il fallait qu’elles ressemblent un peu à leur marché, tant il est pertinent d’avoir des salariés seniors lorsqu’on a des clients seniors, mais le plus souvent, le salarié qui prend de l’âge se sent mis de côté, on

LE SENS ET LA VALEUR DU

TRAVAIL DOIVENT ÊTRE INTERROGÉS

Page 52: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

52

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

ne lui propose pas de formation, pas de projets, pas de promotion. Les préoccupations RH sont aujourd’hui davantage ciblées vers la diversité que vers l’âge. L’autre défi majeur de l’emploi des seniors et de leur fidélisation est, pour les DRH, celui des quatre ou cinq millions de salariés aidants.Une réalité invisible qui commence à émerger. Quels services leur proposer pour les aider, les accompagner : l’enjeu est celui de toute une société.

S. N. : Pour résorber le chômage des jeunes, il faut réguler le marché par le haut, « virer » les vieux et « laisser la place aux jeunes » : cette fausse bonne idée est à l’origine de plus de trente années de politiques et de pratiques de discriminations liées à l’âge. La cohabitation intergénérationnelle est déjà une réalité dans les entreprises qui sont aujourd’hui obligées de définir des mesures pour accompagner cette mutation de la pyramide des âges, à travers la formation, la

mobilité, etc. Pendant longtemps, ces mesures ont été centrées sur l’âge et, par effet de ricochet, à l’origine des discriminations. L’allongement de la vie professionnelle nécessite moins de construire des réponses centrées uniquement sur les seniors que sur une dynamique plus globale de parcours professionnel. Les démarches de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences) peuvent apporter des réponses stratégiques pour anticiper ces mutations. La mise en valeur des compétences, tout au long du parcours, est une source de motivation pour les salariés. Il est aussi essentiel de préparer l’adaptation ou la reconversion de ceux dont les métiers sont appelés à se transformer, voire à disparaître, ou qui revêtent une forte pénibilité. Les partenaires sociaux ont un rôle à jouer. Certains grands groupes comme Veolia, Areva, EDF, etc., engagent volontairement des négociations collectives dont le but est de lutter contre les discriminations.

© C

rédi

t pho

to

LES PRÉOCCUPATIONS SONT DAVANTAGE

CIBLÉES SUR LA DIVERSITÉ

Page 53: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

53

LAISSER LES SENIORS EN ACTIVITÉ EST UNE CHOSE, RECRUTER CES DERNIERS REPRÉSENTE UN TOUT AUTRE DÉFI !S. N. : Une récente étude de la DARES montre que plus de 75 % des managers considèrent que l’âge joue en défaveur de l’embauche d’un candidat. Les préjugés sur le soi-disant coût des seniors ou leurs supposées moindres productivité et adaptabilité ont la vie dure et demeurent encore de véritables freins à l’embauche. Mais certaines entreprises disposent d’instruments qui leur servent à « objectiver » leurs pratiques et à faire évoluer le regard sur les seniors comme, par exemple, le recrutement par simulation. Une méthode qui permet d’évaluer le candidat à présélectionner sur son adéquation avec le poste, ses atouts, sa personnalité plutôt que son âge ou autres critères pouvant être discriminants.

S. G. : Plus on avance en âge, plus on a de potentiel « relationnel », de compétences relevant de ces soft skills dont l’entreprise aura de plus en plus besoin. Certains jeunes dirigeants de start-up découvrent ainsi « la force de l’âge » de ceux qui pacifient leur entreprise et concourent à en augmenter la productivité.

LA FORMATION EST-ELLE ADAPTÉE À LA NOTION D’AVP ?S. N. : Nombre de stéréotypes négatifs liés à l’âge se cristallisent autour de la formation. Le taux d’accès à la formation professionnelle continue (FPC) décroît à partir de 45 ans, à tous niveaux de qualification. L’explication est double : une faible offre de formation destinée aux seniors par les entreprises et une faible demande de formation émanant des seniors. Alors se pose la question de l’adéquation entre les contenus et les méthodes de formation disponibles sur le marché et les besoins réels des seniors. On sait également que les seniors sont plus susceptibles de participer à des séminaires, des conférences, des ateliers, là où les jeunes sont plus à l’aise pour se former en situation

de travail. Il s’agit là d’une piste non négligeable.

S. G. : Culturellement, formation et âge ne sont pas associés. La formation s’adresse prioritairement aux collaborateurs déjà formés. Il existe un net désinvestissement de la part des entreprises vis-à-vis de ceux qui ont plus de 45 ans. Ces derniers sont pourtant demandeurs. Dans le master que je dirige (diplôme de Directeur des établissements de santé à l’Inseec Business School), un tiers des étudiants ont entre 45 et 50 ans, envoyés par leurs entreprises ou en reconversion. Ils sont très motivés. Même si, au début, certains peuvent être inquiets sur leurs capacités à évoluer : « Je ne pensais pas que j’en serais capable » disent-ils, fiers de leur adaptabilité.

COMMENT GÉRER L’INTERGÉNÉRATIONNALITÉ AFIN QU’ELLE DEVIENNE UN LEVIER DE VALORISATION, D’EFFICACITÉ ET D’INNOVATION ? S. N. : L’idée du conflit latent entre les générations est très répandue mais elle masque une réalité bien plus tangible. Les tensions entre les générations sont dues au manque d’anticipation et sont parfois la résultante de modes de gestion et de stratégies d’organisations opposant les seniors aux jeunes. Les entreprises doivent formaliser leurs besoins en termes de postes dans un horizon de trois à cinq ans, puis déterminer lesquels seraient susceptibles d’être occupés par les seniors en tenant compte de l’expérience et des compétences accumulées tout au long de leur parcours.

S. G. : Dans une société de la longévité, gérer l’intergénérationnalité n’est pas une priorité, c’est une obligation ! Toutes les générations doivent travailler ensemble. Il faudrait remplacer le ministère de la Jeunesse et des Sports et le secrétariat aux Personnes âgées par un ministère de l’Allongement de la vie et de l’Intergénération. u

* Les Quinquados / Calman Levy.

© A

lain

Duu

.

Page 54: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

21

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

54

PETIT VADE MECUM POUR PRÉPARER DEMAIN

Benjamin Leclerc

CARRIÈRES QUI S’ALLONGENT, SE FRAGMENTENT, STOPPENT PUIS REDÉMARRENT, CHANGENT SUBITEMENT DE DIRECTION… POUR SE PRÉPARER À CETTE GRANDE

MUTATION, SIX BONS RÉFLEXES À ADOPTER, QUE L’ON AIT 20 OU 70 ANS !

ENTRETIENS ET BILANSUne carrière qui s’étire sur plus de

quatre décennies mérite bien quelques points d’étape. Les entretiens annuels d’évaluation sont donc primordiaux pour booster l’évolution d’activité ou le changement de poste salvateur. À noter l’importance du BMC (bilan de mi-carrière) obligatoire depuis 2009 dans les entreprises de plus de 50 salariés pour les actifs de plus de 45 ans. Le bilan de compétences est lui, l’outil idéal pour prendre du recul et se recentrer sur ses objectifs professionnels. Il permet de faire le point sur ses aptitudes, ses motivations, mais aussi d’imaginer de nouvelles aventures lorsque l’on ronronne dans son job. Il peut aussi, le cas échéant, déboucher sur un projet de formation. D’une durée maximale de 24 heures et étalé sur plusieurs semaines, ce dispositif est accessible aux salariés en CDI ou CDD, du privé comme du public, et aux demandeurs d’emploi. Il est éligible au compte personnel de formation (CPF), et les financeurs sont nombreux

(organismes paritaires tels que Fongecif, Afdas, Unifaf ou Uniformation ; Pôle emploi ; etc.).

LA FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIEL’obsolescence des compétences, accélérée

par un progrès technologique toujours plus rapide, la rend incontournable. En effet, les savoirs mobilisés lors de l’entrée dans la vie active seront forcément en partie caducs 10, 20 ou 30 ans plus tard. De même, de nouveaux métiers ne cessent d’apparaître, justifiant de nouveaux apprentissages. La « formation tout au long de la vie » est d’ailleurs une obligation pour les employeurs, et un droit pour les salariés. Quatre dispositifs existent : le plan de formation (sur le temps de travail) ; le droit individuel à la formation (20 heures par an, capitalisables d’une année sur l’autre) ; la professionnalisation (alternance de théorie et de pratique) ; et le congé individuel de formation. Bonne nouvelle, l’offre ne manque pas : la France compte quelque 48 000 organismes de formation, publics ou privés.

PENSER AU TEMPS PARTIEL Une carrière qui s’allonge, ça use ! Pour tenir

Page 55: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

6

53

55

4QUAND

L’ÉPUISEMENT MENACE, IL FAUT COMMUNIQUER

S’OFFRIR UNE ANNÉE SABBATIQUE

L’étirement des carrières rend d’autant plus pertinentes les parenthèses. L’année sabbatique est une riche idée pour qui a besoin de s’aérer, soit qu’il achève un premier job, soit qu’il entame sa seconde moitié de carrière. Le congé sabbatique est explicitement prévu par le Code du travail (article L.3142-91) : il permet de faire une parenthèse pendant 6 à 11 mois, sans démissionner, tout en retrouvant son emploi au retour. Le salarié doit justifi er de trois années d’ancienneté dans l’entreprise et de six années d’activité professionnelle, et ne pas avoir bénéfi cié au préalable d’un congé de plus de 6 mois (sabbatique, de formation ou pour création d’entreprise). Voyager, étudier, s’engager dans un volontariat ou même, pour les plus téméraires… travailler, pour tester un nouveau métier : les motivations de ce break peuvent être diverses.

ENTRETENIR SON RÉSEAU Travailler plus longtemps signifi e bien

souvent avoir plusieurs vies pros en une. Dès lors, parce qu’il faudra bouger, changer de boîte, volontairement ou non, cultiver son réseau dès le début de carrière est essentiel. Il permet

d’ouvrir des horizons, mais aussi de mieux rebondir en cas de pépin. Concrètement, cela suppose de rester en éveil, de suivre, même lorsque l’on est bien dans son job, les évolutions du marché et ne pas négliger les rencontres : discuter avec d’autres corpsde métier, nouer des

liens suivis avec des partenaires professionnels externes, alimenter et faire vivre au fur et à mesure son réseau. ◆

la distance, la réduction du temps de travail est une bonne option. Il a été prouvé que le temps partiel dope la productivité et fait baisser les arrêts maladie, en tout cas ceux de courte durée. De plus, il permet de rétablir le très précieux équilibre vie professionnelle-vie personnelle. De fait, de plus en plus de cadres se laissent tenter par un 4/5e (ou, populaire aussi, un 9/10e). Reste que pour bien en profi ter… il faut bien négocier. Trop souvent, la charge de travail reste la même, condensée sur un temps plus court. Il est donc primordial de veiller, avec son employeur, à redéfi nir le contenu des missions pour les adapter au nouveau calendrier. Autre option profi table : le télétravail. Il permet de briser la routine du bureau et de s’épargner, un ou deux jours par semaine, la fatigue due au déplacement.

PRÉSERVER SA SANTÉPréserver sa santé

physique et psychique est indissociable de l’allongement de la vie professionnelle. Une préoccupation intégrée par les salariés : selon le baromètre Malakoff Médéric Humanis 2018, plus de 50 % d’entre eux sont en effet intéressés par les services liés à la santé qui pourraient être proposés par les entreprises et bénéfi cier d’un programme personnalisé afi n d’améliorer leur hygiène de vie, mieux maîtriser leur alimentation et lutter contre le stress. Un stress pouvant mener au burn-out, cet épuisement émotionnel et physique qui menacerait un salarié sur deux.©

Shu

tter

stoc

k, F

latic

on.c

om

Page 56: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

56

RETRAITE : L’OCCASION D’UN NOUVEAU DÉPARTChristelle Granja

MISSION MÉCENAT, CONSULTING, CUMUL EMPLOI, BÉNÉVOLAT... LES RETRAITÉS SONT ET SERONT À L’AVENIR DE PLUS EN PLUS ACTIFS.

ne carrière ne s’arrête pas forcément après le pot de départ offert par les collègues ! Prendre sa retraite peut en effet aussi être l’occasion de connaître de nouvelles expériences

professionnelles. Un rebond à venir qui peut

se mettre en place lors de la dernière ligne droite avant le solde de tous comptes, plusieurs dispositifs existant pour introduire davantage de souplesse dans la gestion des fins de carrière. Françoise Kleinbauer, PDG de France Retraite, observe dans les entreprises

Page 57: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

57

© E

mer

ic F

ohle

n/H

ans

Luca

s.

accompagnées par son cabinet d’expertise et de conseil « une volonté croissante de mettre en place ces mesures spécifiques aux seniors ». Parmi elles, le cumul emploi-retraite. Une activité qui peut s’exercer de manière salariée mais aussi dans le cadre de l’auto-entreprenariat - l’INSEE compte 20 % de seniors parmi les micro-entrepreneurs - de quoi améliorer l’ordinaire, ce qui pour certains est indispensable, mais aussi s’orienter vers une nouvelle activité plus conforme aux attentes de post-quinquas en pleine forme. Actuellement, cette activité rémunérée ne permet pas d’acquérir de nouveaux droits à la retraite, mais une proposition récente de Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites, le permettra peut-être à l’avenir. « Ce n’est pas une solution collective, applicable à toute une classe d’âge : cela répond à un besoin ponctuel. Il est important de pérenniser ce dispositif, mais il n’est pas adapté à une généralisation à tous les seniors », relativise Françoise Kleinbauer.

MISSION DE CONSULTING« On estime qu’il y aurait

plus de 500 000 personnes en cumul emploi-retraite : c’est en progrès, mais cela reste minoritaire et concerne le plus souvent une période assez limitée », souligne Annie Jolivet, économiste au CEET (Centre d’études de l’emploi et du travail). « Parmi les bénéficiaires, nous rencontrons souvent des collaborateurs avec des compétences clés, à forte valeur ajoutée, qui sortent du cadre salariat pour prendre des missions de consulting », observe Françoise Kleinbauer. « Par exemple, un employeur qui n’a pas réussi à mettre en place un

transfert de compétences opérationnel avant le départ de son salarié peut lui demander de revenir pour une mission ponctuelle », illustre-t-elle. L’ex-salarié peut ainsi prendre un rôle d’expertise, au sein même de son ancienne structure pour apporter son savoir-faire à d’autres filiales, d’autres services de son entreprise, ou même auprès de collaborateurs moins expérimentés.

MÉCÉNAT DE COMPÉTENCESAutre façon de booster sa fin de carrière et

préparer l’après : le mécénat de compétences. La démarche n’est pas nouvelle, mais elle se développe depuis une dizaine d’années, surtout dans les grandes entreprises, le dispositif restant plus confidentiel au sein des PME. Du côté de l’employeur, il s’agit de « détacher » un salarié proche de la retraite, pour mettre ses compétences au service d’une association d’intérêt général à vocation culturelle, sociale ou humanitaire, sur tout ou partie de son temps de travail. Un dispositif souvent accompagné par le département RSE

(Responsabilité sociale et environnementale). « C’est aussi un avantage en termes d’image : cela valorise l’engagement d’une entreprise, qui peut détailler ces actions sur une plaquette… », glisse Annie Jolivet, économiste au CEET. Pour le collaborateur, ce peut être un défi motivant pour

lequel il faut apprendre à s’insérer dans un autre milieu, possiblement porteur d’autres valeurs. « C’est un engagement personnel », insiste Françoise Kleinbauer.

Si le temps de travail n’est pas forcément

APRÈS TRENTE-HUIT ANS D’UNE CARRIÈRE PARTAGÉE

ENTRE LES DIRECTIONS INFORMATIQUES D’EDF ET GDF,

JEAN-PAUL A DÉBUTÉ À 60 ANS UN CAP À L’ÉCOLE DE

LA BONNE GRAINE À PARIS POUR DEVENIR MENUISIER.

DES COMPÉTENCES AU SERVICE DES AUTRES

Page 58: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

58

© D

R.

diminué pour le salarié, l’activité au sein de l’association est souvent vécue comme moins stressante, en matière de rythme, de pression physique et psychologique.

Rajeunissement de la masse salariale, action en faveur de l’emploi des plus de 55 ans : le mécénat de compétences a tout de la bonne solution RH ! Du côté de l’association « bénéfi ciaire », le dispositif est aussi un atout : la venue d’un collaborateur rémunéré permet de professionnaliser (voire d’étendre) son activité, de former ses salariés ou ses bénévoles. Gestion, marketing, fi nances, comptabilité, communication : tous les secteurs sont bienvenus avec des « engagements » variant de

quelques heures à quelques mois, voire années. France Télécom, La Poste, la SNCF, la

Banque de France ou encore Total ont intégré ce dispositif indirectement subventionné, avec de légères variantes. Chez Orange, le mécénat de compétences dans le cadre du dispositif Temps partiel seniors (TPS) a été mis en place depuis 2010. Au total, quelque 2 700 salariés ont travaillé à temps partiel pour des associations, notamment la Croix-Rouge française et le Secours populaire. Même processus à La Poste, où ce dispositif concerne des salariés en fi n de carrière qui souhaitent s’investir dans le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS). Le collaborateur, payé à 70 % de son salaire, travaille à mi-temps dans la

structure ESS, et cela jusqu’à son départ en retraite. Étienne Hoepffner se réjouit de cette porosité renouvelée entre milieu professionnel et investissement associatif. Président d’ECTI, association loi 1901 reconnue d’utilité publique créée il y a plus de quarante ans, il participe à un réseau de 2 000 bénévoles retraités, artisans, cadres, professeurs, chefs d’entreprise, prêts à mettre leur expérience au service d’acteurs économiques et sociaux. « Les âges sont trop sectorisés en France, mais les choses bougent, bien que lentement ! De plus en plus de personnes proches, encore en emploi, mais proches de la retraite, nous appellent pour se lancer, au travers du bénévolat, dans un nouveau projet avec ECTI. Je crois que le mécénat de compétences a ouvert

des pistes. Aujourd’hui, à 62 ans, nous avons encore la perspective de 25 années en bonne santé ! » explique ce retraité hyper actif.

Intégré en seconde partie de sa vie professionnelle, le mécénat de compétence peut en effet se transformer en bénévolat (36 % des plus de 65 ans sont bénévoles dans une association) au sein d’organisations humanitaires La Croix Rouge, Emmaüs... ou d’associations comme l’ECTI, Ressac volantariat spécialiste de l’action sociale qui accompagne par ailleurs les créateurs d’entreprise ou encore Cadre Seniors pour transmettre son expérience à de jeunes porteurs de projets. ◆

DEMAIN : LE TRAVAIL EN ILLIMITÉ (OU PRESQUE !)

L’EXPÉRIENCE AU SERVICE D’ACTEURS

SOCIAUX

Page 59: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

LE COMPTOIR DE LA NOUVELLE ENTREPRISE

Malakoff Médéric Humanis mène depuis une dizaine d’années une politique de partenariats et d’études

sur les déterminants de la santé et du bien-être au travail. En 2017, le groupe va plus loin et crée le

Comptoir de la nouvelle entreprise pour analyser et décrypter les mutations du travail

et accompagner les entreprises qui placent l’humain au cœur de leur stratégie.

Tous les résultats, les travaux de recherche, les témoignages, les bonnes pratiques…

sont diffusés sur le site dédié.

lecomptoirmm.com

#ComptoirNvlEntr

MALAKOFF MÉDÉRIC HUMANIS - COMITÉ DE RÉDACTION : Anne-Sophie Godon, Isabelle Mosneron Dupin, Marc Fargeas, Isabelle Marchandier, Anne Delphine Brousseau WE DEMAIN ÉDITIONS - ÉDITEUR : Jean-Dominique Siegel PARTENARIAT : Maïré Sue RÉDACTRICE EN CHEF : Armelle Oger DIRECTEUR ARTISTIQUE : Elodie Doré ICONOGRAPHIE : Joël Halioua JOURNALISTES : Alexandre Anquard, Sandra Franrenet, Christelle Granja, Benjamin Leclerc SECRÉTARIAT DE RÉDACTION : Isabelle CalmetsWWW.WEDEMAIN.FR IMPRIMÉ sur papier PEFC par l’Imprimerie des Hauts de Vilaine.

Page 60: L’ALLONGEMENT DE LA VIE PROFESSIONNELLE...6 Reste à savoir surtout comment réussir à travailler plus longtemps. En France, où, passée la cinquantaine, « le ticket, comme l’écrivait

Éditions