la vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

34

Upload: others

Post on 04-Jul-2022

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com
Page 2: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

La vignette de la couverture est celle de la « Librairie du Tra- vail » (1917-1937), reproduite avec

l 'autorisation de son fondateur, Maurice Hasfeld.

Page 3: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com
Page 4: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

COLLECTION DU CENTRE D'HISTOIRE DU SYNDICALISME

dirigée par Jacques Droz et Jean Maitron

Page 5: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com
Page 6: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

correspondance de césar de paepe

Page 7: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com
Page 8: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

E N T R E M A R X E T B A K O U N I N E :

CÉSAR DE PAEPE

CORRESPONDANCE

texte de présentation et notes

par Bernard Dandois

- - 9 4 1 471 - 9 3 1 1 1 FRANÇOIS MASPERO

1, place Paul-Painlevé, V PARIS

1974

Page 9: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

© Librairie François Maspero, 1974.

Page 10: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

COLLECTION DU CENTRE D'HISTOIRE DU SYNDICALISME

Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne

Le Centre d'histoire du syndicalisme de l'université de Pa r i s a été officiellement créé le 25 novembre 1966. M. le Professeur Labrousse, assisté de M. Maitron comme secrétaire, en a assuré la présidence durant trois ans. L'objet du Centre, selon l'article 2 des statuts, est « de développer, coordonner et aider les études rela- tives à l'histoire du syndicalisme » et de travailler « à la recherche, à la conservation et à l'exploitation des archives et publications des syndicats ouvriers et patronaux, ainsi que des documents de toute nature intéressant leur histoire ». Son conseil d 'administration bénéficie de la participation de cinq représentants des organisations centrales ouvrières, patronales et coopératives.

Installé 16, rue de la Sorbonne, le Centre a recueilli plusieurs bibliothèques et archives ouvrières et son premier fonds a été constitué par les 4 000 volumes et 1 000 brochures légués pa r un enseignant, M. Pierre Gamache. Ouvert tous les après-midi aux étudiants et aux historiens, le Centre organise, chaque jeudi en année universi- taire, plusieurs séminaires de travail consacrés essentiellement à la préparation de mémoires de maîtrise portant sur la culture et l 'Histoire ouvrières.

Le Centre, qui est associé à la publication de la revue trimes- trielle Le Mouvement social, a participé à des travaux de recherche en France et à l'étranger : colloque tenu à Londres à Pâques 1966 et consacré au « Mouvement ouvrier français et anglais au tournant du siècle », colloque tenu à Par i s en mai 1971 pour la commémo- ration du centenaire de la Commune de Paris .

Nous avons pensé souhaitable de publier certains travaux réalisés dans le cadre du Centre ou avec sa collaboration : hier l'ouvrage de E. Masson, Les Bretons et le Socialisme présenté par J . -Y. Guiomar, aujourd 'hui La Correspondance de César de Paepe annotée par B. Dandois, demain des études sur L'Assiet te au Beurre, les Promenades dans Londres de Flora Tristan, la Correspondance d'Alphonse Merrheim...

J a c q u e s DROZ P r o f e s s e u r

à l ' U n i v e r s i t é d e P a r i s I

Jean MAITRON Maître-assis tant

à l 'Universi té de Paris I

Page 11: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com
Page 12: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Avant-propos de J. Bartier

Si, dans son pays, des cliniques socialistes qui portent son nom perpétuent le souvenir de César De Paepe (prononcer Pape !), il faut bien constater qu'il n'est guère connu en dehors de la Belgique. Cette ignorance est regrettable. De Paepe a, en effet, pendant trente ans, joué un rôle considé- rable dans les cercles rationalistes et dans les milieux socia- listes. Il a connu Marx et Bakounine, et a été l'ami et le frère d'armes de Benoît Malon. Théoricien, il a laissé une œuvre qui mérite l'attention, ne serait-ce que par son Rapport sur les services publics, où, cherchant à concilier anarchistes et partisans d'un pouvoir prolétarien, il exposait le rôle que l'on pourrait laisser à l'État dans la société future. Homme d'une vaste culture qui alliait l'expérience du typo- graphe aux connaissances du médecin et à l'érudition d'un liseur infatigable, De Paepe avait tiré de tout cela des idées, sans doute contestables, mais qui méritent l'examen.

Deux raisons expliquent, pensons-nous, l'oubli dans lequel il est tombé. D'une part, les innombrables difficultés qu'il n'a cessé de rencontrer au cours de sa carrière l'ont empêché de rédiger le grand livre, l'exposé systématique de sa pensée, q u ' i l a v a i t t o u j o u r s r ê v é d e p u b l i e r . A u f o n d , o n n e p o s s è d e

d e l u i q u e s e s é c r i t s d e c i r c o n s t a n c e q u i n e n o u s l i v r e n t q u e

d e s f r a g m e n t s d e s a d o c t r i n e . D ' a u t r e p a r t , a p r è s s a m o r t ,

o n a r a r e m e n t r é é d i t é l e s œ u v r e s d e C é s a r D e P a e p e , e t o n

l ' a f a i t a l o r s s i m é d i o c r e m e n t q u e l ' o n v o i t f i g u r e r s o u s s o n

n o m d e s n o t e s p r i s e s p a r l u i c h e z u n a u t r e é c r i v a i n !

H e u r e u s e m e n t , a u c o u r s d e c e s d e r n i è r e s a n n é e s , D a n i e l

Page 13: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Guérin en France et plusieurs chercheurs en Belgique ont apporté beaucoup de neuf sur un homme qu'on ne connaissait jusqu'alors que par une biographie fervente, trop fervente peut-être, de Louis Bertrand. De ce progrès de la connaissance, on trouvera la preuve dans le travail de M. Bernard Dandois. Avec une remarquable ténacité, cet érudit s'est mis en quête de l'énorme correspondance que De Paepe avait échangée avec ses amis. Sa tâche était d'autant plus délicate que ces lettres sont dispersées dans de nombreuses collections : M. Dandois l'a menée à bien. Aujourd'hui, il nous livre le premier fruit de ses recherches. Les lettres qu'il édite permettront de mieux comprendre le caractère et la pensée de César De Paepe, et de mieux mesurer la place qu'il tenait dans le mouvement révolutionnaire. M. Dandois a complété son édition par l'analyse d'autres lettres que diverses cir- constances empêchent de publier in extenso, mais surtout il y a joint une notice qui renouvelle la biographie du grand militant. On peut espérer que le substantiel travail de M. Dan- dois ne sera qu'un point de départ, et qu'il conduira à la grande édition que méritent correspondance et écrits de César De Paepe. Elle constituera une pièce capitale pour l'histoire des idées et des groupes socialistes du X I X siècle.

J. Bartier Professeur à l'université de Bruxelles.

Page 14: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Présentation de Bernard Dandois

Pour les historiens du mouvement ouvrier, César De Paepe n'est pas un inconnu : son nom est lié aux discussions qui eurent lieu au sein de l'Association internationale des travailleurs (ou Première Internationale) entre les mutuel- listes de tendance proudhonienne et les collectivistes ou communistes partisans de Bakounine ou de Marx.

L'évolution de César De Paepe — ce que certains historiens et même certains de ses contemporains appellent son éclec- tisme — ne permet pas de le cataloguer soit parmi les marxistes, soit parmi les anarchistes. Mais est-ce nécessaire ?

Par exemple, les deux historiens de l'anarchisme, Max Nettlau et James Guillaume, estiment que César De Paepe ne fut pas anarchiste, ou du moins qu'il eut le tort d'aban- donner ses premières idées proudhoniennes au profit des idées sur la centralisation étatique défendue par Marx et par les socialistes allemands.

Par contre, Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, estimait que le collectivisme était la contrefaçon belge du marxisme.

Avant d'entreprendre une étude détaillée de la pensée et de l'action de César De Paepe, il nous a paru indispensable

1. L. BERTRAND, César De Paepe, Sa vie, son œuvre, Bruxelles, 1909- p. 220 ; la même opinion figure dans la let tre écrite pa r Paul Lafargue à Jules Guesde en février 1880 (cf. « Correspondance de mili tants du mouvement ouvrier français, 1879-1882 », Annuaire d'études françaises, 1962, Moscou, 1963, p. 461) et dans la let tre de Paul Brousse à César De Paepe du 24 décembre 1889 que nous publions ci-dessous.

Page 15: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

d'établir un inventaire des sources disponibles. Nous ne disposons jusqu'à présent que de la biographie écrite par son ami Louis Bertrand : elle est utile et rappelle les princi- paux faits de sa vie privée et de son action politique, mais elle se garde bien de soulever des problèmes plus intéressants tels que les liens qu'il eut avec la pensée de ses contemporains comme le baron de Colins ou Napoléon De Keyser, Auguste Comte et Proudhon, Karl Marx et Ferdinand Lassalle, ou même Nicolas Tchernychevsky.

Rassembler ces sources n'est pas chose aisée et, à notre connaissance, seul Camille Huysmans avait, avant la Première Guerre mondiale, essayé de mettre en chantier un tel travail : le secrétaire du Bureau socialiste international déploya de nombreux efforts pour retrouver la correspondance de César De Paepe. Il avait même esquissé un début de bibliographie et avait décidé de réunir en volume ses princi- paux écrits. C'est vraisemblablement à l'initiative de Louis Bertrand qu'en 1897 déjà la revue du Parti ouvrier belge, L'Avenir social, avait rassemblé quelques articles importants de César De Paepe, mais l'entreprise ne fut pas poursuivie. C'est donc à Camille Huysmans qu'il faut rendre hommage d'avoir entrepris cette œuvre, mais ses multiples occupations comme secrétaire du B.S.I. l'empêchèrent de mener à bien cette tâche.

Notre propos n'est pas d'écrire une biographie de César De Paepe ; en effet, même si l'ouvrage de Louis Bertrand est incomplet et exprime souvent la ferveur pieuse, il a le mérite d'avoir été écrit par un contemporain ; nous nous efforcerons seulement de rappeler ici les traits principaux de son activité au sein du mouvement ouvrier belge et du mouvement ouvrier international.

Cet aperçu de la correspondance de César De Paepe permettra aux historiens d'établir avec plus de précision les principales étapes de l'évolution de sa pensée, souvent

2. Né en 1871 et mort en 1968, Camille Huysmans fut secrétaire du Bureau socialiste international à partir de 1905.

3. Huysmans rappelle ces faits dans la préface à la réédition de quelques articles de César De Paepe parus dans la revue La Société nouvelle de janvier 1888 à décembre 1890 ; cf. C. DE PAEPE, Objet de la science écono- mique (extrait inédit d'un cours d'économie sociale), Gand, 1911, p. III.

Page 16: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

difficile à saisir ; il devra, bien sûr, être complété par une bibliographie exhaustive de ses articles dans les journaux et dans les revues aussi bien en Belgique qu'à l'étranger, ainsi que par une anthologie de ses principaux écrits. Il est vrai aussi que César De Paepe n'a pas écrit un ouvrage capital qui permette de saisir sa pensée, et le magnum opus q u ' i l p r o j e t a i t n e v i t j a m a i s l e j o u r , f a u t e d e s o u s c r i p t e u r s ;

remarquons cependant que Marx eut connaissance de ce travail qui devait s'intituler Considérations et recherches sur le problème social au X I X s i è c l e

Le présent travail n'aurait pu voir le jour sans l'aide que nous avons reçue tout au long de nos recherches.

A Moscou, Mmes Irène Bach, Anna Urojeva, Olga Senekina et Irena Sinelnikova, collaboratrices de l'Institut du marxisme-léninisme, nous ont ouvert les précieuses archives de l'Institut fondé en 1922 par David Riazanov sous les auspices de Lénine ; de même, M. Kapran, directeur des Archives centrales de la révolution d'Octobre, nous a communiqué les lettres envoyées par César De Paepe à Pierre Lavrov.

Lors de nos séjours à l'Internationaal instituut voor sociale geschiedenis (I.I.S.G.) d'Amsterdam, nous avons chaque fois généreusement bénéficié des conseils donnés par Mlle M. A. H. Campfens, Mme J. Welcker, MM. Tris- tan Haan et Boris Sapir, collaborateurs scientifiques de l'Institut ; de même, la bibliothécaire Mlle M. Hunink n'a négligé aucun effort pour nous initier aux richesses de l'Institut qui nous a autorisé à publier quelques-uns de ses documents et qui nous a transmis les photocopies de nom- breux autres documents.

A Paris, Mme Fauvel-Rouif, secrétaire de l'Institut français d'histoire sociale, nous a permis de consulter les lettres de et à César De Paepe conservées dans les archives Eugène Fournière ; Mlle Colette Chambelland, bibliothécaire du Musée social, nous a fait connaître quelques pièces rares conservées dans ces collections.

4. Cf. let tre de César De Paepe à Benoît Malon du 8 décembre 1878. 5. Cf. let tre de Marx à Engels du 7 décembre 1873 ; M. J. Bart ier

prépare une étude sur cet te œuvre inachevée de César De Paepe.

Page 17: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Nous voulons également remercier Mme Denise De Weerdt, chef de travaux à la Bibliothèque royale de Bruxelles, et Mlle Solange Vervaeck, assistante aux Archives générales du royaume à Bruxelles, ainsi que M. Robert Als, directeur de la bibliothèque de l'Institut Émile-Vandervelde.

A Genève, M. Marc Vuilleumier, assistant à l'Université, nous a largement communiqué les renseignements qu'il possédait sur le mouvement ouvrier suisse et sur James Guillaume, l'historien de la I Internationale ; nous avons bénéficié également du concours de M. Bert Andreas, chargé de recherches à l'Institut universitaire des hautes études internationales, qui nous a fait partager ses connaissances sur la I Internationale et sur l'œuvre de Marx et d'Engels.

Enfin, M. John Bartier, professeur à l'Université libre de Bruxelles, nous a, tout au long de notre travail, transmis ses précieuses connaissances sur l'histoire de Belgique.

Ajoutons aussi que ce travail n'aurait peut-être jamais paru si M. Jean Maitron, fondateur de l'Institut d'histoire sociale et secrétaire du Centre d'histoire du syndicalisme, n'avait insisté auprès de nous pour qu'il soit publié dans la collection qu'il dirige avec M. le professeur Jacques Droz de l'Université Paris-I : nous le remercions et de sa patience et de sa compréhension.

Il est certain que l'aperçu de correspondance que nous présentons est incomplet ; mais si les recherches que nous avons entreprises suscitent la curiosité d'autres chercheurs, notre but sera partiellement atteint.

Les lettres que nous publions ici ont été choisies en fonction de l'intérêt qu'elles présentent pour l'étude de la formation de la pensée de César De Paepe, pour une approche de son caractère.

La première lettre écrite par César De Paepe le 21 juillet 1860 à son « père spirituel », Désiré Brismée, constitue la profession de foi d'un jeune homme de dix-huit ans déjà acquis aux idées républicaines et conquis par l'idéal socialiste. Par contre, d'autres lettres confirment que César De Paepe était l'homme de la conciliation, de l'entente entre les diverses tendances socialistes ; il suffit de lire celle qu'il écrivit le 16 janvier 1869 à Bakounine et aux membres du groupe

Page 18: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

initiateur de l'Alliance internationale de la démocratie socialiste fondée à Genève en octobre 1868, ou la lettre que Paul Brousse lui envoya le 24 décembre 1889. Nous avons également publié (ou republié) les lettres que César De Paepe envoya à des socialistes rationnels, disciples du baron de Colins, comme Jules Brouez, Malengreaux ou Agathon De Potter, celles qu'il échangea avec Karl Marx, certaines lettres encore inédites qu'il écrivit à son ami Benoît Malon.

Tout cela, pensons-nous, permettra de mieux connaître un des fondateurs du mouvement ouvrier international, inconnu à l'étranger et encore méconnu dans son pays.

Décembre 1973.

Page 19: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com
Page 20: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Coup d'œil sur la vie militante

César De Paepe naquit à Ostende le 12 juillet 1841, et non en 1842 comme l'écrit son biographe Louis Bertrand. Son père était un employé de l'État qui occupait les fonctions de contrôleur des droits de la navigation ; cette charge était transmise de père en fils à l'aîné de la famille : ce fut donc le frère aîné de César De Paepe, Florimond, né en 1837, qui reprit ces fonctions. Le grand-père maternel était percep- teur des contributions directes ; il eut une fille, Marie-Louise- Eugénie Ysebrant qui naquit à Hamme (Flandre occidentale) le 5 décembre 1810 : elle était issue de la petite noblesse flamande déchue. Le métier du père de César obligea la famille à des déplacements fréquents : au début des années 1850, la famille vint habiter dans le Brabant et le jeune César De Paepe poursuivit des études en français au collège Saint-Michel à Bruxelles, dirigé par les jésuites. A joutons aussi que, sur l'acte de naissance de César De Paepe en 1841, la profession du père est donnée comme étant « propriétaire terrien ». Voilà pour ses origines familiales.

1. L. BERTRAND, César De Paepe, — Sa vie, son œuvre, p. 7. Cette année de naissance est reprise non seulement dans toutes les notices biogra- phiques sur César De Paepe, mais figure également sur le monument funéraire dédié à sa mémoire et situé au cimetière d 'Evere (près de Bruxelles). Voir notre notice : « César De Paepe est-il né en 1841 ou en 1842 ? » Socialisme, juillet 1971, p. 465-466.

2. César De Paepe a fourni quelques renseignements biographiques à Benoît Malon ; cf. sa lettre du 11 novembre 1878.

3. Bruges. — Registres de l 'é tat civil (d'Ostende). Actes de naissances : 1841.

Page 21: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Peu après son arrivée à Bruxelles, il entra en contact avec Émile Moyson, dirigeant socialiste gantois qui venait de s'installer à Bruxelles et y avait fondé une société appelée Vlamingen, vooruit ! (Flamands, en avant !) : César De Paepe y adhéra, montrant ainsi qu'il se ralliait à la cause du peuple flamand. Tout au long du X I X siècle et au début du X X siècle, dans la partie flamande de la Belgique, la lutte pour le socialisme rejoignit souvent la lutte pour l'émancipation du peuple flamand qui était opprimé aussi bien sur le plan écnnomique que sur le plan culturel ; pour se distinguer du peuple, la bourgeoisie flamande parlait le français et les étudiants accomplissaient leurs études à l'université de Gand en français, et ce jusqu'en 1932. Bien souvent, l'idée fut émise dans les milieux flamands que la création de l'État belge en 1830 était une erreur et qu'il fallait réunir tous les pays de langue flamande. César De Paepe le rappelle dans un discours qu'il présenta en 1867 au congrès de la Ligue de la paix et de la liberté qui se tint à Genève du 9 au 14 septembre :

« [...] Nous rêvons une grande confédération des peuples, dans laquelle les individus, les communes, les provinces, les contrées se grouperaient librement d'après leurs affinités de race, de mœurs, de langue, de traditions historiques et d'intérêts économiques : et dans cette grande confédération répu blicaine, nous croyons que la Belgique, ou du moins nos pro- vinces flamandes, formeraient avec les provinces hollandaises, dont les menées du clergé et les influences françaises nous ont violemment séparés en 1830, une république des Provinces- Unies qui, reprenant l'œuvre du X V I siècle, brusquement arrêtée chez nous par les bûchers de Philippe I I et du duc d'Albe, continuerait les traditions anticatholiques et anticentralisatrices de Guillaume le Taciturne et de Marnix de Sainte-Aldegonde, ayant soin toutefois : d'une part, de ne pas reprendre ces traditions anticatholiques au point

4. La Ligue de la pa ix et de la l iberté étai t une organisat ion démocra- t ique et républicaine ; elle compta i t pa rmi ses membres des hommes comme Victor Hugo, les frères Reclus et J o h n Suart Mill. Elle t in t son premier congrès à Genève en 1867.

Page 22: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

de vue étroit du protestantisme, mais de les élargir, de les éclairer aux lumières du rationalisme moderne ; et, d'autre part, de ne pas reprendre ces traditions anticentralisatrices au point de vue exclusivement politique des siècles passés, mais de les élargir, de les éclairer aux lumières du socialisme moderne ».

Il serait faux de croire pourtant que seule la question flamande intéressait César De Paepe. Loin de là. L'extrait que nous avons donné montre aussi ses convictions républi- caines. En effet, les premières lueurs sur le mouvement démocratique, César De Paepe les avait reçues dès 1859 au travers des activités de la société « Les Solidaires », fondée en 1857 par son futur beau-père Désiré Brismée. Or, Désiré Brismée (né en 1822) a déjà participé au mouve- ment ouvrier et démocratique avant 1848 : il connaît la mentalité de ceux qui furent déçus par la révolution belge de 1830 dans laquelle quelques révolutionnaires, belges et étrangers, avaient mis certains espoirs. Par exemple, Louis De Potter, avant d'être influencé par les doctrines collectivistes et spiritualistes du baron de Colins, a été membre du gouverne- ment provisoire belge de 1830. Il entra aussi en relations avec Philippe Buonarroti, le disciple de Babeuf exilé en Belgique, et finança l'édition de son ouvrage : Conspiration pour l'égalité dite de Babeuf, qui parut à Bruxelles en 1828.

Désiré Brismée vécut aussi la défaite de 1848 qui eut des échos en Belgique puisque plusieurs participants tentèrent vainement d'installer, comme en France, un gouvernement révolutionnaire. L'un d'entre eux, Victor Tedesco, écrivit un Catéchisme du prolétaire et fut en relations étroites avec

5. Bulletin du Congrès de la Paix à Genève, n° 10, impr. Vaney, 1867, et La Tribune du peuple (Bruxelles) du 31 octobre 1867.

6. Jean-Guillaume, baron de Colins (1783-1859), eut une vie très mouvementée : officier sous Napoléon, il vécut aussi à Cuba où il dirigea des plantations ; il élabora une doctrine appelée « socialisme rat ionnel ». Pour sa biographie et ses idées, cf. les deux ouvrages écrits pa r Ivo RENS, Introduction au socialisme rationnel de Colins, Neuchatel, 1968, et Antho- logie socialiste colinsienne, Neuchâtel, 1970.

7. Victor TEDESCO (1821-1897) : avocat, membre de l 'Association démocratique, fondée à Bruxelles en 1847 ; membre de la Ligue des communistes. Il accompagna Marx et Engels à Londres pour assister

Page 23: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Karl Marx durant son séjour en Belgique. Tout ceci permet de dire que la mentalité de Désiré Brismée est celle d'un militant qui a vécu plusieurs défaites et qui cherche, pour la classe ouvrière, de nouvelles formes d'organisation : parmi celles-ci, il y a l'organisation de banquets démocra- tiques qui permet en partie d'échapper aux poursuites policières, mais aussi la création de sociétés rationalistes ou de libre pensée qui ont pour but de s'opposer à la puissance écrasante de l'Église catholique. César De Paepe contribua beaucoup au développement de ces sociétés rationalistes ; il fut reçu membre de « L'Affranchissement » le 11 avril 1864.

Cependant, la période la plus féconde dans la formation intellectuelle de César De Paepe fut celle durant laquelle il fréquenta l'Université libre de Bruxelles (de 1858 à 1860 et de 1865 à 1872) : il prit alors connaissance des divers courants socialistes de l'époque. A partir des années 1850, la pensée positiviste exerça une grande influence dans les milieux intellectuels ; César De Paepe n'y échappa pas, mais cette influence d'Auguste Comte est souvent négligée par ses biographes. Elle se manifeste notamment dans le plan de son ouvrage resté inachevé, et pour cause : le projet était trop vaste et voulait embrasser, à la manière des posi- tivistes, tous les aspects du problème. En 1867, il présenta devant ses camarades de l'université un exposé sur la philo- sophie positiviste, et lors de l'arrestation des principaux membres du conseil général belge des sections de l'Interna- tionale, en avril 1869, il déclara qu' il appartient « à l'école positiviste d'Auguste Comte, de Proudhon, de Karl Marx le socialiste allemand ». Il défendit les mêmes idées positivistes

au deuxième congrès de la Ligue qui se t in t du 29 novembre au 8 décembre 1847. Alors que Marx et Engels abandonnèren t la forme du catéchisme, Tedesco la main t in t ; son Catéchisme du prolétaire fu t t r adu i t en allemand. Lors des événements de 1848, il fu t impliqué dans l 'affaire de Risquons- Tout et condamné p a r la cour d'assises de B r a b a n t à la peine de mor t ; cet te peine fu t commuée en 30 ans de prison. Libéré en 1854, il pa r t i t pour Arlon dans le Luxembourg belge où il exerça son métier d 'avocat et y devint le chef du Par t i libéral.

8. Procès-verbaux de « L'Affranchissement » reprodui ts dans H. W o u - TERS, Docamenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging (1853- 1865), Bruxelles-Paris, 1966 : séance du 11 avril 1864, p. 249.

9. A.G.R. t r ibunal correctionnel de Bruxelles : dossier 703.

Page 24: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

dans une conférence prononcée en 1 8 8 0 . Il n'est peut-être pas inutile aussi de rappeler les liens d'Auguste Comte avec les premiers socialistes français (il rencontra Saint- Simon en 1817 et devint également son secrétaire) et la dette intellectuelle que des sociologues et des philosophes belges comme Hector Denis et Guillaume De Greef ont envers le fondateur de l'école positiviste.

Voilà pour le milieu intellectuel dans lequel César De Paepe évolua. Encore faut-il connaître ses conditions matérielles. Inscrit à la faculté de philosophie et lettres de l'Université libre de Bruxelles dès 1858, il dut abandonner ses études en 1860 lors du décès de son père et aller travailler : il offrit d'abord ses services à l'éditeur bruxellois Vanderauwera (tout en logeant chez l'éditeur D. Brismée) et il y exerça le métier de correcteur-typographe. Il exerça également ce métier de correcteur chez l'éditeur Albert Lacroix qui assurait à l'époque la réédition des œuvres de Proudhon. Durant son séjour en Belgique de 1858 à 1862, le philosophe français e x e r ç a u n e i n f l u e n c e n o n n é g l i g e a b l e . C é s a r D e P a e p e ,

o u v r i e r e t é t u d i a n t e n m ê m e t e m p s , i n v o q u a l e p è r e d e

l ' a n a r c h i e d a n s l e s p r e m i e r s a r t i c l e s q u ' i l c o n f i a d è s 1 8 6 1

a u j o u r n a l L a T r i b u n e d u p e u p l e . L a f i è v r e d e c o n n a i s s a n c e

q u i b r û l a i t d e n o m b r e u x é t u d i a n t s l ' a t t e i g n i t é g a l e m e n t :

i l l i s a i t b e a u c o u p , é n o r m é m e n t m ê m e . I l d é v o r a i t t o u s l e s

o u v r a g e s , p a m p h l e t s , b r o c h u r e s d e s p r i n c i p a u x p e n s e u r s

s o c i a l i s t e s d e s o n t e m p s : G r a c c h u s B a b e u f , B u o n a r r o t i ,

S a i n t - S i m o n , P e c q u e u r , F o u r i e r , l ' a b b é d e L a m e n n a i s e t

P r o u d h o n b i e n s û r , a i n s i q u ' A u g u s t e C o m t e ; i l f a u t y

a j o u t e r q u e l q u e s p e n s e u r s s o c i a l i s t e s b e l g e s a u j o u r d ' h u i

p e u c o n n u s c o m m e G é r a r d M a t h i e u , J o s e p h C h a r l i e r o u

N a p o l é o n D e K e y s e r . C e q u i f i t d i r e à H e c t o r D e n i s : « J e

c o n n a i s u n t y p o g r a p h e d e d i x - h u i t a n s q u i e s t p l u s f o r t q u e

10. « La Théorie de l'histoire », L'Avenir social (revue du P.O.B.), 1897, p. 3-12.

11. Nous citons à t i t re indicatif les deux articles suivants : Hector DENIS, « L 'Œuvre d'Auguste Comte et son influence sur la pensée contem- poraine », extrait des Annales de l 'Institut des sciences sociales, Bruxelles, 1900; et Guillaume DE GREEF, « Introduct ion à l 'é tude de l 'économie sociale », extrai t de la Revue internationale de sociologie, Paris, 1903.

12. Sur cette influence, cf. J. BARTIER, « Proudhon et la Belgique », extrait de L'Actualité de Proudhon, Bruxelles, 1967, p. 169-227.

Page 25: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

moi en économie socia le » ; cela n'empêchait pas cependant César De Paepe de faire appel aux connaissances de son a m i H e c t o r D e n i s .

Il faut cependant accorder une place particulière au baron de Colins. Ce penseur spiritualiste, un des pères du collectivisme belge, est aujourd'hui mieux connu depuis que M. Ivo Rens lui a consacré deux ouvrages.

A la mort de César De Paepe, l'organe des colinsiens, la revue La Philosophie de l'avenir, par la plume d'Agathon De Potter, le fils de Louis précédemment nommé, lui consacra une notice nécrologique élogieuse dans laquelle l'auteur rappelait la dette de César De Paepe envers le fondateur du socialisme rationnel; Agathon De Potter s'empressait d'ajouter que « s'il n'a pas admis le socialisme rationnel en entier, cela provient uniquement des préjugés qui, malheureusement, lui ont été inculqués par son instruction ». Il voulait rappeler au lecteur que César De Paepe avait subi l'enseignement des jésuites. César De Paepe échangea avec les colinsiens une série de let tres ; la plus importante nous paraît être celle écrite à Maxime Toubeau le 1 sep- tembre 1865. Il y acceptait l'idée — qu'il reprendra plus tard dans les congrès de l'Association internationale des travail- leurs — du passage de la terre à la propriété collective, mais il refuse catégoriquement toute concession au spiritualisme.

Il rappela souvent cette idée de l'appropriation collective du sol et il ne l'abandonna jamais, contrairement aux idées reprises à Proudhon. En effet, dans la correspondance de César De Paepe, nous ne trouvons pas de traces d'abandon de ces théories du baron de Colins. Mais ses lettres à Marx ne font cependant jamais allusion aux origines de ses idées collectivistes. Voulait-il se montrer penseur original en face de Marx, ou craignait-il que Marx ne le repousse à cause de l'aspect spiritualiste du système colinsien ? A partir de

13. Article nécrologique de Eugène Hins sur Hector Denis pa ru dans la revue La Pensée (mai 1913) ; cité d 'après J. BARTIER, op. cit., p. 190, no te 152.

14. Cf. let tre de César De Paepe à Hector Denis du 5 mars 1865. 15. Voir les lettres qu'il échangea avec Agathon De Pot ter , Maxime

Toubeau, Jules Brouez, Frédéric Borde, ainsi que sa le t t re à Benoît Malon du 11 novembre 1878.

Page 26: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

quel moment César De Paepe adopta-t-il les théories de Colins sur la collectivisation du sol ? Nous pouvons nous poser cette question, car il est vrai qu'il cite déjà le baron de Colins et son disciple belge Louis De Potter, dans son célèbre discours prononcé à Patignies en décembre 1863 :

« Colins et De Potter, pour effectuer le transfert de la terre à la commune, avaient un autre plan. Voici les mesures dont ils proposaient l'adoption :

— entrée à la propriété collective de toute succession ab intestat sans héritiers directs ;

— établissement d'un impôt de [...] pour cent sur toutes les successions par testament ;

— inaliénabilité du sol une fois entré dans la communauté.

— D'autres vont plus loin. Ils demandent qu'à la mort du propriétaire actuel tous ses biens « fonds retournent à la commune, moyennant indemnisation envers les héritiers d i r e c t s s e u l e m e n t . »

Mais l'essentiel de son intervention à cette assemblée, à laquelle assistaient d'autres démocrates socialistes comme Désiré Brismée, Eugène Steens et Joseph H e n r y , est teinté de proudhonisme :

« Heureusement, ce socialisme mystique, religieux ou fraternitaire de Lamennais, de Buchez, de Pierre Leroux, perd du terrain parmi les travailleurs pour faire place au socialisme positif, scientifique et égalitaire de P roudhon . »

Mais il lui faudra encore deux ans avant d'étudier sérieuse- ment les œuvres du baron de Colins ; c'est dans sa corres-

16. César De Paepe en Ardennes — Discours prononcé à Patignies (Namur) en 1863, Bruxelles, 1898, p. 75.

17. Il s 'agit d 'un cult ivateur namurois, il fut délégué du Cercle des campagnards de Patignies au congrès de l 'A.I.T. en septembre 1868 à Bruxelles. Il émigra ensuite à Salina au K a n s a s où il fonda à par t i r de 1879 des colonies communistes ; De Paepe lui consacra une notice nécro- logique : cf. Le Peuple, n° 325, du 23 novembre 1887.

18. César De Paepe en Ardennes..., op. cit., p. 82.

Page 27: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

pondance que nous trouvons des indications précises à ce sujet. Il écrivit le 2 février 1865 à Jules Brouez :

« J ' a i commencé la lecture ou plutôt l'étude de Qu'est-ce que la science sociale [paru en 1853-1854]. Bien que j'aie eu entre les mains un volume de cet ouvrage il y a quelques années, je suis vraiment émerveillé de la profondeur des vues de Colins, de sa vaste érudition, et souvent de sa logique et de la justesse de ses raisonnements... Quoi qu'il en soit, je me propose d'étudier Colins avec impartialité, sans parti pris, comme sans idées préconçues. C'est d'ailleurs un peu mon habitude, et c'est ce qui fait que j'ai passé successivement par le communisme absolu de Babeuf, par le saint-simonisme, par le fouriérisme, etc., pour adopter enfin (toutefois avec quelques modifications) les idées de Proudhon.

« Peut-être le jour n'est-il pas loin où la vérité, seul objet de mes recherches, me sera révélée par Colins. »

C'est donc au moment même où il entra dans l'Association internationale des travailleurs (fondée à Londres en sep- tembre 1864) que César De Paepe adopta les théories collec- tivistes du baron de Colins ; elles y jouèrent, par son inter- médiaire, un rôle important. Mais le baron de Colins ne fut pas le seul penseur qui inspira le collectivisme de César De Paepe. Il y eut aussi un certain Napoléon De Keyser. Curieux personnage : penseur solitaire né en 1806 près de Gand, géomètre-arpenteur de son métier, il élabora un long discours à la mode du X V I I I siècle où les accents rous- seauistes nous paraissent nombreux. Dans un ouvrage volumineux (il compte 750 pages), Napoléon De Keyser affirmait que les hommes naissent é g a u x . C'est le droit de propriété terrienne qui est la cause principale du désordre social. La minorité sociale qui possède la terre est aidée dans l'exercice de son pouvoir par la caste religieuse, qui se charge de maintenir les esprits dans l'ignorance en affirmant le

19. Alors qu'il était rédigé depuis quelques années, l 'ouvrage ne pa ru t à Bruxelles qu'en 1854 sous le t i tre que nous donnons ici en t raduc t ion : Le Droit naturel ou la justice comme nouvelle règle de vie adoptée en conformité avec le destin de l'homme (un exemplaire est conservé à la bibliothèque de l ' Ins t i tu t Émile-Vandervelde à Bruxelles).

Page 28: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

droit divin de la propriété. Le droit naturel, dont parle Napo- léon De Keyser, est accordé à tout être humain âgé de vingt-cinq ans : à ce moment, il recevra une parcelle de terre équivalant à un hectare environ. C'est sans doute chez lui que les socialistes belges, à commencer par De Paepe, pui- sèrent leurs idées sur le socialisme communal. En effet, il proposait que la terre soit divisée en états, provinces, districts, communes et sections de communes ayant chacune la même superficie.

Chaque commune serait administrée par un conseil communal de vingt-cinq membres élus au suffrage direct ; de plus, la minorité serait également représentée au sein du conseil communal.

Cette nouvelle société ne reconnaîtrait que le droit au travail personnel. Ce précurseur du socialisme proposait aussi, afin d'introduire de la diversité, d'alterner travail manuel et travail intellectuel.

La différence essentielle entre César De Paepe et ces précurseurs du collectivisme, c'est que De Paepe eut l'occasion d'introduire ces idées dans le mouvement ouvrier organisé, alors que Napoléon De Keyser et le baron de Colins n'eurent de leur vivant qu'une influence très limitée.

En cette année 1865, De Paepe reprit des études univer- sitaires. Il épousa le 18 janvier 1865 Henriette Brismée, la fille de son père spirituel. La même année, il participa à la fondation de la section bruxelloise de l'Internationale dans laquelle il joua un rôle prépondérant ; il refusa de faire partie du comité car il estimait que ce comité ne devait être composé que d'ouvriers, de véritables prolétaires, et il céda sa place à un autre délégué. Cependant, cela ne l'empêcha pas de jouer les premiers rôles. La section bruxel- loise le délégua à la première conférence de l'Internationale qui se tint à Londres en septembre 1865. César De Paepe y présenta un rapport sur la section bruxelloise qui venait

20. Sur Napoléon De Keyser (son nom signifie « l 'empereur »), cf. L. BERTRAND, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique, Bruxelles, 1906-1907, vol. 2, p. 102 et s ., ainsi que P. DE KEYSER, Een voorloper van het socialisme in Vlaanderen, Gand, 1948.

21. Procès-verbaux de la section bruxelloise de l 'A.I.T. (I.I.S.G., Archives Jung), séance du 17 juillet 1865.

Page 29: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

de se créer et prit la parole pour s'opposer à ce que la question de l'influence russe en Europe fasse l'objet d'une discussion au prochain congrès de l'Internationale qui allait se tenir à Genève en 1866. Après la conférence, événement important : il rencontra Karl Marx qui l'invita à son domicile en même temps que deux autres émigrés allemands, Hermann J u n g et Johann Philip Becke r . Les discussions entamées à Londres devaient se poursuivre au premier congrès de l'A.I.T. qui aurait dû se tenir à Bruxelles : comme la section bruxelloise était encore très faible et que, d'autre part, la loi de 1835 sur les étrangers était toujours en vigueur, le congrès se tint à Genève.

Pour des raisons administratives, il n'y eut pas de délégué belge à ce congrès : les renseignements pratiques n'arrivèrent pas à temps et Charles Longuet, alors secrétaire-correspondant du Conseil général pour la Belgique, fut accusé de négligences. A la réunion de la section bruxelloise le 2 septembre 1866, De Paepe demanda que l'on écrivît au Conseil général de Londres pour avoir une explication, et si celle-ci ne paraissait pas satisfaisante, la section bruxelloise élèverait par la voix de la presse une protestation. Paul Lafargue fut chargé de répondre au nom du Conseil général de Londres et il semble bien que l'incident fut clos.

César De Paepe n'accepta d'être élu membre du comité de la section bruxelloise qu'en 186724, peu avant d'être élu comme délégué belge au congrès de l'A.I.T. à L a u s a n n e : il pouvait alors arguer du fait qu'il était ouvrier manuel, puisque pour payer ses études il exerçait le métier de typographe.

Ce n'est donc pas un novice de l'action militante qui arrivait le 31 août 1867 en Suisse, où il séjourna deux semaines. Il eut l'occasion de rencontrer les principaux membres de l'Internationale : Murat, Charles Longuet,

22. Let tre de Marx à H e r m a n n J u n g du 30 septembre 1865. 23. Procès-verbaux de la section bruxelloise de l 'A.I.T. (I.T.S.G.,

Archives Jung, séance d u 2 septembre 1866). 24. Ibid., séance du 15 juillet 1867. 25. Ibid., séance du 26 août 1867.

Page 30: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

Albert Richard, Eugène Dupont, Jean Vasseur et Henri Tolain venus de France, ainsi que des Internationaux suisses. Contrairement à la plupart des républicains de l'époque, il refusa d'aduler Giuseppe Garibaldi qui fut l'objet de nombreuses ovations au congrès de la Ligue de la paix et de la liberté qui se tint du 9 au 14 septembre à Genève.

Durant son séjour à Lausanne, il rencontra aussi Bakou- nine, mais nous possédons peu de renseignements sur cette rencontre : il ne semble pas que l'anarchiste russe exerça sur le socialiste belge beaucoup d'influence ; du moins nos connaissances actuelles ne nous permettent pas d'avancer une quelconque hypothèse à ce s u j e t . Il fit une impression très favorable sur James Guillaume qui fut très étonné par sa capacité de travail ainsi que par l'étendue de ses connais- sances : De Paepe et lui passèrent la nuit du 9 septembre à disserter sur le socialisme, sur les doctrines collectivistes du baron de Colins ainsi que sur les doctrines positivistes d'Auguste Comte . Sa présence à Lausanne ne passa pas inaperçue et ses interventions non plus : il considérait que la paix dépendait surtout de la lutte pour l'émancipation économique et sociale, et qu'il était illogique de réclamer la paix dans le cadre de l'ordre social actuel ; il rejoignait sur ce point le Français Henri Tolain qu'il combattit par ailleurs lors de la discussion sur la collectivisation du sol.

Mais à ce congrès, De Paepe argumentait encore en se réclamant parfois du mutuellisme de Proudhon ; il ne parvint pas à convaincre les délégués, et sa proposition concernant l'entrée du sol à la propriété collective fut repoussée par 11 voix contre 27 à Tolain qui proposait de retrancher du

26. D'après Bakounine lui-même, il ne connaissait pas César De Paepe avant le Congrès de Bâle de 1869 ; cf. V. DAVE, « Michel Bakounine et Karl Marx », L 'Humani té nouvelle, 4 année, vol. 33, mars 1900, p. 274. Par contre, selon Ar thur Lehning, Bakounine et De Paepe se sont rencontrés pour la première fois à Lausanne en 1867 (Archives Bakounine — Michel Bakounine et l'Italie, 1871-1872, Leiden, 1961, vol. 1, 1 partie, p. 22), mais d'après Nétt lau, ils se seraient déjà vus en Belgique fin 1863 ou début 1864, lorsque Bakounine se rendit à Londres (M. NETTLAU, Der Anarchis- mus von Proudhon zu Kropotkin, Berlin, 1927, p. 92).

27. Cf. J. GUILLAUME, L'Internationale — Documents et souvenirs, Paris, 1905, vol. 1, p. 42.

Page 31: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

r a p p o r t d e l a c o m m i s s i o n l a p h r a s e q u i é t a i t l ' o b j e t d e l a d i s c u s s i o n .

I l r e v i n t à l a c h a r g e l o r s q u e C h a r l e s L o n g u e t d é c l a r a q u e

« l a p r o p r i é t é c o l l e c t i v e d e s c h e m i n s d e f e r , d e s m i n e s , d e s c a n a u x , e tc . , e s t n é c e s s a i r e , t a n d i s q u e c e l l e d u s o l n e l ' e s t

p a s ». M a l g r é ce l a , D e P a e p e n e s e t i n t p a s p o u r b a t t u

et i l d e m a n d a a v e c i n s i s t a n c e q u e ce t te q u e s t i o n s o i t à n o u v e a u

m i s e à l ' o r d r e d u j o u r d u p r o c h a i n C o n g r è s d e B r u x e l l e s ,

ce q u i f u t f a i t . L e c o n g r è s d e l ' A . I . T . à L a u s a n n e d i s c u t a

a u s s i d u r ô l e d e l a f e m m e d a n s l a s o c i é t é . E t l à , C é s a r D e P a e p e

se m o n t r a p r o u d h o n i e n . I l p r é s e n t a le r a p p o r t é l a b o r é p a r

l a m a j o r i t é de l a s e c t i o n be lge , a v e c l ' a i d e d e L é o n F o n t a i n e

et d ' A l p h o n s e V a n d e n h o u t e n . L e s t h è s e s p r é s e n t é e s é t a i e n t

ce l les d e « l a f e m m e a u f o y e r » ; i l d é c l a r a i t q u e , « c o n f o r m é -

m e n t a u x l o i s d e l a n a t u r e , i l f a u t d o n c c o n s i d é r e r t o u t e

f e m m e c o m m e d e s t i n é e à d e v e n i r é p o u s e et p a r c o n s é q u e n t

m é n a g è r e , p u i s m è r e et p a r c o n s é q u e n t c h a r g é e d e l ' é d u c a t i o n

i n i t i a l e d e s e s e n f a n t s , et s i t o u t e s n ' a r r i v e n t p a s a u j o u r d ' h u i

à cet te d e s t i n é e , i l f a u t e n a c c u s e r et l es p r é j u g é s s o c i a u x

q u i a m è n e n t t a n t d ' u n i o n s m a l a s s o r t i e s , et l a m i s è r e , m è r e

de l a p r o s t i t u t i o n , et le p r o g r è s d e s m œ u r s m a l t h u s i e n n e s ;

e n u n m o t , i l f a u t e n a c c u s e r l ' o r d r e s o c i a l a c t u e l ». I l

p r é f è r e q u ' e l l e s o i t u n e m a c h i n e à f a i r e d e s e n f a n t s p l u t ô t

q u ' u n e m a c h i n e i n d u s t r i e l l e . L e r a p p o r t de l a m i n o r i t é b e l g e

s u r cet te m ê m e q u e s t i o n es t i n t é r e s s a n t : à l a l e c t u r e , n o u s

c o n s t a t o n s q u e ce s o n t les m ê m e s p r i n c i p e s q u i s o n t a v a n c é s

a u j o u r d ' h u i p o u r d é f e n d r e l ' é g a l i t é d e s s e x e s .

1 8 6 8 es t l ' a n n é e o ù , e n B e l g i q u e , l ' A s s o c i a t i o n i n t e r n a t i o -

n a l e d e s t r a v a i l l e u r s s e d é v e l o p p e ; le n o m b r e d e m e e t i n g s

t e n u s e n p r o v i n c e , l a c r é a t i o n e n d é c e m b r e d ' u n c o n s e i l

g é n é r a l d e s s e c t i o n s b e l g e s , l a f r é q u e n c e d e s l e t t r e s é c h a n g é e s

a v e c le C o n s e i l g é n é r a l d e L o n d r e s , le n o m b r e d e g r è v e s q u i

é c l a t e n t s o n t a u t a n t d e p r e u v e s d e l ' a c t i v i t é f é b r i l e d e l a

s e c t i o n be lge q u i o r g a n i s a d u 6 a u 1 3 s e p t e m b r e à B r u x e l l e s

le t r o i s i è m e c o n g r è s d e l ' I n t e r n a t i o n a l e .

28. La Première Internationale — Recueil de documents (sous la direction de Jacques Freymond) , Genève, 1962, vol. 1, p. 130.

29. Op. cit., vol. 1, p. 130. 30. Op. cit., vol. 1, p. 215-220.

Page 32: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

La section bruxelloise parvint à convaincre le Conseil général de Londres de tenir le congrès à Bruxelles : la loi sur les étrangers (promulguée en 1835), qui fut invoquée en 1865 pour ne pas tenir la première conférence de l'A.I.T. en Belgique, ne constituait plus un obstacle. La section bruxelloise adressa au ministre belge de la Justice, Jules Bara, une lettre dans laquelle elle protestait avec véhémence contre le discours prononcé le 15 mai 1868 par ce ministre à la Chambre des représentants, et où elle affirmait que le congrès aurait bien l i e u . César De Paepe joua à ce moment un rôle de premier plan : lors des élections au comité administratif de la section bruxelloise, il obtint le plus de v o i x et il fut bien sûr élu membre du conseil général des sections belges au congrès de décembre 1 8 6 8 . Il est toujours en rapport avec Karl Marx qui lui envoya la première édition allemande du Capital ; nous ne pensons cependant pas que De Paepe utilisa cet ouvrage pour présenter son rapport sur la collecti- visation du sol. Pour deux raisons : d'abord, il comprenait très mal la langue allemande et, d'autre part, il semble bien qu'il ne reçut l'ouvrage que lors du Congrès de Bruxelles, et ce par l'intermédiaire du Français Eugène D u p o n t .

Les idées de César De Paepe sortirent victorieuses de ce congrès international : la question de la propriété du sol fut mise à l'ordre du jour et les partisans de la collectivisation du sol l'emportèrent par 30 voix contre 4 et 15 abstentions. De Paepe avait devant lui les mêmes adversaires qu'en 1867 à Lausanne : Tolain, Murat et Longuet se firent à nouveau les défenseurs de la propriété individuelle du sol, mais ils

31. Ce discours prononcé à la Chambre des représentants entra îna une réponse de la section bruxelloise qui écrivit au ministre de la Just ice une lettre de protestat ion le 20 mai 1868 ; le manuscri t est conservé à Bruxelles (A.G.R., Papiers Frère-Orban, n° 193) et publié dans H. WOUTERS, Docu- menten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging ten tijde van de Iste Internationale, Paris-Louvain, 1970, vol. 1, p. 75-79.

32. Procès-verbaux de la section bruxelloise (I.I.S.G., Archives Jung, n° 138), séance du 27 juillet 1868.

33. Il est également nommé secrétaire pour l 'étranger, en même temps qu'Alphonse Vandenhouten ; cf. L'Internationale, n° 1, du 17 janvier 1869, et C. OUKHOW, Documents relatifs à l'histoire de la Première Internationale en Wallonie, Paris-Louvain, 1967, p. 29.

34. Let tre de César de Paepe à Karl Marx du 14 septembre 1868.

Page 33: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

durent se soumettre à la résolution finale qui affirmait que « l'évolution économique fera de l'entrée du sol arable, à la propriété collective une nécessité sociale et que le sol sera concédé aux compagnies agricoles, comme les mines aux compagnies minières, les chemins de fer aux compagnies ouvrières, et ce avec des conditions de garantie pour la société et pour les cultivateurs analogues à celles nécessaires pour les mines et les chemins de f e r ».

Ce ne fut pas la seule intervention de César De Paepe, mais ce fut à ce congrès la plus importante : les mutuellistes proudhoniens insistèrent pour que la question soit à nouveau mise à l'ordre du jour du prochain congrès.

En Belgique, une polémique courtoise eut lieu entre le journal La Liberté (tribune des proudhoniens) et le journal L'Internationale où De Paepe défendit ses positions.

L'étoile de César De Paepe monte : toujours étudiant et toujours typographe, il est une des têtes du mouvement ouvrier bruxellois. Présent à toutes les réunions, il fut élu membre au conseil général dès décembre 1868, et il exerça un rôle prépondérant au sein de la section. C'est lui qui répondit au nom des sections belges aux membres du groupe initiateur de l'Alliance internationale de la démocratie socialiste à Genève ; en septembre 1868, Bakounine avait fondé cette Alliance dont le programme était plus radical que celui de l'Internationale : il comprenait notamment le principe de l'égalisation des classes et la suppression du droit d'héritage. Le conflit entre Marx et Bakounine au sein de l'Internationale prit alors un tour aigu et Marx chercha dans les différentes sections des partisans pour combattre Bakounine et ses idées. Il est intéressant de remar- quer que, dans cette lettre écrite le 16 janvier 1869 et adressée à Bakounine ainsi qu'à ses amis, César De Paepe désap-

35. La Première Internantionale — Recueil de documents, op. cit., vol. 1, p. 365 et s.

36. A propos de l'Alliance, cf. « L'Alliance de la démocratie socialiste — Procès-verbaux de la section de Genève (15 janvier 1869-23 décembre 1870) », textes présentés par Bert Andreas et Miklos Molnar, Etudes et documents sur la Première Internationale en Suisse, Genève, 1964, p. 137-253 ; M. VUILLEUMIER, « Bakounine, l 'Alliance internat ionale de la démocrat ie socialiste et la Première In ternat ionale à Genève (1868-1869) », Cahiers Vilfredo Pareto, 1964, n° 4, p. 51-94.

Page 34: La vignette de la couverture est - excerpts.numilog.com

prouvait la création de l'Alliance au nom de l'unité inter- nationale et prenait très nettement position en faveur du Conseil général de l'A.I.T. à Londres .

En avril 1869, les événements qui éclatèrent dans la région industrielle de Seraing entraînèrent l'arrestation des princi- paux membres du conseil général belge. Eugène Hins, le secrétaire général, fut emprisonné ; les autres furent soumis à de longs interrogatoires. Le 22 mai 1869, César De Paepe, interrogé par le juge d'instruction Célarier, déclara qu'il n'avait pas à répondre aux questions concernant ses opinions politiques, mais il fit cependant une profession de foi en déclarant qu'il appartenait « à l'école positiviste d'Auguste C o m t e , d e P r o u d h o n , d e K a r l M a r x l e s o c i a l i s t e a l l e m a n d ».

Remarquons aussi qu'il fut le seul internationaliste belge qui refusa de signer sa déclaration devant les autorités judiciaires.

Pour le Congrès de Bâle qui eut lieu en 1869, De Paepe prépara minutieusement son argumentation : il intervint à la séance de la section bruxelloise le 21 juin où il fut désigné, en même temps que Paul Robin, Eugène Hins, Pierre Bastin et Désiré Brismée, comme délégué pour le congrès ; il écrivit aussi à Marx pour lui demander de l'aider à combattre les idées défendues par les mutuellistes.

A nouveau, la question de la propriété foncière fut à l'ordre du jour du congrès ; la discussion s'ouvrit le 9 sep- tembre et dura deux jours. Il y eut à ce sujet plusieurs rapports : le congrès entendit le rapport de la commission lu par Rittinghausen, un rapport de la section lyonnaise par Albert Richard, et César De Paepe lut celui de la section bruxelloise. La plupart des délégués étaient d'accord sur les buts : oui à la propriété collective du sol ; les hésitations et les discussions commencèrent lorsqu'il s'agit de savoir qui exercerait ce droit de propriété et comment. Cependant, la résolution élaborée par la commission du congrès l'emporta

37. Voir texte de cette lettre, infra, p. 74. 38. Archives générales du royaume, t r ibunal correctionnel de Bruxelles,

dossier 703 ; publié dans H. WOUTERS, Documenten betreffende de geschie- denis der arbeidersbeweging ten tijde van de Iste Internationale (1866-1880), Paris-Louvain, 1970, vol. 1, p. 213.

39. Let tre de César De Paepe à Karl Marx du 9 juin 1869.