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CINEMOI

01- 22 10 1973 - 2 14 3 6

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THIERRY ARDISSON

CINEMOI

ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VI

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© Editions du Seuil, 1973.

La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée

par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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Au bassiste. Merci à Christiane, Angelika,

Nikos et Takis.

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Il y a longtemps, très longtemps, plus de cinq ans en tout cas, la télévision avait programmé Arsène Lupin contre Arsène Lupin. A la fin du film, après quelques minutes d'un silence inhabituel, presque inquiétant, tout le monde a avoué n'y avoir rien compris.

Tout le monde sauf moi. J'avais trouvé la réalisation archiplate, mais le

scénario m'avait fasciné. J'en parlais — sans pouvoir trouver de raisons à mon enthousiasme — quand la speakerine a annoncé en sanglotant à la France sou- dain rassurée que deux bobines, la deuxième et la troisième, avaient été interverties au cours de la projection du film.

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PROLOGUE

Qui a mis le feu à la grange du père Jacquet ?

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Le premier jour, nous passons la matinée dans la montagne à choisir les branches les plus régulières et les plus flexibles des noisetiers de la forêt.

Dès le début de l'après-midi, après les avoir soi- gneusement élaguées, nous taillons des encoches à chaque extrémité où nous attachons la ficelle à cochon bien huilée qui doit les sous-tendre pour en faire les plus nerveux des arcs. Ensuite, nous grat- tons l'écorce d'une vingtaine de branches du même bois, plus petites, fines et rigides, au bout desquelles nous fixons solidement un clou rouillé avant de les laisser durcir quelques heures au soleil, peintes aux couleurs de la guerre.

Tous ces préparatifs se terminent généralement fort tard dans la soirée, car ils se prolongent par la cérémonie du partage des flèches et de l'essai des arcs, mais nous nous efforçons d'abréger ces rites le plus possible, afin de rentrer avant le dîner, évitant ainsi d'inadmissibles punitions pour les journées décisives qui marquent chaque année le début des grandes vacances.

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La bande des Parisiens est revenue à Arèches pour les trois mois d'été. Notre suprématie sera de nou- veau durement contestée. Nous allons inévitable- ment assister à de sauvages combats pour la posses- sion des cabanes dans les arbres, des grottes et des granges où nous cachons nos trésors, fiefs dont nous sommes les seigneurs le restant de l'année.

Pourtant la première semaine se déroule sans incidents. Nous restons des heures entières à l'affût derrière la grange du père Jacquet, en attendant que les corbeaux, attirés par un demi-kilo de foie de génisse coupé en cubes, viennent se poser à portée de nos flèches acérées. Quand nous ne chassons pas, nous reconstruisons le grand barrage sur l'Argen- tière emporté par les crues du printemps, mais de batailles point.

Heureusement, un soir, en rencontrant le chef, un des Parisiens, le plus jeune je crois, crache trois fois par terre.

Le lendemain, j'embrasse ma mère comme si je ne devais plus jamais la revoir et je pars rejoindre Sitting Bull offensé, le front et les joues barbouillés de rouge à lèvres ; une belle plume arrachée à la queue d'un coq et précieusement gardée pour la

• circonstance, glissée dans un foulard noué autour de ma tête; mes flèches dans un vieux cartable retaillé en carquois ; mon arc en bandoulière ; fier d'être Pou Rêveur, l'indomptable Cheyenne.

Cochise et Geromino eux non plus n'ont pas hésité à venir venger l'honneur de Sitting Bull qui étrenne pour la circonstance la panoplie complète de chef indien reçue pour ses huit ans. Nous prenons le

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chemin de la mine en laissant à mon petit frère, grand sorcier de la tribu, le soin d'invoquer les esprits.

Cette mine désaffectée qui effraie tant nos parents est le décor idéal pour nos jeux : quelques hectares de Far West reconstitués par hasard en Savoie.

Sur le terre-plein, formé des roches extraites du souterrain, gisent une demi-douzaine de wagonnets hors d'usage et rouillés. Un seul est resté miraculeu- sement posé sur les rails qui s'enfoncent dans une galerie humide et glaciale. Jamais nous n'avons osé nous aventurer au-delà de la partie consolidée, pré- férant rêver d'une mythique sortie dans une autre vallée.

Les cow-boys nous attendent sous leurs chapeaux trop grands, armés de gros colts en matière plas- tique argentée, les poches bourrées de petites amor- ces roses.

Quand ils nous voient dévaler la colline vers la mine en imitant le cri de la hyène, pris de panique, ils s'aplatissent derrière un wagonnet renversé et commencent à tirer. (Sans attendre la traditionnelle discussion sur les règles du jeu, au cours de laquelle nous obtenons habituellement le droit de récupérer nos flèches durant la bataille.)

Cochise est touché le premier. Sitting Bull ordonne une pluie de flèches empoi-

sonnées au scarabée pilé. Surpris par l'ampleur de la riposte, Buffalo Bill et Kit Carson sautent dans le

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wagonnet posé sur la voie. Hopalong Cassidy enlève les cales et les rejoint. Ils se laissent emporter, hors d'atteinte de nos arcs, jusqu'au bord du terre-plein où une traverse attachée sur les rails les arrête brus- quement. Ils ont une centaine de mètres d'avance. Tout espoir de les rattraper s'évanouit. Leur des- cente à travers les énormes blocs composant le talus à cet endroit s'avère difficile. (Ils ne connaissent pas le passage secret.) Malgré cela, quand nous arrivons au wagonnet dont ils se sont servis pour fuir si lâchement, ils atteignent déjà la grange du père Jac- quet.

Tout en nous reprochant mutuellement de n'avoir pas su prévoir ce stratagème, nous les encerclons avec d'infinies précautions. Si Kit Carson, dont le chapeau dépasse de la lucarne ouverte dans le toit d'ardoises, prêtait plus d'attention à sa veille, il remarquerait sans doute que les jeunes épicéas sau- tillent bizarrement ce matin...

Entrés par l'étable vide en cette saison, les trois cow-boys se sont réfugiés à l'étage en passant par la trappe dont le père Jacquet se sert pour faire tomber du foin dans la mangeoire. Confortablement installés dans leur imprenable forteresse, ils nous tueront dès que nous nous montrerons, ou bien ils attendront que nous rentrions pour le repas de midi.

Ils sortiront vainqueurs de cet affrontement.

Alors, pour la première fois de ma vie, il m'arrive ce qui malheureusement se reproduira bien souvent ensuite : le monde m'apparaît à travers cet étrange

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hublot aux coins arrondis que découpe le faisceau de la projectionneuse sur un écran de cinéma.

Le jeu cesse d'être un jeu. Je deviens réellement Pou Rêveur, le vrai, celui

du film, prêt à mourir pour défendre sa terre convoi- tée par les Visages pâles.

Une étrange émotion envahit le farouche Cheyenne. Il décide d'enfumer les cow-boys pour les obliger à se rendre. Il marche jusqu'à la grange en se jouant des balles ennemies. Il pousse la porte de l'étable. (Là-haut, Buffalo Bill et Hopalong Cassidy empilent en hâte des bottes de foin sur la trappe.)

Pou Rêveur prend une boîte d'allumettes dans son carquois.

Plus tard, caché dans la forêt de noisetiers, aban- donné par ma tribu en déroute, j'éclaterai en san- glots en entendant le tocsin rassembler des volon- taires pour aller éteindre le feu chez le père Jacquet.

Je ressentirai pour la première fois mon désespoir de n'être que Thierry Ardisson.

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I

L'île flottante

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Je pense pouvoir enfin échapper aux sirtakis que le chauffeur se croit obligé de me faire écouter, mais après avoir empoché ses deux cents drachmes, il veut absolument m'offrir à boire et sans éteindre l'autoradio, ni fermer les portières, il me suit.

Cinq minutes plus tard, devant mon refus de répondre à ses questions stupides, il repart en me laissant l'addition. Je n'ai plus qu'à attendre Thierry qui a sauté de l'hydravion-sous-marin Poisson d'ar- gent au moment où Minnie annonçait l'atterrissage. Je l'ai vu ouvrir son parachute sous l'œil humide du père Bonaventure, puis il a disparu dans les nuages.

La lumière du petit matin rase le quai, s'engouffre dans le bistrot, glisse sur les miroirs latéraux et les tables en marbre, puis va s'écraser au fond sur l'armoire en aluminium que ses hublots font ressem- bler à un énorme robot-scaphandrier. Six ampoules de cent watts, encore allumées, pendent au milieu de la salle au bout de gros fils noirs où la graisse et la poussière se sont agglutinées pour imiter les pattes d'une araignée géante. Quand le gosse apporte un

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Cinémoi Le monde m'arrive à travers cet étrange hublot aux coins arrondis que découpe le faisceau de la projectionneuse sur un écran de cinéma.

Thierry apparaît. (Attention, ça va commencer.) Il s'embarque sur le Poisson d'argent et s'enfonce

dans ma mémoire : mille et une fois, notre héros va risquer que son film se casse.

(En cas de blanc, les spectateurs sifflent.) Thierry défiera les terribles albinos, Laurel et

Hardy, et l'impitoyable Baxter, alias Basseterre. Il se laissera séduire par l'ange Caméra, la capiteuse

Madelyn Mozrow, et le satanique docteur Farlok. (Chut au balcon, mon âme est en jeu.)

Mais parviendra-t-il à échapper à ces acteurs dégrimés, à ces dessins passés, à ces stars qui s'évadent chaque nuit de tous les films du monde pour venir vivre mes histoires?

Cinéma, cinématographe, cinoche, tout est ciné- nous.

A mon père qui me lance : « C'est du cinéma tout ça », je réponds : « Je suis un cinéma. »

Thierry Ardisson Né en 1949. Le jour des Rois. (Grand-père Action

française ravi. Stop. Grand-père communiste trahi. Stop.)

Ensuite, sa famille déménage vingt fois. Seules connaissances retrouvées au hasard de ces voyages : les stars qui peuplent ses courtes nouvelles.

Ses études supérieures à Montpellier le fâchent définitivement avec les livres.

A 19 ans, il monte à Paris. Travaille déjà à son second roman.

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