la théorie cke comme fondement théorique pour les …tsoukias/download/theses/these... ·...

253
UNIVERSITE PARIS IX DAUPHINE U.F.R SCIENCES DES ORGANISATIONS LABORATOIRE D’ANALYSE ET DE MODELISATION DE SYSTEMES POUR L’AIDE A LA DECISION LAMSADE La théorie CKE comme fondement théorique pour les assistants de conception DesigNAR, un assistant de synthèse de concept basé sur la théorie CKE THÈSE pour l’obtention du titre de DOCTEUR EN INFORMATIQUE Spécialisé en Théorie de Conception et Intelligence Artificielle présentée et soutenue publiquement par Akin Osman KAZAKCI JURY Directeur de thèse : Monsieur Alexis TSOUKIAS Directeur de Recherche CNRS Rapporteurs : Monsieur Armand HATCHUEL Directeur de Recherche CNRS Madame Pascale ZARATE Maître de Conférence, HDR, à INPT Suffragants : Monsieur Alberto COLORNI Professeur à Politecnico di Milano Madame Camille ROSENTHAL-SABROUX Professeur à l’Université Paris IX Dauphine Monsieur Pavlos MORAITIS Professeur à l’Université René Descartes Paris V 25 septembre 2007

Upload: phamnguyet

Post on 15-Sep-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

UNIVERSITE PARIS IX DAUPHINE

U.F.R SCIENCES DES ORGANISATIONS LABORATOIRE D’ANALYSE ET DE MODELISATION DE SYSTEMES

POUR L’AIDE A LA DECISION LAMSADE

La théorie CKE comme fondement théorique pour les assistants de conception

DesigNAR, un assistant de synthèse de concept basé sur la théorie CKE

THÈSE

pour l’obtention du titre de DOCTEUR EN INFORMATIQUE

Spécialisé en Théorie de Conception et Intelligence Artificielle présentée et soutenue publiquement par

Akin Osman KAZAKCI

JURY

Directeur de thèse : Monsieur Alexis TSOUKIAS Directeur de Recherche CNRS Rapporteurs : Monsieur Armand HATCHUEL Directeur de Recherche CNRS Madame Pascale ZARATE Maître de Conférence, HDR, à INPT Suffragants : Monsieur Alberto COLORNI Professeur à Politecnico di Milano

Madame Camille ROSENTHAL-SABROUX

Professeur à l’Université Paris IX Dauphine Monsieur Pavlos MORAITIS

Professeur à l’Université René Descartes Paris V

25 septembre 2007

L’université n’entend donner aucune

approbation ni improbation aux opinons

émises dans cette thèse : ces opinions doivent

être considérées comme propres à leur auteur.

ii

A ma mère Canım Anneme

Annelerin hakkı ödenmez, ben seninkini yüz yıl yaşasam ödeyemem

A mon père Đçemedik o rakıyı

Şimdi tam zamanıydı oysa…

Votre père est-il jamais mort ? Le mien l’a fait une fois, je suis aveuglé

Ils l’ont lavé et ils l’ont enlevé Je n’attendais pas ça de mon père, je suis aveuglé

Cemal Süreyya

iii

L’espace d’Einstein n’est pas plus proche de la réalité que le ciel de Van

Gogh. La gloire de la science ne réside pas dans une vérité plus absolue

que celle de Bach ou de Tolstoï, mais dans l’acte de création lui-même. Le

savant impose son ordre propre au chaos, comme le ferait un compositeur

ou un peintre; un ordre qui se réfère toujours à des aspects limités de la

réalité, basés sur le cadre de référence de l’observateur, qui diffère d’une

période à l’autre tout comme un nu de Rembrandt diffère d’un nu de

Manet.

Arthur Koestler

L’acte de création, 1964

iv

Remerciements Je voudrais remercier un certain nombre de personnes qui m’ont particulièrement aidé,

soutenu et inspiré durant ce projet de thèse. J’espère toutefois que j’ai su exprimer ma gratitude

à ces gens convenablement bien avant la finalisation de ce projet, à travers les années et pendant

les moments partagés.

Je tiens à remercier aux membres du jury pour avoir accepté de juger ce travail. Je tiens

à remercier particulièrement Armand Hatchuel pour m’avoir encouragé pour travailler sur la

théorie C – K, pour avoir partagé ses idées et pour m’avoir inspiré.

Je tiens aussi remercier John S. Gero et les gens de Key Center of Design pour m’avoir

accueilli à l’Université de Sydney, m’avoir présenté leurs travaux et leurs idées, m’avoir fait

réaliser de nouvelles horizons et de nombreuses perspectives sur la recherche en conception.

Je remercie Alexis Tsoukiàs pour m’avoir soutenu le long de cette thèse. Tu as été aussi

aventureux et curieux que moi, si ce n’est qu’un peu plus « ensommeillé » !

Au fil des années, de nombreuses personnes du Lamsade m’ont fait preuve de l’amitié et

de la solidarité. Je les remercie tous du cœur. En particulier, je dois préparer un document à part

pour remercier Jean-Paul Fourmas convenablement. Combien de lettres as-tu fait à ma place ?

Combien de dossiers as-tu préparé « en dernière minute » sans aucune caprice, sans aucun

proteste et sans aucune obligation pour me sauver des fatalités de l’administration française ?

J’en suis très reconnaissant et je te remercie.

Je remercie à Bernard Fillion DuFouleur et à Bernard Roy ; ils m’ont fait confiance et ils

ont convaincu d’autres pour que j’aie ma Bourse d’Excellence et mon Allocation de Recherche.

Je voudrais exprimer ma gratitude à Ender Üstüngel et à Yasemin Claire Erensal pour

avoir veillé sur moi et parce qu’il se sont souciés autant que ma famille pour mon avenir pendant

toutes ses années. Ils me sont de la famille.

Les amis, c’est tout ce que nous avons. Et moi, j’ai la chance d’avoir des amis

exceptionnels avec des cœurs gros comme des montagnes et des intelligences solides comme des

cailloux. Ces gens ont partagé avec moi la plus grande richesse du monde ; leurs temps. Ils

m’ont soutenu et, à en croire à leurs dires, ils m’ont supporté ! Mert, Ulaş, Burçkin, Savaş;

Dostlarım. Hakkınız ödenmez.

Le 13/09/1999. Nous avons mis pieds ensemble sur cette terre étrange et étrangère.

Tellement nous avons appris, tellement de vécu. Mert, benim için bir kardeşten farkın yok.

Kardeşliğimizin daim olsun. Hatta devir daim olsun. Dilerim aynı coğrafyada tekrardan

buluşuruz, tekila, grenadine ve portakal suyu eşliğinde satranç oynamaya devam ederiz.

v

Table de matières

Remerciements ............................................................................................. IV

Table des Matières .........................................................................................V

Table des Matières Detaillée ........................................................................ VI

Liste des Figures........................................................................................... XI

INTRODUCTION

Chapitre 1. Introduction ........................................................................... 2

PARTIE I - LA THEORIE

Chapitre 2. La Conception.......................................................................13

Chapitre 3. La Theorie C – K de Conception ..........................................36

Chapitre 4. L’environnement et la Theorie C/K/E..................................57

Chapitre 5. Assistants Personnels de Conception.....................................76

PARTIE 2 - LE SYSTEME

Chapitre 6. DesigNAR ; Un Assistant de Conception ..............................95

Chapitre 7. Langage et Inference ...........................................................115

Chapitre 8. Memoire et Contrôle ...........................................................140

Chapitre 9. Designar; Exemples d’Inference et de Suggestion ................159

Chapitre 10. Le Domaine « Gathering Machines » ...............................190

CONCLUSION

Chapitre 11. Conclusions et Perspectives ...............................................206

Bibliographie ...............................................................................................221

vi

Table de matières détaillée

REMERCIEMENTS .................................................................................... IV

TABLE DE MATIERES................................................................................V

TABLE DE MATIERES DETAILLEE ........................................................ VI

LISTE DES FIGURES................................................................................. XI

CHAPITRE 1. INTRODUCTION................................................................. 2

1.1 INTRODUCTION ................................................................................. 2

1.2 APPROCHE METHODOLOGIQUE .......................................................... 5 1.2.1 Démarche générale ...................................................................................................... 5 1.2.2 Niveau de l'étude......................................................................................................... 6 1.2.3 Quelle perspective d’aide à la conception ? ................................................................. 6

1.3 PLAN ET RESULTATS ......................................................................... 6

CHAPITRE 2. LA CONCEPTION...............................................................13

2.1 TERMINOLOGIE ................................................................................13

2.2 L'IMPORTANCE DES ACTIVITES DE CONCEPTION................................14 2.2.1 Importance économique des activités de conception.................................................. 14 2.2.2 Le Triptyque Qualité-Coût-Délais............................................................................. 15

2.3 MODELES DU PROCESSUS DE CONCEPTION ........................................18 2.3.1 Le modèle Analyse-Synthèse-Évaluation ................................................................... 19 2.3.2 Les trois logiques d’actions: Convergence-Transformation-Divergence...................... 20 2.3.3 L'arbre de conception de Marples.............................................................................. 21 2.3.4 Le modèle FBS de Gero ............................................................................................ 22 2.3.5 Le modèle de Pahl et Beitz ....................................................................................... 25

2.4 METAPHORES POUR DECRIRE LA CONCEPTION..................................26 2.4.1 Conception et résolution des problèmes .................................................................... 26 2.4.2 Conception et Logique .............................................................................................. 27 2.4.3 Conception et Langage.............................................................................................. 28

2.5 CARACTERISTIQUES DES ACTIVITES DE CONCEPTION ........................28 2.5.1 Nature des problèmes de conception ......................................................................... 29 2.5.2 Conception et connaissance....................................................................................... 30 2.5.3 Concevoir et rechercher............................................................................................. 32 2.5.4 Conception et décision .............................................................................................. 33

vii

CHAPITRE 3. LA THEORIE C – K DE CONCEPTION............................36

3.1 APERÇU DE LA THEORIE...................................................................36

3.2 LES ESPACES C DES CONCEPTS ET K DES CONNAISSANCES ................37 3.2.1 La distinction C – K ................................................................................................. 37 3.2.2 Ensemble associé à un concept.................................................................................. 38

3.3 OPERATIONS DE BASE ......................................................................39 3.3.1 Disjonction C – K : Point de départ d'une conception.............................................. 39 3.3.2 Conjonction C – K : Fin d'une conception ................................................................ 39 3.3.3 Partition restrictive versus partition expansive......................................................... 40 3.3.4 K-expansion .............................................................................................................. 41

3.4 RAISONNEMENT ET DEPLACEMENT ENTRE LES ESPACES :

OPERATEURS DE LA THEORIE C – K ..........................................................42 3.4.1 Déplacements de C vers K ........................................................................................ 42 3.4.2 Déplacements de K vers C ........................................................................................ 42 3.4.3 Déplacements de K vers K........................................................................................ 42 3.4.4 Déplacements de C vers C ........................................................................................ 43

3.5 PROPRIETES DES PROCESSUS DE CONCEPTION ..................................43 3.5.1 Créativité et le rejet de l’axiome de choix................................................................. 43 3.5.2 Co-évolution des espaces C et K ............................................................................... 43 3.5.3 K-Relativité de l’espace C......................................................................................... 44 3.5.4 K-validation .............................................................................................................. 44 3.5.5 Nécessité de distinction entre les espaces .................................................................. 44

3.6 EXEMPLES ET DISCUSSION ................................................................45 3.6.1 Un aspirateur sans sac .............................................................................................. 45 3.6.2 Déchiffrement des hiéroglyphes................................................................................. 48

3.7 DISCUSSION......................................................................................54 3.7.1 Concepts et connaissances......................................................................................... 54 3.7.2 Opérateurs et activations .......................................................................................... 55 3.7.3 Mécanisme de contrôle .............................................................................................. 55 3.7.4 Concepteurs et leurs environnements........................................................................ 55

CHAPITRE 4. L’ENVIRONNEMENT ET LA THEORIE C/K/E ..............57

4.1 LE ROLE DE L’ENVIRONNEMENT........................................................57 4.1.1 Le concepteur et l’environnement ............................................................................. 58 4.1.2 Interaction de faire et voir ........................................................................................ 58 4.1.3 S-inventions et découvertes inattendues.................................................................... 60 4.1.4 Environnement comme moyen de réconceptualisation .............................................. 60 4.1.5 Environnement comme moyen de communication .................................................... 61 4.1.6 L’environnement et la théorie C – K ........................................................................ 61

4.2 LA NATURE SITUEE DE LA COGNITION...............................................62 4.2.1 La Cognition Située : une réaction au Cognitivisme ................................................. 63 4.2.2 Perception, conceptualisation, action ........................................................................ 64 4.2.3 La mémoire constructive ........................................................................................... 66

viii

4.2.4 Ancrage des concepts ................................................................................................ 67 4.2.5 Trois mondes pour un agent située ........................................................................... 68

4.3 MODIFIER LA THEORIE C – K : UN ESPACE E DE L'ENVIRONNEMENT .69 4.3.1 Les espaces de concepts, de connaissances et de l’environnement ............................. 70 4.3.2 Conceptualisation au cœur de la conception ............................................................. 71 4.3.3 Conceptualisation comme construction de sens......................................................... 72 4.3.4 Concepts et connaissances......................................................................................... 72 4.3.5 E-relativité de K et E-validation............................................................................... 73 4.3.6 L’axiome de choix et la théorie C/K/E..................................................................... 73 4.3.7 Opérateurs C/K/E.................................................................................................... 74

CHAPITRE 5. ASSISTANTS PERSONNELS DE CONCEPTION .............76

5.1 OUTILS INFORMATIQUES D’AIDE A LA CONCEPTION ...........................76 5.1.1 Historique du CAO ................................................................................................... 76 5.1.2 Outils d'aide à la conceptualisation – OACs ............................................................. 78 5.1.3 Agents de conception comme OAC........................................................................... 79

5.2 ASSISTANTS PERSONNELS DE CONCEPTION........................................81 5.2.1 OAC basé sur la théorie C/K/E ............................................................................... 81 5.2.2 Paradigmes traditionnels pour OACs........................................................................ 81 5.2.3 Enrichir la conversation du concepteur avec son environnement .............................. 82 5.2.4 Assistants Personnels de Conception - APCs............................................................ 83 5.2.5 Modes d'assistance d'un APC.................................................................................... 84 5.2.6 Concepteurs créatifs, outils qui inspirent .................................................................. 85 5.2.7 Adaptation d'un APC ............................................................................................... 86 5.2.8 Société d'APCs.......................................................................................................... 88

5.3 COMPATIBILITE D'UN APC AVEC LA THEORIE C/K/E ......................88 5.3.1 E-réactivité ............................................................................................................... 88 5.3.2 K-expansivité ............................................................................................................ 89 5.3.3 C-expansivité ............................................................................................................ 89 5.3.4 La distinction C – K – E........................................................................................... 90 5.3.5 Le couplage C/ K /E ................................................................................................ 90 5.3.6 Assistants CKE......................................................................................................... 90

5.4 REPRESENTATIONS FLUIDES DES CONCEPTS POUR LES APCS ............91 5.4.1 La fluidité des concepts............................................................................................. 91 5.4.2 Inséparabilité du raisonnement et de la représentation ............................................. 92 5.4.3 Parallélisme, interaction et émergence ...................................................................... 92 5.4.4 Sens et fluidité des concepts...................................................................................... 93

ix

CHAPITRE 6. DESIGNAR ; UN ASSISTANT DE CONCEPTION...........95

6.1 DESIGNAR ; UN ASSISTANT DE SYNTHESE ........................................96

6.2 REPRESENTATION DES CONNAISSANCES EN CONCEPTION ..................97

6.3 CONCEPTS FLUIDES ET COMPUTATION EMERGENTE ..........................99 6.3.1 Copycat..................................................................................................................... 99 6.3.2 Système à comportement émergent......................................................................... 102 6.3.3 Emergence et systèmes hybrides ............................................................................. 104

6.4 UNE DESCRIPTION GLOBALE DU SYSTEME DESIGNAR.....................106 6.4.1 Concepts et Connaissances du système ................................................................... 106 6.4.2 Mémoire constructive et ancrage des concepts ........................................................ 107 6.4.3 Distinction C – K – E ............................................................................................. 108 6.4.4 E-réactivité ............................................................................................................. 110 6.4.5 C-expansivité .......................................................................................................... 110 6.4.6 K-expansivité .......................................................................................................... 112 6.4.7 Couplage C/K/E..................................................................................................... 113

CHAPITRE 7. LANGAGE ET INFERENCE ............................................115

7.1 SENS DES LIENS, BUT DE L’INFERENCE ............................................115

7.2 LE LANGAGE ..................................................................................119 7.2.1 Les relations d’héritage et de similarité................................................................... 119 7.2.2 Relation d’héritage pour modéliser les relations qualitatives causales..................... 120 7.2.3 NAL-0 ..................................................................................................................... 121 7.2.4 NAL........................................................................................................................ 124 7.2.5 Relation de similarité dans NAL............................................................................. 127 7.2.6 Termes composés .................................................................................................... 128 7.2.7 La structure interne des termes dans DesigNAR .................................................... 130

7.3 INFERENCE ....................................................................................131 7.3.1 Inférence vers l’avant – la relation d’héritage ......................................................... 131 7.3.2 Inférence vers l’avant – la relation de similarité ..................................................... 135 7.3.3 Choix et inférence vers l’arrière .............................................................................. 138

CHAPITRE 8. MEMOIRE ET CONTROLE .............................................140

8.1 LA STRUCTURE DE MEMOIRE ..........................................................140 8.1.1 Concepts et connaissances....................................................................................... 140 8.1.2 Notion de tâche....................................................................................................... 142 8.1.3 Urgence et durabilité d’une tâche ........................................................................... 143

8.2 ACTIVITE DU DESIGNAR ...............................................................145 8.2.1 Cycle de fonctionnement ......................................................................................... 145 8.2.2 Sensation................................................................................................................. 147 8.2.3 Activation externe et propagation de l’activation ................................................... 149 8.2.4 Sélection et compétition des tâches......................................................................... 152 8.2.5 Activation interne ................................................................................................... 154 8.2.6 DesigNAR et NAR.................................................................................................. 155 8.2.7 DesigNAR, concepts fluides et SCE........................................................................ 156

x

CHAPITRE 9. DESIGNAR; EXEMPLES D’INFERENCE ET DE

SUGGESTION............................................................................................159

9.1 PRESENTATION DU LOGICIEL ..........................................................160 9.1.1 L’interface graphique du DesigNAR........................................................................ 160 9.1.2 Acquisition des connaissances ................................................................................. 163

9.2 INFERENCES ET EVOLUTION DES CONNAISSANCES DU DESIGNAR....165 9.2.1 Exemple d’utilisation du logiciel ............................................................................. 165 9.2.2 La réception de l’information et la mémoire du DesigNAR..................................... 167 9.2.3 Les premiers cycles ; la manque de connaissances................................................... 170 9.2.4 Inférences et graphe de connaissance ...................................................................... 174 9.2.5 Apprentissage et ancrage des connaissances............................................................ 175 9.2.6 Formation de termes composés et C/K/E .............................................................. 179

9.3 SUGGESTIONS.................................................................................183 9.3.1 Inférence en arrière menant à une suggestion inattendue........................................ 183 9.3.2 Suggestions à partir des schémas ............................................................................ 185 9.3.3 Coopération du DesigNAR avec l’utilisateur........................................................... 186

CHAPITRE 10. LE DOMAINE « GATHERING MACHINES » .............190

10.1 BUT DE L’EXPERIMENTATION......................................................190

10.2 LE DOMAINE ...............................................................................191

10.3 PRESENTATION DU MODELE FBS ET LE DESIGNAR AUX SUJETS .192

10.4 LES SPECIFICATIONS DE L’EXPERIMENTATION .............................193 10.4.1 Sujet 1 – se servir de la base de donnée .................................................................. 194 10.4.2 Sujet 2 – partir du même concept........................................................................... 195 10.4.3 Sujet 3 – bactéries et déchets.................................................................................. 197 10.4.4 Sujet 4 – blocage total ............................................................................................ 200 10.4.5 Sujet 5 – concepteurs créatifs, outils qui inspirent .................................................. 200 10.4.6 Discussion ............................................................................................................... 202

CHAPITRE 11. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES ............................206

11.1 PRODUITS PRIMAIRES .................................................................206

11.2 PRODUITS SECONDAIRES .............................................................210

11.3 PRODUITS FUTURS ; LA THEORIE.................................................212 11.3.1 C/K/E et multiples concepteurs ............................................................................. 212 11.3.2 Décision et conception ............................................................................................ 214 11.3.3 Mathématiques et conception.................................................................................. 216 11.3.4 Assistants de conception ......................................................................................... 217

11.4 PRODUIT FUTURS ; LE SYSTEME ..................................................217 11.4.1 DesigNAR et exploitation de structure interne des concepts .................................. 218 11.4.2 DesigNAR et contraintes ........................................................................................ 218 11.4.3 DesigNAR et analyse .............................................................................................. 219 11.4.4 DesigNAR et préférences sur les concepts ............................................................... 220

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................221

Liste des Figures

Figure 1.1 Un résumé C – K de la première partie de la thèse ...............................................10

Figure 1.2 Un résumé C – K de la deuxième partie de la thèse ..............................................11

Figure 2.1 Les coûts dérivés en développement .....................................................................16

Figure 2.2 Facteurs influant le bénéfice des projets de conception .........................................17

Figure 2.3 Les coûts engagés lors de la conception. ................................................................18

Figure 2.4 Les possibilités de réduction des coûts. ..................................................................19

Figure 2.5 L'arbre de conception de Marples...........................................................................22

Figure 2.6 Modèle de triangulation de Lemoigne pour définir un objet.................................23

Figure 2.7 Modèle F-B-S du processus de conception. ............................................................24

Figure 2.8 Le processus de conception, d'après Pahl et Beitz ...............................................26

Figure 3.1 Les espaces C et K, reproduit de Hatchuel et Weil ..............................................37

Figure 3.2 Disjonction sémantique pouvant mener à plusieurs conjonctions sémantiques......40

Figure 3.3 Un aspirateur sans sac ...........................................................................................46

Figure 3.4 Un aspirateur sans sac (continué). .........................................................................47

Figure 3.5. Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes. .....................................48

Figure 3.6. Pierre de la Rosette dont une partie est connue, l’autre à déchiffrer. ..................49

Figure 3.7 Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes (continué). ....................50

Figure 3.8. « Hiéroglyphes » forme-t-il un concept en soi ? ...................................................51

Figure 4.1 Les différents mondes interdépendants pour un agent situé. .................................68

Figure 4.2 Espaces C, K, E d’un agent de conception situé....................................................70

Figure 4.3 Les espaces C, K et E ...........................................................................................71

Figure 5.1 Un assistant personnel de conception collaborant avec le concepteur. ..................82

Figure 6.1 Un concept d’aspirateur exprimé comme un graphe FBS......................................97

Figure 6.2 Une vue partielle du Slipnet de Copycat. ............................................................100

Figure 6.3 Illustration de la mémoire active du Copycat......................................................101

Figure 6.4 Illustration d’un système hybride.........................................................................104

Figure 6.5 Différents agent locaux actifs dans deux contextes (a) et (b) variés. ..................105

Figure 6.6 Une illustration de certains agents locaux du DesigNAR ....................................108

Figure 7.1 Deux schémas FBS décrivant deux aspirateurs ...................................................116

Figure 7.2 Un exemple de graphe de connaissance sur les deux aspirateurs .........................117

Figure 7.3 Règles d’inférences pour la relation d’héritage.....................................................132

Figure 7.4 Formation des termes composés par à partir de deux prémisses. ........................135

Figure 7.5 Règles d’inférences pour la relation de similarité .................................................136

Figure 8.1 Un concept et les connaissances reliées ................................................................141

Figure 8.2 Le cycle de fonctionnement du DesigNAR...........................................................144

Figure 8.3 Propagation de l’activation ..................................................................................150

Figure 8.4 Le graphe de la fonction F pour des valeurs d’urgence variant entre 0 et 1 . .....153

xii

Figure 9.1 DesigNAR et son interface graphique ..................................................................160

Figure 9.2 Le graphe FBS modifié.........................................................................................161

Figure 9.3 Création d’un nouveau schéma de structure ........................................................162

Figure 9.4 Création d’un nouveau concept............................................................................165

Figure 9.5 Les étapes de la création du concept d’aspirateur................................................166

Figure 9.6 Les liens observés ................................................................................................167

Figure 9.7 Le fichier d’output du DesigNAR. .......................................................................168

Figure 9.8 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 1-4 ................................................171

Figure 9.9 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 5-9 ................................................173

Figure 9.10 Illustrations des étapes d’inférences 5, 7 et 8 et l’état du graphe résultant .......175

Figure 9.11 Quelques étapes d’inférences sur le concept Separation_1 ................................176

Figure 9.12 L’évolution du sens du concept Separation_1 ...................................................177

Figure 9.13 Le contenu du concept Separation_1.................................................................178

Figure 9.14 Les deux termes composés crées par DesigNAR.................................................179

Figure 9.15 Formation de termes composés: Une disjonction sémantique ............................180

Figure 9.16 La construction du sens de B : Filtration_1Vacuum_1 ....................................181

Figure 9.17 Le sens du concept B : Filtration_1Vacuum_1 à l’itération 237 .....................182

Figure 9.18 Suggestion de F : Separation_1 par DesigNAR.................................................184

Figure 9.19 Une inférence en arrière menant à une suggestion. ............................................185

Figure 9.20 Suggestion de DesigNAR pour F : Separation ...................................................186

Figure 9.21 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance ..................................187

Figure 9.22 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance (continué) .................188

Figure 9.23 Un deuxième aspirateur......................................................................................189

Figure 10.1 F, B et S principaux pour le domaine Gathering Machines. ..............................191

Figure 10.2 Un concept de ramasseuse de pétrole par le sujet expérimenté. ........................194

Figure 10.3 Le concept élaboré par le premier sujet..............................................................195

Figure 10.4 Le concept élaboré par le deuxième sujet...........................................................196

Figure 10.5 Le concept élaboré par le troisième sujet ...........................................................198

Figure 10.6 Le concept élaboré par le quatrième sujet..........................................................199

Figure 10.7 Le concept élaboré par le cinquième sujet…………………………………………200

Figure 11.1 Le travail de deux concepteurs décrit par le cadre C/K/E................................213

Introduction

2

L’ingénierie, la médecine, l’architecture, la peinture,

ne sont pas concernées par le nécessaire

mais par le contingent

– non pas par la façon dont les choses sont,

mais par la façon dont elles pourraient être

- en bref, par la conception.

Herbert SIMON

Chapitre 1. Introduction

1.1 Introduction

Tout objet créé est aussi conçu. D'une étendue si générale, la conception est

partout; les bijoux, l'électroménager, les bâtiments, les vêtements, les

peintures, les logiciels, les villes, les satellites, les pages web sont tous sujets à

la conception. Mais qu'est-ce que c'est la conception ? Comment est-elle

effectuée l'acte de concevoir ? Sans doute, il peut y avoir autant de réponses

que de pratiques et de domaines différents. Les réponses, sans exception, vont

concerner les caractéristiques propres à l'homme de ne pas se contenter de ce

qu'il a, sa volonté à apprendre et son aptitude de créer des connaissances à

partir de ce qu'il connaît déjà.

Bien que pratiquées depuis les débuts de l'humanité, l'importance (surtout

économique) des activités de conception a commencé à être réalisée qu'à

partir de la deuxième moitié du vingtième siècle. La qualité dans les activités

de conception n'a pas tardé à s'imposer comme une condition de survie pour

toute sorte d'organisation. De différentes disciplines de conception, telles que

l'architecture, l'ingénierie, la planification urbaine, le textile, etc., qui, jusque

là, ont créé et se sont servi de leurs propres paradigmes, ont commencé à

rechercher à s'en affranchir pour rechercher un cadre unique qui permettra de

rendre compte des variétés de situations de conception et de les gérer et de

produire des outils pour faciliter l’acte de concevoir.

3

Dans le cadre de notre travail, nous sommes principalement intéressés par ce

dernier aspect, à savoir, des outils d'aide à la conception. Plus spécifiquement,

nous allons nous intéresser à des outils « informatiques » pour supporter les

phases initiales du processus de conception où l'enjeu est de créer de

nouveaux concepts. Nous parlerons de la conceptualisation ou de la création

de concept.

La littérature sur les outils informatiques d'aide à la conceptualisation est

abondante. Cependant, les principes d'une telle démarche, des interrogations

quant à sa pertinence, ses modalités et ses caractéristiques sont totalement

absents. Une théorie d’outils d’aide à la conceptualisation n’existe pas, bien

que la littérature témoigne des centaines de propositions d’outils. En

particulier, la question suivante, d'une importance capitale, n'a pas attiré

l'attention des chercheurs qui travaillent dans ce domaine : quels sont les

caractéristiques qu’un outil de conceptualisation peut ou doit avoir ?

Signalons d’or et déjà que la phase de création de concept est

particulièrement difficile à aider par des moyens informatiques. L’impact

économique et social d’un produit est largement déterminé durant la

conceptualisation. Pendant cette phase, il est explicitement recherché à faire

du nouveau, à produire une connaissance qui n’existait pas. Pour cette raison

même, c’est un processus ouvert aux surprises, qui nécessite l’utilisation des

connaissances multiples et variées.

Dans ces conditions, il serait inopiné d’espérer qu’un outil informatique puisse

accomplir des résultats émerveillant, quelque soit le domaine et dans

n’importe quel projet. Cependant, pour ces mêmes raisons, il faut continuer à

explorer comment mieux supporter cette activité. Selon nous, ceci n’est

possible que par l’élaboration d’un cadre théorique quant à la nature et aux

caractéristiques des outils d’aide à la conceptualisation. Ce cadre doit fournir

un fondement théorique pour les outils en question ; il doit offrir un ensemble

de principes directeurs pour leur construction et permettre leur analyse et

leur validation et même l’évaluation de leur impact.

4

L’absence d’une telle théorie d’outil est liée en grande partie à l'absence

d'une théorie de conception universellement reconnue qui peut fournir le

fondement théorique souhaité. Les théories les plus influentes et qui ont été

exploitées dans des systèmes informatiques pour l'aide à la conception datent

de plus de trente ans, et par conséquent, elles manquent à rendre compte de

notre connaissance actuelle des processus de conception. Aussi, sont-elles

empruntées à d’autres domaines telles que l’intelligence artificielle et

l’optimisation. Des théories plus récentes existent, ainsi que des modèles

associés, mais ceux-ci ne se prêtent pas à la construction d’un cadre général

puisqu'ils ont été créés par des soucis locaux relevant d'un seul domaine ou

même d'un seul problème. Pour ces raisons, ces théories et modèles ne sont

pas appropriés pour dégager les principes à respecter dans la construction

d’outils informatiques d'aide à la conceptualisation.

Incontournablement, le cadre théorique recherché sera lié à une théorie de

conception qui prend en compte la nature du raisonnement des concepteurs.

Dans ce projet de thèse, pour un premier pas dans l’élaboration d’un

fondement théorique pour les outils d’aide à la conceptualisation, nous

reprenons et étudions la théorie C – K. Celle-ci est une théorie décrivant le

type de raisonnement que nous rencontrons dans les activités de conception.

C’est une théorie fondée aussi bien sur des observations empiriques des

pratiques de conception que sur des démarches formelles. Elle se base sur la

distinction entre deux espaces ; l’espace C des concepts et l’espace K des

connaissances. Cette théorie permet de rendre compte de la genèse des

concepts et de leur évolution en définissant la conception comme la co-

évolution des espaces C et K. Elle permet d'expliquer comment il est possible

de faire l'inconnu avec du connu, c'est-à-dire, des processus menant à la

créativité et à l'apprentissage dans la conception. Un accent particulier est

mis sur la création des concepts, cette phase étant la plus critique pour le

succès d’un processus de conception. Compte tenu de ces caractéristiques,

l’étude et l’analyse de la théorie C – K peut procurer un fondement théorique

pour les outils informatiques d’aide à la conceptualisation. Par le même biais,

il deviendrait possible pour nous de contribuer au développement de cette

théorie.

5

Nous sommes désormais prêts à énoncer les questions de recherche de notre

travail.

• Quelles sont les pistes de développement potentielles pour la théorie C

– K, en particulier, vis-à-vis de son utilisation comme fondement

théorique pour les outils d’aide à la conceptualisation?

• La théorie C – K permet-elle de cerner les principes à respecter pour

une démarche informatique d'aide à la conceptualisation ? Quels

principes permettront de bâtir un outil informatique supportant l'acte

de conceptualisation ? Comment sont-ils reliés à la théorie C – K ?

• Est-il possible d’opérationnaliser ces principes sous forme d’un outil

informatique ? Par quelles approches?

Comme nous pouvons le constater avec le plan de ce document, le texte est

structuré autour de ces trois groupes de questions. D’abord, nous allons

analyser la théorie C – K et nous allons proposer une extension, la théorie

C/K/E qui prend en compte l’environnement du concepteur. Un concept

d’assistant personnel de conception sera alors introduit et sa relation avec le

cadre C/K/E sera discutée. Finalement, DesigNAR, un outil basé sur cette

notion et le cadre théorique proposé sera présenté.

1.2 Approche méthodologique

1.2.1 Démarche générale

Dans notre travail, nous adoptons une perspective cognitive. Cette

perspective s'impose puisque nos questions de recherches sont toutes liées au

raisonnement de conception, et donc aux mécanismes cognitives utilisés lors

de cet acte. Dans une première partie, la théorie C – K est analysée sous

cette perspective cognitive par une « méthode interprétative qualitative. »

Dans une deuxième partie, nous adoptons comme méthode la

« modélisation » dans une perspective de validation par une implémentation

informatique. Les enseignements que nous dégageons de notre analyse seront

utilisés comme base pour proposer un modèle informatique compatible avec la

théorie C – K et bâtir et tester l’outil correspondant.

6

1.2.2 Niveau de l'étude

L'organisation et la conduite d'un processus de conception peuvent être

étudiées à plusieurs niveaux. Pour notre part, nous nous plaçons à un niveau

individuel, par contraste à un niveau collectif ou organisationnel. Ce choix se

justifie par le fait que nous sommes intéressé aux mécanismes générant le

processus de raisonnement dans la conception pour nous en inspirer dans le

but de proposer des outils informatiques capables, dans la mesure du possible,

de simuler ce processus ou de l’assister.

1.2.3 Quelle perspective d’aide à la conception ?

Nous nous plaçons dans une optique constructiviste d'aide à la conception.

Dans cette optique, l'aide prend la forme d'une « assistance » dans la

construction d'une « représentation externe d'un concept de produit », en

utilisant des démarches « qui se veulent scientifiques ». Dans notre cas, cette

assistance utilise un modèle formel et son implantation informatique.

1.3 Plan et résultats

A part les chapitres d’introduction et de conclusion, le document est composé

de deux parties distinctes. La partie Théorie (chapitres 2 – 5) concernent la

littérature sur la théorie et les outils de conception en générale et la théorie C

– K, en particulier. La partie Système (chapitres 6 – 10) est consacrée à la

présentation du DesigNAR, l’outil informatique proposé. Un dernier chapitre

est réservé aux conclusions et aux perspectives de recherches.

Dans le chapitre 2, pour donner une première compréhension du processus de

conception, nous présentons quelques modèles, théories et caractéristiques à

propos des activités de conception qui ont marqué la littérature.

Dans le chapitre 3, la théorie C – K est présentée et analysée. Deux exemples

détaillés, la conception d’un aspirateur sans sac par Dyson et le déchiffrement

des hiéroglyphes par Champollion, sont construits pour illustrer les notions de

la théorie et discuter les possibles pistes de développement. Les questions que

nous dresserons à la fin de ce chapitre nous serviront de direction pour

développer ces notions dans le chapitre suivant. En particulier, il est signalé

7

que la théorie ne prend pas en compte la relation du concepteur avec son

environnement.

Dans le chapitre 4, la théorie C/K/E, une extension de la théorie C – K

qui prend en compte l’environnement E du concepteur, sera élaborée. Nous

commençons par une synthèse de la littérature sur la relation du concepteur

avec son environnement. Nous avançons que la théorie C – K ne peut former

une base pour un outil informatique d’aide à la conceptualisation que si un

espace E de l’environnement est introduit dans la théorie. Nous suggérons

que, la théorie C – K étant dans son essence une théorie de raisonnement, la

littérature sur la Cognition Située peut être utilisées à cette fin. D’abord, les

idées et les notions de base de la littérature sur la Cognition Située sont

présentées. Ensuite, nous les utilisons pour bâtir la théorie C/K/E.

Dans le chapitre 5, nous commençons par une revue de la littérature sur les

outils informatiques d’aide à la conception, en général, et des outils d’aide à

la conceptualisation, en particulier. Nous verrons alors que, pour ces derniers,

les propositions existantes exploitent des modèles ou des théories empruntées

à d’autres disciplines tels que l’intelligence artificielle ou l’optimisation. Par

ailleurs, les propositions ne tiennent pas compte de la nature située des

concepteurs, c'est-à-dire, leurs relations avec l’environnement. Pour créer des

outils qui tirent partie de cette nature située, nous proposons la

notion d’assistant personnel de conception (APC). Un APC est un agent de

conception situé qui aide son utilisateur par des suggestions. Son but est

essentiellement d’enrichir la conversation du concepteur avec

l’environnement, de faciliter ainsi le travail et de provoquer la créativité.

Nous discutons les propriétés essentielles qu’un APC peut avoir. Pour

contribuer à l’élaboration d’un fondement théorique pour les outils d’aide à

la conceptualisation en général, et les APCs en particulier, nous faisons un

premier pas en proposant un ensemble de propriétés pour les APCs basées

sur la théorie C/K/E. Un APC respectant ces propriétés est appelé un

assistant C/K/E. Finalement, nous allons proposer qu’un APC peut utiliser

les représentations de concept fluides pour une implantation informatique

compatible avec la théorie C/K/E.

8

A partir du chapitre 6, nous présenterons un assistant C/K/E, DesigNAR.

C’est un système d’aide à la conceptualisation compatible avec la théorie

C/K/E. DesigNAR permet à l’utilisateur d’élaborer une représentation

symbolique d’un concept de produit et une base de donnée pour les symboles

utilisés. En observant le travail de l’utilisateur, il apprend et il fait des

suggestions. Nous commençons le chapitre en présentant quelques décisions

de conception. L’assistant que nous proposons est un assistant de synthèse

(par contraste à l’analyse ou à l’évaluation) comme la synthèse de concepts

est le point central de la théorie C – K et de sa version C/K/E. L’assistant

utilise des graphes FBS où figurent des concepts de fonctions de

comportements, de structures et leurs relations. Une discussion des principes

pour appliquer une approche des concepts fluides sur une telle représentation

qui serait compatible avec la théorie C/K/E fait apparaître que le système

doit être un système hybride (à caractère symbolique et connexionniste) à

comportement émergent. Après avoir exposé ces décisions de conception de

notre système, nous donnons une description globale du système en termes

des propriétés C/K/E énoncées dans le chapitre 5.

Les chapitres 7 et 8 décrivent les aspects formels et informatiques du

DesigNAR. Durant le chapitre 7, le langage du DesigNAR, qui consiste en

une logique de termes, NAL, sera présenté. NAL permet de représenter la

relation entre des concepts par des relations d’héritage ce qui rend possible de

préserver la nature hiérarchique de l’information contenue dans les graphes

FBS. Il offre aussi plusieurs règles d’inférences permettant le raisonnement

sur les concepts et sur leurs relations les uns avec les autres. Après avoir

décrit la nature de la représentation et le type d’inférence dont nous avons

besoin, nous présentons la logique de termes NAL.

Dans le chapitre 8, le mécanisme de control du DesigNAR et la structure de

sa mémoire seront présentés. Le mécanisme applique des principes de contrôle

proposés par l’approche des concepts fluides (présentés dans les chapitres 5 et

6). DesigNAR est non-déterministe et il est géré par un mécanisme

d’activation. Les concepts que DesigNAR connaît ont des activations externes

qui proviennent de l’environnement et des activations internes qui

9

proviennent de l’inférence. Les concepts à considérer, les relations (entre les

concepts) à étudier, les règles d’inférence à utiliser sont sélectionnés

aléatoirement sur la base de ces valeurs d’activations (et certains autres

paramètres). La propagation de l’activation externe qui donne la nature

connexionniste au système permet de simuler une mémoire constructiviste. Le

mécanisme d’inférence permet au système d’ancrer ses concepts les uns sur les

autres et de construire un sens pour ceux-ci. Par son activité d’inférence et

par son interaction avec l’environnement DesigNAR mène des processus de

conceptualisation continuels pour les concepts qu’il a observés ou qu’il a

créés, suivant les principes énoncés dans le chapitre 5.

Dans le chapitre 9, nous présentons le logiciel DesigNAR et nous illustrons

son fonctionnement par des exemples. Après avoir décrit l’interface,

l’utilisation du logiciel est brièvement expliquée. Ensuite, des exemples sur les

inférences, sur la construction de sens pour un concept et son ancrage, sur la

formation de termes composés sont présentés. La coopération du système

avec son utilisateur et ses suggestions sont discutées.

Dans le chapitre 10, nous décrivons une expérimentation que nous avons

conduite à l’aide des enseignants-chercheurs de la Faculté de Génie

Mécanique de l’Université Technique d’Istanbul. Le but de cette

expérimentation était une première confrontation du DesigNAR avec des

utilisateurs et d’avoir une première idée de la pertinence du cadre élaboré et

de la viabilité de la notion d’un assistant de conception. Un domaine

d’expérimentation, Gathering Machines, a été construit à l’aide d’un sujet

expérimenté ce qui a permis DesigNAR d’apprendre certains concepts

relevant de ce domaine. Ensuite, il a été demandé à d’autres sujets de

construire des concepts de produits dans le domaine en question. En général,

les utilisateurs ont été capables de travailler avec DesigNAR et ils ont

exploité ses suggestions. Dans certains cas, cette coopération a provoqué des

effets de créativité chez les concepteurs mais aussi d’autres effets imprévus.

Dans le dernier chapitre, nous récapitulons le travail réalisé par rapport aux

questions de recherche posées et les perspectives de recherches dégagées.

10

Figure 1.1 Un résumé C – K de la première partie de la thèse

Il est possible de récapituler schématiquement les concepts que nous

introduisons dans notre thèse par références aux espaces de la théorie C – K ;

Figure 1.1 et Figure 1.2. La connaissance de la théorie va certainement

faciliter l’interprétation de ces figures ; cependant, ce n’est pas un prérequis,

11

Figure 1.2 Un résumé C – K de la deuxième partie de la thèse

comme il suffit de suivre les flèches du schéma pour suivre le déroulement du

document, les concepts proposés par notre travail et les connaissances

utilisées ou créées.

12

Partie I

- Théorie -

13

Si j'ai vu plus loin que les autres, c'est parce que

j'étais assis sur les épaules des géants

Isaac NEWTON

Chapitre 2. La conception

2.1 Terminologie

Comme remarqué par Love (2000), la multiplicité de concepts dans la

littérature sur la conception et la diversité des significations qui leurs sont

attribuées peuvent devenir une source de confusion. Il serait donc utile de

clarifier la terminologie que nous employons. Une multitude de définition du

processus de conception existe dans la littérature (cf. Perrin (2001),

Evbuomwan et al. (1996) pour des revues). Nous adaptons la définition

générale suivante pour le processus de conception basé sur le noyau commun

de ces définitions :

« Le processus de conception est un ensemble d'activités et de processus qui

commencent par la réalisation des besoins et une intention de proposer une

solution répondant à ces besoins où le problème initial (et l'idée de solution

associée) est continuellement transformé, raffiné et détaillé en créant et/ou

utilisant des connaissances pour fournir les informations nécessaires pour

l'implémentation de cette solution. »

Ici, une solution peut être un produit, un service ou un processus ; une entité

plus ou moins concrète : une voiture, un bâtiment, un processus chimique, un

logiciel, un programme, etc... La conception est une activité où la personne

qui l'entreprend (le concepteur) doit élaborer une description d'une solution à

partir d'une description de problème initiale en employant ses capacités

(mentales ou physiques). Une conception est une description (représentation

externe) « achevée » (prête pour l'implémentation). Un concept est une

14

représentation (interne ou externe) de solution incomplète où le niveau de

détail (ou d'abstraction) peut varier. D'un point de vue général, nous

admettons qu'une description peut être vue comme ensemble de propriétés

(ou d'éléments) et de relations entre ces propriétés. Nous employons

également le terme « artéfact » pour parler d'une représentation externe de

ce qui est en train d'être conçu.

2.2 L'importance des activités de conception

2.2.1 Importance économique des activités de conception

De nos jours, plus que jamais, la compétitivité est une condition de survie et

de croissance pour les entreprises, et donc, elle constitue un souci

incontournable et omniprésent pour celles-ci. Ainsi, durant les années 70,

lorsque les entreprises anglaises ont constaté une chute importante dans leurs

exportations, tout comme les entreprises américaines dont les industries ont

reconnu un déclin dans les années 80, ils ont du s'interroger sur les raisons de

cette baisse de compétitivité et de pertes de part de marché (Perrin 2001).

Plusieurs hypothèses avancées telles que la non-compétitivité des prix, les

pertes de productivité, la manque d'habileté dans les relations industrielles

ont été rejetées au profit de mauvaises performances dans les activités de

conception (Perrin 2001). Une étude menée par une centaine de chercheurs, à

Massachusetts Institute of Technology a montré que, bien qu'ils soient encore

les plus forts en matière de recherche fondamentale, les entreprises

américaines ont du mal à transformer ses inventions en produits (Dertouzos

et al. 1990; Perrin 2001). En Grande Bretagne, le Corfield Report a avancé

des arguments allant dans le même sens (Perrin 2001) : la baisse de

performance des entreprises anglaises provenait de la qualité du travail

fournie et non de la quantité ou le volume des outputs finaux ; le problème

était dans la valeur ajoutée aux matières premières ; cette valeur ajoutée est

déterminée plus par la qualité de conception et par la manière dont celle-ci

est mise en oeuvre pour prendre en compte les besoins des consommateurs

que par d'autres facteurs (Perrin 2001).

15

2.2.2 Le Triptyque Qualité-Coût-Délais

En effet, le consommateur de nos jours est le plus exigeant qui fût : il

demande une très grande variété de produits et de services, avec la plus

grande qualité, au prix le plus bas et le plus vite possible. Dans ces

conditions, le triptyque Qualité-Coût-Délais a gagné en importance et est

devenu prédominant (Ciavaldini 1996):

L'importance de la qualité

Le vingtième siècle fût marqué, pour les entreprises, par la devise

« rationalisation des systèmes de production ». Beaucoup d'efforts ont été

consacrés dans cette voie autour du vocable « qualité », surtout à partir de

la deuxième moitié du siècle : Kanban, juste à temps, les cercles de qualités,

la qualité totale, etc. Sur ce plan, un point de saturation est atteint dans la

mesure où les entreprises ont excellé dans la pratique de mesures des qualités

(Ciavaldini 1996). Alors, l'attention s'est tournée progressivement vers les

activités de conception où restaient encore des espaces de progrès non

explorés et où la plus grande partie des coûts et des délais était déterminée

(Ciavaldini 1996) : « Nous avons déjà dépassé un jalon, celui de la qualité :

sur ce point, nos modèles sont comparables aux meilleures voitures

allemandes ou japonaises (...) Cependant, il ne faut pas dormir sur ces

lauriers (...) il faut, de plus, redoubler d'énergie dans l'offensive engagée

contre les délais et les coûts , où la bataille est loin d'être gagnée. » [Savoye,

Directeur du Projet Laguna, Collection R&D, no. 13, dans Ciavaldini (1996)].

Importance des Délais

Stalk et Hout (1993) revendiquent que l'avantage gagné par la réactivité

emporte sur tout autre sorte d'avantage. Donc, le chrono-competition (la

compétition par le temps) est la variable stratégique majeure (Navarre

1993) : « le raccourcissement du cycle de développement est un outil

qu'aucune entreprise ne peut se permettre d'ignorer si elle veut rester viable »

(Reinertsen 1983). L'exemple de compétition entre Honda et Yamaha est

illustratif à cet égard (Perrin 2001): Quand en 1981, Yamaha déclara la

guerre à Honda pour déloger cette firme de sa position de leader sur le

marché de la moto, Honda utilisa comme principale arme de défense

l'augmentation du nombre de ses nouveaux modèles.

16

Figure 2.1 Les coûts dérivés en développement Seifert et Steiner (1995) dans Ciavaldini

(1996)

Au début du conflit, Honda avait 60 modèles de moto sur ses lignes de

productions : après 18 mois, cette firme avait introduit ou remplacé 113

modèles. Yamaha qui avait également 60 modèles, ne fut capable de gérer

que 17 changements de modèles durant ces 18 mois. A cotés des Honda les

Yamaha paraissaient vieilles, démodées. Yamaha se retrouva avec un an de

stock chez les revendeurs et dût se rendre (Stalk et Hout 1993).

Nous voyons donc que les délais de conception sont parmi les coûts les plus

pénalisants. D'après Garel (1994), non seulement développer rapidement a ses

avantages (augmentation de la durée de vie des ventes, de la part de marché,

des marges, etc.), mais, a contrario, un développement lent a les

inconvénients des plus graves : perte de part de marché, de rentabilité de

R&D, ruine de l'image commerciale, etc.). Seifert et Steiner (1995) et

Reinertsen (1983) apportent des arguments dans le même sens que Garel

(1994). Nous constatons, par exemple, que si les coûts de production sont

10% plus élevés que prévu, la diminution des gains totaux d'un projet est de

4%, par contre si la production commence 6 mois en retard, on a un perte de

gain totaux de 30%. [Seifert et Steiner (1995) après une étude sur plus de 600

entreprises productives internationales]. A son tour, Reinertsen (1983) donne

les évaluations suivantes dans le cadre d'une étude sur le développement

d'imprimante laser :

17

Figure 2.2 Facteurs influant le bénéfice des projets de conception, Reinertsen (1983) dans

Ciavaldini (1996)

Coûts engagés et coûts effectifs des activités de conception

Les activités de conception sont déterminantes des coûts à deux titres. D'une

part, ces activités ont leurs propres coûts, d'autre part, et beaucoup plus

important encore, c'est pendant ces activités que la plus grande partie des

coûts d'un projet de développement est engagée suite aux décisions prises.

Ainsi, par exemple, « General Motors déclare que 70 % des coûts de

fabrication des transmissions de camion sont déterminés durant la

conception. Rolls-Royce a révélé que les activités de conception déterminent

80 % des coûts finaux de 2000 composants des produits fabriqués par cette

entreprise » Corbett (1986) dans Perrin (2001)).

Aussi, au fur et à mesure que le projet avance, les possibilités d'agir sur les

coûts du projet se réduisent. D'un côté, la réduction des coûts possibles

devient moins évidente, de l'autre côté, les coûts des modifications

s’alourdissent, avec l'avancement du projet. En fait, les grandes orientations

d'un projet sont fixées au début, et les phases ultérieures sont consacrées à

élaborer les détails de ces orientations qui donnent les traits essentiels. Ainsi,

pour donner un exemple caricaturale, c'est au départ qu'il est décidé si « une

voiture sympa » est « une petite voiture pas chère avec un look mignon » ou

bien c'est « une voiture rapide et luxueuse ». Une fois cette décision prise, les

concepteurs vont avancer en déterminant en fonction de leur ressources et

disponibilités (budget, connaissances, contrats internes/externes, délais) ce

que va être le produit final.

18

Figure 2.3 Les coûts engagés lors de la conception; d'après Perrin (2001).

A l'évidence, revenir sur cette décision initiale, pour la modifier, sera d'autant

plus coûteux à la fin des activités de conception qu'au départ, comme le

travail déjà effectué, disons, pour la petite voiture pas chère, ne pourra pas

contribuer aux nouvelles orientations une voiture rapide et luxueuse, du fait

de changement majeur dans les traits essentiels du produit. La réduction des

coûts possibles aussi est en grande partie déterminée par les décisions prises

au départ.

Dans ces conditions, augmenter sa part de marché devient équivalent à lancer

un modèle avant les concurrents et vendre le plus possible jusqu'à ce que les

équilibres de marché s'établissent et que les prix baissent (Perrin 2001,

Ciavaldini 1996). A cet égard, raccourcir le temps de transition de la

recherche au développement, afin de réduire les délais, devient une des

préoccupations principales des entreprises. D'où l'importance et la nécessité

de construire des outils et démarches pour aider à la conception.

2.3 Modèles du processus de conception

Compte tenu de l'impact économique des activités de conception, le besoin de

« rationaliser » ces processus s’est progressivement imposé dans les

communautés professionnelles depuis la deuxième partie du vingtième siècle.

19

Figure 2.4 Les possibilités de réduction des coûts; d'après Perrin (2001).

Parallèlement, au sein de la communauté scientifique, les théories et les

méthodologies de conception pour mieux comprendre et gérer ces activités se

sont multipliées. Bien que leurs importances aient commencé à être reconnue

de plus en plus durant les années 80, les travaux de recherche relevant des

activités de conception remontent plus loin, vers les années 60. Comme il est

dans la nature des choses, certaines des modèles, des lignes d'idées, des

théories se sont avérées plus influents que d'autres. Dans la suite, nous allons

présenter certaines modèles classiques, sur lesquelles ont été bâties bien des

recherches, pour donner une première compréhension de ce que c'est la

conception et afin de fonder de bases nécessaires pour mieux appréhender la

théorie C – K.

2.3.1 Le modèle Analyse-Synthèse-Évaluation

Le modèle Analyse-Synthèse-Évaluation (ASE) à trois étapes est dû à

Asimow (1962). L'étape « Analyse » consiste à la clarification et au

recensement des objectifs, à la formulation du projet de conception en termes

précis et neutres. Il est sous-entendu par « termes précis » et « neutres »

une formulation du projet de conception par des spécifications de

performance d'une manière qui ne fait intervenir, a priori, aucune idée de

solution. Dans l'étape « Synthèse », des solutions partielles sont trouvées

20

pour chacune des spécifications de performances, pour ensuite combiner les

solutions partielles compatibles entre elles pour proposer de diverses

conceptions. A la dernière étape, une « Évaluation » de ces propositions est

faite, afin de choisir celles qui sont convenables. Le cycle peut ensuite être

répété pour réexaminer ou améliorer les solutions trouvées. Dans ce cas,

chaque cycle apporte plus de précision sur la solution que les précédents.

Le modèle décrit le processus de conception à un niveau d’abstraction élevé.

Par ailleurs, certains éléments fondamentaux ne sont pas représenté : les

concepts en cours d’élaboration, les connaissances utilisés, les concepteurs.

Cependant, les idées sous-jacentes ont leurs marques dans la littérature et

contiennent certainement une part de vérité de ce que les concepteurs font

dans la réalité. Parallèlement, le modèle a servi de base à la création de

plusieurs modèles et instruments d'aide à la conception (Coyne et al. 1990).

Tel que nous l'avons décrit, le modèle omet le fait que ces trois étapes ne sont

jamais sans interactions et complètement disjointes. Par exemple, la synthèse

peut éclairer des éléments qu'il faut reprendre en compte dans la phase

Analyse.

Remarquons, en dernier, que le modèle semble être proche du fameux modèle

Renseignement-Conception-Choix de Simon (1955). Ainsi, dans l'étape

Analyse, le concepteur se renseigne sur la situation problématique et les

possibilités qui s'ouvrent devant lui ; en suite, tenant compte du résultat de

cette étape, il conçoit des alternatives, par une Synthèse. Les concepts ainsi

crée sont évalués pour choisir le plus prometteur.

2.3.2 Les trois logiques d’actions: Convergence-Transformation-Divergence

Jones (1970) propose un modèle tout à fait proche à ASE, en reformulant les

trois étapes d'une autre manière : Divergence, Transformation, Convergence

(DTC) :

• Divergence : On tente de « forcer » les frontières de la situation de

conception pour élargir l'espace des recherches de solutions.

• Transformation : On construit, à partir des résultats de la logique de

divergence, une structure, un modèle, une solution, d'une manière la

plus astucieuse et créative possible.

21

• Convergence : L'incertitude due à la multiplicité des solutions possibles

est réduite en évaluant celles-ci afin de sélectionner la solution la plus

satisfaisante.

Nous remarquons immédiatement une similarité entre les étapes respectifs de

DTC et ASE. Cependant, posé de cette manière, de nouvelles nuances

apparaissent. Nous voyons cette fois-ci, que dans l'étape Analyse, il y a une

certaine tentative de se diverger pour rechercher de nouvelles perspectives

pour poser le problème de conception. Dans le modèle DTC, nous voyons

donc plus explicitement l'intérêt de ne pas penser au projet de conception

comme unique et objectivement défini. Aussi, le mot divergence fait penser

immédiatement à une recherche d’inspiration, sinon d'information, qui

permettra, durant la phase transformation, de construire d'une manière la

plus créative possible des solutions pouvant répondre au projet de conception.

Le modèle DTC étant similaire au modèle ASE, ses points faibles se

ressemblent. Le modèle DTC n'indique pas « comment » ces étapes sont

conduites et de quelles manières elles sont reliées. Il se place à un niveau très

général et ne rend pas compte de la relation entre les étapes proposées.

2.3.3 L'arbre de conception de Marples

Marples (1960) a proposé un modèle du processus de conception à partir des

études de cas en conception. Ses observations le mènent à représenter le

processus de conception par un « arbre » où la racine correspond aux

spécifications initiales. Ensuite, le projet de conception est décomposé en

sous-projets. Pour chaque sous-projet il peut y avoir plusieurs alternatives.

Alors les concepteurs font des choix à chaque noeud quant aux sous-projets

qu’ils vont utiliser pour mener à bien le projet de conception. L'ensemble des

sous-projets finalement retenus forme ensemble la solution retenue. Cette

façon de procéder peut être représentée par un arbre sur laquelle les décisions

prises ainsi que les alternatives considérées apparaissent. Dans ce modèle,

nous voyons apparaître une « hiérarchie » de projets de conception. Aussi,

pouvons-nous localiser les moments où les décisions sont prises. Cependant,

une lacune que nous pourrions reprocher à ce modèle concerne la non-

visibilité des interrelations entre différents sous-projets.

22

Figure 2.5 L'arbre de conception de Marples.

Plus spécifiquement, les contraintes qu’un sous-projet imposent sur un autre.

Par exemple, lors de la conception d’une voiture, les décisions de conception

prises pour le moteur vont irrémédiablement avoir des implications sur le

châssis et vice versa.

Le modèle pourra être exploité pour enregistrer l'historique du processus de

conception et le raisonnement suivi durant le processus en termes des

problèmes considérés, des solutions proposées et des décisions prises.

2.3.4 Le modèle FBS de Gero

Dans son travail sur la théorie générale de système, Lemoigne (1977)

remarque que n'importe quel objet peut être défini comme une triangulation

de trois pôles ; Figure 2.7. A part le pôle ontologique qui énonce ce que

l'objet est, il y a le pôle fonctionnel qui énonce ce que fait l'objet et le pôle

génétique qui énonce ce que sera l'objet ou comment il va évoluer.

23

Figure 2.6 Modèle de triangulation de Lemoigne (1977) pour définir un objet

Gero (1990) a proposé un schéma de représentation quelque peu semblable

pour représenter des concepts. Selon ce schéma, des concepts peuvent être

décrits en utilisant trois groupes de variables : F, la fonction (le téléologie de

l'objet, pour quoi l'objet est fait), S, la structure (de quoi l'objet est fait), B,

le comportement (comment se comporte l'objet ou quelles sont ses

performances). Les variables de structure incluent des composants, des

attributs de ces composants et des relations entre ceux-ci.

Considérant la similarité entre le modèle de Lemoigne et le modèle de Gero,

nous pouvons constater que le schéma proposé par Gero revient en son

essence à considérer un concept comme un système. Il est acclamé que le

schéma FBS est suffisamment général pour représenter toute sorte d'objets,

même des agents (Gero et Kannengiesser 2002). Dans les chapitres

ultérieurs, nous verrons que le système que nous proposons fait usage de ce

schéma de représentations pour les concepts.

Basé sur le schéma de représentation de FBS, Gero (1990) propose un modèle

du processus de conception ; Figure 2.7. Selon ce modèle, la conception est la

production d'une description D d'une structure S qui accomplira un ensemble

de fonctions F en exhibant un ensemble de comportements B.

24

Figure 2.7 Modèle F-B-S du processus de conception.

Dans un processus de conception, F, B et S sont liés par certains processus.

Les concepteurs formulent des comportements ciblés qui vont implémenter ou

réaliser les spécifications fonctionnelles (processus 1). Puis, ils essayent de

synthétiser une structure qui est supposée exhiber ce comportement ciblé

(processus 2). L'analyse est effectuée pour dériver le comportement actuel de

la représentation structurale (processus 3). Les comportements ciblés et

dérivés sont alors comparés pour évaluer le concept (processus 4). Cette

évaluation peut mener à une reformulation de S, de Be ou de F (processus 5,

6, 7, respectivement). Si la représentation du concept est jugée satisfaisante,

une description D de celle-ci est produite.

Ce modèle peut être interprété sur la base du modèle ASE ; le concepteur

analyse le projet de conception et formule des fonctions que l’artefact doit

remplir pour répondre au besoin. A partir de ces fonctions, les

comportements que l’artefact doit exhiber pour réaliser ces fonctions vont

être formulés (e.g. « B : taux de transmission lumière de t unité»). Puis, il

procède à une synthèse pour obtenir des solutions (e.g. « S : vitre de

dimension de XxY ». Les structures ainsi obtenues vont être évaluées pour

continuer le processus. Dans le cas où celle-ci est satisfaisante le processus

25

s’arrête, sinon une reformulation de structure ou de comportements ciblés ou

de fonctions est nécessaire. Cependant, le modèle FBS donne un compte

rendu plus riche du processus en distinguant la fonction, les comportements

et la structure d'un objet de conception. Cette distinction est importante

puisque les travaux empiriques mettent en évidence que les concepteurs

distinguent en effet entre ces caractéristiques d'un objet à concevoir (Suwa et

al. 1999, Bilda 2003). En outre, en posant cette distinction, des nuances

apparaissent, telles que la reformulation du problème peut se produire à

plusieurs niveaux.

2.3.5 Le modèle de Pahl et Beitz

Pahl et Beitz (1984) ont proposé une synthèse de l'approche allemande en

ingénierie mécanique. La méthodologie proposée se base sur un modèle du

processus de conception illustré par la Figure 2.8. La phase de création de

concept se réfère, dans ce modèle, à une étude de l'espace de fonctions et de

sous-fonctions. Un ensemble de fonctions est construit à ce stade,

traditionnellement, à partir d'une analyse fonctionnelle (e.g., en combinant de

différentes fonctionnalités à partir d’un catalogue de fonctions). La

conception morphologique fait intervenir le choix de formes et des dimensions

de l'objet à concevoir. Conception en détail consiste à déterminer les

paramètres de l'objet d'une manière détaillée, permettant de préparer des

documents nécessaires pour l'achat de matériel ou de fabrication de l'objet.

Le travail de Pahl et Beitz a été diffusé très largement et la méthodologie et

les outils qu’ils ont proposé autour de ce modèle ont eu un vaste impact tant

dans la recherche en conception que dans la formation des ingénieurs autour

du monde. Plusieurs modèles dérivés de leurs résultats ont été proposé et

appliqué (Perrin 2001). En réalité, ce travail a tellement façonné la

compréhension et la pratique de l’activité de conception qu’il a causé une

stagnation ! En présence d’une méthodologie, qui marchait, apparemment,

très bien, il devenait difficile de proposer des alternatives et les propositions

tendaient à raffiner la méthodologie existante. Ceci a entraîné un découpage

du processus très décisifs, parallèlement aux phases suggérées par le modèle,

où les solutions partielles préfabriquées existaient pour chaque phase et le

travail de conception consistait à leur combinaisons et ajustements.

26

Figure 2.8 Le processus de conception, d'après Pahl et Beitz (1984)

Cette manière de conduire le processus est très efficace, cependant, elle limite

la possibilité d’introduire du nouveau dans le processus.

2.4 Métaphores pour décrire la conception

Comme pour tant d’autres domaines, initialement, la recherche en conception

s’est appuyée sur d’autres domaines pour construire ses propres modèles et

théories. En ce qui concerne le raisonnement dans la conception, plusieurs

métaphores ont été utilisées. Nous en allons exposer quelques uns pour

familiariser le lecteur avec les idées principales et enracinées du domaine.

2.4.1 Conception et résolution des problèmes

Simon (1969) présente le processus de conception comme un processus de

« résolution des problèmes ». La résolution des problèmes est décrite comme

une recherche dans un espace d'états fixés au départ (Newell et Simon 1963,

1972). Dans ces travaux Newell et Simon présente un programme nommé

27

GPS, General Problem Solver. Le programme, partant d'un état initial,

recherche à atteindre un état final désiré. Il procède par estimer, à chaque

pas, la distance entre son état actuel et l'état final désiré et choisit l'opérateur

qui réduira la plus cette distance. La résolution des problèmes peut être vue

comme l'exploration d’un labyrinthe. Le but est d'atteindre une certaine

destination ; un objectif. Les croisements des passages forment les différents

états atteignables. Il s'agit de choisir des passages l'un après l'autre pour

atteindre de nouveaux croisements jusqu'à atteindre la sortie. Cette façon de

procéder, appelé souvent « recherche » (search) dans la littérature de

l'intelligence artificielle (IA), a influencé un très grand nombre de systèmes de

résolution de problèmes automatiques depuis son introduction.

La résolution des problèmes est une des métaphores les plus utilisées pour

décrire l'activité de conception. Cependant, les limites de cette métaphore

sont bien connues aujourd'hui tant en IA que dans la conception. La

recherche dans un labyrinthe est un problème aux contours définis, tandis

que la propriété fondamentale d’un processus de conception est l’expansibilité

des frontières des concepts. L'image que Hatchuel et Weil (1999) en donnent

est parlant: La résolution de problème voit l'acte de concevoir comme « une

recherche d'aiguille dans une botte de foin ». Or la conception est

« construire progressivement ce l'on entend par botte de foin et aiguille ».

2.4.2 Conception et Logique

Le processus de conception étant in fine un processus de raisonnement, une

autre métaphore qui a été utilisé pour la décrire est la logique (Coyne et al.

1990). Une façon de considérer la conception, dans le cadre offert par la

logique est de le voir comme faire une suite de déductions à partir d'un

ensemble de spécifications tout comme une théorie mathématique est

démontrée. On commence par des axiomes (des spécifications de produit) et

on en déduit par un processus de raisonnement le théorème la conception.

Coyne et al. (1990) souligne que l'approche n'est pas nouvelle. Le dicton par

l'Abbé Laugier, au 18ème siècle, « si le problème est bien posé, la solution va

être indiquée » laisse entendre que la solution peut être déduite de la

spécification d'un problème. Le dicton a été adopté par les architectes

modernistes qui ont déclaré « la forme suit la fonction » s'opposant ainsi à

28

certaines grandes tradition architecturale qui accentuait l'importance de la

forme pour la conception.

Bien qu'applicable à certaines tâches de conception, ce modèle logique de la

conception est assez limité pour donner une image suffisamment riche de

celle-ci. Une alternative « logique » a été proposé par March (1984) basée sur

le travail de Peirce (1955). Selon March, dans la conception trois types de

raisonnement sont utilisés d’un manière cyclique ; abduction (ou production)

qui propose une solution, la déduction qui prévoit les performances de la

proposition, et l'induction qui évalue celle-ci.

2.4.3 Conception et Langage

Une autre métaphore pour décrire la conception est le langage (Coyne et al.

1990). En matière de langage, nous pouvons parler d’un vocabulaire, de la

composition, du style, le contexte et sans doute du sens. Parallèlement, en

conception nous pouvons parler de la configuration des éléments pour former

une conception. En fait, juste comme la grammaire d’un langage dicte des

règles de composition, des règles existent, étant donnée un domaine de

conception, pour composer des éléments. Aussi, juste comme dans le langage,

ce qui importe n'est pas seulement la composition des chaînes de symboles

respectant des règles mais le sens de cette composition (Coyne et al. 1990).

Ces deux idées renvoient à la distinction que nous pouvons observer dans la

littérature concernant l'approche syntaxique (bottom-up) de la conception, où

à partir des composants, on essaie d'obtenir de nouvelles conceptions par

combinaison (voir par exemple (Maimon et Braha 1996)), versus l'approche

sémantique de la conception (top-down), où on essaie de décomposer une

fonctionnalité principale jusqu'à obtenir une conception (voir par exemple

(Suh 1990)).

2.5 Caractéristiques des activités de conception

Dans la section précédente nous avons présenté certains modèles du processus

de conception. Chacun de ces modèles fait apparaître certaines des

caractéristiques des processus de conception en masquant certaines autres.

Dans cette section, nous allons proposer une synthèse de la littérature pour

faire émerger un ensemble de caractéristiques plus riche, dans le but

29

d'approfondir notre compréhension de la nature des processus de conception.

Le lecteur remarquera que les idées décrites ont souvent été formulées en

termes et sur la base des modèles et des métaphores que nous venons de voir.

2.5.1 Nature des problèmes de conception

Un processus de conception commence quand un acteur s'aperçoit d'un

problème et prend des mesures avec l'intention de proposer une solution.

C'est une activité de résolution de problèmes où, au commencement, le

problème ne peut être énoncé avec précision. Ceci, en retour, implique qu'il

ne peut y avoir d'ensemble de solutions prédéterminées. Le but de l'activité

de conception est, donc, d'élaborer une description de solution à partir d'une

définition lacunaire d'un problème. En raison de la difficulté pour énoncer le

problème avec précision, un problème de conception est souvent formulé en

termes de buts et de contraintes (Darses et Falzon 1996). La nature floue du

problème est alors traduite comme une définition approximative de ces buts

et contraintes. Par conséquent, au commencement, leurs interdépendances

peuvent ne pas être claires et ils pourraient être en conflit. Elles sont sujettes

au changement pendant le processus : elles peuvent être excessivement

révisées, ou même abandonné complètement (Lawson 1980). De plus, il n'y a

aucun chemin direct et prédéterminé menant à une solution (Darses et

Falzon 1996; Perrin 2001). Pour ces raisons, le problème de conception est

souvent qualifié de mal-structuré.

Ici, mal-structuré se rapporte à deux points. Le premier est que,

habituellement, il y a beaucoup d'éléments de problème avec des aspects

multiples à considérer et leurs interdépendances sont trop nombreuses pour

un traitement facile et immédiat. Ainsi, le problème de conception est grand

et complexe (Coyne et al. 1990). En pratique, ceci implique un groupe de

concepteurs (plutôt qu'un seul) avec des backgrounds, expériences et

qualifications différents. La seconde est que au début du processus de

résolution de problème, un problème est mal structuré pour ceux qui essayent

de le résoudre, même si il a une structure claire et bien définie pour un

observateur (Simon 1969, 1973). Par conséquent, le problème de conception

manque au commencement une définition précise et la tâche des concepteurs

est précisément de la construire.

30

La construction de la définition de problème est progressive. Les concepteurs

partent d'une définition de problème générique et ils explorent les solutions

potentielles. En explorant, ils augmentent leur compréhension du contexte

dans lequel ils opèrent et les échanges entre « ce qui est requis » et « ce qui

est possible ». Ici, par « requis », nous nous referons aux buts et aux

contraintes et par « possible » l'ensemble de conceptions potentielles que les

concepteurs peuvent réaliser. Souvent, ce que les concepteurs découvrent pour

être possibles, considérant leurs ressources (particulièrement, la connaissance)

et le contexte, implique des modifications sur la définition de problème. Ainsi,

les solutions considérées contribuent à la restructuration du problème, qui, en

revanche, caractérise les solutions qui devraient être considérées. Exprimé en

d'autres termes, la définition du problème et les solutions potentielles sont

progressivement co-construites par l'exploration des possibilités. Ainsi, à un

moment donné du processus, une définition de problème est une description

intermédiaire d'une solution « intentionnelle » finale. Pendant ce processus

co-évolutionnaire, la définition du problème (à la laquelle correspond la

description courante de solution) est enrichie en réarrangeant les

spécifications et/ou en spécifiant d'avantage les éléments déjà existants.

Réarrangement des spécifications se réfère à adopter ou abandonner des buts

ou des contraintes, c'est-à-dire, ajouter ou enlever certaines des propriétés de

la description du problème, alors que spécifier se rapporte à la décomposition

des éléments du problème pour former des sous-problèmes. Cela donne une

nature hiérarchique au processus de conception. La définition de problème à

un niveau donné de la hiérarchie est raffiné en ajoutant ou en enlevant des

propriétés de la description de problème et/ou en explicitant des sous-

problèmes et leurs interdépendances pour obtenir le niveau suivant de la

hiérarchie. Ainsi, la description de l'objet à concevoir évolue hiérarchiquement

par des raffinements successifs jusqu'a un niveau de détail approprié pour

l'exécution.

2.5.2 Conception et connaissance

Pendant l'enrichissement de la description de problème, la difficulté

principale se trouve naturellement dans l'improvisation des raffinements

satisfaisants. De tout évidence, ceci dépend de la structure actuelle du

31

problème, mais également, des connaissances détenues par les concepteurs.

Comme souligné par Coyne et al. (1990), le processus de conception est une

activité cognitive fortement dépendante de l'utilisation de connaissance. La

connaissance, alors, est un des ressources principales utilisées dans la

conception. Nous devrions préciser qu'une telle ressource n'est pas toujours

disponible ; alors elle doit être recherchée ou même créée. Par conséquent, le

processus de raffinement inhérent à la conception implique l'utilisation et la

création des connaissances comme une partie essentielle de l'activité de

conception. Un corollaire immédiat est que, aux étapes intermédiaires, un

raffinement complet du problème est simplement difficile, sinon impossible,

comme toute la connaissance nécessaire, le plus souvent, n'est pas

immédiatement disponible.

La création de connaissance revient à dire que les concepteurs apprennent

inévitablement de l'expérience de conception. En fait, les travaux de Bowen

et al. (1994) indiquent que les équipes de conception les plus performantes

sont celles qui considèrent la « capacité résultante » obtenue au cours du

processus comme la finalité la plus importante du processus de conception,

plus encore que la conception finale (Perrin 2001). L'importance de

l'apprentissage est largement reconnu dans la littérature sur la conception et

ceci a provoqué un intérêt sur l’explicitation et l'enregistrement du

raisonnement de conception, c’est-à-dire, les connaissances utilisées (telles que

les alternatives disponibles, comment elles ont été obtenues, les choix faits,

les raisons de ceux-ci)(Chandrasekaran et al. 1993).

Pendant le processus, une description partielle du problème délimite les

conceptions admissibles, mais en même temps, laisse ouvert un nombre très

grand de possibilités des conceptions qui peuvent être réalisées et qui se

trouveront dans les limites imposées par cette définition. En d'autres termes,

une description intermédiaire reflète les propriétés jugées comme appropriées

pour la description finale et détermine une « classe » des conceptions qui

partagent ces propriétés. Ce genre de descriptions partielles de conception

sont parfois nommées « concepts génériques » (Coyne et al. 1990). Nous

pouvons postuler qu'une partie essentielle de la connaissance des concepteurs

sont au sujet des concepts génériques qui correspondent à des différentes

32

descriptions (aux différents niveaux d'abstraction) aussi bien que la façon

dont ceux-ci ont été élaborés.

2.5.3 Concevoir et rechercher

Faisant face à un problème, les concepteurs activent leurs connaissances,

d'une part, pour trouver les concepts génériques pertinents et comment ceux-

ci avaient été élaborés auparavant, d'autre part, pour choisir la stratégie la

plus appropriée d'élaboration de solution pour la tâche actuelle (Von Der

Weth 1999). Les concepts génériques ainsi rappelés, peuvent être adaptés au

contexte courant (en les combinant de manières diverses ou simplement en

ajoutant/supprimant des propriétés). Aussi, leurs propriétés existantes

peuvent être spécifiées davantage (ou décomposées) ou les valeurs des

paramètres qu'ils contiennent peuvent être fixées pour obtenir de différentes

« instances » (Coyne et al. 1990). Remarquez que, ajouter/supprimer les

propriétés d'une concept générique correspond à un mouvement

« horizontal » dans la hiérarchie de concepts génériques (ou de description

de problème), où d'autres concepts génériques sont prises en considération,

tandis que, spécifier comment réaliser une propriété existante est un

mouvement « vertical » dans la même hiérarchie, où une instance ou une

décomposition du concept précédent est obtenue. Dans les deux cas, de

nouveaux concepts génériques peuvent être obtenues. Dans le premier cas,

par une considération d'une combinaison de propriétés précédemment non-

utilisées (ou inconnues) (par exemple, un téléphone qui est « mobile ») ;

dans le dernier cas, en appliquant une nouvelle décomposition (par exemple,

en utilisant une source d'énergie solaire pour une voiture). Par ailleurs, il

existe une hiérarchie entre les concepts génériques. En instanciant un concept

générique, nous obtenons des partitions, tandis que, en faisant l'abstraction

de ceci, nous avons son type.

Une formalisation de la notion « concept générique » existe dans la

littérature sur la conception comme les « prototypes de concept » (Gero

1990). Pendant le processus, différentes stratégies d'élaboration de solution

peuvent être adoptées à différents moments. Ces stratégies ont une nature

heuristique et elles fournissent un mécanisme de contrôle sur la façon

d'explorer la hiérarchie de partitions/types. Elles sont propre aux individus et

33

peuvent changer d'un concepteur à un autre. De plus, le choix des stratégies

est géré par d'autres connaissances heuristiques, appelées « stratagèmes » par

Von Der Weth (1999).

Nous voyons que la conception peut être vue comme un processus

d'exploration, où des connaissances au sujet des concepts génériques et des

stratégies d'exploration sont employées afin d'élaborer de nouvelles solutions.

À chaque étape intermédiaire du processus de raffinement, l'utilisation des

connaissances au sujet des épisodes de conceptions passées peut permettre les

concepteurs de produire des solutions alternatives pour la définition du

problème courante. Si aucune alternative ne peut être produite ou si toutes

les solutions alternatives produites sont jugées insatisfaisantes, des concepts

génériques plus abstraits devraient être revisités. En d'autres mots, le

problème doit être reformulé. En tout cas, toutes les possibilités ne peuvent

pas être explorées, comme il y en a une infinité et comme la génération de

solution est nécessairement contrainte par le temps. Pendant un processus de

conception, seulement une partie limitée de ce qui est possible peut être

explorée. Cependant, la génération de plusieurs solutions alternative plutôt

qu'une seule est souhaitable. La taille et la qualité de l'ensemble des solutions

alternatives produites, sont importantes. Par conséquent, les concepteurs

doivent dépasser leurs propres limites pour trouver les concepts les plus

prometteuses aussi rapidement que possible, un échantillon qui devrait

représenter au mieux les partitions du type considéré.

2.5.4 Conception et décision

Nous distinguons deux genres essentiels de problème de décision ayant trait à

la génération de solutions durant le processus de raffinement ; la faisabilité et

la préférabilité.

Faisabilité

Assurer la faisabilité d'une solution alternative fait intervenir la gestion des

objectives et des interactions entre différents sous-problèmes. Décisions au

sujet des propriétés à abandonner, à ajouter ou à détailler doivent être prises

d'une manière qui permet aux objectives d'être atteintes et qui évitent des

conflits éventuels entre de différents sous-problèmes. Chose qui n'est pas

34

facile cependant, puisque les implications des décisions prises peuvent ne pas

être immédiatement évidentes et des conflits peuvent apparaître plus tard,

quand d'autres décisions de raffinement sont prises. Dans la pratique, il est

nécessaire d'employer des techniques variées allant de simples croquis aux

simulations informatiques, afin de découvrir les effets potentiels des décisions

prises. Ce genre de techniques permet d'appréhender des niveaux plus bas de

la hiérarchie du raffinement sans nécessiter une prise de décision définitive, ce

qui rend possible de découvrir ainsi de nouvelles informations pertinentes

pour le raffinement.

Préférabilité

Le plus souvent, une seule solution faisable n'est pas satisfaisante, et d'autres

tentatives sont faites pour en générer plusieurs : Une raison est que chaque

tentative de génération d'alternative fait apparaître de nouvelles informations

qui vont aider à (re)structurer la définition de problème. Comme la co-

évolution du problème et la solution se trouve au cœur du processus de

conception, amplifier la réception de ce genre d'information est important.

Cependant, une autre raison est que cette nouvelle information va aider

également dans la (re)structuration des « préférences » des concepteurs

concernant ce qui doit être conçu et comment sera-t-il conçu. La conception

est un processus évolutionnaire où des informations sur une certaine entité

qui n'existe même pas complètement sont manipulées et où il est difficile de

prévoir vers quoi cette entité convergera exactement. Les concepteurs sont

ceux qui conduisent cette évolution par les choix qu'ils font. Mais, pendant le

processus, leurs préférences concernant la direction que cette évolution

devrait prendre sont, au mieux, partiellement construites. Chaque tentative

de génération de solution aidera un concepteur à élaborer ses préférences,

pour former ses propres convictions, en portant son attention sur des points

précédemment inconnus ou inexplorés. Le succès du processus dépendant de

leurs choix, un effort de générer une diversité des solutions et de les évaluer

sera utile pour que les concepteurs puissent mieux cerner différents aspects

du processus et la direction vers laquelle l'évolution doit être conduite. Sous

une telle perspective, le processus de raffinement peut être vu comme une

recherche pour la faisabilité en ménageant des objectives et des interactions

entre les sous-problèmes et pour la préférabilité pour orienter le processus

35

évolutionnaire qu'est la conception vers les voies prometteuses. Par

conséquent, une autre caractéristique du processus de conception est que le

processus de conception est une collection de processus de décision en

intersection et interdépendants, où les préférences du concepteur au sujet du

concept élaboré évolue dynamiquement avec la description de

problème/solution.

36

Tout ce qui est rigoureux est insignifiant,

malheureusement cela n'implique pas que

tout ce qui est vaseux soit plein de sens

René THOM

Chapitre 3. La théorie C – K de conception

Le chapitre est destiné à la présentation de la théorie C – K de conception.

Après avoir donné un bref aperçu de cette théorie, nous procédons à la

présentation des idées et des notions essentielles de cette théorie. Ensuite,

nous allons proposer deux exemples, la conception d’un aspirateur sans sac

par Dyson et le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion afin

d’illustrer et de discuter les notions centrales de la théorie et les pistes de

développement possibles.

3.1 Aperçu de la théorie

La théorie C – K est une théorie du raisonnement de conception (Hatchuel et

Weil 1999, 2002) devant ses origines et sa structure tant à des recherches

effectuées sur le terrain (Chapel 1997) qu'à des approches formelles comme le

GPS (General Problem Solver) de (Newell et Simon 1963, 1972) et les

méthodes de type branch&bound. Elle se base sur la distinction explicite de

deux espaces; l'espace C des concepts et l'espace K des connaissances ; Figure

3.1. Le raisonnement de conception peut alors être décrit comme la co-

évolution des espaces C et K par l'intermédiaire de l'application de quatre

type d’opérateurs interdépendants agissant entre et dans ces deux espaces.

En posant la distinction entre les espaces C et K et en rendant compte de

l'expansibilité de ces deux espaces, la théorie fournit un grand pouvoir

interprétative et permet d'éviter certaines hypothèses restrictives des théories

de conception telles que celle de l'ingénierie allemande exposé par Pahl et

Beitz (1984) et l'approche axiomatique de Suh (1990).

37

Figure 3.1 Les espaces C et K, reproduit de Hatchuel et Weil (1999)

Dans la présentation qui suit, nous allons supposer l'existence d'un concepteur

unique, qui détient l'espace K des connaissances. Par ailleurs, suivant

Hatchuel et Weil (1999) nous allons faire l'hypothèse que toutes les

conséquences possibles de l'espace K des connaissances ne sont pas déduites a

priori (Pas d'omniscience logique) de même que toutes les associations

potentielles ne sont pas faites (Pas d'omniscience associative). Le lecteur

pourra se rapporter à Hatchuel et Weil (1999, 2002, 2003) pour des

approfondissements.

3.2 Les espaces C des concepts et K des connaissances

3.2.1 La distinction C – K

La théorie se base sur la distinction entre deux espaces ; l'espace C des

concepts et l'espace K des connaissances. Une connaissance est une

proposition ayant un statut logique (vraie, fausse, etc.) pour le concepteur

(dans l'espace K). Un ensemble de connaissances est donc un ensemble de

propositions ayant toutes un statut logique.

Un concept est une proposition novatrice à partir de laquelle on veut initier

un travail de conception (Hatchuel et Weil 1999). Dans la théorie C – K, un

concept n'a pas de statut logique. En d'autres termes, un concept n'est pas

connu relativement aux connaissances disponibles au concepteur. L'absence

38

de statut logique réfère ici au caractère inédit, non familier du concept

compte tenu des connaissances détenues par le concepteur. Pour donner

quelques exemples, nous pouvons citer « appartement mobile » ou

« téléphone pour adolescent ». Ce sont des concepts puisqu’ils n'existent pas

en tant que tel dans K ; nous ne savons pas ce qu'ils sont ! Même si les

termes « téléphone » et « adolescent » sont connus, on ne peut exprimer les

propriétés d'un téléphone pour adolescent au départ de la conception

(Hatchuel et Weil 1999, 2002).

3.2.2 Ensemble associé à un concept

Étant donné un concept, nous pouvons définir son ensemble associé. Un

concept peut être vu comme un ensemble de propriétés. L'ensemble associé à

un concept est l'ensemble des propriétés qui définit le concept (Hatchuel et

Weil 2002, 2003; Hatchuel et al. 2004). Néanmoins, Hatchuel et Weil (2002,

2003) refusent d'adopter une perspective ensembliste standard. Ils suggèrent

que l'espace C peut être défini sur l'axiomatique Zermaelo-Frankel† de la

théorie des ensembles – mais sans l'axiome de choix : « Les concepts peuvent

être associés à des ensembles respectant toutes les axiomes usuels de la

théorie des ensembles sauf l'axiome de choix. Dans le cas contraire, cela

reviendrait à admettre que nous pouvons exhiber un élément de l'ensemble

associé à un concept, [par exemple] un bateau qui vole, avant même de l'avoir

conçu. […] Sous cette perspective, un concept n'est donc défini ni par

extension, ni par compréhension, mais par une extension relative à une

compréhension partielle » (Hatchuel et Weil 2002). ‡

† L’axiomatique de Zermaelo-Frankel a établi les standards de la théorie des ensembles.

Aujourd’hui la plupart des mathématiciens acceptent et approuvent cette axiomatisation. ‡ A priori, le rejet de l'axiome de choix ne pose pas de problème technique pour une

modélisation mathématique de la théorie C – K comme l'axiome de choix est un axiome

externe utilisé dans certaines démonstrations mais pas dans la construction de l'univers

ensembliste. Varol, A. et Pakkan, M. (1996) Nonstandard Set Theories and Information

Management. Journal of Intelligent Information Systems, 6 (1), pp. 5-31.

.

39

3.3 Opérations de base

3.3.1 Disjonction C – K : Point de départ d'une conception

La disjonction sémantique ou la disjonction C – K marque le début d'un

travail de conception. C'est l'opération qui, allant de K vers C, permet la

formulation d'un concept. Une opération allant de K vers C (c'est-à-dire

l'utilisation d'une connaissance pour opérer sur le concept) qui crée une

proposition est une disjonction sémantique si :

• tous les termes de la proposition créée appartiennent à l'espace K,

• la proposition n'a pas de statut logique dans K (sinon elle serait une

connaissance).

« Un téléphone pour adolescent », « appartement mobile » ou « une

surprise partie sympa » sont des concepts résultant d'une opération de

disjonction sémantique. Ils comportent des termes comme bateau, voler,

surprise, partie que nous savons ce que c'est. Cependant, notre connaissances

des ces termes pris en isolation ne nous permettent pas d'éviter un travail de

conception comme leur conjonction n'a pas de statut dans l'espace K. La

conjonction de ces termes, par exemple, « bateau qui vole » parait

contradictoire. Le point de départ d'une conception innovante est donc « un

oxymore » comme le clair-obscur ou l'aigre-doux (Hatchuel et Weil 1999).§

3.3.2 Conjonction C – K : Fin d'une conception

L'opération symétrique de la disjonction sémantique est la conjonction

sémantique ou la conjonction C – K. Cette opération, qui va de C à K,

marque la fin d'une conception ; le moment où nous jugeons que nous

connaissons suffisamment de propriétés d'un concept.

§ Remarquons que la notion « oxymore » fait penser à la notion de « contradiction

technique » dans la méthode TRIZ, méthode d'aide à la créativité et support d'innovation,

qui par analogie, permet de résoudre des contradictions dans la définition des concepts,

Savransky, S. D. (2000) Engineering of creativity : introduction to TRIZ methodology of

inventive problem solving, CRC Press ; Altshuller, G. (1997) 40 Principles: TRIZ Keys to

Technical Innovation, Technical Innovation Center, Worchester, Massachusetts. 141 pages.

40

Figure 3.2 Disjonction sémantique pouvant mener à plusieurs conjonctions sémantiques

(Kazakci et Tsoukias 2004b, 2005)

Point où celui-ci n'est plus un concept mais une connaissance ! Donc, la

conjonction C – K est l'opération qui donne un statut logique à un concept !

Quand un concepteur peut affirmer la vérité d'une proposition de type « un

bateau qui vole a les propriétés p1, p2, p3,... » il opère implicitement un

conjonction sémantique.

Une disjonction sémantique peut aboutir à plusieurs conjonctions

sémantiques en raison des différentes possibilités de partitionner un concept

donné. Partant du concept « appartement mobile » on pourrait aboutir à

« caravane » ou à « tente » ou, pourquoi pas, à « un bateau » ; Figure 3.2.

3.3.3 Partition restrictive versus partition expansive

Les opérateurs de la théorie C – K sont construits par une réinterprétation et

une généralisation de la méthode dite branch&bound. Dans la méthode

branch&bound, par contraste aux situations de conception, l'ensemble des

solutions à considérer est défini complètement avant même que l'exploration

commence. Il n'y a donc pas de place à la création. En particulier, il n'y pas

de distinction entre concepts et connaissances. La méthode branch&bound est

une opération de K dans K. L'ensemble des solutions étant complètement

spécifié en avance, les sélections se font en éliminant une partie de cet

41

ensemble par l'intermédiaire d'un critère de restriction de type « seront

considérées uniquement les solutions qui ont la propriété p ». Ici, la propriété

p est une propriété connue et usuelle des solutions considérées. Par exemple,

étant donné le problème « sélection d’un film » l’ensemble de solution à

considérer est « les films actuellement en projection dans les salles de la

ville ». Il est possible de partitionner cet ensemble à l’aide des propriétés

connues des solutions, « les comédies », « en projection proche de l’Opéra »

(Hatchuel et Weil 2002; Hatchuel 2002). Ce genre de partitionnement est

nommé partition restrictive dans la théorie C – K. En particulier, une

partition restrictive ne change pas la définition des solutions sur lesquelles

elle opère (Hatchuel et Weil 2002).

Cependant, il n'est pas possible d'engager un travail de conception

exclusivement par des partitions restrictives puisque l'ensemble de solutions

n'est pas défini mais est à construire. Sinon nous serions contrainte à choisir

parmi les solutions qu'on n'a pas encore construites ! Il est donc nécessaire

d’utiliser un autre moyen, qui n'existe pas dans les méthodes de types SEP.

Dans la théorie C – K, une telle opération est appelée partition expansive.

Une partition expansive ajoute une propriété à la définition d’un concept telle

qu’il n’existe pas de connaissance dans K qui affirme que la propriété ajoutée

est une propriété connue du concept en question. Ainsi, « appartement avec

coin cuisine » est une partition restrictive pour « appartement » tandis que

« appartement mobile » en est une partition expansive, puisque « mobile »

n’est pas une propriété connue des appartements dans K.

3.3.4 K-expansion

Dans le cas où aucune connaissance utile ne peut être activé par un concept,

il s'agit d'une nécessité d'expansion de K. Cela peut revêtir de divers formes

mais requiert la consultation des sources externes (un expert, un consultant,

des encyclopédies, des bases de données, etc.) (Hatchuel et Weil 2002).

42

3.4 Raisonnement et Déplacement entre les espaces : Opérateurs

de la théorie C – K

3.4.1 Déplacements de C vers K

Le concept active l'espace des connaissances pour récupérer des connaissances

pertinentes. Ceci pourrait se passer dans le but de donner un statut logique à

celui-ci, ou de l'évaluer, ou encore, de le partitionner ou départitionner.

Reprenons le concept « bateau qui vole ». Nous savons ce que c'est un

bateau ou voler ; mais un bateau qui vole parait être une contradiction et

nous ne savons pas en donner une définition précise. Alors, les connaissances

sont activées afin d'en savoir plus sur comment un bateau qui vole peut

exister (ou même si on veut/doit le concevoir). Nous pouvons aussi dire qu'un

opérateur C K→ transforme un concept en une question; « un bateau qui

vole peut-elle exister ? » ou « comment un bateau qui vole peut-il exister ? »

Les opérateurs C K→ et K C→ tente de répondre à ces questions. Qu'est-

ce qui se passe si aucune connaissance n'est activée ? Une des possibilités

serait d'étendre K par une opération K K→ . Ou alors de réviser le concept

par un déplacement C C→ , soit pour départitionner celui-ci.

3.4.2 Déplacements de K vers C

Une fois des connaissances qui sont considérées comme pertinentes sont

trouvées, on retourne au concept étudié par une opération K C→ , pour le

partitionner ou le départitionner. Dans le cas d'un partitionnement, soit nous

modifions le concept par une partition expansive, soit nous opérons une

partition restrictive. La départitionnement se produit lorsque le concept

n'active aucune connaissance dans K et lorsqu'il n'a pas été possible d’étendre

K par une opérationK K→ . Dans ce cas, nous passons à un concept dont le

concept de départ est une partition (e.g. on peut passer à un concept plus

abstrait « véhicule marine et aérienne » en départitionnant « bateau qui

vole »).

3.4.3 Déplacements de K vers K

Ce genre de déplacement a pour but de remanier ou d'étendre l'espace K.

Dans certain cas, il s’agit de l’activation d’une connaissance. Dans d'autres

43

cas, il s'agit d'une déduction logique ou une association entre les

connaissances.

3.4.4 Déplacements de C vers C

Il s'agit d'un déplacement dans l'espace des concepts. Nous comprenons cette

opérateur comme « la trace » d'une série d'opérations. Elle traduit la

transition d'un concept C à une partition de ce concept, C’ , plus riche en

propriétés ou la sélection de l'élément définitionnel à partir duquel va s'opérer

une partition, e.g., sélection de « qui vole » dans le concept « bateau qui

vole ».

3.5 Propriétés des processus de conception

3.5.1 Créativité et le rejet de l’axiome de choix

Le rejet de l’axiome de choix pour l’espace des concepts est fondamental pour

la théorie. Il est acclamé que c’est grâce à ce rejet qu’il est possible

d’introduire de nouvelles propriétés dans la définition des concepts et donc,

d’innover (Hatchuel et Weil 1999, 2002, 2003). En fait, un concept, par son

absence de statut logique, est une entité partiellement définie. Lorsqu'on parle

d'un « bateau qui vole », l'imprécision pesant sur la définition de ce concept

crée une richesse sémantique. Même si nous connaissons certaines des

propriétés d'un « bateau qui vole », nous ne connaissons pas toutes ses

propriétés et donc on peut le définir de plusieurs manières.

3.5.2 Co-évolution des espaces C et K

Pendant la conception, d’un coté l’espace, C est étendu par des partitions

expansives, de l’autre coté, l’espace K élargit par des K-expansion. Ainsi, le

processus de conception est la co-évolution de deux espaces expansibles par

l’application des opérateurs. En réalité, les deux types d’expansions ont des

liens forts. Lorsqu’une partition expansive est effectuée en C, cela peut

obliger le concepteur de créer de nouvelles connaissances par des K-

expansions. D’une manière semblable, les nouvelles connaissances peuvent

entraîner l’introduction des propriétés précédemment inconnues dans la

définition des concepts et donc causer des expansions de C.

44

3.5.3 K-Relativité de l’espace C

L'espace des concepts est indissociable de l'espace des connaissances puisque

sa définition dépend de celle-ci. Par conséquent, un concept n’en est pas un

dans l’absolu : Deux concepteurs possédant deux espaces K différents peuvent

produire des concepts différents. Ainsi, « aspirateur sans sac » peut être un

concept pour un concepteur de la société Rainbow ou General Electric ; il

n’en est pas pour autant pour un concepteur de Dyson (2000). Nous parlerons

de K-relativité d'un concept (Hatchuel et Weil 2002).

3.5.4 K-validation

Dans les méthodes de type branch&bound, le critère d'évaluation est fixe et

connu au départ du processus. Elle est indépendante du processus lui-même.

Dans la théorie C – K, cette stabilité disparaît pour laisser place à la notion

de « K-validation ». La K-validation est l'opération ou suite d'opérations qui

permet d'appréhender si un concept est une fiction ou non, si elle est

réalisable (Hatchuel et Weil 2002). C'est l'utilisation des connaissances en K

activées à partir de C pour évaluer la faisabilité d'un concept. Une K-

validation peut entraîner une expansion de l'espace K, puisque les

connaissances nécessaires pour confirmer ou infirmer si un concept est faisable

ou préférable peuvent ne pas être immédiatement disponible.

3.5.5 Nécessité de distinction entre les espaces

Basée sur les notions clefs que nous venons d’exposer, la théorie C – K défend

la proposition fondamentale suivante : tout raisonnement de conception

suppose la distinction entre deux espaces, l'espace C des concepts et l'espace

K des connaissances (Hatchuel et Weil 1999, 2002).

45

3.6 Exemples et discussion

Dans ce paragraphe, nous allons tenter d’illustrer de quelle manière la théorie

C – K peut décrire un processus de conception en nous servant des exemples

d’aspirateur sans sac, conçu par Dyson (2000) et du déchiffrement des

hiéroglyphes par Champollion (1822). Le but des exemples n’est pas de

décrire ce qui s’est passé réellement dans ces processus, mais plutôt, de

montrer comment et dans quel mesure les notions proposées par la théorie C

– K peuvent être utilisées pour décrire un processus de conception (comme

pour l’aspirateur sans sac) ou un processus de raisonnement (comme pour les

hiéroglyphes).

3.6.1 Un aspirateur sans sac

Supposons qu’un concepteur a une certaine connaissance sur les aspirateurs,

comment ils sont conçus, comment ils fonctionnent. Il sait en particulier que

les aspirateurs ordinaires qui utilisent un sac comme filtre perdent de leurs

puissances de succion quand les trous du sac sont remplis par la poussière ;

Figure 3.3. Il formule un premier concept; un aspirateur avec une succion

continue. Est-ce un concept ? Oui. Dans l’espace K un tel objet n’apparaît

pas; cependant, aucune connaissance de K n’implique que ceci n’est pas

possible.

Une fois ce concept formulé, il va activer certaines connaissances de K sur les

aspirateurs et sur la puissance de succion. En fonction de la connaissance du

concepteur et les connaissances actives, le processus peut prendre diverses

directions. Par exemple, le concepteur peut vouloir explorer si un aspirateur

peut avoir une succion continue en utilisant un sac comme filtre. Alors, par

une partition restrictive – il est connu que les aspirateurs peuvent avoir des

filtres – il peut ajouter dans sa description « filtrage par sac ». S’il continue

dans cette direction, cette fois, le concept C0+p1 va activer de nouvelles

connaissances sur les propriétés des aspirateurs utilisant des sacs comme

filtre.

46

Figure 3.3 Un aspirateur sans sac

Sur la base de ces connaissances, le concepteur peut essayer de trouver des

moyennes pour contourner la perte de puissance de succion, en partitionnant

avec des propriétés telle que « sac jetable » ou « puissance de moteur

ajustable ».

Une partition plus intéressante serait « filtrage sans sac ». Le concepteur

pourra envisager une telle partition simplement pour éviter l’élément qui

cause le problème. Comme cette propriété n’est pas une propriété connue des

aspirateurs, la partition correspondante est une partition expansive. Pour la

même raison, le concept va tenter d’activer des parties de l’espace K qui ne

sont pas activées habituellement dans un contexte de conception

d’aspirateur ; Figure 3.4. Qu’est-ce qui peut être utilisé comme filtre autre

qu’un sac ? Qu’est-ce que c’est « filtrer »? Comment peut-on filtrer

différemment? Si des réponses à ces questions ne peuvent pas être trouvées,

alors la conception ne pourrait pas continuer avec ce concept. Dans un tel

cas, soit il y aura une départition pour revenir à un concept plus abstrait,

soit la conception va s’arrêter, du moins, momentanément.

47

Figure 3.4 Un aspirateur sans sac (continué).

Si des réponses pertinentes peuvent être trouvées, alors l’espace K va être

étendue pour inclure ces nouvelles connaissances. En d’autres termes, le

concepteur va apprendre. Pour notre exemple, considérons que le concepteur

a étendu son savoir avec de nouvelles connaissances sur d’autres types de

filtres que des sacs qui permet d’effectuer la partition « filtrage par écran

poreux ». Une partition encore plus intéressante est la partition « filtrer sans

filtrer » ; c'est-à-dire filtrer sans utiliser un filtre ou un intermédiaire qui

cause les mêmes problèmes de performances. Ceci est aussi une partition

expansive. Le concepteur, sachant que c’est les propriétés inhérentes de ce

genre de filtres qui causent inévitablement la perte de puissance, essaie par

une telle partition d’explorer des moyennes équivalentes de séparer l’air de la

poussière sans utiliser de filtre. Là encore, si le concepteur peut acquérir ou

générer la connaissance sur les nettoyeurs à centrifuge, basé sur le principe de

cyclone (largement utilisé dans l’industrie), il lui serait possible de continuer

à explorer et à élaborer le concept d’aspirateur sans sac, juste comme Dyson

(2000).

48

Figure 3.5. Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes.

Notons que suite à l’expansion de l’espace C, l’espace K est aussi

expansionné. De nouvelles connaissances y apparaissent. En particulier, les

connaissances concernant le modèle Double Cyclone sont maintenant

présentes. Il s’agit d’une conjonction sémantique. Nous observons aussi que

les deux espaces évoluent en même temps ; la conception se produit bien avec

la co-évolution de ces deux espaces.

A l’évidence, l’exemple réduit grandement la complexité du processus réel : il

à fallu à Dyson plus de 5000 prototypes et 20 ans pour aboutir au modèle

Dual Cyclone D05. Néanmoins, il permet d’illustrer les concepts de base de la

théorie.

3.6.2 Déchiffrement des hiéroglyphes

Nous avons vu dans l’exemple précédent que les concepts de la théorie C – K

peuvent être utilisés pour décrire le raisonnement dans un processus de

conception. Mais ce genre de raisonnement est-il propre uniquement aux

processus de conception ? Hatchuel et Weil (2002) revendique que la théorie

C – K est une théorie de raisonnement, au sens le plus fort du terme.

49

Figure 3.6. Pierre de la Rosette dont une partie est connue, l’autre à déchiffrer.

Nous allons essayer d’illustrer à travers un autre exemple que les mêmes

notions utilisées dans l’exemple précédent permettent aussi de décrire le

déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion (1822). L’exemple nous

permettra aussi d’illustrer quelques points complémentaires sur la théorie

ainsi que de discuter certaines pistes de développements ouvertes.

A l’époque où Champollion a commencé à travailler sur les hiéroglyphes,

l’avis dominant était que les hiéroglyphes sont idéographiques. Cet avis

découlait principalement du fait que les hiéroglyphes sont des représentations

des objets concret tels que des oiseaux, le soleil ou des processus observables,

e.g. marcher. Quand Young a déchiffré la cartouche de Ptolémée, un autre

avis, celle qui revendiquait que les hiéroglyphes sont phonétiques, a gagné en

poids (La Couture 1988).

C’est en ce moment que Champollion a commencé à suspecter que les

hiéroglyphes étaient à la fois phonétiques et idéographique. Il étudia la pierre

de la Rosette, un monument qui contenait le même texte en hiéroglyphe, en

hiératique et en grec, deux langues que Champollion maîtrisait parfaitement

(La Couture 1988).

50

Figure 3.7 Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes (continué).

Son étude lui montra qu’il y a avait 486 mots grecs comparés à 1419

hiéroglyphes représentant 180 signes différentes (La Couture 1988). Il a alors

envisagé que les hiéroglyphes était à la fois phonétiques et idéographiques.

Alors, il a commencé à étudier l’inscription de Philae sous cette hypothèse.

En utilisant les résultats de Young, il déchiffra la cartouche de Cléopâtre

(Champollion 1822). Il conclut que les égyptiens dénotaient les noms des

empereurs étrangers lettre par lettre où chaque lettre était représentée par un

hiéroglyphe correspondant à un objet dont la prononciation du nom

commençait par cette lettre. Il avait maintenant à sa disposition douze lettres

de l’alphabet et donc un point de départ. Ces résultats lui ont servi de base

et ainsi, Champollion a entrepris une étude systématique des monuments et

manuscrits égyptiens qui a constitué la base de l’égyptologie.

51

Figure 3.8. « Hiéroglyphes » forme-t-il un concept en soi ?

Quel est le concept de départ dans cet exemple ? Pourrons nous prendre

comme concept C0 : Les hiéroglyphes sont idéographiques et phonétiques ? A

l’époque, les deux point de vues « Les hiéroglyphes sont idéographiques »

ainsi que « Les hiéroglyphes sont phonétiques » existaient et Champollion les

connaissait (La Couture 1988). Cependant, personne ne devinait avant ses

travaux que les deux étaient le cas à la fois. Est-ce suffisant pour appeler C0

un concept ? Les propriétés « phonétiques » et « idéographique » sont

connues, toutefois, leur conjonction ne l’est pas. Mais que dire des

« hiéroglyphes » ? A part quelques symboles déchiffrés par Young rien

n’était connu à l’époque sur les « hiéroglyphes ». Or, compte tenu de sa

définition actuelle, pour qu’une disjonction sémantique ait lieu, tous les

termes de la proposition doivent être connus dans K. En fait, nous pourrons

poser le problème différemment ; Figure 3.8. Se peut il que les hiéroglyphes

forme un concept en soi ?

Avant Champollion et Young, « C1 : Les hiéroglyphes sont idéographiques »

avait été considéré mais pas de connaissances avaient été produites à partir

de cette proposition. A partir de la proposition « C2 : Les hiéroglyphes sont

phonétiques » Young a réussi a produire certaines connaissances. Et

Champollion a continué sur la base des connaissances produites par Young à

partir de la proposition C0. Nous pouvons poser cela différemment et dire que

la racine de ces travaux est plutôt C0’ ; Figure 3.8. Il n y a pas de

contradiction et il n’existe pas de connaissance sur les hiéroglyphes. Mais, il

52

existe des acteurs qui essaient de produire des connaissances sur C0’ par un

processus de raisonnement.

Par ailleurs, dans ce processus, nous voyons plusieurs points communs avec

d’autres processus de conception. A partir des propositions inconnues dans K

de nouvelles connaissances sont produites (le sens des textes de la cartouche

de Ptolémée, de la Pierre de Rosette, etc.) ce qui en retour permet de

formuler de nouvelles propositions (l’attribution d’une signification ou d’un

son à des symboles). Les deux espaces s’influencent mutuellement et à la fin,

la proposition étudiée devient une connaissance (désormais, les hiéroglyphes

sont connus). Compte tenu de ces similarités, nous pensons que la théorie C –

K peut décrire ce type de processus de raisonnement à condition de modifier

la définition de disjonction sémantique : « une disjonction sémantique a lieu

lorsqu’un processus de raisonnement est initié à partir d’une proposition

inconnue dans l’espace K » en éliminant la condition d’être une conjonction

dont les termes sont connues dans l’espace K.

En fait, nous pensons que cette distinction « une conjonction inconnue des

termes connus versus un terme inconnu » caractérise des processus de

conception de types différents. Dans le premier cas, il s’agit d’un processus de

conception usuel dont on a l’habitude de voir en ingénierie ou en architecture.

Ce sont des processus de conception de type création. La proposition à partir

de laquelle le travail commence est formée volontairement ; on cherche

explicitement une création. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un processus de

conception de type compréhension. La proposition qui démarre le processus

provient de l’extérieur de K et les connaissances sont utilisées afin de

concevoir un sens, de l’interpréter. Nous pensons qu’en dehors de cette

caractéristique, les deux types de raisonnement ont les mêmes propriétés et

donc peuvent être décrit par la théorie C – K. D’après tout, n’est-il pas

possible de voir un processus de conception de type création comme un

processus où on cherche volontairement à comprendre un concept

autrement ? De la même manière, un processus de type compréhension ne

s’agit-il pas en fin de compte d’un processus de création d’une signification

pour l’inconnu ?

53

Par ailleurs, le lecteur pourra remarquer que, dans la Figure 3.7, nous avons

placé dans l’espace C, l’inscription de Philae et la partie hiéroglyphique de la

Pierre de la Rosette. Il est possible de considérer que nous avons deux

concepts différents. Peut-il y avoir deux ou plusieurs conceptions en

parallèle ? La théorie C – K ne l’interdit pas et nous savons que des projets

de conception menés en parallèle existent et parfois, ils sont même reliés. A

priori, il ne serait pas difficile de représenter de tels cas dans la théorie C –

K ; considérer plusieurs espaces C en parallèle ou plusieurs concepts dans le

même espace paraissent être les solutions possibles pour représenter ces cas

en ce qui concerne des raisonnement de conception.

Nous devons aussi souligner le point suivant. Des chercheurs qui ont travaillé

sur les résultats de Champollion (pour déchiffrer d’autres textes ou pour

confirmer ses résultats) ont découverts qu’il avait commis quelques

erreurs (La Couture 1988)! Ce qui est intéressant concernant ce point, c’est

que ceci a été découvert par ces chercheurs en utilisant les résultats de

Champollion ! De la même manière, Champollion a utilisé les connaissances

produites par Young pour dévalider le concept de départ de celui-ci. Nous

retrouvons ici l’important concept de K-relativité mais aussi d’autres choses.

La conception de Young était loin d’être complet ; Champollion a du

travailler longtemps pour mettre sur son œuvre. Et encore, d’autres sont

venus pour faire des changements sur ses résultats. Alors, nous pouvons se

poser la question : quand est-ce qu’il y a eu des conjonctions sémantiques ?

Pour chaque concepteur, suivant K-relativité, la conjonction a eu lieu quand

le travail est terminé d’après son propre K-validation. Mais, à chaque fois les

connaissances générées ont été trouvées incomplètes pour le suivant.

Remarquons que, concernant notre exemple de conception plus habituel,

l’aspirateur de sac de Dyson, une fois que Dyson a obtenu le brevet et a lancé

son entreprise, ses propres ingénieurs ont trouvé à propos de la conception de

Dyson plusieurs points à améliorer d’où sont nés les modèles à six, douze et

treize cyclons. Entre autres, ceci montre que la conception n’est jamais finie,

mais peut être suspendue (Hatchuel et Weil 1999). Aussi, remarquons-nous,

qu’il serait peut-être possible de parler d’un degré de conception. Une

conception peut être élaborée à des degrés différents, qu’il s’agisse d’un seul

concepteur ou de plusieurs.

54

Cet exemple nous a permis de monter que la théorie C – K est avant tout

une théorie de raisonnement. C’est en particulier pour cette raison que nous

pensons qu’il est raisonnable de se servir d’une théorie cognitive pour

analyser et développer la théorie. C’est ce que nous ferons à partir du

chapitre suivant.

3.7 Discussion

La théorie C – K de conception est un « concept scientifique » dont la

conception est en cours. Pour déterminer les trajectoires possibles et pour

continuer son développement nous avons besoins des directions. Dans cette

section, nous allons récapituler quelques réflexions que nous avons eu en

étudiant la théorie C – K. Ces observations et questions peuvent servir

comme des points de références pour des développements futurs de la théorie

et nous en ferons l’usage dans les chapitres suivants.

3.7.1 Concepts et connaissances

Comment définir un concept donné? La question n'est pas seulement un point

de départ central pour la théorie C – K, mais aussi un objet de débat non

résolu dans les sciences cognitives et dans la philosophie (Hampton 1999; Keil

1999). En partant de cette question, il est inévitable d’esquiver une autre :

peut-on définir un concept ? La position de la théorie C – K sur la question

est donnée par le refus de l'axiome de choix : il n'est possible d'avoir une

définition fixe pour un concept donné par une liste exhaustive de ses

propriétés durant un processus de conception. Les concepts sont évasifs et

insaisissables.

Mais, les connaissances sont-elles saisissables ? Non ! Autant, nous ne

sommes pas en mesure de donner une définition exhaustive d’un concept,

autant il n’est pas possible d’énumérer toutes les connaissances que nous

avons ! Alors, les espaces C et K sont elles vraiment disjointes ? Au fait,

qu’est-ce que signifie un espace dans ce contexte ? Qu’est-ce qu’un espace

représente ? Les différentes zones du cerveau humain ? Les différentes

composantes d’un ordinateur ? Ou des structures mathématiques avec des

propriétés différentes ? Nous allons essayer de proposer des éléments de

réponses à ces questions dans un cadre cognitif durant le chapitre suivant.

55

Précisons pour le moment que, selon nous, la différence entre un concept est

une connaissance est aussi insaisissable que la définition d’un concept !

3.7.2 Opérateurs et activations

Sur les figures des exemples, plusieurs flèches sont utilisées pour représenter

les « opérateurs » de la théorie, pour montrer comment une connaissance en

a activé une autre. Mais, quelle est la définition d'un opérateur ? Est-ce une

implication matérielle ? Une procédure qui fait appel à une autre dans des

langages de programmation par objet ? La communication verbale humaine ?

Nous pensons que la réponse ne doit pas être nécessairement unique. La

théorie C – K étant un concept scientifique ; il serait possible de la

partitionner différemment afin d’obtenir des versions moins abstraites et plus

domaines spécifiques.

3.7.3 Mécanisme de contrôle

La réponse à donner aux questions du paragraphe précédent est reliée aux

réponses à d’autres questions sur le « mécanisme de contrôle » : Quels sont

donc les règles ou les processus qui régissent l’application des opérateurs? Est

qu'ils s'appliquent séquentiellement? Ou, est il possible de les utiliser

parallèlement? Pourrait-on parler d’un algorithme de conception ? Cela

ferait-il partie des connaissances K ? Peut-on concevoir un tel algorithme ?

La théorie C – K définit les entités de bases qu’on manipule dans un

processus de conception sans pour autant expliciter les mécanismes qui gèrent

leur fonctionnement. Encore une fois, plusieurs approches non nécessairement

exclusives peuvent être avancées. Le point déterminant à ce sujet serait le

but dans lequel la conception de la théorie C – K est continuée et les

connaissances K qui seront utilisés pour faire cette conception.

3.7.4 Concepteurs et leurs environnements

Comment modéliser le cas où il y a plusieurs concepteurs ? Quand il y a

plusieurs concepteurs, il y aura autant d’espace C et d’espace K. Comment

ces espaces interagissent ? Dyson a découvert le principe de cyclone en

observant un employé, lors d’une visite d’atelier d’une entreprise et dans un

contexte complètement sans rapport avec ses travaux sur les aspirateurs

56

(Dyson 2000). Champollion, a utilisé les résultats de Young et certains objets

physiques (cartouches, papyrus, etc.) pour continuer ses études.

Qu’il s’agisse d’un projet de conception ou d’un autre type de raisonnement,

l’environnement a un rôle indéniable pour celui qui se raisonne. L’interaction

de multiples espaces C et K passe par l’environnement. Ces espaces C et K

sont dans un environnement ! Nous pensons qu’une manière d’éclairer les

réponses aux questions qui concernent les concepts, les connaissances, les

opérateurs et le mécanisme de contrôle serait d’étudier la théorie C – K dans

le cadre de la relation des concepteurs avec leurs environnements.

Dans les chapitres suivants, nous utiliserons le corps de connaissance produit

dans la littérature de Cognition Située, pour apporter notre point de vue sur

ces questions.

57

Alors, qu’est-ce que c’est la cognition?

Je ne sais pas; tu ne sais pas. Personne ne le sait !

Et tel est l’état de l’art que si Dieu venait nous le dire,

aucun d’entre nous ne l’aurait compris !

Jerry FODOR

(en réponse à Steven Pinker)

Chapitre 4. L’environnement et la théorie C/K/E

Durant ce chapitre, nous allons proposer une version de la théorie C – K qui

prend en compte l’environnement de l’agent qui conçoit. D’abord, nous allons

essayer de montrer que le rôle de l’environnement dans l’activité de la

conception est capital et qu’il est nécessaire de l’inclure dans la théorie C –

K. Ensuite, nous allons revoir quelques travaux de recherche en conception

qui se sont focalisés sur la nature de la relation du concepteur avec son

environnement. Nous allons voir qu’un concepteur est « situé », c’est-à-dire

son raisonnement dépend fortement de l’environnement. Après avoir ainsi

discuté le rôle et l’importance de l’environnement pour la conception, nous

allons utiliser des idées de la Cognition Située pour modifier la théorie C – K

et introduire un espace E de l’environnement.

4.1 Le rôle de l’environnement

Nous verrons dans cette section que la conception est une activité située ;

c’est à dire, les concepteurs conduisent leurs activités en interaction avec

leurs environnements. Durant la conception, ils agissent sur l’environnement

et, en retour, ils sont influencés par l’environnement. Les concepteurs, après

avoir effectué des actions pour changer l'environnement (par exemple, en

esquissant), observent et interprètent les résultats de ces actions et décident

comment agir pour la suite (Schön et Wiggins 1992; Gero 1998; Suwa et al.

1999). Considérons les résultats principaux des recherches basées sur des

travaux empiriques qui soutiennent que la conception est une activité située.

58

4.1.1 Le concepteur et l’environnement

L’environnement est un médium important pour faire avancer le travail de

conception (Schön et Wiggins 1992; Gero 1998; Suwa et al. 1999). Les

concepteurs agissent sur l’environnement pour y créer une représentation

(une maquette, un croquis, un modèle informatique en 3D) du concept qu’ils

ont dans leurs esprits. En même temps, ils observent les résultats des

changements qu’ils ont effectués et la représentation externe ainsi créée pour

voir si cette dernière reflète le concept en cours de création. Il arrive que la

représentation externe, telle qu’elle est perçue, soit différente de ce que le

concepteur avait l’intension d’externaliser (Schön et Wiggins 1992; Suwa et

al. 1999). Dans ces cas là, le concepteur peut défaire les changements afin de

recommencer pour mieux refléter ce qu’il a en tête. Mais aussi, l’observation

peut donner de nouvelles idées quant à la façon de continuer le travail ; au

quel cas, le concept initial est modifié et le travail suit une autre direction.

C'est par des réinterprétations des externalisations que la conception avance.

Le concepteur et l’environnement sont donc intrinsèquement liés l’un à

l’autre.

4.1.2 Interaction de faire et voir

L’architecture est parmi les plus anciens domaines de conception ; il est

possible d’y retrouver toutes les caractéristiques des activités de conception.

Schön (1983), dans son livre où il s’intéresse à l’acquisition et à l’application

de la connaissance experte chez les praticiens de différents métiers

(psychiatres, employé social, architecte, ingénieur, etc.), analyse le travail des

concepteurs en observant l’activité des architectes. En premier, il souligne

que l’on ne peut étudier le travail du concepteur séparément des matériels

qu’il utilise. Ces matériels forme le médium par lesquels la conception avance.

L’interaction d’un concepteur avec ces matériels est complexe du fait

d’innombrables actions potentielles, de normes et des relations de ceux-ci.

Pour cette raison, l’action du concepteur mène parfois à des conséquences

inattendues ; des conséquences qui peuvent être jugées bien ou non par le

concepteur. Dans les deux cas, ces conséquences influence l’appréciation et la

compréhension de la situation résultante par le concepteur et donc influence

ses actions subséquentes. Schön décrit cette interaction comme

59

une conversation réflexive du concepteur avec la représentation externe du

concept et la situation de conception.

La conversation est réflexive car la situation incorpore des éléments

inattendus et donc elle force le concepteur à réfléchir sur ses actions pendant

son action. Schön introduit le terme réflexion-dans-l’action pour référer à ce

type de processus. Nous ne pouvons pas voir ces situations comme des

processus d’essai-erreur car les actions sont intentionnelles et raisonnées, des

plans sont formulés, des conséquences estimées. Nous devons aussi distinguer

la réflexion-dans-l’action de la réflexion-sur-l’action, qui a lieu après l’action

où le praticien conduit une réflexion sur ses actions, leurs raisons et leurs

conséquences. Schön revendique que la réflexion-dans-l’action facilite le

développement des compétences professionnelles. Dans le contexte de la

réflexion-dans-l’action, le praticien devient un chercheur, libéré des théories

et des techniques préétablies et en mesure de construire ses propres théories

et façons de faire. Les nouvelles connaissances ainsi établies sont testées et

ajustées sur le champs ce qui améliore le résultat de l’apprentissage par

rapport à la réflexion-sur-l’action.

Schön et Wiggins (1992) ont bâti sur cette recherche, en analysant le travail

d'un group d'étudiants lors des processus de conception. Ils se sont rendus

compte que ceux-ci, en examinant leurs propres croquis, perçoivent des

aspects qu'ils n'ont pas mis là intentionnellement. Découvrant ces aspects

inattendus, les concepteurs décident s'ils vont adopter ces aspects et les

incorporer dans leurs conceptions ou les rejeter et explorer d'autres directions.

Ceci signifie que les concepts sur lesquels les concepteurs sont en train de

travailler peuvent changer selon ce qu'ils voient, ce qui est une fonction de

ceux qu'ils ont fait. De ce fait, les deux auteurs ont caractérisé le processus

de conception comme une interaction de faire et de voir. Cette interaction

devient possible par l’engagement du concepteur avec son environnement, et

plus spécifiquement, avec les matériels dont il fait usage pour continuer son

activité.

60

4.1.3 S-inventions et découvertes inattendues

Suwa et al. (1999) ont entrepris un travail dont les résultats soutiennent les

résultats de (Schön et Wiggins 1992). Un groupe d’étudiant en architecture

ont été demandés de préparer une conception architecturale et leurs travaux

ont été analysés par des études de protocoles. Ils ont étudié la notion de

découvertes inattendues (unexpected discoveries, UXDs) et leurs relations

aux S-inventions (S pour « situé »),

Les S-inventions sont définies comme la génération des buts ou des

spécifications pour la première fois pendant le processus de conception.

Puisque de telles formulations se produisent en interagissant avec la situation

de conception, elles sont situées dans ce processus. Les UXDs corresponds à

la réalisation d’un aspect de la représentation (externe) de concept d’une

manière inattendue. Ceci peut être le cas si l’aspect n’a pas été introduit

intentionnellement. Leurs résultats indiquent une co-relation bidirectionnelle

entre les S-inventions et l'UXDs. D’après les résultats de Suwa et al. (1999),

les S-inventions peuvent entraîner des UXDs, ce qui en retour peuvent

donner lieu à des S-inventions.

4.1.4 Environnement comme moyen de réconceptualisation

Externaliser des concepts provient de la nécessité de donner une structure,

une forme à une idée qui, sans cette externalisation, ne serait qu'une idée

avec des contours flous, une image tremblante. Pour cette raison, pendant

longtemps les sciences cognitives ont considéré que l'externalisation était

nécessaire comme une mémoire active additionnelle. Mais, comme nous les

voyons dans les travaux récents, c'est aussi un moyen de réconceptualisation

(Bilda 2006; Bilda et Purcell 2003; Suwa et al. 1999). Une fois externalisée, la

structure est prête à être interprétée et évaluée en utilisant toute sorte de

connaissances qui peuvent être activées à partir de celle-ci. L'effort pour la

structuration étant réduit au minimum, des ressources cognitives deviennent

libérées et elles peuvent maintenant être utilisées pour la mobilisation des

connaissances pertinentes, pour l’élaboration ou l’évaluation. La

réinterprétation et l'évaluation peuvent modifier les objectifs du concepteur

quant à son travail du fait de sa nature située

61

4.1.5 Environnement comme moyen de communication

L’activité de conception est, le plus souvent, collective. La réussite d’un

projet de conception dépend de la capacité de ces participants à échanger les

connaissances, à collaborer pour en produire de nouvelles (Rosenman et Gero

1996; Darses et Falzon 1996; Hatchuel 1996; Maher 1999; Ciavaldini 1996;

Maher et al. 2000; Austin et al. 2001; Valkenburg et Dorst 1998). Et sans

exception, toute medium imaginable nécessaire à cette interaction nécessite

un environnement qui permet le partage. Remarquons que, étant donnée la

perspective de notre travail, la représentation de l’environnement est

nécessaire pour permettre la communication de l’outil avec le concepteur, un

entité en dehors de l’outil et donc dans son environnement.

4.1.6 L’environnement et la théorie C – K

Il est facile de voir que nous ne pouvons complètement nier l'existence de

l'environnement dans la théorie C – K sans rendre impossible l'acquisition des

connaissances : d'où viennent-elles les premières connaissances de l'agent ? Si

on fait l'hypothèse qu'elles proviennent d'un premier processus de conception,

alors on est obligé à admettre qu'une disjonction sémantique a été opérée au

départ. Mais les termes de la disjonction sémantique doivent être connus

dans l'espace K ! Par contre, rien n'est connu à cette étape ; l'espace K

n'existe pas encore ! Comment avancer donc ? Nous voyons que nous sommes

obligé à prendre en compte l'environnement externe de l'agent.

En fait, la théorie ne nie pas l'existence de l'environnent ; au contraire, elle

admet qu'une opération K K→ peut faire intervenir l'environnement (sous la

forme d'une base de donnée, un expert à consulter, etc.) (Hatchuel et Weil

2002). Seulement, elle ne la représente pas explicitement. Cependant, nous

venons de voir que l’environnement a une influence directe et indéniable sur

l’acte de concevoir. Dans ces conditions, pour rendre compte de la création et

la modification des concepts par un concepteur, nous devons admettre et

représenter l'environnement. Ne serait-ce que, parce que dans le cas contraire,

cela reviendrait à dire que la théorie ne s'intéresse qu'aux cas où le concepteur

conçoit dans son esprit sans jamais externaliser ce qu'il conçoit ! Bien qu'une

62

telle conception soit possible, elle a peu d'intérêt pour créer des outils d'aide à

la conception et pour aider des concepteurs.

4.2 La nature située de la cognition

Nous venons de voir que l’environnement a un impact fondamental sur l’acte

de concevoir. Afin d’incorporer l’environnement dans la théorie C – K, nous

ferons usage des notions de la Cognition Située qui met l’environnement au

centre du développement cognitif et l’activité d’un agent. Avant de

commencer, nous devons noter que plusieurs termes introduits dans cette

section, tels que la perception, la conception, l’interprétation et la

focalisation, sont difficile à définir avec précision et sont des sujets de

recherche à part entière (Bach 1999; Baddeley 1999; Keil 1999; Holyoak 1999;

Gibbs 1999; Albright et Neville 1999; Theureau 2004; Gallistel 2002; Clancey

1997; Anderson 2003). Notre but n’étant pas une discussion ou un

développement théorique de ces notions, nous nous limiterons à la

présentation des notions de bases à un niveau de description où il existe un

consensus général, du moins au sein du courant de la Cognition Située.

Le dictionnaire Larousse définit la cognition comme « former une image, une

idée ou un concept dans l’esprit ». La Cognition Située est une courant de

recherche qui étudie comment une idée ou un concept est formé dans l’esprit

en plaçant la relation de l’individu avec son environnement au cœur de

l’étude de la cognition (Anderson 2003; Brooks 1990, 1991b, a; Clancey 1997;

Seifert 1999; Smith 1999; Suchman 1987; Theureau 2004; Riegler 2001;

Ziemke 2001). La cognition a lieu grâce à l’engagement physique de l’agent

avec son environnement. L’existence corporelle d’un agent cognitif dans un

environnement affecte son développement et son existence cognitive d’une

manière directe (Lakoff et Johnson 1999; Clancey 1997). En fait, l’esprit se

développe par les relations que l’individu établit avec son environnement. Un

agent cognitif apprend à « être » dans un environnement. Par conséquent,

non seulement il apprend à se conformer à l’environnement, mais il apprend

aussi à utiliser l’environnement comme un moyen d’être. Dans ces conditions,

les actions et le raisonnement de l’individu n’ont un sens que par rapport à

son environnement et ne peuvent être étudié séparément de la situation dans

laquelle l’agent se trouve (Suchman 1987).

63

La place que la Cognition Située accorde à l’environnement dans le

développement de l’esprit peut paraître naturelle et évidente.

Paradoxalement, les sciences cognitives ont longtemps ignoré l’influence de

l’environnement sur la cognition.

4.2.1 La Cognition Située : une réaction au Cognitivisme

Jusqu’aux années 80, le paradigme dominant dans les sciences cognitives était

ce qu’on appelle aujourd’hui le cognitivisme. Le Cognitivisme voit le corps et

sa relation à l’environnement comme secondaire ou même superflu. Sur ce

point, il rejoint le Cartésianisme où le corps est vu comme un intermédiaire

entre le monde physique et la connaissance. Cet intermédiaire est à la fois

nécessaire, pour la sensation de ce monde physique, et inacceptable, par le

biais qu’il introduit dans l’interaction avec le monde (Anderson 2003).

La caractéristique la plus saillante du Cognitivisme est sa conception de

l’intelligence en termes de manipulations de symboles par des règles explicites

(Theureau 2004; Anderson 2003). Son hypothèse centrale est « tout système

qui est capable de se représenter des symboles et de les manipuler par des

règles possède les moyens nécessaires et suffisants pour une action intelligente

de caractère général » (Newell et Simon 1972). Du point de vue du

Cognitivisme, le contenu ou le sens des symboles est sans importance, ainsi

que l’agent qui porte les connaissances ou l’intelligence. La cognition consiste

en des opérations logiques sur des représentations symboliques implantées

indifféremment dans un cerveau ou un ordinateur. Ainsi, la cognition est

détachée de l’environnement au sens que la pensée peut être pris en isolation

de l’action et de la perception. Cette conception de l’intelligence est

accompagnée d’une quête de rationalité générale, indépendant de toutes

individus, applicables en toutes circonstances (Smith 1999).

La Cognition Située est née comme une réaction au cognitivisme (Dreyfus

1979; Suchman 1987; Brooks 1990, 1991a, b; Seifert 1999; Smith 1999;

Anderson 2003). Le critique central était que l’intelligence naît de

l’interaction de l’individu avec son environnement et donc la cognition ne

peut être détachée de l’environnement. Un agent cognitif peut agir

différemment dans des situations différentes, de même que deux agents

64

différents peuvent agir différemment dans la même situation. Et donc,

l’intelligence ne peut être isolé de l’agent qui la possède. Ainsi, l’intelligence

ne peut être conçue indépendamment de l’agent, ni des situations dans

lesquelles il s’est trouvé et il a agi. La cognition, et donc toutes ses fonctions

principales (e.g. le langage, le raisonnement, les fonctions motrices) se

développent en réponse aux exigences de l’environnement. Nous pourrons

même dire que la cognition a lieu en utilisant l’environnement comme un

outil, un moyen d’amorcer son activité. Par contraste au cognitivisme, la

Cognition Située met l’accent sur l’existence physique en acclamant que la

présence corporelle de l’individu et son interaction avec l’environnement est

essentielle pour étudier la cognition. L’environnement structure, conditionne

et supporte les processus cognitifs. Le raisonnement n’est pas un but en soi,

mais il sert de base pour choisir les actions qui permettront d’agir sur

l’environnement pour créer des effets désirables (Ziemke 2001; Riegler 2001;

Seifert 1999; Smith 1999; Clancey 1997).

La Cognition Située propose donc une autre approche à la cognition, plus

Heideggérien, qui tente de réconcilier l’agenceté avec l’environnement dans

lequel l’agent évolue (Anderson 2003). La Cognition Située est l’étude de la

façon dont les connaissances de l’agent se développe en tant que des moyens

de coordonner l’activité pendant l’activité même. Ce que l’agent perçoit de

l’environnement, comment il conçoit son activité et ce qu’il fait dans

l’environnement développent ensemble (Clancey, 1997). Cette idée nous

renvoie aux étroites relations entre la perception, l’action et la

conceptualisation.

4.2.2 Perception, conceptualisation, action

Le développement et le fonctionnement de l’esprit humain dépendent

fortement de processus de perception et d'action. Perception fournit

l’information pour l’action et l’action génère des conséquences qui informe la

perception (Gibson et al. 1999; Clancey 1997).

La perception est le processus par lequel l’agent fait sens de son

environnement et de soi-même. Ce processus construit les percepts ; ils sont

construits sur la base des sensations pour percevoir la structure de

65

l’environnement et les relations de causalité (Gibson et al. 1999). En

particulier, l’agent perçoit les résultats de ses actions et il devient capable de

juger s’il a pu changer l’environnement d’une manière qui lui convient vis-à-

vis des ses objectifs. La construction des percepts peut être influencée par

différentes connaissances que l’agent possède comme des concepts, des

émotions, et même d’autres percepts récemment construits. Ainsi, les

percepts formés peuvent influencer la construction des percepts subséquents.

Et donc, la construction des percepts peut aussi être biaisée par des percepts

déjà activés.

Ce qui est perçu de l’environnement va souvent entraîner l’action. Dans

l’approche située de la cognition, l’action consiste, la plus part du temps, à la

mobilisation et l’utilisation des ressources offertes par l’environnement d’une

manière opportuniste et improvisée ; il est relativement rare qu’un agent

cognitif forme un plan pour accomplir une tâche et qu’il le suit du début à la

fin, sans s’intéresser à ce qui se passe dans l’environnement (Suchman 1987;

Brooks 1991a, b). Suchman (1987) revendique que, si l'action a pu apparaître

comme suivant des plans établis en vue d’atteindre un objectif, c'est grâce à

une illusion rétrospective, celle qui est engendrée par les récits réflexifs que

nous faisons de nos actions. Cette illusion rétrospective, c'est que nous

croyons que les descriptions que nous effectuons de nos actions, qui nous

apparaissent comme des récits suivant un plan, rendent compte de la

production (ou genèse) de ces actions.

La perception et l’action interagissent avec les concepts que l’agent possède.

Dans la philosophie classique et le linguistique, les concepts existent par eux-

mêmes et avec des propriétés qui sont indépendantes de l’agent cognitif qui

les possède. Dans les sciences cognitives, les concepts font parties des

connaissances d’un agent (contrairement aux propositions de la théorie C –

K ; nous reviendrons sur ce point).

A part les concepts décrivant les objets ou entités physiques du monde

extérieur, comme chaise ou pigeon, ils existent des concepts d’ordre

supérieurs comme mammifères, légumes, fourniture ou des concepts abstraits

comme pareil, égal ou différent, des concepts spatiaux comme sur, dessous, en

66

arrière ou encore des concepts d’actions ou de plan comme avancer puis

reculer ou manger.

Il n’y a pas de consensus général sur la définition des concepts et leur

acquisition. Leur utilisation et leur fonctionnement sont au cœur de la

recherche en sciences cognitives (Keil 1999; Hampton 1999). « Ce sont les

éléments à partir desquels la pensée est construite, ainsi fournissant une

compréhension du monde, les concepts sont utilisés pour interpréter notre

expérience actuelle en les classifiant et donc les reliant aux connaissances

passées » (Hampton 1999).

Les concepts sont construits sur la base des percepts et d’autres concepts

(s’ils ont été déjà construits). Par conséquent, les connaissances d’un agent

sont construits essentiellement sur la base de ce qu’il observe de

l’environnement, et donc, sur la base des relations qu’il établit avec

l’environnement. Le processus qui construit les concepts est le processus de

conceptualisation (Clancey 1997)**. Toutefois, il y a une forte interaction

entre la perception et la conception et il n’est pas facile de distinguer où finit

la perception et où commence la conception. Cette distinction dépend en

partie de ce qu’on entend par « concept » et de comment est conçu la

relation entre les percepts et les concepts (Gallistel 2002).

4.2.3 La mémoire constructive

L’approche de la Cognition Située aux connaissances et à la cognition

implique aussi une différente conception de mémoire. La mémoire doit être

comprise et analysée comme un « processus » plutôt qu’une structure fixe et

prédéfinie (Dewey 1896; Clancey 1997). La mémoire n’est pas un lieu de

stockage ou une liste où les expériences sont enregistrées d’une manière fixe,

statique et indépendante de la situation dans laquelle elles ont été acquises.

Quand l’agent a besoin de rappeler une expérience, elle est reconstruite.

** Dans le texte original de Clancey, pour désigner l’activité mental de création de concept, le

terme « conception » (en anglais) est utilisé à la place de « conceptualisation ». Nous avons

déjà utilisé le terme « conceptualisation » pour la création de concept dans l’activité de

conception, ce qui est parallèle avec l’utilisation de Clancey.

67

L’expérience rappelée n’est pas exactement l’expérience originale telle qu’elle

a été vécue. Son rappel est influencé :

• Par l’expérience originale telle qu’elle a été éprouvée et apprise,

• Par toute reconstruction de l’expérience depuis l’expérience originale,

• Et par les conditions de la situation courante dans laquelle l’agent se

trouve au moment du rappel.

Quand une mémoire est reconstruite elle est intégrée à la connaissance de

l'agent. Ainsi, toute reconstruction d’une mémoire affecte la mémoire en ce

qui concerne son usage futur. La reconstruction d’une mémoire est basée sur

les percepts et les concepts précédents au sujet des expériences semblables et

ainsi ce n'est pas une structure entièrement nouvelle. Il n'est pas non plus

l'expérience passée telle qu'elle a été enregistrée puisque sa reconstruction est

guidée par les détails courant dans l'environnement actuel aussi bien que par

les buts courants (Clancey 1997). Gero et Fujii (2000) ont décrit cette

interaction comme un processus de « pousse-et-tire » où les mémoires sont

tiraillées par deux processus concurrents. Un processus qui « pousse » la

mémoire, qui est orienté par ce qui est senti de l’environnement. Et un

processus qui « tire » la mémoire pour la déformer en faveur de ce que

l’agent attend percevoir et de ce qu’il connaît. La construction de mémoire

est donc tiraillée par la sensation que l’agent a de l’environnement et par les

espérances de l’agent quant à ce qu’il devrait sentir et ce qu’il connaît.

4.2.4 Ancrage des concepts

Les connaissances d’un agent cognitif sont ancrées sur ses interactions

physiques avec l’environnement. Si la notion de mémoire constructive

explique comment les connaissances sont utilisées, la notion de l’ancrage des

concepts est le principe dual qui explique essentiellement comment les

connaissances sont acquises. L’ancrage est le processus par lequel un concept

(ou un percept) est mis en relation avec d’autres percepts ou concepts.

Autrement dit, l’ancrage est le processus qui établit le contenu ou le sens

d’un concept. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas là de construire un

concept (ou un percept) et ensuite déterminer un sens pour celui-ci :

68

Figure 4.1 Les différents mondes interdépendants pour un agent situé (Gero et Kannengiesser

2002).

La perception et la représentation ont toujours lieu dans le contexte de, et

donc, sont structuré par, l’agent incarné et son engagement intentionnel avec

le monde. Ceci implique que les représentations sont des sublimations des

expériences corporels, qui ont déjà un contenu, et non pas donné de contenu

ou forme par un esprit autonome (Anderson 2003). Ainsi, le sens et les

relations de nos concepts sont déterminés par notre engagement physique au

monde, par le corps en action et donc par critères pratiques plutôt

qu’abstraits ou logiques (Anderson 2003).

4.2.5 Trois mondes pour un agent située

Il est possible de remarquer que les travaux sur la nature située du

concepteur que nous avons présenté dans la section 4.2 et les idées

directrices de la Cognition Située présentée dans la section 4.3 ont des

similarités. Selon nous, les principes de conversation réflexive et de

l’interaction de faire et voir sont directement liés à la nature située des

concepteurs, et en particulier au couplage perception-conceptualisation-action

(couplage PCA). Gero et Kannengiesser (2002) ont proposé un modèle

d’agent de conception situé en suivant une logique similaire. Leur modèle

représente les processus essentiels qui caractérisent l’activité et le

raisonnement d’un concepteur en partant du couplage PCA.

69

Selon leur modèle, le monde externe correspond aux objets et aux

représentations à l'extérieur de l'agent ; Figure 4.1. Le monde interprété est

constitué des connaissances de l'agent en termes de percepts et de concepts

qui ont été construits sur la base de ses interactions avec son environnement.

S'agissant d'un agent situé, ce monde est construit suivant le principe de

mémoire constructive. Le monde ciblé représente le monde externe tel que

l'agent veut qu'il soit. Donc, c'est dans le monde ciblé que les objectifs de

l'agent sont formulés.

Toutefois, il faudrait noter que le monde ciblé est contenu par le monde

interprété mais qu’il a été dessiné à part pour préciser la distinction (Gero et

Kannengiesser 2002). Ces trois mondes sont dynamiquement couplés entre

eux par trois types de processus. Le processus d'interprétation (ou de

perception) transforme l'information venant de l'extérieur au monde

interprété qui est composé des percepts et des concepts au sujet de

l'environnement externe. Ceci résulte de l'interaction des processus de

perception et de conception. Le processus de focalisation oriente l'attention

sur certains aspects du monde interprété, les compare avec le monde ciblé. En

fonction de cela, soit le monde ciblé change (ce qui est constaté dans le

monde externe est jugé satisfaisant), soit un processus d'action prend le relais

pour changer le monde externe pour y faire apparaître le monde ciblé. Un

changement dans un de ces trois mondes a le potentiel de causer un

changement dans tous les trois. Gero et Kannengiesser (2002) utilise ce

modèle pour modifier le modèle FBS du processus de conception de (Gero

1990) afin de prendre en compte l’environnement, et donc, proposent un

modèle FBS situé. Dans la section suivante, nous ferons usage de ce modèle

pour faciliter la présentation de notre version de la théorie C – K.

4.3 Modifier la théorie C – K : un espace E de l'environnement

Nous avons avancé, dans la section 4.2, que nous avons besoin de prendre en

compte d’un troisième espace que nous allons appeler E pour environnement.

Comment l'introduire sans toucher à l'intégrité et à la cohérence de la théorie

et de manière à préserver ses enseignements principaux ?

70

Figure 4.2 Espace C, K, E d’un agent de conception situé.

Nous allons nous baser sur les notions de la Cognition Située pour modéliser

les interactions et la nature des trois espaces C, K et E (Kazakci et Tsoukias

2004b, 2005).

4.3.1 Les espaces de concepts, de connaissances et de l’environnement

Comment utiliser les idées de la Cognition Située pour modifier la théorie C –

K ? Nous pensons qu’il est possible de se procéder, par analogie avec le

modèle de Gero et Kannengiesser (2002). Que nous dit-il le modèle à propos

de la théorie C – K et l'espace environnement ? L'environnement E que nous

voulons introduire correspond au monde externe. Et l'espace K des

connaissances correspond au monde interprété qui contient le monde ciblé.

Mais, où est-il l'espace C ? En fait, l’espace C n'apparaît que comme une

partie du monde interprété lorsqu’une disjonction sémantique s'opère et qu'un

travail de conception commence ; Figure 4.2 ! Dans cette perspective, l'espace

C est temporaire : il est créé lorsque la conception commence et un nouveau

concept non connu auparavant commence à être créé (ou compris) par le

processus de conceptualisation et il disparaît lorsque le concept est

suffisamment bien connu et qu'il est intégré au concepts déjà existant dans le

monde interprété.

71

Figure 4.3 Les espaces C, K et E ; (Kazakci et Tsoukias 2005)

4.3.2 Conceptualisation au cœur de la conception

Quel est le processus qui crée l’espace C ? C’est le processus de

conceptualisation (voir paragraphe 4.3.2). Ce processus étant celui qui crée et

élabore les concepts, les disjonctions sémantiques y sont opérés. Comme pour

tous les agents situés, pour un agent de conception, la conceptualisation

interagit par les processus de perception et d’action. Le processus d’action

entreprend les actes physiques pour changer le monde extérieur pour y faire

apparaître le concept élaboré dans l’espace C ; Figure 4.2. Autrement dit,

l’agent externalise le concept pour produire une description physique.

Remarquons qu’au niveau d’abstraction où nous nous placerons, nous n’avons

besoin de faire aucune hypothèse en ce qui concerne la nature de cette

description. Dans ce cas, il est possible de supposer que la description

externalisée par l’agent peut correspondre aussi bien à la description d’un

produit commercial qu’un œuvre d’art.

A part le processus d’action, l’agent interagit avec l’environnement par le

processus de perception. L’agent forme une perception de la situation de

conception sur la base de ses connaissances et sur ce qui est observé. Le

processus de conceptualisation peut alors utiliser cette perception et des

concepts que l’agent détient pour continuer l’élaboration du concept de

l’espace C.

72

Nous retrouvons ici le couplage des processus de perception-

conceptualisation-action (voir paragraphe 4.3.2). En termes de notre théorie,

il devient possible de reformuler ce couplage : la conception émerge de

l’interaction des espaces C, K et E. Nous appellerons cette propriété le

couplage C/K/E. Comme les trois espaces sont interdépendants, un

changement quelconque dans l’un des trois a le potentiel de modifier tous les

trois. Sous cet angle, le processus de la création et de l’élaboration de

concepts est gouverné par le processus de conceptualisation. Par conséquent,

la conceptualisation est au cœur de l’activité de conception.

4.3.3 Conceptualisation comme construction de sens

La conceptualisation crée et élabore les concepts d’un agent de conception.

Or, nous avons vu dans le paragraphe 4.3.4 que l’élaboration d’un concept a

lieu par son ancrage sur les percepts et d’autres concepts. Le concept peut

être créé sur la base des percepts auquel cas il s’agit d’un processus de

conception de type compréhension (sauf si les percepts ont été construit par

une perception d’une externalisation d’un concept que l’agent a créé). Il peut

aussi être créé volontairement sur la base des concepts que l’agent connaît

auquel cas il s’agit d’un processus de conception de type création. Dans les

deux cas, l’ancrage d’un concept est le processus par lequel le sens du concept

est construit en établissant des liens entre le concept et les autres

connaissances. Ainsi, à la place du statut logique d’un concept, nous

parlerons du sens d’un concept et nous définirons le processus de

conception comme la construction de sens pour un concept par le processus

de conceptualisation qui interagit avec l’espace E par l’intermédiaire de la

perception et de l’action (Kazakci et Tsoukias 2004a, 2005 ; Kazakci 2005).

4.3.4 Concepts et connaissances

Comme nous l'avons déjà remarqué, dans la Cognition Située le mot concept

est utilisé pour désigner des connaissances, contrairement à la théorie C – K.

Comment résoudre la question : Les concepts devront-ils être considérés

comme des connaissances (comme dans la Cognition Située) ou non (comme

dans la théorie C – K)? En fait, les deux usages ne sont pas exclusifs, du

moment que l’espace C est temporaire. Nous considérons que les concepts,

73

comme toutes les connaissances, sont ancrées sur l’expérience de l'agent et sa

relation avec son environnement tel qu’il est admis dans la Cognition Située.

Les concepts qu’un agent connaît forme son espace K. En revanche, un

processus de conception commence quand un sens doit être construit pour un

concept. A ce point, le concept n’est plus considéré comme une connaissance

comme son sens n’est plus stable et est sujet aux changements. Durant le

processus, les concepts et les percepts de l’agent (qui forment l’espace K de

l’agent) interagissent pour analyser, évaluer et expansionner les concepts de

l’espace C (Kazakci et Tsoukias 2004a, 2005).

4.3.5 E-relativité de K et E-validation

Deux conséquences du couplage C/K/E sont E-relativité de K et E-validation

(Kazakci et Tsoukias 2005). E-relativité est similaire au K-relativité de la

théorie C – K. Elle découle directement des principes de la Cognition Située

que nous avons présentés dans la section précédente. La K-relativité souligne

que la définition d’un espace C dépend d’un espace K donné. De la même

manière, il n’est possible de définir un espace K que par rapport aux

environnements dans lesquels a été l’agent de conception. Donc, le

développement de l’espace K est E-relative.

Une fois que l’environnement est pris en compte, nous voyons que la

validation d’un concept n’est pas nécessairement basée sur l’espace K de

l’agent. En supposant que le concept a été externalisé par l’agent, un concept

peut être validé par l’environnement (i.e. par un autre agent de conception).

Une telle validation est appelée E-validation (Kazakci et Tsoukias 2004a,

2005).

4.3.6 L’axiome de choix et la théorie C/K/E

L’axiome du choix peut être énoncé comme suit : Etant donné un ensemble

quelconque d’ensembles non vides mutuellement exclusifs, il existe au moins

un ensemble qui contient un élément et un seul en commun avec chacun des

ensembles non vides. Si nous considérons que les concepts sont des ensembles

de propriétés définitionnelles et nous acceptons cet axiome, ceci revient à dire

qu’il est possible d’exhiber chaque propriété d’un concept donné. Le rejet de

cet axiome par Hatchuel et Weil (2002, 2003), nous pensons, souligne le fait

74

que les concepts, tels que « une surprise party sympa » ne peuvent pas avoir

de définition objectives et fixes, donnée par une liste de propriétés

exhaustives et identifiables.

Comment saisir cette idée dans notre cadre situé ? En adoptant les idées de

mémoire constructive et l’ancrage des concepts ! En fait, le rejet de l’axiome

du choix implique que les concepts peuvent avoir des interprétations

différentes par des agents différents ayant des espaces K différents. Nous

avons vu dans la section 4.3 que cette idée est à la base de Cognition Située.

C’est l’idée même sous-jacente aux notions de mémoire constructive et

l’ancrage des concepts. Comme nous avons vu, pour un agent situé avec une

mémoire constructive et qui apprend suivant l’ancrage des concepts, le sens

d’un concept n’est pas fixe mais flexible. Il prend forme suivant les exigences

du moment et de la situation et l’expérience de l’agent. Alors, pour l’agent il

n’est pas possible de donner une définition fixe du concept, ni une liste de

propriétés exhaustive et inchangeable. Un agent peut construire

(volontairement ou non) des significations différentes pour un concept dans

des situations différentes suites aux interactions des espaces C, K et E.

L’équivalent du rejet de l’axiome de choix dans la théorie C/K/E est

l’adoption des notions de mémoire constructive et l’ancrage des concepts.

4.3.7 Opérateurs C/K/E

Comment les espaces C, K et E interagissent-ils ? Nous devons introduire de

nouveaux opérateurs pour le cadre que nous proposons. Discutons les quatre

possibilités.

D’un point de vue purement cognitif les deux opérateurs E K→ et K E→

paraissent être nécessaire. Le premier est nécessaire pour modéliser la

réception de l’information à partir de l’environnement par le processus de

sensation et de l’interprétation de cette information par le processus de

perception. Le deuxième peut être utilisé pour modéliser les connaissances

motrices, c'est-à-dire, les actions : Quelque soit l’action, elle requiert des

connaissances spécifiques nécessaires à réaliser cette action.

75

Dans le contexte de conception, une classe d’actions importante sont les

actions pour externaliser un concept. Ce genre d’action dépend

essentiellement de l’espace C. Pour modéliser ce genre d’action il est possible

d’utiliser un opérateur C E→ . Cependant, il faudra noter qu’en réalité, cet

opérateur est composé d’une séquence d’opérateur : C K→ et K E→ ,

puisque des connaissances intermédiaires sont utilisées pour prendre les

actions nécessaires.

De la même manière, il est possible d’utiliser un opérateur E C→ pour

représenter le cas où il y a un stimulus provenant de l’environnement (par

une opération E K→ ) qui interfère avec l’élaboration du concept dans

l’espace C (par une opération K C→ ) . Nous pensons que dans la plupart

des cas, un tel opérateur ne sera pas nécessaire puisque l’information captée

est d’abord traité par d’autres processus (comme la perception) avant

d’interagir avec l’espace C. Cependant, il pourrait être intéressant pour

modéliser les cas où quelque chose dans l’environnement est sentie mais n’a

pas de sens pour l’agent : Un sens doit être construit et un processus de

conception commence suite à une incompréhension. Ceci est plutôt une

activité de compréhension plutôt que de création. Ce genre de situation peut

être rencontré pendant un travail collectif où plusieurs agents collaborent.

76

Lors d’une conversation entre amis, vous pouvez remarquer que quelque chose

d’extraordinaire se produit. Quand ils parlent, c’est comme si une étincelle se crée, qui passe

d’une personne à une autre, et lorsqu’il propage, il prend des forces, pour devenir une flamme

chaude et éclairante de compréhension mutuelle que personne d’entre elles n’aurait pu achever toute seule.

SOCRATE

Chapitre 5. Assistants Personnels de Conception

Nous proposons dans ce chapitre un concept d’Assistant Personnel de

Conception (APC). Un APC est un outil qui observe le travail de son

utilisateur et qui supporte cette activité en faisant des suggestions à celui-ci.

Par contraste aux outils traditionnels, un APC interagit avec son utilisateur

afin d’enrichir le dialogue de celui-ci avec la représentation de concepts.

Après avoir discuté les propriétés et les fonctionnalités qu’un APC peut

avoir, nous proposons un ensemble de propriétés issues de la théorie C/K/E

pour les APCs. Ces propriétés recouvrent l’ensemble de propriétés et de

fonctionnalités discutées à propos des APCs. Elles connectent donc la notion

d’APC à la théorie C/K/E et elles permettent d’avancer cette théorie comme

un fondement théorique pour les APCs. Nous finissons en suggérant

l’approche des concepts fluides comme un moyen informatique pour réaliser

un APC qui vérifie les propriétés proposées.

5.1 Outils informatiques d’aide à la conception

5.1.1 Historique du CAO

Les outils d'aide à la conception le plus largement répandus et utilisés sont les

logiciels de dessins en 2D ou 3D. Il est intéressant de se rappeler de

l’évolution de ces outils. La naissance de la conception assistée par ordinateur

est associé généralement au projet SKETCHPAD, un système pour

développer des graphiques en milieu électronique, développé par Sutherland

(1963). Les idées sous-jacentes à ce système, alors révolutionnaire, ont eu une

77

vaste influence sur la littérature de CAO. La nouveauté fondamentale

consistait à la possibilité d’interagir avec l’ordinateur par l’intermédiaire de

l’écran avec un crayon lumineux (light pen). En tant que tel, le système est

parfois considéré comme un prototype des interfaces graphiques

d’aujourd’hui.

La capacité des ordinateurs pour dessiner étant prouvé, la recherche sur des

systèmes pour CAO, surtout pour dessiner en 2D, a reconnu un intérêt.

Cependant, les premières utilisations de la CAO ont été limitées à de grandes

entreprises et à des industries d’automobile et d’aérospatial, comme elles

étaient les seules capables d’acheter les ordinateurs puissants de l’époque

capable de réaliser les calculs nécessaires.

La recherche en matière de CAO a continué avec des avancées rapides. En

1970, l’université de Cambridge a commencé à vendre des logiciels de CAO

3D qui exploitaient des résultats de Lang et Welbourne. En France, dans les

années 60, il y a eu les premiers résultats importants sur les courbes en 3D et

le calcul de géométrie de surface. Chez Citroën, Casteljau a obtenu des

résultats sur la computation des courbes en 3D. Chez Renault, Bézier a

obtenu d’avantage de résultats en utilisant les résultats de Casteljau. En

1975, Dassault a commencé à développer CATIA (Computer Aided Three

Dimensional Interactive Application), un programme de dessein 3D qui est,

par ailleurs, le programme commercial le plus utilisé mondialement de nos

jours.

Vers la fin des années 70, les premiers travaux sur la modélisation solide ont

aussi apparu. Voelcker a introduit PADL (Part and Assembly Description

Language) pour la modélisation des solides. B-rep (boundary representation)

a été proposé par Baumgart pour la représentation des éléments finis. Braid

a proposé le BUILD qui était un programme de modélisation solide utilisant

les représentations des frontières en 1978. Ces techniques ont propulsés plus

de recherches, tant dans la modélisation en 3D que des domaines parallèles,

tels que l’optimisation structurelle, l’analyse des éléments finis (Kirsch 1981;

Gero 1981a, b, 1985). Sur un plan commercial, la concurrence (entre DEC,

Hewlett Packard, IBM et autres) et les avancés dans les langages de

78

programmation (par exemple, l’apparition de C) rendaient les logiciels

résultants plus accessibles. Pendant les années 80, les logiciels de dessins 2D

ou 3D est devenu un secteur industriel à part.

L’introduction de Pro/Engineer en 1987 a été un tournant pour le secteur. Ce

logiciel proposait une interface graphique très puissant pour l’époque, qui

faisait une utilisation intensive de multiples fenêtres, de boites de dialogues,

de menus contextuels, de menus déroulant grâce à X-windows du plateforme

Unix. Pro/Engineer a complètement changé les espérances des utilisateurs et

a établi le standard pour le secteur. Graduellement, ce genre d’interface ont

permis à rapprocher les outils de dessin assisté par ordinateur à des outils de

représentation de connaissances (Brown 1998). L’information sur différents

aspects de la forme, les propriétés des matériels, les spécifications de

production ont commencé à paraître sur les écrans de CAO. Pendant les

années 90, à côté de la représentation des propriétés géométriques et

topologiques, les systèmes d’optimisation et d’analyse sont devenus des

options par défaut des logiciels d’aide à la conception commerciale.

5.1.2 Outils d'aide à la conceptualisation – OACs

Au sein de la communauté scientifique, à partir des années 90, le cadre de

l'aide informatique à la conception a commencé à s'élargir au delà des outils

CAOs traditionnels. Le dessin et son analyse, bien qu'indispensable n'était

pas suffisant; d'autres connaissances sur le projet de conception, sur

l'organisation du travail mais surtout sur le produit en question devraient

être représentées. Les mots « connaissance » et « concept » ont commencé à

faire partie de la littérature sur les outils informatique d'aide à la conception.

Les efforts se sont concentrés sur l’expansion des frontières de la CAO pour

une aide à la conceptualisation et non pas seulement une aide au dessin.

Autrement dit, l’attention des concepteurs de CAO a tourné des phases de

conception morphologique et de conception de détail vers la

conceptualisation. Par conséquent, les travaux se sont focalisés sur le début

du processus où la nécessité de représenter les connaissances non structurelles

joue un rôle plus important que les phases de conception en détail. Les outils

d’aide à la conceptualisation (OAC) sont nés.

79

D’un côté, comme nous verrons en détail plus tard, les langages pour

représenter une gamme de connaissances plus variées ont été développés

(Gero 1990; Goel et al. 1996; Gorti et al. 1998; Rosenman et Gero 1996;

Umeda et al. 1996). En particulier, la nécessité de représenter la fonction et

les comportements en dehors des propriétés structurelles a été soulignée

(Chandrasekaran et al. 1993; Finger 1998; Gero 1990). De l’autre côté, tout

l'arsenal de « techniques » de l'intelligence artificielle a été mobilisé pour

proposer des OACs. Ainsi, par exemple, ont commencé à être reporté les

applications de systèmes à base de connaissances (Balachandran et Gero

1987; Sriram et al. 1984; Maher et Fenves 1984; Maher et al. 1984; Coyne et

al. 1990). Des approches de type raisonnement à partir des cas ont trouvé

une place importante dans la littérature (Maher et al. 1995; Maher et Pu

1997). L’utilisation de l’analogie, souvent en relation avec des techniques de

raisonnement à partir de cas, a été reportée pour aider la conceptualisation

(Qian et Gero 1996; Gero et Kazakov 1999; Goel 1997). Vers la fin des

années 1990, des recherches sur des « agents de conception » ont commencé

à être reportés (Gero et Brazier 2002; Brown et al. 1996).

5.1.3 Agents de conception comme OAC

La recherche en intelligence artificielle appliquée à la conception s'est

intéressée à l'utilisation des agents dans les travaux de conception à partir

des années 90. Par exemple, Grecu et Brown (1999b) proposent un système

pour la conception paramétrique des ressorts. Ils utilisent des agents nommés

« agents à fonction unique» (single function agents, SFAs). Ces agents ont

chacune une seule fonction telle que la sélection des paramètres, estimation

de leurs valeurs, évaluation des alternatives, critique ou recommandation des

alternatives. La fonctionnalité limitée de ces agents renforce leur interaction.

Grecu et Brown (1999a) ont considéré la potentialité d'apprentissage dans le

cadre des SFAs dans le cas où l'apprentissage est surveillé par un concepteur.

Les SFAs travaillent sur un catalogue, de nouvelles conceptions sont effectués

en combinant les composants du catalogue et en déterminant des valeurs de

paramètres.

Campbell et al. (1999) présentent une approche bottom-up ; un système

nommé « A-design ». Dans ce système existent plusieurs types d'agents. Les

80

agents de configurations sont responsables pour « coller » les types de

configurations qu'ils représentent quand et où ils peuvent dans l'architecture

générale qui est en cours de construction. Les agents d'instanciation

« remplit » ces configurations avec les composantes actuelles à partir des

catalogues. Les agents de fragmentation peuvent supprimer les composantes

inappropriées et ajouter au catalogue des configurations créées lors du travail

qui sont jugées satisfaisantes. Les agents « manager » gèrent les autres

agents, peuvent en créer ou en supprimer en fonction de leur contribution.

Gero et Reffat (2001) proposent l'utilisation des représentations multiples

pour un seul agent de conception. De cette manière l'agent peut percevoir de

diverses façons le concept étudié, ce qui permet de réorienter le processus de

conception de diverses manières. Reffat (2002) utilise le même cadre pour

esquisser un système multi agents capable de créer des concepts.

Saunders et Gero (2002) suggèrent des agents « curieux » comme agents de

conception situés. Ils illustrent leurs idées avec un exemple de conception

d'exposition. Dans ce genre de problème de conception, l’enjeu est de

maintenir l'intérêt du publique qui se trouve et se promène dans la salle. Le

système a été implémenté dans un environnement virtuel. Les agents

proposés peuvent détecter la nouveauté des oeuvres qu'ils sentent dans

l'environnement, générer une valeur « hédonique » (suivant une courbe de

Wundt, voir (Saunders et Gero 2002)) et exhiber des différents niveaux de

curiosités en fonction de cette valeur.

La littérature sur les agents de conception devient de plus en plus riche et

plusieurs pistes de recherche existent (voir, par exemple, (Gero et Brazier

2002)). Cependant, d’une manière générale, la notion d’assistant de

conception n’a pas attiré l’attention des chercheurs, et en particulier, nous

n’avons rencontré aucun travail sur le sujet dans le contexte de

conceptualisation.

81

5.2 Assistants personnels de conception

5.2.1 OAC basé sur la théorie C/K/E

Un des buts ultimes de notre projet est de proposer un outil d’aide à la

conceptualisation en exploitant les principes de la théorie C/K/E. Dans le

chapitre précédent, nous avons vu qu’il fallait prendre en compte

l’environnement E du concepteur, puisque l’outil est externe au concepteur et

donc dans son environnement. Réciproquement, pourrons-nous remarquer que

le concepteur est dans l’environnement de l’outil. Ayant redéfini la

conception comme l’interaction et la co-évolution des espaces C, K et E,

nous pouvons donc conclure qu’un outil qui va supporter l’élaboration d’un

concept devrait permettre au concepteur d’utiliser ses espaces C et K le plus

favorablement possible en interaction avec son environnement E et donc avec

l’outil. En revanche, l’outil peut maintenir et utiliser ses propres espaces C et

K. En ce qui concerne l’outil, ceci pourra être exprimé en des termes plus

traditionnels : l’outil peut être créatif et apprendre.

Dans la littérature sur les outils de conception, ces deux aspects ont été pris

séparément. D’un coté, des outils qui permettent des effets créatifs (par

exemple, en utilisant les algorithmes génétiques, qui fonctionnent, en termes

de C – K, en produisant de grandes quantités de partitions expansives à

chaque cycle jusqu’à une K-validation) ont été reportés (Maher 1994 ; Gero

et al. 1997). De l’autre coté, des outils qui apprennent, souvent que la

représentation finale, ont été proposés (Maher et al. 1995; Maher et Pu 1997).

5.2.2 Paradigmes traditionnels pour OACs

Les systèmes OAC reportés dans la littérature (par exemple, ceux présentés

dans la section 5.1) suivent l’une des deux paradigmes très dominants ;

l’automatisation de la conceptualisation ou soutien de l’activité par des bases

de données. Dans le premier cas, le système conçoit d'une manière autonome,

indépendamment de l’environnement. Nous pouvons citer à titre d’exemple le

travail de Maher (1994) où des algorithmes génétiques sont utilisés sur des

représentations de concepts ou le travail de Campbell et al. (1999) où

plusieurs agents interagissent pour former un concept.

82

Figure 5.1 Un assistant personnel de conception collaborant avec le concepteur et d'autres

APCs.

Dans le deuxième cas, le soutien de l’activité par l’outil est passif comme

nous pouvons constater avec (Gorti et al. 1998). Dans les deux cas, nous

trouvons que la nature située du concepteur est ignorée partiellement ou

totalement. Pour le premier cas, le travail est effectué indépendamment du

concepteur et celui-ci peut n’intervenir qu’à la fin de la création de concept.

Dans le deuxième cas, le concepteur agit sur l’outil mais il n’y a pas

d’interaction véritable. Ainsi, dans les deux cas, la conversation du

concepteur avec la situation de conception est limitée, ce qui, comme nous

l’avons vu au paragraphe 4.2, ne favorise pas l’activité de celui-ci.

5.2.3 Enrichir la conversation du concepteur avec son environnement

Idéalement, un outil devra être complémentaire au concepteur, dans le sens

qu’il devra permettre d’effectuer une activité que le concepteur aura des

difficultés à réaliser (comme des calculs d’amplitude important) ou

amplificateur, dans le sens qu’il devra permettre au concepteur de mieux faire

ce qu’il sait déjà faire (comme des actes de créativité). Dans les deux cas,

l’outil devra être le catalyseur de l’action pour le concepteur.

Comment un outil peut être catalyseur de l’action? Sachant que les

concepteurs s’engagent dans une conversation réflexive avec la situation

pendant la conception, une voie potentielle est l’enrichissement de ce

dialogue de la part de l’outil. Ceci implique une interaction accrue entre

l’outil et le concepteur. Comme Edmonds et Candy (1999) précisent, le mot

83

« inter-action » se réfère à un processus réciproque, donc, deux entités qui

agissent l’un sur l’autre et qui s’influencent. Si le mot peut évoquer un

échange, il n’est pas pourtant nécessaire que la qualité de celle-ci soit

identique dans les deux sens. Néanmoins, si l’outil peut jouer un rôle actif et

peut intervenir dans la conversation, la qualité de l’interaction peut

augmenter compte tenu de la nature située du concepteur. Une manière

d’accomplir cela est de bâtir l’outil en sorte qu’il réagisse aux actions de son

utilisateur et qu’il fasse des suggestions. Un tel système se rapprochera plus

de la notion d’assistant que d’outil.

5.2.4 Assistants Personnels de Conception - APCs

Nous appellerons « Assistant Personnel de Conception (APC) » un agent de

conception situé qui a comme fonctions principales :

• Observer l’environnement, c'est-à-dire, le travail de son utilisateur,

• Soutenir l’activité de son utilisateur par des suggestions,

Pour réaliser ces fonctions, un APC coopère avec l'utilisateur et avec d’autres

APCs si nécessaire ; Figure 5.1. Cette coopération est une activité

bidirectionnelle où, d’une part, l’APC suggère des actions à son utilisateur, de

l’autre part, observe les réactions de son utilisateur et l’environnement.

D’un point de vue général, un APC peut fournir deux types d’assistance ;

assistance orienté projet et assistance orienté outil. L'assistance orienté projet

consiste à des suggestions à propos de l'élaboration d’un concept. Un APC

peut assister son utilisateur pendant les étapes de synthèse, d’analyse ou

d’évaluation. En terme de la théorie C – K, il peut aider le partitionnement

de l’espace C, l’utilisation ou l’expansion de l’espace K ou la K-validation des

concepts créés. L'assistance orienté outil consiste à des suggestions sur la

manipulation des outils de conception dont l'assistant est en charge tels que

des différents modules d’analyse, des bases de données, d’outils de dessin ou

de prototypage.

Comme le terme « assistant » suggère, nous ne concevons pas un APC

comme un agent autonome, concevant indépendamment de l'environnement

étant donnée un problème de départ. Plutôt, un APC assiste l'utilisateur en

faisant des « suggestions » pour continuer le travail de conception. Nous

84

pouvons remarquer qu'une telle approche s'inscrit par définition dans une

démarche constructiviste où l'APC acte comme un catalyseur pour aider le

concepteur à construire un concept.

5.2.5 Modes d'assistance d'un APC

Un APC peut orchestrer ses constituants afin d'offrir deux types d'assistance :

assistance orienté projet et assistance orienté outil. L'assistance orienté projet

concerne les représentations externes de concepts et les actions qui peuvent

être exécutées sur elles :

• Compléter ou corriger des parties de la représentation courante du

concept

• Suggestion des modifications (de structures ou de fonctions)

• Suggestion des interprétations alternatives

• Explications, justifications

• ...

Ses actions peuvent s'inscrire dans le cadre d'analyse, d'évaluation ou de

synthèse. Assistance orienté outil concerne le choix d'outils appropriés et

leurs utilisations convenables : quels outils devront être employé et comment,

dans quelles circonstances spécifiques :

• Activer des outils appropriés quand nécessaire (par exemple, un

module de simulation ou un outil d’analyse d’éléments finis)

• Les reconfigurer d'une manière conforme à l'usage que le concepteur

en fait

• Modifier leur structure (par exemple, en créant des macros pour les

patternes récurrents d'utilisation)

• Instruire le concepteur sur la façon de les employer

• ...

Traditionnellement, la littérature de conception s'est concentrée

principalement sur l'assistance orienté projet tandis que l'assistance orienté

outil a été le centre d'intérêt du champ de recherche plus général qu'est le

génie logiciel. Dans le reste du chapitre, nous allons nous intéresser

essentiellement à l’assistance orientée projet mais les propos tenus ne seront

pas nécessairement exclusifs.

85

5.2.6 Concepteurs créatifs, outils qui inspirent

Un outil peut-être créatif ? Nous devons prendre un moment pour parler de

la « créativité d’un outil». Birkhofer (2004) remarque que parler d’un outil

d’aide à la conception à des praticiens provoque souvent des attentes peu

réalistes de la part de ceux-ci (e.g. un outil facile à utiliser, qui résout des

problèmes complexes avec un clique et d’une façon immédiate, qui s’intègre

naturellement avec les outils existant, etc.). Nous avons constaté nous-même

dans nos discussions avec des professionnels que parler d’un « outil créatif »

ne fait qu’amplifier ces types d’attentes. Il vaut mieux de discuter et préciser

les sens qu’on peut donner au terme créatif dans le contexte d’outils d’aide à

la conception.

Le terme créatif est utilisé souvent en référence à une acte ou une idée

émerveillante, surprenante et impressionnante. Remarquons que « créatif »

inclut en outre un jugement du nouveauté et de l’impact de cette acte ou de

cette idée vis-à-vis des systèmes de valeurs existants de la part du qualifiant.

Compte tenu de l’état actuel des outils informatiques et des techniques de

l’intelligence artificielle, il parait insensé d’attendre de la part d’un

programme informatique la capacité d’appréhender les systèmes de valeurs et

les besoins humaines et de chercher intentionnellement à produire une acte ou

une idée qui sera jugé créatif ; c'est-à-dire, de faire preuve d’une créativité

consciente.

Notons qu’une créativité aléatoire parait être possible, par exemple, avec les

algorithmes génétiques. Les algorithmes génétiques ont été appliqués avec

succès dans les problèmes de conception de forme (Hsiao et Tsai 2005). Une

fois les paramètres définissant la forme générale de l’artéfact sont décidés, ce

type d’approche a une efficacité phénoménale pour générer de multiples

formes compatibles avec les spécifications. Cependant, l’application de cette

approche dans le cadre de conceptualisation a été très limitée, même au

niveau académique (e.g. (Maher 1994)). Sachant que la conceptualisation est

la phase où on décide la fonction de l’artéfact (autrement dit, à quoi servira

l’artéfact), ceci n’est pas surprenant.

86

Nous pensons que, pour les raisons que nous venons de souligner, il serait

plus avisé de parler des outils qui vont promouvoir la créativité de

l’utilisateur plutôt que des outils créatifs en soi. Encore une fois, cette

perspective met l’accent sur l’assistance : Ce que nous pouvons attendre d’un

outil, c’est qu’il ne nuit pas à la créativité de son utilisateur et même de la

promouvoir. Une telle assistance peut être cherché en passant par une

créativité émergente par contraste à une créativité consciente ou aléatoire.

Un phénomène est émergent s’il résulte de l’interaction de plusieurs éléments

sans qu’il existe un contrôle centralisé (Steels 1990). Steels (1990) suggère

cette interaction fait émerger propriétés inattendues. En particulier, ceci

implique qu’il n’est pas facile de prédire le résultat final du phénomène, sinon

impossible, mais qu’on peut comprendre ce résultat en regardant les

propriétés des éléments en interaction. Cependant, le manque de contrôle

centralisé ne veut pas dire que le système va agir d’une manière chaotique;

les propriétés des éléments déterminent les tendances du phénomène, même si

elles ne permettent pas de prédire le résultat final.

Dans la littérature sur la conception, la créativité émergente a aussi été

considérée. Par exemple, Edmonds et Candy (1999) étudient la notion

d’émergence en conception et illustrent à l’aide d’une étude de cas que celle-ci

peut avoir lieu par l’interaction du concepteur avec les représentations de

concept. Comme nous avons vu dans la section 4.2, cette interaction est au

cœur des activités de conceptions et en particulier, de l’acte de créativité.

Pour cette raison, nous croyons qu’un système qui interagit avec son

utilisateur par un dialogue peut provoquer une créativité par émergence.

5.2.7 Adaptation d'un APC

Comment peut un APC s’adapter ? Qu’est-ce qu’un outil peut apprendre ?

L'adaptation d’un APC peut avoir deux dimensions en parallèle avec ses

modes d’assistance. Il peut développer ses propres connaissances au sujet des

problèmes de conception spécifiques qu'il traite ; mais également, il peut

s'adapter à la manière spécifique que son utilisateur se sert d'elle.

La manière qu'un APC adapte ses connaissances sera fortement liée à la

manière par laquelle il fonctionne. Un APC observe concurremment une

87

représentation externe d'un concept et les actions effectuées dessus, réfléchit

sur ces observations et suggère des actions de conception à l'utilisateur. Ce

qu'il perçoit de ses observations peut être employé pour apprendre et

s’adapter. Par des observations, l’assistant peut simplement apprendre les

concepts qu’il observe afin de les suggérer dans de futures occasions. Il peut

aussi essayer d’apprendre l’utilité d’une suggestion étant donné un contexte.

Ce genre d’adaptation peut se baser sur la réaction de l’utilisateur aux

éléments suggérés. L’APC observera et interprétera les résultats des actions

de l’utilisateur:

• l'utilisateur adopte-t-il les changements suggérés ou réalisés ?

• quelle est la représentation du concept qui résulte, (au cas où les

changements sont acceptés par l'utilisateur) ?

• quelles actions sont exécutées par l'utilisateur et ses résultats, (au cas

où les changements ne seraient pas adoptés par l'utilisateur) ?

Sur la base de ces observations, l’APC adaptera son comportement. Un

percept, un concept ou une action qui est jugée utile (resp. non utile) aura

plus de chance (resp. moins de chance) d'être activé dans des occasions

futures semblables. En terme de la théorie C/K/E, ces deux types

d’apprentissage concerne l’expansion de l’espace K de l’assistant par des

opérations de K K→ et E K→ . Mais l’assistant peut aussi apprendre en

créant des concepts lesquels il peut tenter de valider soit par ses propres

moyens (K-validation), soit en les soumettant à l’utilisateur (E-validation).

Pour un APC, par contraste aux outils traditionnels de CAO, l'apprentissage

n'est pas limité au stockage d'un résultat final du processus de conception

(par exemple, un concept ou un prototype de conception). Il inclut également

l'adaptation de la manière que l'agent performe son activité. L'importance de

l’apprentissage pour un APC est double. D'abord, ceci fournit un mécanisme

à l'APC pour développer les connaissances utiles à son fonctionnement et à sa

propre expertise. En second lieu, la nature adaptative d'un APC permet au

système de s'adapter à la manière que son utilisateur se sert d'elle. Par

l'expérience, chaque concepteur apprend les fonctionnalités et les limitations

de son outil et développe un style d'utilisation. Et chaque concepteur a son

propre style de conception. Puisqu'un APC s'adapte en observant les actions

de l'utilisateur, son comportement convergera éventuellement vers le style de

88

l'utilisateur. L'assistance de l'APC sera d'autant plus personnelle dans la

mesure de son expérience avec l’utilisateur dans le même domaine de tâches.

5.2.8 Société d'APCs

Comme Suchman (1987) remarque les machines ont habituellement accès

seulement à un sous-ensemble très limité des actions observables de leurs

utilisateurs : Pour un assistant personnel de conception ce qui est observable

est limité aux représentations externes de concepts et aux modifications

actionnées sur elles par son utilisateur, aussi bien que la manière dont le

concepteur utilise des outils desquels l'APC est responsable. Ainsi, il pourrait

être avancé que cette conception est quelque peu limitée pour qu'un APC

apprenne rapidement et efficacement. Une manière possible de traiter cette

limitation serait d'étendre le cadre ci-dessus en permettant à un APC de

communiquer également avec d'autres APCs afin d'effectuer des

comparaisons. Elle peut comparer avec d'autre APCs leurs connaissances

concernant leurs domaines, leurs utilisateurs respectifs et leurs configurations

courantes. Basé sur les résultats de cette interaction, un APC peut évaluer

ses relations de partnériat avec les autres APCs, demander ou les suggérer de

l'aide.

5.3 Compatibilité d'un APC avec la théorie C/K/E

Un APC est par définition un outil qui se raisonne ; pour être capable

d’observer l’environnement et agir convenablement aux changements, un

assistant doit utiliser un mode de raisonnement. Ce mode peut changer d’un

assistant à un autre, d’un domaine au suivant. Toutefois, la théorie C/K/E,

étant dans son essence une théorie de raisonnement générale, peut être

utilisée pour décrire ces différents modes de raisonnement quelque soit le

domaine ou le technique spécifique. Elle constitue donc un fondement

théorique pour les assistants de conception. En terme de la théorie, il est

possible de proposer les propriétés suivantes pour décrire les propriétés et les

fonctionnalités que nous avons vu plus haut qu’un APC peut avoir.

5.3.1 E-réactivité

Par définition, un APC doit être sensible aux changements dans son

environnement. Cette propriété concerne la relation de l’outil avec son

89

environnement et elle peut être appelée la E-réactivité. Quand l'utilisateur

change la description de produit, l'assistant devra être capable de

réinterpréter l’espace E dynamiquement et faire des suggestions en utilisant

son propre espace K. Dans certains cas, cette action peut être la suggestion

d'une partition expansive du point de vue de l’utilisateur. Cependant, il peut

s'agir des suggestions de partitions restrictives, par exemple, pour rappeler le

concepteur les détails usuels pour permettre l'utilisateur de travailler

rapidement.

5.3.2 K-expansivité

Comme discuté au paragraphe 5.2.7, l'assistant peut être capable de réviser et

d’étendre son espace de connaissances. Une telle propriété peut être nommé

la K-expansivité. Dans le cas le plus limité, ceci correspondra à

l'apprentissage des concepts ou des actions observés. D’une manière plus

générale, cela peut inclure d'autres types d’apprentissage comme l’inférence

de l’utilité des concepts ou des actions observés, l’apprentissage des méthodes

pour la synthèse, l'analyse ou l'évaluation, etc. Un type d’apprentissage

particulier pour un APC serait l’apprentissage par la création des concepts et

l’élaboration des sens pour ceux-ci. Autrement dit, le capacité de l’APC à

apprendre en réalisant des disjonctions et des conjonctions sémantiques Pour

appliquer ce type d’expansion de K, l’assistant doit aussi être C-expansive.

5.3.3 C-expansivité

L'assistant peut être capable de réaliser des disjonctions sémantiques. En

d'autres termes, il peut être capable d'étendre son espace de concepts par la

création de nouveaux concepts en utilisant son espace de connaissance. Alors,

l'agent peut suggérer ces concepts ainsi créés à l'utilisateur pour une E-

validation, ou encore, dans l'idéal, continuer à leurs élaborations jusqu'à ce

que les concepts puissent être K-validé (par l'assistant). L’élaboration du

concept peut être effectué par l’assistant par des partitions restrictives ou par

des partitions expansives. Les disjonctions sémantiques et les partitions

expansives rendent l’assistant C-expansive.

90

5.3.4 La distinction C – K – E

L'assistant peut respecter ou non la distinction entre les espaces C, K et E.

Un agent situé distingue nécessairement l'espace E de son monde interne. Ce

qui est plus difficile à implémenter c'est la distinction entre les espaces C et

K : cette distinction est la conséquence du refus de l'axiome de choix dans la

théorie C – K. Comme nous avons vu dans le chapitre 4, dans une

perspective cognitive, ceci est l'équivalent de la mémoire constructive et

l'ancrage des concepts. Alors, pour être compatible avec la théorie C/K/E, un

assistant de conception doit appliquer ces principes.

5.3.5 Le couplage C/ K /E

L'assistant peut respecter le couplage C/K/E. Dans un tel cas, ces espaces

vont être connectés de telle manière qu'un changement dans l’un d'entre eux

peut causer le changement de tous les trois. Par conséquent, le comportement

de l'assistant va émerger à partir des interactions de ces trois espaces.

5.3.6 Assistants CKE

Mise à part les outils d'aide graphique, la diffusion des méthodes proposées

pour l'aide à la conception a été limitée. Une des raisons potentielles est

l'absence d'une théorie sous-jacente à ces approches. Non seulement, une telle

théorie peut guider la conception de tels outils, mais aussi, elle peut servir de

bases et de cadre de travail pour analyser leurs propriétés, leur succès ou leur

échec. En tout état de cause, nous pensons qu'il est nécessaire d'avoir un

cadre de travail qui va permettre de générer la discussion à ce sujet. Comme

point de départ, nous avons proposé les propriétés précédentes, découlant

directement de notre théorie.

Un assistant qui respecte ces propriétés est compatible avec la théorie

C/K/E. Cependant, elles ne sont pas des prérequis pour être un APC. Un

assistant qui respecte ces conditions peut être appelé un assistant C/K/E.

Dans le reste du chapitre, nous présenterons l’approche des concepts fluides

et nous proposerons qu’une manière de construire un assistant C/K/E réside

dans l’utilisation de cette approche.

91

5.4 Représentations fluides des concepts pour les APCs

5.4.1 La fluidité des concepts

Le rejet de l'axiome de choix dans la théorie C – K ou l’adoption des idées de

mémoire constructive et l’ancrage des concepts dans la version C/K/E reflète

les capacités des êtres humains à employer leurs connaissances d’une manière

flexible pour comprendre le monde et pour créer de nouvelles significations.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre « un logement mobile » comme

une tente, une caravane ou un yacht dans différents contextes. Nous

pouvons concevoir « une voiture aux ailes » comme une voiture avec des

portes s'ouvrant vers le haut ou comme une voiture de sport à grande vitesse

ou même un avion.

Comment capturer cette flexibilité pour construire un APC? Comment

pouvons-nous établir un système d’aide à la conception qui peut créer de

nouvelles significations pour un concept? Nous suggérons qu’une manière

serait d’utiliser l’idée de « concepts fluides ». La notion de concept fluide a

été introduite par Hoftsadter et ses collègues (Hofstadter 1995; Mitchell 1993;

French 1995; Chalmers et al. 1992). Le groupe a étudié la nature des

concepts (ce que c’est un concept, comment leurs frontières floue se

comportent, comment sont-ils utilisés). Différents domaines incluant l'humour

(Hofstadter et Gabora 1989), la traduction (French 1988), la perception et la

créativité artistique (Mcgraw et Hofstadter 1993), l’analogie (Mitchell 1993;

Chalmers et al. 1992; French 1995), la logique (Wang 1995, 2005, 2006a) ont

été explorés, souvent à l’aide des modèles informatiques, pour comprendre ce

que sont les concepts et comment les humains les utilisent. Ces travaux

mettent l’accent sur la nature non statique des concepts. Selon Hofstadter

(1995), « les concepts fluides » sont des « concepts avec des frontières

flexibles, les concepts dont le comportement s'adapte aux circonstances

imprévues, les concepts qui se plieront et s'étendront – mais pas sans

limite ». Les concepts sont fluides car ils peuvent s’adapter mais cette

adaptation n’est pas sans limites ou sans règles ; ils changent en se

conformant aux circonstances, comme un liquide changera sa forme suivant le

conteneur sans perdre ses propriétés.

92

5.4.2 Inséparabilité du raisonnement et de la représentation

Une idée fondamentale inhérente au cadre proposé dans la littérature sur les

concepts fluides, c’est l’inséparabilité du raisonnement et de la représentation

(Chalmers et al. 1992). Les représentations qu’un agent utilise durant sont

raisonnement sont construites. Cette approche rejette donc l’idée d’un

module de représentation qui prépare les représentations pour un traitement

par un module de raisonnement. La construction des représentations est

accomplie par l’interaction de plusieurs facteurs tels que la perception de bas

niveau (la sensation par les cinq sens), les objectifs et les émotions de l’agent,

la perception de haut niveau (les représentations déjà construites). Les

représentations construites ont un sens pour l’agent, un sens qui est défini

par le contexte et par les connaissances de l’agent, un sens qui n’est pas

statique mais dynamique et qui peut changer radicalement quand la situation

change. Concevoir ces deux processus séparément rend les représentations

d’un agent dénué de sens.

5.4.3 Parallélisme, interaction et émergence

Les représentations construites par un agent sont émergentes (Hofstadter

1995). Ces représentations émergent de l’interaction de multiples processus

faisant usages des concepts. La créativité dans l’humour ou dans l’art,

l’improvisation, la flexibilité de l’esprit humain sont des résultats directs de

cette émergence. Hofstadter (1995) défend que le caractère émergent dans ce

type de raisonnement ne peut être reproduit que par des modèles non-

déterministes qui simulent le parallélisme du cerveau humain. Ainsi, des

modèles de simulations informatiques que le groupe a proposé ont des

mécanismes de control décentralisés et stochastiques (Mitchell 1993; Mcgraw

et Hofstadter 1993; French et Hofstadter 1991).

Le parallélisme est simulé par l’utilisation d’un nombre élevé de processus

simples (par exemple, des micros agents qui essaient d’appliquer une seule

règle ou de notifier un autre agent d’un incident). La sélection du prochain

processus qui va agir sur le raisonnement est fait d’une manière probabiliste.

Etant donné un moment durant le raisonnement, les processus qui sont jugés

les plus pertinents (par le système) ont plus de chance d’être utilisés, mais,

93

les processus qui sont moins pertinents peuvent aussi être utilisés, ce qui peut

mener à des conséquences inattendues. Ainsi, le système exploite les

connaissances bien établies tandis qu’il continue à explorer les possibilités qui

paraissent moins plausibles (Hofstadter 1995).

5.4.4 Sens et fluidité des concepts

Le sens d’un concept à un moment donné est déterminé par la nature de ses

relations avec les autres concepts. Comme le système est stochastique et que

les différentes connaissances peuvent interagir, la nature de ces relations peut

changer durant le raisonnement et suivant la situation dans lequel l’agent se

trouve. Le sens d’un concept n’est donc pas prédéterminé et il peut changer,

parfois même d’une manière imprévisible.

L’investigation des propriétés des concepts est un souci commun de la théorie

C – K et l’approche des concepts fluides. Par ailleurs, bien qu’indépendant de

la Cognition Située, l’approche des concepts fluides a plusieurs parallèles avec

celle-ci. En fait, le caractère fluide des concepts peut être vue comme une

mémoire constructive où le sens d’un concept est déterminé en fonction de la

situation durant l’activité même. Pour ces raisons, nous pensons que

l’approche des concepts fluides que Hofstadter (1995) a introduit présente un

corps de principes et un cadre informatique correspondant, sur lesquels un

assistant C/K/E peut être bâti. Nous allons proposer un tel système à partir

du chapitre suivant.

94

Partie II

- Système -

95

Alors, vous insistez. Vous insistez qu’il existe

au moins une chose qu’une machine ne peut pas faire

Si vous me dites précisément ce qu’une machine ne peut pas faire,

alors je peux toujours fabriquer une machine qui peut juste faire cela !

John VON NEUMANN

Chapitre 6. DesigNAR ; un assistant de conception

Dans la première partie de ce document, nous avons introduit et discuté la

notion d’assistant de conception ainsi que le positionnement de cette notion

par rapport à la théorie C/K/E. En particulier, nous avons fait apparaître

que, pour être compatible avec la théorie C/K/E, un assistant de conception

doit être situé, utiliser une mémoire constructive et ancrer ses concepts. Nous

avons avancé qu’une manière de réaliser ces spécifications, c’est de passer par

une approche de type « concepts fluides ».

Dans cette deuxième partie, nous allons présenter DesigNAR, une première

version d’un assistant de conception que nous avons bâti en suivant les

principes exposés dans la première partie. Le chapitre actuel présente

quelques éléments de littérature additionnels et certaines décisions de

conception ainsi qu’une description globale du système. Nous allons d’abord

voir que DesigNAR est un assistant d’aide à la conceptualisation qui supporte

l’activité de synthèse d’un concepteur. En observant une description

symbolique d’un produit, l’assistant apprend et il fait des suggestions.

Ensuite, nous verrons que la description que l’utilisateur élabore est un

graphe FBS ; les éléments symboliques sont de type Fonction, Comportement

ou Structure (voir paragraphe 2.3.4). Le chapitre continue en présentant les

caractéristiques de l’approche des concepts fluides en analysant le programme

Copycat, le programme prototypique pour l’implantation informatique de

cette approche. Nous conclurons qu’une utilisation fluide des concepts est

possible par une système hybride (ayant des traits connexionnistes et

96

symboliques) ayant un comportement émergent. Finalement, une description

globale du système est donnée sur la base des notions et idées introduites.

6.1 DesigNAR ; un assistant de synthèse

Un assistant de conception peut aider son utilisateur dans la synthèse,

l’analyse ou l’évaluation d’un concept. Chacune de ces activités ont des

spécificités différentes et construire un agent dont l’assistance recouvre tous

ces trois domaines n’est pas un travail facile. Sachant que le point central de

la théorie C – K est la synthèse (qui correspond, en termes de la théorie, au

partitionnement de l’espace C), l’assistant que nous allons présenter est une

assistant de synthèse. Remarquons toutefois que le système que nous allons

exposer peut aussi bien être appliqué aux tâches d’analyse et d’évaluation (ce

qui est pris en compte, dans la théorie, par la notion de K-validation).

La phase de conceptualisation d’un projet de conception est caractérisée par

l’activité de synthèse plutôt que d’analyse ou d’évaluation. L’activité durant

ces phases initiales étant tentative, l’accent est mis sur la création de concept

et l’exploration des possibilités plutôt qu’une validation. Dans ces

circonstances, il arrive très souvent qu’on suspende la K-validation jusqu’à ce

que plusieurs partitions (expansives ou non) aient lieu (Hatchuel et Weil,

1999).

D’après les principes que nous avons avancés dans la première partie de ce

document, l’assistant doit implanter une mémoire constructive et l’ancrage

des concepts pour être compatible avec la théorie C/K/E. Ces propriétés

peuvent être émulées par des approches connexionniste comme des réseaux

neuronaux. Le réseau apprend en ajustant la relation de chaque nœud avec

ses voisins et lors de son utilisation les connaissances les plus pertinentes sont

activées par la propagation de l’activation en fonction de ce qui est senti de

l’environnement et de ce que l’agent connaît. Cependant, dans la

conceptualisation, l’information manipulée est souvent représentée

symboliquement, souvent par des expressions de la langue naturelle. Pour

exploiter l’avantage offert par les deux approches, nous allons utiliser un

système hybride.

97

Figure 6.1 Un concept d’aspirateur exprimé comme un graphe FBS.

6.2 Représentation des connaissances en conception

La représentation des connaissances en milieu électronique n’est pas un

pratique facile puisqu’on doit répondre, au moins partiellement, à plusieurs

questions ardues : qu’est-ce que c’est une connaissance ? Quelles

connaissances représenter ? Le produit ? Le processus ? Comment

expliciter ces connaissances? Et encore, comment les représenter ? En ce qui

concerne la représentation des connaissances relevant de la description d’un

produit sous développement, plusieurs propositions ont été faites. Nous

pouvons distinguer deux paradigmes dominants.

Le premier est celle de la standardisation, dont les majeurs efforts se

concentrent autour de STEP (STandard for the Exchange of Product model

data) développé par International Organization for Standardization (Burkett

et Yang 1995) et Industry Foundation Classes, développé par International

Alliance for Interoperability, qui fournit des spécifications pour certains

objets de conceptions standardisés (Kiviniemi 1999). Cependant, ces deux

approches se préoccupent surtout des étapes tardives du processus de

conception où le produit est déjà spécifié grandement. Ce faisant, les deux

approches ignorent l’évolution du produit et se concentre sur l’échangeabilité

de l’information entre différentes applications, principalement en ce qui

concerne la « forme ».

98

Or, dans les étapes initiales de la conception, l’effort est porté sur les aspects

fonctionnels et les performances ciblées d’un produit. Alors, un deuxième

paradigme s’est constitué autour de la distinction entre la forme, les

performances et les fonctions, acclamant que l’aide à la conceptualisation

nécessite la prise en compte explicite des ces éléments (Gero 1990; Gorti et al.

1998; Goel et al. 1996; Rosenman et Gero 1996; Qian et Gero 1996). Cette

approche a produit des représentations plus souples et destinées pour divers

systèmes informatiques à base de connaissances. Ils ont été implantés sous

diverses formes comme des ensembles de couples d’attributs-valeurs, des

cadres ou des objets. L’archétype de ces schémas de représentations est le

schéma FBS mentionné dans le paragraphe 2.3.4. Ces schémas peuvent être

représentés sous formes de graphes orientés dont les nœuds sont de types

artefact (A), fonctions (F), comportements (B pour behaviour) ou structures

(S). Des extensions comme des relations ou des contraintes sont aussi

possibles (Gorti et al. 1998). Les arcs représentent les relations et elles ont été

appelées parfois des relations qualitatives causales (Qian et Gero 1996). Il

existe les types suivants ;

• A F← , reliant une Fonction à une Artéfact,

• F B← , reliant une Comportement à une Fonction,

• B S← , reliant une Structure à une Comportement,

• F F← , reliant une Fonction à une Fonction,

• B B← , reliant une Comportement à Comportement,

• S S← , reliant une Structure à une Structure.

Il est possible de constater que toutes les combinaisons n’existent pas mais

ceci représente plutôt le souci de s’accommoder au modèle FBS (voir

paragraphe 2.3.4) et dans les applications pratiques, il est possible de s’en

passer (Gorti et al. 1998).

Notre programme permet à l’utilisateur de construire des graphes FBS et une

base de donnée des artéfacts, des fonctions, etc. Du point de vue de

l’utilisateur, le graphe FBS est une description conceptuelle d’un produit et

constitue une représentation externe de son espace C. Du point de vue de

l’assistant, chaque sous-graphe peut être vue comme un concept. En

particulier, chaque symbole (les nœuds) F, B et S correspond à un concept

que le système essaie de mettre en relation les uns avec les autres. Les

99

concepts et leurs relations forment donc les connaissances de l’agent.

Comment faire une exploitation fluide de ces connaissances ? Nous allons

maintenant discuter les concepts fluides et les systèmes émergents.

6.3 Concepts fluides et computation émergente

6.3.1 Copycat

Le premier programme qui donna une démonstration de l’approche des

concepts fluides est Copycat (Hofstadter 1984; Mitchell 1993). C’est aussi un

des premiers programmes utilisant une approche hybride (ayant à la fois des

traits symboliques et connexionnistes). Le programme utilise un mécanisme

de propagation de l’activation sur un réseau sémantique avec une mécanisme

de control non déterministe (Hofstadter 1984; Mitchell 1993). Copycat est un

programme qui résout des problèmes d’analogie dans le domaine de

transformation de chaînes de caractères comme abc → abd, iijkk → ?, si abc

devient abd, que devient iijkk ? La réponse n’est pas unique et elle dépend de

la « perception » du problème. Si iijkk est regroupé comme i|ijk|k alors par

analogie la réponse sera i|ijk|k → i|ijk|l. En revanche, si les lettres sont

regroupées comme ii|j|kk, alors la réponse est ii|j|kk → ii|j|ll. Le but de

Copycat est de se servir de ce domaine d’analogie pour expérimenter sur la

nature de la perception, le raisonnement analogique et la créativité humaine

et tester des hypothèses que les auteurs avancent. Ces hypothèses incluent la

nature constructive du raisonnement, l’inséparabilité du raisonnement et de

la représentation, le parallélisme (simulé) et le contrôle décentralisé et non

déterministe.

Copycat est composé d’une mémoire active, d’une mémoire à long terme,

d’une queue de tâche probabiliste. Le mémoire active, appelée Workspace, est

le lieu où les représentations sont construites. La mémoire à long terme du

Copycat est appelé Slipnet ; Figure 6.2. Le Slipnet est un réseau sémantique

dont les nœuds correspondent à des concepts. Les concepts ont des degrés

d’activation et peuvent être activés à des niveaux différents. Ces activations

augmentent lorsque des instances de ces nœuds sont perçues ; autrement, les

activations diminuent avec le temps. Les nœuds peuvent transmettre une

partie de leur activation aux nœuds qui leurs sont connectés par un lien.

100

Figure 6.2 Une vue partielle du Slipnet de Copycat.

Les liens entre les nœuds sont valués et ces valeurs représentent des distances

conceptuelles. Plus un concept est distant à un autre, plus il devient difficile

de l’activer à partir de celui-ci. Les distances conceptuelles peuvent changer

pendant l’exécution.

Des programmes appelés codelets sont responsables pour bâtir la perception

du problème dans la mémoire active. Les codelets sont des mini-programmes

comme les applets des Java. Durant l’exécution, ils interagissent entre eux et

avec le Slipnet pour construire ou détruire des percepts, c'est-à-dire, des

représentations partielles de la situation comme « a est le successeur de b »,

« ijk forment un groupe » ou « a est l’équivalent de ii » ; Figure 6.3. D’une

manière réciproque, le nombre et les types de codelets (comme successeur,

groupe ou équivalent) à un moment donné est détermine par les activations

des concepts du Slipnet. Aucun codelet n’a une vue globale de l’état du

système. Ce sont des agents locaux qui interviennent dans le processus de

raisonnement avec de simples actions. Ils travaillent en parallèle ce qui peut

causer la construction de multiples représentations du problème au départ du

raisonnement. Autrement dit, avant la terminaison de l’exécution, il peut

arriver que le programme ait construit des percepts conflictuels comme, par

exemple, le regroupement de i|ijk et ii|jk dans le problème cité plus haut.

Graduellement, lorsque le temps passe, les groupes de codelets qui forment

des coalitions puissantes (par leur interaction et activations mutuelles)

déterminent la réponse finale.

101

Figure 6.3 Illustration de la mémoire active du Copycat

Lorsqu’un codelet est lancé, il est placé dans une queue de tâche probabiliste

appelé Coderack. Le choix de codelet à exécuter est fait aléatoirement parmi

les éléments du Coderack suivant leur paramètre appelé « urgence ».

L’urgence des codelets décroît avec le temps. Ainsi, les codelets les plus

récents et les plus urgents ont plus de chance de participer dans le

raisonnement. Le Coderack forme la mémoire procédurale du système. Ce

mécanisme supprime la nécessité de contrôle globale et fournit un

parallélisme simulé.

Etant donné un concept, comme son activation peut changer ainsi que la

puissance de ses connexions avec d’autres concepts, nous pouvons parler de

son halo conceptuel (Hofstadter 1984, 1995). Le halo conceptuel peut se

serrer ou se relâcher comme les distances conceptuelles peuvent varier. Par

ailleurs, lorsqu’un concept perd de son activation pendant qu’un concept

voisin en gagne, il peut y avoir des glissements conceptuels. Par exemple, le

concept prédécesseur peut devenir active à la place de successeur, ce qui peut

changer la perception du problème pour Copycat. Nous pouvons constater

des glissements conceptuels dans la cognition humaine de tous les jours ; un

capitaine peut être considéré un prêtre ; un tronc d’arbre peut être vue

comme une chaise ; une caravane peut être conçue comme un appartement

mobile. Il est revendiqué que le glissement conceptuel est fondamental pour

différentes activités créatives (Hofstadter 1995).

102

Le résultat retourné par Copycat émerge de l’interaction des codelets avec le

Workspace, le Slipnet et entre eux-mêmes. L’interaction non-déterministe

peut entraîner des représentations inattendues et des résultats créatifs.

Compte tenu de la nature constructive du raisonnement (et de la

représentation), Copycat peut être considéré comme un exemple

d’implantation de mémoire constructive. Cependant, le programme n’est pas

conçu pour opérer dans un environnement en temps réel et par conséquent il

n’est pas situé. Par ailleurs, il n’y a pas d’apprentissage comme les

connexions ou leurs puissances ne sont pas modifiées d’une exécution à l’autre

et comme il n’y a pas formation de nouveaux concepts. Cependant, ses

principes de fonctionnement étaient uniques à l’époque où le programme a été

introduit et ils ont été influents dans le monde de l’intelligence artificielle.

Aujourd’hui, ce genre de système est souvent catégorisé comme un système

émergent. Nous allons maintenant jeter un regard sur les systèmes à

comportement émergent en général. Puis, nous présenterons notre système

hybride à comportement émergent qui fait un usage fluide de ses concepts en

utilisant les principes de fonctionnement de base de Copycat et qui implante

une mémoire constructive et l’ancrage des concepts.

6.3.2 Système à comportement émergent

La fluidité des concepts dans le programme Copycat est assurée par le

mécanisme de control utilisée. Copycat est un système à comportement

émergent (SCE) par contraste à des systèmes à comportement rigide (SCR).

Dans un SCR, le traitement (la computation) à faire est spécifié a priori ; ce

genre de système a les avantages suivants (Kokinov et al. 1996):

• Il est possible d’atteindre le maximum d’efficacité ou au moins une

niveau d’efficacité prédéterminé en ce qui concerne l’utilisation des

unités de traitement symbolique,

• Elle est stable au sens qu’elle reproduit le même effet correspondant à

la spécification a priori,

• Il est possible d’assurer une consistance computationnelle ; c'est-à-dire

les ressources computationnelles sont utilisées d’une manière

systématique pour atteindre un ensemble de but.

103

En contrepartie, la computation rigide exhibe des difficultés pour être à la

fois efficace et flexible et la computation émergente est un des alternatives

(Forrest 1990; Kokinov et al. 1996).

Dans un SCE, la computation effectuée n’est pas fixée à l’avance mais elle est

émergente ; il n’existe pas de spécification a priori de ce que le système

calcule, ni de comment il calcule. Le résultat émerge du comportement

collectif de multiples unités de traitement.

• Le traitement est distribué sur un ensemble d’unités de traitement

travaillant en parallèle, et, il n’existe pas de control central.

• Le traitement est local et chaque unité de traitement ne peut interagir

qu’avec un nombre limité d’autres unités (sinon, le control global peut

devenir possible),

• Le mécanisme de traitement doit assurer une certaine consistance

parmi les unités de traitement pour éviter un comportement chaotique

du système ; autrement dit, malgré la non spécification, le

comportement doit achever certains effets désirés.

Il n’y a pas de limites nettes entre la computation rigide et la computation

émergente et il existe un continuum entre différents modèles. En particulier,

le système peut consister à plusieurs unités de traitement rigide qui

interagissent entre eux pour donner un comportement émergent. Des

spécifications explicites a priori peuvent donc exister à des degrés variés. Le

caractère émergent d’un système est déterminé par

• L’organisation computationnelle du système en ce qui concerne la

spécification des unités de traitement locales et leur connectivité,

• Le changement dynamique dans cette organisation, déterminé par les

unités de traitements particulières qui interviennent dans un

traitement particulier et le changement dans les patterns d’interaction.

Les caractéristiques d’un système de traitement sur ces deux axes

déterminent la flexibilité et l’efficacité du système.

104

Figure 6.4 Illustration d’un système hybride ; repris de (Kokinov 1994b)

6.3.3 Emergence et systèmes hybrides

Petrov et Kokinov (1999) voient Copycat comme une réponse aux doubles

défis d’efficacité et de flexibilité d’un système. Un système doit être efficace

dans la résolution des problèmes qu’il rencontre. Un système doit aussi être

flexible pour s’adapter à l’imprévu. Particulièrement, pour les systèmes

opérant dans un monde ouvert, il n’est pas possible d’énumérer à l’avance

toutes les situations que le système peut faire face. Le mécanisme de contrôle

de Copycat repose sur les principes suivants pour répondre à ce défi (Petrov

et Kokinov 1999):

1. Plusieurs candidats (représentations, solutions) sont considérés en

parallèle,

2. Il existe un mécanisme peu coûteux pour estimer la promesse d’un

candidat,

3. Les ressources computationnelles du système sont distribuées d’une

manière inégale, favorisant les candidates les plus prometteuses.

4. Les estimations des promesses sont mises à jour constamment, en

prenant compte de l’état actuel du système, et les ressources

computationnelles sont redistribuées parallèlement.

Ce genre de stratégie de control a été discuté sous différentes dénominations ;

i.e. la balance de l’exploitation versus l’exploration dans le contexte des

algorithmes génétiques (Holland 1992), le balayage étalé parallèle dans le

contexte des concepts fluides (Hofstadter 1995), la compétition contrôlée dans

le contexte des logiques de termes NAL (Wang 2006b).

105

Figure 6.5 Différents agent locaux actifs dans deux contextes (a) et (b) variés.

Petrov et Kokinov (1999) suggèrent que la propagation de l’activation est

une technique convenable pour les points 2 et 4. Il n’est pas coûteux, il peut

être utilisé dans des systèmes dynamiques et il permet d’accumuler

l’information provenant de diverses unités de traitement. De plus, ce

mécanisme permet au système la capacité d’être sensible au contexte.

Cependant, dans la majorité des cas, des représentations et des calculs

symboliques restent fondamentales pour des systèmes d’intelligence

artificielle. Kokinov propose une approche hybride où plusieurs unités de

traitement co-existent (Kokinov 1994a, b, c; Kokinov et al. 1996). Chaque

unité a une côté symbolique appelé cerveau droite ou R-Brain, et un coté

connexionniste appelé cerveau gauche ou L-Brain ; Figure 6.4. Un R-Brain

correspond à une connaissance symbolique particulière sur le domaine

modélisé. Un L-Brain correspond à une connaissance connexionniste

représentant la pertinence ou l’activation de l’unité de traitement étant

donné une situation.

Les unités de traitement peuvent transmettre de l’activation aux autres

unités auxquels ils sont connectés suivant un mode connexionniste. Un L-

Brain peut recevoir de l’activation de l’environnement ou de ses voisins. Un

R-Brain a accès aux sources computationnelles du système proportionnel-

lement au niveau d’activation de l’unité de traitement.

106

Dans un tel système, il est possible de voir chaque unité de traitement

comme un agent (local). Il n y a pas de séparation entre des structures de

données et des agents qui opèrent sur ces structures. Un agent peut être une

donnée pour un autre. Les agents travaillent à des vitesses variées suivant

leur niveau d’activation. Dans des contextes variés, différents groupes

d’agents peuvent être actifs ; Figure 6.5. Un tel système est donc sensible au

contexte et son comportement émerge de l’interaction des agents locaux.

Ce type d’architecture devient une implantation des principes de mémoire

constructive et de l’ancrage des concepts dans le cas où le système est doté

d’un mécanisme pour la création de nouveaux agents (i.e., de nouvelles

connaissances, puisque le coté symbolique de chaque agent correspond à une

connaissance) ainsi que la réadaptation des connexions entre agents. Le

système que nous présenterons dans la suite va exploiter ces principes ainsi

que les idées que nous avons vues dans la première partie de ce chapitre.

6.4 Une description globale du système DesigNAR

6.4.1 Concepts et Connaissances du système

DesigNAR est un assistant personnel de conception. Il collabore avec son

utilisateur par l’intermédiaire d’une interface graphique. L’interface permet à

l’utilisateur de construire un graphe FBS et une base de donnée contenant les

concepts d’artéfact, de fonctions, de comportements, de structures que

l’utilisateur créé pendant ses travaux. Donc, le système observe dans

l’environnement les concepts et les relations qualitatives causales entre ceux-

ci. Parallèlement, les connaissances du système, qu’elles soient observées ou

créés par le système, ont la structure d’un graphe. Les nœuds de ce graphe,

représentés par des symboles, correspondent à des concepts et les liens

correspondent à des connexions entre les différents concepts. Les concepts ont

des degrés d’activations et peuvent être plus ou moins actif. Les liens ont des

paramètres qui déterminent leur puissance et leur fiabilité. Les connaissances

du système sont donc de deux types, les concepts et leurs activations, d’un

coté, les liens entre les concepts et leurs paramètres, de l’autre coté.

107

6.4.2 Mémoire constructive et ancrage des concepts

Pour implanter la mémoire constructive et l’ancrage des concepts, nous

utilisons un système hybride distribué. Le système est composé d’un ensemble

d’agents locaux. Chaque agent correspond à un concept particulier (observé

dans l’environnement ou créé par le système). Les agents possèdent un

nombre limité de liens représentant les relations entre le concept

correspondant et d’autres concepts Ces liens peuvent être de natures

différentes (voir paragraphe 7.2). En particulier, ceux-ci peuvent correspondre

à des liens sur lequel l’agent doit s’interroger. Par s’interroger, nous

entendons faire des inférences pour juger la validité et la puissance du lien

(voir paragraphe 7.3).

Le système a donc un coté symbolique qui manipule par des actions locales

(inférences ou autre) des symboles correspondant aux concepts. Mais, il a

aussi un coté connexionniste. Les concepts ont des paramètres d’activation et

le système propage cette activation afin de rendre les concepts reliés actifs

dans un même contexte. Deux types d’activation existent ; une activation qui

provient de l’environnement et une activation qui est fournie par le

fonctionnement interne du système. L’activation externe a comme source

l’environnement. Les concepts observés dans l’environnement sont activés.

Cette activation est ensuite propagée aux concepts reliés par des liens. Ainsi,

les liens (observés dans l’environnement comme des relations qualitatives

causales ou créés par l’inférence) sont utilisés pour activer les concepts

pertinents comme dans un réseau de neurones.

L’activation interne a comme source l’activité d’inférence symbolique. Chaque

agent local qui conduit une inférence crée un nouveau lien. Le lien créé est

une nouvelle connaissance que le système doit considérer et mettre en relation

avec les autres connaissances qu’il possède. Comme nous avons

précédemment signalé, c’est un lien sur lequel le système doit s’interroger.

Cependant, le système travaille d’une manière parallèle et plusieurs agents

produisent de nouveaux liens.

108

Figure 6.6 Une illustration de certains agents locaux du DesigNAR lors de la construction

d’un concept d’aspirateur ; chaque concept, représenté par un symbole, possède des espaces

C et K locaux ; plus un concept est actif, plus noir est son contour.

L’urgence par laquelle le système doit considérer un lien créé varie et cela, en

fonction de l’urgence et des puissances des liens utilisés pour l’inférence. En

contrepartie, un lien créé contribue à l’activation des concepts concernés.

Plus des liens à considérer avec urgence sont créés à propos d’un concept,

plus le concept augmente son activation interne. Par ailleurs, l’urgence des

liens à interroger baisse avec le temps, et donc leurs activations internes se

dégrade tout comme l’activation externe. Ainsi, le système reste réactif à

l’environnement.

De cette manière, nous obtenons un système qui implante une mémoire

constructive par un processus de pousse-et-tire (voir paragraphe 4.3.3). Le

système est aussi une implantation du principe de l’ancrage des concepts

puisqu’il crée des liens entre les concepts en établissant ainsi un sens pour

ceux-ci.

6.4.3 Distinction C – K – E

Le système est situé dans un environnement E dans lequel se trouve un

utilisateur. Il interagit avec l’utilisateur par l’intermédiaire d’une interface en

109

observant et en suggérant des relations qualitatives causales. Dans la section

4.4, nous avons exprimé que la conceptualisation est au cœur de la

conception. Notre système mène des processus de conceptualisation en

parallèle et continuellement. Pour chaque concept qui est activé, par

l’environnement ou suite aux inférences, le système réalise des inférences pour

établir les liens de ce concept avec les autres concepts que le système connaît

dans la mesure de ses ressources et suivant le mécanisme de contrôle que

nous avons œuvré. Le système poursuit donc une incessante quête pour

concevoir le sens des concepts qu’il possède suivant ses interactions avec

l’environnement et ce qu’il connaît déjà.

Le sens que le système crée pour un concept n’est pas fixé mais fluide. Non

seulement ce sens évolue en fonction des inférences effectuées et les liens ainsi

créés, mais aussi l’activation interne et externe du concept et l’urgence des

liens à considérer varie avec le temps et en fonction des interactions. Par

ailleurs, le système fonctionne d’une manière non-déterministe : le choix de

concept et de liens à étudier se font aléatoirement. Les concepts les plus actifs

et les liens les plus urgents ont plus de chance de recevoir l’attention du

système. Néanmoins, le système peut aussi s’intéresser, même s’il est moins

possible, à des connaissances moins actives. Ainsi, le sens d’un concept peut

varier dans le temps et, à un moment donné, et n’intervient dans le processus

de conceptualisation que partiellement (pas tous les liens sont utilisés). Le

système fait un usage fluide de ses concepts.

Les espaces C et K du système sont distribués ; Figure 6.6. Chaque agent

local contient une partie de l’espace C et une partie de l’espace K. Au niveau

local, les liens à interroger forme un ensemble de propositions où figure le

concept correspondant ; ceci forme l’espace C local. D’autres liens associés au

concept, qui ne font pas l’objet d’une mise en question, forment la partie de

l’espace K local. A un moment donné, l’ensemble des liens à interroger des

concepts actifs peut être vue comme l’espace C courant pour le système. Les

espaces K locaux des concepts actifs et les concepts non actifs peuvent être

vue comme l’espace K. Les concepts non activés et les liens correspondants

peuvent être activé par l’espace C et participer au processus de

conceptualisation.

110

6.4.4 E-réactivité

Le système est sensible à son environnement. Il observe le travail de

l’utilisateur et il sent les changements que celui-ci réalise sur la représentation

de l’artéfact et sur la base de donnée. Si un symbole observé est rencontré la

première fois, le système crée le concept correspondant et commence à un

travail de conceptualisation (de type compréhension) pour donner un sens à

ce concept. Le système est fabriqué de telle manière que, chaque concept créé

figure dans deux relations qualitatives causales (sauf les concepts de type

artéfact qui sont reliés à Artéfact ; nous reviendrons sur ces détails). A partir

de ces relations, le système peut commencer à établir des liens entre le

concept étudié et les autres concepts qu’il connaît. Dans le cas où le symbole

observé est déjà connu par le système, le concept correspondant est activé au

maximum. Une propagation de l’activation s’en suivra, ce qui permettra au

système d’activer les connaissances pertinentes afin de les utiliser dans la

conceptualisation.

Le système est réactif aux actions de l’utilisateur. Si l’utilisateur sélectionne

un symbole (par exemple, un comportement B), le concept correspondant est

activé et l’agent local vérifie s’il possède un lien qu’il peut suggérer à

l’utilisateur. Si l’espace K partiel de l’agent, c'est-à-dire, les liens qu’il

contient localement, inclut une relation qualitative causale appropriée (par

exemple, B S← où S est une structure), celle-ci est proposée à l’utilisateur.

Sinon, l’agent commence à faire des inférences dans le but de générer des

connaissances pertinentes qui peuvent être suggérées ou, du moins, pour

qu’elles soient prêtes pour les occasions futures.

6.4.5 C-expansivité

Le système est capable d’étendre son espace C. Quand un agent local effectue

une inférence, il crée un lien. Chaque pas d’inférence prend deux liens en

considération et en crée un troisième lien. En général, le lien créé ne concerne

pas le concept correspondant à l’agent. Par exemple, si les deux liens d’un

concept 1C , représentant chacun la relation du 1C avec deux concepts 2C et

3C , sont utilisés pour faire l’inférence, le lien résultant est au sujet de la

relation entre 2C et 3C . Par conséquent, celui-ci est stocké par les agents

111

locaux correspondant aux concepts 2C et 3C dans leurs espaces C locaux

respectifs (donc il y a une redondance en retour de la flexibilité obtenue). Ils

vont étudier le lien pour créer d’autres connaissances.

En ce qui concerne les concepts 2C et 3C , le lien créé correspond à une

partitionnement de l’espace C. Si l’un de ces deux concepts ont déjà la même

connaissance dans leur espace K locale, alors la partition est restrictive. Dans

le cas contraire, une partition expansive a été opérée et le sens du concept

change. De cette façon, le système mène plusieurs conceptualisations en

parallèle et, par l’activité d’inférence, il peut élaborer le sens des concepts

activés.

Un autre type de partition expansive est la création de nouveaux concepts.

La création de concept se fait par la conjonction de deux concepts. Par

exemple, si les deux liens d’un concept 1C représentant chacun la relation du

1C avec deux concepts 2C et 3C , sont utilisés pour faire la création, le

concept produit est 2 3&C C . Cette opération peut être vue comme une

disjonction sémantique. Au départ, le concept créé n’a pas de sens pour le

système et les liens qu’il a avec 1C , 2C et 3C sont les seuls que l’agent

correspondant possède. Comme ces trois liens concernent les trois concepts de

départ, le lien de chacun avec le nouveau concept est enregistré dans leurs

espaces K locaux.

Le nouveau concept a certainement une relation avec les trois concepts

utilisés lors de sa création ; cependant, il s’agit d’un autre concept à part,

pour lequel le système va construire un sens. Soulignons que, dans la mesure

où 1C , 2C et 3C ont plus de liens locaux que le concept composé, ils vont

vraisemblablement contribuer plus dans la construction du sens de celui-ci.

Ainsi, les différentes sources de connaissances dans l’espace K du système,

interagissent avec un concept de l’espace C pour concevoir un sens pour

celui-ci. Par ailleurs, précisons dés maintenant que les concepts créés par le

système ont un rôle spécial pour les suggestions du système. En utilisant les

concepts composés, le système tente de regrouper les concepts reliés afin de

les suggérer d’un seul coup pour faire avancer le travail plus vite.

112

6.4.6 K-expansivité

Le système est K-expansive comme il est capable de produire de nouvelles

connaissances à partir des concepts qu’il crée ou qu’il observe. Comme le

système implante l’ancrage des concepts, cette production de connaissance

consiste essentiellement à la construction de sens pour les concepts de

l’assistant. Par le construction de sens, nous entendons ici la mise en relation

des concepts les uns avec les autres. Pour ce faire, le système utilise le

mécanisme d’inférence.

Comme le système est distribué, étant donné un agent 1C , il a juste une vue

partielle des connaissances du système (les liens qui le concernent

directement). Pour cette raison, si 1C infère un lien à propos de 2C et 3C , le

lien doit être étudié par le système à la lumière des autres connaissances qu’il

possède. Ainsi, le lien créé est passé aux agents 2C et 3C . Pour les agents 2C

et 3C , le lien appartient aux espaces C locaux respectifs. En utilisant les

connaissances locales qu’ils ont, ces agents vont considérer le lien, dans la

mesure de son urgence, et effectuer d’avantages d’inférences pour créer encore

plus de connaissances. De cette manière, l’activation interne se propage tout

comme l’activation externe. L’urgence d’un lien créé contribuera à

l’activation interne d’un concept ce qui donne au concept plus de chance de

créer de nouveaux liens et activer encore d’autres concepts.

Aussi, devons-nous souligner que, tout comme la propagation de l’activation,

les connaissances du système sont propagées. Un concept qui crée un lien le

passe à deux autres concepts. Si l’un de ces deux concepts utilise le lien passé

dans une inférence, le lien créé va encore être passé à d’autres concepts et

ainsi de suite. De cette manière une connaissance, qu’elle soit obtenue de

l’environnement par l’observation ou qu’elle soit créé suite à l’inférence, est

étudiée par le système en la mettant en relation avec d’autres connaissances

que le système a.

Un agent local peut contenir un nombre limité de liens. Ayant donc une

capacité finie, le système doit retenir que les connaissances les plus utiles.

Quand un nouveau lien est passé à un agent suite à une inférence, si la

capacité est déjà atteinte, le lien le moins utile est effacé. En ce qui concerne

113

les espaces K locaux, le lien le moins puissant est effacé ; en ce qui concerne

les espaces C locaux, le lien le moins urgent est effacé (nous reviendrons sur

ces détails dans le Chapitre 8). Ce mécanisme d’oubli est une contrainte

naturelle comme le système ne peut avoir des ressources illimitées. Par

ailleurs, il a l’avantage de forcer le système à produire des connaissances plus

sûres et pertinentes en évitant de garder des informations les moins

intéressantes. Le système s’adapte sur la base de son expérience et sur son

interaction avec l’environnement.

6.4.7 Couplage C/K/E

Durant son utilisation, le système répète continuellement un cycle de

fonctionnement. Le cycle commence par un processus de sensation où le

système observe l’état de l’environnement et détecte les changements, s’il en

existe. Ensuite, la propagation de l’activation a lieu. Tous les agents actifs

propagent leurs activations. Les agents actifs forment la mémoire active du

système. Ces agents là sont les seuls à être considéré pendant le cycle

courant.

Après cette opération le système continue son cycle par un pas d’inférence.

Un pas d’inférence commence par la sélection d’un concept (actif). Cette

sélection est fait en tenant compte de l’activation interne aussi bien que de

l’activation externe des concepts. Plus un concept est actif, plus il a la chance

d’être sélectionné par le système. Un fois le concept sélectionné, le système

choisit par la même logique une tâche, c'est-à-dire, un lien de l’espace C local

sur lequel le système doit s’interroger. La sélection se fait encore une fois

aléatoirement, et les tâches les plus urgentes ont plus de chances d’être

sélectionnées. Une connaissance de l’espace K locale est choisie encore une

fois de la même manière, le choix étant biaisé cette fois-ci en faveur des liens

les plus puissants. Finalement, l’agent effectue l’inférence et produit un

nouveau lien. Le lien produit est enregistré et sera considéré en début du

cycle prochain. Avec les autres sensations (les liens détectés dans

l’environnement), la connaissances créée sera envoyée dans les espaces K

locaux des agents concernés.

114

Notons que des liens détectés dans l’environnement peuvent correspondre à

des liens suggérés par le système dans les étapes précédents. Le système étant

un assistant de conception, il doit apprendre des réactions de l’utilisateur afin

d’améliorer son fonctionnement. Autrement dit, il doit renforcer le lien

correspondant en augmentant sa puissance. Dans la version courante, le

système a un mécanisme simple et naturel, appelé révision, pour ce faire. La

révision est en réalité une opération d’inférence et est réalisée par un agent

local comme tout autre calcul symbolique. L’agent local peut combiner le lien

observé et le lien suggéré pour donner un lien plus puissant.

Le système est un exemple de système à comportement émergent. Chaque

agent est doté d’une rationalité locale mais contribue au comportement global

par son activité même et par ses interactions avec les autres agent. Ces

interactions sont gérées par un mécanisme non-déterministe. A chaque cycle,

l’agent local qui continuera à son processus de conceptualisation est choisi

aléatoirement, de même que les tâches et les connaissances à utiliser pour

faire l’inférence. De plus, les paramètres utilisés pour faire la sélection tels

que les valeurs d’urgences et de puissances, les activations internes et externe

varient pendant le fonctionnement suivant de l’interaction avec

l’environnement. Suites à ces interactions et à ce fonctionnement, les tâches

des concepts actifs (donc l’espace C du système), les connaissances activées

(les connaissances des agents locaux actifs) et les connaissances activables à

partir de ceux-ci changent perpétuellement et en interaction ; le système

respecte le couplage C/K/E.

Nous avons ainsi achevé une description globale du système. Nous pouvons à

présent expliquer plus en détail, comment les concepts et les liens sont

représentés et manipulés par le système. Nous continuerons donc par la

présentation du langage utilisé DesigNAR et les règles d’inférence.

115

L’important quand on est chef,

ce n’est pas d’avoir raison ou tort, mais d’être catégorique.

Bien sûr, avoir raison aide beaucoup.

Terry PRATCHETT

Le grand livre des Gnômes

Chapitre 7. Langage et inférence

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que le système se représente les

connaissances observées comme des concepts et des liens entre ces concepts.

Dans ce chapitre, nous allons exposer les détails de cette représentation et de

sa manipulation ; c'est-à-dire, le langage que le système utilise et les types

d’inférence effectués. Le chapitre commence en discutant les spécifications du

langage dont nous avons besoin en ce qui concerne le sens des liens et le but

de l’inférence. Le langage utilisé dans DesigNAR est une logique de termes,

appelé NAL, qui réalise les spécifications énoncées. Nous introduirons d’abord

cette logique, puis, les règles d’inférence seront présentées.

7.1 Sens des liens, but de l’inférence

La présentation du chapitre précédent décrit un système qui utilise un

ensemble de concepts qui ont chacun un ensemble de liaisons avec certains

autres concepts. Le système acquiert ses premiers concepts et liaisons en

observant des graphes FBS construits par l’utilisateur ; Figure 7.1. La

structure obtenue peut être représentée par un graphe ; Figure 7.2. Quelles

sortes d’inférences peuvent être effectuées à partir d’une telle structure?

Essentiellement, ce que nous voulons c’est un mécanisme qui permettra

d’établir des relations entre les concepts observés et de créer de nouveaux

concepts. Suivant le système présenté dans la section précédente, à chaque

itération, ce mécanisme va sélectionner un concept et réaliser une inférence à

partir des liens du concept. Il est possible de créer différents types de liens.

Par exemple, sur la Figure 7.2, les liens marqués en rouge peuvent être

inférés à partir des liens observés (marqués en noir).

116

Figure 7.1 Deux schémas FBS décrivant deux aspirateurs

Ainsi, le système peut considérer le concept : _1F Séparation et, à partir de

ses liens avec : _1A Aspirateur et : _1B Filtration , il peut créer un lien

entre ces deux derniers concepts. De même, il est possible de considérer le

concept : _1B Cyclone et ses liens avec : _1S Moteur et : _1S Cone pour

créer un autre lien entre ces derniers. Il est également possible de créer des

liens bidirectionnels, par exemple, entre les concepts : _1A Aspirateur et

: _2A Aspirateur . A coté de la création des liens, le système peut aussi créer

des concepts, par exemple, comme : _1& _1B Filtration Séparation et le

relier aux concepts concernés.

Mais, quel sens pouvons-nous donner à ces liens ? Quelle est la logique qui

permettrait de réaliser ces inférences ? Nous savons que l’utilisateur élabore

des relations qualitatives causales FBS pour construire un artéfact. Cette

représentation a trois propriétés inhérentes :

1. Il existe une hiérarchie dans la construction de la représentation

(d’abord les fonctions, puis les comportements, ensuite les structures ;

voir le modèle FBS au 2.3.4).

2. Dans ce modèle, une relation X Y← peut être interprétée comme

« (la fonction) X est réalisé par (le comportement) Y » ou « (le

comportement) X est fourni par (la structure) Y ».

117

Figure 7.2 Un exemple de graphe de connaissance sur les deux aspirateurs

3. Les liens sont typés et il n’est pas possible construire toutes sortes

d’associations (voir la section 6.2). Par exemple, : _1A Aspirateur

← : _1B Filtration n’est pas une relation qualitative causale valide,

car un comportement B ne peut réaliser qu’une fonction F, comme

: _1F Séparation (ou un autre comportement plus général).

Ce troisième point est particulièrement restrictif pour le système que nous

voulons bâtir, comme le système essaie d’apprendre quels concepts sont

pertinents étant donné un contexte et d’établir un sens en les mettant en

relation les uns avec les autres. En imposant la troisième propriété, nous

interdirons, par exemple, le concept de vacuum d’être directement lié au

concept d’aspirateur, or intuitivement, ces deux concepts doivent apparaître

l’un dans le sens de l’autre.

Pour éviter cela, il est possible de construire le système de sorte que, du point

de vue du système, au moment de l’inférence, les nœuds ne correspondent

qu’à des concepts et les liens sont créés sans aucune distinction comme

fonctions, comportements ou autres. Un tel choix a des implications sur le

deuxième point. Le sens que nous pouvons donner aux liens ne sera plus le

même. Dans ces conditions, le lien : _1B Filtration → : _1A Aspirateur peut

avoir des interprétations comme « : _1B Filtration est utile en présence

d’ : _1A Aspirateur » ou encore « : _1B Filtration est pertinent dans le

118

contexte d’ : _1A Aspirateur ». Ce genre d’interprétation reflète une

connexion sémantique entre les concepts reliés plutôt qu’une causalité. Dans

la même veine, il est possible de créer des liens bidirectionnels. Un lien

comme : _1A Aspirateur ↔ : _2A Aspirateur peut être interprété comme

« le concept : _1A Aspirateur et le concept : _2A Aspirateur sont

similaires ».

De cette manière, dans son fonctionnement interne, le système ne fait pas de

distinction entre différents types de concept. Cependant, dans la

représentation que l’utilisateur construit ces différences existent et lors de

ses suggestions l’assistant doit en prendre compte. Le système doit proposer

des relations qualitatives causales valides. Ainsi, quand l’utilisateur ajoute la

fonction : _1F Séparation pour construire : _2A Aspirateur , le deuxième

aspirateur de l’exemple, le système doit proposer des comportements comme

: _1B Filtration et non pas des artéfacts comme : _1A Aspirateur .

Par ailleurs, le système peut avoir plusieurs liens à suggérer comme les liens

(observés) avec : _1B Filtration , : _1B Separation , : _1B Vacuum ou

même les liens avec les concepts créés comme : _1B Filtration

& _1Séparation . De plus, dans une large base de donnée, il peut y avoir

beaucoup de liens pour un élément quelconque mais les éléments les plus

utiles doivent être proposés.

Une manière de résoudre ce problème est de favoriser la hiérarchie dans la

création des liens, c'est-à-dire de respecter le premier point propre aux

graphes FBS, en manipulant les puissances des liens (nous discuterons la

notion de puissance d’un lien dans la section suivante). Si nous considérons

le concept : _1F Séparation de l’exemple de la Figure 7.2, le concept

: _1B Filtration est, dans le contexte de cet exemple et étant donné la

nature hiérarchique des graphes FBS, moins général que celui-ci. D’une

manière similaire, le concept : _1F Séparation est moins général que le

concept : _1A Aspirateur . Dans ces conditions, si au moment de l’inférence,

le système considère le concept : _1F Séparation , des deux liens qui

peuvent être créé entre : _1A Aspirateur et : _1B Filtration , le lien allant

119

de : _1B Filtration vers : _1A Aspirateur doit être plus puissant (marqué

en rouge épais), et le lien inverse moins puissant (marqué en rouge mince).

En favorisant la hiérarchie dans la construction des liens, le système peut

faire des propositions valides et suggérer les liens les plus puissant compte

tenu de l’expérience du système. A partir de la section suivante nous allons

proposer une démarche logique qui permet de réaliser ces spécifications.

7.2 Le langage

Dans cette section, nous allons présenter le langage formel du DesigNAR.

Nous utilisons une logique de termes, appelé NAL, pour Logique Non-

Axiomatique, décrit par (Wang 1995, 1998, 2002, 2005, 2006a, b ; voir aussi

Wang et Hofstadter 2006). En utilisant la logique qu’il propose Wang a bâti

un système de Raisonnement Non-Axiomatique, NAR, ce qui a aussi inspiré

le nom de notre assistant ; DesigNAR.†† Les logiques de termes sont moins

connues que la logique classique et ses dérivés ; pour cette raison, nous ferons

une présentation assez détaillée de la logique que nous utilisons. Cependant,

nous devons noter que le but de notre projet n’est pas une étude ou un

développement de la logique présentée et donc nous nous contenterons à

utiliser les résultats de Wang.

7.2.1 Les relations d’héritage et de similarité

Les logiques de termes se rapprochent des syllogismes d’Aristote et elles ont

les caractéristiques suivantes (Englebretsen 1981; Bochenski 1970) :

• Chaque proposition a le format « sujet-copula-prédicat ».

• Le sujet et le prédicat sont des termes. Les termes sont des symboles

qui représentent les concepts.

• Le copula correspond à une relation qui peut avoir différentes

interprétations comme « est un » ou « relié à » ou « associé à ».

Plusieurs copula peuvent être utilisés dans une même logique de

termes.

†† Une démonstration du système NAR ainsi que des exemples peuvent être trouvés en ligne

sur l’Internet dans le site personnel de Pei Wang au http://nars.wang.googlepages.com/ ou

au http://www.cogsci.indiana.edu/farg/peiwang/papers.html

120

• L’inférence est syllogistique, c'est-à-dire, deux propositions ayant un

terme en commun sont utilisées pour produire une troisième

proposition entre les termes non communs.

Nous utiliserons deux types de copula dans notre système ; la relation

d’héritage « → » et la relation de similarité « ↔ ». Etant donné deux

termes, S et P, la proposition S P→ signifie intuitivement que « S est une

spécialisation de P et P est une généralisation de S ». Il est important de

noter que le mot héritage est utilisé ici différemment de son sens habituel ; il

s’agit ici d’un héritage bidirectionnel. Non seulement S hérite les

généralisations de P mais P hérite les spécialisations de S. Quant au

deuxième copula, étant donné deux termes, S et P, la proposition S P↔

signifie que nous avons à la fois S P→ et P S→ . Dans d’autres termes, S

et P sont similaires.

7.2.2 Relation d’héritage pour modéliser les relations qualitatives causales

Suivant la perspective cognitive que nous avons exposé dans le Chapitre 4, le

processus de conceptualisation forme les concepts en construisant un sens

pour ceux-ci sur la base des percepts et d’autres concepts. La relation

d’héritage proposée par Wang est une manière de modéliser la hiérarchie de

concepts qui résulte de ce processus de conceptualisation et la relation des

concepts ainsi établis. Lorsque le système connaît la relation Chat →Animal,

il sait que le sens de Chat évoque Animal et que, réciproquement, le sens

d’Animal fait intervenir le sens de Chat, mais que Animal est plus général

que Chat. Il est possible d’utiliser cette relation pour modéliser la relation

entre les concepts d’un graphe FBS. Considérons les concepts

: _1B Filtration et : _1F Séparation de l’exemple de la Figure 7.2. La

relation d’héritage : _1B Filtration → : _1F Séparation signifie donc que les

sens de ces deux concepts dépendent l’un de l’autre ; le concept

: _1B Filtration est relié au concept de : _1F Séparation et vice versa,

mais que ce dernier est plus général !

Remarquons que le degré de la relation entre les sens de deux termes

quelconques peut varier. Même si Chat contribue au sens d’Animal, le

système peut connaître d’autres concepts d’animaux qui font partie du sens

121

d’Animal. Ainsi, un concept peut être relié à un autre à des degrés variés. Les

propositions utilisées dans NAL sont de la forme ,S P f c→ < > où f, la

fréquence et c, la confiance, sont deux paramètres qui varient dans

l’intervalle unitaire et qui déterminent la vérité d’une relation d’héritage (ou

de similarité). Comme nous allons voir, cette sémantique proposée par Wang

provient d’une notion d’évidence qu’il élabore. Afin de pouvoir présenter les

détails de cette notion, nous devons commencer en introduisant une relation

d’héritage binaire, dite une relation d’héritage idéale et NAL-0, une logique

de termes simple correspondant à cette relation. Cela nous permettra par la

suite de présenter NAL, le langage utilisé par notre système, et les points

spécifiques comme la grammaire, la vérité d’une proposition, le sens d’un

terme et la logique de l’inférence.

7.2.3 NAL-0

NAL-0 est une logique de termes simple. Les termes correspondent à des

symboles représentant les concepts. Au niveau d’abstraction où nous nous

plaçons, nous considérons que l’agent a acquis ces concepts d’une manière ou

d’une autre, sans s’occuper du mécanisme précis qui permet cette acquisition.

Définition 7.1 Un terme est une chaîne de caractère dans un alphabet.

Le copula utilisé dans NAL-0 est une relation d’héritage binaire.

Définition 7.2 La relation héritage idéale «֏ » est une relation binaire entre

deux termes, qui est définie par la réflexivité et par la transitivité. Une

proposition d’héritage idéale est composée de deux termes reliés par la

relation d’héritage idéale. Dans une proposition d’héritage binaire S P֏ , S

est le sujet, P est le prédicat.

Notons que la relation d’héritage n’est ni symétrique, ni asymétrique. C'est-à-

dire, étant donné X Y֏ , on ne peut pas déterminer si Y X֏ est vraie ou

fausse. La sémantique proposée est fondée sur l’expérience du système. Pour

introduire une sémantique ancrée sur l’expérience, nous devons d’abord

définir ce que c’est l’expérience. La connaissance initiale du système

provenant de l’environnement forme l’expérience du système :

122

Définition 7.3 L’expérience idéale du système, K, est un ensemble de

propositions dans NAL-0. K est non vide et fini, et dans chaque proposition

de K, le sujet et le prédicat sont différents.

Comme K est un ensemble, une relation d’héritage idéale ne peut y

apparaître qu’une seule fois. Une expérience peut être donné au système au

départ, ou alternativement, il peut acquérir cette expérience par des

observations.

Définition 7.4 Etant donné K, les croyances du système, K*, est la fermeture

transitive de K, exclus les propositions où le sujet et le prédicat sont

identiques.

K* peut être dérivé à partir de K en utilisant un algorithme de génération de

fermeture transitive classique. La règle d’inférence utilisée pour obtenir la

fermeture transitive découle de la transitivité de la relation d’héritage. Par

exemple, si K = {Chat ֏Animal, Animal ֏Etre_Vivant}, alors

K* = K ∪{Chat ֏Etre_Vivant} forme les croyances du système. Donc, K*

est aussi non vide et fini et il inclut K aussi bien que les propositions dérivées

à partir de K avec la transitivité de la relation d’héritage.

Définition 7.5 Dans NAL-0, une relation est considérée vraie si elle existe

dans K* ou si elle a la forme T T֏ . Sinon, elle est fausse.

Autrement dit, dans NAL-0, « vrai » correspond à « la relation est trouvée

dans K* » et « faux » correspond à « la relation n’est pas trouvée dans

K* » et non pas « la négation de la relation est trouvée dans K* ».

Comment un terme T est-il relié à l’expérience du système ? Définissons

l’intension et l’extension d’un terme pour répondre à cette question.

Définition 7.6 Etant donné l’expérience K du système, soit KV l’ensemble des

termes figurant dans K, l’extension d’un terme T est l’ensemble de

termes { }|ET x x V x TΚ= ∈ ∧ ֏ .

Définition 7.7 Etant donné l’expérience K du système, soit KV l’ensemble des

termes figurant dans K, l’intension d’un terme T est l’ensemble de termes

{ }|IT x x V T xΚ= ∈ ∧ ֏ .

123

L’intension et l’extension sont donc définies par des ensembles. Etant donné

l’expérience K = {Chat ֏Animal, Animal ֏Etre_Vivant}, l’extension

d’Animal inclut Chat, et l’intension d’Animal inclut Etre_Vivant. Comme

l’intension et l’extension sont définies d’une manière symétrique, quelque soit

le résultat sur l’un, il existe un résultat dual sur l’autre. Par exemple, lorsque

la relation Chat ֏Etre_Vivant est déduite à partir de K, nous obtenons de

l’information sur l’intension de Chat (Etre_Vivant y est inclus) et de

l’information sur l’extension d’Etre_Vivant (Chat y est inclus). Chaque

proposition du système correspond à une partie de l’intension du sujet et une

partie de l’extension pour le prédicat.

Cette façon de définir l’intension et l’extension est différente de celle,

coutumière, où l’intension se réfère aux propriétés d’un terme et l’extension

se réfère à ses instances. L’extension (donc, les instances) est habituellement

un ensemble d’objets dans un monde physique, tandis que l’intension est

défini comme une notion dans un monde Platonique. Traditionnellement, ces

deux aspects se réfèrent à une relation entre les termes d’un langage et des

choses à l’extérieur de ce langage. Par contraste, dans le système de Wang, ils

sont définis en utilisant une relation entre deux termes, et donc, dans le

langage même. Néanmoins, ils gardent leur sens intuitif ; l’intension se réfère

aux propriétés et l’extension se réfère aux instances.

Définition 7.8 Etant donné K*, la croyance du système, dans NAL-0, le sens

d’un terme T consiste à son intension et à son extension.

Un terme T a un sens pour le système s’il apparaît dans l’expérience du

système. Autrement dit, un terme qui n’apparaît dans aucune relation que le

système connaît n’a pas de sens pour le système. Le sens d’un terme

s’enrichit au fur et à mesure que le système acquiert ou établit des relations

dans lesquelles ce terme apparaît comme sujet ou prédicat.

Etant donné la définition de K* ci-dessus, il est possible de voir que S P֏

si et seulement si l’extension de S est contenu dans l’extension de P et

l’intension de P est contenu dans l’intension de S. La relation S P֏

équivaut à dire « S hérite toutes les intensions de P et P hérite toutes les

extensions de S. » Une telle relation indique qu’un terme figurant dans la

124

relation peut être utilisé à la place de l’autre terme. Nous pouvons tout de

suite remarquer qu’une telle conception est extrêmement exigeante en ce qui

concerne un agent cognitif. Considérons, par exemple, Tweety֏Oiseau. Nous

savons que, bien que Tweety possède certaines caractéristiques propres aux

oiseaux, mais il ne possède pas toutes les propriétés, par exemple, la propriété

d’être vivant. D’une manière générale, étant donné deux concepts S et P, la

puissance de la relation entre ceux-ci peut varier. La relation d’héritage

binaire de NAL-0, et sa mode d’inférence basée sur la transitivité ne

permettent pas de prendre en compte ces aspects.

7.2.4 NAL

NAL est une logique de termes qui élargit le cadre fourni par NAL-0 en

considérant le cas de l’héritage imparfait.‡‡ Par l’héritage imparfait, nous

entendons le cas où, étant donné deux termes S et P entre lesquels il existe

une relation d’héritage sans pour autant que l’extension de S soit incluse dans

l’extension de P ou que l’intension de P soit incluse dans l’intension de S.

Autrement dit, P peut avoir des propriétés qui ne sont pas des propriétés de

S ou S peut avoir des instances qui ne sont pas des instances de P. Wang

introduit, une deuxième relation, la relation d’héritage (imparfaite) → et

propose une notion d’évidence pour asseoir la sémantique de cette relation

(Wang 1995, 2005, 2006b).

Définition 7.9 Soit une relation d’héritage S P→ . Un terme M constitue une

évidence positive (en faveur de la relation) si

• E EM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si M S֏ et M P֏ existent dans K*,

ou,

• I IM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si P M֏ et S M֏ existent dans K*.

Un terme M constitue négative évidence si

‡‡ Il existe en réalité une famille de logique NAL, allant de NAL-0 à NAL-7, bâtit couche par

couche, sur NAL-0. Comme notre but n’est pas d’étudier les logiques NAL et comme nous

n’avons pas besoin de toutes les fonctionnalités (telles que la considération des variables, des

propositions d’ordres supérieurs, la planification, etc.) fournies par ces logiques, nous ne nous

restreignons qu’aux détails qui nous concernent. Nous appelons NAL les parties que nous

avons utilisées dans notre système.

125

• E EM S P∈ − , c’est-à-dire, si M S֏ est dans K* mais M P֏ n’y

est pas, ou,

• I IM P S∈ − , c’est-à-dire, si P M֏ est dans K* mais S M֏ n’y est

pas.

La logique sous-jacente à cette définition découle directement du sens de la

relation d’héritage. La proposition S P→ équivaut à dire que S hérite

l’intension de P, et P hérite l’extension de S. Donc, étant donné un terme M

qui est en relation d’héritage avec au moins l’un des termes S ou P, M

contribue positivement à la vérité de la proposition, s’il est une propriété

commune de ces deux termes ou s’il est une instance commune de ces deux

termes. Sinon, elle constitue une évidence négative. Avec ces définitions il est

possible d’obtenir la quantité d’évidence positive, négative et totale comme

suit.

Définition 7.10 Pour une relation S P→ , la quantité d’évidence positive,

négative et totale sont respectivement :

• E E I Iw S P S P+ = ∩ + ∩

• E E I Iw S P P S− = − + −

• E Iw w w S P+ −= + = +

Les quantités w+ et w− peuvent être utilisés directement pour juger la vérité

d’une proposition par rapport à l’expérience du système. Cependant, il est

possible de synthétiser ces informations dans un indice relatif qui permet de

normaliser cette information.

Définition 7.11 Pour une relation S P→ , la fréquence f est définie par le

ratio

wf

w

+

=

sauf pour w = 0, c'est-à-dire quand il n’existe aucune évidence, où f est

considéré 0.5.

Cette mesure est une façon naturelle de relativiser l’évidence. Néanmoins, elle

pourrait être trompeuse. On ne pourrait pas distinguer, le cas où le système a

observé 10 corbeaux au total dont 9 sont noirs et le cas où le système a

observé 10 000 corbeaux dont 9000 sont noirs. Dans les deux cas, la fréquence

126

de Corbeau Noir→ vaut 0.9. Mais, dans le deuxième cas, la proposition est

mieux fondée et moins incertaine comme il y a plus d’évidence. Wang

propose une deuxième indice, dit confiance, pour tenir compte de la différence

entre les deux types de situations.

Définition 7.12 Pour une relation S P→ , la confiance c est définie par le

ratio

wc

w k=

+ où w est l’évidence totale et k est un constant positif, dit constant de

prudence.

Le but du constant de prudence est de prendre en compte l’évidence

potentielle qu’il serait possible d’observer dans le futur. Il pourrait être

interprété comme une distance à un horizon temporel. Plus ce constant est

grand, plus d’évidences sont nécessaires pour établir la sûreté d’une

connaissance. Considérons la connaissance Corbeau Noir→ . Avec 10

corbeaux observés dont 9 noirs, et avec deux constants de prudence

différents, k1 = 1 et k2 = 1000. Nous pouvons voir que les valeurs de vérités

de la proposition sont respectivement 9 10,10 11< > et 9 10,10 1010< > .

Avec 10000 corbeaux observés dont 9000 noirs, et pour les mêmes constants

de prudence, nous avons les valeurs de vérités respectives

9 10,10000 10001< > et 9 10,10000 11000< > . Nous voyons avec cet

exemple que l’introduction de la confiance change considérablement

l’interprétation que l’on peut faire des valeurs de vérités. La confiance c a les

propriétés suivantes,

• La confiance est une fonction monotone et croissante de w.

• Lorsqu’il n’y a aucune évidence, la confiance est nulle.

• Lorsque l’évidence tend vers l’infini, la confiance tend vers 1.

Avec ces définitions, nous pouvons définir la vérité d’une relation d’héritage

comme suivante.

Définition 7.13 La valeur de vérité d’une relation S P→ est une paire de

nombres réels [ ] [ ), 0,1 0,1f c< >∈ × où f est la fréquence, et c est la confiance.

Etant donné une valeur de vérité, la quantité d’évidence négative, positive et

totale peuvent être calculés de manière unique. Ces deux représentations sont

127

donc équivalentes. Cependant, il est également possible de représenter la

valeur de vérité par un intervalle (Wang 1995, 2006b).

7.2.5 Relation de similarité dans NAL

La relation d’héritage que nous avons vue n’est pas le seul copula de la

logique NAL. Dans notre système nous utiliserons un deuxième copula, dit

similarité, dénoté par « ↔ ». Ce copula sert à exprimer une équivalence

entre deux termes. Considérons, par exemple, les concepts Créature et

Animal. Il parait naturel que les deux termes correspondant aient des

extensions et des intensions communes ; ils ont des sens similaires.

Définition 7.14 Etant donné deux termes S et P, la relation de similarité

S P↔ est définie par la conjonction de S P→ et P S→ .

Il pourrait être noté que, deux termes reliés par la relation de similarité sont

à la fois dans l’intension et l’extension de l’un et l’autre. Dans ces conditions,

l’évidence pour les relations S P→ et P S→ est aussi l’évidence pour la

relation S P↔ .

Définition 7.15 Soit une relation de similarité S P↔ . Un terme M constitue

une évidence positive (en faveur de la relation) si

• E EM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si M S֏ et M P֏ existent dans K*,

ou,

• I IM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si P M֏ et S M֏ existent dans K*.

Un terme M constitue une évidence négative si

• E EM S P∈ − , c’est-à-dire, si M S֏ est dans K* mais M P֏ n’y

est pas, ou,

• I IM P S∈ − , c’est-à-dire, si P M֏ est dans K* mais S M֏ n’y est

pas.

• E EM P S∈ − , c’est-à-dire, si M P֏ est dans K* mais M S֏ n’y

est pas, ou,

• I IM S P∈ − , c’est-à-dire, si S M֏ est dans K* mais P M֏ n’y est

pas.

En passant par la notion d’évidence, la valeur de vérité d’une proposition de

similarité est définie exactement comme une proposition d’héritage.

128

Définition 7.16 La valeur de vérité d’une relation S P↔ est une paire de

nombres réels [ ] [ ), 0,1 0,1f c< >∈ × où f est la fréquence, et c est la confiance.

Avec l’introduction de la relation de similarité et la sémantique de NAL, il

devient possible de redéfinir l’expérience du système comme l’ensemble de

relations (d’héritage ou de similarité) imparfaites. Parallèlement, le sens d’un

terme est défini comme son intension, son extension et sa similarité (i.e. les

relations de similarité dans lesquelles il figure comme sujet ou copula).

Aussi, devons-nous souligner qu’il est possible de proposer des alternatives

pour définir la notion de vérité autrement (et ceci aura des impacts sur

d’autres éléments comme les règles d’inférences). Toutefois, le développement

de NAL n’est pas un souci immédiat pour notre recherche et dans le cadre du

projet courant, nous l’utiliserons telle qu’il est décrit par Wang.. En dehors

de son utilité pour introduire la logique de termes et la relation d’héritage

bidirectionnelle, NAL-0 est utilisé uniquement pour introduire la notion

d’évidence. Etant donné que le sujet et le prédicat d’une relation peuvent ne

pas partager certains propriétés ou instances, la notion d’évidence et la

conception de vérité que Wang dérive de celle-ci permet de faire « comme

si » le système observait des relations d’héritage idéal et déterminait la

valeur de vérité d’une proposition donnée. Cependant, dans le système NAR

de Wang, comme dans le notre, les relations d’héritage idéales n’apparaissent

pas. NAL-0 est juste utilisé sur le plan théorique pour définir et expliquer la

sémantique de NAL. Dans le reste du document, nous emploierons le terme

relation d’héritage pour référer à la relation d’héritage imparfaite.

7.2.6 Termes composés

Les termes que nous avons vus jusqu’ici étaient tous des termes atomiques.

NAL donne aussi la possibilité de considérer des termes composés comme

tableau noir ou moteur électrique. Un terme composé est un terme formé par

deux ou plus de termes atomiques. Wang (2006) définit quatre sortes de

termes composés. Etant donné deux termes T1 et T2, des termes composés

peuvent être formés basés sur l’intersection ou la différence entre les

intensions 1IT et 2

IT ou les extensions 1ET et 2 .

ET Cela revient à définir des

termes composés en considérant, respectivement, les propriétés communes ou

129

disjointes, ou encore, les instances communes ou disjointes. Par exemple, un

Tableau&Noir possède les propriétés de Tableau et de Noir, mais non

nécessairement toutes les instances d’un Tableau ou de la couleur Noir. Il

s’agit donc d’une intersection des intensions. Nous pouvons aussi considérer

le concept Noir–Aérien qui possède les instances de Noir mais pas d’Aérien,

par exemple, comme une propriété de Pingouin. Il s’agit donc d’une

différence extensionnelle.

Dans cette première version de notre programme, des quatre combinaisons

possibles, nous avons choisi d’utiliser uniquement l’intersection

extensionnelle. Lorsque l’utilisateur édite, par exemple, F :Séparation le

programme peut faire des suggestions comme B :Filtration ou B :Vacuum.

Nous voudrons qu’il puisse faire aussi des suggestions comme

B :Filtration&Vacuum, c'est-à-dire des suggestions qui regroupent un certain

nombre d’éléments. Comme cette suggestion est faite pour former la relation

qualitative causale F :Séparation ←B :Filtration&Vacuum, il convient que

B : Filtration et B :Vacuum aient F :Séparation dans leurs intensions.

Définition 7.17 Etant donné deux termes T1 et T2, leurs intersections

intensionnelles 1 2&T T est un terme composé défini par

( )( ) ( ) ( )1 2 1 2&x T T x T x T x∀ → ≡ → ∧ →

De droite à gauche, cette équation définit l’intension du terme composé. De

gauche à droite, elle définit l’extension du terme composé. Intuitivement,

l’intersection extensionnelle de deux termes donne les propriétés communes

de ceux-ci. Le terme 1 2&T T est différent des termes T1 et T2, comme un

tableau noir est différent de tableau ou de noir. Cependant, au départ, son

sens dépend du sens de ses composants. Nous avons 1 2 1 2( & )I I IT T T T= ∩ ,

c'est-à-dire, l’intension du terme composé est l’intersection des intensions de

ses composants et 1 2 1 2( & )E E ET T T T= ∪ , c'est-à-dire, l’extension du terme

composé est l’union des extensions de ses composants (Wang 2006). Lorsque

le système réalise des inférences le sens du terme composé peut évoluer et

devenir de plus en plus indépendant de ses composants. Remarquons que ce

genre d’expressions correspond à une disjonction sémantique du point de vue

du système. Un nouveau terme est créé et son sens doit être conçu par les

inférences.

130

7.2.7 La structure interne des termes dans DesigNAR

Le langage du NAL basé sur les termes permet de modéliser les relations

entre les concepts de fonctions, de comportements et de structures.

Cependant, dans l’état actuel, il ne permet pas de faire de distinction entre

ces trois groupes. Or, comme déjà signalé, nous avons besoin de cette

distinction pour faire des suggestions. Par ailleurs, dans les applications

réelles, d’autres éléments de description tels que des contraintes, des

attributs, etc. sont utilisés pour décrire des concepts d’un graphe FBS. Pour

ces raisons, nous avons décidé de concevoir le système de manière à ce qu’il

permette à l’utilisateur de créer une structure interne pour les concepts qu’il

crée et de spécifier son type. Dans la version courante, du point de vue de

l’assistant, la structure interne d’un terme n’est pas accessible. Cela ne pose

pas de problème dans la mesure où la structure interne d’un terme est

unique ; si l’utilisateur effectue un changement, le système traite le cas

comme la création d’un nouveau terme. Soulignons, que dans NAL, rien

n’empêche que les termes ont une structure interne (Wang 2006b).

Etant donné un concept, il peut avoir une structure interne qui correspond à

un ensemble d’attributs A, un ensemble de contraintes C et un ensemble de

documents D et son type (F, B ou S). Actuellement, les attributs et les

contraintes sont traités comme des informations textuelles. Les documents

correspondent à des fichiers informatiques qui contiennent des informations

supplémentaires (détails de production, esquisses ou modèles 3D, etc.) sur le

concept en question. Par ailleurs, il est possible de construire un ensemble de

relations R pour les concepts de type S. Dans la programmation, nous avons

utilisés le modèle développé par Gorti et al. (1998) avec quelques

modifications. Dans leur travail, ils proposent un schéma de représentation

FBS orienté objet qui offre plusieurs avantages :

• Compatibilité avec le format STEP

• Représentation naturelle des hiérarchies (étant orienté objet)

• Représentation explicite des relations (en tant que des objets) entre

divers éléments

• Représentation des contraintes sur divers éléments

131

Cependant, un des aspects qu’ils ont inclus dans leur modèle n’est pas

nécessaire dans notre contexte.

• Les similarités (ou l’interchangeabilité) des concepts de F, B et S sont

représentés explicitement dans la description des éléments et sont

déterminé par l’utilisateur d’une manière statique.

Pour notre assistant, ce dernier point n’est pas souhaitable puisque nous

cherchons explicitement à construire un assistant capable d’établir ces

similarités! Pour cette raison, nous n’avons pas implanté cette fonctionnalité

dans la programmation.

7.3 Inférence

Dans cette partie nous allons présenter différents types d’inférences de NAL

utilisés dans DesigNAR. Plusieurs règles d’inférences proposées par Wang

sont utilisées dans notre système : révision, déduction, induction, abduction,

exemplification, analogie,… D’une manière générale, une règle d’inférence

prend comme arguments deux propositions comme prémisses et produit une

proposition comme conclusion. Elles peuvent être utilisées suivant deux

modes ; inférence vers l’avant et inférence vers l’arrière. Inférence vers l’avant

génère un jugement, c'est-à-dire une proposition avec une valeur de vérité,

tandis que l’inférence vers l’arrière génère une question, c'est-à-dire, une

proposition pour laquelle une terme doit être déterminé par le système. Nous

allons considérer l’inférence en avant pour les cas de la relation d’héritage et

la relation de similarité. Puis, nous allons présenter l’inférence vers l’arrière.

7.3.1 Inférence vers l’avant – la relation d’héritage

Révision

La révision est effectuée lorsque de l’information provenant des sources

différentes sur une même relation d’héritage peut être récapitulée. Etant

donné deux prémisses 1 1,S P f c→ < > et 2 2,S P f c→ < > qui représentent

la même relation d’héritage avec des valeurs de vérité différentes, la règle de

révision renvoie ,S P f c→ < > où ,f c< > est la valeur de vérité définitive

obtenue en combinant 1 1,f c< > et 2 2,f c< > . Pour ne pas comptabiliser la

même information deux fois, cette règle ne peut s’appliquer que lorsqu’il n’y a

pas d’évidence commune pris en compte par 1 1,f c< > et 2 2,f c< > .

132

Figure 7.3 Règles d’inférences pour la relation d’héritage

Si cela n’est pas le cas, il est possible de cumuler les évidences, ce qui donne

1 2w w w+ + += + et 1 2w w w= + . Donc, en utilisant les relations entre les

différentes représentations de la valeur de vérité, nous obtenons la fonction de

vérité revF suivante :

( ) ( ) ( ) ( )

( ) ( ) ( ) ( ) ( )( )

1 1 2 2 2 1 1 2 2 1

1 2 2 1 1 2 2 1 1 2

:

1 1 1 1

1 1 1 1 1 1

revF

f f c c f c c c c c c

c c c c c c c c c c c

= − + − − + −

= − + − − + − + − −

Cette fonction a les propriétés suivantes :

• L’ordre des prémisses n’est pas important.

• La valeur de la fréquence f est une moyenne pondérée de f1 et f2, mais

plus proche de celle qui est supporté par plus d’évidence.

• La valeur de c est toujours plus grande que c1 et c2

L’application de la règle de révision donne des relations héritage plus sûr.

Ceci est naturel comme plus d’évidence sont considérés. Cependant, comme

nous l’avons déjà précisé, cette fonction ne peut être appliquée que quand les

évidences ne se chevauchent pas. Pour pouvoir déterminer si deux relations

sont supportées par les mêmes évidences, chaque relation R dans le système

est assignée une clé unique .N Alors, il est possible d’utiliser la définition

suivante.

Définition 7.16. Si une proposition R a été observée dans l’environnement et

assigné une clé unique N, alors cette relation est fondées sur le fragment

133

d’expérience { }N . Si une relation R a été inférée à partir de 1 2, , , nR R R… qui

sont fondées sur le fragment d’expérience 1 2, , , nK K K… alors R est fondée

sur 1 2 nK K K∪ ∪ ∪… .

Si deux relations R1 et R2 sont fondées sur les fragments d’expérience K1 et

K2 et si ces deux ensembles (de clés uniques) n’ont pas d’intersection, alors la

règle de révision peut être appliquée pour cumuler les évidences. Cependant,

en pratique, il n’est pas possible de stocker toutes les valeurs de fragments

d’expériences pour toutes les relations. Wang (1995) propose de stocker une

liste de taille constante de ces valeurs. Quand une conclusion est dérivée à

partir de deux relations, les listes des deux parents sont concaténées en

prenant les n premiers éléments. Ainsi, il est possible de déterminer

approximativement si deux relations ont des évidences qui se chevauchent.

Inférence syllogistique

Quatre règles d’inférence syllogistique basées sur la relation d’héritage sont

utilisées dans l’inférence en avant : la déduction, l’abduction, l’induction et

l’exemplification. Ces règles d’inférences sont représentées dans la Figure 7.3.

La forme des prémisses détermine quels types d’inférences le système peut

effectuer. A partir de deux prémisses 1J et 2J , il est possible d’inférer quatre

conclusions différentes :

2 1/J J M P→ P M→

S M→ dedS P F→ < > abdS P F→ < >

M S→ indS P F→ < > exeS P F→ < >

Nous pourrons observer que dans tous les cas, il y a un terme partagé (M) et

la conclusion produite est une relation entre les deux termes restants (S et

P). Les trois premières règles ont été utilisées et discutées par Aristote, et

plus tard, elles ont été reprises et étudiées par Peirce (1955). La quatrième a

été utilisée par les successeurs d’Aristote qui l’ont appelé la quatrième figure.

Dans ce travail, suivant Wang (1995), nous l’appelons exemplification.

A partir de 1 1,f c< > et 2 2,f c< > , les valeurs de vérité respectives de 1J et

2J , une fonction, notée comme Fx calcule la valeur de vérité ,f c< > de la

conclusion (où x est un indice correspondant à une des règles). Pour

différentes règles d’inférences, de différentes fonctions sont utilisées. Nous

134

n’allons pas revoir toutes les détails de la construction de ces fonctions dans

ce document ; le lecteur pourra se référer à (Wang 1995, 2006b). Néanmoins,

précisons que le mode de construction de ces fonctions sont les mêmes. Les

étapes suivantes sont suivies par Wang pour obtenir ces fonctions :

1) Détermination des conditions limites. Traiter la fréquence et la

confiance comme des valeurs booléennes et déterminer la valeur de la

conclusion souhaitée pour chaque combinaison possible.

2) Représenter les valeurs de la conclusion comme des expressions

booléennes des valeurs de vérités des prémisses.

3) Remplacer les opérateurs ET, OU et NON dans les fonctions

booléennes par le T-Norm ( ( ),et x y x y= ⋅ ), le T-Conorm

( ( ) ( )( ), 1 1 1ou x y x y= − − − ), la négation ( ( ), 1non x y x= − ) pour

avoir des fonctions dans [0,1].

Il sera utile de noter que la notion d’évidence n’apparaît pas directement

dans la construction de ces fonctions. Les fonctions de calcul de valeur de

vérités correspondant aux quatre règles sont :

• 1 2 1 1 2 2: . , . . .dedF f f f c f c f c= = , pour la déduction,

• ( ) ( )2 1 1 2 1 1 2: , . . . .abdF f f c f c c f c c k= = + , pour l’abduction,

• ( ) ( )1 1 2 2 1 2 2: , . . . .indF f f c c f c c f c k= = + , pour l’induction,

• 1 1 2 2 1 1 2 2 : 1, /( )exeF f c f c f c f c f c k= = + , pour l’exemplification.

Nous pouvons faire les observations suivantes. La déduction est symétrique ;

l’ordre des prémisses n’est pas important. La dualité de l’intension et de

l’extension a comme conséquence la dualité des fonctions des valeurs de

vérités de l’induction et de l’abduction. Nous voyons que ni l’abduction, ni

l’induction n’est symétrique. Mais aussi, les conclusions générées dépendent

du constant k, donc du nombre d’évidences futures à considérer. Par rapport

à la déduction, les conclusions dans l’induction et dans l’abduction restent

« tentatives » et moins sures.

135

Figure 7.4 Formation des termes composés par à partir de deux prémisses.

Formation de termes composés

Etant donné deux jugements J1 et J2, il est possible de former un terme

composé ; Figure 7.4. La forme des deux jugements détermine la forme de la

relation d’héritage entre le terme partagé et le terme composé.

2 1/J J 1M T→ 1T M→

2T M→ 1 2& uniT T M F→ < >

2M T→ 1 2 int&M T T F→ < >

Suivant la forme des deux prémisses, deux différentes fonction de calcul de

valeurs de vérité existent. Elles sont définies comme suivante.

int 1 2 1 2: . .F f f f c c c= =

1 2 1 2 1 2: . .uniF f f f f f c c c= + − =

Il est possible de constater que la confiance de la relation formée est plus

basse que les deux relations de départ.

7.3.2 Inférence vers l’avant – la relation de similarité

Révision

Par l’introduction de la relation de similarité, il est possible de faire d’autres

types de révision :

2 1/J J S P→ P S→ S P↔

S P→ revS P F→ < > revS P F↔ < >

P S→ revS P F↔ < > revS P F→ < >

S P↔ revS P F↔ < >

Comme indiqué par le tableau, trois nouveaux cas donnant lieu à une

possibilité de révision apparaissent et chacun renvoie comme résultat une

relation de similarité.

136

Figure 7.5 Règles d’inférences pour la relation de similarité

La fonction de vérité utilisée pour ces cas est identique à la fonction que nous

avons précédemment introduite dans le cas de la relation d’héritage. Ceci est

directement lié à la définition de la relation de similarité et la sémantique qui

a été introduite. Par exemple, deux jugements S P→ et P S→ peuvent

être combiné pour former une relation S P↔ , puisque l’évidence pour

chacun de S P→ et P S→ est aussi l’évidence pour la relationS P↔ .

Pour les mêmes raisons et de la même manière, les valeurs de vérités de

S P↔ et de P S↔ peuvent être combinées par la même fonction.

Rappelons toutefois que la révision n’est possible que si les évidences ne se

chevauchent pas.

Inférence syllogistique

Les quatre cas de figure ayant été présentés dans le cadre de la relation

héritage, nous pouvons maintenant considérer l’inférence syllogistique dans le

cadre de la relation de similarité ; Figure 7.5. Etant donné deux prémisses 1J

et 2J , six nouvelles combinaisons peuvent être ajoutées au cas d’inférences

possibles :

137

2 1/J J M P→ P M→ M P↔

S M→ comS P F↔ < > 'anaS P F→ < >

M S→ comS P F↔ < > 'anaP S F→ < >

S M↔ anaS P F→ < > anaP S F→ < > 2ddS P F↔ < >

Une relation de similarité peut être obtenue en comparant la relation de deux

termes à un troisième. Par exemple, en comparant 1 1,S M f c→ < > et

2 2,P M f c→ < > , il est possible de tirer une conclusion ,S P f c↔ < > . Une

telle inférence est appelée une comparaison. La fréquence de la conclusion est

déterminée en fonction de la similarité de S et P dans le cadre de leur

comparaison à M uniquement. La fonction de calcul de valeurs de vérité,

Fcom, correspondant est :

( ) ( )

:

1 2

1 2 1 2 1 2 1 2 1 2 1 2

1 - -

comF

f f f

c c c f f f f c c f f f f k

=

= + − + − +

En utilisant un jugement de similarité comme une prémisse, le système peut

faire une certaine type d’analogie, c'est-à-dire, il peut remplacer un terme

dans un jugement par un autre terme similaire pour produire un nouveau

jugement.

( )( )

1 2 1 2 1 2

21 2 1 2 1 2

:anaF

f f f f f f f

c c c f f f f

= + −

= + −

La confiance de la conclusion calculée par cette fonction n’est pas

symétrique ; l’ordre des prémisses est important. Pour cette raisons, dans le

tableau ci-dessus, nous avons Fana et F’ana. Si nous considérons deux relations

de similarité, l’inférence est basée sur la transitivité de la relation de

similarité. L’ordre des prémisses n’est pas important. Nous pouvons penser ce

cas comme une déduction allant dans les deux sens. 2 :

1 2

1 2 1 2 1 2( )

ddF

f f f

c c c f f f f

=

= + −

Nous avons ainsi terminé les règles d’inférence utilisées dans l’inférence en

avant pour les relations d’héritage et de similarité.

138

7.3.3 Choix et inférence vers l’arrière

NAL (et le système NAR) permet de traiter différents types de questions

logiques. Les questions de type ?S P→ (ou ?S P↔ ) sont répondues par le

système en retournant une valeur de vérité, dans le cas où le système connaît

une telle relation. Lorsqu’il y a plus d’une réponse, le système peut retourner

celle avec la plus grande confiance (Wang 1995, 2006b). Pour notre cas les

questions de type ?? P→ sont plus intéressantes. Une telle question est

répondue en retournant un terme S tel que S P→ . Il existe trois formes de

questions pour lesquelles la réponse est un terme.

• ??S → , quelle est le terme P le plus typique dans l’intension de S ?

• ?? P→ , quelle est le terme S le plus typique dans l’extension de P ?

• ??S ↔ , quelle est le terme P le plus similaire à S ?

Lorsqu’il y a plusieurs réponses possibles nous avons besoin d’un moyen de le

distinguer (Wang 1995) définit l’espérance e qui peut être utilisé à cette fin.

Définition 7.17. L’espérance e d’une relation ,S P f c→ < > est donné par:

( ) ( ) ( )0.5 0.5e c f w k w k+= − + = + +

L’espérance indique la chance d’une relation d’être confirmée dans le futur

(Wang 1995, 2006b). Lorsque c vaut 1 (l’évidence totale), l’espérance vaut f.

Lorsque c vaut 0 (l’évidence nulle), l’espérance vaut 0.5. Etant donnée une

question, le système peut retourner la relation avec la plus grande espérance

qu’il estime être la meilleure réponse. Par exemple, avec la question ??S →

et des réponses potentielles, 1 1 1,S T f c→ < > et 2 2 2,S T f c→ < > avec les

espérances respectifs e1 et e2 tels que e1 > e2, la relation 1 1 1,S T f c→ < > est

considérée être une meilleur réponse.

Dans notre système, à chaque fois que l’utilisateur insère un nouveau concept

C dans sa description, une question ?? C→ est auto-générée. Le but est de

pouvoir trouver de bonnes réponses, c'est-à-dire, des réponses avec des

espérances le plus élevés possibles afin de les suggérer. Lorsqu’il existe

plusieurs réponses le système peut les ranger suivant la valeur de leur

espérance et retourner les meilleurs.

139

Que se passe-t-il lorsqu’il n’y a aucune réponse ? Dans le cas où il n’existe

pas de réponse, (à la place de retourner des réponses) le système génère

d’autres questions par l’inférence vers l’arrière. L’inférence vers l’avant

produit des jugements en partant de deux prémisses. L’inférence vers l’arrière

produit une question en partant d’une prémisse et d’une question. Quand le

système ne peut répondre à une question Q, il peut créer une question Q’ à

partir de laquelle il serait possible de répondre à Q. Par exemple, si le

système ne peut trouver de réponse convenable pour la question

?? :S GénérateurDEnergie→ , mais qu’il possède une connaissance

:S GénérateurDEnergie → :B SourceEnergie , il peut générer une

question ?? → :B SourceEnergie . Si le système a les connaissances

appropriées et il mène les inférences nécessaires, il peut aboutir à une réponse

pour la question de départ, bien que cela se réalise d’une manière indirecte.

Par exemple, si la connaissance :S MoteurElectrique → :B SourceEnergie

existe, le système peut inférer éventuellement la relation

:S MoteurElectrique → :S GénérateurDEnergie .

140

Je ne peux pas croire que le Dieu a choisi de jouer aux dés avec l’Univers.

Albert ENSTEIN

Qui êtes-vous, Einstein, pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ?

Niels BOHR

Chapitre 8. Mémoire et Contrôle

Dans le chapitre précédent, nous avons décrit la logique de termes et les

règles d’inférence que notre système utilise. Dans ce chapitre, nous allons

présenter les détails du modèle de mémoire du système ainsi que le

mécanisme de contrôle pour faire les inférences et les suggestions. Nous allons

d’abord expliquer comment un concept est stocké dans la mémoire. Nous

allons ensuite présenter la notion de tâche ; c'est-à-dire, les jugements ou les

questions sur lesquels le système doit s’interroger et à partir desquels

l’inférence est effectuée. Ensuite, nous serons en mesure de donner le cycle de

fonctionnement du DesigNAR. Pendant qu’il est actif (dès qu’un projet

commence et tant que l’utilisateur ne le désactive pas) l’assistant répète ce

cycle pour observer les changements dans l’environnement, réaliser une

inférence et faire une suggestion (s’il en a produit). Le reste du chapitre sera

consacré à une présentation détaillée des étapes du cycle de fonctionnement.

8.1 La structure de mémoire

8.1.1 Concepts et connaissances

Les connaissances du DesigNAR consistent essentiellement aux concepts et à

leurs sens. Nous avons vue que le sens d’un concept est défini par ses

relations d’héritage et de similarité avec d’autres concepts. Ces relations sont

stockées par chaque concept localement. Quatre listes sont maintenues par

chaque concept M où sont enregistré les connaissances à propos de M; Figure

8.1. Pour un concept M, la liste Extension contient les extensions de M et la

liste Intension contient les intensions de M.

141

Figure 8.1 Un concept et les connaissances reliées

Dans la liste Extension, les relations d’héritage où le concept M est le

prédicat apparaissent tandis que dans la liste Intension, des relations

d’héritage où M est le sujet existent. La liste Similarité contient les relations

de similarité où M figure. La liste Tâche est une liste qui contient des

relations qui vont être interrogées par des inférences.

A part les paramètres usuels, les éléments de la liste Tâche sont dotés de

deux paramètres. Le premier, urgence u, est un paramètre variant entre 0 et

1 qui reflète l’urgence avec laquelle une tâche doit être traité. Le deuxième, la

durabilité qui varie entre 0 et 1 est un paramètre qui spécifie le taux par

lequel l’urgence d’une tâche va s’estomper (nous reviendrons sur ce point

dans les paragraphes suivants).

Les listes que nous utilisons ont une capacité fixe et limitée. Lorsqu’une

nouvelle relation (résultant de l’inférence ou provenant de l’observation) doit

y être ajouté, si la capacité du sac n’est pas atteinte, il y est simplement

ajouté sans aucune influence sur les autres éléments. Par contre, si la capacité

est déjà utilisée au maximum, un des éléments existant est supprimé pour

faire place au nouvel élément. Pour les listes Extension, Intension et

Similarité, la relation avec la plus petite espérance e est effacée. Pour la liste

Tâche, la sélection de l’élément à supprimer se fait de la même façon mais

suivant le paramètre urgence.

142

Lorsqu’un élément doit être sélectionné (pour l’inférence), ce choix est

effectué suivant une distribution de probabilité. Pour les listes Extension,

Intension et Similarité, encore une fois, l’espérance e est utilisée pour

déterminer la probabilité de sélection. Plus l’espérance d’une relation est

élevée, plus est sa chance d’être sélectionnée. Pour la liste Tâche, l’urgence u

est utilisée pour déterminer la probabilité de sélection. Plus une tâche est

urgente, plus il y a des chances que le système va la sélectionner pour des

inférences.

Chaque concept créé a un paramètre ExtA représentant l’activation externe du

concept et un paramètre IntA représentant l’activation interne ; Figure 8.1.

Les deux paramètres ont comme plage de variation l’intervalle [0, 1].

L’activation externe résulte de l’observation des concepts dans

l’environnement et de la propagation de cette activation. L’activation interne

résulte des urgences de tâches qu’un concept possède. L’activation totale d’un

concept à un moment précis est donnée par la moyenne de ces deux

activations.

8.1.2 Notion de tâche

La notion de tâche dans DesigNAR est différente des systèmes d’intelligence

artificielle traditionnels. Il ne s’agit pas là d’un objectif qu’il faut atteindre,

mais d’un jugement ou d’une question à considérer et à mettre en relation

avec les connaissances du système. Une tâche est, soit, un jugement à partir

duquel il faut faire des inférences, soit, une question à laquelle il faut

répondre. Indépendamment de son type, une tâche peut provenir de

l’environnement ou de l’activité d’inférence. A chaque fois qu’un nouveau

jugement ou une nouvelle question est observé ou produit par l’inférence, le

système doit l’étudier et l’ancrer. Pour cette raison, il est désigné comme une

tâche.

Lorsque la tâche est un jugement, elle va être mise en relation avec d’autres

connaissances en le faisant interagir avec ces connaissances. Cette interaction

a lieu par l’intermédiaire de l’activité d’inférence. Le jugement sera utilisé

comme un des deux prémisses dans des inférences où la deuxième prémisse

est une autre connaissance. Ainsi, de nouvelles connaissances seront produites

143

grâce à cette tâche. Les deux concepts qui sont reliés par le jugement peuvent

être ainsi reliés à d’autres concepts. Il pourrait être remarqué que l’inférence

à partir des jugements s’agit d’un processus d’ancrage, c'est-à-dire la mise en

relation des concepts et des connaissances.

Lorsque la tâche est une question, de divers cas sont possibles. Dans le cas où

les connaissances nécessaires pour répondre manquent, le système utilise

l’inférence vers l’arrière et crée une nouvelle question dans le but d’obtenir

une réponse indirecte. Lorsqu’il existe une seule réponse immédiate (déjà

présente dans les listes du concept), celle-ci est utilisée. Lorsqu’il existe

plusieurs réponses, la règle de choix sera utilisée pour obtenir la réponse. Si la

question est posée par l’utilisateur (auto-générée à partir de ses actions), la

réponse peut être reportée comme une suggestion. Par cet aspect, l’inférence

à partir des questions est essentielle pour faire des suggestions. Dans tous les

cas, le résultat obtenu est traité comme une nouvelle tâche et est placée dans

la liste Tâche correspondante. Ainsi, le système commence en considérant ses

observations, il produit des connaissances sur ceux-ci, les connaissances

produites sont étudiées à leurs tours. Le système mène une activité de

réflexion continuelle tant qu’il est actif à partir des tâches qui sont créés

perpétuellement.

8.1.3 Urgence et durabilité d’une tâche

La tâche à partir de laquelle le système va faire une inférence est sélectionnée

d’une manière non-déterministe. L’urgence u d’une tâche détermine sa

probabilité d’être sélectionnée pour une inférence. Bien que les tâches les plus

urgentes ont plus de chance de recevoir une attention immédiate de la part

du système, des tâches qui sont considérées moins urgentes peuvent être

sélectionnées et donner lieu à des résultats d’inférences moins probables mais

qui peuvent être tout aussi pertinent. Par ailleurs, le paramètre d’urgence

n’est pas statique. Il change avec le temps en fonction d’un paramètre d

appelé durabilité. A chaque cycle d’inférence, la valeur d’urgence u d’une

tâche est mis à jour et devient u.d. La durabilité variant entre 0 et 1,

l’urgence d’une tâche se diminue avec le temps.

144

Figure 8.2 Le cycle de fonctionnement du DesigNAR

Ainsi, comme la capacité d’une liste Tâche est limitée, lorsque de nouvelles

tâches arrivent, les tâches anciennes avec une urgence faible sont oubliées.

Cette mis à jour assure une réactivité: les tâches les plus récents ont plus de

chance d’être sélectionnées, et les tâches qui ont été générées il y a un certain

temps ne bloquent pas le système, comme leur probabilité de sélection est

diminué avec le temps et comme éventuellement ils sont effacées.

Par ce mécanisme simple, il est possible d’obtenir de différentes

caractéristiques pour une tâche. Une tâche avec une urgence élevée et une

dégradation faible sera considérée immédiatement par le système, mais pas

pendant longtemps. Une tâche avec une urgence élevée et une durabilité

élevée sera considérée rapidement et pendant longtemps. Une tâche peut

avoir une urgence relativement faible, mais une durabilité élevée auquel cas,

elle va persister longtemps dans la mémoire du système, et ainsi elle a une

chance élevée pour influencer le raisonnement.

145

8.2 Activité du DesigNAR

8.2.1 Cycle de fonctionnement

Tant qu’il est actif, DesigNAR exécute un cycle de fonctionnement ; Figure

8.2. Nous allons d’abord décrire brièvement ces étapes, puis nous

expliquerons les détails du fonctionnement. Le « T » dans la Figure 8.2

correspond au numéro du cycle qui marque le temps pour le système. Il est

possible de faire varier la vitesse par laquelle le système répète le cycle. En

pratique, cette vitesse peut être réglée pour qu’elle varie de 1 cycle par

minute (CPM) à quelques milliers de CPM.

Sensation. Chaque cycle commence en vérifiant si de nouvelles connaissances

sont observées. Ces connaissances peuvent être des relations ou des concepts

observés dans l’environnement. Mais aussi, elles peuvent correspondre à des

relations ou des concepts créés par l’inférence au cycle d’avant. Un concept

observé la première fois est créé dans la mémoire. S’il a été déjà observé, son

activation externe est égalisée à 1. Les relations observées sont placées dans

les listes correspondantes dans la mémoire.

Activation externe. Chaque concept reçoit de l’activation de la part de ces

voisins. Nous utilisons ici le terme voisin au sens « relié par une relation

d’héritage ou de similarité ». La transmission de l’activation est

proportionnelle à l’espérance du lien qui existe entre les concepts de départ et

d’arrivé. Ainsi, des concepts qui ne sont pas activés directement par

l’environnement mais qui sont fortement reliés à des concepts actifs vont être

activés. De cette manière, ils pourront être considéré pas le système pendant

le choix de concept à analyser.

Sélection d’un concept, d’une tâche et d’une connaissance. Pour réaliser une

inférence, le système sélectionne un concept, puis une tâche dans la liste

Tâche de ce concept ; finalement, une connaissance est sélectionnée dans une

des trois listes restantes. Les choix se font aléatoirement. Le choix de concept

se fait en fonction de la moyenne de l’activation externe et interne de chaque

concept. Une fois le concept sélectionné, le système choisit aléatoirement une

146

tâche, en fonction des urgences des éléments dans la liste Tâche du concept

choisi. Finalement, la sélection d’une connaissance, c'est-à-dire, d’une relation

d’héritage ou de similarité se fait. Si la tâche est une connaissance, ce choix

se réalise aléatoirement en fonction des espérances des relations du concept

choisi. Si la tâche est une question, l’existence d’une réponse appropriée est

vérifiée.

Inférence. La tâche et le jugement choisis déterminent les règles d’inférence

qui peuvent être appliquées. Si la tâche est une question alors une réponse est

recherchée dans la liste appropriée (la liste est déterminée suivant la forme de

la question). S’il n’existe pas de connaissance pour répondre à la question,

une inférence vers l’arrière est effectuée. S’il en existe plusieurs, la règle de

choix est utilisée pour retourner celle avec la plus grande espérance. Dans le

cas où la tâche est un jugement, une règle convenable est choisie pour réaliser

l’inférence. Souvent, plusieurs règles peuvent être utilisées. Le choix se fait

encore une fois aléatoirement, mais en favorisant des règles qui donnent des

conclusions plus sures. Ainsi, la déduction a plus de chance d’être

sélectionnée que l’exemplification comme les conclusions produites par cette

règle ont une confiance plus élevées. En particulier, les règles de formation de

termes composés et la révision sont appliquées dès que possibles.

Ajustement des urgences et de l’activation interne. Une fois l’inférence est

réalisée les valeurs d’urgence et de durabilité sont déterminées pour la

conclusion générée (en fonction des paramètres des prémisses de départ).

L’urgence et la durabilité de la tâche sont aussi ajustées. En particulier, si la

tâche est une question et si le système a pu trouver une réponse, l’urgence de

la tâche va baisser ainsi que sa durabilité. Après ces ajustements, les urgences

des tâches sont ajustées par leurs durabilités et les activations internes des

concepts sont réévaluées.

Action et suggestions. Durant l’inférence, si une (nouvelle) réponse a été

obtenue pour une question provenant de l’environnement, le système vérifie si

elle s’agit d’une relation qualitative causale valide et si cette relation n’a pas

147

été déjà observée dans l’environnement (pendant la séance courante) ou déjà

suggérée. Si la réponse vérifie ses conditions, elle est reportée à l’utilisateur.

Certains de ces étapes doivent être présentées plus en détails. Ces points vont

être discutés ci-après.

8.2.2 Sensation

En début de chaque cycle, DesigNAR vérifie si de nouvelles relations (qui

proviennent de l’environnement ou qui ont été produites par l’activité

d’inférence) ont été observées. En effet, lorsqu’une nouvelle relation est

introduite dans l’environnement, celle-ci est stockée dans une liste jusqu’au

début du prochain cycle. De la même manière, un résultat produit par une

inférence est placé dans cette même liste. Au commencement de chaque cycle,

l’agent contrôle si de nouveaux éléments sont ajoutés dans cette liste et si

c’est le cas, il les place dans les listes des concepts correspondants.

Lorsque l’utilisateur édite une relation qualitative causale de type X Y← , le

système observe un jugement ,Y X f c→ < > et une question ? Y→ est

auto-générée. D’une coté, le système apprend une relation d’héritage, de

l’autre coté, une question à partir de laquelle le système peut produire des

suggestions est créée.

Comme le jugement concerne les concepts Y et X, il est placé dans les listes

correspondantes des deux concepts (si un concept est observé la première fois,

il est créé dans la mémoire avec les listes et autres propriétés

correspondantes). Notons que le jugement ,Y X f c→ < > sera placé dans la

liste Intension du concept Y et dans la liste Extension du concept X. Le

système copie ce même jugement aussi dans les listes Tâches des deux

concepts afin de l’étudier. Une nouvelle connaissance a été observée à propos

de chacun de ces deux concepts et chaque concept doit l’analyser localement,

à l’aide des inférences et l’ancrer. S’il a été déjà observé (par exemple, dans

des projets antérieurs), éventuellement, il peut renforcer la connaissance par

l’application de la règle de révision. Sinon, de nouvelles connaissances sera

créées à partir de celle-ci par d’autres inférences.

148

La question ? Y→ ne concerne qu’un seul concept ; le concept Y. Par

ailleurs, ceci n’est pas une connaissance mais exclusivement une tâche. Elle

sera donc placée uniquement dans la liste Tâche. Dans le cas où elle est

sélectionnée pour une inférence, si une connaissance appropriée de forme

Z Y→ est trouvée, elle sera reportée à l’utilisateur (puisque la question

provient de l’environnement). Dans le cas où il n’y a pas de réponse, une

inférence vers l’arrière aura lieu. Notons que, comme l’inférence fonctionne

aléatoirement, une question peut être répondue plusieurs fois. Dans un tel

cas, le système renvoie la meilleure réponse (celle avec la plus grande

espérance) qui n’a pas encore été proposée.

Une particularité du système, c’est que les tâches créées lors d’un projet de

conception sont liées uniquement à ce projet de conception même. Elles ne

sont utilisées que dans le cadre du projet où elles ont été créées. Par

contraste, une fois qu’une connaissance est acquise, elle peut être utilisée pour

l’inférence à tout moment et pour tous les projets. La raison pour cette

distinction réside dans le fait que c’est à partir des tâches que le

raisonnement du système est alimenté et nous voulons que le système se

concentre sur des tâches qui concernent uniquement le projet courant. Un des

avantages que cela offre, c’est que le système n’abandonne pas le cours de sa

réflexion lorsqu’un projet est arrêté momentanément et lors d’un

rechargement de ce projet, le système peut reprendre son raisonnement à

partir des tâches qu’il s’était posées.

Dans tous les cas, certains paramètres doivent être spécifiés pour les liens

observés comme imposé par le fonctionnement du système. Pour la question,

des valeurs d’urgence et de durabilité doivent être fournies. Pour le jugement,

en dehors de ces valeurs, une fréquence et une confiance doivent être données.

Dans le système NAR de Wang (1995), l’utilisateur peut spécifier les

paramètres des relations qui sont soumis au système. Dans notre système

ceci n’est pas possible comme il serait encombrant pour l’utilisateur de

spécifier des paramètres à chaque fois qu’il crée une relation qualitative

causale. Pour cette raison, nous avons choisi de fixer des valeurs par défaut.

Nous voulons que le système fasse des suggestions, et ce, le plus rapidement

149

possible, lorsqu’une question a été généré à partir de l’environnement (et non

pas par l’inférence en arrière). Cependant, lorsque le temps passe et

l’utilisateur travaille sur d’autres parties de sa représentation, générer des

suggestions pour une question ancienne n’est plus très intéressant. Alors,

pour les questions observées, dans les expérimentations, nous avons fixé une

valeur d’urgence élevée et une valeur de durabilité modérée. En ce qui

concerne les relations d’héritage observées, il conviendra que le système les

étudie pendant un certain temps, mais non nécessairement immédiatement,

afin de les ancrer. Nous avons fixé une valeur d’urgence modérée et une

valeur de durabilité élevée.

Pour les fréquences et les confiances, il est possible de travailler avec deux

modes différents, le tuteur et l’apprenti. Lorsque le tuteur travaille avec le

système, les valeurs de vérités sont élevées. Pour l’apprenti, ces valeurs sont

relativement faibles comme les relations qu’il peut fournir sont considérées

moins sûres et pour éviter que le système les perçoive comme essentielles.

8.2.3 Activation externe et propagation de l’activation

Dans le système, les concepts peuvent avoir une activation provenant de

l’environnement. Ces concepts transmettent une partie de leur activation aux

concepts voisinant. Le but ici est de pouvoir activer et donc d’utiliser

l’ensemble des concepts étroitement reliés en même temps, même s’ils n’ont

pas été observés dans l’environnement. Supposons, par exemple, qu’il existe

trois concepts qui ont été observés dans l’environnement et qui ont été

activés au maximum ; Figure 8.3. Dans le cas où ils sont reliés à un

quatrième concept, ces trois concepts vont transmettre un certain

pourcentage de leur activation à ce concept voisinant afin de l’activer. Celui-

ci, malgré le fait qu’il n’a pas été observé dans l’environnement aura une

activation (externe) positive. Il devient alors possible pour le système de

considérer ce concept dans son raisonnement. En particulier, les concepts

composés ne sont pas observés dans l’environnement mais leurs composants

peuvent y apparaître. Alors, ces derniers peuvent activer les concepts

composés dont ils font partie. Il nous donc faut un mécanisme pour activer

les connaissances pertinentes à partir de ce qui est observé dans

l’environnement.

150

Figure 8.3 Propagation de l’activation (plus le contour d’un rectangle est épais, plus activé

est le concept correspondant).

Nous utilisons une approche connexionniste qui exploite la structure de

graphe formée par les relations d’héritage et de similarité du système.

Indépendamment de leurs types, les relations observées ou formées par le

système représentent une certaine connexion sémantique entre les concepts

que le système connaît. Les connaissances du système peuvent être vue

comme un graphe où les nœuds correspondent aux concepts et les relations

aux connexions entre ces nœuds.

Dans notre système, au moment de la propagation de l’activation, les

relations qu’un concept possède déterminent les concepts qui peuvent lui

transmettre de l’activation. Pendant cette opération, l’espérance e de la

relation en question est assimilée à la puissance de la connexion. Les

concepts qui sont reliés par des relations avec une fréquence et une confiance

élevées peuvent activer l’un l’autre fortement, et inversement, les relations

avec des valeurs de vérités faibles sont défavorisées dans la transmission de

l’activation.

Nous adaptons le modèle proposé par Kokinov (voir Kokinov (1994b, c) pour

les détails). A chaque instant T = t, chaque concept a une activation externe

ExtA = a(t) qui varie entre 0 et 1. Lorsqu’un concept est observé dans

l’environnement, son activation atteint le maximum. Chaque concept actif au

delà d’un seuil peut transmettre une partie de cette activation, son output,

aux concepts reliés.

151

A chaque instant t, l’activation transmise par un concept, o(t), est calculée

comme suit.

0, si ( )

( ). ( ), sinon.

a to t

a t

θ

ρ

>=

où ρ est un réel variant entre 0 et 1. θ est le seuil d’activation, variant aussi

dans l’intervalle unitaire. Chaque concept reçoit de l’activation de la part de

chacun de ses voisins actifs (voisin au sens d’une relation d’héritage ou de

similarité). L’activation nette inetA reçue pour le concept ic est donnée par

( )inet ij i

j

A o tλ= ∑

où ijλ correspond à la puissance d’une connexion entre le concept ic et un

concept jc qui lui est relié par une relation. Ce paramètre est obtenu comme

le rapport de l’espérance ije de la relation entre ces deux concepts et la

somme des espérances ike de toutes les relations qui relient le concept ic avec

les autres concepts :

ij

ij

ikk

e

eλ =

L’activation totale ( )tot

iA t pour un concept ic au temps t est donné par

( ) ( ), si est le focus

( ). ( ) ( ) ( ), sinontot

ii net i

i

ii net i

a t A t cA t

a t A t I tτ

+= + +

où 0 1τ< < est le taux de désactivation, 0< ( )iI t <1 est une activation

additionnelle qui provient de l’environnement à l’instant t. En fait, lorsqu’il

travaille, l’utilisateur peut « cliquer » sur certains concepts pour différentes

raisons. Le dernier concept cliqué avant le commencement du cycle courant

est le concept focal et son activation n’est pas dégradée par le taux de

désactivation. Si un concept a été cliqué (mais a perdu le focus) pendant le

cycle précédent, son activation est légèrement augmenté par une quantité

( ( )iI t >0), vue que l’utilisateur a fait preuve d’un certain intérêt actuel au

concept. Sinon, l’activation additionnelle est nulle. Dans ces deux dernier cas,

la dégradation est appliquée. L’activation externe d’un concept à l’instant

suivant est calculée comme

152

0, si ( )

( 1)1 , sinon.

( )

tot

tot

ii

Ext ii

i

A t

A a t

A t

θ

θ

< = + = −

L’activation externe sert à activer les concepts non observés dans

l’environnement mais qui sont étroitement lié aux concepts observés. Ils

peuvent s’agir des concepts composés ou des concepts qui ont été créés dans

d’autres projets de conception. Cependant, un concept non observé mais

activé par la propagation de l’activation ne contient pas de tâche qui

concerne le projet actuel au moment de l’activation. Pour cette raison, ses

relations avec les concepts qui l’ont activés sont recopiées dans la liste Tâche

de ce concept. Ainsi, le système peut réaliser des inférences à partir de ce

concept dans le cadre du projet courant.

Le mécanisme de propagation de l’activation fournit une mémoire

constructive. En fonction de ce que le système observe dans l’environnement,

les connaissances pertinentes deviennent actives et utilisables. Cependant,

pour ancrer les connaissances (observées ou produites) par l’inférence, le

système doit aussi gérer la manipulation des tâches et de leurs facteurs

d’urgence.

8.2.4 Sélection et compétition des tâches

La sélection des tâches pour l’inférence est effectuée aléatoirement suivant le

paramètre d’urgence. En partant des urgences individuelles des tâches, il est

possible de déterminer différentes distributions de probabilité pour la

sélection aléatoire. Notamment, nous pouvons favoriser un comportement

chaotique en associant une probabilité égale à chaque candidate

indépendamment de son urgence. Contrairement, nous pouvons rendre le

système déterministe en associant une probabilité 1 à une tâche donnée, par

exemple, à la tâche avec l’urgence la plus grande, et 0 à toutes les autres.

Il est aussi possible de déterminer une distribution de probabilité où la

probabilité de sélection d’une tâche est obtenue par le rapport de l’urgence de

cette tâche avec la somme des urgences des tâches de la liste où la sélection

est faite.

153

Figure 8.4 Le graphe de la fonction F pour des valeurs d’urgence variant entre 0 et 1 ; avec

les paramètres a = 5, b = 10 et c = 0.35.

De cette manière, la sélection est non déterministe mais favorise les tâches

avec les urgences élevées. Cependant, lorsqu’il existe plusieurs tâches avec des

probabilités très faibles et peu de tâches avec des probabilités élevés, il peut

devenir difficile pour le système de traiter des tâches urgentes en temps. Par

exemple, dans une liste où il existe une tâche avec une urgence 1 et dix

tâches avec des urgences 0.1, la probabilité de sélection de la tâche avec

l’urgence 1 est 0.5. Or, cette tâche peut correspondre à une question

provenant de l’environnement à laquelle nous voudrons répondre rapidement.

Pour cette raison, afin de biaiser la sélection en faveur des tâches avec des

urgences élevées, nous utilisons des poids dans la détermination des

probabilités.

Pour une tâche it avec une urgence iu , cette probabilité, notée par itP ,

vaut :

1

i

i it n

i i

i

p uP

p u=

=

où ip est le poids associé à l’urgence iu , n est le nombre de tâches

considérées. La somme des probabilités vaut 1. Pour le système courant, le

poids ip est obtenu par une fonction F(u) de forme sigmoïde déterminée

empiriquement

154

( )

1( )

1 b u cF u

ae− −=

+

avec a > 1, b > 1, 0 < c < 1. Lorsque u varie entre 0 et 1, avec a = 5, b =

10 et c = 0.35, la forme de cette fonction est donné par la Figure 8.4.

Cette approche permet d’empêcher le cas problématique que nous avons

exemplifié. Dans une liste où il existe une tâche avec une urgence 1 et dix

tâches avec des urgences 0.1, la probabilité de sélection de la tâche avec

l’urgence 1 est 0.98. Notons cependant que lorsqu’il existe des tâches avec des

urgences proches, c'est-à-dire, lorsque l’écart entre le minimum et le

maximum des urgences pour les tâches d’un concept est petit, la sélection

sera toujours biaisée en faveur du maximum, cependant, la différence entre

les probabilités de sélection ne sera pas aussi élevée.

Comme de nouvelles tâches sont créées continuellement et les urgences de

celles-ci changent dynamiquement, les tâches sont en compétition pour

utiliser les ressources du système. Avec le temps, les tâches anciennes sont

défavorisées vis-à-vis des tâches récentes par le processus de dégradation.

Cependant, la dégradation des urgences n’est pas le seul facteur dans la

compétition des tâches pour recevoir l’attention du système. Le résultat de

l’inférence peut changer l’urgence d’une tâche.

8.2.5 Activation interne

A un moment donné, la liste Tâche d’un concept peut contenir un certain

nombre de tâches avec des valeurs d’urgences différentes. L’activation interne

d’un concept est déterminée pour chaque instant T en agrégeant les valeurs

d’urgence des tâches de cette liste. Comme ces valeurs varient entre 0 et 1,

nous avons décidé de faire cette agrégation de manière à ce que le résultat

final soit inclus dans ce même intervalle. Par exemple, il est possible de

considérer un calcul de moyenne (équipondérée), ce qui donnera une

activation moyenne variant dans l’intervalle unitaire. Cependant, la présence

des tâches très peu actives peut considérablement baisser l’activation interne

d’un concept et le mécanisme de dégradation des urgences fait que, dans la

liste de tâche d’un concept donné, il existe souvent des tâches avec des

urgences très faible. Pour favoriser la contribution des éléments les plus

155

urgents, nous avons donc décidé d’utiliser une moyenne ordonnée pondérée

(MOP), un mécanisme plus élaboré pour calculer une moyenne, introduit par

Yager (1988).

Afin de calculer la MOP des urgences, nous avons besoin de deux listes. La

première, la liste des valeurs d’urgences ordonnée suivant l’ordre décroissant

(1) (2) ( )( , ,..., )nord u u u=u où ( )iu est la ième plus grande urgence et n est le nombre

de tâche. La deuxième, est une liste de poids 1 2( , ,..., )np p p=p tels que

[ ]0,1 , 1ip i n∈ ≤ ≤ et 1

1i

n

i

p=

=∑ . La MOP est alors calculée comme

( )

1

( , ) i i

n

ord

i

MOP pu=

= ∑p u

Pour un opérateur MOP, les poids ne sont pas associés à une urgence

particulière, mais à un ordre. En fixant ces poids différemment, il est possible

d’obtenir d’autres opérateurs usuels. Par exemple, lorsque 1 1p = et tous les

autres poids sont nuls, l’opérateur MOP devient un opérateur de Max ;

lorsque 1np = et tous les autres poids son nuls, il devient un opérateur de

Min. Dans notre système, à chaque fois que l’activation interne est

déterminée pour un concept, les poids sont déterminés dynamiquement en

utilisant la fonction F(u) précédemment introduite. De cette manière, la

MOP est calculée avec des poids tels que i jp p≥ pour i>j. Un concept qui

contient une tâche avec une urgence élevée va ainsi avoir une activation

interne élevée.

8.2.6 DesigNAR et NAR

Les listes et l’organisation de mémoire que nous utilisons sont similaires à

celles du système NAR de Wang (1995, 2006b) mais il y a aussi des

différences. Tout d’abord, NAR n’est pas un système hybride et n’utilise pas

d’activation externe. Notre système, contrairement au système NAR, est

conçu pour travailler sur plusieurs projets et pour permettre un transfert des

connaissances acquises d’un projet à l’autre. Sa base de donnée s’élargit avec

le temps mais pas toutes ses connaissances sont pertinentes dans chaque

projet. Par contraste, le système NAR est un système de raisonnement pur et

il ne prend pas en compte la notion de projet. Il se raisonne et il s’adapte

156

d’une manière similaire à notre système, mais les résultats qu’il produit ainsi

que ses observations sont oubliés à la fin de la séance.

Par ailleurs, dans NAR, les relations d’héritage et de similarité ont un

paramètre appelé utilité. Ils ont une fonction et une utilisation similaire aux

celles de paramètres d’urgence mais peuvent aussi augmenter suivant leur

participation et leur contribution au raisonnement de NAR. Nous n’utilisons

pas ces paramètres comme nous n’avons pas besoin de distinguer entre

l’utilité d’une connaissance du point de vue du système et l’espérance de cette

connaissance. Pour notre système, une connaissance est d’autant plus utile

que son espérance est élevée, comme les suggestions se font sur la base des

espérances.

Finalement, le choix des tâches et l’ajustement de l’activation interne ne sont

discutés que qualitativement par Wang. Le mécanisme que nous avons décrit

plus haut est propre au DesigNAR. En revanche, dans son état actuel, le

système NAR est capable d’utiliser toutes les fonctionnalités de la famille de

logique NAL, tandis que nous avons utilisé une version limitée.

8.2.7 DesigNAR, concepts fluides et SCE

Nous avons vu dans ce chapitre que la sélection des éléments à traiter par le

système est aléatoire, mais que la sélection est biaisée fortement en faveur des

éléments les plus forts (les concepts les plus actifs, les tâches les plus

urgentes, les règles les plus sûres). Par ailleurs, il existe un mécanisme d’oubli

dû à la capacité des listes utilisées, ce qui assure que les relations faibles sont

oubliées lorsque de nouvelles relations sont produites. Comme l’activité

d’inférence continue sans cesse, cela donne un système qui produit des

connaissances continuellement et qui ne retient que celles qui sont les plus

puissantes (d’après le paramètre espérance). Jusqu’à ce que des connaissances

encore plus puissantes puissent être trouvées !

Il faudrait noter que dû à la nature aléatoire du raisonnement, si nous

répétions une même expérience (les mêmes observations, aux mêmes

moments), il est très peu probable de reproduire les mêmes connaissances

avec le même ordre. Cependant, comme la sélection est biaisée et les

157

conclusions faibles sont oubliées, la plupart des conclusions retenues seront

identiques même si l’ordre de leur obtention va très probablement changer !

Cette nature dynamique mais non-déterministe du système le rapproche dans

une certaine mesure, d’autres systèmes qui fait un usage fluide des concepts.

Par exemple, les relations d’héritage et de similarité avec des degrés de

puissances variées peuvent être vues comme les distances (ou proximités)

conceptuelles dans le programme Copycat. Alors, ce que nous avons appelé le

sens d’une concept, c'est-à-dire, ses relations avec les autres concepts à un

moment donné, est pareil au halo conceptuel d’un concept dans Copycat

(voir le paragraphe 6.3.1). Le halo se rétrécit et s’élargit dans différentes

directions lorsque notre système fait des inférences, crée de nouvelles

connaissances, en oublie certaines, en révise d’autres (ce qui les rend plus

puissantes). En plus, quand le sens d’un concept change de cette manière, la

propagation de l’activation gagne une nature dynamique aussi ! Des liens

sont créés, d’autres oubliés, et encore d’autres sont renforcés et donc

l’activation qu’un concept va transmettre change ; ce qui influence la chance

des concepts d’être sélectionné pour l’inférence et par conséquent, de créer

des tâches qui vont changer l’activation interne d’autres concepts !

Cependant, dans notre système, le raisonnement ne s’arrête pas pour

produire une représentation finale (d’une situation, d’une analogie,

etc.) Lorsque le programme Copycat est lancé, d’abord, plusieurs concepts et

représentations sont considérés en parallèle, et éventuellement, le système

converge vers l’une des représentations considérées. Comme le programme est

non-déterministe, parfois, des représentations moins plausibles sont

construites, ce qui est jugé comme un effet de créativité. Par contraste, dans

notre système, il n’y a pas de représentation finale. A la place, le système se

représente la situation continuellement. Contrairement, à Copycat (et

d’ailleurs, à d’autres programmes dans ce genre comme Tabletop,

Letterspirit) notre assistant est situé et donc en interaction continuelle avec

un environnement qui change. Quand l’environnement change, la

représentation change. Par ailleurs, la manière dont le système se représente

la situation ne peut être distinguée de son raisonnement, comme l’approche

des concepts fluides requiert (voir le paragraphe 5.4.2). L’activation des

158

concepts observés, la propagation de cette activation, les tâches qui se créent

et les activations internes qui changent, les connaissances produites, les

interactions internes aux différents niveaux et l’interaction avec

l’environnement peuvent tous être considérés comme les éléments de la

représentation mais aussi les éléments du raisonnement. La fluidité de la

représentation et du raisonnement vient de ces interactions internes et

externes aux niveaux variés (tâches, relations, activations internes,

observations, activations externes, propagation) et l’aspect aléatoire contrôlé.

Cette fluidité a comme impact une construction de sens non-déterministe

mais maîtrisé pour les concepts et un comportement (et donc des

représentations) émergent(es).

Nous avons terminé de décrire les détails de l’implantation du mécanisme de

contrôle de DesigNAR. Les deux chapitres suivants vont présenter des

exemples et des expérimentations démontrant le fonctionnement du système

décrit dans la deuxième partie.

159

Dans le domaine d’informatique,

le moment de vérité est le programme qui tourne.

Tout le reste est de la prophétie.

Herbert SIMON

Chapitre 9. DesigNAR; exemples d’inférence et de

suggestion

Durant les chapitres précédents, nous avons décrit DesigNAR et le fondement

théorique sous-jacent. Ce chapitre est destiné à présenter le fonctionnement

du système par les exemples.§§ En premier, l’interface graphique du système

est présentée. Les fonctions de base comme l’ajout des éléments, l’élaboration

de la base de donnée et la réception de l’information à partir de

l’environnement seront expliqués à l’aide des figures. En deuxième, les

exemples d’inférences menées par l’assistant seront présentés à l’aide d’un

exemple de conception d’aspirateur réalisé en utilisant le logiciel. L’activité

d’inférence du logiciel est enregistrée dans un fichier d’output à partir duquel

nous discuterons et exemplifierons l’application des règles d’inférences.

L’évolution des connaissances de l’assistant suites aux inférences, l’ancrage

des concepts et des relations, la construction de sens pour les termes

composés sera examinée. En troisième, nous allons illustrer la coopération du

système avec l’utilisateur par un deuxième exemple, la conception d’une

machine à laver.

§§ Le logiciel DesigNAR et des bases de données correspondants aux exemples et aux

expérimentations peuvent être trouvés sur le site Internet de l’auteur à l’adresse

http://www.lamsade.dauphine.fr/~kazakci.

160

Figure 9.1 DesigNAR et son interface graphique ; (Kazakci 2005)

9.1 Présentation du logiciel

9.1.1 L’interface graphique du DesigNAR

Le DesigNAR communique avec son utilisateur à partir de son interface

graphique. L’interface permet à l’utilisateur de construire un concept sous

forme d'un graphe FBS et de gérer une base de donnée. L'écran est composé

de trois parties ; Figure 9.1. Les concepts sont élaborés dans la partie gauche.

Il est possible de créer un nouveau artéfact et d'y ajouter des éléments comme

des fonctions, des comportements et des structures pour former un graphe

FBS correspondant à une description conceptuelle d’un produit. A chacun de

ces éléments peuvent être associés des attributs, des contraintes, des

documents (en bas, à gauche de l’écran). Pour les structures, il est aussi

possible d’ajouter des relations. La partie au milieu permet de gérer la base

de donnée. L'utilisateur peut rechercher et charger des concepts ou construire

des schémas de fonctions, de comportements ou de structures.

161

Figure 9.2 Le graphe FBS modifié

Les schémas correspondent aux types d’éléments et définissent les propriétés

(attributs, documents, contraintes) les plus distinctives de leurs instances

(Gorti et al. 1998). Pour ajouter un élément dans le graphe (e.g., une

structure de type Separation/FiltrationMechanism), l'utilisateur doit choisir

le schéma correspondant à partir duquel l’instance sera dérivée (Figure 9.1,

au milieu). Il sera alors possible d’observer en bas au milieu les propriétés de

ce schéma, de choisir l'élément auquel le nouveau élément sera lié (e.g.,

Gather, Figure 9.1, à gauche en haut), et finalement, de nommer l'instance

qui sera créé à partir du schéma (e.g., Separation_Mechanism_1) et de

valider.

Suite à cette validation, le nouvel élément sera ajouté dans le graphe FBS;

Figure 9.2. Ensuite, l’utilisateur peut ajouter d’autres attributs, de

documents ou de contraintes dans cette instance en utilisant les boutons en

bas à gauche de l’écran, créant ainsi une instance plus spécifique. Un schéma

approprié à partir duquel l’instance sera dérivée peut ne pas être disponible

dans la base de donnée. Dans ce cas, l’utilisateur peut cliquer sur « New » ou

« Edit » dans l’écran d’ajout de structure pour en créer un nouveau ou

élaborer un ancien ; Figure 9.3.

162

Figure 9.3 Création d’un nouveau schéma de structure; Centrifugal_Separation_Mechanism

Notons que l’utilisateur ne peut créer des instances que pour les ajouter dans

un graphe FBS et que, pour ce faire, il doit passer par les schémas. En fait,

lorsque le bouton « Add Function », « Add Behavior » ou « Add

Structure » est cliqué, dans la boite de dialogue qui s’ouvre, apparaissent

uniquement les schémas. L’utilisateur n’a pas d’accès direct aux instances

créées à partir de ces schémas. L’utilisateur ne peut accéder à des instances

créées dans le passé que par l’intermédiaire du DesigNAR. Celui-ci est chargé

de trouver et de suggérer les instances passées les plus intéressantes dans le

contexte actuel. Ainsi, les schémas jouent un rôle central dans l’activité du

DesigNAR. Les instances crées dans différents projets sont toutes reliées à des

163

schémas et DesigNAR est chargé d’établir des relations directes entre celles-ci

afin de pouvoir faire suggestions.

DesigNAR communique ses suggestions à l’utilisateur dans la partie droite de

l’écran principal. L’utilisateur peut alors examiner les propriétés des éléments

suggérés (en bas, à droite de la Figure 9.1). S’il accepte la suggestion, alors

celle-ci sera transférée en dessous de l’élément sélectionné dans le graphe

FBS.

Aussi, dans cette partie, existent les boutons de commande pour demander au

DesigNAR des éléments à ajouter dans le graphe et pour suspendre ou

reprendre son cycle de fonctionnement. Lorsqu’on demande à l’agent de

suggérer, une procédure est lancée pour rechercher des éléments à suggérer

qui peuvent être reliés à l’élément sélectionné dans le graphe. Cette procédure

va rechercher les relations que DesigNAR connaît et qui permettront de faire

des suggestions afin de les afficher à l’écran. Toutefois, DesigNAR est un

agent réactif et on n’a pas besoin de lui demander de faire des suggestions;

tant que son cycle de fonctionnement n’est pas suspendu, il réagira à chaque

clique de l’utilisateur et aux ajouts d’éléments et va essayer de faire des

suggestions.

9.1.2 Acquisition des connaissances

Comment DesigNAR acquiert ses premières connaissances ? Nous en avons

déjà parlé dans les chapitres 6 et 8, mais reprenons quelques éléments à l’aide

de l’exemple. Lorsque Separation_Mechanism_1 est ajouté en dessous du

Gather, deux nouveaux liens seront observés par DesigNAR:

: _ _1S Separation Mechanism → : B Gather

: _ _1S Separation Mechanism → : / S Separation FiltrationMechanism

Le premier lien informe l’agent que l’instance nommé Gather est réalisé par

l’instance nommé Separation_Mechanism_1. Le deuxième lien informe le

système que Separation_Mechanism_1 est une spécialisation de

Separation/FiltrationMechanism. Cependant, pour DesigNAR il n'y a pas de

distinction sémantique entre ces deux liens. Il les représente et traite de la

même façon, c'est-à-dire, par des relations d’héritage. En plus de ces deux

164

liens ci-dessus, DesigNAR crée et recopie dans sa mémoire la question

« Qu’est-ce que c’est un Separation_Mechanism_1 » :

Q →S: Separation_Mechanism_1

où Q est le symbole utilisé par le système pour les questions. Comme nous

l’avons déjà vue dans les chapitres précédents, une telle question n’est pas

informative en soi ; elle ne représente pas une connaissance mais uniquement

une tâche. Les questions peuvent déclencher des procédures de choix qui

pourront entraîner des suggestions. Acquises de cette manière, les

connaissances de l’agent sont organisées comme un graphe où les nœuds

correspondent à des concepts (comme Separation_Mechanism_1 ou

Gather) et les liens correspondent aux relations d’héritage qui existent entre

les concepts ; Figure 9.6. Initialement, la base de donnée contient quatre

noeuds; Artifact, Function, Behavior et Structure. Ce sont les éléments les

plus généraux. Par exemple, lorsqu'un nouvel artefact A: Artifact_1 est créé,

le lien

A: Artifact_1→A: Artifact

est observé par l'agent. Ainsi, il sait que « Artifact_1 est un Artifact ». De

la même manière, lorsqu'un premier schéma de Function, de Behavior ou de

Structure est créé, les liens comme les suivants sont captés par l'agent:

F: Function_1 → F: Function

B: Behavior_1 → B: Behavior

S: Structure_1 → S: Structrue

Lorsqu’un nouvel élément est ajouté dans un graphe FBS en cours de

construction, les liens de type :

F: Function_1 → A: Artifact_1

F: Function_2 → F: Function_1

B: Behavior_1 → F: Function_2

B: Behavior_2 → B: Behavior_1

S: Structure_1 → B: Behavior_2

S: Structure_2 → S: Structrue_1

peuvent être observés par l’agent. Notons que dans ces derniers liens

n’apparaissent que des instances.

165

Figure 9.4 Création d’un nouveau concept

9.2 Inférences et évolution des connaissances du DesigNAR

Nous considérons que l'agent commence sa vie avec les exemples ci-dessous.

Par conséquent, n'ayant observé aucune séance de conception auparavant, au

départ, sa mémoire sera vide mise à part les quatre noeuds Artifact,

Function, Behavior et Structure. Dans les exemples qui suivent, nous avons

le constant de prudence k = 10 (voir chapitre 7) de manière à ce que l'agent

attribue des valeurs de vérités relativement basses aux conclusions

d’inférences. Par ailleurs, la vitesse de répétition d’un cycle de

fonctionnement de l'agent a été réduite pour éviter d’avoir un nombre

d’inférence très élevés et difficile à suivre pour le lecteur.

9.2.1 Exemple d’utilisation du logiciel

Présentons comment fonctionne DesigNAR lors de la conception d'un

aspirateur. Le concept correspond à celui d'un aspirateur dont le

fonctionnement est basé sur le vacuum créé par un moteur. La poussière

aspirée par le vacuum est retenue par un sac qui sert de filtre ce qui permet

de séparer l'air de la poussière.

Après avoir sélectionné « New concept » dans le menu « File », l'utilisateur

peut créer l'artéfact A: Aspirateur. La boite de dialogue qui s'ouvre permet

d'entrer le nom de l'artéfact et une description de celle-ci; la date de création

du projet est générée automatiquement; Figure 9.4. Ceci revient à créer un

noeud de type Artéfact pour le graphe FBS. Cliquer sur OK, ajoute ce noeud

dans la base de donnée, initialise le DesigNAR et lui donne le lien

: :A Aspirateur A Artifact→ .

166

(a)

(b)

(c)

(d)

Figure 9.5 Les étapes de la création du concept d’aspirateur

L'utilisateur peut désormais continuer à développer son concept en ajoutant

des fonctions, puis des comportements et finalement des structures. La Figure

9.5 illustre les étapes pour créer les schémas et les instances nécessaires pour

construire le concept correspondant à un aspirateur. L’utilisateur détermine

comme fonction primaire d’un aspirateur, séparer l’air aspiré de la poussière

qu’il contient. Un schéma F: Separation est donc créé (Figure 9.5a) à partir

duquel l’instance F: Separation_1 est construite (Figure 9.5b).

167

Figure 9.6 Les liens observés (Les valeurs de vérités sont omises pour raison de clarté)

L’utilisateur alors décompose la fonction F: Separation_1 par les

comportements B : Vacuum_1 et B : Filtration_1 qui sont créés à partir

des schémas correspondants; Figure 9.5b et Figure 9.5c. Finalement,

l’utilisateur ajoute S : Moteur_1 et S : Sac_1 dans le but de décrire les

éléments qui vont réaliser les deux comportements B : Vacuum_1 et

B : Filtration_1 respectivement; Figure 9.5c et Figure 9.5d. A ce stade, si

aucune inférence n’avait été réalisée, le graphe de connaissances de l’agent

aurait eu la structure illustrée dans la Figure 9.6.

9.2.2 La réception de l’information et la mémoire du DesigNAR

DesigNAR « se réveille » lorsque le concept d’aspirateur est créé. Suivant le

mode de fonctionnement, il peut immédiatement commencer son cycle

d’inférence ou il peut surveiller l’environnement et enregistrer les

changements jusqu’à ce que l’utilisateur lui demande de faire des inférences.

168

Figure 9.7 Le fichier d’output du DesigNAR ; les valeurs entre les crochets sont les valeurs

d’urgence et de durabilité ; les valeurs entre les parenthèses sont les valeurs de fréquence et

de confiance ; Q est le symbole utilisé par le système pour le point d’interrogation.

Dans tous les cas, il crée un fichier d’output ayant le nom de l’artéfact et les

spécifications du projet. Dans ce fichier est reporté toutes les informations

que DesigNAR reçoit de son environnement et les inférences qu’il effectue à

partir de ces informations. La Figure 9.7 présente un extrait de ce fichier

dans le cadre de l’exemple du concept Aspirateur. Les chiffres entre les

crochets [ ] sont respectivement l’urgence et la durabilité. Les chiffres entres

parenthèses ( ) sont respectivement la fréquence et la confiance.

Comme nous le voyons DesigNAR reçoit d’abord les informations sur

A : Aspirateur. Il observe « Aspirateur est un Artéfact » et se pose la

question « Qu’est-il lié à un Aspirateur ?». De la même manière, il constate

un schéma de fonction, nommé Separation, et il crée la tâche « Qu’est il la

Separation ? ». Puis, Separation_1, une instance de Separation et cette

instance est associée à Aspirateur. Finalement l’agent se demande « Qu’est-

ce que c’est Separation_1 ? ».

169

Lorsque DesigNAR reçoit une information, il la recopie dans certaines des

quatre listes Tâches, Intension, Extensions et Similarité (voir chapitre

Chapitre 8). Si un terme figurant dans l’information n’est pas connu, alors un

nouveau concept est créé avec ces quatre listes et dont le nom correspond au

terme observé. Pour notre exemple, comme l’agent ne connaît aucun des

termes observés, il va créer tous les concepts correspondants. Les concepts

Aspirateur, Separation et Separation_1 sont donc créés comme il s’agit de la

première expérience de conception pour le système. Les informations

observées peuvent alors être recopiés dans les listes appropriées. Les questions

sont recopiées uniquement dans la liste Tâche correspondant au concept

considéré. Les jugements sont recopiés à la fois dans les listes Tâche et dans

la liste de jugements correspondante (voir chapitre 8). Ainsi, pour Aspirateur,

des deux liens suivants

[0,99;0,90] (0;0)

[0,8;0,99] (0,7;0,7)

Q Aspirateur

Aspirateur Artifact

le premier est ajouté dans la liste Tâche, le deuxième est ajouté à la fois dans

la liste Tâche et dans la liste Intension de l’aspirateur.

Notons que les informations qui sont captées de l’environnement sont admises

par DesigNAR sans aucune remise en question (de la crédibilité de

l’utilisateur). Elles sont recopiées comme telles dans la mémoire. Aucune

incertitude n’est considérée en ce qui concerne l’information, même si

l’information peut indiquer de l’incertitude sur une relation (e.g.

Aspirateur Artifact→ avec un niveau de confiance de 0.7 » n’implique pas

que cette information est incertaine, mais que le fait qu’un aspirateur soit un

artéfact n’est certain que de 70%). L’information Aspirateur Artifact→ est

ainsi directement recopiée dans la liste Intension du concept Aspirateur.

Cependant, le fait que les informations soient recopiées sans remise en

question ne veut pas dire pour autant que l’agent ne va pas essayer de situer

ces connaissances par rapport à d’autres connaissances. Ainsi, cette même

information va être recopiée dans la liste Tâche (ce qui augmentera

l’activation du concept correspondant, et donc, la probabilité qu’il sera

sélectionné pour une inférence). De cette manière, lors de l’inférence, elle peut

être sélectionnée, et donc, interagir avec d’autres connaissances (qui se

170

trouvent dans l’intension, l’extension ou la similarité du concept). Ceci va

donner lieu à la création d’autres connaissances à partir de celle-ci et donc

établir la relation du concept en question avec d’autres concepts. Par

contraste aux jugements, les questions de type :Q A Aspirateur→

ou : _1Q F Separation→ ne vont interagir avec d’autres connaissances que

pour trouver une réponse ou, à défaut, pour créer une autre question. Pour

l’exemple, n’ayant aucune autre connaissance de départ, soit DesigNAR va

trouver des réponses triviales (comme : _1F Separation → :A Artifact ), soit

il n’en trouvera aucune (e.g., il n’est pas possible de répondre à

: _1Q F Separation→ pour l’instant.) Celles-ci ne seront pas reportées à

l’utilisateur puisqu’elles n’ont aucune valeur comme suggestions. Cependant,

elles seront importantes pour le raisonnement interne de l’agent. Comme tout

résultat d’inférence, ils seront écrits dans la liste Tâche des concepts

concernés augmentant leur niveau d’activation.

Aussi, faudrait-il rappeler qu’un jugement quelconque contient de

l’information sur deux concepts à la fois. Prenons :A Aspirateur →

:A Artifact . Dans quel concept devrons-nous la recopier ? Dans les deux

concepts en question. Cependant, pas dans les mêmes listes : Pour le concept

A : Aspirateur, le concept A : Artifact sera copié dans la liste Intension

puisque A : Artifact est dans l’intension de ce concept. Pour le concept

A : Artifact, le concept A : Aspirateur est dans l’extension de celui-ci et donc

il sera copié dans la liste Extension.

9.2.3 Les premiers cycles ; la manque de connaissances

Reprenons l’exemple d’aspirateur et examinons à présent les premières

itérations du cycle de fonctionnement du DesigNAR à l’aide de son fichier

d’output. Une fois les informations acquises sont écrites dans la mémoire,

DesigNAR commence à exécuter ses cycles d’inférences. Rappelons qu’un

cycle d’inférence consiste à choisir un concept, une tâche à propos de ce

concept, puis, un jugement (sauf si la tâche est une question au quel cas on

cherche directement une réponse). Ensuite, une règle d’inférence sera

appliquée à la tâche et au jugement pour générer une conclusion. Le fichier

d’output reflète toutes ses étapes pour chaque cycle d’inférence.

171

Figure 9.8 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 1-4

Ce que nous constatons dans les premiers cycles, c’est que DesigNAR ne

dispose pas suffisamment de connaissances pour établir des relations entre des

concepts. L’assistant continue son raisonnement malgré cela, en créant des

questions et des tâches plutôt que des réponses ou de connaissances. A la

première itération, le concept F : Separation est sélectionné aléatoirement

parmi les concepts du DesigNAR. Puis, toujours aléatoirement, la tâche

:Q F Separation→ est choisie.

172

Comme la tâche est une question, DesigNAR va utiliser sa procédure de

choix pour essayer de donner une réponse. Puisqu’elle a été générée

directement à partir d’un terme observé dans l’environnement, dans le cas où

une réponse sera trouvée, DesigNAR va essayer de faire une suggestion à

l’utilisateur. Mais, à ce point, la seule autre connaissance de l’agent sur le

concept F : Separation, c’est F : Separation_1→F : Separation. A l’évidence,

il n’y a aucune utilité à suggérer cette connaissance. L’utilisateur a déjà créé

cette instance de F : Separation lui-même et il l’a déjà utilisé dans cette

séance. Ce genre de suggestions redondantes n’est pas reporté à l’utilisateur.

Après cette itération, comme nous pouvons le constater du fichier d’output,

l’utilisateur entre un autre concept en élaborant le schéma de comportement

B : Vacuum. DesigNAR observe la connaissance B : Vacuum→B : Behavior.

Nous voyons donc que l’agent continue ses inférences tout en surveillant

l’environnement.

A l’itération 2, DesigNAR choisit le concept F : Separation_1 pour

l’inférence. La tâche choisie est : _1Q F Separation→ . Cependant, l’agent

n’a aucune connaissance extensionnelle sur le concept F : Séparation_1 et

donc il ne peut pas répondre à cette question. Dans ce genre de cas, plutôt

que d’abandonner l’inférence, l’assistant choisit une connaissance

intensionnelle et poursuit l’inférence par une inférence vers arrière. L’intérêt

de l’inférence vers l’arrière consiste à activer les concepts reliés afin

d’augmenter la chance d’obtenir une réponse, même si d’une manière

indirecte, à la question de départ. Si l’assistant ne peut générer des

connaissances, alors il génère des questions pour engendrer une réflexion ! Le

système se pose des questions à partir desquelles il peut obtenir une réponse à

la question de départ. En utilisant la connaissance

: _1 :F Separation A Aspirateur→ , de la question : _1Q F Separation→

est inférée la question :A Aspirateur Q→ (ce qui correspond à la règle

d’exemplification). Le lecteur pourra noter que le système aurait pu générer

aussi la question :Q A Aspirateur→ en utilisant la règle de déduction.

Toutefois, comme expliqué dans le paragraphe 8.2, il peut y avoir plusieurs

règles d’inférences qui peuvent être utilisées lors d’un cycle d’inférence et le

système fait un choix aléatoire entre ces règles.

173

Figure 9.9 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 5-9

Bien que les règles qui renvoient des conclusions plus sûres soient favorisées

dans ce choix, il arrive parfois que d’autres règles soient choisies, comme nous

en voyons l’exemple dans cette situation. Cette approche découle du

caractère non-déterministe et contribue au comportement émergent du

système.

174

Les itérations 3 et 4 ne mènent toujours pas à la production de nouvelles

relations. Le système manquant toujours suffisamment de connaissances, il

n’arrive par à créer de nouvelles relations. A la place, il crée des questions ou

de nouvelles tâches. Ceci commence à changer à partir de l’itération 5 où

commence à apparaître la création de nouveaux liens.

9.2.4 Inférences et graphe de connaissance

Après les étapes décrites précédemment, DesigNAR a suffisamment

d’information sur l’environnement pour commencer à établir des relations

entre différents concepts. A partir de l’itération 5, nous constatons que

l’agent commence à effectuer des déductions, des inductions, des abductions,

etc. Ainsi, dans l’itération 5, le concept choisi est Vacuum, et l’agent déduit

que Vacuum_1 est un Behavior. Dans l’itération 7, il induit une relation

entre Vacuum et Separation_1. A l’itération 8, il infère une relation entre

Vacuum_1 et Vacuum grâce à l’abduction. A l’itération 9, il induit une

relation dans le sens opposé entre ces deux mêmes concepts. Graphiquement

ces inférences peuvent être illustrés comme dans la Figure 9.10.

Il est possible d’observer que les valeurs de confiance se dégradent avec les

inférences. Comme expliqué dans le chapitre 7, lorsqu’une conclusion est

dérivée, sa confiance est plus basse que celle de ses parents (sauf pour la

révision). Nous constatons que pour certaines règles (comme l’abduction ou

l’induction), les valeurs de confiance obtenues sont déjà très faibles (0,0555

pour l’itération 7 et 0,0205 pour l’itération 8). La raison, c’est que les

expressions calculant la valeur de la confiance pour ces règles font intervenir

le constant de prudence dans le dénominateur. La valeur k = 10 que nous

nous sommes fixées baisse les valeurs de confiances pour les conclusions

générées. Pour k = 1 les deux valeurs de confiances auraient été

respectivement 0,37 et 0,11). Avec une valeur de k élevée, DesigNAR ne

devient pas immédiatement sûr de ses connaissances ; il lui faudrait ressentir

les mêmes connaissances dans l’environnement plusieurs fois afin que celles-ci

aient de valeurs de confiances de plus en plus élevées (grâce à la révision).

175

Figure 9.10 Illustrations des étapes d’inférences 5, 7 et 8 et l’état du graphe résultant

Observons que le lien créé dans l’itération 8 est un lien qui a déjà été observé

dans l’environnement (et qui a été écrit dans la mémoire) avec une valeur de

vérité différente. Ceci n’empêche pas DesigNAR de recréer ce lien sur la base

des autres observations ou résultats d’inférences. Ce genre de situation est

naturel pour notre système et l’ambiguïté est résolue par le système soit par

une révision soit par un choix.

9.2.5 Apprentissage et ancrage des connaissances

Nous avons déjà eu un premier aperçu de l’apprentissage de l’agent grâce aux

inférences dans le paragraphe précédent. Quel effet cet apprentissage a sur le

sens des concepts de l’agent ? Comment l’ancrage d’un concept a lieu ?

L’ancrage d’un concept implique fonder les sens de celui-ci sur d’autres

connaissances ; c'est-à-dire, de la situer par rapport à d’autres concepts

observés ou formés en établissant des relations et de construire ainsi

un sens pour le concept en question. Prenons le cas du concept Separation_1

pour voir comment il est ancré par l’assistant au cours de son évolution.

176

Figure 9.11 Quelques étapes d’inférences sur le concept Separation_1

Au moment de sa création par l’utilisateur, aucune connaissance n’est

disponible sur celui-ci. L’agent acquiert ses premières connaissances à propos

de ce concept à partir de l’environnement ; Separation_1→Aspirateur et

Separation_1→Separation. Lorsque l’agent continue son cycle, il commence

à établir des liens entre ce concept et d’autres. Dans l’immédiat ce sont des

concepts qui ont été observés avec celui-ci. Lorsque l’agent aura plus de

connaissances et d’expériences, des liens avec des concepts acquis dans

d’autres projets pourront être établis.

177

Figure 9.12 L’évolution du sens du concept Separation_1

La Figure 9.11 montre plusieurs étapes d’inférences dans lesquelles des liens

entre Separation_1 et d’autres concepts sont établis. Ainsi, plus DesigNAR

fait des inférences, plus de liens sont établis avec d’autres concepts (sujet à la

capacité des listes) : le sens du concept s’enrichit et celui-ci est ancré sur

d’autre concepts. Nous pouvons constater cela de la Figure 9.12 où les liens

du Separation_1 augmentent considérablement lorsque le nombre de cycle

d’inférence augmente.

En regardant ces figures, il est possible de penser que, étant donné un

concept, DesigNAR finit par établir tous les liens possibles avec tous les

autres concepts qu’il a. Ceci n’est pas le cas. La raison pour laquelle

Separation_1 est liés à la quasi-totalité des autres concepts, c’est que, pour

l’instant l’agent connaît très peu de concepts qui sont tous activés (comme

ils viennent d’être observés récemment). En tout cas, comme la taille des

listes de la mémoire est limitée, indépendamment du nombre de conclusions

générées, les relations les plus puissantes sont gardées.

Comme nous pouvons le constater dans les Figure 9.11 et Figure 9.13, les

valeurs de vérité des liens construits ne sont pas proches du tout. Par

exemple, les liens intensionnelles avec Function et avec Artifact sont

relativement importants avec les valeurs de vérités respectifs (0,36; 0,3528) et

(0,42; 0,2911).

178

Extension Intension Similarité

(7) Vacuum (0,6;0,0555)

(68) Filtration_1 (0,6;0,0033)

(74) Function (0,6;0,0007)

(79) Vacuum_1 (0,36;0,0198)

(88) Moteur_1 (0,36;0,3528)

(93) Filtration_1&Vacuum_1

__________(0,84;0,9801)

(100) Aspirateur(0,7;0,0085)

(127) Moteur (0,216;0,0009)

(216) Filtration (0,36;0,0044)

(283) Behavior(0,6;0,0124)

(360) Sac_1 (0,36;0,3528)

(16) Filtration (0,6;0,0555)

(19) Function (0,36;0,3528)

(33) Artifact(0,42;0,2911)

(110) Vacuum (0,36;0,0045)

(173) Behavior(0,36;0,0198)

(185) Moteur (0,6;0,0124)

(210) Vacuum (0,5830;0,0595)

(335) Aspirateur (0,60;0,990)

(363) Filtration_1(0,1561;0,0013)

(387) Function(0,4286;0,0010)

Figure 9.13 Le contenu du concept Separation_1 (Après 400 itérations ; les valeurs

d’activation et de durabilité sont omises)

Tandis que les liens extensionnels avec Engine ou Function sont assez faibles

avec les valeurs de vérités respectifs (0,216 ; 0,0009) et (0,6; 0,0007). Du

point de vue du système, la distance conceptuelle des deux derniers concepts

sont plus élevés que les deux premiers par rapport au concept Separation_1.

Plus le nombre d’itération qu’il faut pour établir la relation avec le concept

de départ augmente, plus important devient la distance conceptuelle. Plus la

distance conceptuelle augmente, moins est la contribution d’un concept au

sens du concept du départ. La Figure 9.13 donne le contenu du sens du

concept Separation_1 après les 400 premières itérations.

Nous avons vu dans le chapitre 8 que la sélection des éléments à traiter par le

système est aléatoire, bien que la sélection soit biaisée fortement en faveur

des éléments les plus forts (les concepts les plus actifs, les tâches les plus

urgentes, les règles les plus sûres). Cette caractéristique non déterministe du

système fait que, si nous répétions l’exemple que nous venons de voir

plusieurs fois (avec les mêmes conditions de départ), la plupart des

conclusions générées seront éventuellement retrouvées, mais l’ordre des

inférences va très probablement être différent. Comme le système oublie les

relations relativement faibles, les conclusions retrouvées correspondent aux

relations les plus fortes (par exemple, pour Separation_1, les relations avec

Function ou Moteur_1).

179

Figure 9.14 Les deux termes composés crées par DesigNAR

9.2.6 Formation de termes composés et C/K/E

Comment les termes composés sont formés et leurs sens sont construits ?

Dans les exemples précédents, nous avons vu des exemples d’utilisation de

règles d’inférences comme la déduction, l’induction et l’abduction. Nous

savons que les termes composés se forment par la règle de formation de

termes composés (voir paragraphe 7.2.6). A priori, cette règle peut être

appliquée à deux termes quelconques pour former un terme composé. En

particulier, elle peut admettre comme argument des termes composés. De

cette manière, il devient possible pour l’agent de construire une hiérarchie de

termes élaborés à partir des éléments senti dans l’environnement. Cependant,

dans notre système son usage est restreint par certaines contraintes : les deux

arguments doivent appartenir à la même catégorie (c'est-à-dire, être tous les

deux des fonctions ou des comportements ou des structures) et ils doivent

être des instances et non pas des schémas. Ainsi, à partir des deux relations

: _1 :F Separation A Aspirateur→ et

: _1 : _1B Vacuum F Separation→

il n’est pas possible de former un terme composé _1AspirateurVacuum .

Toutefois, à partir des relations

: _1 : _1B Filtration F Separation→ et

: _1 : _1B Vacuum F Separation→ ,

il est possible de former un terme composé : _1 _1B Filtration Vacuum . Il

existe une raison simple pour cette restriction ; le but est d’avoir des groupes

de termes homogènes qui peuvent être directement utilisés pour faire des

suggestions.

180

Figure 9.15 Formation de termes composés: Une disjonction sémantique

Ainsi, tandis que le terme _1AspirateurVacuum n’a pas de grande utilité

étant donné la forme des suggestions du système, le terme

: _1 _1B Filtration Vacuum peut être suggéré à partir d’une relation

: _1 _1 : _1B Filtration Vacuum F Separation→ , si cette relation est formée.

Etant donnée ces restrictions, dans l’exemple de l’aspirateur, le système ne

peut créer que deux termes composés ; Figure 9.14.

Par ailleurs, le système est configuré de telle manière que, lorsqu’il est

possible de composer des termes, ils sont composés. Le but est d’obtenir le

plus vite possible de nouvelles connaissances sur des regroupements de termes

qui pourraient être proposés directement. En termes de la théorie C/K/E,

la construction de ces termes correspond à des disjonctions sémantiques. Par

exemple, le système a une certaine connaissance de ce que c’est

: _1B Filtration ou : _1B Vacuum , mais il n’a pas de connaissances sur ce

que c’est un : _1 _1B Filtration Vacuum . Un travail de conceptualisation va

donc commencer pour élaborer le sens de ce terme. Regardons de plus près

par quelles opérations et inférences, le système établit un sens pour le terme

B : Filtration_1Vacuum_1. Ce terme est crée à l’itération 93 où le système a

choisi d’étudier le concept F : Separation_1. La tâche et la connaissance

choisies vérifient les contraintes posées.

181

Figure 9.16 Etapes du raisonnement dans la construction du sens de

B : Filtration_1Vacuum_1

Alors le système crée le terme composé par la règle correspondante et la

connaissance B : Filtration_1Vacuum_1→F : Separation_1. Ainsi, une

première propriété pour le terme est déterminée et la connaissance

correspondante est ajoutée dans les listes appropriées des deux termes

F : Separation_1 et B : Filtration_1Vacuum_1. A cette étape, des inférences

à propos du nouveau concept formé ne peut être effectué à partir de celui-ci,

comme une seule relation est connue et il en faut deux pour une inférence

quelconque. Néanmoins, comme la même relation est aussi placée dans la liste

Extension de F : Separation_1 et qu’il existe plusieurs autres connaissances

liées à ce concept, d’autres connaissances liées au concept formulé peuvent

être produites à partir de ce terme. En effet, comme nous pouvons le voir sur

la Figure 9.16 les quatre inférences suivantes sur le concept

B : Filtration_1Vacuum_1 se réalisent à partir des autres concepts tels que

F : Separation_1, A : Aspirateur et B : Vacuum_1. Par ailleurs, ces

exemples d’inférence montrent comment un concept interagit et en active

d’autres par les inférences. Ainsi, l’inférence 97 met en relation le concept

B : Filtration_1Vacuum_1 avec le concept A : Aspirateur.

182

Figure 9.17 Le sens du concept B : Filtration_1Vacuum_1 à l’itération 237

A l’itération 125, les concepts B : Filtration_1Vacuum_1 et B : Vacuum_1,

sont reliés, ce qui permet de construire une relation entre ce dernier et

S : Moteur_1 à l’itération 157. Chacun de ces concepts ont maintenant au

moins une tâche à traiter concernant le terme composé. Nous voyons donc

que suite à la disjonction sémantique des parties des l’espace K du système

sont activées ; et elles sont utilisées pour contribuer à l’élaboration du sens de

ce concept. Ceci permet de mettre en relation le concept étudié avec d’autres

concepts et d’étendre son sens ; Figure 9.17. Le système est donc capable de

réaliser des disjonctions sémantiques et élaborer un sens pour le concept

formulé. Il s’agit là en réalité d’un acte de créativité. A l’évidence, l’usage du

mot créativité dans ce contexte n’entend aucune évaluation ou perception de

cet acte comme tel par des entités extérieures à l’agent (dont les utilisateurs).

Il s’agit simplement d’un acte où un nouveau concept est crée en utilisant des

connaissances. Ce genre de créativité pourrait faire penser à une créativité c-

K (petit c, grand K), c'est-à-dire, une créativité à partir d’un concept pas

tellement inattendu, mais dont l’élaboration requiert l’usage de plusieurs

connaissances (Hatchuel et Weil 2002).

183

9.3 Suggestions

Comment DesigNAR utilise-t-il ses connaissances pour faire des suggestions ?

Illustrons son comportement et quelques points intéressants en utilisant

comme exemple la conception d’une machine à laver. Nous conceptualisons

une machine à laver ordinaire comme une machine qui effectue deux types de

séparation pour nettoyer le linge. Une séparation chimique, où les tâches, la

poussière, etc. sont détachées du linge à l’aide du détergent et de l’eau par un

effet de rotation d’un tambour, et une séparation physique, où le linge est

séché en détachant l’eau du linge par un effet de centrifuge en faisant tourner

le tambour à une vitesse suffisamment élevée. Dans cette deuxième

séparation, le tambour acte comme un filtre : lors de la centrifuge, l’eau peut

s’échapper des petits trous percés sur le tambour lorsque le linge y reste.

9.3.1 Inférence en arrière menant à une suggestion inattendue

Si DesigNAR comporte des traits non-déterministes ; il n’est pas pour autant

un système chaotique. Le mécanisme de choix aléatoire des éléments à traiter

favorise les éléments les plus forts (les concepts les plus actifs, les tâches les

plus urgentes, les règles les plus sûres) (voir chapitre 8). Combiné avec le

mécanisme d’oubli, ceci permet au système de produire en général les

conclusions les plus puissantes. Toutefois, il est toujours possible que le

système réalise des inférences moins directes. Lorsque le système a observé un

seul travail de conception, ce genre de cas est difficile à cerner ; le système ne

fait pas de suggestions (tout a été observé dans l’environnement) et tous les

concepts apparaissent déjà dans la même description (donc, il n’est pas

étonnant ou inattendu que le système les relie). Lorsque le système connaît

plusieurs descriptions de produit sur lesquelles il a réalisé de nombreuses

inférences, les relations peu plausibles (du fait de la distance conceptuelle

élevée) mais établies quand bien même (grâce à la nature non-déterministe)

vont apparaître. Cependant, ces cas s’avèrent difficile à présenter comme le

nombre d’éléments, d’interactions et d’inférence à considérer et à discuter est

élevé. Pour un exemple de comportement inattendu relativement facile à

illustrer, nous considérons le cas suivant.

184

Figure 9.18 Suggestion de F : Separation_1 par DesigNAR

Pour cet exemple, l’agent commence son cycle de fonctionnement dès que

l’artéfact A : MachineALaver est créé. Comme nous l’avons déjà souligné, le

système est réactif aux cliques de l’utilisateur ainsi qu’aux changements dans

son environnement – changements tels que l’ajout des éléments. Ainsi, dès

que l’artéfact est ajouté, une question interne Q →A : MachineALaver est

créée. Cette question sera placée dans la liste Tâche du concept

A : MachineALaver et va alimenter le raisonnement interne de l’agent. Elle

augmentera l’activation du concept correspondant et ainsi contribuera à la

continuation de l’activité d’inférence. Dans cet exemple DesigNAR affiche

une suggestion presque aussitôt que l’artéfact est créée; Figure 9.18.

Comment cela est possible ?

En fait, une réponse est obtenue très rapidement grâce à l’activité

d’inférence ; Figure 9.19. Les deux seuls concepts qui sont actifss à ce stade

sont A : MachineALaver et A : Artifact. A la première itération, le choix

aléatoire indique A : MachineALaver.. Comme il a été observé dans

l’environnement récemment (et comme il est cliqué dessus, il est le focus et il

ne perd pas de son activation ; voir le paragraphe 8.2.3) c’est le concept le

plus actif. Ne disposant d’aucune connaissance extensionnelle pour répondre à

la question, DesigNAR effectue une inférence vers l’arrière. La question

résultante est rajoutée dans la liste Tâches du concept A : Artifact,

augmentant son niveau d’activation interne. Puisque le choix de concept à

étudier est aléatoire, ceci n’implique pas que A : Artifact sera choisi pour la

prochaine itération. Cependant, cela augmente ses chances vue que la

nouvelle tâche introduite augmente son niveau d’activation. Aussi, le

mécanisme de propagation de l’activation transmet de l’activation à partir de

A : MachineALaver (observé, donc activation externe positive) vers

A : Artifact. Effectivement, dans cet exemple, c’est le concept qui est choisi à

l’itération d’après.

185

Figure 9.19 Une inférence en arrière menant à une suggestion.

Le concept A : Artifact contient plusieurs relations, puisque, durant le projet

précédent, le système a réalisé des inférences sur celui-ci. Par la sélection de

la tâche A : MachineALaver → A : Artifact et de la relation

F : Separation_1 →A : Artifact, le système abduit la connaissance

F : Separation_1 → A : MachineALaver. Cette connaissance concerne les

deux concepts, et elle est placée dans les listes appropriées pour les deux. En

particulier, c’est une réponse convenable pour la question générée tout à

l’heure. Ainsi, lorsqu’à l’itération 4, le concept sélectionné est

A : MachineALaver et la tâche sélectionnée est Q →A : MachineALaver,

DesigNAR choisit comme réponse cette connaissance et le reporte à

l’utilisateur ; Figure 9.18.

9.3.2 Suggestions à partir des schémas

Supposons que le concepteur, examinant les détails de cette suggestion (qui

sont affichés en bas à droite de l’écran, quand on clique sur une suggestion)

voit que la fonction proposée s’agit d’une séparation physique. Alors, il décide

de créer une autre instance de F : Separation pour une séparation chimique.

186

Figure 9.20 Suggestion de DesigNAR pour F : Separation

Ainsi, il clique sur le bouton « Add Function » ce qui permet de visualiser

les schémas de fonctions dans la base de donnée. A ce moment, il n’y en a

qu’un ; F : Separation. Cliquer sur celui-ci fait encore réagir DesigNAR ;

Figure 9.20. Comme tout à l’heure une question Q → F : Separation est

créée et est ajoutée dans la base de donnée. Le système a observé et produit

des connaissances sur le concept F : Separation lors de la conception

d’aspirateur. Toutefois, la seule connaissance extensionnelle qui permettrai de

former une relation qualitative causale valide est la relation

F : Separation_1→F : Separation. Le système renvoie cette proposition et la

marque de bleu clair pour indiquer qu’elle vient d’être suggérée. Nous voyons

ici que le système suggère des éléments lorsque l’utilisateur parcours la base

de donnée (des schémas) tout comme lorsqu’il travaille sur la description de

l’artéfact.

9.3.3 Coopération du DesigNAR avec l’utilisateur

Comme l’utilisateur a le but de créer une fonction séparation chimique,

encore une fois il rejette la suggestion et il continue en créant une autre

instance de la fonction F : Separation ; la fonction F : Séparation_2. La

Figure 9.21 illustre la coopération du système avec l’utilisateur lorsque

l’utilisateur avance dans l’élaboration de son concept. L’utilisateur crée

plusieurs éléments nouveaux et le système n’arrive pas à produire des

suggestions immédiatement ; Figure 9.21a. Par exemple, le concept

B : Vacuum_1 ou B : Filtration_1 qui peuvent être suggérés comme relation

valide (bien que non nécessairement utile !) pour le concept

F : Separation_2, sont conceptuellement très distant à celui-ci. Il faudrait

plusieurs pas d’inférence afin de faire le lien avec cette fonction ce qui n’a

visiblement pas été réalisé pour l’instant. Après avoir terminé la conception

de la fonction F : Separation_2 l’utilisateur passe en fin à la fonction

séparation physique.

187

(a)

(b)

(c)

Figure 9.21 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance

Lorsqu’il clique sur A : MachineALaver, la suggestion F : Separation_1

réapparaît (les suggestions faites sont stockées dans la mémoire ; elles sont

réaffichées au besoin, à côté de nouvelles suggestions éventuelles) ; il accepte

cette suggestion et il l’ajoute donc en dessous de A : MachineALaver ; Figure

9.21b. Deux suggestions sont faites ; l’une des deux propositions correspond à

un terme composé B : Filtration_1&Vacuum_1. Mais elles ne correspondent

pas à ce que l’utilisateur a en tête. Il continue.

A la place des termes proposées l’utilisateur ajoute les structures déjà créées

pour la séparation chimique : le tambour et le moteur sont tous les deux

utilisés pour réaliser à la fois la rotation et le centrifuge ; Figure 9.21c. Nous

pouvons remarquer que ces deux termes réutilisés ont été observés par le

système il y a un certain temps ; et donc, le système a eu le temps de faire

certains inférences sur ceux-ci. En conséquence, lorsqu’il est cliqué sur, par

exemple, S : Tambour(Interne)_1 , plusieurs suggestions sont affichées par

DesigNAR; Figure 9.21c. De la même manière, quand l’utilisateur clique sur

d’autres éléments créés il y a un certain temps, le système affiche certaines

suggestions ; Figure 9.22.

188

(d)

(e)

Figure 9.22 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance (continué)

Parmi ces propositions, il est possible de constater plusieurs termes

composés ; par exemple, F : Separation_2Separation_1 ; Figure 9.22a. Nous

pourrons remarquer que la formation de ce terme composé diffère du terme

composé B : Filtration_1Vacuum_1 que nous avons vu plus haut : Ici, les

deux termes formant le concept créé proviennent des projets différents ! Ceci

est donc un exemple de la capacité du DesigNAR à transférer ses

connaissances d’un domaine à l’autre, d’un projet au suivant, étant donné

qu’il existe des schémas de fonction, de comportement ou de structures

communs.

Nous voyons que DesigNAR a pu former les relations nécessaires et

intéressantes, en particulier, des termes composés pour suggérer des groupes

d’éléments d’un seul coup. Naturellement, ces suggestions peuvent ne pas être

intéressant pour chaque utilisateur ou dans n’importe quel contexte.

Cependant, l’exemple montre que DesigNAR exploite ses connaissances au

mieux pour suivre les pas de l’utilisateur, tout en profitant de la situation

pour établir de nouvelles relations entre les concepts qu’il connaît.

189

Figure 9.23 Un deuxième aspirateur

Grâce à la capacité du DesigNAR à transférer des connaissances d’un projet à

l’autre, les relations ainsi formées dans un projet ne peuvent que contribuer à

son activité pour les occasions futures. Ainsi, par exemple, si l’utilisateur

reprend la conception d’un aspirateur, avec une fonction de séparation

physique, l’assistant va lui suggérer des relations que l’utilisateur a déjà

utilisées (e.g. F : Separation_1→B : Vacuum_1) dans des conceptions

antérieures, mais aussi, des relations qu’il ait pu former pendant son activité

d’inférence (e.g. F:Separation_1→B :Centrifuge_1Filtration_1Vacuum_1) ;

Figure 9.23. Compte tenu de la nature du système que nous avons bâti, il

reste à l’utilisateur d’analyser ces suggestions et de décider s’ils peuvent être

utiles.

190

Rien ne me choque. Je suis un chercheur.

Indiana JONES

joué par Harrison Ford

Chapitre 10. Le domaine « Gathering Machines »

Dans cette partie, nous reportons une expérimentation que nous avons

conduite avec DesigNAR à l’aide d’un groupe de concepteurs. D’abord, le but

de l’expérimentation est expliqué. Ensuite, le domaine construit pour mener

l’expérimentation est décrit. Les détails de l’expérimentation seront présentés.

Les travaux des concepteurs et les observations effectuées pendant leurs

travaux sont discutés. Bien que difficilement généralisable compte tenu des

limites de l’expérimentation, nos observations font preuves de l’utilité du

DesigNAR pour faciliter le travail des concepteurs et dans certains cas, du

support à la créativité.

10.1 But de l’expérimentation

Lorsque le code de DesigNAR a été suffisamment raffiné pour un premier

contact avec des utilisateurs externes, nous l’avons confronté avec des

concepteurs, pour avoir un premier aperçu de ses potentiels et de ses limites.

Dans ce but, nous avons collaboré avec cinq concepteurs, travaillant tous à la

Faculté de Génie Mécanique de l’Université Technique d’Istanbul (UTI)

comme enseignant-chercheur. Pour participer à ces expérimentations, les

sujets ont été payés.

Le but de ces expérimentations n’était pas d’avoir des données quantitatives,

par exemple, quant à la capacité de calcul informatique du DesigNAR, mais

d’observer la confrontation des concepteurs humains avec un assistant de

conception et d’avoir une première aperçue des points forts et des limites de

notre approche. L’expérimentation a été conduite en deux étapes.

191

Figure 10.1 Fonctions, comportements et structures principaux pour le domaine Gathering

Machines.

D’abord, un sujet expérimenté a utilisé le logiciel pour élaborer un certain

nombre de concepts dans un domaine que nous allons appeler « Gathering

Machines » (voir plus bas). Ceci a permis DesigNAR d’apprendre certains

fonctions et comportements à propos du domaine en question. Ensuite,

d’autres sujets ont été donné un projet de conception où il leur a été

demandé de construire un concept appartenant au domaine mais étant

différents des concepts élaborés par le sujet expérimenté.

10.2 Le domaine

Le domaine « Gathering Machines » comprend des appareils dont la fonction

essentielle est de ramasser des objets. Ce domaine inclut donc des appareils

comme des tondeuses à gazon, camions poubelles, des ramasseuses, des

arracheuses, etc. Nous avons construit le domaine à l’aide d’un sujet

expérimenté (SE). SE est un maître de conférence à UTI et la théorie de

conception est parmi ses centres d’intérêt de recherche. Spécialisé en Génie

Mécanique, il a plusieurs années d’expérience chez Mercedes-Benz dans le

domaine de conception d’autobus. Au bout de trois séances de travail, plus

de 60 fonctions et comportements généraux ont été trouvés pour le domaine.

192

Ces éléments ont été retravaillés ; leur nombre a été réduit, compte tenu du

niveau de détail qu’il était possible considérer pendant la courte durée des

expérimentations (voir plus bas). Finalement, l’ossature FBS pour le domaine

de Gathering Machines a été déterminée comme illustré par la Figure 10.1.***

10.3 Présentation du modèle FBS et le DesigNAR aux sujets

Durant les premières séances de travail, SE avait développé une familiarité

avec les schémas FBS et était capable de les manipuler aisément, bien que,

ni dans son expérience professionnelle, ni dans sa formation d’ingénieur, il

avait pris connaissance d’un tel schéma avant notre collaboration. Par

ailleurs, nous avons travaillé ensemble en utilisant DesigNAR pour le

familiariser avec son utilisation et son fonctionnement afin de lui permettre

de développer l’expertise suffisante pour construire les concepts choisis.

Les autres sujets, ne connaissant ni le modèle FBS, ni notre logiciel, nous

avons organisé une séance de travail dirigé pour les leur présenter. Dans cette

séance, après avoir présenté le modèle et les graphes FBS, nous avons

demandé aux sujets de concevoir une cafetière électrique représentée comme

un graphe FBS afin de les familiariser avec ces notions. Ce travail a été

réalisé en papier et crayon. Ensuit, le logiciel DesigNAR et ses fonctionnalités

leur ont été présentées en utilisant l’exemple de cafetière.

Pendant la présentation du modèle FBS, nous avons eu des difficultés. Ayant

une culture et une formation traditionnelle en Génie Mécanique, les sujets

étaient familiers avec les notions du systématique allemand (voir paragraphe

2.3.5). Cependant, comme l’un d’eux (le sujet 4, voir plus loin) a affirmé, la

conception évoquait chez eux le mot « AutoCAD », c'est-à-dire la

représentation et la construction des structures à l’aide d’un logiciel de

dessin. L’exercice que nous avons proposé sur la cafetière électrique a aidé sur

ce plan : Lorsque nous avons avancé dans l’exercice proposé, ils paraissaient

plus confortables avec le modèle.

*** Durant les expérimentations, les ingénieurs ont travaillé dans leur langue maternelle ; le

turc. Plus tard, nous avons traduits les termes utilisés en anglais afin de les rendre

accessibles à toutes les parties.

193

10.4 Les spécifications de l’expérimentation

L’expérimentation a été réalisée en deux étapes. Le sujet expérimenté a

construit deux concepts de machine de ramassage. Ce sont

« PatatoeGatherer », une véhicule pour ramasser des pommes de terre et

« SeaOilHarvester », une véhicule pour nettoyer la mer de la pollution

causée par du pétrole. Les cinq sujets ont été demandés de concevoir avec

DesigNAR une machine pour nettoyer la mer en ramassant les ordures. En de

termes plus spécifiques, nous leur avons demandé d’élaborer un description

conceptuelle en utilisant un schéma FBS d’une machine capable de collecter

des ordures flottantes dans la mer. Intuitivement, ce dernier concept a une

certaine similarité avec les deux concepts construits par SE. Toutefois, il est

aussi différent. Cela permet d’observer la collaboration des concepteurs avec

notre assistant dans un contexte où l’utilisateur et l’assistant doivent faire

preuve d’une certaine créativité.

Avant de démarrer, nous avons averti les sujets pour qu’ils respectent

certaines conventions de notations et de ne pas recréer les éléments déjà créé

par d’autre sujets avant eux. Il a été précisé aux sujets qu’ils pouvaient

examiner les suggestions faites par le logiciel à cette fin. Les expérimentations

avec les sujets ont été réalisées en une journée. Chaque sujet a été donné une

durée deux heures de travail libre. Nous avons aussi souligné qu’ils étaient

totalement libres dans leurs actions ; ils pouvaient concevoir comme ils

veulent et qu’ils n’étaient pas obligés à épuiser la totalité de la durée

impartie. Nous leur avons aussi dit qu’il ne s’agit pas de tester leurs capacités

à concevoir. Pendant les sessions, nous avons juste répondu à des questions

sur l’utilisation du logiciel, refusant d’intervenir dans l’élaboration des

concepts.

Entre les séances, nous n’avons pas interdit aux sujets de communiquer. D’un

côté, ceci ne paraissait pas possible. Les participants, étant tous membre du

département UTI, se connaissaient et ils s’étaient vus le jour d’avant pendant

la séance de travail. De l’autre côté, de tels échanges ont naturellement lieu

en organisations et ne sont pas contradictoires avec le but du DesigNAR, qui

est essentiellement un transfert de savoir.

194

Figure 10.2 Un concept de ramasseuse de pétrole par le sujet expérimenté.

Après chaque séance, nous avons discuté avec l’utilisateur sur ses impressions

à propos de son travail et du logiciel. Le but de l’expérimentation étant une

première confrontation du logiciel avec des utilisateurs, plutôt qu’un teste de

performance de calcul ou d’ergonomie, les observations que nous avons faites

sont interprétées qualitativement.

10.4.1 Sujet 1 – se servir de la base de donnée

Le sujet numéro 1 (S1) a été le premier à utiliser le logiciel. Ayant lu la

description du concept que nous avons fournie, il a posé quelques questions

pour s’assurer qu’il a compris l’énoncé et ce que lui était demandé. Il est un

ingénieur en mécanique qui a deux années d’expérience comme enseignant-

chercheur à UTI. Mis à part ses stages en entreprise où il a assisté à des

projets de conception, il n’a pas d’expérience professionnelle.

Le sujet a eu des difficultés pour démarrer. Il a essayé d’organiser ses idées à

l’aide d’un brouillon pendant un certain temps avant qu’il lui est venu à

l’idée d’examiner les exemples de concepts construits par SE. Après ses

examens, il a commencé à concevoir mais d’abord en utilisant papier et

crayon !

195

Figure 10.3 Le concept élaboré par le premier sujet

Comme nous allons y revenir, presque tous les sujets ont fait usage d’un

brouillon en papier. Le concept que S1 a proposé était inspiré des schémas

FBS et des concepts élaborés par SE ; Figure 10.3. Après le travail, SE a

affirmé que le concept n’avait rien de surprenant pour lui. « SE : C’est quasi-

direct. C’est la première chose à laquelle un ingénieur doit penser dans ce

contexte. J’avais déjà créé les schémas pour la séparation Solide-Liquide et

Solide-Solide.»

Le sujet a fait une remarque complémentaire qui explique son utilisation du

logiciel et des éléments que SE a créé : « S1 : En ce qui concerne le concept,

les suggestions étaient secondaires, ce qui m’a aidé, c’était la base de donnée

elle-même. […] J’ai mis du temps pour comprendre l’histoire, mais une fois

que j’ai eu l’idée [en examinant la base de donnée] j’ai essayé de faire quelque

chose rapidement et c’est à ce moment que j’ai utilisé les suggestions. »

10.4.2 Sujet 2 – partir du même concept

Le sujet S2 était le plus jeune du groupe ; il était en première année de

master et ses expériences professionnelles se limitaient à des stages en

entreprise.

196

Figure 10.4 Le concept élaboré par le deuxième sujet

Par ailleurs, nous avons observé qu’il était pressé de finir et partir. Suivant la

recommandation de S1, S2 a commencé la session en examinant la base de

donnée, en particulier, le concept créé par S1. S2 aussi a utilisé papier et

crayon pour noter ses idées et ses observations. Ses observations ont duré une

dizaine de minutes et son travail a été terminé au bout de quarante minutes.

S2 a proposé de faire une ramasseuse à télécommande ; Figure 10.4. Pour ce

faire, il a largement réutilisé les éléments créés ou utilisés par S1 ou SE et de

les ajuster au besoin. Il a donc utilisé les suggestions du logiciel pour

reconstruire le concept de S1 et à la fin il a ajouté les fonctions de

télécommande. Pour ajuster les éléments utilisés, il a effectué des

modifications sur les structures en ce qui concerne les dimensions et les

indications sur l’emplacement des éléments.

Lors de nos discussions après la séance, nous nous sommes rendus compte

qu’une mal compréhension était à l’origine du concept. Quand il lui a été

demandé comment était-il parvenu à l’idée d’une ramasseuse à

télécommande, il répond : « S2 : Je me suis dit qu’à la place de faire un

cabine opérateur et d’utiliser un canot de sauvetage en cas de danger, il vaut

mieux de ne pas mettre en danger l’opérateur du tout ! »

197

La discussion a fait apparaître que, contrairement à nous, il avait interprété

« ramasseuse marine de déchets flottantes » comme une machine qui serait

capable de nettoyer la mer du pétrole aussi bien que d’autre type de déchets.

Il s’est avéré que son examination du concept « SeaOilHarvester » par SE

était la raison principale pour cette interprétation. Cependant, ce n’était pas

la seule raison. Durant son propre travail, les propositions du DesigNAR tels

que F : Safety/Security_1 et B : Safety/Securitybehavior_1 ont mené S2 à

penser que le pétrole est une sorte de déchet comme les autres mais qui cause

des risques d’incendies et d’explosions. Par conséquent, il avait eu l’idée

d’éviter cette risque par un mécanisme de télécommande, ce qui lui assurait,

à son avis, du même coup, une conception originale compte tenu du travail

de S1.

Nous pouvons remarquer que l’idée de S2 s’agit d’une S-invention (voir

paragraphe 4.2.3) ! Une S-invention est la génération d’un but ou d’une

spécification la première fois durant la conception suite à une perception de

l’environnement et, en particulier, du matériel de travail. Nous avons déjà

précisé qu’une telle invention résultait d’une découverte inattendue, c'est-à-

dire, la réalisation d’un détail dans les représentations utilisées par le

concepteur. Un point intéressant, c’est que cette S-invention est le résultat

non pas d’une modification que S2 a fait dans son environnement, mais d’une

modification effectué par SE et des suggestions de l’assistant! Ceci peut

paraître non surprenant comme il est connu que dans des situations de

conception où interviennent plusieurs concepteurs, ceux-ci s’influencent

mutuellement (Maher et al. 2000). Ceci reste valide même dans les cas où la

conception et les interventions sont distinctes géographiquement et dans le

temps (Darses et Falzon 1996). Cependant, dans ce cas, la découverte

inattendue provient d’une conception passée. Nous touchons ici l’utilité que

peut avoir un logiciel comme DesigNAR.

10.4.3 Sujet 3 – bactéries et déchets

Le sujet 3 (S3) est spécialisé en robotique et son application dans la

production. Après une courte expérience professionnelle en entreprise, il a

rejoint la Faculté de Génie Mécanique en tant qu’enseignant-chercheur.

198

Figure 10.5 Le concept élaboré par le troisième sujet

Il a assiste occasionnellement à des projets de conception dans le cadre des

collaboration de l’université avec des entreprises. Il a une expertise

considérable en matière de programmation (en particulier pour des dispositifs

robotiques utilisées dans les lignes de production) et a affirmé qu’il

programme très souvent lui-même. Il a utilisé la totalité de la durée de deux

heures. Le concept qu’il a construit est donné à la Figure 10.5.

Le travail de S3 comporte plusieurs particularités. En premier, dès qu’il a lu

l’énoncé, S3 a commencé à travailler sur l’ordinateur. Ceci est en contraste

avec tous les autres sujets qui n’ont pu se passer de papier et crayon. En

revanche, pendant son travail, le sujet a demandé s’il pouvait se servir de

l’Internet. Une des idée directrices de notre expérimentation, c’était de laisser

les sujets « se débrouiller » pour utiliser le logiciel. De l’autre coté, nous

avions limité l’interaction des sujets avec SE mais uniquement pour garantir

que les concepts réalisés soient leurs productions.

199

Figure 10.6 Le concept élaboré par le quatrième sujet

Sachant que dans le cas d’un projet de conception en entreprise ou un projet

de conception à la faculté, les sujets auront la possibilité de faire des

recherches sur l’Internet, SE a proposé d’autoriser. Nous avons accepté,

surtout dans le but de voir où cela pouvait mener.

En deuxième, S3 s’est très peu servi des suggestions de DesigNAR ; en effet,

il a souvent travaillé en regardant le clavier ou la partie gauche de l’écran

(donc le concept qu’il développait), ignorant complètement les suggestions du

DesigNAR ! La discussion après la séance a fait apparaître les raisons de ces

comportements de S3. Il nous dit qu’il avait plus d’expérience par rapport aux

autres sujets et qu’il devait être plus créative. « S3 : Je suis l’aîné [parmi les

autres sujets]. Je ne peux pas faire n’importe quoi. J’ai un charisme !

(Sourires) ». Pour ces mêmes raisons, affirme-t-il, il a évité le plus possible de

regarder le travail des autres pour aboutir à un concept plus original ! SE a

accordé que ce qu’il a fait était intéressant en disant « SE : L’idée des

bactéries pour éliminer les déchets est remarquable. Ce n’est pas le genre de

chose à la quelle on pense en premier. ». S3 a recherché et trouvé l’idée « des

bactéries pour éliminer les déchets » sur l’Internet ! Toutefois, ceci n’est pas

la seule idée originale de sa part ; comme il a proposé de refroidir le moteur

du véhicule en utilisant la chaleur de la chambre d’incinération pour

minimiser l’utilisation d’énergie.

200

10.4.4 Sujet 4 – blocage total

Le sujet numéro 4 (S4) avait une expérience de deux années en tant

qu’enseignant chercheur. Son expérience dans le domaine de conception était

limitée à un projet chez un PME pour la conception d’une machine à trier

où il n’avait pas de rôle centrale. Le travail de S4 a été très différent par

rapport aux sujets précédents : il a travaillé pendant une heure en papier et

crayon avant de commencer à utiliser le logiciel et il n’a pas terminé son

travail. En effet, au bout d’une heure nous avons du lui demander s’il n’allait

pas utiliser le logiciel. Alors, il a affirmé « qu’il était perdu ». Il avait l’air de

ne pas savoir par où commencer. Après quelques interrogations de notre part,

il a cité plusieurs raisons qui le bloquaient : « Je ne vois pas ce qu’on fait là ;

ni à quoi ça sert ce programme. De toute manière, je n’arrive pas à

comprendre ce modèle ; il n’a pas de sens ! » [Nous lui demandons qu’est-ce

qu’il trouve insensé] « Comment on distingue un comportement et une

fonction ? C’est la même chose ! » En effet, c’est un des points les plus durs

à comprendre dans le modèle FBS ; cependant, le point avait été traité

pendant la séance de travail dirigé. A ce stade, nous lui donnons un autre

exemple : « en parlant d’un moteur, par exemple, une fonction d’intérêt est

« donner de l’énergie », mais le moteur aura des comportements comme

« niveau d’énergie fournie X » tout comme « niveau de vibration, niveau de

bruit, consommation d’essence ». Alors, il a repris le graphe FBS qu’il a

essayé de construire sur papier, le front plissé, et a commencé à réfléchir de

nouveau. Nous lui avons demandé s’il voulait continuer. En répondant

positivement, il commence à utiliser le logiciel. Cependant, il s’est arrêté

encore une fois sans achever la conception. Le concept créé est donné à la

Figure 10.6.

10.4.5 Sujet 5 – concepteurs créatifs, outils qui inspirent

Le sujet numéro 5 (S5) avait une expérience d’un an et demi en tant

qu’enseignant-chercheur. A part ses stages, il avait un an d’expérience en

entreprise. Il avait travaillé dans le domaine de conception en tant

qu’ingénieur chez un fabricant d’appareil électroménager. Il était responsable

de dessiner des parties d’un produit suivant les spécifications données en

AutoCAD. Son expérience ne couvrait pas le domaine de conceptualisation.

201

Figure 10.7 Le concept élaboré par le cinquième sujet

Le concept que S5 a réalisé est une machine automatique de ramassage

d’ordures marines. Le point à remarquer sur le travail de S5, c’est que, au

cours de son travail, il a abandonné son projet pour en commencer un autre,

après la consultation de certaines suggestions par DesigNAR. Pendant un

certain temps le sujet a parcouru la base de donnée et a étudié les

suggestions. Il a commencé à construire un concept en utilisant des concepts

crées par les sujets précédents (en particulier, ceux du sujet expérimenté).

Après avoir construit les fonctions de mouvement et de flottage en premier

(ce qui est en contraste avec les sujets précédents), lorsqu’il a décidé de

construire une fonction de séparation Solide-Liquide, il a arrêté son travail

pendant un moment et a continué en papier et crayon. Ensuite, il a

commencé la création d’un autre concept ; celui d’un nettoyeur marine

automatique contrôlé par un ordinateur !

La discussion après la séance fait apparaître qu’une fois de plus une S-

invention est à l’origine du comportement observé. Lorsqu’il a considéré les

suggestions faites par l’assistant pour F:Solid-Liquide, il constate deux

groupes de fonctions (en fait, deux termes composés formés par le système)

F:Solid-Liquid&GarbageDetection et F:Solid-Liquid&RemoteControlFunction.

202

Ces deux suggestions lui ont donné une idée : « S5 : J’ai vue le truc à

télécommande et la détection par radar ; je me suis dit pourquoi pas une

machine qui détecte les ordures et qui les ramasse tout seul ? ». Il explique

que, pour lui, la télécommande ou la commande à bord d’une telle machine

n’a pas de différence, mais que, par contraste, une machine automatique a

des avantages. Le cas est intéressant ; les suggestions ne sont pas utilisées

dans la conception mais, apparemment, ils inspirent la création d’une

nouvelle conception. En termes de la théorie C/K/E, une action K E→ de

l’assistant a été observé par l’utilisateur (un processus K E→ ) et a causé

une disjonction sémantique pour l’utilisateur (un processus K C→ ).

Parmi les deux suggestions faites, le premier terme composé provient du

travail de S4 tandis que le deuxième est généré pendant le travail de S2. Il est

à remarquer que le concept de détection des ordures par un radar provient

d’une conception non finalisée ! Cela ne gêne pas le raisonnement du

DesigNAR, comme l’assistant intègre dans son raisonnement chaque concept

et chaque relation qualitative causale qu’il observe. Un autre point à

souligner concerne la perception par le sujet des deux concepts proposés. Le

sujet n’a pas trouvé les propositions utilisables en soi ; il a affirmé que les

propositions n’avaient pas de sens pour lui. Mais les considérer ensemble lui

avait donné l’idée.

10.4.6 Discussion

L’expérimentation que nous avons conçue et réalisée comporte des limites

bien évidentes. Le contexte que nous avons créé est loin des conditions de

travail des concepteurs en entreprises. Les pressions qu’un concepteur peut

subir en entreprise, tout comme la récompense potentielle face au succès ou

les conséquences d’un échec éventuel n’existent pas. Les concepteurs n’ont

pas de connaissances a priori sur le domaine de conception que nous avons

construit. Et le niveau de détail à considérer dans la durée impartie est

limité. Par ailleurs, malgré notre effort de programmation, le logiciel utilisé

dans les expérimentations ne peut être comparé à des logiciels commerciaux

spécialisés du point de vue d’interface et de performance. Par conséquent, les

conclusions que nous pouvons tirer des résultats de l’expérimentation ne

203

peuvent être que suggestives et il serait insensé de juger ces conclusions

comme des résultats définitifs.

Néanmoins, ces faits ne réduisent aucunement l’utilité de notre expérimen-

tation étant donné notre contexte de travail. Notre projet de thèse introduit

certains concepts scientifiques et le logiciel programmé est destiné à être une

démonstration de ces concepts. Les exemples proposés ainsi que

l’expérimentation conduite permettent cette démonstration et fournissent un

médium pour une K-validation, ne serait-ce que partielle, des concepts

proposés. Les observations effectuées forme une base de connaissances

permettant de juger, dans le mesure du possible et sujet aux contraintes de

l’expérimentation, la viabilité de certains des idées et des concepts avancés

par cette thèse.

De notre point de vue, cette expérimentation a atteint son but essentiel ;

nous avons pu tester le logiciel à l’aide de plusieurs concepteurs et nous avons

constaté qu’ils pouvaient produire des concepts de produit et que l’aide

apporté par DesigNAR a eu un effet bénéfique sur leur travail. Par ailleurs,

nous avons fait certains constats intéressants quant à l’utilité ou aux limites

de notre approche et à la relation d’un assistant de conception avec un

concepteur. Bien que ces constats ne fournissent pas de résultat généralisable

et définitivement établi, ils demeurent intéressants par ce qu’ils indiquent.

Tout d’abord, les utilisateurs ont pu utiliser le logiciel pour concevoir. Ils se

sont servis de la base de donnée et des suggestions de l’assistant pour

construire leurs propres descriptions conceptuelles. Cela reste vrai même pour

les cas du sujet 3 qui a évité le plus possible d’utiliser les suggestions, dans le

but de créer un concept différent des autres et pour le cas du sujet 4, qui n’a

pas pu finaliser son travail. En particulier, les sujets 1 et 2 ont fait un usage

extensive des suggestions et des descriptions dans la base de donnée et cela

leur a permis de rapidement terminer leurs travaux.

Les découvertes inattendues et les S-inventions qui en résultent dans les cas

du sujet 2 et du sujet 5 sont particulièrement importantes pour notre travail,

comme ils donnent des exemples incontestables de créativité émergente (voir

204

chapitre 5). Dans le premier cas, les suggestions de l’outil, (combiné avec un

mal-compréhension de la description du projet !) ont entraîné une nouvelle

idée ; celle d’une machiné à télécommande. Dans le deuxième cas, la

considération de deux suggestions de l’assistant a permis à l’utilisateur

d’opérer une disjonction sémantique menant à un nouveau concept ; une

machine automatique contrôlée par un ordinateur. Compte tenu de ces deux

exemples, nous pensons que notre hypothèse quant aux effets bénéfiques de

l’enrichissement du dialogue du concepteur avec la représentation du concept

de la part de l’assistant a été confirmée, du moins dans le contexte de notre

expérimentation.

La créativité dans ces deux exemples n’est pas venue des propositions

créatives en soi, mais des processus de réflexions qu’elles ont engendré chez

les concepteurs. Particulièrement, le sujet 5 a exprimé qu’il a pensé que les

deux suggestions n’avaient pas de sens. Nous devons dire par cette occasion

un mot sur la pertinence des suggestions de l’assistant. La fonction F:Solid-

Liquid&GarbageDetection qui a été proposée au sujet 5 au moment de la

découverte inattendue parait effectivement insensé ou incompréhensible pour

un utilisateur humain, comme nous associons les concepts de séparation

solide-liquide et la détection des ordures à des champs analogiques a priori

complètement dissociés. Mais les connaissances qu’un concepteur humain

possède sont incomparables à celles de l’assistant. La puissance du DesigNAR

(tout comme le système NAR auquel il doit certaines de ses gênes), c’est qu’il

utilise les connaissances disponibles au mieux, pour continuer son

raisonnement et son fonctionnement. Même dans les cas où il possède très

peu de connaissances, « il fait avec ». Par conséquent, les suggestions du

DesigNAR, bien que dénuées de sens du point de vue du sujet, font

parfaitement sens du point de vue de l’assistant comme elles correspondent à

des connaissances générées à partir de ce que l’assistant a observé.

Dernièrement, les exemples des sujets 3 et 4 montrent que, quelque soit le

technique utilisé pour construire un outil, sa performance et son mode de

fonctionnement, le résultat final dépend largement des caractéristiques et la

performance de l’utilisateur ainsi que de ses objectifs.

205

Conclusion

206

Ce qu’on connaît est peu. Ce qu’on ne connaît pas est immense.

Albert EINSTEIN

Jugez un homme par ses questions plutôt que par ses réponses.

VOLTAIRE

Chapitre 11. Conclusions et perspectives

Dans ce chapitre, nous récapitulons le travail effectué et nous présentons des

perspectives de recherche. Nous commencerons en reprenant les résultats

majeurs et les apports spécifiques de notre travail par rapport aux questions

de recherche que nous avons énoncées au départ. Notre travail et la synthèse

que nous avons effectuée établissent certains liens entre divers paradigmes et

domaines de recherche. Nous voyons ces liens comme des produits

secondaires ; nous allons brièvement les discuter. Nos sujets de recherche, la

théorie C – K et les outils d’aide à la conceptualisation, étant des sujets

relativement peu étudiés, nos résultats engendrent plusieurs questions. Nous

en présenterons certaines comme perspectives de recherche pour conclure.

11.1 Produits primaires

La théorie C – K de conception offre un cadre théorique original et propice

pour engendrer de nouvelles recherches dans le domaine de conception.

Malgré un certain nombre de publication sur cette théorie, celle-ci reste

relativement peu diffusée, surtout au niveau international. Notre travail de

thèse est un effort pour contribuer au développement de la théorie C – K et

à sa diffusion. Cet effort a produit plusieurs publications au niveau

international (Kazakci et Tsoukias 2004a, 2005; Kazakci 2005, 2008a, b)

dont (Kazakci et Tsoukias 2004a) a valu prix de meilleur papier dans

International Design Conference. Dans cette section, nous récapitulons les

idées avancées et les résultats majeurs de notre travail par référence aux

questions de recherches que nous avons énoncées en début de ce document.

207

Quelles sont les pistes de développement potentielles en ce qui concerne la

théorie C – K ?

Nous avons analysé la théorie C – K afin de faire apparaître ses points forts

ainsi que les points qui pourraient être développés. Deux exemples détaillés

ont été préparés, pour discuter et analyser les notions clefs et les définitions à

raffiner. Nous avons découvert qu’il existe des potentiels en ce qui concerne le

développement des points suivants :

• La nature des concepts et des connaissances, leurs différences, leurs

similarités

• La définition des opérateurs

• Le(s) mécanisme(s) de contrôle

• La relation d’un concepteur avec son environnement et le cas de

multiples concepteurs

Ce dernier point est d’une importance capitale et son développement a des

répercussions sur les points restants. Nous avons montré que pour plusieurs

raisons théoriques et pratiques, y compris le développement des outils basés

sur la théorie C – K, un espace E correspondant à l’environnement doit

être introduit dans la théorie.

A cette fin, nous avons effectué une synthèse de la littérature sur la

Cognition Située. Nous avons utilisé les notions clefs de ce courant de

recherche pour réinterpréter certaines notions de la théorie C – K et pour en

proposer d’autres. Nous avons bâti la théorie C/K/E et nous avons redéfini

la conception comme la co-évolution de espaces C des concepts, K des

connaissances et E de l’environnement. Dans cette nouvelle perspective, le

processus de conceptualisation, c'est-à-dire, l’acte mental de créer de

nouveaux concepts, est au cœur du processus de conception (la production

d’une description, le plus souvent physique, d’un concept). Les concepts

forment les connaissances (par contraste à la théorie originale). Lorsqu’un

processus de conception démarre et un concept est crée, le processus de

conceptualisation construit un sens pour ce concept. Le processus de

conception est donc vu comme un processus de construction de sens. Le sens

d’un concept est déterminé par le processus d’ancrage et reconstruit par une

mémoire constructive.

208

La théorie C – K permet-elle de cerner les principes à respecter pour une

démarche informatique d'aide à la conceptualisation ?

La littérature sur les outils de conception en général, et les outils d’aide à la

conceptualisation, en particulier, a été étudiée et revue. Cette analyse a

montré que les outils existant ne tirent pas partie de la nature située du

concepteur et n’étaient pas situés eux-mêmes. Sachant que, du fait de sa

nature située, l’activité d’un concepteur peut être vue comme une

conversation entre celui-ci et son environnement, nous avons proposé que

l’outil devra enrichir cette conversation en y participant activement. Nous

avons donc introduit la notion d’assistant personnel de conception (APC).

Un APC soutient l’activité de son utilisateur par des suggestions et s’adapte

sur la base de son expérience. Après avoir discuté les propriétés qu’un APC

peut posséder (telles que les modes d’assistance, d’apprentissage, de

créativité), un ensemble de propriétés a été suggéré pour qu’un APC

fonctionne d’une manière compatible avec la théorie C/K/E :

• Distinction C – K – E

• E-réactivité

• K-expansivité

• C-expansivité

• Couplage C/K/E

Un assistant ayant ces propriétés est appelé un assistant C/K/E. Aussi, par

ces propriétés, la notion d’assistant personnel de conception est reliée à la

théorie C/K/E ce qui fournit un fondement théorique pour des outils d’aide

à la conceptualisation. Un point qui est tout aussi important, c’est que la

théorie qui fournit ce fondement n’est pas empruntée à un autre domaine

mais c’est une théorie propre à la conception.

Est-il possible d’opérationnaliser ces principes sous forme d’un outil

informatique ? Par quelles approches informatiques ?

Pour opérationnaliser les principes que nous avons énoncés en ce qui concerne

la construction d’un assistant C/K/E, l’assistant doit être situé, avoir une

mémoire constructive et ancrer ses concepts pour construire leur sens. Nous

avons avancé qu’une manière de réaliser ces prérequis, c’est d’utiliser

209

l’approche des concepts fluides. Une relecture de la littérature correspondante

a fait apparaître qu’un système qui utilise les principes proposés par cette

approche (tels que le non-déterminisme, le parallélisme, la compétition entre

diverses représentations et connaissances) est un système à comportement

émergent.

Pour démontrer la faisabilité de notre approche et la pertinence du corps des

principes et le cadre théorique que nous avons bâti, nous avons construit un

assistant C/K/E ; DesigNAR. DesigNAR est une assistant de synthèse qui

observe la construction d’un concept représenté comme un graphe FBS et

suggère des éléments à ajouter dans cette description. Pour les concepts qu’il

apprend ou qu’il crée, l’assistant utilise une représentation de concepts

fluides basée sur une logique de termes. Dans cette représentation, les

concepts, symbolisés par des termes, ont des liens, correspondant à des

relations d’héritage ou de similarité. Ces liens peuvent être plus ou moins sûrs

et peuvent être sujets à l’interrogation, à la révision et à l’oubli. Le sens d’un

concept est donné par l’ensemble des liens qu’il possède. L’assistant peut

construire le sens des concepts qu’il observe en menant des inférences sur les

liens observés ou crées. Autrement dit, l’assistant ancre ses concepts sur

d’autres concepts en établissant des liens entre ceux-ci. Un mécanisme de

propagation d’activation appliqué sur cette représentation (qui a une

structure de réseau de concepts) assure une sensibilité au contexte et une

mémoire constructive. Les concepts observés dans l’environnement activent

les concepts auxquels ils sont reliés. Ce mécanisme est couplé par un

mécanisme d’activation interne qui provient de l’activité d’inférence. Lors des

inférences, le concept et les liens à étudier sont sélectionnés d’une manière

non-déterministe mais en favorisant les éléments avec les plus grandes

activations et les règles d’inférences qui donnent des conclusions plus sûres.

Ce mécanisme de contrôle que nous avons devisé fournit une certaine stabilité

et des résultats confiants tout en laissant ouverte la possibilité d’avoir des

effets inattendus et créatifs. Nous avons fourni plusieurs exemples sur

l’utilisation de et les résultats générés par DesigNAR. Par ailleurs, nous avons

testé le logiciel à l’aide des concepteurs sur un domaine appelé « Gathering

Machines », que nous avons bâti à l’aide d’un concepteur expérimenté. Après

210

une phase d’initiation, les concepteurs ont été capables d’utiliser le logiciel

pour construire diverses descriptions conceptuelles et l’assistant a été

capable de faire des suggestions qui, dans certains cas, ont influencé le cours

de l’activité de conception.

11.2 Produits secondaires

La conception est avant tout un processus de raisonnement. Pour cette

raison, nous avons principalement puisé dans les littératures de la psychologie

cognitive et de l’intelligence artificielle pour étudier la théorie C- K, élaborer

notre point de vue et produire notre contribution. Ce faisant, nous avons

établi un certain nombre de liens entre divers théories et paradigmes. Grâce à

cet effort transdisciplinaire et une synthèse des littératures variées, nous

avons fait apparaître que plusieurs idées et notions a priori disjointes peuvent

être reliées en passant par la théorie C – K et notre version C/K/E. Nous

croyons que ces liens peuvent faciliter l’échange entre les courants de

recherche reliés et que notre travail fournit un point de départ pour initier

ces rapprochements.

Réflexion-dans-l’action. La théorie de Réflexion-dans-l’action de Schön a

alimenté de nombreux travaux de recherche sur l’action, l’apprentissage,

la connaissance experte et même la conception. Malgré de nombreux

notions et nuances introduites (tels que réflexion-dans-l’action, réflexion-

sur-l’action, connaissance-dans-l’action ; voir paragraphe 4.2.2 et (Schön

1983; Schön et Wiggins 1992)) pour étudier la production de

connaissances dans différentes domaines et activités, le mécanisme précis

par lequel ces savoirs sont crées et élaborés n’est pas explicité par cette

théorie. Par contraste, la théorie C – K propose un cadre formel décrivant

ce mécanisme. En revanche, la théorie C – K n’a pas encore suffisamment

considéré comment ses idées fondamentales se projettent dans d’autres

domaines de production de connaissances que le développement de

produit.

Cognition située. Ce paradigme a révolutionné les sciences cognitives, surtout

l’intelligence artificielle, en faveur d’une approche et des idées étudiant la

211

cognition sur la base de la relation qu’un individu établit avec son

environnement. Parallèlement, la relation entre la perception et l’action a

été largement étudiée tant par des études de terrain que par des modèles

informatiques et systèmes artificiels. Cependant, le processus de création

de nouveau concepts, c'est-à-dire la conceptualisation, bien que mentionné

par certains (voir par exemple Clancey 1997), a été généralement négligé.

Les systèmes d’intelligence artificielle résultants souvent ignorent le

processus de conceptualisation et se contentent des boucles perception-

action, ce qui rend leurs comportements réflexifs plutôt que réfléchis. Bien

que la théorie C – K a déjà profité dans une certaine mesure des notions

de la Cognition Située par notre version C/K/E, nous pensons qu’un

échange dans le sens inverse soit aussi possible.

Outils de conception et HCI. D’innombrables propositions d’outils d’aide à la

conceptualisation peuplent la littérature et malgré cela, il n’existe pas de

littérature spécifique sur et des théories relatives à ces outils! Ces travaux

s’apparentent à d’autres domaines tels que l’intelligence artificielle, les

bases de données, l’interaction homme-machine, système à base de

connaissance. Les techniques sont empruntées à d’autres domaines et, à

notre connaissance, il n’existe pas de cadre théorique sur l’impact de ces

outils ou de ces techniques sur le travail d’un concepteur, sur le produit

ou sur le processus. D’une manière générale, il est connu que les outils de

gestions ont un impact fondamental sur l’activité en entreprise (Moisdon

1997). Par ailleurs, les matériels utilisés pendant la conception ont un

impact inquestionable sur le processus (voir le chapitre 4). Néanmoins,

des travaux existent dans le domaine de l’interaction homme-machine

(HCI) qui s’intéresse, dans une perspective plus générale, à la relation de

l’individu et des programmes informatiques dans le cadre de la Cognition

Située et la phénoménologie (Dourish 2001). La théorie C/K/E est à

l’interface de la théorie de conception et de la Cognition Située et donc,

du paradigme phénoménologique de l’HCI.

IA, concepts fluides et la théorie de conception. Bien que les principes

avancés par l’approche des concepts fluides, ont été grandement appréciés

et ont été repris sous diverses formes et dans différents contextes dans le

212

domaine de l’intelligence artificiel, le terme concept fluide est utilisé

relativement peu en tant que tel et est référé la plus part de temps dans

des recherche sur l’analogie ou la créativité en IA. D’une façon générale,

des systèmes s’intéressant explicitement à la construction du sens des

concepts et une utilisation dynamique et flexible de ces sens sont

virtuellement inexistants. Une des raisons potentielles, c’est qu’il n’est pas

clair dans quel contexte sera utile un agent capable de construire un sens

pour un concept. Dans le cadre des idées avancées dans ce document, une

réponse naturellement émerge : la conception. Nous pensons que le

domaine de conception constitue un domaine privilégié pour construire et

tester les systèmes d’intelligence artificielle. Il est possible de rencontrer

toute sorte de raisonnement dans l’activité de conception. La conception

est un domaine ouvert où nous pouvons observer de divers phénomènes

relatifs à l’intelligence. La construction de tels agents artificiels peut

fournir des outils de conception efficaces et en retour, l’expérimentation

des techniques de l’IA dans ce domaine riche peut aider à comprendre la

relation entre l’intelligence et la conception, mais aussi, à améliorer nos

modèles et théories.

11.3 Produits futurs ; la théorie

11.3.1 C/K/E et multiples concepteurs

Nous avons proposé la théorie C/K/E qui permet de prendre en compte la

relation d’un concepteur avec son environnement. Normalement, dans

l’environnement d’un concepteur se trouvent d’autres concepteurs. La théorie

C/K/E peut-elle expliquer la relation et les échanges entre deux

concepteurs ?

Avec la version courante de la théorie, nous pouvons déjà décrire un certain

nombre de phénomènes. Par exemple, nous pouvons modéliser une situation

où il existe deux concepteurs qui travaillent ensemble pour créer une

description de produit ; Figure 11.1.

213

Figure 11.1 Le travail de deux concepteurs décrit par le cadre C/K/E

Le concepteur 1 crée un concept C1 suite à une disjonction sémantique

(processus 1). Le concept active certaines connaissances (processus 2) qui

résulte en une action qui produit une description D1 dans l'environnement

(processus 3). Le deuxième concepteur observe D1 et une perception K3 est

formée (processus 4). Cette perception peut ne pas avoir de sens pour le

concepteur 2. Dans ce cas, une disjonction sémantique a lieu, cette fois-ci

pour le deuxième concepteur, et un concept C2 est crée (processus 5).

Alternativement, K3 peut être une représentation claire et habituelle pour le

concepteur 2 et peut activer d'autres connaissances (processus 6). Divers cas

sont possibles en fonction de la connaissance activée. K4 peut inspirer le

concepteur 2 et il peut créer un autre concept pouvant être plus différent de

C1 que C2 l'est (processus 7). Il est aussi possible que K4 entraîne une action.

Cette action peut avoir diverses raisons. Il peut s'agir d'une évaluation de

D1, c'est à dire une E-validation du point de vue du deuxième concepteur

(processus 10). Il peut aussi être une modification de D1 (processus 11).

Cette modification a été effectuée uniquement à partir de l'espace de

connaissance du deuxième concepteur. Ce concepteur contribue au processus

directement en utilisant un savoir déjà acquis, peut-être même automatisé.

La trace de cette opération peut être modélisé par un processus 12 pour

décrire la transformation de D1 en D'1.

Contrairement, les concepts créés par le concepteur 2 peuvent activer des

connaissances (processus 8 et 9) qui peuvent mener à la suggestion d'une

description de produit alternative (processus 13). Le concepteur 1 va

observer tout changement qui a lieu dans l'environnement – le résultat de

214

ses propres actions (donc la description D1), E-validation du concepteur 2, la

transformation de D1 en D'1 par le concepteur 2 ou la création de D2. Ces

observations peuvent avoir divers conséquences sur le raisonnement du

concepteur 1 (inspiration par une proposition ou E-validation du concepteur,

activation de divers connaissances, création de nouveaux concepts,

élaboration des concepts déjà crées, actions pour changer l'environnement).

Comme notre but est simplement de signaler une perspective de recherche,

nous ne les décrirons pas pour ne pas alourdir le texte. Notons néanmoins que

les processus des concepteurs 1 et 2 peuvent se dérouler en parallèle et ils ne

sont pas exclusifs. L'importance et l'impact que le couplage C/K/E peut

avoir sur le processus de conception apparaît mieux dans le cas de multiples

concepteurs : Un changement dans un des cinq espaces en question, peut

entraîner une modification dans tous les cinq !

Le cadre que nous venons d’esquisser montre que la théorie C/K/E a le

potentiel pour décrire le travail de multiples concepteurs. Cependant, ce n’est

qu’un début pour attaquer un vaste champ de recherche ; l’action collective.

Il existe un gigantesque corps de travaux effectués dans ce domaine et

beaucoup d’idées et de résultats sont déjà disponibles. Par exemple, (Darses

et Falzon 1996) ont étudié la notion de critique dans les activités de

conception collectives, qui se réfère à un processus où un concepteur critique

l’action d’un autre concepteur. Ce processus peut être vue comme un

processus d’E-validation. (Jeantet et al. 1996) ont étudié l’impact d’objets

intermédiaires sur le travail collectif. Ces objets peuvent être vus comme les

éléments de l’environnement E. Une étude des rapprochements possibles

entre ce genre de travaux et la théorie C/K/E ne peut que s’avérer fructueux.

La théorie C/K/E peut profiter de ces avancées en les intégrant dans son

cadre au besoin. En revanche, elle peut fournir un cadre unifiant et des

notions tels que disjonction sémantique, partition expansive, le couplage

C/K/E qu’aucune autre théorie ne possède.

11.3.2 Décision et conception

Une hypothèse implicite à une grande majorité des travaux en recherche

opérationnelle et en aide à la décision (ROAD) est l’existence d’un ensemble

d’actions potentielles prédéfinies avant que le processus d’aide à la décision

215

commence : « Étant donné un ensemble d’actions potentielles A... » Ainsi,

une grande partie des méthodes et des méthodologies qui sont issues de ces

courants de recherche négligent les étapes importantes comme la

structuration de problème, la génération des connaissances pertinentes

compte tenu de la situation décisionnelle, l’identification ou la conception des

alternatives ou elles font l’hypothèse que ces étapes sont prises en charges par

d’autres méthodes ou méthodologies. Ce faisant, ces travaux se focalisent sur

des aspects qui se prêtent plus facilement à des démarches formelles tels que

la construction des échelles et des indicateurs, des procédures d’agrégation et

d’évaluation. Mais, d’où viennent ces actions potentielles ?

Les actions potentielles sont conçues (et dans certains cas, produites) avant

d’attaquer le processus d’évaluation qui mène éventuellement à une décision.

Ceci implique que, si on réduit un processus de décision à un processus

d’évaluation des solutions existantes, le processus de conception est plus

général qu’un processus de décision. Si, au contraire, on inclut la construction

des actions potentielles dans un processus de décision, nous ne pouvons plus

distinguer un processus de décision d’un processus de conception ! Sachant

que la notion de K-validation rend compte des processus d’évaluation, il

devient raisonnable de faire l’hypothèse que la théorie C – K peut offrir un

cadre général pour décrire ces processus. Ce qui nous donne une théorie de

construction des alternatives et de leur évaluation !

Le sous-domaine de la recherche opérationnelle et de l’aide à la décision qui

s’est investi à fournir des outils pour aider la formulation d’un problème ou la

construction des alternatives est baptisé par l’étiquette générale « la

recherche opérationnelle soft » (Soft OR) (Rosenhead 1989, 1996; Belton et

Stewart 2002; Eden 1994; Checkland et Scholes 1990; Wong et Rosenhead

2000) . Le terme « soft » se réfère aux caractères souvent non quantitatives

ou non formels des outils et des démarches introduites. Les outils et les

méthodologies proposés dans le cadre de ce courant ont été validés et raffinés

par de nombreuses applications depuis leurs introductions. Cependant, ces

démarches, bien qu’elles empruntent des éléments théoriques à la théorie

générale des systèmes, la psychologie cognitive et la théorie managériale,

manquent à proposer une théorie des situations décisionnelles qu’elles

216

traitent. En revanche, la théorie C – K peut fournir une perspective théorique

nouvelle sur Soft OR. Quelles sont les outils, méthodologies ou principes qui

permettent de contrôler ou de promouvoir des disjonctions sémantique et des

partitions expansives ? Quelles connaissances sont disponibles ou nécessaire

pour la construction des alternatives? Quels sont les concepts considérés ?

Par ses notions et son formalisme, la théorie C – K peut être utilisé pour

guider le processus de construction des alternatives.

En réalité, la théorie C – K a été déjà utilisée à cette fin (Shafirovitch et al.

2003; Hatchuel et al. 2004). Par ailleurs, l’étude du rapprochement entre le

processus de décision et le processus de conception permettra le transfert

d’autres outils et modèles de construction des alternatives dans le domaine

d’aide à la décision (comme le modèle FBS pour structurer la structuration

de problème, (Kazakci et Tsoukias 2004c))

Si la théorie C – K peut être utilisé pour décrire la construction des

alternatives et leur évaluation, la théorie C/K/E peut décrire le cas de

multiples décideurs ! Dans une perspective constructiviste, notre version peut

décrire et même guider l’activité de multiples décideurs qui travaillent pour

construire un ensemble de solutions et une méthode d’évaluation partagée et

leurs points de vue et leurs préférences.

11.3.3 Mathématiques et conception

Lakoff et Nunez (2000) étudient de quelle manière les concepts

mathématiques émergent de différentes métaphores (la possibilité d’utiliser

un concept comme un autre) et défendent que ces métaphores sont

ultimement ancrées dans l’existence physique des êtres humains. D’un autre

coté, certains problèmes mathématiques (notamment, le paradoxe de

Bertrand et de Mandelbrot) ont été investigués dans la cadre de la théorie C

– K (Hatchuel et Weil 2002). Ils ont avancé que les paradoxes résultaient de

l’absence d’une définition objective de certains concepts comme le concept de

longueur et que les mathématiciens en questions les avaient conçus d’une

manière qui posait des problèmes. Ces travaux engendrent des questions de

recherches qui méritent une certaine attention. Dans quelle mesure les

mathématiques font intervenir une activité de conception ? Par ailleurs, nous

217

avons étudié le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion dans le cadre

de la théorie C – K. La théorie C – K peut-elle décrire le raisonnement

scientifique ? Comment et dans quelle mesure ?

11.3.4 Assistants de conception

Beaucoup de travaux existent qui étudie la relation d’un concepteur avec son

environnement et particulièrement, l’impact des matériels de travail utilisés

dans la conception. Ce genre de travaux est généralement basé sur des études

de protocoles. Le concepteur explique, généralement pendant la conception,

mais dans certains cas après la conception, les étapes de son raisonnement.

Les données verbales sont ensuite segmentées suivant des schémas de codages

(des symboles représentant certains types d’actions ou de réflexions). Ces

données sont alors analysées, souvent par des méthodes d’analyse de donnée.

Bien évidement, le développement du schéma de codage est crucial et il doit

être effectué en fonction du phénomène que l’on veut analyser.

Comme les outils de conception réactifs et la notion d’assistant de conception

n’ont pas été étudiés avant, il n’existe pas de travail étudiant l’impact de ce

genre d’outils sur le processus et sur le travail de l’utilisateur. Nous pensons

qu’il serait possible de développer un schéma de codage sur les différents

types de processus que la théorie C/K/E peut décrire (dont nous avons

donnée un aperçu dans le paragraphe 11.3.1). Quel type d’assistant provoque

quel type de processus peut alors être étudié. Ce genre d’étude peut être

mené pour différents types d’assistant (synthèse, analyse, évaluation) qui

travaillent sur la base de différentes techniques.

11.4 Produit futurs ; le système

Nous avons construit DesigNAR comme une démonstration des idées

proposées et étudiées dans ce travail. La plupart des composants et des

paramètres qui forment DesigNAR peuvent être modifiés pour avoir d’autres

types d’assistants ou d’autres versions de DesigNAR. Nous en discutons

certaines dans ce qui suit.

218

11.4.1 DesigNAR et exploitation de structure interne des concepts

La représentation de donnée utilisée par DesigNAR est robuste. Elle est

robuste au sens que, théoriquement, il est possible représenter toute sorte de

donnée, (numérique, textuelle, fonctionnelle, comportementale, structurelle et

même géométrique). A priori, il est donc possible de la reconfigurer sur

mesure pour différents contextes, par exemples pour différentes bases de

données utilisées par différents logiciels ou entreprises. Cependant, pour

mieux tirer partie de sa flexibilité, des modifications peuvent être effectuées.

Une possibilité est de permettre DesigNAR l’accès à la structure interne des

concepts de fonction, de comportements ou de structures. Ceci revient à

permettre au système de manipuler des relations entre un concept donné et

les attributs, les contraintes et les documents qui lui sont liés. Ces trois

derniers éléments sont terminaux, c'est-à-dire, il n’existe pas de sous-

documents ou de sous-attributs. Le langage que nous avons utilisé pour le

raisonnement interne du système, la logique de termes NAL, offre des

possibilités de représentation spéciales pour ce genre de termes. Une fois

réalisé, cela augmentera la flexibilité du système considérablement, comme il

deviendra possible de raisonner sur différents éléments qui forment un

concept ou de faire des suggestions plus raffinées (comme la proposition d’un

document ou d’un attribut pour un concept de fonction). Cependant, plus de

réflexion est nécessaire avant une implantation éventuelle, surtout au niveau

du mécanisme de contrôle et d’inférence. Une question comme « quel

document à proposer ? » est un sujet de recherche à part entier.

11.4.2 DesigNAR et contraintes

Une amélioration potentielle du système actuelle réside dans le traitement de

contraintes. Pour le moment, les contraintes ne donnent qu’une information

textuelle dont la considération est laissée au concepteur. Comme la base de

donnée et l’interface utilisée permet déjà l’utilisation des contraintes, il est

relativement facile de changer cela en implantant un mécanisme de

satisfaction de contrainte. Le système peut alors vérifier à tout moment si

l’ensemble des concepts formant le graphe FBS est inconsistant ou non. Un

tel changement va rendre le système plus utile comme il deviendra possible

pour celui-ci de vérifier la faisabilité de ses suggestions avant de les faire et

219

d’éliminer les inconsistances. Cela permettra aussi de vérifier la faisabilité de

la description saisie par l’utilisateur et de l’informer. Finalement, nous

pouvons penser à un système qui suggère des contraintes.

Comme notre système tâche de faire une utilisation fluide de ces

connaissances, un point critique dans l’implantation d’un mécanisme de

satisfaction de contraintes, c’est l’utilisation fluide des contraintes. Nous

pouvons penser dans l’immédiat à des démarches comme satisfaction de

contraintes floues. Cependant, la question générale « qu’est-ce que c’est une

contrainte fluide ? » peut mener à d’autres perspectives intéressantes. Une

voie potentielle à enquérir serait d’introduire dans NAL d’autres types de

relations représentant des contraintes et de maintenir une liste Contrainte

comme les listes Intension ou Extension. En prenant les contraintes comme

des tâches, nous pouvons appliquer une logique d’inférence similaire à celle

utilisé actuellement par DesigNAR pour la propagation des contraintes.

11.4.3 DesigNAR et analyse

L’ajout d’un mécanisme de satisfaction de contraintes va faire du DesigNAR

un assistant de synthèse et d’analyse, puisque la satisfaction de contraintes

est une opération d’analyse qui vérifie la faisabilité de la description.

L’analyse (voir paragraphes 2.3.1 et 2.3.4) consiste essentiellement à la

dérivation des performances (ou des propriétés non immédiates) d’une

description de produit et la faisabilité peut être vue, en fin compte, une des

dimensions sur laquelle il est possible de juger la performance.

Les performances sont dérivées souvent par des calculs déductifs. Par

exemples, étant donnée la forme et le matériel utilisé pour une structure

donnée, il est possible d’obtenir la résistance à la tension ou à la fatigue. La

structure de donnée utilisé par (Gorti et al. 1998) qui a inspiré notre schéma

de représentation pour les concepts permet d’accommoder un ensemble de

méthodes M, qui peut contenir du code exécutable ou qui peut activer

d’autres logiciels spécialisés pour faire ce genre de calculs. Il est donc possible

au niveau théorique de doter DesigNAR de la capacité d’analyse.

220

11.4.4 DesigNAR et préférences sur les concepts

Le mécanisme de suggestion utilisé dans la version courante est simple ; elle

est basée sur l’espérance des relations. Les relations avec les espérances les

plus élevées sont proposées à l’utilisateur. L’espérance est une mesure qui

combine la typicalité de l’information (plus typique est un concept, plus fort

est sa fréquence) et le niveau de confiance de l’information. La version

actuelle fait donc l’hypothèse que l’utilisateur se contentera des concepts les

plus habituels (du point de vue du système).

Il est possible de faire d’autres hypothèses. En particulier, si l’assistant est

doté d’une capacité d’analyse, c'est-à-dire, s’il peut dériver des performances

d’un produit sur la base de ses attributs, il devient possible de comparer ces

performances pour différentes suggestions que l’assistant peut faire. Sur la

base de cette comparaison l’assistant peut choisir parmi les suggestions

potentielles (ou même de les ranger). Le plus souvent, ce choix nécessitera

l’utilisation d’une approche multicritère. Si des préférences sur ces

performances sont disponibles (d’une manière préprogrammé ou par la saisie

de l’utilisateur), des méthodes d’agrégation multicritère peuvent être utilisés

pour faire des suggestions.

221

Bibliographie

Albright, T. D. et Neville, H. J. (1999) Neurosciences. In The MIT

Encyclopedia of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A

bradford book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London,

England, pp. li-lxxii.

Altshuller, G. (1997) 40 Principles: TRIZ Keys to Technical Innovation,

Technical Innovation Center, Worchester, Massachusetts. 141 pages.

Anderson, M. L. (2003) Embodied cognition: A field guide. Artificial

Intelligence, 149 (1), pp. 91–130.

Austin, S., Steel, J., Macmillan, S., Kirby, P. et Spence, R. (2001) Mapping

the conceptual design activity of interdisciplinary teams. Design Studies, 22

(3), pp. 211-232.

Bach, K. (1999) Meaning. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive

Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT

Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 513-514.

Baddeley, A. (1999) Memory. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive

Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT

Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 514-517.

Balachandran, M. et Gero, J. S. (1987) A knowledge-based approach to

mathematical design modeling and optimization. Engineering Oprimization,

12 (2), pp. 91-115.

Belton, V. et Stewart, T. (2002) Muliple Criteria Decision Analysis: An

Integrated Approach, Kluwer Academis Publishers, Dordrecht, The

Netherlands. 396 pages.

222

Bilda, Z. (2006) The role of mental imagery in conceptual designing, Key

center of design computing and cognition, Faculty of Architecture, University

of Sydney, Sydney, Australia.

Bilda, Z. et Purcell, T. A. (2003) Imagery in the Architectural Design

Process. In 9th European Workshop on Imagery and Cognition (EWIC9), pp.

24-27.

Birkhofer, H. (2004). There is nothing as practical as a good theory - an

attempt to deal with the gap between design research and design practice.

Proceedings of the 8th International Design Conference DESIGN 2004, (Ed,

Marjanovic, D.), Dubrovnik, Croatia. pp. 7 - 14.

Bochenski, I. (1970) A History of Formal Logic, Chelsea Publishing

Company, New York.

Bowen, H. K., Clark, K. B., Holloway, C. A., Leonard-Barton, D. et

Wheelwright, S. (1994) Regaining the lead in manufacturing: How to

Integrate Work and Deepen Expertise. Harward Business Review, 72 (5), pp.

121-130.

Brooks, R. A. (1990) Elephants Don't Play Chess. In Robotics and

Autonomous Systems, Special Issue on Designing Autonomous Agents:

Theory and Practice from Biology to Engineering and BackRobotics and

Autonomous Systems, (Ed, Maes, P.), pp. 3-15.

Brooks, R. A. (1991a). Intelligence without reason. Proceedings of the 12th

International Joint Conference on Artificial Intelligence IJCAI-91, (Eds,

Myopoulos, J. et Reiter, R.), Sydney, Australia. pp. 569-595.

Brooks, R. A. (1991b) Intelligence without representation. Artificial

Intelligence, 47, pp. 139-159.

223

Brown, D. C. (1998) Intelligent computer-aided design. In Encyclopedia of

Computer Science and Technology, (Eds, Williams, J. G. et Sochats, K.) Mc

Graw-Hill., pp. 1-23.

Brown, D. C., Lander, S. E. et Petrie, C. J. (1996) The Application of Multi-

agent Systems to Concurrent Engineering. Concurrent Engineering: Research

and Applications, 4 (1), pp. 2-5.

Burkett, W. C. et Yang, Y. (1995) The STEP Integration Information

Architecture. Engineering with Computers, 11, pp. 136-144.

Campbell, M., Cagan, J. et Kotovsky, K. (1999) A-Design: An Agent-Based

Approach to Conceptual Design in a Dynamic Environment. Research in

Engineering Design, 11 (3), pp. 172-192.

Chalmers, D. J., French, R. M. et Hofstadter, D. R. (1992) High-level

perception, representation, and analogy. Journal of Experimental and

Theoretical Artificial Intelligence, 4 (3), pp. 185-211.

Champollion, J.-P. (1822) Lettre à M. Dacier, Firmin Didot Père et Fils,

Paris.

Chandrasekaran, B., Goel, A. K. et Iwasaki, Y. (1993) Functional

Representation as Design Rationale. IEEE Computer, 26 (1), pp. 48-56.

Chapel, V. (1997) La croissance par l'innovation intensive: De la dynamique

d'apprentissage à la révélation d'un modèle industriel, Le cas TEFAL, Centre

de Gestion Scientifique, Ecole des Mines de Paris, Thèse de Doctorat, Paris.

Checkland, P. et Scholes, J. (1990) Soft Systems Methodology in Action, John

Wiley & Sons Ltd, Toronto. 418 pages.

224

Ciavaldini, B. (1996) Des projets à l'avant projet: L'incessante quête de

réactivité, Centre de Gestion Scientifique, Ecole des Mines de Paris, Thèse de

Doctorat, Paris.

Clancey, W. J. (1997) Situated Cognition: On Human Knowledge and

Computer Representations, Cambridge University Press, New York. 426

pages.

Corbett, J. (1986) Design for Economic Manufacture. Annals of C.I.R.P., 35

(1), pp. 93-97.

Coyne, R. D., Rosenman, M. A., Radford, A. D., Balachandran, M. et Gero,

J. S. (1990) Knowledge-Based Design Systems, Addison-Wesley, Boston, MA,

USA.

Darses, F. et Falzon, P. (1996) La conception collective: une approche de

l'ergonomie cognitive. In Coopération et Conception, (Eds, De Tersac, G. et

Friedberg, E.) Octarès, Toulouse, pp. 123-135.

Dertouzos, M., Lester, M. et Solow, R. (1990) Made in America: Regaining

the Productivity Edge, MIT Press, New York.

Dewey, J. (1896) The reflex arc concept in psychology. Psychological Review,

3, pp. 357–370.

Dourish, P. (2001) Where the Action Is: The Foundations of Embodied

Interaction, MIT Press, Cambridge, MA.

Dreyfus, H. (1979) What Computers Can't Do: The Limits of Artificial

Intelligence., Harper & Row Publishers, New York.

Dyson, J. (2000) Against the Odds: An autobiography, Texere Publishing,

London.

225

Eden, C. (1994) Cognitive mapping and problem structuring for system

dynamics model building. System Dynamics Review, 10, pp. 257-276.

Edmonds, E. A. et Candy, L. (1999). Computation, Interaction and

Imagination: Into Virtual Space and Back to Reality. Proceedings 4th

International Roundtable Conference on Computational Models of Creative

Design, (Eds, Gero, J. et Maher, M.-L.). pp. 19-31.

Englebretsen, G. (1981) Three Logicians: Aristotle, Leibniz and Sommers,

and the Syllogistic, Van Gorcum, Assen.

Finger, S. a. T., T. and Mantyla, M. (1998) Knowledge Intensive Computer

Aided Design, IFIP TC5 WG5.2 Third Workshop on Knowledge Intensive

CAD, December 1-4, 1998, Tokyo, Japan.

Forrest, S. (1990) Emergent Computation: Self-organizing, collective, and

cooperative phenomena in natural and artificial computing networks.

Introduction to the proceedings of the Ninth Annual CNLS conference.

Physica D, 42 (1-3), pp. 1-11.

French, R. (1988) Thoughts on Translation. Ohio Writer, 2 (2),

French, R. M. (1995) The Subtlety of Sameness., The MIT Press, Cambridge,

MA.

French, R. M. et Hofstadter, D. R. (1991). Tabletop: A stochastic, emergent

model of analogy-making. 13th annual conference of the Cognitive Science

Society., Hillsdale, NJ, Lawrence Erlbaum. pp. 708-713.

Gallistel, C. R. (2002) Conception, perception and the control of action.

TRENDS in Cognitive Sciences, 6 (12), pp. 504-504(1).

Garel, G. (1994) Réduction des délais dans l'emboutissage, École

Polytechnique, Thèse de Doctorat, Paris.

226

Gero, J. S. et Kannengiesser, U. (2002) The situated function-behaviour-

structure framework. In Artificial Intelligence in Design'02, (Ed, Gero, J.).

Gero, J. S. (1981a) Computer aided design by optimization in architecture.

Design Studies, 13 (5-6),

Gero, J. S. (1981b) Guest editorial-design optimization. Computer aided

design, 13 (5-6),

Gero, J. S. (1985) Design Optimization, Academic Press, New York. 298

pages.

Gero, J. S. (1990) Design prototypes: a knowledge representation schema for

design. AI Magazine, 11, pp. 26-36.

Gero, J. S. (1998) Conceptual designing as a sequence of situated acts. In

Artificial Intelligence in Structural Engineering, Information Technology for

Design, Collaboration, Maintenance, and Monitoring, (Ed, Smith, I.)

Springer, pp. 165-177.

Gero, J. S. et Brazier, F. (Eds.) (2002) Agents in Design 2002, Key center of

design computation and cognition, University of Sydney, Sydney.

Gero, J. S. et Fujii, H. (2000) A computational framework for concept

formation in a situated design agent. Knowledge-Based Systems, 13 (6), pp.

361-368.

Gero, J. S. et Kazakov, V. (1999) Using analogy to extend the behaviour

state space in creative design. In Computational Models of Creative Design

IV, (Eds, Gero, J. S. et Maher, M. L.) Sydney, Australia, pp. 113-143.

227

Gero, J. S., Kazakov, V. et Schnier, T. (1997) Genetic engineering and design

problems. In Evolutionary Algorithms in Engineering Applications, (Ed,

Dasgupta, D. a. M., Z.) Springer Verlag, Berlin, pp. 47-68.

Gero, J. S. et Reffat, R. (2001) Multiple representations as a platform for

situated learning systems in designing. Knowledge-Based Systems, 14 (7), pp.

337-351.

Gibbs, R. W. (1999) Figurative Language. In The MIT Encyclopedia of the

Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The

MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 314-315.

Gibson, E. J., Adolph, K. et Eppler, M. (1999) Affordances. In The MIT

Encyclopedia of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A

bradford book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London,

England, pp. 4-6.

Goel, A., Gomez, A., Grue, N., J.W. Murdock, Recker, M. et Govindaraj, T.

(1996). Explanatory interface in interactive design environments. Artificial

Intelligence in Design '96, (Ed, Gero, J. S.), Kluwer Academic Publishers,

Boston.

Goel, A. K. (1997) Design, Analogy, and Creativity. IEEE Expert, 12 (3), pp.

62-70.

Gorti, S. R., Gupta, A., Kim, G. J., Sriram, R. D. et Wong, A. (1998) An

object-oriented representation for product and design processes. Computer-

Aided Design, 30 (7), pp. 489-501.

Grecu, D. L. et Brown, D. C. (1999a) Guiding Agent Learning in Design. In

Knowledge Intensive CAD.

228

Grecu, D. L. et Brown, D. C. (1999b) Learning by single function agents

during spring design. In Artificial Intelligence in Design '96 (AID '96), (Ed,

Gero, J. S. a. S., F.), pp. 409-428.

Hampton, J. E. (1999) Concepts. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive

Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT

Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 176-179.

Hatchuel, A. (1996) Coopération et conception collective ; variétés et crises

des rapports de prescription. In Coopération et Conception, (Eds, de Terssac,

G. et Friedberg, E.) Editions Octares, pp. 101-121.

Hatchuel, A. (2002) Towards Design Theory and Expandable Rationality:

The unfinished program of Herbert Simon. Journal of management and

gouvernance, 5 (3), pp. 260-273.

Hatchuel, A., Le Masson, P. et Weil, B. (2004). C-K theory in practice:

Lessons from industrial applications. 8th International Design Conference,

Design 2004, (Ed, Marjanovic, D.), Dubrovnik, Croatia.

Hatchuel, A. et Weil, B. (1999). Pour une théorie unifiée de la conception,

Axiomatiques et processus collectifs. CGS Ecole des Mines, GIS cognition-

CNRS. pp. 1-27.

Hatchuel, A. et Weil, B. (2002). La théorie C-K: Fondaments et usages d'une

théorie unifiée de la conception. Colloque Sciences de la Conception, Lyon.

Hatchuel, A. et Weil, B. (2003). A new approach of innovative design : an

introduction to C-K design theory. ICED’03, Stockholm, Sweden., pp. 14.

Hofstadter, D. (1984) The Copycat project: An experiment in nondeterminism

and creative analogies, Artificial Intelligence Laboratory, MIT, No. AI Memo,

755.

229

Hofstadter, D. (1995) Fluid Concepts and Creative Analogies: Computer

Models of the Fundamental Mechanisms of Thought, Basic Books, New York.

Hofstadter, D. et Gabora, L. (1989) Synopsis of the Workshop on Humor and

Cognition. International Journal of Humor Research, 2-4, pp. 417-440.

Holland, J. H. (1992) Adaptation in natural and artificial systems, MIT

Press, Cambridge.

Holyoak, J. K. (1999) Psychology. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive

Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT

Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. xl-xlxi.

Hsiao, S.-W. et Tsai, H.-C. (2005) Applying a hybrid approach based on

fuzzy neural network and genetic algorithm to product form design.

International Journal of Industrial Ergonomics, 35 (5), pp. 411-428.

Jeantet, A., Tiger, H., Vinck, D. et Tichkiewitch, S. (1996) La coordination

par les objets dans les équipes intégrées de conception de produit. In

Coopération et conception, (Eds, De Terssac, G. et Friedberg, E.) Octares,

Toulouse, pp. 87-100.

Jones, J. C. (1970) Design Methods: seeds of human futures, John Wiley &

Sons, New York and Chichester.

Kazakci, A. (2005). DesigNAR, An intelligent design assistant based on C-K

design theory. IDETC/CIE 2005 ASME 2005 International Design

Engineering Technical Conferences & Computers and Information in

Engineering Conference, Long Beach, California, USA.

Kazakci, A. (2008a). The design of C-K design theory. Seventh International

Symposium on Tools and Methods of Competitive Engineering, TMCE 2008,

(Eds, Akbulut, U., Fokkema, J. T. et Horvath, I.), Turkey (accepted).

230

Kazakci, A. (2008b). A theoretical framework for defining, designing and

building design assistants. Seventh International Symposium on Tools and

Methods of Competitive Engineering, TMCE 2008, (Eds, Akbulut, U.,

Fokkema, J. T. et Horvath, I.), Turkey (accepted).

Kazakci, A. et Tsoukias, A. (2004a). Extending the C-K design theory to

provide theoretical background for situated design agents. Proceedings of

International Design Conference - DESIGN 2004, (Ed, Marjanovic, D.),

Dubrovnik, Croatia. pp. 45-52.

Kazakci, A. et Tsoukias, A. (2004b) Extending the C-K design theory to

provide theoretical backgrounf for situated design agents. In 8th

International Design Conference - Design 2004, (Ed, Marjanovic, D.)

Dubrovnik, Croatia, pp. 45-52.

Kazakci, A. et Tsoukias, A. (2005) Extending the C-K design theory: A

theoretical background for personal design assistants. Journal of Engineering

Design, 16 (4), pp. 399-411.

Kazakci, A. O. et Tsoukias, A. (2004c). Structuration de problème,

construction des alternatives et leurs évaluations : enseignements des théories

de conception, GdR MACS – pôle STP - Journées de Nantes 25 et 26 Mars

2004, Nantes, France.

Keil, F. (1999) Conceptual change. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive

Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT

Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 179-182.

Kirsch, U. (1981) Optimum Structural Design - Concepts, Methods and

Applications, McGraw-Hill, New York. 441 pages.

Kiviniemi, A. (1999). IAI and IFC-State of the Art. 8th International

Conference on Durability

of Building Maerials and Components, (Eds, Lacasse, M. A. et Vanier, D. J.),

NRC Research Press. pp. 2157- 2168.

231

Kokinov, B. (1994a). The context-sensitive cognitive architecture DUAL.

Sixteenth Annual Conference of the Cognitive Science Society, Hillsdale, NJ,

Erlbaum.

Kokinov, B. (1994b). The DUAL cognitive architecture: A hybrid multi-agent

approach. Eleventh European Conference on Artificial Intelligence, (Ed,

Cohn, A.), London, John Wiley & Sons, Ltd., pp. 203-207.

Kokinov, B. (1994c) A hybrid model of reasoning by analogy. In Advances in

connectionist and neural computation theory: Analogical connections, (Eds,

K. Holyoak, K. et Barnden, J.) Norwood, NJ: Ablex., pp. 247- 318.

Kokinov, B., Nikolov, V. et Petrov, A. (1996) Dynamics of emergent

computation in DUAL. In Artificial intelligence: Methodology, systems,

Applications, (Ed, Ramsay, A.) IOS Press., Amsterdam, pp. 303-311.

La Couture, J. (1988) Champollion, Une vie de lumière, Grasset, Paris.

Lakoff, G. et Johnson, M. (1999) Philosophy in the Flesh: The Embodied

Mind and Its Challenge to Western Thought, Basic Books, New York.

Lakoff, G. et Nunez, R. E. (2000) Where mathematics comes from: How the

embodied mind brings mathematics into being, Basic Books, New York.

Lawson, B. (1980) How Designers Think, Architectural Press, London.

Lemoigne, J. L. (1977) La théorie générale du système, Presses Universitaires

de France, Paris.

Maher, M. L. (1994) Creative design using a genetic algorithm. In Computing

in Civil Engineering, ASCE, pp. 2014-2021.

Maher, M. L. (1999) Designing the virtual campus as a virtual world. In

Computer Supported Collaborative Learning (CSCL99), pp. 376-382.

232

Maher, M. L., Balachandran, B. et Zhang, D. M. (1995) Case-Based

Reasoning in Design, Lawrence Erlbaum Associates, New Jersey, USA. 256

pages.

Maher, M. L. et Fenves, S. J. (1984). HI-RISE: A knowledge-based expert

system for the preliminary structural design of high rise buildings. Knowledge

Engineering in Computer-Aided Design, (Ed, Gero, J. S.), Amsterdam, North

Holland.

Maher, M. L. et Pu, P. (Eds.) (1997) Issues and Applications of Case-Based

Reasoning to Design, Lawrence Erlbaum Associates, Manwah, New Jersey.

Maher, M. L., Simoff, S. et Gabriel, G. C. (2000) Participatory design and

communication in virtual environments. In Proceedings of the Participatory

Design Conference, (Ed, Cherkasky, T. a. G., J. and Mambrey, P. and

KabberPors, J.), pp. 127-134.

Maher, M. L., Sriram, D. et Fenves, S. J. (1984) Tools and techniques for

knowledge-based expert systems for engineering design. Advances in

Engineering Software, 6 (4), pp. 178-188.

Maimon, O. et Braha, D. (1996) A Mathematical Theory of Design.

International Journal of General Systems, 27 (4-5), pp. 275-318.

March, J. (1984) The logic of design. In Development of design methodology,

(Ed, Cross, N.) Wiley, Chichester.

Marples, D. L. (1960) The Decisions of Engineering Design. Journal of the

Institute of Engineering Designers, (December), pp. 1-16.

McGraw, G. et Hofstadter, D. (1993) Perception and Creation of Diverse

Alphabetic Style. Artificial Intelligence and Simulation of Behaviour

Quarterly, (85), pp. 42-49.

233

Mitchell, M. (1993) Analogy-making as perception : a computer model, MIT

Press, Cambridge, MA.

Moisdon, J. C. (Ed.) (1997) Du mode d'existence des outils de gestion, Seli

Arslan, Paris.

Navarre, C. (1993) Pilotage stratégique de la firme et gestion de projet: de

Ford et Taylor à Agile et IMS. In Pilotage de projets et entreprises; diversité

et convergences, (Eds, Giard, V. et Midler, C.) Economica, Paris, pp. 178-

212.

Newell, A. et Simon, H. A. (1963) GPS, a Program that Simulates Human

Thought. In Computers and Thought., (Eds, Feigenbaum, E. et Feldman, J.)

McGraw Hill., New York, pp. 279-293.

Newell, A. et Simon, H. A. (1972) Human Problem Solving, Prentice-Hall,

Englewood Cliffs, N.J.

Pahl, G. et Beitz, W. (1984) Engineering Design: a systematic approach, The

Design Council, London.

Peirce, C. (1955) Abduction and Induction. In Philosophical writings of

Peirce, (Ed, Buchler, J.) 150-156, Dover, New York.

Perrin, J. (2001) Concevoir l'innovation industrielle, CNRS Editions, Paris.

Petrov, A. et Kokinov, B. (1999). Processing Symbols at Variable Speed in

DUAL: Connectionist Activation as Power Supply. 16th International Joint

Conference on Artificial Intelligence, (Ed, Dean, T.), San Fransisco, CA,

Morgan Kaufman. pp. 846-851.

Qian, L. et Gero, J. S. (1996) Function-behaviour-structure paths and their

role in analogy-based design. AIEDAM, 10, pp. 289-312.

234

Reffat, R. (2002) Intelligent Agents for concept invention in design. In Agents

in design, (Eds, Gero, J. et Brazier, F.), pp. 55-68.

Reinertsen, D. G. (1983) Whodunit? :The search for new product killers.

Electronic Business, 11, pp. 62-66.

Riegler, A. (2001) W hen is a cognitive system embodied? Cognitive Systems

Research, 3, pp. 339-348.

Rosenhead, J. (1989) Rational analysis of a problematic world, Wiley, New

York.

Rosenhead, J. (1996) What's the problem? An introduction to problem

structuring methods. Interfaces, 26, pp. 117-131.

Rosenman, M. A. et Gero, J. S. a. (1996) Modelling multiple views of design

objects in a collaborative CAD environment. Computer-Aided Design, 28 (3),

pp. 193-205.

Saunders, R. et Gero, J. S. (2002) Curious agents and situated design

evaluations. In Agents in design, (Eds, Gero, J. S. et Brazier, F.) Key Centre

of Design Computing and Cognition, University of Sydney, Australia, pp.

133-149.

Savransky, S. D. (2000) Engineering of creativity : introduction to TRIZ

methodology of inventive problem solving, CRC Press.

Schön, D. A. (1983) The Reflective Practitioner, Basic Books, New York.

Schön, D. A. et Wiggins, G. (1992) Kind of seeing and their functions in

designing. Design Studies, 13 (2), pp. 135-156.

Seifert, C. H. (1999) Situated cognition and learning. In The MIT

Encyclopedia of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A

235

bradford book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London,

England, pp. 767-769.

Seifert, H. et Steiner, M. (1995). F+E: Schneller, schneller, schneller.

Harvard Business Manager.

Shafirovitch, E., Salomon, M. et Gokalp, I. (2003). Mars hopper vs. Mars

rover. Fifth IAA International conference on low-cost planetary missions,

Noordwijk, the Netherlands. pp. 97-102.

Simon, H. A. (1955) A behavioural model of rational choice. Quaterly Journal

of Economics, 69, pp. 99-118.

Simon, H. A. (1969) The Sciences of the artificial, MIT Press, Cambridge,

Massachusetts.

Simon, H. A. (1973) The Structure of ill structured problems. Artificial

Intelligence, 4, pp. 181-201.

Smith, B. C. (1999) Situatedness/Embeddedness. In The MIT Encyclopedia

of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford

book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 769-

771.

Sriram, D., Tyle, N., Maher, M. L., Barnes, R., Rychener, M. et Fenves, S. J.

(1984). Knowledge-based expert systems for engineering applications.

Proceedings of the IEEE International Conference on Systems, Man, and

Cybernetics.

Stalk, G. et Hout, T. (1993) Vaincre le temps; reconcevoir l'entreprise pour

un nouveau seuil de preformance, Dunod, Paris.

Steels, L. (1990). Towards a Theory of Emergent Functionality. First

International Conference on Simulation of Adaptive Behavior: From Animals

236

to Animats, (Eds, Meyer, J.-A. et Wilson, S.), Cambridge, MA & London,

England, Bradford Books (MIT Press). pp. 451 - 461.

Suchman, L. A. (1987) Plans and situated actions : the problem of human-

machine communication, Cambridge University Press, Cambridge, New

York. 203 pages.

Suh, N. P. (1990) The principles of design, Oxford University Press.

Sutherland, I. E. (1963) Sketchpad, a man-machine graphical communication

system, Dept. of Electrical Engineering, MIT, Massachusetts Institute of

Technology, PhD Thesis, Massachusetts.

Suwa, M., Gero, J. S. et Purcell, T. (1999) Unexpected discoveries and s-

inventions of design requirements: A key to creative designs. In

Computational Models of Creative Design IV, pp. 297-320.

Theureau, J. (2004) L'hypothèse de la cognition (action) située et la tradition

d'analyse du travail de l'ergonomie de langue française. @ctivités, 2, (1), pp.

11-25.

Umeda, Y., Ishii, M., Yoshioka, M., Shimomura, Y. et Tomiyama, T. (1996)

Supporting conceptual design based on the function-behavior-state modeler.

Artificial Intelligence for Engineering Design Analysis and Manufacturing, 10

(4), pp. 275-288.

Valkenburg, R. et Dorst, K. (1998) The Reflective Practice of Teams. Design

Studies, 19, pp. 249-271.

Varol, A. et Pakkan, M. (1996) Nonstandard Set Theories and Information

Management. Journal of Intelligent Information Systems, 6 (1), pp. 5-31.

von der Weth, R. (1999) Design instinct? – The development of individual

strategies. Design. Studies, 20 (5), pp. 453-463.

237

Wang, P. (1995) Non-axiomatic reasoning system: Exploring the essence of

intelligence, Indiana University, PhD Thesis, Indiana.

Wang, P. (1998). Grounding the meaning of symbols on the system's

experience. Working Notes of the AAAI Workshop on the Grounding of

Word Meaning: Data and Models, Madison, Wisconsin. pp. 23--24.

Wang, P. (2002). The logic of categorization. 15th International FLAIRS

Conference, Pensacola, Florida. pp. 181-185.

Wang, P. (2005) Experience-Grounded Semantics: A theory for intelligent

systems. Cognitive Systems Research, 6 (4), pp. 282-302.

Wang, P. (2006a) The Logic of Intelligence. In Artificial General Intelligence,

(Eds, Goertzel, B. et Pennachin, C.) Springer, New York.

Wang, P. (2006b) Rigid flexibility : the logic of intelligence, Springer,

Dordrecht. 414 pages.

Wang, P. et Hofstadter, D. (2006) A logic of categorization. Journal of

Experimental & Theoretical Artificial Intelligence, 18 (2), pp. 193-213.

Wong, H. Y. et Rosenhead, J. (2000) A rigorous definition of robustness

analysis. Journal of the Operational Research Society, 51, pp. 176-182.

Yager, R. R. (1988) On ordered weighted averaging aggregation operators in

multi-criteria decision making. IEEE Transactions on Systems, Man and

Cybernetics, 18, pp. 183-190.

Ziemke, T. (2001) Introduction to the special issue on situated and embodied

cognition. Cognitive Systems Research, 3, pp. 271-274.

238

239

Vu : Vu : Le Président : Les Suffragants : M. M. Vu et Permis d’imprimer : le Vice-Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine.

240

La théorie CKE comme fondement théorique pour les assistants de conception : DesigNAR, un assistant de synthèse de concept

basé sur la théorie CKE

Akin O. Kazakci La théorie C-K est une théorie de conception basée sur la distinction explicite de deux espaces expansibles ; l'espace C des concepts et l'espace K des connaissances. La conception peut alors être décrite comme la co-évolution des espaces C et K par l'intermédiaire de l'application de opérateurs C→ K, K→ C, K→ K et C→ C. Dans le but de proposer un outil informatique compatible avec cette théorie, nous introduisons un troisième espace, l’espace E de l’environnement en utilisant les notions de la Cognition Située. La version CKE de la théorie nous permet de proposer la notion d’assistant de conception, un agent de conception situé qui fait des suggestions à son utilisateur et qui apprend en observant son activité. Nous proposons un tel assistant, DesigNAR. L’assistant utilise une mémoire constructive et l’ancrage des concepts et se base sur la logique de termes NAL. DesigNAR apprend en construisant un sens pour les termes observés et est capable de créer de nouveaux concepts. Mots Clés : Théorie CK, théorie CKE, théorie de conception, Cognition Située, outil de conception, assistant, logiques de termes, DesigNAR

Laboratoire : LAMSADE – Université Paris Dauphine

CKE theory as a theoretical foundation for design assistants: DesigNAR, A concept synthesis assistant based on CKE theory

Akin O. Kazakci The C-K design theory is a theory based on the fundamental distinction between two expandable spaces, the space C of concepts and the space K of knowledge. Design can then be defined by the co-evolution of these two spaces by the application of four types of operators C→ K, K→ C, K→ K and C→ C. In order to build a design tools compatible with this theory, we introduce a third space, the environment space E, using notions from situated cognition. The C/K/E version allows us to propose a notion of design assistant, a situated design agent suggesting design actions to its user and learns by observing his activity. We present such an assistant, DesigNAR. The assistant uses a constructive memory and grounding of concepts as well as a term logic. DesigNAR learns by elaborating a meaning for the observed terms and it is able to create new concepts. Keywords: CK theory, CKE theory, design theory, situated cognition, design tool, design assistant, term logic, DesigNAR.

Research Unit : LAMSADE – Université Paris Dauphine