la théorie cke comme fondement théorique pour les …tsoukias/download/theses/these... ·...
TRANSCRIPT
UNIVERSITE PARIS IX DAUPHINE
U.F.R SCIENCES DES ORGANISATIONS LABORATOIRE D’ANALYSE ET DE MODELISATION DE SYSTEMES
POUR L’AIDE A LA DECISION LAMSADE
La théorie CKE comme fondement théorique pour les assistants de conception
DesigNAR, un assistant de synthèse de concept basé sur la théorie CKE
THÈSE
pour l’obtention du titre de DOCTEUR EN INFORMATIQUE
Spécialisé en Théorie de Conception et Intelligence Artificielle présentée et soutenue publiquement par
Akin Osman KAZAKCI
JURY
Directeur de thèse : Monsieur Alexis TSOUKIAS Directeur de Recherche CNRS Rapporteurs : Monsieur Armand HATCHUEL Directeur de Recherche CNRS Madame Pascale ZARATE Maître de Conférence, HDR, à INPT Suffragants : Monsieur Alberto COLORNI Professeur à Politecnico di Milano
Madame Camille ROSENTHAL-SABROUX
Professeur à l’Université Paris IX Dauphine Monsieur Pavlos MORAITIS
Professeur à l’Université René Descartes Paris V
25 septembre 2007
L’université n’entend donner aucune
approbation ni improbation aux opinons
émises dans cette thèse : ces opinions doivent
être considérées comme propres à leur auteur.
ii
A ma mère Canım Anneme
Annelerin hakkı ödenmez, ben seninkini yüz yıl yaşasam ödeyemem
A mon père Đçemedik o rakıyı
Şimdi tam zamanıydı oysa…
Votre père est-il jamais mort ? Le mien l’a fait une fois, je suis aveuglé
Ils l’ont lavé et ils l’ont enlevé Je n’attendais pas ça de mon père, je suis aveuglé
Cemal Süreyya
iii
L’espace d’Einstein n’est pas plus proche de la réalité que le ciel de Van
Gogh. La gloire de la science ne réside pas dans une vérité plus absolue
que celle de Bach ou de Tolstoï, mais dans l’acte de création lui-même. Le
savant impose son ordre propre au chaos, comme le ferait un compositeur
ou un peintre; un ordre qui se réfère toujours à des aspects limités de la
réalité, basés sur le cadre de référence de l’observateur, qui diffère d’une
période à l’autre tout comme un nu de Rembrandt diffère d’un nu de
Manet.
Arthur Koestler
L’acte de création, 1964
iv
Remerciements Je voudrais remercier un certain nombre de personnes qui m’ont particulièrement aidé,
soutenu et inspiré durant ce projet de thèse. J’espère toutefois que j’ai su exprimer ma gratitude
à ces gens convenablement bien avant la finalisation de ce projet, à travers les années et pendant
les moments partagés.
Je tiens à remercier aux membres du jury pour avoir accepté de juger ce travail. Je tiens
à remercier particulièrement Armand Hatchuel pour m’avoir encouragé pour travailler sur la
théorie C – K, pour avoir partagé ses idées et pour m’avoir inspiré.
Je tiens aussi remercier John S. Gero et les gens de Key Center of Design pour m’avoir
accueilli à l’Université de Sydney, m’avoir présenté leurs travaux et leurs idées, m’avoir fait
réaliser de nouvelles horizons et de nombreuses perspectives sur la recherche en conception.
Je remercie Alexis Tsoukiàs pour m’avoir soutenu le long de cette thèse. Tu as été aussi
aventureux et curieux que moi, si ce n’est qu’un peu plus « ensommeillé » !
Au fil des années, de nombreuses personnes du Lamsade m’ont fait preuve de l’amitié et
de la solidarité. Je les remercie tous du cœur. En particulier, je dois préparer un document à part
pour remercier Jean-Paul Fourmas convenablement. Combien de lettres as-tu fait à ma place ?
Combien de dossiers as-tu préparé « en dernière minute » sans aucune caprice, sans aucun
proteste et sans aucune obligation pour me sauver des fatalités de l’administration française ?
J’en suis très reconnaissant et je te remercie.
Je remercie à Bernard Fillion DuFouleur et à Bernard Roy ; ils m’ont fait confiance et ils
ont convaincu d’autres pour que j’aie ma Bourse d’Excellence et mon Allocation de Recherche.
Je voudrais exprimer ma gratitude à Ender Üstüngel et à Yasemin Claire Erensal pour
avoir veillé sur moi et parce qu’il se sont souciés autant que ma famille pour mon avenir pendant
toutes ses années. Ils me sont de la famille.
Les amis, c’est tout ce que nous avons. Et moi, j’ai la chance d’avoir des amis
exceptionnels avec des cœurs gros comme des montagnes et des intelligences solides comme des
cailloux. Ces gens ont partagé avec moi la plus grande richesse du monde ; leurs temps. Ils
m’ont soutenu et, à en croire à leurs dires, ils m’ont supporté ! Mert, Ulaş, Burçkin, Savaş;
Dostlarım. Hakkınız ödenmez.
Le 13/09/1999. Nous avons mis pieds ensemble sur cette terre étrange et étrangère.
Tellement nous avons appris, tellement de vécu. Mert, benim için bir kardeşten farkın yok.
Kardeşliğimizin daim olsun. Hatta devir daim olsun. Dilerim aynı coğrafyada tekrardan
buluşuruz, tekila, grenadine ve portakal suyu eşliğinde satranç oynamaya devam ederiz.
v
Table de matières
Remerciements ............................................................................................. IV
Table des Matières .........................................................................................V
Table des Matières Detaillée ........................................................................ VI
Liste des Figures........................................................................................... XI
INTRODUCTION
Chapitre 1. Introduction ........................................................................... 2
PARTIE I - LA THEORIE
Chapitre 2. La Conception.......................................................................13
Chapitre 3. La Theorie C – K de Conception ..........................................36
Chapitre 4. L’environnement et la Theorie C/K/E..................................57
Chapitre 5. Assistants Personnels de Conception.....................................76
PARTIE 2 - LE SYSTEME
Chapitre 6. DesigNAR ; Un Assistant de Conception ..............................95
Chapitre 7. Langage et Inference ...........................................................115
Chapitre 8. Memoire et Contrôle ...........................................................140
Chapitre 9. Designar; Exemples d’Inference et de Suggestion ................159
Chapitre 10. Le Domaine « Gathering Machines » ...............................190
CONCLUSION
Chapitre 11. Conclusions et Perspectives ...............................................206
Bibliographie ...............................................................................................221
vi
Table de matières détaillée
REMERCIEMENTS .................................................................................... IV
TABLE DE MATIERES................................................................................V
TABLE DE MATIERES DETAILLEE ........................................................ VI
LISTE DES FIGURES................................................................................. XI
CHAPITRE 1. INTRODUCTION................................................................. 2
1.1 INTRODUCTION ................................................................................. 2
1.2 APPROCHE METHODOLOGIQUE .......................................................... 5 1.2.1 Démarche générale ...................................................................................................... 5 1.2.2 Niveau de l'étude......................................................................................................... 6 1.2.3 Quelle perspective d’aide à la conception ? ................................................................. 6
1.3 PLAN ET RESULTATS ......................................................................... 6
CHAPITRE 2. LA CONCEPTION...............................................................13
2.1 TERMINOLOGIE ................................................................................13
2.2 L'IMPORTANCE DES ACTIVITES DE CONCEPTION................................14 2.2.1 Importance économique des activités de conception.................................................. 14 2.2.2 Le Triptyque Qualité-Coût-Délais............................................................................. 15
2.3 MODELES DU PROCESSUS DE CONCEPTION ........................................18 2.3.1 Le modèle Analyse-Synthèse-Évaluation ................................................................... 19 2.3.2 Les trois logiques d’actions: Convergence-Transformation-Divergence...................... 20 2.3.3 L'arbre de conception de Marples.............................................................................. 21 2.3.4 Le modèle FBS de Gero ............................................................................................ 22 2.3.5 Le modèle de Pahl et Beitz ....................................................................................... 25
2.4 METAPHORES POUR DECRIRE LA CONCEPTION..................................26 2.4.1 Conception et résolution des problèmes .................................................................... 26 2.4.2 Conception et Logique .............................................................................................. 27 2.4.3 Conception et Langage.............................................................................................. 28
2.5 CARACTERISTIQUES DES ACTIVITES DE CONCEPTION ........................28 2.5.1 Nature des problèmes de conception ......................................................................... 29 2.5.2 Conception et connaissance....................................................................................... 30 2.5.3 Concevoir et rechercher............................................................................................. 32 2.5.4 Conception et décision .............................................................................................. 33
vii
CHAPITRE 3. LA THEORIE C – K DE CONCEPTION............................36
3.1 APERÇU DE LA THEORIE...................................................................36
3.2 LES ESPACES C DES CONCEPTS ET K DES CONNAISSANCES ................37 3.2.1 La distinction C – K ................................................................................................. 37 3.2.2 Ensemble associé à un concept.................................................................................. 38
3.3 OPERATIONS DE BASE ......................................................................39 3.3.1 Disjonction C – K : Point de départ d'une conception.............................................. 39 3.3.2 Conjonction C – K : Fin d'une conception ................................................................ 39 3.3.3 Partition restrictive versus partition expansive......................................................... 40 3.3.4 K-expansion .............................................................................................................. 41
3.4 RAISONNEMENT ET DEPLACEMENT ENTRE LES ESPACES :
OPERATEURS DE LA THEORIE C – K ..........................................................42 3.4.1 Déplacements de C vers K ........................................................................................ 42 3.4.2 Déplacements de K vers C ........................................................................................ 42 3.4.3 Déplacements de K vers K........................................................................................ 42 3.4.4 Déplacements de C vers C ........................................................................................ 43
3.5 PROPRIETES DES PROCESSUS DE CONCEPTION ..................................43 3.5.1 Créativité et le rejet de l’axiome de choix................................................................. 43 3.5.2 Co-évolution des espaces C et K ............................................................................... 43 3.5.3 K-Relativité de l’espace C......................................................................................... 44 3.5.4 K-validation .............................................................................................................. 44 3.5.5 Nécessité de distinction entre les espaces .................................................................. 44
3.6 EXEMPLES ET DISCUSSION ................................................................45 3.6.1 Un aspirateur sans sac .............................................................................................. 45 3.6.2 Déchiffrement des hiéroglyphes................................................................................. 48
3.7 DISCUSSION......................................................................................54 3.7.1 Concepts et connaissances......................................................................................... 54 3.7.2 Opérateurs et activations .......................................................................................... 55 3.7.3 Mécanisme de contrôle .............................................................................................. 55 3.7.4 Concepteurs et leurs environnements........................................................................ 55
CHAPITRE 4. L’ENVIRONNEMENT ET LA THEORIE C/K/E ..............57
4.1 LE ROLE DE L’ENVIRONNEMENT........................................................57 4.1.1 Le concepteur et l’environnement ............................................................................. 58 4.1.2 Interaction de faire et voir ........................................................................................ 58 4.1.3 S-inventions et découvertes inattendues.................................................................... 60 4.1.4 Environnement comme moyen de réconceptualisation .............................................. 60 4.1.5 Environnement comme moyen de communication .................................................... 61 4.1.6 L’environnement et la théorie C – K ........................................................................ 61
4.2 LA NATURE SITUEE DE LA COGNITION...............................................62 4.2.1 La Cognition Située : une réaction au Cognitivisme ................................................. 63 4.2.2 Perception, conceptualisation, action ........................................................................ 64 4.2.3 La mémoire constructive ........................................................................................... 66
viii
4.2.4 Ancrage des concepts ................................................................................................ 67 4.2.5 Trois mondes pour un agent située ........................................................................... 68
4.3 MODIFIER LA THEORIE C – K : UN ESPACE E DE L'ENVIRONNEMENT .69 4.3.1 Les espaces de concepts, de connaissances et de l’environnement ............................. 70 4.3.2 Conceptualisation au cœur de la conception ............................................................. 71 4.3.3 Conceptualisation comme construction de sens......................................................... 72 4.3.4 Concepts et connaissances......................................................................................... 72 4.3.5 E-relativité de K et E-validation............................................................................... 73 4.3.6 L’axiome de choix et la théorie C/K/E..................................................................... 73 4.3.7 Opérateurs C/K/E.................................................................................................... 74
CHAPITRE 5. ASSISTANTS PERSONNELS DE CONCEPTION .............76
5.1 OUTILS INFORMATIQUES D’AIDE A LA CONCEPTION ...........................76 5.1.1 Historique du CAO ................................................................................................... 76 5.1.2 Outils d'aide à la conceptualisation – OACs ............................................................. 78 5.1.3 Agents de conception comme OAC........................................................................... 79
5.2 ASSISTANTS PERSONNELS DE CONCEPTION........................................81 5.2.1 OAC basé sur la théorie C/K/E ............................................................................... 81 5.2.2 Paradigmes traditionnels pour OACs........................................................................ 81 5.2.3 Enrichir la conversation du concepteur avec son environnement .............................. 82 5.2.4 Assistants Personnels de Conception - APCs............................................................ 83 5.2.5 Modes d'assistance d'un APC.................................................................................... 84 5.2.6 Concepteurs créatifs, outils qui inspirent .................................................................. 85 5.2.7 Adaptation d'un APC ............................................................................................... 86 5.2.8 Société d'APCs.......................................................................................................... 88
5.3 COMPATIBILITE D'UN APC AVEC LA THEORIE C/K/E ......................88 5.3.1 E-réactivité ............................................................................................................... 88 5.3.2 K-expansivité ............................................................................................................ 89 5.3.3 C-expansivité ............................................................................................................ 89 5.3.4 La distinction C – K – E........................................................................................... 90 5.3.5 Le couplage C/ K /E ................................................................................................ 90 5.3.6 Assistants CKE......................................................................................................... 90
5.4 REPRESENTATIONS FLUIDES DES CONCEPTS POUR LES APCS ............91 5.4.1 La fluidité des concepts............................................................................................. 91 5.4.2 Inséparabilité du raisonnement et de la représentation ............................................. 92 5.4.3 Parallélisme, interaction et émergence ...................................................................... 92 5.4.4 Sens et fluidité des concepts...................................................................................... 93
ix
CHAPITRE 6. DESIGNAR ; UN ASSISTANT DE CONCEPTION...........95
6.1 DESIGNAR ; UN ASSISTANT DE SYNTHESE ........................................96
6.2 REPRESENTATION DES CONNAISSANCES EN CONCEPTION ..................97
6.3 CONCEPTS FLUIDES ET COMPUTATION EMERGENTE ..........................99 6.3.1 Copycat..................................................................................................................... 99 6.3.2 Système à comportement émergent......................................................................... 102 6.3.3 Emergence et systèmes hybrides ............................................................................. 104
6.4 UNE DESCRIPTION GLOBALE DU SYSTEME DESIGNAR.....................106 6.4.1 Concepts et Connaissances du système ................................................................... 106 6.4.2 Mémoire constructive et ancrage des concepts ........................................................ 107 6.4.3 Distinction C – K – E ............................................................................................. 108 6.4.4 E-réactivité ............................................................................................................. 110 6.4.5 C-expansivité .......................................................................................................... 110 6.4.6 K-expansivité .......................................................................................................... 112 6.4.7 Couplage C/K/E..................................................................................................... 113
CHAPITRE 7. LANGAGE ET INFERENCE ............................................115
7.1 SENS DES LIENS, BUT DE L’INFERENCE ............................................115
7.2 LE LANGAGE ..................................................................................119 7.2.1 Les relations d’héritage et de similarité................................................................... 119 7.2.2 Relation d’héritage pour modéliser les relations qualitatives causales..................... 120 7.2.3 NAL-0 ..................................................................................................................... 121 7.2.4 NAL........................................................................................................................ 124 7.2.5 Relation de similarité dans NAL............................................................................. 127 7.2.6 Termes composés .................................................................................................... 128 7.2.7 La structure interne des termes dans DesigNAR .................................................... 130
7.3 INFERENCE ....................................................................................131 7.3.1 Inférence vers l’avant – la relation d’héritage ......................................................... 131 7.3.2 Inférence vers l’avant – la relation de similarité ..................................................... 135 7.3.3 Choix et inférence vers l’arrière .............................................................................. 138
CHAPITRE 8. MEMOIRE ET CONTROLE .............................................140
8.1 LA STRUCTURE DE MEMOIRE ..........................................................140 8.1.1 Concepts et connaissances....................................................................................... 140 8.1.2 Notion de tâche....................................................................................................... 142 8.1.3 Urgence et durabilité d’une tâche ........................................................................... 143
8.2 ACTIVITE DU DESIGNAR ...............................................................145 8.2.1 Cycle de fonctionnement ......................................................................................... 145 8.2.2 Sensation................................................................................................................. 147 8.2.3 Activation externe et propagation de l’activation ................................................... 149 8.2.4 Sélection et compétition des tâches......................................................................... 152 8.2.5 Activation interne ................................................................................................... 154 8.2.6 DesigNAR et NAR.................................................................................................. 155 8.2.7 DesigNAR, concepts fluides et SCE........................................................................ 156
x
CHAPITRE 9. DESIGNAR; EXEMPLES D’INFERENCE ET DE
SUGGESTION............................................................................................159
9.1 PRESENTATION DU LOGICIEL ..........................................................160 9.1.1 L’interface graphique du DesigNAR........................................................................ 160 9.1.2 Acquisition des connaissances ................................................................................. 163
9.2 INFERENCES ET EVOLUTION DES CONNAISSANCES DU DESIGNAR....165 9.2.1 Exemple d’utilisation du logiciel ............................................................................. 165 9.2.2 La réception de l’information et la mémoire du DesigNAR..................................... 167 9.2.3 Les premiers cycles ; la manque de connaissances................................................... 170 9.2.4 Inférences et graphe de connaissance ...................................................................... 174 9.2.5 Apprentissage et ancrage des connaissances............................................................ 175 9.2.6 Formation de termes composés et C/K/E .............................................................. 179
9.3 SUGGESTIONS.................................................................................183 9.3.1 Inférence en arrière menant à une suggestion inattendue........................................ 183 9.3.2 Suggestions à partir des schémas ............................................................................ 185 9.3.3 Coopération du DesigNAR avec l’utilisateur........................................................... 186
CHAPITRE 10. LE DOMAINE « GATHERING MACHINES » .............190
10.1 BUT DE L’EXPERIMENTATION......................................................190
10.2 LE DOMAINE ...............................................................................191
10.3 PRESENTATION DU MODELE FBS ET LE DESIGNAR AUX SUJETS .192
10.4 LES SPECIFICATIONS DE L’EXPERIMENTATION .............................193 10.4.1 Sujet 1 – se servir de la base de donnée .................................................................. 194 10.4.2 Sujet 2 – partir du même concept........................................................................... 195 10.4.3 Sujet 3 – bactéries et déchets.................................................................................. 197 10.4.4 Sujet 4 – blocage total ............................................................................................ 200 10.4.5 Sujet 5 – concepteurs créatifs, outils qui inspirent .................................................. 200 10.4.6 Discussion ............................................................................................................... 202
CHAPITRE 11. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES ............................206
11.1 PRODUITS PRIMAIRES .................................................................206
11.2 PRODUITS SECONDAIRES .............................................................210
11.3 PRODUITS FUTURS ; LA THEORIE.................................................212 11.3.1 C/K/E et multiples concepteurs ............................................................................. 212 11.3.2 Décision et conception ............................................................................................ 214 11.3.3 Mathématiques et conception.................................................................................. 216 11.3.4 Assistants de conception ......................................................................................... 217
11.4 PRODUIT FUTURS ; LE SYSTEME ..................................................217 11.4.1 DesigNAR et exploitation de structure interne des concepts .................................. 218 11.4.2 DesigNAR et contraintes ........................................................................................ 218 11.4.3 DesigNAR et analyse .............................................................................................. 219 11.4.4 DesigNAR et préférences sur les concepts ............................................................... 220
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................221
Liste des Figures
Figure 1.1 Un résumé C – K de la première partie de la thèse ...............................................10
Figure 1.2 Un résumé C – K de la deuxième partie de la thèse ..............................................11
Figure 2.1 Les coûts dérivés en développement .....................................................................16
Figure 2.2 Facteurs influant le bénéfice des projets de conception .........................................17
Figure 2.3 Les coûts engagés lors de la conception. ................................................................18
Figure 2.4 Les possibilités de réduction des coûts. ..................................................................19
Figure 2.5 L'arbre de conception de Marples...........................................................................22
Figure 2.6 Modèle de triangulation de Lemoigne pour définir un objet.................................23
Figure 2.7 Modèle F-B-S du processus de conception. ............................................................24
Figure 2.8 Le processus de conception, d'après Pahl et Beitz ...............................................26
Figure 3.1 Les espaces C et K, reproduit de Hatchuel et Weil ..............................................37
Figure 3.2 Disjonction sémantique pouvant mener à plusieurs conjonctions sémantiques......40
Figure 3.3 Un aspirateur sans sac ...........................................................................................46
Figure 3.4 Un aspirateur sans sac (continué). .........................................................................47
Figure 3.5. Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes. .....................................48
Figure 3.6. Pierre de la Rosette dont une partie est connue, l’autre à déchiffrer. ..................49
Figure 3.7 Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes (continué). ....................50
Figure 3.8. « Hiéroglyphes » forme-t-il un concept en soi ? ...................................................51
Figure 4.1 Les différents mondes interdépendants pour un agent situé. .................................68
Figure 4.2 Espaces C, K, E d’un agent de conception situé....................................................70
Figure 4.3 Les espaces C, K et E ...........................................................................................71
Figure 5.1 Un assistant personnel de conception collaborant avec le concepteur. ..................82
Figure 6.1 Un concept d’aspirateur exprimé comme un graphe FBS......................................97
Figure 6.2 Une vue partielle du Slipnet de Copycat. ............................................................100
Figure 6.3 Illustration de la mémoire active du Copycat......................................................101
Figure 6.4 Illustration d’un système hybride.........................................................................104
Figure 6.5 Différents agent locaux actifs dans deux contextes (a) et (b) variés. ..................105
Figure 6.6 Une illustration de certains agents locaux du DesigNAR ....................................108
Figure 7.1 Deux schémas FBS décrivant deux aspirateurs ...................................................116
Figure 7.2 Un exemple de graphe de connaissance sur les deux aspirateurs .........................117
Figure 7.3 Règles d’inférences pour la relation d’héritage.....................................................132
Figure 7.4 Formation des termes composés par à partir de deux prémisses. ........................135
Figure 7.5 Règles d’inférences pour la relation de similarité .................................................136
Figure 8.1 Un concept et les connaissances reliées ................................................................141
Figure 8.2 Le cycle de fonctionnement du DesigNAR...........................................................144
Figure 8.3 Propagation de l’activation ..................................................................................150
Figure 8.4 Le graphe de la fonction F pour des valeurs d’urgence variant entre 0 et 1 . .....153
xii
Figure 9.1 DesigNAR et son interface graphique ..................................................................160
Figure 9.2 Le graphe FBS modifié.........................................................................................161
Figure 9.3 Création d’un nouveau schéma de structure ........................................................162
Figure 9.4 Création d’un nouveau concept............................................................................165
Figure 9.5 Les étapes de la création du concept d’aspirateur................................................166
Figure 9.6 Les liens observés ................................................................................................167
Figure 9.7 Le fichier d’output du DesigNAR. .......................................................................168
Figure 9.8 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 1-4 ................................................171
Figure 9.9 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 5-9 ................................................173
Figure 9.10 Illustrations des étapes d’inférences 5, 7 et 8 et l’état du graphe résultant .......175
Figure 9.11 Quelques étapes d’inférences sur le concept Separation_1 ................................176
Figure 9.12 L’évolution du sens du concept Separation_1 ...................................................177
Figure 9.13 Le contenu du concept Separation_1.................................................................178
Figure 9.14 Les deux termes composés crées par DesigNAR.................................................179
Figure 9.15 Formation de termes composés: Une disjonction sémantique ............................180
Figure 9.16 La construction du sens de B : Filtration_1Vacuum_1 ....................................181
Figure 9.17 Le sens du concept B : Filtration_1Vacuum_1 à l’itération 237 .....................182
Figure 9.18 Suggestion de F : Separation_1 par DesigNAR.................................................184
Figure 9.19 Une inférence en arrière menant à une suggestion. ............................................185
Figure 9.20 Suggestion de DesigNAR pour F : Separation ...................................................186
Figure 9.21 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance ..................................187
Figure 9.22 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance (continué) .................188
Figure 9.23 Un deuxième aspirateur......................................................................................189
Figure 10.1 F, B et S principaux pour le domaine Gathering Machines. ..............................191
Figure 10.2 Un concept de ramasseuse de pétrole par le sujet expérimenté. ........................194
Figure 10.3 Le concept élaboré par le premier sujet..............................................................195
Figure 10.4 Le concept élaboré par le deuxième sujet...........................................................196
Figure 10.5 Le concept élaboré par le troisième sujet ...........................................................198
Figure 10.6 Le concept élaboré par le quatrième sujet..........................................................199
Figure 10.7 Le concept élaboré par le cinquième sujet…………………………………………200
Figure 11.1 Le travail de deux concepteurs décrit par le cadre C/K/E................................213
2
L’ingénierie, la médecine, l’architecture, la peinture,
ne sont pas concernées par le nécessaire
mais par le contingent
– non pas par la façon dont les choses sont,
mais par la façon dont elles pourraient être
- en bref, par la conception.
Herbert SIMON
Chapitre 1. Introduction
1.1 Introduction
Tout objet créé est aussi conçu. D'une étendue si générale, la conception est
partout; les bijoux, l'électroménager, les bâtiments, les vêtements, les
peintures, les logiciels, les villes, les satellites, les pages web sont tous sujets à
la conception. Mais qu'est-ce que c'est la conception ? Comment est-elle
effectuée l'acte de concevoir ? Sans doute, il peut y avoir autant de réponses
que de pratiques et de domaines différents. Les réponses, sans exception, vont
concerner les caractéristiques propres à l'homme de ne pas se contenter de ce
qu'il a, sa volonté à apprendre et son aptitude de créer des connaissances à
partir de ce qu'il connaît déjà.
Bien que pratiquées depuis les débuts de l'humanité, l'importance (surtout
économique) des activités de conception a commencé à être réalisée qu'à
partir de la deuxième moitié du vingtième siècle. La qualité dans les activités
de conception n'a pas tardé à s'imposer comme une condition de survie pour
toute sorte d'organisation. De différentes disciplines de conception, telles que
l'architecture, l'ingénierie, la planification urbaine, le textile, etc., qui, jusque
là, ont créé et se sont servi de leurs propres paradigmes, ont commencé à
rechercher à s'en affranchir pour rechercher un cadre unique qui permettra de
rendre compte des variétés de situations de conception et de les gérer et de
produire des outils pour faciliter l’acte de concevoir.
3
Dans le cadre de notre travail, nous sommes principalement intéressés par ce
dernier aspect, à savoir, des outils d'aide à la conception. Plus spécifiquement,
nous allons nous intéresser à des outils « informatiques » pour supporter les
phases initiales du processus de conception où l'enjeu est de créer de
nouveaux concepts. Nous parlerons de la conceptualisation ou de la création
de concept.
La littérature sur les outils informatiques d'aide à la conceptualisation est
abondante. Cependant, les principes d'une telle démarche, des interrogations
quant à sa pertinence, ses modalités et ses caractéristiques sont totalement
absents. Une théorie d’outils d’aide à la conceptualisation n’existe pas, bien
que la littérature témoigne des centaines de propositions d’outils. En
particulier, la question suivante, d'une importance capitale, n'a pas attiré
l'attention des chercheurs qui travaillent dans ce domaine : quels sont les
caractéristiques qu’un outil de conceptualisation peut ou doit avoir ?
Signalons d’or et déjà que la phase de création de concept est
particulièrement difficile à aider par des moyens informatiques. L’impact
économique et social d’un produit est largement déterminé durant la
conceptualisation. Pendant cette phase, il est explicitement recherché à faire
du nouveau, à produire une connaissance qui n’existait pas. Pour cette raison
même, c’est un processus ouvert aux surprises, qui nécessite l’utilisation des
connaissances multiples et variées.
Dans ces conditions, il serait inopiné d’espérer qu’un outil informatique puisse
accomplir des résultats émerveillant, quelque soit le domaine et dans
n’importe quel projet. Cependant, pour ces mêmes raisons, il faut continuer à
explorer comment mieux supporter cette activité. Selon nous, ceci n’est
possible que par l’élaboration d’un cadre théorique quant à la nature et aux
caractéristiques des outils d’aide à la conceptualisation. Ce cadre doit fournir
un fondement théorique pour les outils en question ; il doit offrir un ensemble
de principes directeurs pour leur construction et permettre leur analyse et
leur validation et même l’évaluation de leur impact.
4
L’absence d’une telle théorie d’outil est liée en grande partie à l'absence
d'une théorie de conception universellement reconnue qui peut fournir le
fondement théorique souhaité. Les théories les plus influentes et qui ont été
exploitées dans des systèmes informatiques pour l'aide à la conception datent
de plus de trente ans, et par conséquent, elles manquent à rendre compte de
notre connaissance actuelle des processus de conception. Aussi, sont-elles
empruntées à d’autres domaines telles que l’intelligence artificielle et
l’optimisation. Des théories plus récentes existent, ainsi que des modèles
associés, mais ceux-ci ne se prêtent pas à la construction d’un cadre général
puisqu'ils ont été créés par des soucis locaux relevant d'un seul domaine ou
même d'un seul problème. Pour ces raisons, ces théories et modèles ne sont
pas appropriés pour dégager les principes à respecter dans la construction
d’outils informatiques d'aide à la conceptualisation.
Incontournablement, le cadre théorique recherché sera lié à une théorie de
conception qui prend en compte la nature du raisonnement des concepteurs.
Dans ce projet de thèse, pour un premier pas dans l’élaboration d’un
fondement théorique pour les outils d’aide à la conceptualisation, nous
reprenons et étudions la théorie C – K. Celle-ci est une théorie décrivant le
type de raisonnement que nous rencontrons dans les activités de conception.
C’est une théorie fondée aussi bien sur des observations empiriques des
pratiques de conception que sur des démarches formelles. Elle se base sur la
distinction entre deux espaces ; l’espace C des concepts et l’espace K des
connaissances. Cette théorie permet de rendre compte de la genèse des
concepts et de leur évolution en définissant la conception comme la co-
évolution des espaces C et K. Elle permet d'expliquer comment il est possible
de faire l'inconnu avec du connu, c'est-à-dire, des processus menant à la
créativité et à l'apprentissage dans la conception. Un accent particulier est
mis sur la création des concepts, cette phase étant la plus critique pour le
succès d’un processus de conception. Compte tenu de ces caractéristiques,
l’étude et l’analyse de la théorie C – K peut procurer un fondement théorique
pour les outils informatiques d’aide à la conceptualisation. Par le même biais,
il deviendrait possible pour nous de contribuer au développement de cette
théorie.
5
Nous sommes désormais prêts à énoncer les questions de recherche de notre
travail.
• Quelles sont les pistes de développement potentielles pour la théorie C
– K, en particulier, vis-à-vis de son utilisation comme fondement
théorique pour les outils d’aide à la conceptualisation?
• La théorie C – K permet-elle de cerner les principes à respecter pour
une démarche informatique d'aide à la conceptualisation ? Quels
principes permettront de bâtir un outil informatique supportant l'acte
de conceptualisation ? Comment sont-ils reliés à la théorie C – K ?
• Est-il possible d’opérationnaliser ces principes sous forme d’un outil
informatique ? Par quelles approches?
Comme nous pouvons le constater avec le plan de ce document, le texte est
structuré autour de ces trois groupes de questions. D’abord, nous allons
analyser la théorie C – K et nous allons proposer une extension, la théorie
C/K/E qui prend en compte l’environnement du concepteur. Un concept
d’assistant personnel de conception sera alors introduit et sa relation avec le
cadre C/K/E sera discutée. Finalement, DesigNAR, un outil basé sur cette
notion et le cadre théorique proposé sera présenté.
1.2 Approche méthodologique
1.2.1 Démarche générale
Dans notre travail, nous adoptons une perspective cognitive. Cette
perspective s'impose puisque nos questions de recherches sont toutes liées au
raisonnement de conception, et donc aux mécanismes cognitives utilisés lors
de cet acte. Dans une première partie, la théorie C – K est analysée sous
cette perspective cognitive par une « méthode interprétative qualitative. »
Dans une deuxième partie, nous adoptons comme méthode la
« modélisation » dans une perspective de validation par une implémentation
informatique. Les enseignements que nous dégageons de notre analyse seront
utilisés comme base pour proposer un modèle informatique compatible avec la
théorie C – K et bâtir et tester l’outil correspondant.
6
1.2.2 Niveau de l'étude
L'organisation et la conduite d'un processus de conception peuvent être
étudiées à plusieurs niveaux. Pour notre part, nous nous plaçons à un niveau
individuel, par contraste à un niveau collectif ou organisationnel. Ce choix se
justifie par le fait que nous sommes intéressé aux mécanismes générant le
processus de raisonnement dans la conception pour nous en inspirer dans le
but de proposer des outils informatiques capables, dans la mesure du possible,
de simuler ce processus ou de l’assister.
1.2.3 Quelle perspective d’aide à la conception ?
Nous nous plaçons dans une optique constructiviste d'aide à la conception.
Dans cette optique, l'aide prend la forme d'une « assistance » dans la
construction d'une « représentation externe d'un concept de produit », en
utilisant des démarches « qui se veulent scientifiques ». Dans notre cas, cette
assistance utilise un modèle formel et son implantation informatique.
1.3 Plan et résultats
A part les chapitres d’introduction et de conclusion, le document est composé
de deux parties distinctes. La partie Théorie (chapitres 2 – 5) concernent la
littérature sur la théorie et les outils de conception en générale et la théorie C
– K, en particulier. La partie Système (chapitres 6 – 10) est consacrée à la
présentation du DesigNAR, l’outil informatique proposé. Un dernier chapitre
est réservé aux conclusions et aux perspectives de recherches.
Dans le chapitre 2, pour donner une première compréhension du processus de
conception, nous présentons quelques modèles, théories et caractéristiques à
propos des activités de conception qui ont marqué la littérature.
Dans le chapitre 3, la théorie C – K est présentée et analysée. Deux exemples
détaillés, la conception d’un aspirateur sans sac par Dyson et le déchiffrement
des hiéroglyphes par Champollion, sont construits pour illustrer les notions de
la théorie et discuter les possibles pistes de développement. Les questions que
nous dresserons à la fin de ce chapitre nous serviront de direction pour
développer ces notions dans le chapitre suivant. En particulier, il est signalé
7
que la théorie ne prend pas en compte la relation du concepteur avec son
environnement.
Dans le chapitre 4, la théorie C/K/E, une extension de la théorie C – K
qui prend en compte l’environnement E du concepteur, sera élaborée. Nous
commençons par une synthèse de la littérature sur la relation du concepteur
avec son environnement. Nous avançons que la théorie C – K ne peut former
une base pour un outil informatique d’aide à la conceptualisation que si un
espace E de l’environnement est introduit dans la théorie. Nous suggérons
que, la théorie C – K étant dans son essence une théorie de raisonnement, la
littérature sur la Cognition Située peut être utilisées à cette fin. D’abord, les
idées et les notions de base de la littérature sur la Cognition Située sont
présentées. Ensuite, nous les utilisons pour bâtir la théorie C/K/E.
Dans le chapitre 5, nous commençons par une revue de la littérature sur les
outils informatiques d’aide à la conception, en général, et des outils d’aide à
la conceptualisation, en particulier. Nous verrons alors que, pour ces derniers,
les propositions existantes exploitent des modèles ou des théories empruntées
à d’autres disciplines tels que l’intelligence artificielle ou l’optimisation. Par
ailleurs, les propositions ne tiennent pas compte de la nature située des
concepteurs, c'est-à-dire, leurs relations avec l’environnement. Pour créer des
outils qui tirent partie de cette nature située, nous proposons la
notion d’assistant personnel de conception (APC). Un APC est un agent de
conception situé qui aide son utilisateur par des suggestions. Son but est
essentiellement d’enrichir la conversation du concepteur avec
l’environnement, de faciliter ainsi le travail et de provoquer la créativité.
Nous discutons les propriétés essentielles qu’un APC peut avoir. Pour
contribuer à l’élaboration d’un fondement théorique pour les outils d’aide à
la conceptualisation en général, et les APCs en particulier, nous faisons un
premier pas en proposant un ensemble de propriétés pour les APCs basées
sur la théorie C/K/E. Un APC respectant ces propriétés est appelé un
assistant C/K/E. Finalement, nous allons proposer qu’un APC peut utiliser
les représentations de concept fluides pour une implantation informatique
compatible avec la théorie C/K/E.
8
A partir du chapitre 6, nous présenterons un assistant C/K/E, DesigNAR.
C’est un système d’aide à la conceptualisation compatible avec la théorie
C/K/E. DesigNAR permet à l’utilisateur d’élaborer une représentation
symbolique d’un concept de produit et une base de donnée pour les symboles
utilisés. En observant le travail de l’utilisateur, il apprend et il fait des
suggestions. Nous commençons le chapitre en présentant quelques décisions
de conception. L’assistant que nous proposons est un assistant de synthèse
(par contraste à l’analyse ou à l’évaluation) comme la synthèse de concepts
est le point central de la théorie C – K et de sa version C/K/E. L’assistant
utilise des graphes FBS où figurent des concepts de fonctions de
comportements, de structures et leurs relations. Une discussion des principes
pour appliquer une approche des concepts fluides sur une telle représentation
qui serait compatible avec la théorie C/K/E fait apparaître que le système
doit être un système hybride (à caractère symbolique et connexionniste) à
comportement émergent. Après avoir exposé ces décisions de conception de
notre système, nous donnons une description globale du système en termes
des propriétés C/K/E énoncées dans le chapitre 5.
Les chapitres 7 et 8 décrivent les aspects formels et informatiques du
DesigNAR. Durant le chapitre 7, le langage du DesigNAR, qui consiste en
une logique de termes, NAL, sera présenté. NAL permet de représenter la
relation entre des concepts par des relations d’héritage ce qui rend possible de
préserver la nature hiérarchique de l’information contenue dans les graphes
FBS. Il offre aussi plusieurs règles d’inférences permettant le raisonnement
sur les concepts et sur leurs relations les uns avec les autres. Après avoir
décrit la nature de la représentation et le type d’inférence dont nous avons
besoin, nous présentons la logique de termes NAL.
Dans le chapitre 8, le mécanisme de control du DesigNAR et la structure de
sa mémoire seront présentés. Le mécanisme applique des principes de contrôle
proposés par l’approche des concepts fluides (présentés dans les chapitres 5 et
6). DesigNAR est non-déterministe et il est géré par un mécanisme
d’activation. Les concepts que DesigNAR connaît ont des activations externes
qui proviennent de l’environnement et des activations internes qui
9
proviennent de l’inférence. Les concepts à considérer, les relations (entre les
concepts) à étudier, les règles d’inférence à utiliser sont sélectionnés
aléatoirement sur la base de ces valeurs d’activations (et certains autres
paramètres). La propagation de l’activation externe qui donne la nature
connexionniste au système permet de simuler une mémoire constructiviste. Le
mécanisme d’inférence permet au système d’ancrer ses concepts les uns sur les
autres et de construire un sens pour ceux-ci. Par son activité d’inférence et
par son interaction avec l’environnement DesigNAR mène des processus de
conceptualisation continuels pour les concepts qu’il a observés ou qu’il a
créés, suivant les principes énoncés dans le chapitre 5.
Dans le chapitre 9, nous présentons le logiciel DesigNAR et nous illustrons
son fonctionnement par des exemples. Après avoir décrit l’interface,
l’utilisation du logiciel est brièvement expliquée. Ensuite, des exemples sur les
inférences, sur la construction de sens pour un concept et son ancrage, sur la
formation de termes composés sont présentés. La coopération du système
avec son utilisateur et ses suggestions sont discutées.
Dans le chapitre 10, nous décrivons une expérimentation que nous avons
conduite à l’aide des enseignants-chercheurs de la Faculté de Génie
Mécanique de l’Université Technique d’Istanbul. Le but de cette
expérimentation était une première confrontation du DesigNAR avec des
utilisateurs et d’avoir une première idée de la pertinence du cadre élaboré et
de la viabilité de la notion d’un assistant de conception. Un domaine
d’expérimentation, Gathering Machines, a été construit à l’aide d’un sujet
expérimenté ce qui a permis DesigNAR d’apprendre certains concepts
relevant de ce domaine. Ensuite, il a été demandé à d’autres sujets de
construire des concepts de produits dans le domaine en question. En général,
les utilisateurs ont été capables de travailler avec DesigNAR et ils ont
exploité ses suggestions. Dans certains cas, cette coopération a provoqué des
effets de créativité chez les concepteurs mais aussi d’autres effets imprévus.
Dans le dernier chapitre, nous récapitulons le travail réalisé par rapport aux
questions de recherche posées et les perspectives de recherches dégagées.
10
Figure 1.1 Un résumé C – K de la première partie de la thèse
Il est possible de récapituler schématiquement les concepts que nous
introduisons dans notre thèse par références aux espaces de la théorie C – K ;
Figure 1.1 et Figure 1.2. La connaissance de la théorie va certainement
faciliter l’interprétation de ces figures ; cependant, ce n’est pas un prérequis,
11
Figure 1.2 Un résumé C – K de la deuxième partie de la thèse
comme il suffit de suivre les flèches du schéma pour suivre le déroulement du
document, les concepts proposés par notre travail et les connaissances
utilisées ou créées.
13
Si j'ai vu plus loin que les autres, c'est parce que
j'étais assis sur les épaules des géants
Isaac NEWTON
Chapitre 2. La conception
2.1 Terminologie
Comme remarqué par Love (2000), la multiplicité de concepts dans la
littérature sur la conception et la diversité des significations qui leurs sont
attribuées peuvent devenir une source de confusion. Il serait donc utile de
clarifier la terminologie que nous employons. Une multitude de définition du
processus de conception existe dans la littérature (cf. Perrin (2001),
Evbuomwan et al. (1996) pour des revues). Nous adaptons la définition
générale suivante pour le processus de conception basé sur le noyau commun
de ces définitions :
« Le processus de conception est un ensemble d'activités et de processus qui
commencent par la réalisation des besoins et une intention de proposer une
solution répondant à ces besoins où le problème initial (et l'idée de solution
associée) est continuellement transformé, raffiné et détaillé en créant et/ou
utilisant des connaissances pour fournir les informations nécessaires pour
l'implémentation de cette solution. »
Ici, une solution peut être un produit, un service ou un processus ; une entité
plus ou moins concrète : une voiture, un bâtiment, un processus chimique, un
logiciel, un programme, etc... La conception est une activité où la personne
qui l'entreprend (le concepteur) doit élaborer une description d'une solution à
partir d'une description de problème initiale en employant ses capacités
(mentales ou physiques). Une conception est une description (représentation
externe) « achevée » (prête pour l'implémentation). Un concept est une
14
représentation (interne ou externe) de solution incomplète où le niveau de
détail (ou d'abstraction) peut varier. D'un point de vue général, nous
admettons qu'une description peut être vue comme ensemble de propriétés
(ou d'éléments) et de relations entre ces propriétés. Nous employons
également le terme « artéfact » pour parler d'une représentation externe de
ce qui est en train d'être conçu.
2.2 L'importance des activités de conception
2.2.1 Importance économique des activités de conception
De nos jours, plus que jamais, la compétitivité est une condition de survie et
de croissance pour les entreprises, et donc, elle constitue un souci
incontournable et omniprésent pour celles-ci. Ainsi, durant les années 70,
lorsque les entreprises anglaises ont constaté une chute importante dans leurs
exportations, tout comme les entreprises américaines dont les industries ont
reconnu un déclin dans les années 80, ils ont du s'interroger sur les raisons de
cette baisse de compétitivité et de pertes de part de marché (Perrin 2001).
Plusieurs hypothèses avancées telles que la non-compétitivité des prix, les
pertes de productivité, la manque d'habileté dans les relations industrielles
ont été rejetées au profit de mauvaises performances dans les activités de
conception (Perrin 2001). Une étude menée par une centaine de chercheurs, à
Massachusetts Institute of Technology a montré que, bien qu'ils soient encore
les plus forts en matière de recherche fondamentale, les entreprises
américaines ont du mal à transformer ses inventions en produits (Dertouzos
et al. 1990; Perrin 2001). En Grande Bretagne, le Corfield Report a avancé
des arguments allant dans le même sens (Perrin 2001) : la baisse de
performance des entreprises anglaises provenait de la qualité du travail
fournie et non de la quantité ou le volume des outputs finaux ; le problème
était dans la valeur ajoutée aux matières premières ; cette valeur ajoutée est
déterminée plus par la qualité de conception et par la manière dont celle-ci
est mise en oeuvre pour prendre en compte les besoins des consommateurs
que par d'autres facteurs (Perrin 2001).
15
2.2.2 Le Triptyque Qualité-Coût-Délais
En effet, le consommateur de nos jours est le plus exigeant qui fût : il
demande une très grande variété de produits et de services, avec la plus
grande qualité, au prix le plus bas et le plus vite possible. Dans ces
conditions, le triptyque Qualité-Coût-Délais a gagné en importance et est
devenu prédominant (Ciavaldini 1996):
L'importance de la qualité
Le vingtième siècle fût marqué, pour les entreprises, par la devise
« rationalisation des systèmes de production ». Beaucoup d'efforts ont été
consacrés dans cette voie autour du vocable « qualité », surtout à partir de
la deuxième moitié du siècle : Kanban, juste à temps, les cercles de qualités,
la qualité totale, etc. Sur ce plan, un point de saturation est atteint dans la
mesure où les entreprises ont excellé dans la pratique de mesures des qualités
(Ciavaldini 1996). Alors, l'attention s'est tournée progressivement vers les
activités de conception où restaient encore des espaces de progrès non
explorés et où la plus grande partie des coûts et des délais était déterminée
(Ciavaldini 1996) : « Nous avons déjà dépassé un jalon, celui de la qualité :
sur ce point, nos modèles sont comparables aux meilleures voitures
allemandes ou japonaises (...) Cependant, il ne faut pas dormir sur ces
lauriers (...) il faut, de plus, redoubler d'énergie dans l'offensive engagée
contre les délais et les coûts , où la bataille est loin d'être gagnée. » [Savoye,
Directeur du Projet Laguna, Collection R&D, no. 13, dans Ciavaldini (1996)].
Importance des Délais
Stalk et Hout (1993) revendiquent que l'avantage gagné par la réactivité
emporte sur tout autre sorte d'avantage. Donc, le chrono-competition (la
compétition par le temps) est la variable stratégique majeure (Navarre
1993) : « le raccourcissement du cycle de développement est un outil
qu'aucune entreprise ne peut se permettre d'ignorer si elle veut rester viable »
(Reinertsen 1983). L'exemple de compétition entre Honda et Yamaha est
illustratif à cet égard (Perrin 2001): Quand en 1981, Yamaha déclara la
guerre à Honda pour déloger cette firme de sa position de leader sur le
marché de la moto, Honda utilisa comme principale arme de défense
l'augmentation du nombre de ses nouveaux modèles.
16
Figure 2.1 Les coûts dérivés en développement Seifert et Steiner (1995) dans Ciavaldini
(1996)
Au début du conflit, Honda avait 60 modèles de moto sur ses lignes de
productions : après 18 mois, cette firme avait introduit ou remplacé 113
modèles. Yamaha qui avait également 60 modèles, ne fut capable de gérer
que 17 changements de modèles durant ces 18 mois. A cotés des Honda les
Yamaha paraissaient vieilles, démodées. Yamaha se retrouva avec un an de
stock chez les revendeurs et dût se rendre (Stalk et Hout 1993).
Nous voyons donc que les délais de conception sont parmi les coûts les plus
pénalisants. D'après Garel (1994), non seulement développer rapidement a ses
avantages (augmentation de la durée de vie des ventes, de la part de marché,
des marges, etc.), mais, a contrario, un développement lent a les
inconvénients des plus graves : perte de part de marché, de rentabilité de
R&D, ruine de l'image commerciale, etc.). Seifert et Steiner (1995) et
Reinertsen (1983) apportent des arguments dans le même sens que Garel
(1994). Nous constatons, par exemple, que si les coûts de production sont
10% plus élevés que prévu, la diminution des gains totaux d'un projet est de
4%, par contre si la production commence 6 mois en retard, on a un perte de
gain totaux de 30%. [Seifert et Steiner (1995) après une étude sur plus de 600
entreprises productives internationales]. A son tour, Reinertsen (1983) donne
les évaluations suivantes dans le cadre d'une étude sur le développement
d'imprimante laser :
17
Figure 2.2 Facteurs influant le bénéfice des projets de conception, Reinertsen (1983) dans
Ciavaldini (1996)
Coûts engagés et coûts effectifs des activités de conception
Les activités de conception sont déterminantes des coûts à deux titres. D'une
part, ces activités ont leurs propres coûts, d'autre part, et beaucoup plus
important encore, c'est pendant ces activités que la plus grande partie des
coûts d'un projet de développement est engagée suite aux décisions prises.
Ainsi, par exemple, « General Motors déclare que 70 % des coûts de
fabrication des transmissions de camion sont déterminés durant la
conception. Rolls-Royce a révélé que les activités de conception déterminent
80 % des coûts finaux de 2000 composants des produits fabriqués par cette
entreprise » Corbett (1986) dans Perrin (2001)).
Aussi, au fur et à mesure que le projet avance, les possibilités d'agir sur les
coûts du projet se réduisent. D'un côté, la réduction des coûts possibles
devient moins évidente, de l'autre côté, les coûts des modifications
s’alourdissent, avec l'avancement du projet. En fait, les grandes orientations
d'un projet sont fixées au début, et les phases ultérieures sont consacrées à
élaborer les détails de ces orientations qui donnent les traits essentiels. Ainsi,
pour donner un exemple caricaturale, c'est au départ qu'il est décidé si « une
voiture sympa » est « une petite voiture pas chère avec un look mignon » ou
bien c'est « une voiture rapide et luxueuse ». Une fois cette décision prise, les
concepteurs vont avancer en déterminant en fonction de leur ressources et
disponibilités (budget, connaissances, contrats internes/externes, délais) ce
que va être le produit final.
18
Figure 2.3 Les coûts engagés lors de la conception; d'après Perrin (2001).
A l'évidence, revenir sur cette décision initiale, pour la modifier, sera d'autant
plus coûteux à la fin des activités de conception qu'au départ, comme le
travail déjà effectué, disons, pour la petite voiture pas chère, ne pourra pas
contribuer aux nouvelles orientations une voiture rapide et luxueuse, du fait
de changement majeur dans les traits essentiels du produit. La réduction des
coûts possibles aussi est en grande partie déterminée par les décisions prises
au départ.
Dans ces conditions, augmenter sa part de marché devient équivalent à lancer
un modèle avant les concurrents et vendre le plus possible jusqu'à ce que les
équilibres de marché s'établissent et que les prix baissent (Perrin 2001,
Ciavaldini 1996). A cet égard, raccourcir le temps de transition de la
recherche au développement, afin de réduire les délais, devient une des
préoccupations principales des entreprises. D'où l'importance et la nécessité
de construire des outils et démarches pour aider à la conception.
2.3 Modèles du processus de conception
Compte tenu de l'impact économique des activités de conception, le besoin de
« rationaliser » ces processus s’est progressivement imposé dans les
communautés professionnelles depuis la deuxième partie du vingtième siècle.
19
Figure 2.4 Les possibilités de réduction des coûts; d'après Perrin (2001).
Parallèlement, au sein de la communauté scientifique, les théories et les
méthodologies de conception pour mieux comprendre et gérer ces activités se
sont multipliées. Bien que leurs importances aient commencé à être reconnue
de plus en plus durant les années 80, les travaux de recherche relevant des
activités de conception remontent plus loin, vers les années 60. Comme il est
dans la nature des choses, certaines des modèles, des lignes d'idées, des
théories se sont avérées plus influents que d'autres. Dans la suite, nous allons
présenter certaines modèles classiques, sur lesquelles ont été bâties bien des
recherches, pour donner une première compréhension de ce que c'est la
conception et afin de fonder de bases nécessaires pour mieux appréhender la
théorie C – K.
2.3.1 Le modèle Analyse-Synthèse-Évaluation
Le modèle Analyse-Synthèse-Évaluation (ASE) à trois étapes est dû à
Asimow (1962). L'étape « Analyse » consiste à la clarification et au
recensement des objectifs, à la formulation du projet de conception en termes
précis et neutres. Il est sous-entendu par « termes précis » et « neutres »
une formulation du projet de conception par des spécifications de
performance d'une manière qui ne fait intervenir, a priori, aucune idée de
solution. Dans l'étape « Synthèse », des solutions partielles sont trouvées
20
pour chacune des spécifications de performances, pour ensuite combiner les
solutions partielles compatibles entre elles pour proposer de diverses
conceptions. A la dernière étape, une « Évaluation » de ces propositions est
faite, afin de choisir celles qui sont convenables. Le cycle peut ensuite être
répété pour réexaminer ou améliorer les solutions trouvées. Dans ce cas,
chaque cycle apporte plus de précision sur la solution que les précédents.
Le modèle décrit le processus de conception à un niveau d’abstraction élevé.
Par ailleurs, certains éléments fondamentaux ne sont pas représenté : les
concepts en cours d’élaboration, les connaissances utilisés, les concepteurs.
Cependant, les idées sous-jacentes ont leurs marques dans la littérature et
contiennent certainement une part de vérité de ce que les concepteurs font
dans la réalité. Parallèlement, le modèle a servi de base à la création de
plusieurs modèles et instruments d'aide à la conception (Coyne et al. 1990).
Tel que nous l'avons décrit, le modèle omet le fait que ces trois étapes ne sont
jamais sans interactions et complètement disjointes. Par exemple, la synthèse
peut éclairer des éléments qu'il faut reprendre en compte dans la phase
Analyse.
Remarquons, en dernier, que le modèle semble être proche du fameux modèle
Renseignement-Conception-Choix de Simon (1955). Ainsi, dans l'étape
Analyse, le concepteur se renseigne sur la situation problématique et les
possibilités qui s'ouvrent devant lui ; en suite, tenant compte du résultat de
cette étape, il conçoit des alternatives, par une Synthèse. Les concepts ainsi
crée sont évalués pour choisir le plus prometteur.
2.3.2 Les trois logiques d’actions: Convergence-Transformation-Divergence
Jones (1970) propose un modèle tout à fait proche à ASE, en reformulant les
trois étapes d'une autre manière : Divergence, Transformation, Convergence
(DTC) :
• Divergence : On tente de « forcer » les frontières de la situation de
conception pour élargir l'espace des recherches de solutions.
• Transformation : On construit, à partir des résultats de la logique de
divergence, une structure, un modèle, une solution, d'une manière la
plus astucieuse et créative possible.
21
• Convergence : L'incertitude due à la multiplicité des solutions possibles
est réduite en évaluant celles-ci afin de sélectionner la solution la plus
satisfaisante.
Nous remarquons immédiatement une similarité entre les étapes respectifs de
DTC et ASE. Cependant, posé de cette manière, de nouvelles nuances
apparaissent. Nous voyons cette fois-ci, que dans l'étape Analyse, il y a une
certaine tentative de se diverger pour rechercher de nouvelles perspectives
pour poser le problème de conception. Dans le modèle DTC, nous voyons
donc plus explicitement l'intérêt de ne pas penser au projet de conception
comme unique et objectivement défini. Aussi, le mot divergence fait penser
immédiatement à une recherche d’inspiration, sinon d'information, qui
permettra, durant la phase transformation, de construire d'une manière la
plus créative possible des solutions pouvant répondre au projet de conception.
Le modèle DTC étant similaire au modèle ASE, ses points faibles se
ressemblent. Le modèle DTC n'indique pas « comment » ces étapes sont
conduites et de quelles manières elles sont reliées. Il se place à un niveau très
général et ne rend pas compte de la relation entre les étapes proposées.
2.3.3 L'arbre de conception de Marples
Marples (1960) a proposé un modèle du processus de conception à partir des
études de cas en conception. Ses observations le mènent à représenter le
processus de conception par un « arbre » où la racine correspond aux
spécifications initiales. Ensuite, le projet de conception est décomposé en
sous-projets. Pour chaque sous-projet il peut y avoir plusieurs alternatives.
Alors les concepteurs font des choix à chaque noeud quant aux sous-projets
qu’ils vont utiliser pour mener à bien le projet de conception. L'ensemble des
sous-projets finalement retenus forme ensemble la solution retenue. Cette
façon de procéder peut être représentée par un arbre sur laquelle les décisions
prises ainsi que les alternatives considérées apparaissent. Dans ce modèle,
nous voyons apparaître une « hiérarchie » de projets de conception. Aussi,
pouvons-nous localiser les moments où les décisions sont prises. Cependant,
une lacune que nous pourrions reprocher à ce modèle concerne la non-
visibilité des interrelations entre différents sous-projets.
22
Figure 2.5 L'arbre de conception de Marples.
Plus spécifiquement, les contraintes qu’un sous-projet imposent sur un autre.
Par exemple, lors de la conception d’une voiture, les décisions de conception
prises pour le moteur vont irrémédiablement avoir des implications sur le
châssis et vice versa.
Le modèle pourra être exploité pour enregistrer l'historique du processus de
conception et le raisonnement suivi durant le processus en termes des
problèmes considérés, des solutions proposées et des décisions prises.
2.3.4 Le modèle FBS de Gero
Dans son travail sur la théorie générale de système, Lemoigne (1977)
remarque que n'importe quel objet peut être défini comme une triangulation
de trois pôles ; Figure 2.7. A part le pôle ontologique qui énonce ce que
l'objet est, il y a le pôle fonctionnel qui énonce ce que fait l'objet et le pôle
génétique qui énonce ce que sera l'objet ou comment il va évoluer.
23
Figure 2.6 Modèle de triangulation de Lemoigne (1977) pour définir un objet
Gero (1990) a proposé un schéma de représentation quelque peu semblable
pour représenter des concepts. Selon ce schéma, des concepts peuvent être
décrits en utilisant trois groupes de variables : F, la fonction (le téléologie de
l'objet, pour quoi l'objet est fait), S, la structure (de quoi l'objet est fait), B,
le comportement (comment se comporte l'objet ou quelles sont ses
performances). Les variables de structure incluent des composants, des
attributs de ces composants et des relations entre ceux-ci.
Considérant la similarité entre le modèle de Lemoigne et le modèle de Gero,
nous pouvons constater que le schéma proposé par Gero revient en son
essence à considérer un concept comme un système. Il est acclamé que le
schéma FBS est suffisamment général pour représenter toute sorte d'objets,
même des agents (Gero et Kannengiesser 2002). Dans les chapitres
ultérieurs, nous verrons que le système que nous proposons fait usage de ce
schéma de représentations pour les concepts.
Basé sur le schéma de représentation de FBS, Gero (1990) propose un modèle
du processus de conception ; Figure 2.7. Selon ce modèle, la conception est la
production d'une description D d'une structure S qui accomplira un ensemble
de fonctions F en exhibant un ensemble de comportements B.
24
Figure 2.7 Modèle F-B-S du processus de conception.
Dans un processus de conception, F, B et S sont liés par certains processus.
Les concepteurs formulent des comportements ciblés qui vont implémenter ou
réaliser les spécifications fonctionnelles (processus 1). Puis, ils essayent de
synthétiser une structure qui est supposée exhiber ce comportement ciblé
(processus 2). L'analyse est effectuée pour dériver le comportement actuel de
la représentation structurale (processus 3). Les comportements ciblés et
dérivés sont alors comparés pour évaluer le concept (processus 4). Cette
évaluation peut mener à une reformulation de S, de Be ou de F (processus 5,
6, 7, respectivement). Si la représentation du concept est jugée satisfaisante,
une description D de celle-ci est produite.
Ce modèle peut être interprété sur la base du modèle ASE ; le concepteur
analyse le projet de conception et formule des fonctions que l’artefact doit
remplir pour répondre au besoin. A partir de ces fonctions, les
comportements que l’artefact doit exhiber pour réaliser ces fonctions vont
être formulés (e.g. « B : taux de transmission lumière de t unité»). Puis, il
procède à une synthèse pour obtenir des solutions (e.g. « S : vitre de
dimension de XxY ». Les structures ainsi obtenues vont être évaluées pour
continuer le processus. Dans le cas où celle-ci est satisfaisante le processus
25
s’arrête, sinon une reformulation de structure ou de comportements ciblés ou
de fonctions est nécessaire. Cependant, le modèle FBS donne un compte
rendu plus riche du processus en distinguant la fonction, les comportements
et la structure d'un objet de conception. Cette distinction est importante
puisque les travaux empiriques mettent en évidence que les concepteurs
distinguent en effet entre ces caractéristiques d'un objet à concevoir (Suwa et
al. 1999, Bilda 2003). En outre, en posant cette distinction, des nuances
apparaissent, telles que la reformulation du problème peut se produire à
plusieurs niveaux.
2.3.5 Le modèle de Pahl et Beitz
Pahl et Beitz (1984) ont proposé une synthèse de l'approche allemande en
ingénierie mécanique. La méthodologie proposée se base sur un modèle du
processus de conception illustré par la Figure 2.8. La phase de création de
concept se réfère, dans ce modèle, à une étude de l'espace de fonctions et de
sous-fonctions. Un ensemble de fonctions est construit à ce stade,
traditionnellement, à partir d'une analyse fonctionnelle (e.g., en combinant de
différentes fonctionnalités à partir d’un catalogue de fonctions). La
conception morphologique fait intervenir le choix de formes et des dimensions
de l'objet à concevoir. Conception en détail consiste à déterminer les
paramètres de l'objet d'une manière détaillée, permettant de préparer des
documents nécessaires pour l'achat de matériel ou de fabrication de l'objet.
Le travail de Pahl et Beitz a été diffusé très largement et la méthodologie et
les outils qu’ils ont proposé autour de ce modèle ont eu un vaste impact tant
dans la recherche en conception que dans la formation des ingénieurs autour
du monde. Plusieurs modèles dérivés de leurs résultats ont été proposé et
appliqué (Perrin 2001). En réalité, ce travail a tellement façonné la
compréhension et la pratique de l’activité de conception qu’il a causé une
stagnation ! En présence d’une méthodologie, qui marchait, apparemment,
très bien, il devenait difficile de proposer des alternatives et les propositions
tendaient à raffiner la méthodologie existante. Ceci a entraîné un découpage
du processus très décisifs, parallèlement aux phases suggérées par le modèle,
où les solutions partielles préfabriquées existaient pour chaque phase et le
travail de conception consistait à leur combinaisons et ajustements.
26
Figure 2.8 Le processus de conception, d'après Pahl et Beitz (1984)
Cette manière de conduire le processus est très efficace, cependant, elle limite
la possibilité d’introduire du nouveau dans le processus.
2.4 Métaphores pour décrire la conception
Comme pour tant d’autres domaines, initialement, la recherche en conception
s’est appuyée sur d’autres domaines pour construire ses propres modèles et
théories. En ce qui concerne le raisonnement dans la conception, plusieurs
métaphores ont été utilisées. Nous en allons exposer quelques uns pour
familiariser le lecteur avec les idées principales et enracinées du domaine.
2.4.1 Conception et résolution des problèmes
Simon (1969) présente le processus de conception comme un processus de
« résolution des problèmes ». La résolution des problèmes est décrite comme
une recherche dans un espace d'états fixés au départ (Newell et Simon 1963,
1972). Dans ces travaux Newell et Simon présente un programme nommé
27
GPS, General Problem Solver. Le programme, partant d'un état initial,
recherche à atteindre un état final désiré. Il procède par estimer, à chaque
pas, la distance entre son état actuel et l'état final désiré et choisit l'opérateur
qui réduira la plus cette distance. La résolution des problèmes peut être vue
comme l'exploration d’un labyrinthe. Le but est d'atteindre une certaine
destination ; un objectif. Les croisements des passages forment les différents
états atteignables. Il s'agit de choisir des passages l'un après l'autre pour
atteindre de nouveaux croisements jusqu'à atteindre la sortie. Cette façon de
procéder, appelé souvent « recherche » (search) dans la littérature de
l'intelligence artificielle (IA), a influencé un très grand nombre de systèmes de
résolution de problèmes automatiques depuis son introduction.
La résolution des problèmes est une des métaphores les plus utilisées pour
décrire l'activité de conception. Cependant, les limites de cette métaphore
sont bien connues aujourd'hui tant en IA que dans la conception. La
recherche dans un labyrinthe est un problème aux contours définis, tandis
que la propriété fondamentale d’un processus de conception est l’expansibilité
des frontières des concepts. L'image que Hatchuel et Weil (1999) en donnent
est parlant: La résolution de problème voit l'acte de concevoir comme « une
recherche d'aiguille dans une botte de foin ». Or la conception est
« construire progressivement ce l'on entend par botte de foin et aiguille ».
2.4.2 Conception et Logique
Le processus de conception étant in fine un processus de raisonnement, une
autre métaphore qui a été utilisé pour la décrire est la logique (Coyne et al.
1990). Une façon de considérer la conception, dans le cadre offert par la
logique est de le voir comme faire une suite de déductions à partir d'un
ensemble de spécifications tout comme une théorie mathématique est
démontrée. On commence par des axiomes (des spécifications de produit) et
on en déduit par un processus de raisonnement le théorème la conception.
Coyne et al. (1990) souligne que l'approche n'est pas nouvelle. Le dicton par
l'Abbé Laugier, au 18ème siècle, « si le problème est bien posé, la solution va
être indiquée » laisse entendre que la solution peut être déduite de la
spécification d'un problème. Le dicton a été adopté par les architectes
modernistes qui ont déclaré « la forme suit la fonction » s'opposant ainsi à
28
certaines grandes tradition architecturale qui accentuait l'importance de la
forme pour la conception.
Bien qu'applicable à certaines tâches de conception, ce modèle logique de la
conception est assez limité pour donner une image suffisamment riche de
celle-ci. Une alternative « logique » a été proposé par March (1984) basée sur
le travail de Peirce (1955). Selon March, dans la conception trois types de
raisonnement sont utilisés d’un manière cyclique ; abduction (ou production)
qui propose une solution, la déduction qui prévoit les performances de la
proposition, et l'induction qui évalue celle-ci.
2.4.3 Conception et Langage
Une autre métaphore pour décrire la conception est le langage (Coyne et al.
1990). En matière de langage, nous pouvons parler d’un vocabulaire, de la
composition, du style, le contexte et sans doute du sens. Parallèlement, en
conception nous pouvons parler de la configuration des éléments pour former
une conception. En fait, juste comme la grammaire d’un langage dicte des
règles de composition, des règles existent, étant donnée un domaine de
conception, pour composer des éléments. Aussi, juste comme dans le langage,
ce qui importe n'est pas seulement la composition des chaînes de symboles
respectant des règles mais le sens de cette composition (Coyne et al. 1990).
Ces deux idées renvoient à la distinction que nous pouvons observer dans la
littérature concernant l'approche syntaxique (bottom-up) de la conception, où
à partir des composants, on essaie d'obtenir de nouvelles conceptions par
combinaison (voir par exemple (Maimon et Braha 1996)), versus l'approche
sémantique de la conception (top-down), où on essaie de décomposer une
fonctionnalité principale jusqu'à obtenir une conception (voir par exemple
(Suh 1990)).
2.5 Caractéristiques des activités de conception
Dans la section précédente nous avons présenté certains modèles du processus
de conception. Chacun de ces modèles fait apparaître certaines des
caractéristiques des processus de conception en masquant certaines autres.
Dans cette section, nous allons proposer une synthèse de la littérature pour
faire émerger un ensemble de caractéristiques plus riche, dans le but
29
d'approfondir notre compréhension de la nature des processus de conception.
Le lecteur remarquera que les idées décrites ont souvent été formulées en
termes et sur la base des modèles et des métaphores que nous venons de voir.
2.5.1 Nature des problèmes de conception
Un processus de conception commence quand un acteur s'aperçoit d'un
problème et prend des mesures avec l'intention de proposer une solution.
C'est une activité de résolution de problèmes où, au commencement, le
problème ne peut être énoncé avec précision. Ceci, en retour, implique qu'il
ne peut y avoir d'ensemble de solutions prédéterminées. Le but de l'activité
de conception est, donc, d'élaborer une description de solution à partir d'une
définition lacunaire d'un problème. En raison de la difficulté pour énoncer le
problème avec précision, un problème de conception est souvent formulé en
termes de buts et de contraintes (Darses et Falzon 1996). La nature floue du
problème est alors traduite comme une définition approximative de ces buts
et contraintes. Par conséquent, au commencement, leurs interdépendances
peuvent ne pas être claires et ils pourraient être en conflit. Elles sont sujettes
au changement pendant le processus : elles peuvent être excessivement
révisées, ou même abandonné complètement (Lawson 1980). De plus, il n'y a
aucun chemin direct et prédéterminé menant à une solution (Darses et
Falzon 1996; Perrin 2001). Pour ces raisons, le problème de conception est
souvent qualifié de mal-structuré.
Ici, mal-structuré se rapporte à deux points. Le premier est que,
habituellement, il y a beaucoup d'éléments de problème avec des aspects
multiples à considérer et leurs interdépendances sont trop nombreuses pour
un traitement facile et immédiat. Ainsi, le problème de conception est grand
et complexe (Coyne et al. 1990). En pratique, ceci implique un groupe de
concepteurs (plutôt qu'un seul) avec des backgrounds, expériences et
qualifications différents. La seconde est que au début du processus de
résolution de problème, un problème est mal structuré pour ceux qui essayent
de le résoudre, même si il a une structure claire et bien définie pour un
observateur (Simon 1969, 1973). Par conséquent, le problème de conception
manque au commencement une définition précise et la tâche des concepteurs
est précisément de la construire.
30
La construction de la définition de problème est progressive. Les concepteurs
partent d'une définition de problème générique et ils explorent les solutions
potentielles. En explorant, ils augmentent leur compréhension du contexte
dans lequel ils opèrent et les échanges entre « ce qui est requis » et « ce qui
est possible ». Ici, par « requis », nous nous referons aux buts et aux
contraintes et par « possible » l'ensemble de conceptions potentielles que les
concepteurs peuvent réaliser. Souvent, ce que les concepteurs découvrent pour
être possibles, considérant leurs ressources (particulièrement, la connaissance)
et le contexte, implique des modifications sur la définition de problème. Ainsi,
les solutions considérées contribuent à la restructuration du problème, qui, en
revanche, caractérise les solutions qui devraient être considérées. Exprimé en
d'autres termes, la définition du problème et les solutions potentielles sont
progressivement co-construites par l'exploration des possibilités. Ainsi, à un
moment donné du processus, une définition de problème est une description
intermédiaire d'une solution « intentionnelle » finale. Pendant ce processus
co-évolutionnaire, la définition du problème (à la laquelle correspond la
description courante de solution) est enrichie en réarrangeant les
spécifications et/ou en spécifiant d'avantage les éléments déjà existants.
Réarrangement des spécifications se réfère à adopter ou abandonner des buts
ou des contraintes, c'est-à-dire, ajouter ou enlever certaines des propriétés de
la description du problème, alors que spécifier se rapporte à la décomposition
des éléments du problème pour former des sous-problèmes. Cela donne une
nature hiérarchique au processus de conception. La définition de problème à
un niveau donné de la hiérarchie est raffiné en ajoutant ou en enlevant des
propriétés de la description de problème et/ou en explicitant des sous-
problèmes et leurs interdépendances pour obtenir le niveau suivant de la
hiérarchie. Ainsi, la description de l'objet à concevoir évolue hiérarchiquement
par des raffinements successifs jusqu'a un niveau de détail approprié pour
l'exécution.
2.5.2 Conception et connaissance
Pendant l'enrichissement de la description de problème, la difficulté
principale se trouve naturellement dans l'improvisation des raffinements
satisfaisants. De tout évidence, ceci dépend de la structure actuelle du
31
problème, mais également, des connaissances détenues par les concepteurs.
Comme souligné par Coyne et al. (1990), le processus de conception est une
activité cognitive fortement dépendante de l'utilisation de connaissance. La
connaissance, alors, est un des ressources principales utilisées dans la
conception. Nous devrions préciser qu'une telle ressource n'est pas toujours
disponible ; alors elle doit être recherchée ou même créée. Par conséquent, le
processus de raffinement inhérent à la conception implique l'utilisation et la
création des connaissances comme une partie essentielle de l'activité de
conception. Un corollaire immédiat est que, aux étapes intermédiaires, un
raffinement complet du problème est simplement difficile, sinon impossible,
comme toute la connaissance nécessaire, le plus souvent, n'est pas
immédiatement disponible.
La création de connaissance revient à dire que les concepteurs apprennent
inévitablement de l'expérience de conception. En fait, les travaux de Bowen
et al. (1994) indiquent que les équipes de conception les plus performantes
sont celles qui considèrent la « capacité résultante » obtenue au cours du
processus comme la finalité la plus importante du processus de conception,
plus encore que la conception finale (Perrin 2001). L'importance de
l'apprentissage est largement reconnu dans la littérature sur la conception et
ceci a provoqué un intérêt sur l’explicitation et l'enregistrement du
raisonnement de conception, c’est-à-dire, les connaissances utilisées (telles que
les alternatives disponibles, comment elles ont été obtenues, les choix faits,
les raisons de ceux-ci)(Chandrasekaran et al. 1993).
Pendant le processus, une description partielle du problème délimite les
conceptions admissibles, mais en même temps, laisse ouvert un nombre très
grand de possibilités des conceptions qui peuvent être réalisées et qui se
trouveront dans les limites imposées par cette définition. En d'autres termes,
une description intermédiaire reflète les propriétés jugées comme appropriées
pour la description finale et détermine une « classe » des conceptions qui
partagent ces propriétés. Ce genre de descriptions partielles de conception
sont parfois nommées « concepts génériques » (Coyne et al. 1990). Nous
pouvons postuler qu'une partie essentielle de la connaissance des concepteurs
sont au sujet des concepts génériques qui correspondent à des différentes
32
descriptions (aux différents niveaux d'abstraction) aussi bien que la façon
dont ceux-ci ont été élaborés.
2.5.3 Concevoir et rechercher
Faisant face à un problème, les concepteurs activent leurs connaissances,
d'une part, pour trouver les concepts génériques pertinents et comment ceux-
ci avaient été élaborés auparavant, d'autre part, pour choisir la stratégie la
plus appropriée d'élaboration de solution pour la tâche actuelle (Von Der
Weth 1999). Les concepts génériques ainsi rappelés, peuvent être adaptés au
contexte courant (en les combinant de manières diverses ou simplement en
ajoutant/supprimant des propriétés). Aussi, leurs propriétés existantes
peuvent être spécifiées davantage (ou décomposées) ou les valeurs des
paramètres qu'ils contiennent peuvent être fixées pour obtenir de différentes
« instances » (Coyne et al. 1990). Remarquez que, ajouter/supprimer les
propriétés d'une concept générique correspond à un mouvement
« horizontal » dans la hiérarchie de concepts génériques (ou de description
de problème), où d'autres concepts génériques sont prises en considération,
tandis que, spécifier comment réaliser une propriété existante est un
mouvement « vertical » dans la même hiérarchie, où une instance ou une
décomposition du concept précédent est obtenue. Dans les deux cas, de
nouveaux concepts génériques peuvent être obtenues. Dans le premier cas,
par une considération d'une combinaison de propriétés précédemment non-
utilisées (ou inconnues) (par exemple, un téléphone qui est « mobile ») ;
dans le dernier cas, en appliquant une nouvelle décomposition (par exemple,
en utilisant une source d'énergie solaire pour une voiture). Par ailleurs, il
existe une hiérarchie entre les concepts génériques. En instanciant un concept
générique, nous obtenons des partitions, tandis que, en faisant l'abstraction
de ceci, nous avons son type.
Une formalisation de la notion « concept générique » existe dans la
littérature sur la conception comme les « prototypes de concept » (Gero
1990). Pendant le processus, différentes stratégies d'élaboration de solution
peuvent être adoptées à différents moments. Ces stratégies ont une nature
heuristique et elles fournissent un mécanisme de contrôle sur la façon
d'explorer la hiérarchie de partitions/types. Elles sont propre aux individus et
33
peuvent changer d'un concepteur à un autre. De plus, le choix des stratégies
est géré par d'autres connaissances heuristiques, appelées « stratagèmes » par
Von Der Weth (1999).
Nous voyons que la conception peut être vue comme un processus
d'exploration, où des connaissances au sujet des concepts génériques et des
stratégies d'exploration sont employées afin d'élaborer de nouvelles solutions.
À chaque étape intermédiaire du processus de raffinement, l'utilisation des
connaissances au sujet des épisodes de conceptions passées peut permettre les
concepteurs de produire des solutions alternatives pour la définition du
problème courante. Si aucune alternative ne peut être produite ou si toutes
les solutions alternatives produites sont jugées insatisfaisantes, des concepts
génériques plus abstraits devraient être revisités. En d'autres mots, le
problème doit être reformulé. En tout cas, toutes les possibilités ne peuvent
pas être explorées, comme il y en a une infinité et comme la génération de
solution est nécessairement contrainte par le temps. Pendant un processus de
conception, seulement une partie limitée de ce qui est possible peut être
explorée. Cependant, la génération de plusieurs solutions alternative plutôt
qu'une seule est souhaitable. La taille et la qualité de l'ensemble des solutions
alternatives produites, sont importantes. Par conséquent, les concepteurs
doivent dépasser leurs propres limites pour trouver les concepts les plus
prometteuses aussi rapidement que possible, un échantillon qui devrait
représenter au mieux les partitions du type considéré.
2.5.4 Conception et décision
Nous distinguons deux genres essentiels de problème de décision ayant trait à
la génération de solutions durant le processus de raffinement ; la faisabilité et
la préférabilité.
Faisabilité
Assurer la faisabilité d'une solution alternative fait intervenir la gestion des
objectives et des interactions entre différents sous-problèmes. Décisions au
sujet des propriétés à abandonner, à ajouter ou à détailler doivent être prises
d'une manière qui permet aux objectives d'être atteintes et qui évitent des
conflits éventuels entre de différents sous-problèmes. Chose qui n'est pas
34
facile cependant, puisque les implications des décisions prises peuvent ne pas
être immédiatement évidentes et des conflits peuvent apparaître plus tard,
quand d'autres décisions de raffinement sont prises. Dans la pratique, il est
nécessaire d'employer des techniques variées allant de simples croquis aux
simulations informatiques, afin de découvrir les effets potentiels des décisions
prises. Ce genre de techniques permet d'appréhender des niveaux plus bas de
la hiérarchie du raffinement sans nécessiter une prise de décision définitive, ce
qui rend possible de découvrir ainsi de nouvelles informations pertinentes
pour le raffinement.
Préférabilité
Le plus souvent, une seule solution faisable n'est pas satisfaisante, et d'autres
tentatives sont faites pour en générer plusieurs : Une raison est que chaque
tentative de génération d'alternative fait apparaître de nouvelles informations
qui vont aider à (re)structurer la définition de problème. Comme la co-
évolution du problème et la solution se trouve au cœur du processus de
conception, amplifier la réception de ce genre d'information est important.
Cependant, une autre raison est que cette nouvelle information va aider
également dans la (re)structuration des « préférences » des concepteurs
concernant ce qui doit être conçu et comment sera-t-il conçu. La conception
est un processus évolutionnaire où des informations sur une certaine entité
qui n'existe même pas complètement sont manipulées et où il est difficile de
prévoir vers quoi cette entité convergera exactement. Les concepteurs sont
ceux qui conduisent cette évolution par les choix qu'ils font. Mais, pendant le
processus, leurs préférences concernant la direction que cette évolution
devrait prendre sont, au mieux, partiellement construites. Chaque tentative
de génération de solution aidera un concepteur à élaborer ses préférences,
pour former ses propres convictions, en portant son attention sur des points
précédemment inconnus ou inexplorés. Le succès du processus dépendant de
leurs choix, un effort de générer une diversité des solutions et de les évaluer
sera utile pour que les concepteurs puissent mieux cerner différents aspects
du processus et la direction vers laquelle l'évolution doit être conduite. Sous
une telle perspective, le processus de raffinement peut être vu comme une
recherche pour la faisabilité en ménageant des objectives et des interactions
entre les sous-problèmes et pour la préférabilité pour orienter le processus
35
évolutionnaire qu'est la conception vers les voies prometteuses. Par
conséquent, une autre caractéristique du processus de conception est que le
processus de conception est une collection de processus de décision en
intersection et interdépendants, où les préférences du concepteur au sujet du
concept élaboré évolue dynamiquement avec la description de
problème/solution.
36
Tout ce qui est rigoureux est insignifiant,
malheureusement cela n'implique pas que
tout ce qui est vaseux soit plein de sens
René THOM
Chapitre 3. La théorie C – K de conception
Le chapitre est destiné à la présentation de la théorie C – K de conception.
Après avoir donné un bref aperçu de cette théorie, nous procédons à la
présentation des idées et des notions essentielles de cette théorie. Ensuite,
nous allons proposer deux exemples, la conception d’un aspirateur sans sac
par Dyson et le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion afin
d’illustrer et de discuter les notions centrales de la théorie et les pistes de
développement possibles.
3.1 Aperçu de la théorie
La théorie C – K est une théorie du raisonnement de conception (Hatchuel et
Weil 1999, 2002) devant ses origines et sa structure tant à des recherches
effectuées sur le terrain (Chapel 1997) qu'à des approches formelles comme le
GPS (General Problem Solver) de (Newell et Simon 1963, 1972) et les
méthodes de type branch&bound. Elle se base sur la distinction explicite de
deux espaces; l'espace C des concepts et l'espace K des connaissances ; Figure
3.1. Le raisonnement de conception peut alors être décrit comme la co-
évolution des espaces C et K par l'intermédiaire de l'application de quatre
type d’opérateurs interdépendants agissant entre et dans ces deux espaces.
En posant la distinction entre les espaces C et K et en rendant compte de
l'expansibilité de ces deux espaces, la théorie fournit un grand pouvoir
interprétative et permet d'éviter certaines hypothèses restrictives des théories
de conception telles que celle de l'ingénierie allemande exposé par Pahl et
Beitz (1984) et l'approche axiomatique de Suh (1990).
37
Figure 3.1 Les espaces C et K, reproduit de Hatchuel et Weil (1999)
Dans la présentation qui suit, nous allons supposer l'existence d'un concepteur
unique, qui détient l'espace K des connaissances. Par ailleurs, suivant
Hatchuel et Weil (1999) nous allons faire l'hypothèse que toutes les
conséquences possibles de l'espace K des connaissances ne sont pas déduites a
priori (Pas d'omniscience logique) de même que toutes les associations
potentielles ne sont pas faites (Pas d'omniscience associative). Le lecteur
pourra se rapporter à Hatchuel et Weil (1999, 2002, 2003) pour des
approfondissements.
3.2 Les espaces C des concepts et K des connaissances
3.2.1 La distinction C – K
La théorie se base sur la distinction entre deux espaces ; l'espace C des
concepts et l'espace K des connaissances. Une connaissance est une
proposition ayant un statut logique (vraie, fausse, etc.) pour le concepteur
(dans l'espace K). Un ensemble de connaissances est donc un ensemble de
propositions ayant toutes un statut logique.
Un concept est une proposition novatrice à partir de laquelle on veut initier
un travail de conception (Hatchuel et Weil 1999). Dans la théorie C – K, un
concept n'a pas de statut logique. En d'autres termes, un concept n'est pas
connu relativement aux connaissances disponibles au concepteur. L'absence
38
de statut logique réfère ici au caractère inédit, non familier du concept
compte tenu des connaissances détenues par le concepteur. Pour donner
quelques exemples, nous pouvons citer « appartement mobile » ou
« téléphone pour adolescent ». Ce sont des concepts puisqu’ils n'existent pas
en tant que tel dans K ; nous ne savons pas ce qu'ils sont ! Même si les
termes « téléphone » et « adolescent » sont connus, on ne peut exprimer les
propriétés d'un téléphone pour adolescent au départ de la conception
(Hatchuel et Weil 1999, 2002).
3.2.2 Ensemble associé à un concept
Étant donné un concept, nous pouvons définir son ensemble associé. Un
concept peut être vu comme un ensemble de propriétés. L'ensemble associé à
un concept est l'ensemble des propriétés qui définit le concept (Hatchuel et
Weil 2002, 2003; Hatchuel et al. 2004). Néanmoins, Hatchuel et Weil (2002,
2003) refusent d'adopter une perspective ensembliste standard. Ils suggèrent
que l'espace C peut être défini sur l'axiomatique Zermaelo-Frankel† de la
théorie des ensembles – mais sans l'axiome de choix : « Les concepts peuvent
être associés à des ensembles respectant toutes les axiomes usuels de la
théorie des ensembles sauf l'axiome de choix. Dans le cas contraire, cela
reviendrait à admettre que nous pouvons exhiber un élément de l'ensemble
associé à un concept, [par exemple] un bateau qui vole, avant même de l'avoir
conçu. […] Sous cette perspective, un concept n'est donc défini ni par
extension, ni par compréhension, mais par une extension relative à une
compréhension partielle » (Hatchuel et Weil 2002). ‡
† L’axiomatique de Zermaelo-Frankel a établi les standards de la théorie des ensembles.
Aujourd’hui la plupart des mathématiciens acceptent et approuvent cette axiomatisation. ‡ A priori, le rejet de l'axiome de choix ne pose pas de problème technique pour une
modélisation mathématique de la théorie C – K comme l'axiome de choix est un axiome
externe utilisé dans certaines démonstrations mais pas dans la construction de l'univers
ensembliste. Varol, A. et Pakkan, M. (1996) Nonstandard Set Theories and Information
Management. Journal of Intelligent Information Systems, 6 (1), pp. 5-31.
.
39
3.3 Opérations de base
3.3.1 Disjonction C – K : Point de départ d'une conception
La disjonction sémantique ou la disjonction C – K marque le début d'un
travail de conception. C'est l'opération qui, allant de K vers C, permet la
formulation d'un concept. Une opération allant de K vers C (c'est-à-dire
l'utilisation d'une connaissance pour opérer sur le concept) qui crée une
proposition est une disjonction sémantique si :
• tous les termes de la proposition créée appartiennent à l'espace K,
• la proposition n'a pas de statut logique dans K (sinon elle serait une
connaissance).
« Un téléphone pour adolescent », « appartement mobile » ou « une
surprise partie sympa » sont des concepts résultant d'une opération de
disjonction sémantique. Ils comportent des termes comme bateau, voler,
surprise, partie que nous savons ce que c'est. Cependant, notre connaissances
des ces termes pris en isolation ne nous permettent pas d'éviter un travail de
conception comme leur conjonction n'a pas de statut dans l'espace K. La
conjonction de ces termes, par exemple, « bateau qui vole » parait
contradictoire. Le point de départ d'une conception innovante est donc « un
oxymore » comme le clair-obscur ou l'aigre-doux (Hatchuel et Weil 1999).§
3.3.2 Conjonction C – K : Fin d'une conception
L'opération symétrique de la disjonction sémantique est la conjonction
sémantique ou la conjonction C – K. Cette opération, qui va de C à K,
marque la fin d'une conception ; le moment où nous jugeons que nous
connaissons suffisamment de propriétés d'un concept.
§ Remarquons que la notion « oxymore » fait penser à la notion de « contradiction
technique » dans la méthode TRIZ, méthode d'aide à la créativité et support d'innovation,
qui par analogie, permet de résoudre des contradictions dans la définition des concepts,
Savransky, S. D. (2000) Engineering of creativity : introduction to TRIZ methodology of
inventive problem solving, CRC Press ; Altshuller, G. (1997) 40 Principles: TRIZ Keys to
Technical Innovation, Technical Innovation Center, Worchester, Massachusetts. 141 pages.
40
Figure 3.2 Disjonction sémantique pouvant mener à plusieurs conjonctions sémantiques
(Kazakci et Tsoukias 2004b, 2005)
Point où celui-ci n'est plus un concept mais une connaissance ! Donc, la
conjonction C – K est l'opération qui donne un statut logique à un concept !
Quand un concepteur peut affirmer la vérité d'une proposition de type « un
bateau qui vole a les propriétés p1, p2, p3,... » il opère implicitement un
conjonction sémantique.
Une disjonction sémantique peut aboutir à plusieurs conjonctions
sémantiques en raison des différentes possibilités de partitionner un concept
donné. Partant du concept « appartement mobile » on pourrait aboutir à
« caravane » ou à « tente » ou, pourquoi pas, à « un bateau » ; Figure 3.2.
3.3.3 Partition restrictive versus partition expansive
Les opérateurs de la théorie C – K sont construits par une réinterprétation et
une généralisation de la méthode dite branch&bound. Dans la méthode
branch&bound, par contraste aux situations de conception, l'ensemble des
solutions à considérer est défini complètement avant même que l'exploration
commence. Il n'y a donc pas de place à la création. En particulier, il n'y pas
de distinction entre concepts et connaissances. La méthode branch&bound est
une opération de K dans K. L'ensemble des solutions étant complètement
spécifié en avance, les sélections se font en éliminant une partie de cet
41
ensemble par l'intermédiaire d'un critère de restriction de type « seront
considérées uniquement les solutions qui ont la propriété p ». Ici, la propriété
p est une propriété connue et usuelle des solutions considérées. Par exemple,
étant donné le problème « sélection d’un film » l’ensemble de solution à
considérer est « les films actuellement en projection dans les salles de la
ville ». Il est possible de partitionner cet ensemble à l’aide des propriétés
connues des solutions, « les comédies », « en projection proche de l’Opéra »
(Hatchuel et Weil 2002; Hatchuel 2002). Ce genre de partitionnement est
nommé partition restrictive dans la théorie C – K. En particulier, une
partition restrictive ne change pas la définition des solutions sur lesquelles
elle opère (Hatchuel et Weil 2002).
Cependant, il n'est pas possible d'engager un travail de conception
exclusivement par des partitions restrictives puisque l'ensemble de solutions
n'est pas défini mais est à construire. Sinon nous serions contrainte à choisir
parmi les solutions qu'on n'a pas encore construites ! Il est donc nécessaire
d’utiliser un autre moyen, qui n'existe pas dans les méthodes de types SEP.
Dans la théorie C – K, une telle opération est appelée partition expansive.
Une partition expansive ajoute une propriété à la définition d’un concept telle
qu’il n’existe pas de connaissance dans K qui affirme que la propriété ajoutée
est une propriété connue du concept en question. Ainsi, « appartement avec
coin cuisine » est une partition restrictive pour « appartement » tandis que
« appartement mobile » en est une partition expansive, puisque « mobile »
n’est pas une propriété connue des appartements dans K.
3.3.4 K-expansion
Dans le cas où aucune connaissance utile ne peut être activé par un concept,
il s'agit d'une nécessité d'expansion de K. Cela peut revêtir de divers formes
mais requiert la consultation des sources externes (un expert, un consultant,
des encyclopédies, des bases de données, etc.) (Hatchuel et Weil 2002).
42
3.4 Raisonnement et Déplacement entre les espaces : Opérateurs
de la théorie C – K
3.4.1 Déplacements de C vers K
Le concept active l'espace des connaissances pour récupérer des connaissances
pertinentes. Ceci pourrait se passer dans le but de donner un statut logique à
celui-ci, ou de l'évaluer, ou encore, de le partitionner ou départitionner.
Reprenons le concept « bateau qui vole ». Nous savons ce que c'est un
bateau ou voler ; mais un bateau qui vole parait être une contradiction et
nous ne savons pas en donner une définition précise. Alors, les connaissances
sont activées afin d'en savoir plus sur comment un bateau qui vole peut
exister (ou même si on veut/doit le concevoir). Nous pouvons aussi dire qu'un
opérateur C K→ transforme un concept en une question; « un bateau qui
vole peut-elle exister ? » ou « comment un bateau qui vole peut-il exister ? »
Les opérateurs C K→ et K C→ tente de répondre à ces questions. Qu'est-
ce qui se passe si aucune connaissance n'est activée ? Une des possibilités
serait d'étendre K par une opération K K→ . Ou alors de réviser le concept
par un déplacement C C→ , soit pour départitionner celui-ci.
3.4.2 Déplacements de K vers C
Une fois des connaissances qui sont considérées comme pertinentes sont
trouvées, on retourne au concept étudié par une opération K C→ , pour le
partitionner ou le départitionner. Dans le cas d'un partitionnement, soit nous
modifions le concept par une partition expansive, soit nous opérons une
partition restrictive. La départitionnement se produit lorsque le concept
n'active aucune connaissance dans K et lorsqu'il n'a pas été possible d’étendre
K par une opérationK K→ . Dans ce cas, nous passons à un concept dont le
concept de départ est une partition (e.g. on peut passer à un concept plus
abstrait « véhicule marine et aérienne » en départitionnant « bateau qui
vole »).
3.4.3 Déplacements de K vers K
Ce genre de déplacement a pour but de remanier ou d'étendre l'espace K.
Dans certain cas, il s’agit de l’activation d’une connaissance. Dans d'autres
43
cas, il s'agit d'une déduction logique ou une association entre les
connaissances.
3.4.4 Déplacements de C vers C
Il s'agit d'un déplacement dans l'espace des concepts. Nous comprenons cette
opérateur comme « la trace » d'une série d'opérations. Elle traduit la
transition d'un concept C à une partition de ce concept, C’ , plus riche en
propriétés ou la sélection de l'élément définitionnel à partir duquel va s'opérer
une partition, e.g., sélection de « qui vole » dans le concept « bateau qui
vole ».
3.5 Propriétés des processus de conception
3.5.1 Créativité et le rejet de l’axiome de choix
Le rejet de l’axiome de choix pour l’espace des concepts est fondamental pour
la théorie. Il est acclamé que c’est grâce à ce rejet qu’il est possible
d’introduire de nouvelles propriétés dans la définition des concepts et donc,
d’innover (Hatchuel et Weil 1999, 2002, 2003). En fait, un concept, par son
absence de statut logique, est une entité partiellement définie. Lorsqu'on parle
d'un « bateau qui vole », l'imprécision pesant sur la définition de ce concept
crée une richesse sémantique. Même si nous connaissons certaines des
propriétés d'un « bateau qui vole », nous ne connaissons pas toutes ses
propriétés et donc on peut le définir de plusieurs manières.
3.5.2 Co-évolution des espaces C et K
Pendant la conception, d’un coté l’espace, C est étendu par des partitions
expansives, de l’autre coté, l’espace K élargit par des K-expansion. Ainsi, le
processus de conception est la co-évolution de deux espaces expansibles par
l’application des opérateurs. En réalité, les deux types d’expansions ont des
liens forts. Lorsqu’une partition expansive est effectuée en C, cela peut
obliger le concepteur de créer de nouvelles connaissances par des K-
expansions. D’une manière semblable, les nouvelles connaissances peuvent
entraîner l’introduction des propriétés précédemment inconnues dans la
définition des concepts et donc causer des expansions de C.
44
3.5.3 K-Relativité de l’espace C
L'espace des concepts est indissociable de l'espace des connaissances puisque
sa définition dépend de celle-ci. Par conséquent, un concept n’en est pas un
dans l’absolu : Deux concepteurs possédant deux espaces K différents peuvent
produire des concepts différents. Ainsi, « aspirateur sans sac » peut être un
concept pour un concepteur de la société Rainbow ou General Electric ; il
n’en est pas pour autant pour un concepteur de Dyson (2000). Nous parlerons
de K-relativité d'un concept (Hatchuel et Weil 2002).
3.5.4 K-validation
Dans les méthodes de type branch&bound, le critère d'évaluation est fixe et
connu au départ du processus. Elle est indépendante du processus lui-même.
Dans la théorie C – K, cette stabilité disparaît pour laisser place à la notion
de « K-validation ». La K-validation est l'opération ou suite d'opérations qui
permet d'appréhender si un concept est une fiction ou non, si elle est
réalisable (Hatchuel et Weil 2002). C'est l'utilisation des connaissances en K
activées à partir de C pour évaluer la faisabilité d'un concept. Une K-
validation peut entraîner une expansion de l'espace K, puisque les
connaissances nécessaires pour confirmer ou infirmer si un concept est faisable
ou préférable peuvent ne pas être immédiatement disponible.
3.5.5 Nécessité de distinction entre les espaces
Basée sur les notions clefs que nous venons d’exposer, la théorie C – K défend
la proposition fondamentale suivante : tout raisonnement de conception
suppose la distinction entre deux espaces, l'espace C des concepts et l'espace
K des connaissances (Hatchuel et Weil 1999, 2002).
45
3.6 Exemples et discussion
Dans ce paragraphe, nous allons tenter d’illustrer de quelle manière la théorie
C – K peut décrire un processus de conception en nous servant des exemples
d’aspirateur sans sac, conçu par Dyson (2000) et du déchiffrement des
hiéroglyphes par Champollion (1822). Le but des exemples n’est pas de
décrire ce qui s’est passé réellement dans ces processus, mais plutôt, de
montrer comment et dans quel mesure les notions proposées par la théorie C
– K peuvent être utilisées pour décrire un processus de conception (comme
pour l’aspirateur sans sac) ou un processus de raisonnement (comme pour les
hiéroglyphes).
3.6.1 Un aspirateur sans sac
Supposons qu’un concepteur a une certaine connaissance sur les aspirateurs,
comment ils sont conçus, comment ils fonctionnent. Il sait en particulier que
les aspirateurs ordinaires qui utilisent un sac comme filtre perdent de leurs
puissances de succion quand les trous du sac sont remplis par la poussière ;
Figure 3.3. Il formule un premier concept; un aspirateur avec une succion
continue. Est-ce un concept ? Oui. Dans l’espace K un tel objet n’apparaît
pas; cependant, aucune connaissance de K n’implique que ceci n’est pas
possible.
Une fois ce concept formulé, il va activer certaines connaissances de K sur les
aspirateurs et sur la puissance de succion. En fonction de la connaissance du
concepteur et les connaissances actives, le processus peut prendre diverses
directions. Par exemple, le concepteur peut vouloir explorer si un aspirateur
peut avoir une succion continue en utilisant un sac comme filtre. Alors, par
une partition restrictive – il est connu que les aspirateurs peuvent avoir des
filtres – il peut ajouter dans sa description « filtrage par sac ». S’il continue
dans cette direction, cette fois, le concept C0+p1 va activer de nouvelles
connaissances sur les propriétés des aspirateurs utilisant des sacs comme
filtre.
46
Figure 3.3 Un aspirateur sans sac
Sur la base de ces connaissances, le concepteur peut essayer de trouver des
moyennes pour contourner la perte de puissance de succion, en partitionnant
avec des propriétés telle que « sac jetable » ou « puissance de moteur
ajustable ».
Une partition plus intéressante serait « filtrage sans sac ». Le concepteur
pourra envisager une telle partition simplement pour éviter l’élément qui
cause le problème. Comme cette propriété n’est pas une propriété connue des
aspirateurs, la partition correspondante est une partition expansive. Pour la
même raison, le concept va tenter d’activer des parties de l’espace K qui ne
sont pas activées habituellement dans un contexte de conception
d’aspirateur ; Figure 3.4. Qu’est-ce qui peut être utilisé comme filtre autre
qu’un sac ? Qu’est-ce que c’est « filtrer »? Comment peut-on filtrer
différemment? Si des réponses à ces questions ne peuvent pas être trouvées,
alors la conception ne pourrait pas continuer avec ce concept. Dans un tel
cas, soit il y aura une départition pour revenir à un concept plus abstrait,
soit la conception va s’arrêter, du moins, momentanément.
47
Figure 3.4 Un aspirateur sans sac (continué).
Si des réponses pertinentes peuvent être trouvées, alors l’espace K va être
étendue pour inclure ces nouvelles connaissances. En d’autres termes, le
concepteur va apprendre. Pour notre exemple, considérons que le concepteur
a étendu son savoir avec de nouvelles connaissances sur d’autres types de
filtres que des sacs qui permet d’effectuer la partition « filtrage par écran
poreux ». Une partition encore plus intéressante est la partition « filtrer sans
filtrer » ; c'est-à-dire filtrer sans utiliser un filtre ou un intermédiaire qui
cause les mêmes problèmes de performances. Ceci est aussi une partition
expansive. Le concepteur, sachant que c’est les propriétés inhérentes de ce
genre de filtres qui causent inévitablement la perte de puissance, essaie par
une telle partition d’explorer des moyennes équivalentes de séparer l’air de la
poussière sans utiliser de filtre. Là encore, si le concepteur peut acquérir ou
générer la connaissance sur les nettoyeurs à centrifuge, basé sur le principe de
cyclone (largement utilisé dans l’industrie), il lui serait possible de continuer
à explorer et à élaborer le concept d’aspirateur sans sac, juste comme Dyson
(2000).
48
Figure 3.5. Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes.
Notons que suite à l’expansion de l’espace C, l’espace K est aussi
expansionné. De nouvelles connaissances y apparaissent. En particulier, les
connaissances concernant le modèle Double Cyclone sont maintenant
présentes. Il s’agit d’une conjonction sémantique. Nous observons aussi que
les deux espaces évoluent en même temps ; la conception se produit bien avec
la co-évolution de ces deux espaces.
A l’évidence, l’exemple réduit grandement la complexité du processus réel : il
à fallu à Dyson plus de 5000 prototypes et 20 ans pour aboutir au modèle
Dual Cyclone D05. Néanmoins, il permet d’illustrer les concepts de base de la
théorie.
3.6.2 Déchiffrement des hiéroglyphes
Nous avons vu dans l’exemple précédent que les concepts de la théorie C – K
peuvent être utilisés pour décrire le raisonnement dans un processus de
conception. Mais ce genre de raisonnement est-il propre uniquement aux
processus de conception ? Hatchuel et Weil (2002) revendique que la théorie
C – K est une théorie de raisonnement, au sens le plus fort du terme.
49
Figure 3.6. Pierre de la Rosette dont une partie est connue, l’autre à déchiffrer.
Nous allons essayer d’illustrer à travers un autre exemple que les mêmes
notions utilisées dans l’exemple précédent permettent aussi de décrire le
déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion (1822). L’exemple nous
permettra aussi d’illustrer quelques points complémentaires sur la théorie
ainsi que de discuter certaines pistes de développements ouvertes.
A l’époque où Champollion a commencé à travailler sur les hiéroglyphes,
l’avis dominant était que les hiéroglyphes sont idéographiques. Cet avis
découlait principalement du fait que les hiéroglyphes sont des représentations
des objets concret tels que des oiseaux, le soleil ou des processus observables,
e.g. marcher. Quand Young a déchiffré la cartouche de Ptolémée, un autre
avis, celle qui revendiquait que les hiéroglyphes sont phonétiques, a gagné en
poids (La Couture 1988).
C’est en ce moment que Champollion a commencé à suspecter que les
hiéroglyphes étaient à la fois phonétiques et idéographique. Il étudia la pierre
de la Rosette, un monument qui contenait le même texte en hiéroglyphe, en
hiératique et en grec, deux langues que Champollion maîtrisait parfaitement
(La Couture 1988).
50
Figure 3.7 Le raisonnement dans le déchiffrement des hiéroglyphes (continué).
Son étude lui montra qu’il y a avait 486 mots grecs comparés à 1419
hiéroglyphes représentant 180 signes différentes (La Couture 1988). Il a alors
envisagé que les hiéroglyphes était à la fois phonétiques et idéographiques.
Alors, il a commencé à étudier l’inscription de Philae sous cette hypothèse.
En utilisant les résultats de Young, il déchiffra la cartouche de Cléopâtre
(Champollion 1822). Il conclut que les égyptiens dénotaient les noms des
empereurs étrangers lettre par lettre où chaque lettre était représentée par un
hiéroglyphe correspondant à un objet dont la prononciation du nom
commençait par cette lettre. Il avait maintenant à sa disposition douze lettres
de l’alphabet et donc un point de départ. Ces résultats lui ont servi de base
et ainsi, Champollion a entrepris une étude systématique des monuments et
manuscrits égyptiens qui a constitué la base de l’égyptologie.
51
Figure 3.8. « Hiéroglyphes » forme-t-il un concept en soi ?
Quel est le concept de départ dans cet exemple ? Pourrons nous prendre
comme concept C0 : Les hiéroglyphes sont idéographiques et phonétiques ? A
l’époque, les deux point de vues « Les hiéroglyphes sont idéographiques »
ainsi que « Les hiéroglyphes sont phonétiques » existaient et Champollion les
connaissait (La Couture 1988). Cependant, personne ne devinait avant ses
travaux que les deux étaient le cas à la fois. Est-ce suffisant pour appeler C0
un concept ? Les propriétés « phonétiques » et « idéographique » sont
connues, toutefois, leur conjonction ne l’est pas. Mais que dire des
« hiéroglyphes » ? A part quelques symboles déchiffrés par Young rien
n’était connu à l’époque sur les « hiéroglyphes ». Or, compte tenu de sa
définition actuelle, pour qu’une disjonction sémantique ait lieu, tous les
termes de la proposition doivent être connus dans K. En fait, nous pourrons
poser le problème différemment ; Figure 3.8. Se peut il que les hiéroglyphes
forme un concept en soi ?
Avant Champollion et Young, « C1 : Les hiéroglyphes sont idéographiques »
avait été considéré mais pas de connaissances avaient été produites à partir
de cette proposition. A partir de la proposition « C2 : Les hiéroglyphes sont
phonétiques » Young a réussi a produire certaines connaissances. Et
Champollion a continué sur la base des connaissances produites par Young à
partir de la proposition C0. Nous pouvons poser cela différemment et dire que
la racine de ces travaux est plutôt C0’ ; Figure 3.8. Il n y a pas de
contradiction et il n’existe pas de connaissance sur les hiéroglyphes. Mais, il
52
existe des acteurs qui essaient de produire des connaissances sur C0’ par un
processus de raisonnement.
Par ailleurs, dans ce processus, nous voyons plusieurs points communs avec
d’autres processus de conception. A partir des propositions inconnues dans K
de nouvelles connaissances sont produites (le sens des textes de la cartouche
de Ptolémée, de la Pierre de Rosette, etc.) ce qui en retour permet de
formuler de nouvelles propositions (l’attribution d’une signification ou d’un
son à des symboles). Les deux espaces s’influencent mutuellement et à la fin,
la proposition étudiée devient une connaissance (désormais, les hiéroglyphes
sont connus). Compte tenu de ces similarités, nous pensons que la théorie C –
K peut décrire ce type de processus de raisonnement à condition de modifier
la définition de disjonction sémantique : « une disjonction sémantique a lieu
lorsqu’un processus de raisonnement est initié à partir d’une proposition
inconnue dans l’espace K » en éliminant la condition d’être une conjonction
dont les termes sont connues dans l’espace K.
En fait, nous pensons que cette distinction « une conjonction inconnue des
termes connus versus un terme inconnu » caractérise des processus de
conception de types différents. Dans le premier cas, il s’agit d’un processus de
conception usuel dont on a l’habitude de voir en ingénierie ou en architecture.
Ce sont des processus de conception de type création. La proposition à partir
de laquelle le travail commence est formée volontairement ; on cherche
explicitement une création. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un processus de
conception de type compréhension. La proposition qui démarre le processus
provient de l’extérieur de K et les connaissances sont utilisées afin de
concevoir un sens, de l’interpréter. Nous pensons qu’en dehors de cette
caractéristique, les deux types de raisonnement ont les mêmes propriétés et
donc peuvent être décrit par la théorie C – K. D’après tout, n’est-il pas
possible de voir un processus de conception de type création comme un
processus où on cherche volontairement à comprendre un concept
autrement ? De la même manière, un processus de type compréhension ne
s’agit-il pas en fin de compte d’un processus de création d’une signification
pour l’inconnu ?
53
Par ailleurs, le lecteur pourra remarquer que, dans la Figure 3.7, nous avons
placé dans l’espace C, l’inscription de Philae et la partie hiéroglyphique de la
Pierre de la Rosette. Il est possible de considérer que nous avons deux
concepts différents. Peut-il y avoir deux ou plusieurs conceptions en
parallèle ? La théorie C – K ne l’interdit pas et nous savons que des projets
de conception menés en parallèle existent et parfois, ils sont même reliés. A
priori, il ne serait pas difficile de représenter de tels cas dans la théorie C –
K ; considérer plusieurs espaces C en parallèle ou plusieurs concepts dans le
même espace paraissent être les solutions possibles pour représenter ces cas
en ce qui concerne des raisonnement de conception.
Nous devons aussi souligner le point suivant. Des chercheurs qui ont travaillé
sur les résultats de Champollion (pour déchiffrer d’autres textes ou pour
confirmer ses résultats) ont découverts qu’il avait commis quelques
erreurs (La Couture 1988)! Ce qui est intéressant concernant ce point, c’est
que ceci a été découvert par ces chercheurs en utilisant les résultats de
Champollion ! De la même manière, Champollion a utilisé les connaissances
produites par Young pour dévalider le concept de départ de celui-ci. Nous
retrouvons ici l’important concept de K-relativité mais aussi d’autres choses.
La conception de Young était loin d’être complet ; Champollion a du
travailler longtemps pour mettre sur son œuvre. Et encore, d’autres sont
venus pour faire des changements sur ses résultats. Alors, nous pouvons se
poser la question : quand est-ce qu’il y a eu des conjonctions sémantiques ?
Pour chaque concepteur, suivant K-relativité, la conjonction a eu lieu quand
le travail est terminé d’après son propre K-validation. Mais, à chaque fois les
connaissances générées ont été trouvées incomplètes pour le suivant.
Remarquons que, concernant notre exemple de conception plus habituel,
l’aspirateur de sac de Dyson, une fois que Dyson a obtenu le brevet et a lancé
son entreprise, ses propres ingénieurs ont trouvé à propos de la conception de
Dyson plusieurs points à améliorer d’où sont nés les modèles à six, douze et
treize cyclons. Entre autres, ceci montre que la conception n’est jamais finie,
mais peut être suspendue (Hatchuel et Weil 1999). Aussi, remarquons-nous,
qu’il serait peut-être possible de parler d’un degré de conception. Une
conception peut être élaborée à des degrés différents, qu’il s’agisse d’un seul
concepteur ou de plusieurs.
54
Cet exemple nous a permis de monter que la théorie C – K est avant tout
une théorie de raisonnement. C’est en particulier pour cette raison que nous
pensons qu’il est raisonnable de se servir d’une théorie cognitive pour
analyser et développer la théorie. C’est ce que nous ferons à partir du
chapitre suivant.
3.7 Discussion
La théorie C – K de conception est un « concept scientifique » dont la
conception est en cours. Pour déterminer les trajectoires possibles et pour
continuer son développement nous avons besoins des directions. Dans cette
section, nous allons récapituler quelques réflexions que nous avons eu en
étudiant la théorie C – K. Ces observations et questions peuvent servir
comme des points de références pour des développements futurs de la théorie
et nous en ferons l’usage dans les chapitres suivants.
3.7.1 Concepts et connaissances
Comment définir un concept donné? La question n'est pas seulement un point
de départ central pour la théorie C – K, mais aussi un objet de débat non
résolu dans les sciences cognitives et dans la philosophie (Hampton 1999; Keil
1999). En partant de cette question, il est inévitable d’esquiver une autre :
peut-on définir un concept ? La position de la théorie C – K sur la question
est donnée par le refus de l'axiome de choix : il n'est possible d'avoir une
définition fixe pour un concept donné par une liste exhaustive de ses
propriétés durant un processus de conception. Les concepts sont évasifs et
insaisissables.
Mais, les connaissances sont-elles saisissables ? Non ! Autant, nous ne
sommes pas en mesure de donner une définition exhaustive d’un concept,
autant il n’est pas possible d’énumérer toutes les connaissances que nous
avons ! Alors, les espaces C et K sont elles vraiment disjointes ? Au fait,
qu’est-ce que signifie un espace dans ce contexte ? Qu’est-ce qu’un espace
représente ? Les différentes zones du cerveau humain ? Les différentes
composantes d’un ordinateur ? Ou des structures mathématiques avec des
propriétés différentes ? Nous allons essayer de proposer des éléments de
réponses à ces questions dans un cadre cognitif durant le chapitre suivant.
55
Précisons pour le moment que, selon nous, la différence entre un concept est
une connaissance est aussi insaisissable que la définition d’un concept !
3.7.2 Opérateurs et activations
Sur les figures des exemples, plusieurs flèches sont utilisées pour représenter
les « opérateurs » de la théorie, pour montrer comment une connaissance en
a activé une autre. Mais, quelle est la définition d'un opérateur ? Est-ce une
implication matérielle ? Une procédure qui fait appel à une autre dans des
langages de programmation par objet ? La communication verbale humaine ?
Nous pensons que la réponse ne doit pas être nécessairement unique. La
théorie C – K étant un concept scientifique ; il serait possible de la
partitionner différemment afin d’obtenir des versions moins abstraites et plus
domaines spécifiques.
3.7.3 Mécanisme de contrôle
La réponse à donner aux questions du paragraphe précédent est reliée aux
réponses à d’autres questions sur le « mécanisme de contrôle » : Quels sont
donc les règles ou les processus qui régissent l’application des opérateurs? Est
qu'ils s'appliquent séquentiellement? Ou, est il possible de les utiliser
parallèlement? Pourrait-on parler d’un algorithme de conception ? Cela
ferait-il partie des connaissances K ? Peut-on concevoir un tel algorithme ?
La théorie C – K définit les entités de bases qu’on manipule dans un
processus de conception sans pour autant expliciter les mécanismes qui gèrent
leur fonctionnement. Encore une fois, plusieurs approches non nécessairement
exclusives peuvent être avancées. Le point déterminant à ce sujet serait le
but dans lequel la conception de la théorie C – K est continuée et les
connaissances K qui seront utilisés pour faire cette conception.
3.7.4 Concepteurs et leurs environnements
Comment modéliser le cas où il y a plusieurs concepteurs ? Quand il y a
plusieurs concepteurs, il y aura autant d’espace C et d’espace K. Comment
ces espaces interagissent ? Dyson a découvert le principe de cyclone en
observant un employé, lors d’une visite d’atelier d’une entreprise et dans un
contexte complètement sans rapport avec ses travaux sur les aspirateurs
56
(Dyson 2000). Champollion, a utilisé les résultats de Young et certains objets
physiques (cartouches, papyrus, etc.) pour continuer ses études.
Qu’il s’agisse d’un projet de conception ou d’un autre type de raisonnement,
l’environnement a un rôle indéniable pour celui qui se raisonne. L’interaction
de multiples espaces C et K passe par l’environnement. Ces espaces C et K
sont dans un environnement ! Nous pensons qu’une manière d’éclairer les
réponses aux questions qui concernent les concepts, les connaissances, les
opérateurs et le mécanisme de contrôle serait d’étudier la théorie C – K dans
le cadre de la relation des concepteurs avec leurs environnements.
Dans les chapitres suivants, nous utiliserons le corps de connaissance produit
dans la littérature de Cognition Située, pour apporter notre point de vue sur
ces questions.
57
Alors, qu’est-ce que c’est la cognition?
Je ne sais pas; tu ne sais pas. Personne ne le sait !
Et tel est l’état de l’art que si Dieu venait nous le dire,
aucun d’entre nous ne l’aurait compris !
Jerry FODOR
(en réponse à Steven Pinker)
Chapitre 4. L’environnement et la théorie C/K/E
Durant ce chapitre, nous allons proposer une version de la théorie C – K qui
prend en compte l’environnement de l’agent qui conçoit. D’abord, nous allons
essayer de montrer que le rôle de l’environnement dans l’activité de la
conception est capital et qu’il est nécessaire de l’inclure dans la théorie C –
K. Ensuite, nous allons revoir quelques travaux de recherche en conception
qui se sont focalisés sur la nature de la relation du concepteur avec son
environnement. Nous allons voir qu’un concepteur est « situé », c’est-à-dire
son raisonnement dépend fortement de l’environnement. Après avoir ainsi
discuté le rôle et l’importance de l’environnement pour la conception, nous
allons utiliser des idées de la Cognition Située pour modifier la théorie C – K
et introduire un espace E de l’environnement.
4.1 Le rôle de l’environnement
Nous verrons dans cette section que la conception est une activité située ;
c’est à dire, les concepteurs conduisent leurs activités en interaction avec
leurs environnements. Durant la conception, ils agissent sur l’environnement
et, en retour, ils sont influencés par l’environnement. Les concepteurs, après
avoir effectué des actions pour changer l'environnement (par exemple, en
esquissant), observent et interprètent les résultats de ces actions et décident
comment agir pour la suite (Schön et Wiggins 1992; Gero 1998; Suwa et al.
1999). Considérons les résultats principaux des recherches basées sur des
travaux empiriques qui soutiennent que la conception est une activité située.
58
4.1.1 Le concepteur et l’environnement
L’environnement est un médium important pour faire avancer le travail de
conception (Schön et Wiggins 1992; Gero 1998; Suwa et al. 1999). Les
concepteurs agissent sur l’environnement pour y créer une représentation
(une maquette, un croquis, un modèle informatique en 3D) du concept qu’ils
ont dans leurs esprits. En même temps, ils observent les résultats des
changements qu’ils ont effectués et la représentation externe ainsi créée pour
voir si cette dernière reflète le concept en cours de création. Il arrive que la
représentation externe, telle qu’elle est perçue, soit différente de ce que le
concepteur avait l’intension d’externaliser (Schön et Wiggins 1992; Suwa et
al. 1999). Dans ces cas là, le concepteur peut défaire les changements afin de
recommencer pour mieux refléter ce qu’il a en tête. Mais aussi, l’observation
peut donner de nouvelles idées quant à la façon de continuer le travail ; au
quel cas, le concept initial est modifié et le travail suit une autre direction.
C'est par des réinterprétations des externalisations que la conception avance.
Le concepteur et l’environnement sont donc intrinsèquement liés l’un à
l’autre.
4.1.2 Interaction de faire et voir
L’architecture est parmi les plus anciens domaines de conception ; il est
possible d’y retrouver toutes les caractéristiques des activités de conception.
Schön (1983), dans son livre où il s’intéresse à l’acquisition et à l’application
de la connaissance experte chez les praticiens de différents métiers
(psychiatres, employé social, architecte, ingénieur, etc.), analyse le travail des
concepteurs en observant l’activité des architectes. En premier, il souligne
que l’on ne peut étudier le travail du concepteur séparément des matériels
qu’il utilise. Ces matériels forme le médium par lesquels la conception avance.
L’interaction d’un concepteur avec ces matériels est complexe du fait
d’innombrables actions potentielles, de normes et des relations de ceux-ci.
Pour cette raison, l’action du concepteur mène parfois à des conséquences
inattendues ; des conséquences qui peuvent être jugées bien ou non par le
concepteur. Dans les deux cas, ces conséquences influence l’appréciation et la
compréhension de la situation résultante par le concepteur et donc influence
ses actions subséquentes. Schön décrit cette interaction comme
59
une conversation réflexive du concepteur avec la représentation externe du
concept et la situation de conception.
La conversation est réflexive car la situation incorpore des éléments
inattendus et donc elle force le concepteur à réfléchir sur ses actions pendant
son action. Schön introduit le terme réflexion-dans-l’action pour référer à ce
type de processus. Nous ne pouvons pas voir ces situations comme des
processus d’essai-erreur car les actions sont intentionnelles et raisonnées, des
plans sont formulés, des conséquences estimées. Nous devons aussi distinguer
la réflexion-dans-l’action de la réflexion-sur-l’action, qui a lieu après l’action
où le praticien conduit une réflexion sur ses actions, leurs raisons et leurs
conséquences. Schön revendique que la réflexion-dans-l’action facilite le
développement des compétences professionnelles. Dans le contexte de la
réflexion-dans-l’action, le praticien devient un chercheur, libéré des théories
et des techniques préétablies et en mesure de construire ses propres théories
et façons de faire. Les nouvelles connaissances ainsi établies sont testées et
ajustées sur le champs ce qui améliore le résultat de l’apprentissage par
rapport à la réflexion-sur-l’action.
Schön et Wiggins (1992) ont bâti sur cette recherche, en analysant le travail
d'un group d'étudiants lors des processus de conception. Ils se sont rendus
compte que ceux-ci, en examinant leurs propres croquis, perçoivent des
aspects qu'ils n'ont pas mis là intentionnellement. Découvrant ces aspects
inattendus, les concepteurs décident s'ils vont adopter ces aspects et les
incorporer dans leurs conceptions ou les rejeter et explorer d'autres directions.
Ceci signifie que les concepts sur lesquels les concepteurs sont en train de
travailler peuvent changer selon ce qu'ils voient, ce qui est une fonction de
ceux qu'ils ont fait. De ce fait, les deux auteurs ont caractérisé le processus
de conception comme une interaction de faire et de voir. Cette interaction
devient possible par l’engagement du concepteur avec son environnement, et
plus spécifiquement, avec les matériels dont il fait usage pour continuer son
activité.
60
4.1.3 S-inventions et découvertes inattendues
Suwa et al. (1999) ont entrepris un travail dont les résultats soutiennent les
résultats de (Schön et Wiggins 1992). Un groupe d’étudiant en architecture
ont été demandés de préparer une conception architecturale et leurs travaux
ont été analysés par des études de protocoles. Ils ont étudié la notion de
découvertes inattendues (unexpected discoveries, UXDs) et leurs relations
aux S-inventions (S pour « situé »),
Les S-inventions sont définies comme la génération des buts ou des
spécifications pour la première fois pendant le processus de conception.
Puisque de telles formulations se produisent en interagissant avec la situation
de conception, elles sont situées dans ce processus. Les UXDs corresponds à
la réalisation d’un aspect de la représentation (externe) de concept d’une
manière inattendue. Ceci peut être le cas si l’aspect n’a pas été introduit
intentionnellement. Leurs résultats indiquent une co-relation bidirectionnelle
entre les S-inventions et l'UXDs. D’après les résultats de Suwa et al. (1999),
les S-inventions peuvent entraîner des UXDs, ce qui en retour peuvent
donner lieu à des S-inventions.
4.1.4 Environnement comme moyen de réconceptualisation
Externaliser des concepts provient de la nécessité de donner une structure,
une forme à une idée qui, sans cette externalisation, ne serait qu'une idée
avec des contours flous, une image tremblante. Pour cette raison, pendant
longtemps les sciences cognitives ont considéré que l'externalisation était
nécessaire comme une mémoire active additionnelle. Mais, comme nous les
voyons dans les travaux récents, c'est aussi un moyen de réconceptualisation
(Bilda 2006; Bilda et Purcell 2003; Suwa et al. 1999). Une fois externalisée, la
structure est prête à être interprétée et évaluée en utilisant toute sorte de
connaissances qui peuvent être activées à partir de celle-ci. L'effort pour la
structuration étant réduit au minimum, des ressources cognitives deviennent
libérées et elles peuvent maintenant être utilisées pour la mobilisation des
connaissances pertinentes, pour l’élaboration ou l’évaluation. La
réinterprétation et l'évaluation peuvent modifier les objectifs du concepteur
quant à son travail du fait de sa nature située
61
4.1.5 Environnement comme moyen de communication
L’activité de conception est, le plus souvent, collective. La réussite d’un
projet de conception dépend de la capacité de ces participants à échanger les
connaissances, à collaborer pour en produire de nouvelles (Rosenman et Gero
1996; Darses et Falzon 1996; Hatchuel 1996; Maher 1999; Ciavaldini 1996;
Maher et al. 2000; Austin et al. 2001; Valkenburg et Dorst 1998). Et sans
exception, toute medium imaginable nécessaire à cette interaction nécessite
un environnement qui permet le partage. Remarquons que, étant donnée la
perspective de notre travail, la représentation de l’environnement est
nécessaire pour permettre la communication de l’outil avec le concepteur, un
entité en dehors de l’outil et donc dans son environnement.
4.1.6 L’environnement et la théorie C – K
Il est facile de voir que nous ne pouvons complètement nier l'existence de
l'environnement dans la théorie C – K sans rendre impossible l'acquisition des
connaissances : d'où viennent-elles les premières connaissances de l'agent ? Si
on fait l'hypothèse qu'elles proviennent d'un premier processus de conception,
alors on est obligé à admettre qu'une disjonction sémantique a été opérée au
départ. Mais les termes de la disjonction sémantique doivent être connus
dans l'espace K ! Par contre, rien n'est connu à cette étape ; l'espace K
n'existe pas encore ! Comment avancer donc ? Nous voyons que nous sommes
obligé à prendre en compte l'environnement externe de l'agent.
En fait, la théorie ne nie pas l'existence de l'environnent ; au contraire, elle
admet qu'une opération K K→ peut faire intervenir l'environnement (sous la
forme d'une base de donnée, un expert à consulter, etc.) (Hatchuel et Weil
2002). Seulement, elle ne la représente pas explicitement. Cependant, nous
venons de voir que l’environnement a une influence directe et indéniable sur
l’acte de concevoir. Dans ces conditions, pour rendre compte de la création et
la modification des concepts par un concepteur, nous devons admettre et
représenter l'environnement. Ne serait-ce que, parce que dans le cas contraire,
cela reviendrait à dire que la théorie ne s'intéresse qu'aux cas où le concepteur
conçoit dans son esprit sans jamais externaliser ce qu'il conçoit ! Bien qu'une
62
telle conception soit possible, elle a peu d'intérêt pour créer des outils d'aide à
la conception et pour aider des concepteurs.
4.2 La nature située de la cognition
Nous venons de voir que l’environnement a un impact fondamental sur l’acte
de concevoir. Afin d’incorporer l’environnement dans la théorie C – K, nous
ferons usage des notions de la Cognition Située qui met l’environnement au
centre du développement cognitif et l’activité d’un agent. Avant de
commencer, nous devons noter que plusieurs termes introduits dans cette
section, tels que la perception, la conception, l’interprétation et la
focalisation, sont difficile à définir avec précision et sont des sujets de
recherche à part entière (Bach 1999; Baddeley 1999; Keil 1999; Holyoak 1999;
Gibbs 1999; Albright et Neville 1999; Theureau 2004; Gallistel 2002; Clancey
1997; Anderson 2003). Notre but n’étant pas une discussion ou un
développement théorique de ces notions, nous nous limiterons à la
présentation des notions de bases à un niveau de description où il existe un
consensus général, du moins au sein du courant de la Cognition Située.
Le dictionnaire Larousse définit la cognition comme « former une image, une
idée ou un concept dans l’esprit ». La Cognition Située est une courant de
recherche qui étudie comment une idée ou un concept est formé dans l’esprit
en plaçant la relation de l’individu avec son environnement au cœur de
l’étude de la cognition (Anderson 2003; Brooks 1990, 1991b, a; Clancey 1997;
Seifert 1999; Smith 1999; Suchman 1987; Theureau 2004; Riegler 2001;
Ziemke 2001). La cognition a lieu grâce à l’engagement physique de l’agent
avec son environnement. L’existence corporelle d’un agent cognitif dans un
environnement affecte son développement et son existence cognitive d’une
manière directe (Lakoff et Johnson 1999; Clancey 1997). En fait, l’esprit se
développe par les relations que l’individu établit avec son environnement. Un
agent cognitif apprend à « être » dans un environnement. Par conséquent,
non seulement il apprend à se conformer à l’environnement, mais il apprend
aussi à utiliser l’environnement comme un moyen d’être. Dans ces conditions,
les actions et le raisonnement de l’individu n’ont un sens que par rapport à
son environnement et ne peuvent être étudié séparément de la situation dans
laquelle l’agent se trouve (Suchman 1987).
63
La place que la Cognition Située accorde à l’environnement dans le
développement de l’esprit peut paraître naturelle et évidente.
Paradoxalement, les sciences cognitives ont longtemps ignoré l’influence de
l’environnement sur la cognition.
4.2.1 La Cognition Située : une réaction au Cognitivisme
Jusqu’aux années 80, le paradigme dominant dans les sciences cognitives était
ce qu’on appelle aujourd’hui le cognitivisme. Le Cognitivisme voit le corps et
sa relation à l’environnement comme secondaire ou même superflu. Sur ce
point, il rejoint le Cartésianisme où le corps est vu comme un intermédiaire
entre le monde physique et la connaissance. Cet intermédiaire est à la fois
nécessaire, pour la sensation de ce monde physique, et inacceptable, par le
biais qu’il introduit dans l’interaction avec le monde (Anderson 2003).
La caractéristique la plus saillante du Cognitivisme est sa conception de
l’intelligence en termes de manipulations de symboles par des règles explicites
(Theureau 2004; Anderson 2003). Son hypothèse centrale est « tout système
qui est capable de se représenter des symboles et de les manipuler par des
règles possède les moyens nécessaires et suffisants pour une action intelligente
de caractère général » (Newell et Simon 1972). Du point de vue du
Cognitivisme, le contenu ou le sens des symboles est sans importance, ainsi
que l’agent qui porte les connaissances ou l’intelligence. La cognition consiste
en des opérations logiques sur des représentations symboliques implantées
indifféremment dans un cerveau ou un ordinateur. Ainsi, la cognition est
détachée de l’environnement au sens que la pensée peut être pris en isolation
de l’action et de la perception. Cette conception de l’intelligence est
accompagnée d’une quête de rationalité générale, indépendant de toutes
individus, applicables en toutes circonstances (Smith 1999).
La Cognition Située est née comme une réaction au cognitivisme (Dreyfus
1979; Suchman 1987; Brooks 1990, 1991a, b; Seifert 1999; Smith 1999;
Anderson 2003). Le critique central était que l’intelligence naît de
l’interaction de l’individu avec son environnement et donc la cognition ne
peut être détachée de l’environnement. Un agent cognitif peut agir
différemment dans des situations différentes, de même que deux agents
64
différents peuvent agir différemment dans la même situation. Et donc,
l’intelligence ne peut être isolé de l’agent qui la possède. Ainsi, l’intelligence
ne peut être conçue indépendamment de l’agent, ni des situations dans
lesquelles il s’est trouvé et il a agi. La cognition, et donc toutes ses fonctions
principales (e.g. le langage, le raisonnement, les fonctions motrices) se
développent en réponse aux exigences de l’environnement. Nous pourrons
même dire que la cognition a lieu en utilisant l’environnement comme un
outil, un moyen d’amorcer son activité. Par contraste au cognitivisme, la
Cognition Située met l’accent sur l’existence physique en acclamant que la
présence corporelle de l’individu et son interaction avec l’environnement est
essentielle pour étudier la cognition. L’environnement structure, conditionne
et supporte les processus cognitifs. Le raisonnement n’est pas un but en soi,
mais il sert de base pour choisir les actions qui permettront d’agir sur
l’environnement pour créer des effets désirables (Ziemke 2001; Riegler 2001;
Seifert 1999; Smith 1999; Clancey 1997).
La Cognition Située propose donc une autre approche à la cognition, plus
Heideggérien, qui tente de réconcilier l’agenceté avec l’environnement dans
lequel l’agent évolue (Anderson 2003). La Cognition Située est l’étude de la
façon dont les connaissances de l’agent se développe en tant que des moyens
de coordonner l’activité pendant l’activité même. Ce que l’agent perçoit de
l’environnement, comment il conçoit son activité et ce qu’il fait dans
l’environnement développent ensemble (Clancey, 1997). Cette idée nous
renvoie aux étroites relations entre la perception, l’action et la
conceptualisation.
4.2.2 Perception, conceptualisation, action
Le développement et le fonctionnement de l’esprit humain dépendent
fortement de processus de perception et d'action. Perception fournit
l’information pour l’action et l’action génère des conséquences qui informe la
perception (Gibson et al. 1999; Clancey 1997).
La perception est le processus par lequel l’agent fait sens de son
environnement et de soi-même. Ce processus construit les percepts ; ils sont
construits sur la base des sensations pour percevoir la structure de
65
l’environnement et les relations de causalité (Gibson et al. 1999). En
particulier, l’agent perçoit les résultats de ses actions et il devient capable de
juger s’il a pu changer l’environnement d’une manière qui lui convient vis-à-
vis des ses objectifs. La construction des percepts peut être influencée par
différentes connaissances que l’agent possède comme des concepts, des
émotions, et même d’autres percepts récemment construits. Ainsi, les
percepts formés peuvent influencer la construction des percepts subséquents.
Et donc, la construction des percepts peut aussi être biaisée par des percepts
déjà activés.
Ce qui est perçu de l’environnement va souvent entraîner l’action. Dans
l’approche située de la cognition, l’action consiste, la plus part du temps, à la
mobilisation et l’utilisation des ressources offertes par l’environnement d’une
manière opportuniste et improvisée ; il est relativement rare qu’un agent
cognitif forme un plan pour accomplir une tâche et qu’il le suit du début à la
fin, sans s’intéresser à ce qui se passe dans l’environnement (Suchman 1987;
Brooks 1991a, b). Suchman (1987) revendique que, si l'action a pu apparaître
comme suivant des plans établis en vue d’atteindre un objectif, c'est grâce à
une illusion rétrospective, celle qui est engendrée par les récits réflexifs que
nous faisons de nos actions. Cette illusion rétrospective, c'est que nous
croyons que les descriptions que nous effectuons de nos actions, qui nous
apparaissent comme des récits suivant un plan, rendent compte de la
production (ou genèse) de ces actions.
La perception et l’action interagissent avec les concepts que l’agent possède.
Dans la philosophie classique et le linguistique, les concepts existent par eux-
mêmes et avec des propriétés qui sont indépendantes de l’agent cognitif qui
les possède. Dans les sciences cognitives, les concepts font parties des
connaissances d’un agent (contrairement aux propositions de la théorie C –
K ; nous reviendrons sur ce point).
A part les concepts décrivant les objets ou entités physiques du monde
extérieur, comme chaise ou pigeon, ils existent des concepts d’ordre
supérieurs comme mammifères, légumes, fourniture ou des concepts abstraits
comme pareil, égal ou différent, des concepts spatiaux comme sur, dessous, en
66
arrière ou encore des concepts d’actions ou de plan comme avancer puis
reculer ou manger.
Il n’y a pas de consensus général sur la définition des concepts et leur
acquisition. Leur utilisation et leur fonctionnement sont au cœur de la
recherche en sciences cognitives (Keil 1999; Hampton 1999). « Ce sont les
éléments à partir desquels la pensée est construite, ainsi fournissant une
compréhension du monde, les concepts sont utilisés pour interpréter notre
expérience actuelle en les classifiant et donc les reliant aux connaissances
passées » (Hampton 1999).
Les concepts sont construits sur la base des percepts et d’autres concepts
(s’ils ont été déjà construits). Par conséquent, les connaissances d’un agent
sont construits essentiellement sur la base de ce qu’il observe de
l’environnement, et donc, sur la base des relations qu’il établit avec
l’environnement. Le processus qui construit les concepts est le processus de
conceptualisation (Clancey 1997)**. Toutefois, il y a une forte interaction
entre la perception et la conception et il n’est pas facile de distinguer où finit
la perception et où commence la conception. Cette distinction dépend en
partie de ce qu’on entend par « concept » et de comment est conçu la
relation entre les percepts et les concepts (Gallistel 2002).
4.2.3 La mémoire constructive
L’approche de la Cognition Située aux connaissances et à la cognition
implique aussi une différente conception de mémoire. La mémoire doit être
comprise et analysée comme un « processus » plutôt qu’une structure fixe et
prédéfinie (Dewey 1896; Clancey 1997). La mémoire n’est pas un lieu de
stockage ou une liste où les expériences sont enregistrées d’une manière fixe,
statique et indépendante de la situation dans laquelle elles ont été acquises.
Quand l’agent a besoin de rappeler une expérience, elle est reconstruite.
** Dans le texte original de Clancey, pour désigner l’activité mental de création de concept, le
terme « conception » (en anglais) est utilisé à la place de « conceptualisation ». Nous avons
déjà utilisé le terme « conceptualisation » pour la création de concept dans l’activité de
conception, ce qui est parallèle avec l’utilisation de Clancey.
67
L’expérience rappelée n’est pas exactement l’expérience originale telle qu’elle
a été vécue. Son rappel est influencé :
• Par l’expérience originale telle qu’elle a été éprouvée et apprise,
• Par toute reconstruction de l’expérience depuis l’expérience originale,
• Et par les conditions de la situation courante dans laquelle l’agent se
trouve au moment du rappel.
Quand une mémoire est reconstruite elle est intégrée à la connaissance de
l'agent. Ainsi, toute reconstruction d’une mémoire affecte la mémoire en ce
qui concerne son usage futur. La reconstruction d’une mémoire est basée sur
les percepts et les concepts précédents au sujet des expériences semblables et
ainsi ce n'est pas une structure entièrement nouvelle. Il n'est pas non plus
l'expérience passée telle qu'elle a été enregistrée puisque sa reconstruction est
guidée par les détails courant dans l'environnement actuel aussi bien que par
les buts courants (Clancey 1997). Gero et Fujii (2000) ont décrit cette
interaction comme un processus de « pousse-et-tire » où les mémoires sont
tiraillées par deux processus concurrents. Un processus qui « pousse » la
mémoire, qui est orienté par ce qui est senti de l’environnement. Et un
processus qui « tire » la mémoire pour la déformer en faveur de ce que
l’agent attend percevoir et de ce qu’il connaît. La construction de mémoire
est donc tiraillée par la sensation que l’agent a de l’environnement et par les
espérances de l’agent quant à ce qu’il devrait sentir et ce qu’il connaît.
4.2.4 Ancrage des concepts
Les connaissances d’un agent cognitif sont ancrées sur ses interactions
physiques avec l’environnement. Si la notion de mémoire constructive
explique comment les connaissances sont utilisées, la notion de l’ancrage des
concepts est le principe dual qui explique essentiellement comment les
connaissances sont acquises. L’ancrage est le processus par lequel un concept
(ou un percept) est mis en relation avec d’autres percepts ou concepts.
Autrement dit, l’ancrage est le processus qui établit le contenu ou le sens
d’un concept. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas là de construire un
concept (ou un percept) et ensuite déterminer un sens pour celui-ci :
68
Figure 4.1 Les différents mondes interdépendants pour un agent situé (Gero et Kannengiesser
2002).
La perception et la représentation ont toujours lieu dans le contexte de, et
donc, sont structuré par, l’agent incarné et son engagement intentionnel avec
le monde. Ceci implique que les représentations sont des sublimations des
expériences corporels, qui ont déjà un contenu, et non pas donné de contenu
ou forme par un esprit autonome (Anderson 2003). Ainsi, le sens et les
relations de nos concepts sont déterminés par notre engagement physique au
monde, par le corps en action et donc par critères pratiques plutôt
qu’abstraits ou logiques (Anderson 2003).
4.2.5 Trois mondes pour un agent située
Il est possible de remarquer que les travaux sur la nature située du
concepteur que nous avons présenté dans la section 4.2 et les idées
directrices de la Cognition Située présentée dans la section 4.3 ont des
similarités. Selon nous, les principes de conversation réflexive et de
l’interaction de faire et voir sont directement liés à la nature située des
concepteurs, et en particulier au couplage perception-conceptualisation-action
(couplage PCA). Gero et Kannengiesser (2002) ont proposé un modèle
d’agent de conception situé en suivant une logique similaire. Leur modèle
représente les processus essentiels qui caractérisent l’activité et le
raisonnement d’un concepteur en partant du couplage PCA.
69
Selon leur modèle, le monde externe correspond aux objets et aux
représentations à l'extérieur de l'agent ; Figure 4.1. Le monde interprété est
constitué des connaissances de l'agent en termes de percepts et de concepts
qui ont été construits sur la base de ses interactions avec son environnement.
S'agissant d'un agent situé, ce monde est construit suivant le principe de
mémoire constructive. Le monde ciblé représente le monde externe tel que
l'agent veut qu'il soit. Donc, c'est dans le monde ciblé que les objectifs de
l'agent sont formulés.
Toutefois, il faudrait noter que le monde ciblé est contenu par le monde
interprété mais qu’il a été dessiné à part pour préciser la distinction (Gero et
Kannengiesser 2002). Ces trois mondes sont dynamiquement couplés entre
eux par trois types de processus. Le processus d'interprétation (ou de
perception) transforme l'information venant de l'extérieur au monde
interprété qui est composé des percepts et des concepts au sujet de
l'environnement externe. Ceci résulte de l'interaction des processus de
perception et de conception. Le processus de focalisation oriente l'attention
sur certains aspects du monde interprété, les compare avec le monde ciblé. En
fonction de cela, soit le monde ciblé change (ce qui est constaté dans le
monde externe est jugé satisfaisant), soit un processus d'action prend le relais
pour changer le monde externe pour y faire apparaître le monde ciblé. Un
changement dans un de ces trois mondes a le potentiel de causer un
changement dans tous les trois. Gero et Kannengiesser (2002) utilise ce
modèle pour modifier le modèle FBS du processus de conception de (Gero
1990) afin de prendre en compte l’environnement, et donc, proposent un
modèle FBS situé. Dans la section suivante, nous ferons usage de ce modèle
pour faciliter la présentation de notre version de la théorie C – K.
4.3 Modifier la théorie C – K : un espace E de l'environnement
Nous avons avancé, dans la section 4.2, que nous avons besoin de prendre en
compte d’un troisième espace que nous allons appeler E pour environnement.
Comment l'introduire sans toucher à l'intégrité et à la cohérence de la théorie
et de manière à préserver ses enseignements principaux ?
70
Figure 4.2 Espace C, K, E d’un agent de conception situé.
Nous allons nous baser sur les notions de la Cognition Située pour modéliser
les interactions et la nature des trois espaces C, K et E (Kazakci et Tsoukias
2004b, 2005).
4.3.1 Les espaces de concepts, de connaissances et de l’environnement
Comment utiliser les idées de la Cognition Située pour modifier la théorie C –
K ? Nous pensons qu’il est possible de se procéder, par analogie avec le
modèle de Gero et Kannengiesser (2002). Que nous dit-il le modèle à propos
de la théorie C – K et l'espace environnement ? L'environnement E que nous
voulons introduire correspond au monde externe. Et l'espace K des
connaissances correspond au monde interprété qui contient le monde ciblé.
Mais, où est-il l'espace C ? En fait, l’espace C n'apparaît que comme une
partie du monde interprété lorsqu’une disjonction sémantique s'opère et qu'un
travail de conception commence ; Figure 4.2 ! Dans cette perspective, l'espace
C est temporaire : il est créé lorsque la conception commence et un nouveau
concept non connu auparavant commence à être créé (ou compris) par le
processus de conceptualisation et il disparaît lorsque le concept est
suffisamment bien connu et qu'il est intégré au concepts déjà existant dans le
monde interprété.
71
Figure 4.3 Les espaces C, K et E ; (Kazakci et Tsoukias 2005)
4.3.2 Conceptualisation au cœur de la conception
Quel est le processus qui crée l’espace C ? C’est le processus de
conceptualisation (voir paragraphe 4.3.2). Ce processus étant celui qui crée et
élabore les concepts, les disjonctions sémantiques y sont opérés. Comme pour
tous les agents situés, pour un agent de conception, la conceptualisation
interagit par les processus de perception et d’action. Le processus d’action
entreprend les actes physiques pour changer le monde extérieur pour y faire
apparaître le concept élaboré dans l’espace C ; Figure 4.2. Autrement dit,
l’agent externalise le concept pour produire une description physique.
Remarquons qu’au niveau d’abstraction où nous nous placerons, nous n’avons
besoin de faire aucune hypothèse en ce qui concerne la nature de cette
description. Dans ce cas, il est possible de supposer que la description
externalisée par l’agent peut correspondre aussi bien à la description d’un
produit commercial qu’un œuvre d’art.
A part le processus d’action, l’agent interagit avec l’environnement par le
processus de perception. L’agent forme une perception de la situation de
conception sur la base de ses connaissances et sur ce qui est observé. Le
processus de conceptualisation peut alors utiliser cette perception et des
concepts que l’agent détient pour continuer l’élaboration du concept de
l’espace C.
72
Nous retrouvons ici le couplage des processus de perception-
conceptualisation-action (voir paragraphe 4.3.2). En termes de notre théorie,
il devient possible de reformuler ce couplage : la conception émerge de
l’interaction des espaces C, K et E. Nous appellerons cette propriété le
couplage C/K/E. Comme les trois espaces sont interdépendants, un
changement quelconque dans l’un des trois a le potentiel de modifier tous les
trois. Sous cet angle, le processus de la création et de l’élaboration de
concepts est gouverné par le processus de conceptualisation. Par conséquent,
la conceptualisation est au cœur de l’activité de conception.
4.3.3 Conceptualisation comme construction de sens
La conceptualisation crée et élabore les concepts d’un agent de conception.
Or, nous avons vu dans le paragraphe 4.3.4 que l’élaboration d’un concept a
lieu par son ancrage sur les percepts et d’autres concepts. Le concept peut
être créé sur la base des percepts auquel cas il s’agit d’un processus de
conception de type compréhension (sauf si les percepts ont été construit par
une perception d’une externalisation d’un concept que l’agent a créé). Il peut
aussi être créé volontairement sur la base des concepts que l’agent connaît
auquel cas il s’agit d’un processus de conception de type création. Dans les
deux cas, l’ancrage d’un concept est le processus par lequel le sens du concept
est construit en établissant des liens entre le concept et les autres
connaissances. Ainsi, à la place du statut logique d’un concept, nous
parlerons du sens d’un concept et nous définirons le processus de
conception comme la construction de sens pour un concept par le processus
de conceptualisation qui interagit avec l’espace E par l’intermédiaire de la
perception et de l’action (Kazakci et Tsoukias 2004a, 2005 ; Kazakci 2005).
4.3.4 Concepts et connaissances
Comme nous l'avons déjà remarqué, dans la Cognition Située le mot concept
est utilisé pour désigner des connaissances, contrairement à la théorie C – K.
Comment résoudre la question : Les concepts devront-ils être considérés
comme des connaissances (comme dans la Cognition Située) ou non (comme
dans la théorie C – K)? En fait, les deux usages ne sont pas exclusifs, du
moment que l’espace C est temporaire. Nous considérons que les concepts,
73
comme toutes les connaissances, sont ancrées sur l’expérience de l'agent et sa
relation avec son environnement tel qu’il est admis dans la Cognition Située.
Les concepts qu’un agent connaît forme son espace K. En revanche, un
processus de conception commence quand un sens doit être construit pour un
concept. A ce point, le concept n’est plus considéré comme une connaissance
comme son sens n’est plus stable et est sujet aux changements. Durant le
processus, les concepts et les percepts de l’agent (qui forment l’espace K de
l’agent) interagissent pour analyser, évaluer et expansionner les concepts de
l’espace C (Kazakci et Tsoukias 2004a, 2005).
4.3.5 E-relativité de K et E-validation
Deux conséquences du couplage C/K/E sont E-relativité de K et E-validation
(Kazakci et Tsoukias 2005). E-relativité est similaire au K-relativité de la
théorie C – K. Elle découle directement des principes de la Cognition Située
que nous avons présentés dans la section précédente. La K-relativité souligne
que la définition d’un espace C dépend d’un espace K donné. De la même
manière, il n’est possible de définir un espace K que par rapport aux
environnements dans lesquels a été l’agent de conception. Donc, le
développement de l’espace K est E-relative.
Une fois que l’environnement est pris en compte, nous voyons que la
validation d’un concept n’est pas nécessairement basée sur l’espace K de
l’agent. En supposant que le concept a été externalisé par l’agent, un concept
peut être validé par l’environnement (i.e. par un autre agent de conception).
Une telle validation est appelée E-validation (Kazakci et Tsoukias 2004a,
2005).
4.3.6 L’axiome de choix et la théorie C/K/E
L’axiome du choix peut être énoncé comme suit : Etant donné un ensemble
quelconque d’ensembles non vides mutuellement exclusifs, il existe au moins
un ensemble qui contient un élément et un seul en commun avec chacun des
ensembles non vides. Si nous considérons que les concepts sont des ensembles
de propriétés définitionnelles et nous acceptons cet axiome, ceci revient à dire
qu’il est possible d’exhiber chaque propriété d’un concept donné. Le rejet de
cet axiome par Hatchuel et Weil (2002, 2003), nous pensons, souligne le fait
74
que les concepts, tels que « une surprise party sympa » ne peuvent pas avoir
de définition objectives et fixes, donnée par une liste de propriétés
exhaustives et identifiables.
Comment saisir cette idée dans notre cadre situé ? En adoptant les idées de
mémoire constructive et l’ancrage des concepts ! En fait, le rejet de l’axiome
du choix implique que les concepts peuvent avoir des interprétations
différentes par des agents différents ayant des espaces K différents. Nous
avons vu dans la section 4.3 que cette idée est à la base de Cognition Située.
C’est l’idée même sous-jacente aux notions de mémoire constructive et
l’ancrage des concepts. Comme nous avons vu, pour un agent situé avec une
mémoire constructive et qui apprend suivant l’ancrage des concepts, le sens
d’un concept n’est pas fixe mais flexible. Il prend forme suivant les exigences
du moment et de la situation et l’expérience de l’agent. Alors, pour l’agent il
n’est pas possible de donner une définition fixe du concept, ni une liste de
propriétés exhaustive et inchangeable. Un agent peut construire
(volontairement ou non) des significations différentes pour un concept dans
des situations différentes suites aux interactions des espaces C, K et E.
L’équivalent du rejet de l’axiome de choix dans la théorie C/K/E est
l’adoption des notions de mémoire constructive et l’ancrage des concepts.
4.3.7 Opérateurs C/K/E
Comment les espaces C, K et E interagissent-ils ? Nous devons introduire de
nouveaux opérateurs pour le cadre que nous proposons. Discutons les quatre
possibilités.
D’un point de vue purement cognitif les deux opérateurs E K→ et K E→
paraissent être nécessaire. Le premier est nécessaire pour modéliser la
réception de l’information à partir de l’environnement par le processus de
sensation et de l’interprétation de cette information par le processus de
perception. Le deuxième peut être utilisé pour modéliser les connaissances
motrices, c'est-à-dire, les actions : Quelque soit l’action, elle requiert des
connaissances spécifiques nécessaires à réaliser cette action.
75
Dans le contexte de conception, une classe d’actions importante sont les
actions pour externaliser un concept. Ce genre d’action dépend
essentiellement de l’espace C. Pour modéliser ce genre d’action il est possible
d’utiliser un opérateur C E→ . Cependant, il faudra noter qu’en réalité, cet
opérateur est composé d’une séquence d’opérateur : C K→ et K E→ ,
puisque des connaissances intermédiaires sont utilisées pour prendre les
actions nécessaires.
De la même manière, il est possible d’utiliser un opérateur E C→ pour
représenter le cas où il y a un stimulus provenant de l’environnement (par
une opération E K→ ) qui interfère avec l’élaboration du concept dans
l’espace C (par une opération K C→ ) . Nous pensons que dans la plupart
des cas, un tel opérateur ne sera pas nécessaire puisque l’information captée
est d’abord traité par d’autres processus (comme la perception) avant
d’interagir avec l’espace C. Cependant, il pourrait être intéressant pour
modéliser les cas où quelque chose dans l’environnement est sentie mais n’a
pas de sens pour l’agent : Un sens doit être construit et un processus de
conception commence suite à une incompréhension. Ceci est plutôt une
activité de compréhension plutôt que de création. Ce genre de situation peut
être rencontré pendant un travail collectif où plusieurs agents collaborent.
76
Lors d’une conversation entre amis, vous pouvez remarquer que quelque chose
d’extraordinaire se produit. Quand ils parlent, c’est comme si une étincelle se crée, qui passe
d’une personne à une autre, et lorsqu’il propage, il prend des forces, pour devenir une flamme
chaude et éclairante de compréhension mutuelle que personne d’entre elles n’aurait pu achever toute seule.
SOCRATE
Chapitre 5. Assistants Personnels de Conception
Nous proposons dans ce chapitre un concept d’Assistant Personnel de
Conception (APC). Un APC est un outil qui observe le travail de son
utilisateur et qui supporte cette activité en faisant des suggestions à celui-ci.
Par contraste aux outils traditionnels, un APC interagit avec son utilisateur
afin d’enrichir le dialogue de celui-ci avec la représentation de concepts.
Après avoir discuté les propriétés et les fonctionnalités qu’un APC peut
avoir, nous proposons un ensemble de propriétés issues de la théorie C/K/E
pour les APCs. Ces propriétés recouvrent l’ensemble de propriétés et de
fonctionnalités discutées à propos des APCs. Elles connectent donc la notion
d’APC à la théorie C/K/E et elles permettent d’avancer cette théorie comme
un fondement théorique pour les APCs. Nous finissons en suggérant
l’approche des concepts fluides comme un moyen informatique pour réaliser
un APC qui vérifie les propriétés proposées.
5.1 Outils informatiques d’aide à la conception
5.1.1 Historique du CAO
Les outils d'aide à la conception le plus largement répandus et utilisés sont les
logiciels de dessins en 2D ou 3D. Il est intéressant de se rappeler de
l’évolution de ces outils. La naissance de la conception assistée par ordinateur
est associé généralement au projet SKETCHPAD, un système pour
développer des graphiques en milieu électronique, développé par Sutherland
(1963). Les idées sous-jacentes à ce système, alors révolutionnaire, ont eu une
77
vaste influence sur la littérature de CAO. La nouveauté fondamentale
consistait à la possibilité d’interagir avec l’ordinateur par l’intermédiaire de
l’écran avec un crayon lumineux (light pen). En tant que tel, le système est
parfois considéré comme un prototype des interfaces graphiques
d’aujourd’hui.
La capacité des ordinateurs pour dessiner étant prouvé, la recherche sur des
systèmes pour CAO, surtout pour dessiner en 2D, a reconnu un intérêt.
Cependant, les premières utilisations de la CAO ont été limitées à de grandes
entreprises et à des industries d’automobile et d’aérospatial, comme elles
étaient les seules capables d’acheter les ordinateurs puissants de l’époque
capable de réaliser les calculs nécessaires.
La recherche en matière de CAO a continué avec des avancées rapides. En
1970, l’université de Cambridge a commencé à vendre des logiciels de CAO
3D qui exploitaient des résultats de Lang et Welbourne. En France, dans les
années 60, il y a eu les premiers résultats importants sur les courbes en 3D et
le calcul de géométrie de surface. Chez Citroën, Casteljau a obtenu des
résultats sur la computation des courbes en 3D. Chez Renault, Bézier a
obtenu d’avantage de résultats en utilisant les résultats de Casteljau. En
1975, Dassault a commencé à développer CATIA (Computer Aided Three
Dimensional Interactive Application), un programme de dessein 3D qui est,
par ailleurs, le programme commercial le plus utilisé mondialement de nos
jours.
Vers la fin des années 70, les premiers travaux sur la modélisation solide ont
aussi apparu. Voelcker a introduit PADL (Part and Assembly Description
Language) pour la modélisation des solides. B-rep (boundary representation)
a été proposé par Baumgart pour la représentation des éléments finis. Braid
a proposé le BUILD qui était un programme de modélisation solide utilisant
les représentations des frontières en 1978. Ces techniques ont propulsés plus
de recherches, tant dans la modélisation en 3D que des domaines parallèles,
tels que l’optimisation structurelle, l’analyse des éléments finis (Kirsch 1981;
Gero 1981a, b, 1985). Sur un plan commercial, la concurrence (entre DEC,
Hewlett Packard, IBM et autres) et les avancés dans les langages de
78
programmation (par exemple, l’apparition de C) rendaient les logiciels
résultants plus accessibles. Pendant les années 80, les logiciels de dessins 2D
ou 3D est devenu un secteur industriel à part.
L’introduction de Pro/Engineer en 1987 a été un tournant pour le secteur. Ce
logiciel proposait une interface graphique très puissant pour l’époque, qui
faisait une utilisation intensive de multiples fenêtres, de boites de dialogues,
de menus contextuels, de menus déroulant grâce à X-windows du plateforme
Unix. Pro/Engineer a complètement changé les espérances des utilisateurs et
a établi le standard pour le secteur. Graduellement, ce genre d’interface ont
permis à rapprocher les outils de dessin assisté par ordinateur à des outils de
représentation de connaissances (Brown 1998). L’information sur différents
aspects de la forme, les propriétés des matériels, les spécifications de
production ont commencé à paraître sur les écrans de CAO. Pendant les
années 90, à côté de la représentation des propriétés géométriques et
topologiques, les systèmes d’optimisation et d’analyse sont devenus des
options par défaut des logiciels d’aide à la conception commerciale.
5.1.2 Outils d'aide à la conceptualisation – OACs
Au sein de la communauté scientifique, à partir des années 90, le cadre de
l'aide informatique à la conception a commencé à s'élargir au delà des outils
CAOs traditionnels. Le dessin et son analyse, bien qu'indispensable n'était
pas suffisant; d'autres connaissances sur le projet de conception, sur
l'organisation du travail mais surtout sur le produit en question devraient
être représentées. Les mots « connaissance » et « concept » ont commencé à
faire partie de la littérature sur les outils informatique d'aide à la conception.
Les efforts se sont concentrés sur l’expansion des frontières de la CAO pour
une aide à la conceptualisation et non pas seulement une aide au dessin.
Autrement dit, l’attention des concepteurs de CAO a tourné des phases de
conception morphologique et de conception de détail vers la
conceptualisation. Par conséquent, les travaux se sont focalisés sur le début
du processus où la nécessité de représenter les connaissances non structurelles
joue un rôle plus important que les phases de conception en détail. Les outils
d’aide à la conceptualisation (OAC) sont nés.
79
D’un côté, comme nous verrons en détail plus tard, les langages pour
représenter une gamme de connaissances plus variées ont été développés
(Gero 1990; Goel et al. 1996; Gorti et al. 1998; Rosenman et Gero 1996;
Umeda et al. 1996). En particulier, la nécessité de représenter la fonction et
les comportements en dehors des propriétés structurelles a été soulignée
(Chandrasekaran et al. 1993; Finger 1998; Gero 1990). De l’autre côté, tout
l'arsenal de « techniques » de l'intelligence artificielle a été mobilisé pour
proposer des OACs. Ainsi, par exemple, ont commencé à être reporté les
applications de systèmes à base de connaissances (Balachandran et Gero
1987; Sriram et al. 1984; Maher et Fenves 1984; Maher et al. 1984; Coyne et
al. 1990). Des approches de type raisonnement à partir des cas ont trouvé
une place importante dans la littérature (Maher et al. 1995; Maher et Pu
1997). L’utilisation de l’analogie, souvent en relation avec des techniques de
raisonnement à partir de cas, a été reportée pour aider la conceptualisation
(Qian et Gero 1996; Gero et Kazakov 1999; Goel 1997). Vers la fin des
années 1990, des recherches sur des « agents de conception » ont commencé
à être reportés (Gero et Brazier 2002; Brown et al. 1996).
5.1.3 Agents de conception comme OAC
La recherche en intelligence artificielle appliquée à la conception s'est
intéressée à l'utilisation des agents dans les travaux de conception à partir
des années 90. Par exemple, Grecu et Brown (1999b) proposent un système
pour la conception paramétrique des ressorts. Ils utilisent des agents nommés
« agents à fonction unique» (single function agents, SFAs). Ces agents ont
chacune une seule fonction telle que la sélection des paramètres, estimation
de leurs valeurs, évaluation des alternatives, critique ou recommandation des
alternatives. La fonctionnalité limitée de ces agents renforce leur interaction.
Grecu et Brown (1999a) ont considéré la potentialité d'apprentissage dans le
cadre des SFAs dans le cas où l'apprentissage est surveillé par un concepteur.
Les SFAs travaillent sur un catalogue, de nouvelles conceptions sont effectués
en combinant les composants du catalogue et en déterminant des valeurs de
paramètres.
Campbell et al. (1999) présentent une approche bottom-up ; un système
nommé « A-design ». Dans ce système existent plusieurs types d'agents. Les
80
agents de configurations sont responsables pour « coller » les types de
configurations qu'ils représentent quand et où ils peuvent dans l'architecture
générale qui est en cours de construction. Les agents d'instanciation
« remplit » ces configurations avec les composantes actuelles à partir des
catalogues. Les agents de fragmentation peuvent supprimer les composantes
inappropriées et ajouter au catalogue des configurations créées lors du travail
qui sont jugées satisfaisantes. Les agents « manager » gèrent les autres
agents, peuvent en créer ou en supprimer en fonction de leur contribution.
Gero et Reffat (2001) proposent l'utilisation des représentations multiples
pour un seul agent de conception. De cette manière l'agent peut percevoir de
diverses façons le concept étudié, ce qui permet de réorienter le processus de
conception de diverses manières. Reffat (2002) utilise le même cadre pour
esquisser un système multi agents capable de créer des concepts.
Saunders et Gero (2002) suggèrent des agents « curieux » comme agents de
conception situés. Ils illustrent leurs idées avec un exemple de conception
d'exposition. Dans ce genre de problème de conception, l’enjeu est de
maintenir l'intérêt du publique qui se trouve et se promène dans la salle. Le
système a été implémenté dans un environnement virtuel. Les agents
proposés peuvent détecter la nouveauté des oeuvres qu'ils sentent dans
l'environnement, générer une valeur « hédonique » (suivant une courbe de
Wundt, voir (Saunders et Gero 2002)) et exhiber des différents niveaux de
curiosités en fonction de cette valeur.
La littérature sur les agents de conception devient de plus en plus riche et
plusieurs pistes de recherche existent (voir, par exemple, (Gero et Brazier
2002)). Cependant, d’une manière générale, la notion d’assistant de
conception n’a pas attiré l’attention des chercheurs, et en particulier, nous
n’avons rencontré aucun travail sur le sujet dans le contexte de
conceptualisation.
81
5.2 Assistants personnels de conception
5.2.1 OAC basé sur la théorie C/K/E
Un des buts ultimes de notre projet est de proposer un outil d’aide à la
conceptualisation en exploitant les principes de la théorie C/K/E. Dans le
chapitre précédent, nous avons vu qu’il fallait prendre en compte
l’environnement E du concepteur, puisque l’outil est externe au concepteur et
donc dans son environnement. Réciproquement, pourrons-nous remarquer que
le concepteur est dans l’environnement de l’outil. Ayant redéfini la
conception comme l’interaction et la co-évolution des espaces C, K et E,
nous pouvons donc conclure qu’un outil qui va supporter l’élaboration d’un
concept devrait permettre au concepteur d’utiliser ses espaces C et K le plus
favorablement possible en interaction avec son environnement E et donc avec
l’outil. En revanche, l’outil peut maintenir et utiliser ses propres espaces C et
K. En ce qui concerne l’outil, ceci pourra être exprimé en des termes plus
traditionnels : l’outil peut être créatif et apprendre.
Dans la littérature sur les outils de conception, ces deux aspects ont été pris
séparément. D’un coté, des outils qui permettent des effets créatifs (par
exemple, en utilisant les algorithmes génétiques, qui fonctionnent, en termes
de C – K, en produisant de grandes quantités de partitions expansives à
chaque cycle jusqu’à une K-validation) ont été reportés (Maher 1994 ; Gero
et al. 1997). De l’autre coté, des outils qui apprennent, souvent que la
représentation finale, ont été proposés (Maher et al. 1995; Maher et Pu 1997).
5.2.2 Paradigmes traditionnels pour OACs
Les systèmes OAC reportés dans la littérature (par exemple, ceux présentés
dans la section 5.1) suivent l’une des deux paradigmes très dominants ;
l’automatisation de la conceptualisation ou soutien de l’activité par des bases
de données. Dans le premier cas, le système conçoit d'une manière autonome,
indépendamment de l’environnement. Nous pouvons citer à titre d’exemple le
travail de Maher (1994) où des algorithmes génétiques sont utilisés sur des
représentations de concepts ou le travail de Campbell et al. (1999) où
plusieurs agents interagissent pour former un concept.
82
Figure 5.1 Un assistant personnel de conception collaborant avec le concepteur et d'autres
APCs.
Dans le deuxième cas, le soutien de l’activité par l’outil est passif comme
nous pouvons constater avec (Gorti et al. 1998). Dans les deux cas, nous
trouvons que la nature située du concepteur est ignorée partiellement ou
totalement. Pour le premier cas, le travail est effectué indépendamment du
concepteur et celui-ci peut n’intervenir qu’à la fin de la création de concept.
Dans le deuxième cas, le concepteur agit sur l’outil mais il n’y a pas
d’interaction véritable. Ainsi, dans les deux cas, la conversation du
concepteur avec la situation de conception est limitée, ce qui, comme nous
l’avons vu au paragraphe 4.2, ne favorise pas l’activité de celui-ci.
5.2.3 Enrichir la conversation du concepteur avec son environnement
Idéalement, un outil devra être complémentaire au concepteur, dans le sens
qu’il devra permettre d’effectuer une activité que le concepteur aura des
difficultés à réaliser (comme des calculs d’amplitude important) ou
amplificateur, dans le sens qu’il devra permettre au concepteur de mieux faire
ce qu’il sait déjà faire (comme des actes de créativité). Dans les deux cas,
l’outil devra être le catalyseur de l’action pour le concepteur.
Comment un outil peut être catalyseur de l’action? Sachant que les
concepteurs s’engagent dans une conversation réflexive avec la situation
pendant la conception, une voie potentielle est l’enrichissement de ce
dialogue de la part de l’outil. Ceci implique une interaction accrue entre
l’outil et le concepteur. Comme Edmonds et Candy (1999) précisent, le mot
83
« inter-action » se réfère à un processus réciproque, donc, deux entités qui
agissent l’un sur l’autre et qui s’influencent. Si le mot peut évoquer un
échange, il n’est pas pourtant nécessaire que la qualité de celle-ci soit
identique dans les deux sens. Néanmoins, si l’outil peut jouer un rôle actif et
peut intervenir dans la conversation, la qualité de l’interaction peut
augmenter compte tenu de la nature située du concepteur. Une manière
d’accomplir cela est de bâtir l’outil en sorte qu’il réagisse aux actions de son
utilisateur et qu’il fasse des suggestions. Un tel système se rapprochera plus
de la notion d’assistant que d’outil.
5.2.4 Assistants Personnels de Conception - APCs
Nous appellerons « Assistant Personnel de Conception (APC) » un agent de
conception situé qui a comme fonctions principales :
• Observer l’environnement, c'est-à-dire, le travail de son utilisateur,
• Soutenir l’activité de son utilisateur par des suggestions,
Pour réaliser ces fonctions, un APC coopère avec l'utilisateur et avec d’autres
APCs si nécessaire ; Figure 5.1. Cette coopération est une activité
bidirectionnelle où, d’une part, l’APC suggère des actions à son utilisateur, de
l’autre part, observe les réactions de son utilisateur et l’environnement.
D’un point de vue général, un APC peut fournir deux types d’assistance ;
assistance orienté projet et assistance orienté outil. L'assistance orienté projet
consiste à des suggestions à propos de l'élaboration d’un concept. Un APC
peut assister son utilisateur pendant les étapes de synthèse, d’analyse ou
d’évaluation. En terme de la théorie C – K, il peut aider le partitionnement
de l’espace C, l’utilisation ou l’expansion de l’espace K ou la K-validation des
concepts créés. L'assistance orienté outil consiste à des suggestions sur la
manipulation des outils de conception dont l'assistant est en charge tels que
des différents modules d’analyse, des bases de données, d’outils de dessin ou
de prototypage.
Comme le terme « assistant » suggère, nous ne concevons pas un APC
comme un agent autonome, concevant indépendamment de l'environnement
étant donnée un problème de départ. Plutôt, un APC assiste l'utilisateur en
faisant des « suggestions » pour continuer le travail de conception. Nous
84
pouvons remarquer qu'une telle approche s'inscrit par définition dans une
démarche constructiviste où l'APC acte comme un catalyseur pour aider le
concepteur à construire un concept.
5.2.5 Modes d'assistance d'un APC
Un APC peut orchestrer ses constituants afin d'offrir deux types d'assistance :
assistance orienté projet et assistance orienté outil. L'assistance orienté projet
concerne les représentations externes de concepts et les actions qui peuvent
être exécutées sur elles :
• Compléter ou corriger des parties de la représentation courante du
concept
• Suggestion des modifications (de structures ou de fonctions)
• Suggestion des interprétations alternatives
• Explications, justifications
• ...
Ses actions peuvent s'inscrire dans le cadre d'analyse, d'évaluation ou de
synthèse. Assistance orienté outil concerne le choix d'outils appropriés et
leurs utilisations convenables : quels outils devront être employé et comment,
dans quelles circonstances spécifiques :
• Activer des outils appropriés quand nécessaire (par exemple, un
module de simulation ou un outil d’analyse d’éléments finis)
• Les reconfigurer d'une manière conforme à l'usage que le concepteur
en fait
• Modifier leur structure (par exemple, en créant des macros pour les
patternes récurrents d'utilisation)
• Instruire le concepteur sur la façon de les employer
• ...
Traditionnellement, la littérature de conception s'est concentrée
principalement sur l'assistance orienté projet tandis que l'assistance orienté
outil a été le centre d'intérêt du champ de recherche plus général qu'est le
génie logiciel. Dans le reste du chapitre, nous allons nous intéresser
essentiellement à l’assistance orientée projet mais les propos tenus ne seront
pas nécessairement exclusifs.
85
5.2.6 Concepteurs créatifs, outils qui inspirent
Un outil peut-être créatif ? Nous devons prendre un moment pour parler de
la « créativité d’un outil». Birkhofer (2004) remarque que parler d’un outil
d’aide à la conception à des praticiens provoque souvent des attentes peu
réalistes de la part de ceux-ci (e.g. un outil facile à utiliser, qui résout des
problèmes complexes avec un clique et d’une façon immédiate, qui s’intègre
naturellement avec les outils existant, etc.). Nous avons constaté nous-même
dans nos discussions avec des professionnels que parler d’un « outil créatif »
ne fait qu’amplifier ces types d’attentes. Il vaut mieux de discuter et préciser
les sens qu’on peut donner au terme créatif dans le contexte d’outils d’aide à
la conception.
Le terme créatif est utilisé souvent en référence à une acte ou une idée
émerveillante, surprenante et impressionnante. Remarquons que « créatif »
inclut en outre un jugement du nouveauté et de l’impact de cette acte ou de
cette idée vis-à-vis des systèmes de valeurs existants de la part du qualifiant.
Compte tenu de l’état actuel des outils informatiques et des techniques de
l’intelligence artificielle, il parait insensé d’attendre de la part d’un
programme informatique la capacité d’appréhender les systèmes de valeurs et
les besoins humaines et de chercher intentionnellement à produire une acte ou
une idée qui sera jugé créatif ; c'est-à-dire, de faire preuve d’une créativité
consciente.
Notons qu’une créativité aléatoire parait être possible, par exemple, avec les
algorithmes génétiques. Les algorithmes génétiques ont été appliqués avec
succès dans les problèmes de conception de forme (Hsiao et Tsai 2005). Une
fois les paramètres définissant la forme générale de l’artéfact sont décidés, ce
type d’approche a une efficacité phénoménale pour générer de multiples
formes compatibles avec les spécifications. Cependant, l’application de cette
approche dans le cadre de conceptualisation a été très limitée, même au
niveau académique (e.g. (Maher 1994)). Sachant que la conceptualisation est
la phase où on décide la fonction de l’artéfact (autrement dit, à quoi servira
l’artéfact), ceci n’est pas surprenant.
86
Nous pensons que, pour les raisons que nous venons de souligner, il serait
plus avisé de parler des outils qui vont promouvoir la créativité de
l’utilisateur plutôt que des outils créatifs en soi. Encore une fois, cette
perspective met l’accent sur l’assistance : Ce que nous pouvons attendre d’un
outil, c’est qu’il ne nuit pas à la créativité de son utilisateur et même de la
promouvoir. Une telle assistance peut être cherché en passant par une
créativité émergente par contraste à une créativité consciente ou aléatoire.
Un phénomène est émergent s’il résulte de l’interaction de plusieurs éléments
sans qu’il existe un contrôle centralisé (Steels 1990). Steels (1990) suggère
cette interaction fait émerger propriétés inattendues. En particulier, ceci
implique qu’il n’est pas facile de prédire le résultat final du phénomène, sinon
impossible, mais qu’on peut comprendre ce résultat en regardant les
propriétés des éléments en interaction. Cependant, le manque de contrôle
centralisé ne veut pas dire que le système va agir d’une manière chaotique;
les propriétés des éléments déterminent les tendances du phénomène, même si
elles ne permettent pas de prédire le résultat final.
Dans la littérature sur la conception, la créativité émergente a aussi été
considérée. Par exemple, Edmonds et Candy (1999) étudient la notion
d’émergence en conception et illustrent à l’aide d’une étude de cas que celle-ci
peut avoir lieu par l’interaction du concepteur avec les représentations de
concept. Comme nous avons vu dans la section 4.2, cette interaction est au
cœur des activités de conceptions et en particulier, de l’acte de créativité.
Pour cette raison, nous croyons qu’un système qui interagit avec son
utilisateur par un dialogue peut provoquer une créativité par émergence.
5.2.7 Adaptation d'un APC
Comment peut un APC s’adapter ? Qu’est-ce qu’un outil peut apprendre ?
L'adaptation d’un APC peut avoir deux dimensions en parallèle avec ses
modes d’assistance. Il peut développer ses propres connaissances au sujet des
problèmes de conception spécifiques qu'il traite ; mais également, il peut
s'adapter à la manière spécifique que son utilisateur se sert d'elle.
La manière qu'un APC adapte ses connaissances sera fortement liée à la
manière par laquelle il fonctionne. Un APC observe concurremment une
87
représentation externe d'un concept et les actions effectuées dessus, réfléchit
sur ces observations et suggère des actions de conception à l'utilisateur. Ce
qu'il perçoit de ses observations peut être employé pour apprendre et
s’adapter. Par des observations, l’assistant peut simplement apprendre les
concepts qu’il observe afin de les suggérer dans de futures occasions. Il peut
aussi essayer d’apprendre l’utilité d’une suggestion étant donné un contexte.
Ce genre d’adaptation peut se baser sur la réaction de l’utilisateur aux
éléments suggérés. L’APC observera et interprétera les résultats des actions
de l’utilisateur:
• l'utilisateur adopte-t-il les changements suggérés ou réalisés ?
• quelle est la représentation du concept qui résulte, (au cas où les
changements sont acceptés par l'utilisateur) ?
• quelles actions sont exécutées par l'utilisateur et ses résultats, (au cas
où les changements ne seraient pas adoptés par l'utilisateur) ?
Sur la base de ces observations, l’APC adaptera son comportement. Un
percept, un concept ou une action qui est jugée utile (resp. non utile) aura
plus de chance (resp. moins de chance) d'être activé dans des occasions
futures semblables. En terme de la théorie C/K/E, ces deux types
d’apprentissage concerne l’expansion de l’espace K de l’assistant par des
opérations de K K→ et E K→ . Mais l’assistant peut aussi apprendre en
créant des concepts lesquels il peut tenter de valider soit par ses propres
moyens (K-validation), soit en les soumettant à l’utilisateur (E-validation).
Pour un APC, par contraste aux outils traditionnels de CAO, l'apprentissage
n'est pas limité au stockage d'un résultat final du processus de conception
(par exemple, un concept ou un prototype de conception). Il inclut également
l'adaptation de la manière que l'agent performe son activité. L'importance de
l’apprentissage pour un APC est double. D'abord, ceci fournit un mécanisme
à l'APC pour développer les connaissances utiles à son fonctionnement et à sa
propre expertise. En second lieu, la nature adaptative d'un APC permet au
système de s'adapter à la manière que son utilisateur se sert d'elle. Par
l'expérience, chaque concepteur apprend les fonctionnalités et les limitations
de son outil et développe un style d'utilisation. Et chaque concepteur a son
propre style de conception. Puisqu'un APC s'adapte en observant les actions
de l'utilisateur, son comportement convergera éventuellement vers le style de
88
l'utilisateur. L'assistance de l'APC sera d'autant plus personnelle dans la
mesure de son expérience avec l’utilisateur dans le même domaine de tâches.
5.2.8 Société d'APCs
Comme Suchman (1987) remarque les machines ont habituellement accès
seulement à un sous-ensemble très limité des actions observables de leurs
utilisateurs : Pour un assistant personnel de conception ce qui est observable
est limité aux représentations externes de concepts et aux modifications
actionnées sur elles par son utilisateur, aussi bien que la manière dont le
concepteur utilise des outils desquels l'APC est responsable. Ainsi, il pourrait
être avancé que cette conception est quelque peu limitée pour qu'un APC
apprenne rapidement et efficacement. Une manière possible de traiter cette
limitation serait d'étendre le cadre ci-dessus en permettant à un APC de
communiquer également avec d'autres APCs afin d'effectuer des
comparaisons. Elle peut comparer avec d'autre APCs leurs connaissances
concernant leurs domaines, leurs utilisateurs respectifs et leurs configurations
courantes. Basé sur les résultats de cette interaction, un APC peut évaluer
ses relations de partnériat avec les autres APCs, demander ou les suggérer de
l'aide.
5.3 Compatibilité d'un APC avec la théorie C/K/E
Un APC est par définition un outil qui se raisonne ; pour être capable
d’observer l’environnement et agir convenablement aux changements, un
assistant doit utiliser un mode de raisonnement. Ce mode peut changer d’un
assistant à un autre, d’un domaine au suivant. Toutefois, la théorie C/K/E,
étant dans son essence une théorie de raisonnement générale, peut être
utilisée pour décrire ces différents modes de raisonnement quelque soit le
domaine ou le technique spécifique. Elle constitue donc un fondement
théorique pour les assistants de conception. En terme de la théorie, il est
possible de proposer les propriétés suivantes pour décrire les propriétés et les
fonctionnalités que nous avons vu plus haut qu’un APC peut avoir.
5.3.1 E-réactivité
Par définition, un APC doit être sensible aux changements dans son
environnement. Cette propriété concerne la relation de l’outil avec son
89
environnement et elle peut être appelée la E-réactivité. Quand l'utilisateur
change la description de produit, l'assistant devra être capable de
réinterpréter l’espace E dynamiquement et faire des suggestions en utilisant
son propre espace K. Dans certains cas, cette action peut être la suggestion
d'une partition expansive du point de vue de l’utilisateur. Cependant, il peut
s'agir des suggestions de partitions restrictives, par exemple, pour rappeler le
concepteur les détails usuels pour permettre l'utilisateur de travailler
rapidement.
5.3.2 K-expansivité
Comme discuté au paragraphe 5.2.7, l'assistant peut être capable de réviser et
d’étendre son espace de connaissances. Une telle propriété peut être nommé
la K-expansivité. Dans le cas le plus limité, ceci correspondra à
l'apprentissage des concepts ou des actions observés. D’une manière plus
générale, cela peut inclure d'autres types d’apprentissage comme l’inférence
de l’utilité des concepts ou des actions observés, l’apprentissage des méthodes
pour la synthèse, l'analyse ou l'évaluation, etc. Un type d’apprentissage
particulier pour un APC serait l’apprentissage par la création des concepts et
l’élaboration des sens pour ceux-ci. Autrement dit, le capacité de l’APC à
apprendre en réalisant des disjonctions et des conjonctions sémantiques Pour
appliquer ce type d’expansion de K, l’assistant doit aussi être C-expansive.
5.3.3 C-expansivité
L'assistant peut être capable de réaliser des disjonctions sémantiques. En
d'autres termes, il peut être capable d'étendre son espace de concepts par la
création de nouveaux concepts en utilisant son espace de connaissance. Alors,
l'agent peut suggérer ces concepts ainsi créés à l'utilisateur pour une E-
validation, ou encore, dans l'idéal, continuer à leurs élaborations jusqu'à ce
que les concepts puissent être K-validé (par l'assistant). L’élaboration du
concept peut être effectué par l’assistant par des partitions restrictives ou par
des partitions expansives. Les disjonctions sémantiques et les partitions
expansives rendent l’assistant C-expansive.
90
5.3.4 La distinction C – K – E
L'assistant peut respecter ou non la distinction entre les espaces C, K et E.
Un agent situé distingue nécessairement l'espace E de son monde interne. Ce
qui est plus difficile à implémenter c'est la distinction entre les espaces C et
K : cette distinction est la conséquence du refus de l'axiome de choix dans la
théorie C – K. Comme nous avons vu dans le chapitre 4, dans une
perspective cognitive, ceci est l'équivalent de la mémoire constructive et
l'ancrage des concepts. Alors, pour être compatible avec la théorie C/K/E, un
assistant de conception doit appliquer ces principes.
5.3.5 Le couplage C/ K /E
L'assistant peut respecter le couplage C/K/E. Dans un tel cas, ces espaces
vont être connectés de telle manière qu'un changement dans l’un d'entre eux
peut causer le changement de tous les trois. Par conséquent, le comportement
de l'assistant va émerger à partir des interactions de ces trois espaces.
5.3.6 Assistants CKE
Mise à part les outils d'aide graphique, la diffusion des méthodes proposées
pour l'aide à la conception a été limitée. Une des raisons potentielles est
l'absence d'une théorie sous-jacente à ces approches. Non seulement, une telle
théorie peut guider la conception de tels outils, mais aussi, elle peut servir de
bases et de cadre de travail pour analyser leurs propriétés, leur succès ou leur
échec. En tout état de cause, nous pensons qu'il est nécessaire d'avoir un
cadre de travail qui va permettre de générer la discussion à ce sujet. Comme
point de départ, nous avons proposé les propriétés précédentes, découlant
directement de notre théorie.
Un assistant qui respecte ces propriétés est compatible avec la théorie
C/K/E. Cependant, elles ne sont pas des prérequis pour être un APC. Un
assistant qui respecte ces conditions peut être appelé un assistant C/K/E.
Dans le reste du chapitre, nous présenterons l’approche des concepts fluides
et nous proposerons qu’une manière de construire un assistant C/K/E réside
dans l’utilisation de cette approche.
91
5.4 Représentations fluides des concepts pour les APCs
5.4.1 La fluidité des concepts
Le rejet de l'axiome de choix dans la théorie C – K ou l’adoption des idées de
mémoire constructive et l’ancrage des concepts dans la version C/K/E reflète
les capacités des êtres humains à employer leurs connaissances d’une manière
flexible pour comprendre le monde et pour créer de nouvelles significations.
C’est ainsi que nous pouvons comprendre « un logement mobile » comme
une tente, une caravane ou un yacht dans différents contextes. Nous
pouvons concevoir « une voiture aux ailes » comme une voiture avec des
portes s'ouvrant vers le haut ou comme une voiture de sport à grande vitesse
ou même un avion.
Comment capturer cette flexibilité pour construire un APC? Comment
pouvons-nous établir un système d’aide à la conception qui peut créer de
nouvelles significations pour un concept? Nous suggérons qu’une manière
serait d’utiliser l’idée de « concepts fluides ». La notion de concept fluide a
été introduite par Hoftsadter et ses collègues (Hofstadter 1995; Mitchell 1993;
French 1995; Chalmers et al. 1992). Le groupe a étudié la nature des
concepts (ce que c’est un concept, comment leurs frontières floue se
comportent, comment sont-ils utilisés). Différents domaines incluant l'humour
(Hofstadter et Gabora 1989), la traduction (French 1988), la perception et la
créativité artistique (Mcgraw et Hofstadter 1993), l’analogie (Mitchell 1993;
Chalmers et al. 1992; French 1995), la logique (Wang 1995, 2005, 2006a) ont
été explorés, souvent à l’aide des modèles informatiques, pour comprendre ce
que sont les concepts et comment les humains les utilisent. Ces travaux
mettent l’accent sur la nature non statique des concepts. Selon Hofstadter
(1995), « les concepts fluides » sont des « concepts avec des frontières
flexibles, les concepts dont le comportement s'adapte aux circonstances
imprévues, les concepts qui se plieront et s'étendront – mais pas sans
limite ». Les concepts sont fluides car ils peuvent s’adapter mais cette
adaptation n’est pas sans limites ou sans règles ; ils changent en se
conformant aux circonstances, comme un liquide changera sa forme suivant le
conteneur sans perdre ses propriétés.
92
5.4.2 Inséparabilité du raisonnement et de la représentation
Une idée fondamentale inhérente au cadre proposé dans la littérature sur les
concepts fluides, c’est l’inséparabilité du raisonnement et de la représentation
(Chalmers et al. 1992). Les représentations qu’un agent utilise durant sont
raisonnement sont construites. Cette approche rejette donc l’idée d’un
module de représentation qui prépare les représentations pour un traitement
par un module de raisonnement. La construction des représentations est
accomplie par l’interaction de plusieurs facteurs tels que la perception de bas
niveau (la sensation par les cinq sens), les objectifs et les émotions de l’agent,
la perception de haut niveau (les représentations déjà construites). Les
représentations construites ont un sens pour l’agent, un sens qui est défini
par le contexte et par les connaissances de l’agent, un sens qui n’est pas
statique mais dynamique et qui peut changer radicalement quand la situation
change. Concevoir ces deux processus séparément rend les représentations
d’un agent dénué de sens.
5.4.3 Parallélisme, interaction et émergence
Les représentations construites par un agent sont émergentes (Hofstadter
1995). Ces représentations émergent de l’interaction de multiples processus
faisant usages des concepts. La créativité dans l’humour ou dans l’art,
l’improvisation, la flexibilité de l’esprit humain sont des résultats directs de
cette émergence. Hofstadter (1995) défend que le caractère émergent dans ce
type de raisonnement ne peut être reproduit que par des modèles non-
déterministes qui simulent le parallélisme du cerveau humain. Ainsi, des
modèles de simulations informatiques que le groupe a proposé ont des
mécanismes de control décentralisés et stochastiques (Mitchell 1993; Mcgraw
et Hofstadter 1993; French et Hofstadter 1991).
Le parallélisme est simulé par l’utilisation d’un nombre élevé de processus
simples (par exemple, des micros agents qui essaient d’appliquer une seule
règle ou de notifier un autre agent d’un incident). La sélection du prochain
processus qui va agir sur le raisonnement est fait d’une manière probabiliste.
Etant donné un moment durant le raisonnement, les processus qui sont jugés
les plus pertinents (par le système) ont plus de chance d’être utilisés, mais,
93
les processus qui sont moins pertinents peuvent aussi être utilisés, ce qui peut
mener à des conséquences inattendues. Ainsi, le système exploite les
connaissances bien établies tandis qu’il continue à explorer les possibilités qui
paraissent moins plausibles (Hofstadter 1995).
5.4.4 Sens et fluidité des concepts
Le sens d’un concept à un moment donné est déterminé par la nature de ses
relations avec les autres concepts. Comme le système est stochastique et que
les différentes connaissances peuvent interagir, la nature de ces relations peut
changer durant le raisonnement et suivant la situation dans lequel l’agent se
trouve. Le sens d’un concept n’est donc pas prédéterminé et il peut changer,
parfois même d’une manière imprévisible.
L’investigation des propriétés des concepts est un souci commun de la théorie
C – K et l’approche des concepts fluides. Par ailleurs, bien qu’indépendant de
la Cognition Située, l’approche des concepts fluides a plusieurs parallèles avec
celle-ci. En fait, le caractère fluide des concepts peut être vue comme une
mémoire constructive où le sens d’un concept est déterminé en fonction de la
situation durant l’activité même. Pour ces raisons, nous pensons que
l’approche des concepts fluides que Hofstadter (1995) a introduit présente un
corps de principes et un cadre informatique correspondant, sur lesquels un
assistant C/K/E peut être bâti. Nous allons proposer un tel système à partir
du chapitre suivant.
95
Alors, vous insistez. Vous insistez qu’il existe
au moins une chose qu’une machine ne peut pas faire
Si vous me dites précisément ce qu’une machine ne peut pas faire,
alors je peux toujours fabriquer une machine qui peut juste faire cela !
John VON NEUMANN
Chapitre 6. DesigNAR ; un assistant de conception
Dans la première partie de ce document, nous avons introduit et discuté la
notion d’assistant de conception ainsi que le positionnement de cette notion
par rapport à la théorie C/K/E. En particulier, nous avons fait apparaître
que, pour être compatible avec la théorie C/K/E, un assistant de conception
doit être situé, utiliser une mémoire constructive et ancrer ses concepts. Nous
avons avancé qu’une manière de réaliser ces spécifications, c’est de passer par
une approche de type « concepts fluides ».
Dans cette deuxième partie, nous allons présenter DesigNAR, une première
version d’un assistant de conception que nous avons bâti en suivant les
principes exposés dans la première partie. Le chapitre actuel présente
quelques éléments de littérature additionnels et certaines décisions de
conception ainsi qu’une description globale du système. Nous allons d’abord
voir que DesigNAR est un assistant d’aide à la conceptualisation qui supporte
l’activité de synthèse d’un concepteur. En observant une description
symbolique d’un produit, l’assistant apprend et il fait des suggestions.
Ensuite, nous verrons que la description que l’utilisateur élabore est un
graphe FBS ; les éléments symboliques sont de type Fonction, Comportement
ou Structure (voir paragraphe 2.3.4). Le chapitre continue en présentant les
caractéristiques de l’approche des concepts fluides en analysant le programme
Copycat, le programme prototypique pour l’implantation informatique de
cette approche. Nous conclurons qu’une utilisation fluide des concepts est
possible par une système hybride (ayant des traits connexionnistes et
96
symboliques) ayant un comportement émergent. Finalement, une description
globale du système est donnée sur la base des notions et idées introduites.
6.1 DesigNAR ; un assistant de synthèse
Un assistant de conception peut aider son utilisateur dans la synthèse,
l’analyse ou l’évaluation d’un concept. Chacune de ces activités ont des
spécificités différentes et construire un agent dont l’assistance recouvre tous
ces trois domaines n’est pas un travail facile. Sachant que le point central de
la théorie C – K est la synthèse (qui correspond, en termes de la théorie, au
partitionnement de l’espace C), l’assistant que nous allons présenter est une
assistant de synthèse. Remarquons toutefois que le système que nous allons
exposer peut aussi bien être appliqué aux tâches d’analyse et d’évaluation (ce
qui est pris en compte, dans la théorie, par la notion de K-validation).
La phase de conceptualisation d’un projet de conception est caractérisée par
l’activité de synthèse plutôt que d’analyse ou d’évaluation. L’activité durant
ces phases initiales étant tentative, l’accent est mis sur la création de concept
et l’exploration des possibilités plutôt qu’une validation. Dans ces
circonstances, il arrive très souvent qu’on suspende la K-validation jusqu’à ce
que plusieurs partitions (expansives ou non) aient lieu (Hatchuel et Weil,
1999).
D’après les principes que nous avons avancés dans la première partie de ce
document, l’assistant doit implanter une mémoire constructive et l’ancrage
des concepts pour être compatible avec la théorie C/K/E. Ces propriétés
peuvent être émulées par des approches connexionniste comme des réseaux
neuronaux. Le réseau apprend en ajustant la relation de chaque nœud avec
ses voisins et lors de son utilisation les connaissances les plus pertinentes sont
activées par la propagation de l’activation en fonction de ce qui est senti de
l’environnement et de ce que l’agent connaît. Cependant, dans la
conceptualisation, l’information manipulée est souvent représentée
symboliquement, souvent par des expressions de la langue naturelle. Pour
exploiter l’avantage offert par les deux approches, nous allons utiliser un
système hybride.
97
Figure 6.1 Un concept d’aspirateur exprimé comme un graphe FBS.
6.2 Représentation des connaissances en conception
La représentation des connaissances en milieu électronique n’est pas un
pratique facile puisqu’on doit répondre, au moins partiellement, à plusieurs
questions ardues : qu’est-ce que c’est une connaissance ? Quelles
connaissances représenter ? Le produit ? Le processus ? Comment
expliciter ces connaissances? Et encore, comment les représenter ? En ce qui
concerne la représentation des connaissances relevant de la description d’un
produit sous développement, plusieurs propositions ont été faites. Nous
pouvons distinguer deux paradigmes dominants.
Le premier est celle de la standardisation, dont les majeurs efforts se
concentrent autour de STEP (STandard for the Exchange of Product model
data) développé par International Organization for Standardization (Burkett
et Yang 1995) et Industry Foundation Classes, développé par International
Alliance for Interoperability, qui fournit des spécifications pour certains
objets de conceptions standardisés (Kiviniemi 1999). Cependant, ces deux
approches se préoccupent surtout des étapes tardives du processus de
conception où le produit est déjà spécifié grandement. Ce faisant, les deux
approches ignorent l’évolution du produit et se concentre sur l’échangeabilité
de l’information entre différentes applications, principalement en ce qui
concerne la « forme ».
98
Or, dans les étapes initiales de la conception, l’effort est porté sur les aspects
fonctionnels et les performances ciblées d’un produit. Alors, un deuxième
paradigme s’est constitué autour de la distinction entre la forme, les
performances et les fonctions, acclamant que l’aide à la conceptualisation
nécessite la prise en compte explicite des ces éléments (Gero 1990; Gorti et al.
1998; Goel et al. 1996; Rosenman et Gero 1996; Qian et Gero 1996). Cette
approche a produit des représentations plus souples et destinées pour divers
systèmes informatiques à base de connaissances. Ils ont été implantés sous
diverses formes comme des ensembles de couples d’attributs-valeurs, des
cadres ou des objets. L’archétype de ces schémas de représentations est le
schéma FBS mentionné dans le paragraphe 2.3.4. Ces schémas peuvent être
représentés sous formes de graphes orientés dont les nœuds sont de types
artefact (A), fonctions (F), comportements (B pour behaviour) ou structures
(S). Des extensions comme des relations ou des contraintes sont aussi
possibles (Gorti et al. 1998). Les arcs représentent les relations et elles ont été
appelées parfois des relations qualitatives causales (Qian et Gero 1996). Il
existe les types suivants ;
• A F← , reliant une Fonction à une Artéfact,
• F B← , reliant une Comportement à une Fonction,
• B S← , reliant une Structure à une Comportement,
• F F← , reliant une Fonction à une Fonction,
• B B← , reliant une Comportement à Comportement,
• S S← , reliant une Structure à une Structure.
Il est possible de constater que toutes les combinaisons n’existent pas mais
ceci représente plutôt le souci de s’accommoder au modèle FBS (voir
paragraphe 2.3.4) et dans les applications pratiques, il est possible de s’en
passer (Gorti et al. 1998).
Notre programme permet à l’utilisateur de construire des graphes FBS et une
base de donnée des artéfacts, des fonctions, etc. Du point de vue de
l’utilisateur, le graphe FBS est une description conceptuelle d’un produit et
constitue une représentation externe de son espace C. Du point de vue de
l’assistant, chaque sous-graphe peut être vue comme un concept. En
particulier, chaque symbole (les nœuds) F, B et S correspond à un concept
que le système essaie de mettre en relation les uns avec les autres. Les
99
concepts et leurs relations forment donc les connaissances de l’agent.
Comment faire une exploitation fluide de ces connaissances ? Nous allons
maintenant discuter les concepts fluides et les systèmes émergents.
6.3 Concepts fluides et computation émergente
6.3.1 Copycat
Le premier programme qui donna une démonstration de l’approche des
concepts fluides est Copycat (Hofstadter 1984; Mitchell 1993). C’est aussi un
des premiers programmes utilisant une approche hybride (ayant à la fois des
traits symboliques et connexionnistes). Le programme utilise un mécanisme
de propagation de l’activation sur un réseau sémantique avec une mécanisme
de control non déterministe (Hofstadter 1984; Mitchell 1993). Copycat est un
programme qui résout des problèmes d’analogie dans le domaine de
transformation de chaînes de caractères comme abc → abd, iijkk → ?, si abc
devient abd, que devient iijkk ? La réponse n’est pas unique et elle dépend de
la « perception » du problème. Si iijkk est regroupé comme i|ijk|k alors par
analogie la réponse sera i|ijk|k → i|ijk|l. En revanche, si les lettres sont
regroupées comme ii|j|kk, alors la réponse est ii|j|kk → ii|j|ll. Le but de
Copycat est de se servir de ce domaine d’analogie pour expérimenter sur la
nature de la perception, le raisonnement analogique et la créativité humaine
et tester des hypothèses que les auteurs avancent. Ces hypothèses incluent la
nature constructive du raisonnement, l’inséparabilité du raisonnement et de
la représentation, le parallélisme (simulé) et le contrôle décentralisé et non
déterministe.
Copycat est composé d’une mémoire active, d’une mémoire à long terme,
d’une queue de tâche probabiliste. Le mémoire active, appelée Workspace, est
le lieu où les représentations sont construites. La mémoire à long terme du
Copycat est appelé Slipnet ; Figure 6.2. Le Slipnet est un réseau sémantique
dont les nœuds correspondent à des concepts. Les concepts ont des degrés
d’activation et peuvent être activés à des niveaux différents. Ces activations
augmentent lorsque des instances de ces nœuds sont perçues ; autrement, les
activations diminuent avec le temps. Les nœuds peuvent transmettre une
partie de leur activation aux nœuds qui leurs sont connectés par un lien.
100
Figure 6.2 Une vue partielle du Slipnet de Copycat.
Les liens entre les nœuds sont valués et ces valeurs représentent des distances
conceptuelles. Plus un concept est distant à un autre, plus il devient difficile
de l’activer à partir de celui-ci. Les distances conceptuelles peuvent changer
pendant l’exécution.
Des programmes appelés codelets sont responsables pour bâtir la perception
du problème dans la mémoire active. Les codelets sont des mini-programmes
comme les applets des Java. Durant l’exécution, ils interagissent entre eux et
avec le Slipnet pour construire ou détruire des percepts, c'est-à-dire, des
représentations partielles de la situation comme « a est le successeur de b »,
« ijk forment un groupe » ou « a est l’équivalent de ii » ; Figure 6.3. D’une
manière réciproque, le nombre et les types de codelets (comme successeur,
groupe ou équivalent) à un moment donné est détermine par les activations
des concepts du Slipnet. Aucun codelet n’a une vue globale de l’état du
système. Ce sont des agents locaux qui interviennent dans le processus de
raisonnement avec de simples actions. Ils travaillent en parallèle ce qui peut
causer la construction de multiples représentations du problème au départ du
raisonnement. Autrement dit, avant la terminaison de l’exécution, il peut
arriver que le programme ait construit des percepts conflictuels comme, par
exemple, le regroupement de i|ijk et ii|jk dans le problème cité plus haut.
Graduellement, lorsque le temps passe, les groupes de codelets qui forment
des coalitions puissantes (par leur interaction et activations mutuelles)
déterminent la réponse finale.
101
Figure 6.3 Illustration de la mémoire active du Copycat
Lorsqu’un codelet est lancé, il est placé dans une queue de tâche probabiliste
appelé Coderack. Le choix de codelet à exécuter est fait aléatoirement parmi
les éléments du Coderack suivant leur paramètre appelé « urgence ».
L’urgence des codelets décroît avec le temps. Ainsi, les codelets les plus
récents et les plus urgents ont plus de chance de participer dans le
raisonnement. Le Coderack forme la mémoire procédurale du système. Ce
mécanisme supprime la nécessité de contrôle globale et fournit un
parallélisme simulé.
Etant donné un concept, comme son activation peut changer ainsi que la
puissance de ses connexions avec d’autres concepts, nous pouvons parler de
son halo conceptuel (Hofstadter 1984, 1995). Le halo conceptuel peut se
serrer ou se relâcher comme les distances conceptuelles peuvent varier. Par
ailleurs, lorsqu’un concept perd de son activation pendant qu’un concept
voisin en gagne, il peut y avoir des glissements conceptuels. Par exemple, le
concept prédécesseur peut devenir active à la place de successeur, ce qui peut
changer la perception du problème pour Copycat. Nous pouvons constater
des glissements conceptuels dans la cognition humaine de tous les jours ; un
capitaine peut être considéré un prêtre ; un tronc d’arbre peut être vue
comme une chaise ; une caravane peut être conçue comme un appartement
mobile. Il est revendiqué que le glissement conceptuel est fondamental pour
différentes activités créatives (Hofstadter 1995).
102
Le résultat retourné par Copycat émerge de l’interaction des codelets avec le
Workspace, le Slipnet et entre eux-mêmes. L’interaction non-déterministe
peut entraîner des représentations inattendues et des résultats créatifs.
Compte tenu de la nature constructive du raisonnement (et de la
représentation), Copycat peut être considéré comme un exemple
d’implantation de mémoire constructive. Cependant, le programme n’est pas
conçu pour opérer dans un environnement en temps réel et par conséquent il
n’est pas situé. Par ailleurs, il n’y a pas d’apprentissage comme les
connexions ou leurs puissances ne sont pas modifiées d’une exécution à l’autre
et comme il n’y a pas formation de nouveaux concepts. Cependant, ses
principes de fonctionnement étaient uniques à l’époque où le programme a été
introduit et ils ont été influents dans le monde de l’intelligence artificielle.
Aujourd’hui, ce genre de système est souvent catégorisé comme un système
émergent. Nous allons maintenant jeter un regard sur les systèmes à
comportement émergent en général. Puis, nous présenterons notre système
hybride à comportement émergent qui fait un usage fluide de ses concepts en
utilisant les principes de fonctionnement de base de Copycat et qui implante
une mémoire constructive et l’ancrage des concepts.
6.3.2 Système à comportement émergent
La fluidité des concepts dans le programme Copycat est assurée par le
mécanisme de control utilisée. Copycat est un système à comportement
émergent (SCE) par contraste à des systèmes à comportement rigide (SCR).
Dans un SCR, le traitement (la computation) à faire est spécifié a priori ; ce
genre de système a les avantages suivants (Kokinov et al. 1996):
• Il est possible d’atteindre le maximum d’efficacité ou au moins une
niveau d’efficacité prédéterminé en ce qui concerne l’utilisation des
unités de traitement symbolique,
• Elle est stable au sens qu’elle reproduit le même effet correspondant à
la spécification a priori,
• Il est possible d’assurer une consistance computationnelle ; c'est-à-dire
les ressources computationnelles sont utilisées d’une manière
systématique pour atteindre un ensemble de but.
103
En contrepartie, la computation rigide exhibe des difficultés pour être à la
fois efficace et flexible et la computation émergente est un des alternatives
(Forrest 1990; Kokinov et al. 1996).
Dans un SCE, la computation effectuée n’est pas fixée à l’avance mais elle est
émergente ; il n’existe pas de spécification a priori de ce que le système
calcule, ni de comment il calcule. Le résultat émerge du comportement
collectif de multiples unités de traitement.
• Le traitement est distribué sur un ensemble d’unités de traitement
travaillant en parallèle, et, il n’existe pas de control central.
• Le traitement est local et chaque unité de traitement ne peut interagir
qu’avec un nombre limité d’autres unités (sinon, le control global peut
devenir possible),
• Le mécanisme de traitement doit assurer une certaine consistance
parmi les unités de traitement pour éviter un comportement chaotique
du système ; autrement dit, malgré la non spécification, le
comportement doit achever certains effets désirés.
Il n’y a pas de limites nettes entre la computation rigide et la computation
émergente et il existe un continuum entre différents modèles. En particulier,
le système peut consister à plusieurs unités de traitement rigide qui
interagissent entre eux pour donner un comportement émergent. Des
spécifications explicites a priori peuvent donc exister à des degrés variés. Le
caractère émergent d’un système est déterminé par
• L’organisation computationnelle du système en ce qui concerne la
spécification des unités de traitement locales et leur connectivité,
• Le changement dynamique dans cette organisation, déterminé par les
unités de traitements particulières qui interviennent dans un
traitement particulier et le changement dans les patterns d’interaction.
Les caractéristiques d’un système de traitement sur ces deux axes
déterminent la flexibilité et l’efficacité du système.
104
Figure 6.4 Illustration d’un système hybride ; repris de (Kokinov 1994b)
6.3.3 Emergence et systèmes hybrides
Petrov et Kokinov (1999) voient Copycat comme une réponse aux doubles
défis d’efficacité et de flexibilité d’un système. Un système doit être efficace
dans la résolution des problèmes qu’il rencontre. Un système doit aussi être
flexible pour s’adapter à l’imprévu. Particulièrement, pour les systèmes
opérant dans un monde ouvert, il n’est pas possible d’énumérer à l’avance
toutes les situations que le système peut faire face. Le mécanisme de contrôle
de Copycat repose sur les principes suivants pour répondre à ce défi (Petrov
et Kokinov 1999):
1. Plusieurs candidats (représentations, solutions) sont considérés en
parallèle,
2. Il existe un mécanisme peu coûteux pour estimer la promesse d’un
candidat,
3. Les ressources computationnelles du système sont distribuées d’une
manière inégale, favorisant les candidates les plus prometteuses.
4. Les estimations des promesses sont mises à jour constamment, en
prenant compte de l’état actuel du système, et les ressources
computationnelles sont redistribuées parallèlement.
Ce genre de stratégie de control a été discuté sous différentes dénominations ;
i.e. la balance de l’exploitation versus l’exploration dans le contexte des
algorithmes génétiques (Holland 1992), le balayage étalé parallèle dans le
contexte des concepts fluides (Hofstadter 1995), la compétition contrôlée dans
le contexte des logiques de termes NAL (Wang 2006b).
105
Figure 6.5 Différents agent locaux actifs dans deux contextes (a) et (b) variés.
Petrov et Kokinov (1999) suggèrent que la propagation de l’activation est
une technique convenable pour les points 2 et 4. Il n’est pas coûteux, il peut
être utilisé dans des systèmes dynamiques et il permet d’accumuler
l’information provenant de diverses unités de traitement. De plus, ce
mécanisme permet au système la capacité d’être sensible au contexte.
Cependant, dans la majorité des cas, des représentations et des calculs
symboliques restent fondamentales pour des systèmes d’intelligence
artificielle. Kokinov propose une approche hybride où plusieurs unités de
traitement co-existent (Kokinov 1994a, b, c; Kokinov et al. 1996). Chaque
unité a une côté symbolique appelé cerveau droite ou R-Brain, et un coté
connexionniste appelé cerveau gauche ou L-Brain ; Figure 6.4. Un R-Brain
correspond à une connaissance symbolique particulière sur le domaine
modélisé. Un L-Brain correspond à une connaissance connexionniste
représentant la pertinence ou l’activation de l’unité de traitement étant
donné une situation.
Les unités de traitement peuvent transmettre de l’activation aux autres
unités auxquels ils sont connectés suivant un mode connexionniste. Un L-
Brain peut recevoir de l’activation de l’environnement ou de ses voisins. Un
R-Brain a accès aux sources computationnelles du système proportionnel-
lement au niveau d’activation de l’unité de traitement.
106
Dans un tel système, il est possible de voir chaque unité de traitement
comme un agent (local). Il n y a pas de séparation entre des structures de
données et des agents qui opèrent sur ces structures. Un agent peut être une
donnée pour un autre. Les agents travaillent à des vitesses variées suivant
leur niveau d’activation. Dans des contextes variés, différents groupes
d’agents peuvent être actifs ; Figure 6.5. Un tel système est donc sensible au
contexte et son comportement émerge de l’interaction des agents locaux.
Ce type d’architecture devient une implantation des principes de mémoire
constructive et de l’ancrage des concepts dans le cas où le système est doté
d’un mécanisme pour la création de nouveaux agents (i.e., de nouvelles
connaissances, puisque le coté symbolique de chaque agent correspond à une
connaissance) ainsi que la réadaptation des connexions entre agents. Le
système que nous présenterons dans la suite va exploiter ces principes ainsi
que les idées que nous avons vues dans la première partie de ce chapitre.
6.4 Une description globale du système DesigNAR
6.4.1 Concepts et Connaissances du système
DesigNAR est un assistant personnel de conception. Il collabore avec son
utilisateur par l’intermédiaire d’une interface graphique. L’interface permet à
l’utilisateur de construire un graphe FBS et une base de donnée contenant les
concepts d’artéfact, de fonctions, de comportements, de structures que
l’utilisateur créé pendant ses travaux. Donc, le système observe dans
l’environnement les concepts et les relations qualitatives causales entre ceux-
ci. Parallèlement, les connaissances du système, qu’elles soient observées ou
créés par le système, ont la structure d’un graphe. Les nœuds de ce graphe,
représentés par des symboles, correspondent à des concepts et les liens
correspondent à des connexions entre les différents concepts. Les concepts ont
des degrés d’activations et peuvent être plus ou moins actif. Les liens ont des
paramètres qui déterminent leur puissance et leur fiabilité. Les connaissances
du système sont donc de deux types, les concepts et leurs activations, d’un
coté, les liens entre les concepts et leurs paramètres, de l’autre coté.
107
6.4.2 Mémoire constructive et ancrage des concepts
Pour implanter la mémoire constructive et l’ancrage des concepts, nous
utilisons un système hybride distribué. Le système est composé d’un ensemble
d’agents locaux. Chaque agent correspond à un concept particulier (observé
dans l’environnement ou créé par le système). Les agents possèdent un
nombre limité de liens représentant les relations entre le concept
correspondant et d’autres concepts Ces liens peuvent être de natures
différentes (voir paragraphe 7.2). En particulier, ceux-ci peuvent correspondre
à des liens sur lequel l’agent doit s’interroger. Par s’interroger, nous
entendons faire des inférences pour juger la validité et la puissance du lien
(voir paragraphe 7.3).
Le système a donc un coté symbolique qui manipule par des actions locales
(inférences ou autre) des symboles correspondant aux concepts. Mais, il a
aussi un coté connexionniste. Les concepts ont des paramètres d’activation et
le système propage cette activation afin de rendre les concepts reliés actifs
dans un même contexte. Deux types d’activation existent ; une activation qui
provient de l’environnement et une activation qui est fournie par le
fonctionnement interne du système. L’activation externe a comme source
l’environnement. Les concepts observés dans l’environnement sont activés.
Cette activation est ensuite propagée aux concepts reliés par des liens. Ainsi,
les liens (observés dans l’environnement comme des relations qualitatives
causales ou créés par l’inférence) sont utilisés pour activer les concepts
pertinents comme dans un réseau de neurones.
L’activation interne a comme source l’activité d’inférence symbolique. Chaque
agent local qui conduit une inférence crée un nouveau lien. Le lien créé est
une nouvelle connaissance que le système doit considérer et mettre en relation
avec les autres connaissances qu’il possède. Comme nous avons
précédemment signalé, c’est un lien sur lequel le système doit s’interroger.
Cependant, le système travaille d’une manière parallèle et plusieurs agents
produisent de nouveaux liens.
108
Figure 6.6 Une illustration de certains agents locaux du DesigNAR lors de la construction
d’un concept d’aspirateur ; chaque concept, représenté par un symbole, possède des espaces
C et K locaux ; plus un concept est actif, plus noir est son contour.
L’urgence par laquelle le système doit considérer un lien créé varie et cela, en
fonction de l’urgence et des puissances des liens utilisés pour l’inférence. En
contrepartie, un lien créé contribue à l’activation des concepts concernés.
Plus des liens à considérer avec urgence sont créés à propos d’un concept,
plus le concept augmente son activation interne. Par ailleurs, l’urgence des
liens à interroger baisse avec le temps, et donc leurs activations internes se
dégrade tout comme l’activation externe. Ainsi, le système reste réactif à
l’environnement.
De cette manière, nous obtenons un système qui implante une mémoire
constructive par un processus de pousse-et-tire (voir paragraphe 4.3.3). Le
système est aussi une implantation du principe de l’ancrage des concepts
puisqu’il crée des liens entre les concepts en établissant ainsi un sens pour
ceux-ci.
6.4.3 Distinction C – K – E
Le système est situé dans un environnement E dans lequel se trouve un
utilisateur. Il interagit avec l’utilisateur par l’intermédiaire d’une interface en
109
observant et en suggérant des relations qualitatives causales. Dans la section
4.4, nous avons exprimé que la conceptualisation est au cœur de la
conception. Notre système mène des processus de conceptualisation en
parallèle et continuellement. Pour chaque concept qui est activé, par
l’environnement ou suite aux inférences, le système réalise des inférences pour
établir les liens de ce concept avec les autres concepts que le système connaît
dans la mesure de ses ressources et suivant le mécanisme de contrôle que
nous avons œuvré. Le système poursuit donc une incessante quête pour
concevoir le sens des concepts qu’il possède suivant ses interactions avec
l’environnement et ce qu’il connaît déjà.
Le sens que le système crée pour un concept n’est pas fixé mais fluide. Non
seulement ce sens évolue en fonction des inférences effectuées et les liens ainsi
créés, mais aussi l’activation interne et externe du concept et l’urgence des
liens à considérer varie avec le temps et en fonction des interactions. Par
ailleurs, le système fonctionne d’une manière non-déterministe : le choix de
concept et de liens à étudier se font aléatoirement. Les concepts les plus actifs
et les liens les plus urgents ont plus de chance de recevoir l’attention du
système. Néanmoins, le système peut aussi s’intéresser, même s’il est moins
possible, à des connaissances moins actives. Ainsi, le sens d’un concept peut
varier dans le temps et, à un moment donné, et n’intervient dans le processus
de conceptualisation que partiellement (pas tous les liens sont utilisés). Le
système fait un usage fluide de ses concepts.
Les espaces C et K du système sont distribués ; Figure 6.6. Chaque agent
local contient une partie de l’espace C et une partie de l’espace K. Au niveau
local, les liens à interroger forme un ensemble de propositions où figure le
concept correspondant ; ceci forme l’espace C local. D’autres liens associés au
concept, qui ne font pas l’objet d’une mise en question, forment la partie de
l’espace K local. A un moment donné, l’ensemble des liens à interroger des
concepts actifs peut être vue comme l’espace C courant pour le système. Les
espaces K locaux des concepts actifs et les concepts non actifs peuvent être
vue comme l’espace K. Les concepts non activés et les liens correspondants
peuvent être activé par l’espace C et participer au processus de
conceptualisation.
110
6.4.4 E-réactivité
Le système est sensible à son environnement. Il observe le travail de
l’utilisateur et il sent les changements que celui-ci réalise sur la représentation
de l’artéfact et sur la base de donnée. Si un symbole observé est rencontré la
première fois, le système crée le concept correspondant et commence à un
travail de conceptualisation (de type compréhension) pour donner un sens à
ce concept. Le système est fabriqué de telle manière que, chaque concept créé
figure dans deux relations qualitatives causales (sauf les concepts de type
artéfact qui sont reliés à Artéfact ; nous reviendrons sur ces détails). A partir
de ces relations, le système peut commencer à établir des liens entre le
concept étudié et les autres concepts qu’il connaît. Dans le cas où le symbole
observé est déjà connu par le système, le concept correspondant est activé au
maximum. Une propagation de l’activation s’en suivra, ce qui permettra au
système d’activer les connaissances pertinentes afin de les utiliser dans la
conceptualisation.
Le système est réactif aux actions de l’utilisateur. Si l’utilisateur sélectionne
un symbole (par exemple, un comportement B), le concept correspondant est
activé et l’agent local vérifie s’il possède un lien qu’il peut suggérer à
l’utilisateur. Si l’espace K partiel de l’agent, c'est-à-dire, les liens qu’il
contient localement, inclut une relation qualitative causale appropriée (par
exemple, B S← où S est une structure), celle-ci est proposée à l’utilisateur.
Sinon, l’agent commence à faire des inférences dans le but de générer des
connaissances pertinentes qui peuvent être suggérées ou, du moins, pour
qu’elles soient prêtes pour les occasions futures.
6.4.5 C-expansivité
Le système est capable d’étendre son espace C. Quand un agent local effectue
une inférence, il crée un lien. Chaque pas d’inférence prend deux liens en
considération et en crée un troisième lien. En général, le lien créé ne concerne
pas le concept correspondant à l’agent. Par exemple, si les deux liens d’un
concept 1C , représentant chacun la relation du 1C avec deux concepts 2C et
3C , sont utilisés pour faire l’inférence, le lien résultant est au sujet de la
relation entre 2C et 3C . Par conséquent, celui-ci est stocké par les agents
111
locaux correspondant aux concepts 2C et 3C dans leurs espaces C locaux
respectifs (donc il y a une redondance en retour de la flexibilité obtenue). Ils
vont étudier le lien pour créer d’autres connaissances.
En ce qui concerne les concepts 2C et 3C , le lien créé correspond à une
partitionnement de l’espace C. Si l’un de ces deux concepts ont déjà la même
connaissance dans leur espace K locale, alors la partition est restrictive. Dans
le cas contraire, une partition expansive a été opérée et le sens du concept
change. De cette façon, le système mène plusieurs conceptualisations en
parallèle et, par l’activité d’inférence, il peut élaborer le sens des concepts
activés.
Un autre type de partition expansive est la création de nouveaux concepts.
La création de concept se fait par la conjonction de deux concepts. Par
exemple, si les deux liens d’un concept 1C représentant chacun la relation du
1C avec deux concepts 2C et 3C , sont utilisés pour faire la création, le
concept produit est 2 3&C C . Cette opération peut être vue comme une
disjonction sémantique. Au départ, le concept créé n’a pas de sens pour le
système et les liens qu’il a avec 1C , 2C et 3C sont les seuls que l’agent
correspondant possède. Comme ces trois liens concernent les trois concepts de
départ, le lien de chacun avec le nouveau concept est enregistré dans leurs
espaces K locaux.
Le nouveau concept a certainement une relation avec les trois concepts
utilisés lors de sa création ; cependant, il s’agit d’un autre concept à part,
pour lequel le système va construire un sens. Soulignons que, dans la mesure
où 1C , 2C et 3C ont plus de liens locaux que le concept composé, ils vont
vraisemblablement contribuer plus dans la construction du sens de celui-ci.
Ainsi, les différentes sources de connaissances dans l’espace K du système,
interagissent avec un concept de l’espace C pour concevoir un sens pour
celui-ci. Par ailleurs, précisons dés maintenant que les concepts créés par le
système ont un rôle spécial pour les suggestions du système. En utilisant les
concepts composés, le système tente de regrouper les concepts reliés afin de
les suggérer d’un seul coup pour faire avancer le travail plus vite.
112
6.4.6 K-expansivité
Le système est K-expansive comme il est capable de produire de nouvelles
connaissances à partir des concepts qu’il crée ou qu’il observe. Comme le
système implante l’ancrage des concepts, cette production de connaissance
consiste essentiellement à la construction de sens pour les concepts de
l’assistant. Par le construction de sens, nous entendons ici la mise en relation
des concepts les uns avec les autres. Pour ce faire, le système utilise le
mécanisme d’inférence.
Comme le système est distribué, étant donné un agent 1C , il a juste une vue
partielle des connaissances du système (les liens qui le concernent
directement). Pour cette raison, si 1C infère un lien à propos de 2C et 3C , le
lien doit être étudié par le système à la lumière des autres connaissances qu’il
possède. Ainsi, le lien créé est passé aux agents 2C et 3C . Pour les agents 2C
et 3C , le lien appartient aux espaces C locaux respectifs. En utilisant les
connaissances locales qu’ils ont, ces agents vont considérer le lien, dans la
mesure de son urgence, et effectuer d’avantages d’inférences pour créer encore
plus de connaissances. De cette manière, l’activation interne se propage tout
comme l’activation externe. L’urgence d’un lien créé contribuera à
l’activation interne d’un concept ce qui donne au concept plus de chance de
créer de nouveaux liens et activer encore d’autres concepts.
Aussi, devons-nous souligner que, tout comme la propagation de l’activation,
les connaissances du système sont propagées. Un concept qui crée un lien le
passe à deux autres concepts. Si l’un de ces deux concepts utilise le lien passé
dans une inférence, le lien créé va encore être passé à d’autres concepts et
ainsi de suite. De cette manière une connaissance, qu’elle soit obtenue de
l’environnement par l’observation ou qu’elle soit créé suite à l’inférence, est
étudiée par le système en la mettant en relation avec d’autres connaissances
que le système a.
Un agent local peut contenir un nombre limité de liens. Ayant donc une
capacité finie, le système doit retenir que les connaissances les plus utiles.
Quand un nouveau lien est passé à un agent suite à une inférence, si la
capacité est déjà atteinte, le lien le moins utile est effacé. En ce qui concerne
113
les espaces K locaux, le lien le moins puissant est effacé ; en ce qui concerne
les espaces C locaux, le lien le moins urgent est effacé (nous reviendrons sur
ces détails dans le Chapitre 8). Ce mécanisme d’oubli est une contrainte
naturelle comme le système ne peut avoir des ressources illimitées. Par
ailleurs, il a l’avantage de forcer le système à produire des connaissances plus
sûres et pertinentes en évitant de garder des informations les moins
intéressantes. Le système s’adapte sur la base de son expérience et sur son
interaction avec l’environnement.
6.4.7 Couplage C/K/E
Durant son utilisation, le système répète continuellement un cycle de
fonctionnement. Le cycle commence par un processus de sensation où le
système observe l’état de l’environnement et détecte les changements, s’il en
existe. Ensuite, la propagation de l’activation a lieu. Tous les agents actifs
propagent leurs activations. Les agents actifs forment la mémoire active du
système. Ces agents là sont les seuls à être considéré pendant le cycle
courant.
Après cette opération le système continue son cycle par un pas d’inférence.
Un pas d’inférence commence par la sélection d’un concept (actif). Cette
sélection est fait en tenant compte de l’activation interne aussi bien que de
l’activation externe des concepts. Plus un concept est actif, plus il a la chance
d’être sélectionné par le système. Un fois le concept sélectionné, le système
choisit par la même logique une tâche, c'est-à-dire, un lien de l’espace C local
sur lequel le système doit s’interroger. La sélection se fait encore une fois
aléatoirement, et les tâches les plus urgentes ont plus de chances d’être
sélectionnées. Une connaissance de l’espace K locale est choisie encore une
fois de la même manière, le choix étant biaisé cette fois-ci en faveur des liens
les plus puissants. Finalement, l’agent effectue l’inférence et produit un
nouveau lien. Le lien produit est enregistré et sera considéré en début du
cycle prochain. Avec les autres sensations (les liens détectés dans
l’environnement), la connaissances créée sera envoyée dans les espaces K
locaux des agents concernés.
114
Notons que des liens détectés dans l’environnement peuvent correspondre à
des liens suggérés par le système dans les étapes précédents. Le système étant
un assistant de conception, il doit apprendre des réactions de l’utilisateur afin
d’améliorer son fonctionnement. Autrement dit, il doit renforcer le lien
correspondant en augmentant sa puissance. Dans la version courante, le
système a un mécanisme simple et naturel, appelé révision, pour ce faire. La
révision est en réalité une opération d’inférence et est réalisée par un agent
local comme tout autre calcul symbolique. L’agent local peut combiner le lien
observé et le lien suggéré pour donner un lien plus puissant.
Le système est un exemple de système à comportement émergent. Chaque
agent est doté d’une rationalité locale mais contribue au comportement global
par son activité même et par ses interactions avec les autres agent. Ces
interactions sont gérées par un mécanisme non-déterministe. A chaque cycle,
l’agent local qui continuera à son processus de conceptualisation est choisi
aléatoirement, de même que les tâches et les connaissances à utiliser pour
faire l’inférence. De plus, les paramètres utilisés pour faire la sélection tels
que les valeurs d’urgences et de puissances, les activations internes et externe
varient pendant le fonctionnement suivant de l’interaction avec
l’environnement. Suites à ces interactions et à ce fonctionnement, les tâches
des concepts actifs (donc l’espace C du système), les connaissances activées
(les connaissances des agents locaux actifs) et les connaissances activables à
partir de ceux-ci changent perpétuellement et en interaction ; le système
respecte le couplage C/K/E.
Nous avons ainsi achevé une description globale du système. Nous pouvons à
présent expliquer plus en détail, comment les concepts et les liens sont
représentés et manipulés par le système. Nous continuerons donc par la
présentation du langage utilisé DesigNAR et les règles d’inférence.
115
L’important quand on est chef,
ce n’est pas d’avoir raison ou tort, mais d’être catégorique.
Bien sûr, avoir raison aide beaucoup.
Terry PRATCHETT
Le grand livre des Gnômes
Chapitre 7. Langage et inférence
Dans le chapitre précédent, nous avons vu que le système se représente les
connaissances observées comme des concepts et des liens entre ces concepts.
Dans ce chapitre, nous allons exposer les détails de cette représentation et de
sa manipulation ; c'est-à-dire, le langage que le système utilise et les types
d’inférence effectués. Le chapitre commence en discutant les spécifications du
langage dont nous avons besoin en ce qui concerne le sens des liens et le but
de l’inférence. Le langage utilisé dans DesigNAR est une logique de termes,
appelé NAL, qui réalise les spécifications énoncées. Nous introduirons d’abord
cette logique, puis, les règles d’inférence seront présentées.
7.1 Sens des liens, but de l’inférence
La présentation du chapitre précédent décrit un système qui utilise un
ensemble de concepts qui ont chacun un ensemble de liaisons avec certains
autres concepts. Le système acquiert ses premiers concepts et liaisons en
observant des graphes FBS construits par l’utilisateur ; Figure 7.1. La
structure obtenue peut être représentée par un graphe ; Figure 7.2. Quelles
sortes d’inférences peuvent être effectuées à partir d’une telle structure?
Essentiellement, ce que nous voulons c’est un mécanisme qui permettra
d’établir des relations entre les concepts observés et de créer de nouveaux
concepts. Suivant le système présenté dans la section précédente, à chaque
itération, ce mécanisme va sélectionner un concept et réaliser une inférence à
partir des liens du concept. Il est possible de créer différents types de liens.
Par exemple, sur la Figure 7.2, les liens marqués en rouge peuvent être
inférés à partir des liens observés (marqués en noir).
116
Figure 7.1 Deux schémas FBS décrivant deux aspirateurs
Ainsi, le système peut considérer le concept : _1F Séparation et, à partir de
ses liens avec : _1A Aspirateur et : _1B Filtration , il peut créer un lien
entre ces deux derniers concepts. De même, il est possible de considérer le
concept : _1B Cyclone et ses liens avec : _1S Moteur et : _1S Cone pour
créer un autre lien entre ces derniers. Il est également possible de créer des
liens bidirectionnels, par exemple, entre les concepts : _1A Aspirateur et
: _2A Aspirateur . A coté de la création des liens, le système peut aussi créer
des concepts, par exemple, comme : _1& _1B Filtration Séparation et le
relier aux concepts concernés.
Mais, quel sens pouvons-nous donner à ces liens ? Quelle est la logique qui
permettrait de réaliser ces inférences ? Nous savons que l’utilisateur élabore
des relations qualitatives causales FBS pour construire un artéfact. Cette
représentation a trois propriétés inhérentes :
1. Il existe une hiérarchie dans la construction de la représentation
(d’abord les fonctions, puis les comportements, ensuite les structures ;
voir le modèle FBS au 2.3.4).
2. Dans ce modèle, une relation X Y← peut être interprétée comme
« (la fonction) X est réalisé par (le comportement) Y » ou « (le
comportement) X est fourni par (la structure) Y ».
117
Figure 7.2 Un exemple de graphe de connaissance sur les deux aspirateurs
3. Les liens sont typés et il n’est pas possible construire toutes sortes
d’associations (voir la section 6.2). Par exemple, : _1A Aspirateur
← : _1B Filtration n’est pas une relation qualitative causale valide,
car un comportement B ne peut réaliser qu’une fonction F, comme
: _1F Séparation (ou un autre comportement plus général).
Ce troisième point est particulièrement restrictif pour le système que nous
voulons bâtir, comme le système essaie d’apprendre quels concepts sont
pertinents étant donné un contexte et d’établir un sens en les mettant en
relation les uns avec les autres. En imposant la troisième propriété, nous
interdirons, par exemple, le concept de vacuum d’être directement lié au
concept d’aspirateur, or intuitivement, ces deux concepts doivent apparaître
l’un dans le sens de l’autre.
Pour éviter cela, il est possible de construire le système de sorte que, du point
de vue du système, au moment de l’inférence, les nœuds ne correspondent
qu’à des concepts et les liens sont créés sans aucune distinction comme
fonctions, comportements ou autres. Un tel choix a des implications sur le
deuxième point. Le sens que nous pouvons donner aux liens ne sera plus le
même. Dans ces conditions, le lien : _1B Filtration → : _1A Aspirateur peut
avoir des interprétations comme « : _1B Filtration est utile en présence
d’ : _1A Aspirateur » ou encore « : _1B Filtration est pertinent dans le
118
contexte d’ : _1A Aspirateur ». Ce genre d’interprétation reflète une
connexion sémantique entre les concepts reliés plutôt qu’une causalité. Dans
la même veine, il est possible de créer des liens bidirectionnels. Un lien
comme : _1A Aspirateur ↔ : _2A Aspirateur peut être interprété comme
« le concept : _1A Aspirateur et le concept : _2A Aspirateur sont
similaires ».
De cette manière, dans son fonctionnement interne, le système ne fait pas de
distinction entre différents types de concept. Cependant, dans la
représentation que l’utilisateur construit ces différences existent et lors de
ses suggestions l’assistant doit en prendre compte. Le système doit proposer
des relations qualitatives causales valides. Ainsi, quand l’utilisateur ajoute la
fonction : _1F Séparation pour construire : _2A Aspirateur , le deuxième
aspirateur de l’exemple, le système doit proposer des comportements comme
: _1B Filtration et non pas des artéfacts comme : _1A Aspirateur .
Par ailleurs, le système peut avoir plusieurs liens à suggérer comme les liens
(observés) avec : _1B Filtration , : _1B Separation , : _1B Vacuum ou
même les liens avec les concepts créés comme : _1B Filtration
& _1Séparation . De plus, dans une large base de donnée, il peut y avoir
beaucoup de liens pour un élément quelconque mais les éléments les plus
utiles doivent être proposés.
Une manière de résoudre ce problème est de favoriser la hiérarchie dans la
création des liens, c'est-à-dire de respecter le premier point propre aux
graphes FBS, en manipulant les puissances des liens (nous discuterons la
notion de puissance d’un lien dans la section suivante). Si nous considérons
le concept : _1F Séparation de l’exemple de la Figure 7.2, le concept
: _1B Filtration est, dans le contexte de cet exemple et étant donné la
nature hiérarchique des graphes FBS, moins général que celui-ci. D’une
manière similaire, le concept : _1F Séparation est moins général que le
concept : _1A Aspirateur . Dans ces conditions, si au moment de l’inférence,
le système considère le concept : _1F Séparation , des deux liens qui
peuvent être créé entre : _1A Aspirateur et : _1B Filtration , le lien allant
119
de : _1B Filtration vers : _1A Aspirateur doit être plus puissant (marqué
en rouge épais), et le lien inverse moins puissant (marqué en rouge mince).
En favorisant la hiérarchie dans la construction des liens, le système peut
faire des propositions valides et suggérer les liens les plus puissant compte
tenu de l’expérience du système. A partir de la section suivante nous allons
proposer une démarche logique qui permet de réaliser ces spécifications.
7.2 Le langage
Dans cette section, nous allons présenter le langage formel du DesigNAR.
Nous utilisons une logique de termes, appelé NAL, pour Logique Non-
Axiomatique, décrit par (Wang 1995, 1998, 2002, 2005, 2006a, b ; voir aussi
Wang et Hofstadter 2006). En utilisant la logique qu’il propose Wang a bâti
un système de Raisonnement Non-Axiomatique, NAR, ce qui a aussi inspiré
le nom de notre assistant ; DesigNAR.†† Les logiques de termes sont moins
connues que la logique classique et ses dérivés ; pour cette raison, nous ferons
une présentation assez détaillée de la logique que nous utilisons. Cependant,
nous devons noter que le but de notre projet n’est pas une étude ou un
développement de la logique présentée et donc nous nous contenterons à
utiliser les résultats de Wang.
7.2.1 Les relations d’héritage et de similarité
Les logiques de termes se rapprochent des syllogismes d’Aristote et elles ont
les caractéristiques suivantes (Englebretsen 1981; Bochenski 1970) :
• Chaque proposition a le format « sujet-copula-prédicat ».
• Le sujet et le prédicat sont des termes. Les termes sont des symboles
qui représentent les concepts.
• Le copula correspond à une relation qui peut avoir différentes
interprétations comme « est un » ou « relié à » ou « associé à ».
Plusieurs copula peuvent être utilisés dans une même logique de
termes.
†† Une démonstration du système NAR ainsi que des exemples peuvent être trouvés en ligne
sur l’Internet dans le site personnel de Pei Wang au http://nars.wang.googlepages.com/ ou
au http://www.cogsci.indiana.edu/farg/peiwang/papers.html
120
• L’inférence est syllogistique, c'est-à-dire, deux propositions ayant un
terme en commun sont utilisées pour produire une troisième
proposition entre les termes non communs.
Nous utiliserons deux types de copula dans notre système ; la relation
d’héritage « → » et la relation de similarité « ↔ ». Etant donné deux
termes, S et P, la proposition S P→ signifie intuitivement que « S est une
spécialisation de P et P est une généralisation de S ». Il est important de
noter que le mot héritage est utilisé ici différemment de son sens habituel ; il
s’agit ici d’un héritage bidirectionnel. Non seulement S hérite les
généralisations de P mais P hérite les spécialisations de S. Quant au
deuxième copula, étant donné deux termes, S et P, la proposition S P↔
signifie que nous avons à la fois S P→ et P S→ . Dans d’autres termes, S
et P sont similaires.
7.2.2 Relation d’héritage pour modéliser les relations qualitatives causales
Suivant la perspective cognitive que nous avons exposé dans le Chapitre 4, le
processus de conceptualisation forme les concepts en construisant un sens
pour ceux-ci sur la base des percepts et d’autres concepts. La relation
d’héritage proposée par Wang est une manière de modéliser la hiérarchie de
concepts qui résulte de ce processus de conceptualisation et la relation des
concepts ainsi établis. Lorsque le système connaît la relation Chat →Animal,
il sait que le sens de Chat évoque Animal et que, réciproquement, le sens
d’Animal fait intervenir le sens de Chat, mais que Animal est plus général
que Chat. Il est possible d’utiliser cette relation pour modéliser la relation
entre les concepts d’un graphe FBS. Considérons les concepts
: _1B Filtration et : _1F Séparation de l’exemple de la Figure 7.2. La
relation d’héritage : _1B Filtration → : _1F Séparation signifie donc que les
sens de ces deux concepts dépendent l’un de l’autre ; le concept
: _1B Filtration est relié au concept de : _1F Séparation et vice versa,
mais que ce dernier est plus général !
Remarquons que le degré de la relation entre les sens de deux termes
quelconques peut varier. Même si Chat contribue au sens d’Animal, le
système peut connaître d’autres concepts d’animaux qui font partie du sens
121
d’Animal. Ainsi, un concept peut être relié à un autre à des degrés variés. Les
propositions utilisées dans NAL sont de la forme ,S P f c→ < > où f, la
fréquence et c, la confiance, sont deux paramètres qui varient dans
l’intervalle unitaire et qui déterminent la vérité d’une relation d’héritage (ou
de similarité). Comme nous allons voir, cette sémantique proposée par Wang
provient d’une notion d’évidence qu’il élabore. Afin de pouvoir présenter les
détails de cette notion, nous devons commencer en introduisant une relation
d’héritage binaire, dite une relation d’héritage idéale et NAL-0, une logique
de termes simple correspondant à cette relation. Cela nous permettra par la
suite de présenter NAL, le langage utilisé par notre système, et les points
spécifiques comme la grammaire, la vérité d’une proposition, le sens d’un
terme et la logique de l’inférence.
7.2.3 NAL-0
NAL-0 est une logique de termes simple. Les termes correspondent à des
symboles représentant les concepts. Au niveau d’abstraction où nous nous
plaçons, nous considérons que l’agent a acquis ces concepts d’une manière ou
d’une autre, sans s’occuper du mécanisme précis qui permet cette acquisition.
Définition 7.1 Un terme est une chaîne de caractère dans un alphabet.
Le copula utilisé dans NAL-0 est une relation d’héritage binaire.
Définition 7.2 La relation héritage idéale «֏ » est une relation binaire entre
deux termes, qui est définie par la réflexivité et par la transitivité. Une
proposition d’héritage idéale est composée de deux termes reliés par la
relation d’héritage idéale. Dans une proposition d’héritage binaire S P֏ , S
est le sujet, P est le prédicat.
Notons que la relation d’héritage n’est ni symétrique, ni asymétrique. C'est-à-
dire, étant donné X Y֏ , on ne peut pas déterminer si Y X֏ est vraie ou
fausse. La sémantique proposée est fondée sur l’expérience du système. Pour
introduire une sémantique ancrée sur l’expérience, nous devons d’abord
définir ce que c’est l’expérience. La connaissance initiale du système
provenant de l’environnement forme l’expérience du système :
122
Définition 7.3 L’expérience idéale du système, K, est un ensemble de
propositions dans NAL-0. K est non vide et fini, et dans chaque proposition
de K, le sujet et le prédicat sont différents.
Comme K est un ensemble, une relation d’héritage idéale ne peut y
apparaître qu’une seule fois. Une expérience peut être donné au système au
départ, ou alternativement, il peut acquérir cette expérience par des
observations.
Définition 7.4 Etant donné K, les croyances du système, K*, est la fermeture
transitive de K, exclus les propositions où le sujet et le prédicat sont
identiques.
K* peut être dérivé à partir de K en utilisant un algorithme de génération de
fermeture transitive classique. La règle d’inférence utilisée pour obtenir la
fermeture transitive découle de la transitivité de la relation d’héritage. Par
exemple, si K = {Chat ֏Animal, Animal ֏Etre_Vivant}, alors
K* = K ∪{Chat ֏Etre_Vivant} forme les croyances du système. Donc, K*
est aussi non vide et fini et il inclut K aussi bien que les propositions dérivées
à partir de K avec la transitivité de la relation d’héritage.
Définition 7.5 Dans NAL-0, une relation est considérée vraie si elle existe
dans K* ou si elle a la forme T T֏ . Sinon, elle est fausse.
Autrement dit, dans NAL-0, « vrai » correspond à « la relation est trouvée
dans K* » et « faux » correspond à « la relation n’est pas trouvée dans
K* » et non pas « la négation de la relation est trouvée dans K* ».
Comment un terme T est-il relié à l’expérience du système ? Définissons
l’intension et l’extension d’un terme pour répondre à cette question.
Définition 7.6 Etant donné l’expérience K du système, soit KV l’ensemble des
termes figurant dans K, l’extension d’un terme T est l’ensemble de
termes { }|ET x x V x TΚ= ∈ ∧ ֏ .
Définition 7.7 Etant donné l’expérience K du système, soit KV l’ensemble des
termes figurant dans K, l’intension d’un terme T est l’ensemble de termes
{ }|IT x x V T xΚ= ∈ ∧ ֏ .
123
L’intension et l’extension sont donc définies par des ensembles. Etant donné
l’expérience K = {Chat ֏Animal, Animal ֏Etre_Vivant}, l’extension
d’Animal inclut Chat, et l’intension d’Animal inclut Etre_Vivant. Comme
l’intension et l’extension sont définies d’une manière symétrique, quelque soit
le résultat sur l’un, il existe un résultat dual sur l’autre. Par exemple, lorsque
la relation Chat ֏Etre_Vivant est déduite à partir de K, nous obtenons de
l’information sur l’intension de Chat (Etre_Vivant y est inclus) et de
l’information sur l’extension d’Etre_Vivant (Chat y est inclus). Chaque
proposition du système correspond à une partie de l’intension du sujet et une
partie de l’extension pour le prédicat.
Cette façon de définir l’intension et l’extension est différente de celle,
coutumière, où l’intension se réfère aux propriétés d’un terme et l’extension
se réfère à ses instances. L’extension (donc, les instances) est habituellement
un ensemble d’objets dans un monde physique, tandis que l’intension est
défini comme une notion dans un monde Platonique. Traditionnellement, ces
deux aspects se réfèrent à une relation entre les termes d’un langage et des
choses à l’extérieur de ce langage. Par contraste, dans le système de Wang, ils
sont définis en utilisant une relation entre deux termes, et donc, dans le
langage même. Néanmoins, ils gardent leur sens intuitif ; l’intension se réfère
aux propriétés et l’extension se réfère aux instances.
Définition 7.8 Etant donné K*, la croyance du système, dans NAL-0, le sens
d’un terme T consiste à son intension et à son extension.
Un terme T a un sens pour le système s’il apparaît dans l’expérience du
système. Autrement dit, un terme qui n’apparaît dans aucune relation que le
système connaît n’a pas de sens pour le système. Le sens d’un terme
s’enrichit au fur et à mesure que le système acquiert ou établit des relations
dans lesquelles ce terme apparaît comme sujet ou prédicat.
Etant donné la définition de K* ci-dessus, il est possible de voir que S P֏
si et seulement si l’extension de S est contenu dans l’extension de P et
l’intension de P est contenu dans l’intension de S. La relation S P֏
équivaut à dire « S hérite toutes les intensions de P et P hérite toutes les
extensions de S. » Une telle relation indique qu’un terme figurant dans la
124
relation peut être utilisé à la place de l’autre terme. Nous pouvons tout de
suite remarquer qu’une telle conception est extrêmement exigeante en ce qui
concerne un agent cognitif. Considérons, par exemple, Tweety֏Oiseau. Nous
savons que, bien que Tweety possède certaines caractéristiques propres aux
oiseaux, mais il ne possède pas toutes les propriétés, par exemple, la propriété
d’être vivant. D’une manière générale, étant donné deux concepts S et P, la
puissance de la relation entre ceux-ci peut varier. La relation d’héritage
binaire de NAL-0, et sa mode d’inférence basée sur la transitivité ne
permettent pas de prendre en compte ces aspects.
7.2.4 NAL
NAL est une logique de termes qui élargit le cadre fourni par NAL-0 en
considérant le cas de l’héritage imparfait.‡‡ Par l’héritage imparfait, nous
entendons le cas où, étant donné deux termes S et P entre lesquels il existe
une relation d’héritage sans pour autant que l’extension de S soit incluse dans
l’extension de P ou que l’intension de P soit incluse dans l’intension de S.
Autrement dit, P peut avoir des propriétés qui ne sont pas des propriétés de
S ou S peut avoir des instances qui ne sont pas des instances de P. Wang
introduit, une deuxième relation, la relation d’héritage (imparfaite) → et
propose une notion d’évidence pour asseoir la sémantique de cette relation
(Wang 1995, 2005, 2006b).
Définition 7.9 Soit une relation d’héritage S P→ . Un terme M constitue une
évidence positive (en faveur de la relation) si
• E EM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si M S֏ et M P֏ existent dans K*,
ou,
• I IM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si P M֏ et S M֏ existent dans K*.
Un terme M constitue négative évidence si
‡‡ Il existe en réalité une famille de logique NAL, allant de NAL-0 à NAL-7, bâtit couche par
couche, sur NAL-0. Comme notre but n’est pas d’étudier les logiques NAL et comme nous
n’avons pas besoin de toutes les fonctionnalités (telles que la considération des variables, des
propositions d’ordres supérieurs, la planification, etc.) fournies par ces logiques, nous ne nous
restreignons qu’aux détails qui nous concernent. Nous appelons NAL les parties que nous
avons utilisées dans notre système.
125
• E EM S P∈ − , c’est-à-dire, si M S֏ est dans K* mais M P֏ n’y
est pas, ou,
• I IM P S∈ − , c’est-à-dire, si P M֏ est dans K* mais S M֏ n’y est
pas.
La logique sous-jacente à cette définition découle directement du sens de la
relation d’héritage. La proposition S P→ équivaut à dire que S hérite
l’intension de P, et P hérite l’extension de S. Donc, étant donné un terme M
qui est en relation d’héritage avec au moins l’un des termes S ou P, M
contribue positivement à la vérité de la proposition, s’il est une propriété
commune de ces deux termes ou s’il est une instance commune de ces deux
termes. Sinon, elle constitue une évidence négative. Avec ces définitions il est
possible d’obtenir la quantité d’évidence positive, négative et totale comme
suit.
Définition 7.10 Pour une relation S P→ , la quantité d’évidence positive,
négative et totale sont respectivement :
• E E I Iw S P S P+ = ∩ + ∩
• E E I Iw S P P S− = − + −
• E Iw w w S P+ −= + = +
Les quantités w+ et w− peuvent être utilisés directement pour juger la vérité
d’une proposition par rapport à l’expérience du système. Cependant, il est
possible de synthétiser ces informations dans un indice relatif qui permet de
normaliser cette information.
Définition 7.11 Pour une relation S P→ , la fréquence f est définie par le
ratio
wf
w
+
=
sauf pour w = 0, c'est-à-dire quand il n’existe aucune évidence, où f est
considéré 0.5.
Cette mesure est une façon naturelle de relativiser l’évidence. Néanmoins, elle
pourrait être trompeuse. On ne pourrait pas distinguer, le cas où le système a
observé 10 corbeaux au total dont 9 sont noirs et le cas où le système a
observé 10 000 corbeaux dont 9000 sont noirs. Dans les deux cas, la fréquence
126
de Corbeau Noir→ vaut 0.9. Mais, dans le deuxième cas, la proposition est
mieux fondée et moins incertaine comme il y a plus d’évidence. Wang
propose une deuxième indice, dit confiance, pour tenir compte de la différence
entre les deux types de situations.
Définition 7.12 Pour une relation S P→ , la confiance c est définie par le
ratio
wc
w k=
+ où w est l’évidence totale et k est un constant positif, dit constant de
prudence.
Le but du constant de prudence est de prendre en compte l’évidence
potentielle qu’il serait possible d’observer dans le futur. Il pourrait être
interprété comme une distance à un horizon temporel. Plus ce constant est
grand, plus d’évidences sont nécessaires pour établir la sûreté d’une
connaissance. Considérons la connaissance Corbeau Noir→ . Avec 10
corbeaux observés dont 9 noirs, et avec deux constants de prudence
différents, k1 = 1 et k2 = 1000. Nous pouvons voir que les valeurs de vérités
de la proposition sont respectivement 9 10,10 11< > et 9 10,10 1010< > .
Avec 10000 corbeaux observés dont 9000 noirs, et pour les mêmes constants
de prudence, nous avons les valeurs de vérités respectives
9 10,10000 10001< > et 9 10,10000 11000< > . Nous voyons avec cet
exemple que l’introduction de la confiance change considérablement
l’interprétation que l’on peut faire des valeurs de vérités. La confiance c a les
propriétés suivantes,
• La confiance est une fonction monotone et croissante de w.
• Lorsqu’il n’y a aucune évidence, la confiance est nulle.
• Lorsque l’évidence tend vers l’infini, la confiance tend vers 1.
Avec ces définitions, nous pouvons définir la vérité d’une relation d’héritage
comme suivante.
Définition 7.13 La valeur de vérité d’une relation S P→ est une paire de
nombres réels [ ] [ ), 0,1 0,1f c< >∈ × où f est la fréquence, et c est la confiance.
Etant donné une valeur de vérité, la quantité d’évidence négative, positive et
totale peuvent être calculés de manière unique. Ces deux représentations sont
127
donc équivalentes. Cependant, il est également possible de représenter la
valeur de vérité par un intervalle (Wang 1995, 2006b).
7.2.5 Relation de similarité dans NAL
La relation d’héritage que nous avons vue n’est pas le seul copula de la
logique NAL. Dans notre système nous utiliserons un deuxième copula, dit
similarité, dénoté par « ↔ ». Ce copula sert à exprimer une équivalence
entre deux termes. Considérons, par exemple, les concepts Créature et
Animal. Il parait naturel que les deux termes correspondant aient des
extensions et des intensions communes ; ils ont des sens similaires.
Définition 7.14 Etant donné deux termes S et P, la relation de similarité
S P↔ est définie par la conjonction de S P→ et P S→ .
Il pourrait être noté que, deux termes reliés par la relation de similarité sont
à la fois dans l’intension et l’extension de l’un et l’autre. Dans ces conditions,
l’évidence pour les relations S P→ et P S→ est aussi l’évidence pour la
relation S P↔ .
Définition 7.15 Soit une relation de similarité S P↔ . Un terme M constitue
une évidence positive (en faveur de la relation) si
• E EM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si M S֏ et M P֏ existent dans K*,
ou,
• I IM S P∈ ∩ , c’est-à-dire, si P M֏ et S M֏ existent dans K*.
Un terme M constitue une évidence négative si
• E EM S P∈ − , c’est-à-dire, si M S֏ est dans K* mais M P֏ n’y
est pas, ou,
• I IM P S∈ − , c’est-à-dire, si P M֏ est dans K* mais S M֏ n’y est
pas.
• E EM P S∈ − , c’est-à-dire, si M P֏ est dans K* mais M S֏ n’y
est pas, ou,
• I IM S P∈ − , c’est-à-dire, si S M֏ est dans K* mais P M֏ n’y est
pas.
En passant par la notion d’évidence, la valeur de vérité d’une proposition de
similarité est définie exactement comme une proposition d’héritage.
128
Définition 7.16 La valeur de vérité d’une relation S P↔ est une paire de
nombres réels [ ] [ ), 0,1 0,1f c< >∈ × où f est la fréquence, et c est la confiance.
Avec l’introduction de la relation de similarité et la sémantique de NAL, il
devient possible de redéfinir l’expérience du système comme l’ensemble de
relations (d’héritage ou de similarité) imparfaites. Parallèlement, le sens d’un
terme est défini comme son intension, son extension et sa similarité (i.e. les
relations de similarité dans lesquelles il figure comme sujet ou copula).
Aussi, devons-nous souligner qu’il est possible de proposer des alternatives
pour définir la notion de vérité autrement (et ceci aura des impacts sur
d’autres éléments comme les règles d’inférences). Toutefois, le développement
de NAL n’est pas un souci immédiat pour notre recherche et dans le cadre du
projet courant, nous l’utiliserons telle qu’il est décrit par Wang.. En dehors
de son utilité pour introduire la logique de termes et la relation d’héritage
bidirectionnelle, NAL-0 est utilisé uniquement pour introduire la notion
d’évidence. Etant donné que le sujet et le prédicat d’une relation peuvent ne
pas partager certains propriétés ou instances, la notion d’évidence et la
conception de vérité que Wang dérive de celle-ci permet de faire « comme
si » le système observait des relations d’héritage idéal et déterminait la
valeur de vérité d’une proposition donnée. Cependant, dans le système NAR
de Wang, comme dans le notre, les relations d’héritage idéales n’apparaissent
pas. NAL-0 est juste utilisé sur le plan théorique pour définir et expliquer la
sémantique de NAL. Dans le reste du document, nous emploierons le terme
relation d’héritage pour référer à la relation d’héritage imparfaite.
7.2.6 Termes composés
Les termes que nous avons vus jusqu’ici étaient tous des termes atomiques.
NAL donne aussi la possibilité de considérer des termes composés comme
tableau noir ou moteur électrique. Un terme composé est un terme formé par
deux ou plus de termes atomiques. Wang (2006) définit quatre sortes de
termes composés. Etant donné deux termes T1 et T2, des termes composés
peuvent être formés basés sur l’intersection ou la différence entre les
intensions 1IT et 2
IT ou les extensions 1ET et 2 .
ET Cela revient à définir des
termes composés en considérant, respectivement, les propriétés communes ou
129
disjointes, ou encore, les instances communes ou disjointes. Par exemple, un
Tableau&Noir possède les propriétés de Tableau et de Noir, mais non
nécessairement toutes les instances d’un Tableau ou de la couleur Noir. Il
s’agit donc d’une intersection des intensions. Nous pouvons aussi considérer
le concept Noir–Aérien qui possède les instances de Noir mais pas d’Aérien,
par exemple, comme une propriété de Pingouin. Il s’agit donc d’une
différence extensionnelle.
Dans cette première version de notre programme, des quatre combinaisons
possibles, nous avons choisi d’utiliser uniquement l’intersection
extensionnelle. Lorsque l’utilisateur édite, par exemple, F :Séparation le
programme peut faire des suggestions comme B :Filtration ou B :Vacuum.
Nous voudrons qu’il puisse faire aussi des suggestions comme
B :Filtration&Vacuum, c'est-à-dire des suggestions qui regroupent un certain
nombre d’éléments. Comme cette suggestion est faite pour former la relation
qualitative causale F :Séparation ←B :Filtration&Vacuum, il convient que
B : Filtration et B :Vacuum aient F :Séparation dans leurs intensions.
Définition 7.17 Etant donné deux termes T1 et T2, leurs intersections
intensionnelles 1 2&T T est un terme composé défini par
( )( ) ( ) ( )1 2 1 2&x T T x T x T x∀ → ≡ → ∧ →
De droite à gauche, cette équation définit l’intension du terme composé. De
gauche à droite, elle définit l’extension du terme composé. Intuitivement,
l’intersection extensionnelle de deux termes donne les propriétés communes
de ceux-ci. Le terme 1 2&T T est différent des termes T1 et T2, comme un
tableau noir est différent de tableau ou de noir. Cependant, au départ, son
sens dépend du sens de ses composants. Nous avons 1 2 1 2( & )I I IT T T T= ∩ ,
c'est-à-dire, l’intension du terme composé est l’intersection des intensions de
ses composants et 1 2 1 2( & )E E ET T T T= ∪ , c'est-à-dire, l’extension du terme
composé est l’union des extensions de ses composants (Wang 2006). Lorsque
le système réalise des inférences le sens du terme composé peut évoluer et
devenir de plus en plus indépendant de ses composants. Remarquons que ce
genre d’expressions correspond à une disjonction sémantique du point de vue
du système. Un nouveau terme est créé et son sens doit être conçu par les
inférences.
130
7.2.7 La structure interne des termes dans DesigNAR
Le langage du NAL basé sur les termes permet de modéliser les relations
entre les concepts de fonctions, de comportements et de structures.
Cependant, dans l’état actuel, il ne permet pas de faire de distinction entre
ces trois groupes. Or, comme déjà signalé, nous avons besoin de cette
distinction pour faire des suggestions. Par ailleurs, dans les applications
réelles, d’autres éléments de description tels que des contraintes, des
attributs, etc. sont utilisés pour décrire des concepts d’un graphe FBS. Pour
ces raisons, nous avons décidé de concevoir le système de manière à ce qu’il
permette à l’utilisateur de créer une structure interne pour les concepts qu’il
crée et de spécifier son type. Dans la version courante, du point de vue de
l’assistant, la structure interne d’un terme n’est pas accessible. Cela ne pose
pas de problème dans la mesure où la structure interne d’un terme est
unique ; si l’utilisateur effectue un changement, le système traite le cas
comme la création d’un nouveau terme. Soulignons, que dans NAL, rien
n’empêche que les termes ont une structure interne (Wang 2006b).
Etant donné un concept, il peut avoir une structure interne qui correspond à
un ensemble d’attributs A, un ensemble de contraintes C et un ensemble de
documents D et son type (F, B ou S). Actuellement, les attributs et les
contraintes sont traités comme des informations textuelles. Les documents
correspondent à des fichiers informatiques qui contiennent des informations
supplémentaires (détails de production, esquisses ou modèles 3D, etc.) sur le
concept en question. Par ailleurs, il est possible de construire un ensemble de
relations R pour les concepts de type S. Dans la programmation, nous avons
utilisés le modèle développé par Gorti et al. (1998) avec quelques
modifications. Dans leur travail, ils proposent un schéma de représentation
FBS orienté objet qui offre plusieurs avantages :
• Compatibilité avec le format STEP
• Représentation naturelle des hiérarchies (étant orienté objet)
• Représentation explicite des relations (en tant que des objets) entre
divers éléments
• Représentation des contraintes sur divers éléments
131
Cependant, un des aspects qu’ils ont inclus dans leur modèle n’est pas
nécessaire dans notre contexte.
• Les similarités (ou l’interchangeabilité) des concepts de F, B et S sont
représentés explicitement dans la description des éléments et sont
déterminé par l’utilisateur d’une manière statique.
Pour notre assistant, ce dernier point n’est pas souhaitable puisque nous
cherchons explicitement à construire un assistant capable d’établir ces
similarités! Pour cette raison, nous n’avons pas implanté cette fonctionnalité
dans la programmation.
7.3 Inférence
Dans cette partie nous allons présenter différents types d’inférences de NAL
utilisés dans DesigNAR. Plusieurs règles d’inférences proposées par Wang
sont utilisées dans notre système : révision, déduction, induction, abduction,
exemplification, analogie,… D’une manière générale, une règle d’inférence
prend comme arguments deux propositions comme prémisses et produit une
proposition comme conclusion. Elles peuvent être utilisées suivant deux
modes ; inférence vers l’avant et inférence vers l’arrière. Inférence vers l’avant
génère un jugement, c'est-à-dire une proposition avec une valeur de vérité,
tandis que l’inférence vers l’arrière génère une question, c'est-à-dire, une
proposition pour laquelle une terme doit être déterminé par le système. Nous
allons considérer l’inférence en avant pour les cas de la relation d’héritage et
la relation de similarité. Puis, nous allons présenter l’inférence vers l’arrière.
7.3.1 Inférence vers l’avant – la relation d’héritage
Révision
La révision est effectuée lorsque de l’information provenant des sources
différentes sur une même relation d’héritage peut être récapitulée. Etant
donné deux prémisses 1 1,S P f c→ < > et 2 2,S P f c→ < > qui représentent
la même relation d’héritage avec des valeurs de vérité différentes, la règle de
révision renvoie ,S P f c→ < > où ,f c< > est la valeur de vérité définitive
obtenue en combinant 1 1,f c< > et 2 2,f c< > . Pour ne pas comptabiliser la
même information deux fois, cette règle ne peut s’appliquer que lorsqu’il n’y a
pas d’évidence commune pris en compte par 1 1,f c< > et 2 2,f c< > .
132
Figure 7.3 Règles d’inférences pour la relation d’héritage
Si cela n’est pas le cas, il est possible de cumuler les évidences, ce qui donne
1 2w w w+ + += + et 1 2w w w= + . Donc, en utilisant les relations entre les
différentes représentations de la valeur de vérité, nous obtenons la fonction de
vérité revF suivante :
( ) ( ) ( ) ( )
( ) ( ) ( ) ( ) ( )( )
1 1 2 2 2 1 1 2 2 1
1 2 2 1 1 2 2 1 1 2
:
1 1 1 1
1 1 1 1 1 1
revF
f f c c f c c c c c c
c c c c c c c c c c c
= − + − − + −
= − + − − + − + − −
Cette fonction a les propriétés suivantes :
• L’ordre des prémisses n’est pas important.
• La valeur de la fréquence f est une moyenne pondérée de f1 et f2, mais
plus proche de celle qui est supporté par plus d’évidence.
• La valeur de c est toujours plus grande que c1 et c2
L’application de la règle de révision donne des relations héritage plus sûr.
Ceci est naturel comme plus d’évidence sont considérés. Cependant, comme
nous l’avons déjà précisé, cette fonction ne peut être appliquée que quand les
évidences ne se chevauchent pas. Pour pouvoir déterminer si deux relations
sont supportées par les mêmes évidences, chaque relation R dans le système
est assignée une clé unique .N Alors, il est possible d’utiliser la définition
suivante.
Définition 7.16. Si une proposition R a été observée dans l’environnement et
assigné une clé unique N, alors cette relation est fondées sur le fragment
133
d’expérience { }N . Si une relation R a été inférée à partir de 1 2, , , nR R R… qui
sont fondées sur le fragment d’expérience 1 2, , , nK K K… alors R est fondée
sur 1 2 nK K K∪ ∪ ∪… .
Si deux relations R1 et R2 sont fondées sur les fragments d’expérience K1 et
K2 et si ces deux ensembles (de clés uniques) n’ont pas d’intersection, alors la
règle de révision peut être appliquée pour cumuler les évidences. Cependant,
en pratique, il n’est pas possible de stocker toutes les valeurs de fragments
d’expériences pour toutes les relations. Wang (1995) propose de stocker une
liste de taille constante de ces valeurs. Quand une conclusion est dérivée à
partir de deux relations, les listes des deux parents sont concaténées en
prenant les n premiers éléments. Ainsi, il est possible de déterminer
approximativement si deux relations ont des évidences qui se chevauchent.
Inférence syllogistique
Quatre règles d’inférence syllogistique basées sur la relation d’héritage sont
utilisées dans l’inférence en avant : la déduction, l’abduction, l’induction et
l’exemplification. Ces règles d’inférences sont représentées dans la Figure 7.3.
La forme des prémisses détermine quels types d’inférences le système peut
effectuer. A partir de deux prémisses 1J et 2J , il est possible d’inférer quatre
conclusions différentes :
2 1/J J M P→ P M→
S M→ dedS P F→ < > abdS P F→ < >
M S→ indS P F→ < > exeS P F→ < >
Nous pourrons observer que dans tous les cas, il y a un terme partagé (M) et
la conclusion produite est une relation entre les deux termes restants (S et
P). Les trois premières règles ont été utilisées et discutées par Aristote, et
plus tard, elles ont été reprises et étudiées par Peirce (1955). La quatrième a
été utilisée par les successeurs d’Aristote qui l’ont appelé la quatrième figure.
Dans ce travail, suivant Wang (1995), nous l’appelons exemplification.
A partir de 1 1,f c< > et 2 2,f c< > , les valeurs de vérité respectives de 1J et
2J , une fonction, notée comme Fx calcule la valeur de vérité ,f c< > de la
conclusion (où x est un indice correspondant à une des règles). Pour
différentes règles d’inférences, de différentes fonctions sont utilisées. Nous
134
n’allons pas revoir toutes les détails de la construction de ces fonctions dans
ce document ; le lecteur pourra se référer à (Wang 1995, 2006b). Néanmoins,
précisons que le mode de construction de ces fonctions sont les mêmes. Les
étapes suivantes sont suivies par Wang pour obtenir ces fonctions :
1) Détermination des conditions limites. Traiter la fréquence et la
confiance comme des valeurs booléennes et déterminer la valeur de la
conclusion souhaitée pour chaque combinaison possible.
2) Représenter les valeurs de la conclusion comme des expressions
booléennes des valeurs de vérités des prémisses.
3) Remplacer les opérateurs ET, OU et NON dans les fonctions
booléennes par le T-Norm ( ( ),et x y x y= ⋅ ), le T-Conorm
( ( ) ( )( ), 1 1 1ou x y x y= − − − ), la négation ( ( ), 1non x y x= − ) pour
avoir des fonctions dans [0,1].
Il sera utile de noter que la notion d’évidence n’apparaît pas directement
dans la construction de ces fonctions. Les fonctions de calcul de valeur de
vérités correspondant aux quatre règles sont :
• 1 2 1 1 2 2: . , . . .dedF f f f c f c f c= = , pour la déduction,
• ( ) ( )2 1 1 2 1 1 2: , . . . .abdF f f c f c c f c c k= = + , pour l’abduction,
• ( ) ( )1 1 2 2 1 2 2: , . . . .indF f f c c f c c f c k= = + , pour l’induction,
• 1 1 2 2 1 1 2 2 : 1, /( )exeF f c f c f c f c f c k= = + , pour l’exemplification.
Nous pouvons faire les observations suivantes. La déduction est symétrique ;
l’ordre des prémisses n’est pas important. La dualité de l’intension et de
l’extension a comme conséquence la dualité des fonctions des valeurs de
vérités de l’induction et de l’abduction. Nous voyons que ni l’abduction, ni
l’induction n’est symétrique. Mais aussi, les conclusions générées dépendent
du constant k, donc du nombre d’évidences futures à considérer. Par rapport
à la déduction, les conclusions dans l’induction et dans l’abduction restent
« tentatives » et moins sures.
135
Figure 7.4 Formation des termes composés par à partir de deux prémisses.
Formation de termes composés
Etant donné deux jugements J1 et J2, il est possible de former un terme
composé ; Figure 7.4. La forme des deux jugements détermine la forme de la
relation d’héritage entre le terme partagé et le terme composé.
2 1/J J 1M T→ 1T M→
2T M→ 1 2& uniT T M F→ < >
2M T→ 1 2 int&M T T F→ < >
Suivant la forme des deux prémisses, deux différentes fonction de calcul de
valeurs de vérité existent. Elles sont définies comme suivante.
int 1 2 1 2: . .F f f f c c c= =
1 2 1 2 1 2: . .uniF f f f f f c c c= + − =
Il est possible de constater que la confiance de la relation formée est plus
basse que les deux relations de départ.
7.3.2 Inférence vers l’avant – la relation de similarité
Révision
Par l’introduction de la relation de similarité, il est possible de faire d’autres
types de révision :
2 1/J J S P→ P S→ S P↔
S P→ revS P F→ < > revS P F↔ < >
P S→ revS P F↔ < > revS P F→ < >
S P↔ revS P F↔ < >
Comme indiqué par le tableau, trois nouveaux cas donnant lieu à une
possibilité de révision apparaissent et chacun renvoie comme résultat une
relation de similarité.
136
Figure 7.5 Règles d’inférences pour la relation de similarité
La fonction de vérité utilisée pour ces cas est identique à la fonction que nous
avons précédemment introduite dans le cas de la relation d’héritage. Ceci est
directement lié à la définition de la relation de similarité et la sémantique qui
a été introduite. Par exemple, deux jugements S P→ et P S→ peuvent
être combiné pour former une relation S P↔ , puisque l’évidence pour
chacun de S P→ et P S→ est aussi l’évidence pour la relationS P↔ .
Pour les mêmes raisons et de la même manière, les valeurs de vérités de
S P↔ et de P S↔ peuvent être combinées par la même fonction.
Rappelons toutefois que la révision n’est possible que si les évidences ne se
chevauchent pas.
Inférence syllogistique
Les quatre cas de figure ayant été présentés dans le cadre de la relation
héritage, nous pouvons maintenant considérer l’inférence syllogistique dans le
cadre de la relation de similarité ; Figure 7.5. Etant donné deux prémisses 1J
et 2J , six nouvelles combinaisons peuvent être ajoutées au cas d’inférences
possibles :
137
2 1/J J M P→ P M→ M P↔
S M→ comS P F↔ < > 'anaS P F→ < >
M S→ comS P F↔ < > 'anaP S F→ < >
S M↔ anaS P F→ < > anaP S F→ < > 2ddS P F↔ < >
Une relation de similarité peut être obtenue en comparant la relation de deux
termes à un troisième. Par exemple, en comparant 1 1,S M f c→ < > et
2 2,P M f c→ < > , il est possible de tirer une conclusion ,S P f c↔ < > . Une
telle inférence est appelée une comparaison. La fréquence de la conclusion est
déterminée en fonction de la similarité de S et P dans le cadre de leur
comparaison à M uniquement. La fonction de calcul de valeurs de vérité,
Fcom, correspondant est :
( ) ( )
:
1 2
1 2 1 2 1 2 1 2 1 2 1 2
1 - -
comF
f f f
c c c f f f f c c f f f f k
=
= + − + − +
En utilisant un jugement de similarité comme une prémisse, le système peut
faire une certaine type d’analogie, c'est-à-dire, il peut remplacer un terme
dans un jugement par un autre terme similaire pour produire un nouveau
jugement.
( )( )
1 2 1 2 1 2
21 2 1 2 1 2
:anaF
f f f f f f f
c c c f f f f
= + −
= + −
La confiance de la conclusion calculée par cette fonction n’est pas
symétrique ; l’ordre des prémisses est important. Pour cette raisons, dans le
tableau ci-dessus, nous avons Fana et F’ana. Si nous considérons deux relations
de similarité, l’inférence est basée sur la transitivité de la relation de
similarité. L’ordre des prémisses n’est pas important. Nous pouvons penser ce
cas comme une déduction allant dans les deux sens. 2 :
1 2
1 2 1 2 1 2( )
ddF
f f f
c c c f f f f
=
= + −
Nous avons ainsi terminé les règles d’inférence utilisées dans l’inférence en
avant pour les relations d’héritage et de similarité.
138
7.3.3 Choix et inférence vers l’arrière
NAL (et le système NAR) permet de traiter différents types de questions
logiques. Les questions de type ?S P→ (ou ?S P↔ ) sont répondues par le
système en retournant une valeur de vérité, dans le cas où le système connaît
une telle relation. Lorsqu’il y a plus d’une réponse, le système peut retourner
celle avec la plus grande confiance (Wang 1995, 2006b). Pour notre cas les
questions de type ?? P→ sont plus intéressantes. Une telle question est
répondue en retournant un terme S tel que S P→ . Il existe trois formes de
questions pour lesquelles la réponse est un terme.
• ??S → , quelle est le terme P le plus typique dans l’intension de S ?
• ?? P→ , quelle est le terme S le plus typique dans l’extension de P ?
• ??S ↔ , quelle est le terme P le plus similaire à S ?
Lorsqu’il y a plusieurs réponses possibles nous avons besoin d’un moyen de le
distinguer (Wang 1995) définit l’espérance e qui peut être utilisé à cette fin.
Définition 7.17. L’espérance e d’une relation ,S P f c→ < > est donné par:
( ) ( ) ( )0.5 0.5e c f w k w k+= − + = + +
L’espérance indique la chance d’une relation d’être confirmée dans le futur
(Wang 1995, 2006b). Lorsque c vaut 1 (l’évidence totale), l’espérance vaut f.
Lorsque c vaut 0 (l’évidence nulle), l’espérance vaut 0.5. Etant donnée une
question, le système peut retourner la relation avec la plus grande espérance
qu’il estime être la meilleure réponse. Par exemple, avec la question ??S →
et des réponses potentielles, 1 1 1,S T f c→ < > et 2 2 2,S T f c→ < > avec les
espérances respectifs e1 et e2 tels que e1 > e2, la relation 1 1 1,S T f c→ < > est
considérée être une meilleur réponse.
Dans notre système, à chaque fois que l’utilisateur insère un nouveau concept
C dans sa description, une question ?? C→ est auto-générée. Le but est de
pouvoir trouver de bonnes réponses, c'est-à-dire, des réponses avec des
espérances le plus élevés possibles afin de les suggérer. Lorsqu’il existe
plusieurs réponses le système peut les ranger suivant la valeur de leur
espérance et retourner les meilleurs.
139
Que se passe-t-il lorsqu’il n’y a aucune réponse ? Dans le cas où il n’existe
pas de réponse, (à la place de retourner des réponses) le système génère
d’autres questions par l’inférence vers l’arrière. L’inférence vers l’avant
produit des jugements en partant de deux prémisses. L’inférence vers l’arrière
produit une question en partant d’une prémisse et d’une question. Quand le
système ne peut répondre à une question Q, il peut créer une question Q’ à
partir de laquelle il serait possible de répondre à Q. Par exemple, si le
système ne peut trouver de réponse convenable pour la question
?? :S GénérateurDEnergie→ , mais qu’il possède une connaissance
:S GénérateurDEnergie → :B SourceEnergie , il peut générer une
question ?? → :B SourceEnergie . Si le système a les connaissances
appropriées et il mène les inférences nécessaires, il peut aboutir à une réponse
pour la question de départ, bien que cela se réalise d’une manière indirecte.
Par exemple, si la connaissance :S MoteurElectrique → :B SourceEnergie
existe, le système peut inférer éventuellement la relation
:S MoteurElectrique → :S GénérateurDEnergie .
140
Je ne peux pas croire que le Dieu a choisi de jouer aux dés avec l’Univers.
Albert ENSTEIN
Qui êtes-vous, Einstein, pour dire à Dieu ce qu'il doit faire ?
Niels BOHR
Chapitre 8. Mémoire et Contrôle
Dans le chapitre précédent, nous avons décrit la logique de termes et les
règles d’inférence que notre système utilise. Dans ce chapitre, nous allons
présenter les détails du modèle de mémoire du système ainsi que le
mécanisme de contrôle pour faire les inférences et les suggestions. Nous allons
d’abord expliquer comment un concept est stocké dans la mémoire. Nous
allons ensuite présenter la notion de tâche ; c'est-à-dire, les jugements ou les
questions sur lesquels le système doit s’interroger et à partir desquels
l’inférence est effectuée. Ensuite, nous serons en mesure de donner le cycle de
fonctionnement du DesigNAR. Pendant qu’il est actif (dès qu’un projet
commence et tant que l’utilisateur ne le désactive pas) l’assistant répète ce
cycle pour observer les changements dans l’environnement, réaliser une
inférence et faire une suggestion (s’il en a produit). Le reste du chapitre sera
consacré à une présentation détaillée des étapes du cycle de fonctionnement.
8.1 La structure de mémoire
8.1.1 Concepts et connaissances
Les connaissances du DesigNAR consistent essentiellement aux concepts et à
leurs sens. Nous avons vue que le sens d’un concept est défini par ses
relations d’héritage et de similarité avec d’autres concepts. Ces relations sont
stockées par chaque concept localement. Quatre listes sont maintenues par
chaque concept M où sont enregistré les connaissances à propos de M; Figure
8.1. Pour un concept M, la liste Extension contient les extensions de M et la
liste Intension contient les intensions de M.
141
Figure 8.1 Un concept et les connaissances reliées
Dans la liste Extension, les relations d’héritage où le concept M est le
prédicat apparaissent tandis que dans la liste Intension, des relations
d’héritage où M est le sujet existent. La liste Similarité contient les relations
de similarité où M figure. La liste Tâche est une liste qui contient des
relations qui vont être interrogées par des inférences.
A part les paramètres usuels, les éléments de la liste Tâche sont dotés de
deux paramètres. Le premier, urgence u, est un paramètre variant entre 0 et
1 qui reflète l’urgence avec laquelle une tâche doit être traité. Le deuxième, la
durabilité qui varie entre 0 et 1 est un paramètre qui spécifie le taux par
lequel l’urgence d’une tâche va s’estomper (nous reviendrons sur ce point
dans les paragraphes suivants).
Les listes que nous utilisons ont une capacité fixe et limitée. Lorsqu’une
nouvelle relation (résultant de l’inférence ou provenant de l’observation) doit
y être ajouté, si la capacité du sac n’est pas atteinte, il y est simplement
ajouté sans aucune influence sur les autres éléments. Par contre, si la capacité
est déjà utilisée au maximum, un des éléments existant est supprimé pour
faire place au nouvel élément. Pour les listes Extension, Intension et
Similarité, la relation avec la plus petite espérance e est effacée. Pour la liste
Tâche, la sélection de l’élément à supprimer se fait de la même façon mais
suivant le paramètre urgence.
142
Lorsqu’un élément doit être sélectionné (pour l’inférence), ce choix est
effectué suivant une distribution de probabilité. Pour les listes Extension,
Intension et Similarité, encore une fois, l’espérance e est utilisée pour
déterminer la probabilité de sélection. Plus l’espérance d’une relation est
élevée, plus est sa chance d’être sélectionnée. Pour la liste Tâche, l’urgence u
est utilisée pour déterminer la probabilité de sélection. Plus une tâche est
urgente, plus il y a des chances que le système va la sélectionner pour des
inférences.
Chaque concept créé a un paramètre ExtA représentant l’activation externe du
concept et un paramètre IntA représentant l’activation interne ; Figure 8.1.
Les deux paramètres ont comme plage de variation l’intervalle [0, 1].
L’activation externe résulte de l’observation des concepts dans
l’environnement et de la propagation de cette activation. L’activation interne
résulte des urgences de tâches qu’un concept possède. L’activation totale d’un
concept à un moment précis est donnée par la moyenne de ces deux
activations.
8.1.2 Notion de tâche
La notion de tâche dans DesigNAR est différente des systèmes d’intelligence
artificielle traditionnels. Il ne s’agit pas là d’un objectif qu’il faut atteindre,
mais d’un jugement ou d’une question à considérer et à mettre en relation
avec les connaissances du système. Une tâche est, soit, un jugement à partir
duquel il faut faire des inférences, soit, une question à laquelle il faut
répondre. Indépendamment de son type, une tâche peut provenir de
l’environnement ou de l’activité d’inférence. A chaque fois qu’un nouveau
jugement ou une nouvelle question est observé ou produit par l’inférence, le
système doit l’étudier et l’ancrer. Pour cette raison, il est désigné comme une
tâche.
Lorsque la tâche est un jugement, elle va être mise en relation avec d’autres
connaissances en le faisant interagir avec ces connaissances. Cette interaction
a lieu par l’intermédiaire de l’activité d’inférence. Le jugement sera utilisé
comme un des deux prémisses dans des inférences où la deuxième prémisse
est une autre connaissance. Ainsi, de nouvelles connaissances seront produites
143
grâce à cette tâche. Les deux concepts qui sont reliés par le jugement peuvent
être ainsi reliés à d’autres concepts. Il pourrait être remarqué que l’inférence
à partir des jugements s’agit d’un processus d’ancrage, c'est-à-dire la mise en
relation des concepts et des connaissances.
Lorsque la tâche est une question, de divers cas sont possibles. Dans le cas où
les connaissances nécessaires pour répondre manquent, le système utilise
l’inférence vers l’arrière et crée une nouvelle question dans le but d’obtenir
une réponse indirecte. Lorsqu’il existe une seule réponse immédiate (déjà
présente dans les listes du concept), celle-ci est utilisée. Lorsqu’il existe
plusieurs réponses, la règle de choix sera utilisée pour obtenir la réponse. Si la
question est posée par l’utilisateur (auto-générée à partir de ses actions), la
réponse peut être reportée comme une suggestion. Par cet aspect, l’inférence
à partir des questions est essentielle pour faire des suggestions. Dans tous les
cas, le résultat obtenu est traité comme une nouvelle tâche et est placée dans
la liste Tâche correspondante. Ainsi, le système commence en considérant ses
observations, il produit des connaissances sur ceux-ci, les connaissances
produites sont étudiées à leurs tours. Le système mène une activité de
réflexion continuelle tant qu’il est actif à partir des tâches qui sont créés
perpétuellement.
8.1.3 Urgence et durabilité d’une tâche
La tâche à partir de laquelle le système va faire une inférence est sélectionnée
d’une manière non-déterministe. L’urgence u d’une tâche détermine sa
probabilité d’être sélectionnée pour une inférence. Bien que les tâches les plus
urgentes ont plus de chance de recevoir une attention immédiate de la part
du système, des tâches qui sont considérées moins urgentes peuvent être
sélectionnées et donner lieu à des résultats d’inférences moins probables mais
qui peuvent être tout aussi pertinent. Par ailleurs, le paramètre d’urgence
n’est pas statique. Il change avec le temps en fonction d’un paramètre d
appelé durabilité. A chaque cycle d’inférence, la valeur d’urgence u d’une
tâche est mis à jour et devient u.d. La durabilité variant entre 0 et 1,
l’urgence d’une tâche se diminue avec le temps.
144
Figure 8.2 Le cycle de fonctionnement du DesigNAR
Ainsi, comme la capacité d’une liste Tâche est limitée, lorsque de nouvelles
tâches arrivent, les tâches anciennes avec une urgence faible sont oubliées.
Cette mis à jour assure une réactivité: les tâches les plus récents ont plus de
chance d’être sélectionnées, et les tâches qui ont été générées il y a un certain
temps ne bloquent pas le système, comme leur probabilité de sélection est
diminué avec le temps et comme éventuellement ils sont effacées.
Par ce mécanisme simple, il est possible d’obtenir de différentes
caractéristiques pour une tâche. Une tâche avec une urgence élevée et une
dégradation faible sera considérée immédiatement par le système, mais pas
pendant longtemps. Une tâche avec une urgence élevée et une durabilité
élevée sera considérée rapidement et pendant longtemps. Une tâche peut
avoir une urgence relativement faible, mais une durabilité élevée auquel cas,
elle va persister longtemps dans la mémoire du système, et ainsi elle a une
chance élevée pour influencer le raisonnement.
145
8.2 Activité du DesigNAR
8.2.1 Cycle de fonctionnement
Tant qu’il est actif, DesigNAR exécute un cycle de fonctionnement ; Figure
8.2. Nous allons d’abord décrire brièvement ces étapes, puis nous
expliquerons les détails du fonctionnement. Le « T » dans la Figure 8.2
correspond au numéro du cycle qui marque le temps pour le système. Il est
possible de faire varier la vitesse par laquelle le système répète le cycle. En
pratique, cette vitesse peut être réglée pour qu’elle varie de 1 cycle par
minute (CPM) à quelques milliers de CPM.
Sensation. Chaque cycle commence en vérifiant si de nouvelles connaissances
sont observées. Ces connaissances peuvent être des relations ou des concepts
observés dans l’environnement. Mais aussi, elles peuvent correspondre à des
relations ou des concepts créés par l’inférence au cycle d’avant. Un concept
observé la première fois est créé dans la mémoire. S’il a été déjà observé, son
activation externe est égalisée à 1. Les relations observées sont placées dans
les listes correspondantes dans la mémoire.
Activation externe. Chaque concept reçoit de l’activation de la part de ces
voisins. Nous utilisons ici le terme voisin au sens « relié par une relation
d’héritage ou de similarité ». La transmission de l’activation est
proportionnelle à l’espérance du lien qui existe entre les concepts de départ et
d’arrivé. Ainsi, des concepts qui ne sont pas activés directement par
l’environnement mais qui sont fortement reliés à des concepts actifs vont être
activés. De cette manière, ils pourront être considéré pas le système pendant
le choix de concept à analyser.
Sélection d’un concept, d’une tâche et d’une connaissance. Pour réaliser une
inférence, le système sélectionne un concept, puis une tâche dans la liste
Tâche de ce concept ; finalement, une connaissance est sélectionnée dans une
des trois listes restantes. Les choix se font aléatoirement. Le choix de concept
se fait en fonction de la moyenne de l’activation externe et interne de chaque
concept. Une fois le concept sélectionné, le système choisit aléatoirement une
146
tâche, en fonction des urgences des éléments dans la liste Tâche du concept
choisi. Finalement, la sélection d’une connaissance, c'est-à-dire, d’une relation
d’héritage ou de similarité se fait. Si la tâche est une connaissance, ce choix
se réalise aléatoirement en fonction des espérances des relations du concept
choisi. Si la tâche est une question, l’existence d’une réponse appropriée est
vérifiée.
Inférence. La tâche et le jugement choisis déterminent les règles d’inférence
qui peuvent être appliquées. Si la tâche est une question alors une réponse est
recherchée dans la liste appropriée (la liste est déterminée suivant la forme de
la question). S’il n’existe pas de connaissance pour répondre à la question,
une inférence vers l’arrière est effectuée. S’il en existe plusieurs, la règle de
choix est utilisée pour retourner celle avec la plus grande espérance. Dans le
cas où la tâche est un jugement, une règle convenable est choisie pour réaliser
l’inférence. Souvent, plusieurs règles peuvent être utilisées. Le choix se fait
encore une fois aléatoirement, mais en favorisant des règles qui donnent des
conclusions plus sures. Ainsi, la déduction a plus de chance d’être
sélectionnée que l’exemplification comme les conclusions produites par cette
règle ont une confiance plus élevées. En particulier, les règles de formation de
termes composés et la révision sont appliquées dès que possibles.
Ajustement des urgences et de l’activation interne. Une fois l’inférence est
réalisée les valeurs d’urgence et de durabilité sont déterminées pour la
conclusion générée (en fonction des paramètres des prémisses de départ).
L’urgence et la durabilité de la tâche sont aussi ajustées. En particulier, si la
tâche est une question et si le système a pu trouver une réponse, l’urgence de
la tâche va baisser ainsi que sa durabilité. Après ces ajustements, les urgences
des tâches sont ajustées par leurs durabilités et les activations internes des
concepts sont réévaluées.
Action et suggestions. Durant l’inférence, si une (nouvelle) réponse a été
obtenue pour une question provenant de l’environnement, le système vérifie si
elle s’agit d’une relation qualitative causale valide et si cette relation n’a pas
147
été déjà observée dans l’environnement (pendant la séance courante) ou déjà
suggérée. Si la réponse vérifie ses conditions, elle est reportée à l’utilisateur.
Certains de ces étapes doivent être présentées plus en détails. Ces points vont
être discutés ci-après.
8.2.2 Sensation
En début de chaque cycle, DesigNAR vérifie si de nouvelles relations (qui
proviennent de l’environnement ou qui ont été produites par l’activité
d’inférence) ont été observées. En effet, lorsqu’une nouvelle relation est
introduite dans l’environnement, celle-ci est stockée dans une liste jusqu’au
début du prochain cycle. De la même manière, un résultat produit par une
inférence est placé dans cette même liste. Au commencement de chaque cycle,
l’agent contrôle si de nouveaux éléments sont ajoutés dans cette liste et si
c’est le cas, il les place dans les listes des concepts correspondants.
Lorsque l’utilisateur édite une relation qualitative causale de type X Y← , le
système observe un jugement ,Y X f c→ < > et une question ? Y→ est
auto-générée. D’une coté, le système apprend une relation d’héritage, de
l’autre coté, une question à partir de laquelle le système peut produire des
suggestions est créée.
Comme le jugement concerne les concepts Y et X, il est placé dans les listes
correspondantes des deux concepts (si un concept est observé la première fois,
il est créé dans la mémoire avec les listes et autres propriétés
correspondantes). Notons que le jugement ,Y X f c→ < > sera placé dans la
liste Intension du concept Y et dans la liste Extension du concept X. Le
système copie ce même jugement aussi dans les listes Tâches des deux
concepts afin de l’étudier. Une nouvelle connaissance a été observée à propos
de chacun de ces deux concepts et chaque concept doit l’analyser localement,
à l’aide des inférences et l’ancrer. S’il a été déjà observé (par exemple, dans
des projets antérieurs), éventuellement, il peut renforcer la connaissance par
l’application de la règle de révision. Sinon, de nouvelles connaissances sera
créées à partir de celle-ci par d’autres inférences.
148
La question ? Y→ ne concerne qu’un seul concept ; le concept Y. Par
ailleurs, ceci n’est pas une connaissance mais exclusivement une tâche. Elle
sera donc placée uniquement dans la liste Tâche. Dans le cas où elle est
sélectionnée pour une inférence, si une connaissance appropriée de forme
Z Y→ est trouvée, elle sera reportée à l’utilisateur (puisque la question
provient de l’environnement). Dans le cas où il n’y a pas de réponse, une
inférence vers l’arrière aura lieu. Notons que, comme l’inférence fonctionne
aléatoirement, une question peut être répondue plusieurs fois. Dans un tel
cas, le système renvoie la meilleure réponse (celle avec la plus grande
espérance) qui n’a pas encore été proposée.
Une particularité du système, c’est que les tâches créées lors d’un projet de
conception sont liées uniquement à ce projet de conception même. Elles ne
sont utilisées que dans le cadre du projet où elles ont été créées. Par
contraste, une fois qu’une connaissance est acquise, elle peut être utilisée pour
l’inférence à tout moment et pour tous les projets. La raison pour cette
distinction réside dans le fait que c’est à partir des tâches que le
raisonnement du système est alimenté et nous voulons que le système se
concentre sur des tâches qui concernent uniquement le projet courant. Un des
avantages que cela offre, c’est que le système n’abandonne pas le cours de sa
réflexion lorsqu’un projet est arrêté momentanément et lors d’un
rechargement de ce projet, le système peut reprendre son raisonnement à
partir des tâches qu’il s’était posées.
Dans tous les cas, certains paramètres doivent être spécifiés pour les liens
observés comme imposé par le fonctionnement du système. Pour la question,
des valeurs d’urgence et de durabilité doivent être fournies. Pour le jugement,
en dehors de ces valeurs, une fréquence et une confiance doivent être données.
Dans le système NAR de Wang (1995), l’utilisateur peut spécifier les
paramètres des relations qui sont soumis au système. Dans notre système
ceci n’est pas possible comme il serait encombrant pour l’utilisateur de
spécifier des paramètres à chaque fois qu’il crée une relation qualitative
causale. Pour cette raison, nous avons choisi de fixer des valeurs par défaut.
Nous voulons que le système fasse des suggestions, et ce, le plus rapidement
149
possible, lorsqu’une question a été généré à partir de l’environnement (et non
pas par l’inférence en arrière). Cependant, lorsque le temps passe et
l’utilisateur travaille sur d’autres parties de sa représentation, générer des
suggestions pour une question ancienne n’est plus très intéressant. Alors,
pour les questions observées, dans les expérimentations, nous avons fixé une
valeur d’urgence élevée et une valeur de durabilité modérée. En ce qui
concerne les relations d’héritage observées, il conviendra que le système les
étudie pendant un certain temps, mais non nécessairement immédiatement,
afin de les ancrer. Nous avons fixé une valeur d’urgence modérée et une
valeur de durabilité élevée.
Pour les fréquences et les confiances, il est possible de travailler avec deux
modes différents, le tuteur et l’apprenti. Lorsque le tuteur travaille avec le
système, les valeurs de vérités sont élevées. Pour l’apprenti, ces valeurs sont
relativement faibles comme les relations qu’il peut fournir sont considérées
moins sûres et pour éviter que le système les perçoive comme essentielles.
8.2.3 Activation externe et propagation de l’activation
Dans le système, les concepts peuvent avoir une activation provenant de
l’environnement. Ces concepts transmettent une partie de leur activation aux
concepts voisinant. Le but ici est de pouvoir activer et donc d’utiliser
l’ensemble des concepts étroitement reliés en même temps, même s’ils n’ont
pas été observés dans l’environnement. Supposons, par exemple, qu’il existe
trois concepts qui ont été observés dans l’environnement et qui ont été
activés au maximum ; Figure 8.3. Dans le cas où ils sont reliés à un
quatrième concept, ces trois concepts vont transmettre un certain
pourcentage de leur activation à ce concept voisinant afin de l’activer. Celui-
ci, malgré le fait qu’il n’a pas été observé dans l’environnement aura une
activation (externe) positive. Il devient alors possible pour le système de
considérer ce concept dans son raisonnement. En particulier, les concepts
composés ne sont pas observés dans l’environnement mais leurs composants
peuvent y apparaître. Alors, ces derniers peuvent activer les concepts
composés dont ils font partie. Il nous donc faut un mécanisme pour activer
les connaissances pertinentes à partir de ce qui est observé dans
l’environnement.
150
Figure 8.3 Propagation de l’activation (plus le contour d’un rectangle est épais, plus activé
est le concept correspondant).
Nous utilisons une approche connexionniste qui exploite la structure de
graphe formée par les relations d’héritage et de similarité du système.
Indépendamment de leurs types, les relations observées ou formées par le
système représentent une certaine connexion sémantique entre les concepts
que le système connaît. Les connaissances du système peuvent être vue
comme un graphe où les nœuds correspondent aux concepts et les relations
aux connexions entre ces nœuds.
Dans notre système, au moment de la propagation de l’activation, les
relations qu’un concept possède déterminent les concepts qui peuvent lui
transmettre de l’activation. Pendant cette opération, l’espérance e de la
relation en question est assimilée à la puissance de la connexion. Les
concepts qui sont reliés par des relations avec une fréquence et une confiance
élevées peuvent activer l’un l’autre fortement, et inversement, les relations
avec des valeurs de vérités faibles sont défavorisées dans la transmission de
l’activation.
Nous adaptons le modèle proposé par Kokinov (voir Kokinov (1994b, c) pour
les détails). A chaque instant T = t, chaque concept a une activation externe
ExtA = a(t) qui varie entre 0 et 1. Lorsqu’un concept est observé dans
l’environnement, son activation atteint le maximum. Chaque concept actif au
delà d’un seuil peut transmettre une partie de cette activation, son output,
aux concepts reliés.
151
A chaque instant t, l’activation transmise par un concept, o(t), est calculée
comme suit.
0, si ( )
( ). ( ), sinon.
a to t
a t
θ
ρ
>=
où ρ est un réel variant entre 0 et 1. θ est le seuil d’activation, variant aussi
dans l’intervalle unitaire. Chaque concept reçoit de l’activation de la part de
chacun de ses voisins actifs (voisin au sens d’une relation d’héritage ou de
similarité). L’activation nette inetA reçue pour le concept ic est donnée par
( )inet ij i
j
A o tλ= ∑
où ijλ correspond à la puissance d’une connexion entre le concept ic et un
concept jc qui lui est relié par une relation. Ce paramètre est obtenu comme
le rapport de l’espérance ije de la relation entre ces deux concepts et la
somme des espérances ike de toutes les relations qui relient le concept ic avec
les autres concepts :
ij
ij
ikk
e
eλ =
∑
L’activation totale ( )tot
iA t pour un concept ic au temps t est donné par
( ) ( ), si est le focus
( ). ( ) ( ) ( ), sinontot
ii net i
i
ii net i
a t A t cA t
a t A t I tτ
+= + +
où 0 1τ< < est le taux de désactivation, 0< ( )iI t <1 est une activation
additionnelle qui provient de l’environnement à l’instant t. En fait, lorsqu’il
travaille, l’utilisateur peut « cliquer » sur certains concepts pour différentes
raisons. Le dernier concept cliqué avant le commencement du cycle courant
est le concept focal et son activation n’est pas dégradée par le taux de
désactivation. Si un concept a été cliqué (mais a perdu le focus) pendant le
cycle précédent, son activation est légèrement augmenté par une quantité
( ( )iI t >0), vue que l’utilisateur a fait preuve d’un certain intérêt actuel au
concept. Sinon, l’activation additionnelle est nulle. Dans ces deux dernier cas,
la dégradation est appliquée. L’activation externe d’un concept à l’instant
suivant est calculée comme
152
0, si ( )
( 1)1 , sinon.
( )
tot
tot
ii
Ext ii
i
A t
A a t
A t
θ
θ
< = + = −
L’activation externe sert à activer les concepts non observés dans
l’environnement mais qui sont étroitement lié aux concepts observés. Ils
peuvent s’agir des concepts composés ou des concepts qui ont été créés dans
d’autres projets de conception. Cependant, un concept non observé mais
activé par la propagation de l’activation ne contient pas de tâche qui
concerne le projet actuel au moment de l’activation. Pour cette raison, ses
relations avec les concepts qui l’ont activés sont recopiées dans la liste Tâche
de ce concept. Ainsi, le système peut réaliser des inférences à partir de ce
concept dans le cadre du projet courant.
Le mécanisme de propagation de l’activation fournit une mémoire
constructive. En fonction de ce que le système observe dans l’environnement,
les connaissances pertinentes deviennent actives et utilisables. Cependant,
pour ancrer les connaissances (observées ou produites) par l’inférence, le
système doit aussi gérer la manipulation des tâches et de leurs facteurs
d’urgence.
8.2.4 Sélection et compétition des tâches
La sélection des tâches pour l’inférence est effectuée aléatoirement suivant le
paramètre d’urgence. En partant des urgences individuelles des tâches, il est
possible de déterminer différentes distributions de probabilité pour la
sélection aléatoire. Notamment, nous pouvons favoriser un comportement
chaotique en associant une probabilité égale à chaque candidate
indépendamment de son urgence. Contrairement, nous pouvons rendre le
système déterministe en associant une probabilité 1 à une tâche donnée, par
exemple, à la tâche avec l’urgence la plus grande, et 0 à toutes les autres.
Il est aussi possible de déterminer une distribution de probabilité où la
probabilité de sélection d’une tâche est obtenue par le rapport de l’urgence de
cette tâche avec la somme des urgences des tâches de la liste où la sélection
est faite.
153
Figure 8.4 Le graphe de la fonction F pour des valeurs d’urgence variant entre 0 et 1 ; avec
les paramètres a = 5, b = 10 et c = 0.35.
De cette manière, la sélection est non déterministe mais favorise les tâches
avec les urgences élevées. Cependant, lorsqu’il existe plusieurs tâches avec des
probabilités très faibles et peu de tâches avec des probabilités élevés, il peut
devenir difficile pour le système de traiter des tâches urgentes en temps. Par
exemple, dans une liste où il existe une tâche avec une urgence 1 et dix
tâches avec des urgences 0.1, la probabilité de sélection de la tâche avec
l’urgence 1 est 0.5. Or, cette tâche peut correspondre à une question
provenant de l’environnement à laquelle nous voudrons répondre rapidement.
Pour cette raison, afin de biaiser la sélection en faveur des tâches avec des
urgences élevées, nous utilisons des poids dans la détermination des
probabilités.
Pour une tâche it avec une urgence iu , cette probabilité, notée par itP ,
vaut :
1
i
i it n
i i
i
p uP
p u=
=
∑
où ip est le poids associé à l’urgence iu , n est le nombre de tâches
considérées. La somme des probabilités vaut 1. Pour le système courant, le
poids ip est obtenu par une fonction F(u) de forme sigmoïde déterminée
empiriquement
154
( )
1( )
1 b u cF u
ae− −=
+
avec a > 1, b > 1, 0 < c < 1. Lorsque u varie entre 0 et 1, avec a = 5, b =
10 et c = 0.35, la forme de cette fonction est donné par la Figure 8.4.
Cette approche permet d’empêcher le cas problématique que nous avons
exemplifié. Dans une liste où il existe une tâche avec une urgence 1 et dix
tâches avec des urgences 0.1, la probabilité de sélection de la tâche avec
l’urgence 1 est 0.98. Notons cependant que lorsqu’il existe des tâches avec des
urgences proches, c'est-à-dire, lorsque l’écart entre le minimum et le
maximum des urgences pour les tâches d’un concept est petit, la sélection
sera toujours biaisée en faveur du maximum, cependant, la différence entre
les probabilités de sélection ne sera pas aussi élevée.
Comme de nouvelles tâches sont créées continuellement et les urgences de
celles-ci changent dynamiquement, les tâches sont en compétition pour
utiliser les ressources du système. Avec le temps, les tâches anciennes sont
défavorisées vis-à-vis des tâches récentes par le processus de dégradation.
Cependant, la dégradation des urgences n’est pas le seul facteur dans la
compétition des tâches pour recevoir l’attention du système. Le résultat de
l’inférence peut changer l’urgence d’une tâche.
8.2.5 Activation interne
A un moment donné, la liste Tâche d’un concept peut contenir un certain
nombre de tâches avec des valeurs d’urgences différentes. L’activation interne
d’un concept est déterminée pour chaque instant T en agrégeant les valeurs
d’urgence des tâches de cette liste. Comme ces valeurs varient entre 0 et 1,
nous avons décidé de faire cette agrégation de manière à ce que le résultat
final soit inclus dans ce même intervalle. Par exemple, il est possible de
considérer un calcul de moyenne (équipondérée), ce qui donnera une
activation moyenne variant dans l’intervalle unitaire. Cependant, la présence
des tâches très peu actives peut considérablement baisser l’activation interne
d’un concept et le mécanisme de dégradation des urgences fait que, dans la
liste de tâche d’un concept donné, il existe souvent des tâches avec des
urgences très faible. Pour favoriser la contribution des éléments les plus
155
urgents, nous avons donc décidé d’utiliser une moyenne ordonnée pondérée
(MOP), un mécanisme plus élaboré pour calculer une moyenne, introduit par
Yager (1988).
Afin de calculer la MOP des urgences, nous avons besoin de deux listes. La
première, la liste des valeurs d’urgences ordonnée suivant l’ordre décroissant
(1) (2) ( )( , ,..., )nord u u u=u où ( )iu est la ième plus grande urgence et n est le nombre
de tâche. La deuxième, est une liste de poids 1 2( , ,..., )np p p=p tels que
[ ]0,1 , 1ip i n∈ ≤ ≤ et 1
1i
n
i
p=
=∑ . La MOP est alors calculée comme
( )
1
( , ) i i
n
ord
i
MOP pu=
= ∑p u
Pour un opérateur MOP, les poids ne sont pas associés à une urgence
particulière, mais à un ordre. En fixant ces poids différemment, il est possible
d’obtenir d’autres opérateurs usuels. Par exemple, lorsque 1 1p = et tous les
autres poids sont nuls, l’opérateur MOP devient un opérateur de Max ;
lorsque 1np = et tous les autres poids son nuls, il devient un opérateur de
Min. Dans notre système, à chaque fois que l’activation interne est
déterminée pour un concept, les poids sont déterminés dynamiquement en
utilisant la fonction F(u) précédemment introduite. De cette manière, la
MOP est calculée avec des poids tels que i jp p≥ pour i>j. Un concept qui
contient une tâche avec une urgence élevée va ainsi avoir une activation
interne élevée.
8.2.6 DesigNAR et NAR
Les listes et l’organisation de mémoire que nous utilisons sont similaires à
celles du système NAR de Wang (1995, 2006b) mais il y a aussi des
différences. Tout d’abord, NAR n’est pas un système hybride et n’utilise pas
d’activation externe. Notre système, contrairement au système NAR, est
conçu pour travailler sur plusieurs projets et pour permettre un transfert des
connaissances acquises d’un projet à l’autre. Sa base de donnée s’élargit avec
le temps mais pas toutes ses connaissances sont pertinentes dans chaque
projet. Par contraste, le système NAR est un système de raisonnement pur et
il ne prend pas en compte la notion de projet. Il se raisonne et il s’adapte
156
d’une manière similaire à notre système, mais les résultats qu’il produit ainsi
que ses observations sont oubliés à la fin de la séance.
Par ailleurs, dans NAR, les relations d’héritage et de similarité ont un
paramètre appelé utilité. Ils ont une fonction et une utilisation similaire aux
celles de paramètres d’urgence mais peuvent aussi augmenter suivant leur
participation et leur contribution au raisonnement de NAR. Nous n’utilisons
pas ces paramètres comme nous n’avons pas besoin de distinguer entre
l’utilité d’une connaissance du point de vue du système et l’espérance de cette
connaissance. Pour notre système, une connaissance est d’autant plus utile
que son espérance est élevée, comme les suggestions se font sur la base des
espérances.
Finalement, le choix des tâches et l’ajustement de l’activation interne ne sont
discutés que qualitativement par Wang. Le mécanisme que nous avons décrit
plus haut est propre au DesigNAR. En revanche, dans son état actuel, le
système NAR est capable d’utiliser toutes les fonctionnalités de la famille de
logique NAL, tandis que nous avons utilisé une version limitée.
8.2.7 DesigNAR, concepts fluides et SCE
Nous avons vu dans ce chapitre que la sélection des éléments à traiter par le
système est aléatoire, mais que la sélection est biaisée fortement en faveur des
éléments les plus forts (les concepts les plus actifs, les tâches les plus
urgentes, les règles les plus sûres). Par ailleurs, il existe un mécanisme d’oubli
dû à la capacité des listes utilisées, ce qui assure que les relations faibles sont
oubliées lorsque de nouvelles relations sont produites. Comme l’activité
d’inférence continue sans cesse, cela donne un système qui produit des
connaissances continuellement et qui ne retient que celles qui sont les plus
puissantes (d’après le paramètre espérance). Jusqu’à ce que des connaissances
encore plus puissantes puissent être trouvées !
Il faudrait noter que dû à la nature aléatoire du raisonnement, si nous
répétions une même expérience (les mêmes observations, aux mêmes
moments), il est très peu probable de reproduire les mêmes connaissances
avec le même ordre. Cependant, comme la sélection est biaisée et les
157
conclusions faibles sont oubliées, la plupart des conclusions retenues seront
identiques même si l’ordre de leur obtention va très probablement changer !
Cette nature dynamique mais non-déterministe du système le rapproche dans
une certaine mesure, d’autres systèmes qui fait un usage fluide des concepts.
Par exemple, les relations d’héritage et de similarité avec des degrés de
puissances variées peuvent être vues comme les distances (ou proximités)
conceptuelles dans le programme Copycat. Alors, ce que nous avons appelé le
sens d’une concept, c'est-à-dire, ses relations avec les autres concepts à un
moment donné, est pareil au halo conceptuel d’un concept dans Copycat
(voir le paragraphe 6.3.1). Le halo se rétrécit et s’élargit dans différentes
directions lorsque notre système fait des inférences, crée de nouvelles
connaissances, en oublie certaines, en révise d’autres (ce qui les rend plus
puissantes). En plus, quand le sens d’un concept change de cette manière, la
propagation de l’activation gagne une nature dynamique aussi ! Des liens
sont créés, d’autres oubliés, et encore d’autres sont renforcés et donc
l’activation qu’un concept va transmettre change ; ce qui influence la chance
des concepts d’être sélectionné pour l’inférence et par conséquent, de créer
des tâches qui vont changer l’activation interne d’autres concepts !
Cependant, dans notre système, le raisonnement ne s’arrête pas pour
produire une représentation finale (d’une situation, d’une analogie,
etc.) Lorsque le programme Copycat est lancé, d’abord, plusieurs concepts et
représentations sont considérés en parallèle, et éventuellement, le système
converge vers l’une des représentations considérées. Comme le programme est
non-déterministe, parfois, des représentations moins plausibles sont
construites, ce qui est jugé comme un effet de créativité. Par contraste, dans
notre système, il n’y a pas de représentation finale. A la place, le système se
représente la situation continuellement. Contrairement, à Copycat (et
d’ailleurs, à d’autres programmes dans ce genre comme Tabletop,
Letterspirit) notre assistant est situé et donc en interaction continuelle avec
un environnement qui change. Quand l’environnement change, la
représentation change. Par ailleurs, la manière dont le système se représente
la situation ne peut être distinguée de son raisonnement, comme l’approche
des concepts fluides requiert (voir le paragraphe 5.4.2). L’activation des
158
concepts observés, la propagation de cette activation, les tâches qui se créent
et les activations internes qui changent, les connaissances produites, les
interactions internes aux différents niveaux et l’interaction avec
l’environnement peuvent tous être considérés comme les éléments de la
représentation mais aussi les éléments du raisonnement. La fluidité de la
représentation et du raisonnement vient de ces interactions internes et
externes aux niveaux variés (tâches, relations, activations internes,
observations, activations externes, propagation) et l’aspect aléatoire contrôlé.
Cette fluidité a comme impact une construction de sens non-déterministe
mais maîtrisé pour les concepts et un comportement (et donc des
représentations) émergent(es).
Nous avons terminé de décrire les détails de l’implantation du mécanisme de
contrôle de DesigNAR. Les deux chapitres suivants vont présenter des
exemples et des expérimentations démontrant le fonctionnement du système
décrit dans la deuxième partie.
159
Dans le domaine d’informatique,
le moment de vérité est le programme qui tourne.
Tout le reste est de la prophétie.
Herbert SIMON
Chapitre 9. DesigNAR; exemples d’inférence et de
suggestion
Durant les chapitres précédents, nous avons décrit DesigNAR et le fondement
théorique sous-jacent. Ce chapitre est destiné à présenter le fonctionnement
du système par les exemples.§§ En premier, l’interface graphique du système
est présentée. Les fonctions de base comme l’ajout des éléments, l’élaboration
de la base de donnée et la réception de l’information à partir de
l’environnement seront expliqués à l’aide des figures. En deuxième, les
exemples d’inférences menées par l’assistant seront présentés à l’aide d’un
exemple de conception d’aspirateur réalisé en utilisant le logiciel. L’activité
d’inférence du logiciel est enregistrée dans un fichier d’output à partir duquel
nous discuterons et exemplifierons l’application des règles d’inférences.
L’évolution des connaissances de l’assistant suites aux inférences, l’ancrage
des concepts et des relations, la construction de sens pour les termes
composés sera examinée. En troisième, nous allons illustrer la coopération du
système avec l’utilisateur par un deuxième exemple, la conception d’une
machine à laver.
§§ Le logiciel DesigNAR et des bases de données correspondants aux exemples et aux
expérimentations peuvent être trouvés sur le site Internet de l’auteur à l’adresse
http://www.lamsade.dauphine.fr/~kazakci.
160
Figure 9.1 DesigNAR et son interface graphique ; (Kazakci 2005)
9.1 Présentation du logiciel
9.1.1 L’interface graphique du DesigNAR
Le DesigNAR communique avec son utilisateur à partir de son interface
graphique. L’interface permet à l’utilisateur de construire un concept sous
forme d'un graphe FBS et de gérer une base de donnée. L'écran est composé
de trois parties ; Figure 9.1. Les concepts sont élaborés dans la partie gauche.
Il est possible de créer un nouveau artéfact et d'y ajouter des éléments comme
des fonctions, des comportements et des structures pour former un graphe
FBS correspondant à une description conceptuelle d’un produit. A chacun de
ces éléments peuvent être associés des attributs, des contraintes, des
documents (en bas, à gauche de l’écran). Pour les structures, il est aussi
possible d’ajouter des relations. La partie au milieu permet de gérer la base
de donnée. L'utilisateur peut rechercher et charger des concepts ou construire
des schémas de fonctions, de comportements ou de structures.
161
Figure 9.2 Le graphe FBS modifié
Les schémas correspondent aux types d’éléments et définissent les propriétés
(attributs, documents, contraintes) les plus distinctives de leurs instances
(Gorti et al. 1998). Pour ajouter un élément dans le graphe (e.g., une
structure de type Separation/FiltrationMechanism), l'utilisateur doit choisir
le schéma correspondant à partir duquel l’instance sera dérivée (Figure 9.1,
au milieu). Il sera alors possible d’observer en bas au milieu les propriétés de
ce schéma, de choisir l'élément auquel le nouveau élément sera lié (e.g.,
Gather, Figure 9.1, à gauche en haut), et finalement, de nommer l'instance
qui sera créé à partir du schéma (e.g., Separation_Mechanism_1) et de
valider.
Suite à cette validation, le nouvel élément sera ajouté dans le graphe FBS;
Figure 9.2. Ensuite, l’utilisateur peut ajouter d’autres attributs, de
documents ou de contraintes dans cette instance en utilisant les boutons en
bas à gauche de l’écran, créant ainsi une instance plus spécifique. Un schéma
approprié à partir duquel l’instance sera dérivée peut ne pas être disponible
dans la base de donnée. Dans ce cas, l’utilisateur peut cliquer sur « New » ou
« Edit » dans l’écran d’ajout de structure pour en créer un nouveau ou
élaborer un ancien ; Figure 9.3.
162
Figure 9.3 Création d’un nouveau schéma de structure; Centrifugal_Separation_Mechanism
Notons que l’utilisateur ne peut créer des instances que pour les ajouter dans
un graphe FBS et que, pour ce faire, il doit passer par les schémas. En fait,
lorsque le bouton « Add Function », « Add Behavior » ou « Add
Structure » est cliqué, dans la boite de dialogue qui s’ouvre, apparaissent
uniquement les schémas. L’utilisateur n’a pas d’accès direct aux instances
créées à partir de ces schémas. L’utilisateur ne peut accéder à des instances
créées dans le passé que par l’intermédiaire du DesigNAR. Celui-ci est chargé
de trouver et de suggérer les instances passées les plus intéressantes dans le
contexte actuel. Ainsi, les schémas jouent un rôle central dans l’activité du
DesigNAR. Les instances crées dans différents projets sont toutes reliées à des
163
schémas et DesigNAR est chargé d’établir des relations directes entre celles-ci
afin de pouvoir faire suggestions.
DesigNAR communique ses suggestions à l’utilisateur dans la partie droite de
l’écran principal. L’utilisateur peut alors examiner les propriétés des éléments
suggérés (en bas, à droite de la Figure 9.1). S’il accepte la suggestion, alors
celle-ci sera transférée en dessous de l’élément sélectionné dans le graphe
FBS.
Aussi, dans cette partie, existent les boutons de commande pour demander au
DesigNAR des éléments à ajouter dans le graphe et pour suspendre ou
reprendre son cycle de fonctionnement. Lorsqu’on demande à l’agent de
suggérer, une procédure est lancée pour rechercher des éléments à suggérer
qui peuvent être reliés à l’élément sélectionné dans le graphe. Cette procédure
va rechercher les relations que DesigNAR connaît et qui permettront de faire
des suggestions afin de les afficher à l’écran. Toutefois, DesigNAR est un
agent réactif et on n’a pas besoin de lui demander de faire des suggestions;
tant que son cycle de fonctionnement n’est pas suspendu, il réagira à chaque
clique de l’utilisateur et aux ajouts d’éléments et va essayer de faire des
suggestions.
9.1.2 Acquisition des connaissances
Comment DesigNAR acquiert ses premières connaissances ? Nous en avons
déjà parlé dans les chapitres 6 et 8, mais reprenons quelques éléments à l’aide
de l’exemple. Lorsque Separation_Mechanism_1 est ajouté en dessous du
Gather, deux nouveaux liens seront observés par DesigNAR:
: _ _1S Separation Mechanism → : B Gather
: _ _1S Separation Mechanism → : / S Separation FiltrationMechanism
Le premier lien informe l’agent que l’instance nommé Gather est réalisé par
l’instance nommé Separation_Mechanism_1. Le deuxième lien informe le
système que Separation_Mechanism_1 est une spécialisation de
Separation/FiltrationMechanism. Cependant, pour DesigNAR il n'y a pas de
distinction sémantique entre ces deux liens. Il les représente et traite de la
même façon, c'est-à-dire, par des relations d’héritage. En plus de ces deux
164
liens ci-dessus, DesigNAR crée et recopie dans sa mémoire la question
« Qu’est-ce que c’est un Separation_Mechanism_1 » :
Q →S: Separation_Mechanism_1
où Q est le symbole utilisé par le système pour les questions. Comme nous
l’avons déjà vue dans les chapitres précédents, une telle question n’est pas
informative en soi ; elle ne représente pas une connaissance mais uniquement
une tâche. Les questions peuvent déclencher des procédures de choix qui
pourront entraîner des suggestions. Acquises de cette manière, les
connaissances de l’agent sont organisées comme un graphe où les nœuds
correspondent à des concepts (comme Separation_Mechanism_1 ou
Gather) et les liens correspondent aux relations d’héritage qui existent entre
les concepts ; Figure 9.6. Initialement, la base de donnée contient quatre
noeuds; Artifact, Function, Behavior et Structure. Ce sont les éléments les
plus généraux. Par exemple, lorsqu'un nouvel artefact A: Artifact_1 est créé,
le lien
A: Artifact_1→A: Artifact
est observé par l'agent. Ainsi, il sait que « Artifact_1 est un Artifact ». De
la même manière, lorsqu'un premier schéma de Function, de Behavior ou de
Structure est créé, les liens comme les suivants sont captés par l'agent:
F: Function_1 → F: Function
B: Behavior_1 → B: Behavior
S: Structure_1 → S: Structrue
Lorsqu’un nouvel élément est ajouté dans un graphe FBS en cours de
construction, les liens de type :
F: Function_1 → A: Artifact_1
F: Function_2 → F: Function_1
B: Behavior_1 → F: Function_2
B: Behavior_2 → B: Behavior_1
S: Structure_1 → B: Behavior_2
S: Structure_2 → S: Structrue_1
peuvent être observés par l’agent. Notons que dans ces derniers liens
n’apparaissent que des instances.
165
Figure 9.4 Création d’un nouveau concept
9.2 Inférences et évolution des connaissances du DesigNAR
Nous considérons que l'agent commence sa vie avec les exemples ci-dessous.
Par conséquent, n'ayant observé aucune séance de conception auparavant, au
départ, sa mémoire sera vide mise à part les quatre noeuds Artifact,
Function, Behavior et Structure. Dans les exemples qui suivent, nous avons
le constant de prudence k = 10 (voir chapitre 7) de manière à ce que l'agent
attribue des valeurs de vérités relativement basses aux conclusions
d’inférences. Par ailleurs, la vitesse de répétition d’un cycle de
fonctionnement de l'agent a été réduite pour éviter d’avoir un nombre
d’inférence très élevés et difficile à suivre pour le lecteur.
9.2.1 Exemple d’utilisation du logiciel
Présentons comment fonctionne DesigNAR lors de la conception d'un
aspirateur. Le concept correspond à celui d'un aspirateur dont le
fonctionnement est basé sur le vacuum créé par un moteur. La poussière
aspirée par le vacuum est retenue par un sac qui sert de filtre ce qui permet
de séparer l'air de la poussière.
Après avoir sélectionné « New concept » dans le menu « File », l'utilisateur
peut créer l'artéfact A: Aspirateur. La boite de dialogue qui s'ouvre permet
d'entrer le nom de l'artéfact et une description de celle-ci; la date de création
du projet est générée automatiquement; Figure 9.4. Ceci revient à créer un
noeud de type Artéfact pour le graphe FBS. Cliquer sur OK, ajoute ce noeud
dans la base de donnée, initialise le DesigNAR et lui donne le lien
: :A Aspirateur A Artifact→ .
166
(a)
(b)
(c)
(d)
Figure 9.5 Les étapes de la création du concept d’aspirateur
L'utilisateur peut désormais continuer à développer son concept en ajoutant
des fonctions, puis des comportements et finalement des structures. La Figure
9.5 illustre les étapes pour créer les schémas et les instances nécessaires pour
construire le concept correspondant à un aspirateur. L’utilisateur détermine
comme fonction primaire d’un aspirateur, séparer l’air aspiré de la poussière
qu’il contient. Un schéma F: Separation est donc créé (Figure 9.5a) à partir
duquel l’instance F: Separation_1 est construite (Figure 9.5b).
167
Figure 9.6 Les liens observés (Les valeurs de vérités sont omises pour raison de clarté)
L’utilisateur alors décompose la fonction F: Separation_1 par les
comportements B : Vacuum_1 et B : Filtration_1 qui sont créés à partir
des schémas correspondants; Figure 9.5b et Figure 9.5c. Finalement,
l’utilisateur ajoute S : Moteur_1 et S : Sac_1 dans le but de décrire les
éléments qui vont réaliser les deux comportements B : Vacuum_1 et
B : Filtration_1 respectivement; Figure 9.5c et Figure 9.5d. A ce stade, si
aucune inférence n’avait été réalisée, le graphe de connaissances de l’agent
aurait eu la structure illustrée dans la Figure 9.6.
9.2.2 La réception de l’information et la mémoire du DesigNAR
DesigNAR « se réveille » lorsque le concept d’aspirateur est créé. Suivant le
mode de fonctionnement, il peut immédiatement commencer son cycle
d’inférence ou il peut surveiller l’environnement et enregistrer les
changements jusqu’à ce que l’utilisateur lui demande de faire des inférences.
168
Figure 9.7 Le fichier d’output du DesigNAR ; les valeurs entre les crochets sont les valeurs
d’urgence et de durabilité ; les valeurs entre les parenthèses sont les valeurs de fréquence et
de confiance ; Q est le symbole utilisé par le système pour le point d’interrogation.
Dans tous les cas, il crée un fichier d’output ayant le nom de l’artéfact et les
spécifications du projet. Dans ce fichier est reporté toutes les informations
que DesigNAR reçoit de son environnement et les inférences qu’il effectue à
partir de ces informations. La Figure 9.7 présente un extrait de ce fichier
dans le cadre de l’exemple du concept Aspirateur. Les chiffres entre les
crochets [ ] sont respectivement l’urgence et la durabilité. Les chiffres entres
parenthèses ( ) sont respectivement la fréquence et la confiance.
Comme nous le voyons DesigNAR reçoit d’abord les informations sur
A : Aspirateur. Il observe « Aspirateur est un Artéfact » et se pose la
question « Qu’est-il lié à un Aspirateur ?». De la même manière, il constate
un schéma de fonction, nommé Separation, et il crée la tâche « Qu’est il la
Separation ? ». Puis, Separation_1, une instance de Separation et cette
instance est associée à Aspirateur. Finalement l’agent se demande « Qu’est-
ce que c’est Separation_1 ? ».
169
Lorsque DesigNAR reçoit une information, il la recopie dans certaines des
quatre listes Tâches, Intension, Extensions et Similarité (voir chapitre
Chapitre 8). Si un terme figurant dans l’information n’est pas connu, alors un
nouveau concept est créé avec ces quatre listes et dont le nom correspond au
terme observé. Pour notre exemple, comme l’agent ne connaît aucun des
termes observés, il va créer tous les concepts correspondants. Les concepts
Aspirateur, Separation et Separation_1 sont donc créés comme il s’agit de la
première expérience de conception pour le système. Les informations
observées peuvent alors être recopiés dans les listes appropriées. Les questions
sont recopiées uniquement dans la liste Tâche correspondant au concept
considéré. Les jugements sont recopiés à la fois dans les listes Tâche et dans
la liste de jugements correspondante (voir chapitre 8). Ainsi, pour Aspirateur,
des deux liens suivants
[0,99;0,90] (0;0)
[0,8;0,99] (0,7;0,7)
Q Aspirateur
Aspirateur Artifact
→
→
le premier est ajouté dans la liste Tâche, le deuxième est ajouté à la fois dans
la liste Tâche et dans la liste Intension de l’aspirateur.
Notons que les informations qui sont captées de l’environnement sont admises
par DesigNAR sans aucune remise en question (de la crédibilité de
l’utilisateur). Elles sont recopiées comme telles dans la mémoire. Aucune
incertitude n’est considérée en ce qui concerne l’information, même si
l’information peut indiquer de l’incertitude sur une relation (e.g.
Aspirateur Artifact→ avec un niveau de confiance de 0.7 » n’implique pas
que cette information est incertaine, mais que le fait qu’un aspirateur soit un
artéfact n’est certain que de 70%). L’information Aspirateur Artifact→ est
ainsi directement recopiée dans la liste Intension du concept Aspirateur.
Cependant, le fait que les informations soient recopiées sans remise en
question ne veut pas dire pour autant que l’agent ne va pas essayer de situer
ces connaissances par rapport à d’autres connaissances. Ainsi, cette même
information va être recopiée dans la liste Tâche (ce qui augmentera
l’activation du concept correspondant, et donc, la probabilité qu’il sera
sélectionné pour une inférence). De cette manière, lors de l’inférence, elle peut
être sélectionnée, et donc, interagir avec d’autres connaissances (qui se
170
trouvent dans l’intension, l’extension ou la similarité du concept). Ceci va
donner lieu à la création d’autres connaissances à partir de celle-ci et donc
établir la relation du concept en question avec d’autres concepts. Par
contraste aux jugements, les questions de type :Q A Aspirateur→
ou : _1Q F Separation→ ne vont interagir avec d’autres connaissances que
pour trouver une réponse ou, à défaut, pour créer une autre question. Pour
l’exemple, n’ayant aucune autre connaissance de départ, soit DesigNAR va
trouver des réponses triviales (comme : _1F Separation → :A Artifact ), soit
il n’en trouvera aucune (e.g., il n’est pas possible de répondre à
: _1Q F Separation→ pour l’instant.) Celles-ci ne seront pas reportées à
l’utilisateur puisqu’elles n’ont aucune valeur comme suggestions. Cependant,
elles seront importantes pour le raisonnement interne de l’agent. Comme tout
résultat d’inférence, ils seront écrits dans la liste Tâche des concepts
concernés augmentant leur niveau d’activation.
Aussi, faudrait-il rappeler qu’un jugement quelconque contient de
l’information sur deux concepts à la fois. Prenons :A Aspirateur →
:A Artifact . Dans quel concept devrons-nous la recopier ? Dans les deux
concepts en question. Cependant, pas dans les mêmes listes : Pour le concept
A : Aspirateur, le concept A : Artifact sera copié dans la liste Intension
puisque A : Artifact est dans l’intension de ce concept. Pour le concept
A : Artifact, le concept A : Aspirateur est dans l’extension de celui-ci et donc
il sera copié dans la liste Extension.
9.2.3 Les premiers cycles ; la manque de connaissances
Reprenons l’exemple d’aspirateur et examinons à présent les premières
itérations du cycle de fonctionnement du DesigNAR à l’aide de son fichier
d’output. Une fois les informations acquises sont écrites dans la mémoire,
DesigNAR commence à exécuter ses cycles d’inférences. Rappelons qu’un
cycle d’inférence consiste à choisir un concept, une tâche à propos de ce
concept, puis, un jugement (sauf si la tâche est une question au quel cas on
cherche directement une réponse). Ensuite, une règle d’inférence sera
appliquée à la tâche et au jugement pour générer une conclusion. Le fichier
d’output reflète toutes ses étapes pour chaque cycle d’inférence.
171
Figure 9.8 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 1-4
Ce que nous constatons dans les premiers cycles, c’est que DesigNAR ne
dispose pas suffisamment de connaissances pour établir des relations entre des
concepts. L’assistant continue son raisonnement malgré cela, en créant des
questions et des tâches plutôt que des réponses ou de connaissances. A la
première itération, le concept F : Separation est sélectionné aléatoirement
parmi les concepts du DesigNAR. Puis, toujours aléatoirement, la tâche
:Q F Separation→ est choisie.
172
Comme la tâche est une question, DesigNAR va utiliser sa procédure de
choix pour essayer de donner une réponse. Puisqu’elle a été générée
directement à partir d’un terme observé dans l’environnement, dans le cas où
une réponse sera trouvée, DesigNAR va essayer de faire une suggestion à
l’utilisateur. Mais, à ce point, la seule autre connaissance de l’agent sur le
concept F : Separation, c’est F : Separation_1→F : Separation. A l’évidence,
il n’y a aucune utilité à suggérer cette connaissance. L’utilisateur a déjà créé
cette instance de F : Separation lui-même et il l’a déjà utilisé dans cette
séance. Ce genre de suggestions redondantes n’est pas reporté à l’utilisateur.
Après cette itération, comme nous pouvons le constater du fichier d’output,
l’utilisateur entre un autre concept en élaborant le schéma de comportement
B : Vacuum. DesigNAR observe la connaissance B : Vacuum→B : Behavior.
Nous voyons donc que l’agent continue ses inférences tout en surveillant
l’environnement.
A l’itération 2, DesigNAR choisit le concept F : Separation_1 pour
l’inférence. La tâche choisie est : _1Q F Separation→ . Cependant, l’agent
n’a aucune connaissance extensionnelle sur le concept F : Séparation_1 et
donc il ne peut pas répondre à cette question. Dans ce genre de cas, plutôt
que d’abandonner l’inférence, l’assistant choisit une connaissance
intensionnelle et poursuit l’inférence par une inférence vers arrière. L’intérêt
de l’inférence vers l’arrière consiste à activer les concepts reliés afin
d’augmenter la chance d’obtenir une réponse, même si d’une manière
indirecte, à la question de départ. Si l’assistant ne peut générer des
connaissances, alors il génère des questions pour engendrer une réflexion ! Le
système se pose des questions à partir desquelles il peut obtenir une réponse à
la question de départ. En utilisant la connaissance
: _1 :F Separation A Aspirateur→ , de la question : _1Q F Separation→
est inférée la question :A Aspirateur Q→ (ce qui correspond à la règle
d’exemplification). Le lecteur pourra noter que le système aurait pu générer
aussi la question :Q A Aspirateur→ en utilisant la règle de déduction.
Toutefois, comme expliqué dans le paragraphe 8.2, il peut y avoir plusieurs
règles d’inférences qui peuvent être utilisées lors d’un cycle d’inférence et le
système fait un choix aléatoire entre ces règles.
173
Figure 9.9 Le fichier d’output du DesigNAR ; itérations 5-9
Bien que les règles qui renvoient des conclusions plus sûres soient favorisées
dans ce choix, il arrive parfois que d’autres règles soient choisies, comme nous
en voyons l’exemple dans cette situation. Cette approche découle du
caractère non-déterministe et contribue au comportement émergent du
système.
174
Les itérations 3 et 4 ne mènent toujours pas à la production de nouvelles
relations. Le système manquant toujours suffisamment de connaissances, il
n’arrive par à créer de nouvelles relations. A la place, il crée des questions ou
de nouvelles tâches. Ceci commence à changer à partir de l’itération 5 où
commence à apparaître la création de nouveaux liens.
9.2.4 Inférences et graphe de connaissance
Après les étapes décrites précédemment, DesigNAR a suffisamment
d’information sur l’environnement pour commencer à établir des relations
entre différents concepts. A partir de l’itération 5, nous constatons que
l’agent commence à effectuer des déductions, des inductions, des abductions,
etc. Ainsi, dans l’itération 5, le concept choisi est Vacuum, et l’agent déduit
que Vacuum_1 est un Behavior. Dans l’itération 7, il induit une relation
entre Vacuum et Separation_1. A l’itération 8, il infère une relation entre
Vacuum_1 et Vacuum grâce à l’abduction. A l’itération 9, il induit une
relation dans le sens opposé entre ces deux mêmes concepts. Graphiquement
ces inférences peuvent être illustrés comme dans la Figure 9.10.
Il est possible d’observer que les valeurs de confiance se dégradent avec les
inférences. Comme expliqué dans le chapitre 7, lorsqu’une conclusion est
dérivée, sa confiance est plus basse que celle de ses parents (sauf pour la
révision). Nous constatons que pour certaines règles (comme l’abduction ou
l’induction), les valeurs de confiance obtenues sont déjà très faibles (0,0555
pour l’itération 7 et 0,0205 pour l’itération 8). La raison, c’est que les
expressions calculant la valeur de la confiance pour ces règles font intervenir
le constant de prudence dans le dénominateur. La valeur k = 10 que nous
nous sommes fixées baisse les valeurs de confiances pour les conclusions
générées. Pour k = 1 les deux valeurs de confiances auraient été
respectivement 0,37 et 0,11). Avec une valeur de k élevée, DesigNAR ne
devient pas immédiatement sûr de ses connaissances ; il lui faudrait ressentir
les mêmes connaissances dans l’environnement plusieurs fois afin que celles-ci
aient de valeurs de confiances de plus en plus élevées (grâce à la révision).
175
Figure 9.10 Illustrations des étapes d’inférences 5, 7 et 8 et l’état du graphe résultant
Observons que le lien créé dans l’itération 8 est un lien qui a déjà été observé
dans l’environnement (et qui a été écrit dans la mémoire) avec une valeur de
vérité différente. Ceci n’empêche pas DesigNAR de recréer ce lien sur la base
des autres observations ou résultats d’inférences. Ce genre de situation est
naturel pour notre système et l’ambiguïté est résolue par le système soit par
une révision soit par un choix.
9.2.5 Apprentissage et ancrage des connaissances
Nous avons déjà eu un premier aperçu de l’apprentissage de l’agent grâce aux
inférences dans le paragraphe précédent. Quel effet cet apprentissage a sur le
sens des concepts de l’agent ? Comment l’ancrage d’un concept a lieu ?
L’ancrage d’un concept implique fonder les sens de celui-ci sur d’autres
connaissances ; c'est-à-dire, de la situer par rapport à d’autres concepts
observés ou formés en établissant des relations et de construire ainsi
un sens pour le concept en question. Prenons le cas du concept Separation_1
pour voir comment il est ancré par l’assistant au cours de son évolution.
176
Figure 9.11 Quelques étapes d’inférences sur le concept Separation_1
Au moment de sa création par l’utilisateur, aucune connaissance n’est
disponible sur celui-ci. L’agent acquiert ses premières connaissances à propos
de ce concept à partir de l’environnement ; Separation_1→Aspirateur et
Separation_1→Separation. Lorsque l’agent continue son cycle, il commence
à établir des liens entre ce concept et d’autres. Dans l’immédiat ce sont des
concepts qui ont été observés avec celui-ci. Lorsque l’agent aura plus de
connaissances et d’expériences, des liens avec des concepts acquis dans
d’autres projets pourront être établis.
177
Figure 9.12 L’évolution du sens du concept Separation_1
La Figure 9.11 montre plusieurs étapes d’inférences dans lesquelles des liens
entre Separation_1 et d’autres concepts sont établis. Ainsi, plus DesigNAR
fait des inférences, plus de liens sont établis avec d’autres concepts (sujet à la
capacité des listes) : le sens du concept s’enrichit et celui-ci est ancré sur
d’autre concepts. Nous pouvons constater cela de la Figure 9.12 où les liens
du Separation_1 augmentent considérablement lorsque le nombre de cycle
d’inférence augmente.
En regardant ces figures, il est possible de penser que, étant donné un
concept, DesigNAR finit par établir tous les liens possibles avec tous les
autres concepts qu’il a. Ceci n’est pas le cas. La raison pour laquelle
Separation_1 est liés à la quasi-totalité des autres concepts, c’est que, pour
l’instant l’agent connaît très peu de concepts qui sont tous activés (comme
ils viennent d’être observés récemment). En tout cas, comme la taille des
listes de la mémoire est limitée, indépendamment du nombre de conclusions
générées, les relations les plus puissantes sont gardées.
Comme nous pouvons le constater dans les Figure 9.11 et Figure 9.13, les
valeurs de vérité des liens construits ne sont pas proches du tout. Par
exemple, les liens intensionnelles avec Function et avec Artifact sont
relativement importants avec les valeurs de vérités respectifs (0,36; 0,3528) et
(0,42; 0,2911).
178
Extension Intension Similarité
(7) Vacuum (0,6;0,0555)
(68) Filtration_1 (0,6;0,0033)
(74) Function (0,6;0,0007)
(79) Vacuum_1 (0,36;0,0198)
(88) Moteur_1 (0,36;0,3528)
(93) Filtration_1&Vacuum_1
__________(0,84;0,9801)
(100) Aspirateur(0,7;0,0085)
(127) Moteur (0,216;0,0009)
(216) Filtration (0,36;0,0044)
(283) Behavior(0,6;0,0124)
(360) Sac_1 (0,36;0,3528)
(16) Filtration (0,6;0,0555)
(19) Function (0,36;0,3528)
(33) Artifact(0,42;0,2911)
(110) Vacuum (0,36;0,0045)
(173) Behavior(0,36;0,0198)
(185) Moteur (0,6;0,0124)
(210) Vacuum (0,5830;0,0595)
(335) Aspirateur (0,60;0,990)
(363) Filtration_1(0,1561;0,0013)
(387) Function(0,4286;0,0010)
Figure 9.13 Le contenu du concept Separation_1 (Après 400 itérations ; les valeurs
d’activation et de durabilité sont omises)
Tandis que les liens extensionnels avec Engine ou Function sont assez faibles
avec les valeurs de vérités respectifs (0,216 ; 0,0009) et (0,6; 0,0007). Du
point de vue du système, la distance conceptuelle des deux derniers concepts
sont plus élevés que les deux premiers par rapport au concept Separation_1.
Plus le nombre d’itération qu’il faut pour établir la relation avec le concept
de départ augmente, plus important devient la distance conceptuelle. Plus la
distance conceptuelle augmente, moins est la contribution d’un concept au
sens du concept du départ. La Figure 9.13 donne le contenu du sens du
concept Separation_1 après les 400 premières itérations.
Nous avons vu dans le chapitre 8 que la sélection des éléments à traiter par le
système est aléatoire, bien que la sélection soit biaisée fortement en faveur
des éléments les plus forts (les concepts les plus actifs, les tâches les plus
urgentes, les règles les plus sûres). Cette caractéristique non déterministe du
système fait que, si nous répétions l’exemple que nous venons de voir
plusieurs fois (avec les mêmes conditions de départ), la plupart des
conclusions générées seront éventuellement retrouvées, mais l’ordre des
inférences va très probablement être différent. Comme le système oublie les
relations relativement faibles, les conclusions retrouvées correspondent aux
relations les plus fortes (par exemple, pour Separation_1, les relations avec
Function ou Moteur_1).
179
Figure 9.14 Les deux termes composés crées par DesigNAR
9.2.6 Formation de termes composés et C/K/E
Comment les termes composés sont formés et leurs sens sont construits ?
Dans les exemples précédents, nous avons vu des exemples d’utilisation de
règles d’inférences comme la déduction, l’induction et l’abduction. Nous
savons que les termes composés se forment par la règle de formation de
termes composés (voir paragraphe 7.2.6). A priori, cette règle peut être
appliquée à deux termes quelconques pour former un terme composé. En
particulier, elle peut admettre comme argument des termes composés. De
cette manière, il devient possible pour l’agent de construire une hiérarchie de
termes élaborés à partir des éléments senti dans l’environnement. Cependant,
dans notre système son usage est restreint par certaines contraintes : les deux
arguments doivent appartenir à la même catégorie (c'est-à-dire, être tous les
deux des fonctions ou des comportements ou des structures) et ils doivent
être des instances et non pas des schémas. Ainsi, à partir des deux relations
: _1 :F Separation A Aspirateur→ et
: _1 : _1B Vacuum F Separation→
il n’est pas possible de former un terme composé _1AspirateurVacuum .
Toutefois, à partir des relations
: _1 : _1B Filtration F Separation→ et
: _1 : _1B Vacuum F Separation→ ,
il est possible de former un terme composé : _1 _1B Filtration Vacuum . Il
existe une raison simple pour cette restriction ; le but est d’avoir des groupes
de termes homogènes qui peuvent être directement utilisés pour faire des
suggestions.
180
Figure 9.15 Formation de termes composés: Une disjonction sémantique
Ainsi, tandis que le terme _1AspirateurVacuum n’a pas de grande utilité
étant donné la forme des suggestions du système, le terme
: _1 _1B Filtration Vacuum peut être suggéré à partir d’une relation
: _1 _1 : _1B Filtration Vacuum F Separation→ , si cette relation est formée.
Etant donnée ces restrictions, dans l’exemple de l’aspirateur, le système ne
peut créer que deux termes composés ; Figure 9.14.
Par ailleurs, le système est configuré de telle manière que, lorsqu’il est
possible de composer des termes, ils sont composés. Le but est d’obtenir le
plus vite possible de nouvelles connaissances sur des regroupements de termes
qui pourraient être proposés directement. En termes de la théorie C/K/E,
la construction de ces termes correspond à des disjonctions sémantiques. Par
exemple, le système a une certaine connaissance de ce que c’est
: _1B Filtration ou : _1B Vacuum , mais il n’a pas de connaissances sur ce
que c’est un : _1 _1B Filtration Vacuum . Un travail de conceptualisation va
donc commencer pour élaborer le sens de ce terme. Regardons de plus près
par quelles opérations et inférences, le système établit un sens pour le terme
B : Filtration_1Vacuum_1. Ce terme est crée à l’itération 93 où le système a
choisi d’étudier le concept F : Separation_1. La tâche et la connaissance
choisies vérifient les contraintes posées.
181
Figure 9.16 Etapes du raisonnement dans la construction du sens de
B : Filtration_1Vacuum_1
Alors le système crée le terme composé par la règle correspondante et la
connaissance B : Filtration_1Vacuum_1→F : Separation_1. Ainsi, une
première propriété pour le terme est déterminée et la connaissance
correspondante est ajoutée dans les listes appropriées des deux termes
F : Separation_1 et B : Filtration_1Vacuum_1. A cette étape, des inférences
à propos du nouveau concept formé ne peut être effectué à partir de celui-ci,
comme une seule relation est connue et il en faut deux pour une inférence
quelconque. Néanmoins, comme la même relation est aussi placée dans la liste
Extension de F : Separation_1 et qu’il existe plusieurs autres connaissances
liées à ce concept, d’autres connaissances liées au concept formulé peuvent
être produites à partir de ce terme. En effet, comme nous pouvons le voir sur
la Figure 9.16 les quatre inférences suivantes sur le concept
B : Filtration_1Vacuum_1 se réalisent à partir des autres concepts tels que
F : Separation_1, A : Aspirateur et B : Vacuum_1. Par ailleurs, ces
exemples d’inférence montrent comment un concept interagit et en active
d’autres par les inférences. Ainsi, l’inférence 97 met en relation le concept
B : Filtration_1Vacuum_1 avec le concept A : Aspirateur.
182
Figure 9.17 Le sens du concept B : Filtration_1Vacuum_1 à l’itération 237
A l’itération 125, les concepts B : Filtration_1Vacuum_1 et B : Vacuum_1,
sont reliés, ce qui permet de construire une relation entre ce dernier et
S : Moteur_1 à l’itération 157. Chacun de ces concepts ont maintenant au
moins une tâche à traiter concernant le terme composé. Nous voyons donc
que suite à la disjonction sémantique des parties des l’espace K du système
sont activées ; et elles sont utilisées pour contribuer à l’élaboration du sens de
ce concept. Ceci permet de mettre en relation le concept étudié avec d’autres
concepts et d’étendre son sens ; Figure 9.17. Le système est donc capable de
réaliser des disjonctions sémantiques et élaborer un sens pour le concept
formulé. Il s’agit là en réalité d’un acte de créativité. A l’évidence, l’usage du
mot créativité dans ce contexte n’entend aucune évaluation ou perception de
cet acte comme tel par des entités extérieures à l’agent (dont les utilisateurs).
Il s’agit simplement d’un acte où un nouveau concept est crée en utilisant des
connaissances. Ce genre de créativité pourrait faire penser à une créativité c-
K (petit c, grand K), c'est-à-dire, une créativité à partir d’un concept pas
tellement inattendu, mais dont l’élaboration requiert l’usage de plusieurs
connaissances (Hatchuel et Weil 2002).
183
9.3 Suggestions
Comment DesigNAR utilise-t-il ses connaissances pour faire des suggestions ?
Illustrons son comportement et quelques points intéressants en utilisant
comme exemple la conception d’une machine à laver. Nous conceptualisons
une machine à laver ordinaire comme une machine qui effectue deux types de
séparation pour nettoyer le linge. Une séparation chimique, où les tâches, la
poussière, etc. sont détachées du linge à l’aide du détergent et de l’eau par un
effet de rotation d’un tambour, et une séparation physique, où le linge est
séché en détachant l’eau du linge par un effet de centrifuge en faisant tourner
le tambour à une vitesse suffisamment élevée. Dans cette deuxième
séparation, le tambour acte comme un filtre : lors de la centrifuge, l’eau peut
s’échapper des petits trous percés sur le tambour lorsque le linge y reste.
9.3.1 Inférence en arrière menant à une suggestion inattendue
Si DesigNAR comporte des traits non-déterministes ; il n’est pas pour autant
un système chaotique. Le mécanisme de choix aléatoire des éléments à traiter
favorise les éléments les plus forts (les concepts les plus actifs, les tâches les
plus urgentes, les règles les plus sûres) (voir chapitre 8). Combiné avec le
mécanisme d’oubli, ceci permet au système de produire en général les
conclusions les plus puissantes. Toutefois, il est toujours possible que le
système réalise des inférences moins directes. Lorsque le système a observé un
seul travail de conception, ce genre de cas est difficile à cerner ; le système ne
fait pas de suggestions (tout a été observé dans l’environnement) et tous les
concepts apparaissent déjà dans la même description (donc, il n’est pas
étonnant ou inattendu que le système les relie). Lorsque le système connaît
plusieurs descriptions de produit sur lesquelles il a réalisé de nombreuses
inférences, les relations peu plausibles (du fait de la distance conceptuelle
élevée) mais établies quand bien même (grâce à la nature non-déterministe)
vont apparaître. Cependant, ces cas s’avèrent difficile à présenter comme le
nombre d’éléments, d’interactions et d’inférence à considérer et à discuter est
élevé. Pour un exemple de comportement inattendu relativement facile à
illustrer, nous considérons le cas suivant.
184
Figure 9.18 Suggestion de F : Separation_1 par DesigNAR
Pour cet exemple, l’agent commence son cycle de fonctionnement dès que
l’artéfact A : MachineALaver est créé. Comme nous l’avons déjà souligné, le
système est réactif aux cliques de l’utilisateur ainsi qu’aux changements dans
son environnement – changements tels que l’ajout des éléments. Ainsi, dès
que l’artéfact est ajouté, une question interne Q →A : MachineALaver est
créée. Cette question sera placée dans la liste Tâche du concept
A : MachineALaver et va alimenter le raisonnement interne de l’agent. Elle
augmentera l’activation du concept correspondant et ainsi contribuera à la
continuation de l’activité d’inférence. Dans cet exemple DesigNAR affiche
une suggestion presque aussitôt que l’artéfact est créée; Figure 9.18.
Comment cela est possible ?
En fait, une réponse est obtenue très rapidement grâce à l’activité
d’inférence ; Figure 9.19. Les deux seuls concepts qui sont actifss à ce stade
sont A : MachineALaver et A : Artifact. A la première itération, le choix
aléatoire indique A : MachineALaver.. Comme il a été observé dans
l’environnement récemment (et comme il est cliqué dessus, il est le focus et il
ne perd pas de son activation ; voir le paragraphe 8.2.3) c’est le concept le
plus actif. Ne disposant d’aucune connaissance extensionnelle pour répondre à
la question, DesigNAR effectue une inférence vers l’arrière. La question
résultante est rajoutée dans la liste Tâches du concept A : Artifact,
augmentant son niveau d’activation interne. Puisque le choix de concept à
étudier est aléatoire, ceci n’implique pas que A : Artifact sera choisi pour la
prochaine itération. Cependant, cela augmente ses chances vue que la
nouvelle tâche introduite augmente son niveau d’activation. Aussi, le
mécanisme de propagation de l’activation transmet de l’activation à partir de
A : MachineALaver (observé, donc activation externe positive) vers
A : Artifact. Effectivement, dans cet exemple, c’est le concept qui est choisi à
l’itération d’après.
185
Figure 9.19 Une inférence en arrière menant à une suggestion.
Le concept A : Artifact contient plusieurs relations, puisque, durant le projet
précédent, le système a réalisé des inférences sur celui-ci. Par la sélection de
la tâche A : MachineALaver → A : Artifact et de la relation
F : Separation_1 →A : Artifact, le système abduit la connaissance
F : Separation_1 → A : MachineALaver. Cette connaissance concerne les
deux concepts, et elle est placée dans les listes appropriées pour les deux. En
particulier, c’est une réponse convenable pour la question générée tout à
l’heure. Ainsi, lorsqu’à l’itération 4, le concept sélectionné est
A : MachineALaver et la tâche sélectionnée est Q →A : MachineALaver,
DesigNAR choisit comme réponse cette connaissance et le reporte à
l’utilisateur ; Figure 9.18.
9.3.2 Suggestions à partir des schémas
Supposons que le concepteur, examinant les détails de cette suggestion (qui
sont affichés en bas à droite de l’écran, quand on clique sur une suggestion)
voit que la fonction proposée s’agit d’une séparation physique. Alors, il décide
de créer une autre instance de F : Separation pour une séparation chimique.
186
Figure 9.20 Suggestion de DesigNAR pour F : Separation
Ainsi, il clique sur le bouton « Add Function » ce qui permet de visualiser
les schémas de fonctions dans la base de donnée. A ce moment, il n’y en a
qu’un ; F : Separation. Cliquer sur celui-ci fait encore réagir DesigNAR ;
Figure 9.20. Comme tout à l’heure une question Q → F : Separation est
créée et est ajoutée dans la base de donnée. Le système a observé et produit
des connaissances sur le concept F : Separation lors de la conception
d’aspirateur. Toutefois, la seule connaissance extensionnelle qui permettrai de
former une relation qualitative causale valide est la relation
F : Separation_1→F : Separation. Le système renvoie cette proposition et la
marque de bleu clair pour indiquer qu’elle vient d’être suggérée. Nous voyons
ici que le système suggère des éléments lorsque l’utilisateur parcours la base
de donnée (des schémas) tout comme lorsqu’il travaille sur la description de
l’artéfact.
9.3.3 Coopération du DesigNAR avec l’utilisateur
Comme l’utilisateur a le but de créer une fonction séparation chimique,
encore une fois il rejette la suggestion et il continue en créant une autre
instance de la fonction F : Separation ; la fonction F : Séparation_2. La
Figure 9.21 illustre la coopération du système avec l’utilisateur lorsque
l’utilisateur avance dans l’élaboration de son concept. L’utilisateur crée
plusieurs éléments nouveaux et le système n’arrive pas à produire des
suggestions immédiatement ; Figure 9.21a. Par exemple, le concept
B : Vacuum_1 ou B : Filtration_1 qui peuvent être suggérés comme relation
valide (bien que non nécessairement utile !) pour le concept
F : Separation_2, sont conceptuellement très distant à celui-ci. Il faudrait
plusieurs pas d’inférence afin de faire le lien avec cette fonction ce qui n’a
visiblement pas été réalisé pour l’instant. Après avoir terminé la conception
de la fonction F : Separation_2 l’utilisateur passe en fin à la fonction
séparation physique.
187
(a)
(b)
(c)
Figure 9.21 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance
Lorsqu’il clique sur A : MachineALaver, la suggestion F : Separation_1
réapparaît (les suggestions faites sont stockées dans la mémoire ; elles sont
réaffichées au besoin, à côté de nouvelles suggestions éventuelles) ; il accepte
cette suggestion et il l’ajoute donc en dessous de A : MachineALaver ; Figure
9.21b. Deux suggestions sont faites ; l’une des deux propositions correspond à
un terme composé B : Filtration_1&Vacuum_1. Mais elles ne correspondent
pas à ce que l’utilisateur a en tête. Il continue.
A la place des termes proposées l’utilisateur ajoute les structures déjà créées
pour la séparation chimique : le tambour et le moteur sont tous les deux
utilisés pour réaliser à la fois la rotation et le centrifuge ; Figure 9.21c. Nous
pouvons remarquer que ces deux termes réutilisés ont été observés par le
système il y a un certain temps ; et donc, le système a eu le temps de faire
certains inférences sur ceux-ci. En conséquence, lorsqu’il est cliqué sur, par
exemple, S : Tambour(Interne)_1 , plusieurs suggestions sont affichées par
DesigNAR; Figure 9.21c. De la même manière, quand l’utilisateur clique sur
d’autres éléments créés il y a un certain temps, le système affiche certaines
suggestions ; Figure 9.22.
188
(d)
(e)
Figure 9.22 Coopération du DesigNAR lorsque la conception avance (continué)
Parmi ces propositions, il est possible de constater plusieurs termes
composés ; par exemple, F : Separation_2Separation_1 ; Figure 9.22a. Nous
pourrons remarquer que la formation de ce terme composé diffère du terme
composé B : Filtration_1Vacuum_1 que nous avons vu plus haut : Ici, les
deux termes formant le concept créé proviennent des projets différents ! Ceci
est donc un exemple de la capacité du DesigNAR à transférer ses
connaissances d’un domaine à l’autre, d’un projet au suivant, étant donné
qu’il existe des schémas de fonction, de comportement ou de structures
communs.
Nous voyons que DesigNAR a pu former les relations nécessaires et
intéressantes, en particulier, des termes composés pour suggérer des groupes
d’éléments d’un seul coup. Naturellement, ces suggestions peuvent ne pas être
intéressant pour chaque utilisateur ou dans n’importe quel contexte.
Cependant, l’exemple montre que DesigNAR exploite ses connaissances au
mieux pour suivre les pas de l’utilisateur, tout en profitant de la situation
pour établir de nouvelles relations entre les concepts qu’il connaît.
189
Figure 9.23 Un deuxième aspirateur
Grâce à la capacité du DesigNAR à transférer des connaissances d’un projet à
l’autre, les relations ainsi formées dans un projet ne peuvent que contribuer à
son activité pour les occasions futures. Ainsi, par exemple, si l’utilisateur
reprend la conception d’un aspirateur, avec une fonction de séparation
physique, l’assistant va lui suggérer des relations que l’utilisateur a déjà
utilisées (e.g. F : Separation_1→B : Vacuum_1) dans des conceptions
antérieures, mais aussi, des relations qu’il ait pu former pendant son activité
d’inférence (e.g. F:Separation_1→B :Centrifuge_1Filtration_1Vacuum_1) ;
Figure 9.23. Compte tenu de la nature du système que nous avons bâti, il
reste à l’utilisateur d’analyser ces suggestions et de décider s’ils peuvent être
utiles.
190
Rien ne me choque. Je suis un chercheur.
Indiana JONES
joué par Harrison Ford
Chapitre 10. Le domaine « Gathering Machines »
Dans cette partie, nous reportons une expérimentation que nous avons
conduite avec DesigNAR à l’aide d’un groupe de concepteurs. D’abord, le but
de l’expérimentation est expliqué. Ensuite, le domaine construit pour mener
l’expérimentation est décrit. Les détails de l’expérimentation seront présentés.
Les travaux des concepteurs et les observations effectuées pendant leurs
travaux sont discutés. Bien que difficilement généralisable compte tenu des
limites de l’expérimentation, nos observations font preuves de l’utilité du
DesigNAR pour faciliter le travail des concepteurs et dans certains cas, du
support à la créativité.
10.1 But de l’expérimentation
Lorsque le code de DesigNAR a été suffisamment raffiné pour un premier
contact avec des utilisateurs externes, nous l’avons confronté avec des
concepteurs, pour avoir un premier aperçu de ses potentiels et de ses limites.
Dans ce but, nous avons collaboré avec cinq concepteurs, travaillant tous à la
Faculté de Génie Mécanique de l’Université Technique d’Istanbul (UTI)
comme enseignant-chercheur. Pour participer à ces expérimentations, les
sujets ont été payés.
Le but de ces expérimentations n’était pas d’avoir des données quantitatives,
par exemple, quant à la capacité de calcul informatique du DesigNAR, mais
d’observer la confrontation des concepteurs humains avec un assistant de
conception et d’avoir une première aperçue des points forts et des limites de
notre approche. L’expérimentation a été conduite en deux étapes.
191
Figure 10.1 Fonctions, comportements et structures principaux pour le domaine Gathering
Machines.
D’abord, un sujet expérimenté a utilisé le logiciel pour élaborer un certain
nombre de concepts dans un domaine que nous allons appeler « Gathering
Machines » (voir plus bas). Ceci a permis DesigNAR d’apprendre certains
fonctions et comportements à propos du domaine en question. Ensuite,
d’autres sujets ont été donné un projet de conception où il leur a été
demandé de construire un concept appartenant au domaine mais étant
différents des concepts élaborés par le sujet expérimenté.
10.2 Le domaine
Le domaine « Gathering Machines » comprend des appareils dont la fonction
essentielle est de ramasser des objets. Ce domaine inclut donc des appareils
comme des tondeuses à gazon, camions poubelles, des ramasseuses, des
arracheuses, etc. Nous avons construit le domaine à l’aide d’un sujet
expérimenté (SE). SE est un maître de conférence à UTI et la théorie de
conception est parmi ses centres d’intérêt de recherche. Spécialisé en Génie
Mécanique, il a plusieurs années d’expérience chez Mercedes-Benz dans le
domaine de conception d’autobus. Au bout de trois séances de travail, plus
de 60 fonctions et comportements généraux ont été trouvés pour le domaine.
192
Ces éléments ont été retravaillés ; leur nombre a été réduit, compte tenu du
niveau de détail qu’il était possible considérer pendant la courte durée des
expérimentations (voir plus bas). Finalement, l’ossature FBS pour le domaine
de Gathering Machines a été déterminée comme illustré par la Figure 10.1.***
10.3 Présentation du modèle FBS et le DesigNAR aux sujets
Durant les premières séances de travail, SE avait développé une familiarité
avec les schémas FBS et était capable de les manipuler aisément, bien que,
ni dans son expérience professionnelle, ni dans sa formation d’ingénieur, il
avait pris connaissance d’un tel schéma avant notre collaboration. Par
ailleurs, nous avons travaillé ensemble en utilisant DesigNAR pour le
familiariser avec son utilisation et son fonctionnement afin de lui permettre
de développer l’expertise suffisante pour construire les concepts choisis.
Les autres sujets, ne connaissant ni le modèle FBS, ni notre logiciel, nous
avons organisé une séance de travail dirigé pour les leur présenter. Dans cette
séance, après avoir présenté le modèle et les graphes FBS, nous avons
demandé aux sujets de concevoir une cafetière électrique représentée comme
un graphe FBS afin de les familiariser avec ces notions. Ce travail a été
réalisé en papier et crayon. Ensuit, le logiciel DesigNAR et ses fonctionnalités
leur ont été présentées en utilisant l’exemple de cafetière.
Pendant la présentation du modèle FBS, nous avons eu des difficultés. Ayant
une culture et une formation traditionnelle en Génie Mécanique, les sujets
étaient familiers avec les notions du systématique allemand (voir paragraphe
2.3.5). Cependant, comme l’un d’eux (le sujet 4, voir plus loin) a affirmé, la
conception évoquait chez eux le mot « AutoCAD », c'est-à-dire la
représentation et la construction des structures à l’aide d’un logiciel de
dessin. L’exercice que nous avons proposé sur la cafetière électrique a aidé sur
ce plan : Lorsque nous avons avancé dans l’exercice proposé, ils paraissaient
plus confortables avec le modèle.
*** Durant les expérimentations, les ingénieurs ont travaillé dans leur langue maternelle ; le
turc. Plus tard, nous avons traduits les termes utilisés en anglais afin de les rendre
accessibles à toutes les parties.
193
10.4 Les spécifications de l’expérimentation
L’expérimentation a été réalisée en deux étapes. Le sujet expérimenté a
construit deux concepts de machine de ramassage. Ce sont
« PatatoeGatherer », une véhicule pour ramasser des pommes de terre et
« SeaOilHarvester », une véhicule pour nettoyer la mer de la pollution
causée par du pétrole. Les cinq sujets ont été demandés de concevoir avec
DesigNAR une machine pour nettoyer la mer en ramassant les ordures. En de
termes plus spécifiques, nous leur avons demandé d’élaborer un description
conceptuelle en utilisant un schéma FBS d’une machine capable de collecter
des ordures flottantes dans la mer. Intuitivement, ce dernier concept a une
certaine similarité avec les deux concepts construits par SE. Toutefois, il est
aussi différent. Cela permet d’observer la collaboration des concepteurs avec
notre assistant dans un contexte où l’utilisateur et l’assistant doivent faire
preuve d’une certaine créativité.
Avant de démarrer, nous avons averti les sujets pour qu’ils respectent
certaines conventions de notations et de ne pas recréer les éléments déjà créé
par d’autre sujets avant eux. Il a été précisé aux sujets qu’ils pouvaient
examiner les suggestions faites par le logiciel à cette fin. Les expérimentations
avec les sujets ont été réalisées en une journée. Chaque sujet a été donné une
durée deux heures de travail libre. Nous avons aussi souligné qu’ils étaient
totalement libres dans leurs actions ; ils pouvaient concevoir comme ils
veulent et qu’ils n’étaient pas obligés à épuiser la totalité de la durée
impartie. Nous leur avons aussi dit qu’il ne s’agit pas de tester leurs capacités
à concevoir. Pendant les sessions, nous avons juste répondu à des questions
sur l’utilisation du logiciel, refusant d’intervenir dans l’élaboration des
concepts.
Entre les séances, nous n’avons pas interdit aux sujets de communiquer. D’un
côté, ceci ne paraissait pas possible. Les participants, étant tous membre du
département UTI, se connaissaient et ils s’étaient vus le jour d’avant pendant
la séance de travail. De l’autre côté, de tels échanges ont naturellement lieu
en organisations et ne sont pas contradictoires avec le but du DesigNAR, qui
est essentiellement un transfert de savoir.
194
Figure 10.2 Un concept de ramasseuse de pétrole par le sujet expérimenté.
Après chaque séance, nous avons discuté avec l’utilisateur sur ses impressions
à propos de son travail et du logiciel. Le but de l’expérimentation étant une
première confrontation du logiciel avec des utilisateurs, plutôt qu’un teste de
performance de calcul ou d’ergonomie, les observations que nous avons faites
sont interprétées qualitativement.
10.4.1 Sujet 1 – se servir de la base de donnée
Le sujet numéro 1 (S1) a été le premier à utiliser le logiciel. Ayant lu la
description du concept que nous avons fournie, il a posé quelques questions
pour s’assurer qu’il a compris l’énoncé et ce que lui était demandé. Il est un
ingénieur en mécanique qui a deux années d’expérience comme enseignant-
chercheur à UTI. Mis à part ses stages en entreprise où il a assisté à des
projets de conception, il n’a pas d’expérience professionnelle.
Le sujet a eu des difficultés pour démarrer. Il a essayé d’organiser ses idées à
l’aide d’un brouillon pendant un certain temps avant qu’il lui est venu à
l’idée d’examiner les exemples de concepts construits par SE. Après ses
examens, il a commencé à concevoir mais d’abord en utilisant papier et
crayon !
195
Figure 10.3 Le concept élaboré par le premier sujet
Comme nous allons y revenir, presque tous les sujets ont fait usage d’un
brouillon en papier. Le concept que S1 a proposé était inspiré des schémas
FBS et des concepts élaborés par SE ; Figure 10.3. Après le travail, SE a
affirmé que le concept n’avait rien de surprenant pour lui. « SE : C’est quasi-
direct. C’est la première chose à laquelle un ingénieur doit penser dans ce
contexte. J’avais déjà créé les schémas pour la séparation Solide-Liquide et
Solide-Solide.»
Le sujet a fait une remarque complémentaire qui explique son utilisation du
logiciel et des éléments que SE a créé : « S1 : En ce qui concerne le concept,
les suggestions étaient secondaires, ce qui m’a aidé, c’était la base de donnée
elle-même. […] J’ai mis du temps pour comprendre l’histoire, mais une fois
que j’ai eu l’idée [en examinant la base de donnée] j’ai essayé de faire quelque
chose rapidement et c’est à ce moment que j’ai utilisé les suggestions. »
10.4.2 Sujet 2 – partir du même concept
Le sujet S2 était le plus jeune du groupe ; il était en première année de
master et ses expériences professionnelles se limitaient à des stages en
entreprise.
196
Figure 10.4 Le concept élaboré par le deuxième sujet
Par ailleurs, nous avons observé qu’il était pressé de finir et partir. Suivant la
recommandation de S1, S2 a commencé la session en examinant la base de
donnée, en particulier, le concept créé par S1. S2 aussi a utilisé papier et
crayon pour noter ses idées et ses observations. Ses observations ont duré une
dizaine de minutes et son travail a été terminé au bout de quarante minutes.
S2 a proposé de faire une ramasseuse à télécommande ; Figure 10.4. Pour ce
faire, il a largement réutilisé les éléments créés ou utilisés par S1 ou SE et de
les ajuster au besoin. Il a donc utilisé les suggestions du logiciel pour
reconstruire le concept de S1 et à la fin il a ajouté les fonctions de
télécommande. Pour ajuster les éléments utilisés, il a effectué des
modifications sur les structures en ce qui concerne les dimensions et les
indications sur l’emplacement des éléments.
Lors de nos discussions après la séance, nous nous sommes rendus compte
qu’une mal compréhension était à l’origine du concept. Quand il lui a été
demandé comment était-il parvenu à l’idée d’une ramasseuse à
télécommande, il répond : « S2 : Je me suis dit qu’à la place de faire un
cabine opérateur et d’utiliser un canot de sauvetage en cas de danger, il vaut
mieux de ne pas mettre en danger l’opérateur du tout ! »
197
La discussion a fait apparaître que, contrairement à nous, il avait interprété
« ramasseuse marine de déchets flottantes » comme une machine qui serait
capable de nettoyer la mer du pétrole aussi bien que d’autre type de déchets.
Il s’est avéré que son examination du concept « SeaOilHarvester » par SE
était la raison principale pour cette interprétation. Cependant, ce n’était pas
la seule raison. Durant son propre travail, les propositions du DesigNAR tels
que F : Safety/Security_1 et B : Safety/Securitybehavior_1 ont mené S2 à
penser que le pétrole est une sorte de déchet comme les autres mais qui cause
des risques d’incendies et d’explosions. Par conséquent, il avait eu l’idée
d’éviter cette risque par un mécanisme de télécommande, ce qui lui assurait,
à son avis, du même coup, une conception originale compte tenu du travail
de S1.
Nous pouvons remarquer que l’idée de S2 s’agit d’une S-invention (voir
paragraphe 4.2.3) ! Une S-invention est la génération d’un but ou d’une
spécification la première fois durant la conception suite à une perception de
l’environnement et, en particulier, du matériel de travail. Nous avons déjà
précisé qu’une telle invention résultait d’une découverte inattendue, c'est-à-
dire, la réalisation d’un détail dans les représentations utilisées par le
concepteur. Un point intéressant, c’est que cette S-invention est le résultat
non pas d’une modification que S2 a fait dans son environnement, mais d’une
modification effectué par SE et des suggestions de l’assistant! Ceci peut
paraître non surprenant comme il est connu que dans des situations de
conception où interviennent plusieurs concepteurs, ceux-ci s’influencent
mutuellement (Maher et al. 2000). Ceci reste valide même dans les cas où la
conception et les interventions sont distinctes géographiquement et dans le
temps (Darses et Falzon 1996). Cependant, dans ce cas, la découverte
inattendue provient d’une conception passée. Nous touchons ici l’utilité que
peut avoir un logiciel comme DesigNAR.
10.4.3 Sujet 3 – bactéries et déchets
Le sujet 3 (S3) est spécialisé en robotique et son application dans la
production. Après une courte expérience professionnelle en entreprise, il a
rejoint la Faculté de Génie Mécanique en tant qu’enseignant-chercheur.
198
Figure 10.5 Le concept élaboré par le troisième sujet
Il a assiste occasionnellement à des projets de conception dans le cadre des
collaboration de l’université avec des entreprises. Il a une expertise
considérable en matière de programmation (en particulier pour des dispositifs
robotiques utilisées dans les lignes de production) et a affirmé qu’il
programme très souvent lui-même. Il a utilisé la totalité de la durée de deux
heures. Le concept qu’il a construit est donné à la Figure 10.5.
Le travail de S3 comporte plusieurs particularités. En premier, dès qu’il a lu
l’énoncé, S3 a commencé à travailler sur l’ordinateur. Ceci est en contraste
avec tous les autres sujets qui n’ont pu se passer de papier et crayon. En
revanche, pendant son travail, le sujet a demandé s’il pouvait se servir de
l’Internet. Une des idée directrices de notre expérimentation, c’était de laisser
les sujets « se débrouiller » pour utiliser le logiciel. De l’autre coté, nous
avions limité l’interaction des sujets avec SE mais uniquement pour garantir
que les concepts réalisés soient leurs productions.
199
Figure 10.6 Le concept élaboré par le quatrième sujet
Sachant que dans le cas d’un projet de conception en entreprise ou un projet
de conception à la faculté, les sujets auront la possibilité de faire des
recherches sur l’Internet, SE a proposé d’autoriser. Nous avons accepté,
surtout dans le but de voir où cela pouvait mener.
En deuxième, S3 s’est très peu servi des suggestions de DesigNAR ; en effet,
il a souvent travaillé en regardant le clavier ou la partie gauche de l’écran
(donc le concept qu’il développait), ignorant complètement les suggestions du
DesigNAR ! La discussion après la séance a fait apparaître les raisons de ces
comportements de S3. Il nous dit qu’il avait plus d’expérience par rapport aux
autres sujets et qu’il devait être plus créative. « S3 : Je suis l’aîné [parmi les
autres sujets]. Je ne peux pas faire n’importe quoi. J’ai un charisme !
(Sourires) ». Pour ces mêmes raisons, affirme-t-il, il a évité le plus possible de
regarder le travail des autres pour aboutir à un concept plus original ! SE a
accordé que ce qu’il a fait était intéressant en disant « SE : L’idée des
bactéries pour éliminer les déchets est remarquable. Ce n’est pas le genre de
chose à la quelle on pense en premier. ». S3 a recherché et trouvé l’idée « des
bactéries pour éliminer les déchets » sur l’Internet ! Toutefois, ceci n’est pas
la seule idée originale de sa part ; comme il a proposé de refroidir le moteur
du véhicule en utilisant la chaleur de la chambre d’incinération pour
minimiser l’utilisation d’énergie.
200
10.4.4 Sujet 4 – blocage total
Le sujet numéro 4 (S4) avait une expérience de deux années en tant
qu’enseignant chercheur. Son expérience dans le domaine de conception était
limitée à un projet chez un PME pour la conception d’une machine à trier
où il n’avait pas de rôle centrale. Le travail de S4 a été très différent par
rapport aux sujets précédents : il a travaillé pendant une heure en papier et
crayon avant de commencer à utiliser le logiciel et il n’a pas terminé son
travail. En effet, au bout d’une heure nous avons du lui demander s’il n’allait
pas utiliser le logiciel. Alors, il a affirmé « qu’il était perdu ». Il avait l’air de
ne pas savoir par où commencer. Après quelques interrogations de notre part,
il a cité plusieurs raisons qui le bloquaient : « Je ne vois pas ce qu’on fait là ;
ni à quoi ça sert ce programme. De toute manière, je n’arrive pas à
comprendre ce modèle ; il n’a pas de sens ! » [Nous lui demandons qu’est-ce
qu’il trouve insensé] « Comment on distingue un comportement et une
fonction ? C’est la même chose ! » En effet, c’est un des points les plus durs
à comprendre dans le modèle FBS ; cependant, le point avait été traité
pendant la séance de travail dirigé. A ce stade, nous lui donnons un autre
exemple : « en parlant d’un moteur, par exemple, une fonction d’intérêt est
« donner de l’énergie », mais le moteur aura des comportements comme
« niveau d’énergie fournie X » tout comme « niveau de vibration, niveau de
bruit, consommation d’essence ». Alors, il a repris le graphe FBS qu’il a
essayé de construire sur papier, le front plissé, et a commencé à réfléchir de
nouveau. Nous lui avons demandé s’il voulait continuer. En répondant
positivement, il commence à utiliser le logiciel. Cependant, il s’est arrêté
encore une fois sans achever la conception. Le concept créé est donné à la
Figure 10.6.
10.4.5 Sujet 5 – concepteurs créatifs, outils qui inspirent
Le sujet numéro 5 (S5) avait une expérience d’un an et demi en tant
qu’enseignant-chercheur. A part ses stages, il avait un an d’expérience en
entreprise. Il avait travaillé dans le domaine de conception en tant
qu’ingénieur chez un fabricant d’appareil électroménager. Il était responsable
de dessiner des parties d’un produit suivant les spécifications données en
AutoCAD. Son expérience ne couvrait pas le domaine de conceptualisation.
201
Figure 10.7 Le concept élaboré par le cinquième sujet
Le concept que S5 a réalisé est une machine automatique de ramassage
d’ordures marines. Le point à remarquer sur le travail de S5, c’est que, au
cours de son travail, il a abandonné son projet pour en commencer un autre,
après la consultation de certaines suggestions par DesigNAR. Pendant un
certain temps le sujet a parcouru la base de donnée et a étudié les
suggestions. Il a commencé à construire un concept en utilisant des concepts
crées par les sujets précédents (en particulier, ceux du sujet expérimenté).
Après avoir construit les fonctions de mouvement et de flottage en premier
(ce qui est en contraste avec les sujets précédents), lorsqu’il a décidé de
construire une fonction de séparation Solide-Liquide, il a arrêté son travail
pendant un moment et a continué en papier et crayon. Ensuite, il a
commencé la création d’un autre concept ; celui d’un nettoyeur marine
automatique contrôlé par un ordinateur !
La discussion après la séance fait apparaître qu’une fois de plus une S-
invention est à l’origine du comportement observé. Lorsqu’il a considéré les
suggestions faites par l’assistant pour F:Solid-Liquide, il constate deux
groupes de fonctions (en fait, deux termes composés formés par le système)
F:Solid-Liquid&GarbageDetection et F:Solid-Liquid&RemoteControlFunction.
202
Ces deux suggestions lui ont donné une idée : « S5 : J’ai vue le truc à
télécommande et la détection par radar ; je me suis dit pourquoi pas une
machine qui détecte les ordures et qui les ramasse tout seul ? ». Il explique
que, pour lui, la télécommande ou la commande à bord d’une telle machine
n’a pas de différence, mais que, par contraste, une machine automatique a
des avantages. Le cas est intéressant ; les suggestions ne sont pas utilisées
dans la conception mais, apparemment, ils inspirent la création d’une
nouvelle conception. En termes de la théorie C/K/E, une action K E→ de
l’assistant a été observé par l’utilisateur (un processus K E→ ) et a causé
une disjonction sémantique pour l’utilisateur (un processus K C→ ).
Parmi les deux suggestions faites, le premier terme composé provient du
travail de S4 tandis que le deuxième est généré pendant le travail de S2. Il est
à remarquer que le concept de détection des ordures par un radar provient
d’une conception non finalisée ! Cela ne gêne pas le raisonnement du
DesigNAR, comme l’assistant intègre dans son raisonnement chaque concept
et chaque relation qualitative causale qu’il observe. Un autre point à
souligner concerne la perception par le sujet des deux concepts proposés. Le
sujet n’a pas trouvé les propositions utilisables en soi ; il a affirmé que les
propositions n’avaient pas de sens pour lui. Mais les considérer ensemble lui
avait donné l’idée.
10.4.6 Discussion
L’expérimentation que nous avons conçue et réalisée comporte des limites
bien évidentes. Le contexte que nous avons créé est loin des conditions de
travail des concepteurs en entreprises. Les pressions qu’un concepteur peut
subir en entreprise, tout comme la récompense potentielle face au succès ou
les conséquences d’un échec éventuel n’existent pas. Les concepteurs n’ont
pas de connaissances a priori sur le domaine de conception que nous avons
construit. Et le niveau de détail à considérer dans la durée impartie est
limité. Par ailleurs, malgré notre effort de programmation, le logiciel utilisé
dans les expérimentations ne peut être comparé à des logiciels commerciaux
spécialisés du point de vue d’interface et de performance. Par conséquent, les
conclusions que nous pouvons tirer des résultats de l’expérimentation ne
203
peuvent être que suggestives et il serait insensé de juger ces conclusions
comme des résultats définitifs.
Néanmoins, ces faits ne réduisent aucunement l’utilité de notre expérimen-
tation étant donné notre contexte de travail. Notre projet de thèse introduit
certains concepts scientifiques et le logiciel programmé est destiné à être une
démonstration de ces concepts. Les exemples proposés ainsi que
l’expérimentation conduite permettent cette démonstration et fournissent un
médium pour une K-validation, ne serait-ce que partielle, des concepts
proposés. Les observations effectuées forme une base de connaissances
permettant de juger, dans le mesure du possible et sujet aux contraintes de
l’expérimentation, la viabilité de certains des idées et des concepts avancés
par cette thèse.
De notre point de vue, cette expérimentation a atteint son but essentiel ;
nous avons pu tester le logiciel à l’aide de plusieurs concepteurs et nous avons
constaté qu’ils pouvaient produire des concepts de produit et que l’aide
apporté par DesigNAR a eu un effet bénéfique sur leur travail. Par ailleurs,
nous avons fait certains constats intéressants quant à l’utilité ou aux limites
de notre approche et à la relation d’un assistant de conception avec un
concepteur. Bien que ces constats ne fournissent pas de résultat généralisable
et définitivement établi, ils demeurent intéressants par ce qu’ils indiquent.
Tout d’abord, les utilisateurs ont pu utiliser le logiciel pour concevoir. Ils se
sont servis de la base de donnée et des suggestions de l’assistant pour
construire leurs propres descriptions conceptuelles. Cela reste vrai même pour
les cas du sujet 3 qui a évité le plus possible d’utiliser les suggestions, dans le
but de créer un concept différent des autres et pour le cas du sujet 4, qui n’a
pas pu finaliser son travail. En particulier, les sujets 1 et 2 ont fait un usage
extensive des suggestions et des descriptions dans la base de donnée et cela
leur a permis de rapidement terminer leurs travaux.
Les découvertes inattendues et les S-inventions qui en résultent dans les cas
du sujet 2 et du sujet 5 sont particulièrement importantes pour notre travail,
comme ils donnent des exemples incontestables de créativité émergente (voir
204
chapitre 5). Dans le premier cas, les suggestions de l’outil, (combiné avec un
mal-compréhension de la description du projet !) ont entraîné une nouvelle
idée ; celle d’une machiné à télécommande. Dans le deuxième cas, la
considération de deux suggestions de l’assistant a permis à l’utilisateur
d’opérer une disjonction sémantique menant à un nouveau concept ; une
machine automatique contrôlée par un ordinateur. Compte tenu de ces deux
exemples, nous pensons que notre hypothèse quant aux effets bénéfiques de
l’enrichissement du dialogue du concepteur avec la représentation du concept
de la part de l’assistant a été confirmée, du moins dans le contexte de notre
expérimentation.
La créativité dans ces deux exemples n’est pas venue des propositions
créatives en soi, mais des processus de réflexions qu’elles ont engendré chez
les concepteurs. Particulièrement, le sujet 5 a exprimé qu’il a pensé que les
deux suggestions n’avaient pas de sens. Nous devons dire par cette occasion
un mot sur la pertinence des suggestions de l’assistant. La fonction F:Solid-
Liquid&GarbageDetection qui a été proposée au sujet 5 au moment de la
découverte inattendue parait effectivement insensé ou incompréhensible pour
un utilisateur humain, comme nous associons les concepts de séparation
solide-liquide et la détection des ordures à des champs analogiques a priori
complètement dissociés. Mais les connaissances qu’un concepteur humain
possède sont incomparables à celles de l’assistant. La puissance du DesigNAR
(tout comme le système NAR auquel il doit certaines de ses gênes), c’est qu’il
utilise les connaissances disponibles au mieux, pour continuer son
raisonnement et son fonctionnement. Même dans les cas où il possède très
peu de connaissances, « il fait avec ». Par conséquent, les suggestions du
DesigNAR, bien que dénuées de sens du point de vue du sujet, font
parfaitement sens du point de vue de l’assistant comme elles correspondent à
des connaissances générées à partir de ce que l’assistant a observé.
Dernièrement, les exemples des sujets 3 et 4 montrent que, quelque soit le
technique utilisé pour construire un outil, sa performance et son mode de
fonctionnement, le résultat final dépend largement des caractéristiques et la
performance de l’utilisateur ainsi que de ses objectifs.
206
Ce qu’on connaît est peu. Ce qu’on ne connaît pas est immense.
Albert EINSTEIN
Jugez un homme par ses questions plutôt que par ses réponses.
VOLTAIRE
Chapitre 11. Conclusions et perspectives
Dans ce chapitre, nous récapitulons le travail effectué et nous présentons des
perspectives de recherche. Nous commencerons en reprenant les résultats
majeurs et les apports spécifiques de notre travail par rapport aux questions
de recherche que nous avons énoncées au départ. Notre travail et la synthèse
que nous avons effectuée établissent certains liens entre divers paradigmes et
domaines de recherche. Nous voyons ces liens comme des produits
secondaires ; nous allons brièvement les discuter. Nos sujets de recherche, la
théorie C – K et les outils d’aide à la conceptualisation, étant des sujets
relativement peu étudiés, nos résultats engendrent plusieurs questions. Nous
en présenterons certaines comme perspectives de recherche pour conclure.
11.1 Produits primaires
La théorie C – K de conception offre un cadre théorique original et propice
pour engendrer de nouvelles recherches dans le domaine de conception.
Malgré un certain nombre de publication sur cette théorie, celle-ci reste
relativement peu diffusée, surtout au niveau international. Notre travail de
thèse est un effort pour contribuer au développement de la théorie C – K et
à sa diffusion. Cet effort a produit plusieurs publications au niveau
international (Kazakci et Tsoukias 2004a, 2005; Kazakci 2005, 2008a, b)
dont (Kazakci et Tsoukias 2004a) a valu prix de meilleur papier dans
International Design Conference. Dans cette section, nous récapitulons les
idées avancées et les résultats majeurs de notre travail par référence aux
questions de recherches que nous avons énoncées en début de ce document.
207
Quelles sont les pistes de développement potentielles en ce qui concerne la
théorie C – K ?
Nous avons analysé la théorie C – K afin de faire apparaître ses points forts
ainsi que les points qui pourraient être développés. Deux exemples détaillés
ont été préparés, pour discuter et analyser les notions clefs et les définitions à
raffiner. Nous avons découvert qu’il existe des potentiels en ce qui concerne le
développement des points suivants :
• La nature des concepts et des connaissances, leurs différences, leurs
similarités
• La définition des opérateurs
• Le(s) mécanisme(s) de contrôle
• La relation d’un concepteur avec son environnement et le cas de
multiples concepteurs
Ce dernier point est d’une importance capitale et son développement a des
répercussions sur les points restants. Nous avons montré que pour plusieurs
raisons théoriques et pratiques, y compris le développement des outils basés
sur la théorie C – K, un espace E correspondant à l’environnement doit
être introduit dans la théorie.
A cette fin, nous avons effectué une synthèse de la littérature sur la
Cognition Située. Nous avons utilisé les notions clefs de ce courant de
recherche pour réinterpréter certaines notions de la théorie C – K et pour en
proposer d’autres. Nous avons bâti la théorie C/K/E et nous avons redéfini
la conception comme la co-évolution de espaces C des concepts, K des
connaissances et E de l’environnement. Dans cette nouvelle perspective, le
processus de conceptualisation, c'est-à-dire, l’acte mental de créer de
nouveaux concepts, est au cœur du processus de conception (la production
d’une description, le plus souvent physique, d’un concept). Les concepts
forment les connaissances (par contraste à la théorie originale). Lorsqu’un
processus de conception démarre et un concept est crée, le processus de
conceptualisation construit un sens pour ce concept. Le processus de
conception est donc vu comme un processus de construction de sens. Le sens
d’un concept est déterminé par le processus d’ancrage et reconstruit par une
mémoire constructive.
208
La théorie C – K permet-elle de cerner les principes à respecter pour une
démarche informatique d'aide à la conceptualisation ?
La littérature sur les outils de conception en général, et les outils d’aide à la
conceptualisation, en particulier, a été étudiée et revue. Cette analyse a
montré que les outils existant ne tirent pas partie de la nature située du
concepteur et n’étaient pas situés eux-mêmes. Sachant que, du fait de sa
nature située, l’activité d’un concepteur peut être vue comme une
conversation entre celui-ci et son environnement, nous avons proposé que
l’outil devra enrichir cette conversation en y participant activement. Nous
avons donc introduit la notion d’assistant personnel de conception (APC).
Un APC soutient l’activité de son utilisateur par des suggestions et s’adapte
sur la base de son expérience. Après avoir discuté les propriétés qu’un APC
peut posséder (telles que les modes d’assistance, d’apprentissage, de
créativité), un ensemble de propriétés a été suggéré pour qu’un APC
fonctionne d’une manière compatible avec la théorie C/K/E :
• Distinction C – K – E
• E-réactivité
• K-expansivité
• C-expansivité
• Couplage C/K/E
Un assistant ayant ces propriétés est appelé un assistant C/K/E. Aussi, par
ces propriétés, la notion d’assistant personnel de conception est reliée à la
théorie C/K/E ce qui fournit un fondement théorique pour des outils d’aide
à la conceptualisation. Un point qui est tout aussi important, c’est que la
théorie qui fournit ce fondement n’est pas empruntée à un autre domaine
mais c’est une théorie propre à la conception.
Est-il possible d’opérationnaliser ces principes sous forme d’un outil
informatique ? Par quelles approches informatiques ?
Pour opérationnaliser les principes que nous avons énoncés en ce qui concerne
la construction d’un assistant C/K/E, l’assistant doit être situé, avoir une
mémoire constructive et ancrer ses concepts pour construire leur sens. Nous
avons avancé qu’une manière de réaliser ces prérequis, c’est d’utiliser
209
l’approche des concepts fluides. Une relecture de la littérature correspondante
a fait apparaître qu’un système qui utilise les principes proposés par cette
approche (tels que le non-déterminisme, le parallélisme, la compétition entre
diverses représentations et connaissances) est un système à comportement
émergent.
Pour démontrer la faisabilité de notre approche et la pertinence du corps des
principes et le cadre théorique que nous avons bâti, nous avons construit un
assistant C/K/E ; DesigNAR. DesigNAR est une assistant de synthèse qui
observe la construction d’un concept représenté comme un graphe FBS et
suggère des éléments à ajouter dans cette description. Pour les concepts qu’il
apprend ou qu’il crée, l’assistant utilise une représentation de concepts
fluides basée sur une logique de termes. Dans cette représentation, les
concepts, symbolisés par des termes, ont des liens, correspondant à des
relations d’héritage ou de similarité. Ces liens peuvent être plus ou moins sûrs
et peuvent être sujets à l’interrogation, à la révision et à l’oubli. Le sens d’un
concept est donné par l’ensemble des liens qu’il possède. L’assistant peut
construire le sens des concepts qu’il observe en menant des inférences sur les
liens observés ou crées. Autrement dit, l’assistant ancre ses concepts sur
d’autres concepts en établissant des liens entre ceux-ci. Un mécanisme de
propagation d’activation appliqué sur cette représentation (qui a une
structure de réseau de concepts) assure une sensibilité au contexte et une
mémoire constructive. Les concepts observés dans l’environnement activent
les concepts auxquels ils sont reliés. Ce mécanisme est couplé par un
mécanisme d’activation interne qui provient de l’activité d’inférence. Lors des
inférences, le concept et les liens à étudier sont sélectionnés d’une manière
non-déterministe mais en favorisant les éléments avec les plus grandes
activations et les règles d’inférences qui donnent des conclusions plus sûres.
Ce mécanisme de contrôle que nous avons devisé fournit une certaine stabilité
et des résultats confiants tout en laissant ouverte la possibilité d’avoir des
effets inattendus et créatifs. Nous avons fourni plusieurs exemples sur
l’utilisation de et les résultats générés par DesigNAR. Par ailleurs, nous avons
testé le logiciel à l’aide des concepteurs sur un domaine appelé « Gathering
Machines », que nous avons bâti à l’aide d’un concepteur expérimenté. Après
210
une phase d’initiation, les concepteurs ont été capables d’utiliser le logiciel
pour construire diverses descriptions conceptuelles et l’assistant a été
capable de faire des suggestions qui, dans certains cas, ont influencé le cours
de l’activité de conception.
11.2 Produits secondaires
La conception est avant tout un processus de raisonnement. Pour cette
raison, nous avons principalement puisé dans les littératures de la psychologie
cognitive et de l’intelligence artificielle pour étudier la théorie C- K, élaborer
notre point de vue et produire notre contribution. Ce faisant, nous avons
établi un certain nombre de liens entre divers théories et paradigmes. Grâce à
cet effort transdisciplinaire et une synthèse des littératures variées, nous
avons fait apparaître que plusieurs idées et notions a priori disjointes peuvent
être reliées en passant par la théorie C – K et notre version C/K/E. Nous
croyons que ces liens peuvent faciliter l’échange entre les courants de
recherche reliés et que notre travail fournit un point de départ pour initier
ces rapprochements.
Réflexion-dans-l’action. La théorie de Réflexion-dans-l’action de Schön a
alimenté de nombreux travaux de recherche sur l’action, l’apprentissage,
la connaissance experte et même la conception. Malgré de nombreux
notions et nuances introduites (tels que réflexion-dans-l’action, réflexion-
sur-l’action, connaissance-dans-l’action ; voir paragraphe 4.2.2 et (Schön
1983; Schön et Wiggins 1992)) pour étudier la production de
connaissances dans différentes domaines et activités, le mécanisme précis
par lequel ces savoirs sont crées et élaborés n’est pas explicité par cette
théorie. Par contraste, la théorie C – K propose un cadre formel décrivant
ce mécanisme. En revanche, la théorie C – K n’a pas encore suffisamment
considéré comment ses idées fondamentales se projettent dans d’autres
domaines de production de connaissances que le développement de
produit.
Cognition située. Ce paradigme a révolutionné les sciences cognitives, surtout
l’intelligence artificielle, en faveur d’une approche et des idées étudiant la
211
cognition sur la base de la relation qu’un individu établit avec son
environnement. Parallèlement, la relation entre la perception et l’action a
été largement étudiée tant par des études de terrain que par des modèles
informatiques et systèmes artificiels. Cependant, le processus de création
de nouveau concepts, c'est-à-dire la conceptualisation, bien que mentionné
par certains (voir par exemple Clancey 1997), a été généralement négligé.
Les systèmes d’intelligence artificielle résultants souvent ignorent le
processus de conceptualisation et se contentent des boucles perception-
action, ce qui rend leurs comportements réflexifs plutôt que réfléchis. Bien
que la théorie C – K a déjà profité dans une certaine mesure des notions
de la Cognition Située par notre version C/K/E, nous pensons qu’un
échange dans le sens inverse soit aussi possible.
Outils de conception et HCI. D’innombrables propositions d’outils d’aide à la
conceptualisation peuplent la littérature et malgré cela, il n’existe pas de
littérature spécifique sur et des théories relatives à ces outils! Ces travaux
s’apparentent à d’autres domaines tels que l’intelligence artificielle, les
bases de données, l’interaction homme-machine, système à base de
connaissance. Les techniques sont empruntées à d’autres domaines et, à
notre connaissance, il n’existe pas de cadre théorique sur l’impact de ces
outils ou de ces techniques sur le travail d’un concepteur, sur le produit
ou sur le processus. D’une manière générale, il est connu que les outils de
gestions ont un impact fondamental sur l’activité en entreprise (Moisdon
1997). Par ailleurs, les matériels utilisés pendant la conception ont un
impact inquestionable sur le processus (voir le chapitre 4). Néanmoins,
des travaux existent dans le domaine de l’interaction homme-machine
(HCI) qui s’intéresse, dans une perspective plus générale, à la relation de
l’individu et des programmes informatiques dans le cadre de la Cognition
Située et la phénoménologie (Dourish 2001). La théorie C/K/E est à
l’interface de la théorie de conception et de la Cognition Située et donc,
du paradigme phénoménologique de l’HCI.
IA, concepts fluides et la théorie de conception. Bien que les principes
avancés par l’approche des concepts fluides, ont été grandement appréciés
et ont été repris sous diverses formes et dans différents contextes dans le
212
domaine de l’intelligence artificiel, le terme concept fluide est utilisé
relativement peu en tant que tel et est référé la plus part de temps dans
des recherche sur l’analogie ou la créativité en IA. D’une façon générale,
des systèmes s’intéressant explicitement à la construction du sens des
concepts et une utilisation dynamique et flexible de ces sens sont
virtuellement inexistants. Une des raisons potentielles, c’est qu’il n’est pas
clair dans quel contexte sera utile un agent capable de construire un sens
pour un concept. Dans le cadre des idées avancées dans ce document, une
réponse naturellement émerge : la conception. Nous pensons que le
domaine de conception constitue un domaine privilégié pour construire et
tester les systèmes d’intelligence artificielle. Il est possible de rencontrer
toute sorte de raisonnement dans l’activité de conception. La conception
est un domaine ouvert où nous pouvons observer de divers phénomènes
relatifs à l’intelligence. La construction de tels agents artificiels peut
fournir des outils de conception efficaces et en retour, l’expérimentation
des techniques de l’IA dans ce domaine riche peut aider à comprendre la
relation entre l’intelligence et la conception, mais aussi, à améliorer nos
modèles et théories.
11.3 Produits futurs ; la théorie
11.3.1 C/K/E et multiples concepteurs
Nous avons proposé la théorie C/K/E qui permet de prendre en compte la
relation d’un concepteur avec son environnement. Normalement, dans
l’environnement d’un concepteur se trouvent d’autres concepteurs. La théorie
C/K/E peut-elle expliquer la relation et les échanges entre deux
concepteurs ?
Avec la version courante de la théorie, nous pouvons déjà décrire un certain
nombre de phénomènes. Par exemple, nous pouvons modéliser une situation
où il existe deux concepteurs qui travaillent ensemble pour créer une
description de produit ; Figure 11.1.
213
Figure 11.1 Le travail de deux concepteurs décrit par le cadre C/K/E
Le concepteur 1 crée un concept C1 suite à une disjonction sémantique
(processus 1). Le concept active certaines connaissances (processus 2) qui
résulte en une action qui produit une description D1 dans l'environnement
(processus 3). Le deuxième concepteur observe D1 et une perception K3 est
formée (processus 4). Cette perception peut ne pas avoir de sens pour le
concepteur 2. Dans ce cas, une disjonction sémantique a lieu, cette fois-ci
pour le deuxième concepteur, et un concept C2 est crée (processus 5).
Alternativement, K3 peut être une représentation claire et habituelle pour le
concepteur 2 et peut activer d'autres connaissances (processus 6). Divers cas
sont possibles en fonction de la connaissance activée. K4 peut inspirer le
concepteur 2 et il peut créer un autre concept pouvant être plus différent de
C1 que C2 l'est (processus 7). Il est aussi possible que K4 entraîne une action.
Cette action peut avoir diverses raisons. Il peut s'agir d'une évaluation de
D1, c'est à dire une E-validation du point de vue du deuxième concepteur
(processus 10). Il peut aussi être une modification de D1 (processus 11).
Cette modification a été effectuée uniquement à partir de l'espace de
connaissance du deuxième concepteur. Ce concepteur contribue au processus
directement en utilisant un savoir déjà acquis, peut-être même automatisé.
La trace de cette opération peut être modélisé par un processus 12 pour
décrire la transformation de D1 en D'1.
Contrairement, les concepts créés par le concepteur 2 peuvent activer des
connaissances (processus 8 et 9) qui peuvent mener à la suggestion d'une
description de produit alternative (processus 13). Le concepteur 1 va
observer tout changement qui a lieu dans l'environnement – le résultat de
214
ses propres actions (donc la description D1), E-validation du concepteur 2, la
transformation de D1 en D'1 par le concepteur 2 ou la création de D2. Ces
observations peuvent avoir divers conséquences sur le raisonnement du
concepteur 1 (inspiration par une proposition ou E-validation du concepteur,
activation de divers connaissances, création de nouveaux concepts,
élaboration des concepts déjà crées, actions pour changer l'environnement).
Comme notre but est simplement de signaler une perspective de recherche,
nous ne les décrirons pas pour ne pas alourdir le texte. Notons néanmoins que
les processus des concepteurs 1 et 2 peuvent se dérouler en parallèle et ils ne
sont pas exclusifs. L'importance et l'impact que le couplage C/K/E peut
avoir sur le processus de conception apparaît mieux dans le cas de multiples
concepteurs : Un changement dans un des cinq espaces en question, peut
entraîner une modification dans tous les cinq !
Le cadre que nous venons d’esquisser montre que la théorie C/K/E a le
potentiel pour décrire le travail de multiples concepteurs. Cependant, ce n’est
qu’un début pour attaquer un vaste champ de recherche ; l’action collective.
Il existe un gigantesque corps de travaux effectués dans ce domaine et
beaucoup d’idées et de résultats sont déjà disponibles. Par exemple, (Darses
et Falzon 1996) ont étudié la notion de critique dans les activités de
conception collectives, qui se réfère à un processus où un concepteur critique
l’action d’un autre concepteur. Ce processus peut être vue comme un
processus d’E-validation. (Jeantet et al. 1996) ont étudié l’impact d’objets
intermédiaires sur le travail collectif. Ces objets peuvent être vus comme les
éléments de l’environnement E. Une étude des rapprochements possibles
entre ce genre de travaux et la théorie C/K/E ne peut que s’avérer fructueux.
La théorie C/K/E peut profiter de ces avancées en les intégrant dans son
cadre au besoin. En revanche, elle peut fournir un cadre unifiant et des
notions tels que disjonction sémantique, partition expansive, le couplage
C/K/E qu’aucune autre théorie ne possède.
11.3.2 Décision et conception
Une hypothèse implicite à une grande majorité des travaux en recherche
opérationnelle et en aide à la décision (ROAD) est l’existence d’un ensemble
d’actions potentielles prédéfinies avant que le processus d’aide à la décision
215
commence : « Étant donné un ensemble d’actions potentielles A... » Ainsi,
une grande partie des méthodes et des méthodologies qui sont issues de ces
courants de recherche négligent les étapes importantes comme la
structuration de problème, la génération des connaissances pertinentes
compte tenu de la situation décisionnelle, l’identification ou la conception des
alternatives ou elles font l’hypothèse que ces étapes sont prises en charges par
d’autres méthodes ou méthodologies. Ce faisant, ces travaux se focalisent sur
des aspects qui se prêtent plus facilement à des démarches formelles tels que
la construction des échelles et des indicateurs, des procédures d’agrégation et
d’évaluation. Mais, d’où viennent ces actions potentielles ?
Les actions potentielles sont conçues (et dans certains cas, produites) avant
d’attaquer le processus d’évaluation qui mène éventuellement à une décision.
Ceci implique que, si on réduit un processus de décision à un processus
d’évaluation des solutions existantes, le processus de conception est plus
général qu’un processus de décision. Si, au contraire, on inclut la construction
des actions potentielles dans un processus de décision, nous ne pouvons plus
distinguer un processus de décision d’un processus de conception ! Sachant
que la notion de K-validation rend compte des processus d’évaluation, il
devient raisonnable de faire l’hypothèse que la théorie C – K peut offrir un
cadre général pour décrire ces processus. Ce qui nous donne une théorie de
construction des alternatives et de leur évaluation !
Le sous-domaine de la recherche opérationnelle et de l’aide à la décision qui
s’est investi à fournir des outils pour aider la formulation d’un problème ou la
construction des alternatives est baptisé par l’étiquette générale « la
recherche opérationnelle soft » (Soft OR) (Rosenhead 1989, 1996; Belton et
Stewart 2002; Eden 1994; Checkland et Scholes 1990; Wong et Rosenhead
2000) . Le terme « soft » se réfère aux caractères souvent non quantitatives
ou non formels des outils et des démarches introduites. Les outils et les
méthodologies proposés dans le cadre de ce courant ont été validés et raffinés
par de nombreuses applications depuis leurs introductions. Cependant, ces
démarches, bien qu’elles empruntent des éléments théoriques à la théorie
générale des systèmes, la psychologie cognitive et la théorie managériale,
manquent à proposer une théorie des situations décisionnelles qu’elles
216
traitent. En revanche, la théorie C – K peut fournir une perspective théorique
nouvelle sur Soft OR. Quelles sont les outils, méthodologies ou principes qui
permettent de contrôler ou de promouvoir des disjonctions sémantique et des
partitions expansives ? Quelles connaissances sont disponibles ou nécessaire
pour la construction des alternatives? Quels sont les concepts considérés ?
Par ses notions et son formalisme, la théorie C – K peut être utilisé pour
guider le processus de construction des alternatives.
En réalité, la théorie C – K a été déjà utilisée à cette fin (Shafirovitch et al.
2003; Hatchuel et al. 2004). Par ailleurs, l’étude du rapprochement entre le
processus de décision et le processus de conception permettra le transfert
d’autres outils et modèles de construction des alternatives dans le domaine
d’aide à la décision (comme le modèle FBS pour structurer la structuration
de problème, (Kazakci et Tsoukias 2004c))
Si la théorie C – K peut être utilisé pour décrire la construction des
alternatives et leur évaluation, la théorie C/K/E peut décrire le cas de
multiples décideurs ! Dans une perspective constructiviste, notre version peut
décrire et même guider l’activité de multiples décideurs qui travaillent pour
construire un ensemble de solutions et une méthode d’évaluation partagée et
leurs points de vue et leurs préférences.
11.3.3 Mathématiques et conception
Lakoff et Nunez (2000) étudient de quelle manière les concepts
mathématiques émergent de différentes métaphores (la possibilité d’utiliser
un concept comme un autre) et défendent que ces métaphores sont
ultimement ancrées dans l’existence physique des êtres humains. D’un autre
coté, certains problèmes mathématiques (notamment, le paradoxe de
Bertrand et de Mandelbrot) ont été investigués dans la cadre de la théorie C
– K (Hatchuel et Weil 2002). Ils ont avancé que les paradoxes résultaient de
l’absence d’une définition objective de certains concepts comme le concept de
longueur et que les mathématiciens en questions les avaient conçus d’une
manière qui posait des problèmes. Ces travaux engendrent des questions de
recherches qui méritent une certaine attention. Dans quelle mesure les
mathématiques font intervenir une activité de conception ? Par ailleurs, nous
217
avons étudié le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion dans le cadre
de la théorie C – K. La théorie C – K peut-elle décrire le raisonnement
scientifique ? Comment et dans quelle mesure ?
11.3.4 Assistants de conception
Beaucoup de travaux existent qui étudie la relation d’un concepteur avec son
environnement et particulièrement, l’impact des matériels de travail utilisés
dans la conception. Ce genre de travaux est généralement basé sur des études
de protocoles. Le concepteur explique, généralement pendant la conception,
mais dans certains cas après la conception, les étapes de son raisonnement.
Les données verbales sont ensuite segmentées suivant des schémas de codages
(des symboles représentant certains types d’actions ou de réflexions). Ces
données sont alors analysées, souvent par des méthodes d’analyse de donnée.
Bien évidement, le développement du schéma de codage est crucial et il doit
être effectué en fonction du phénomène que l’on veut analyser.
Comme les outils de conception réactifs et la notion d’assistant de conception
n’ont pas été étudiés avant, il n’existe pas de travail étudiant l’impact de ce
genre d’outils sur le processus et sur le travail de l’utilisateur. Nous pensons
qu’il serait possible de développer un schéma de codage sur les différents
types de processus que la théorie C/K/E peut décrire (dont nous avons
donnée un aperçu dans le paragraphe 11.3.1). Quel type d’assistant provoque
quel type de processus peut alors être étudié. Ce genre d’étude peut être
mené pour différents types d’assistant (synthèse, analyse, évaluation) qui
travaillent sur la base de différentes techniques.
11.4 Produit futurs ; le système
Nous avons construit DesigNAR comme une démonstration des idées
proposées et étudiées dans ce travail. La plupart des composants et des
paramètres qui forment DesigNAR peuvent être modifiés pour avoir d’autres
types d’assistants ou d’autres versions de DesigNAR. Nous en discutons
certaines dans ce qui suit.
218
11.4.1 DesigNAR et exploitation de structure interne des concepts
La représentation de donnée utilisée par DesigNAR est robuste. Elle est
robuste au sens que, théoriquement, il est possible représenter toute sorte de
donnée, (numérique, textuelle, fonctionnelle, comportementale, structurelle et
même géométrique). A priori, il est donc possible de la reconfigurer sur
mesure pour différents contextes, par exemples pour différentes bases de
données utilisées par différents logiciels ou entreprises. Cependant, pour
mieux tirer partie de sa flexibilité, des modifications peuvent être effectuées.
Une possibilité est de permettre DesigNAR l’accès à la structure interne des
concepts de fonction, de comportements ou de structures. Ceci revient à
permettre au système de manipuler des relations entre un concept donné et
les attributs, les contraintes et les documents qui lui sont liés. Ces trois
derniers éléments sont terminaux, c'est-à-dire, il n’existe pas de sous-
documents ou de sous-attributs. Le langage que nous avons utilisé pour le
raisonnement interne du système, la logique de termes NAL, offre des
possibilités de représentation spéciales pour ce genre de termes. Une fois
réalisé, cela augmentera la flexibilité du système considérablement, comme il
deviendra possible de raisonner sur différents éléments qui forment un
concept ou de faire des suggestions plus raffinées (comme la proposition d’un
document ou d’un attribut pour un concept de fonction). Cependant, plus de
réflexion est nécessaire avant une implantation éventuelle, surtout au niveau
du mécanisme de contrôle et d’inférence. Une question comme « quel
document à proposer ? » est un sujet de recherche à part entier.
11.4.2 DesigNAR et contraintes
Une amélioration potentielle du système actuelle réside dans le traitement de
contraintes. Pour le moment, les contraintes ne donnent qu’une information
textuelle dont la considération est laissée au concepteur. Comme la base de
donnée et l’interface utilisée permet déjà l’utilisation des contraintes, il est
relativement facile de changer cela en implantant un mécanisme de
satisfaction de contrainte. Le système peut alors vérifier à tout moment si
l’ensemble des concepts formant le graphe FBS est inconsistant ou non. Un
tel changement va rendre le système plus utile comme il deviendra possible
pour celui-ci de vérifier la faisabilité de ses suggestions avant de les faire et
219
d’éliminer les inconsistances. Cela permettra aussi de vérifier la faisabilité de
la description saisie par l’utilisateur et de l’informer. Finalement, nous
pouvons penser à un système qui suggère des contraintes.
Comme notre système tâche de faire une utilisation fluide de ces
connaissances, un point critique dans l’implantation d’un mécanisme de
satisfaction de contraintes, c’est l’utilisation fluide des contraintes. Nous
pouvons penser dans l’immédiat à des démarches comme satisfaction de
contraintes floues. Cependant, la question générale « qu’est-ce que c’est une
contrainte fluide ? » peut mener à d’autres perspectives intéressantes. Une
voie potentielle à enquérir serait d’introduire dans NAL d’autres types de
relations représentant des contraintes et de maintenir une liste Contrainte
comme les listes Intension ou Extension. En prenant les contraintes comme
des tâches, nous pouvons appliquer une logique d’inférence similaire à celle
utilisé actuellement par DesigNAR pour la propagation des contraintes.
11.4.3 DesigNAR et analyse
L’ajout d’un mécanisme de satisfaction de contraintes va faire du DesigNAR
un assistant de synthèse et d’analyse, puisque la satisfaction de contraintes
est une opération d’analyse qui vérifie la faisabilité de la description.
L’analyse (voir paragraphes 2.3.1 et 2.3.4) consiste essentiellement à la
dérivation des performances (ou des propriétés non immédiates) d’une
description de produit et la faisabilité peut être vue, en fin compte, une des
dimensions sur laquelle il est possible de juger la performance.
Les performances sont dérivées souvent par des calculs déductifs. Par
exemples, étant donnée la forme et le matériel utilisé pour une structure
donnée, il est possible d’obtenir la résistance à la tension ou à la fatigue. La
structure de donnée utilisé par (Gorti et al. 1998) qui a inspiré notre schéma
de représentation pour les concepts permet d’accommoder un ensemble de
méthodes M, qui peut contenir du code exécutable ou qui peut activer
d’autres logiciels spécialisés pour faire ce genre de calculs. Il est donc possible
au niveau théorique de doter DesigNAR de la capacité d’analyse.
220
11.4.4 DesigNAR et préférences sur les concepts
Le mécanisme de suggestion utilisé dans la version courante est simple ; elle
est basée sur l’espérance des relations. Les relations avec les espérances les
plus élevées sont proposées à l’utilisateur. L’espérance est une mesure qui
combine la typicalité de l’information (plus typique est un concept, plus fort
est sa fréquence) et le niveau de confiance de l’information. La version
actuelle fait donc l’hypothèse que l’utilisateur se contentera des concepts les
plus habituels (du point de vue du système).
Il est possible de faire d’autres hypothèses. En particulier, si l’assistant est
doté d’une capacité d’analyse, c'est-à-dire, s’il peut dériver des performances
d’un produit sur la base de ses attributs, il devient possible de comparer ces
performances pour différentes suggestions que l’assistant peut faire. Sur la
base de cette comparaison l’assistant peut choisir parmi les suggestions
potentielles (ou même de les ranger). Le plus souvent, ce choix nécessitera
l’utilisation d’une approche multicritère. Si des préférences sur ces
performances sont disponibles (d’une manière préprogrammé ou par la saisie
de l’utilisateur), des méthodes d’agrégation multicritère peuvent être utilisés
pour faire des suggestions.
221
Bibliographie
Albright, T. D. et Neville, H. J. (1999) Neurosciences. In The MIT
Encyclopedia of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A
bradford book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London,
England, pp. li-lxxii.
Altshuller, G. (1997) 40 Principles: TRIZ Keys to Technical Innovation,
Technical Innovation Center, Worchester, Massachusetts. 141 pages.
Anderson, M. L. (2003) Embodied cognition: A field guide. Artificial
Intelligence, 149 (1), pp. 91–130.
Austin, S., Steel, J., Macmillan, S., Kirby, P. et Spence, R. (2001) Mapping
the conceptual design activity of interdisciplinary teams. Design Studies, 22
(3), pp. 211-232.
Bach, K. (1999) Meaning. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive
Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT
Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 513-514.
Baddeley, A. (1999) Memory. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive
Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT
Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 514-517.
Balachandran, M. et Gero, J. S. (1987) A knowledge-based approach to
mathematical design modeling and optimization. Engineering Oprimization,
12 (2), pp. 91-115.
Belton, V. et Stewart, T. (2002) Muliple Criteria Decision Analysis: An
Integrated Approach, Kluwer Academis Publishers, Dordrecht, The
Netherlands. 396 pages.
222
Bilda, Z. (2006) The role of mental imagery in conceptual designing, Key
center of design computing and cognition, Faculty of Architecture, University
of Sydney, Sydney, Australia.
Bilda, Z. et Purcell, T. A. (2003) Imagery in the Architectural Design
Process. In 9th European Workshop on Imagery and Cognition (EWIC9), pp.
24-27.
Birkhofer, H. (2004). There is nothing as practical as a good theory - an
attempt to deal with the gap between design research and design practice.
Proceedings of the 8th International Design Conference DESIGN 2004, (Ed,
Marjanovic, D.), Dubrovnik, Croatia. pp. 7 - 14.
Bochenski, I. (1970) A History of Formal Logic, Chelsea Publishing
Company, New York.
Bowen, H. K., Clark, K. B., Holloway, C. A., Leonard-Barton, D. et
Wheelwright, S. (1994) Regaining the lead in manufacturing: How to
Integrate Work and Deepen Expertise. Harward Business Review, 72 (5), pp.
121-130.
Brooks, R. A. (1990) Elephants Don't Play Chess. In Robotics and
Autonomous Systems, Special Issue on Designing Autonomous Agents:
Theory and Practice from Biology to Engineering and BackRobotics and
Autonomous Systems, (Ed, Maes, P.), pp. 3-15.
Brooks, R. A. (1991a). Intelligence without reason. Proceedings of the 12th
International Joint Conference on Artificial Intelligence IJCAI-91, (Eds,
Myopoulos, J. et Reiter, R.), Sydney, Australia. pp. 569-595.
Brooks, R. A. (1991b) Intelligence without representation. Artificial
Intelligence, 47, pp. 139-159.
223
Brown, D. C. (1998) Intelligent computer-aided design. In Encyclopedia of
Computer Science and Technology, (Eds, Williams, J. G. et Sochats, K.) Mc
Graw-Hill., pp. 1-23.
Brown, D. C., Lander, S. E. et Petrie, C. J. (1996) The Application of Multi-
agent Systems to Concurrent Engineering. Concurrent Engineering: Research
and Applications, 4 (1), pp. 2-5.
Burkett, W. C. et Yang, Y. (1995) The STEP Integration Information
Architecture. Engineering with Computers, 11, pp. 136-144.
Campbell, M., Cagan, J. et Kotovsky, K. (1999) A-Design: An Agent-Based
Approach to Conceptual Design in a Dynamic Environment. Research in
Engineering Design, 11 (3), pp. 172-192.
Chalmers, D. J., French, R. M. et Hofstadter, D. R. (1992) High-level
perception, representation, and analogy. Journal of Experimental and
Theoretical Artificial Intelligence, 4 (3), pp. 185-211.
Champollion, J.-P. (1822) Lettre à M. Dacier, Firmin Didot Père et Fils,
Paris.
Chandrasekaran, B., Goel, A. K. et Iwasaki, Y. (1993) Functional
Representation as Design Rationale. IEEE Computer, 26 (1), pp. 48-56.
Chapel, V. (1997) La croissance par l'innovation intensive: De la dynamique
d'apprentissage à la révélation d'un modèle industriel, Le cas TEFAL, Centre
de Gestion Scientifique, Ecole des Mines de Paris, Thèse de Doctorat, Paris.
Checkland, P. et Scholes, J. (1990) Soft Systems Methodology in Action, John
Wiley & Sons Ltd, Toronto. 418 pages.
224
Ciavaldini, B. (1996) Des projets à l'avant projet: L'incessante quête de
réactivité, Centre de Gestion Scientifique, Ecole des Mines de Paris, Thèse de
Doctorat, Paris.
Clancey, W. J. (1997) Situated Cognition: On Human Knowledge and
Computer Representations, Cambridge University Press, New York. 426
pages.
Corbett, J. (1986) Design for Economic Manufacture. Annals of C.I.R.P., 35
(1), pp. 93-97.
Coyne, R. D., Rosenman, M. A., Radford, A. D., Balachandran, M. et Gero,
J. S. (1990) Knowledge-Based Design Systems, Addison-Wesley, Boston, MA,
USA.
Darses, F. et Falzon, P. (1996) La conception collective: une approche de
l'ergonomie cognitive. In Coopération et Conception, (Eds, De Tersac, G. et
Friedberg, E.) Octarès, Toulouse, pp. 123-135.
Dertouzos, M., Lester, M. et Solow, R. (1990) Made in America: Regaining
the Productivity Edge, MIT Press, New York.
Dewey, J. (1896) The reflex arc concept in psychology. Psychological Review,
3, pp. 357–370.
Dourish, P. (2001) Where the Action Is: The Foundations of Embodied
Interaction, MIT Press, Cambridge, MA.
Dreyfus, H. (1979) What Computers Can't Do: The Limits of Artificial
Intelligence., Harper & Row Publishers, New York.
Dyson, J. (2000) Against the Odds: An autobiography, Texere Publishing,
London.
225
Eden, C. (1994) Cognitive mapping and problem structuring for system
dynamics model building. System Dynamics Review, 10, pp. 257-276.
Edmonds, E. A. et Candy, L. (1999). Computation, Interaction and
Imagination: Into Virtual Space and Back to Reality. Proceedings 4th
International Roundtable Conference on Computational Models of Creative
Design, (Eds, Gero, J. et Maher, M.-L.). pp. 19-31.
Englebretsen, G. (1981) Three Logicians: Aristotle, Leibniz and Sommers,
and the Syllogistic, Van Gorcum, Assen.
Finger, S. a. T., T. and Mantyla, M. (1998) Knowledge Intensive Computer
Aided Design, IFIP TC5 WG5.2 Third Workshop on Knowledge Intensive
CAD, December 1-4, 1998, Tokyo, Japan.
Forrest, S. (1990) Emergent Computation: Self-organizing, collective, and
cooperative phenomena in natural and artificial computing networks.
Introduction to the proceedings of the Ninth Annual CNLS conference.
Physica D, 42 (1-3), pp. 1-11.
French, R. (1988) Thoughts on Translation. Ohio Writer, 2 (2),
French, R. M. (1995) The Subtlety of Sameness., The MIT Press, Cambridge,
MA.
French, R. M. et Hofstadter, D. R. (1991). Tabletop: A stochastic, emergent
model of analogy-making. 13th annual conference of the Cognitive Science
Society., Hillsdale, NJ, Lawrence Erlbaum. pp. 708-713.
Gallistel, C. R. (2002) Conception, perception and the control of action.
TRENDS in Cognitive Sciences, 6 (12), pp. 504-504(1).
Garel, G. (1994) Réduction des délais dans l'emboutissage, École
Polytechnique, Thèse de Doctorat, Paris.
226
Gero, J. S. et Kannengiesser, U. (2002) The situated function-behaviour-
structure framework. In Artificial Intelligence in Design'02, (Ed, Gero, J.).
Gero, J. S. (1981a) Computer aided design by optimization in architecture.
Design Studies, 13 (5-6),
Gero, J. S. (1981b) Guest editorial-design optimization. Computer aided
design, 13 (5-6),
Gero, J. S. (1985) Design Optimization, Academic Press, New York. 298
pages.
Gero, J. S. (1990) Design prototypes: a knowledge representation schema for
design. AI Magazine, 11, pp. 26-36.
Gero, J. S. (1998) Conceptual designing as a sequence of situated acts. In
Artificial Intelligence in Structural Engineering, Information Technology for
Design, Collaboration, Maintenance, and Monitoring, (Ed, Smith, I.)
Springer, pp. 165-177.
Gero, J. S. et Brazier, F. (Eds.) (2002) Agents in Design 2002, Key center of
design computation and cognition, University of Sydney, Sydney.
Gero, J. S. et Fujii, H. (2000) A computational framework for concept
formation in a situated design agent. Knowledge-Based Systems, 13 (6), pp.
361-368.
Gero, J. S. et Kazakov, V. (1999) Using analogy to extend the behaviour
state space in creative design. In Computational Models of Creative Design
IV, (Eds, Gero, J. S. et Maher, M. L.) Sydney, Australia, pp. 113-143.
227
Gero, J. S., Kazakov, V. et Schnier, T. (1997) Genetic engineering and design
problems. In Evolutionary Algorithms in Engineering Applications, (Ed,
Dasgupta, D. a. M., Z.) Springer Verlag, Berlin, pp. 47-68.
Gero, J. S. et Reffat, R. (2001) Multiple representations as a platform for
situated learning systems in designing. Knowledge-Based Systems, 14 (7), pp.
337-351.
Gibbs, R. W. (1999) Figurative Language. In The MIT Encyclopedia of the
Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The
MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 314-315.
Gibson, E. J., Adolph, K. et Eppler, M. (1999) Affordances. In The MIT
Encyclopedia of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A
bradford book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London,
England, pp. 4-6.
Goel, A., Gomez, A., Grue, N., J.W. Murdock, Recker, M. et Govindaraj, T.
(1996). Explanatory interface in interactive design environments. Artificial
Intelligence in Design '96, (Ed, Gero, J. S.), Kluwer Academic Publishers,
Boston.
Goel, A. K. (1997) Design, Analogy, and Creativity. IEEE Expert, 12 (3), pp.
62-70.
Gorti, S. R., Gupta, A., Kim, G. J., Sriram, R. D. et Wong, A. (1998) An
object-oriented representation for product and design processes. Computer-
Aided Design, 30 (7), pp. 489-501.
Grecu, D. L. et Brown, D. C. (1999a) Guiding Agent Learning in Design. In
Knowledge Intensive CAD.
228
Grecu, D. L. et Brown, D. C. (1999b) Learning by single function agents
during spring design. In Artificial Intelligence in Design '96 (AID '96), (Ed,
Gero, J. S. a. S., F.), pp. 409-428.
Hampton, J. E. (1999) Concepts. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive
Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT
Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 176-179.
Hatchuel, A. (1996) Coopération et conception collective ; variétés et crises
des rapports de prescription. In Coopération et Conception, (Eds, de Terssac,
G. et Friedberg, E.) Editions Octares, pp. 101-121.
Hatchuel, A. (2002) Towards Design Theory and Expandable Rationality:
The unfinished program of Herbert Simon. Journal of management and
gouvernance, 5 (3), pp. 260-273.
Hatchuel, A., Le Masson, P. et Weil, B. (2004). C-K theory in practice:
Lessons from industrial applications. 8th International Design Conference,
Design 2004, (Ed, Marjanovic, D.), Dubrovnik, Croatia.
Hatchuel, A. et Weil, B. (1999). Pour une théorie unifiée de la conception,
Axiomatiques et processus collectifs. CGS Ecole des Mines, GIS cognition-
CNRS. pp. 1-27.
Hatchuel, A. et Weil, B. (2002). La théorie C-K: Fondaments et usages d'une
théorie unifiée de la conception. Colloque Sciences de la Conception, Lyon.
Hatchuel, A. et Weil, B. (2003). A new approach of innovative design : an
introduction to C-K design theory. ICED’03, Stockholm, Sweden., pp. 14.
Hofstadter, D. (1984) The Copycat project: An experiment in nondeterminism
and creative analogies, Artificial Intelligence Laboratory, MIT, No. AI Memo,
755.
229
Hofstadter, D. (1995) Fluid Concepts and Creative Analogies: Computer
Models of the Fundamental Mechanisms of Thought, Basic Books, New York.
Hofstadter, D. et Gabora, L. (1989) Synopsis of the Workshop on Humor and
Cognition. International Journal of Humor Research, 2-4, pp. 417-440.
Holland, J. H. (1992) Adaptation in natural and artificial systems, MIT
Press, Cambridge.
Holyoak, J. K. (1999) Psychology. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive
Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT
Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. xl-xlxi.
Hsiao, S.-W. et Tsai, H.-C. (2005) Applying a hybrid approach based on
fuzzy neural network and genetic algorithm to product form design.
International Journal of Industrial Ergonomics, 35 (5), pp. 411-428.
Jeantet, A., Tiger, H., Vinck, D. et Tichkiewitch, S. (1996) La coordination
par les objets dans les équipes intégrées de conception de produit. In
Coopération et conception, (Eds, De Terssac, G. et Friedberg, E.) Octares,
Toulouse, pp. 87-100.
Jones, J. C. (1970) Design Methods: seeds of human futures, John Wiley &
Sons, New York and Chichester.
Kazakci, A. (2005). DesigNAR, An intelligent design assistant based on C-K
design theory. IDETC/CIE 2005 ASME 2005 International Design
Engineering Technical Conferences & Computers and Information in
Engineering Conference, Long Beach, California, USA.
Kazakci, A. (2008a). The design of C-K design theory. Seventh International
Symposium on Tools and Methods of Competitive Engineering, TMCE 2008,
(Eds, Akbulut, U., Fokkema, J. T. et Horvath, I.), Turkey (accepted).
230
Kazakci, A. (2008b). A theoretical framework for defining, designing and
building design assistants. Seventh International Symposium on Tools and
Methods of Competitive Engineering, TMCE 2008, (Eds, Akbulut, U.,
Fokkema, J. T. et Horvath, I.), Turkey (accepted).
Kazakci, A. et Tsoukias, A. (2004a). Extending the C-K design theory to
provide theoretical background for situated design agents. Proceedings of
International Design Conference - DESIGN 2004, (Ed, Marjanovic, D.),
Dubrovnik, Croatia. pp. 45-52.
Kazakci, A. et Tsoukias, A. (2004b) Extending the C-K design theory to
provide theoretical backgrounf for situated design agents. In 8th
International Design Conference - Design 2004, (Ed, Marjanovic, D.)
Dubrovnik, Croatia, pp. 45-52.
Kazakci, A. et Tsoukias, A. (2005) Extending the C-K design theory: A
theoretical background for personal design assistants. Journal of Engineering
Design, 16 (4), pp. 399-411.
Kazakci, A. O. et Tsoukias, A. (2004c). Structuration de problème,
construction des alternatives et leurs évaluations : enseignements des théories
de conception, GdR MACS – pôle STP - Journées de Nantes 25 et 26 Mars
2004, Nantes, France.
Keil, F. (1999) Conceptual change. In The MIT Encyclopedia of the Cognitive
Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford book. The MIT
Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 179-182.
Kirsch, U. (1981) Optimum Structural Design - Concepts, Methods and
Applications, McGraw-Hill, New York. 441 pages.
Kiviniemi, A. (1999). IAI and IFC-State of the Art. 8th International
Conference on Durability
of Building Maerials and Components, (Eds, Lacasse, M. A. et Vanier, D. J.),
NRC Research Press. pp. 2157- 2168.
231
Kokinov, B. (1994a). The context-sensitive cognitive architecture DUAL.
Sixteenth Annual Conference of the Cognitive Science Society, Hillsdale, NJ,
Erlbaum.
Kokinov, B. (1994b). The DUAL cognitive architecture: A hybrid multi-agent
approach. Eleventh European Conference on Artificial Intelligence, (Ed,
Cohn, A.), London, John Wiley & Sons, Ltd., pp. 203-207.
Kokinov, B. (1994c) A hybrid model of reasoning by analogy. In Advances in
connectionist and neural computation theory: Analogical connections, (Eds,
K. Holyoak, K. et Barnden, J.) Norwood, NJ: Ablex., pp. 247- 318.
Kokinov, B., Nikolov, V. et Petrov, A. (1996) Dynamics of emergent
computation in DUAL. In Artificial intelligence: Methodology, systems,
Applications, (Ed, Ramsay, A.) IOS Press., Amsterdam, pp. 303-311.
La Couture, J. (1988) Champollion, Une vie de lumière, Grasset, Paris.
Lakoff, G. et Johnson, M. (1999) Philosophy in the Flesh: The Embodied
Mind and Its Challenge to Western Thought, Basic Books, New York.
Lakoff, G. et Nunez, R. E. (2000) Where mathematics comes from: How the
embodied mind brings mathematics into being, Basic Books, New York.
Lawson, B. (1980) How Designers Think, Architectural Press, London.
Lemoigne, J. L. (1977) La théorie générale du système, Presses Universitaires
de France, Paris.
Maher, M. L. (1994) Creative design using a genetic algorithm. In Computing
in Civil Engineering, ASCE, pp. 2014-2021.
Maher, M. L. (1999) Designing the virtual campus as a virtual world. In
Computer Supported Collaborative Learning (CSCL99), pp. 376-382.
232
Maher, M. L., Balachandran, B. et Zhang, D. M. (1995) Case-Based
Reasoning in Design, Lawrence Erlbaum Associates, New Jersey, USA. 256
pages.
Maher, M. L. et Fenves, S. J. (1984). HI-RISE: A knowledge-based expert
system for the preliminary structural design of high rise buildings. Knowledge
Engineering in Computer-Aided Design, (Ed, Gero, J. S.), Amsterdam, North
Holland.
Maher, M. L. et Pu, P. (Eds.) (1997) Issues and Applications of Case-Based
Reasoning to Design, Lawrence Erlbaum Associates, Manwah, New Jersey.
Maher, M. L., Simoff, S. et Gabriel, G. C. (2000) Participatory design and
communication in virtual environments. In Proceedings of the Participatory
Design Conference, (Ed, Cherkasky, T. a. G., J. and Mambrey, P. and
KabberPors, J.), pp. 127-134.
Maher, M. L., Sriram, D. et Fenves, S. J. (1984) Tools and techniques for
knowledge-based expert systems for engineering design. Advances in
Engineering Software, 6 (4), pp. 178-188.
Maimon, O. et Braha, D. (1996) A Mathematical Theory of Design.
International Journal of General Systems, 27 (4-5), pp. 275-318.
March, J. (1984) The logic of design. In Development of design methodology,
(Ed, Cross, N.) Wiley, Chichester.
Marples, D. L. (1960) The Decisions of Engineering Design. Journal of the
Institute of Engineering Designers, (December), pp. 1-16.
McGraw, G. et Hofstadter, D. (1993) Perception and Creation of Diverse
Alphabetic Style. Artificial Intelligence and Simulation of Behaviour
Quarterly, (85), pp. 42-49.
233
Mitchell, M. (1993) Analogy-making as perception : a computer model, MIT
Press, Cambridge, MA.
Moisdon, J. C. (Ed.) (1997) Du mode d'existence des outils de gestion, Seli
Arslan, Paris.
Navarre, C. (1993) Pilotage stratégique de la firme et gestion de projet: de
Ford et Taylor à Agile et IMS. In Pilotage de projets et entreprises; diversité
et convergences, (Eds, Giard, V. et Midler, C.) Economica, Paris, pp. 178-
212.
Newell, A. et Simon, H. A. (1963) GPS, a Program that Simulates Human
Thought. In Computers and Thought., (Eds, Feigenbaum, E. et Feldman, J.)
McGraw Hill., New York, pp. 279-293.
Newell, A. et Simon, H. A. (1972) Human Problem Solving, Prentice-Hall,
Englewood Cliffs, N.J.
Pahl, G. et Beitz, W. (1984) Engineering Design: a systematic approach, The
Design Council, London.
Peirce, C. (1955) Abduction and Induction. In Philosophical writings of
Peirce, (Ed, Buchler, J.) 150-156, Dover, New York.
Perrin, J. (2001) Concevoir l'innovation industrielle, CNRS Editions, Paris.
Petrov, A. et Kokinov, B. (1999). Processing Symbols at Variable Speed in
DUAL: Connectionist Activation as Power Supply. 16th International Joint
Conference on Artificial Intelligence, (Ed, Dean, T.), San Fransisco, CA,
Morgan Kaufman. pp. 846-851.
Qian, L. et Gero, J. S. (1996) Function-behaviour-structure paths and their
role in analogy-based design. AIEDAM, 10, pp. 289-312.
234
Reffat, R. (2002) Intelligent Agents for concept invention in design. In Agents
in design, (Eds, Gero, J. et Brazier, F.), pp. 55-68.
Reinertsen, D. G. (1983) Whodunit? :The search for new product killers.
Electronic Business, 11, pp. 62-66.
Riegler, A. (2001) W hen is a cognitive system embodied? Cognitive Systems
Research, 3, pp. 339-348.
Rosenhead, J. (1989) Rational analysis of a problematic world, Wiley, New
York.
Rosenhead, J. (1996) What's the problem? An introduction to problem
structuring methods. Interfaces, 26, pp. 117-131.
Rosenman, M. A. et Gero, J. S. a. (1996) Modelling multiple views of design
objects in a collaborative CAD environment. Computer-Aided Design, 28 (3),
pp. 193-205.
Saunders, R. et Gero, J. S. (2002) Curious agents and situated design
evaluations. In Agents in design, (Eds, Gero, J. S. et Brazier, F.) Key Centre
of Design Computing and Cognition, University of Sydney, Australia, pp.
133-149.
Savransky, S. D. (2000) Engineering of creativity : introduction to TRIZ
methodology of inventive problem solving, CRC Press.
Schön, D. A. (1983) The Reflective Practitioner, Basic Books, New York.
Schön, D. A. et Wiggins, G. (1992) Kind of seeing and their functions in
designing. Design Studies, 13 (2), pp. 135-156.
Seifert, C. H. (1999) Situated cognition and learning. In The MIT
Encyclopedia of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A
235
bradford book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London,
England, pp. 767-769.
Seifert, H. et Steiner, M. (1995). F+E: Schneller, schneller, schneller.
Harvard Business Manager.
Shafirovitch, E., Salomon, M. et Gokalp, I. (2003). Mars hopper vs. Mars
rover. Fifth IAA International conference on low-cost planetary missions,
Noordwijk, the Netherlands. pp. 97-102.
Simon, H. A. (1955) A behavioural model of rational choice. Quaterly Journal
of Economics, 69, pp. 99-118.
Simon, H. A. (1969) The Sciences of the artificial, MIT Press, Cambridge,
Massachusetts.
Simon, H. A. (1973) The Structure of ill structured problems. Artificial
Intelligence, 4, pp. 181-201.
Smith, B. C. (1999) Situatedness/Embeddedness. In The MIT Encyclopedia
of the Cognitive Sciences, (Eds, Wilson, R. A. et Keil, F. C.) A bradford
book. The MIT Press., Cambridge, Massachusetts, London, England, pp. 769-
771.
Sriram, D., Tyle, N., Maher, M. L., Barnes, R., Rychener, M. et Fenves, S. J.
(1984). Knowledge-based expert systems for engineering applications.
Proceedings of the IEEE International Conference on Systems, Man, and
Cybernetics.
Stalk, G. et Hout, T. (1993) Vaincre le temps; reconcevoir l'entreprise pour
un nouveau seuil de preformance, Dunod, Paris.
Steels, L. (1990). Towards a Theory of Emergent Functionality. First
International Conference on Simulation of Adaptive Behavior: From Animals
236
to Animats, (Eds, Meyer, J.-A. et Wilson, S.), Cambridge, MA & London,
England, Bradford Books (MIT Press). pp. 451 - 461.
Suchman, L. A. (1987) Plans and situated actions : the problem of human-
machine communication, Cambridge University Press, Cambridge, New
York. 203 pages.
Suh, N. P. (1990) The principles of design, Oxford University Press.
Sutherland, I. E. (1963) Sketchpad, a man-machine graphical communication
system, Dept. of Electrical Engineering, MIT, Massachusetts Institute of
Technology, PhD Thesis, Massachusetts.
Suwa, M., Gero, J. S. et Purcell, T. (1999) Unexpected discoveries and s-
inventions of design requirements: A key to creative designs. In
Computational Models of Creative Design IV, pp. 297-320.
Theureau, J. (2004) L'hypothèse de la cognition (action) située et la tradition
d'analyse du travail de l'ergonomie de langue française. @ctivités, 2, (1), pp.
11-25.
Umeda, Y., Ishii, M., Yoshioka, M., Shimomura, Y. et Tomiyama, T. (1996)
Supporting conceptual design based on the function-behavior-state modeler.
Artificial Intelligence for Engineering Design Analysis and Manufacturing, 10
(4), pp. 275-288.
Valkenburg, R. et Dorst, K. (1998) The Reflective Practice of Teams. Design
Studies, 19, pp. 249-271.
Varol, A. et Pakkan, M. (1996) Nonstandard Set Theories and Information
Management. Journal of Intelligent Information Systems, 6 (1), pp. 5-31.
von der Weth, R. (1999) Design instinct? – The development of individual
strategies. Design. Studies, 20 (5), pp. 453-463.
237
Wang, P. (1995) Non-axiomatic reasoning system: Exploring the essence of
intelligence, Indiana University, PhD Thesis, Indiana.
Wang, P. (1998). Grounding the meaning of symbols on the system's
experience. Working Notes of the AAAI Workshop on the Grounding of
Word Meaning: Data and Models, Madison, Wisconsin. pp. 23--24.
Wang, P. (2002). The logic of categorization. 15th International FLAIRS
Conference, Pensacola, Florida. pp. 181-185.
Wang, P. (2005) Experience-Grounded Semantics: A theory for intelligent
systems. Cognitive Systems Research, 6 (4), pp. 282-302.
Wang, P. (2006a) The Logic of Intelligence. In Artificial General Intelligence,
(Eds, Goertzel, B. et Pennachin, C.) Springer, New York.
Wang, P. (2006b) Rigid flexibility : the logic of intelligence, Springer,
Dordrecht. 414 pages.
Wang, P. et Hofstadter, D. (2006) A logic of categorization. Journal of
Experimental & Theoretical Artificial Intelligence, 18 (2), pp. 193-213.
Wong, H. Y. et Rosenhead, J. (2000) A rigorous definition of robustness
analysis. Journal of the Operational Research Society, 51, pp. 176-182.
Yager, R. R. (1988) On ordered weighted averaging aggregation operators in
multi-criteria decision making. IEEE Transactions on Systems, Man and
Cybernetics, 18, pp. 183-190.
Ziemke, T. (2001) Introduction to the special issue on situated and embodied
cognition. Cognitive Systems Research, 3, pp. 271-274.
239
Vu : Vu : Le Président : Les Suffragants : M. M. Vu et Permis d’imprimer : le Vice-Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine.
240
La théorie CKE comme fondement théorique pour les assistants de conception : DesigNAR, un assistant de synthèse de concept
basé sur la théorie CKE
Akin O. Kazakci La théorie C-K est une théorie de conception basée sur la distinction explicite de deux espaces expansibles ; l'espace C des concepts et l'espace K des connaissances. La conception peut alors être décrite comme la co-évolution des espaces C et K par l'intermédiaire de l'application de opérateurs C→ K, K→ C, K→ K et C→ C. Dans le but de proposer un outil informatique compatible avec cette théorie, nous introduisons un troisième espace, l’espace E de l’environnement en utilisant les notions de la Cognition Située. La version CKE de la théorie nous permet de proposer la notion d’assistant de conception, un agent de conception situé qui fait des suggestions à son utilisateur et qui apprend en observant son activité. Nous proposons un tel assistant, DesigNAR. L’assistant utilise une mémoire constructive et l’ancrage des concepts et se base sur la logique de termes NAL. DesigNAR apprend en construisant un sens pour les termes observés et est capable de créer de nouveaux concepts. Mots Clés : Théorie CK, théorie CKE, théorie de conception, Cognition Située, outil de conception, assistant, logiques de termes, DesigNAR
Laboratoire : LAMSADE – Université Paris Dauphine
CKE theory as a theoretical foundation for design assistants: DesigNAR, A concept synthesis assistant based on CKE theory
Akin O. Kazakci The C-K design theory is a theory based on the fundamental distinction between two expandable spaces, the space C of concepts and the space K of knowledge. Design can then be defined by the co-evolution of these two spaces by the application of four types of operators C→ K, K→ C, K→ K and C→ C. In order to build a design tools compatible with this theory, we introduce a third space, the environment space E, using notions from situated cognition. The C/K/E version allows us to propose a notion of design assistant, a situated design agent suggesting design actions to its user and learns by observing his activity. We present such an assistant, DesigNAR. The assistant uses a constructive memory and grounding of concepts as well as a term logic. DesigNAR learns by elaborating a meaning for the observed terms and it is able to create new concepts. Keywords: CK theory, CKE theory, design theory, situated cognition, design tool, design assistant, term logic, DesigNAR.
Research Unit : LAMSADE – Université Paris Dauphine