déclin du fondement

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  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    1/23

    Revue Philosophique de Louvain

    Le dclin du fondationnalismeErnan Mc Mullin

    Citer ce document Cite this document :

    Mc Mullin Ernan. Le dclin du fondationnalisme. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 74, n22, 1976.

    pp. 235-255;

    doi : 10.3406/phlou.1976.5886

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886

    Document gnr le 24/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_831http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1976.5886http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1976.5886http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_831http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1976_num_74_22_5886http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    2/23

    Rsum

    La critique se fait de plus en plus vive l'gard du fondationnalisme, qui tient que toute assertionvraiment scientifique doit reposer sur un fondement inbranlable. L'A. passe en revue les trois formesclassiques de fondationnalisme, intuitionniste (Aristote), empiriste (Locke et Hume) et subjectiviste(Kant) avant d'en venir aux critiques qui commencent au XIXe sicle et qui occupent actuellement une

    place trs importante dans la philosophie des sciences aux tats-Unis. Elles s'accordent pour dire qu'iln'y a pas de fondement inbranlable, et donc pas de fondement au sens propre. Aprs avoir montrcomment le positivisme logique tait fondationnaliste et comment Wittgenstein et Quine ont contribu ces critiques, l'A. tudie plus particulirement celles de N. R. Hanson, M. Polanyi, Kuhn, S. Toulmin etFeyerabend pour en tirer quelques conclusions sur l'tat prsent de la philosophie des sciences.

    Abstract

    Criticism is growing ever stronger against Foundationalism, which asserts that every truly scientificassertion must rest on an unshakeable foundation. The A. goes over the three classical forms ofFoundationalism intuitional (Aristotle), empiricist (Locke and Hume) and subjectivist (Kant) before

    coming to those criticisms which start in the nineteenth century and which occupy at present a veryimportant position in the philosophy of science in the U.S.A. These criticisms agree that there is nounshakeable foundation, and therefore no foundation in the proper meaning of the word. Having shownhow logical positivism was Foundationalist and how Wittgenstein and Quine contributed to thesecriticisms, the A. studies more particularly the criticisms of N. R. Hanson, M. Polanyi, Kuhn, S. Toulminand Feyerabend with a view to drawing certain conclusions in regard to the present state of thephilosophy of science.

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    3/23

    e

    dclin du fond t ionn lism e

    (*}

    Dans

    les

    discussions concernant la

    nature

    de la science, il a

    toujours

    paru

    plausible

    d accepter que si quelque assertion

    est

    vraiment scientifique

    ,

    elle

    doit reposer sur un fondement

    inbranlable. On trouve cette position fondationnaliste

    dans les

    uvres

    d crivains qui sont par ailleurs tout fait

    divers,

    d Aristote jusqu

    Locke,

    Kant,

    et

    aux

    positivistes

    logiques

    de

    notre

    poque.

    Elle

    a

    t

    attaque

    d abord vers

    la

    fin

    du

    xixe sicle, et ensuite, avec

    plus

    d nergie encore, au cours des

    quinze

    dernires annes. Dans cet

    essai, je me propose d abord de

    dcrire

    les trois formes classiques de

    fondationnalisme,

    et

    ensuite

    d examiner quelques-unes

    des critiques

    rcentes qui ont

    t adresses

    cette thorie

    par

    les

    philosophes

    des

    sciences

    aux

    tats-Unis d Amrique.

    C est

    en raison de ce dbat

    principalement que la philosophie

    des

    sciences est devenue depuis

    vingt

    ans

    une

    des parties les plus vigoureuses de la philosophie.

    1.

    Les

    varits

    du fondationnalisme

    Dans

    les Deuximes Analytiques, Aristote propose les

    deux

    thses

    suivantes

    :

    d une

    part la

    science

    doit partir

    des

    premiers principes, et

    d autre part elle

    doit se

    construire partir

    de

    ces

    principes de

    faon

    deductive

    par

    l intermdiaire de moyens

    termes.

    Le caractre certain

    et ncessaire

    des

    conclusions doit tre garanti

    d une

    part par les rgles

    formelles du syllogisme,

    et

    d autre part

    par

    le caractre certain

    et

    ncessaire des

    premiers

    principes. Ces principes eux-mmes ne font

    pas partie

    de la

    science,

    mais ils

    sont garantis par une

    intuition

    qui

    prcde

    la

    science

    et

    constitue

    la

    condition mme de

    toute science.

    On peut mme dire que cette intuition est encore plus connaissable

    (*) Le prsent article constitue le

    texte

    d une confrence qui a t donne par

    M.

    Ernan

    McMullin

    l Institut

    Suprieur de

    Philosophie

    de

    Louvain,

    le 2

    mai

    1974.

    L auteur tient adresser ses remerciements ses amis,

    Jean Ladrire

    et

    Hermann

    Servotte,

    pour

    l aide qu ils lui ont apporte

    dans la mise au point

    du

    texte franais.

    Une version antrieure de la seconde partie de ce

    texte faisait

    partie du

    discours

    prsidentiel qui a t adress par M. McMullin la

    Metaphy sical Society of

    America

    en mars 1974.

    V.

    Two Faces of Science,

    dans

    Review of Metaphysics, June 1974.

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    4/23

    236 Ernan McMullin

    que la science

    elle-mme, parce

    qu elle

    est

    intuitive,

    au

    lieu

    d tre

    discursive comme

    les

    dmonstrations.

    Comment

    pouvons-nous

    tre

    certains que nous possdons une

    telle

    facult

    intuitive

    ? La rponse d Aristote, me

    semble-t-il,

    nous est

    donne

    sous

    la forme de

    deux thses. 1 Sans ces premiers

    principes

    et la

    facult

    de connatre qui les rend

    possibles,

    il y

    aurait

    une

    rgression

    l infini et

    toute connaissance scientifique serait

    donc impossible.

    2

    Nous

    savons

    qu il y

    a la science.

    Ainsi

    donc nous

    devons

    avoir la

    capacit de formuler des principes

    premiers. C est cette

    seule condition

    qu une

    science

    dmonstrative peut se

    dvelopper.

    Remarquons en

    passant qu Aristote

    n analyse

    pas la faon

    dont

    cette intuition (epagg)

    fonctionne

    ;

    il ne

    nous donne

    pas

    d exemples

    de

    principes

    qui

    seraient

    garantis

    par celle-ci.

    Ce qui lui donne la certitude que cette

    intuition

    existe, c est le fait (vident pour lui) que la

    science existe.

    Et

    pour

    lui,

    comme pour tous

    les

    penseurs grecs

    de

    son poque, la

    science

    tait

    avant tout la

    gomtrie.

    Quand

    il dit que

    les prmisses de base

    de toute dmonstration doivent tre ncessaires, essentielles et

    ternelles

    les seuls exemples

    plausibles de ces prmisses qui lui

    taient

    accessibles

    (sans

    parler

    de la

    formule trop

    souvent

    cite

    l homme

    est rationnel)

    taient

    des axiomes gomtriques,

    bien

    que la

    science

    qu ils rendent

    possible ne

    soit pas

    syllogistique. Il est

    curieux de

    constater que,

    lorsqu il donne

    le

    clbre

    exemple

    d une

    dmonstration

    projpter

    quid,

    les

    principes de base sont

    les plantes

    sont

    proches

    et

    les

    entits

    qui

    sont

    proches ne

    scintillent pas

    , exemples qui ne

    sont gure

    encourageants

    pour l intuition d une

    vrit

    ncessaire.

    Je voudrais insister plus particulirement

    sur

    trois aspects de

    cette

    analyse.

    En

    premier

    lieu, Aristote prend pour acquis

    le fait

    que

    pour

    que la science

    soit

    possible,

    il

    faut pouvoir commencer

    partir d un fondement qu on ne peut mettre en doute et qui n a

    pas

    besoin

    d un

    autre

    soutien. C est ce que j appelle la thse

    fondationnaliste

    .

    Pour Aristote,

    ce

    fondement

    est constitu

    par

    la

    srie des

    prmisses

    de

    base ou

    des premiers principes,

    rvls

    peu

    peu

    grce

    notre

    pouvoir intuitif.

    Un

    premier

    principe est dfinitif,

    formul une fois pour toutes,

    de

    faon complte et adquate.

    Les

    concepts requis

    pour

    la formulation d un

    principe

    premier

    sont

    obtenus par abstraction partir des donnes

    des

    sens. Ce

    processus

    d abstraction

    est direct

    et

    ne comporte la mdiation d lments

    hypothtiques

    d aucune

    sorte. En

    second

    lieu,

    l laboration

    ultrieure

    d une science dpend d une

    srie de rgles formelles et logiques. Ces

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    5/23

    Le

    dclin du fondationnalisme

    237

    rgles

    ne

    sont pas

    non plus problmatiques : on sait qu elles

    conduisent

    infailliblement

    de

    vrit

    en

    vrit.

    On peut

    ainsi

    affirmer

    que la

    conclusion

    d une

    dmonstration

    scientifique

    participe la vrit

    ncessaire

    des prmisses,

    parce

    que la

    fonction

    des

    rgles logiques est

    d assurer que la

    vrit

    des

    prmisses entrane

    de faon ncessaire la

    vrit

    de la conclusion.

    C est

    ce

    que

    j appelle la thse logiciste,

    savoir que

    les

    mthodes

    de

    dmonstration

    scientifique

    sont entirement

    formelles et logiques de par leur

    nature.

    En

    troisime

    lieu, il

    faut remarquer que

    ces deux

    thses

    sont

    lies. C est

    cause

    de la thse fondationnahste

    et

    de ce qui est

    impliqu

    par

    l ide

    selon laquelle la

    science

    est connaissance ncessaire, que

    nous

    avons

    besoin de

    complter

    la

    thse fondationnahste

    par la

    thse

    logiciste, c est--dire

    par l affirmation

    selon laquelle nous

    possdons

    un ensemble de rgles formelles qui nous permettent de crer la

    science de manire

    infaillible, une fois

    les

    premiers

    principes

    poss.

    De

    la

    mme manire,

    si

    une

    thse logiciste doit tre de quelque utili+,

    il

    faut qu il y ait une base sur laquelle la logique

    puisse

    travailler,

    quelque chose

    qui n ait pas

    besoin

    d tre garanti par la logique

    elle-

    mme. Ainsi, si l on

    adopte

    une de

    ces

    thses,

    on

    est amen

    presque

    invitablement

    adopter l autre. tant

    donn le

    rle que joue

    l intuition dans

    l analyse

    d Aristote,

    j appellerai

    ce

    type

    de

    fondationnalisme

    le

    type

    intuitionniste

    .

    Il

    a

    t

    dfendu

    travers toute

    la

    tradition aristotlicienne, depuis

    les

    penseurs

    du

    moyen ge

    tels

    que

    Thomas

    d Aquin

    jusqu aux aristotliciens

    et aux thomistes

    d aujourd hui.

    On peut trouver une

    autre

    forme de fondationnalisme dans la

    tradition

    empiriste. On

    peut en

    discerner

    les

    origines dans

    le nomina-

    lisme du

    quatorzime

    sicle,

    mais il a pris

    sa

    forme canonique dans

    les

    travaux

    de Locke

    et

    de Hume. Ici,

    l ordre

    de la

    logique

    est

    renvers.

    Ce qui

    est

    le fondement, ce

    n est pas

    le principe universel. Le

    fondement, le point de dpart de la connaissance scientifique, est une

    proposition

    concernant une observation d ordre

    individuel.

    La science

    commence,

    a-t-on dit,

    partir

    des faits d exprience

    et

    c est seulement

    ensuite qu elle

    atteint le niveau

    universel

    de la loi ou de la thorie.

    Les

    faits sont

    des donnes; ils

    sont garantis de faon directe et

    infaillible par l observation.

    Le

    langage

    dans lequel ils

    s expriment

    est

    suppos

    tre transparent. Il nomme les lments des sensations

    d une manire

    tout

    fait

    adquate. Les empiristes ne sont pas

    d accord

    entre eux sur les dtails de ce schma, mais

    ils

    sont d accord sur ses

    grandes lignes.

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    6/23

    238

    Ernan

    McMullin

    On peut voir immdiatement que cette forme de fondationnalisme

    comporte

    les

    deux

    mmes thses

    qui

    figuraient

    dans

    la

    thorie

    de

    la

    science

    d Aristote. Une fois encore,

    il y

    a un fondement infaillible,

    quelque

    chose dont la

    science

    peut partir avec confiance,

    quelque chose

    qui ne devra

    pas

    tre reformul plus

    tard.

    Une

    fois encore,

    la mthode

    scientifique se rduit une logique, mais

    il s agit

    cette fois d une

    logique inductive

    plutt

    que deductive. Puisqu elle est inductive, les

    conclusions ne

    peuvent

    tre

    que probables. Et comme ces

    conclusions

    sont

    des gnralisations

    partir d exemples

    individuels,

    elles

    sont

    susceptibles de modifications ultrieures. La

    science

    n est plus alors

    de

    l ordre

    du

    ncessaire, comme c tait

    le

    cas chez Aristote. Ainsi donc,

    la

    raison pour

    laquelle

    les

    empiristes

    ont

    adopt

    la

    position

    fondation-

    naliste

    n est plus celle des

    Grecs,

    selon lesquels une

    science

    ne peut

    tre ternelle

    qu

    cette

    seule

    condition.

    Cette

    raison reflte

    plutt

    l ide

    de base de l empirisme, selon laquelle toute connaissance drive

    de la sensation; il ne

    peut

    exister une norme d aprs laquelle

    on

    pourrait

    juger des sensations elles-mmes. Les propositions qui

    concernent les

    donnes

    des sens ont un caractre dfinitif; c est sur

    elles

    que tout repose. Dans la mesure o

    elles

    ont formules de faon

    prcise, elles reprsentent un fondement infaillible. C est

    seulement au

    niveau

    de la loi

    et

    de la thorie qu intervient

    un

    lment de doute

    et

    de

    modification

    possible.

    Une critique qui a t souvent faite

    au

    xvme sicle propos du

    fondationnalisme

    empiriste

    est que, en dfinitive,

    il

    ne

    pouvait pas

    s accommoder

    de la

    mcanique

    triomphante

    de

    Newton,

    dont

    les lois

    semblent beaucoup plus proches des

    vrits

    ternelles

    et

    immuables

    de la

    science

    aristotlicienne que des gnralisations limites du genre

    de celles

    qui sont

    permises

    par

    Hume.

    La

    rponse

    apporte par Kant

    ce dfi

    a

    consist

    formuler

    une

    troisime forme de fondationnalisme,

    une forme subjectiviste, la plus complexe des trois. Les catgories de

    l entendement

    sont

    telles

    qu elles nous permettent de

    formuler des

    jugements synthtiques a

    priori,

    qui

    deviennent

    la

    base

    de

    la

    science

    pure. A partir de ce

    fondement

    dans la structure cognitive du sujet,

    on

    peut

    laborer,

    au moyen de la logique et des mathmatiques, une

    science

    de caractre

    ncessaire,

    une

    mcanique

    dfinitive par

    exemple.

    Bien sr, toute

    notre connaissance

    de la nature ne sera pas

    capable

    d atteindre

    cet

    tat

    de transparence

    et d vidence

    intuitive. Les lois

    de la

    chimie

    ne peuvent

    gure

    tre plus que des gnralisations

    plausibles, si bien qu il faut

    reconnatre

    deux

    sortes

    de

    science

    : une

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    7/23

    Le

    dclin du fondationnalisme

    239

    science

    pure et fondationnaliste

    ,

    et une

    science

    empirique qui n a

    pas

    la

    ncessit

    de

    l a

    priori.

    2. Les critiques adresses au

    fondationnalisme

    Telles sont donc

    les

    formes

    classiques du

    fondationnalisme : la

    forme

    intuitionniste,

    la forme empiriste,

    et

    la forme subjectiviste. Mais

    il

    se fait qu au cours du

    xixe sicle,

    le fondationnalisme lui-mme a

    t remis en

    question

    pour la premire fois.

    Les critiques

    sont venues

    de

    plusieurs

    cts. L accent

    nouveau

    mis sur

    l historicit,

    sur la

    dimension historique

    de

    toute

    rflexion

    humaine,

    a provoqu

    des

    doutes

    quant

    l affirmation

    selon

    laquelle

    on

    peut

    identifier

    des

    lments

    de base soustraits toute rvaluation. La

    logique

    dialectique de

    Hegel, la diffrence des logiques de type dductif et de type inductif

    qui

    l avaient prcde,

    n exigeait pas un fondement

    de propositions

    non

    rvisables

    comme point de dpart de la science.

    En

    fait

    elle

    excluait la

    possibilit

    d un pareil fondement. Ce fut donc

    l intrieur

    de

    la

    tradition hglienne qu une

    thorie

    non fondationnaliste de

    la

    science s est exprime

    pour

    la premire fois. Mais

    malheureusement,

    un abme s tait ouvert entre les

    hgliens

    et les hommes de science

    qui taient

    leurs contemporains.

    Leurs critiques

    contre

    la mcanique

    newtonienne

    et

    leur

    insistance

    sur

    les

    catgories

    spiritualistes

    de

    l ancienne tradition alchimique et

    hermtique les

    loignrent de

    plus

    en plus de la science de

    leur poque, et

    cela eut

    pour consquence qu il

    n y eut gure de

    comprhension mutuelle.

    Les hgliens se montrrent

    ainsi

    incapables

    de dvelopper une philosophie de la

    science effective,

    et

    parmi les

    philosophes qui

    crivaient sur la science relativement

    peu nombreux

    furent

    ceux qui

    furent

    influencs

    par

    les ides

    hgliennes.

    Mais

    un

    second dfi

    la

    thse

    fondationnaliste

    vint d un

    ct

    tout fait diffrent.

    Alors

    que la science newtonienne entrait dans

    son

    second

    sicle,

    et

    que

    les

    sciences nouvelles,

    la

    gologie,

    la

    chimie,

    la

    biologie,

    devenaient de plus en plus complexes

    et

    sres d elles-mmes,

    il

    devint de plus en plus

    clair

    que, pour comprendre la nature de la

    science proprement

    dite, il fallait scruter

    les

    mthodes

    de

    travail

    des

    hommes de science eux-mmes

    et

    prter

    une

    attention toute particulire

    l histoire des sciences. Le pionnier dans ce

    domaine

    fut Whewell

    Cambridge; son ouvrage

    le plus

    considrable est La

    philosophie

    des

    sciences inductives bases

    sur

    leur

    histoire. Le titre de

    cet ouvrage

    donne une ide de la direction de sa pense. Plus tard Peirce,

    aux

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    8/23

    240

    Ernan McMullin

    tats-Unis, et Duhem, en

    France,

    suivirent la mme direction.

    Bien

    que

    les

    pistmologies

    de

    ces

    trois

    auteurs

    soient

    trs

    diffrentes,

    ils

    se trouvrent

    d accord

    pour rejeter le

    fondationnalisme,

    parce que,

    leurs yeux, celui-ci ne tenait pas suffisamment

    compte

    de la pratique

    scientifique. Ils taient d avis

    que

    la science ne

    contient pas

    des

    propositions de base qui ne seraient pas susceptibles d tre rvises,

    qu il

    s agisse

    de

    rapports

    d observation

    ou de

    principes

    synthtiques

    a priori. Ils

    mirent galement en question la

    rduction

    de la

    mthodologie scientifique une

    logique.

    Pour eux, les dmarches primordiales

    en science se rapportent

    la dcouverte

    d hypothses

    explicatives

    et

    de critres

    au

    moyen desquels

    ces

    hypothses peuvent tre values.

    Ces

    critres

    ne sont

    ni

    de

    nature

    deductive

    ni

    de

    nature

    inductive;

    ils ne

    peuvent pas

    tre rduits

    une rgle formelle, bien que

    les

    rgles

    formelles jouent un

    rle indispensable dans l application qui en est

    faite.

    Ainsi, les

    deux

    thses centrales de la thorie classique de la

    science, que j ai appeles

    les

    thses fondationnaliste et logiciste,

    furent rejetes

    par ces

    auteurs.

    Au dbut de ce

    sicle,

    le

    dbat

    continua.

    Un

    certain nombre de

    philosophes, tels que

    Bradley et

    Collingwood, continurent

    attaquer

    la thorie classique.

    Mais

    c est

    ce moment-l

    que

    fut

    fond

    le

    Cercle

    de Vienne, d o se fit entendre une voix

    nouvelle

    et puissante en

    philosophie

    des

    sciences,

    qui

    rduisit bientt

    les

    autres voix

    presque

    au

    silence. Le

    nom

    de la

    nouvelle

    cole, le positivisme logique

    ,

    indique immdiatement son

    orientation

    : l importance reconnue la

    connaissance positive, c est--dire une connaissance

    base

    uniquement sur

    l observation sensible, et d autre

    part la

    nouvelle

    logique

    formelle des Principia Mathematica de Russell et Whitehead, en tant

    qu outil

    d analyse . Il

    est bon

    de

    noter

    ici

    que ces thses conduisent

    presque

    invitablement

    aux deux thses

    de la thorie classique de la

    science, la

    thse

    fondationnaliste et la thse

    logiciste.

    Et de

    fait,

    la

    plupart

    des

    membres

    du

    Cercle de Vienne acceptaient ces thses et

    soutenaient

    que

    les

    Protokollstze, en

    lesquels

    sont

    exprimes

    les

    observations

    de la

    science

    exprimentale, peuvent en

    principe servir

    de base

    des

    gnralisations de plus en plus vastes. Carnap a essay

    de formuler

    une logique

    inductive dans le

    cadre de laquelle pourrait

    tre

    formalise

    la

    relation

    de

    confirmation

    entre

    une hypothse et une

    proposition exprimant

    une information

    disponible

    (vidence).

    On

    peut se

    demander

    comment

    des savants qui avaient t

    duqus dans les sciences exactes et qui avaient rflchi de faon

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    9/23

    Le dclin du fondationnalisme 241

    critique

    et

    de

    l intrieur

    sur les

    mthodes

    de

    celles-ci, ont

    pu prsenter

    une

    vue

    aussi

    simpliste,

    et

    cela

    d autant

    plus

    que

    cette

    vue

    avait

    t attaque depuis

    prs

    d un sicle. La

    rponse

    est simple. Le Cercle

    de Vienne avait dbut comme

    un

    mouvement de

    rvolte contre

    la

    rhtorique et les abstractions de la philosophie allemande

    posthglienne de l poque. Ce

    que voulaient

    les

    membres

    du

    Cercle

    de

    Vienne,

    c tait

    en quelque sorte

    une nouvelle rforme;

    ils voulaient

    balayer ce

    qu ils appelaient

    un pseudo-langage.

    Il

    leur semblait

    vident que l antidote se trouvait dans la sobrit intellectuelle de

    l homme de

    science

    et la rigueur mathmatique des logiciens. Les

    sciences

    exactes

    s taient

    rvles

    comme un

    moyen sr

    pour

    l acquisition

    rgulire

    de

    la

    vrit.

    Quel

    meilleur

    modle

    pouvait-on

    proposer

    pour la

    science

    en

    gnral

    ?

    Dans

    le

    domaine

    de la science,

    on

    sait

    exactement

    chaque

    moment o l on se trouve. On commence partir

    de faits

    bien

    tablis,

    et l on

    fait usage

    uniquement

    de

    modes

    d infrence

    dment tablis pour arriver au niveau des lois et des thories. A

    chaque tape, on peut

    donner un

    rapport complet,

    la

    fois

    en termes

    de signification

    et

    de vrit,

    au

    sujet du stade

    o l on

    se trouve,

    ainsi

    qu au sujet

    de la

    relation

    entre les assertions propres ce stade et

    les faits

    partir desquels

    on

    a

    raisonn.

    Pourquoi donc

    ne

    pas

    exiger

    un

    mode de vrification analogue celui-ci pour

    n importe

    quelle

    assertion

    qui

    se

    voudrait

    signifiante

    et

    vraie

    ?

    Ds lors,

    si

    une

    assertion

    ne rpond

    pas

    ce

    critre,

    on sera en

    droit

    de la mettre de ct comme

    n ayant pas de signification, mme si

    on

    peut lui accorder un certain

    pouvoir

    d vocation

    comme

    on le ferait

    pour

    la posie. Il

    y aurait

    ainsi

    moyen de

    distinguer sens et non-sens, et

    de

    vouer

    la

    mtaphysique du jour aux flammes, que

    Hume

    avait dj recommandes

    dans un cas similaire deux

    sicles

    auparavant.

    L ide

    ne manquait pas de pouvoir d attraction, mais elle tait

    base sur

    une vue idalise et peu critique

    de

    la

    science

    ;

    en particulier

    cette vue

    attachait trop

    peu d importance l histoire de la

    science

    et

    la

    manire

    dont les changements

    conceptuels

    se font

    jour.

    Sa

    force rside

    plutt

    dans l ordre de la rhtorique, tout comme d ailleurs

    la force de

    ses adversaires

    hgliens.

    On

    peut

    voquer

    ici

    deux

    influences importantes qui ne viennent

    pas

    de la

    science

    : d une part

    celle de Wittgenstein

    et

    de

    Kussell, et d autre

    part celle de

    Mach et

    en

    dernire analyse

    de Hume.

    Dans

    le Tractatus,

    Wittgenstein

    examine

    la possibilit

    d employer

    l appareil technique des Principia Mathe-

    matica

    de Russell et

    Whitehead

    pour

    constituer

    une

    thorie du

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    10/23

    242 Ernan McMullin

    langage.

    Cela impliquait un travail

    avec des propositions

    atomiques,

    relies

    par

    des

    connecteurs

    logiques

    simples,

    dfinissables

    en

    termes

    de

    fonctions

    de

    vrit.

    Si

    ces

    propositions peuvent tre considres

    de la mme manire que les faits atomiques qui constituent le monde,

    alors

    le

    problme

    difficile qui consiste

    relier

    le

    langage au monde

    peut tre ignor,

    et

    le

    travail

    d lucidation du monde peut tre

    poursuivi au moyen de propositions directement valuables en

    termes

    de

    vrit

    ou de fausset, au moyen de la

    mthode des

    tables de

    vrit.

    Il

    faut ajouter que

    Wittgenstein

    a propos ce

    schma de

    faon

    hypothtique et non comme une

    assertion

    dfinitive.

    Il

    avait dj compris

    qu il y a

    des questions auxquelles la parole

    n est pas une

    rponse

    adquate.

    Mais les positivistes logiques s emparrent de son

    modle

    hypothtique et

    le proposrent

    comme une

    description

    de

    la nature

    de

    la

    science. Ils

    interprtrent ces

    propositions

    atomiques

    comme des

    rapports concernant des

    observations

    sensorielles, rflchissant

    de

    faon

    non problmatique le contenu de

    ces

    observations. Ces Protokollstze

    peuvent correspondre

    aux donnes

    sensorielles, dans la tradition de

    Mach et

    de

    Hume, ou

    des

    traits de l objet lui-mme

    dans

    la ligne

    de ce

    que pensait

    plutt

    Carnap.

    Mais le point essentiel est que les

    lments constitutifs du

    langage

    sont censs correspondre exactement

    aux

    lments

    constitutifs

    du monde.

    La

    thorie et

    l hypothse

    n entrent en jeu qu un niveau ultrieur, lorsque les

    propositions

    sont assembles

    dans des gnralisations plus complexes,

    d o les

    Protokollstze

    peuvent

    tre drivs

    de faon

    deductive. Le

    langage

    de

    ces

    phrases protocolaires elles-mmes

    est

    cens ne pas contenir

    d lments hypothtiques ou de simples suppositions;

    on

    suppose

    qu il y

    a moyen d tablir une distinction nette entre, d une

    part,

    le

    langage d observation

    employ dans les jugements de faits,

    et

    d autre part,

    le

    langage thorique

    des

    phrases

    gnrales plus complexes,

    dont

    les

    termes

    (thoriques) sont censs tre

    lis par

    des

    rgles

    de

    correspondance avec

    le

    niveau

    de

    l observation,

    et

    cela

    aux

    fins

    d assurer leur signification.

    De

    toutes les formes de fondationnalisme que je dcris

    ici,

    celle-ci

    est

    peut-tre

    la

    plus

    ambitieuse. Aussi puis- e

    maintenant

    expliquer

    pourquoi j ai consacr autant de temps au fondationnalisme dans ses

    formes varies, et

    plus

    spcialement dans

    sa forme

    la

    plus

    rcente.

    Le

    travail

    le plus important qui a

    t accompli

    dans

    le domaine

    de

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    11/23

    Le

    dclin du fondationnalisme

    243

    la philosophie des sciences au cours des

    deux dernires dcennies

    peut

    tre

    dcrit

    comme une

    critique du

    fondationnalisme

    base, (1)

    sur

    une

    analyse exacte

    du

    langage et

    des

    procds

    de

    l homme

    de

    science, et

    (2) sur l histoire de la science. Ce

    travail

    constitue

    donc un retour

    la tradition critique de Whewell et de

    Peirce;

    c est un effort en vue

    de

    construire

    une thorie de la

    science sur

    une base

    plus

    ou

    moins

    empirique,

    c est--dire partir

    de la

    pratique

    de la science

    elle-mme

    plutt qu partir d une thorie gnrale de la connaissance, comme

    cela avait t le cas

    dans

    la tradition

    classique

    de

    l pistmologie.

    Mais il

    ne

    s agit pas d un retour

    en arrire

    cela n existe

    d ailleurs

    pas

    en philosophie parce que nous

    pouvons

    maintenant faire appel

    aux

    analyses

    incomparables

    de

    la

    corroboration

    et

    de

    la preuve

    qui

    ont t faites par

    les positivistes

    logiques et par tous ceux qui ont

    continu leurs efforts en vue

    d examiner

    la

    dimension logique

    de la

    mthodologie

    scientifique.

    Nous pouvons

    galement faire appel

    l immense

    quantit

    de

    travaux

    scientifiques

    consacrs

    l histoire

    des

    sciences, laquelle, aprs

    tout,

    n est devenue un

    domaine

    spcifique

    et

    professionnalis

    de recherche scientifique que

    depuis

    la seconde

    guerre

    mondiale.

    Avant de parler de ce mouvement, qui constitue peut-tre la

    partie la

    plus intressante

    de la philosophie amricaine en

    ce

    moment,

    je

    voudrais

    dire

    quelques

    mots

    au

    sujet

    des

    critiques

    qui

    ont

    t

    formules

    l gard

    du fondationnalisme

    positiviste

    partir

    de la

    thorie

    du

    langage. Deux noms sont ici particulirement

    importants,

    ceux de Wittgenstein et de Quine. Vers les annes trente, Wittgenstein

    avait dj

    continu

    la dialectique

    du

    Tractatus.

    Il

    tait

    maintenant

    capable

    de

    critiquer

    les

    prsupposs

    de la

    thorie

    du

    langage qu il

    avait expose dans cet

    ouvrage. En

    particulier,

    il

    tait en mesure de

    critiquer

    la rduction de la diversit du discours des propositions

    catgoriques, relies entre elles au

    moyen de

    fonctions

    de vrit,

    et

    la corrlation

    entre ces

    phrases

    et

    les

    donnes sensorielles,

    erreur

    que

    le

    Tractatus

    n avait

    jamais

    commise.

    Les

    recherches

    des

    Philosophical

    Investigations n ont pas trait de

    faon

    immdiate la philosophie

    des

    sciences, mais

    elles

    contiennent

    quelques leons

    trs

    claires pour

    les

    philosophes

    des sciences. Ceux-ci sont notamment amens

    tenir

    compte

    de

    toute

    la

    finesse

    des

    usages d une langue et se mfier de

    tous

    les

    procds qui supposent une conjonction

    non

    problmatique

    entre les lments du

    langage

    et les lments de la ralit.

    Ce que

    Wittgenstein

    attaque

    en fait dans les

    Philosophical Investigations,

    ce

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    12/23

    244

    Ernan

    McMullin

    sont deux

    des principaux

    prsupposs

    du positivisme

    logique : en

    premier

    lieu,

    le

    prsuppos

    selon

    lequel

    il

    y

    a des

    propositions

    atomiques

    qui forment un fondement

    infaillible pour

    la science,

    et

    en second lieu,

    le

    prsuppos selon lequel

    les diverses

    fonctions

    du

    langage peuvent

    tre

    limites

    l assertion

    catgorique,

    susceptible

    d tre analyse

    en

    termes

    de fonctions de

    vrit.

    Au cours de la

    mme priode, Quine

    a attir l attention

    sur

    la faiblesse de la distinction, hrite de la

    tradition

    kantienne, entre

    les jugements

    analytiques et

    les jugements

    synthtiques.

    C est

    sur cette

    distinction

    qu tait base la diffrence

    entre le formel et le

    factuel,

    diffrence qui tait cruciale pour la thorie

    positiviste de

    la

    science.

    Quine montre qu il y a un

    continu de

    relations

    possibles

    entre

    langue

    et

    exprience

    ;

    ainsi,

    la

    relation

    entre

    l analytique

    et

    le

    synthtique est un spectre

    dans

    lequel il

    n y

    a pas

    de

    position

    privilgie

    o une

    distinction radicale

    et

    nette pourrait tre

    faite.

    Examinons finalement l attaque contre

    le

    fondationnalisme qui

    s est

    dveloppe vers

    la

    fin

    des annes cinquante,

    chez ces philosophes

    des sciences qui sont

    devenus

    plus conscients des

    aspects

    diachroniques

    de la

    science

    et de la faon

    dont

    les hommes de

    science

    travaillent

    effectivement. Je voudrais

    m

    tendre un peu plus longuement

    sur

    quatre moments dans cette

    attaque,

    en

    associant

    chacun d eux avec

    le

    nom

    d un

    philosophe.

    Je

    dois videmment

    simplifier,

    afin

    de

    mettre

    un peu d ordre

    dans ce

    qui est

    tout

    de mme

    devenu

    une trs

    vaste

    littrature. Il y a d abord deux ouvrages,

    Patterns

    of Discovery de

    N. E.

    Hanson

    et Personal Knowledge de

    Michael

    Polanyi, tous les

    deux

    de

    1958,

    dans lesquels la

    distinction

    radicale que les

    philosophes

    positivistes

    avaient

    introduite

    entre termes

    thoriques

    et termes

    observationnels

    se

    trouve rejete.

    Il

    faut

    se

    souvenir que cette

    distinction tait la base de tout

    le

    programme fondationnahste.

    En effet, s il n y a pas de phrases telles que les Protokolls tze,

    employant

    uniquement

    des

    termes

    observationnels dont la

    signif icat ion

    peut

    tre

    obtenue

    de

    faon pr-scientifique,

    il

    n y

    a

    pas

    moyen

    d attribuer

    l entreprise

    inductiviste la signification fondationnaliste

    que les positivistes lui avaient accorde. A partir de

    l analogie

    tire

    de la

    Gestaltpsychologie,

    Hanson

    et Polanyi

    soutiennent

    que

    les

    rapports

    d observation

    doivent ncessairement tre dtermins

    par

    le

    schma conceptuel de l observateur, et qu ils

    sont,

    ds

    lors,

    pour

    employer un clich

    plus tardif,

    theory-laden

    ,

    c est--dire

    chargs

    de thorie. Il n y a

    pas

    de

    langage

    observationnel qui

    soit

    absolument

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    13/23

    Le dclin du fondationnalisme 245

    neutre; il

    n y

    a pas de rgles de correspondance pr-thoriques. Il

    n y

    a

    d ailleurs

    pas

    de

    donnes

    sensorielles

    au

    sens

    de

    donnes

    auxquelles

    l observateur n aurait pas

    de quelque faon contribu.

    videmment, Kant avait dj insist

    sur

    ce point, mais le mrite de Hanson

    et de Polanyi

    fut prcisment de se

    baser

    sur

    une foule d exemples,

    emprunts la

    pratique

    scientifique. Et contrairement Kant, ils

    ont soutenu que la contribution de

    l observateur

    n est pas quelque

    chose de fixe,

    un

    lment invariable,

    un

    groupe de catgories de

    l entendement

    fixes une fois pour

    toutes. Il

    s agit

    plutt de quelque

    chose

    qui est

    conditionn culturellement

    et historiquement; en

    particulier

    la contribution de

    l observateur

    est

    fonction

    de toute

    l histoire

    de

    la

    recherche

    scientifique dans

    le

    domaine

    o

    les

    observations

    sont

    faites. A la suite de Wittgenstein, Hanson note que lorsque nous

    voyons quelque chose,

    nous

    voyons

    toujours

    cela

    comme

    quelque

    chose ; les catgories

    disponibles influencent

    d une faon ou de l autre

    la

    manire

    dont nous

    rapportons

    ce que nous observons, et mme ce

    que nos instruments mesurent.

    La

    seconde

    vague d attaque fut lance par

    Kuhn

    dans son

    remarquable

    livre,

    The

    Structure of

    Scientific

    Revolutions,

    assurment

    le livre le plus important que ce mouvement (si

    on

    peut l appeler ainsi)

    ait

    produit.

    Kuhn

    soutient

    que

    les

    modles

    logiques

    que

    les

    positivistes

    invoquent comme

    modes

    de

    validation

    en science ne

    sont

    valables

    que

    pendant

    les

    priodes

    de

    science

    normale

    ,

    c est--dire

    pendant

    les

    priodes

    marques par l acceptation

    gnrale

    d un

    paradigme .

    Un paradigme

    est

    dfini par

    lui, de

    faon assez large, comme un

    idal commun

    d explication, un

    groupe de formes symboliques,

    un

    modle

    thorique, un groupe de mthodes pour la solution de problmes,

    employes

    dans la

    formation

    des

    tudiants.

    Pendant les

    priodes qu il

    appelle

    priodes

    de rvolution

    ,

    il

    y a

    par contre un

    nombre vari

    de paradigmes en comptition. Et

    il

    n y

    a pas de

    structures

    logiques

    ou

    mthodologiques

    dans

    les

    termes

    desquelles

    on

    pourrait

    obtenir

    l assentiment l un ou

    l autre

    de

    ces paradigmes.

    Ainsi, le choix de

    l un ou l autre paradigme est en

    dernire

    instance une question

    d engagement

    personnel, impliquant des systmes de

    valeurs

    mdiatiss

    par les

    diffrents

    groupes sociaux auxquels l homme de

    science

    appartient.

    Le

    plus important

    de ceux-ci est videmment

    le

    groupe

    de ses

    pairs, forms comme lui

    la

    recherche scientifique,

    mais

    l influence d autres groupes

    et

    de leurs systmes de valeurs ne peut

    tre nglige.

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    14/23

    246

    Ernan

    McMullin

    Le passage d un paradigme

    un autre,

    qui constitue

    une

    rvolution scientifique

    dans

    le

    sens

    que

    Kuhn accorde

    ce mot,

    ne

    saurait

    donc

    tre

    dcrit ou jug

    en

    termes purement

    logiques.

    S il

    faut choisir

    une

    analogie,

    il

    faut la

    chercher

    du ct de la Gestalt-

    theorie,

    ou

    mme

    de la conversion

    religieuse,

    dans laquelle une faon

    de voir est tout coup remplace par une

    autre.

    Il n y

    a donc pas de

    squences

    de

    modifications lgres dont chacune

    serait

    explicable

    en

    fonction

    de ce qui la prcde, mais plutt une mutation subite

    et

    massive.

    Aprs

    une telle

    mutation,

    survient une nouvelle

    priode

    de

    science

    normale

    ,

    pendant laquelle

    les

    critres

    de logicalit

    sont

    de

    nouveau en

    vigueur,

    mais videmment

    pas

    la manire qu ont

    suppose

    les

    positivistes,

    puisqu une

    autre

    rvolution viendra

    un

    jour

    balayer

    les

    structures thoriques

    qui ont rendu possible

    cette

    tape

    particulire de

    logicalit. Il

    faut noter que

    Kuhn

    parle dans une

    perspective qui est la fois

    historique

    et

    sociologique;

    s il a raison,

    on ne saurait

    poursuivre

    la philosophie des

    sciences

    sans tenir compte

    de l histoire des sciences et de la sociologie des hommes de

    science.

    Dans leur poursuite de la

    logicalit, les

    membres

    du

    Cercle de

    Vienne

    avaient formul une

    distinction nette

    entre

    le contexte

    de

    la

    dcouverte et celui de la validation,

    et

    ils

    taient

    d avis que seules

    les

    structures

    logiques

    intemporelles

    de validation

    intressent

    le

    philosophe

    ;

    ils

    laissaient

    les

    contingences temporelles

    des dcouvertes,

    avec quelque ddain,

    l historien, au

    psychologue

    et

    au sociologue.

    Kuhn

    rejette cette ide, comme

    l auraient

    d ailleurs

    fait

    un certain

    nombre de

    thoriciens

    de la science (y compris d ailleurs Mach

    lui-

    mme) au

    xixe

    sicle.

    Sa

    description des rvolutions scientifiques

    est

    base sur

    une

    recherche historique de ce

    qui

    se

    passe

    en fait

    dans

    la

    science, et

    sur les critres qui semblent avoir gouvern les

    changements

    thoriques qui ont t les plus importants dans la

    formation

    de la

    science, telle que nous la

    connaissons.

    C est l

    qu est

    la science,

    non

    pas

    telle qu elle aurait pu tre

    ou

    devrait tre, mais telle

    qu elle

    est.

    D autre

    part,

    Kuhn

    insiste

    sur

    le

    fait

    que

    la

    science est

    le

    travail

    d un groupe social assez

    spcial,

    dot

    d une

    structure communautaire

    trs complexe.

    L adoption

    d un nouveau

    paradigme quivaut une

    restructuration des engagements sociaux, et ne peut tre

    comprise

    sans rfrence

    une diversit

    de

    facteurs psychologiques,

    sociologiques

    aussi bien

    que logiques, qui sont impliqus dans une telle

    restructuration

    Il y

    a une similarit entre l approche

    sociologique de

    Kuhn et

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    15/23

    Le

    dclin du fondationnalisme

    247

    celle des thoriciens no-marxistes. Mais

    il y

    a

    aussi

    des diffrences

    importantes.

    Kuhn

    ne

    s intresse

    pas

    aux

    facteurs

    socio-conomiques

    et il rejetterait

    de plus

    l explication positiviste

    de Habermas

    selon

    laquelle

    un intrt pratique est suppos jouer un

    rle dterminant

    dans les sciences naturelles.

    Il

    ne

    dit

    videmment pas que les

    facteurs

    conomiques et pratiques

    n ont aucun rle

    jouer

    dans

    l histoire

    des

    sciences. Mais ce qu il affirme, c est d abord qu il

    n y

    a aucune raison

    de supposer que

    l influence

    de

    tels

    facteurs rendrait la

    science

    meilleure,

    c est ensuite

    qu il est

    possible d isoler

    et

    finalement d liminer les

    facteurs conomiques.

    Il nie que la

    notion

    d intrt

    pratique puisse

    expliquer ce qui arrive

    dans

    une rvolution scientifique. Lorsqu il

    fait

    allusion

    la

    dimension

    sociale

    de

    la

    science,

    il

    a

    en

    vue

    les groupes

    l intrieur desquels l homme de science est form comme homme de

    science.

    Ce que lui et Polanyi

    affirment,

    c est que les techniques de

    reconnaissance, assurant la dcouverte d intelligibilit, s acquirent

    non pas en lisant des livres

    ou

    en

    suivant

    des

    rgles logiques

    de

    procdure,

    mais

    en

    travaillant l intrieur d un groupe et

    en

    observant

    ce que font les autres. Il est de la plus

    haute

    importance de

    voir que

    le succs des mthodes

    d observation

    d un groupe est constamment

    mis l preuve ; ces mthodes ne sont pas fixes. Elles changent,

    non

    pas

    d une faon

    arbitraire,

    mais en rponse

    des

    normes

    intrinsques

    de

    succs

    qui

    peuvent d ailleurs

    tre

    partiellement

    explicites.

    Une

    troisime tape dans la critique du fondationnalisme

    est

    reprsente

    par

    le

    travail

    de Stephen Toulmin, plus spcialement

    par

    son

    livre

    Human

    Understanding.

    Tout

    comme Kant,

    Toulmin

    interroge

    l histoire des sciences pour

    y

    trouver des

    modles

    caractristiques de

    rationalit ;

    comme

    lui,

    il souligne

    le fait

    que la

    science

    est

    le

    produit

    d une

    profession particulire dont

    il

    compare le rle celui du juge

    par

    rapport la loi constitutionnelle. Mais

    il

    rejette la distinction

    entre

    science

    normale et

    science

    rvolutionnaire

    ,

    et prfre parler

    d un

    mouvement plus

    ou

    moins

    continu

    de

    transformation

    des

    concepts.

    Ceci

    l amne adopter

    une

    thorie de l volution

    conceptuelle

    qui

    est

    modele sur la thorie biologique de l volution, et dans laquelle les

    units de variation sont

    des

    concepts individuels et

    non des thories

    ou des

    paradigmes.

    Depuis la

    publication

    de

    son

    livre, la

    validit

    de

    sa mtaphore volutionniste a

    t

    fort discute. Ce qui nous intresse

    ici,

    c est de savoir dans quelle mesure nous nous

    sommes

    loigns de

    la thorie fondationnaliste, si les concepts sont de fait

    impliqus

    dans

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    16/23

    248

    Ernan

    McMullin

    un dplacement continuel. Si tel tait le cas,

    il

    ne serait plus possible

    de

    soutenir

    une proposition

    rellement

    fondationnaliste.

    Toulmin

    est

    d avis

    que nous

    jugeons la rationalit de la

    conduite

    d un homme

    non

    pas en fonction de la cohrence de ses croyances et de ses pratiques

    habituelles,

    mais

    plutt en

    fonction de

    la manire

    dont il

    change

    celles-ci

    par

    rapport une situation

    nouvelle et

    imprvue.

    De

    la

    mme

    faon, dit-il, nous ne pouvons pas

    chercher

    les

    structures

    de la

    rationalit scientifique

    dans

    les

    oprations journalires

    de la

    science,

    mais dans les moments de difficult

    ou

    de

    dplacement

    conceptuel.

    Et

    ces

    moments-l, selon

    lui,

    les critres

    logiques

    sont inutiles.

    Kuhn veut

    bien

    accorder

    une place

    l analyse

    logique dans

    sa

    comprhension

    de

    ce

    qui

    se

    passe

    dans

    la

    science

    normale

    ,

    mais

    Toulmin

    n accepte pas cela,

    puisque,

    pour lui, les

    structures

    primaires

    de la

    mthode

    scientifique n entrent en jeu que

    dans les processus

    qui

    mnent

    des changements conceptuels. Et puisque l application

    des

    critres logiques prsuppose une

    stabilit

    conceptuelle, ces critres

    n ont

    aucune

    importance pour

    la science en tant que

    telle.

    La

    consol idat ion des nouveaux concepts demande de

    nouvelles

    procdures, qui

    ne peuvent tre

    exprimes

    que d une faon non formelle. Aussi l analyse

    formelle ne peut-elle jamais

    nous dire en

    quoi consiste la rationalit

    de la science.

    Bien

    que Toulmin nie que le changement conceptuel,

    qu il

    aperoit

    au

    cur

    de

    la

    science,

    soit

    de

    nature logique,

    il

    affirme

    nanmoins

    qu il est

    rationnel.

    En effet,

    c est

    dans

    de tels changements,

    quelque

    rapides ou

    apparemment rvolutionnaires

    qu ils

    puissent

    paratre, que la

    rationalit

    de l homme se

    montre

    clairement. Ce que

    nous

    attendons maintenant de

    Toulmin,

    c est

    une

    description plus

    pousse

    de cette rationalit non

    logique

    qui

    permet

    au scientifique

    d valuer ses concepts et d en choisir une variante plutt

    qu une

    autre.

    Ceci

    sera le

    thme

    du

    second

    volume de la

    trilogie qu il nous

    promet.

    Il

    me semble que la dichotomie qu il introduit entre les

    aspects diachroniques de la

    science

    (dans lesquels la

    rationalit se

    manifeste)

    et

    les

    analyses

    synchroniques

    et

    statiques

    du logicien

    (que

    Toulmin a tendance sous-estimer) est trop nette.

    La quatrime,

    et de loin

    la plus extrme des critiques du

    fondationnalisme et de toute la thorie classique de la science (aux

    tats-Unis,

    bien entendu),

    nous vient de Feyerabend. Dans une srie

    d essais, crits

    au cours

    de

    ces dix dernires annes, il

    s est

    loign

    de plus en plus de sa

    position empiriste

    du

    dbut. Sa

    premire cible

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    17/23

    Le dclin du fondationnalisme 249

    a t la rduction de l explication scientifique la prdiction, selon

    le

    schma

    que

    Hempel

    et

    Oppenheim

    ont

    propos

    dans

    les

    annes

    quarante.

    Ce modle dductiviste d explication a

    t

    considr

    comme

    un

    des plus beaux rsultats de la

    mthodologie

    positiviste.

    De

    faon

    plus gnrale,

    Feyerabend

    s est oppos

    au

    prsuppos de base du

    positivisme

    selon lequel

    des

    thories comptitives peuvent toujours

    tre

    compares formellement,

    de

    telle sorte que l on puisse aboutir

    accepter l une

    et

    rejeter

    l autre. En fait, il

    a insist ( la suite de

    Popper) sur

    l ide

    selon laquelle il est dsirable qu aucune

    thorie,

    aucune science normale la manire de Kuhn, ne

    puisse

    prendre

    possession d un

    domaine

    ; plusieurs possibilits

    doivent tre

    maintenues

    en

    mme

    temps,

    de

    faon

    telle

    que

    toute

    possibilit d ouverture

    soit essaye, toute configuration mise

    l preuve.

    La mise l preuve

    ne consiste

    jamais

    comparer une thorie avec une exprience, mais

    plutt

    voir

    comment se comportent plusieurs thories

    qui sont

    mutuellement incompatibles sans

    qu aucune d elles

    ne

    puisse

    rendre

    compte

    de tous les faits.

    A

    l encontre de la thorie fondationnaliste,

    il soutient

    qu une

    thorie scientifique est une faon de regarder le monde; ce n est pas

    une faon

    de

    mettre en ordre un ensemble

    de donnes.

    Puisque

    les

    thories que nous

    dfendons ont

    une influence

    sur nos croyances

    et

    nos esprances,

    elles tendent

    modeler

    notre

    exprience,

    et

    par

    consquent

    les faits eux-mmes

    qui sont l expression conceptuelle

    de

    notre exprience.

    Il

    s ensuit que

    la supposition

    selon laquelle

    les

    termes

    employs

    dans les rapports

    d observation ont une signification

    invariante,

    est

    compltement

    errone. Il

    n y

    a pas

    d ensemble neutre

    de faits ou de rapports

    d observation

    qu une thorie ou

    l autre

    pourrait expliquer. Les

    logicistes

    ont toujours cru que tout ce qu on

    doit connatre pour

    expliquer la nature de la corroboration scientifique

    est ceci

    : quelle est la thorie qui explique le mieux tel ensemble de

    faits

    ou de donnes ? Mais si

    l ensemble

    de

    faits

    en question n est pas

    donn,

    mais dpend du contexte

    thorique

    l intrieur duquel il a

    t formul, que s ensuit-il ?

    Il s ensuit,

    semble-t-il, que

    des

    thories

    comptitives sont incommensurables; il

    n y

    a pas

    moyen de les

    comparer directement

    et

    logiquement les unes avec les autres. Et

    qui plus est, l exigence

    selon

    laquelle une thorie doit tre en accord

    de cohrence avec

    les

    thories qui

    taient antrieurement

    valables

    dans le

    mme

    domaine, ne saurait tre

    remplie, pour

    la

    mme

    raison.

    Ainsi,

    la recherche

    d une logique inductive susceptible de

    mener,

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    18/23

    250

    Ernan

    McMullin

    d une faon

    acceptable,

    des gnralisations de plus en plus larges,

    est

    voue

    l chec.

    Feyerabend

    conclut

    que nous devons

    abandonner

    l ide que

    les

    thories peuvent tre tablies

    par l exprience.

    Dans la mesure

    o

    elles vont au-del des

    faits

    qui sont

    avancs

    pour les

    soutenir

    (comme

    doivent le faire toutes les

    thories), il

    n y

    a pas d autre

    moyen

    que des

    moyens psychologiques pour tablir

    l accord. Pour soutenir

    cette

    thse, Feyerabend a prsent une

    analyse

    dtaille et trs

    controverse

    du

    succs

    avec lequel

    Galile

    a dfendu la thorie copernicienne.

    Selon

    lui,

    Galile n a pas tabli le

    nouveau

    systme,

    comme la thorie

    positiviste

    de

    la

    science

    pourrait nous

    le

    donner croire. En effet,

    le

    systme

    copernicien

    tait

    en

    dsaccord

    avec

    les

    faits

    plusieurs points

    de vue. Des thories adquates du tlescope

    et

    de la vision auraient

    t ncessaires pour

    le

    protger contre

    les

    critiques aristotliciennes,

    et de telles thories n taient pas disponibles.

    Il

    ne pouvait pas faire

    appel, contre la thorie rivale,

    des

    succs

    dcisifs

    en

    matire

    de

    prdiction.

    Ds

    lors,

    toujours

    selon

    Feyerabend, Galile

    ne pouvait

    que se rabattre sur la propagande.

    Il

    devait persuader les gens de

    voir

    le

    monde

    diffremment,

    sans pour autant se rendre

    compte

    qu ils

    le voyaient

    diffremment.

    Il

    devait

    tablir des

    connexions

    fausses

    entre thories, qui

    auraient pu

    facilement tre rfutes, et dformer

    les

    faits

    en

    omettant des

    dtails

    qui

    allaient

    contre

    ses

    propres

    conceptions.

    En

    bref,

    il devait

    exploiter ce que

    Feyerabend

    appelle

    les prcieuses

    faiblesses

    de la pense humaine pour faire

    accepter

    la

    thorie

    copernicienne.

    C est son talent dans l art

    de la

    persuasion,

    son

    habilet

    rhtorique hors de

    pair,

    qui ont donn son uvre la

    signification minente qu elle a

    eue.

    Car, dit Feyerabend,

    la

    science,

    dans ses moments les plus hauts, est beaucoup plus

    prs

    de la

    posie

    que des ensembles

    logiques

    que les philosophes cherchent en elle.

    Ainsi, toute

    cette ide selon laquelle il y a

    quelque chose

    que l on

    peut appeler la mthode scientifique

    est, selon

    lui,

    un mythe

    dangereux.

    Faire appel

    une

    telle

    mthode,

    c est

    se

    donner

    un

    accs

    privilgi

    la vrit. Dans ses

    crits

    les

    plus

    rcents, dans lesquels

    l influence

    du

    no-marxisme allemand a commenc apparatre

    plus

    clairement,

    il voit

    dans

    une telle prtention un absolutisme qui diminue l homme,

    ses

    espoirs et

    ses potentialits. Et ainsi,

    il

    en vient

    s opposer aux

    experts

    ,

    que ce

    soit

    en matire politique, thologique ou scientifique,

    tous ceux qui croient que leur

    mthode

    est une

    mthode

    qui est

    capable

    d atteindre

    la

    vrit

    de manire objective.

    Contre

    eux,

    il

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    19/23

    Le dclin du fondationnalisme

    251

    proclame : il

    n y

    a pas de mthode, et il

    n y

    a pas

    d autorit.

    Et il

    attaque

    son ancien

    matre,

    Karl

    Popper,

    dont

    il

    avait

    jadis

    partag

    les conceptions objectivistes.

    Il

    reprsente la position qui

    est

    de loin

    la plus extrme

    parmi

    les critiques

    du

    fondationnalisme empiriste,

    position dont tous

    les

    autres

    critiques

    ont

    eu le

    souci

    de se dissocier.

    Cette

    position s appuie

    davantage sur

    une

    thorie de la libration de

    l homme que sur une

    analyse

    quilibre de la structure de la

    confirmation scientifique.

    3. Apprciations critiques

    O

    donc,

    finalement,

    la

    philosophie des sciences

    se trouve-t-elle

    maintenant ? Est-ce que le fondationnalisme a t abandonn ?

    Dans

    quelle mesure

    les

    philosophes sont -ils

    prts

    s orienter vers le ple

    subjectiviste

    ? Jusqu

    quel point

    les

    analyses

    du

    langage et

    de la

    pratique

    scientifique ont-elles modifi la

    notion

    classique d objectivit

    et de

    rationalit ? Je commencerai

    par quelques

    points qui font l objet

    d un accord gnral.

    La

    plupart

    des

    philosophes admettraient

    les

    trois thses que

    voici.

    1) Les faits,

    mme

    les faits

    scientifiques, sont relatifs au

    systme

    conceptuel utilis pour mettre en vidence leur

    articulation et

    sont

    ds

    lors

    susceptibles d tre

    rviss

    ds

    que

    ce

    systme doit

    tre

    modifi.

    Une

    interprtation strictement fondationnaliste

    de

    la science,

    qu elle

    soit intuitionniste ou

    empiriste, ne peut

    pas

    russir.

    2) L valuation des hypothses scientifiques, particulirement des

    thories d un haut degr de

    complexit, met

    en jeu un

    art

    de

    l apprciation qui

    suppose

    un long entranement et n est pas rductible

    des rgles formelles

    explicites

    d infrence. Ds

    lors,

    une

    reconstruction

    purement

    logique

    de la

    confirmation scientifique

    doit ncessairement

    tre incomplte.

    3) Des

    thories

    rivales peuvent tre incommensurables entre elles,

    soit

    parce

    que

    leurs systmes

    conceptuels

    respectifs ne

    se

    correspondent

    pas suffisamment

    pour rendre

    possible

    une

    comparaison

    directe,

    soit

    parce que les valeurs mthodologiques qui sont incorpores dans les

    thories

    en question ne

    sont pas

    les

    mmes,

    de telle

    sorte qu on

    ne

    dispose

    pas

    d une mthodologie neutre qui

    rendrait possible une

    comparaison entre

    elles.

    Comme

    on

    peut le voir,

    ces

    trois thses constituent des modifi-

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    20/23

    252 Ernan

    McMullin

    cations

    de

    la thorie

    classique de

    la

    science.

    Dans quelle mesure

    doivent-elles

    tre

    prises

    au

    srieux?

    Elles

    sont importantes,

    sans

    aucun

    doute, mais

    elles

    ne sont

    peut-tre

    pas

    aussi

    srieuses qu on

    l a parfois suggr.

    Je

    donnerai

    des arguments

    en faveur de

    ce

    que je

    viens d avancer,

    en suggrant trois

    autres thses,

    qui

    limiteront

    la

    porte

    des

    trois

    prcdentes.

    Ces nouvelles thses, je dois

    le

    prciser,

    ne rencontreraient pas le mme degr d accord.

    1)

    Mme s il est

    vrai

    que

    des

    hypothses thoriques sont

    impliques

    dans

    renonciation de n importe

    quel

    ensemble d observations, il n y a

    pourtant

    aucune

    circularit

    dans les dmarches

    qui

    consistent

    utiliser ces

    observations comme soutien d une thorie diffrente.

    Lorsqu une

    thorie

    est

    avance

    pour

    expliquer

    un

    ensemble

    de

    donnes,

    il n est pas vrai,

    en

    gnral, que cette thorie ait t

    implicitement prsuppose dans la formulation de ces donnes. Par exemple,

    la thorie

    cintique

    des gaz est

    fonde

    sur tout un ensemble de

    mesures

    concernant la longueur,

    le

    volume, la temprature et la masse. Ces

    mesures ne prsupposent

    pas

    elles-mmes la thorie cintique; les

    concepts de

    longueur,

    de volume, de temprature et de

    masse

    dpendent d une thorie mcanique

    plus

    gnrale, mais

    non

    de la thorie

    cintique

    elle-mme.

    De plus, mme

    lorsqu une thorie est prsuppose

    dans la

    formulation

    de certains rsultats exprimentaux,

    il

    est

    permis

    d utiliser ces rsultats

    comme soutien empirique

    de

    cette

    thorie

    elle-

    mme, sans pour

    autant

    introduire une circularit logique comme le

    prtend

    Feyerabend.

    Par

    exemple, certaines des

    mesures

    stronomiques

    invoques

    par Einstein comme soutien

    de la

    relativit

    gnrale

    exigent

    dj que

    l on dispose d une certaine thorie gnrale de la

    mesure

    au

    moment o

    on

    les tablit. Le dfi qui est adress n importe

    quelle thorie dans un cas

    de ce

    genre, c est

    de

    dterminer si l on

    peut

    former

    un ensemble cohrent

    en prsupposant la thorie

    lorsqu on

    interprte

    les mesures et en examinant ensuite si les

    donnes

    ainsi

    formules peuvent

    servir

    de soutien la thorie. Mme dans un tel

    cas, donc,

    les

    donnes

    d observation

    servent

    de

    fondement

    la

    thorie

    ;

    de mme, la thorie sert d explication aux faits.

    2) L infrence

    logique

    joue un rle indispensable dans la mise

    l preuve

    de la

    validit

    de

    n importe quelle thorie qui

    peut tre

    propose.

    Mme

    si la rationalit de la science

    n est

    pas rductible

    une rgle

    logique, les

    rgles logiques

    lui

    sont essentielles.

    Mme

    lorsque

    intervient un

    changement conceptuel, on doit

    utiliser

    des

    inferences logiques pour mettre l preuve les variantes conceptuelles

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    21/23

    Le dclin du fondationnalisme 253

    qui sont

    proposes.

    Toulmin

    essaie de

    sparer entirement

    la logique

    de

    la

    rationalit scientifique,

    en

    prtendant

    que

    cette

    rationalit

    apparat principalement dans les processus de changement conceptuel

    et que ces

    processus

    n obissent pas aux

    lois logiques.

    Le

    jugement

    port

    sur des

    modifications conceptuelles

    possibles est

    une

    partie du

    processus;

    avant qu une modification

    conceptuelle

    particulire

    puisse

    tre accepte comme de la bonne

    science, elle

    doit faire valoir

    ses titres.

    Et la

    manire

    dont

    on

    peut discerner ceux-ci met ncessairement en

    jeu une utilisation complexe

    de

    l infrence logique. La logique est donc

    une partie

    de la rationalit scientifique.

    3) Lorsqu on

    analyse

    les

    facteurs qui influent

    sur le jugement

    scientifique,

    autres

    que

    les

    facteurs

    logiques,

    on

    en

    dcouvre

    deux

    espces qui ont conduit des auteurs comme

    Feyerabend

    soutenir que,

    en dpit des

    apparences,

    la

    science

    est une affaire

    irrductiblement

    subjective, un domaine d engagement personnel

    plutt

    que

    de

    normes

    objectives. D abord,

    il

    y a les influences qui interviennent dans la

    formation

    des

    jeunes scientifiques, les critres implicites de

    jugement

    que ceux-ci apprennent

    de

    leur groupe

    de

    pairs, et

    de l acceptation

    desquels

    dpend

    leur carrire professionnelle. En second lieu, il y a

    les croyances

    trs

    gnrales

    que tous

    les

    scientifiques entretiennent

    au sujet du monde, et qui drivent de sources autres

    que

    la

    science;

    il

    suffit

    de

    regarder

    l histoire

    de

    la

    science

    pour

    voir

    combien

    la

    mtaphysique, la thologie et l thique ont jou un rle important

    dans la

    formation

    des critres d intelligibilit

    utiliss par

    les

    scientifiques dans le cours de leurs

    travaux.

    Bien qu il y ait

    beaucoup

    dire

    propos de ces deux

    espces

    de facteurs, il nous suffira

    ici

    de

    faire

    seulement

    un

    commentaire

    leur sujet. Le succs long terme de la

    science

    dpend

    de

    certains

    cts facilement

    exprimentables

    de

    la

    thorie scientifique, la prdiction couronne de

    succs par

    exemple,

    la cohrence logique, la capacit de traiter des anomalies inattendues,

    la capacit de se prter

    des gnralisations,

    et ainsi de suite. Ces

    traits

    servent

    de

    contraintes

    pour

    la

    subjectivit. Voici

    ce

    que

    je

    veux

    dire : dans la mesure

    o

    les valeurs que le scientifique apprend

    de ses

    pairs,

    ou

    bien

    dans

    la mesure o les thories

    gnrales

    qu il a

    propos du monde

    manquent d objectivit et

    ne

    sont pas

    en

    harmonie

    avec les

    structures

    de l ordre rel, ce manque de correspondance tendra

    se

    manifester

    mesure

    que

    le temps passera,

    et

    conduira

    des

    modifications de la technique ou des croyances

    mtaphysiques.

    Au

    contraire, dans la mesure o

    elles

    rendent le travail

    du

    scientifique

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    22/23

    254 Ernan McMullin

    plus

    fructueux,

    de la manire qui a

    t mentionne, il

    est

    vraisemblable

    qu elles

    seront renforces.

    voquons enfin

    encore un point,

    davantage

    sujet

    controverse.

    Au

    xixe sicle,

    on croyait

    presque

    universellement que les

    modles

    et

    les thories de la

    science

    nous

    font

    approcher de

    plus

    en

    plus

    de la

    nature intime de la ralit. Bien que toute thorie

    puisse

    tre

    remplace par une autre,

    on

    faisait l hypothse que, d une

    manire

    ou

    d une

    autre,

    la

    nouvelle

    thorie

    reprend

    en

    elle

    la prcdente,

    qu il y

    a pour

    ainsi dire une

    convergence constante. Peut-on donc parler du

    progrs de la science, non simplement au sens d une

    accumulation

    de

    donnes, mais

    au

    sens

    d une

    saisie

    de plus

    en

    plus

    profonde du

    monde physique ? Quelles

    sont,

    ce propos, les implications

    des

    attaques

    diriges contre

    le fondationnalisme,

    que

    nous

    avons

    voques ?

    Il

    parat certain qu elles

    soulvent certaines questions difficiles pour

    la thorie de la

    convergence. Kuhn

    et Feyerabend ont soutenu que

    ces

    critiques

    rfutent la thorie

    de

    la convergence; ils

    affirment

    que

    les discontinuits dans

    l histoire

    de la science

    sont trop abruptes et

    que les moyens utiliss pour crer

    l accord

    sont subjectifs. Pour

    pouvoir

    dire que la thorie approche

    le

    rel et que la correspondance

    est rendue plus parfaite mesure que le temps passe,

    il

    faudrait

    supposer une

    certaine continuit

    entre

    une

    thorie

    et

    celle

    qui

    la

    suit. Mais

    une telle

    continuit

    existe-t-elle

    ?

    N est-il pas

    vrai

    que

    la

    thorie antrieure

    est

    falsifie

    par

    la thorie

    nouvelle

    ? Dans quelle

    mesure un

    modle

    peut-il continuer tre accept une fois qu il ne

    sert plus

    orienter la

    recherche

    ?

    Seule une analyse mticuleuse

    de

    l histoire de la science peut nous

    permettre

    de rpondre

    ces

    questions.

    Ceux

    qui s occupent

    de

    philosophie

    des

    sciences

    consacrent

    de

    grands

    efforts l tude de ce

    problme

    et de problmes

    similaires.

    Mais

    il

    est

    clair

    qu il reste

    beaucoup

    de travail

    faire.

    On

    aura vu,

    je

    l espre,

    combien

    les rapports

    entre la philosophie

    des

    sciences

    et

    l histoire

    des sciences

    ont

    t

    fructueux

    au

    cours

    des

    rcentes dcennies et quelle

    profonde

    influence

    ils

    ont

    eue

    dans la

    modification des

    vues traditionnelles quant la

    nature

    de la

    science.

    Je pense que nous ne

    sommes

    encore

    qu au

    commencement.

    Notre

    Dame

    University,

    Ernan McMullin.

    Notre

    Dame, Indiana 46556,

    tats-Unis d Amrique.

  • 7/26/2019 Dclin Du Fondement

    23/23

    Le dclin du fondationnalisme 255

    Rsum.

    La critique se fait de plus en plus vive

    l gard

    du

    fondationnalisme,

    qui tient que

    toute assertion

    vraiment scientifique

    doit reposer

    sur

    un

    fondement

    inbranlable.

    L A.

    passe

    en

    revue les

    trois formes classiques de

    fondationnalisme,

    intuitionniste (Aristote),

    empiriste

    (Locke

    et Hume) et subjectiviste (Kant) avant d en venir

    aux

    critiques qui

    commencent

    au xixe

    sicle

    et qui occupent

    actuellement

    une place

    trs

    importante

    dans la

    philosophie

    des

    sciences aux

    tats-Unis. Elles s accordent pour dire qu il

    n y

    a pas de fondement

    inbranlable,

    et donc

    pas

    de fondement

    au sens

    propre.

    Aprs

    avoir

    montr

    comment le positivisme

    logique tait

    fondationnaliste

    et

    comment Wittgenstein et

    Quine

    ont contribu

    ces

    critiques, l A.

    tudie plus particulirement celles de N. R.

    Hanson,

    M. Polanyi,

    Kuhn, S.

    Toulmin et Feyerabend pour

    en tirer

    quelques conclusions

    sur

    l tat

    prsent

    de

    la philosophie

    des sciences.

    Abstract.

    Criticism is growing ever stronger against Foun-

    dationalism,

    which

    asserts that

    every truly scientific

    assertion must

    rest

    on

    an unshakeable foundation. The A. goes

    over

    the

    three

    classical

    forms

    of Foundationalism intuitional (Aristotle), empiricist

    (Locke and Hume) and subjectivist

    (Kant)

    before coming to

    those

    criticisms which start

    in

    the

    nineteenth

    century

    and

    which occupy

    at

    present a very important position in the philosophy of

    science

    in the

    U.S.A.

    These criticisms agree that

    there

    is

    no

    unshakeable

    foundation,

    and therefore no foundation in

    the proper meaning

    of

    the word.

    Having shown how logical positivism was Foundationalist and how

    Wittgenstein

    and

    Quine

    contributed

    to

    these

    criticisms,

    the A.

    studies

    more

    particularly

    the criticisms

    of

    N.

    R. Hanson, M. Polanyi, Kuhn,

    S.

    Toulmin and

    Feyerabend with a

    view to drawing

    certain conclusions

    in regard to the

    present

    state of the philosophy of

    science. (Transi,

    by J. Dudley).