la scene n°79 dossier les etudes de publics expertise gece

5
ERIC DEGUIN The Shoes à Scopitone Les études de publics Dossier coordonné par Cyrille Planson. Avec Marie-Agnès Joubert et Tiphaine Le Roy. Quelles sont les méthodes mises en œuvre par les sociétés spécialisées ? Comment réussir à exploiter une étude auprès des élus ? Comment traduire les conclusions d'une enquête en actions concrètes ? Quelle est la plus-value des études encadrées par l'université ?

Upload: institut-de-sondages

Post on 16-Apr-2017

258 views

Category:

Social Media


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La scene n°79 dossier les etudes de publics expertise GECE

ER

IC D

EGU

IN

The Shoes à Scopitone

Les études de publics

Dossier coordonné par Cyrille Planson. Avec Marie-AgnèsJoubert et TiphaineLe Roy.

Quelles sont les méthodes mises en œuvre par les sociétés spécialisées ? Comment réussir à exploiter une étude auprès des élus ? Comment traduire les conclusionsd'une enquête en actions concrètes ? Quelle est la plus-value des études encadrées par l'université ?

Page 2: La scene n°79 dossier les etudes de publics expertise GECE

Bertrand Davenel, responsable des relationsavec les publicsdu Merlan, scène nationalede Marseille«Cette étude a conforté la vision quenous avionsde notre public.»

C ’est un papier quel’on distribue à lasortie d’un théâtreou d’un festival, un

e-mail que l’on reçoit après avoiracheté une place sur la billetterieen ligne d’un établissement. Si certains spectateurs l’oublientdans leur poche ou dans les tré-fonds d’une boîte e-mail débor-dant de sollicitations, beaucoupaussi prennent le temps de répondre à ces études menéessur les publics. Quantitatives ouqualitatives, réalisées en interneou confiées à un prestataire extérieur, telles une boussoleelles indiquent aux structuresune inflexion à prendre, un capà garder. Le Chabada, scène de musiques actuelles d’Angers(SMAC), a réalisé une enquête

sur ses publics l’an dernier avecle cabinet d’études et de son-dages GECE. 1 538 personnes yont répondu. «C’était une périodequi coïncidait avec les 20 ans du Chabada, la nouvelle délégationde service public et la mise en placed’un agenda 21, ils nous semblaitimportant de savoir avec plus de pré-cision de qui l’on parlait lorsque l’onévoque nos publics, estime Fran-çois Delaunay, directeur de laSMAC. Globalement, il n’y a pas dedéphasage entre les résultats que j’enattendais et les résultats avérés.C’est d’abord un outil sociologiquecela permet aussi de justifier auprèsdes tutelles le “pourquoi“ des axesque l’on met en avant.» À Marseille,la scène nationale Le Merlan a réalisé la même année uneétude en interne sur quatre spec-

78 I HIVER 2015 I LA SCÈNE

tacles entre avril et juin et auprèsde 316 spectateurs ; soit sur14,75% des spectateurs concernéspar ces représentations. Pourl’équipe, il s’agissait d’avoir unaperçu de la manière dont le pu-blic s’appropriait le lieu aprèsMarseille-Provence 2013, une an-née foisonnante en événementspendant laquelle les propositionsdu Merlan avaient eu lieu prin-cipalement hors les murs. «Cetteétude a conforté la vision que nousavions de notre public, considèreBertrand Davenel, responsabledes relations avec les publics duMerlan. Nous avons eu confirma-tion que nous touchions un publicde proximité, des quartiers nord deMarseille, et relativement jeune.»

Interroger ses méthodesCes enquêtes sont également unmoyen de questionner certainespratiques. «Cela nous a permis deretravailler les tarifs avec la nouvelledirection [Francesca Poloniato,NDLR]. Nous avons ainsi fait bais-ser le tarif plein à 15 !», indiqueChristopher Marc, responsablede la communication du Merlan,insistant sur les nombreux tarifsréduits proposés en parallèle. AuChabada, l’étude a pu montrerque les concerts gratuits sur lesdécouvertes bénéficiaient avanttout à un public déjà coutumierde la programmation payante. «À l’inverse, certaines têtes d’affiche,comme Nekfeu cette saison, attirentun public qui ne vient pas habituel-lement, souligne François Delau-nay. Notre petite déception à la

Les structures menant des études sur leurs publics peuvent être confortées dans leurs pratiques. Mais les résultats surprennent parfois et amènent les équipes à adapter certains axes de travail aux usages des spectateurs.

AN

TOIN

E IC

AR

D

Enquêter pour ajuster des pratiques

Le public des Liaisons dangereuses sur terrain multisports, de la compagnie En rang d’Oignon, étudié pour l’enquête réalisée par Le Merlan, scène nationale de Marseille.

D. R

.

Page 3: La scene n°79 dossier les etudes de publics expertise GECE

LA SCÈNE I HIVER 2015 I 79

Virginie de Crozé, directrice de lacommunicationet des relationsavec le public du Festival d'Avignon«Notre com-munication apris un vérita-ble virage numérique etnous voulionsquestionnerles usages denos supportspapiers et Web.»

D. R

.

lecture de cette étude a été de voirque nous touchions moins d’étu-diants que nous le pensions. Ilsconstituent environ 20% de notrepublic, c’est mieux que la moyennenationale mais cela nous a surpris.Ceci dit, quand nous avons ouvertla salle il y a 20 ans, notre publicavait déjà 20 à 25 ans, il est normalque notre fréquentation suive cetteévolution. Nos publics des débuts,ce sont des gens qui écoutent tou-jours de la musique !» Pour les éta-blissements, une étude permetdonc parfois de réajuster un axe.Elle peut être suivie d’une vo-lonté de questionner plus en dé-tail certains points. «Cette étudeétait assez lourde et étudiait aussiles habitudes culturelles en généralde nos spectateurs. Je pense qu’il estpossible aussi de faire des études pluslégères tous les cinq à dix ans, pourétudier l’évolution du comportementdes publics», estime le directeurdu Chabada. Au Merlan, uneétude va être engagée avecl’École des hautes études ensciences sociales de Marseille au-près d’un panel resserré de spec-tateurs. «Nous avons mis en placeun carte appelée “carte d’embarque-ment” qui permet d'avoir accès à untarif très bas pour des places non no-minatives. Notre idée est de basernotre enquête sur le public qui achètecette carte, afin de mieux connaîtreces spectateurs fidèles», préciseChristopher Marc.

Apprendre de sespropres pratiquesLe Festival d’Avignon en est à cette phase d’approfondisse-ment de la connaissance de sonpublic. Après une étude globalemenée en 2014, l’équipe a recen-tré l’enquête sur sa communica-tion à l’occasion de l’édition 2015.«Notre communication a pris un vé-ritable virage numérique et nousvoulions questionner les usages denos supports papiers et Web», re-lève Virginie de Crozé, directrice de la communication et des rela-tions avec le public du Festivald’Avignon. Il en ressort que le«print» est loin d’être obsolète.«Le programme papier demeure un pivot de notre communication,c’est un outil pratique qui offre aussiun contenu qualitatif. Mais c’étaitune surprise de constater l’attache-ment et, surtout, la nécessité pourle public de l’avant-programme quenous diffusons fin mars, au momentde la conférence de presse du Festi-val. Nous en retenons que le publicse sent pleinement festivalier à partirdu moment où il prépare sa venueet projette sa participation au Festi-val.»

Les outils numériques n’ensont pas pour autant délaissésdes spectateurs, au contraire,mais ils interviennent plutôt encomplémentarité du «papier».C’est dans cette optique de mieuxconnaître ces usages encore assez

peu étudiés que le Festival d’Avi-gnon s’est lancé, cette année éga-lement, dans un programmescientifique avec le Festival de Cannes, Les Trans Musicales à Rennes, le Festival Lumière à Lyon et les Vieilles Charrues à Carhaix, le Centre Norbert Elias de l’Université d’Avignonet l’Agence nationale de la Recherche. Ce projet intituléGaFes - Galerie de festivals a pourambition d’étudier l’activité nu-mérique des festivaliers et d’ana-lyser les comportements bien spécifiques à chacune de ces ma-nifestations. Son originalité estd’associer sociologues et informa-ticiens à cette recherche basée sur«l’aspiration» de données sur Internet, notamment à partir demots clés descripteurs. «Nousvoyons que les outils numériques sontun relais d’information au momentde l’attente avant d’entrer dans unesalle et qu’ils permettent égalementde prolonger l’expérience de specta-teur une fois une édition achevée, lacomparaison avec d’autres disciplineset d’autres saisonnalités est une ri-chesse. L’objectif est de construire uneplateforme numérique d’observatoire de festivals», avance Virginie deCrozé. La coopération sur uneétude apportant ainsi tout à la foisla possibilité d’apprendre de sespropres pratiques, de les trans-mettre aux autres et de s’enrichir

Le Chabada, à Angers, a réalisé une étude sur ses publics avec GECE. Elle porte sur l’attachement du public à la salle de musiques actuelles et sur leurs pratiques culturelles de manière plus générale.

Page 4: La scene n°79 dossier les etudes de publics expertise GECE

Le contexte«Cette étude n’est pas la premièrepour le festival qui interroge sespublics tous les deux ou trois ans.Il s’agissait pour Marsatac dedresser la typologie des publicsaccueillis et de la façon dont ilsconnaissent et vivent le festival.L’étude était la cinquième réali-sée, avec la volonté de quantifierle niveau de satisfaction des fes-tivaliers. L’enquête conduite eninterne – nous nous y sommesdéjà frottés. Elle a ses limites.Nous n’avions, par exemple, au-cune certitude sur la justessescientifique de l’échantillon réuniet interrogé. La collecte, commeson traitement, n’était pas réaliséesur une base scientifique. Il étaitlogique de faire appel à un pres-tataire extérieur – en l’occurrencele GECE – pour qualifier notre recherche.»

L’intérêt de l’étude«Pour nous, c’est une aide pourpiloter le projet. Cela nous per-

80 I HIVER 2015 I LA SCÈNE

Comment un festival (Marsatac, à Marseille et Nîmes) et un lieu (La Bouche d’Air à Nantes) ont-ilsconduit leur étude des publics ?Avec quelle méthodologie et pour quelle exploitation ? Retoursur deux expériences singulières.

Deux études passées au crible

Laurence Chansigaud, directrice de la communication et des partenariats du festival Marsatac

«Des réalités que nous méconnaissions»

Marseille / NîmesMarsatac

met de vérifier l’évolution de cer-taines données et de communi-quer. Un document de synthèseest adressé à nos partenaires surles types de publics accueillis.»

Les axes étudiés «Cette année était particulière,parce que le festival se dévelop-pait successivement sur deux ter-ritoires (Nîmes puis Marseille)pour la première fois. Nous vou-lions donc voir si le public circu-lait entre ces deux villes et surquels types de soirées... Et puis,nous avons ajouté à l’étude classique des profils de specta-teurs un volet bien spécifiqueportant sur laquelle nous avionsfait beaucoup d’efforts: le déve-loppement durable. Nous souhai-tions savoir si le public de Mar-satac était sensible à cette dé-marche, si nos efforts étaientvisibles et s’il avait bénéficié de nos propositions dans ce domaine.»

La méthodologie«Le cabinet GECE a construit lesquestionnaires avec notre colla-boration, récupéré les données,puis nous a présenté des statis-tiques brutes, sans commentaire.D

. R.

La synthèse est publiée pour les partenaires institutionnels de Marsatac.

D.R

.

Page 5: La scene n°79 dossier les etudes de publics expertise GECE

C’est à ce moment-là que ces chif-fres sont mis en partage avecl’équipe et que nous posons les grands axes de la synthèse à venir.»

Les conclusions et les surprises «L’étude nous conforte dans notre connaissance des publics etdans notre choix. Elle nous révèleaussi certaines réalités que nousméconnaissions totalement. Nouspensions par exemple que nousavions plutôt un public fidèle, quinous suivait. Or, la dernière étudea montré que le renouvellementest fort. La moyenne d’âge du pu-blic avait baissé de trois points endeux ou trois ans. Une évolutionconsidérable pour un festivalfré-quenté par un public massive-ment jeune. C’est très importantpour nous car la communication,la promotion, l’accueil des pu-blics varient considérablementque l’on s’adresse à des gens de 20 ou de 30 ans.»

La communication «Une étude complète est pro-duite, qui nous sert d’instrumentde pilotage. Mais nous ne la met-

LA SCÈNE I HIVER 2015 I 81

tons pas en partage in extenso.Une brève synthèse est réaliséeet diffusée auprès de nos parte-naires. Nous ne la communi-quons pas non plus à la presse.Nous pensons que c’est un outilet que la presse comme les publics n’ont pas nécessairementbesoin d’une communicationspécifique à ce sujet.»

Les projets à venir «Nous avons envie de poursuivrecette démarche d’enquête. Nousaimerions étudier les non-pu-blics, savoir pourquoi certaines

typologies de publics ne se re-trouvent pas dans notre festival.Sur ce sujet, l’université me sem-ble plus à même d’être un parte-naire pour porter une réflexioncomme celle-ci. Nous aimerionsaussi réaliser une étude sur l’im-pact économique du festival sur le territoire. Pour des raisonsfinancières, je crois que nousnous orienterons plutôt vers unenouvelle étude des publics. Il est probable que nous changions de méthode en investissant sur un questionnaire en ligne auto-administré.» ! CYRILLE PLANSON

Le regard du prestataireOlivier Allouard Directeur du cabinet d’étude et de sondage du cabinet GECE

«Pour moi, la culture est un peu le maillon faible des études de publics. Si l’on compare avec d’autres champs d’activité, elles sont plutôt rares. L’idéal est de procéder comme Marsatac qui nous commandeune étude tous les deux ans. Cela permet de suivre les évolutions des profils socio démographiques et de piloter au mieux son projet. Je conseille surtout une étude dèsque l’on change quelque chose d’important dans son projet. C’est le cas pour Marsatacqui change souvent de lieu, et donc de jauge, et donc de programmation (plus ou moins de têtes d’affiche). L’introduction de nouveaux tarifs ou du “cashless” doit aussi justifiercette démarche d’enquête.»

D. R

.

Point par point, Marsatac mesure l’indice de satisfaction de ses publics.

Majoritairement originaires du Grand Sud-Est, les festivaliers viennent d'abord pour la programmation et la convivialité.

D.R

.