la revue socialiste n°60 - situations du socialisme européens
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sommaire
édito
- Alain Bergounioux Interrogations ....................................................................................................................................................................................................................................................... p. 03
le dossier
- Marc Lazar Une crise qui n’en finit pas ...................................................................................................................................................................................................................... p. 07
- Henri Weber Quel nouveau compromis social-démocrate au XXIe siècle ? ......................................................................................................................... p. 19
- Pascal DelwitAdieu au modèle organisationnel social-démocrate ................................................................................................................................................ p. 31
- Pierre-Alain MuetLa grande récession des années 2012-2014 : les socialistes européens à l’épreuve des égoïsmes nationaux ...... p. 49
- René CuperusComment les partis populaires ont (presque) perdu le peuple ? Pourquoi devons-nous écouter le réveil du populisme ? ...................................................................................................................................... p. 57
- Alain Bergounioux Les défis du socialisme français ....................................................................................................................................................................................................... p. 67
- Christophe SenteLe socialisme au XXIe siècle : l’impératif de la révision de la méthode et du projet ................................................................. p. 81
- Fabien EscalonaLes alternatives de gauche à la social-démocratie ....................................................................................................................................................... p. 89
- Paul MagnetteQuestions sur l’avenir du socialisme européen .............................................................................................................................................................. p. 99
- Gérard GrunbergQuestions sur l’avenir du socialisme européen ........................................................................................................................................................... p. 105
- Ernst HillebrandQuestions sur l’avenir du socialisme européen .......................................................................................................................................................... p. 113
- Marcel GauchetQuestions sur l’avenir du socialisme européen ........................................................................................................................................................... p. 125
- Geoff EleyQuestions sur l’avenir du socialisme européen ........................................................................................................................................................... p. 133
grand texte
- Olof Palme« La social-démocratie n’est pas un parti élitaire », 1972 .................................................................................................................................... p. 141
polémique
- Malek BOUTIHGénération radicale ..................................................................................................................................................................................................................................... p. 153
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à propos de… Gilles Vergnon, Le « modèle » suédois , 2015
- Hélène Fontanaud
Le modèle suédois est-il de gauche ? ....................................................................................................................................................................................... p. 163- Cécile Beaujouan
Gauches françaises et modèle suédois : un rendez-vous difficile ............................................................................................................ p. 169
- Gilles VergnonRéponses ................................................................................................................................................................................................................................................................ p. 177
actualités internationales
- François NicoullaudQuatre questions pour faire le tour de l’accord avec l’Iran ........................................................................................................................................................... p. 183
- Jean-François Di MeglioSept ans après la nôtre, une crise chinoise dans un système encore en mal de réformes ? ...................................... p. 193
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éditoAlain Bergounioux
Directeur de La Revue socialiste.
L’ensemble des données qui expliquentcette situation a donné lieu à de multi-
ples analyses, depuis les années 1980, où
l’on ne cesse pas d’analyser la « crise » de
la social-démocratie. Notre dossier en fait
l’inventaire. Une première série d’articles
y revient et actualise le débat . Un ques-
tionnaire proposé, ensuite, à quelques
personnalités françaises et étrangères,pour varier les points de vue, se tourne
vers l’avenir pour définir des perspec-
tives. Les réponses qui sont faites sont
parfois contradictoires, et, en tout cas,
sans concession. Mais elles permettent
de réfléchir… Et il y a urgence pour
ce faire, tant le défi que font peser lesextrêmes droites nationalistes - je préfère
cette notion au terme de « populisme »,
trop vague - est grave dans presque
toute l’Europe. Les résultats électoraux
récents, en Autriche et en Suisse, mon-
trent que tout ne dépend pas des
problèmes économiques.
C’est une réflexion qu’il nous faut évi-
demment mener pour nous-mêmes.
Ce n’est évidemment pas facile, dès lors
que les socialistes exercent les responsa-
bilités gouvernementales. Mais, il faut
noter que dans les périodes passées,
La couverture de ce numéro de la Revue socialiste est illustrative, avec les deux
portraits de Jeremy Corbyn et de Matteo Renzi, de la polarité qui existe actuelle-
ment au sein de la gauche démocrate européenne. Un débat d’orientation, en effet,
traverse, avec plus ou moins d’intensité, tous les partis socialistes, sociaux-démocrates,
travaillistes. Il concerne également les mouvements de gauche qui se veulent une alterna-
tive : les évolutions de Syriza, aujourd’hui, de Podemos, sans doute demain, face aux
exigences du gouvernement apportent un enseignement précieux.
Interrogations
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pour les générations qui nous ont précé-
dés, aucun exercice du pouvoir n’est allésans débat. La première participation
d’un socialiste à un gouvernement, celle
d’Alexandre Millerand, en 1900, avait pro-
voqué l’éclatement du Parti socialiste qui
venait pourtant à peine de s’unifier !
Le Front populaire, première véritableexpérience du pouvoir par son impor-
tance, a montré que toute action
réformatrice devait se lire - et doit conti-
nuer à se lire - dans un triangle de forces,
les contraintes internationales et euro-
péennes, les attentes de l’électorat et les
exigences sociales, la réalité des rapports
de force politiques et sociaux. Cela doitdemeurer à l’esprit, aujourd’hui. Trop
souvent, nous avons tendance, à nous
en tenir à l’opposition, codifiée par Jean
Jaurès, entre « l’idéal » et le « réel ». Cela
maintient trop souvent le débat à un
niveau trop abstrait. Il faut faire l’effort de
ne pas raisonner seulement de manière
dualiste - ce qui conduit à une impasse.De manière précise, pour comprendre la
situation des socialistes au pouvoir
aujourd’hui, il faut voir que le cadre des
actions gouvernementales a été dessiné
dans les années 1980, au début du
septennat de François Mitterrand, dans
les années 1982-1983. Le choix de ne pas
isoler la France de l’Europe, mais plus
largement, de l’économie mondiale, a
reposé sur le constat - et la conviction -
que la nécessité d’avoir une économie
compétitive est la condition pour main-
tenir le modèle social qui représente
l’œuvre historique de la gauche euro-
péenne, politique et syndicale, depuis lafin du XIXe siècle. Cela ne résume pas
tous les défis que les socialistes doivent
affronter - loin de là, quand nous pen-
sons, par exemple, à ce que révèle la crise
des réfugiés - mais détermine ce qu’exige
toute volonté d’exercer concrètement des
responsabilités gouvernementales.
Le reconnaître, c’est éviter une « mau-
vaise conscience » de principe -
phénomène trop répandu à gauche, qui
empêche d’assumer clairement ce que
nous faisons, surtout quand nous le fai-
sons bien… Cela est même une condition
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Alain Bergounioux - Interrogations
La première participation d’un
socialiste à un gouvernement,
celle d’Alexandre Millerand,
en 1900, avait provoqué
l’éclatement du Parti socialiste
qui venait pourtant à peine
de s’unifier !
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édito
pour affronter les questions d’avenir,
en refondant nos mouvements dont lanécessité a été accélérée par les consé-
quences de la crise de 2008. Les analyses
de ce numéro peuvent être une aide, pour
ce faire. Au fond, le mouvement socialiste
a été en « crise » dès sa naissance… Il a,
toujours, trouvé en lui les forces pour se
renouveler. C’est, aujourd’hui, également,
notre tâche.
Au fond, le mouvement socialiste
a été en « crise » dès sa
naissance… Il a, toujours,
trouvé en lui les forces pour se
renouveler. C’est, aujourd’hui,
également, notre tâche.
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1. Un seul exemple récent : A Lavelle, The Death of Social Democracy. Political Consequences in the 21 st Century , Aldershot,Ashagate, 2008.
Ce diagnostic n’est en rien original. Du-
rant les années Trente du XXe siècle, la
social-démocratie traversait une phase
complexe. Elle était défiée, dans certains
pays, par les partis communistes, ellesombrait sous les coups du fascisme, en
Italie, du nazisme, en Allemagne, puis,
en Autriche, elle perdait avec le reste des
républicains la guerre civile, en Espagne,
cependant que ses expériences gouver-
nementales, en France, avec le Front
populaire se soldaient par des résultats
mitigés et, en Grande-Bretagne, par unéchec. Seule la Suède commençait une
expérimentation de politiques sociales
qui allait avoir un impact durable dans
ce pays et auprès d’autres partis sociaux-
démocrates. La social-démocratie était
alors confrontée à deux défis principaux,
celui de la crise du capitalisme et celui de
la montée en puissance des mouve-
ments et régimes autoritaires et totali-taires. Deux défis qui suscitaient de vifs
Une crise qui n’en finit pas
la revue socialiste 60
le dossier Marc Lazar
Directeur du Centre d’Histoire de Sciences-Po (Paris)
et Président de la School of Government de la Luiss (Rome).
C
’est un lieu commun décliné actuellement sur tous les tons, dans des ouvragesscientifiques, par les médias et des responsables politiques qui lui sont hostiles :
la social-démocratie est non seulement en crise, mais elle serait agonisante, voiremême déjà morte1.
Dans les années 1960, alorsqu’elle connaissait dans
l’ensemble une phased’expansion, la social-démocratie
fut secouée par une vague de
contestations, en particulier dansla jeunesse, qui se répercuta dansses propres rangs ou qui se
traduisit par l’émergence dedivers mouvements de « nouvelle gauche » et d’extrême gauche.
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Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas
2. The Palgrave Handbook of Social Democracy in European Union , edited by J.-M. de Waele, F. Escalona, M. Vieira,Basingstoke-New York, Palgrave-Macmillan, 2013.
3. D. Sassoon, One Hundred Years of Socialism. The West European Left in the Twentieth Century , London, I.B. Tauris, 1996.
débats autour, par exemple, des proposi-
tions planistes et, dans une moindre me-sure, des thèses austro-marxistes d’Otto
Bauer. Dans les années1960, alors qu’elle
connaissait dans l’ensemble une phase
d’expansion, la social-démocratie fut se-
couée par une vague de contestations, en
particulier dans la jeunesse, qui se réper-
cuta dans ses propres rangs ou qui se
traduisit par l’émergence de divers mou-vements de « nouvelle gauche » et d’ex-
trême gauche. Enfin, depuis le milieu des
années 1970 et le début des années 1980,
et plus encore dans la décennie suivante,
la social-démocratie connaît une crise
profonde et durable qui se poursuit, voire
s’amplifie, de nos jours. Elle provoqueune pléthore d’essais journalistiques,
d’ouvrages de politistes, de sociologues
ou d’historiens, de colloques et de jour-
nées d’études qui s’interrogent sur l’état
de la social-démocratie et, plus large-
ment, qui abordent une question cruciale
bien résumée par le titre provocateur
donné à un article mémorable du philo-sophe Steven Lukes paru dans le Times
Literary Supplement du 27 mars 1992 :
« What’s le of the le ? ».
LÉTAT DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE
OUEST-EUROPÉENNEOn se contentera de s’intéresser à la
situation de la social-démocratie, en
Europe de l’Ouest, celle de l’Europe de
l’Est étant très spécifique comme l’ont
montré Jean-Michel de Waele, Fabien
Escalona et Mathieu Vieira2. Une observa-
tion préliminaire s’impose. Tout au long
de son histoire, la social-démocratie, cevieux courant politique affichant des
traits communs et de grandes diffé-
rences, a été caractérisée par sa capacité
d’adaptation face aux transformations de
la politique, de l’économie, des sociétés et
des cultures des pays dans lesquels elle
était implantée3. Ce fut sa grande forcepar rapport aux communistes ouest-
européens, dont les plus puissants partis,
l’italien, le français, l’espagnol, le portu-
La social-démocratie sait, par expérience, qu’elle alterne des
phases d’expansion et de retrait.
Tout le problème, de nos jours, est de savoir si sa plasticité fonctionne
encore. Ou mieux, si elle a toujoursdes possibilités de se déployer.
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la revue socialiste 60
le dossier
gais, le grec, le finlandais, s’effondrèrent,
du fait qu’ils furent d’abord incapablesde répondre aux profondes mutations
des années 80 et, ensuite, touchés par
la chute des régimes communistes. La
social-démocratie sait, par expérience,
qu’elle alterne des phases d’expansion et
de retrait. Tout le problème, de nos jours,
est de savoir si sa plasticité fonctionne
encore. Ou mieux, si elle a toujours despossibilités de se déployer.
Il est certain que, présentement, la social-
démocratie, soit l’ensemble des partis
socialistes et sociaux-démocrates, pour
reprendre une distinction classique entre
les partis de l’Europe du Sud - en y inté-
grant la France - et ceux de l’Europe duNord, regroupés dans le Parti socialiste
européen - incluant donc aussi le Parti
démocrate italien -, connaît un repli.
Ses résultats électoraux sont en baisse.
Dans une récente et excellente étude
portant sur la période allant de 1945
à 2014, Pierre Martin a démontré que, dans
quinze pays d’Europe occidentale oùdes élections régulières ont eu lieu,
l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le
Danemark, la Finlande, la France, la
Grande-Bretagne, l’Irlande, l’Islande,
l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, lesPays-Bas, la Suède et la Suisse, les partis
sociaux-démocrates obtiennent une
moyenne de 23,8 % des suffrages, entre
2011 et 2014 - le calcul repose sur des
séquences de cinq ans -, soit leur plus
faible pourcentage, depuis les années
1945-1950 - les pourcentages les plus éle-
vés, plus de 30 %, ayant été atteints entre1951 et 1970, cependant qu’entre 1981 et
1985, la moyenne était de 29,9. Les princi-
paux partis sociaux-démocrates reculent
de manière sensible dans la première dé-
cennie du XXIe siècle (2001-2010), par rap-
port à la décennie 1961-1970 : - 7,5 points
en Allemagne, - 11,2 en Autriche, - 7,1 enBelgique, - 11,3 au Danemark, - 10,1 en
Grande-Bretagne, - 11 au Luxembourg, -
14,6 en Norvège, - 12,3 en Suède, soit une
moyenne de - 10,6 points dans ces huit
pays. Ce même chercheur remarque, d’ail-
leurs, que les partis de gouvernement de
droite sont aussi victimes d’une érosion
électorale : ainsi, les partis de gauche sontassociés à « l’establishment » ou à « la
caste », vilipendés quotidiennement par
les populistes4. Le cas le plus extrême est
4. P. Martin, « Le déclin des partis de gouvernement », Commentaire, n° 143, automne 2013, p. 542-554 et « Le déclin élec-toral des partis de gouvernement et le rapport des citoyens à la politique », Les débats de l’ITS, La crise de la démocratie ,Paris, Bruno Leprince, 2015, pp. 3-25.
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représenté par le PASOK : alors qu’il avait
obtenu 43,9 % des suffrages, en 2009, iltombe à 4,6 %, en janvier 2015, remon-
tant un peu en septembre de la même
année (6,3 %). Par ailleurs, les partis so-
ciaux-démocrates connaissent un déclin
général, et parfois spectaculaire, du nom-
bre de leurs adhérents. Un exemple
édifiant est celui du plus important et
influent d’entre eux, le SPD, qui, entre
1976 et 2013, a vu fondre ses effectifs de
plus de 46 %, puisqu’ils sont passés de
1 022 091 à 473 662. En outre, les mem-
bres de ces partis sont généralementâgés, retraités, et quand ils sont actifs, tra-
vaillent avant tout dans le secteur public,
au sens large du mot. Enfin, partout s’en-
registre un affadissement du rayonne-
ment culturel et intellectuel des partis
sociaux-démocrates qui sont fréquem-
ment sur la défensive sur le terrain des
idées, alors même que dans toutel’Europe fleurissent à gauche une série
de think tanks stimulants et innovants.
CAUSES ET ASPECTSDE LA CRISE SOCIALE-DÉMOCRATE
En fait, c’est tout l’environnement de la
social-démocratie qui a été modifié de
façon substantielle. La transformationfondamentale du capitalisme, la globali-
sation, l’affaissement du monde ouvrier
classique lié au modèle fordiste, le pro-
cessus d’individualisation, les évolutions
de l’organisation du travail, le creuse-
ment des inégalités de toute nature -
sociales, de genre, générationnelles, ter-ritoriales, entre nationaux et immigrés
étrangers -, l’offensive néo-libérale, les
orientations données à la construction
européenne, le contexte international, la
désaffection à l’égard des institutions et
des partis, le rejet de la classe dirigeante,
la montée des populismes ou encore l’es-
sor prodigieux des nouvelles techno-logies sont autant de facteurs qui
participent d’un basculement quasi an-
thropologique déstabilisant la social-dé-
mocratie, et d’ailleurs, pas seulement elle.
De ce fait, la crise de la social-démocratie,
amorcée il y a trente ou quarante ans,
10
Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas
Partout s’enregistre unaffadissement du rayonnement culturel et intellectuel des partissociaux-démocrates qui sont fréquemment sur la défensivesur le terrain des idées,alors même que dans toute
l’Europe fleurissent à gaucheune série de think tanksstimulants et innovants.
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le dossier
5. P. Le Galès, N. Vezinat (dir.), L’Etat recomposé, Paris, PUF, 2014.
selon des chronologies variables d’un
pays à l’autre, présente de multiplesfacettes qui se déclinent différemment
selon les partis et dont nombre d’entre-
elles s’avèrent inédites, par rapport aux
crises précédentes. Crise de l’Etat-provi-
dence fondé, jusqu’alors, sur des bases
nationales et qui constituait, depuis
l’après-Deuxième Guerre mondiale, la
ressource politique fondamentale de lasocial-démocratie : or, comment conti-
nuer une politique sociale dont les coûts
sont devenus prohibitifs, dans un
contexte de ralentissement de la crois-
sance, de stagnation ou de dépression
obligeant à réduire la dépense publique ?
Crise de l’action publique : comment éla-borer les décisions, décider, agir, avec
quels instruments et quels acteurs, alors
que l’Etat est en perpétuelle recomposi-
tion ? 5 Crise de la stratégie politique :
s’unir avec les formations plus à gauche
empêche de s’adresser aux électeurs mo-
dérés, notamment sur le sujet hyper-sen-
sible de la fiscalité, mais faire allianceavec les partis centristes déçoit une partie
des clientèles traditionnelles de gauche :
comment résoudre ce dilemme ? Crise
du projet et de l’identité : que signifie,
exactement, le socialisme, aujourd’hui,
ou tout simplement la gauche dans lecadre de l’Europe où les contraintes, no-
tamment, en matière économique, sem-
blent l’emporter sur les opportunités
qu’elle offre, tandis que s’expriment de
nouvelles exigences de protection sociale,
d’ordre public, par rapport à la délin-
quance et à la criminalité, culturelle, du fait
des migrations, ou encore environnemen-
tales, et que se formulent sans cesse des
nouvelles demandes d’extension des
droits civiques ? Crise sociologique, car,
là encore, avec des variations d’un paysà l’autre, les partis sociaux-démocrates,
désireux de s’adresser à des nouveaux
électeurs, ont perdu le soutien des catégo-
ries populaires et, notamment, d’un
Crise sociologique, car,là encore, avec des variations
d’un pays à l’autre, les partissociaux-démocrates, désireuxde s’adresser à des nouveaux
électeurs, ont perdu le soutiendes catégories populaires et,
notamment, d’un monde ouvrier,qui n’a pas disparu, mais a
profondément changé.
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monde ouvrier, qui n’a pas disparu, mais
a profondément changé : quelle offre po-litique formuler pour pouvoir s’adresser
aux uns et aux autres, alors que leurs in-
térêts et leurs attentes sont parfois totale-
ment opposés ? 6 Crise organisationnelle :
quelles structures faut-il forger, alors que
les partis paraissent obsolètes, rejetés
et délégitimés - une grande nouveauté,
par rapport aux années 60 où nombre
d’Européens s’éloignaient des partis maiscontinuaient de voter pour eux et ne
contestaient guère leur légitimité - car
devenus souvent des machines bureau-
cratiques repliées sur elles-mêmes, insé-
rées dans l’appareil d’Etat, faisant partiedu « système », composées de personnes
désireuses avant tout d’y faire carrière ?
Crise, enfin, du leadership : quel leader
pour la gauche, à l’heure où la politique
moderne a pris, entre autre, la forme
d’une démocratie du public, où, précisé-
ment, le rôle de la personne devient pré-
pondérant, et même décisif, et où, dansl’opinion, on enregistre un mouvement
contradictoire, d’un côté, d’horizontalité
et, de l’autre, de quête d’autorité - qui ne
signifie pas d’autoritarisme ?
Les partis sociaux-démocrates ne sont
pas restés inactifs face à tous ces défis.
Ce que l’on a appelé la Troisième voie,une expression qui recouvre un ensem-
ble différencié de pratiques politiques, de
déclarations de responsables, Tony Blair
et Gerhard Schr öder, en premier lieu,
et de réflexions théoriques dont les plus
célèbres furent celles d’Anthony Giddens,
a représenté un moment important pour
la gauche réformiste, y compris dans uneperspective historique. Il s’agissait de
prendre en compte les métamorphoses
du capitalisme - notamment, sa dimen-
12
Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas
6. Line Rennwald, Partis socialistes et classe ouvrière. Ruptures et continuités du lien électoral en Suisse, en Autriche,en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France (1970-2008) , Neufchâtel, Editions Alphil-Presses universitairessuisses, 2015.
Ce que l’on a appelé la
Troisième voie, une expressionqui recouvre un ensembledifférencié de pratiques politiques, de déclarationsde responsables, Tony Blairet Gerhard Schröder, en premier lieu, et de réflexions théoriquesdont les plus célèbres furent celles d’Anthony Giddens,a représenté un moment important pour la gaucheréformiste, y compris dansune perspective historique.
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le dossier
sion de société de la connaissance - et
de la société, en tentant d’en saisir les po-tentialités qu’elles engendraient, plutôt
que d’insister sur leurs effets délétères et
périlleux. Il fallait satisfaire les attentes
antagoniques des électeurs tiraillés entre
un processus accéléré d’individualisation
et des aspirations maintenues à la justice
sociale, ou encore oscillant entre les sen-
timents de peur face à l’insécurité dansleur vie quotidienne et de crispation de-
vant l’afflux d’immigrés et, pour d’autres,
des comportements libertaires et tolé-
rants sur des questions épineuses de
société comme, par exemple, la recon-
naissance juridique de couples du même
sexe ou les sujets de bioéthique, etc. Avecdes variantes selon les pays, la gauche
en est venue à assimiler une part du libé-
ralisme, à reconnaître pleinement l’éco-
nomie de marché, au point, parfois, d’en
célébrer les vertus, et, en tout cas, à
renoncer définitivement à se présenter
comme une alternative au capitalisme, à
faire l’éloge de la mondialisation et de laconstruction européenne, à privatiser lar-
gement, à attirer les investissements
étrangers, à diminuer les impôts, à mo-
derniser l’appareil d’Etat, à assouplir le
marché du travail, à en appeler à l’esprit
de responsabilité individuelle ou, selon
les pays, à des formes de communauta-
risme, à substituer à l’égalité des condi-tions à l’égalité des chances, à fustiger les
politiques classiques d’assistance sociale
ou de santé, à affirmer la nécessité
du respect de l’ordre et de l’autorité, et
à réprimer sévèrement la délinquance.
Dans le même temps, toujours guidés
par leurs idéaux d’égalité et de justice
sociale, les adeptes de la Troisième voierappelaient la nécessité de réguler le
marché, négociaient avec les partenaires
sociaux, même si un net découplage
idéologique et sociologique entre les par-
tis sociaux-démocrates et les syndicats
se réalisait, investissaient dans l’éduca-
tion, la recherche et le développement,cherchaient à assurer de la redistribution
sociale, s’efforçaient de réduire les inéga-
lités, intégraient les préoccupations de
l’environnement, promouvaient, dans
certains pays, des réformes de libéralisa-
tion des mœurs, instauraient la parité
entre hommes et femmes et s’éver-
tuaient, le plus souvent en vain, des’adresser aux précaires et aux exclus.
Par ailleurs, les partis ont essayé de trou-
ver des moyens de jeter des ponts avec
la société, par exemple, en facilitant l’ins-
cription des nouveaux adhérents et, en
Italie, en France, au Portugal et en Grèce,
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le dossier
La crise de la représentation politique, au
niveau national, s’est considérablementaggravée avec, d’un côté, le rejet de la
politique et des responsables politiques,
mais, de l’autre, une requête accrue de par-
ticipation démocratique. Les phénomènes
migratoires, la crise des modèles d’intégra-
tion des immigrés, la poussée de l’isla-
misme radical ont provoqué un choc
culturel à la fois créé et exploité par les po-pulistes d’extrême droite, en plein essor, et
une partie de la droite, plongeant la gauche
dans l’embarras. La révolution numérique
a modifié les façons de faire de la politique.
La social-démocratie, qui avait connu un
processus de convergence, se divise entre
différentes sensibilités. La première afficheplus ou moins nettement son social-libéra-
lisme. Dans la lignée de la Troisième voie,
elle continue d’accorder la priorité à l’assai-
nissement des comptes publiques et aux
incitations à la croissance, par une poli-
tique de l’offre, tout en réalisant des ré-
formes sociales et de société. Elle n’hésite
pas à envisager de sortir de la tradition so-cial-démocrate pour aller chasser vers
d’autres terres. Matteo Renzi incarne cette
tendance qui se situe délibérément au cen-
tre gauche. S’y opposent ceux qui enten-
dent rester fidèles à la social-démocratie et
qui, tout en reconnaissant la nécessité de
réduire la dette et le déficit publics, plaident
pour une politique de la demande, avecune forte redistribution sociale. Enfin, la
troisième tendance critique tout principe
d’austérité, fustige l’Europe et en appelle à
une alternative globale. Cette dernière est
présente dans les partis sociaux-démo-
crates. Mais aussi à l’extérieur.En effet, la social-démocratie est confrontée
à la montée en puissance d’une large mou-
vance de la gauche de la gauche qui la cri-
tique et adopte souvent des postures
populistes. Cette gauche focalise l’attention.
En vérité, elle constitue une vaste galaxie
hétérogène dans laquelle se repèrent au
moins deux grandes sensibilités, parfoisclairement distinctes, ou bien rassemblées
dans un même parti ou encore étroitement
entremêlées. L’une traditionnelle, présente
donc également dans les partis sociaux-
démocrates, mobilise les références clas-
siques de la gauche : elle prône une
La social-démocratieest confrontée à la montée
en puissance d’une largemouvance de la gauche de la
gauche qui la critique et adoptesouvent des postures populistes.
Cette gauche focalise l’attention.
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8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens
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politique étatique, la reprise d’une large re-
distribution sociale, la taxation des plus for-tunés, mâtinée, le plus souvent, d’écologie
et de la critique morale des méfaits du
capitalisme qui témoigne d’une sorte
de renouveau d’un christianisme social
contemporain. Cette gauche-là, qui revêt
d’infinies nuances, d’un pays à l’autre, dues
à la diversité des cultures et des histoires
politiques nationales, est bien incarnée par Jeremy Corbyn. Elle forme une minorité
dans la plupart des partis socialistes,
sociaux–démocrates et au PD italien. Elle
existe de manière autonome avec Die
Linke, en Allemagne, le Front de gauche, en
France ou Unité populaire, en Grèce - une
scission de Syriza. L’autre composante est
plus « mouvementiste », à l’instar de Pode-mos, grand promoteur de la démocratie
participative et qui refusait, au départ, de se
positionner dans l’antagonisme gauche
contre droite, préférant parler de l’opposi-
tion entre le peuple et « la caste », avant de
modérer ses positions à l’approche du
scrutin législatif. Ces deux courants étaient
plus ou moins présents dans Syriza, avantde se dissocier cet été. Ils coexistent en Italie,
par exemple, dans Sinistra Ecologia Libertà,
Possibile, un mouvement fondé par un an-
cien dirigeant du PD Beppe Civati, Coesione
sociale initié par le syndicaliste, Maurizio
Landini, et d’autres regroupements qui se
forment, depuis quelque temps, à côté du
PD. Jeremy Corbin veut également être àl’écoute des aspirations d’une partie de la
société, via internet.
Quoi qu’il en soit, cette mouvance de
gauche semble avoir le vent en poupe.
Plusieurs facteurs y contribuent, qu’elle
instrumentalise aisément : l’austérité,
avec les souffrances et les inégalités detoute nature qu’elle engendre, les peurs
suscitées par la globalisation, le malaise
démocratique de nombre de pays, le rejet
des élites dirigeantes, la faillite actuelle de
l’Union européenne, l’aspiration à un
monde meilleur, la recherche du nouveau
en politique, etc. Toutefois, les faiblesses
de cette gauche de la gauche sont légion.Son poids électoral reste globalement fort
limité, même si, dans certains pays,
comme en France, il suffit à pénaliser
la gauche réformiste. Cette gauche de la
gauche séduit sans conteste certaines frac-
tions de la population, tels les salariés du
16
Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas
Les faiblesses de cette gauche dela gauche sont légion. Son poidsélectoral reste globalement fort limité, même si, dans certains
pays, comme en France, il suffit à pénaliser la gauche réformiste.
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la revue socialiste 60
le dossier
secteur public, les syndicalistes, les per-
sonnes dotées d’un haut niveau d’instruc-tion voire les jeunes en situation de
précarité, comme ce fut le cas lors des pri-
maires du Labour ou lors de la victoire de
Syriza, en janvier dernier ; en revanche, hor-
mis de rares exceptions, elle n’attire guère
les couches populaires et elle échoue sou-
vent à canaliser leur protestation qui se di-
rige plutôt vers d’autres populismes,d’extrême droite généralement ou se
situant ailleurs, à l’instar du Mouvement
5 étoiles, et qui défient considérablement
les partis de gouvernement, dont ceux de
gauche. En France, c’est le Front national
qui est le premier parti ouvrier dans les
urnes et il représente, par excellence, laforce antisystème. D’un point de vue straté-
gique, la gauche de la gauche hésite entre
un splendide isolement, au risque de deve-
nir vite impuissante, et des alliances, afin
de l’emporter, voire de gouverner, qui pro-
voquent immédiatement des divisions
dans ses rangs. La gauche de la gauche ne
cesse de dénoncer les impasses de la poli-tique de la zone euro et d’en appeler à une
autre politique, mais sa crédibilité pour
résoudre les problèmes économiques est
quasi nulle, y compris chez les personnes
qui lui manifestent de la sympathie
comme en attestent nombre de sondages.
Enfin et surtout, elle a enregistré une défaite
cinglante en Grèce où Alexis Tsipras s’estfracassé sur le mur du réel et a dû accepter,
en juillet dernier, un accord avec l’Union
européenne, en totale contradiction avec
son programme initial. Cet échec a ouvert
un débat, dont les effets sont dévastateurs
pour elle et qui tourne autour d’une ques-
tion cruciale : faut-il ou non rester dans la
zone euro ? Pour certains, en sortir seraitsuicidaire, et il s’agit donc de lutter avec
d’autres forces pour changer l’orientation
de la zone euro. Telle est la position du Parti
communiste français qui s’appuie sur un
rapport très complet de quelques-uns
de ses économistes. Pour d’autres, au
contraire, renoncer à la monnaie uniqueest désormais envisageable, voire indis-
pensable, comme l’a proclamé, par exem-
ple, Stefano Fassina, un ancien responsable
du Parti démocrate et ex-ministre du gou-
vernement d’Enrico Letta qui, le premier, en
a appelé à créer des fronts nationaux
de libération, une idée reprise en France
par l’économiste, Jacques Sapir. Aussi,la gauche radicale se déchire-t-elle entre
ceux qui continuent de soutenir Tsipras et
ceux qui se rassemblent derrière ses op-
posants, en premier lieu Varoufakis, à
l’instar du Parti de gauche de Jean-Luc
Mélenchon. En dépit de cette double frac-
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ture, à propos des alliances et de l’euro,
qui la mine profondément, la gaucheradicale insiste continûment sur la néces-
sité de retrouver les valeurs de la gauche
et d’y rester fidèles. Or, cet argumentaire
rencontre un large écho bien au-delà
de ses rangs, jusque chez les gens se
reconnaissant dans la gauche modérée.
Il révèle un dilemme classique et profond
de l’histoire de la gauche européennequi a été bien mis en lumière et analysé
pour la France par Alain Bergounioux et
Gérard Grunberg, celui de son rapport
tourmenté au pouvoir 9. Y participer,
exercer des responsabilités, gouverner et
donc choisir, est considéré comme risqué,
voire sale et pervers. Mieux vaut alorsrester dans la pureté de l’opposition.
Le surgissement de cette gauche de la
gauche soulève des questions de fond
que la gauche réformiste doit plus que
jamais affronter et résoudre concernant,
par exemple, le modèle de croissanceavec l’impérieuse nécessité de participer
à un développement durable, la cohésion
des sociétés, l’Europe, la démocratie, la
forme partisane, son électorat. La diffi-
culté, assez originale par rapport à
l’Histoire, vient de ce que certaines de ces
questions, et non des moindres, l’Europe,
la politique économique, la cohésion dessociétés, en particulier dans leurs dimen-
sions culturelles et identitaires, brouillent
les fondements du clivage gauche-droite
qui ne constitue plus tout à fait la summa
divisio exclusive. D’autres clivages s’impo-
sent, notamment celui, vertical, entre le
peuple et les élites, et celui qui oppose lespartisans d’une société ouverte à ceux et
celles qui sont tentés par un grand repli
sur le local, le régional ou le national.
Ce qui laisse entrevoir de grandes recom-
positions politiques dont certaines, au
demeurant, sont déjà en cours. C’est dire
qu’il est temps pour les réformistes de
s’engager dans une réflexion approfondie -et européenne -, au lieu de se contenter
d’une gestion à la petite semaine et de se
reposer sur les éventuelles prouesses com-
municatives de leurs leaders.
18
Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas
9. A. Bergounioux, G. Grunberg, L’Ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir 1905-2005, Paris, Fayard,2005.
D’autres clivages s’imposent,
notamment celui, vertical, entrele peuple et les élites, et celui qui oppose les partisans d’une société ouverte à ceux et celles qui sont tentés par un grand repli surle local, le régional ou le national.
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la revue socialiste 60
le dossier
Les contenus concrets de ces pactes so-
ciaux dépendent des rapports de force et
des conditions objectives. C’est pourquoi, iln’y a pas un seul, mais plusieurs types de
compromis sociaux-démocrates possibles.
Pour ne nous en tenir qu’à la deuxième
moitié du XXe siècle, on peut en distinguer
trois : les compromis sociaux-démocrates
offensifs d’après-guerre (1945-1975) ; les
compromis défensifs de crise (1980-2000) ;
les compromis d’adaptation progressiste àla globalisation (depuis 2000).
LES COMPROMIS OFFENSIFSDAPRÈS-GUERRE
Les premiers coïncident avec les Trente
Glorieuses et sont particulièrement favo-
rables aux travailleurs. Ceux-ci bénéfi-
cient d’un rapport de forces économique,
social, politique, idéologique, globale-ment favorable, au lendemain de la vic-
toire des Alliés sur le nazisme, et tout au
long de la Guerre froide. Dans nos écono-
mies de reconstruction et de rattrapage,
le taux de croissance sur la longue durée
est de 5 % par an. Comme disait le re-
gretté André Bergeron : « Il y a du grain à
moudre ». Les économies nationales sontprotégées par les droits de douane et les
contingentements. Les entreprises pro-
duisent principalement pour le marché
national, sur le territoire national. Le plein
emploi confère aux syndicats un fort
pouvoir de négociation. La menace com-
Depuis le temps, déjà lointain, où elle a cessé d’être révolutionnaire pour devenir
résolument réformiste, la social-démocratie européenne marche au compromis. « Entre le capital et le travail, le marché et l’Etat, la liberté (d’entreprendre) et
la solidarité », selon la lumineuse formule de Jacques Delors, elle recherche l’arbitrage le
plus avantageux pour les salariés, qu’elle a vocation à défendre et l’ambition de représenter.
Quel nouveau compromis social-démocrateau XXIe siècle ?
Henri Weber Directeur des études auprès du Premier secrétaire, en charge des questions européennes.
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muniste, extérieure avec l’impérialisme
soviétique, intérieure avec un parti stali-nien de masse qui exerce son hégémonie
sur la gauche politique, syndicale, asso-
ciative et intellectuelle, incite les classes
possédantes et dirigeantes à ne pas lési-
ner sur les moyens pour acheter la paix
sociale et attacher les ouvriers à la démo-
cratie. La classe ouvrière industrielle est
en pleine ascension. Elle atteindra son
apogée au début des années 1970.
Concentrée dans des établissements
géants et des régions-usines, elle estsystématiquement organisée par les par-
tis et les syndicats sociaux-démocrates
(communistes, en France et en Italie).
Ces partis sont des partis de masse - en-
core, en 1975, le SPD allemand regroupe
1 million d’adhérents - et de classe1
.
Au plan idéologique, qu’on néglige à tort
trop souvent, le libéralisme économique,
dominant entre les deux guerres, est
discrédité par la Grande dépression de
1929-1933. Le keynésianisme, sous ses
variantes de gauche et de droite, tient
le haut du pavé. Il légitime et encouragel’intervention de l’Etat dans la vie écono-
mique et sociale, et recommande « l’eu-
thanasie des rentiers ». En France, la
puissance publique contrôle les prix et
les changes. Elle met en œuvre un protec-
tionnisme offensif, favorisant la montée
en puissance de « champions nationaux ».Elle recourt régulièrement à la dévalua-
tion du franc pour rétablir la compétiti-
vité de l’économie, compromise par
l’inflation. Les termes du compromis so-
cial-démocrate offensif d’après-guerre
sont faciles à énoncer, et pas très compli-
qués à mettre en œuvre : le mouvement
ouvrier social-démocrate reconnaît lalégitimité du profit et du pouvoir patronal
dans l’entreprise, sa liberté d’entrepren-
dre et de gérer, dans le respect du droit,
de la loi et des contrats. Il exige - et il
20
Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?
La classe ouvrière industrielleest en pleine ascension. Elleatteindra son apogée au début des années 1970. Concentréedans des établissements géantset des régions-usines, elle
est systématiquement organisée par les partis et les syndicatssociaux-démocrates(communistes, en Franceet en Italie).
1. Voir ci-dessous l’article de Pascal Delwit.
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la revue socialiste 60
le dossier
obtient ! - en échange que le patronat et
l’Etat assurent le plein-emploi, l’augmen-tation régulière du pouvoir d’achat, la
protection croissante des travailleurs
contre tous les risques sociaux (chô-
mage, vieillesse, maladie, déqualifica-
tion…), le développement de services
publics diversifiés et de qualité, le renfor-
cement de la démocratie sociale dans les
entreprises et dans la société.
Ces compromis conquérants ont fait
merveille pendant près d’un demi-siècle,
on leur doit la douceur de vivre dans nos
démocraties avancées. Jusqu’au milieu
des années 1970, le plein emploi était as-
suré en Europe ; le pouvoir d’achat dessalariés a été multiplié par trois, les mé-
nages ouvriers se sont équipés en « biens
de consommation durables » ; la durée
annuelle du travail a été considérable-
ment réduite2 ; les congés payés ont
été allongés ; la protection sociale a été
portée à un niveau sans précédent : les
pensions de retraite se sont progressive-ment rapprochées du niveau des salaires
touchés par les travailleurs en activité ;
la vieillesse a cessé d’être synonyme de
pauvreté ; le système de santé a progres-
sivement offert à tous l’accès aux soins,
quelles que soient leurs ressources et
quel qu’en soit le coût ; l’espérance de viea augmenté de 20 ans ; l’indemnisation
du chômage a progressivement péren-
nisé les revenus des chômeurs sur une
durée de plus en plus longue et dans une
proportion du salaire net de plus en plus
élevée ; l’enseignement secondaire a été
progressivement étendu à la majoritéd’une classe d’âge, l’enseignement supé-
rieur à près de la moitié… On pourrait
poursuivre cette liste en y incluant les
libertés et les droits nouveaux, civils,
politiques et culturels. Il y faudrait plu-
sieurs pages ! Ces compromis offensifs
sont entrés en crise, à la fin des années
1970, avec le ralentissement de la crois-sance - qui passe de 5 % à 2,5 % par
an -, l’envol de l’inflation - 14 % en France
en 1980 -, la réapparition du chômage de
masse. Avec, aussi et surtout, la mondia-
2. Selon les chiffres de l’Insee, en 1950, la durée annuelle du travail était de 2 230 heures en France, elle n’est plus que de1 559 heures, en 2007.
Le libéralisme économique,
dominant entre les deux guerres,est discrédité par la Grandedépression de 1929-1933.
Le keynésianisme, sous sesvariantes de gauche et de droite,
tient le haut du pavé.
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le dossier
veau les rapports de force entre le capital
et le travail, entre les pays capitalistesavancés et les pays émergents, entre les
impératifs du développement et l’urgence
écologique.
Au plan économique, les grands émer-
gents ont émergé, le capitalisme d’Etat
chinois concurrence, désormais, les
grandes entreprises occidentales dans les
industries high tech, l’Inde s’affirme dansles services à haute valeur ajoutée, une
armée de nouveaux émergents leur em-
boîte le pas. La révolution numérique
connaît une seconde vague, avec la
convergence entre l’Internet, la robotique,
les bio et les nanotechnologies, l’intelli-
gence artificielle. Elle s’incarne, désormais,dans l’internet des objets, l’impression tri-
dimensionnelle (la 3D), l’informatique en
nuage (le e-Cloud), le stockage et le traite-
ment des méga-données (Big Data), l’in-
dustrie 4.05. L’instabilité de l’économie
mondiale s’est encore renforcée, après la
crise de 2008-2012, malgré les bonnes ré-
solutions affirmées au plus fort de la tour-mente. Les réformes annoncées au G20 de
novembre 2008 ont été, pour l’essentiel,
oubliées. Celles qui ont été appliquées
sont insuffisantes pour conjurer la réédi-tion, en plus grave, d’une nouvelle crise fi-
nancière et économique mondiale. Cette
instabilité chronique rend périlleux les en-
dettements élevés, car nul ne sait où en se-
ront les taux d’intérêt quand les bulles
spéculatives, qui enflent aujourd’hui, au-
ront éclaté.
Le rapport de force entre les détenteurs
du pouvoir économique privé - entreprises
multinationales géantes et opérateurs fi-
nanciers - et les Etats démocratiques, leurs
gouvernements, leurs partis politiques,
leurs syndicats, leurs ONG, s’est encore
dégradé, au détriment des seconds, auprofit des premiers. Au plan social, le sa-
lariat se voit menacé par « l’uberisation »
des métiers de services et l’automatisation
5. Le concept d’industrie 4.0 s'emploie dans les milieux industriels et politiques et désigne les projets de création d'usinesintelligentes, capables de se gérer quasiment toutes seules grâce à leur digitalisation.
L’instabilité de l’économie
mondiale s’est encore renforcée,après la crise de 2008-2012,malgré les bonnes résolutions
affirmées au plus fort dela tourmente. Les réformes
annoncées au G20 denovembre 2008 ont été,
pour l’essentiel, oubliées.
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du travail intellectuel standardisable.
D’après des instituts spécialisés, 47 % desemplois existants aux Etats-Unis, 42 % en
France, pourraient disparaître dans un
délai de 10 à 30 ans, selon les scénarii6. La
société de conseil Roland Berger annonce
la destruction de 3 millions d’emplois
intellectuels, en France, au cours des dix
prochaines années7. L’avenir serait aux tra-
vailleurs indépendants, aux auto-entrepre-neurs, ou, dans le meilleur des cas, au
« travail partagé » : salarié pendant 3 jours,
« indépendant » le reste de la semaine.
D’après Jacques Attali, nous allons vers la
généralisation du statut des intermittents
du spectacle. Au plan idéologique, l’effon-
drement des grandes idéologies émanci-
patrices des XIXe et XXe siècles - commu-
nisme, socialisme révolutionnaire, et, dansune moindre mesure, progressisme répu-
blicain - a laissé place au retour en force
des religions révélées, de la pensée ma-
gique, de l’irrationalisme. La mondiali-
sation sauvage et l’Europe encalminée
frayent la voie au retour des nationalismes
de repli, souvent dans leur version agres-
sive et xénophobe. Au plan politique, cesévolutions nourrissent une double radica-
lisation : radicalisation à droite, avec la
banalisation des partis populistes xéno-
phobes et leur montée en puissance8 ;
radicalisation à gauche, avec le surgisse-
ment d’une nouvelle extrême-gauche, qui
prône la résistance au changement, maisne porte aucune réponse novatrice aux
défis auxquels nous sommes confrontés.
Ces évolutions du capitalisme et de la
société salariale appellent un redéploie-
ment des économies occidentales vers les
industries de pointe, les services à haute va-
24
Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?
Au plan social, le salariat sevoit menacé par « l’uberisation »des métiers de services et
l’automatisation du travail intellectuel standardisable.
6. Carl Benedict Frey et Michael Osborne ont publié, en 2013, une étude où ils passent en revue les effets de la robotisationsur 700 métiers aux Etats-Unis. Ils en concluent que la seconde vague d’automatisation peut détruire 47 % des emploisaméricains existants, en 20 ou 30 ans
7. Cf. Roland Berger strategy consultants. Think Act : « Les classes moyennes face à la transformation digitale ». Octobre2014. http://www.rolandberger.fr/media/pdf/Roland_Berger_TAB_Transformation_Digitale-20141030.pdf
8. Le 11 octobre 2015, le FPÖ d’extrême droite autrichien a obtenu plus de 32 % des suffrages, à l’élection municipale deVienne. En Suisse, lors des élections fédérales, le 18 octobre, le parti d’extrême droite, Union démocratique du centre(UDC), a fait une percée et représente désormais 29,5 % du Parlement. En France, le Front national est crédité de 26 %des intentions de vote, aux élections régionales de décembre.
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la revue socialiste 60
le dossier
leur ajoutée, mais aussi les services aux per-
sonnes, le passage d’une économie d’imi-tation à une économie d’innovation9, et
d’une société industrielle à une société de
services, fondés sur la connaissance.
Le compromis social-démocrate du XXIe
siècle vise à mobiliser les partenaires
sociaux, en faveur de cette mutation :
la gauche réformiste et les syndicats
acceptent la dérégulation relative du
marché du travail - sur le modèle de la
« flexisécurité » scandinave ; la modéra-
tion salariale ; la reconfiguration de l’Etat-
Providence, dans le sens d’un Etat social
plus préventif, moins curatif. Ils attendent,en échange du patronat et de la puissance
publique, la défense de l’emploi, la montée
de l’économie « à la frontière technolo-
gique », la conquête de parts de marché à
l’international, la sauvegarde de la puis-
sance économique nationale et euro-péenne. Ce compromis social-démocrate
d’adaptation à la globalisation est pro-
gressiste, s’il vise à préserver, dans leur
substance, les conquêtes sociales et démo-
cratiques accumulées par le mouvement
ouvrier, au long de deux siècles de lutte.
Ce qui passe nécessairement par la
reconstitution de leur base matérielle. Ilest progressiste aussi et surtout, s’il
s’efforce, au-delà de cette préservation,
d’assurer des conquêtes nouvelles. De
poursuivre la longue marche de la social-
démocratie vers une démocratie accomplie,
une économie maîtrisée, une civilisation
du bien-vivre. Il est régressif, au contraire,s’il vise à démanteler les acquis sociaux et
à promouvoir une répartition des richesses
outrancièrement favorable aux classes
possédantes.
LEXPÉRIENCE PIONNIÈREALLEMANDE
A la fin des années 1990, plusieurs partissociaux-démocrates se sont efforcés
de mettre en œuvre des compromis
d’adaptation progressistes. Ils l’ont fait,
malheureusement, dans un cadre trop
Ce compromis social-démocrated’adaptation à la globalisationest progressiste, s’il vise à préserver, dans leur substance,les conquêtes sociales et démocratiques accumulées par le mouvement ouvrier,
au long de deux siècles de lutte.
9. Cf. Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen, Changer de modèle, Editions Odile Jacob, 2014.
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étroitement national, insuffisamment eu-
ropéen, alors que l’Union européenne estl’espace pertinent du nouveau réfor-
misme. En Allemagne, par exemple,
le SPD et les syndicats ont consenti aux
réformes Hartz : l’indemnisation du
chômage a été réduite de 32 à 12 mois
(24 pour les plus de 50 ans) ; l’âge du
départ à la retraite a été repoussé à
67 ans (en 2029) ; les chômeurs ont étécontraints d’accepter un emploi, même
moins qualifié et moins rémunéré, sur
l’ensemble du territoire. En contrepartie,
le patronat et l’Etat se sont engagés à
garantir la puissance industrielle et
exportatrice du « site Allemagne », en
améliorant la spécialisation sectorielle et
géographique des entreprises, en confor-
tant le tissu des PME innovantes et expor-
tatrices, en investissant dans la rechercheet la qualification de la main-d’œuvre. Ré-
sultat : la croissance, quoique modeste,
est revenue, l’excédent de la balance
commerciale a atteint 217 milliards d’eu-
ros, en 2014. Les salariés ont engrangé,
comme convenu, leur part de cette mois-
son : le chômage est passé de 5 à 3 mil-
lions (6 % de la population active contre12 %, en moyenne, en Europe) ; les sa-
laires ont recommencé à monter, à partir
de 2010 ; un Smic horaire à 8,50 euros a
été institué, dans un pays où 7 millions
de salariés gagnaient 400 euros par
mois. D’après un récent sondage, 72 %
des citoyens allemands ont confiance enleur avenir - 81 % chez les 14-34 ans !10
La politique économique que propose
et met en œuvre François Hollande est
la version française des compromis
adaptatifs progressistes que prône la
social-démocratie européenne face à
la mondialisation. Elle est nettementmoins dure pour les salariés que ne l’était
l’Agenda 2010 de Gerhard Schr öder,
lequel le fut sans doute trop. Elle a pour
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Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?
La politique économiqueque propose et met en œuvreFrançois Hollande est la version française des compromisadaptatifs progressistes que prône la social-démocratieeuropéenne face à lamondialisation.
10. Voir l’étude menée par la Fondation Hamburger BAT, et publiée le 21 décembre 2013. Elle a été réalisée sur un échan-tillon représentatif de 2 000 citoyens allemands.
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la revue socialiste 60
le dossier
objectif de reconstituer la compétitivité
des entreprises françaises, afin de favori-ser leurs investissements, condition de
leur modernisation et d’une nouvelle
croissance. En cela, le Président socialiste
reste fidèle aux engagements pris lors de
son élection : « Redresser d’abord, dans
la justice, pour redistribuer ensuite. »
REDRESSERDANS LA JUSTICE
Au niveau national, les socialistes au
pouvoir ont créé une Banque publique
d’investissement, régionalisée, pour
financer les TPE, les PME et les ETI ; ils ont
déterminé 10 plans concrets de recon-
quête industrielle, arrêté un programmed’investissement d’avenir de 12 milliards
d’euros, élargi le Crédit d’impôt recherche
(CIR) aux dépenses d’innovation des
PME, voté une loi sur l’amortissement
anticipé des investissements dans les
moyens de production. Pour reconstituer
les marges d’exploitation des entreprises,
tombées à un plus bas historique en2012 - 28 %, contre 40 % en Allemagne -,
ils ont mis en œuvre le Crédit d’impôt
pour la compétitivité et l’emploi (CICE) etle « pacte de responsabilité ». Des comités
parlementaires de suivi et des comités
régionaux, où les syndicats sont pré-
sents, veillent à ce que les 41 milliards
d’euros ainsi attribués aux entreprises
servent bien à renforcer leur compétiti-
vité, plutôt qu’à gratifier les actionnaires11.
Ils ont fait voter la loi pour la croissanceet l’activité, dite loi Macron, pour réduire
les rentes des « professions protégées »
et certaines rigidités de la société fran-
çaise. Ils ont fait de l’Education la priorité
des priorités, à tous les niveaux, depuis
l’accueil de la petite enfance jusqu’à la va-
lorisation de l’enseignement supérieur,en passant par le renforcement de l’ensei-
gnement primaire.
Servis, il faut le reconnaître, par ce qu’on
a appelé « l’alignement favorable des pla-
nètes », survenu en 2014 - taux d’intérêt
faibles, parité euro-dollar favorable à nos
exportations, baril de pétrole bon mar-ché… -, ces efforts ont produit des effets :
11. D’après le rapport de France Stratégie, publié en septembre 2015, les marges d’exploitation des entreprises sontremontées à 31,5 % (+ 3 points). Le rapport ne comporte pas encore de résultats d’évaluation des effets du CICE entermes d’emploi, d’investissement, d’exportation, etc. Les premiers résultats sont attendus au printemps 2016 et por-teront sur les effets observables en 2013. A court terme, selon les enquêtes, les entreprises déclarent avoir l'intentiond'affecter principalement le CICE vers l’emploi et l'investissement.
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8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens
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les marges d’exploitation des entreprises
sont remontées à 31,5 %, les start-upsfrançaises innovantes se sont multi-
pliées. La production industrielle, la
construction, la consommation de biens
durables, l’achat d’automobiles, sont re-
partis. Cet effort en faveur de la compéti-
tivité des entreprises ne s’est pas
accompagné d’une politique d’austérité
et de régression sociale, comparable à
celles qu’ont pratiqué nos voisins. Les
gouvernements socialistes ont été sou-
cieux, au contraire, de trouver un juste
équilibre, entre le renforcement de la
compétitivité des entreprises et le soutien
à la demande. Le choc fiscal de 2012-2013, douloureux mais nécessaire, a été
justement réparti, avec une nouvelle
tranche d’imposition à 45 % sur les hauts
revenus, le rétablissement de l’ISF, le pla-
fonnement des niches fiscales… 75 % de
l’augmentation de l’impôt sur le revenu
a pesé sur les 25 % des ménages les plus
aisés. La lutte contre la fraude fiscale rap-porte désormais 2 milliards d’euros par
an aux caisses du Trésor, et la France
joue un rôle actif, à l’échelle européenne
et internationale, pour réduire « l’optimi-
sation fiscale ». 9 millions de foyers mo-
destes ont été dispensés de l’impôt sur le
revenu, en 2015, du fait de la suppression
de la première tranche. La consomma-tion populaire a continué à progresser, la
France est restée, selon l’OCDE, le pays le
plus égalitaire, en termes de revenus. La
réforme fiscale a été engagée, avec le pré-
lèvement de l’impôt à la source.
Les réformes et les mesures sociales queles gouvernements socialistes ont mis en
œuvre obéissent toutes à un objectif
de justice : la retraite à 60 ans, pour les
carrières longues, a été rétablie dès juillet
2012 ; un compte-pénibilité a été créé
pour permettre un départ anticipé des
salariés exerçant des métiers usants ;
l’assurance complémentaire santé a étégénéralisée à tous les travailleurs, le tiers-
payant à tous les assurés. Le Compte
personnel d’activité (CPA), grande avan-
cée vers la sécurisation des parcours
professionnels, voté en juillet 2015, sera
la grande conquête sociale du quinquen-
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Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?
La lutte contre la fraude fiscalerapporte désormais 2 milliardsd’euros par an aux caissesdu Trésor, et la France joue unrôle actif, à l’échelle européenneet internationale, pour réduire« l’optimisation fiscale ».
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le dossier
nat. La relance d’une politique contrac-
tuelle ambitieuse, voulue par le gouver-nement, s’est heurtée aux surenchères
du Medef et à la division des syndicats de
salariés. Mais, 36 000 contrats sont signés
chaque année au niveau des branches et
des entreprises, dont beaucoup avec la
CGT. Au niveau national, il reste des
progrès à faire, malgré quelques succès,
comme l’Accord national interprofes-sionnel (ANI), en janvier 2013, et la com-
plémentaire santé, en octobre 2015. Ces
compromis du « troisième type » se
nouent au niveau national, qui reste le
cadre principal de la négociation collec-
tive, mais aussi au niveau européen, qui
devient de plus en plus déterminant.
RÉORIENTERLUNION EUROPÉENNE
Confrontés aux défis de la mondialisation
et de la troisième révolution industrielle,
les principaux Etats européens ont mis en
œuvre des réponses étroitement natio-
nales, « non coopératives », comme ondit en sabir bruxellois, c’est-à-dire en réa-
lité divergentes et souvent contradictoires.
Le « triangle européen » - la Commission,
le Parlement, le Conseil - a élaboré, à
plusieurs reprises, des réponses conti-
nentales, mais, faute de volonté politique,celles-ci sont, pour l’essentiel, restées
lettre morte. C’est l’une des raisons ma-
jeures de l’échec économique européen et
du repli sur le « chacun pour soi ». Lessocialistes français ont pris conscience,
en 1983, de l’impuissance d’une politique
keynésienne de relance dans un seul
pays. Ce ne fut pas pour renoncer à toute
politique keynésienne et se rallier au néo-
libéralisme ambiant, mais, au contraire,
pour promouvoir un keynésianisme
continental et social-écologique (un« Green New Deal »). Ce fut le « pari »
de François Mitterrand12, ramassé dans
le mot d’ordre constant des socialistes :
« Relancer et réorienter l’Europe ».
12. Cf. Jean-Pierre Chevènement, 1914-2014 : l’Europe sortie de l’Histoire, Paris, Fayard, 2013.
Confrontés aux défis de lamondialisation et de la troisième
révolution industrielle,
les principaux Etats européensont mis en œuvre des réponsesétroitement nationales,
« non coopératives », comme ondit en sabir bruxellois, c’est-à-
dire en réalité divergenteset souvent contradictoires.
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C’est la condition aussi du succès du
compromis social-démocrate d’adapta-tion progressiste à la globalisation,
qui appelle une articulation entre les
politiques économiques nationales et
une politique économique européenne
volontariste et ambitieuse. François
Hollande perpétue ce combat, et cherche
à y entraîner l’Allemagne, avec quelques
succès. Ses fronts principaux sont :- une stratégie différenciée de sortie de
crise : les Etats excédentaires de l’Europe
du Nord - et, en premier, lieu l’Alle-
magne - doivent relancer leurs investis-
sements et leur consommation, pour
servir de locomotive à l’Europe ; ceux,
surendettés, d’Europe du Sud - dont laFrance ! -, doivent trouver un équilibre
entre assainissement de leur finance et
soutien à leur activité économique.
- un programme européen d’investisse-
ment dans la transition écologique et
énergétique, la révolution numérique,
les bio et les nanotechnologies, beau-
coup plus ambitieux que l’actuel Plan
Juncker de 315 milliards d’euros, quidoit être un premier pas.
- l’élargissement (en bonne voie) des mis-
sions de la BCE, laquelle doit se soucier
- à l’instar de la FED américaine - de la
croissance et de l’emploi, autant que de
la stabilité monétaire.
- Le parachèvement de l’Union bancaire,
avec la mise en œuvre de son « troi-sième pilier » : la garantie des dépôts
des épargnants.
- la démocratisation des institutions
européennes, qui doivent devenir à
la fois plus légitimes, plus efficaces
et plus solidaires.
- la mise en œuvre, enfin, de politiquescommunes européennes, pour répon-
dre aux grands défis du siècle : la
lutte contre le dérèglement climatique,
la maîtrise de la finance folle, le contrôle
des flux migratoires, la lutte contre le
jihadisme, la pacification de notre
voisinage proche.
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Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?
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Pour répondre à cette question, une re-
marque préliminaire classique s’impose :
ce qui réfère au modèle organisationnel
social-démocrate concerne, au premier
chef, deux des trois types de profils isolés
pendant longtemps dans l’analyse despartis socialistes en Europe : les types
« social-démocrate » et « travailliste ».
Quoique différents au plan idéologique et
de leur rapport au syndicat, ces deux
types répondent aux critères de défini-
tion qui seront développés, ci-après.
En revanche, le type « socialiste », qui se
rapporte essentiellement aux partis
socialistes de l’Europe méridionale,échappe classiquement au modèle
dans les analyses réalisée sur cette
famille de partis.
Àla fin du XIXe siècle, la naissance et le développement de la famille
socialiste/sociale-démocrate impriment l’avènement d’un nouveau modèleorganisationnel partisan ; pour être plus correct, d’un nouveau modèle
organisationnel partisan, social et sociétal. Les nouveaux partis socialistes, sociaux-
démocrates ou ouvriers se donnent rapidement à voir comme des partis de masse, selonla terminologie de Maurice Duverger, reposant « sur les sections, plus centralisés et plus
fortement articulés »1. Plus largement même, ce sont des partis d’intégration sociale
face aux formations de représentation individuelle 2 ou des partis de contre-société
ouvrière3
qui sont édifiés. Que recouvre le modèle organisationnel qui leur est petit à petitprêté dans l’analyse scientifique ?
Adieu au modèle organisationnelsocial-démocrate
Pascal Delwit Professeur au Centre d’étude de la vie politique de l’Université libre de Bruxelles (ULB).
1. Maurice Duverger, Les partis politiques, Paris, Points Seuil, 1992, p. 127.2. Sigmund Neumann, « Toward a Comparative Study of Political Parties », in Sigmund Neumann (ed.), Modern Political
Parties, Chicago, The University of Chicago, 1956, p. 404.3. Michel Winock, Le socialisme en France et en Europe. XIX e et XX e siècles , 1992, Paris, Seuil, p. 108.
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1. Le modèle organisationnel social-
démocrate se rapporte, d’abord, nousl’avons pointé, à l’horizon d’un parti de
masse, c’est-à-dire un parti à la fois très
structuré et avec un très grand nombre
d’affiliés, qui sont, pour l’essentiel, d’ori-
gine ouvrière. Dans l’après-Deuxième
Guerre mondiale, les partis sociaux-
démocrates danois (SD) et suédois(SAP) et le parti du travail norvégien
(DNA) apparaissent comme des idéaux-
types. Toutefois, l’avènement de cette
configuration est bien plus précoce. Dès
avant la Première Guerre mondiale, le
parti-phare du socialisme international,
le parti Social-démocrate allemand
(SPD), s’impose comme une formationau format exceptionnel. Au début du
XXe siècle déjà, plus de 300 000 citoyens
ont rejoint le parti. Et ce nombre croît,
jusqu’à la veille de la Première Guerre
mondiale, moment où le SPD dépasse
le million d’adhérents. En parallèle, lesyndicalisme s’est aussi considérable-
ment développé et le parti peut faire
état d’une large palette d’organisations
périphériques, de la diffusion d’un
grand nombre de journaux et d’un
patrimoine immobilier impression-
nant. L’appareil du parti révèle une
bureaucratie puissante, rodée, et deplus en plus professionnalisée. Elle est,
d’ailleurs, au cœur du livre pionnier de
Roberto Michels, Les partis politiques,
paru en 19134.
Evolution du nombre de membres
du SPD, de 1906 à 1914 :
TABLEAU
32
Pascal Delwit - Adieu au modèle organisationnel social-démocrate
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4. Roberto Michels, Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Bruxelles, Editions del’Université de Bruxelles, 2009 (nouvelle édition).
Dès avant la Première Guerre
mondiale, le parti-pharedu socialisme international,le parti Social-démocrateallemand (SPD), s’imposecomme une formationau format exceptionnel.
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2. Un élément central du modèle orga-
nisationnel social-démocrate dansla famille socialiste est le « rapport
puissant »5, central même, à la classe
ouvrière. « La social-démocratie s’est
constituée historiquement comme
la forme prévalente d’organisation
politique des ouvriers dans le capi -
talisme », rappelle Moschonas6. Nom-
bre de partis intègrent, d’ailleurs,l’étiquette ouvrière - parti ouvrier belge,
Sociaal Democratische Arbeiders
Partij (Pays-Bas), parti ouvrier socia-
liste luxembourgeois et même le Parti
socialiste ouvrier espagnol - ou le
rapport au travail - Labour Party,
Norske Arbeiderparti… - dans leurlibellé dénomination. La famille socia-
liste est « la » famille de la classe
ouvrière, qui s’est puissamment
développée avec l’accélération de la
révolution industrielle, et qui est la
classe amenée à jouer le rôle clé dans
l’avènement du socialisme. A cette
aune, les partis sociaux-démocrates
sont des partis communautés7.
3. Enfin, dès lors que l’on se situe à l’ori-
gine dans un registre de contre-Etat oude contre-société, les partis sociaux-dé-
mocrates et travaillistes s’adossent à
une organisation syndicale puissante,
le plus souvent organiquement liée à
eux et qui, dans plusieurs situations,
leur fournissent l’essentiel de leurs affi-
liés, par le biais de l’adhésion indirecte.
Dans le modèle social-démocrate, leparti est prééminent, contrairement au
type travailliste. Les syndicats enca-
drent les salariés et portent les revendi-
cations sociales.
Nous l’avons souligné, cet échafaudage
organisationnel est déjà observable dansle chef de certains partis, au début du XXe
siècle, tout particulièrement en Alle-
magne, en Belgique, ou encore dans
l’espace austro-hongrois. Dans l’entre-
deux-guerres, il est mis à mal dans
certains territoires frappés par l’avène-
ment du fascisme. On songe tout spécia-
lement à l’Allemagne et l’Autriche. Mais,en parallèle, il se développe dans le nord
5. Marc Lazar, « Invariants et mutations du socialisme en Europe », in Marc Lazar (Ed.) La gauche en Europe depuis 1945.Invariants et mutations du socialisme européen, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 20.
6. Gerassimos Moschonas, La social-démocratie de 1945 à nos jours, Paris, Montchrestien-Clef, 1994, p. 123.7. Pascal Delwit, « La social-démocratie européenne et le monde des adhérents: la fin du parti communauté ? », in Pascal
Delwit (Ed.), Où va la social-démocratie ?, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2004, pp. 229-252.
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Pascal Delwit - Adieu au modèle organisationnel social-démocrate
de l’Europe8. Et c’est dans l’après-
Deuxième Guerre mondiale, que ce mo-dèle se donne pleinement à voir. Sous
l’angle organisationnel, la famille socia-
liste révèle une exceptionnelle capacité.
Certes, tous les partis ne ressortissent pas
à ce modèle et à cette force. En France et
en Italie, les partis socialistes sont la
deuxième force de gauche de leur sys-
tème politique et ne peuvent faire valoir
les trois caractéristiques du modèle. Loin
s’en faut. La majorité de la classe ouvrière
de ces deux Etats rejoignent ou/et votent
pour le Parti communiste de leur Etat, lePCF et le PCI. Mais, dans l’Europe démo-
cratique issue de la libération, cette obser-
vation est l’exception. Pendant vingt-cinq
à trente ans encore, la famille socialiste fait
montre de puissance politique, sociale et
sociétale. Pourtant, à l’aurore des annéessoixante-dix, certains indicateurs indi-
quent un mouvement qui s’amplifie peu
à peu à la fin de la décennie, dans les an-
nées quatre-vingt et s’accélère, par la suite.
Tous les éléments du modèle sont trou-
blés et affectés.
Il en va d’abord des partis et de leur com-munauté d’affiliés. Pour nombre de for-
mations socialistes, le total des affiliés
plafonne à ce moment et commence à
décliner. Par la suite, le reflux se poursuit,
parfois même de façon spectaculaire.
Pour les partis du centre de l’Europe -
Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse,Autriche,… -, l’observation est systémati-
quement vérifiée. Le cas du SPD est em-
blématique. Après la Deuxième Guerre
mondiale, il a une fois encore culminé
au-delà d’un million d’adhérents, en
1976 et 1977. En 1976, un électeur sur
vingt-cinq inscrits (M/I) est membre du
Parti social-démocrate. Mais, c’est uneforme de chant du cygne. Au début des
années quatre-vingt, on observe une
érosion, qui n’est pas même freinée par
le processus de réunification. En 2011,
8. Mario Telo, Le New deal européen, La pensée et la politique sociales-démocrates face à la crise des années trente ,Bruxelles, Editions de l'Université Libre de Bruxelles, 1988.
C’est dans l’après-Deuxième
Guerre mondiale, que ce modèlese donne pleinement à voir. Sous l’angle organisationnel,la famille socialiste révèle uneexceptionnelle capacité. Certes,tous les partis ne ressortissent pas à ce modèle et à cette force. En France et en Italie, les partissocialistes sont la deuxième
force de gauche.
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pour la première fois depuis 1945, le SPD
passe sous la barre des 500 000 effectifs.Et, dans la période contemporaine, son
étiage se fixe à 460 000 affiliés. Le
rapport aux inscrits n’est plus que de 0,8
% et seul un électeur du parti sur vingt-
cinq en était membre (M/Ep) en 2013, cela
en dépit du très mauvais résultat électoral.
La configuration autrichienne n’est pas
moins révélatrice. Le SPÖ est le parti decommunauté par excellence. Dans son
autobiographie, Eric Hobsbawm relate
cette anecdote éloquente : « Comme le
père de Peter était cheminot, sa famille
était rouge : en Autriche, et surtout dans la
campagne, à part chez les paysans, il ne serait venu à l’idée d’aucun ouvrier d’être
d’une autre couleur »9. Après la Deuxième
Guerre mondiale, le SPÖdépassera le cap
des sept cent mille membres, dans les
années soixante-dix. Mais, le reflux
s’annonce aussi dans les années quatre-
vingt et son accélération est saisissante
par la suite. Alors qu’un électeur inscritsur huit était encore membre du SPÖ,
en 1986, ce n’était plus le cas que d’un sur
trente-trois, en 2013, année où le niveau
des affiliés se fixait à 200 000.
9. Eric Hobsbawm, Franc-tireur. Autobiographie, Paris, Pluriel, 2005, p. 29.
Evolution des effectifs (M) et du rapport à l’électorat du parti (M/Ep) et aux électeurs inscrits (M/I) des partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe du centre :
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