la revue socialiste n°59

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    sommaire

    édito

    - Alain Bergounioux Écologie et progrès ........................................................................................................................................................................................................................................ p. 03

    le dossier

    - Dominique Bourg« Je n’ai plus aucun doute sur le fait que nous allons décroître » ................................................................................................................ p. 05

    - Antoine MaudinetCOP21 : la longue route vers un accord .................................................................................................................................................................................... p. 11

    -Stéphane Le FollL’agro-écologie .................................................................................................................................................................................................................................................... p. 21

    - Barbara PompiliLes rendez-vous de Paris 2015 ........................................................................................................................................................................................................... p. 25

    - Serge OrruLa ville durable sera circulaire ............................................................................................................................................................................................................ p. 33

    - Christophe ClergeauLe progrès peut-il être durable ? ....................................................................................................................................................................................................... p. 41

    - Barbara Romagnan et Juliette PerchepiedUrgence climatique et écologique, une urgence sociale pour le XXIe siècle ...................................................................................... p. 49

    - François Gémenne

    L’Anthropocène et ses victimes. Pourquoi il faut quand même parlerde « réfugiés climatiques » ..................................................................................................................................................................................................................... p. 59

    - François BrottesLa transition énergétique, un chemin qui s’ouvre.La transition énergétique, un chemin de conquête .................................................................................................................................................... p. 69

    - Jean-Paul ChanteguetLes défis de la fiscalité écologique .................................................................................................................................................................................................. p. 77

    - Daniel BoyOù va l'écologie politique ? .................................................................................................................................................................................................................... p. 85

     grand texte- François Mitterrand

    Sommet de la Terre, Rio de Janeiro, 13 juin 1992 ............................................................................................................................................................ p. 93

    le débat

    - Paul QuilèsDissuasion nucléaire : abandonner les mythes .............................................................................................................................................................. p. 99

    - Alain RichardDissuasion française : quel avenir ? ................................................................................................................................................................................................................................... p. 107

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    à propos de… Jean-Luc Mélenchon, Le Hareng de Bismarck  , 2015

    - Henri WeberLa couleuvre de Mélenchon ............................................................................................................................................................................................................... p. 121

     Henri Verdier, Nicolas Colin, L’âge de la multitude , 2012

    - Corinne ErhelL’âge de la multitude : un électrochoc pédagogique nécessaire ................................................................................................................ p. 133

    actualités internationales

    - Andreï Gratchev

    La Russie réagit comme une « forteresse assiégée » ...................................................................................................................................................................................... p. 141

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    éditoAlain Bergounioux

     Directeur de La Revue socialiste.

    Si, en effet, la hausse de la température

    moyenne sur notre planète n’est pas conte-

    nue autour de 2°C d’ici la fin du siècle, un

    point de non-retour peut être atteint, entraî-

    nant de lourdes conséquences, en termes

    de climat bien sûr, mais également pour 

    des ressources naturelles, aussi impor-

    tantes que l’eau, pour les migrations depopulation, et, donc, pour les équilibres

    géopolitiques, avec des risques de guerre.

    Or, il faut trouver un consensus entre 196

    pays ! On comprend que cela n’est pas

    simple. Et, récemment, Ségolène Royal,

    s’est inquiétée de la lenteur des négocia-

    tions, trop exclusivement prises en main

    par les experts, et pas suffisamment par les

    responsables politiques. Ce qui rend le pro-

    blème difficile est qu’il ne s’agit pas

    seulement de prendre des mesures de

    réduction des émissions des gaz à effet deserre, mais, en même temps, de déterminer 

    des mesures d’adaptation aux change-

    ments climatiques. Or, ces dernières ont

    nécessairement un coût important. Alors

    que les Etats riches ont promis, en 2009,

    de verser 100 milliards de dollars par an

     jusqu’en 2020, le Fonds vert, pour les

    répartir, n’a réuni, jusqu’à présent, que10 milliards de dollars… Les réticences d’un

    grand nombre de pays, en Afrique, en Asie,

    en Amérique Latine s’expliquent par là.

    Pour les grandes puissances, par ailleurs,

    comme la Chine ou les Etats-Unis, la tenta-

    tion est grande de faire fond sur les

    Il n’est pas étonnant que La Revue socialiste consacre son dossier trimestriel aux défis

    et aux problèmes auxquels se confronte la Conférence mondiale sur le climat, la COP 21,

    qui va se réunir à Paris, fin novembre. Un succès serait historique, compte-tenu de l’enjeu.

    Écologie et progrès

     Si la hausse de la températuremoyenne sur notre planèten’est pas contenue autour de 2°Cd’ici la fin du siècle, un pointde non-retour peut être atteint,entraînant de lourdes conséquences.

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     Alain Bergounioux - L

    évolutions technologiques. L’Union euro-

    péenne, précédée, il est vrai, par la Suisse,

    est la première à avoir communiqué son

    plan de lutte contre le réchauffement clima-

    tique. Mais, sa force d’entrainement estproblématique. Le travail diplomatique,

    mené notamment par Laurent Fabius, revêt

    ainsi toute son importance. La mobilisation

    des sociétés, de leurs associations pour l’en-

    vironnement, de leurs entreprises, de leurs

    mouvements de pensée, est, dès lors, une

    nécessité. Cela devrait être une des actionsdes partis politiques, particulièrement le

    nôtre, d’aider à ces expressions. On atten-

    drait, de ce point de vue, une action de

    l’Internationale socialiste, trop absente de

    cette cause.

    Ces débats doivent également nous per-

    mettre d’approfondir notre engagementécologiste – réaffirmé, notons le, dans

    toutes les motions présentées au dernier 

    congrès de Poitiers. Car, tenir les engage-

    ments pour le climat demande de faire

    évoluer nos modes de production et de

    consommation. Faute de quoi, ils ne seront

    pas tenables dans la durée. Trois dimen-

    sions essentielles doivent être prises encompte : la sobriété énergétique, le dévelop-

    pement des énergies renouvelables, une

    répartition différente des gains de produc-

    tivité, pour réduire les inégalités. Ces

    politiques ne sont actuellement qu’à leur 

    commencement. Il faudra leur donner une

    plus grande ampleur pour être à la hauteur 

    des défis. Cela demande des moyens,évidemment, mais tout autant une explici-

    tation de ce que doit être l’avenir de notre

    société. Il ne s’agit pas de renoncer à l’idée

    de progrès, mais de la redéfinir. Après tout,

    nous devons revenir à ce qu’était la concep-

    tion originelle du progrès, dans l’esprit des

    Lumières. Ce qu’il s’agissait de libérer, c’étaitl’esprit humain, comme l’a marqué forte-

    ment Condorcet, dans son Esquisse des

     progrès historiques de l’esprit humain.

    L’émancipation des hommes s’entend,

    avant tout, par la capacité qu’ils doivent

    avoir d’exercer leur autonomie. Les enjeux

    de la Conférence de Paris sont ainsi étroite-

    ment liés au paradigme civilisationnelnouveau que les socialistes doivent porter.

    D’ailleurs, nous n’avons guère d’autre choix,

    car pour reprendre la formule frappante

    de Ban Ki Moon, le Secrétaire général

    de l’ONU : « Il n’y a pas de plan B, parce qu’il

    n’y a pas de planète B ».

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     Alain Bergounioux - Écologie et progrès

     Nous devons revenir à cequ’était la conception originelledu progrès, dans l’esprit des Lumières. Ce qu’il s’agissait delibérer, c’était l’esprit humain.

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    La Revue socialiste : Au début de la décennie

    2000, alors que Jacques Chirac était président

    de la République, vous avez travaillé à défendre

    le modèle du développement durable auprès

    de Jean-Pierre Raffarin et Nathalie Kosciusko

     Morizet. Quinze ans plus tard, vous parlez 

    décroissance et sobriété, et vous vous référez

    au Club de Rome, au rapport Meadows,

    à André Gorz et Ivan Illich. Que s’est-il passé ?Dominique Bourg : La situation a tota-

    lement changé. J’ai espéré, dans la

    foulée du sommet de Rio de 1992, qu’on

    arriverait à réduire nos flux de matières

    et d’énergie. Rendons-nous à l’évidence,

    le développement durable est un échec

    cuisant. Tous les grands indicateurs

    se sont puissamment dégradés. Ledécouplage1 est une fable. Je n’ai plus

    aucun doute sur le fait que nous allons

    décroitre, et cela involontairement. Et je

    suis loin d’être le seul. Quand Louis

    Schweitzer, par exemple, a lancé Dacia,

    c’est parce qu’il avait déjà cette convic-tion : il préparait Renault au fait que le

    revenu des classes moyennes euro-

    péennes allait baisser. Nous basculons

    dans l’ère de l’Anthropocène, où nous

    subirons les effets de nos déborde-

    ments. Ceux qui s’obstinent à refuser cet état de faits l’aggraveront. C’est un

    horizon désormais inévitable. Le pro-

    blème, c ’est que le mot décroissance est

    politiquement inaudible.

    « Je n’ai plus aucun doutesur le fait que nous allons décroître »

    la revue socialiste   59 

    le dossier Dominique Bourg

     Professeur à l’Université de Lausanne, auteur de La pensée écologique. Une anthologie , PUF, 2014.

     J’ai espéré, dans la fouléedu sommet de Rio de 1992,

    qu’on arriverait à réduire nos

     flux de matières et d’énergie. Rendons-nous à l’évidence,le développement durable

    est un échec cuisant.

    1. Les taux de croissance continuent à augmenter, tandis que les flux de matières et d’énergie décroissent.

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     Dominique Bourg - « Je n’ai plus aucun doute sur le fait que nous allons décroître »

    L. R. S. : Pourriez-vous revenir sur le terme de

    décroissance, en vous appuyant, notamment,sur sa place dans la pensée écologique ?

    D. B. : Dès l’origine, la pensée écologique

    s’est nourrie du constat de la dégradation

    du système Terre – ou de la nature, comme

    on disait au XIXe siècle. Par la suite, cette

    pensée s’est enrichie de deux constats. Tout

    d’abord, un scepticisme croissant sur la

    possibilité des techniques à nous sortir del’impasse. Stuart Mill, par exemple, pensait

    que nous devrions, à moment donné,

    entrer dans une économie stationnaire.

    Ensuite, une critique de l’anthropocen-

    trisme à géométrie variable. Le scepticisme

    vis-à-vis de la technique est partagé des

    deux côtés de l’Atlantique. En revanche, lesecond trait s’est surtout développé chez

    les Anglo-saxons. A partir des années 1970,

    ensuite, nait l’écologie politique qui fait

    le constat que comme on ne peut pas

    changer les choses avec la technique, la

    seule solution réside dans la modification

    des modes de vie et de la société. Cette éco-

    logie politique connaît de nombreusesexpressions. Côté nord-américain, elle est

    d’inspiration plutôt malthusienne et très

    à droite, comme en témoignent, par exem-

    ple, les textes de Hardin ou d’Ehrlich. Le

    courant arcadien, qui regroupe, notam-

    ment, Bertrand de Jouvenel, Ivan Illich,

    André Gorz, ou Félix Guattari est, quant à

    lui, très représenté en France, à la fin desannées 1960. Pour ses tenants, l’enrichisse-

    ment matériel est un piège. Plus tard,

    viendra Serge Latouche, qui critique l’éco-

    nomisme et la notion de développement et

    pour lequel la décroissance est une fin en

    soi. En réalité, tous les courants de l’écolo-

    gie politique sont en un sens décroissants,

    même si l’accent varie. Pour ma part, je merange dans le courant institutionnaliste.

    D’autres chercheurs français, comme

     Jean-Pierre Dupuy et Bruno Villalba appar-

    tiennent au courant apocalyptique et

    catastrophiste et réfléchissent, de manière

    globale, à la question du collapse. Mais

    là encore, l’horizon apocalyptique n’est jamais très loin. Enfin, il existe une dernière

    composante, la tendance anarchiste qui

    prône la mise en place de petites commu-

    nautés autogérées.

    L. R. S. : Comment rendre compatible

    l’aspiration au progrès social qui se traduit,

    le plus souvent, par des avancées

    quantitatives et l’impératif de sobriété

    que vous mettez en avant?

    D. B. : Une manière de concevoir le progrès

    – conçue de façon hors sol et hors bio-

    sphère – est celle propre à l’économie

    néoclassique : l’enrichissement matériel

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    le dossier

    individuel débouche sur le bien-être. Cet

    idéal n’est ni spatialement ni temporelle-ment soutenable et, en outre, la corrélation

    n’est nullement systématique : le bien-être

    sans un standard matériel n’est certes

    guère possible, mais l’accumulation

    indéfinie n’entraîne pas, non plus, un

    accroissement proportionnel du bien-être.

    On ne peut pas réconcilier la première et la

    seconde démarche. Les citoyens peuventaccepter l’idée que, dans un certain nombre

    d’années, les ressources vont commencer à

    manquer et que, ce qu’on leur propose, c’est

    d’affronter ce moment dans un esprit de

    solidarité, de partage, notamment en res-

    serrant l’écart des revenus. Ce discours est

    moins inaudible que celui de la décrois-

    sance brute. Il ne s’agit pas de consentir à lapauvreté, qui est synonyme d’écrasement

    des potentialités humaines. Il s’agit d’adop-

    ter une autre conception de la richesse et du

    luxe. Il faut parier sur ce qu’Amartya Sen

    appelle les « capabilités », mais collectives.

    Il existe de nombreux exemples d’initiatives

    reposant sur ce type de logique : des regrou-

    pements de paysans associés pour acheter une presse à colza ou une station de

    méthanisation, l’habitat coopératif, les

    crèches collaboratives, les  fab lab, plus

    généralement ce qu’on appelle les « com-

    muns » dont parlent, par exemple, Pierre

    Dardot et Christian Laval.

    L. R. S. : Pourrait-on assimiler ce type

    d’initiatives à l’Economie sociale

    et solidaire (ESS) ?

    D. B. : Il s’agit d’une démarche plus

    exigeante. La prix Nobel, Elinor Ostrom,

    montre dans ses travaux, combien

    les communs exigent de formes de

    gouvernance spécifiques, caractérisées,notamment, par l’adoption de règles très

    strictes : les pâturages de haute mon-

    tagne, en Suisse, les systèmes complexes

    d’irrigation d’eau, en Espagne, qui exis-

    tent depuis mille ans, sont gérés par des

    petits collectifs fonctionnant selon des

    principes bien définis. Ce type d’organisa-

    tion se développe surtout dans un étatd’esprit écologique, puisque, par ce biais,

    on tente d’innover en optant pour des

    modes de vie moins lourds pour l’envi-

    ronnement et plus conviviaux. Par 

    ailleurs, ce type de projet a le mérite de

    revêtir une signification plus large que

     Il ne s’agit pas de consentirà la pauvreté, qui est synonymed’écrasement des potentialitéshumaines. Il s’agit d’adopter une autre conceptionde la richesse et du luxe.

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     Dominique Bourg - « Je n’ai plus aucun doute sur le fait que nous allons décroître »

    le fait d’être un principe d’organisation

    parmi d’autres : d’une certaine manière,il contient en lui la possibilité de rester 

    ouvert à la spiritualité. Aucune société ne

    peut exister sans une certaine idée de l’ac-

    complissement de notre humanité. Chez

    Homère, la réalisation de soi passe par 

    l’épopée guerrière, chez Aristote, par le

    développement de la raison spéculative,

    grâce à la philosophie et aux sciences, de laraison pratique par la politique et de la sen-

    sibilité par les arts. Chez les Chrétiens, c’est

    le salut de l’âme. L’enjeu, dans une société

    pluraliste, consiste à conjuguer des spiri-

    tualités à la fois différentes et compatibles

    avec les contraintes environnementales.

    Les capabilités collectives sont une réponseà ce défi : cela a beaucoup plus de sens de

    participer à une organisation commune

    que d’être salarié d’une entreprise. D’où la

    mode de ces petits collectifs.

    L. R. S. : Quand vous parlez de capabilités

    collectives, vous mettez en évidence des

    initiatives autogérées qui impliquent un

    nombre relativement limité de personnes.

    Quelle est la place de l’Etat dans ce type

    d’organisation ? Conserve-t-il un rôle ?

    D. B. : Bien-sûr ! L’Etat reste le grand régu-

    lateur. Prenons l’exemple de la directive

    européenne sur les semences. C’est à

    l’Etat de rouvrir le système, de recréer de

    la variété génétique. Face à la puissancedes lobbies, lui seul peut le faire. Il doit

    aussi faciliter l’organisation des petits

    collectifs que je viens d’évoquer, par 

    exemple, en créant un statut d’expérimen-

    tateur écologique. Il doit ménager une

    société à plusieurs vitesses : si on ne peut

    pas abandonner tout à fait la croissance,

    il faut créer des poches d’expérimentationsur l’ensemble du territoire, permettre

    que la partie de la société qui veut aller de

    l’avant puisse le faire, avoir une politique

    des communs. Mais, si l’on aborde le

    sujet de la décroissance de manière fron-

    tale, on ne pourra pas s’en sortir.

    L. R. S. : Vous êtes revenu de votre optimisme

    initial. Mais les discours catastrophistes

    ne portent pas leur fruit non plus,

    on l’a vu au moment de Copenhague.

    D. B. : Le drame de l’environnement, c’est

    que les problèmes environnementaux

    ne sont pas accessibles aux sens. Ce qui

    fait bouger les hommes, c’est la confron-tation à une menace visible qu’ils n’ont

    pas à interpréter, qu’ils reçoivent comme

    immédiate. Le prix Nobel d’économie,

    Daniel Kahneman, a bien montré qu’en

    l’occurrence, les caractéristiques du pro-

    blème sont à la fois trop abstraites et trop

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    le dossier

    éloignées. C’est donc aux élites de propo-

    ser à la population d’avancer en donnantdu sens, avec des mesures acceptables,

    en faisant transiter le système progressi-

    vement, etc.

    L. R. S. : Dans vos ouvrages, vous vous

    interrogez sur la capacité de notre système

    institutionnel à relever le défi de la

    transition environnementale et vous

     proposez un certain nombre de pistes.

     Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

    D. B. : Les hommes politiques sont sou-

    mis à de nombreux lobbyings et sont

    souvent très mal informés. Plus généra-

    lement, la démocratie représentative

    n’est pas armée pour affronter lesmenaces qui pèsent sur notre planète.

    Dans l’ouvrage que j’ai coécrit avec Kerry

    Whiteside, Vers une démocratie écono-

    mique2, nous proposons une réforme

    constitutionnelle qui porterait, principa-

    lement, sur la Chambre Haute : le Sénat

    pourrait être remplacé par une chambre

    spécialisée dans le long-terme, à la com-

    position originale, ne votant plus la loi,mais pouvant contraindre l’assemblée à

    réexaminer un projet. Un « Collège du

    Futur », en charge de mener des études

    prospectives pourrait « épauler » cette

    Chambre Haute. Si l’on juge préférable de

    préserver le Sénat, on peut aussi créer 

    une troisième Chambre, en lieu et placedu Conseil économique, social et envi-

    ronnemental (CESE). Une autre mesure

    consisterait à donner une place aux ONG

    dans le processus d’élaboration des lois,

    en rendant obligatoire leur audition en

    commission, ce qui permettrait d’impul-

    ser une dynamique de contrepouvoir.

    Une autre mesure consisteraità donner une place aux ONG 

    dans le processus d’élaboration

    des lois, en rendant obligatoireleur audition en commission, cequi permettrait d’impulser une

    dynamique de contrepouvoir.

    2. Vers une démocratie économique, Le Seuil, 2010.

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    le dossier

    Le diagnostic du problème l’est toutautant, une fois dissipée la rumeur cli-

    mato-sceptique. Rapport après rapport,

    le GIEC (Groupement d’experts intergou-

    vernemental sur l’étude du climat) affine

    le degré de certitude sur la responsabi-

    lité des hommes dans le réchauffement

    climatique. Alors qu’il était jugé « proba-

    ble » (plus de 66 % de chances) dansle 3e rapport paru en 2001, celui de 2007

    le jugeait « très probable » (plus de 90 %

    de chances) et celui de 2014 le juge

    « extrêmement probable » (plus de

    95 % de chances). Les conséquences

    de ce réchauffement ne sont pas plus

    équivoques : montée des eaux quis’accompagne de disparitions de pans

    entier de territoires, accroissement des

    phénomènes climatiques extrêmes -

    sécheresses, inondations, cyclones - qui

    vont se renforcer en fréquence comme

    en intensité, déplacements massifs

    de populations, réduction des terres

    arables et des espaces habitables.Du constat de départ au but à atteindre,

    la route est pourtant encore bien

    longue, à seulement cinq mois de la

    COP. Le nombre de ses grandes messes

    avortées en témoigne : la 21e sera-t-elle

    la bonne ? 

    Du 30 novembre au 11 décembre se déroulera au Bourget la COP21, la 21e Conférence

    des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), convention issue du Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Le but est clair :

    parvenir à un accord universel et juridiquement contraignant pour limiter le réchauffement de

    la planète sous les 2°C, d’ici la fin du siècle, ce qui est sans doute le plus grand défi collectif que

    l’humanité ait affronté jusqu’alors.

    COP21 :la longue route vers un accord

    Antoine MaudineTChargé des questions relatives à la transition écologique au Parti socialiste.

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    UN ACCORD MONDIALSUR LE CLIMAT :

    DOUBLE CASSE-TÊTE HUMAINET JURIDIQUE

    Le défi est de taille, car comme le sou-

    lignent Dominique Bourg et Kerry

    Whiteside, l’enjeu écologique recoupe

    difficilement le prisme habituel des

    décisions politiques. Les impacts du

    réchauffement climatique ne connais-

    sent pas de frontières, alors que nos

    décideurs sont appelés à ne se préoccu-

    per que des portions de territoire qu’ils

    représentent. Les changements du cli-

    mat sont bien souvent impalpables au

    quotidien et éloignés, dans leurs effets,ce qui n’aide pas les citoyens à prendre

    conscience du besoin d’agir. Le réchauf-

    fement de la planète est également

    marqué, d’une part, par l’inertie de sa

    progression, qui inscrit dans le moyen

    et long terme ses répercussions, et,

    d’autre part, par l’irréversibilité de ses

    conséquences, qui implique que nousne disposons que d’un temps limité

    pour agir, après quoi il sera trop tard. La

    situation est inédite du point de vue de

    la décision politique, car il y a non seu-

    lement décalage, mais inversion de

    l’ordre habituel entre la phase appro-

    priée pour régler le problème et celle où

    les manifestations de ce problème sefont les plus concrètes, comme un coup

    de feu que l’on n’entendrait partir 

    qu’une fois qu’il a déjà atteint sa cible.

    Or, la capacité d’anticipation requise

    tranche avec le court-termisme auquel

    les décisions politiques nous ont accou-

    tumé. S’ajoutent à ces obstacles desdifficultés propres aux caractéristiques

    du droit international public quant à

    l’obtention d’un accord contraignant. En

    l'absence d'autorité politique compé-

    tente à l'égard de l'ensemble des Etats, il

    n’y a ni sanction sociale organisée, ni

     juge obligatoire, de telle sorte que l’on

    n’a d’autre choix que de s’en remettre àchaque Etat pour assurer le respect du

    droit. En cas de non-respect de l’accord,

    on est en droit de penser que l’Etat

    n’agira que dans la mesure où il y a

    intérêt. Cette difficulté s’est retrouvée

    dans les faits.

    12

     Antoine Maudinet - COP21 : la longue route vers un accord 

     Les impacts du réchauffement climatique ne connaissent pasde frontières, alors quenos décideurs sont appelésà ne se préoccuper quedes portions de territoirequ’ils représentent.

  • 8/20/2019 La Revue socialiste n°59

    15/158

    la revue socialiste   59 

    le dossier

    CLIMAT ET ENGAGEMENTS,UNE HISTOIRE CONTRARIÉE

    Si l'on reprend l'histoire des négociations

    sur le climat, un accord international

    avec des objectifs de réduction de GES

    n'est pas inédit. Signé en 1997, et entré en

    vigueur en 2005, le protocole de Kyoto

    incarna cette première impulsion. Néan-

    moins, cet accord ne saurait être érigé en

    exemple, tant il est vrai qu'il était lesté,dès l'origine, d'un double handicap. Le

    premier est la faiblesse de l'objectif de

    réduction fixé. Les parties concernées

    s'engagent à une réduction de 5 % de

    leurs émissions de GES, entre 2008 et

    2012, par rapport au niveau d'émission

    de l'année 1990. Le second handicap estl'étendue des pays - et donc la surface

    des émissions de GES couvertes - auquel

    s'applique les engagements de réduc-

    tions d'émissions. Seuls les pays de

    l'annexe 1 de la CCNUCC sont concernés,

    annexe qui regroupe les pays dits indus-

    trialisés : États-Unis, Japon, Canada,

    Australie, Russie, et les pays européens,en tout, 55 Etats. D'emblée, seule une por-

    tion de la communauté internationale

    est mise à contribution pour régler un

    problème qui la concerne, elle, tout

    entière. Si l'on ajoute à cela les retraits

    canadien, russe et japonais, et une ratifi-

    cation des États-Unis qui n'arriva jamais,

    on mesure la solitude des Européenspour réaliser un effort, pourtant loin

    d'être révolutionnaire.

    Lorsque se profile, en 2009, le sommetde Copenhague (la COP15), le sentiment

    partagé est donc celui d'un faux

    démarrage dans la course contre le

    réchauffement climatique. Les attentes

    sont fortes : un accord universel contrai-

    gnant qui permette de limiter ce

    réchauffement à 2 degrés. Comme Kyoto,

    Copenhague a abouti à une avancée his-torique. La communauté internationale

    a, pour la première fois, reconnu, noir 

    sur blanc, la nécessité de contenir le

    réchauffement de la planète au-dessous

    de 2 degrés. Elle a simplement oublié de

     joindre les actes aux paroles. Malgré

    Comme Kyoto, Copenhaguea abouti à une avancée

    historique. La communauté internationale a, pour la

     première fois, reconnu, noir sur blanc, la nécessité de contenirle réchauffement de la planète

    au-dessous de 2 degrés. Elle a simplement oublié

    de joindre les actes aux paroles.

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    16/158

    l'implication directe des chefs d'Etat lors

    de la COP - fait qui relève de l'exceptionplus que de la règle sur l'ensemble des

    COP -, la montagne a accouché d'une

    souris. Aucune mesure concrète enga-

    geant quelque pays que ce soit n'a été

    signée.

    UNE QUESTION

    DE MÉTHODEComment expliquer l'échec de Copen-

    hague ? Une cause ne saurait à elle

    seule cristalliser toutes les frustrations,

    mais il est intéressant de se pencher 

    sur la manière dont, à cette occasion, ce

    problème a été politiquement abordé. A

    alors dominé une approche top-downoù les tonnes de CO2 à ne pas émettre

    étaient divisées, dispatchées par pays,

    tel un fardeau à partager. On a ainsi pris

    comme point d'entrée ce qu'il fallait

    idéalement atteindre, plutôt que ce que

    les pays étaient prêts à faire. Face à une

    communauté internationale qui n'avait

    pas jusqu'alors brillé par sa bonnevolonté sur la question climatique, cette

    approche a suscité l'immobilisme et

    nourri la défiance. Chacun pouvait aisé-

    ment prétexter du refus d'un autre

    d'assumer sa part d'efforts de réduction

    de GES pour se dédouaner de la sienne.

    Depuis la COP15 de Copenhague, des

    avancées ont bien eu lieu, mais elles res-tent à concrétiser, à Paris. Pour éviter de

    répéter l'échec de 2009, le processus

    menant à la COP21 a ainsi été inversé.

    C’est une approche bottom-up qui a cette

    fois été privilégiée : dans une démarche

    reposant sur le bon vouloir des pays, le

    secrétariat de la CCNUCC leur a demandé

    de formuler et chiffrer eux-mêmes leur 

    contribution à la réduction des GES, en

    vue du sommet de Paris. L’objectif de

    cette approche est d’instaurer et d’entre-

    tenir un élément crucial dans les

    négociations : la confiance. Floue et

    relativement abstraite pour ceux quiobservent ce processus, l’existence d’un

    climat de confiance entre les Etats-par-

    ties est un élément crucial sur lequel ne

    cessent d’insister les négociateurs. Force

    est de constater que cet ingrédient est

     jusque-là bien présent dans les enceintes

    14

     Antoine Maudinet - COP21 : la longue route vers un accord 

     Plutôt que de chercherà avancer à marche forcée,

    c’est une politique des petits pasqui a été privilégiée,

    qui se combine avec desnégociations plus fréquentes

    qu’à l’ordinaire.

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    de négociations. Et pour cause, les condi-

    tions de cette confiance sont réunies.Plutôt que de chercher à avancer à

    marche forcée, c’est une politique des

    petits pas qui a été privilégiée, qui se

    combine avec des négociations plus fré-

    quentes qu’à l’ordinaire. En d’autres

    termes, une pression moins forte grâce à

    des sessions de travail rapprochées pour 

    ne pas couper le fil des négociations.Cette année, ce sont ainsi pas moins de 4

    intersessions de négociations intermé-

    diaires qui auront programmées : à

    Genève, en février dernier, à Bonn, début

     juin, puis, début septembre, et enfin, à la

    fin du mois d’octobre.

    Le prix de cette confiance, c’est d’abord

    une souplesse sans doute un peu trop

    poussée. La COP de Lima a abouti à un

    texte censé être le brouillon de l’accord de

    Paris. Allongé de 39 à 86 pages, à Genève,

    pour que chaque groupe de pays puisse

     y inclure les choix qu’il privilégie, ce texte

    contient donc toutes les options possi-bles, des plus ambitieuses aux moins

    exigeantes. Il propose ainsi à la fois d’at-

    teindre zéro émissions net de GES, d’ici

    2050, mais aussi de se contenter d’établir 

    des stratégies de développement bas

    carbone. C’est tout le travail des interses-

    sions que d’élaguer peu à peu ce texte,

    afin d’aboutir à un document d’une ving-taine de pages. Le prix de cette confiance,

    c’est aussi un certain retard. Un retard

    dans la publication des contributions

    d’abord, puisque, fin juin, seuls 44 des

    195 Etats-membres de la CCNUCC ont

    dévoilé leurs intentions. Parmi ceux qui

    manquent à l’appel, le Brésil, l’Inde, et

    l’Australie, qui sont parmi les plusgrands émetteurs mondiaux de CO2. Un

    retard aussi sur les objectifs de réduction

    d’émission de GES. Si l’analyse reste

    nécessairement incomplète, en l’absence

    de la totalité des contributions volon-

    taires, il apparaît, pour l’instant, que

    le compte n’y est pas pour rester sous les2 degrés.

    DE LIMA À PARIS,UNE CASCADE DE QUESTIONS

    Présenter la COP21 par la seule question

    des contributions de réduction des GES

    serait pourtant extrêmement réducteur.

    Cet aspect recouvre, en fait, l’enjeu de l’at-ténuation du réchauffement climatique à

    venir : il s’agit de traiter le problème à sa

    racine, en diminuant l’impact de notre

    mode de développement qui engendre

    ce réchauffement, à savoir nos émis-

    sions de GES. Pour majeure qu’elle soit, la

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    question de l’atténuation n’est pas le seul

    objet des négociations. Les pays quidoivent d’ores et déjà faire face aux

    conséquences du réchauffement de la

    planète, cherchent eux à pousser le sujet

    de l’adaptation au réchauffement clima-

    tique, pour améliorer la résilience

    des sociétés aux effets. Pour certains

    pays comme ceux regroupés dans

    l’Alliance des pays insulaires, la questionde l’adaptation est déjà dépassée : la

    montée du niveau de la mer va provo-

    quer des conséquences dont on sait,

    dès aujourd’hui, qu’elles seront irréversi-

    bles. Se pose ainsi la question de la prise

    en compte des «  pertes et dommages »

    qui s’intéresse au dédommagement

    des pays touchés. Un mécanisme consa-

    cré aux pertes et dommages a été créé

    à cet effet, lors de la COP19 de Varsovie,en 2013, mais reste aujourd’hui une

    coquille à remplir.

    Entre atténuation et adaptation, quelle

    priorité afficher ? Voilà une première

    ligne de fracture. D’un côté, les pays dits

    en voie de développement (PED) sont,

    la plupart du temps, les plus exposés auximpacts du dérèglement climatique,

    et c’est en conséquence qu’ils souhaitent

    voir le sujet de l’adaptation placé en

    première ligne. De l’autre, les pays dits

    développés voient dans la trajectoire

    de développement des premiers - simi-

    laire à la leur - une source d’émissions

    de GES qu’il s’agit d’endiguer pour tenter de contenir le réchauffement de la

    planète, et donnent donc la priorité à

    l’atténuation. A la COP20, les PED ont, en

    tout cas, obtenu que soient obligatoire-

    ment incluses des stratégies nationales

    d’adaptation dans les contributions

    volontaires nationales transmises ausecrétariat de la CCNUCC.

    La question de l’adaptation est intrinsè-

    quement liée à celle du financement , qui

    est tout autant potentiel juge de paix

    de l’accord que caillou supplémentaire

    dans la chaussure des négociateurs. En

    effet, le financement et les transferts detechnologie constituent un levier pour 

    convaincre les PED à s’engager sur des

    contributions de réduction ou de non-

    augmentation des gaz à effet de serre.

    Pour autant, cette question est loin d’être

    réglée : lors de la COP16 de Cancun,

    16

     Antoine Maudinet - COP21 : la longue route vers un accord 

     Entre atténuation et adaptation,quelle priorité afficher ?Voilà une première lignede fracture.

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    en 2010, les Etats-parties à la CCNUCC

    s’étaient engagés à constituer un FondsVert pour le Climat qui doit mobiliser

    100 milliards de dollars par an, à partir 

    de 2020. Fin 2014, la communauté

    internationale a laborieusement réuni

    l’objectif intermédiaire de 10 milliards de

    dollars d’argent public. L’engagement de

    Cancun paraît encore bien loin, d’autant

    que la nature des engagements finan-ciers n’est pas clairement définie. Quelle

    est la place des fonds privés au sein de

    ces 100 milliards de dollars ? L’aide au

    développement déjà existante peut-elle

    être comptabilisée ? Entre les pays déve-

    loppés qui vont abonder ce Fonds vert et

    les pays en voie de développement quien seront bénéficiaires, ce ne sont pas les

    mêmes visions qui s’expriment.

    La discussion sur le financement peut

    être vue comme le point de cristallisation

    d’un problème sous-jacent : la notion

    de responsabilité face aux dérèglements

    climatiques, nœud gordien des négocia-tions. Lors du sommet de la Terre à

    Rio, en 1992, un principe de « responsa-

    bilité commune mais différenciée » a été

    adopté. Pour équilibrée qu’elle soit, cette

    formule consensuelle n’aide pas à tran-

    cher les responsabilités. D’un côté, les

    PED mettent en avant la responsabilité

    historique des pays développés dans leréchauffement de la planète, car c’est leur 

    industrialisation qui a provoqué les

    émissions des GES que nous connais-

    sons actuellement. Ces mêmes PED

    réclament, de leur côté, le même droit au

    développement. De l’autre, les pays déve-

    loppés gardent à l’esprit que c’est

    précisément ce type de développement

    qui a provoqué la situation que tous doi-vent aujourd’hui résoudre, et qu’il ne

    peut raisonnablement être généralisé.

    Alors que les pays se renvoient la balle,

    depuis 20 COP, autour de ce principe, le

    sommet de Lima a été le lieu d’une évo-

    lution de ce principe, dont rien n’incite à

    penser qu’elle ait été positive. Au Pérou,

    la communauté internationale n’a pasdépartagé qui du caractère « commun »

    ou « différencié » de cette responsabilité

    devait l’emporter. Au contraire, ce prin-

    cipe a été enrichi de conditions - le texte

    évoque ainsi les principes de « responsa-

    bilités communes mais différenciées » et

     Lors du sommet de la Terreà Rio, en 1992, un principe

    de « responsabilité communemais différenciée » a été adopté.

  • 8/20/2019 La Revue socialiste n°59

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    de « capacités respectives », « à la lumière

    des circonstances nationales » - qui sontà lire comme autant de tempéraments

    diluant le devoir initial que pose ce prin-

    cipe. La crise des dettes publiques

    alimente la réticence de nombre de

    pays développés à alimenter le Fonds

    Vert pour le Climat.

    L’antagonisme qui se lie dans les grandsprincipes et les grandes priorités se

    retrouve aussi dans des détails non moins

    importants. C’est le cas de l’enjeu du

    contrôle de l’application du futur accord,

    connu dans les couloirs de négociations

    comme le reporting. Selon les modalités de

    mise en œuvre du contrôle, on comprendbien que le degré de souplesse ou d’intran-

    sigeance laissé aux pays, quant au respect

    de leurs obligations, variera fortement.

    Il y a ainsi un monde entre la vision de l’UE

    et celle de la Chine : la première souhaite

    mettre en place un contrôle important,

    effectué par une équipe de spécialistes,

    qui feraient un reporting transparentet indépendant des pays, la seconde

    souhaite, elle, se contenter d’une auto-

    évaluation de chaque pays.

    Avant même de vérifier les engagements

    qui seront issus de l’accord, l’analyse des

    contributions pour vérifier leur compatibi-

    lité avec l'objectif de limiter le réchauffementà 2 °C est déjà révélatrice des rapports de

    force. Le principe d’une analyse par un tiers

    a été considérablement affaibli à la COP20

    de Lima. Suite au refus de la Chine, aucun

    mécanisme d’examen comparatif des

    contributions nationales n’est prévu. Ainsi,

    les pays gardent un libre choix dans la des-

    cription des informations transmises pour accompagner les contributions, et ce n’est

    seulement que si les Etats jugent ces préci-

    sions appropriées qu’ils les transmettent. Le

    point de référence, les périodes, les périmè-

    tres couverts, l’approche méthodologique,

    sont autant de facteurs qui peuvent varier 

    d’un Etat à l’autre. Par exemple, pendantque beaucoup de pays s’expriment en

    réduction de GES, l’Inde formule sa contri-

    bution en intensité énergétique ; alors que

    l’année de référence choisie pour l’évolution

    des GES est 1990, les Etats-Unis choisissent

    2005. Pour faire la synthèse des contribu-

    tions nationales qui permettra de savoir où

    l’on se situe par rapport au fameux objectif de 2°C, le secrétariat de la CCNUCC va donc

    devoir comparer des pommes et des poires.

    Certains pays choisissent volontairement

    d’exprimer leurs contributions dans des

    termes qui leur sont plus favorables, mais

    18

     Antoine Maudinet - COP21 : la longue route vers un accord 

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    pour une majorité de pays en développe-

    ment cette orientation est davantage subieque choisie. Le renforcement des capacités

    techniques (capacity building) et l’expertise

    que peuvent fournir les pays développés à

    nombre de PED est donc un autre enjeu de

    la COP21. A l’heure actuelle, tous les pays

    n’ont pas les moyens de mesurer l’évolu-

    tion de leurs émissions de GES selon lesmêmes standards, ce qui constitue un

    handicap certain pour inclure nombre

    d’entre eux dans la dynamique de publica-

    tion des contributions volontaires qui se

    veut globale.

    A quelques mois du grand rendez-vous

    de Paris, la situation reste encore trouble.Tous les pays n’ont donc pas dévoilé leur 

    contribution nationale, et le secrétariat

    de la CCNUCC ne dévoilera un rapport fai-

    sant la synthèse des contributions que

    début novembre. Il ne restera alors

    qu’une poignée de semaines pour inciter 

    les pays à revoir à la hausse leurs efforts.

    Pour ce qui concerne le brouillon de l’ac-cord de Paris, il reste toujours long de 85

    pages, les deux co-présidents, algérien et

    américain, menant les négociations ont

    pris le taureau par les cornes et vont pro-

    poser aux délégations un texte bien plus

    court, pour la fin du mois de juillet.

    DES ANGLES MORTSQUI DEMEURENT

    Quelle que soit l’issue des négociations

    de décembre, il apparaît d’ores et déjà

    que certains sujets d’importance ont été

    oubliés des négociations. Il y a, par exem-

    ple, la lutte contre la déforestation et la

    destruction des forêts, l’acidification desocéans, tous deux de formidables puits

    de carbone qui absorbent nos émissions

    de GES, mais dont on laisse collective-

    ment l’état se dégrader. On peut

    également s’interroger sur les actions

    pré-2020. L’accord de Paris doit dessiner 

    la nouvelle architecture juridique mon-

    diale sur le climat, à partir de 2020. Or,hormis la prolongation, jusqu’en 2020,

    du très imparfait protocole de Kyoto, rien

    n’est dit sur les actions à mener entre

    2015 et 2020. La communauté scienti-

    fique a pourtant souligné, à maintes

    reprises, que les premières années sont

    Certains pays choisissent volontairement d’exprimerleurs contributions dansdes termes qui leur sont plus favorables, mais pourune majorité de pays endéveloppement cette orientationest davantage subie que choisie.

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    les plus décisives pour agir sur le réchauf-

    fement de la planète, et que repousser ledébut des efforts à 2020 n’allait rendre la

    tâche que plus ardue encore.

    Un autre angle mort réside dans

    les contradictions potentielles entre le

    contenu du futur accord et les règles

    de l’OMC. Si un accord engageant juridi-

    quement les Etats à réduire leursémissions de GES est signé, il impliquera,

    pour les Etats, d’appliquer des politiques

    plus régulatrices, et d’intervenir pour 

    changer la trajectoire actuelle de leurs

    économies, afin de respecter l’accord

    qu’ils auront signé. Or, si les Etats se

    mettent à davantage subventionner laproduction d’énergies renouvelables,

    ou à modifier leurs fiscalités dans un

    sens qui pourrait s’apparenter à du

    protectionnisme écologique, seront-ils

    sanctionnés ? En d’autres termes, qui de

    la planète ou du libre-échange primera ? 

    On peut enfin mentionner un autre sujet

    oublié, celui du prix carbone, qui agite lasociété civile comme la sphère politique,

    qui est même appelé de ses vœux par un

    nombre croissant de grandes entreprises,

    mais dont peu d’échos nous parviennent

    des enceintes de négociations.

    Au vu de tous ces éléments, qu’attendre

    de la COP21 ? A mesure que se rapprochel’échéance, de nombreuses voix laissent

    entendre que le rendez-vous de Paris

    n’est que le début d’un processus, et non

    son aboutissement. Mais, la perspective

    n’est pas la même chez chacun. Pour

    certains, il s’agit de jouer la montre, en

    étalant sur plusieurs COP les bonnesrésolutions climatiques à prendre, dès

    maintenant. Pour d’autres, la COP21 doit

    être le point de départ d’une mobilisation

    sans relâche et d’une préoccupation

    continue en faveur du climat. Gageons

    que les seconds sauront l’emporter.

    20

     Antoine Maudinet - COP21 : la longue route vers un accord 

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    Quand les ressources se raréfient, nous

    devons apprendre à mieux les utiliser. Je

    n'ai jamais oublié que l'énergie la plus pré-

    cieuse est celle que l'on ne gaspille pas.

    Faire autrement, penser autrement notre

    rapport à la nature et à l'agriculture, c'est

    pour moi un engagement, une certitude et

    un espoir. L'agro-écologie, c'est optimiser 

    les ressources et mécanismes naturels

    grâce à l'agronomie pour rendre les exploi-

    tations agricoles plus compétitives et dura-

    bles, car moins consommatrices en énergie

    fossile, en produits phytosanitaires… Moins

    de gasoil dans son tracteur, moins de pes-ticides, moins de temps passé à labourer 

    des sols, tout cela oblige à repenser nos

    modes de production.

    L'agro-écologie, c’est avant tout un état

    d'esprit, une volonté et aussi une forme

    d'optimisme et de confiance dans les res-

    sources de la nature elle-même et dansl'intelligence des hommes. Ce n'est pas une

    vision angélique ou marginale, c'est sim-

    plement la conviction que nous n'utilisons

    pas toujours le potentiel que la nature nous

    offre pour se réguler elle-même. Ne pas

    labourer un champ et permettre aux lom-

    Depuis des années, et bien avant même d'avoir la responsabilité de ce beau

    ministère à la croisée des hommes, des territoires et des produits, j'ai acquis

    des certitudes sur la nécessité de produire autrement. En tant que membre de

    la commission agriculture, au Parlement européen et au sein du Groupe Saint-Germain, j'ai rencontré des pionniers de l'agro-écologie et découvert les techniques permettant

    de produire, en conciliant performance économique et environnementale.

    L’agro-écologie

    Stéphane Le Foll Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.

     L'agro-écologie, c'est optimiser lesressources et mécanismes naturels grâce à l'agronomie pour rendreles exploitations agricoles pluscompétitives et durables, car moinsconsommatrices en énergie fossile,en produits phytosanitaires…

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    22

    Stéphane Le Foll - L’agro-écologie

    brics de travailler le sol, en lieu et place des

    tracteurs, gérer les successions de cultures,en tenant compte de la résistance de cha-

    cune aux aléas climatiques, privilégier les

    auxiliaires de cultures tels la coccinelle pour 

    combattre les pucerons au lieu d'utiliser un

    insecticide, c'est cela, concrètement, l'agro-

    écologie. Mais, derrière ces quelques

    exemples il faut aussi voir un incroyable

    potentiel de recherche, de développementde toute une industrie verte comme le bio-

    contrôle. Ce que je veux, c'est développer 

    une agriculture intensive en savoirs !

    Adopter ces nouvelles pratiques ne se fera

    pas en un jour, je le sais. Je sais aussi qu'au

    sortir de la guerre, les agriculteurs ont su aumoment de la mécanisation de l'agriculture

    acheter et mettre en commun les premiers

    engins agricoles. Aujourd'hui, c'est exacte-

    ment la même démarche, si ce n'est qu'ils

    ne partageront plus des tracteurs, mais des

    connaissances et, surtout, de nouvelles pra-

    tiques de culture à la fois plus durables et

    plus efficaces, d'un point de vue écono-mique. C'est pour cela que j'ai souhaité,

    dans la loi d'Avenir pour l'agriculture, l'ali-

    mentation et la forêt, que les agriculteurs

    soient incités à se regrouper pour dévelop-

    per des pratiques agronomiques plus

    vertueuses, au plan environnemental. Ces

    groupements doivent permettre aux agri-

    culteurs, collectivement, de franchir uneétape, afin d'opérer leur transition agro-éco-

    logique, de ne pas se retrouver seuls au

    moment de faire de nouveaux choix de

    mode de production.

    L'agro-écologie est un investissement

    d'avenir, elle est aussi pour les agriculteurs

    un moyen de répondre aux attentes de lasociété toute entière. Moins de pesticides,

    moins d'antibiotiques dans les élevages

    c'est aussi cela l'agro-écologie. Elle est

    aussi, à l'échelle du monde, à un moment

    où 1 personne sur 8 souffre de la faim,

    un espoir formidable au défi alimentaire,

    car elle rend compatible l'augmentationde la production - pour nourrir une popu-

    lation mondiale en pleine expansion - et

    l'exploitation durable des ressources et

    espaces - qui sont, eux, en pleine raréfac-

    tion. Il faut, en effet , bien avoir en tête que

    l’agro-écologie, grâce à ses pratiques, doit

    permettre de maintenir des niveaux de

    production élevés, en même temps qu’ellepermet de limiter les apports de matières

    premières, engrais et autres matières pre-

    mières extérieures à l’exploitation. Par là

    même, l’agro-écologie doit permettre de

    produire autant, ou plus, tout en limitant

    les coûts de production. Elle a donc pour 

  • 8/20/2019 La Revue socialiste n°59

    25/158

    la revue socialiste   59 

    le dossier

    objectif, à terme, de permettre aux agricul-

    teurs de mieux gagner leur vie. Cetteélévation de leur niveau de vie doit se

    combiner à de meilleures conditions de

    travail pour les paysans qui doivent, en

    parallèle, pouvoir réduire le temps destiné

    à certaines tâches. C’est, par exemple, ce

    que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer, avec

    la limitation du labour.

    Nous le disions, l’agro-écologie présente

    des avantages du point de vue de la renta-

    bilité de nos exploitations agricoles. Elle

    représente aussi un véritable atout, pour 

    favoriser une croissance verte. Les nou-

    velles méthodes mises en place, les

    nouveaux traitements se basant sur l’utili-sation des mécanismes naturels, ou bien

    encore le développement de la méthanisa-

    tion à la ferme, sont autant de secteurs

    dans lesquels il est nécessaire d’investir 

    dans la recherche et développement, afin

    de disposer de solutions dont le monde

    aura besoin demain. Déjà, les PME fran-

    çaises, particulièrement avancées dans lesecteur des alternatives aux traitements

    phytosanitaires, sont l’objet de la convoitise

    de grands groupes. Ces derniers se rendent

    bien compte que la croissance de demain

    ne peut se concevoir à la seule aune des

    solutions chimiques. Il nous faut préserver 

    ces pépites naissantes, afin qu’elles puis-

    sent devenir les champions de demain etque la France dispose de compétences qui

    seront recherchées de par le monde.

    L'agro-écologie, en basant son approche

    sur le retour à l'agronomie, et en accordant

    une attention particulière à la biologie des

    sols, porte également des solutions pour garantir une meilleure sécurité alimentaire.

    Elle peut permettre l’amélioration de la

    fertilité des sols, en général, voire même

    la restauration de sols devenus infertiles,

    par l’amélioration de leur taux de matière

    organique. C'est pour cette raison que, dès

    mon arrivée à la tête du ministère de l'Agri-

    culture, je me suis investi, tant à la FAOque dans les enceintes de coopération

    scientifique euro-méditerranéennes, afin

    d’enrichir notre réflexion autour d’expé-

    riences et pratiques mises en œuvre

    ailleurs, dans le monde, et d'améliorer la

    coordination de la recherche agronomique.

     L’agro-écologie doit permettre

    de produire autant, ou plus,tout en limitant les coûtsde production. Elle a donc pour objectif, à terme,de permettre aux agriculteursde mieux gagner leur vie.

  • 8/20/2019 La Revue socialiste n°59

    26/158

    En regardant de plus près les résultats de

    ces réflexions, ainsi que les données scien-tifiques dont nos instituts disposent d’ores

    et déjà, je me suis rendu compte que l’agro-

    écologie, en plus de pouvoir être l’une des

    réponses de la France pour améliorer la

    sécurité alimentaire, pouvait également

    être une solution pour lutter contre le

    réchauffement climatique. Comment ? En

    ne considérant pas seulement les effetsnégatifs de l’agriculture sur notre environ-

    nement, mais en s’intéressant à sa capacité

    de séquestration du gaz carbonique de l’air.

    Et de fait, si la quantité de matière orga-

    nique des sols augmentait chaque annéede 0,4 % à l’échelle de la planète, cela

    permettrait de stocker, dans les sols, l’équi-

    valent des émissions annuelles de carbone

    sur la planète (CO2 en particulier). J’ai fédéré

    des chercheurs autour de ce projet et, avec

    Laurent Fabius, nous sommes convenus

    de tenter de faire figurer certaines pratiques

    au sein de ce qui est appelé « l’agenda des solutions », lors de la conférence Paris

    climat. Vous le voyez donc, l’agro-écologie,

    loin de se cantonner à un mode de produc-

    tion agricole plus respectueux de la nature

    et qui permet aux agriculteurs de mieux

    vivre de leur travail, porte également en elle

    des solutions pour lutter contre le réchauf-

    fement climatique.

    Ma charge de ministre sera, par nature,

    éphémère, à l'échelle du temps nécessaire

    pour faire changer durablement les pra-

    tiques, mais je suis fier que la voix de la

    France, pionnière en matière d'agro-écolo-

    gie, ait porté et ait permis d’entrevoir denouvelles solutions et, je l’espère, de les

    inscrire dans la perspective de la lutte

    contre le réchauffement climatique. C’est

    là le résultat d’un travail ininterrompu. À

    l’automne dernier, déjà, l'organisation du

    premier congrès mondial sur l'agro-écolo-

    gie, dans l'enceinte de la FAO, était un

    évènement que la France avait impulsé. Je suis fier, également, que nous ayons, au

    travers de la loi d'Avenir pour l'agriculture,

    l'alimentation et la forêt, orienté clairement

    notre agriculture vers l'agro-écologie, et que

    cela ait pu se faire en rassemblant bien au-

    delà des clivages politiques traditionnels.

    24

    Stéphane Le Foll - L’agro-écologie

     L’agro-écologie, loinde se cantonner à un modede production agricole plusrespectueux de la nature

    et qui permet aux agriculteursde mieux vivre de leur travail, porte également en elledes solutions pour lutter contrele réchauffement climatique.

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    Les scientifiques s’accordent à considérer 

    qu’une augmentation, déjà sensible, de

    deux degrés est la limite au-delà de

    laquelle les conséquences seraient irré-

    versibles, et difficilement maîtrisables.

    Sur cette capacité de parvenir à unaccord, que peut le citoyen, que peuvent

    les responsables politiques nationaux ou

    locaux ? Rien, ou si peu ? On aurait tort de

    le croire : d’abord, parce que les change-

    ments de comportement qui sont

    nécessaires pour contenir le réchauffe-

    ment, pour atteindre les objectifs qu’on

    espère tous voir définis, ce sont lescitoyens qui les accompliront pour une

    grande part. Et aussi parce que le rôle

    des politiques est de remettre les choses

    en perspectives, de mobiliser la société,

    de tracer des pistes et d’accompagner.

    Sans noyer les démonstrations dans des

    chiffres inutiles, des exemples anxio-

    gènes, des prédictions alarmistes ou

    apocalyptiques. C’est l’exercice auquel je

    me prête humblement, ici, à la demande

    de La Revue socialiste, moi qui ne suis

    pas socialiste, mais qui porte une convic-tion : l’écologie, en général, et la question

    climatique, en particulier, ne doivent pas,

    ne peuvent pas être l’affaire des seuls

    écologistes. Non, la COP 21 n’est pas sim-

    plement affaire de diplomates, ce peut

    même être un catalyseur essentiel pour 

    redonner du sens à notre vie politique, et

    à l’engagement citoyen. A conditionqu’on ne s’arrête pas au simple rendez-

    vous de décembre, qu’on le remette dans

    un contexte plus large, qu’on sache

    mesurer et apprécier le chemin par-

    couru, même si on l’aurait souhaité plus

    rectiligne et moins long. Ce n’est pas la

    Il n’est pas exagéré de considérer qu’à Paris, en cette fin d’année 2015, la planète a ren-

    dez-vous avec son destin. L’objectif est aussi simple à énoncer qu’extrêmement difficile

    à atteindre : que les 198 pays réunis sachent se fixer des objectifs clairs et précis, en

    matière de réduction de gaz à effet de serre. En un mot, sortir, enfin, du chacun pour soi.

    LES RENDEZ-VOUS DE PARIS 2015

    Barbara Pompili Députée (EELV).

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    peur, ni le pessimisme qui permettent

    d’avancer.

    Et si on commençait par une note opti-

    miste ? Comment l’écologiste que je suis

    pourrait-elle minorer ou oublier les avan-

    cées enregistrées dans la prise de

    conscience du réchauffement climatique,

    et de ses conséquences ? Certes, il existe

    encore des climato-sceptiques. Mais, ilssont, en Europe, de plus en plus minori-

    taires. Bon nombre de ces scientifiques,

    qui mettaient en cause le rôle de l’action

    humaine dans l’évolution climatique, ont

    vu révélés les liens étroits qui les liaient

    avec certains lobbies industriels. Ces lob-bies, qui ont intérêt à la poursuite du

    modèle de développement productiviste

    et consommateur d’énergies carbonées,

    ont échoué dans leur tentative de noyer 

    le débat ou de tromper les citoyens.

    Même s’ils continuent à agir, ils ont déjà

    perdu la bataille de l’opinion. Ne bou-

    dons pas cette victoire. J’ajoute quemême les représentants de pays,

     jusqu’ici en retrait sur les questions cli-

    matiques, abandonnent l’indifférence ou

    le doute, et commencent à s’engager dans

    un vrai dialogue, envisagent une véritable

    action internationale commune : com-

    ment ne pas saluer la récente déclaration

    conjointe des autorités chinoises et amé-ricaines comme un signe encourageant ? 

    Cette prise de conscience ne suffit pas ? 

    Certes, il faut des actes. Mais, sans cette

    prise de conscience, il n’y aura pas d’acte.

    Comment une écologiste qui a pendant

    des années manifesté, témoigné, pour 

    imposer dans la vie publique la questiondu climat, qui a travaillé aux côtés d’Yves

    Cochet sur les questions d’énergie et de

    ressources pétrolières, et qui a souvent

    rencontré quolibets ou sourires polis,

    oui, comment une écologiste pourrait-

    elle ignorer ou considérer comme

    négligeables ces changements essen-

    tiels, qui voient la plupart des dirigeantsdu monde convenir de la réalité de la

    question climatique ?

     Je suis frappée de constater que beaucoup

    de dirigeants de la planète arrivent aux

    affaires sans avoir une forte conscience

    26

     Barbara Pompili - Les rendez-vous de Paris 2015

    Ces lobbies, qui ont intérêtà la poursuite du modèlede développement productivisteet consommateur d’énergiescarbonées, ont échoué dansleur tentative de noyer le débat ou de tromper les citoyens.

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    de cette question. Et, au fur et à mesure

    qu’ils exercent le pouvoir, qu’ils sontconfrontés à la réalité du monde, qu’ils

    consultent leurs experts, la réalité s’im-

    pose à eux et ils incluent la question

    climatique à leurs agendas et à leur poli-

    tique internationale, voire à leur politique

    économique et énergétique. Vont-ils assez

    loin ? A l’évidence non, sinon cette confé-

    rence ne serait pas aussi indispensable.Mais, alors que les tourments ne man-

    quent pas - fondamentalisme, conflits de

    territoires, difficultés économiques… -,

    inexorablement la question climatique

    s’invite dans les préoccupations. Que des

    autorités spirituelles et religieuses s’expri-

    ment désormais sur le sujet est un signepositif et encourageant : oui, la conscience

    progresse, et le monde est sorti du déni.

    Pour réussir, ce n’est pas suffisant. Mais,

    c’était nécessaire. Et c’est en bonne voie.

    Cette prise de conscience en appelle une

    autre : celle de la non soutenabilité du

    mode de développement qui prévautdepuis la Révolution industrielle, soit

    deux siècles. Et on ne se débarrasse pas

    comme cela de deux siècles ! Pour les

    sociétés industrialisées, ou post-indus-

    trielles, c’est la prise de conscience de

    l’incapacité de poursuivre une consom-

    mation des ressources naturelles qui

    épuise la planète, la pille au sens premier du terme, et fait peser sur les générations

    à venir une dette environnementale qui

    ne peut pas être remboursée. Pour les

    pays émergents, c’est l’obligation de conce-

    voir un modèle qui permette tout à la fois

    l’accès à un niveau de vie, à des services, à

    un confort qui n’aient rien à envier à celui

    qui prévaut dans le monde « riche », sanss’engager dans les mêmes erreurs de

    gaspillage, de pollutions. Non pas parce

    que ce serait moralement répréhensible.

    Simplement, parce que c’est, dans la

    durée, impossible, insoutenable. Énergies

    renouvelables, sobriété dans les consom-

    mations, dépollutions, circuits courts deproduction assurant la sécurité et l’auto-

    suffisance alimentaire… La COP 21, c’est

    l’occasion de prendre conscience que si

    les situations socioéconomiques sont

    dramatiquement différentes, inégales,

    entre le Nord et le Sud, les solutions sont

    les mêmes et que le défi du développe-

    ment offre aux nouvelles technologies« vertes » un volume d’activité qui en

    hâtera l’équilibre et la rentabilité.

    Dernière prise de conscience essentielle

    accélérée par ce rendez-vous de décem-

    bre : celle de l’interdépendance et de

  • 8/20/2019 La Revue socialiste n°59

    30/158

    l’impasse que constituent toutes les solu-

    tions de repli sur soi prônées par les

    populistes ou de profits à court terme por-

    tées par des intérêts économiques sans

    scrupules. Quand la fonte d’un glacier du

    Groenland provoque une augmentation

    de la hauteur des mers qui menaceles côtes en Asie, quand la sécheresse

    sahélienne pousse aux conflits pour les

    ressources et aux mouvements désespé-

    rés de populations, les frontières n’ont

    plus de sens. Quand il y a plus de réfu-

    giés climatiques que de réfugiés de

    guerre, quand des hommes et des

    femmes sont chassés de leurs territoires,parce qu’il est devenu invivable ou la

    proie de convoitises pour ses ressources

    naturelles, la question a changé de

    nature : il ne s’agit plus simplement, pour 

    la communauté internationale, de sépa-

    rer des belligérants. Il s’agit de recréer 

    des conditions de vie acceptables pour 

    que l’exode ne devienne pas un modede régulation des conséquences des

    dérèglements du climat. Quand le déve-

    loppement des gaz et pétroles de schiste,

    extraits, par ailleurs, dans des conditions

    environnementales dramatiques, au

    mépris de la santé des populations et de

    la préservation des milieux, contribue à

    perpétuer le recours aux énergies carbo-nées, c’est en même temps le prix du

    charbon qui s’effondre, et redevient com-

    pétitif, alors qu’il est une source de gaz à

    effets de serre majeure. Une décision

    dans un état américain impacte ainsi

    directement le mode de production éner-

    gétique, partout ailleurs, dans le monde.

    S’engager résolument dans une produc-

    tion d’énergie renouvelable et propre,

    c’est une chance pour tous, et c’est une

    28

     Barbara Pompili - Les rendez-vous de Paris 2015

     Dernière prise de conscience

    essentielle accélérée parce rendez-vous de décembre :celle de l’interdépendanceet de l’impasse que constituent toutes les solutions de repli sur soi prônées par les populistesou de profits à court terme portées par des intérêtséconomiques sans scrupules.

     Alors que nos débats politiques portent souvent sur la question

    de la mondialisation,l’enjeu climatique nous rappelle

    que la dé-mondialisation estun mythe, le repli sur soi

    une illusion : si on ne s’occupe pas du monde, si on ne se

    conçoit pas dans le monde,le monde nous rattrapera.

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    raison qui me fait soutenir les efforts de

     Jean-Louis Borloo pour l’équipement del’Afrique en énergie solaire : toutes les

    solutions technologiques que nous met-

    trons en place là-bas nous seront utiles

    ici. Et tout le carbone qui ne sera pas

    produit là-bas nous sera bénéfique ici.

    Alors que nos débats politiques portent

    souvent sur la question de la mondiali-

    sation, l’enjeu climatique nous rappelleque la dé-mondialisation est un mythe,

    le repli sur soi une illusion : si on ne

    s’occupe pas du monde, si on ne se

    conçoit pas dans le monde, le monde

    nous rattrapera.

    ET JUSTEMENT, EN CE MOISDE DÉCEMBRE, LE MONDE

    A RENDEZ-VOUS AVEC LA FRANCE

    C’est peu de dire que les deux premières

    années du quinquennat de François

    Hollande auront été peu fertiles en

    matière d’écologie. En mettant à l’agenda

    du Parlement la loi de transition énergé-

    tique, qui sera adoptée définitivementavant la fin de la session parlementaire

    d’été, en accélérant - au moins en pre-

    mière lecture - l’examen de la loi

    Biodiversité, le gouvernement a donné

    des signes et engage notre pays dans

    une nouvelle voie. Mais, c’est incontesta-

    blement la candidature à l’accueil de la

    COP 21 qui constitue un tournant essen-tiel. La diplomatie française tout entière

    est désormais engagée pour la réussite

    de la Conférence de Paris. La réorien-

    tation de notre politique d’aide au

    développement, initiée par Pascal Canfin,

    qui a eu pour conséquence de condition-

    ner les aides françaises à des critères

    environnementaux et aux conséquencesdes projets accompagnés par la France

    sur le climat avait été une des premières

    étapes d’une stratégie internationale

    française plus cohérente. Désormais,

    c’est le ministre des Affaires étrangères

    qui, sur le plan diplomatique, met tous

    les moyens de son ministère en œuvrepour parvenir à un accord international

    sur le climat.

    Accueillir le monde, c'est aussi se donner 

    l'opportunité de valoriser ses expé-

    riences, ses savoir-faire technologiques

    et industriels. Si nous avons tous à

    apprendre des autres, je suis convaincueque les autres ont à apprendre des col-

    lectivités françaises engagées dans la

    transition énergétique, des collectifs de

    citoyens qui, via des associations locales,

    imaginent de nouveaux modes de

    consommation, des entreprises fran-

  • 8/20/2019 La Revue socialiste n°59

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    çaises du renouvelable, de la maîtrise et

    de la sobriété énergétique, de l'économiecirculaire. La Conférence de Paris, c'est

    une occasion unique offerte à ces acteurs

    trop souvent ignorés de se faire connaî-

    tre, apprécier, mais aussi de conquérir de

    nouveaux marchés. C'est l'occasion de

    promouvoir un développement différen-

    cié, qui considère la réponse au défi

    énergétique, non comme une contrainte,mais bien comme une opportunité

    d'associer progrès économique et

    amélioration de l'environnement. De l'ex-

    cellence industrielle qui permet à ma

    Région, la Picardie, d'être pionnière en

    matière d'éolien terrestre, au savoir-faire

    d'Alstom en matière d'énergies marines- et ce ne sont que deux exemples pris au

    hasard -, la France a des atouts à faire

    connaître. Toutes les entreprises, grandes

    ou petites, ont leur place dans ce scéna-

    rio. C'est aussi un des enjeux de la

    Conférence de Paris.

    Une diplomatie au service d'une cause :la lutte contre le réchauffement clima-

    tique et au service du développement

    industriel et technologique. Mais, aussi,

    une diplomatie qui permette de mieux

    cerner et redéfinir la place de la France

    sur la scène internationale. Le temps des

    grandes puissances européennes est

    révolu. Certains ont acquis une supréma-tie économique qui ne se traduit pas sur 

    les plans diplomatique ou culturel. D'au-

    tres, dont la France, il faut le reconnaître,

    continuent trop souvent de vivre dans le

    déni de la réalité : l'organisation de cette

    conférence internationale, c'est finale-

    ment l'occasion de définir et d'exprimer 

    enfin l'équation diplomatique de laFrance, qui n'est rien sans l'Europe - et de

    ce point de vue, l'action française pour 

    que l'Europe se dote d'objectifs et de

    moyens de la transition écologique est

    essentielle - et qui, par son histoire,

    sa culture, son rayonnement, peut jouer 

    un rôle essentiel de médiateur entre lespays du Nord et ceux du Sud, entre les

    puissances économiques continentales

    américaine et asiatique.

    ET SI, FINALEMENT, EN CETTE FINDANNÉE , LA FRANCE AVAITRENDEZ-VOUS AVEC ELLE-MÊME

     Je ne sais si on peut parler de « dépres-sion française » ; mais, force est de

    constater que sous l’effet de la crise éco-

    nomique, de l’adaptation difficile de

    notre modèle social, de l’exacerbation de

    réflexes d’exclusion par une partie de la

    classe politique, le sens même de ce

    30

     Barbara Pompili - Les rendez-vous de Paris 2015

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    qu’est la citoyenneté française est

    aujourd’hui interrogé. Un autodénigre-ment délétère, savamment entretenu,

    nourrit le discours du repli sur soi et

    l’idéalisation d’un « monde d’avant » qui

    n’est qu’illusion. La Conférence de Paris,

    outre son rôle essentiel pour la réaffirma-

    tion de la France dans le monde, c’est

    également l’opportunité, pour les Fran-

    çais, de prendre conscience des atouts de

    notre pays, de se projeter positivement

    dans l’avenir et de retrouver les ambi-

    tions collectives qui permettent de se

    dépasser. La mobilisation des ONG et des

    entreprises est notamment une clé de la

    réussite de la COP 21. Faire des citoyensdes acteurs et non de simples specta-

    teurs de ce rendez-vous de chefs d’États

    est indispensable.

    De ce point de vue, les forces politiques

    portent une double responsabilité : nous

    portons collectivement la responsabilité

    de faire de la question climatique et desopportunités qu’elle offre le cœur des

    débats publics du dernier trimestre. Je

    pense, notamment, aux débats liés au

    scrutin régional, car les régions, par leurs

    compétences, ont un rôle essentiel à

     jouer dans la concrétisation de la transi-

    tion écologique. Mais, nous portons

    également une responsabilité singulière,nous, majorité issue du scrutin de 2012.

    Parce que nous avons un bilan en com-

    mun, en la matière, et, parce qu’il nous

    faut impérativement retrouver, au-delà

    d’une diversité de positions qui sont le

    fruit et de l’histoire et des vicissitudes du

    moment, un ciment, un socle communs. Je suis persuadée que, parce qu’elle porte

    en elle tant d’enjeux d’égalité sociale, de

    solidarité, ici comme sur le plan interna-

    tional, bref, parce qu’elle entre en

    résonnance avec les valeurs de la

    gauche, la question climatique peut être

    ce ciment. Non du point de vue politicien,

    mais bien sur le fond, sur les politiquespubliques à mener comme sur les com-

    bats idéologiques à mener, que cette

    Conférence de Paris soit aussi, pour la

    gauche et les écologistes, un nouveau

    point de départ et l’occasion d’une nou-

    velle ambition.

     La mobilisation des ONGet des entreprises est notamment une clé de la réussite de laCOP 21. Faire des citoyensdes acteurs et non de simplesspectateurs de ce rendez-vous dechefs d’États est indispensable.

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    le dossier

    Nos modes de production et de consom-

    mation actuels, issus de de la Révolution

    industrielle, qui consistent à extraire-fabriquer, puis consommer-jeter, ont

    cruellement montré leurs effets néfastes.

    Nous engloutissons nos ressources natu-

    relles comme si elles étaient inépuisables.

    Nous achetons des produits qui ont une

    vie limitée et qui ne seront pas réparables.

    Et puis, nous jetons ces produits, pas tou-

     jours utiles, sans chercher à en récupérer 

    la valeur. C’est dans le courant des années1970 que la consommation humaine

    des ressources naturelles a commencé à

    dépasser les capacités biologiques de la

    Terre. L’empreinte écologique, mise au

    point par le WWF, en 1999, constate ce

    basculement avec le déclin massif de la

    Face aux mutations contemporaines, nombre de métropoles s’interrogent sur les

     voies les plus adaptées pour concilier justice et développement, qui sont aux fon-

    dements d’une Ville durable. Les défis urbains sont de taille, nous le savons :

    cultiver perpétuellement le lien au sein de la Cité, par le dynamisme économique, social et

    culturel ; assurer un haut niveau de service public, en particulier, pour les plus fragiles ; pré-server la santé publique face à la pollution de l’air et ses redoutables particules fines et

    adapter le métabolisme urbain à l’humain. Autant de défis qui doivent désormais être

    relevés, dans un contexte inédit : celui d’un péril climatique avéré et d’un modèle écono-

    mique omnivore, dévoreur de l’avenir des générations futures.

    La ville durable sera circulaire

    « Comme cela ne plaisait pas beaucoup au roi que son fils abandonne les sentiers

    battus et s'en aille par les chemins de traverse se faire par lui-même un jugement sur

    le monde, il lui offrit une voiture et un cheval. "Maintenant, tu n'as plus besoin d'aller 

    à pied", telles furent ses paroles. "Maintenant, je t'interdis d'aller à pied", tel était leur 

     sens. "Maintenant, tu ne peux plus aller à pied", tel fut leur effet. »Gunther Anders, L’obsolescence de l’homme.

    Serge Orru Administrateur de l’Institut de l’économie circulaire.

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    biodiversité terrestre et marine. Le déve-

    loppement industriel s’est mondialiséet heurte les principes régis par notre

    biosphère, depuis la nuit des temps.

    Aujourd’hui, nous constatons la précari-

    sation des conditions de survie du

    monde vivant et la fragilisation des

    milieux naturels. Il ne faut pas être devinpour comprendre qu’il s’agit là d’une

    menace réelle sur le futur de l’espèce

    humaine.

    La logique du profit absolu détruit la

    valeur de l’entreprise capitaliste qui est la

    pérennité. Nous vivons un monde mar-

    qué par une financiarisation outrancière,faite d’iniquité et de pression mortelle

    sur la nature. Ce monde de la finance, qui

    ne finance pas l’économie réelle, détruit

    le climat, la biodiversité, les emplois et

    les entreprises… A l’optimum, l’économie

    préfère, aujourd’hui, le maximum pour

    1 % de l’humanité. Son approche préda-

    trice dédaigne prendre en compte lesconséquences de son exploitation des

    ressources. Désormais, nous consom-

    mons plus vite que la nature ne produit.

    À cet égard, Rémy Lemoigne, dans son

    ouvrage L’économie circulaire, indique

    que les industriels ne sont pas toujours

    incités à utiliser, efficacement, les res-

    sources. Le coût des matières est faible,comparativement au coût du travail.

    Dans de nombreux pays, les ressources

    naturelles sont subventionnées : chaque

    année, dans le monde, 1 100 milliards d’€

    sont dépensés pour subventionner la

    production et la consommation de res-

    sources. Nous polluons également plusvite que la nature ne recycle - sans comp-

    ter nos déchets que la nature ne recycle

    tout simplement pas -, en oubliant de

    tenir compte des coûts de cette pollution.

    En France, les seuls coûts sociaux des

    transports routiers - accidents, bruis, pol-

    lution, impact sur la santé - sont estimés

    à plus de 15 milliards, par an ; il apparaîtdifficile, intellectuellement, de porter un

    tel chiffre à leur bilan. Et pourtant… Le

    processus actuel, linéaire, qui commence

    par prélever la nature et qui finit en reje-

    tant les déchets dans cette même nature,

    en la détruisant, doit évoluer grande-

    34

    Serge Orru - La ville durable sera circulaire

     Aujourd’hui, nous constatonsla précarisation des conditionsde survie du monde vivantet la fragilisation des milieux naturels. Il ne faut pas êtredevin pour comprendre qu’il s’agit là d’une menace réellesur le futur de l’espèce humaine.

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    la revue socialiste   59 

    le dossier

    ment et urgemment ! Nous devons choi-

    sir une économie de vaisseau spatialdont les ressources doivent être optimi-

    sées, puisqu’elles sont limitées, et les

    déperditions minimisées, grâce à une

    consommation différente.

    Face à ces défis, la perspective d’une écono-

    mie circulaire nous ré-enchante. Véritable

    projet de société, c’est l’économie du plusfaible impact sur l’environnement, sur le

    climat mais également sur la santé. C’est

    celle que nous devons mettre en œuvre,

    dans notre vie collective, pour produire

    sans détruire, consommer sans consumer 

    et recycler sans rejeter. L’économie circulaire

    est porteuse d’une ambition : l’avènementd’une économie qui fait le pari d’une réap-

    propriation joyeuse, par l’humanité, de sa

    capacité oubliée à prendre des initiatives

    pour créer les richesses dont elle a besoin.

    Dans un monde au sein duquel le chô-

    mage endémique et le travail aliéné ne

    cessent de progresser, elle offre la pro-

    messe d’activités compatibles à la fois avecla dignité humaine et le respect de l’envi-

    ronnement. L’emploi en sera favorisé : nous

    savons que le recyclage de 10 000 tonnes

    de déchets nécessite jusqu’à 250 emplois,

    là où l’incinération en implique 20 à 40, et

    la mise en décharge seulement 10.

    C’est cette modification majeure du fonc-tionnement global de notre société que

    les métropoles doivent développer,

    en substituant la logique du réemploi

    à celle du remplacement, pour un monde

    libéré du gaspillage. En effet, l’économie

    circulaire c’est l’avènement d’une écono-

    mie qui dépasse le seul profit, pour yinclure des considérations d’environne-

    ment, de santé et de prospérité ; vive la

    décroissance du gaspillage ! La société

    du jetable doit céder la place à la société

    du durable. L’économie circulaire existe

    depuis la nuit des temps, dans la nature

    où tout se transforme. Le XXe siècle a

    inventé, dans une pseudo-modernité, leproduit jetable. Nous produisons massi-

    vement sans tenir compte du prix de la

    pollution sur notre environnement

    proche et lointain. Nous produisons en

    impactant grandement la santé des

    hommes et des femmes. Des archipels

    Face à ces défis, la perspectived’une économie circulaire nousré-enchante. Véritable projet

    de société, c’est l’économiedu plus faible impact sur l’environnement, sur le climat mais égale